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Histoire du Moyen âge

HIST-B-105
Titulaire : Alain Dierkens

Ce résumé, basé sur la lecture et la compilation de quelques notes


glanées ça et là ainsi que de mes notes prises en cours est à la
disposition de tous, dans l'espoir qu'il sera d'une aide quelconque
pour les examens.

Si vous trouvez des erreurs dans le texte, merci de les signaler à l'adresse suivante :
algoffin@ulb.ac.be

Je modifierai le document en conséquence.

Janvier 2012.
Histoire du Moyen âge
Introduction
A. Qu'est-ce que le Moyen âge ?
1. Mythe
Le Moyen-âge n'est ni extraordinaire, ni obscur, loin des a priori que l'on pourrait en avoir. Le
Moyen âge reste partout, dans la littérature, au cinéma, dans la sculpture ou la peinture, et même
dans les jeux de rôle.
Mal connues au XIXe siècle, les figures du Moyen âge sont souvent idéalisées. Par exemple,
Godefroid de Bouillon, dont l'image est nationalisée, ou Charlemagne, autour de qui on se bat pour
savoir en quel pays il est né.
Les fêtes ont souvent elles aussi un fond historique, comme la fête de la communauté flamande en
Belgique, qui commémore la bataille des éperons d'or qui eut lieu le 11 juillet 1302. Le fait
historique est d'ailleurs déformé et amplifié, dans ce cas-là (on oublie souvent de mentionner que
quelques années plus tard, la France reprend les terres perdues ainsi que d'autres et récupère les
fameux éperons de sa cavalerie décimée).

On porte sur le Moyen âge un regard négatif, considérant cette période comme sombre, noire et
sinistre. On taxe les rois mérovingiens de de fainéants, responsable de l'anarchie dans l'État français,
les Vikings de pilleurs barbares, les serfs de « taillables et corvéables à merci », etc. De même, la
plupart des droits seigneuriaux (droit de cuissage, droit de grenouillage, etc.) qui hantent
l'imaginaire collectif concernant cette période n'ont jamais existé. La torture, elle, était déjà présente
chez les Romains, sans doute plus qu'au Moyen âge, d'ailleurs. Les ceintures de chasteté, elles,
tiennent plus de la légende que de la réalité.
On considère aussi que le Moyen âge est une période sale, notamment dans les villes, alors qu'il y a
des égouts et des bains publics à cette époque. Paradoxalement, c'est à la Renaissance que l'on
fermera ces bains pour insalubrité.
C'est aussi la période des bûchers et de la chasse aux sorcières. Pourtant, on brûlera plus de
sorcières à la Renaissance, aux XVIe et XVIIe siècles, que dans tout le Moyen âge.
Le Moyen âge, c'est aussi une période resplendissante de cathédrales et de chevalerie. Avec un
statut de la femme tout à fait acceptable, avec des libertés communales qu'accompagne une certaine
démocratie locale, avec des fêtes et des banquets médiévaux formidables.
En réalité, le Moyen âge est une période comme une autre, couvrant mille ans de merveilles et
d'horreurs, trop mal connue.

2. Concept et périodisation
Le Moyen âge est la période qui se trouve entre Antiquité et Renaissance. On utilise pour la
première fois ce terme en 1469. L'âge est moyen, ce qui signifie qu'il est entre deux autres. Cette
idée vient d'artistes humanistes qui vouent un culte à l'Antiquité et qui voient leur époque comme
une renaissance vers cette Antiquité perdue. On considère que le Moyen âge va à l'encontre des
coutumes antiques. Pour ces artistes, le Moyen âge est une période sombre où même le latin
s'abâtardit. Pourtant, c'est aussi un moment de gloire pour la religion chrétienne.
À l'époque, on considère que le Moyen âge va du IVe siècle p.C. au XVe siècle.
Aujourd'hui, les historiens ne sont pas d'accord. On dispose de plusieurs dates-clefs correspondant à
différents événements marquants :
Début du Moyen âge :
• Au IIIe siècle p.C. à cause de la crise économique, politique et sociale qui sévit alors dans
l'empire romain.
• En 330, à la mort de Constantin, premier empereur qui accepte le christianisme et fondateur
de Constantinople, Rome orientale.

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• En 395, à la mort de Théodose, lors de la division en deux de l'empire romain.
• En 406, lorsque les peuples germaniques passent le Rhin et font irruption dans l'empire
romain d'Occident, signant la fin de l'empire.
• En 476, lorsque le dernier empereur romain d'Occident décède, mettant définitivement fin à
l'empire romain d'Occident.
• En 700, d'après H. Pirenne, historien belge renommé, qui considère que l'Antiquité, c'est
avant tout les échanges autour de la mer Méditerranée. Or c'est en 700 qu'elle passe aux
mains des Musulmans avec la prise de Gibraltar.

Fin du Moyen âge :


• Selon le début de la Renaissance, avec les premiers humanistes italiens, en 1300, (trecento).
• Selon l'histoire économique :
◦ en 1453, date de la chute de Constantinople et de la fin de l'empire romain d'Orient ;
◦ en 1492 découverte de l'Amérique par Christophe Colomb et autres grandes découvertes,
amenant un changement économique, mais pas culturel.

Toutes ces dates sont symboliques. On considère qu'en fait, il n'y a pas de rupture entre l'Antiquité
et la Renaissance, et qu'il n'y a donc pas réellement de Moyen âge.

B. Caractéristique générales
1. Moyen âge rural
Les gens vivent majoritairement à la campagne, peu souvent à la ville. La migration des campagnes
aux villes se fera vers les XIV e et XVe siècles. On ne peut pas donner de chiffre concernant la
population, puisque la plupart des villages ne font pas de recensement, juste des bribes de
recensement paroissial. Les premiers recensements fiables ne se feront que lorsque les villes se
développeront.
On définit les villes comme un lieu de commerce primordial pour les régions : les villes neuves
disposent d'un accord avec les seigneurs pour prospérer pendant dix à quinze ans sans payer de
taxes. On ne peut donner avec exactitude le nombre d'habitants par ville jusqu'à la fin du Moyen
âge, on peut seulement estimer via des registres paroissiaux (baptême et décès), des registre de
taxation par personne (liste de feu par ville), la densité de populations approximative à l'intérieur
des remparts des villes (mais à l'intérieur des villes, il y a plus ou moins d'espaces verts). On sait
que les grosses villes comme Paris, Londres, Rome, Venise, Bruges ou même Ypres ont plus ou
moins 100.000 habitants.

2. Moyen âge chrétien


Il n'y a qu'une religion unique au Moyen âge, la religion chrétienne catholique. Depuis Théodose I er
(fin IVe siècle), une seule religion est acceptée dans la vie publique. Le culte des Saints fonctionne
très bien, puisque ceux-ci interviennent auprès de Dieu pour le salut ou la prière. Le pèlerinage a
pour but d'aller obtenir un peu de la virtus (force morale) du saint en touchant son corps ou une
relique.
Si l'on n'est pas catholique, on est considéré comme hérétique, rejeté ou parfois même condamné à
mort. Les Juifs sont stigmatisés et repérés. Différents, ils sont ou acceptés ou persécuté. La religion
n'est pas privée mais publique. Il n'y a pas de liberté de penser.
L'Église et l'État sont un et le roi est chef de l'Église. L'Église est un service de l'État et fait partie de
l'État. L'Église gère l'enseignement, les associations caritatives, les hôpitaux. Toute personne est
définie par la famille et dépend d'une paroisse. Si quelqu'un n'est pas baptisé, il n'existe pas au
niveau ecclésiastique et donc pour le monde médiéval.
On paie l'impôt à la paroisse, la dîme (un dixième de tout ce que chaque personne gagne). Ce n'est
qu'en 1789 que l'on supprimera la dîme. Dix pour cent des prêtres sont pauvres. L'Église est une

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structure de l'État n'ayant pas de croyances personnelles. L'importance de l'Église se trouve dans
l'État.

3. Environnement
La nature est encore plus présente au Moyen âge, les hommes dépendant énormément d'elle. Il y a
beaucoup plus de nature sauvage : forêt, marais, etc. Il n'y a pas de constructions humaines pour la
dompter : pas de digues, pas de barrages, pas d'écluses. Les cours d'eau sont extrêmement
capricieux, à tel point que l'on peut à certains moments traverser à pied la Meuse lors de sécheresses
mais que les inondations sont très fréquentes.
Puisqu'il n'existe que très peu de ponts et ceux-ci sont souvent contrôlés par des seigneurs qui font
payer une taxe, on traverse plus souvent les fleuves et rivières au moyen de bacs ou petits bateaux.

On est à une époque où il y a de grandes variations de température. Lorsqu'il y a un réchauffement


de la température, les eaux montent et les côtes reculent à l'intérieur des terres. Si la température
descend, il y a plus de glace aux pôles et les eaux descendent, entraînant un ensablement du littoral.
Par exemple, Bruges est un port de mer quand il fait chaud, avec encore quelques îles au littoral,
mais quand il fait froid on utilise des ports intermédiaires, le littoral allant plus loin. Aux Ie, IIe et IIIe
siècles, on a un refroidissement et on retrouve des habitations romaines à plusieurs kilomètres dans
la mer. Aux IIIe et IVe siècles, la température se réchauffe, on trouve un port romain à Oudenburg,
aujourd'hui en rase campagne.
Plus on avance dans le Moyen âge, plus on va construire des infrastructures pour maîtriser l'eau,
avec par exemple le canal Anvers-Bruxelles, un ouvrage qui aura des conséquences énormes par la
suite.

La forêt, quant à elle, est très présente, que ce soit dans un rôle économique (bois de charpente) ou
dans un rôle social (chasse et autres occupations de nobles). Seul les membres du clergé ont le droit
d'aller dans la forêt, les autres étant exécutés sur le champ s'ils contreviennent à cette règle. La forêt
est un lieu de guerre et de chasse et les plus grandes appartiennent au roi ou aux grands nobles.
À l'époque, on se chauffe au bois et les maisons sont construites en bois (armature solide et durable,
récupérable même après un incendie). La gestion des bois est faite par les nobles. Le hêtre et le
chêne sont les bois les plus utiles, leur coupe est donc réglementée.
Les forêts servant aussi à l'élevage du porc et sachant qu'il faut de 0,75 à 2 hectares pour qu'ils
paissent, on peut calculer la superficie des forêts par estimation. Il n'y a pas de conifères au Moyen
âge, celui-ci ayant été plantés qu'au XVIIIe siècle pour exploitation commerciale. Les forêts sont
composées de feuillus et ne sont qu'entretenues. Les forêts du Moyen âge sont très variées, on le sait
grâce aux textes et différentes illustrations, mais aussi par la palynologie (étude du pollen). On sait
donc que l'on avait plus de chênes, d'ormes et de tilleuls qu'aujourd'hui, ainsi que plus d'aulnes et de
noisetiers dans les zones plus acides.
Au niveau de l'alimentation, les plantes étaient beaucoup moins variées que de nos jours : pas de
pommes-de-terre, de maïs, de thé, de café, de chocolat, de tabac, peu de fèves (haricots), etc. Le
régime alimentaire de l'époque était donc très différent de celui que l'on connaît aujourd'hui.

Un certain nombre d'animaux, alors présents dans nos régions, ne se trouvent plus guère, comme le
loup, le bison d'Europe, l'ure, l'ours.
D'autres animaux, parfaitement courant de nos jours, connaissent un changement profond :
• Le lapin est un animal d'introduction tardive au Moyen âge, via l'Italie. À la base, il vient
d'Afrique du nord. Il se déplace très lentement. On le trouve dans les Pyrénées à l'époque
romaine, en Loire vers le Xe siècle, chez nous au XIIIe siècle et en Angleterre au XI e siècle
(après la bataille d'Hastings).
• On trouve peu de chats. Ils sont surtout en Méditerranée. Ils sont liés à l'imaginaire sorcier,

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considérés comme maléfiques.
• Le porc se trouve souvent dans les textes médiévaux : c'est la nourriture de base, on compte
les forêts en porc (cf. supra), etc. Pourtant, ce n'est pas le porc comme on le connaît. C'est
une sorte de sanglier, de presque un mètre cinquante de hauteur, avec des dents terribles, qui
mange de tout et fait des dégâts impressionnants. Ce sont eux qui nettoient la ville de ses
ordures pendant la nuit. Ils mangent même les armatures en bois des maisons. Il y a des
règlements contre les porcs errants. On a jugé et exécuté un porc qui avait tué le fils du roi
Louis Ier. C'est donc un animal féroce.
• Le cheval ne ressemble pas non plus à notre animal moderne. Il était plus petit (un mètre
trente au garrot). Pour la chevalerie, on utilisait de gros percherons.
Il y a extrêmement peu de gens qui voyagent très loin. Les animaux qui se trouvent en marge sont
donc inconnus ou font partie de l'imaginaire. On est prêt à y croire facilement puisqu'on se déplace
peu. Quand on n'a que le récit, pourquoi la licorne serait-elle moins vraisemblable que l'éléphant ?
Ces animaux ont le même statut d'irréalité. On ne s'étonnera donc pas des discussions d'hommes
lettrés au sujet d'hommes cynocéphales (« à tête de chien ») pour savoir s'il fallait les baptiser pour
les sauver ou s'ils étaient des animaux. Lorsque Charlemagne reçut un éléphant, on prit possession
du possible. Saint Louis reçut deux éléphants, mais les offrit au roi d'Angleterre. La première girafe
montrée en France l'est au XIXe siècle.

4. Temps
Le temps quotidien
Le temps n'est pas aussi précis qu'aujourd'hui. Jusqu'à la fin du XIV e siècle, la seule manière de
compter les heures était la manière de l'empire romain. On comptait douze heures de jour et douze
heures de nuit, fixées par rapport au lever et coucher du soleil. La durée du jour et de la nuit, et donc
des heures, change selon les saisons. Au solstice d'été, une heure fait nonante minutes, au solstice
d'hiver, trente-cinq. Le seul point fixe est le milieu du cycle du soleil, midi, parce que c'est une
donnée visible.
C'est la cloche de l'église qui permet de se repérer par rapport au temps. Il n'y a aucun moyen de le
vérifier. Le temps sonné dans un village peut être différent d'un autre, puisqu'il n'y a pas de norme et
que c'est un temps arbitraire aux seules mains du sonneur de cloches.
Dans les villes et villages, on ne sonne pas nécessairement toutes les heures (généralement prime,
sixte et mâtines). Dans les abbayes, on sonne la cloche toutes les trois heures pour les divers offices.
C'est donc l'endroit où on gère le mieux le temps.
Division des heures :
• Prime (lever du soleil)
• Tierce
• Sixte (midi)
• None
• Vêpres (coucher du soleil)
• Complies
• Mâtines (minuit)
• Laudes (louange au soleil qui va naître)
Pour calculer l'heure, on emploie le sablier, la clepsydre ou des bougies. On adapte la matière
contenue chaque jour. Le temps reste donc éminemment relatif et tient à la personne du sonneur.
Comme le son se percevait beaucoup mieux, on entendait les cloches d'un village à l'autre et on
avait une comparaison indirecte.
Les choses changent vers la fin du XIII e siècle. Les horloges mécaniques, avec des heures de
soixante minutes, apparaissent progressivement. Cette idée d'heure uniforme devient importante
pour le travail en ville vu qu'on paie les gens à l'heure. On veut donc un temps absolu, contrôlable,

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qui ne dépende pas de l'église, ce qui implique que la cloche d'église et celle du beffroi ne sonnaient
pas au même moment. Ces deux heures différentes furent très mal acceptées par l'Église. En France,
il faut attendre Charles V (1580) pour que s'impose le « temps royal » avec l'installation d'une
horloge au Louvres qui donnait l'heure aux églises de Paris, et de là à toute la France. Le temps de
Paris s'impose dans tout le royaume.

Le calendrier
Au début, on suit le calendrier julien. On calcule en fonction des calendes (1 er jour du mois), nones
(5e ou 7e) jour) et ides (13e ou 15e jour), avec calcul régressif. Très vite, on passa à notre manière
actuelle de fonctionner (fin de la transition au Xe siècle).

Chez les romains, on date par rapport aux empereurs, consuls, etc. Lorsqu'on date par rapport à une
date absolue, on choisit la fondation de Rome comme référent (ab urbe condita). Cette manière de
compter n'a plus aucun sens dans le monde médiéval, puisque la référence de Rome devient
évanescente. On va calculer le calendrier par rapport à la naissance de Jésus Christ vu qu'on est
dans une période chrétienne.
Les prêtres vont essayer d'employer divers outils pour savoir quand il a vécu. Denys le petit, au VI e,
est le premier à trouver un système cohérent. Il aboutit à l'idée qu'il est né en 753 après la fondation
de Rome. Personne ne le prend au sérieux. Deux siècles plus tard, en 730 un moine anglo-saxon,
Bède le vénérable, en vient à la même conclusion. Ce calendrier va s'imposer progressivement en
Occident. On parle de l'année de l'incarnation. On sait désormais que le Christ est né en -4, mais
l'important est d'avoir une date de référence.

Le 1er janvier n'est pas un moment significatif dans le calendrier chrétien (c'est la circoncision de
Jésus). On aurait pu garder le 1er mars, début de l'année à Rome pour l'armée. Selon les régions on a
une variété inouïe de début de l'année. On parle de « style ». De nombreux pays suivent le style de
Noël. Pour d'autre c'est l'annonciation (25 mars), ou la circoncision (1er janvier).
En France, on suit le style de Pâques (donc mort et résurrection du Christ). L'ennui est que Pâques
est une fête mobile (qui tombe toujours un dimanche après la première pleine lune de printemps) :
Pâques tombe donc entre le 22 mars et le 25 avril. Chaque année, le début de l'année change donc
de jour, ce qui donne des années plus ou moins longues. L'ennui est que certaines années, on a deux
fois la même date (imaginons une année qui va du 30 mars au 6 avril, on a deux fois les dates qui se
situent entre le 30 et le 6 inclus). Il est donc très facile de s'y perdre. Quand on voit une date, on doit
donc se demander où le texte a été écrit, quand il a été écrit, etc.

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Petit à petit, on va aller vers une unification. L'idée du 1 er janvier s'impose d'abord en France et dans
l'empire germanique (1550), puis progressivement, cela va s'imposer dans les autres pays (1600 en
Écosse, 1750 en Toscane, 1797 à Venise, etc.).

Pour l'année bissextile, on suit encore le calendrier julien. On a bien l'idée de 365,25 jours qui
donne un décalage de 12 minutes par année mais on ne s'en rend vraiment compte qu'en 1582. À ce
moment, le pape, Grégoire XIII, sensible à aligner le calendrier à la réalité astronomique, décide de
rattraper les dix jours de décalage qui se sont installés depuis Jules César. Par une bulle du 24
février, il décide qu'on passe du jour au lendemain du 4 au 15 octobre. On adopte donc le calendrier
grégorien, mais cela ne se fait pas en même temps selon les pays (par exemple les Pays-Bas ne
changent que vers 1800, la Russie en 1918). Le calendrier change d'un pays à l'autre et les gens du
temps n'essaient pas de faire converger leurs calendriers (exemple de la correspondance de Voltaire
et Frédéric II).

Enfin, on ne parlait pas en termes de 3 mars ou 8 octobre, mais par rapport aux fêtes religieuses (le
12e jour du carême, le 3e jeudi après l'ascension, à la Saint-Jean, etc.). Le calendrier n'est pas une
donnée habituelle de la vie quotidienne. La vie est rythmée par les fêtes liturgiques qui forment des
cycles importants impliquant que l'on en suive le déroulement (cycle de Noël, de Pâques,...). La vie
quotidienne de la communauté est donc forgée par la religion.
On ne connaît pas sa propre date de naissance, mais à l'inverse on connaît celle de la mort des gens,
grâce aux registres.

5. Poids et mesures
Tout ce qui concerne le calcul est très compliqué. Si aux XIV e et XVe siècles, on compte en chiffre
arabe, avec le zéro, avant cela, on ne compte qu'avec les chiffres minuscules romains.
On a donc un étalon empirique lié à l'endroit où l'on se trouve (généralement, sur la place du marché
ou devant l'hôtel de ville). Après la révolution française, le système décimal change profondément.
Jusqu'alors, on avait par exemple le muid pour mesurer une capacité de contenance : un muid est
différent dans chaque région mais aussi selon les matières mesurées. Il existe donc pour s'en sortir
des spécialistes de confiance.

Concernant la monnaie, l'unité est le denier. Le système de Charlemagne dit qu'une livre vaut vingt
sous, qu'un sou vaut douze deniers et qu'un denier vaut deux oboles. Ce système était d'ailleurs
encore en vigueur en Angleterre jusqu'en 1970, le penny s'abrégeant « d » pour cette raison. Seul le
denier, pièce d'argent, est frappé. Les autres valeurs servent surtout pour les comptes.
Ceci posé, il faut greffer toutes sortes de changement. Chaque ville ayant sa politique monétaire,
cela implique une variation des monnaies de région en région et la création de monnaies dont la
valeur diffère. On peut créer des unités intermédiaires à but politique. Une pièce vaut le pesant de
son métal précieux. C'est une valeur en métal que connaissent les changeurs. On paie pourtant en
pièces qui viennent de partout en fonction de leur poids de métal précieux. On ne badine pas avec
l'argent : le faux-monnayeur est bouilli vivant. L'unification des monnaies est un phénomène très
progressif dans les états centralisés vers le XVe siècle.
On est donc dans un espace où les références élémentaires changent. Tout ce qui est de l'ordre du
chiffré est un domaine réservé à des gens qui ont eu une formation spécifique. Ces notions
échappent à la plupart des contemporains.

6. Vie et mort
Il s'agit ici de retracer ce qui se passe chez l'individu du Moyen âge de sa naissance à sa mort.
Premièrement, quand on naît, la date de naissance d'un individu n'a aucune sorte d'importance.
L'anniversaire, fêté à notre époque, ne l'était pas du tout à l'époque. Le jour de la mort de quelqu'un

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est, lui, noté, consigné et célébré. C'est en effet un moment important chez un individu, puisque
c'est à ce moment que débute sa vraie vie. On possède des registres où sont consignées les dates
précises de la mort des gens.
En fait, si la date d'anniversaire ne compte pas, c'est parce que le nouveau-né n'existe socialement
pas avant son baptême. Quand un enfant meurt avant le baptême, il n'a pas droit au paradis (il n'est
pas sauvé par le Christ). Il va irrémédiablement en Enfer. C'est à partir du XII e siècle qu'on invente
un lieu, les Limbes, qui se situent entre l'enfer et le paradis. À cette époque, les Limbes accueillent
aussi les patriarches, les sages anciens qui n'ont pas été sauvé.
Le baptême, au début le fait de l'évêque (et ensuite, la pratique décentralisée), a lieu aux environs de
Pâques. Aujourd'hui encore, en Italie, en Sicile et en Espagne, il existe des « sanctuaires à répits »,
particulièrement bienvenus pour les enfants mort-nés très tôt. Dans ce sanctuaire, la Vierge
ressuscite pendant quelques secondes le bébé, quelques secondes durant lesquelles le prêtre a le
temps de baptiser et sauver l'enfant.
Si l'espérance de vie au Moyen âge est basse (vingt-cinq ans), c'est en partie à cause de la mortalité
infantile très forte (un tiers des nouveau-nés meurt avant un an). En datant les squelettes dans les
cimetières, on atteint une moyenne d'âge plus haute (entre trente-cinq et quarante ans). On retrouve
bien moins de squelettes d'enfants. Les hommes atteignant les quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq
ans existent, même si ce genre de chose se remarque. Le Moyen âge n'a pas, comme on le pense
souvent, connu de mortalité importante par rapport à d'autres périodes pré-industrielles.
On meurt au Moyen âge au combat, de vieillesse mais aussi de maladie. Il y a eu à cette époque des
ravages liés aux maladies et aux épidémies qui ont sévi. La peste noire est la maladie la plus
connue. Pourtant, le mot pestis désigne toute maladie considérée comme épidémique. Néanmoins,
les textes sont suffisants précis pour étudier des vraies pestes. Celles-ci sont transmises à l'homme
généralement par une puce via des rats (peste bubonique) et entraîne la mort dans les trente-six
heures. Dans d'autres cas, la peste peut prendre une trajectoire pulmonaire (transmission par la
salive) et entraîner tout aussi rapidement la mort du sujet, par asphyxie. Au Moyen âge, on reste
complètement démuni face à la maladie. On essaie d'éviter les miasmes tant bien que mal (masques
à bec). Dans la plupart des cas, ou on fuit la ville touchée ou on prie Dieu.
Cette peste (bubonique ou pulmonaire) est décrite dans des textes médiévaux. On sait donc qu'il y a
eu une peste significative à l'époque mérovingienne (VI e siècle) et une autre dans les années 1346,
la grande peste noire. On pense que cette peste qui a décimé l'Europe a été inoculée volontairement
lors d'une guerre dans la Mer Noire par les Turcs. La peste a surtout touché les villes, dans
lesquelles commençaient à se regrouper les hommes. Vers 1340, on est à un moment où l'on
commence doucement à conserver des documents de type démographique et des registres
paroissiaux de décès dans les villes. Grâce à cela, on peut quantifier avec plus ou moins de certitude
les morts laissés par la peste noire. On pense qu'en moyenne un tiers de la population des villes a
été tué lors de cette épidémie. L'Angleterre avait trois millions d'habitants au début du XIV e siècle,
2.200.000 après la peste.
Une autre « peste » était l'ergotisme, maladie complètement ignorée de notre époque. Cette maladie
vient de l'ingestion d'un petit champignon, le claviceps purpurea, qui se développe sur les
graminées et les céréales, aliments essentiels de l'époque. En mûrissant, le champignon devient noir
et prend une forme en crochet, d'où son nom d'ergot. Le champignon, une fois mûr, tombe au sol et
ne pose aucun danger pour l'homme. Mais si l'on moissonne plus tôt et que l'on récolte les céréales
ce champignon, on peut en venir à l'ingérer. La maladie qui suit l'ingestion est appelée « mal des
Ardents » ou « maladie de feu Saint-Antoine ». La première forme est gangreneuse (risque de
gangrène des extrémités et chute de ces parties) et la deuxième est convulsive (« danse de Saint-
Guy »). Le pain cuit avec les céréales contaminées étant mangé par de nombreuses personnes en
même temps, la maladie pouvait toucher plusieurs villages en même temps. Contre cette maladie,
on ne peut rien faire d'autre que prier. Ce sont surtout les milieux pauvres et défavorisés qui en
souffrent, puisqu'elle résulte d'une récolte trop avancée et d'un mauvais grain.

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Au Moyen âge, on parle aussi beaucoup de la lèpre, qui pousse à isoler les individus, installés hors
de la ville et devant se signaler par une crécelle. La maladie est tellement marginale, les léproseries
étaient surtout habitées par des vieux et autres personnes voulant finir leur vie confortablement :
une sorte de pension de luxe. On n'a jamais de nombres comparables aux grandes épidémies.
Une fois mort, dans la mentalité du Moyen âge, la vraie vie commence. Elle n'est pas crainte
comme on la craint aujourd'hui. À l'époque, la mort, comme la naissance, est un événement public
auquel tout le monde assiste. La bonne mort est préparée et contrôlée, tandis que la mauvaise mort
survient sans préparation et est redoutée.
Autour de la mort, il y a un grand nombre d'informations que peuvent utiliser les historiens. La mort
par suicide est un pêché grave et l'âme va en enfer tandis que le corps ne peut pas être enterré. Les
nouveau-nés ne peuvent pas non plus être enterrés. Seules les morts « normales » mènent au
cimetière.
Le cimetière au Moyen âge est un cas d'anthologie pour la compréhension de certains rituels. Dans
l'Antiquité, le principe était que la société éloignait le mort. Il était enterré hors de la ville, loin des
remparts. Les cimetières sont tenus le long de voies de communication (Rome et la Via Appia). On
l'éloigne pour des raisons religieuses et hygiéniques. On va rendre visite aux morts à quelques dates
précises. Au Moyen âge, à partir du VIe et plus précisément au VIIIe siècle, on amène le cimetière au
centre de la ville ou du village. Le plus souvent, le cimetière est lié à l'église paroissiale ou un lieu
de culte. On va au cimetière au moins une fois par semaine (dimanche, jour de la messe). Le lieu
appartient au sacré tout en tenant encore un peu du profane. Participant au sacré, il bénéficie de
certains droits, dont le droit d'asile (un hors-la-loi peut y être soustrait à la loi humaine). L'endroit
est donc particulièrement prisé pour y tenir des réunions (on a des témoignages d'accords signés
dans de tels endroits) mais aussi pour y dresser le marché. Le cimetière est donc aussi un lieu de vie
en même temps que lieu de mort.
Par contre, le problème du cimetière dans la zone d'habitation est le manque de place – problème
qui ne se posait pas dans l'Antiquité, lorsque le cimetière se tenait loin de la ville. On doit donc faire
de la place pour les nouveaux corps et déranger les corps des défunts plus anciens. La conception
médiévale considère que tant que le corps reste dans le cimetière, la résurrection des corps peut se
faire. On bâtit des ossuaires pour ranger les restes qu'on déterre pour faire de la place dans les
cimetières. Dans toutes les églises bretonnes, on trouve encore des espaces « ossuaire », témoignage
de la pratique du Moyen âge. Une autre façon de conserver les os en les disposant sur les voûtes de
cloîtres. Le système du cimetière centralisé ne sera supprimé dans nos régions qu'au XVIII e siècle,
lorsque l'on mettra en avant des raisons hygiéniques.
Dans l'esprit médiéval, la vraie vie commence avec la mort et avec le Jugement Dernier, qui décide
si l'âme du défunt est sauvée ou non. Jusqu'au XIIe siècle, on l'a dit, il n'existe pas d'alternative entre
l'enfer et le paradis. En attendant le Jugement Dernier, que se passe-t-il avec l'âme ? Jusqu'au XIIe
siècle, on considère que l'âme ne fait rien. Après cette époque, on considère que l'âme a une
existence avant le Jugement Dernier et qu'elle peut utiliser ce temps pour se purifier : création du
Purgatoire. Dans les églises, on va voir apparaître des messes et des prières pour les âmes des
défunts du Purgatoire. Chez les riches, on fait donner des messes perpétuelles pour préparer sa mort.
On fait donner des messes sans arrêt et parfois dans plusieurs églises à la fois.
Au niveau de la géographie de l'au-delà, Dante, dans la Divine Comédie, met en scène une carte
détaillée du Purgatoire, de l'enfer et du paradis. On considère qu'il existe des personnes tellement
bonnes ou mauvaises qu'elles ne doivent pas attendre le Jugement Dernier pour être jugées.
Quelqu'un d'exceptionnellement bon (qui possède la virtus) est déjà élu et déjà auprès de Dieu ; ce
saint qui a connu la vie terrestre connaît déjà le paradis : il est un intercesseur idéal entre le monde
terrestre et Dieu. On s'adresse à ces saints pour demander la clémence de Dieu le jour du Jugement
Dernier ou pour demander un miracle (de guérison, de grâce, de résurrection, etc.). Cette logique de
l'au-delà est complètement liée à la conception médiévale. Et si à l'époque contemporaine, la prière
seule suffit, au Moyen âge, il faut prier en un lieu précis, le tombeau du saint, et y aller en

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pèlerinage. L'endroit le plus couru est tout d'abord la Terre sainte, puis Rome ou en dernier recours
d'autres lieux. Une autre solution médiévale (mais plus moderne) est de se tourner vers une relique,
un bout du corps ou un effet personnel du saint. L'acquisition d'une relique est partie structurante de
la société de l'époque et peut faire l'objet de vol (avec la bénédiction du saint en cas de réussite).
Pour le Christ et sa mère, puisqu'ils sont tous les deux montés au ciel, il n'y a plus de corps et on ne
possède plus que des reliques d'effets : épines de la sainte-Croix, etc.
Il existe une hiérarchie des saints : Vierge Marie > apôtres et connaissances du Christ > saints
martyrs > saints confesseurs.
Au Moyen âge, quel saint choisir pour adresser une prière ? On évite les saints du haut de la
hiérarchie (saints généralistes) qui sont sûrement débordés ou plutôt les petits saints locaux qui
auront le temps de s'occuper de la prière.
Qui décide du caractère de sainteté de quelqu'un ? Dieu, à n'en point douter. Comment le choix se
fait-il ? Par le miracle mais cela ne suffit pas. On a recours à l'élévation du saint et des reliques par
l'évêque. Au bout d'un certain processus historique, on va voir le pape se mêler de la canonisation.

7. Vie quotidienne
On aime raconter qu'au Moyen âge, les gens étaient petits. En fait, s'ils ne mesuraient pas tous deux
mètres et que nos tailles actuelles sont un peu plus grandes, de manière statistique les tailles ne
changent pas fondamentalement entre le Moyen âge et le début du siècle dernier.
En fait, dans le schéma romantique, on décrète que les sociétés primitives doivent être petites. Les
arguments choisis sont le fait que :
• les portes des maisons sont basses (en fait, c'est pour maintenir la chaleur ; les gens se
baissaient) ;
• les lits sont plus courts (en fait, on ne dormait pas couché, mais presque assis) ;
• les armures sont moins hautes et plus trapues (souvent ce sont des faux, parfois ce sont des
armures des XVIe et XVIIe siècles ; les armures du Moyen âge conservées sont de fait assez
petites, mais elles sont présentées avec un empilement des pièces l'une sur l'autre, alors
qu'en fait il y avait des articulations, et donc étaient plus hautes lorsque portées).
De manière générale, on arrive à des tailles moyennes de plus ou moins un mètre soixante-cinq pour
la femme et un mètre septante pour l'homme.

La mode, elle, évolue d'un siècle à l'autre. De manière générale, la tenue unisexe longue était de
rigueur dans les milieux aisés et de cour au début du Moyen âge. Au fur et à mesure, on y ajoute des
sophistications de tout genre (fourrure, couleur, etc.).

La saleté médiévale est l'un des préjugés médiévaux les plus connus. Les villes ne ressemblent en
rien à nos villes hygiéniques, mais ne sont pas éloignées des villes du XIX e siècle. Les ordures et les
excréments étant évacués autrement que par les égouts, tout se récupère : les excréments solides
servent d'engrais, les excréments liquides sont réemployés dans l'industrie textile. Le porc est aussi
lâché en pleine nuit pour qu'il mange tout ce qu'il peut. Il y a des solutions, mais la ville reste
relativement sale et odorante. Il y a un caniveau central dans lequel se réunissent les ordures, qui
s'évacuent comme elles peuvent. On marche sur les côtés pour éviter de se salir, ce qui a donné
l'expression « tenir le haut du pavé » qui signifie qu'un évite de marcher dans le caniveau.
Chaque ville a son bain public. La nudité ne pose pas de problème, sauf lorsqu'elle est sexualisée.
On appelle ces bains les étuves. Y aller est un moment de convivialité. Ces lieux inquiètent l'église,
puisqu'on s'y rend compte en tenue légère et que très vite cela dérive en lieux de prostitution. Petit à
petit, il va y avoir des spécialisations d'étuves, puis aux temps modernes, ils finissent par disparaître
pour des questions morales.

Au Moyen âge, on voyage peu, surtout si l'on a des responsabilités agricoles. Ce sont surtout les

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marchands, les hommes d'église, les diplomates et les pèlerins qui voyagent. Il y a des auberges
dans les villes, avec de quoi loger et manger et de quoi nourrir son cheval. Le lit se partage à
plusieurs personnes (souvent des inconnus qui dormaient nus sous les draps).

L'alimentation, elle, évolue au cours du temps. C'est surtout l'étude des latrines qui nous permet
d'étudier l'alimentation. De manière générale, les gens ont une alimentation simple, mal connue.
Dans les cours, on est mieux renseignés, notamment grâce aux traités de cuisine. La table est un lieu
de manifestation du pouvoir et on s'arrache les chefs coqs.
L'alimentation est essentiellement basée sur les céréales et le pain, avec des produits laitiers et des
œufs. On mange quelques légumes secs (pois, fèves, etc). Les gens mangent peu de viande. Quand
viande il y a, ce sont des plats longuement bouillis, que l'on cuit et recuit. Cela permet une
conservation plus longue. La viande est conservée séchée ou fumée pour la viande rouge, mais cela
ne marche pas pour la volaille par exemple. La nourriture n'est pas équilibrée, il y a des carences.
Le rachitisme est courant. La goutte apparaît dans les milieux riches. Les flatulences et
ballonnements touchent les religieux.

L'organisation du repas riche est bien connue. Il y a une hiérarchie sophistiquée dans l'organisation
des plats. Les repas sont extrêmement codifiés et soignés. On se place le long des murs de la salle à
manger pour laisser au centre la place pour la circulation des serveurs et la tenue d'entremets, c'est-
à-dire des spectacles d'ours, de bateleurs, mais aussi des moments politiques d'importance durant
lesquels on fait de grandes déclarations après un spectacle allégorique. On dresse la table (des
tréteaux et des planches) puis on dessert la table, ce qui permet d'avoir un espace libre. À table, on
amène des mets de tous genres et on se sert d'un plat à l'autre. Il n'y a pas d'assiette. On mange sur
des tranchoirs, des tranches de pain assez épaisses sur lesquelles on dispose les aliments. Quand il
est plein de sauce, on le donne aux pauvres et on en prend un autre. Il n'y a pas de fourchette, mais
chacun a son couteau personnel. Il y a par contre cuillers et bols (un pour deux personnes, signe de
convivialité). On se sert avec les doigts, qu'on essuie sur la nappe. Un grand nombre de gravures
met en œuvre ces banquets.
Les repas riches contiennent du gibier. Cette viande est associée au statut nobiliaire. La chasse était
surtout un sport, un passe-temps. On ne mange pas nécessairement tout ce qu'on rapporte. La chasse
est un lieu de sociabilité et de convivialité, mais peut être amené à table. On adore présenter les
animaux que l'on mange.

Dans la population, on mange une sorte de brouet (soupe dans laquelle on met de tout) et du pain.
C'est une denrée très importante qui repose sur les céréales. Il y a deux types de blés : celui de
printemps et celui d'hiver (selon la période de semailles, bien que récoltés au même moment). A la
cour, on mange les céréales d'hiver : froment (donc notre blé), seigle et épeautre. L'épeautre est une
céréale plus épaisse, qu'il faut battre longuement et qui a un goût un peu râpeux. Les céréales de
printemps sont l'orge et l'avoine. Ce ne sont pas des céréales panifiables. Ils servent surtout à
confectionner des bouillies (dans les pays anglo-saxon on les retrouve toujours dans des plats de
base de type porridge). Une révolution est l'assolement triennal : blé d'été, blé d'hiver, jachère. Le
miel était le seul adoucissant.
Au Moyen âge on ne boit pas d'eau à table pour des raisons d'hygiène et des constatations de
salubrité. Éventuellement, on boit à la source que l'on place sous protection d'un saint. L'eau de
consommation est bouillie et rebouillie (potage, brouet) pour éviter les inconvénients sanitaires. On
boit à table une bière domestique légère que chacun peut produire. On peut aussi boire du vin qui
n'est pas un vin de conservation (on le boit jeune) et est donc assez léger. Les vignes remontaient
bien plus au nord que de nos jours (jusque sur les coteaux de la Meuse et à la Cambre). On a surtout
besoin du vin pour la messe. Aucun produit de substitution n'est admis (c'est le sang du Christ). Le
transport du vin fait partie des corvées. On boit aussi du lait, mais caillé ou battu.

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8. Droit
Au Moyen âge, on a une personnalisation du droit : on est jugé selon son statut social, avec des
cours de justice spéciales. Par exemple, les religieux sont jugés par des tribunaux ecclésiastiques,
sans rapport avec la justice commune. Au début du Moyen âge, on est même jugé selon son origine
nationale. Certaines personnes échappent à tout droit codifié, les esclaves, par exemple, au début du
Moyen âge, qui dépendaient de leur maître. Les nobles ne sont jamais jugés par une cour de non-
nobles. Chacun revendique son statut.
On peut aussi être dans un tribunal différent selon l'endroit où le délit est commis. Pour un même
délit, dans un même village, on peut avoir une cour d'alleu, seigneuriale, etc., parfois avec les
mêmes personnages qui jugent de l'une à l'autre.
Le droit est oral, de tradition, ce qui fait qu'il est très complexe à connaître, d'autant qu'à tout ces
droits s'ajoute le droit canon de l'église.
La femme, elle, est considérée comme mineure et est sous la tutelle d'un homme de la famille. Les
esclaves et non-libres ne peuvent pas se marier et n'ont aucune propriété.

C. Sources du Moyen âge


1. Sources écrites
Il reste très peu de ces sources. À l'époque, on n'écrivait pas beaucoup et de nombreux textes ont
disparu. Plus on se rapproche du bas Moyen âge, et plus on a de textes. La critique doit donc être
drastique, vu le peu d'éléments dont on dispose.
La plupart des textes conservés sont liés aux structures de l'Église, ce qui amène les gens, à cause,
de cette plus grande documentation, à survaloriser la place de celle-ci dans la société du Moyen âge.
En fait, nombre de catégories sociales n'écrivent pas parce qu'il ne s'agit pas d'un savoir valorisé. Ce
sont donc ceux qui font une carrière ecclésiastique qui apprennent d'emblée l'écriture.
Le rapport a l'écrit est tout à fait différent. Cela implique d'une part un exercice particulier de la
mémoire, et d'autre part un recours permanent à l'Église pour l'écriture. Plus on avance dans le
Moyen âge, plus les gens savent écrire.
Le prix du parchemin explique aussi la rareté de l'écrit, bien qu'au fur et à mesure, le papier va
apparaître (support de seconde zone jusqu'au XIVe siècle). On n'emploie plus de papyrus au Moyen
âge.

Au niveau des sources littéraires, on a :


• les annales qui reprennent les faits importants année après année, comme ceux relevant de
l'histoire météorologique (sécheresse, pluie, grêle, etc.), des naissances et des décès ou des
choses plus fantaisistes (apparitions de dragons,...), souvent régionalement ;
• les chroniques ;
• la gesta, liée aux abbayes et évêchés et écrits officiels décrivant tous les faits marquants qui
se sont produits sous chaque abbé ou évêque, le but étant de montrer que l'abbaye suit au
mieux la volonté divine ;
• la généalogie, document très précieux pour baliser les personnages et les événements, même
si on assiste à des dérives, les gens voulant souvent se donner des origines illustres, et qu'on
a parfois des difficulté de compréhension, les noms se transmettant dans une même famille,
rendant difficile de déterminer qui vient avant qui ;
• les hagiographies, nombreuses (moitié des sources conservées), mines exceptionnelles de
renseignement sur la vie sociale et économique, sur les lieux et les personnes, le miracle
devant être crédible et donc se placer dans l'époque contemporaine (avec une détermination
précise de la personne), sont des petits tableaux de la vie quotidienne ; on a aussi des
inventio (< invenire : trouver), récits expliquant comment on a trouvé la relique, et des
translatio de reliques, expliquant le voyage de reliques en décrivant les lieux traversés.

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• la littérature.
Cette masse de documents est encore aujourd'hui sous-exploitée.

Au niveau des sources juridiques, il y a des sources normatives écrites (lois, coutumes, etc.) ainsi
que des actes pratiques (donation, testaments, acquisitions, etc.). Ces derniers se trouvent dans des
documents appelés chartes ou diplômes (le diplôme étant plus officiel, pour les rois par exemple).
Les chartes (morceaux de parchemin) sont regroupées dans un chartrier et sont authentifiés par un
sceau. Cette multiplication d'originaux n'est pas simple d'usage et on va dès lors recopier les chartes
selon certaines modalités. Le livre obtenu est un cartulaire. Les chartriers ont généralement disparu
et on n'a plus que les cartulaires. Parfois, le copiste fait des interventions et il faut employer la
critique. Dans le cartulaire, on a parfois des textes en plus des chartes.
D'autres documents énumèrent les biens (impôts, comptes, etc.). Plus on avance dans le Moyen âge
et plus on en possède. On trouvera par exemple des relevés de cens (censier), des relevés de feu ou
des polyptiques (relevé de droits, de possessions ou d'institutions, principalement carolingien).

Chapitre I : Romains et Germains au Ve siècle


Il faut oublier la distinction nette entre la chute d'un empire romain sous les assauts d'une Germanie
barbare. C'est une vision franco-centriste erronnée.

A. Rome
Pour décrire l'empire romain, il faut partir d'un empire extrêmement large, centré sur la
Méditerranée et qui a décidé à un moment de stabiliser son extension. Ils ont alors fixé des
frontières par-delà lesquelles ne va pas la civilisation. Cette frontière est le limes. Au Nord, elle
longe le cours du Rhin de son embouchure jusqu'à sa source puis le Danube de sa source jusqu'à son
embouchure.

1. Institutions
Découpage de l'empire romain au Ve siècle
• Empire
◦ Occident
▪ Italie-Afrique
▪ Gaules
• Bretagne
• Gaules
◦ Belgique I (Trèves)
◦ Belgique II (Reims) ; cités : Tournai, Cambrai, Soissons.
◦ Germanie I (Mayence)
◦ Germanie II (Cologne) ; cités : Tongres, etc.
• Septimanie (Viennoise)
• Espagnes
◦ Orient
▪ Illyrie
▪ Orient
L'empire romain est séparé en deux parties, chacune dirigée par un empereur qui travaillent main
dans la main. Tout commence avec Dioclétien qui crée cette séparation. L'autre artisan de cette
séparation est Constantin qui fonde sa propre ville en Orient : Constantinople.
On est dans un régime policier dur, en permanence devant le contrôle d'une armée très puissante et
d'une police très stricte. Le pouvoir de chaque empereur est absolu en toute matière, omnipotent.
Le siège du pouvoir en Occident est Rome mais il se déplacera momentanément dans différentes
villes : Trèves, Arles, Milan ou Ravel.

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On est dans un régime très hiérarchisé, entre autre administrativement. L'empereur, depuis son
palais, dirige l'empire entouré d'un certain nombre de conseillers. Les grands fonctionnaires de
Rome sont les comes, itis (<comte).
Quatre préfectures, deux dépendant de chaque empire. Diocèses : subdivisions des préfectures. En
Gaules, diocèses de Bretagne, des Gaules, de Septimanie (« sept provinces ») et des Espagnes. Voir
tableau.
Cette pyramide administrative fonctionne pour l'empire et aura une certaine durée. Quand le
christianisme devient la religion officielle de l'État romain, il va utiliser les limites utilisées par les
Romains dans ce même cadre. Une partie de ce cadre est donc passé à travers les siècles sans
interruption. Les provinces seront dirigées par des archevêques, les cités par des évêques. Il faut
attendre Philippe II en 1559 pour modifier le cadre des évêchés qui aura duré mille ans.
Ce système politique est dirigé par une bureaucratie monumentale qui consigne tout sur papyrus
grâce à des milliers de scribes. Il y a des bureaux d'archive partout dans l'empire. N'importe quel
ordre de l'empereur part du palais jusqu'aux cités où il se répercute. Si on consigne les ordres, on les
transmet aussi. Les villes romaines sont reliées par un réseau routier très performant, son but étant
la circulation de l'information et de l'armée en cas d'attaques. Ces routes ne sont absolument pas
faites pour le commerce mais sont conçues pour la poste impériale. Quand l'empire romain va
s'effondrer, une partie de ces routes vont s'avérer être un luxe non-nécessaire et ne seront plus
entretenues.

2. Droit
Dans un espace immense, un aspect d'unité se retrouve dans les lois. L'empire est très volontiers
intégrant, polyethnique et égalitaire. Il est égalitaire pour tous les hommes libres, mettant de côté les
esclaves qui sont pourtant très nombreux mais n'ont aucun droit. En 212, Caracalla a d'ailleurs
donné à tous les hommes de l'empire la citoyenneté romaine.
Le droit est un droit écrit qui prend en compte la jurisprudence et qui, au fil du temps, se
complexifie énormément.. Il devient assez vite nécessaire de mettre au point un code de lois qui
vaudrait pour tout l'empire. Le plus important code de droit romain fut celui mis par écrit sous
l'empereur oriental Théodose II en 438 (code théodosien). Les lois sont classées en matières et en
chapitres, comme le sont les codes d'aujourd'hui. Le droit qui repose sur ce code est complexe et
réclame des manuels d'explication, etc. Par la suite, le code justinien s'imposera mais il n'est pas
connu en Occident jusqu'à la fin du Moyen âge. Le code théodosien reprend les mêmes principes
que notre droit contemporain mais s'oppose radicalement avec la loi germaine. Le code théodosien
est un droit écrit pour lequel on peut faire appel, avec des professionnels du droit, avec présomption
d'innocence. Le droit romain est, selon les endroits de l'empire, interprété différemment selon la
jurisprudence locale.

3. Armée
C'est très souvent l'armée qui décide le pouvoir de l'empereur. Elle est omniprésente et fait l'objet
d'une organisation et d'une hiérarchisation particulières. Il y a deux corps d'armée : armée de
frontière et armée de mouvement. La première pour garder les limites de l'empereur, la seconde
pour intervenir rapidement à certains endroits. Il existe des postes-frontières tout le long des
frontières.
Il existe un contrôle efficace de toutes les cultures pour l'entretien des armées et les fouilles nous
permettent de restituer exactement le régime alimentaire d'un légionnaire en garnison. Celles-ci sont
des sources providentielles d'informations archéologiques.
L'armée de mouvement est cantonnée à certains endroits et doit se déplacer très vite pour intervenir
aux frontières lorsque des problèmes se posent (près du Rhin, notamment). Ainsi, il est arrivé que,
pour intervenir près du Rhin, on fasse intervenir une armée de Bretagne.
Pour diriger ces armées, il faut un chef, compétent pour diriger les fantassins et aussi les cavaliers.

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Le magister utiliter (appelé généralissime) est chef des deux milices et a le pouvoir de diriger les
deux parties de l'armée. Pour atteindre ce rang, il suffit d'avoir fait carrière dans l'armée. Il existe
des chefs d'armée de différentes origines. Ce rang est un tremplin pour les nouveaux romains :
Stilicon, ancien Vandale, Alessius, (qui a vaincu Attila). Cela s'explique par le fait que les Romains
d'origine aiment de moins en moins se battre.
Contrairement à l'administration où il faut être citoyen romain pour exercer une charge, l'armée
romaine est ouverte à ceux qui ne sont pas citoyen. Elle est donc un tremplin social pour entrer dans
l'empire.

4. Société et économie
Rappelons que l'empire romain est une société qui ne considère absolument pas les esclaves, qui ne
sont véritablement que des choses. Dans une société bureaucratique, il y a toujours une tendance
très nette à figer les choses et une autre tendance parallèle à sophistiquer les choses. Petit à petit, on
va fixer les différentes classes sociales.
Les hautes charges vont être réservées à une certaine frange de la population qui bénéficie de
certains privilèges qui accompagnent la charge. Parmi ses charges, on retrouve la charge sénatoriale
dans laquelle se retrouve l'aristocratie. Elle a le monopole de toutes les charges de l'empire. La
charge sénatoriale est théoriquement héréditaire mais peut aussi s'acquérir lors d'anoblissements que
n'aiment pas les gens de l'aristocratie plus ancienne. Ces familles sont immensément riches,
possédant des propriétés immenses, et sont dispensées d'impôt. Elles peuvent en outre disposer de
leur propre milice privée. Leur culture, littéraire notamment, est très grande et ils aiment écrire,
correspondre et conserver leurs écrits. Elles ont aussi le privilège du commandement.

La tendance romaine sera de figer chacun dans sa profession et dans son environnement. Un
paysan, par exemple, ne quittera que très rarement son domaine, même si dans les termes il est
libre. Dans les villes, on hérite généralement de la profession de son père. Lorsque les Germains
entrent dans l'empire, les enfants restent avant tout « fils de Germains ».
Dans l'empire, si l'essentiel de l'économie provient des campagnes, il y a une grande facilité de
commerce et d'échange, grâce à l'unité de tout le territoire. Des prix fixes ont par exemple cours
pour certains produits. Cette facilité disparaîtra avec l'empire.

Les différentes taxes sont possibles grâce à la monnaie unique qui a cours partout. Ce type de
facilités encourage le commerce sur de longues distances. Les pièces sont frappées à l'effigie de
l'empereur qui est le seul habilité à émettre la monnaie. La monnaie est généralement datée, ce qui
permet lors de la découverte de telle pièce une datation postquem. Au niveau de la représentation du
visage de l'empereur, on note qu'on passe d'une représentation de profil à une représentation de face.
C'est un système monétaire en trois métaux : or, argent et bronze. La monnaie la plus élevée est le
sou d'or (aureus ; 4,5g d'or), puis vient le tiers de sou en or (triens). En argent, c'est la silique
(2,65g). En bronze, on a des pièces beaucoup plus petites qui vont finir par disparaître. On restera
avec un système or-argent.
Le système est garanti par l'empereur dans des ateliers impériaux.

5. Religion
Au niveau religieux, la question va faire débat à l'époque comme plus tard dans les débats
historiques. Tout comme l'empereur est garant de l'économie, il est aussi garant de la religion
civique (il est le pontifex maximus, le prêtre suprême).
L'empire romain, au niveau religieux est intégrant. Les religions peuvent cohabiter sans problème,
pour autant qu'on oublie pas le noyau religieux romain, avec son lot de cérémonies et de rituels.
Dans cet empire romain apparaissent des religions qui ne collaborent pas, dont la religion juive,
dont l'élitisme ne s'accorde pas avec la pensée romaine. Le christianisme posera les mêmes

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problèmes, avec une croyance en l'au-delà et un rejet des institutions civiles romaines. Il y eut
contre eux des persécutions qui ne furent pas générales mais plutôt particulières. Avec Constantin,
la religion chrétienne va s'imposer. La noblesse romaine n'est d'ailleurs pas indifférente à cette
nouvelle religion. Sous Constantin en 310, pour des raisons sociales et personnelles, on autorise la
religion chrétienne et son libre exercice. La religion chrétienne devient plus visible et de plus en
plus d'aristocrates et de bureaucrates seront dorénavant chrétiens.
Sous Théodose, en 380, la religion devient la seule religion autorisée. On ne peut à l'époque plus
exercer de charge administrative sans être chrétien. L'édit de Thessalonique consacre cette mise en
avant du christianisme. L'empereur sera dorénavant le garant de la religion chrétienne et c'est pour
cette raison que la religion chrétienne permet de s'imposer dans tout l'empire. On détruit ou on
recycle les temples romains pour y construire des églises.
La religion d'état s'impose et bénéficie de tous les avantages de l'empire pour sa propagation. Cette
pour cette raison que l'évêque a une sphère d'action qui couvre les cités romaines.
Le christianisme s'implante d'abord dans les villes, à tel point que l'évolution du mot paganus
désignera en même temps le païen et le paysan.
Le christianisme va s'imposer et sera dispensée d'impôt. Ces privilèges vont renforcer le pouvoir
économique et politique de l'église. C'est à cette époque que se développe le droit d'asile qui court-
circuite le droit normal. Les évêques vont être de plus en plus souvent choisis dans les rangs de
l'aristocratie, à tel point que les membres d'une même famille peuvent se retrouver dans tous les
lieux de pouvoir.
Un clergé de prêtres voit le jour, qui a le pouvoir de renverser les idoles. Une conception religieuse
apparaît en parallèle, avec une idée de fuite du monde, pour préparer le Jugement dernier et éviter le
monde de pêcher. Certains hommes se retirent de la société, donnant finalement naissance au
système monacal et à la vie érémitique.

Le problème de la doctrine et des hérésies se pose, avec le temps. En effet, avec la montée au
pouvoir du christianisme, il faut consolider les bases du culte et définir clairement ce qu'est le
christianisme. Il n'y a pas à l'origine une orthodoxie qui se pose face à des hérésies qui seraient une
mauvaise façon de penser. On est dans la définition d'une norme hors de laquelle on est dans
l'hérésie, une autre façon de voir la religion. Au départ, le mot « hérésie » n'a pas le côté négatif
qu'on lui connaît aujourd'hui.
La trinité pose un problème majeur (au VIIIe siècle, par exemple). Quelle est la place des trois
éléments ? Est-ce qu'il existe une hiérarchie dans la Trinité ? Arius, un penseur du Moyen-Orient,
pose Dieu le père comme antérieur au Christ et pense une hiérarchie dans la Trinité. Le problème
est que cette vision n'est pas partagée. Des luttes intestines vont avoir lieu, à tel point que
Constantin va réunir à Nicée un concile de 300 érudits. Ils vont définir les membres de la Trinité
comme consubstanciels et déclarent ceux qui pensent différemment condamnables.
Trinité → arianisme, etc. → 325 : Nicée ; 381 : Constantinople.

Un autre problème relève de l'incarnation du Christ, homme et dieu à la fois. Une solution considère
qu'il faut distinguer les deux natures, avec une naissance humaine pour sa partie mortelle et une
existence incréée pour la partie divine. C'est là la position de Nestorianus et du nestorianisme. À
Éphèse, en 431, on déclare le Christ « vrai homme, vrai dieu, indissociable » et le nestorianisme
comme condamnable.
Par la suite, on cherche à savoir si dans son unité de natures, quelle nature est la plus forte. Le
monophysisme considère que la nature divine l'emporte sur l'autre. Face aux remous qui ont lieu, on
réunit un concile à Chalcédoine et on décide que les deux natures sont égales, condamnant toute
autre façon de penser différemment.
1. Nature du Christ → Nestorianisme → 431 : Éphèse.
Nature du Christ → Monophysisme → 451 : Chalcédoine.

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Les hérésies sont ici de mauvaises hérésies, de mauvaises façons de concevoir la religion
chrétienne. Pourtant, l'arianisme avait beaucoup de succès chez les empereurs romains de 330 à
360, époque de la conversion des Germains par des évêques romains. Parmi eux, Ulfila a converti
des populations germaines, établissant une traduction de la Bible en langue germanique (gotique).

B. Germains
Le monde germanique « barbare », en dehors des frontières et donc non civilisés, pose
d'extraordinaires problèmes de source pour les historiens. Le monde germanique est un monde
d'oralité et on ne possède pas de témoignages directs des populations indigènes. On possède
pourtant de nombreux écrits, via le monde romain. Tacite a d'ailleurs écrit le de Germania, vers 100
p.C. et décrit les populations germaines avec ses mots et en les comparant avec ce qu'il connaît.
Outre le problème de double déformation à travers le prisme romain, il y a aussi le problème de
l'évolution de la société, puisque les Germains qu'il décrit sont de 400 ans antérieurs à ceux qui
nous intéressent. De plus, Tacite prête peut-être des qualités aux Germains en les comparant aux
Romains mollissant.
Il existe d'autres textes sur la Germania. Archéologiquement, on trouve des preuves de la vie de
l'époque. On a aussi des traces de Germains qui sont entrés dans le territoire romain, décrits par
l'administration romaine.

Sur le nom des peuples et la naissance des peuples germaniques (ethnogenèse), il y a eu des
avancées, si bien qu'aujourd'hui, on est plus ou moins sûr de ces faits. La bureaucratie romaine qui a
donné des noms et a décrit des peuples les a considérés comme un tout immobile. Une bonne partie
de cette définition les fige dans un lieu et un moment donnés.
Certains peuples sont décrits comme nés de la fusion occasionnelle autour d'un chef
charismatique pour former une nouvelle entité. C'est le cas des Francs, un peuple qui, au IV e siècle,
s'est formé par agglomération de populations qui vivaient déjà sur place, près du Rhin, avant de se
rassembler sous une seule bannière. C'est le cas aussi des Alamans, un regroupement occasionnel de
peuples.
Un deuxième groupe se définit par rapport à une famille royale d'essence divine qui réunit sous
sa coupe différents peuples. C'est le cas des Goths, Wisigoths et Ostrogoths, des Burgondes, des
Vandales, tous fiers de leurs origines qui remontent à des générations auparavant. Ces peuples vont
devoir travailler avec le monde de l'écrit et vont écrire leur histoire et leurs origine, par le biais de
scribes romains commandités. De ces peuples-là, on peut chercher l'origine, mais sans penser qu'il a
existé un noyau dur, la création de ces peuples résultant de la fusion de différents peuples (c'est le
cas avec les Huns, dont une partie va s'intégrer au peuple burgonde).

Il semble que, de toute manière, on se trouve dans une société hiérarchisée, avec une caste
guerrière, une élite sociale et des esclaves, un peu comme la société romaine. Dans ce monde, on se
rend compte qu'il y a une place pour la famille et surtout pour la famille élargie (sippe : terme repris
par l'idéologie nazie) autour du roi, par exemple. Il existe aussi une agriculture développée dont on
a retrouvé des traces d'une certaine organisation.
Le fonctionnement de la justice pose problème entre Germains et Romains. Dans la société
germanique, on est exactement à l'opposé de la société romaine : pas de tribunal hiérarchisé mais
une assemblée d'hommes libres (mallus, équivalent du thing scandinave) avec exécution immédiate
de la peine. Le mallus repose sur la tradition orale et part du fait que l'accusé est supposé coupable
et doit prouver son innocence.
Du point de vue religieux, les populations germaines seront christianisées sous la forme arienne
(Wisigoths, Ostrogoths, Vandales et Burgondes). Les autres sont considérés comme païens et Tacite
nous les décrit comme ayant des dieux ressemblant aux dieux romains (en fait, plus proches des

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dieux scandinaves) et adorant des pierres, des armes, des fontaines, des sources, etc.
Les deux mondes, romain et germain, sont deux mondes qui se connaissent et ont des interactions.
Il y avait d'ailleurs certainement une fascination de la part des Germains vis-à-vis de la culture
romaine, avec une aculturation qui eut lieu, les Germains adoptant certains traits du mode de vie
romain tout en gardant leur identité propre.

C. Intégration du monde germanique : Contacts Romains/Germains au Ve s.


Au début, les contacts entre les deux sociétés de part et d'autre de la frontière (qui mettra longtemps
pour se fixer) sont légers : des Germains travaillent dans l'armée ou dans l'agriculture romaines. Les
plus riches trésors archéologiques et ensembles de pièces romaines, on les trouve à des centaines de
kilomètres à l'intérieur du pays barbare (Ier ou IIe siècle). Les frontières sont perméables et les
échanges vont devenir plus structurés, avec le temps.

1. LÈTES et FÉDÉRÉS
Les choses vont ensuite s'accélérer, par la force militaire. L'armée est désertée par les Romains et il
faut malgré tout des militaires pour garder l'empire. On embauche des Germains, qui sont à l'aise
avec la chose militaire et qui voient un moyen de s'intégrer dans la société militaire. On a vu
d'ailleurs des Germains atteindre le grade de généralissime.
Le lète (laetus) est un Germain engagé dans l'armée qui reçoit, en échange de son service militaire,
une parcelle de terre un peu à l'intérieur des terres. Il vit sur cette terre et doit répondre à l'appel à
chaque mobilisation. Lorsque son service militaire est terminé, on lui permet de garder sa terre.
Les fédérés (foedorati), eux, sont attachés à l'état romain en vertu d'un traité (foedus). Ce statut
concerne un groupe d'humains autorisés en tant que groupe à s'installer dans l'empire, devant payer
des impôts à l'empire, participer à la défense de l'empire et qui peuvent s'établir là où les Romains le
décide. Ils ont le droit de garder leur chef, leurs lois, leurs coutumes et leur religion. L'empereur qui
signe le traité autorise un certain nombre de populations germaniques à s'installer dans le territoire
romain. On accorde ce statut après une victoire militaire sur le peuple, pour le contrôler, après une
immigration négociée ou après une invasion. Les Francs ont été vraisemblablement fédérés vers le
IVe siècle. Les Wisigoths sont reconnus comme fédérés vers 375, les Burgondes vers 413. Les
fédérés vont former dans l'empire romain des entités indépendantes et différentes. Les peuples
fédérés font parfois voir une certaine crispation, mais généralement soudés, notamment contre
Attila, roi des Huns, battu près de Troyes par un rassemblement de fédérations germaines.

2. « Invasions » ?
Avec la conquête hunnique, il y a effectivement une migration germanique vers l'empire romain,
même s'il ne s'agit pas d'une migration massive par milliers de personnes. On a bien un récit d'une
invasion de 406, mais elle est rapportée par Saint Jérôme depuis Jérusalem qui ne sait rien de la
situation réelle.
Les Francs sont dans le nord de la Gaule (nord de la France, Belgique actuelle et sud des Pays-Bas).
Les Alamans sont au sud du Rhin (Luxembourg et alentours). Les Wisigoths sont dans le sud de la
Gaule (sud-ouest de la France, Aquitaine et Espagne). Les Ostrogoths sont dans le nord de l'Italie.
Les Vandales sont sur les côtes africaines (Afrique du Nord, Carthage). Certaines populations
germaniques vont poser plus de problèmes que d'autres, notamment en Angleterre.
L'Angleterre est une province romaine, séparée de l'Écosse par une frontière rigide (mur d'Hadrien)
et gérée comme toutes les provinces romaines. Elle devient chrétienne au même rythme que les
autres provinces. En 406, il y a un certain nombre de mouvements à la frontière du Rhin qui
demandent une certaine présence militaire. On fait appel aux militaires romains de Bretagne qui
vont à la frontière du Rhin. Il n'y a à ce moment plus d'armée régulière en Bretagne. C'est le
moment que choisissent des peuples germaniques pour s'installer en Bretagne, de façon plus ou
moins violente. Ces populations viennent du Danemark et du Nord de l'Allemagne, les Angles et les

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Saxons. La résistance à ces populations est organisée par des milices urbaines et par l'aristocratie
romaine de Bretagne. La Bretagne romaine se voit occupée dans une situation complètement
différente. Une série de Bretons vont d'ailleurs fuir la domination anglo-saxonne en allant dans
l'Armorique, la Bretagne actuelle. C'est peut-être dans ce cadre-là qu'apparaît le personnage
historique du roi Arthur, sans doute un de ces Bretons opposé aux invasions germaniques.
Le problème de la fédération est qu'elle dépend du pouvoir romain qui va en s'affaiblissant et qui ne
peut plus contenir les tensions émises par les fédérés. En 476, l'empereur Romulus Augustulus est
déposé et personne ne prend la place de l'empereur. Dans le flou politique qui s'en suit, la pyramide
hiérarchique fonctionne de moins en moins bien. Les institutions (justice, impôt, etc.) peuvent
continuer à fonctionner avec de plus en plus de mal et, sans garantie du pouvoir, des dissensions
vont peu à peu se marquer.
Au niveau de la religion, notamment, païens et chrétiens (dont des hérétiques) vont s'opposer. En
justice, avec des différences parfois énormes, il va y avoir des divergences. Le droit germanique va
être mis à l'écrit, sentant la nécessité de figer les lois (loi wisigothique, loi burgonde, loi
franque/salique). Chez les Romains, le droit est tellement complexe qu'un résumé va être rédigé, le
bréviaire d'Alaric en 506. Ce bréviaire servira de droit pendant des siècles.
Au niveau de la monnaie, les Francs vont attendre les années 550 pour frapper une monnaie
franque. On frappe jusqu'alors une monnaie aux couleurs byzantines.

Chapitre II : Mérovingiens (ca 480-751)


La société mérovingienne est représentative de l'histoire des peuples germaniques dans l'empire
romain en perte de puissance.

A. Esquisse d'histoire politique


Vers la fin du Ve siècle, les Francs sont installés depuis plusieurs siècles en Gaule et un roi de
Francs fédérés, Childéric, s'illustre. Il est enterré à Tournai, avec une tombe très intéressante
archéologique. La tombe est découverte se fait en 1653 par un sourd-muet, Quinquin, qui découvre
lors de travaux des pièces d'or et un anneau sigillaire. Un moine érudit reconnaît ces pièces pour
leur valeur historique. Sur l'anneau, un buste d'homme chevelu et une inscription à l'envers
« Childirici regis ». On finit par retrouver les pièces puis la tombe. On y trouve aussi une fibule en
or (signe de haut dignitaire romain).
C'est la tombe d'un roi franc fédéré avec des éléments romains dans sa tombe (anneau sigillaire,
fibule, etc.). Le rapport de fouille est publiée en 1655 par Jean-Jacques Chiflet (première grande
publication historique connue), publiée sur presses à Plantin. Cette tombe est illustrissime en
archéologie, d'autant plus qu'on a relevé les traces d'un tumulus et d'une vingtaine de chevaux
sacrifiés (pratique celte).

Par les sources écrites, on avait déjà quelques informations sur la vie de Childéric. On a conservé
une lettre envoyée par l'évêque de Reims, Remi, à Clovis lors de la mort de Childéric où l'évêque
nous apprend que le roi Childéric avait les fonctions de gouverneur de Belgique seconde. On a donc
avec Childéric un roi païen chargé par Rome de gouverner une province.
Avec la chute de Rome, les rois germains vont essayer d'étendre leur pouvoir en conquérant les
territoires alentours. C'est aussi le cas des Wisigoths, des Burgondes. Il y aura d'ailleurs un
affrontement en 507 à Vouillé, près de Poitiers, qui voit vaincre Clovis. Il va incarner une partie de
l'empire romain ayant une certaine force politique et sociale. Par un jeu d'alliance, il va encore
étendre sa sphère d'influence.
Clovis gagne du terrain et remporte la victoire sur d'autres peuples germaniques. Il collabore sur des
bases politiques et administratives avec l'élite romaine ainsi qu'avec la religion chrétienne. Alors
que les autres rois germains sont chrétiens hérétiques (ariens), Clovis est païen et se trouve devant
un choix à faire. Il va finalement opter pour la religion chrétienne catholique, lui permettant de

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supprimer un lieu possible de friction dans ses relations avec Rome et les Romains. On pense qu'il a
été baptisé en 508, à la fin de son règne. Catholique et souverain, il va pouvoir faire comme les
empereurs l'ont fait avant lui, convoquer un concile à Orléans, à la frontière entre son territoire et le
territoire wisigothique, en 511. À cette époque, les évêques ne sont que des fonctionnaires et
obéissent au souverain. L'influence du pape est encore insignifiante.
Rappelons-nous qu'avec la chute de Rome, la justice devient affaire de province. Clovis, lui, fait
mettre par écrit la loi des francs, la loi salique 1, entre 508 et 511. Cette loi salique est une des bases
du droit médiéval.
Un royaume franc va se créer, portant le nom d'un ancêtre de Clovis, Mérovée. Clovis meurt en 511
et choisit de se faire enterrer à Paris à côté du tombeau de Sainte Geneviève, rompant avec la
tradition celtique de l'enterrement de son père. Clovis laisse derrière lui une situation inhabituelle :
dans l'empire romain les fonctions sont personnelles alors que dans la culture celte la tradition est
héréditaire. Les quatre fils de Clovis vont choisir une manière habile de succéder à leur père. Ils
vont choisir un roi unique et indivisible et nommer de plus petits rois pour gérer le royaume. Il y eut
bien sûr des tensions mais l'unité du royaume fut préservée, parfois recrée sous la main d'un seul
roi. On va parfois se poser des questions de terminologie, avec un royaume mérovingien mais
quatre rois et quatre capitales. Seul Dagobert, vers 640, réussira à réinstaurer une certaine forme
d'unité.
Le royaume est divisé en quatre : les royaumes de Neustrie (Ouest de la France, Paris et Reims),
d'Austrasie (Belgique, Rhin, etc.) et de Burgondie 2 (ancien royaume des Burgondes, avec Lyon et
Genève), ainsi que l'Aquitaine, qui n'a pas un statut de royaume pour sa part. Le tout est repris dans
un royaume mérovingien uni. Les trois royaumes collaborent de plus en plus avec l'administration
romaine locale. Une alliance objective entre le roi et ses proches et l'élite romaine va mener à la
nomination d'un « premier ministre » romain, le maire du palais. Le pouvoir du maire du palais va
aller croissant, tandis que celui du roi va aller décroissant. L'histoire de la fin du VII e siècle jusqu'au
milieu du VIIIe siècle est une histoire de maires du palais. Parmi les familles de maires du palais, il
y a la famille qui occupe la mairie du palais d'Austrasie dès les années 650 : les pippinides (ou
pépinides) ou carolingiens. En 751, cette famille prendra finalement le pouvoir royal après un coup
d'état symbolique. Les rois mérovingiens considèrent en effet que les cheveux longs sont symboles
de pouvoir. On appelle même les rois mérovingiens les rois chevelus. La famille carolingienne va
faire tondre Childéric III et l'envoyer dans un monastère.

B. Institutions
Si on est dans un royaume, le roi a en fait tous les pouvoirs en toute matière, imitant dans une
moindre mesure les empereurs romains. Il décide du droit, dirige les armées et décide en matière de
religion. Pour désigner ce pouvoir absolu des rois, on parle du bannum, le ban. Il existe quelques
matières dans lesquelles les rois n'ont, dans un premier temps, pas de légitimité : on hésite pendant
très longtemps dans le royaume mérovingien à frapper monnaie, ou alors en imitant la monnaie
byzantine. Il y a en effet toujours un empereur en place à Constantinople qui se trouve en haut de la
hiérarchie romaine.
Le roi vit dans un palais mais la politique du gouvernement est une politique itinérante, qui va dans
tout le royaume pour répartir les dépenses du gouvernement sur toutes les villes et rendre la justice
partout. Le roi a autour de lui le maire du palais mais aussi un responsable des actes officiels et de
la politique étrangère, le référendaire, un homme chargé des finances, le monétaire, une suite de
proches, de gardes, d'hommes de confiance, les antrustions (> angl. trust : la confiance).
Le pouvoir doit s'occuper de la région. Il faut donc des fonctionnaires sur place. Les Mérovingiens
1 On entend parfois parler de la loi salique lors de débat à propos de succession du trône. Dans la loi salique, il existe
un article qui dit que certaines terres ne peuvent être transmises qu'à des enfants mâles. Cet extrait a servi par la
suite pour régler le problème de succession avec au XV e siècle Philippe le Bel pour régler le cas de succession d'une
femme au trône. En France, c'était pour des raisons politiques (la prétendante au trône était reine d'Angleterre).
2 Qui deviendra la Bourgogne.

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doivent innover, puisque les structures romaines ont disparu. On nomme des comites, des comtes,
chargés d'un pagus (un pays, dans le sens de région). Le comes dispose du bannum par délégation.
C'est le comte qui lève l'armée, qui préside le tribunal et qui lève les impôts au nom du roi, gardant
une partie de l'argent pour lui (un tiers) et donnant le reste au roi. Ils sont très souvent issus du
pagus qu'ils dirigent, avec tous les avantages et les désavantages que cela entraîne. Les comtes sont
nommés par le souverain, peuvent être renvoyés par celui-ci, sont déjà issus de l'aristocratie locale
et riches.
Un autre fonctionnaire, religieux celui-là, est l'évêque, nommé lui aussi par le roi. Il n'est pas
responsable d'un pagus mais d'une circonscription romaine, une cité, appelé aussi évêché puis
diocèse (bien que ce terme prête à confusion, puisqu'il désigne une autre réalité romaine). Il est
responsable de l'enseignement et du secteur caritatif.
Très souvent, comtes et évêques sont issus d'une même famille. Pour faire fonctionner le royaume,
il faut aussi lever des impôts. Les Mérovingiens reprendront l'impôt romain : taxes sur l'exportation,
sur le cadastre (oublié quelques décennies après la chute de Rome), etc.

C. Justice
Un des pouvoirs majeurs du comte est de faire la justice. Au départ, il existait deux droits pour les
citoyens romains ou les citoyens germains. Avec le mélange des populations, on ne va plus avoir
qu'un droit, le germain.
Le mallus est présidé par le comte et chaque homme libre peut y participer. Il se réunit à la
demande. Il faut donc dépôt de plainte pour que le mallus se réunisse. Il existe un régime de
vengeance personnelle intrafamiliale, la faide, qui n'est pas concerné par la justice normale. En cas
de plainte, le comte convoque le mallus et y convie les hommes libres. Il invite aussi un groupe
d'hommes plus sages choisis parmi les hommes libres, généralement au nombre de sept : les boni
homines, ou rachimbourgs.
Le tribunal juge immédiatement et sans appel, avec un accusé supposé coupable qui doit prouver
son innocence. Le tribunal réuni appelle l'accusé et l'accusateur. S'il en manque un, c'est par défaut
celui qui se présente qui remporte l'affaire. L'accusateur énonce les faits et c'est alors à l'accusé de
se défendre et doit prouver son innocence. Une façon de prouver son innocence, c'est de prêter
serment sur la Bible. Là-dessus, l'accusateur doit lui aussi prêter serment à son tour sur la Bible.
Cette procédure permet de prendre à témoin Dieu qui pourra trancher en dernier recours, en cas
d'appel. Accusé et accusateur peuvent appeler des co-jureurs qui vont participer à l'affaire et
partager la peine. Le plus souvent, rien qu'avec cette procédure, le mallus peut décider de l'affaire.
Quand il n'y a pas moyen de trancher, on fait intervenir la justice de Dieu. Le jugement de Dieu peut
prendre deux formes : d'abord, le duel judiciaire qui oppose l'accusé à l'accusateur ou des personnes
extérieures et solidaires, avec une punition immédiate du parjure ; secondement, on peut avoir
recours à l'ordalie, une épreuve physique imposée à l'accusé dont celui-ci doit triompher avec l'aide
de Dieu. On connaît des dizaines de variantes de l'ordalie, toujours faisant intervenir le milieu
naturel : ordalie par le feu (traverser à pied nu un champ de braise, arriver au bout et bien cicatriser
afin d'y survivre ; prendre à pleines mains une barre de fer chauffée au rouge ou à blanc et bien
cicatriser), ordalie par l'eau (jeter pieds et poings liés l'accusé dans l'eau et regarder s'il coule
(innocent, ne se débat pas) ou pas (coupable, n'a pas la conscience tranquille)), ordalie par la croix
(accusé et accusateur tendent les bras en croix et le premier qui lâche est parjure), etc.
Une fois qu'on a déterminé qui est coupable, il faut une peine. Les peines sont établies en partant du
principe que tout délit peut être racheté par l'argent ou l'or. C'est un point d'actualisation salique, en
tenant en compte la condition de l'homme lésé. La peine est physique (pas d'emprisonnement), à
partir du principe de la loi du talion : mutilations, marques d'infamie, brûlure au fer rouge, etc. Le
comte et les rachimbourgs décident de la peine à partir de la jurisprudence, de la loi salique (qui
donne certaines indications concernant certains sujets) et des circonstances.
Toute peine peut être évitée en payant une amende, le werhgeld, même si parfois les sommes sont

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impayables, à dessein.

D. Économie et société
Le palais est itinérant : le gouvernement se déplace de palais en palais. Le roi possède le bannum.
Une nouvelle classe de fonctionnaires civils apparaît, les comtes, qui gèrent les pagi. Les
ecclésiastiques, les anciens évêques romains, sont maintenus en place. Il y a une grande difficulté à
faire cohabiter la justice romaine et la justice germanique.
La société ne change pas vraiment avec les invasions germaniques : les privilèges vont toujours aux
Romains dans un monde qui reste romain. Peu à peu, des Francs deviennent ecclésiastiques,
fraternisant et partageant avec la noblesse romaine la direction du royaume, avec une envie
commune de continuer à faire fonctionner le système. Les structures sociales entre Romains et
Francs étant similaires (réparties entre aristocratie, hommes libres et esclaves), les deux aristocraties
vont fusionner grâce à l'armée (défense du royaume) et à la religion (grâce à Clovis, tout le monde
est catholique et il n'y a donc pas de tensions au niveau de la religion comme c'est le cas dans
d'autres royaumes). L'exercice de la fonction épiscopale passe d'ailleurs des mains des Romains à
celles de Francs. Le discours familial montre aussi une volonté de rapprochement, avec notamment
beaucoup de mariages mixtes et un mélange des prénoms. Tout cela fait qu'une nouvelle aristocratie
voit le jour et se présente comme franque.
Pour les médiévistes, la traduction du mot servus pose problème, puisqu'elle peut être soit
« esclave » (en latin classique) soit « serf » (homme à la liberté conditionnelle), puisque dans le
royaume franc, la nuance entre les deux dépend exclusivement du locuteur. Il est donc impossible
de trancher. De même, le mot villa peut signifier « bâtiment » ou « domaine », toujours selon le
locuteur. Il vaut donc mieux laisser un certain flou dans les traductions plutôt que de prendre parti.
Dans l'empire romain, la monnaie était unique pour toutes les transactions de l'empire. Après la
chute de Rome, chaque royaume va frapper sa propre monnaie, ce qui va provoquer un
rétrécissement des échanges commerciaux. On définit l'appartenance au monde romain selon les
produits disponibles. Par exemple, le papyrus est remplacé par le parchemin, plus facile à produire
mais plus cher. Le papyrus est une denrée normale dans l'empire mais vers 650 n'est plus du tout
utilisée dans nos contrées. Le papyrus pourrissait dans un milieu trop humide, cassait et était
pénible à lire, ce qui forçait à la lecture à voix haute et au par cœur. Avec le parchemin, l'écriture est
plus lisible et permet une lecture à vois basse. On peut aussi faire des enluminures, ce que le
croisement des fibres de papyrus empêchait. Comme le parchemin coûte cher, on utilise le moindre
espace disponible et on n'hésite pas à charger le support, voire à gratter d'anciens textes pour
réécrire par-dessus. Autre exemple, les tissus de Perses trouvent de moins en moins de débouchés
en Occident et deviennent donc plus chers, raison pour laquelle on les utilise pour envelopper les
reliques. Enfin, derniers exemples, les encens dont l'utilisation était considérable par l'église
deviennent moins courants avec la chute de l'empire, de même que les épices comme le poivre qui
se trouvait facilement sous l'empire et qui devient ensuite très rare et cher et que les esclaves issus
des guerres romaines qui deviennent rares, ce qui force les habitants de nos contrées à aller
s'approvisionner dans le Nord ou à se débrouiller sans eux. En résumée, le commerce franc se
poursuit comme sous l'empire mais les denrées rares deviennent chères.
Les routes romaines sont de moins en moins entretenues. On continue de construire des routes mais
sans les moyens extraordinaires de Rome. Cela s'explique par le fait qu'il n'y ait plus d'armée inter-
territoriale ni de grande administration. Les grandes routes romaines servaient en effet plus à la
communication entre les différentes villes qu'au commerce, puisque impraticables pour les
attelages. Avec une fermeture sur eux-mêmes des différents royaumes, la communication à grande
échelle n'a plus lieu d'exister et les grandes routes de communication sont délaissées.
Deux ports importants voient le jour, résultats de la création de nouveaux centres commerciaux dans
le Nord pour des échanges avec les pays germaniques :
D'une part, Dorestad (aujourd'hui Wijk bij Duurstede, dans l'actuel Pays-Bas), ville créée en 650 qui

21
commerça avec les Frisons, une population originaire du nord de l'embouchure du Rhin qui s'était
étendue jusqu'entre l'Escaut et la Weser et qui faisait le lien entre les Mérovingiens et tous les autres
peuples du Nord. De nos jours, le port a depuis longtemps été déserté, à cause notamment du
changement du cours du Rhin. Le site est néanmoins connu par les fouilles qui ont permis de
nombreuses datations grâce aux quais en bois et par les textes de l'époque.
D'autre part, Quentovic (vic : agglomération (→ nrld. : wijk)), situé près de Boulogne-sur-mer, qui a
commercé avec Douvres. Le site est connu par les textes et a été découvert lors de la construction
de la voie ferrée Paris-Calais. Les fouilles n'ont cependant pas encore débuté.
Ces nouveaux centres dirigés vers le Nord sont une conséquence logique de la chute de Rome. Pour
rappel, Henri Pirenne défendait l'idée que le Moyen âge a commencé lorsque la mer méditerranée a
été désertée par le monde occidental et lorsque d'autres centres se sont créés à d'autres endroits.
Globalement, la production agricole n'a été que peu touchée par la chute de Rome.
La monnaie occidentale n'avait plus de valeur sans l'empereur pour garantir celle-ci. Elle permettait
d'acheter tout dans l'empire. Dans le royaume mérovingien, on n'a jamais frappé pas la monnaie à la
tête de Clovis ou de ses fils. Avec les royaumes germains, on en revient à une monnaie dont la
valeur est égale au poids. Sous Rome, on n'avait déjà plus que l'or et l'argent, le bronze ayant été
peu abandonné. Chez les Mérovingiens, on frappe de moins en moins l'or, puisqu'on en trouve
beaucoup moins avec le déclin du commerce romain. L'or qui circule encore est thésaurisé par
l'Église ou utilisé en orfèvrerie. Vers 650, on ne frappe plus que l'argent.

E. Religion
L'histoire religieuse est celle sur laquelle on est le mieux documenté, puisqu'on dispose de plus de
sources. Les évêques viennent de l'aristocratie et participent à l'état.

Le roi mérovingien est successeur de l'empereur romain et responsable de la religion. Les reines
sont aussi importantes dans le domaine de la religion, dont Radegonde (†587) et Bathilde (†ca 680).
Radegonde était la femme de Clothaire Ier et venait d'Allemagne centrale. Peu enthousiaste à l'idée
de son mariage, elle s'est vite retirée dans un monastère à Poitiers. Là-bas, elle tenait cependant
toujours sa cour. Bathilde, elle, était la femme de Clovis II et a joué un rôle politique important,
régente pendant la minorité de ses fils. À la majorité de ceux-ci, elle se retira dans un monastère
près de Paris, à Chelles, d'où elle continue d'influencer la politique du pays. Plus tard, bien après sa
mort, on la canonisa et on mit ses restes dans une châsse. En 1980, on a rouvert la châsse dans
laquelle on a trouvé trois paquets : les os, les petits os et les restes. Les paquets, ce sont ses
vêtements que l'on a aussi conservé. Avec les ossements, on a pu reconstituer son squelette et ainsi
estimer sa taille, la couleur de ses cheveux, etc. On a aussi pu étudier son vêtement (cape, robe,
chaussures, fibules, bijoux, etc.) et avoir de nombreux renseignements sur la façon de s'habiller de
l'époque.

La religion est aussi affaire d'hommes politiques qui sont l'entourage du roi. Par exemple, on
connaît très bien l'entourage de Dagobert Ier (†639). Éloi, ministre des finances, voulut devenir
maire du palais mais n'y parvint pas et se tourna vers le domaine religieux en devenant évêque de
Noyons. Dado, aussi appelé Ouen, s'occupait de la chancellerie et devint évêque de Rouen. Didier,
dont on a conservé la correspondance, est lui aussi devenu évêque après une déception politique.

L'Église, service d'état, est un service particulier qui fait appel à Dieu et à l'Éternité. D'ailleurs, dans
les actes de donation, on ne donne pas à l'église mais au saint protecteur. L'église ne peut donc que
s'enrichir, puisque ce qui lui appartient lui appartient à jamais. On donne notamment à l'église des
terres, des domaines. Les biens de l'église vont même parfois dépasser ceux de l'aristocratie.
Le roi donne aussi à l'église des droits, dont le privilège d'immunité. L'immunité est une notion
juridique qui soustrait l'immunitaire au pouvoir du comte, lequel rend justice, lève les impôts et

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l'armée. Une abbaye immunitaire rend elle-même les impôts, dont elle garde un tiers, et son armée,
avec laquelle elle peut aller au champ de bataille. Pour une grosse abbaye, cela signifie une
concentration importante de pouvoir. C'est un pouvoir politique qu'on ne peut pas enlever une fois
qu'on l'a donné et qu'il va falloir contrôler sous Charlemagne.

1. Église séculière
L'église séculière est l'église qui est en contact avec le peuple, qui préside aux offices, etc. Elle est
dirigée par l'évêque qui a aussi un rôle politique. Certains assassinats politiques ont d'ailleurs
concerné des évêques, à l'époque. Chaque évêque s'occupe de ses villes, de ses pauvres et de ses
richesses. Il est responsable de la foi, contre les hérétiques (à noter que l'hérésie n'était pas encore
punie de mort, à l'époque), et de la christianisation ainsi que de tout ce qui s'en suit. L'évêque
confère le baptême et la population se déplace parfois d'assez loin pour cela. Le baptême concerne
tous ceux qui veulent se convertir, pas seulement les nouveaux-nés, à l'époque. La baptême se fait
donc à la chaîne dans une piscine sous l'église. On appelle l'église de l'évêque une cathédrale.
L'évêque, comme la plupart des hauts fonctionnaires, possède un palais, comme les évêques des
grandes villes de l'empire romain : Constantinople, Jérusalem, Alexandrie, Rome. L'évêque de
Rome, où se trouvent les tombeaux de Saint Pierre et Saint Paul, est une figure de référence et un
personnage considéré comme de haute moralité à qui l'on demande volontiers conseil. Le titre de
« pape » est au départ une simple marque de politesse : tous les évêques sont à l'époque appelés
« pape ». Ce n'est que plus tard que le titre ne désignera plus que le seul évêque de Rome.

2. Monachisme
De l'autre côté, on a des moines et leur pendant féminin, les moniales, qui considèrent le monde
comme sali et pourri et qui préparent la venue du Christ en fondant une société idéale en dehors du
monde. Ils construisent une clôture qui les sépare et les coupe du monde.
D'autres se coupent totalement du monde, complètement seuls : ce sont les ermites. Généralement,
on préfère se retirer en communautés. Certains se font même ascètes, se privant, se mortifiant et
faisant preuve d'un certain fanatisme, comme Saint Martin (†394) qui détruisit des édifices païens,
avant même que la religion chrétienne ne devienne dominante. Jean Cassien (ca 400), lui, a fondé
près de Cannes une abbaye près de Marseille, défendant le libre-arbitre avec Lérins et posant les
bases du monachisme.
On préfère malgré tout la vie en communauté, laquelle est dirigée en abbaye. Tous les monastères
sont basées sur le modèle de la vie monastique, suivant la règle. Dans les premiers temps, chaque
abbaye possède sa propre règle, plus ou moins dure selon l'endroit. Certaines règles plus populaires
seront reprises par d'autres abbayes. Un moine entre volontairement dans l'abbaye et prête serment
face à Dieu. En entrant dans l'abbaye, on devient mort au monde. Le moine peut prononcer
différents vœux : obéissance, chasteté, pauvreté (ce dernier vœux se traduit par le fait que le moine
ne possède personnellement rien, ce qui n'empêche pas le monastère d'être riche, lui) ou stabilité (le
moine accepte de ne pas quitter l'abbaye dans laquelle il se trouve). Une fois cela fait, on entre dans
l'abbaye et on devient moine, sans forcément devenir prêtre. On partage son temps entre la prière,
toute les trois heures, la méditation, le travail manuel (jardinage, métallurgie, etc.) et intellectuel.
La règle qui va le plus frapper tout le monde au Moyen âge est celle de Saint Benoît ( ca 530-550)
qui est à la base du système bénédictin dans le monastère du Mont-Cassin, à cent kilomètres au sud
de Rome. Sa règle va être reprise un peu partout dans le monde chrétien, à tel point que très vite,
elle deviendra la seule règle des monastères.
Une autre règle est celle de l'Irlandais Saint Colomban (†615), basée sur une obéissance poussée à
l'extrême, jusqu'à la mort, parfois. Pour rappel, l'Irlande n'a jamais été province romaine et n'a donc
jamais connu la hiérarchie romaine. Sans cette hiérarchie, il n'y a pas d'évêques et certains abbés
sont parfois leurs propres évêques. Elle n'a jamais dû non plus dû se convertir de force à la religion
chrétienne. Peu à peu, des élites se sont néanmoins intéressé à la religion et ont fini par reprendre

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les idées chrétiennes. On considère que les meilleurs grammaires latines étaient irlandaises, puisque
les Irlandais pratiquaient un latin classique dépourvue de l'altération qu'avait subie la langue en
Europe continentale. Pour ces Irlandais qui choisissent un christianisme inadapté à la coutume
romaine, le fait qu'il n'y ait plus de martyrs est un drame. Ils vont donc mettre au point le système
du pèlerinage pour Dieu (peregrinatio pro Deo) et partent à l'aventure. Certains ne reviendront pas
de leur voyage à l'Ouest, mais ceux qui en reviendront raconteront leurs expériences (comme Saint
Brendan). D'autres vont choisir leur lieu de pèlerinage, en Europe continentale, très souvent. Saint
Colomban, lui, part en Gaule, fonde des monastères, prêche la bonne parole, se fait souvent chasser
des villes gauloises. Il parlait un latin très châtié pour l'époque. Il est à l'origine d'une règle qui ne
fera pas beaucoup d'émules, une règle très dure où l'obéissance va jusqu'à la mort. La littérature à
son sujet est peut-être trop abondante par rapport à sa portée réelle.

L'immunité et la richesse des moines va mener à une incompatibilité avec la volonté de se retirer du
monde. Une solution sera néanmoins trouvée par la suite.

F. Culture
Grégoire de Tours est évêque de la plus importante ville épiscopale de Gaule et a rédigé œuvre
d'histoire universelle (dix livres d'histoire), un ouvrage où il raconte les succès des Francs. Ces dix
livres d'histoire sont la source d'information principale de documentation sur la vie quotidienne des
Mérovingiens.
En Espagne, dans le royaume wisigothique, Isidore de Séville rédige vers 600 une encyclopédie,
l'Étymologie, dans laquelle il rassemble toutes les connaissances de son époque. Cet ouvrage sera
une référence pour tout le Moyen âge.
Un autre, Bède le Vénérable, est le père de notre calendrier moderne et a écrit une histoire de
l'Angleterre.

Chapitre III : Carolingiens (751-843)


A. Esquisse d'histoire politique
On est dans le résultat de la fusion entre sociétés romaine et germanique. Dans le royaume
mérovingien, des sous-royaumes (Neustrie, Austrasie et Burgondie) apparaissent, avec une volonté
d'autonomie devient de plus en plus forte et dans lesquels on aimerait avoir un maire de palais pour
chaque roi, lequel gagne en puissance à chaque nouvelle génération. Vers 700, Neustrie et
Burgondie fusionnent. En Austrasie, qui s'étend de la forêt charbonnière (Soignes) et la ligne
Meuse-Rhin et qui comprend la vallée de la Moselle, on a un pays qui devient important, riche et
puissant.
La fonction de maire du palais appartient de 640 à 751 à une seule famille, les pépinides (ou
pippinides), qu'on appellera par la suite carolingiens, après le coup d'état de 751, du nom de
Charles, prénom lui aussi courant dans la famille (par exemple, Charles Martel, grand-père de
Charlemagne). Pendant cinquante ans, on va voir une lutte de prestige entre rois et maires du palais.
Cette lutte va donner naissance à quelques messages de propagandes encore connus aujourd'hui :
l'image des rois fainéants est véhiculée par les maires du palais qui se considèrent comme les vrais
détenteurs du pouvoir. Les pépinides possèdent d'importantes terres à Herstal et Jupille. Par
mariage, ils ont aussi des possessions en Moselle, près de Metz. Ils ont dans leur famille une sainte
très importante au Moyen âge, Sainte Gertrude, fondatrice de l'abbaye de Nivelles.

Charles Martel, de cette lignée de pépinides, parvient à se faire élire maire du palais d'Austrasie
puis de Neustrie-Burgondie. C'est lui qui va véhiculer l'image des rois fainéants, image canonisée
du temps de Charlemagne. Charles Martel va profiter de la bataille de Poitiers qui oppose les Francs
d'Austrasie aux Aquitains pour faire sa publicité. Jouant sur le fait qu'il y avait des Arabes dans le
camp des Aquitains (mais il y en avait aussi dans le sien), il va tourner cette victoire contre d'autres

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Francs en une victoire contre les Arabes. Il deviendra pour la postérité celui qui a arrêté la
progression des Arabes en Europe, même si on sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. Il va opposer
l'image d'un maire du palais indispensable à celle d'un roi inutile.
Son fils, Pépin III, va devenir roi par coup d'état et sera ensuite appelé Pépin le Bref. Celui-ci va
aller au secours de l'évêque de Rome, dépourvu de toute aide de la part de Constantinople, pris entre
Arabes au nord et Germains lombards au sud. Pépin le Bref met son armée à disposition en échange
d'une promesse du pape de lever le serment de fidélité entre rois et maires, ainsi que de sacrer
religieusement le nouveau roi, faisant de lui un représentant de Dieu sur terre. C'est dans ce cadre-
là, dans le cadre de l'alliance entre Pépin le Bref et l'évêque de Rome, que l'acte faux le plus
retentissant va être rédigé : la donation de Constantin. Elle donne à l'évêque de Rome la possession
pleine et entière de la ville de Rome et de tout le centre de l'Italie (états pontificaux). En 751, Pépin
le Bref fait tondre Childéric III, roi des Mérovingiens, et l'envoie dans un monastère, puis il se fait
acclamer roi. L'évêque de Rome, en 754, à Saint-Denis, sacre Pépin le Bref, Charlemagne et son
frère, Carloman, héritiers du trône, afin de garantir la succession de Pépin le Bref si celui-ci meurt
de façon précoce. La fonction de maire du palais est bien entendu supprimée. À la mort de leur
père, en 768, Charlemagne et Carloman montent sur le trône. Carloman meurt trois mois plus tard et
Charlemagne prend alors le pouvoir entier.
En Espagne musulmane, on se rend compte que le pouvoir est en train de se centraliser et que la
situation peut devenir dangereuse. À Constantinople, on regarde avec curiosité cette prise de
pouvoir et on considère les Carolingiens comme des parvenus qu'on ne prend pas au sérieux.
Pourtant, Charlemagne va multiplier les conquêtes militaires. Sa première victoire sera contre les
Lombards, tenant la promesse de son père et venant aider l'évêque de Rome. En 773, il prend Pavie
et devient roi des Lombards, faisant aller son royaume jusqu'aux portes de Rome. En cela, l'évêque
de Rome y a peut-être perdu au change, la pression carolingienne étant plus forte que la lombarde.
De l'autre côté des Pyrénées, il va installer des comtés carolingiens, notamment à Barcelone, , après
quelques batailles, dont une opposant un régiment franc et des Basques, à Roncevaux. Les Basques
vont gagner et exterminer le régiment franc, dont un certain Roland, marquis de la marche de
Bretagne. Ce fait divers, qui ne changera rien de la politique de conquête de Charlemagne, va être
amplifié et magnifié jusqu'à donner la Chanson de Roland, où toute une armée franque se bat contre
des milliers d'Arabes à Roncevaux. Charlemagne va aussi affermir son pouvoir dans le nord, en
Frise (nord des Pays-Bas actuels), en Bavière, en Thuringe (centre de l'Allemagne actuelle), et, en
780, à tout le nord de l'Allemagne, la Saxe. Ces guerres seront particulièrement dures et sanglantes.
En quelques années, de 768 à 800, le royaume franc va immensément s'agrandir. Une politique
d'uniformisation et d'intégration des contrées conquises se mettra ensuite en place.
Pour que cette uniformisation des peuples se fasse, il va ressusciter le titre d'empereur qui, en
occident, est vaquant depuis 476 et qui parle à tous les peuples ayant connu la puissance de Rome.
On fait courir le bruit que c'est l'évêque de Rome qui détient le titre impérial. À Noël de l'an 800, il
reçoit la couronne de Constantin, un faux, et un titre qui ne lui donne aucun avantage financier ou
terrien mais qui lui donne une légitimité politique pour unifier les peuples conquis. En Orient, il y
aura quelques rapports politiques, mais ils resteront fort distant. Charlemagne entretiendra bien des
relations diplomatiques avec le calife de Bagdad (Haroun Al-Rachid), aussi responsable de
Jérusalem, qui acceptera la présence d'une délégation de francs à Jérusalem pour la gestion des
lieux saints. Il offre à Charlemagne un éléphant qui arrivera jusqu'à Aix-la-Chapelle et un jeu
d'échecs en ivoire.
En 813, Charlemagne fait de son fils, Louis le Pieux, le seul fils qui lui reste de ses nombreux
enfants, son héritier et le nomme co-empereur. À la mort de son père, Louis le Pieux va de suite
faire confirmer son titre d'empereur chez l'évêque de Rome. Il comprend qu'on risque de penser
qu'il remet le pouvoir impérial entre les mains de celui-ci et nomme aussitôt son fils Lothaire co-
empereur. Mais Lothaire va lui aussi faire confirmer son titre impérial par l'évêque de Rome.
Louis le Pieux veut l'unité de l'empire et confie cette unicité à Lothaire, mettant les deux autres fils

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de Lothaire, Louis et Charles, sous l'autorité de leur aîné. À ce niveau, la politique de Louis le Pieux
sera désastreuse : guerres civiles, pénitences, etc. Les guerres entre les trois frères vont mener, en
843, au traité de Verdun qui va figer à jamais la politique internationale d'Europe Occidentale.
Charlemagne, quant à lui, va devenir un modèle vers qui se tourner pour des siècles à venir, grâce à
cette unité qu'il aura réussi à mettre en place sous son règne.

B. Institutions
Sous Charlemagne, on a vécu un dilatatio regni, avec un territoire qui a triplé de superficie entre
770 et 790. Pour gérer ces terres, il faut revoir les institutions. Il n'y a pas de capitale mais des villes
principales, issues de l'histoire mérovingienne, chacune avec un palais. Le palais préféré de
Charlemagne se trouve à Aix-la-Chapelle, dont le bâtiment est conservé. Ce palais a d'ailleurs
continué de fasciner les générations suivantes pendant des siècles, symbole de la grandeur
carolingienne. C'est dans ce palais que se réunissent le roi et son entourage et qu'ils prennent les
grandes décisions. Il n'y a plus de maire du palais depuis Pépin le Bref et ses fonctions sont donc
reprises par le roi. Le souverain décide en toute chose (justice, religion, administration, armée, etc.)
et fait parvenir ses décisions par capitulaires, des textes de loi en forme de chapitres qui légifèrent
pour tout l'empire carolingien. Toutes les matières y sont abordées.

Au niveau militaire, il reste au final très peu de libertés pour le peuple. Le comte est encore le grade
le plus commun. Avec les conquêtes, on fait la distinction entre les comtes du territoire franc et ceux
des territoires conquis, le duc, qui a plus de pouvoir militaire puisqu'il se trouve plus souvent dans
des situations où il doit combattre. Les comtes qui se trouvent à la frontière, appelée marche,
peuvent ériger des défenses et lever une armée sans en avoir reçu l'ordre du souverain. Ils
représentent un grade intermédiaire entre le duc et le comte.
Au niveau religieux, le grade d'évêque est encore le plus commun chez les ecclésiastiques. Comme
l'empire est devenu très vaste, on va créer un palier entre l'évêque et le roi : l'archevêque.
Pour faire correctement le lien entre pouvoir local et pouvoir royal, on crée la fonction de missus
dominicus, envoyé du roi. Cet envoyé doit surveiller le royaume pour le roi, expliquer les
capitulaires et veiller à leur bonne application. Il y a deux missi dominici, un comte, pour surveiller
le domaine laïque, et un évêque, pour surveiller le domaine religieux. Ils sont les yeux et les oreilles
de l'empereur, lui rapportant les faits et gestes de ses sujets. Ce sont généralement des aristocrates
qui ont la confiance de l'empereur.
En définitive, les institutions ne changent pas énormément, restant dans la logique romaine.

Une innovation est la mise en place d'un système de relations féodo-vassaliques. Elles apparaissent
au VIIIe siècle et vont se développer encore plus avec les Carolingiens. La relation est différente de
celle qui lie un fonctionnaire au roi, puisqu'il s'agit d'un engagement personnel pris par un individu
pour le roi. Cette innovation vient de la fusion entre les notions de bénéfice, qui concerne la
propriété d'une terre, issu du système féodal, et de vassalité, mise en rapport par serment touchant
au service militaire. La vassalité est une obligation qui existe entre deux personnes liées par un
serment devant Dieu (et donc théoriquement inviolable) : le vassal (< vassus : celui qui se met au
service de) doit au seigneur un service militaire en échange duquel le seigneur entretient le vassal.
Avec la vassalité, on est toujours dans la logique des antrustions des siècles précédents. Dans cette
relation en vassal et seigneur, il n'est cependant question que de service militaire.
Le système de bénéfice touche à une terre dont on distingue celui qui possède une terre de celui qui
en possède l'usufruit. Le propriétaire doit au bénéficiaire de l'argent ou des services. Le contrat qui
unit les deux parties s'appelle la precaria (> fr. prière) que l'on divise en trois : data (donnée),
oblata (offerte) et remuneratoria (rémunératoire).
1. Precaria data : un grand propriétaire cède le revenu de ses terres à quelqu'un contre des
services, militaires par exemple.

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2. Precaria oblata : un petit propriétaire ne parvient plus à assumer ses responsabilités et
donne ses terres à un grand propriétaire en négociant le contrat de cessation, essayant de
continuer à profiter du revenu des terres pendant une ou plusieurs générations.
3. Precaria remuneratoria : combinaison des deux systèmes précédents, elle part de la
precaria oblata, le petit propriétaire gardant l'usufruit de sa terre, mais en plus de cela, le
grand propriétaire lui donne un deuxième usufruit en échange de services, comme pour la
precaria data. Sur le court terme, cela avantage le petit propriétaire et sur le long terme le
grand propriétaire.
Le système de precaria va surtout profiter à l'Église, lors de donations pieuses : un homme donne sa
terre à des religieux en échange de prières pour son âme mais garde l'usufruit de sa terre jusqu'à sa
mort, moment auquel les religieux reçoivent enfin la terre.
Au début de l'époque carolingienne, il va y avoir fusion entre le système de bénéfice et celui de
vassalité, unissant donc deux hommes en impliquant dans cette relation un service militaire et un
rapport à la terre : en échange d'un serment, on donne au vassal l'usufruit d'une terre du seigneur, un
fief ; avec les revenus de ce fief, le vassal peut vivre et entretenir une armée pour défendre son
seigneur. Le fief n'est confié au vassal que dans le cadre du serment ; à la mort du vassal, le
seigneur reprend le fief et peut le confier à quelqu'un d'autre.
Le système féodo-vassalique permet de renforcer le pouvoir du roi, mais il peut mener à des
dérapages s'il n'est pas sous contrôle. Entre la fidélité au souverain due au rapport de fonctionnaire
au roi et celle due à la vassalité, on a deux sortes de fidélité différentes. Cela fonctionne néanmoins
tant que les deux fidélités vont au roi, mais si la vassalité se fixe sur la noblesse, on a un
déséquilibre qui se forme.
Pour donner des terres, il faut très logiquement en avoir. On peut en avoir par les conquêtes, par
l'impôt ou en allant les chercher chez l'Église par precaria verbo regis (« par ordre du roi »), sous
Charles Martel, ce qui ne sera pas toujours accepté de gaieté de cœur par celle-ci.
S'il faut renforcer la fidélité, c'est pour cimenter l'armée qui est la base d'un empire de conquête. Les
revenus liés aux fiefs vont permettre aux comtes d'entretenir des armées à cheval. Cette différence
entre un combattant à cheval qui possède un fief et a des revenus suffisants et un fantassin est
déterminante pour la suite de l'histoire. L'importance du cheval est mise en avant par l'exemple des
pays du sud, l'Espagne et l'Italie en tête, et du monde musulman. En outre, le cheval permet un
déplacement rapide d'une endroit à un autre, ce qui est un avantage considérable.

C. Justice
Puisqu'il faut unifier les territoires, il faut aussi unifier les lois. On va essayer de réunir toutes les
lois de l'empire, juste après la conquête de Charlemagne. De manière générale, le système
mérovingien dans ce qu'il a de moins romain s'impose. Le comte préside le mallus, l'accusé est
présumé coupable, il y a l'ordalie et l'application immédiate de la sentence, etc. Une nuance est que
l'on va contrer le développement des faides en convoquant le tribunal même s'il n'y a pas plainte.
Alors qu'avant, le tribunal ne se réunissait que lorsque l'on déposait une plainte, on va décider d'au
moins trois réunions par an, le placitum (> fr. plaid). Et alors qu'avant, le comte devait absolument
être présent à chaque jugement, on va décider que lors de causes mineures (tout ce qui ne mène pas
à la peine de mort), le comte peut dorénavant se faire remplacer par un vicecomes, ou vicomte. Le
comte ne devra être présent que lors de causes majeures pouvant mener à la condamnation à mort
de l'accusé. Cette distinction entre causes mineures et majeures va mener à la création de la basse et
haute justice par la suite. Pour aider le comte dans sa tâche, on choisissait ponctuellement des
rachimbourgs (ou boni homines). Avec plus de séances de justice, il va falloir désigner à temps
pleins des hommes, généralement au nombre de sept, les scabinus (> fr. échevin). Dans un tribunal
carolingien, on va insister sur la mise par écrit des minutes du procès que l'on archivera ensuite. Le
scribe qui écrit les sentences pour la postérité et qui possède une autorité publique sera appelé
notarius (> fr. notaire). De cette conservation d'archives à notre notariat actuel, il y a une filiation

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directe. Il n'y a généralement pas d'appel lors des procès, mais on peut en de rares occasions et en
dernier recours faire appel au roi. Le roi, par ailleurs, met en place une justice de palais pour
pouvoir juger la noblesse.

D. Économie et société
Il faut créer une volonté de travailler ensemble, toujours dans l'optique d'unité de Charlemagne. On
est dans une économie d'innovation et d'imagination.

1. Polyptyques
L'économie domaniale fermée comme on l'imagine est une simple vue de l'esprit issue du XIX e
siècle. En réalité, les capitulaires renseignent sur la vie économique de l'époque. On a aussi dans les
polyptyques, des documents de gestion dressés par les propriétaires consignant leurs possessions et
droits, une autre source d'informations. Les polyptyques devaient être dressés par les grandes
abbayes. Ce sont ceux que l'on a conservé, même si l'État devait lui aussi avoir ses propres
polyptyques. Ceux que l'on possède concernent surtout l'entre-Seine-et-Rhin, et on a souvent été
tenté de généraliser les informations qui concernent cette région à tout l'empire.
Ces polyptyques sont l'objet de discussions, puisque ce sont des documents fondamentaux pour la
connaissance de l'histoire. Pour certains, les inventaires contenus dans les polyptyques sont des
visions idéales dont on ne peut rien tirer de concret. Pour d'autres, les polyptyques sont le résultat
d'enquêtes sur le terrain et sont donc des documents fiables. Chaque description serait dans ce cas-là
un bref, résumé de la réalité telle qu'elle a été observée. Pour autant, on ne pourrait pas être sûr que
toute la réalité a été consignée. De plus, la réalité décrite ne concernerait très logiquement que
l'époque à laquelle le polyptyque a été rédigé, souvent le IXe siècle.
Le problème du polyptyque est qu'il y manque les données concernant les femmes et les enfants. Il
ne faut cependant pas imaginer de réponses farfelues à ces vides et juste accepter que le polyptyque
ne répertorie pas tous les membres d'une population.

Dans le polyptyque, on a une description des terres d'un propriétaire. La description va du centre du
domaine qui se trouve là où est établi le propriétaire jusqu'aux marges du territoire. On liste aussi la
demeure, le moulin, le four et différents bâtiments que possède le propriétaire sur ses terres, le
mansus in dominicatus. Ce type d'exploitation est direct (rapport employeur-employé) ou indirect
(corvée).
Quand on parle de terres détenues par des paysans sous certaines conditions inconnues, on parle de
tenures. Le cens de cette tenure est payé en nature ou par le travail du paysan (corvées). Le cens en
argent n'est tout d'abord pas la solution privilégiée mais il le deviendra avec le temps.
L'unité d'exploitation carolingienne nécessaire à la vie d'une famille est le manse. Chaque bref
décrit un domaine de quelques milliers d'hectares avec parfois un certain luxe de détails. On essaie
d'extrapoler à partir de ces données en dressant des statistiques.
Il existait aussi des domaines bipartites, avec une partie central et une autre décentralisée, souvent
des abbayes qui recevaient des terres par precaria. Parmi ces abbayes, on connaît bien grâce à ces
documents celles de Saint-Germain-des-prés (polyptyque d'Irminon), de Reims, de Lobbes (près de
Thuin, sur la Sambre), de Saint-Bertin.
Un capitulaire non-daté est resté très célèbre : le de Villis. Il donne des informations importantes sur
la façon de faire de l'agriculture, les outils qui sont nécessaire pour cela, la façon de faire un potager
en abbaye, etc. Il laisse aussi des exemples ainsi que de descriptions, sous la forme du Brevis
exempla.
De manière générale, on remarque une diminution des corvées, payées plus volontiers en argent.
Cela s'explique par le fait que le moment où le paysan doit aller labourer le champ seigneurial pour
s'acquitter de sa corvée est le moment où il a besoin d'aller labourer ses propres champs.
Pour rappel, la frontière à l'époque entre homme libre et servus est très floue et on a connaissance

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d'hommes libres à la liberté très restreinte et de servi somme toute assez libres.

2. Commerce
On se souvient de Quentovic et Dorestad. Avec les conquêtes de Charlemagne, un nouveau port se
développe dans le nord, entre le Danemark et l'Allemagne : Haithabu (Hedeby), un port gigantesque
qui est fouillé depuis l'entre-deux-guerres et qui livre chaque jour de nouvelles découvertes. Son
importance s'explique par le commerce qui a existé entre Carolingiens et Vikings. La Méditerranée
se fermant de plus en plus à cause des affrontements qui s'y déroulent, le commerce se tourne vers
le Nord. Le commerce était tellement important que les plus grands trésors de pièces carolingiennes
se trouvent en Angleterre ou en Scandinavie.
On régule le commerce dans l'empire en unifiant la monnaie, de sorte qu'une livre vaille vingt sous
vaillant deux-cent-quarante deniers.

E. Religion
1. Généralités
Avec un empire qui s'ouvre et qui englobe de nouveaux habitants, il faut intégrer les nouveaux
venus à la religion. En Frise, on est en phase de christianisation. En Bavière ou en Saxe, on trouve
essentiellement des païens. Charlemagne va faire de la connaissance de la religion un critère
principal de sa politique d'intégration. Il y aura notamment des massacres de Saxons qui refusent la
religion chrétienne.
Souvenons-nous qu'il existait des communautés religieuses qui vivaient en monastère, hors du
monde. Ils bénéficient de plus en plus de privilèges, dont l'immunité, et possèdent de plus en plus
de terres. Voilà donc des moines qui fuyaient le monde et qui doivent lever des impôts, entretenir
des terres et une armée. Le roi va alors déléguer des laïcs pour gérer les responsabilités des abbayes.
La charge d'abbé va être scindée en deux : un abbé laïque qui va s'occuper de la gestion extérieure,
un prévôt ou doyen qui va s'occuper de la gestion interne. Ce système de l'abbatiale laïque
fonctionne très bien. Tout ce que l'abbé laïc peut ou ne peut pas faire est défini à travers la notion de
mense abbatiale (de quoi faire face aux responsabilités de l'abbaye) ou conventuelle (de quoi faire
vivre l'abbaye : victus ou vestitus). La plupart des abbayes, dont les plus grandes, vont adopter ce
système d'abbé laïc et de mense. On va d'ailleurs étendre le système à d'autres institutions, chez les
évêques, notamment : mense épiscopale (pour la vie publique) et mense capitulaire (pour la vie
privée). Concernant les abbayes moins développées, sans immunité, mais à la présence forte, on va
mettre en place un système d'avouerie : l'avoué (< advocatus) est un laïc qui représente l'abbaye
dans les charges que ne peuvent assumer les moines (faire couler le sang, etc.). Au départ, on a une
logique de fonctionnement interne grâce à laquelle l'abbaye parvient à résoudre les problèmes de
gestion qui se posent.

2. Rome
Pour monter au pouvoir, les Carolingiens ont donné plus d'importance à l'évêque de
Rome. On a donc un modèle romain qui s'impose grâce à eux, même si au final c'est
l'empereur qui reste maître de la liturgie et qui décide de tout en matière de religion.

3. Organisation religieuse
Toujours dans cette même optique d'unification, on va hiérarchiser et organiser les lieux
de culte. On va faire de la paroisse l'unité territoriale religieuse de base. Une paroisse,
c'est une église fréquentée par une population donnée. Les églises secondaires, qui ne
sont pas celle de la paroisse, vont devenir dépendantes de celle de la paroisse et seront
appelées « chapelle ». Pour faire fonctionner la paroisse, il faut de l'argent. Cet argent,
on va le trouver dans la perception de la dîme. Cette dîme (un impôt de dix pour cent)
n'était que conseillée dans la Bible, mais les Carolingiens vont la rendre obligatoire.

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Pour faire le lien entre les paroisses et l'évêché, soit on nomme un adjoint à l'évêque, un
chorévêque, soit on organise une hiérarchisation des paroisses qui élisent chacune un représentant,
le doyen (< decanus : pour une dizaine de paroisses) avec, en parallèle, un évêque qui nomme des
archidiacres qui s'occupent des doyens. C'est le quadrillage médiéval qui est encore d'application
aujourd'hui.
Cette hiérarchie cadenassée va très bien fonctionner, amenant une unification religieuse comme la
voulait Charlemagne.

4. 816-817
On se souvient des monastères qui pouvaient choisir une règle monastique selon leur envie. C'est
Louis le Pieux qui va poursuivre la mise en ordre des institutions ecclésiastiques. Avec l'aide de
Benoît d'Aniane, Louis le Pieux va imposer aux abbayes deux choix : ou ils veulent être moines,
vivre hors du monde et dans ce cas devenir bénédictins, ou ils ne veulent pas êtres moines et suivre
la règle d'Aix (puisque énoncée à Aix) en devenant chanoines (< canonicus) et en ayant une église,
un dortoir, un réfectoire et un revenu (prébende) communs ; de plus, une communauté de chanoines
doit s'occuper de l'enseignement et du caritatif. Certaines communautés ne vont pas apprécier ce
modèle imposé par l'empereur, dont les communautés de femmes ; lesquelles ne se retrouvent dans
aucune des deux solutions proposées, et les très anciennes communautés qui ont un modèle depuis
des siècles et refusent d'en changer. Dans les siècles suivants, cette décision va une avoir une
importance décisive dans l'histoire.

F. « Renaissance » carolingienne
En reprenant le titre d'empereur, Charlemagne renoue avec la culture romaine antique. Ce n'est
qu'un titre idéologique mais ce titre va mener à une envie de retourner à l'Antiquité. On prend
comme référence les hommes politiques, les auteurs et les artistes antiques. Dans ce mouvement
antiquisant, Charlemagne va mettre au point une série de réformes.

1. Écoles
Si dans l'imaginaire populaire, c'est Charlemagne qui a inventé l'école, l'école existait déjà bien
avant à Rome. En fait, Charlemagne a voulu donner à l'enseignement un encadrement normé plus
efficace. Il va vouloir former des cadres pour son empire.
Les structures d'éducation deviennent plus importantes et les écoles se trouvent renforcées au
niveau des paroisses, des villes, des chapitres et des monastères. Il y a une diffusion du savoir avec
définition d'un système éducatif de base. En se basant sur l'Antiquité, on décide de sept artes
liberales catégorisés en un trivium et un quadrivium. Le trivium se compose de trois matières,
grammaire, rhétorique et dialectique, en suivant des modèles classiques, les autorités. Le
quadrivium se compose de quatre matières, arithmétique, géométrie, musique et astronomie. Ces
arts libéraux doivent dorénavant être enseignés à tout homme qui veut s'instruire.

2. Écriture
Au gré de ses voyages, Charlemagne a réuni autour de lui les grands hommes de son temps
d'Angleterre, d'Irlande, d'Espagne ou d'Italie. Il crée l'école palatine, regroupant les grands esprits
d'Occident qui veulent tous un retour à l'Antiquité classique (latin classique, canons esthétiques
romains, etc.). Tous ces hommes parlent un latin classique qu'ils veulent remettre à l'honneur. Le
conseiller principal de l'empereur au niveau de la culture est Alcuin d'York. Mais on retrouve aussi
Théodulphe et Paul Diacre.
Pour parler le latin classique, il faut retrouver des textes de cette époque. On se met à en rechercher
sous l'impulsion de ce qui sera la « renaissance » carolingienne. Si aujourd'hui un grand nombre
d'œuvres latines nous sont connues, c'est grâce à des copies de cette époque. Une conséquence quasi
directe de cette relatinisation sera la distorsion entre le latin d'école écrit et le latin vulgaire parlé.

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On va voir une rupture nette entre les deux latins, ce qui donnera naissance aux différentes langues
romanes.
Pour faciliter la mise à l'écrit des œuvres, on invente une écriture plus simple à lire : l'écriture
caroline, encore utilisée de nos jours pour ainsi dire telle quelle.

3. Arts
Charlemagne et son entourage vont « tuer » l'art mérovingien, l'art carolingien, l'art irlandais, etc.
comme ils se développaient jusqu'alors pour revenir à un art plus classique et archaïsant. Comme on
a coupé net la langue dans son évolution, on coupe les arts dans leur propre évolution.

Chapitre IV : Le Traité de Verdun (843) et ses conséquences


A. De 840 à 880
1. Empire carolingien et successions
L'empire gouverné par Charlemagne est transmis à son fils, Louis le Pieux, qui va essayer de
maintenir le pouvoir de son père en garantissant à tout prix une unité qu'il croit voulue par Dieu.
Charlemagne, lui, avait pourtant prévu de découper son empire entre ses différents fils, mais il
meurt en n'en laissant qu'un à qui il cède l'empire entier. Louis le Pieux va faire de son fils Lothaire
un co-empereur, le futur empereur de l'empire carolingien. À la mort de Louis le Pieux, l'empire
sera découpé en royaumes réunis sous la bannière de Lothaire. Cette décision ne plaira pas aux
autres fils de Louis le Pieux, relégués au second plan. Le plan de transmission du pouvoir sera
encore compliqué par la naissance tardive d'un dernier héritier, Charles. Vers la fin du règne de
Louis le Pieux, les dissensions sont de plus en plus nombreuses et à sa mort, ses trois fils (Lothaire,
Louis le Germanique et Charles le Chauve) vont se partager l'empire. Les trois frères se détestent et
leur jeu d'alliance va se simplifier : Charles le Chauve et Louis le Germanique vont se liguer contre
Lothaire, en conséquence de quoi un traité de Verdun sera signé en 843. Pour rappel, le Serment de
Strasbourg est rédigé en 842 pour signifier l'alliance entre Charles le Chauve et Louis le
Germanique.
Le traité de Verdun est lui oral et marque la fin du conflit de succession. Les trois frères mettent en
place un régime égalitaire. On va diviser l'empire en trois Francies. Cette division de l'empire va se
faire à l'aide de frontières allant du Nord au Sud. La Francie orientale (Germanie) a pour frontière à
l'ouest le Rhin et les Alpes et est confiée à Louis le Germanique. La Francie occidentale a pour
frontière à l'est l'Escaut, la vallée de la Meuse, le Rhône et la Saône et revient à Charles le Chauve.
Entre les deux royaumes, on a l'empire de Lothaire, la Francie centrale, réduit à la Belgique, le nord
de la France, la Provence et l'Italie du nord.
La Francie orientale dispose d'une ouverture sur l'Est. La Francie occidentale est plus cloisonnée,
avec la façade atlantique à l'Ouest. La Francie centrale se retrouve prise en tenaille entre les deux
autres Francies mais dispose des grands axes commerciaux et des villes symboliques de l'Empire
(Rome et Aix-la-Chapelle).
Lothaire meurt en 855 et divise son territoire entre ses trois fils : Louis, l'aîné, reçoit l'Italie et le
titre d'empereur, Charles reçoit la Provence et Lothaire reçoit donc le reste, nos contrées, qu'on
appellera dès lors Lotharingie. D'un ensemble assez vaste en 840, on en arrive donc en 855 à de
nombreux territoires éclatés.

2. Vikings
Les vikings vont avoir une certaine importance dans l'histoire de ce IX e siècle. Le nom de « viking »
est une invention moderne qui, au XIXe siècle, a fait une distinction entre « vikings » (guerriers
violents) et « varègnes » (paisibles commerçants). Ils sont appelés à l'époque Northman (> fr.
Normands). Ils sont issus de Scandinavie (Norvège, Suède et Danemark), peuples de navigateurs
habitués à voyager sur de longues distances, de chez eux jusqu'en Angleterre, par exemple. Ils
commercent volontiers avec les Frisons. Ils contrôlent la mer Baltique et ont des relations

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généralement pacifiques avec les populations voisines. Ces relations vont pourtant dégénérer et
prendre un tour violent, même si ce ne fut pas aussi violent qu'on aime à le raconter.
Pourquoi cette dégénérescence ? On ne sait pas très bien pourquoi, vers 800, les premiers raids
commencent. Ce n'est sûrement pas à cause d'une surpopulation. Ce qu'on sait, c'est qu'il y a une
glorification de l'acte guerrier accompagnée d'une importance accrue du chef/roi. La fascination des
Scandinaves pour l'empire carolingien qui devient de plus en plus riche peut expliquer en partie ces
raids. L'empire touche par la Saxe au Danemark et une vision d'un empire très riche s'impose dans
les esprits. Le fait religieux, avec une certaine intolérance de la part des Carolingiens, complète le
tableau de la situation.
Les premières attaques touchent York et l'Angleterre. Les vikings y prennent les richesses et s'en
repartent aussitôt. Du côté des Carolingiens, on ne sait pas comment réagir, habitué qu'on est à des
conquêtes de terres. Les vikings, voyant que les raids fonctionnent, connaissant bien leur cible,
reprennent les attaques contre lesquelles les Carolingiens vont apprendre à riposter. Les vikings
peaufinent leur technique et vont même écumer certaines régions à pied à partir de points de base.
Ils s'installent dans les terres et vont piller la région alentour, surtout certains monastères.. L'image
des vikings sanguinaires vient de la religion chrétienne qui va entrer dans un processus de
victimisation.
Tous les vikings ne sont pas identiques entre eux. Ce sont les Norvégiens qui vont aller le plus à
l'Ouest : Angleterre, Irlande (Dublin), Islande, Groenland et même Vinland (Terre-Neuve). Les
Suédois, eux, contrôlent la mer Baltique (on retrouve des villes vikings suédoises même en Russie,
jusque Kiev) et remontent les fleuve jusqu'à Constantinople, à l'Est. Ce sont surtout les Danois qui
vont poser problème à l'empire carolingien et, par cabotage, piller toutes les côtes jusqu'en Espagne.
Ces trois groupes parlent une même langue et partagent malgré tout une même culture.

B. Empire et Lotharingie
La Lotharingie est, sur le papier, une région riche car très
bien située au niveau du commerce (« banane bleue » des
échanges commerciaux), mais qui, dans une politique
expansionniste comme celle des Carolingiens se retrouve
dans une situation délicate. Prise en tenaille entre les deux
autres Francies, elle ne peut pas participer à l'économie
carolingienne.
À la mort de Lothaire, on divise la Lotharingie en trois,
Lothaire II recevant la région d'Aix-la-Chapelle. Marié mais
sans enfant, il aspire à divorcer pour se remarier avec sa
maîtresse qui a des enfants, elle. Louis le Germanique et
Charles le Chauve, ses oncles, vont s'opposer à ce divorce, puisque sir Lothaire II meurt sans
enfant, son royaume n'a pas d'héritier. On fait même intervenir l'évêque de Rome dans la querelle
qui n'aboutira jamais, puisque Lothaire II meurt avant que son divorce puisse être prononcé. La
Lotharingie va alors être récupérée par Louis le Germanique, comme tous les autres anciens
territoires de Lothaire.

C. Francie occidentale, de 843 à 987


C'est le noyau mérovingien de l'empire qui contient Paris, Tours, Rouen, Quintovic, etc. C'est une
partie lourde à gérer car dirigée par une aristocratie romaine très ancienne. Le roi doit négocier
souvent avec cette aristocratie. De plus, la Francie occidentale ne peut pas s'étendre, ayant l'Espagne
au Sud, l'Angleterre au Nord et la Lotharingie à l'Est. Charles le Chauve ne peut donc céder que des
terres qu'il possède lui-même en échange de la loyauté des aristocrates. En plus de tout cela, les
attaques vikings ciblent tout particulièrement la Francie occidentale, ce qui demande de l'argent.
Pour lutter contre eux, il faut pouvoir rassembler une armée et pour cela, il faut des fiefs. Charles le

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Chauve va créer des rassemblements de terres sous le nom de marquisats (marquis de Flandres →
comte de Flandres), notamment en Neustrie qu'il confie à la famille des Rovertiens qui deviendra la
famille la plus importante de Francie occidentale. Au Sud, on renforce la marche d'Aquitaine
(Septimanie) dont les ducs auront aussi une grande importance.
C'est donc sous Charles le Chauve que se développent les bases des grandes familles. Sous son
règne, les familles les plus importantes ont le droit de bâtir des fortifications, privilège royal. Vers la
fin du règne de Charles le Chauve, il met en place le principe d'hérédité du fief : au départ, à la mort
d'un des deux hommes, les terres sont redistribuées ; dorénavant, les terres passent de père en fils.
Le pouvoir des grandes familles est encore renforcé. Par la force des choses, le pouvoir central
français est confié à l'aristocratie.
Concernant les vikings, pour protéger certains lieux vulnérables, Charles le Simple, fils de Charles
le Chauve, passe en 911 un traité à Saint-Clair-sur-Epte (à la frontière de la Normandie actuelle)
avec Rollon qui doit accepter de se convertir au christianisme, en échange de terres que lui confiera
le roi contre sa fidélité. Rollon veut et obtient le contrôle du comté de Rouen qui est la prote de
Paris par la Seine, entre les Flandres et la Neustrie. Rollon conquiert même des terres jusque Caen,
terres qui deviendront le duché de Normandie.
On voit bien que la royauté carolingienne passe en position de faiblesse, avec parfois des rois
robertiens pour faire la transition d'un roi carolingien à un autre. En 987, on décide de mettre au
pouvoir un Robertien en élisant Hugues Capet qui dispose de territoires immenses mais qui reçoit
un pouvoir vidé de tout son sens.

D. Francie orientale, de 843 à ca 1000


Dans ces régions, l'évolution est radicalement différente de ce qui se passe en Francie occidentale,
puisqu'à l'Est de la Francie orientale s'étendent de nombreux territoires à conquérir. De plus, les
terres qui composent la Francie orientale sont des terres de conquêtes plus récentes. On constitue
des noblesses hiérarchiques sur des bases neuves avec des gens qui sont sous le contrôle du pouvoir.
Sous la noblesse héréditaire, on peut organiser une noblesse élective pour la prise du pouvoir.
La famille qui fut souvent au pouvoir en Germanie était celle des Ottonides. Le premier à devenir
empereur fut Henri l'Oiseleur, lequel, une fois élu, prit les armes pour confirmer sa prise de pouvoir
par la force afin de l'asseoir. Son fils, Otton I er, une fois élu, alla se faire sacrer à Aix-la-Chapelle et
s'asseoir sur le trône de Charlemagne. L'empereur travaille surtout à conserver son pouvoir,
n'hésitant pas à écarter les gêneurs qui pourraient avoir des prétentions dangereuses. Par exemple, la
Lotharingie nouvellement intégrée à la Germanie n'acceptait pas au début la domination
germanique et fut donc souvent démembrée. Otton I er vainc aussi les Hongrois, dépeints comme
barbares et païens. En 950, il conquiert l'Italie du nord et récupère dès lors le titre d'empereur. En
962, Otton Ier est couronné roi d'Allemagne par élection, roi d'Italie par conquête et empereur par
filiation.
Une manière originale de gouverner va se mettre en place : la reichskirghe (littéralement, « église
impériale ») qui découle du lien de vassalité. On nomme comme prince territorial un évêque, lequel
ne peut pas avoir d'hérédité officielle. On garde donc le contrôle des territoires. La technique sera
d'ailleurs utilisée pour mater certaines régions difficiles. Le système sera utilisé pendant très
longtemps et pour de nombreuses régions. La première région à en bénéficier sera le comté d'Huy,
dans la principauté de Liège. Le prince-évêque de Liège sera d'ailleurs toujours un fidèle parmi les
fidèles de l'empereur. Le pouvoir ferme du roi sera d'ailleurs la différence majeure entre Francie
orientale et Francie occidentale.
Otton III est fils d'Otton II, fils d'Otton Ier, et de Theophano, princesse byzantine qui assurera une
partie de la régence en attendant la majorité de son fils. Il croira pouvoir faire de son empire un
nouvel empire romain et essayera même de faire de Rome la capitale de son empire. Le jour de la
Pentecôte de l'an mil, il fit ouvrir la tombe de Charlemagne, toucha le corps de l'empereur et lui prit
une relique, afin que sa virtus rejaillisse sur lui. Une grand figure du règne d'Otton III sera Gerbet

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d'Aurillac, nommé évêque de Rome en 999 sous le nom de Sylvestre III, en hommage à Sylvestre
Ier, évêque de Rome sous le règne de Constantin, très proche du pouvoir impérial. Il sera un passeur
des connaissances mathématiques d'Arabie, très novateur. En 1002, Otton III meurt prématurément,
à vingt-deux ans, sans enfant. Sylvestre III meurt peu après et une nouvelle dynastie se met en
place.
Il ne faut pas oublier qu'à cette époque nos régions, à l'Est de l'Escaut, sont germaines, que la
frontière germanique va jusqu'à Verdun au Nord et touche même Marseille au Sud.

Chapitre V : Histoire et politique institutionnelle


A. Papauté et empire (→ ca 1300)
Jusqu'à présent, on a insisté sur l'unité entre l'État et l'Église. Dans le monde l'époque, c'est le
souverain qui nomme les évêques, qui prend des décisions légales concernant la religion, etc. la
voix du pape, l'évêque de Rome, n'est alors pas significative, même si, on l'a vu, il arrive parfois
qu'on lui demande son avis pour trancher dans un conflit. Vers les années 1050, une dispute entre le
pape et l'empereur va éclater, avec pour thème l'universalisme : tous les deux se disent représentant
de Dieu sur terre. Cette dispute prendra le nom de « querelle du sacerdoce et de l'Empire » ou
« querelle des investitures ». Après cette querelle, l'Occident aura complètement changé de visage.
Lors de conquêtes militaires, on installe de la même façon système politique et système religieux.
On demande aux autochtones un serment d'allégeance et qu'ils se fassent baptiser.

Avec la dynastie salienne, sous Henri III, on met en place des évêques qui insistent beaucoup sur la
moralité. Dans ces années, une série de mesures sont prises, touchant la moralité mais renforçant
aussi le pouvoir ecclésiastique. Ces mesures concernent le simonisme et le nicolaïsme. Le
simonisme concerne les évêques qui achètent leur place et font payer le sacrement. Le nicolaïsme
concerne le mariage des prêtres que l'on veut interdire purement et simplement, considérant même
que les sacrements de prêtres mariés sont impurs et caducs. Avant cette interdiction, il existait
même des dynasties de prêtre et il était fréquent d'être prêtre de paroisse de père en fils. On désire
aussi que les abbés soient élus de l'intérieur, par les moines de l'abbaye, et non plus de l'extérieur,
par le pouvoir, comme on a vu que cela se faisait sous les pépinides.
Lors de la mort d'Henri III, vers 1050, Henri IV est trop jeune pour prendre le pouvoir. Le pape est
alors nommé régent, puisqu'il avait la confiance d'Henri III. Le pape, en 1059, fait se réunir un
synode au palais des papes à Latran. Le pape Nicolas II décide que, comme dorénavant les abbés
sont choisis de l'intérieur, le pape devra être un prêtre romain choisi par les autres ecclésiastiques
romains. Sur cette base seront élus une série de papes rigoureux et de plus en plus exigeants qui
vont s'éloigner des coutumes anciennes. Un de ces papes marquants sera Grégoire VII, au centre de
la réforme grégorienne. Grégoire VII va mettre au point une série de réformes, vingt-sept
propositions appelées dictatus papae. Il donne des pouvoir très importants au pape qui peut
dorénavant délier n'importe qui d'un serment et qui devient le seul représentant de Dieu sur terre.
Henri IV qui a alors plus de vingt ans réagit comme on le fait d'habitude : il lève une amrée et
marche sur Rome. Grégoire VII délie alors les hommes d'Henri IV de leur serment envers lui. Les
Italiens et les chefs des régions périphériques de l'empire refusent de combattre. Henri IV doit alors
faire amende honorable et demander pardon au pape. Henri IV va retenir la leçon et faire en sorte
qu'une guerre civile éclate à Rome et défasse Grégoire VII.
Par la suite, le débat se concentrera sur des questions secondaires comme le pouvoir des prêtres,
base du pouvoir germanique. Le pape va aussi gagner des points dans les esprits avec les Croisades
qui réussissent contre toute attente.
Le concordat de Worms en 1122 décidera que les évêques devront être investis en premier lieu par
le pape de qui ils pourront recevoir les insignes de leur fonction, pour ensuite recevoir d'autres
charges de l'empereur ou du roi. Les papes à cette époque, vont réunir quatre conciles
œcuméniques, normalement réunis par l'empereur seulement. Les décisions des quatre conciles, de

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1123 à 1215, devront être suivies par tous les chrétiens, sous peine d'excommunication. Des
envoyés du pape vont d'ailleurs sillonner les régions pour répandre la parole du pape et mettre de
l'ordre au niveau pontifical.
Personne ne réagit, si ce n'est que les évêques locaux n'apprécient pas beaucoup que le pape se mêle
de leurs affaires, et les envoyés du pape peuvent déclarer un évêque impur s'ils le veulent. Frédéric
Ier Barberousse va chercher une solution face à la montée en puissance du pape et redécouvre le
droit romain. Il a dès lors un pouvoir qu'il tient du droit public et décide de nommer les évêques
selon le droit romain. Il nomme même un évêque de Rome, un second pape donc. On a donc un
pape et ce qui sera appelé « antipape ». Frédéric Ier va canoniser Charlemagne via son évêque de
Rome. C'est une décision étrange, puisque si au niveau des mœurs, Charlemagne est indéfendable
par la chrétienté, on peut faire valoir sa politique de conquêtes et les conversions qui suivirent.
Personne chez le pape ne trouve rien à redire face à ce pouvoir issu du droit public.
Heureusement pour la papauté, Frédéric I er meurt noyé près de la Turquie vers 1100. Il y a lors de la
succession de nombreuses disputes. Innocent III, pape de 1198 à 1216, va profiter de ces disputes
qui s'éternisent pour faire passer une série de réformes radicales. En 1215, avec Latran IV, il décide
la translatio imperii, le « transfert de l'empire ». Il se base sur le schéma hiérarchique suivant : Dieu
→ Jésus-Christ → Saint Pierre → pape → empereur. Dans ce schéma, le pape transmet le pouvoir
divin à l'empereur, comme si celui-ci était son vassal. Et si cet empereur vassal va à l'encontre de
son suzerain le pape, il devient félon et perd alors le contrôle de l'empire que lui a confié le pape. Si
Frédéric Ier voulait raffermir son pouvoir grâce au droit romain, Innocent III affermit le sien par le
droit vassalique. Grégoire IX, à la suite d'Innocent III, décide que l'empereur ne dipose en fait que
des insignes du pouvoir, le vrai pouvoir restant aux mains du pape. À cette époque, le pape n'a plus
de résistance en la personne de l'empereur face à lui. Sous Boniface VIII, une autre série de
réformes passe. En 1302, dans une bulle, Boniface VIII va mettre au point ses prétentions. Il la
nomme Unam Sanctam et y dit que le monde est chrétien, que le chef en est Dieu et que le pape est
seul représentant de Dieu sur terre. Le pape est donc, de facto, le chef du monde et chaque homme
sur terre est homo papae.
La menace pour le pape viendra de France. Boniface VIII avait pourtant canonisé Louis IX pour
faire plaisir à Philippe le Bel. Philippe le Bel fut un roi unificateur, conseillé par des ministres
chrétiens mais anticléricaux. Philippe le Bel décide de réagir à la bulle de Boniface VIII et envoie
une armée lui intenter un procès. L'envoyé du roi et Boniface VIII se fâchent et quelques jours plus
tard, Boniface VIII meurt d'une crise cardiaque. D'une certaine façon, on prend comme un signe
qu'un pape qui se disait chef du monde meure quelques temps après qu'il soit convoqué devant le
droit français. Il faut nommer un nouveau pape et, sous la pression de l'armée française qui reste à
Rome, on choisit un pape francophile.
On est donc passé d'un monde dirigé par des chefs politiques avec une unité politico-religieuse à un
monde dirigé par les papes où une scission a eu lieu.

B. Droit féodal
Rappel : la féodalité est un terme juridique qui unit vassal et suzerain, en opposition à la relation
entre seigneur et paysan.
Les origines du système féodo-vassalique sont le VIII e siècle, époque à laquelle on fusionne les
deux systèmes avec les encouragements de la politique carolingienne. Le serment lie suzerain et
vassal. Le vassal promet un service militaire en échange de quoi le suzerain lui prête une terre, un
fief. Ces relations superposent aux relations précédentes un nouveau modèle. Par exemple, un
comte devait déjà un service au roi à cause de la hiérarchie mais aussi parce que le roi lui donne des
terres. Les fiefs sont donnés à titre viager : le suzerain peut récupérer le fief à la mort de son vassal
pour le redistribuer. Le système va peu à peu devenir héréditaire : on donne le fief du vassal à son
fils si rien ne s'y oppose. On pervertit donc le système en faisant du fief une donnée indispensable et
en favorisant l'hérédité, ce qui n'était pas le cas au départ. Par le jeu des conquêtes, on parvient à

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donner toujours autant de terres que nécessaire. On arrive à une pyramide hiérarchique complexe où
un vassal peut avoir lui-même un vassal, lequel n'est pas lié au suzerain de son suzerain. Ce vassal
de vassal est appelé vavasseur. Le roi n'a pas le droit de convoquer le vassal d'un de ses vassaux,
même s'il peut demander à son vassal de convoquer le vavasseur.
Le serment se fait devant témoin et n'est pas consigné ou retranscrit. Lors de cette cérémonie, on
prend Dieu à témoin. Il y a tout d'abord (osculum) durant lequel le suzerain est désarmé et le futur-
vassal demande à être l'homme du suzerain, maints jointes. Si le suzerain accepte, il entoure les
mains de son vassal avec les siennes. L'hommage se termine par un baiser de paix, ce qui lui donne
son nom latin. Ensuite, le suzerain et le vassal prêtent serment devant Dieu, sur la Bible ou sur un
saint. Enfin, après le serment, le seigneur investit son vassal d'un fief. Rien ne se fait par écrit.
L'investiture du fief se fait par le don d'un objet symbolique qui fait le lien avec la terre donnée : un
gant, une motte de la terre, un épi de blé, etc.

La relation féodo-vassalique est résumée par la formule latine « auxilium et consilium », aide et
conseil. L'aide prend un nombre considérable de formes, militaire ou financière :
• L'aide militaire va de soi, étant la base-même du serment. Le service militaire se fait à
cheval. Il y a une distinction entre service militaire de combat (service d'ost) et service de
garde, d'un château par exemple, ou d'escorte (à tel point que quand un suzerain se déplace,
on compte le nombre de vassaux qui l'accompagnent pour connaître sa puissance). Le
service militaire ne dure que quarante jours, ce qui explique la brièveté des guerres au
Moyen âge. Les vassaux vont faire en sorte que le service d'ost ne s'applique que lors de
guerres défensives et non pas offensives.
• L'aide financière est très clairement définie selon quatre cas :
1. pour la cérémonie d'entrée en chevalerie du fils aîné du suzerain (adoubement) ;
2. pour le mariage de la fille aînée du suzerain ;
3. pour payer la rançon du suzerain (≃ dette de jeu lors de joute : si le suzerain est défait, il
ne peut retourner tournoyer que contre rançon que les vassaux paient) ;
4. pour les frais de croisade.
Le conseil signifie que le suzerain peut convoquer son vassal pour lui demander conseil, pour le
prendre à témoin, etc.

Le suzerain, lui, doit le fief au vassal et doit défendre la terre en cas d'attaque injustifiée. Si les
relations ne sont pas respectées, le serment est brisé. Celui qui rompt le serment est un félon,
indigne, que l'on peut punir pour ses manquements.
Ce lien d'homme à homme va être de plus en plus difficile à concilier avec la multiplicité des fiefs.
Si l'on est vassal de deux suzerains qui se font la guerre, on ne peut pas prendre parti pour l'un sans
trahir l'autre et devenir félon. On va donc mettre au point vers le XIIe siècle un hommage prioritaire
(selon l'étendue des terres données) sur les autres, ce qui permettra de trancher en cas de problème.
Le vassal d'un suzerain prioritaire est appelé homme-lige. Par exemple, le comte de Flandres a des
terres en Germanie et il doit donc prêter serment au roi de Germanie. Il reste malgré tout l'homme
lige du roi de France.
On a dit qu'il y avait présomption de succession. Le fils d'un vassal reçoit normalement les terres de
son père. Il doit pour cela payer un droit de succession. S'il n'y a pas de fils mais seulement une
fille, celle-ci peut succéder à un fief mais ne peut pas prêter de serment militaire. Elle doit donc se
faire suppléer par son mari si elle est mariée, par son oncle si elle ne l'est pas. Elle ne peut pas prêter
elle-même serment à cause de l'engagement militaire implicite que le serment contient. Si le fils est
trop jeune, on fait prêter serment par un membre de ma famille qui devient garant du serment.
Si un vassal donne une terre à une abbaye et que cette terre est le fief du vassal, l'abbé doit prêter
serment au suzerain via son avoué. Le fief étant propriété de l'abbaye pour l'éternité, il n'y a pas de
succession à y avoir, et donc pas de droit de succession à payer. Pour éviter cela, on choisit un fidèle

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de l'abbaye qui va fixer la vie du fief et à la mort de qui on fera payer le droit de succession par
l'abbaye.

C. France-Germanie-Angleterre (XIe – XIIIe s.)


Suite au traité de Verdun, on est passé à un découpage en trois Francies, puis à deux Francies vers
l'an mil. Elles vont continuer leur évolution. L'Angleterre devient un protagoniste important dans
l'histoire du monde occidental.

1. France
On va parler ici de la France capétienne, laquelle tourne autour de trois grandes figures, celles de
Philippe II Auguste (roi de 1180 à 1223), Louis IX (roi de 1226 à 1270) et Philippe IV le Bel (roi de
1285 à 1314).
On se souvient que Charles le Chauve se retrouvait à cause du traité de Verdun avec un territoire qui
ne pouvait pas s'agrandir. Il avait donc fallu parlementer avec la noblesse. La peur des vikings avait
en outre fait se former de grands territoires (Neustrie, Normandie, Flandres, etc.) pour faire face aux
raids. Le pouvoir allait donc, à partir de la fin du X e siècle, de moins en moins entre les mains du
roi. En 987, on avait arrêté de choisir pour roi un Carolingien pour un Robertien, Hugues Capet, qui
donnera son nom à la dynastie des Capétiens. Hugue Capet a dans l'idée de faire de sa nomination
un fait héréditaire en sa faveur. Pour mettre au point cette hérédité, il associe au pouvoir son fils,
Robert, dès l'année suivant sa prise de pouvoir. Il y aura d'ailleurs toujours chez les Capétiens un co-
roi en même temps que le roi. On sacre le roi que l'on oint devant Dieu (et ce jusqu'au XVIII e
siècle). Cette sacralisation du pouvoir royal va faire en sorte que ce pouvoir récupère son influence
perdue au fil des siècles. Puisque cette famille basée sur Paris, dans la vallée de la Seine, va
s'organiser en dynastie, on va avoir en France un noyau à partir duquel construire le royaume.
L'endroit du sacre d'Hugues Capet, Reims, va aussi devenir sacré, au même titre que Saint-Denis,
abbaye royale où presque tous les rois de France sont enterrés.
Deux érudits, Abbon de Fleury, chef de l'abbaye qui dit avoir en ses murs le corps de Saint Benoît et
de sa sœur Sainte Scolastique, et Suger de Saint-Denis, si proche du pouvoir royal que lors des
croisades il sera nommé régent de France en l'absence du roi, confortent le pouvoir royal en mettant
en avant qu'un roi n'est pas moins qu'un empereur, puisqu'il est en haut de la hiérarchie française et
qu'il ne reçoit d'ordre ni de l'empereur, ni du pape. Suger en particulier affirme que le roi a des
droits sur le moindre vassal où qu'il se trouve dans la pyramide vassalique et qu'il a même le droit
de confisquer les fiefs des félons. Cette propagande et ces idées théoriques seront mises en pratique
lorsque le roi aura retrouvé plus de pouvoir.
Les pouvoirs régaliens (construction de forteresse, frappe de la monnaie, etc.) qui ont été distribués
aux mains de la noblesse vont retourner entre les mains du roi, pour contrer l'avancée en France du
roi d'Angleterre qui est aussi duc de Normandie et comte d'Anjou et qui possède la moitié des terres
de France. La recentralisation du pouvoir royal va aussi passer par une politique de mariages
fructueuse. Le roi va aussi récupérer des terres par la guerre en s'immisçant dans différentes affaires
en se dotant d'une nouvelle légitimité (cf. Cathares). Cette politique de récupération de pouvoir
couplée à la notion de dynastie va renforcer le pouvoir royal.
Avec les terres familiales, on a un centre géographique qui, dans la continuité dynastique, va donner
naissance à une ville plus importante que les autres, une capitale. C'est une chose nouvelle dans
l'Europe continentale qui ne connaissait plus vraiment la notion de capitale depuis l'empire. De plus,
autour du roi se forme une cour (curia regis) qui est très puissante et peut s'avérer dangereuse si la
royauté se trouve en état de faiblesse. La noblesse est en effet relativement incontrôlable, puisque le
passage de pouvoir se fait de façon héréditaire.
On va mettre en place une distinction dans cette cour : d'une part l'hôtel ou maison du roi (domus),
d'autre part la cour (curia). Ceux qui font partie de la domus vont avoir des charges et des fonctions
honorifiques (charges auliques), tandis que la curia sera composée d'une élite versée en droit (ce qui

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va mener à la création du Parlement de Paris), en finance (création de la Chambre des Comptes)
(comme il n'existe à l'époque pas d'études de finance, on fait venir dans les premiers temps des
banquiers italiens) et en politique, des gens de conseil qui vont œuvrer à la centralisation de l'État
français.
On a donc un système ou le pouvoir royal constant va permettre de concentrer les terres, d'entretenir
une cour de techniciens en permanence pour gérer l'état et de remiser la haute noblesse dangereuse
ou inutile dans des charges auliques où ils deviennent inoffensifs.

2. Germanie
La Germanie comprend la Francie orientale, la Francie médiane, l'Italie, ainsi que la Bourgogne. La
Germanie, on l'a vu, a des possibilités d'expansion vers l'Est. La Germanie est fondée sur une base
carolingienne et son modèle antique. Il revendique de cet héritage carolingien le titre impérial. Les
institutions se composent de charges cléricales d'une part et de charges comtales de l'autre. On a vu
que confier les charges à des religieux permettait d'éviter d'avoir une filiation et de garder le
contrôle sur les fiefs. Comme le veut la coutume, Otton III mourant sans héritier, un nouvel
empereur va être élu par les princes électeurs. Une nouvelle dynastie, salienne (Worms et Spire
(Ouest de l'Allemagne)) va se mettre en place.
Des problèmes de succession ayant lieu assez souvent, on doit très régulièrement le roi de Germanie
grâce à ces princes électeurs qui ont un grand pouvoir. Puisqu'il est élu, le roi de Germanie peut
venir à chaque génération d'une région différente, ce qui tranche de l'hérédité française qui fait venir
le roi d'un seul et même endroit, la vallée de la Seine. Lors des élections, tous les princes électeurs
se réunissent et se mettent d'accord à l'unanimité pour élire le nouveau roi. Pour surveiller l'élection,
on nomme l'archevêque de Mayence. Le roi est ensuite couronné à Aix-la-Chapelle.
Peu à peu, on va décider d'une diminution du nombre d'électeurs. En 1250, il n'y a plus que sept
électeurs, qui représentent tous les princes du royaume. En 1356, une bulle d'or confirme le rôle des
sept princes électeurs et informe sur les modalités d'élection du roi de Germanie. Le roi de
Germanie a des des prédispositions à l'Empire si le pape le lui confie, faisant de lui le « roi des
Romains ». On retrouve déjà les bases de ce qui sera le Saint-Empire Romain Germanique dans les
Temps Modernes.
Les sept princes électeurs sont trois ecclésiastiques, les archevêques de Cologne, de Mayence et de
Trèves, de grandes villes qui remontent à l'Empire Romain d'Occident, et quatre laïcs, le duc de
Saxe (Nord de l'Allemagne, des Pays-Bas jusqu'à la Pologne), le comte palatin du Rhin, le marquis
de Brandebourg (près de Berlin), le roi de Bohème. Le chef de ce groupe est l'archevêque de
Mayence, région où il n'y a pas de dynastie.
Le roi, élu par l'aristocratie, la représente et est très lié à elle. Les sept princes électeurs ainsi que la
curia, qui représente l'entourage du roi, suivent le roi dans tous ses déplacements. On retrouve dans
cette cour le chancelier, c'est-à-dire l'archevêque de Mayence, qui s'occupe de la politique intérieure
et extérieure du royaume, le maréchal, c'est-à-dire le duc de Saxe, qui est chef de l'armée et le
sénéchal, c'est-à-dire le comte palatin du Rhin, qui s'occupe des finances. Il y a des réunions
annuelles lors desquelles tous les princes électeurs se rassemblent pour donner leur avis ou pour
renouveler leur serment de fidélités. Cette réunion s'appelle Reichstag ou Diète.
L'empire ne repose pas sur des institutions permanentes mais sur les grands vassaux de l'empereur.
Ce système fonctionne tant que le pouvoir est fort, mais si ce n'est pas le cas, s'il y a des conflits
internes, le système est affaibli. On a un exemple de cet affaiblissement du pouvoir lors de la
querelle des investitures lors de laquelle on retrouvait parmi les sujet des partisans du pape, les
papistes, la pars guelfa, du nom de la famille des Welfs, et des partisans de l'empereur, la pars
gebellina, antipapistes, dont tous les évêques font partie.
On essaie de solidifier l'empire, d'abord avec Otton I er et Otton II, puis sous Henri IV (première
moitié du XIIe siècle) et Frédéric Barberousse (seconde moitié du XIIe siècle) qui s'opposent tous
deux au pape.

38
Henri IV sera excommunié par le pape. Comprenant qu'en l'absence d'un noyau solide, le pouvoir
reste trop fragile, il décide de créer un centre, sur les terres de l'état, dans la région du Harz, zone
riche, où se trouvent déjà un palais qu'il fait permanent et les employés qui travaillent pour le
pouvoir royal. Cette création n'aura malheureusement pas l'effet escompté.
Frédéric Barberousse voit un danger, dans la puissance des princes territoriaux qui peuvent faire
office de contre-pouvoir. Barberousse engage alors une politique de force en menant des campagnes
intérieures. Il va néanmoins éviter d'entrer en guerre avec les princes trop puissants et va les séparer
et les diviser en développant la féodalisation afin de casser les grands ensembles territoriaux et ainsi
les affaiblir. Par exemple, il dépossède les Welfs, famille dynastique très puissante, de ses duchés de
Bavière et du Nord de l'Allemagne.
Barberousse meurt en 1190. Son fils, Henri VI, va prendre la succession qui se passera très mal,
avec une atomisation de la cohérence du pouvoir qui découle directement de la politique de
Barberousse. Un demi-siècle plus tard, entre 1250 et 1270, il y aura même un grand interrègne sans
empereur ni roi des Romains. On remarque que c'est le phénomène inverse à celui de la France qui
se produit.

3. Angleterre
L'histoire de l'Angleterre est un peu particulière, puisque l'on part d'une Bretagne romaine bien
organisée, avec sa limite au Nord formée du mur d'Hadrien. Quand les armées de Bretagne romaine
sont appelées en renfort pour tenir la frontière du Rhin, les Saxons en profitent pour s'installer sur
l'île vidée de ses soldats.
Le royaume anglo-saxon est surtout cantonné aux côtes est. Du VIII e au Xe siècle, il n'y a aucune
unité interne, l'île étant composée de royaumes antagonistes. Il y a pourtant des moments éphémères
de regroupement, sous le roi Alfred (fin IXe siècle) par exemple. Par la suite, les invasions vikings
vont causer la chute de nombreux royaumes anglo-saxons. Knut le Grand (†1035), viking
christianisé, devint même roi d'Angleterre en 1016, de Danemark en 1018 et de Norvège en 1028.
La succession de son royaume unifié va mal se passer et il faudra attendre Edouard le Confesseur,
vers 1050, pour que toute l'Angleterre anglo-saxonne soit enfin unifiée grâce au soutien de certains
princes territoriaux. N'ayant pas de successeur, il choisit son cousin Guillaume le Conquérant, duc
de Normandie, pour lui succéder. Les Anglo-saxons refusent ce choix et mettent un des leurs sur le
trône : Harold.
Si on connait bien ce fait historique, c'est parce qu'il est très bien documenté par diverses sources
normandes. Il faut néanmoins rester prudent en qualifiant Harold d'usurpateur, puisqu'on ne dispose
que du point de vue du vainqueur. On a en la tapisserie de Bayeux qui relate les événements depuis
la mort d'Edouard jusqu'à la victoire de Guillaume un témoignage complet mais subjectif, prenant
part pour le camp normand, expliquant que Guillaume a une légitimité en tant que descendant
successeur de Rollon, vassal du roi de France.
Guillaume pense en effet avoir légitimement droit au trône d'Angleterre. Basé à Kent et à Ravenne,
Guillaume le Conquérant est duc de Normandie et donc vassal du roi de France. Il part combattre
Harold, passe la Manche avec des chevaux dans ses navires et s'établit à Douvres. Il arrive au
moment où l'armée anglo-saxonne est affaiblie après une bataille contre les vikings dans le Nord. La
bataille se déroule à Hastings, le 13 octobre 1066, et est remportée par Guillaume le Conquérant.
En tant que vainqueur, il confisque les terres des perdants, tous les alleux 3. Il déclare toutes ces
terres confisquées propriété de la couronne et offre des postes importants à des fidèles, ainsi que des
fiefs en Angleterre ou en Normandie. On assiste à une petite migration de la population normande
en Angleterre qui se perçoit encore dans l'art de l'époque, dont les cathédrales, ainsi que dans la
langue anglaise qui a été fortement marquée par le dialecte normand. La religion est de plus
directement mise sous le contrôle de Guillaume qui profite de sa prise de pouvoir pour décider d'un

3 Alleu : terre possédée en propriété complète, à l'opposé des fiefs qui impliquent une redevance seigneuriale. Il s'agit
donc d'une terre ne dépendant d'aucune seigneurie.

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recensement général de toutes les terres anglaises et leur population qui dure des dizaines d'années,
le Domesday Book.
Guillaume le Conquérant est un homme prudent vis-à-vis de sa succession et, ayant trois fils et une
fille, donne le royaume d'Angleterre à son aîné et le duché de Normandie au puîné, mais ceux-ci
meurent. Il donne donc la totalité de ses titres à son dernier fils, Henri4.
Henri 1er Beauclerc prend Londres comme capitale à partir de laquelle il commence une
centralisation de l'administration, un siècle avant la France ou la Germanie. Il met en place à Caen
l'Échiquier, salle d'apparat qui doit son nom aux carrelages en damier et où il met au point les taxes,
et les impôts. Il va aussi exiger de chaque seigneur qu'il lui prête serment de fidélité. Dans le même
temps, il crée une justice itinérante, des juges de la couronne qui vont dans tout le pays. On est dans
un régime fort, faisant table rase du passé et des institutions originelles. Géographiquement et
politiquement, c'est un régime bipolaire, partagé en Angleterre et France, par la Normandie.
À la cour d'Angleterre, on parle alors globalement français, tandis qu'on parle anglais sur le sol
français, avec une culture proche des deux côtés de la Manche.
À la mort d'Henri Ier, un problème de succession se pose, puisqu'on doit choisir entre Adèle, sa
sœur, ou Mathilde, sa fille, toutes les deux femmes, ne pouvant prétendre à la succession (cf. Loi
salique Philippe le Bel). On passe un accord avec Henri II Plantagenêt, comte d'Anjou et duc de
Normandie, vassal du roi de France, pour qu'il devienne roi d'Angleterre. Henri II se marie alors
avec Aliénor d'Aquitaine. Le roi d'Angleterre, par un jeu d'alliance, possède à ce moment à peu près
la moitié du territoire français. Sous la dynastie des Plantagenêt, on a une francisation encore plus
forte. Henri II, ainsi que son fils Richard après lui, vit presque constamment en France. On parle
français à la cour et les productions écrites en langue romane sont importantes. On parle alors de
seigneurs français et anglais. D'ailleurs, pendant très longtemps, tous les rois d'Angleterre seront
enterrés en France.
Finalement, suite aux tensions familiales (divorce d'avec Aliénor), aux faits divers politiques, dont
le meurtre de Thomas Beckett, chancelier du roi, par un proche du roi, Henri II va abdiquer et
donner le trône à son fils Richard. Les deux fils d'Henri II, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre,
se détestent cordialement. Lorsque Richard est capturé lors d'une croisade en 1215, Jean en profite
pour faire signer une charte qui diminue le pouvoir du roi d'Angleterre.

D. Seigneurie et principautés
Les seigneuries sont des grands domaines de villages. Les principautés et seigneuries prennent le
relais des comtés, marquisats et duchés.

1. Principautés
La principauté est un terme générique de type de ceux de comté, marquisat ou duché, c'est-à-dire
qu'à leur tête est un chef, fonctionnaire détenteur du bannum par délégation. Il y a différentes
hypothèses pour comprendre ce changement de nom du terme, suivant que l'on est optimiste ou
pessimiste. D'après les Français, cela signifie que l'on passe d'un coup à un contexte d'anarchie et de
terreur suite à une prise de force du pouvoir par les seigneurs. D'après les Allemands, on a une
délégation du pouvoir, une sorte régionalisation.
Dans une principauté, on considère qu'un comte ne tient pas son pouvoir que du souverain mais
aussi par la volonté de Dieu. Cela donne des entités plus autonomes qui sont moins en moins
dépendantes du souverain. Les comtes deviennent des princes territoriaux.
Si on en arrive à cette situation, c'est à cause des grands commandements donnés à certaines
familles pour lutter contre les Vikings, ce qui leur donne un début d'indépendance, mais aussi à
cause du pouvoir faiblissant du roi, ce qui laisse de l'espace pour que les comtes prennent de plus en
plus d'indépendance. Dans nos régions, par contre, les exemples sont allemands et l'on se a un
pouvoir royal fort, ce qui permet de contrer la montée en puissance des grands princes comme on la

4 Sources : http://www.histoire-fr.com/genealogie_medievale_angleterre_normandie.htm

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connaît en France.
Du XIe au XIIIe siècle apparaissent des entités territoriales plus ou moins grandes dans lesquels le
prince territorial détient ses terres de Dieu lui-même et dans lesquels il dispose comme il le veut de
la justice, de la frappe de la monnaie, de la construction de forteresses sans rien demander au roi
comme cela devrait normalement se faire, de la rédaction d'actes à leurs noms (pouvoirs au départ
régaliens). Les princes vont s'affronter entre eux, oubliant qu'ils sont des fonctionnaires au service
du roi, devenant simplement des princes qui disposent d'une sorte de bannum comme le roi l'avait.
Ils se battent aussi pour s'arracher des fiefs cédés par le roi et les terres d'autres princes territoriaux.
Le prince territorial va aussi essayer de faire la main-mise sur les grands systèmes religieux, en se
proclamant souvent avoué général des abbayes sur son territoire. Il va donc devenir le gestionnaire
temporel des abbayes. Le comte de Flandres va très vite mettre la main sur les abbayes de Gand ou
d'Anvers. En s'immisçant ainsi dans les abbayes, les princes vont récupérer les richesses terriennes
ou autres des abbayes.

À plusieurs reprises au Moyen âge, les villes avaient moins d'importance que dans l'Antiquité. Plus
on va avancer dans le Moyen âge, plus les villes vont grandir. Les princes vont devoir gérer ces
nouveaux centres économiques et sociaux. La principauté va jouer un rôle de plus en plus important
dans le développement de ces villes.
Le système que l'on a vu se développer chez le roi (curia) va se développer en plus petit chez les
princes. On va même voir apparaître de petites chancelleries.
L'évolution chez les princes va donc vers de plus en plus d'autonomie.

2. Seigneurie
On connaît grâce aux polyptyques de grands domaines, surtout situés dans nos régions. La
seigneurie va évoluer un peu comme la principauté. Les grands domaines vont se transformer en
seigneuries. En plus des droits fonciers et de l'utilisation maximale des gens sur ses terres, le grand
propriétaire devenu seigneur va s'arroger des droits juridiques sur ceux qui vivent sur ses terres. La
seigneurie est une institution complexe qui a deux entrées : foncière et judiciaire.
Si les propriétaires reçoivent de tels droits, c'est pour certain parce que le grand domaine amène
naturellement des droits juridiques sur les habitants et pour d'autre parce que le pouvoir au-dessus
d'eux était vacant et qu'ils ont rempli cette vacance. On a donc soit une thèse évolutionniste ou
catastrophiste, selon les points de vue.

L'aspect le plus simple de la seigneurie est l'aspect foncier. Dans l'empire carolingien, le
propriétaire avait son domaine de réserve et d'autres domaines qu'il cédait à une partie de la
population pour qu'on s'en occupe. La réserve était entretenue par des esclaves ou par des hommes
libres de la maison du propriétaire. On se souviendra que la main-d'œuvre servile va se faire plus
rare. Par ailleurs, on a vu que se développe le système de la corvée, permettant au seigneur de faire
fonctionner son domaine par de la main-d'œuvre gratuite.
Pourtant, peu à peu, ceux qui occupaient les terres du grand propriétaire vont préférer payer la
corvée en argent. Le propriétaire va donc avoir plus d'argent mais moins de gens pour entretenir ses
terres. Il doit donc morceler la réserve pour la répartir à plus de paysans. Il va y avoir de plus en
plus de tenanciers qui vont tenir des mans, des demi-mans, des quarts de mans. Les tenanciers
devront toujours un loyer au propriétaire (cens) payable en nature, en argent ou composite. Avec le
temps, le cens va de plus en plus souvent être payé en argent. Les terres vont être transmise de père
en fils. Les tenures vont devenir héréditaires et être appelées « héritages » (hiritages en moyen
français). Puisque les terres vont rester dans la même famille, on va les gérer dans le temps, les
divisant entre les différents fils si besoin est, les restructurant parfois.
De plus en plus, les tenures vont être considérées comme héréditaires et le cens sera payé en argent.
On va d'ailleurs fixer le cens une fois pour toute et il deviendra en fait plutôt symbolique,

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l'important étant le pouvoir que le seigneur aura sur ses tenanciers.
Le seigneur dispose encore d'une terre de réserve. Il va en faire sa résidence et, avec le temps, il va
la fortifier, la munissant d'une tour défensive et transformant sa demeure en camp fortifié.
Dépendant de la réserve, il y aura un certains nombres d'édifices qu'il va conserver : moulins,
brasseries, etc.

L'aspect juridique vient du bannum royal, en quelque sorte (seigneurie banale, moulin banal, etc.).
Le seigneur, parce qu'il est seigneur, a un droit de regard sur tout ce qui est sur ses terres. Il a aussi
le droit de demander à tous ceux qui sont sur ses terres de payer une taxe à la seigneurie. Tout le
monde (hommes, femmes, enfants) doit payer par capitation (< caput, capitis → par tête), ou
chevage (par chef). On parle aussi de taille, une autre taxe : une personne devant payer cet impôt
étant taillable. Dans l'imaginaire médiéval, on pense que le serf est taillable et corvéable à merci, ce
qui est faux, bien sûr. Ce droit dépasse le droit foncier que possédait le grand propriétaire.
Le seigneur a aussi le droit d'intervenir à quelques moments de la vie de ses gens. Il peut par
exemple s'occuper de la succession ou de la transmission de certaines choses, c'est le « droit de
main-morte ». Ce droit que le seigneur prétend avoir permet au seigneur de prendre ce qu'il veut des
biens de l'héritage d'un mort. Ce droit de main-morte va évoluer vers le « droit de meilleure catel »,
grâce auquel le seigneur peut choisir une pièce dans l'héritage d'un mort sur ses terres.
Le « droit de formariage », lui, peut prendre différentes formes. Le seigneur s'arroge ce droit dans le
cas de mariages interseigneuriaux. Il a aussi le droit de prendre une taxe sur toute vente ou tout
achat dans le cadre de sa seigneurie. Il a aussi le droit de prendre une taxe lorsque l'on traverse sa
seigneurie. Ce droit est un « droit de tonlieu » (< telomeum) (qui va donner le germanique tol, sol
ou le français « douane »). S'il s'agit d'une taxe de passage, on paie ce qu'on appelle dans nos
régions un « droit de winage ». On a conservé des textes sur des tarifs de tonlieu ou de winage.
Encore une fois, ce droit n'est pas foncier mais s'ajoute au droit foncier que le grand propriétaire
possède.
La banalité, c'est le droit qu'a le seigneur d'imposer à ses manants l'usage d'un certains nombres
d'instruments collectifs. Par exemple, il y a dans les seigneuries un moulin banal, seul moulin de la
seigneurie, pour l'utilisation duquel on doit payer une taxe. C'est la même chose concernant les
brasseries, les tavernes, etc.

Tous ces droits dont le seigneur dispose s'ajoutent aux droits fonciers. Pourtant, vont s'ajouter à tous
ces droits des droits ecclésiastiques. Ces droits s'expliquent par le fait que, puisque l'abbaye ou la
paroisse étant sur sa terre, il a le droit de nommer son curé s'il le veut (patronat). Il prend aussi le
droit de lever la dîme, privilège au départ ecclésiastique, au nom de l'église, en redistribuant à
l'église la portion adéquate de cette dîme (portion congrue). Dans la pratique, on considère que le
seigneur redonne si peu de ce qu'il a pris de la dîme qu'aujourd'hui, en français, la « portion
congrue » est considérée comme une petite portion, contrairement à ce qu'en dit la définition.

Tous ces droits cumulent des droits fonciers, d'origine foncière ou reçus de plus haut. Le grand
propriétaire devenu seigneur a un train de vie assez important. Il peut même faire la guerre, devenir
vassal, etc.
Il y a des domaines dans lesquels l'évolution générale des sociétés pousse à la seigneurie. Avec la
réforme grégorienne (où l'on fait la distinction entre église et état), on commence à considérer qu'il
n'est pas normal qu'un seigneur laïc nomme des prêtres et prélève la dîme. Puisque ce sont des
pouvoirs religieux, on commence à considérer que seule l'église peut nommer ses prêtres ou
percevoir la dîme. La pression sociale va être très forte contre les seigneurs, même si les seigneurs
vont vouloir à tout prix garder ces droits, considérant qu'ils avaient tout à fait le droit de nommer un
prêtre dans sa paroisse, comme il nommait son meunier dans son moulin. Il va y avoir pourtant peu
à peu un réel abandon des droits religieux des seigneurs au profit des églises, en échange de

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compensations financières.

En ce qui concerne la taille, etc., on dispose parfois de documents, des chartes de franchise, dans
lesquels les manants parlent avec le seigneur de ce que celui-ci peut garder ou non comme droits.
Jusqu'il y a quelques années, on présentait les charges de franchise comme des chartes obtenues
contre le seigneur après des soulèvements ou des luttes. Les chartes de franchise étaient donc la
marque de révoltes dont les sources ne nous disaient rien mais que l'on pouvait apercevoir grâce à
ces documents. Cependant, aujourd'hui, on considère que la charte de franchise servait les deux
parties, mettant au clair les lois, les limitant. C'était parfois le seigneur qui faisait la démarche de
rédaction de cette charte, selon sa propre volonté, dans la ligne de sa politique.
Ce qu'on trouve dans une charte de franchise, c'est un texte où le seigneur donne un certain nombre
de consignes et d'indications. On retrouve toujours des mesures sur la taille, où l'on définit le prix de
cette taille (que l'on baisse, à l'époque). On note que le droit de main-morte devient le droit de catel
et que le droit de formariage disparaît. Parfois, le seigneur renonce à l'usage d'édifices banaux. On
donne le droit aux paysans de pouvoir profiter de biens communs (bois, etc.).
Certaines franchises pour les villes sont très particulières parce qu'elles fonctionnent avec une
population différente. Les chartes de franchise sont très diverses d'un domaine à un autre.
Un cas fréquent au XIIe siècle dans les régions où l'on connaît des assèchements de terres ou des
défrichements, des déboisements, on se retrouve dans des terres où l'on aspire à trouver de bonnes
conditions pour la culture. Dans ces terres, le seigneur donne des chartes de franchise qui
permettent une immigration nombreuse, réduisant les taxes, etc. Cette pratique est courante en
Hollande ou en Zélande, ainsi que lors de la fondation de villes neuves. Pour que ces villes se
développent, il faut attirer des gens, avec une charte de franchise légère, par exemple.
Parmi ces chartes, il en est une qui est particulièrement renommée, traitant d'un petit village, la
charte de Prisches, village du Hainaut à coté d'Avesnes. Ce petit village bénéficie d'une charte
précoce (1158) qui était assez équilibrée pour qu'elle serve de modèle à d'autres chartes.
Lors de la rédaction de ce genre de chartes, on traite des points comme ils viennent, sans réelle
méthode. Lorsque l'on retranscrit de telles chartes, on classe en paragraphes et en chapitres les
différents articles décidés. Les premiers articles étaient donc ceux qui intéressaient le plus, les
grands enjeux. On supprime certains droits du seigneur mais on s'attarde parfois sur des détails plus
anecdotiques (peine encourue lors de coups, de blessures ou d'injures).
E. Chevalerie
1. Définition
La chevalerie, notion qui se met en place progressivement, concerne dans le Moyen âge classique
toute la classe non-ecclésiastique. C'est une notion en perpétuelle évolution qui aura quantité de
conséquences.
Pour qu'il y ait chevalerie, il faut faire intervenir dans la définition du chevalier des éléments de
nature militaire (le chevalier est un combattant à cheval), de nature sociale (si en théorie, tout le
monde peut être chevalier, les chevaliers sont dans la pratique toujours issus de la noblesse) et de
nature éthique (obligations morales par rapport à l'église et à son suzerain, son souverain et son
pays). De tout cela découle un genre de vie, faisant des milieux chevaliers des milieux ciblés. Sur ce
corps de chevalerie, des institutions de ordres religieux et militaires vont être considérés comme des
figures de chevaliers parfaits (Templiers, Teutons, etc.).

2. Caractéristiques et genre de vie


Un chevalier n'est pas un combattant ordinaire, ayant un cheval ou plus. Le fait qu'il monte à cheval
fait que même physiquement, il se retrouve plus haut que les autres combattants. La violence (signe
de virilité) est mise en avant au Moyen âge. On apprend aux tout jeunes enfants le goût du sang, les
emmenant à la chasse pour les habituer au meurtre. Le chevalier doit travailler pour l'état, devenant
ainsi un miles, un soldat. Il est au service de l'état, de Dieu ou d'un suzerain. Cavalier, il œuvre pour

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le bien de la bonne société. Il a un usage légitime de la violence, puisque soldat. La noblesse peut
employer des milices privées, par exemple, puisqu'ils ont un emploi légitime de la violence.
Il y a dans la chevalerie une composante sociale. Avoir un ou plusieurs chevaux demande un
investissement considérable, c'est-à-dire un niveau de fortune élevé. La chevalerie est par ailleurs
devenue très vite un privilège de la noblesse, même si en théorie, n'importe quel homme libre peut
accéder à ce rang.
Troisième composante qui différencie le chevalier de la masse, l'éthique : le chevalier doit une vie
de service (qui remonte au bas-empire) à l'église, au roi, au pays et à la patrie. En outre, un
chevalier doit également être généreux et donner aux pauvres, à l'Église, dépenser sans compter.

Si les trois composantes sont réunies (cheval, rang social et service), on est chevalier, à condition
d'avoir été adoubé. Les trois composantes n'étant pas réunies avant le X e siècle, on ne peut pas
parler avant cela de chevalerie, même si certaines personnes en ont les caractéristiques.
La société de l'époque se compose de trois éléments, unis autour de Dieu : oratores (ceux qui
prient), bellatores (ceux qui combattent) et laboratores (ceux qui travaillent). Chaque classe
participe au bien-être des deux autres, afin de bien faire fonctionner la société. Pourtant, les deux
premiers éléments sont libres tandis que les laboratores sont asservis. Il y a donc deux classes
dominantes. Les ordres religieux militaires vont unir en un groupe les deux classes dominantes et
présenter ce que la société médiévale a de meilleur.

Dans un milieu de bonne société dans laquelle la place de chacun est déterminée dès la naissance. Si
c'est une fille, on songe très tôt à la marier pour avoir des alliances intéressantes entre familles. Si
c'est un garçon, aîné ou puîné, il fera un métier d'arme, appelé à succéder à son père et à transmettre
le sang qui constitue la famille noble. S'il n'est pas l'aîné ou le puîné, il aura une carrière religieuse
avec un évêché ou dans un monastère. Ce choix fait pour l'enfant déterminera l'éducation de l'enfant
dès le début, avec le baptême : si c'est l'aîné, il portera presque à coup sûr le nom de son père (ce
qui pose le problème de la généalogie pour les enfants suivants qui ne portent souvent pas le nom de
leur père) ou de l'oncle maternel, parent considéré comme le plus proche dans la famille. L'idée d'un
seul parrain ou marraine est tardive : il n'est pas rare qu'un nouveau-né ait plusieurs parrains, dont le
plus important est l'oncle maternel ou le suzerain du père. Une fois baptisé, à quelques mois
d'existence, l'enfant est éduqué chez les femmes jusque six ou sept ans. À cet âge-là, on le place.
L'enfant n'est jamais éduqué dans sa famille, mais souvent chez son oncle maternel, chez le suzerain
du père, chez quelqu'un qui est lié à la famille sans en faire directement partie. L'affection de
l'enfant va d'ailleurs plus souvent chez celui chez qui il a grandi (nutritus) et non à ses parents.
Tant qu'il n'est pas chevalier, il ne peut pas tenir d'épée, privilège de la chevalerie. On lui apprend
néanmoins l'escrime, ainsi que l'équitation, la nage. On lui donne une éducation religieuse, on lui
apprend parfois à lire et écrire, on lui donne des bases de courtoisie. On lui apprend aussi les
rudiments de la chasse. On a dit que le chevalier aime faire couler le sang, la violence étant
omniprésente au Moyen âge.
Tant qu'il est en formation et qu'il apprend le métier de chevalier auprès de son formateur, il a
plusieurs noms : d'abord « valet » (terme encore non péjoratif à l'époque), puis « écuyer » (quand ils
sont à la fin de leur formation et qu'ils sont sur le point de devenir chevalier ; ils ont parfois un rôle
de messager ou d'homme de confiance pour leur maître). Lorsqu'il est enfin prêt à devenir chevalier,
vers quinze ans, pour autant qu'il soit libre, chrétien, en bonne santé (sans infirmité) et qu'il ne soit
pas homme d'église (ceux-ci ne peuvent pas faire couler le sang avec une arme (ce qui n'empêche
pas au temps carolingien que des hommes d'église attaquent à coup de gourdin)).
Le chevalier est adoubé très souvent en groupe, un jour significatif (jour de fête chrétienne, très
souvent le jour de pentecôte (en été, donc)), dans le château de son parrain ou du suzerain père, en
tout cas dans un endroit où l'on peut rassembler des témoins, seuls garants du rang de chevalerie. La
fête qui s'en suit reprend les trois composantes que l'on a expliqué, avec une fête religieuse et

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mondaine qui reprend des aspects militaires. Pour préparer la cérémonie d'adoubement, on a une
cérémonie au cours de laquelle le futur chevalier doit prendre un bain, revêtir un linge blanc, passer
la nuit en prière dans un lieu religieux devant l'autel sur lequel sont posées les armes qu'il recevra.
Au matin, la cérémonie proprement dite commence, avec la remise des armes associée à un discours
moralisateur et moralisé, teinté de religion. Soit avant soit après, le chevalier reçoit la collée, une
gigantesque gifle ou un coup de poing terrible dans la figure, pour qu'il n'oublie jamais la
cérémonie. La fête se compose de duels, de joutes, etc.
Chevalier, combattant à l'épée et au bouclier sur cheval, les choses ne sont pas terminées. Il y a une
étape qui est beaucoup plus caractérisée et plus ritualisée qu'on le penserait, le fait d'être « jeune »,
état de celui qui est chevalier mais qui n'a château ni femme, ni enfant. Cet état peut durer très
longtemps. Guillaume le Maréchal ne s'est marié qu'à quarante ans alors qu'il avait été fait chevalier
à quinze ans.
Lire aussi : Georges Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, réédition chez Fayard, 1984.
Le chevalier « jeune » suit son suzerain et obéit à une série de commandements officieux : le
chevalier est bon chrétien qui croit aux enseignements de l'église et obéit à celle-ci, qui prie
quotidiennement, assiste aux messes et se confesse souvent. Il doit bien sûr protéger l'Église et les
faibles, défendre et aimer son pays, être valeureux, être fidèle aux serments et à sa parole, être
généreux et chercher l'inaccessible vers Dieu. Le chevalier est donc bien un cavalier avec une
éthique qu'il doit développer au maximum. Quand les chevaliers se rencontrent, on respecte
entièrement les règles du jeu concernant la parole et toute l'éthique.

Une fois qu'il est chevalier et qu'il peut exercer librement son métier des armes, ou il se bat
librement ou s'amuse à se battre (chasses, joutes, tournois).
Concernant les tournois, la plus grosse concentration de ceux-ci se trouve entre Loire et Rhin. Il y a
dans un tournoi deux camps avec autant de participants que l'on veut et un équilibre entre les deux
camps. On réquisitionne un champ pour se mettre dessus. Même si la bataille reste un amusement, il
arrive qu'il y ait des morts, puisqu'on se bat à armes réelles. Le principe est simple : le signal donné,
les deux groupes se foncent dessus ; après le premier choc, on fait demi-tour et on recommence à se
frapper sur la gueule. Il s'agit en fait d'un jeu de rôle réel. Comme s'il s'agissait d'une vraie bataille,
il n'y a pas de spectateurs.
La joute, c'est l'évolution et la sophistication du tournoi. La piste de jeu n'est plus aussi vaste,
délimitée par des piquets que l'on palissade (lice). Il y a des spectateurs, le plus souvent des dames.
On ne se bat plus en équipe mais en duel. Le combat durant, on reconnaît les combattants par leurs
armes, leurs blasons et leurs armoiries. Les chevaliers se dotent d'armoiries de plus en plus
réglementées. Les règles de l'héraldique se développent en même temps que celles de la joute se
complexifient. Celui qui connaît toutes les règles de la héraldique, qui est garant des ascendances
d'une famille, etc. est le héraut d'arme.

3. Déclin de la chevalerie au Bas Moyen âge


Plus on avance dans le temps plus on se trouve dans une désaffection de certaines valeurs de la
chevalerie et une sophistication extrême des codes. Ainsi, la joute évolue en « pas d'armes » qui est
beaucoup plus codifiée et qui relève presque du jeu de rôle.
Un chevalier, quand il n'est pas à la chasse, en tournoi, en guerre ou chez son suzerain, se divertit,
organisant des fêtes. Il est aussi baigné par une littérature chevaleresque qui présente des
personnages, des exploits et des modèles souvent imaginaires. Le roman d'épopée ou de chevalerie
restent aujourd'hui des références pour les études de philologie romane mais aussi pour les
médiévistes, puisqu'il regorge d'indications parfois anachroniques mais souvent très intéressantes du
point de vue historique. Épopée et roman de chevalerie cohabitent, surtout vers le milieu du XII e
siècle. L'épopée est destinée à être chantée et entendue, tandis que le roman est destiné à être lu.
Pour l'épopée, la question se pose de savoir exactement ce qui est le plus ancien dans l'histoire de

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l'épopée entre le texte oral et le texte écrit.

La première et la plus connue des épopées est la Chanson de Roland, basée sur un fait historique de
l'époque de Charlemagne. Le texte est correct sur bien des points mais les quelques soldats basques
deviennent un millier de Musulmans, la garnison franque devient armée, Roland se fait trahir par
Ganelon qui est un personnage historique, il a un ami, Olivier, dont on n'a aucune trace, etc.
Comment le chemin s'est-il fait entre le fait historique et le récit final amplifié ? On retrouve
différents manuscrits qui n'ont pas de liens. Les premières épopées correspondent à l'époque et à
l'état d'esprit de la première Croisade. Une dizaine d'épopées tournent autour de la figure de
Guillaume d'Orange, le vassal de Charlemagne, ou des quatre fils Aymon (barons révoltés).
Peu à peu, vers 1150, apparaissent d'autres thèmes mis par écrit d'autres façons, qui mettent en
scène des femmes et la notion d'amour : littérature courtoise. On voit aussi apparaître du
merveilleux, des voyages lointains, des prodiges, des miracles. C'est une littérature qui est faite pour
être lue mais aussi méditée, avec un nombre de vers beaucoup plus important. On trouve dans ces
romans des personnages vaguement historiques, choisis dans l'Antiquité ou autour du roi Arthur.
L'Antiquité, à cette époque, dans l'histoire occidentale est relue avec un regard différent. On a donc
un roman d'Alexandre qui voyage et rencontre des tas de monstres et de peuples étranges, des
romans d'Énée qui fait de mêmes voyages. Le cycle qui se crée autour du roi Arthur, dont on ne sait
pas très bien s'il a été réellement un personnage historique. S'il a existé, c'était sans doute un celte
pro-romain qui combattait les Saxons. Dans tous les cas, les aventures tournent toujours autour du
roi Arthur et ne le concerne jamais réellement. Dans cette littérature de roman de chevalerie,
Chrétien de Troyes est le plus grand des écrivains du Moyen âge, ayant écrit quelques romans qui
sont comme des déclinaisons de ce que peut faire un bon chevalier par rapport aux autres. Il dédie
ses romans à Marie de Champagne et termine sa vie à la cours du Comte de Flandres. Dans ses
romans, on voit apparaître le merveilleux, mais l'élément important de son œuvre est la quête du
graal. Cette quête d'un bonheur mystique et religieux qui transforme la chevalerie en un ordre
presque monastique. Elle sera le mot d'ordre des ordres religieux militaires par la suite. Dans le
roman de la table ronde, la part de plus en plus grande du merveilleux se voit par le développement
de l'importance de Merlin. Le roi Arthur lui-même, qui n'est, selon le roman, pas mort mais attend le
moment où il pourra revenir. Il fait figure de roi idéal et son exemple sera suivi par la dynastie des
Plantagenêts.

Donc, au moment-même où la chevalerie trouve dans les romans de chevalerie son expression la
plus idéale, des bouleversements politiques vont faire changer les choses, comme la Croisade,
l'expédition pieuse et militaire la plus emblématique pour les chevalerie. De la fin du XII e au XIIIe
siècle, les Croisades vont s'avérer être coup sur coup des échecs. Par ses défaites, la chevalerie va
être atteinte en plein dans son idéal. De plus, la chevalerie étant privilège de la noblesse, on va
adouber des hommes n'ayant pas eu de formation de chevalier, des enfants de six ans, parfois. Sans
cette éducation militaire, la chevalerie va se codifier de plus en plus, au contact d'hommes qui
cultivent l'enveloppe chevaleresque. De plus, une nouvelle noblesse de robe fait son apparition,
n'ayant pas reçu de formation militaire mais pouvant prétendre à la chevalerie. Enfin, la guerre se
popularise et des bourgeois prennent les armes, se battant avec des arcs dans des combats dépourvus
de contacts. Les fantassins, eux, se battent avec une haine sociale et une volonté de tuer, alors que
les chevaliers ne sont pas habitués à s'entre-tuer : ils se battent mais ne tuent pas. Ces milices sont
en outre recrutables toute l'année, parfois mercenaires, alors que les chevaliers ne combattent que
quarante jours par an par conviction. Le coup de grâce, ce sont les armes à feu : par exemple,
Jacques de Lalaing qui était un grand chevalier qui remportait tous les tournois se fait abattre par un
boulet de canon, sans même qu'on sache qui l'a tiré. La chevalerie perd tous ses atouts : il n'y a plus
de terre sainte, ils ne sont plus les seuls nobles, ils ne dominent plus les champs de bataille. La
chevalerie va se retrancher dans un monde codifié et de plus en plus centré sur la tradition. La

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noblesse ne tient plus que des postes d'officiers dans l'armée. La volonté de repartir en croisade va
être attisée par la nostalgie de cette nouvelle chevalerie dépouillée de ses valeurs.

Chapitre VI : Histoire religieuse (XIe – XIIIe s.)


A. Introduction
Pour bien comprendre les enjeux de cette époque, il faut souligner trois constantes qui vont
apparaître à tout moment de cette histoire religieuse : premièrement, l'idée qu'apparaît à cette
époque dans le cadre de la réforme grégorienne (séparation état-église et domination église), on
assiste à une redistribution des pouvoirs et une dissociation de pouvoir entre état et église ;
deuxièmement, la totalité de l'église de cette époque est baignée par un climat d'obsession de
réforme morale (lutte contre le mariage des prêtres (nicolaïsme) et contre l'intervention de l'argent
dans le domaine de la religion (simonisme)), qui entraîne une mise en avant de valeurs positives
assimilées aux origines de la religion, considérée comme la plus pure et qui mène à un culte de la
simplicité, de la pauvreté et de l'esprit de partage qui va ensuite devenir un idéal ; troisièmement,
conséquence de la volonté de retour aux origines, un discours de réformes : retour à la règle de
Saint Benoît pour les ordres monastiques. On a une volonté de se retourner vers le passé qui
apparaît comme un idéal.

B. Papauté
On se souvient que le pape est l'évêque de Rome. Le mot « pape » désigne au départ tous les
évêques et est un terme commun. Plus on avance dans le temps, plus l'évêque de Rome va
correspondre à ce terme. Cette montée de l'importance du terme de « pape » va s'accompagner d'une
montée de l'importance de l'homme. Avec le temps, les évêques des autres grandes villes de
Méditerranée (Jérusalem, par exemple) vont perdre leur importance, ces villes étant prises par les
Musulmans. L'évêque de Rome va donc se retrouver comme étant le seul à pouvoir prétendre à une
ascendance plus prestigieuse que les autres. Il devient une autorité morale mais sa parole ne fait pas
office de loi.
Vers le XIe siècle, on assiste à une montée en puissance de l'évêque de Rome, avec un pape qui
devient seul représentant de Dieu, maître du monde. Il devient le seul à pouvoir réunir des conciles,
à Latran. Étant élu par des évêques, sont pouvoir ne peut être remis en question.
En 1095, ce sera le pape qui appellera à la Croisade. Vu que le pape est la représentation de Dieu
sur terre, il peut promettre aux croyants qu'ils iront au paradis si ils combattent pour la chrétienté.

C. Évêques
On observe les mêmes faits au niveau épiscopal : de l'époque mérovingienne jusqu'en l'an mil,
l'évêque est fonctionnaire choisi par le roi. L'église décide avec la réforme grégorienne que la
nomination d'évêques doit passer par le pape. Ce point est tellement crucial que les tensions entre
royauté et papauté se concrétisent lors de cette querelle des investitures. En France en 1098 puis en
Angleterre en 1122 à Worms, l'évêque n'entre réellement en fonction qu'après avoir été consacré par
le pape et avoir reçu les symboles de sa fonction de celui-ci.
En 1215, date du concile de Latran IV présidé par Innocent III, on prend une décision concernant la
nomination des évêques : ceux qui choisissent l'évêque sont les chanoines du chapitre cathédrale,
les prêtres vivants dans la communauté au centre de l'évêché.

D. Monachisme
0. Rappel
Un moine est quelqu'un qui a choisi de vivre hors du monde dans une communauté clôturé et qui a
prononcé des vœux (chasteté et pauvreté). La vie monastique peut dépendre de différentes règles
jusqu'en 816-817, date à laquelle Louis le Pieux décide que toutes les communautés monastiques
doivent choisir un modèle parmi deux, ce qui sépare les choses entre monachisme (règle

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bénédictine) et vie canonique. Certaines abbayes, les plus anciennes, vont renâcler à l'idée de
changer de règle.
Vers le Xe siècle, on va avoir un discours de réforme qui va se manifester. La première abbaye
réformée est celle de Fleury (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire) qui possède les reliques de Saint
Benoît et qui doit donc se montrer très fidèle à la règle de leur patron. L'abbaye de Gorze fut aussi
une des premières à vouloir être réformée, ainsi que d'autres abbayes près de Metz. L'abbaye de
Brogne (aujourd'hui Saint-Gérard, pas loin de Namur), fondée au X e siècle, se crée en vertu des
règles réformées. L'abbé de Brogne sera d'ailleurs appelé par le Comte de Flandres pour réformer
les abbayes de la région. Deux autres, plus connues, sont Cluny et Cîteaux.

1. Cluny
Situé dans le Sud de la Bourgogne, dans les limites alpines de France, une abbaye bénédictine
réformée est fondée en 909-910 par le duc d'Aquitaine, dont le pouvoir à l'époque est au moins
équivalent à celui du roi de France. On décide d'y nommer des abbés particulièrement bénédictins et
que les moines doivent prier pour le fondateur de l'abbaye, pour sa famille, pour le roi, pour la
noblesse et pour tous les chrétiens. Pour cela, l'abbaye de Cluny va développer un soin particulier
dans la prière pour les morts. Elle va aussi décider que la prière ne peut se faire que dans un certain
luxe. Sa réputation va être telle que beaucoup de nobles vont venir de loin et payer pour des prières
à leur nom.
On l'a dit, on choisit bien les abbés. Ils sont nommés jeunes, vivent longtemps et s'avèrent de très
bon gestionnaires. De 910 à 1109, il n'y a que six abbés. Cet aspect de continuité et de permanence
du pouvoir interne a un côté rassurant et permet à l'abbé de jouer un rôle important à la cour, attirant
relations et donations pour l'abbaye. Les donations de terres permettent à l'abbaye de Cluny de
fonder des dépendances, des prieurés. Tous les prieurés de Cluny dépendent d'un seul chef, l'abbé de
Cluny, qui a donc à sa charge deux-mille prieurés dans toute l'Europe occidentale (France,
Angleterre, Espagne, Italie et un peu en Allemagne catholique). Cet abbé de Cluny dirige un ordre
multinational qui est homogène.
En 998, l'abbaye de Cluny obtient le privilège d'exemption, ce qui signifie que l'abbaye devient
indépendante du pouvoir religieux local. Fort de ce pouvoir, les abbés vont influencer la noblesse,
véhiculant des idées de pureté qui seront reprises par beaucoup de monde. Du point de vue oral,
intellectuel ou artistique, Cluny va avoir une influence notable et les églises clunisiennes vont
accorder une grande importance à l'esthétique. Vers 1100, le mouvement clunisien atteint son
sommet. La réforme grégorienne elle-même doit son succès à la pensée de Cluny.
Pourtant, vers cette époque, dès 1070-1080, se développent des mouvements de contradiction qui
vont à l'encontre de Cluny et son luxe, sa présence politique, etc. Ces mouvements prônent la
pauvreté, l'austérité et la sobriété, marqués par la réforme grégorienne. Ils prônent aussi l'humilité
(certains nomment abbé un idiot, d'autres une femme) pour expier leurs fautes. Ces mouvements
bénédictins réformés vont dire que les Clunisiens interprètent mal la règle de Saint Benoît, alors que
ceux la respectent mais mettent certains points en valeur, différemment que ne le font les nouvelles
abbayes bénédictines.
Le mouvement principal est marqué par une abbaye, celle de Cîteaux.

2. Cîteaux
Fondée en 1098, perdue dans une forêt, il s'agit d'une petite communauté austère qui survit loin du
monde. C'est un petit bâtiment fondé par Robert de Molesmes en 1098 qui aurait pu rester mineur
s'il n'avait pas accueilli celui qui deviendra Saint Bernard de Clairvaux. Jeune, Bernard ne savait pas
s'il deviendrait chevalier ou moine. Il décide d'entrer à Cîteaux avec une dizaine de cousins. Il est
lettré, écrit bien et aime écrire, diffuser ses lettres et prendre position sur tous les sujets. Bernard a
un tempérament dur, n'acceptant pas le compromis. Il va attaquer les Clunisiens, défendant la
sobriété, la pauvreté. Son discours va tellement plaire qu'on va développer une légende, faisant des

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Cisterciens des pionniers, ce qu'ils ne sont pas. Un certain nombre de personnes vont accrocher à ce
discours et faire des donations à l'abbaye. Cîteaux va alors créer des dépendances en accord avec
leurs principes, non pas des prieurés mais des abbayes-filles, dont les quatre premières sont toutes
fondées en Bourgogne :
Cîteaux (1098)
La Ferté (1113) Pontigny (1114) Morimond (1115) Clairvaux (1115)
Ce schéma familial va avoir beaucoup d'influences, remplaçant le système des chapitres et des
prieurés. Dans chaque abbaye-fille, on a des communautés composées d'un abbé et de douze
moines, nombre hautement symbolique. Une abbaye-fille va prendre de l'importance par rapport
aux autres, celle où s'installe Bernard : Clairvaux. Cette abbaye aura elle aussi une filiation
importante, dans nos régions par exemple. Tous les ans, une réunion de tous les abbés de toutes les
abbayes aura lieu pour discuter de la conduite commune à tenir, lors d'un chapitre annuel.
Très vite, on se rend compte que même si les moines doivent travailler de leurs mains, une aide
serait la bienvenue. On fait appel à des « convers », des hommes qui sont dans l'abbaye mais pas
tout à fait, qui vivent dans l'abbaye mais se chargent des travaux manuels. Ce système va lui aussi
plaire et sera repris par leurs contemporains.
Les Cisterciens seront aussi très engagés dans la vie quotidienne
(défrichage, etc.). Tout cela fait qu'en 1153, à la mort de Bernard de
Clairvaux, ils seront trois-cent-cinquante abbayes-filles. En 1300, ils
auront mille-cinq-cents institutions filles de l'ordre cistercien, en
Allemagne notamment, où l'ordre cistercien a fait beaucoup d'émules.

E. Chanoines
Le chanoine n'est pas un moine. Il ne vit pas retiré mais dans la ville.
Un rassemblement de chanoines s'appelle un chapitre. En 816-817, on
prévoit pour les communautés de chanoines la règle d'Aix qui dit que
ces chanoines doivent former une communauté autour d'une église,
d'un dortoir, d'un réfectoire et d'un revenu communs (prébende
commune). De plus, ils doivent s'occuper d'un hospice et d'une école.
Un certain nombre de chapitres va accepter cette règle, même si elle est
difficile à tenir, puisque le modèle ressemble beaucoup à la vie
monastique. Bien des chapitres seront peu enclins à suivre cette nouvelle règle. Petit à petit, les
chapitres, entre le IXe et le XIIIe, vont abandonner les dortoirs ou les réfectoires communs. Ils vont
aussi avoir tendance à vouloir gérer leur prébende commune (argent) de façon individuelle ou à en
faire quelque chose d'individuel. Or, la mode n'est pas à l'individualisme : le mouvement grégorien
prône la vie en communauté et une certaine austérité morale. On veut revenir aux bases posées en
816.
Pourtant, le modèle plus ancien étant issu d'un empereur, on ne veut pas accepter de donner raison à
l'impérialisme, de quelque façon que ce soit. On cherche un texte chrétien venant se substituer à
cette règle impériale. On trouve un texte de Saint Augustin qui dit la même chose que le décret
impérial. Il va donc y avoir réforme du système. On parlera alors de chapitres réguliers, suivant la
règle de Saint Augustin. D'autres chapitres, les plus gros et les plus riches, les chapitres cathédraux,
refusent de changer leur système. Ils deviennent alors des chapitres de chanoines séculiers,
individualistes.
Les chanoines réguliers reviennent à l'idée de communauté, devenant presque des moines. Ils vont
être séduits par le modèle cisterciens et trouver que la manière de vivre des Cisterciens correspond à
la logique d'acceptation de la règle de Saint Augustin. Un certain nombre de chanoines vont créer
des ordres de type cistercien. Trois sont plus connus : les chanoines de Saint-Victor, à Paris, qui
auront une influence importante sur la théologie ; ceux de Saint-Ruf qui eut une grande influence

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dans le Sud de la France ; chez nous, ce sont ceux de Prémontré, fondée par Norbert (†1134) qui
décide de devenir prédicateur et court les routes pour prêcher la bonne parole. À un moment, on lui
dit qu'il prêche bien et qu'on va lui donner une plaine à Prémontré où il fonde en 1120 une
communauté de chanoines réformés. Cela se passe en plein moment de la montée en puissance de
Cîteaux. Norbert va faire de son abbaye quelque chose de proche de l'ordre cistercien. Il va
reprendre la symbolique cistercienne du vêtement blanc. Pour faire tout à fait monastique, il va
donner au chef des chanoines le titre d'abbé. Prémontré aura le même succès que Cîteaux. Très vite,
il va aussi avoir des abbayes-filles, dont l'abbaye de Floreffe qui aura aussi des abbayes-filles, dont
Leffe. On a donc un ordre de chanoines régulier qui a une vie de type monastique qui reprend à
Cîteaux son type de gestion. Vers 1300, on compte en Belgique 600 abbayes de l'ordre de
Prémontré, quelques unes en France et un peu plus en Allemagne.

F. Croisades et ordres religieux militaires


Jusqu'à présent, on a parlé d'ordres issus directement de l'Antiquité, depuis le IV e siècle.
Apparaissent vers le XIIIe des ordres qui tiennent d'un phénomène nouveau : Croisés, Templiers,
Hospitaliers et Teutons.

1. Croisades
Le mot « croisade » a aujourd'hui beaucoup de sens différents. Le sens du mot « croisade » possède
nécessairement un aspect religieux et un aspect militaire. La question de savoir celui qui l'emporte
sur l'autre fait débat. On pourrait considérer que la croisade doit d'abord être définie comme un
pèlerinage religieux. À la base, il s'agit d'un phénomène lié à la pénitence et à la rédemption du
fidèle. Pour qu'il y ait croisade, il faut que les combattants aient été appelés par le pape, que le
message soit marqué du sceau de la chrétienté, afin que ceux-ci obtiennent des facilités avec la
bénédiction du pape. Notre point de vue sera celui du pèlerinage en armes.
Le pèlerin dessine une croix sur son vêtement, sur son bouclier, etc., faisant de lui un crucis
signatus (« signé de la croix »), un croisé. La croisade n'étant pas une guerre, les vassaux ne sont
pas obligés de suivre leur suzerain en croisade. C'est une démarche personnelle. Le croisé reçoit
l'absolution. La Chrétienté a dû justifier pour cela la violence employée par les Croisés.
Si on en arrive à ces croisades, c'est parce que la religion catholique se montre extrêmement
intolérante face aux autres religions. Dans ce contexte, la prise des armes contre les infidèles est une
conséquence logique. D'autre part, la société médiévale étant très manichéenne, il n'existe que des
bons et des mauvais. Si on est le bon, l'autre est le mauvais et l'on peut aller le massacrer dans la
joie et la bonne humeur. Enfin, Jérusalem est terre de pèlerinage depuis le début du christianisme.
Parfois, les pèlerinages se font plus difficilement sous le pouvoir musulman, ce que l'empereur de
Byzance acceptait assez mal, étant le premier concerné puisque le plus proche de l'endroit.
De plus, la réforme grégorienne faisant de l'Église une institution qui contrôle tout, le pape reçoit un
pouvoir sans précédent qui lui permet de diriger les foules.
À partir du Xe siècle, l'Église s'est mêlé de paix publique et a essayé de contrôler une forme de
violence en France, où il y a un pouvoir moins centralisé. Après l'an mil, des institutions religieuses
unissent princes territoriaux et Église pour la création d'institutions de paix : la Paix de Dieu et la
Trêve de Dieu. La Paix de Dieu apparaît dans le sud de la France et se répand, avec l'accord de
l'Église et des princes territoriaux. On se met d'accord pour dire que la Paix de Dieu garantit que les
non-combattants doivent être protégés de toute violence (femmes, enfants, vieillards). La Trêve de
Dieu concerne les jours où l'on ne peut pas se battre, le dimanche ni le samedi, jour de préparation
du dimanche, ni le lundi, jour suivant la messe, ni les jours de fêtes liturgiques. Progressivement, le
nombre de jours de combat autorisés devient dérisoire. Cela pose un problème, puisque la
chevalerie se développe à ce moment, sans qu'elle puisse combattre, puisqu'on ne peut pas se battre
entre chrétiens. Dans ces circonstances, la croisade est vue comme une solution, puisqu'ils peuvent
faire leur preuve contre des infidèles qu'ils ont le droit de combattre avec la bénédiction de l'Église.

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On se souvient que l'Église des premiers siècles est une Église de non-violence. Le chemin de la
non-violence à la permission du combat et à la légitimation de violence a été long. Après les
premiers temps, lorsque tout le monde est devenu chrétien en Europe occidentale, il a fallu
entretenir une armée pour défendre la religion. On a donc défini certains contextes où la violence
est autorisée pour défendre le christianisme, une guerre juste. On a ensuite élargi le concept,
justifiant que le christianisme utilise la violence pour faire triompher la religion.
Toutes les conditions sont réunies pour lancer la première croisade. L'étincelle qui met le feu aux
poudres, c'est le prêche, en 1095 en France, d'Urbain II, un Clunisien. Alors qu'il est à Clermont, il
apprend que l'empereur de Byzance est en difficulté face aux Musulmans. Il fait un sermon (que
personne n'entend, vu les conditions d'un discours à l'époque) qui enjoint les fidèles à partir en
Croisade. Dans la logique de l'époque, on se demande pourquoi les chrétiens ne vont plus à
Jérusalem : c'est que Dieu l'a voulu. Pourquoi ? Parce que l'Occident est impur. Comment se
purifier ? En trouvant des boucs émissaires : les Juifs que l'on massacre en Rhénanie. Par la suite,
l'occident étant purifié, les princes territoriaux s'en vont en croisade.
Ils vont à Byzance, refusent pour la plupart (sauf Godefroy de Bouillon et quelques autres) de
combattre pour Byzance. Ils s'en vont vers Jérusalem et, assez étonnamment, gagnent leurs batailles
et conquièrent Jérusalem. On explique cette victoire par l'opiniâtreté des Croisés d'une part et le
manque d'union chez les Musulmans de l'autre. Une fois Jérusalem tombée, seul Godefroy de
Bouillon accepte de faire des terres conquises propriétés du pape, devenant l'avoué du pape.
Godefroy meurt un an plus tard et les autres princes territoriaux rappliquent, élisent Baudouin, frère
de Godefroy, roi de Jérusalem et créent des états romains occidentaux à Jérusalem.
Toutes les autres croisades vont échouer. On va en déduire que Dieu ne le veut plus. Godefroy de
Bouillon va devenir un modèle, celui qui a réussi à conquérir Jérusalem. Il va être mis sur le même
pied que Charlemagne comme un chevalier modèle.
La deuxième croisade débute en 1140 avec la reprise d'Édesse par les Musulmans. Pour la reprendre
on décide que l'on peut continuer les conquêtes. Le roi de France et l'empereur d'Allemagne partent
en croisade et confient leurs terres à des régents, des abbés bénédictins. Jérusalem tombe sous les
coups de Saladin. On est en 1187, à l'apogée de la chevalerie (Chrétien de Troyes écrit Perceval ou
le Conte du Graal) et tout le monde veut partir en croisade. Les trois grands rois d'Europe partent :
Philippe II Auguste, Richard Ier Cœur-de-Lion et Frédéric Barbe-rousse. C'est un échec : Barbe-
rousse meurt en mer, Philippe II est découragé et Richard Ier négocie un accord avec Saladin puis
est pris en otage lors de son retour.
La quatrième croisade a peu de succès, vers 1200, et on cherche des fonds pour financer cette
croisade. Le doge de Venise est prêt à financer la croisade si les Croisés acceptent d'aider la ville de
Venise dans quelques affaires. Venise demande de débrouiller les affaires à Byzance où se pose un
problème de succession. Les Croisés font le siège de Byzance, prennent la ville et la mettent à sac,
pillant les églises. On se retrouve dans une situation délicate, puisque les Croisés se retrouvent en
quelque sorte plus coupables encore qu'ils ne l'étaient au départ, ayant attaqué des Chrétiens.
En 1291, Saint-Jean-d'Acre, dernière place-forte croisée, tombe et signe la fin des croisades.
Dans ce contexte de défaites successives, des institutions apparaissent, ayant pour but de maintenir
une présence religieuse et militaire dans l'état latin de Jérusalem.

2. Ordres religieux militaires


Jusqu'à présent, il n'y avait que deux grandes options en matière d'ordre religieux : monastique ou
canonial. En plus de ces deux modèles apparaît un troisième, naissant d'un état de fait implicite :
ceux qui sont partis en croisade faisaient partie de la noblesse et étaient partis avec l'idée de revenir
au pays par la suite, tandis qu'une autre partie était la jeune chevalerie, dont une partie rentrera au
bercail, mais dont l'autre restera sur place afin de faire carrière. Ces jeunes chevaliers qui restent, la
plupart veulent rester chevalier tout en marquant leur vie par un attachement plus fort que les autres
à la religion : faire partie d'un ordre religieux tout en gardant le droit de se servir de leurs armes.

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L'Église, elle, est très désireuse de tels chevaliers qui pourraient garder Jérusalem, protéger les
pèlerins, etc. De cette conjonction d'intérêts va apparaître un ordre religieux militaire important, les
Templiers.

1. Templiers
Au départ, il s'agit d'une poignée de chevaliers du nord de la France qui va demander à l'autorité
religieuse suprême de Jérusalem de pouvoir s'installer près du palais du roi, bâti sur le site du
temple de Salomon, d'où leur nom. On fait d'une variante de la règle des chanoines une règle pour
les Templiers, même si ça ne correspond pas vraiment aux faits. Le mouvement va prendre de
l'ampleur, rejoint par d'autres chevaliers. On va avoir dans l'idée que l'on passe avec les Templiers
d'une chevalerie barbare et violente à une chevalerie du Christ, ceux-ci étant à la fois oratores et
bellatores.
Saint Bernard de Clairvaux va mettre en avant les qualités des Templiers et travailler à mettre au
point une règle pour les Templiers. En 1128, à Troyes, on reconnaît les Templiers comme ordre
religieux, avec une « règle des frères de la milice des pauvres chevaliers du Christ ». Cette règle
tient des chanoines et des cisterciens tout en gardant les valeurs de la chevalerie : ils ne peuvent pas
faire de prouesse, ne peuvent pas fuir l'ennemi, etc. L'ordre religieux militaire va être très
hiérarchisé et dépendra directement du pape, ne devant rendre de compte qu'à celui-ci.
Cette ordre des Templiers va se développer à une vitesse phénoménale à Jérusalem mais aussi en
Occident (Angleterre, France, Italie), puisqu'il faut des lieux de recrutement, des commanderies,
établissements templiers pour gérer les dons et les nouvelles et anciennes recrues. On connaîtra
beaucoup de commanderies, lieux prisés par la noblesse qui deviendront assez riches. Les Templiers
vont croître en nombre et en puissance. Quand on parle des Templiers, on parle des chevaliers-
templiers, de vrais chevaliers qui ont une formation religieuse, mais il y a aussi des frères seconds
(neuf pour un chevalier-templier), dont des chapelains. L'ordre religieux se développe avec la
bénédiction du pape et, avec la troisième croisade, va être perçue comme la milice de Dieu, la
chevalerie parfaite. La plupart des gens de la bonne noblesse aspirera à devenir Templier, même
pour quelques jours. Dans la littérature chevaleresque de Chrétien de Troyes, les chevaliers qui
protègent le Graal correspondent à une image idéale des Templiers.
Tout ceci va donner une certaine puissance aux Templiers, ainsi qu'une grande richesse, utilisant à
merveille toute la technologie économique du moment. Ils sont partout : ils gardent le tombeau du
Christ. Malgré tout, les croisades sont perdues coup sur coup, malgré la chevalerie idéale qui
défendait la terre sainte. On commence à jaser, d'autant plus que les Templiers ont un rôle important
dans l'économie des grands pays. Cette puissance templière politique et économique apparaît
comme déséquilibrée. On en vient à considérer que l'ordre n'est pas très catholique. En 1307,
Philippe le Bel, entouré de son équipe centraliste et anticléricale, lance une grande opération
policière, avec une arrestation en France de tous les Templiers par ordre du roi sur base d'une
accusation développée avec soin. Les Templiers sont arrêtés, accusés, torturés, etc. Le pape, en
Avignon, ne sait pas quoi décider. En 1312, il décide de supprimer l'ordre des Templiers,
redistribuant les biens de ceux-ci à d'autres ordres religieux, dont celui des Hospitaliers. Jacques de
Molay, en 1314, réfute les accusations du roi et ses propres aveux qu'il a fait sous la torture, ce qui
lui vaut d'être considéré comme relaps et d'être brûlé. Le roi de France, contrairement à ce que l'on
pense couramment, n'a pas récupérer la fortune templière mais a vu ses dettes annulées, comme
pour tous les clients des Templiers, ceux-ci ayant vécu une sorte de « faillite ».
En moins de deux siècles, les Templiers ont marqué les esprits, par leur réussite et leur chute
brutale.

2. Hospitaliers
Les Hospitaliers de Saint-Jean remontent à un hôpital (structure d'hôtellerie et des logement) créé à
Jérusalem vers 1070 pour les chrétiens allant en terre sainte, avant que la ville ne soit interdite aux

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chrétiens. Quand Jérusalem tombe en 1090 aux mains des Turcs, l'hôpital disparaît jusqu'en 1099 où
il reprend son rôle premier, Cet ordre caritatif est accepté et reconnu comme ordre religieux en
1113. Leur règle de vie est celle des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Avec l'apparition des
Templiers qui ont le droit de porter des armes, ils réclament le droit d'avoir un statut comparable à
celui des Templiers, droit qu'ils obtiennent en 1137. Les Hospitaliers vont se structurer comme les
Templiers, tout en maintenant le système caritatif.
Les Hospitaliers sont seconds dans l'ordre d'importance, ce qui leur permettra de passer entre les
mailles du filer qui se resserre peu à peu autour des Templiers. Avec la reprise de la terre sainte et la
chute de Saint-Jean-d'Acre, en 1291, les Hospitaliers restent près de la terre sainte, à Chypre,
jusqu'en 1309. Lorsque Chypre est conquise, ils vont à Rhode où ils restent et développent une
architecture encore visible aujourd'hui. Ils y restent jusqu'en 1523, date à laquelle Rhode tombe aux
mains des Turcs. En 1530, ils s'installent à Malte où ils existent encore aujourd'hui. Leur siège se
trouve néanmoins à Rome depuis Napoléon.
Ils restent donc en place même avec la chute des Templiers dont ils profitent en récupérant une
partie de leurs biens.

3. Teutoniques
Cet ordre est globalement moins bien connu, même si dans nos régions, on en a connu les
extensions. Leur histoire est différent de celle des Templiers et des Hospitaliers. En 1180, les
chevaliers teutoniques trouvent leur origine à des œuvres caritatives à Jérusalem et Saint-Jean-
d'Acre. Les Teutoniques arrivant très tard dans le paysage religieux-militaire, ils cherchent une autre
façon d'extérioriser leurs forces. En Allemagne, ils remarquent qu'il existe d'autres infidèles à l'Est
de l'Allemagne. Ils vont donc se concentrer sur les rives de la Baltique, ayant l'autorisation du pape
et de l'empereur Frédéric II de constituer en principautés les terres qu'ils pourront conquérir au-delà
de la Vistule. Une grande principauté va se construire contre les païens. Quand la terre sainte tombe
en 1291, les Teutoniques ont déjà leur lieu de reconversion. Ils restent dans la Baltique avec la
conviction que leurs combats bénéficient d'un statut de croisade. Ils vont même rester le point de
référence de tous ceux qui veulent faire de vraies croisades alors qu'il n'y a plus moyen d'en faire au
Proche-Orient. On a des centaines d'exemples de chevaliers qui partent de nos contrées pour la
Prusse où ils vont conquérir des terres. Les Teutoniques s'implantent économiquement mais aussi
politiquement. Au bout de leurs conquêtes, les forces teutoniques vont rencontrer les forces
polonaises et russes, autres entités chrétiennes.
En 1525, au moment où apparaît une autre version de chrétienté avec le lutheranisme, le grand
maître teutonique, Albert de Brandebourg, décide de passer à la réforme et devient luthérien,
coupant les amarres avec le pape mais non pas avec l'empereur. La principauté devient seulement
politique, correspondant au duché de Prusse. Seule une commanderie reste encore dans la partie
catholique, aux Pays-Bas (Aldenbisen, près de Hasselt), jusqu'à ce que Napoléon autorise la famille
autrichienne à nommer un grand prince comme maître de l'ordre.

G. « Hérésies »
La première chose qui apparaît à la fin du premier millénaire, c'est une volonté de séparer l'Église
qui défend une certaine pureté d'avec l'État, corrompu. N'oublions pas qu'à l'époque, on partage le
monde entre Paradis et Enfer, entre anges et démons, entre Bien et Mal. Le Puragtoire, par exemple,
n'apparaît dans les conscience qu'à la fin du XIIe siècle.
Tout au long de l'histoire religieuse, on va vouloir un retour au christianisme des origines, le
christianisme néo-testamentaire du Ier siècle de notre ère.
Aux XIe, XIIe et XIIIe siècles apparaissent de plus en plus de mouvements religieux qui sont taxés
d'hérésie. Cette efflorescence d'hérésies se comprend aujourd'hui comme la conséquence du
renforcement du pouvoir de l'Église et non pas la naissance ex nihilo de mouvements contestataires.
Dans la mesure où le pape devient tout-puissant et ne parle plus que d'une seule voix et les ordres

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marginaux qui parlent d'une autre voix sont considérés par rapport à une norme qui se durcit.
Ces mouvements condamnés se revendiquent comme chrétiens, comme véritablement chrétiens par
rapport à une église qui trahit le mouvement chrétien originel. Dans le schéma que nous venons de
voir, quiconque n'est pas avec le pape se dresse contre lui et incarne donc le mal.
Celui qui surveille ces mouvements marginaux est l'évêque qui juge des déviances. Jusqu'au XI e
siècle, les seules peines contre les déviants se résume à la mise au pain sec et à l'eau ou à l'envoi en
pèlerinage. Par la suite, vers la fin du XIIe siècle, la condamnation à mort par le bûcher va se
développer.

1. Vaudois
Le premier mouvement à être condamné est exemplaire en matière d'ambigüité du discours
catholique. Le mouvement est créé par Pierre Valdo, marchand vivant vers 1170, laïc qui demande
et obtient l'autorisation de commenter les écritures et faire des discours. Il lit le Nouveau Testament
et voit que le Christ est le seul chef de l'église, que n'importe qui peut parler au nom du Christ pour
autant qu'il soit en accord avec le message de celui-ci. Ce discours dérange la papauté, surtout
lorsqu'il va remettre en cause les sacrements, le rôle des évêques, etc. Le mouvement va être
dissous, ses adeptes pourchassés et condamnés au bûcher.
Sous la Réforme, le mouvement réapparaîtra et existe encore aujourd'hui.

2. Cathares
Les Cathares sont des personnages qui se disent chrétiens et bons chrétiens. Ils se situent surtout
dans le Languedoc, autour de Montpellier, Toulouse et Béziers.
Un cathare présente le monde de manière dualiste. Se faisant, il s'inscrit dans une tendance générale
du catholicisme. Il va cependant plus loin que la dichotomie entre Bien et Mal, considérant que
Dieu ne peut pas être totalement bon s'il englobe la totalité de la réalité. Si un Dieu tout-puissant et
infiniment bon avait existé, il n'y aurait pas pu avoir de mal sur Terre. Il existe donc une autre
puissance qui s'oppose à Dieu : le Diable. Comme l'Ancien Testament dit que le monde a été créé
par Dieu et que les Cathares réfutent cela, ils réfutent par là l'Ancien Testament. Comme il existe
deux entités, l'homme est coincé entre ces deux entités. L'âme humaine est divine et immatérielle
tandis que le corps est création diabolique et périssable. Il ne faut, selon les Cathares, pas se
reproduire. Quand l'âme est libérée du corps, elle va au Paradis ou va en Enfer, qui est sur Terre, et
se réincarne. Dieu est immortel et ne peut pas mourir. Il ne peut donc pas se réincarner, ce qui
empêchent les Cathares de croire en la nature divine du Christ. Au niveau des sacrements, les
Cathares considèrent que le baptême qui est là pour laver l'homme du pécher originel n'a pas de
légitimité. Le mariage, la fornication autorisée et œuvre des corps, est condamné.
Ils partent d'un point de vue bien catholique pour ensuite partir dans des considérations
complètement opposées à l'église papale.
Les Cathares sont sensibles à la pauvreté, contre le serment, etc. Le monde religieux des Cathares
apparaît donc comme un monde très attirant parce que puriste dans l'optique catholique duelle.
On trouve les premiers Cathares vers 1120-1130 et le premier à les condamner est Saint Bernard. Le
mouvement va cependant se développer dans le Sud-ouest de la France. Ils forment un mouvement
très minoritaire (5% de Cathares dans les villes les plus sensibles à leurs idées), avec une réaction
complètement disproportionnée à ce qu'ils ont suscité. Le courant fait peur à l'Église, puisqu'il sape
les bases de celle-ci tout en proposant un modèle moral logique et cohérent.
Le comte de Toulouse ne tient pas à intervenir contre les Cathares qui ne font rien de mal à
personne. Les évêques ne tiennent pas non plus à intervenir, ne voulant pas s'opposer à un modèle
moral cohérent. Le pape envoie des légats pontificaux qui sont très mal accueillis par les évêques.
La position du pape, Innocent III, se durcit et celui-ci prend des dispositions. On est à l'époque de la
faillite de la quatrième croisade et Innocent III appelle un mouvement contre les Cathares auquel il
donne un statut comparable au mouvement de la croisade en terre sainte. Il appelle en 1207 à une

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croisade contre les Albigeois, du nom de la ville principale des Cathares, Albi. Ceux qui vont
prendre part à cette croisade sont ceux qui ont participé à la quatrième croisade qui a fait beaucoup
de déçus. Celui qui est le plus intéressé contre une croisade sur les terres du Comte de Toulouse,
c'est Philippe-Auguste qui encourage cette croisade contre les Albigeois en incitant les princes
territoriaux du nord de la France à participer à cette croisade intérieure.
La croisade contre les Albigeois débute avec un grand contingent de forces françaises. Le problème
est que les Cathares sont partout et peu nombreux. De l'autre côté, le comte de Toulouse se révolte
contre l'autorité royale. L'affrontement devient politique et ne se terminera que vers 1230. Trouver
les Cathares s'avère très difficile et on décide d'un massacre généralisé (« Tuez-les tous, Dieu
reconnaîtra les siens »). La croisade va durer jusque sous le règne de Louis IX. Après le siège de
Montségur, en 1244, les Cathares se rendent et, après avoir refusé de rentrer dans le rang, sont
brûlés sur le bûcher.
Pour éradiquer complètement le monde cathare, il faudra plus que la simple violence et l'Église
prendra d'autres mesures. Le mouvement était assez infime mais portait un danger important contre
les bases-mêmes de l'Église.

H. Ordres mendiants
On considère que l'Église n'incarne pas bien la pauvreté. On critique l'Église, surtout dans les villes
aux XIIe et XIIIe siècles. Les villes prennent de plus en plus d'importance, avec de plus en plus de
gens qui y travaillent, dans les trois secteurs. Dans ces villes, l'Église catholique grégorienne et
exigeante a peu de place. Cette réforme grégorienne fonctionne bien dans les campagnes, mais dans
les villes, les chapitres séculiers ne l'acceptent pas. C'est dans les villes que le mouvement
apostolique, considéré comme hérétique, se développe (le mouvement cathare est avant tout un
mouvement urbain). On prend comme cible de réforme le secteur caritatif et le secteur éducatif.
C'est pour couvrir ces secteurs que les ordres mendiants apparaissent, insistant sur certaines valeurs
morales.
Ces ordres mendiants sont les Franciscains et les Dominicains, même s'il en a existé bien d'autres.
Ils apparaissent au même moment, peu après 1200, mais pas au même endroit ni avec les mêmes
buts. Chaque ordre va prendre un secteur de la société (enseignement et caritatif) et chaque
mouvement sera complémentaire de l'autre. Ils vont connaître tellement vite un tel essor qu'ils vont
se répandre dans toute la France.

1. Dominicains
Ordre fondé par Saint Dominique (1170-1221), chanoine de cathédrale vivant en Espagne. Celui-ci
est invité à participer à des tournées de prédications près de Toulouse, arguant que l'Église peut
répondre aux questions cathares. La prédication est raisonnée et théologique. Le pape, Innocent III,
est très content de cette action de prédication et encourage Dominique qui va être amené à fonder
un couvent près de Montpellier, à Fanjeaux. En 1215 est fondé un autre couvent à Toulouse. Depuis
ces deux couvents, Innocent III fait passer au concile de Latran l'idée que ces prêcheurs peuvent
fonder un ordre spécifique de prêcheurs dans les villes, l'ordo praedicatorum, suivant la règle des
chanoines réguliers, même s'ils ont comme spécificité la prédication et l'enseignement. Les
Dominicains sont depuis toujours des gens de raison et d'action. Dès le début, ils seront pris dans le
grand mouvement de lutte contre l'hérésie. Ils ne vivent pas hors du monde, leur supérieur ne porte
pas le titre d'abbé : on parle de couvent dominicain.
Cet ordre dépend directement du pape et ne doit répondre de ses actions qu'auprès de celui-ci. Ils
sont très impliqués dans le mouvement des universités dans les années 1220, particulièrement dans
les facultés de théologie. Par ailleurs, installés en terre cathare pour combattre l'hérésie, ils vont
bénéficier de droits particuliers pour interroger les hérétiques de façon à leur faire abjurer leur foi :
l'inquisition.
L'inquisition se donne pour rôle de rechercher celui qui n'est pas dans la norme. Ce pouvoir

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d'inquisition existe de tout temps. La nouveauté est qu'on crée des tribunaux devant lesquels on
astreint les gens accusés d'hérésie pour les interroger. L'idée première de l'inquisition n'est pas de
supprimer l'hérétique mais de le faire rentrer dans le droit chemin. Le tribunal d'inquisition a le droit
d'interroger les gens pour savoir où ils se trouvent sur le chemin de l'Église catholique. Le travail de
l'inquisition s'arrête lorsqu'on a fait l'état des lieux de la foi de l'interrogé. Si l'hérétique persiste, on
dresse le constat et on envoie les conclusions de l'interrogatoire à l'état qui applique la sentence : le
bûcher. Dans le cadre de l'inquisition, les Dominicains ont même le droit à partir de 1232 d'utiliser
la torture pour questionner l'accusé.
En matière d'enseignement, les Dominicains vont mettre au point des encyclopédies, des œuvres de
référence, etc. Ces documents sont très riches et très précieux pour les historiens. Les Dominicains
vont mettre au point des exempla (exemples), des récits d'exemplification pour les prédications.
L'idée de la table des matières et des index est développée par ces mêmes Dominicains. Grands
intellectuels, les Dominicains comptent parmi leurs rangs des grands théologiens, comme Saint
Thomas d'Aquin qui fut professeur dans cette discipline à la Sorbonne. Les Dominicains prêchent et
manient donc très bien la langue. L'organisation tient d'ailleurs compte des facteurs linguistique
entre eux.

2. Franciscains
Au centre-nord, à Assise, ville marchande, naît François, fils de marchand appelé à reprendre le
flambeau de son père. Instruit, ayant songé à une carrière militaire, il change du tout au tout après
avoir rencontré un lépreux et décide de centrer sa vie sur plus de moralité. François multiplie les
gestes spectaculaires pour montrer qu'à titre personnel, il est pauvre. Il n'hésite pas, pendant
l'absence de son père ou de son oncle, à distribuer les marchandises gratuitement aux gens ou à se
mettre nu pour montrer que la richesse n'est rien, à considérer tous les êtres vivants comme égaux,
etc. On l'a cru un moment fou mais le pape lui confie malgré tout un mouvement en 1223, l'ordo
fratrum minorum (« ordre des frères mineurs »), dont le but est l'assistance aux pauvres et à qui il
faut trouver une règle. Les Franciscains ne sont pas prêtres et on permet à François de rédiger une
règle nouvelle pour son ordre, insistant sur la charité. Les Franciscains ne seront pas des
intellectuels mais des gens sensibles à la misère ou au dénuement.
La règle et la façon d'être de François est tellement contredites qu'après la mort de celui-ci, on
réécrit l'histoire et la règle de l'ordre. François se positionnait clairement contre l'état. À sa mort, il a
fallu choisir entre rester en marge de la société ou rentrer dans le rang.
Il a existé des franciscaine, dont l'ordre est fondé par sœur Claire, les clarisses.

Les deux ordres sont extrêmement différents mais leur complémentarité est parfaite. Les uns
comblent les vides laissés par les autres. Au Moyen âge, chaque ville comptera au moins un couvent
dominicain et au moins un couvent franciscain. Pour Legoff, la présence de ces couvents permet
d'ailleurs de distinguer une ville d'un village.
Ces deux ordres vont amener à eux un tiers-ordre, en plus de l'ordre masculin et l'ordre féminin, des
sympathisant aux ordres qui les aident si possible.

Chapitre VII : histoire intellectuelle (XIe – XIIIe siècle)


Dans la suite de l'histoire des Dominicains et des Franciscains, on voit apparaître des universités et
des courants de pensée rationnelle qui auront de belles filiations.

1. Universités
Le mot « université » vient du latin universitas, synonyme rigoureux de communas, la communauté.
L'université concerne donc un type d'enseignement où l'on regroupe en une corporation tous ceux
qui sont concernés par l'éducation.
Avant les universités, il y a des écoles comme il y en a toujours eu. Depuis le IVe siècle, les écoles

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sont confiées à l'église. On trouve donc des écoles associées aux églises, aux monastères (tout
monastère doit avoir au moins une école (une pour les moines mais il peut y en avoir une pour les
gens extérieurs au monastère), etc. Toutes ces écoles dépendent d'une église. Dans une abbaye
monastique, c'est l'abbé qui nomme le professeur, l'écolâtre (scolasticus). Dans le chapitre, c'est le
prévôt qui désigne le professeur. Ces écoles peuvent être de très haut niveau : il n'y a aucune
différence entre les écoles monastiques, les écoles canoniques et les universités.
Rappelons-nous que Charlemagne a insisté pour réintégrer l'enseignement du trivium et du
quadrivium. On apprend aussi, en plus des sept arts libéraux, la théologie. L'enseignement se fait en
latin et l'on présuppose que tous les étudiants savent lire et écrire. On trouve des écoles
prestigieuses dans les grandes villes : Paris, Reims, Chartres, Laon, etc.
À côté de ces écoles monastiques, il est permis à des particuliers de donner des cours à condition
d'avoir reçu l'autorisation d'enseigner de l'évêque. Parmi les professeurs de l'époque, on trouve
Pierre Abélard (1079-1142), théologien de renom.
Le concile de Latran III oblige chaque chapitre à avoir au moins une prébende pour un
enseignement gratuit. Ces écoles-là ne sont pas des universités. L'université apparaît dans les années
1200 sur la base d'un enseignement laïc. L'université est sémantiquement une communauté
indépendante de tout édifice religieux. L'université doit aussi être autonome et peut choisir des
professeurs indépendants. Comme elle est indépendante, elle n'a cependant pas de revenus, mis à
part les donations qu'on lui fait. Dès le début, l'université est payante et dès le début, on permet à
des élèves des bourses pour qu'ils puissent poursuivre leurs études. Pour enseigner, il faut la licentia
docendi, donnée par l'évêque après un examen sur la doctrine, après qu'il se soit assuré que le
professeur n'enseigne que dans une ligne orthodoxe.
On enseigne dans les universités la même chose que dans les autres écoles. Très vite, on va
structurer l'enseignement en facultés :
1. faculté des arts, faculté au passage obligatoire, où l'on enseigne les sept arts libéraux ;
2. faculté de droit, partagée entre droit canonique et droit romain ;
3. faculté de médecine ;
4. faculté de théologie, où les Dominicains jouent un rôle d'appoint.
Ces facultés sont selon les universités plus ou moins développées ou renommées. Ainsi, pour le
droit c'est Bologne ou Oxford, pour la médecine Montpellier, Naples ou Salerme, pour la théologie
Paris où enseigna un fameux théologien, Robert Sorbon (→ Sorbonne).
Les étudiants ont tendance à se rassembler en nations, selon leurs origines afin de faciliter les
déplacements internationaux et de pouvoir continuer à pratiquer sa propre langue, puisque
l'enseignement se fait exclusivement en latin.
Les autorités sont capitales au Moyen âge : on regarde le progrès et les innovations avec méfiance.
On commence donc toujours l'enseignement d'une matière à l'université par la lecture d'une autorité.
Ensuite, le maître en donne un commentaire (lectio) puis une conclusion. En médecine, par
exemple, on évite le contact des malades et on ne dissèque pas. Au XIIIe siècle, les choses vont
évoluer, avec la dispute (disputatio) entre deux autorités dont les avis divergent. On termine
toujours la lecture pour une determinatio, une solution argumentée de la disputatio.
Les universités adorent ce genre intellectuel qui est basé sur la polémique. On a même, quelques
jours dans l'année, des séances de questions aux professeurs à n'importe quel sujet (exercice
scolastique conservé sous la forme de recueils quot libet).
Dans le cadre de cette histoire intellectuelle apparaissent les universités où le savoir est mis en
balance entre les quatre facultés, lesquelles continuent encore aujourd'hui à avoir un certain
prestige. Dans les universités, on n'apprend rien de ce qui concernerait les sciences. Les cours de
mathématique ou autres procèdent de réflexions théoriques sur les nombres. Dans les universités se
développe une manière de raisonner sur le monde. Dans les écoles monastiques, les professeurs
étaient choisis pour leur appartenance à la norme, tandis que dans les universités, on apprend à
regarder le monde avec un œil nouveau.

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2. Théologie monastique et théologie rationnelle
Deux personnages : Saint Bernard de Clairvaux et Pierre Abélard. Ils se sont affrontés dans leurs
idées et leur conflit est révélateur de l'évolution des idées et de la façon d'appréhender le monde.
Selon Saint Bernard, il faut chercher Dieu mais surtout se fondre avec la création divine, trouver
dans la nature ce qui évoque Dieu, se nourrir des paroles de la Bible et prendre en compte la notion
de création divine de la nature. On essaie de donner une consistance à la contemplation. Le
chercheur s'éclipse face à la nature.
Pour Abélard, il faut prendre en compte le fait que Dieu nous a donné la raison dont nous pouvons
user légitimement pour comprendre et analyser l'œuvre de Dieu. On a le droit d'utiliser la
dialectique même en matière de foi. On a le droit de confronter des autorités pour résoudre leurs
différences. Abélard a d'ailleurs rédigé le Sic et non, où il tente de résoudre les oppositions sur des
questions où les auteurs font des affirmations s'opposant entre elles. Cette manière de faire
intervenir la raison a énervé Saint Bernard qui a souvent fait condamner Abélard.
Au XIIIe siècle, notamment dans les universités, on redécouvre la pensée d'Aristote en Occident. On
tente de trouver une méthode de décryptage des autorités selon la pensée d'Aristote, c'est la méthode
scolastique, rationnelle, qui décompose en faits rationnels les autorités et qui catégorise les
universaux, les noms, etc.

Chapitre VIII : Éléments d'histoire du Bas-Moyen âge


A. Avignon
On a vu que les papes, du XIIe au XIIIe siècle, essayait d'imposer la vision d'une église toute
puissante. Boniface VIII est ce pape qui estime que l'église a à dominer le monde tout entier, que le
pape est représentant de Dieu sur terre et que tous les hommes sont sujets du pape. Boniface VIII,
dans sa bulle Unam sanctam explique qu'il doit diriger le monde. On se souvient que si cette
proposition ne suscite pas de réaction de la part de l'empereur du Saint-empire germanique, Philippe
le Bel, lui, prend mal cette décision. Essayant de mettre au point un grand état moderne, laïc, il
décide d'aller chercher Bonfiace VIII et de lui faire subir un procès selon la loi française. L'armée se
dirige vers Rome. Le pape meurt d'une crise cardiaque devant l'armée royale de France. La curie
pontificale se réunit donc pour élire un nouveau pape, tout en sachant qu'il ne faut pas heurter la
pensée française, puisque l'armée de France est devant les portes de Rome. Ils élisent un pape
français qui décide de s'installer non pas à Rome mais à Avignon, sur une terre pontificale, à
l'époque hors de France mais très bien situé par rapport au roi de France. Ce pape, Clément V, meurt
en 1314.
On réunit la curie pontificale à Avignon. Les délibérations se font longues, durant trois ans. Le roi
de France décide de faire murer l'endroit où ils sont réunis d'où ils ne sortiront qu'avec un pape,
créant un conclave. On ne s'en sort pas et on décide d'élire le plus vieil évêque, évêque d'Avignon,
pensant remettre la question à quelques années plus tard. Ce pape, Jean XXII, vivra encore dix-huit
ans après son élection. Celui-ci décide de développer la ville d'Avignon. Pendant la papauté de ce
pape, on élit de plus en plus d'évêques français. À sa mort, ces évêques français vont élire un pape
bien sûr français qui ne voit pas pourquoi il retournerait à Rome. Pendant près de septante ans, la
papauté se tient à Avignon. Le pape sera d'ailleurs en même temps évêque de Rome et d'Avignon.
Pendant ce moment, loin de Rome, l'église développe tout ce qui fera l'état moderne (archives,
fiscalité, bureaucratie, etc.). La bureaucratie prend à Avignon des dimensions colossales.
Pendant ce temps, Rome est désertée, ce qui ne plaît pas aux Italiens. De plus, pendant cette
période, c'est la guerre de cent ans et les Anglais n'apprécient pas l'idée que toute décision religieuse
passe par un pape français. Les Allemands se prononcent aussi pour un retour de la papauté à Rome.
En 1378, profitant de la mort d'un pape, la curie pontificale se réunit et n'est pas d'accord. On se
retrouve avec deux papes, l'un élu par la partie francophile, l'autre élu par les autres. Tous les deux
sont élus de manière illégale du point de vue de l'église. Cela, c'est le grand schisme d'Occident : la

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religion catholique se déchire entre les deux papes. Toute l'institution religieuse se déchire : on va
jusqu'à nommer deux évêques par ville, un par pape.
La situation est tellement insupportable que l'on réunit tous les évêques catholiques en un lieu à mi-
chemin entre Avignon et Rome, à Pise en 1409. On constate qu'il n'y a pas de solution et décide de
démettre les deux papes et d'en nommer un troisième. Seulement, il n'y a que la curie pontificale qui
a le droit d'élire un pape, non pas le concile. Les deux papes en place refusent de démissionner et on
se retrouve avec trois papes. En 1415, on réunit un nouveau concile sur le lac de Constance et on
décide de faire tout pour que tout se passe bien. On fait venir les meilleurs cuisiniers, les meilleures
prostituées, on donne les meilleures chambres, etc.
On décide de nommer un bouc émissaire, qu'on trouve en la personne de Jean Hus. L'empereur
décide de faire venir Hus à Constance pour lui faire un procès lors duquel il pourra défendre sa
cause. Il est amené, on le juge sommairement, on le condamne au bûcher. L'Église retrouve son
unité. On demande aux trois papes de démissionner et on en nomme un quatrième, avec l'accord de
tous : Martin V. Il décide de retourner à Rome, mais il n'y a plus de place à Latran pour contenir
toute l'administration papale. On déplace le tout (archives, université, etc. d'Avignon) au Vatican,
hors de Rome. On se retrouve néanmoins avec une dualité pape/concile qui n'est toujours pas réglée
au jour d'aujourd'hui.

B. Idées religieuses
Ce grand schisme va laisser une trace indélébile dans la religion. Pour une religion universelle, une
telle déchirure marque le monde médiéval.
L'idée est que si on va à l'église tous les dimanches, si on va à confesse, si on fait charité, on peut
tout de même avoir l'absolution même si le prêtre ou l'évêque n'est pas le bon et si l'institution est la
mauvaise. C'est vers cette époque que l'on décore joliment les églises, que la bourgeoisie, par le
biais des confréries5, offre des retables, des vitraux, etc. Tout un art se développe pour attirer les
fidèles dans l'église par la splendeur d'œuvres d'art. Cette logique de somptuosité fait se développer
aussi la musique d'orgue et les chants. C'est le moment où l'on décide de déplacer la chaire de vérité
au milieu de la nef, afin que le sermon soit entendu de tous. L'église devient de plus en plus
attractive afin de faire venir les fidèles.
La plupart de ces églises ont disparu. Il en existe encore en Belgique à Leeuw. L'église la mieux
conservée se trouve en Angleterre, malgré l'anglicanisme qui y sévit par la suite.
L'idée est que chacun peut trouver son salut indépendamment de l'institution en réfléchissant au
monde, en lisant les écritures, en se préparant soi-même à la mort, le moment le plus important de la
vie. Il faut adopter une pédagogie de l'âme personnelle, selon le mouvement de la devotio moderna,
spécialité de nos régions et des Pays-Bas qui se développe notamment grâce à Jean de Ruisbroek.
Ce mouvement prône le salut par la lecture et crée des écoles primaires pour tous afin que les
écritures soient accessibles à tous. Ce sont les Frères de la vie commune qui ont encore un rôle
important au XIXe siècle. C'est une lecture des langues vernaculaires et on voit se développer un
mouvement de traduction. On profite aussi de l'imprimerie pour diffuser des livres de poche que
l'on lit et que l'on médite. On imprime à cette époque un best-seller mondial : l'Imitation de Jésus-
Christ, de Thomas a Kempis (traduction latine de Thomas von Kempen), un livre de dévotion
encore lu jusqu'à l'entre-deux-guerres.
À cette époque, on publie aussi les artes moriendi, des petits bouquins dans lesquels on explique
comment bien mourir. À côté de chaque étape de la mort, des gravures représentant le mourant
affrontant le démon, etc. Chacun possède sur lui son art de bien-mourir.
C'est ce courant qui part de la pédagogie personnelle de l'âme, reposant sur la lecture des textes, etc.
qui fera apparaître les idées de la réforme protestante. On a en cela une caractéristique importante

5 Communautés regroupant des laïcs, destinées à favoriser une entraide fraternelle. La confrérie est en général dirigée
par un « grand maître ». En France, toutes les confréries furent abolies au moment de la Révolution française, par un
décret en date du 18 Août 1792.

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de l'église des temps moderne.

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