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Luc Bourgeois

Le poids du passé : le rôle des p ôles


de pouvoir traditionnels dans le P oitou
des VIe-XIe siècles

Dans le C entre-O uest de la France com m e dans d ’autres régions, le phénom ène
urbain a longtem ps été étudié sans s’affranchir des découpages chronologiques et
disciplinaires traditionnels : les archéologues antiquisants se sont ainsi penchés sur les
agglom érations gallo-romaines alors que les villes médiévales retenaient l’attention des
historiens du Moyen Age1. Cette division du cham p de la recherche est p o u r beaucoup
dans la distinction entre un « prem ier réseau urbain » constitué par les agglom érations
nées au cours du H aut Em pire rom ain et un « second réseau » regroupant les ensem ­
bles qui se développent à partir du X1' siècle12. Entre ces deux lignes de faîte, le haut
Moyen Age ap p aru t longtem ps com m e une période d ’effacem ent brutal du p h én o ­
m ène urbain. L’augm entation constante de la docum entation archéologique, un inté­
rê t récen t p o u r la transition entre A ntiquité et Moyen Age et une pratique croissante
des enquêtes historiques m enées dans la longue durée invitent à reconsidérer l’évolu­
tion des réseaux urbains et en particulier à s’in terro g er sur les liens - aussi ténus
soient-ils - qui p o u rraien t unir les agglom érations secondaires antiques aux petites
villes médiévales. Ce sont en effet ces deux catégories de sites, interm édiaires entre les
cam pagnes et les chefs-lieux de cités, qui vont nous retenir ici3.
Chacun sait combien la définition du fait urbain est difficile, m êm e dans nos cultures
contem poraines envahies par les statistiques. Le problèm e s’accroît à m esure que l’on

1 Le seul ouvrage de synthèse consacré à l’urbanisme du Centre-Ouest de la France demeure le travail de


René Crozet, Villes entre Loire et Gironde, Paris, 1949, fort vieilli pour l’Antiquité et qui envisage dans des
chapitres très nettement séparés les agglomérations gallo-romaines et les villes médiévales.
- Ce découpage a encore servi de titre à un colloque récent : A ux origines du second réseau urbain : les peuplements
caslraux dans les Pays de LEntre-Deux, éd. Michel Bur, Nancy, 1993.
:5Les réflexions de Gabriel Fournier sur ce thème demeurent d'une grande actualité (Le Peuplement rural en
Basse Auvergne durant le haut. Moyen Age, Paris, 1962, chap. 2). Depuis la diffusion des thèses d ’Henri Pirenne,
cette question a également suscité un fort intérêt en Belgique et dans le Nord de la France. Voir en parti­
culier : Georges Despy, « Villes et campagnes aux IXe et Xe siècles : l'exemple du pays mosan », Rev. Nord,
50, 1968, p. 145-168 ; Adriaan Verhulst, « Les origines urbaines du nord-ouest de l’Europe : essai de syn­
thèse », Francia, 14, 1987, p. 57-81 et « An aspect o f the continuity between Antiquity and Middle Ages : the
origin o f the flemish cities between the North Sea and the Scheldt », ƒ med. Hist., 3, 1977, p. 175-206 ;Jean-
Pierre Devroey, Chantal Zoller, « Villes, campagnes, croissance agraire dans le pays mosan avant l'an mil :
vingt ans après... », in Villes et campagnes au Moyen Age. Mélanges Georges Despy, éd. Jean-Marie Duvosquel et
Alain Dierkens, Liège, 1991, p. 223-260. Elle com m ence également a être abordée sur la façade atlantique :
Jean-Claude Meuret, Peuplement, pouvoir et paysage dans la marche A njou-Bretagne des origines au Moyen Age, Laval,
1993, p. 263 suiv. ; Noël-Yves Tonnerre, Naissance de la Bretagne. Géographie, histoire et structures sociales de la
Bretagne méridionale (Nantais et Vannelais) de la fin du VIII' siècle à la fin du XII' siècle, Angers, 1994, p. 183
suiv.

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s’éloigne du temps présent et que l’on s’intéresse aux strates inférieures des groupements
hum ains4. Les critères habituels des géographes sont particulièrem ent inopérants pour
l’Antiquité tardive et le h aut Moyen Age. Pour ces périodes, les centres d ’habitat ne
rép o n d en t pas à des critères formels et il paraît plus efficace de s’interroger sur les lieux
où s’exerce le pouvoir que sur la notion de centre urbain. Cette recherche des lieux
centraux, em pruntant aux théories de Walter Christaller, est aujourd’hui au cœ ur des
débats sur l’urbanism e médiéval5. Elle perm et de définir pour une région et par tranches
chronologiques successives « le pouvoir d ’attraction, de com m andem ent et de service
exercés par une localité... sur un ensemble territorial plus ou moins vaste »(i. Cette appro­
che assez sommaire traite une docum entation rare et hétérogène sans a priori sur la forme
matérielle de ces pôles. Elle oblige égalem ent à s’interroger sur les aires d ’influence
(c’est à dire à ne pas déconnecter les centres de leur environnem ent) et à prendre en
com pte les organismes en gestation ou en régression, particulièrem ent intéressants pour
évaluer les mutations du contrôle territorial.
Cette com m unication tente d ’ébaucher une telle enquête sur les « petites villes »
dans le cadre de la civilas antique de Poitiers puis du diocèse qui lui succède. Après
avoir dressé un rapide état des connaissances sur le destin des agglom érations secon­
daires à la fin de l’A ntiquité, nous croiserons les sources archéologiques et historiques
p o u r analyser quelques critères contribuant à révéler des lieux centraux du h aut Moyen
Age. Au term e de cette présentation, nous nous interrogerons sur la transmission des
fonctions et les continuités topographiques au sein du réseau urbain régional7.

1 - La fin des agglomérations antiques :


de l’historiographie aux sources matérielles

Le réseau du Haut Empire

La liste des habitats groupés de la civitas Piclonum évolue rapidem ent au rythm e des
nouveaux apports de la photographie aérienne, des fouilles et des réexam ens critiques 1

1Sur ces problèmes, voir pour l'Antiquité : Michel Tarpin, « Oppida vi capta, vici incensi... Les mots latins de
la ville », Lalomus, 58, 2, 1999, p. 279-297 ; Philippe Leveau, « Les incertitudes du terme villa et la question
du vicus en Gaule narbonnaise », Rev. archéol. Narbonnaise, 35, 2002, p. 5-26 et pour le Moyen Age : André
Joris, « La notion de ville (1964) », repris dans Villes, affaires, mentalités : autour du pays mosan, Bruxelles, 1993,
p. 39-52 ; H. Schledermann, « The idea o f town : typology, definitions and approaches to tire study o f m edie­
val town in northern Europe », World Archaeol., 2. 1970, p. 115-127 ; Chris Dyer, « Towns and Villages in the
Middle Ages : how do you tell the Difference ? », Medieval Settlement research Group annual Report, 8, 1993,
p. 7-8 : Thierry Dutour, La Ville médiévale : origines et triomphe de l ’Europe urbaine, Paris, 2003, chap. 2.
■' Walter Christaller, Das System derzentralen Orte (1933), réédité dans Peter Schôller éd., Zentralilatforschung,
Darmstadt, 1972, p. 3-22 ; Emil Meynen écl., Zentralitât als Problem des mittelalterlichen Stadtgeschichleforschung,
C ologn e—Vienne, 1979.
"Jean-Luc Fray, « Petites villes et bourgs castraux dans l'espace lorrain : quelques réflexions de géographie
historique d ’après les sources écrites (Xl'-XlV siècle) », in A ux origines du second réseau urbain, op. cil., p. 117-
138 (ici p. 117).
' Les réflexions rassemblées ici découlent d ’un projet collectif de recherche m ené de 1997 à 2001 sur les
« petites villes du Haut-Poitou de l ’Antiquité au Moyen Age ». Ce programme a donné lieu à la publication
de notices monographiques : Luc Bourgeois, éd., Les Petites villes du Haut-Poitou de l'Antiquité au Moyen Age :
formes et monuments, 1.1, Chauvigny, 2001 ; t. II sous presse (dorénavant abrégés Petites villes I et II). L’enquête
est beaucoup moins avancée pour le Bas-Poitou. Nous sommes redevables à Jean Hiernard, Nadine Dieu-
donné-Glad, Georges Pon et Laurent Schneider pour les nombreuses corrections et additions qu’ils ont
apportées à ce texte.

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de découvertes anciennes8. L’état que nous livrons dans la fig. 1 est plus sélectif que
ses devanciers1-' mais il sera sans doute tout aussi rapidem ent remis en cause.
La répartition spatiale des agglom érations bien attestées souligne l ’im portance des
grandes voies Tours-Saintes-Bordeaux et Bourges-Nantes, assez régulièrem ent ryth­
mées par des stations routières. Les cours d ’eau partiellem ent navigables, com m e la
Vienne et la Sèvre m ortaise, on t égalem ent pu attirer le développem ent d ’agglom éra­
tions portuaires. A ucune logique d ’ensem ble ne transparaît toutefois dans ce maillage,
où des sites com m e Vendeuvre et N aintré (V ienne), distants d ’une douzaine de km et
fort proches du chef-lieu de cité, o n t connu un essor équivalent. Le Bas-Poitou semble
se distinguer par une faible densité urbaine, mais la longue atonie de la recherche
archéologique dans cette région pèse peut-être fortem ent sur cette appréciation10.
A Niort, à Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres) ou à Vieux-Poitiers (Naintré, V ienne), la
présence de grands sanctuaires celtiques m arque l’origine pré-rom aine de quelques
agglom érations". Plus généralem ent, ces villes secondaires se développent au cours
de la période pré-flavienne et leurs vastes m onum ents publics sont établis dès l’époque
claudienne et ju sq u e sous les Antonins. Les sites les m ieux explorés on t révélé l’exis­
tence de plans d ’urbanism e orthonorm és, souvent constitués de lotissements successifs.
Ils abritent une parure m onum entale qui nous semble aujourd’hui surdim ensionnée
par rapport à la superficie urbanisée : immenses esplanades à plusieurs cours com m e *I

' Les agglomérations secondaires antiques du Poitou ont fait l'objet de plusieurs réflexions récentes : Michel
Mangin, Francis Tassaux, « Les agglomérations secondaires de l'Aquitaine romaine », in Villes et agglomérations
urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule, actes du congrès de Bordeaux (1990), Bordeaux, 1992, p. 461-496
(61' suppl. à Aquitania) ; Myriam Fincker et Francis Tassaux, « Les grands sanctuaires ‘ruraux’ d ’Aquitaine
et le culte impérial », MEFRA, 104, 1992, fasc. 1, p. 41-76 ; Francis Tassaux, « Les agglomérations secondaires
de l’Aquitaine romaine : morphologie et réseaux », in Les Agglomérations secondaires : la Gaule belgique, les
Germanies et l ’Occident romain, actes du colloque de Bliesbruck-Reinheim-Bitche (1992), Paris, 1994, p. 197-
214 ; Pierre Aupert, Myriam Fincker, Francis Tassaux, « Agglomérations secondaires de l’Aquitaine atlanti­
que », Actes du 120 Congrès nat. Soc. sav., Aix-en-Provence, 1995, archéologie, p. 45-69 : Jean Hiernard, « Le
premier réseau à caractère urbain du Centre-Ouest de la Gaule », in Les Réseaux urbains dans le Centre-Ouest
atlantique de l ’A ntiquité à nosjours, actes du colloque de Poitiers (1993,. Poitiers, 1996, p. 35-56. Seul ce dernier
travail aborde assez longuem ent le destin de ces agglomérations après le IIIe' siècle.
II Nous éliminons par exem ple le site de Mairé à Périgné (Deux-Sèvres), à la suite de l'analyse critique
récemment publiée par Alain Bouet, « Villa ou viens ? Quelques exemples problématiques des Trois Gaules »,
Rev. archéol. Narbonnaise, 35, 2002, p. 289-312 (ici p. 293-300). D ’autres sites traditionnellement considérés
comme des habitats groupés potentiels sur la foi de témoins matériels très réduits (comme Jaunay-Clan
[Vienne] ou Louin [Deux-Sèvres] ) n ’ont pas non plus été pris en compte.
III Seuls les sites de Rezé (Loire-Atlantique), Le Lan go n (Vendée) et Mazières-en-Mauges (Maine-et-Loire)
ont fait l'objet de travaux récents : Lionel Pirault, »Recherches récentes sur l'origine de l'urbanisme de la
ville antique de Raliatum (Rezé) », Bull. Soc. archéol. hist. Nantes Loire-Atlantique, 136, 2001, p. 73-94 ; Lionel
Pirault, David Guitton, Rezé sur les traces cfeRatiatum, Nantes, « Itinéraire du Patrimoine, 254 », 2001 ; Emile
Bernard, « Le Langon : prospection sur l’agglomération antique », in Pays-de-la-Loire, bilan scientifique régional
1991, Nantes, 1992, p. 79 ; Gérard Berthaud dir., Mazières-en-Mauges gallo-romain (Maine-et-Loire) : un quartier
à vocation artisanale et domestique, Angers, 2000.
11 Thierry Lejars, « Les armes des sanctuaires poitevins de FayeTAbbesse (Deux-Sèvres) et de Nalliers (Ven­
dée) », Gallia, 46,1989, p. 1-41 ;José Gomez de Soto et Thierry Lejars, « Sanctuaires préromains en extrême
Occident », in Les Sanctuaires celtiques et leurs rapports avec le monde méditerranéen, actes du colloque de Saint-
Riquier (1990), éd. Jean-Louis Brunaux, Paris, 1991, p. 126-132 ; Luc Bourgeois, « De Vieux-Poitiers à Châ-
tellerault : le confluent de la Vienne et du Clain de l’Antiquité au Moyen Age », Bull. Soc. Anliq. Ouest, 5° s.,
XIV, 2000 (2002), p. 163-194 (ici p. 167).

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à Vendeuvre ou Sanxay (V ienne)12, semis très denses de sanctuaires13, vastes théâtres


péri-urbains14, etc.
Nous restons bien mal armés pour proposer une typologie de ces habitats groupés
d o n t l’étendue parait très variable : de quelques hectares à une surface équivalente à
celle du chef-lieu de cité. N otre m éconnaissance nous incite sans doute à confondre
dans la m êm e liste des organism es véritablem ent urbains, de m édiocres stations rou­
tières, de simples ham eaux à vocation agricole, voire des habitats groupés placés dans
la dépendance d ’une grande villa'". Le statut des agglom érations secondaires est encore
plus difficile à cern er précisém ent. Le m aigre corpus épigraphique régional ne m en­
tionne ni vicani, ni pagenses, ni magistrats locaux. Les deux inscriptions de Vendeuvre
révèlent toutefois que de puissants notables disposant de charges prestigieuses n ’ont
pas dédaigné financer les luxueux m onum ents de cette agglom ération secondaire1'516.
Les possibilités d ’accueil de telles constructions tém oignent indirectem ent de l’attrac­
tion exercée par ces sites, sans q u ’il soit possible de définir lesquels on t pu contrôler
u ne fraction du territoire de la civitas et si cette polarisation a pu relayer une organi­
sation antérieure à la C onquête17. La présence du culte im périal18et du cursus publicus19
m ontre q u ’elles jo u e n t parfois le rôle de relais du pouvoir central dans les campagnes.
Le poids économ ique et dém ographique de ces sites dem eure invérifiable, d ’autant
que la densité d ’occupation des cam pagnes et la m ultiplicité des artisanats ruraux
viennent attén u er la spécificité des agglom érations secondaires. Leur rôle de centre
de collecte et de redistribution des biens p eu t avoir été plus m arqué20.

L’état matériel des agglomérations secondaires au cours de l’Antiquité tardive


La recherche archéologique a été guidée du XIX” siècle au milieu des années 1980
par les schémas historiques qui décrivaient com plaisam m ent la destruction violente

12 Marie-Reine et Michel Aucher, Levions gallo-romain des Tours-Mirandes, Vendeuvre-du-Poitou, 1984 ; Pierre
Aupert, Jean Hiernard, Myriam Fincker, Sanxay : un grand sanctuaire rural gallo-romain, Paris « Guides archéol.
Fr.. 25 », 1992.
1:1Cinq pour la petite agglomération du Gué de Sciaux à Antigny (V ienne), au moins autant à Vieux-Poitiers
(Naintré, Vienne) (Petites villes..., I, p. 87 et fig. 41 ; Luc Bourgeois, « De Vieux-Poitiers... », op. cil, p. 167).
14Les agglomérations voisines de Naintré et Vendeuvre disposaient ainsi chacune d ’un théâtre d ’une dizaine
de milliers de places.
15 La typologie régionale proposée par Michel Mangin et Francis Tassaux en 1990 a ainsi été considérée
comme prématurée par plusieurs chercheurs (en particulier Jean Hiernard, « Le premier réseau... », op.
cil, p. 41 ; Pierre Garmy, « Villa-vicus : une question d ’espace », Rev. archéol. Narbonnaise, 35, 2002, p. 29).
Sur les fonctions des agglomérations secondaires (et en particulier les activités de transformation), voir en
dernier lieu le bilan très nuancé d ’Alain Ferdière, « L’artisanat gallo-romain entre ville et campagne (histoire
et archéologie) : position historique du problème, méthodologie, historiographie », in Artisanat et productions
artisanales en milieu rural dans les provinces du nord-ouest de l ’Empire romain, éd. Michel Polfer. Montagnac, 1999.
p. 9-24.
16 Pompeius Sabinus, qui couronna sa carrière municipale par le flaminat de Rome et Auguste, et Nepos,
qui fut également prêtre fédéral, offrent respectivement une basilique et le théâtre de Vendeuvre (A E 1967,
p. 303 et 1973, p. 343).
17 Nous reviendrons rapidement sur ce problème en abordant les pagi du haut Moyen Age. Notons que les
grands sanctuaires celtiques découverts dans certaines agglomérations secondaires ont livré des vestiges très
nettem ent antérieurs aux plus anciens élém ents matériels découverts à Poitiers, dont l’occupation pré­
romaine demeure toujours aussi problématique.
18 Fincker et Tassaux, op. cit. ; Alain Villaret, « L’association de l ’Empereur et des dieux en Aquitaine : son
rôle dans la société et les mentalités », Aquitania, XVI, 1999. p. 127-151.
19 Présentation rapide dans Raymond Chevallier, Les Voies romaines, Paris, 1998, p. 276-279.
20 Le site de Vieux-Poitiers semble avoir ainsi disposé d ’une zone portuaire et d ’un macellum (Luc Bourgeois,
« De Vieux-Poitiers... », op. cit., p. 168 ei pl. 1).

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des villes et des m onum ents urbains sous les coups des barbares ou des prem iers chré­
tiens. Dans un tel cadre, il ne sem blait pas utile de rechercher des niveaux de l’Anti­
quité tardive qui a priori n ’existaient pas21. Si nous sommes au jo u rd ’hui revenus de ces
postulats, étudier le destin de ces agglom érations secondaires à partir du III1 siècle
pose toujours d ’im portants problèm es m éthodologiques.
La m édiocre conservation générale des vestiges de l’A ntiquité tardive, la m ultipli­
cation des structures légères im pliquant des m éthodes de fouilles qui ne se sont systé­
matisées que récem m ent, le décapage souvent trop brutal des niveaux supérieurs cons­
tituent au tan t d ’obstacles à la reconnaissance des tém oignages postérieurs au H aut
Em pire22. La faible connaissance du m obilier tardif, et en particulier de la céram ique,
est une conséquence de ces difficultés d ’approche. Même le moyen classique de data­
tion que constitue la m onnaie est presque inutilisable :Jea n H iernard a bien m ontré
que la région n ’était plus que faiblem ent alim entée en num éraire frais passé le milieu
du IV siècle2324.Enfin, on a trop souvent négligé le contexte précis des ensem bles m obi­
liers datés : quel était alors l’état des bâtim ents qui les ont livrés ?
Nous disposons m algré tout dans l’étendue du Poitou antique d ’une série d ’indices
perm ettan t de dégager quelques tendances générales d ’évolution.
Aucune destruction violente attribuable aux IIL-V siècles n 'a été clairem ent mise
en évidence dans l’étendue du Poitou antique. Par contre, nous constatons une déprise
précoce dans certaines zones urbaines : l’agglom ération de Bessac à N iort (Deux-
Sèvres) semble ainsi faiblem ent occupée à partir de la fin du Ier siècle de notre ère21.
De m êm e, le quartier de Vieux-Poitiers établi sur les bords du Clain semble déserté
avant le Bas Em pire25. Ce déclin précoce n ’est pas l’apanage des petites villes régiona­
les, puisqu’il est attesté pour d ’im portants chefs-lieux de cités26.
La fouille récente de quelques m onum ents publics p erm et u n e approche plus
qualitative.
A Vieux-Poitiers, le théâtre brûle au milieu du IIe siècle et n ’est que som m airem ent
restauré. Des occupations parasites se m ultiplient dorénavant sous les gradins, mais il
faut atten d re la fin du IIIe siècle p o u r que les « squatters » envahissent les accès et
re n d en t impossible l’usage du lieu com m e édifice de spectacle. Des opérations de
dém ontage et m êm e quelques sépultures consacrent alors la décadence du m onum ent.
A quelques centaines de mètres, le petit tem ple de tradition celtique du Fonds des

21 Au point de ne pas étudier par principe les monnaies du IV1' siècle, comme ce fut le cas à Sanxay (Vienne)
où Anatole de Barthélémy m entionne incidemment « quelques petits bronzes des empereurs de la première
moitié du IVe siècle » en marge de son catalogue (« Monnaies trouvées dans les ruines de Sanxay », Rev.
numism., 3e s., 2, 1884, p. 496-501).
22 Le choix d'un décapage manuel depuis la surface n'a été pratiqué que par Nadine Dieudonné-Glad sur
le site de Rom, Deux-Sèvres (campagnes 2002-2003). Sur la conservation des niveaux tardifs par rapport à
ceux du Haut Empire, voir les modèles de Karl-Heinz Lenz, « Late roman rural seulem ent in the Southern
part o f the province Germania secunda in comparison with other régions o f the roman Rhineland », in Les
Campagnes de la Gaule à la fin de l'Antiquité, actes du colloque de Montpellier, éd. Pierre Ouzoulias et al.,
Antibes, 2001, p. 113-146 (en particulier fig. 7).
23Jean Hiernard, Les Monnaies clu Poitou antique. Circulation ‘monétaire et histoire, thèse de doctorat cl'Etat,
Université de Bordeaux III, 1987, p. 870-872.
24 Bilan des connaissance dans :Jean Hiernard et Dominique Simon-Hiernard, Carte archéologique de la Gaule :
les Deux-Sèvres, Paris, 1997, p. 213-247.
« De Vieux-Poitiers... », op. cit., p. 173-174.
26 A Aix-en-Provence, par exemple, où des quartiers entiers disparaissent avant la fin du IIP siècle (Nuria
Nin, « Modalités de délaissement de l’agglomération d'Aix-en-Provence », in Le III siècle en Gaule narbonnai.se :
données régionales sur la crise de l'Empire, éd. Jean-Luc Fiches, Sophia-Antipolis, 1996, p. 135-154).

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Luc B o u r g e o i s

B erthons est réam énagé après le milieu du IIP siècle. Quelques décennies plus tard,
il est p o u rtan t devenu l ’annexe d ’un petit habitat voisin27289.A Antigny (Vienne), l’éta­
blissem ent therm al, encore rem anié au début du IIP siècle, semble perdre sa fonction
prem ière au début du IV' siècle. Il est alors som m airem ent am énagé en habitat. L’évo­
lution du sanctuaire voisin est beaucoup plus am biguë. De nouveaux m onum ents
cultuels sont encore construits au d éb u t du IV' siècle. A partir d ’environ 350, une
partie des bâtim ents fait l’objet d ’un dém ontage organisé mais des dépôts d ’offrandes,
peut-être issus d ’un culte individuel, continuent d ’être effectués. L’habitat som m aire
établi dans la galerie du péribole a été attribué au début du Yv siècle, alors que des
tom bes s’affranchissent de l’espace sacré à l’époque carolingienne2”.
Cette m utation atteint égalem ent de plein fouet le chef-lieu de cité : à la charnière
des IIP et IVe siècles, Poitiers perd une grande partie de sa parure m onum entale lors
de la mise en place de l’enceinte. La ville laisse en dehors de cette défense les ruines
de son forurrP. L’abandon de certaines pratiques socio-religieuses qui nécessitaient une
coûteuse infrastructure30, le déclin dès le IIP' siècle de la m unificence privée classique
et de l’attraction exercée p ar les m agistratures urbaines, le transfert des dépenses
publiques vers la fortification et le déplacem ent progressif de l’évergésie vers la cons­
truction d ’édifices chrétiens3132suffiraient à expliquer la décadence des énorm es centres
m onum entaux mis en place dans certaines agglom érations secondaires. La disparition
(ou la privatisation) de ces ensembles n ’im plique pas obligatoirem ent celle de l’habi­
tat et des activités associées. C’est donc vers l’habitat urbain, les espaces artisanaux et
com m erciaux et les nécropoles q u ’il faudrait dorénavant p o rter l’attention pour mesu­
re r précisém ent ce qui subsiste de ces agglom érations au cours des IV-V' siècles.
L’habitat de cette période dem eure particulièrem ent mal connu en dehors des
occupations tardives de m onum ents publics. Ces espaces tém oignent d ’un essor de
l’architecture légère et d ’une certaine confusion des fonctions que l’on retrouve dans
l’habitat rural contem porain33. Les rares tém oignages disponibles sur l’activité écono­
m ique des agglom érations invitent égalem ent à u n constat nuancé.
Si la production de l’officine céram ique de Vieux-Poitiers et d ’autres sites urbains
ne semble pas dépasser le milieu du IIP' siècle33, Civaux (Vienne) dem eure au IV' siècle

27 « De Vieux-Poitiers... », op. cit., p. 169-173 ; Christophe Belliard et a i, Céramiques gallo-romaines du Vieux-


Poitiers (Naintré, Vienne), Chauvigny, 2002, fig. 8.
28 Petites villes, I, p. 87-90.
29 Louis Maurin, « Remparts et cités dans les trois provinces du sud-ouest de la Gaule au Bas Empire (dernier
quart du IIL-début du V1' siècle) », in Villes et agglomérations urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule : histoire
et archéologie, actes du colloque de Bordeaux (1990), Bordeaux « Aquitania, 6'' suppl. », 1992, p. 365-389. Ce
bilan pourrait être complété par les résultats des dernières fouilles m enées sur la ville, qui localisent plus
clairement le forum et augmentent encore l’impact de l’enceinte (existence cl’un fossé et d ’un glacis de
protection).
30 Myriam Fincker et Francis Tassaux, « Les grands sanctuaires... », op. cil., p. 72-73 proposent ainsi de relier
la désertion de certains théâtres et le remploi d ’autels dans des enceintes urbaines comme celle de Poitiers
à la disparition cl’une certaine forme de culte impérial.
31 Pour un panorama général du déclin de l’évergétisme au Bas Empire, cf. Bryan Ward-Perkins, From clas-
sical Antiquity lo the Middle Ages : urban public buildings in norlhern and central Ilaly, AD 300-850, Oxford, 1984,
p. 14-32.
32 Par exem ple, Paul Van Ossel, Etablissements ruraux de lAntiquité tardive dans le Nord de la Gaule, Paris « 51t-
suppl. à Gallia », 1992, p. 131-134.
33 Christian Vernou etJean-Philippe Baigl, « Inventaire des ateliers céramiques antiques en Poitou-Charentes »,
in SFECAG, actes du congrès de Cognac (1991), Marseille, 1991, p. 21-31. A compléter par les récentes décou­
vertes de Naintré (Christophe Belliard et alii, op. cit., p. 28) et de Gourgé (fouilles inédites de David Brunie).

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LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES Vl'-XT SIECLES

un centre de production potière diffusant ses céram iques « à l’éponge »34ju sq u e en


Bretagne insulaire A Rom, les fouilles de la Petite O uche illustrent une continuité de
l’activité artisanale dans Pilot mais une ru p tu re dans la n ature et dans la géographie
des ateliers. Les travaux de boucherie, de pelleterie et de forge attestés au IIIe siècle
disparaissent alors q u ’une écurie est restaurée à la charnière des IVe et Ve siècles. Elle
est associée à des activités de transform ation du bronze et du fer qui pourraient relever
d ’un relais du cursus publient5*.
Les mansiones et mutalionesjalo n n an t les voies im périales on t en effet tardivem ent
abrité les postes officielles mais aussi peut-être des centres de collecte de l’annone
militaire. La présence de cette infrastructure routière n ’im plique p o u rtan t pas l’exis­
tence ou la survie d ’une agglom ération associée.
La haute aristocratie dem eure égalem ent présente au IV1 siècle dans les marges des
agglom érations secondaires du Poitou. En tém oignent la villa possédée par Ausone
(310-394) à proxim ité de R om “’ ou les deux exceptionnelles tom bes constantiniennes
récem m ent mises au jo u r en bordure de Vieux-Poitiers : les soies à fil d ’or, les cotons
indiens, le poivre ou l’am phore proche-orientale q u ’elles o n t livrés illustrent claire­
m ent le m aintien d ’un com m erce international d ’objets de luxe destiné à ces élites
locales37.
Malgré ces indices de continuité, il faut bien adm ettre que l’em prise reconnue des
agglom érations secondaires régionales sem ble atteinte p ar une profonde déchéance
m atérielle au cours de l’A ntiquité tardive. A Poitiers, la construction d ’une énorm e
enceinte puis la mise en place d ’une dense infrastructure chrétienne viennent com­
penser la destruction partielle de la parure m onum entale antérieure. A leur échelle,
les agglom érations secondaires ont-elles connu une telle m utation vers de nouvelles
formes matérielles ? Des pouvoirs religieux ou laïcs dem eurent-ils attachés à ces sites
qui, p o u r l ’observateur contem porain, ne sont pas sans rappeler les « villes à la cam­
pagne » d ’Alphonse Allais ?

2 - Les lieux centraux du haut Moyen Âge :


analyse de dix critères

Deux sièges épiscopaux temporaires


L’im m ense diocèse de Poitiers, héritier des grandes lignes de la civitas Pictonum, a
connu au m oins deux tentatives de dém em brem ent au cours du VL siècle. Elles con­
cern en t la basse vallée de la Loire, fort éloignée du siège épiscopal, et m etten t en
lum ière deux sites m ajeurs d ’origine antique : Rezé (Loire-Atlantique) et Cham pto-
ceaux (Maine-et-Loire) [fig. 2].

31 Dominique Simon-Hiernard, « Du nouveau sur la céramique à l'éponge », in SFECAG, actes du congrès


de Cognac (1991), Marseille, 1991, p. 61-76.
35 Nadine Dieudonné-Glad, « Continuité et ruptures dans les activités artisanales d'une agglomération secon­
daire d'Aquitaine : Rauranum (Rom, Deux-Sèvres) entre le Ier et le V' siècle ap. J.-C. », in L ’A rtisanat romain :
évolutions, continuités et ruptures (Italie et provinces occidentales), actes du 21' colloque d ’Erpeldange (2001), éd.
Michel Polfer, Montagnac, 2001, p. 243-260.
33 Paulin de Noie, Carmina, X, 242 suiv., éd. von Hartel, Vienne « CSEL, 30 », 1894, p. 715 : vel quia Pictonicis
tibi fertile rus viret arvis / Rauranum Ausonias lieu devenisse curules / conquerar, et trabeam veleri sordescerefano ?
37 Fouille encore inédite dirigée par Bernard Farago et Henri Duday.

543
Luc B o u r g e o is

Adelphius, prem ier successeur d ’Hilaire sur les listes épiscopales de Poitiers (après
un hiatus d ’un siècle et dem i), assiste en ju illet 511 au prem ier concile d ’Orléans sous
le titre d ’episcopus de Raciale. Cette unique m ention n ’a jam ais reçu d ’explication défi­
nitive38*42. Elle m arque toutefois l'im portance religieuse de la ville portuaire de Rezé,
au jo u rd ’hui confirm ée par l’archéologie.
Un demi-siècle plus tard, le duc Austrapius, devenu clerc, est o rdonné évêque de
Cham ptoceaux (Sellense castrum) par le roi Clotaire Ier, en attendant la m ort du titulaire
du siège poitevin. Finalem ent, c’est l’abbé de Saint-Hilaire de Poitiers qui accède à
l’épiscopat en 557. Austrapius est tué peu après par des Taïfales et « ses paroisses furent
alors recouvrées p ar l’Église de Poitiers »®.
Les velléités d ’indépendance de la frange ligérienne du diocèse de Poitiers abou­
tiro n t au cours de l’époque carolingienne, mais au bénéfice des évêques de Nantes et
d ’A ngers1".

Les complexes ecclésiaux

La création d ’évêchés - m êm e éphém ères - im plique l’existence à C ham ptoceaux


et à Rezé d ’une infrastructure perm ettant d ’assurer les différents sacrem ents et d ’abri­
ter u n groupe de clercs. Les textes et l’archéologie on t mis en évidence la diffusion
dans les cam pagnes des V"-VT siècles de tels complexes ecclésiaux". Dans le proche
diocèse de Tours, la liste des fondations épiscopales transmise p ar les Libri historiarum
m ontre à la fois l’im portance des prélats dans la mise en place de ces relais de la cathé­
drale et l’im plantation de ceux-ci dans des vici rem ontant le plus souvent à l’époque
ro m ain e12. Le Poitou ne dispose hélas pas d ’un tel docum ent mais un faisceau d ’indi­
ces perm et d ’envisager une réalité sans doute assez proche.
Le célèbre site de Civaux a fourni une illustration archéologique de ce phénom ène.
L’épitaphe d ’Aeternalis et Servilla, attribuée à la fin du IV s. ou au Vl siècle, m arque
la précocité de la com m unauté chrétienne de cette petite agglom ération gallo-romaine
des bords de Vienne. Un sanctuaire antique, probablem ent m uni de cellae géminées,

38Louis Duchesne, Fastes épiscopaux de l ’ancienne Gaule, II : l ’A quitaine el Us Lyonnaises, 2*' éd„ Paris, 1910, p. 82.
Michel Rouche et plusieurs autres chercheurs soutiennent la thèse d ’une partition temporaire du diocèse
entre Poitiers et Rezé, mais le concile ne m entionne qu’un seul évêque pour ces deux entités. Le délai entre
la mort d ’Hilaire et la première mention d’Adelphius marque soit une longue vacance du siège, soit - plus
probablement - une lacune des listes.
30 Grégoire de Tours, Libri historiarum X, livre IV, c. XVIII, éd. Bruno Krusch et Wilhelm Levison, Hanovre,
1951, p. 150-151 (MGH, SRM I, 1).
"'Jean-Pierre Brunterc’h, « Puissance temporelle et pouvoir diocésain des évêques de Nantes entre 936 et
1049 », Mém. Soc. hist. archéol. Bretagne, LVI, 1984, p. 29-82 ; Id., « Géographie historique et hagiographie :
la vie de saint M’Hervé », MEFR Moyen-Age-Temps modernes, 95, 1983, p. 7-59 : Noël-Yves Tonnerre, Naissance
de la Bretagne, op. cil., en particulier p. 161 et 300 suiv.
" Françoise Monfrin, « L’établissement matériel de l’Église aux V'1et VT1siècle, II : les églises des agglomé­
rations secondaires et les églises rurales » in Histoire du christianisme, I, 3 : les Eglises d'Orienl et d'Occident
(423-610), éd. Jean-Marie Mayeur et al., Paris, 1998, p. 986-1001 et bibliographie p. 1013-1014 ; Christine
Delaplace, « La mise en place de l'infrastructure ecclésiastique rurale en Gaule à la fin de l’Antiquité (IV-VT
siècles après J.-C.) », Cahiers Saint-Michel de Cuxa, XXX, 1999, p. 153-170.
42 Grégoire de Tours, Historia Francorum, X, 31 (éd. Krusch et Levison, p. 526-535). Cette liste a été en par­
ticulier analysée par Luce Piétri, « La succession des évêques tourangeaux : essai de chronologie de Grégoire
de Tours », MEFR Moyen-Age-Temps modernes, 94, 1982, fasc. 2, p. 551-619, Christine Delaplace, « Les origines
des églises rurales (V A T siècles) : à propos d'une formule de Grégoire de Tours », Histoire et sociétés rurales,
18.2002, p. 11-40 et Clare Stancliffe, « From town to country : the christianisation of the Touraine, 370-700 »,
Studies in church liistory, 1, 1979, p. 43-60.

544
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VT-XL SIECLES

fut réutilisé p o u r im planter u n e église à abside à pans coupés dédiée aux martyrs
Gervais et Protais et accostée d ’un petit baptistère. La faiblesse de la docum entation
limite la lecture chronologique du site et en particulier ne perm et pas de préciser à
quelle date rem onte l’usage funéraire des bâtim ents43.
Dans l’étendue de l’ancien diocèse de Poitiers, nous avons relevé plus d ’une quin­
zaine de sites présentant tout ou partie des critères réunis à Civaux [fàg. 2]. Ces grou­
pes d ’églises co m p ren n ent en majorité u n édifice principal dédié à saint Pierre, patron
de la cathédrale de Poitiers. A défaut, des saints étrangers ayant connu un culte précoce
en Gaule - Gervais et Protais, Clém ent, V incent - viennent relayer le prem ier pape44.
Jean-Baptiste préside souvent aux destinées d ’un autre édifice, auquel il est bien sûr
ten tan t d ’attribuer u n e fonction baptism ale. Enfin, des confesseurs locaux, souvent
bien mal attestés historiquem ent, p riren t parfois place dans un troisièm e édifice, vrai­
sem blablem ent à vocation funéraire. Ces groupes d ’églises c o n n u ren t des destins
divers, mais leurs différentes com posantes sont souvent encore indirectem ent percep­
tibles à l’époque m oderne (m aintien durable d ’une double église45*,présence dans le
sanctuaire principal d ’u n autel p o rtan t le titre des édifices secondaires disparus, dis­
jo n ctio n du vocable de l’église et de la fête paroissiale ou des titulaires de l’église et
du prieuré, m aintien de chapelles funéraires dans les cimetières, etc.).
Nous ne rep ren d ro ns pas ici en détail l’argum entation réunie dans un autre arti­
cle41’. Six exem ples dispersés dans l’étendue du Poitou suffiront à m o n trer le caractère
répétitif des indices recueillis.
A Saint-Jean-de-Sauves (Vienne), une église Saint-Jean-Baptiste et un édifice dédié
à saint C lém ent sont docum entés à partir du XL siècle dans les marges de l’agglomé­
ration antique47.
Seul souvenir d ’un autre habitat groupé gallo-romain, l’église Saint-Pierre-ès-liens
de Saint-Pierre-les-Eglises (Chauvigny, Vienne) était autrefois associée à deux autres
lieux de cultes d o n t nous ignorons les vocables48.
Braye-sous-Faye (Indre-et-Loire) dispose entre 1060 et 1108 de deux églises « cons­
truites en l’h o n n eu r de saint Jean et de saint Pierre »49. Seule la prem ière a subsisté.
U ne tradition locale lui attache un baptistère « où l’on se rendait en foule des régions
voisines »50.

43 Sur ce site, voir en dernier lieu le bilan critique fourni par Brigitte Boissavit-Camus et Luc Bourgeois, « Les
premières paroisses du Centre-Ouest de la France : études de cas et thèmes de recherches », in A ux origines
de la paroisse rurale en Gaule méridionale, LV-JX1'siècle, actes du colloque international de Toulouse (2003), éd.
Christine Delaplace, Paris, 2005, p. 159-172.
44 Sur ces cultes, voir Brigitte Beaujard, Le Culte des saints en Gaule. Les premiers temps, d ’H ilaire de Poitiers à la
fin du VF siècle, Paris, 2000, p. 60 et 253-257.
45 Vers 1035, les deux églises des Moutiers (aujourd'hui Bourg-sous-la-Roche, c. de La Roche-sur-Yon, Ven­
dée) sont ainsi dénommées basilicas gemmas (Cart. Bas-Poitou, La Roche-sur-Yon, I).
46: Brigitte Boissavit-Camus et Luc Bourgeois, op. cit.
47 Cartulaire de l ’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers, éd. Louis Redet, Poitiers, « Arch. Hist. Poitou », 3, 1874,
n°144 (988-1031), 145 {ca 1090)', 146 (1060-1108), 149 (c«1095).
48 Le site est encore dénom m é Tribus Ecclesiis en 1288 (Recueil de documents relatifs à l'abbaye de Monliemeuf de
Poitiers, éd. François Villard, Poitiers, « Arch. Hist. Poitou, 59 », 1973, n°204. Les deux édifices disparus
avoisinaient Factuelle église Saint-Pierre-ès-Liens.
49 Saint-Cyprien, n° 95 (voir également la charte n° 97).
r’"Jacques-Xavier Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre-et-Loire, Tours,
187 8 ,1.1, p. 396.

545
Luc B o u r g e o is

Le « p e tit cim etière » d ’Usson (Vienne) abritait deux édifices religieux au cours du
Moyen Age : l’église paroissiale Saint-Pierre-Saint-Paul, m entionnée à partir des années
1070-1080 mais d o n t le chevet est n ettem ent a n té rieu r’1 et une chapelle S aintjean-
Baptiste au jo u rd ’hui détruite. Attesté en 129252, cet édifice suscitait encore au XVIIb s.
un im portant pèlerinage pour la fête du Baptiste et sa vigile53.
Deux chapelles s’élevaient à proxim ité de l ’église Saint-Gervais-Saint-Protais de
Persac (V ienne)54 : Saint-Jean-Baptiste, en ruines au XVIIL' siècle, était le bu t d ’un
im p o rtan t pèlerinage p o u r les enfants et les malades, la veille de la fête du saint55. Un
obscur saint local, H onorât (qui n ’est peut-être q u ’un doublon de son hom onym e de
Lérins) titrait une chapelle rom ane, fouillée au XIX1' siècle par Camille de la Croix51’.
Enfin, l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers reçut entre 1015 et 1058 les quatre
églises de la curtis de Boismé (Deux-Sèvres) : Saint-Pierre, qualifiée d ’antique et de
vétuste, Notre-Dame, S ain tjean et Saint-Mayrulfe, « où le corps de ce saint repose »57.
Le minuscule village de Boismé abrite encore une église Saint-Pierre, autrefois priorale
et paroissiale, ainsi q u ’une chapelle et une fontaine dédiées à Mayrulfe, identifié par
la tradition com m e u n m oine d ’Ension ayant vécu au VI1' siècle51*53*567.
De tels pôles sont souvent qualifiés de vici et desservis par des archiprêtres à l’épo­
que m érovingienne59. C’est le cas du viens de Bessay (Vendée), où un tel personnage
apparaît au d éto u r d ’u n e anecdote du Livre à la gloire des martyrs60. Le conflit provoqué
par les deux prêtres de Béthines (Vienne) entre 938 et 949 pourrait égalem ent rappe­
ler la préém inence primitive des ces églises publiques61. Enfin, l’influence épiscopale
sur ce réseau est révélée p ar la présence de grands dom aines de l’Eglise de Poitiers
dans l’em prise d ’anciennes agglom érations antiques com m e Saint-Pierre-les-Eglises
ouV endeuvre (V ienne)62.

51 Saint-Cyprien. n"' 352, 354. et 395-396 ; Laurent Cogny et Béatrice Guyonnet, Usson-du-Poitou au f il des
siècles, La Crèche, 2002, p. 177.
r’-A . D. Vienne. 1H 1/36.
’ ’ Abbé Maigret. Histoire d ’Usson-du-Poilou, Saint-Maixent, 1951, p. 41-42.
51 Attestée entre 1097 et 1100 (Saint-Cyprien, n°9).
05 Charles d'Huart, « Persac et la châtellenie de Calais : études historiques sur la Marche du Poitou », Mérn.
Soc. Antiq. Ouest, 2' s., X, 1887, p. 105 suiv.
56 Camille de La Croix, [Note sur le petit sanctuaire de Persac], Bull. Soc. Nat. Antiq. France, 1S86, p. 299-303 ;
Huart, op. cil., p. 101-102.
57 Saint-Cyprien. n°158.
•w A. D. Vienne, 1H 1 /29 (mentions de la chapelle et de la fontaine aux XVII' et XVIIL'siècles) :J.-M. Dufour,
Histoire générale du Poitou, t. 1 (seul paru), Poitiers, 1828, p. 425 ; Touchard, « Notice sur la commune de
Boismé (Deux-Sèvres) et sur le comté de Clisson », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 1" s., VII, 1854, p. 153-163 ;Jean
et Dominique Hiernard, Carte archéologique..., op. cil., p. 114.
;’9 Sur les fonctions de l’archiprêtre mérovingien, voir en premier lieu la thèse de droit canonique de l'abbé
Faure, LArchiprêtre des origines au droit décrétalien, Grenoble, 1911. Mise en point récente et catalogue proso-
pographique dans Robert Godding, Prêtres en Gaule mérovingienne, Bruxelles, 2001 (Subsidia hagiographica,
82), p. 215-247.
11(1 Grégoire de Tours, Liber in gloria marlyrum, 89 (éd. Bruno Krusch, MGH., SRM., t. I, 2, Hanovre, 1885,
p. 97. L’église abrite alors des reliques de saint Vincent. Elle est aujourd'hui titrée de saint Jean-Baptiste.
1,1 Saint-Cyprien, n°184. Dans ce jugem ent synodal, Dodon et Israël, presbyler de vico Betinas... in potestale Sancti
Pétri, tentent de montrer leur prééminence sur la chapelle de Saint-Maixent à Haims. L’église Saint-Pierre-ès-
liens de Béthines prend place dans un très vaste cimetière mérovingien (Karine Robin et Luc Bourgeois, « Suivi
archéologique de tranchées à Béthines (Vienne) », Le Pays chauvinois, n° 36, 1998, p. 145-154 et pl. h. t.).
B-’ Saint-Pierre-les-Eglises : patronage de l'église Saint-Pierre concédé au chapitre fondé par l'évêque dans
son caslrumde Chauvigny (Henri Beauchet-Filleau, Fouillé..., op. cil., p. 246-247). Les paroisses de cette ville
sont toutes démembrées de Saint-Pierre-les-Eglises. Vendeuvre : sur la curtis épiscopale au X'' siècle, voir
Saint-Cyprien, n"' 65, 68. 69. 77, 82. La fréquence des collations épiscopales a également été utilisée en
Limousin pour rechercher d ’anciennes églises publiques (Michel Aubrun, L'Ancien diocèse de Limoges des
origines au milieu du XL siècle, Clermont-Ferrand, 1981, p. 228).

546
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES \T -X I' SIECLES

Le destin des nécropoles des agglomérations secondaires antiques


En Poitou, la tradition antique du rejet des m orts hors des principaux centres
habités est observée au m oins ju sq u ’à la fin du prem ier m illénaire sous des formes
diverses. Avec quelques nuances, cette règle a pesé sur la ville épiscopale, mais elle
semble égalem ent appliquée dans les fondations monastiques régionalesjusqu’à l’épo­
que carolingienne, sous la form e d ’une église funéraire établie hors de la clôture63*.La
position m arginale du principal lieu funéraire subsiste égalem ent dans certains vici et
castra hérités du h au t Moyen Age. A L oudun (Vienne), le quartier du Martray63 cons­
titue très tardivem ent un véritable quartier des m orts en contrebas du castrum. Il a livré
une concentration de vestiges de l’Antiquité et du haut Moyen Age et abritait deux
églises - Saint-Pierre et Notre-Dame l ’A ncienne - dès 106065.
Com me les basiliques funéraires élevées aux portes du chef-lieu de cité, les nécro­
poles des agglom érations secondaires gallo-romaines sem blent p o u rtan t exercer indi­
rectem ent u n pouvoir d ’attraction sur les vivants après la fin de l’Antiquité. Des habi­
tats groupés médiévaux - sur le statut desquels nous reviendrons dans la suite de ce
texte - se dressent en m arge de la p lupart des vieux centres désertés. Sous ces villages,
des travaux ponctuels on t souvent révélé l’im portance et la précocité des espaces funé­
raires. L’habitat médiéval aurait-il subi l’attraction d ’une nécropole périurbaine et des
édifices funéraires et cultuels q u ’elle aurait engendrés ? L’hypothèse est sans doute un
peu schém atique, mais la fréquence des coïncidences dem eure troublante. A Rom
(Deux-Sèvres), Vendeuvre ou Cenon (V ienne)66, quelques indices funéraires antiques
voisinent avec des découvertes m érovingiennes plus nom breuses. A Sanxay ou à Saint-
Jean-de-Sauves (Vienne), les villages m édiévaux apparaissent de m êm e étroitem ent
juxtaposés aux agglom érations antiques, à Niort, le p rieuré Saint-Martin, surm ontant
une vaste nécropole du h aut Moyen Age, se dresse en m arge de l’habitat gallo-romain
de Bessac67.
Ce probable glissement des vivants vers l’em placem ent d ’un pôle funéraire et reli­
gieux connaîtrait égalem ent des échecs, sous la form e d ’un lieu de culte isolé consti­
tuant l ’ultim e rappel d ’une agglom ération antique désertée. La célèbre église Saint-
Pierre d ’Aulnay (Charente-M aritim e) se dresse ainsi à l’écart de la ville et du château
vicomtal, dans un espace riche en vestiges antiques. Plusieurs épitaphes de militaires
rom ains et d ’autres indices funéraires on t été découverts à proxim ité im m édiate de
l’édifice68. Un second exem ple relie l’archéologie à un récit hagiographique d ’assez

63 En particulier à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), Charroux ou Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne). Dans le


chef-lieu de cité, les fouilles récentes ont toutefois livré plusieurs séries de tombes implantées dans le caslrum
et toutes datées entre la fin du IV1' siècle et le VIe siècle. Après cette parenthèse, qui demeure inexpliquée,
le maintien des morts hors de la ville redevient systématique jusqu’aux environs de l’an mil.
M Toponyme issu de martyretum : Léon Maître, « Les Martrays », Bull. Soc. Archéol. Hist. nat. Loire-Inférieure,
63, 1923, p. 65-79.
Luc Bourgeois, Robert Favreau et Christian Richard, « Du Gué de Sciaux à Saint-Savin-sur-Gartempe
(Vienne) », Petites villes, I, p. 44 et 54.
'* Nadine Dieudonné-Glad et Cécile Treffort, « Rom (Deux-Sèvres) », Petites villes, II, sous presse ; Hervé
Séjourné, L ’Agglomération gallo-romaine des Tours-Mirandes (Vienne), mémoire de DEA d ’histoire, Université de
Poitiers, 1999 ; Luc Bourgeois, « De Vieux-Poitiers... », op. cil., p. 178-181.
l,7Jean Hiernard et Dominique Simon Hiernard, Les Deux-Sèvres, op. cit., p. 240-243.
68 CIL XIII, n“ 1121-1123 et un fragment découvert en 1955 ; l’inscription CIL XIII, n" 119 est douteuse
(Louis Maurin, Carte archéologique de la Gaule : Charente-Maritime, Paris, 1999. p. 77-84). Au début du XII'
siècle, la célèbre église Saint-Pierre était associée à une chapelle dédiée à Saint-Martin (Saint-Florent, n°CLV
- c a 1120).

547
Luc B o u r g e o is

mauvais aloi, la Passio Sabini et Cypriani. Ce texte, probablem ent p ro d u it au XIe s. par
les m oines de Saint-Savin-sur-Gartempe69, situe le m artyre des deux frères aux environs
de l’agglom ération antique du Gué de Sciaux (Antigny, V ien n e)7". Le site est sur­
plom bé p ar l’ancienne chapelle où une tradition locale situe la sépulture primitive de
Cyprien et d o n t l’en v iro n n em en t a fourni u n e riche tom be d ’en fan t du H aut
E m pire71.

Grands cimetières et tombes privilégiées à l’époque mérovingienne

Les très vastes cim etières mérovingiens, peut-être composés dans certains cas de
plusieurs espaces funéraires distincts, constituent égalem ent un critère de distinction
im portant p o u r hiérarchiser les habitats régionaux. L’exem ple de Civaux (Vienne) a
frappé les esprits à défaut de donner lieu à des enquêtes scientifiques abouties72. L’éten­
due des cham ps funéraires de Saint-Pierre-les-Eglises73, C enon74, Braye-sous-Faye75 ou
Brioux-sur-Boutonne76révèle égalem ent u n pouvoir d ’attraction qui dépasse probable­
m ent le cadre local. Cette lecture quantitative doit être com plétée par une approche
qualitative. L’inventaire des nécropoles régionales ayant fourni des épitaphes77*et des
sarcophages à décor élaboré79 [fig. 3] éclaire la m êm e petite série de sites com posée
en m ajorité d ’agglom érations d ’origine antique et de lieux abritant un faisceau de
pouvoirs au cours du haut Moyen Age.

09 Passio Sabinus et Cyprianus, AA. SS, 3e éd., lui. III, p. 181-189, ici c. 30-32.
70 Petites villes I, p. 85-93.
71 Goudon de la Lande, « Note sur les fouilles faites dans l’ancien cimetière d'Antigny-sur-Gartempe, près
Saint-Savin (Vienne) », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 1e s., XI, 1865-1867, p. 563-567.
72 Présentation générale dans Brigitte Boissavit-Camus, Jean-Claude Papinot, Jean-Pierre Pautreau, Civaux
des origines au Moyen Age, Chauvigny, 1990.
73Yves-Jean Riou, « Saint-Pierre-les-Eglises (Chauvigny) », Le Pays chauvinois, 1988, p. 26-29.
74 Luc Bourgeois, « De Vieux-Poitiers... », loc. cil.
75 Présence d ’une nécropole du haut Moyen Age évaluée (avec quelque exagération peut-être) à une dizaine
d ’hectares (Carré de Busserolle, op. cit., I, p. 396).
75 David Brunie, « Brioux-sur-Boutonne (Deux-Sèvres) » in Petites villes.... I, p. 35-36.
7/ Tombes épigraphes : Antigny (Edmont Le Blant, Nouveau recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule anté­
rieures au VIII siècle, Paris, 1892, nos 260-269), Béruges (Ibid., n° 257), Champagné-Saint-Hilaire (Emile Ginot,
« Note sur les cimetières antiques du Poitou et leurs sarcophages superposés », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 3e s.,
VIII, 1928-1930, p. 456-459), Saint-Pierre-les-Églises (Le Blant 1892, n° 270), Civaux (Edmond Le Blant,
Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au VIII siècle, t. 2. Paris, 1865, t. 2, n° 576), Doué-la-Fontaine,
Maine-et-Loire (Le Blant, Nouveau recueil, n°244), Ligugé (Romains et barbares entre Loire et Gironde, catalogue
d ’exposition, Poitiers, 1989, n° 21), Persac (Le Blant, Nouveau recueil, p. 258), Poitiers, Rom (Cécile Treffort,
Le passé médiéval de Rom (Deux-Sèvres) et sa relecture au XIXe siècle, Bull. Soc. Antiq. Ouest, 5e s., 14, 2000,
p. 195-232 à compléter par Marie-Claude Bakkal-Lagarde et Stéphane Boutin, « Eléments lapidaires inédits
à Rom (Deux-Sèvres) », Bull. ADANE, n° 6, 1994, p. 12-19), Savigné (Le Blant, Nouveau recueil, n° 259). Nous
n ’avons pas pris en compte les inscriptions douteuses d ’Exoudun (Deux-Sèvres), Fontenay-le-Comte et
Saint-Cyr-en-Talmondais (Vendée) signalées par Benjamin Fillon (Le Blant, Inscriptions chrétiennes, t. 2,
n° 576F et p. 354-355). Les même sites apparaissent dans l’inventaire des sarcophages constitués de remplois
de grand appareil ou de bornes routières antiques (Autigny, Cenon, Civaux, Rom, Saint-Pierre-les-Eglises,
Savigné).
7HSarcophages à décor élaboré : Antigny (Vendée), Antigny (Vienne) ; Béruges ; Chiré-en-Montreuil, Poi­
tiers, Loudun (?), Saint-Pierre-de-Maillé, Savigné, Valdivienne/Cubord (Vienne), Rom (Deux-Sèvres) (cata­
logue à jour dans Aune Flammin, La Sculpture du IV au X' siècle entre Loire et Gironde, thèse de doctorat
d ’histoire de l’art, Université de Poitiers, 1999). Nous n ’avons pas retenu le couvercle de Lavoux (Vienne)
(Robert Favreau, dir.. Le Supplice et la gloire : la croix en Poitou. Paris-Poitiers, 2000, p. 51), qui nous paraît
postérieur.

548
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POL.ES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES \T -X I' SIECLES

Archidiaconés, archiprêtrés et doyennés


Les subdivisions du diocèse do n t le pouillé dit de G authier de Bruges7“ fo u rn it vers
1300 le prem ier tableau systématique [fig. 4] p erm etten t de m esurer l’évolution des
pôles régionaux à la fin du prem ier m illénaire. A l’origine, il n ’existe q u ’u n archidia­
cre par diocèse, qui assiste l’évêque dans l’ensem ble du territoire8". La charge fut par
exem ple rem plie p ar le futur saint Léger, neveu de l’évêque de Poitiers Didon (av.
629-apr. 669). La création d ’archidiaconés territoriaux ne semble pas attestée en Gaule
avant le d ébut du IX" siècle8081. Pour le diocèse de Poitiers, un acte des années 938-949
est souscrit par deux archidiacres82*84.En 974-975, la m ention de trois archidiacres mar­
que indirectem ent l’existence des trois circonscriptions qui se p erp étu ero n t ju sq u ’à
la Révolution88mais dont les titulaires ne jo u iro n t plus d ’un pouvoir réel après le milieu
du XIII" siècle81. Ils ont p o u r chefs-lieux Poitiers, T houars et Brioux-sur-Boutonne,
nom m ém ent cités entre 1019 et 103385. Ce sont donc trois centres régionaux tradition­
nels qui sont choisis com m e sièges de ces représentants locaux de l’évêque.
La mise en place des archiprêtrés ou doyennés poitevins est plus com plexe et plus
étalée dans le tem ps. Com m e dans d ’autres régions, ces circonscriptions sem blent
postérieures aux archidiaconés territoriaux. Les prem ières m entions que nous ayons
relevées p o u r le diocèse de Poitiers re m o n te n t aux années 1050-109086. Ce réseau
s’appuie pourtant p o u r partie sur des pôles issus du prem ier m illénaire com m e Amber-
nac, Ardin, Exoudun, Rom, ou Sanxay. L’archiprêtré de Pareds (cn" de lajau d o n n ière,
Vendée), associé à un habitat pratiquem ent déserté, m ériterait égalem ent une étude
détaillée87. En contrepoint, Ruffec, Faye-la-Vineuse, M irebeau, M ontm orillon, Morthe-
m er ou Vihiers rep résentent la nouvelle génération d ’agglom érations castrales. Les
m entions antérieures au plus ancien pouillé conservé révèlent égalem ent des cas de
déplacem ent d ’un pôle traditionnel vers une agglom ération plus florissante : Brioux
continue d ’abriter l’archidiacre, mais son église paroissiale dépend de l’archiprêtré
de Melle. Dans u ne circonscription a priori unique, on rencontre un archiprêtre ou
doyen de Curzon vers 1055 et vers 1170, alors q u ’u n doyen de Talm ont est signalé à
partir de 110588. Un doyen de Tiffauges figure dans u n acte de 1174 alors q u ’il porte

7!l Médiathèque de Poitiers, ms. 381(37), F129-180 ; en grande partie édité par Henri Beauchet-Filleau,
Pouillé du diocèse de Poitiers, Niort-Poitiers, 1868.
80 Abbé Faure, U Archiprêtre..., op. cil., 2<- partie.
81 Ibid., 3e partie.
82 Saint-Cyprien, n° 184.
8:1 Ibid., n°l78.
84 Leur rôle deviendra principalement honorifique avec l’essor de l’official et du vicaire général.
M SSaint-Cyprien, n° 185.
8fi Vers 1055 pour Curzon ( Carlulaires du Bas-Poitou, éd. Paul Marchegay, Les Roches-Baritaud, 1877, Fontai­
nes, II) ; vers 1080-1085 pour Mareuil (Cartulaire de l’abbaye Sainte-Croix de Talmond, éd. Louis de la
Boutetière, Mém. Soc. Antiq. Ouest, 1'° s., XXXVI, 1872, n° 10) ; entre 1088 et 1091 pour Savigné (Saint-
Cyprien, n° 343) ; 1092 pour Parthenay (Georges Pon, « La fondation du bourg de Parthenay-le-Vieux
(1092) » in Retour aux sources : textes, études et documents d'histoire médiévale offert à Michel Parisse, Paris, 2004,
p. 339-346) ; 1093 pour Thouars (Stéphane Perrault, La Formation et révolution du réseau paroissial poitevin des
origines à nos jours. Thèse de doctorat d ’histoire à l’Université de Poitiers, 2001, pièces just., chapitre Saint-
Pierre de Thouars, IV). La seule création datée est celle du doyenné de Bressuire, distrait de celui de Thouars
par l’évêque Jean de Bellesmains (1162-1182).
87 La curia de Tarchiprêtre 6.' Auparesio est attestée par un acte du dernier tiers du XIT siècle ( Cartulaire du
prieuré de Libaud, éd. Paul Marchegay et Louis de la Boutetière, Poitiers, « Arch. hist. Poitou, II », 1873,
n° XIII). La fixation de nombreux archiprêtrés dans des pôles traditionnels avait également été relevée pour
le diocèse voisin d’Angoulême : André Debord, La Société laïque dans les pays de la Charente, X-XIF s., Paris,
1984, p. 88-89.
88 Cart. Bas-Poitou, Fontaines, II et Boisgrolland I, II et XXXI.

549
Luc B o u r g e o is

le nom de decanus Sancti Laurentii vingt ans plus tard89. U n archiprêtre de Saint-Savin
est attesté en 116790. En 1225, l’un de ses successeurs est qualifié d ’archiprêtre de
M ontm orillon91. Les archiprêtres de Savigné se déplacent progressivement vers Gençay,
com m e en tém oignent les souscriptions et les sceaux des titulaires successifs9293.
Il ne faut toutefois pas accorder systém atiquem ent une im portance dém esurée à
ces changem ents de dénom ination qui sem blent de mise dans de nom breux diocèses
ju sq u ’au XIIIe siècle, voire plus tard91, sans q u ’ils m arquent obligatoirem ent une évo­
lution réelle des limites et du centre des circonscriptions9495.Enfin, les textes médiévaux
com m e certains travaux récents en tretien n en t une confusion entre la dénom ination
de la circonscription et celui de la cure annexée à la dignité d ’arch ip rêtre ou de
doyen96. Celle-ci, d ép e n d an t de l’évêque p o u r assurer l’autonom ie du titulaire par
rap p o rt au clergé local, a pu évoluer parallèlem ent au patrim oine épiscopal.

Les pagi poitevins [fig. 5]


Le pagus semble avoir constitué une circonscription courante dans l’O ccident anti­
que. Il form ait le territoire dans lequel se reconnaissait un groupe tribal et n ’a pas été
effacé par la mise en place des civitales gallo-romaines. Son autonom ie pouvait m êm e
être consacrée par la présence de divinités et de sanctuaires particuliers99.
L’usage de ce term e au cours du haut Moyen Age recouvre des sens m ultiples et
l’étude publiée en 1949 par Marcel G araud sur les pagi poitevins n ’accorde pas assez
d ’attention au contexte et à la datation des différentes occurrences du m ot97. A l’épo­
que carolingienne, il est souvent utilisé pour désigner le territoire de la cité98.

89 Documents pour servir à 1/histoire de Vabbaye de La Trinité de Mauléon, éd. Bélisaire Leclain, Poitiers « Arch. hist.
Poitou, XX », 1889, n° XXII ; Stéphane Perrault, loc. cil. Il s'agit de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée).
90 Henri Beauchet-Filleau, op. cil., p. XIV.
91 Cartulaire de la Châtille, éd. Alfred Richard, Poitiers « Arch. hist. Poitou, VII », 1878, n° LIV.
92 Il est archiprêtre de Savigné en 1165 (Médiathèque de Poitiers, coll. Fonteneau, t. XVIII), de Gençay et
Civray ou de Savigné et Gençay dans la seconde moitié du XIII‘ siècle (Recueil de documents relatifs à
l’abbaye de M ontierneuf de Poitiers (1076-1319), éd. François Villard, Poitiers « Arch. hist. Poitou, LIX »,
1973, n. p. 288, François Eygun, Sigillographie du Poitou ju sq u ’en 1515, Poitiers, 1938, n° 1374a)
93 Auguste Longnon relevait presque systématiquement ce fait dans les introductions aux pouillés du Recueil
des historiens de France.
1WQue penser par exemple du cas cle Parchiprêtré de Châtellerault ? Si un archiprêtre portant le nom de la ville
est signalé en 1211, un archiprêtre de Monthoiron et un archipresbyter Rupensis (La Roche-Posay) apparaissent
entre 1162 et 1169 ( Cartulaire de l'abbaye Notre-Dame de la Merci-Dieu, écl. Etienne Clouzot, Poitiers « Arch. hist.
Poitou, XXXIV », 1904, nos CXV, CLII et CLIV). Les trois lieux appartiennent au « second réseau urbain ».
95 C’est probablement dans ce sens qu’il faut interpréter la présence d ’un archiprêtre de Benest dans l’ar-
chiprêtré d ’Ambernac (Charente) (Médiathèque de Poitiers, coll. Fonteneau, t. XVIII, 1166, 1169 et 1170).
Cette confusion apparaît en dernier lieu clans l’article de Jacques Marcadé, « Réseau urbain et géographie
ecclésiastique : l’exemple du diocèse de Poitiers », in Les Réseaux urbains du Centre-Ouest atlantique de VAntiquité
à nos jours, actes du colloque de Poitiers (1993), écl. Philippe Guignet, Jean Hiernard et Paul Mantrant,
Poitiers, 1996, p. 203-212.
9,5 Michel Tarpin, Vici et pagi dans les inscriptions d'Europe occidentale et dans la littérature, thèse de doctorat
d ’histoire, Université Aix-Marseille I, 1989, 2 vol. Ce problème a été récemment repris pour la Narbonnaise
(Philippe Leveau éd., « Agglomérations secondaires et territoires en Gaule narbonnaise », Rev. archéol. Nar­
bonnaise, 26, 1993, p. 277-299) et le Bassin parisien (Luc Bourgeois, Territoires, réseaux et habitats : l'occupation
du sol dans l'Ouest parisien du V au Xe siècle, thèse de doctorat à l’Université Paris I-Sorbonne, 1995, t. 1, p. 70-
76). Sur les numinapagorum, cf. André Chastagnol, « L’organisation du culte impérial dans la cité à la lumière
des inscriptions de Rennes », in La Civilisation des Riedones, éd. Anne-Marie Rouanet-Liesenfelt, Rennes,
1980, p. 187-199 et Erich Gose, Der Tempelbezirk des Lenus Mars in Trier, Berlin, 1955.
97 Marcel Garaud, « Les origines des ‘pagi’ poitevins du Moyen Age (VL-XL siècles) », Rev. hist. Droit Je
Étranger, 1949, p. 543-561.
98 Cette acception est claire dans de nombreux textes, par exem ple pour des biens situés dans le pagus de
Poitou et la concilia de Brioux ( Chartes de l'abbaye de Nouaillé de 678 à 1200, éd. Pierre de Monsabert, Poitiers,

550
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES W -X IE SIECLES

Le sud du Haut-Poitou est occupé par le pagus de Brioux, do n t la prem ière m ention
rem onte à la fin du VII1'siècle“9. Il se distingue des autres pagi poitevins par son étendue
et le nom bre im portant de vigueries q u ’il abrite à l’époque carolingienne10010. Le pagus
de Melle, attesté à partir de 925'°' m arque un dém em brem ent récen t de celui de
Brioux. De m êm e, l’existence d ’un pago Niortense en 971102 est probablem ent une évo­
lution due à l’essor rapide du caslrum de Niort. Plus au nord, le pagus de Thouars est
signalé dès 908-913103 alors que celui de L oudun n ’est connu que par un acte de Foul­
que N erra établi en tre 987 et 996104. Il faut en revanche rejeter l’existence d ’u n pagus
de Châtellerault, évoquée par Marcel G araud105*.
La situation du Bas-Poitou est plus confuse en raison de la rareté des sources écrites
et des évolutions territoriales du Xe siècle. Grégoire de Tours m entionne la région de
Tiffauges sous les form es Theifalia!06, gente Theifalus et Pictavi pagi quem Theifaliam
vocant107. Ce toponym e rappelle les colonies taïfales im plantées en P oitou au Bas
E m p ire108. Les Mauges (pagus Medalgicus), annexées à la B retagne en 941-942 puis
dom inées par les comtes d ’Anjou, sont signalées par quelques sources souvent dou­
teuses109. L eur chef-lieu n ’a jam ais été identifié de m anière convaincante. La destinée
de l’H erbauge a été étudiée en détail parJean-Pierre B runterc’h 1101. Citée par Grégoire
de Tours111 et dans le testam ent de B ertrand du Mans (vers 616)112134,elle est qualifiée de
regio dans les Vies de saint A m and"\ de tellus dans les écrits d ’E rm entaire"4 et de pagus

« Arch. hist. Poitou, 49 », 1936, n° 50 - 937) ou dans le pagus de Poitiers et la condita de Thouars (Saint-
Cyprien, n" 170 - 975-976). Aucun texte n'exprime par contre clairement l’existence d ’un pagus de Poitiers
constituant une fraction de la cité. Cette pratique se retrouve dans d ’autres régions : Laurent Schneider,
« Les agglomérations de tradition antique dans les sources médiévales languedociennes : le cas des chefs-
lieux territoriaux », in Atlas des agglomérations gallo-romaines du Languedoc-Roussillon, éd. Jean-Luc Fiches,
Lattes, 2002, p. 33-38.
69 Nouaillé, tri 1. Dernière m ention entre 1047 et 1070 (Saint-Cyprien, n" 405).
100 Petites villes... I, fig. 15.
101 Charles et documents pour servir à l'histoire de l'abbaye de Sainl-Maixenl, éd. Alfred Richard, Poitiers « Arch.
Hist. Poitou, XVI », 1886, n" 11.
"® Carlulaire l ’abbaye de Saint-Jean d ’Angély, t. I, éd. Georges Musset, Paris et Saintes « Arch. hist. Saintonge
Aunis, 30 », 1903, n° 433.
,0:! Nouaillé. n°37.
,(’4 Saint-Cyprien, tri 103.
105 « Les origines... », op. it., p. 554 d ’après Nouaillé, n° 100 (1014 ou 1016-1031). Cet auteur a utilisé la copie
de l’acte fournie par dom Fonteneau (t. XXI, p. 419) et qui m entionne un alleu in pago Piclavo, in condito
Castro Adraldum et in ipsa vicaria. L’original localise simplement le bien dans la viguerie d’Ingrandes. Nous
avions perpétué cette erreur dans un article antérieur (De Vieux-Poitiers..., op. cil., p. 191).
I(H| Grégoire de Tours, l.Uni historiarum, X, livre IV, c. 1S (éd. Krusch et Levison, p. 150-151).
11)7 Grégoire de Tours, Liber vitaepatrum, XV, 1 (éd. Bruno Krusch. MGH, SRM, II, Hanovre, 1885, p. 271).
1118 Noticia dignitatum, c. XLII, éd. Otto Seeck, Berlin, 1876 ; Richard, « Les Taifales, la Theifalie et le Pays de
Tiffauges », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 2e s., VII, 1895, p. 419-441. Le Theofalgtcus pagus apparaît également dans
un acte faux de Charles le Chauve pour Saint-Florent de Saumur (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd.
Georges Tessier, t. Il, Paris, 1952, tri 470 —848).
109 In Andegcwo territorio Medalgie pagus, 1052-1064 (charte du prieuré de Saint-Quentin citée par Célestin
Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, t. 2, Paris-Angers, 1874, p. 617). Les
mentions antérieures proviennent en majeure partie de diplômes faux établis par les moines de Saint-Florent
de Saumur.
110 L ’Extension du ressort politique et religieux du Nantais au sud de la Loire : essai sur les origines de la dislocation du
pagus d'ILerbauge (IX' siècle - 9S7), thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne. 1981.
111 Liber in gloria martyrum, loc. cil.
112 Testament de Bertrand du Mans, éd. G. Busson et A. Ledru, Archives historiques du Maine, t. Il, Le Mans,
1902.
113 Vita Amandi episcopi BHL332, AA. SS., 3“ éd. Febr. I, p. 860, n. a : in pago Herbalilico versus Ligerimfluvium...
et BHL 335, p. 864 : in pago Herbalilico non longe a Hilare Oceani Galliae...
114Ermentaire, Translationes et miraculis sancti Filiberti, livre I, c. XXVII et livré II, incipit (éd. René Poupardin,
Monuments de l ’histoire des abbayes de saint Philibert, Paris, 1905, p. 34 et 61).

551
Luc B o u r g e o is

dans trois diplômes royaux carolingiens11516.La Vie de saint M artin de Vertou (Xusiècle)
rap p o rte la légende d ’une ville d ’HerbadiUa, engloutie dans les eaux du lac de Grand-
lieu1"’. Rezé est égalem ent pourvu d ’un terminus dans la prem ière moitié du IXe siècle117*
mais la prem ière m ention d ’un pagus Radesius n ’est pas antérieure à 1060-1082lls et
annonce plutôt l ’actuel « pays de Retz » q u ’une circonscription du h aut Moyen Age.
Un peu plus au sud, deux autres pagi sont connus au Xe siècle par une unique m ention :
M ervent119et T h iré120 (V endée). Le prem ier site deviendra une châtellenie im portante.
Nous retrouverons le second parm i les plus im portants lieux d ’émissions m onétaires
m érovingiens de la région.
Com m e les autres circonscriptions du h aut Moyen Age, le pagus n ’apparaît pas
com m e une entité intangible. Certains chefs-lieux traditionnels perdent en im portance
au profit de centres en plein essor : Melle vient ainsi concurrencer Brioux et Niort
grignoter les marges de l’A unis121. Dans les confins nord-ouest du Poitou, l’imprécision
du vocabulaire (pagus, terminus, tellus, territorium, regio) invite m êm e à s’interroger sur
la réelle consistance des circonscriptions attestées.

Les vicomtes [fig. 5]


C onform ém ent à la législation carolingienne, le com te de Poitou disposait dans le
courant du IXe siècle d ’un unique suppléant, le vicom te122*124.Le prem ier vicomte attesté
serait un certain Gautier, m entionné en 876 ou 885'-'. Le fait q u ’u n e terre soit placée
dès 833 in vicicomitatu Toarcinse129 ne signifie pas obligatoirem ent que ce personnage
contrôlait une fraction du territoire de la cité mais plutôt q u ’il était établi clans l’im­
p o rtan te forteresse de Thouars et que le bien foncier cédé dépendait des honores atta­
chées à sa charge. Il faut attendre le vicomte Savari Ier (cité de 903 à 942) p o u r relier
clairem ent le castrum de Thouars à la dynastie vicom tale125. Un vicomte Aimeri, avoué
de Saint-Maixent, siège en 926 au castrum de Loudun, sans que nous puissions assurer
q u ’il s’agit du siège de son pouvoir125.

u” CP avant 900, op. cil., n° C005 (819) ; BnF, coll. Baluze, vol. 41. P 179 (821) ; Recueil des actes de Pépin Ier el
Pépin II, rois d ’A quitaine (S14-848), éd. Léon Levillain, Paris, 1926, n° XXI (834-835).
116 Vila Martini Vertavensis, c. 5, AA. SS., 3° éd., Oct., X, p. 806 ; Léon Maître, « La ville d'Herbauge a-t-elle
existé dans le lac de Grandlieu ? », Bull. Soc. archéol. hist. Nantes, 1924, p. 235.
117 Ermentaire, Translationes..., op. cil., livre I, c. XXXIX (éd. Poupardin, p. 38) : infra lerminum Ratinsim.
115 Carlulaire de l ’abbaye de Redon en Bretagne, éd. Aurélien de Courson. Paris, 1863, n° 2S6.
1,8 « Documents pour l'histoire de l’église de Saint-Hilaire de Poitiers », éd. Louis Redet, Mêm. Soc. Antiq.
Ouest, 1" s., 14, 1847, n° 49 {ca 989) : in pago Matrevenlum, unam villam quae nuncupaturEcolonii.
125 Saint-Cyprien, n°177 (965-966). La viguerie d’Ardin est comprise dans le ressort de ce pagus Tiriacensis.
121 Les comtes de Poitou ont la mainmise sur le pagus d'Aunis depuis 934 au moins. Le développement de
Niort et le glissement progressif de la viguerie aunisienne de Bessac au pagus de Niort sont probablement
à mettre au compte de cette évolution politique (sur l'Aunis, cf. Jacques Duguet, •<L’Aunis au X” siècle : la
question du pagus Alienensis », Roccaforlis, 3° s., 9, janvier 1992, p. 5-20).
122 Marcel Garaud. Les Châtelains de Poitou el l ’avènement du régime féodal, X'-XII siècle, Poitiers « Mém. Soc.
Antiq. Ouest, 41' s., t. 8 », 1964, p. 5-6, 9-10. Plus récemment :Jan-Hendrik Prell, Graf Vizegrafen undA del in
Nordaquilanien (10. und 11. fahrhunderts), dissertation à l’université de Mannheim, 1991 (N. C.).
12:1 Charles poitevines antérieures à 900, éd. Elisabeth Carpentier et al., Poitiers, 1989, n°D026. Cet acte n ’est
toutefois connu que par une copie et la formule in vicaria castelli Toarcinse peut poser problème à une date
aussi haute.
124 Charles poitevines de l ’abbaye de Saint-Florent près Saumur, éd. Paul Marchegay, Poitiers « Arch. hist. Poitou.
Il », 1873, n°33.
125 George Beech, « The origins o f the family o f the viscounts o f Thouars », in MélangesE.-R. Labande. Etudes
de civilisation médiévale, Poitiers, 1974, p. 25-31.
125 Chartes poitevines 925-950, éd. Elisabeth Carpentier et al., Poitiers, 1999, n° F004. Sur la charge occupée
par ce personnage, longtemps considéré comme le frère du vicomte de Thouars Savari (Henri Imbert,

552
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VE-XI' SIÈCLES

Deux nouveaux vicomtes apparaissent au début du Xe siècle dans le sud du Poitou.


Des vicomtes de Melle sont attestés brièvem ent, de 903-907 à 927-948*127. Leur existence
a souvent été reliée à l’exploitation des mines de plom b argentifère128 mais l’exploita­
tion du gisem ent cesse dans le courant du X1’ siècle129130et la présence d ’un im portant
castrum p eu t égalem ent contribuer à l'expliquer. Les vicomtes d ’Aulnay, do n t l’origine
fait l’objet d ’un déb at11“, s’installent en revanche durablem ent et récupèrent au moins
une partie des prérogatives de leurs voisins mellois.
Guillaume Tête d ’Etoupe com plète ce dispositif en installant peu avant 936-937
deux autres vicomtes qui apparaissent postérieurem ent im plantés à Brosse (Chaillac,
Ind re), dans une portion du Berry récem m ent annexée p ar le duc d ’Aquitaine, et à
Châtellerault, site verrouillant l’accès à Poitiers depuis le n o rd 131.
Si l’on excepte le siège tem poraire de Melle, tous les autres sites de vicomtés cons­
tituent des places stratégiques aux frontières du com té. Leur répartition géographique
souligne le rôle m ilitaire des vicomtes poitevins, qui investissent des centres tradition­
nels (Thouars, Melle, Aulnay, peut-être L oudun) puis dans un second tem ps suscitent
la création de nouveaux pôles qui connaîtront un succès durable (Châtellerault) ou
végéteront (Brosse).

Les vigueries [fig. 5]


Les vigueries sont des circonscriptions civiles mises en place en Aquitaine à partir
du d ébut du IXe siècle132. Elles étaient adm inistrées p ar un fonctionnaire dénom m é
vicaire (vicarius), qui disposait d ’attributionsjudiciaires, fiscales et militaires133.Jusqu’à
la fin du X1' siècle, la p lupart des actes de la pratique utilisent la hiérarchie pagus-vica-
ria-villa com m e cadre de localisation des biens fonciers. Cet usage perm et de disposer
d ’un corpus assez am ple de m entions concernant la cité de Poitiers, m êm e si le Bas-
Poitou correspond une fois de plus à un vide docum entaire sans doute bien éloigné
de la réalité. Ces vigueries constituent un maillage adm inistratif assez instable : elles
sem blent avoir évolué d u ran t toute l’époque carolingienne en fonction de la hiérar­
chie changeante des habitats. Dans la prem ière m oitié du X9 siècle, la construction du
château comtal de Colombiers (Vienne) am ène ainsi le dém em brem ent de l’ancienne

« Notice sur les vicomtes de Thouars de la famille de ce nom », Mém. Soc. Antiq. Ouest, l rc s., XXIX, 1864,
p. 326), voir Beech, op. cit., p. 28-30 et Brunterc’h, op. cit., p. 137-139, qui proposent d ’en faire un vicomte
de Loudun. Les éditeurs des chartes poitevines (p. 11, n. 11) voient en lui un vicomte de Poitiers.
127 Rapide bilan de la question dans Luc Bourgeois, Florian Tereygeol, « Melle (Deux-Sèvres) » in Petites
villes, II, sous presse.
128 Cette formule n ’est critiquée que par René de La Coste-Messelière, Note pour servir à Vhistoire de Melle : du
castrum à la motteféodale et au château, du vicomte aux châtelains et aux seigneurs, Poitiers, 1957, p. 17-19.
129 Luc Bourgeois, Florian Tereygeol, « Melle », op. cit.
130Voir supra n. 126. Le vicomte Maingaud, attesté de 903 à 922, a souvent été considéré comme le premier
vicomte d ’Aulnay, sans que sa charge soit jamais désignée précisément (Nouaillé, n',s 26, 31, 32 et 40 ; Saint-
Maixent, n° 8). C’est probablement à l ’époque de Cadelon, attesté de 927 à 947-948, que le siège de la
vicomté se déplace de Melle à Aulnay (c’est l ’opinion de René de la Coste-Messelière, Note..., p. 19. Contra. :
André Deborcl, La Société laïque..., op. cit., p. 216, n. 148).
131 Saint-Cyprien, n°549.
132 837 en Poitou (CP avant 900, n° C019), 823 en Limousin (Jean-François Boyer, « Les circonscriptions
civiles carolingiennes à travers l’exemple limousin », Cahiers civilisation, médiévale, 39, 1996, p. 239), 852 en
Rouergue (Frédéric de Gournay, « La mutation de la viguerie en Rouergue (IXl'-XIT s.) », in Les Sociétés
méridionales à luge féodcd. : hommage à Pierre Bonnassie, éd. Hélène Debax, Toulouse, 1999, p. 245).
133 François-Louis Ganshof, « Charlemagne et les institutions de la monarchie franque », in Karl der Grosse,
Lebenswerk und Nachleben, Düsseldorf, bd 1, 1965, p. 366-370.

553
Luc: B o u r g e o i s

viguerie de Sauves et peut-être de celle de Brizay134. Nous l’avons vu, la substitution de


la viguerie de N iort à celle de Bessac consacre égalem ent la translation du principal
pôle d ’habitat de la rive gauche à la rive droite de la Sèvre m ortaise135. Le fait que
certaines villae soient successivement attribuées à plusieurs vigueries différentes peut
résulter d ’erreurs de scribes, mais il tém oigne aussi dans certains cas d ’une évolution
de limites adm inistratives1361378. Les limites du com té on t égalem ent varié et la mise en
place d ’u n e viguerie poitevine au to u r de Pouligny-Saint-Pierre (Indre) tém oigne -
com m e la création de la vicomté de Brosse - de la mainmise tem poraire des comtes
de Poitiers sur les marges occidentales du Berry13'. La restitution des ressorts de vigue­
ries à partir de sources peu nom breuses et étalées sur deux siècles constitue donc un
exercice largem ent théorique.
Les chefs-lieux de vigueries carolingiennes se répartissent en plusieurs catégo­
ries :
Des centres hérités du réseau des agglom érations antiques, com m e Aulnay, Bessac,
Brioux-sur-Boutonne, Civaux, Loudun, Poitiers, Rezé, Rom, Saint-Jean-de-Sauves
ou Sanxay, et probablem ent Ardin, Ingrandes-sur-Vienne et Savigné13*.
Des lieux qui réunissent plusieurs des critères d ’autorité étudiés dans ces pages,
com m e Braye, Brion, Exoudun, Marnes, Melle, Saint-Maixent, Thouars et U sson139.
Les recherches archéologiques futures p o urraient d ’ailleurs révéler de nouveaux
habitats agglomérés antiques dans cette série.
Des sites a priori plus modestes, souvent signalés dans un seul texte, et sur la nature
desquels nous sommes mal renseignés.
Il p eu t s’agir de dom aines d ’origine fiscale (Ardin) l4°, de places fortes des ducs
d ’Aquitaine (Colombiers, N io rt)141, de grands dom aines m onastiques (Blaslay, dépen­

134 Première mention du castrumen 926 (CP 925-950, n" F004) et de la nouvelle viguerie vers 965-966 (Saint-
Maixent, n" 33).
135 La viguerie de Bessac est attestée de 936-937 (Saint-Cyprien, n" 549) aux deux dernières décennies du
X1' siècle (Saint-Cyprien, n"' 519 et 547). Les ultimes mentions, postérieures à l'an mil, la déplacent d ’Aunis
en Poitou. La viguerie de Niort apparaît en 971 dans les sources conservées (Saint-Jean d ’Angély, n" 433).
136Aiffres (Deux-Sèvres), chef-lieu de viguerie en 948 comme en 969 (Saint-Maixent, I. n"' 17 et 38) apparaît
ainsi compris dans la viguerie de Marigny en 968 (Saint-Maixent, I, n" 37) : Lussac-les-Châteaux (Vienne)
est rattaché à la viguerie de Sillars dans un acte de 899 ou 901 et à celle de Civaux en 900 (Nouaillé, n™ 25
et 28), etc.
137 Saint-Cyprien, n° 4 (villa... Proliacus in ipsopago [Piclavo], in vicaria Pauliniacense —936). Quelques décen­
nies plus tard, se secteur a fait retour en Berry et la place forte du Blanc a relayé Pouligny (Saint-Cyprien,
n" 188 : villa Silvolena in pago Biturico, in vicaria Obliacinse—968 ou 969 et n" 257 : villa ... Pruliacus... in pago
Biturico, in vicaria Oblentiaco- 988-1031).
138 Premières mentions de ces circonscriptions : Aulnay (Saintjean d'Angély, n° 1 6 8 - ca 970), Bessac, c. de
Niort (Saint-Cyprien, n° 549 - 936-937), Brioux-sur-Boutonne (CP avant 900. n° D007 - 868), Civaux (Ibid.,
n’ D 0 0 5 -8 6 2 ), Poitiers (Ibid., n °D 0 0 6 -866). Rezé (Ibid., C 0 2 0 -8 3 9 ), Rom (Saint-Hilaire, n° 29), Saintjean-
de-Sauves (CP avant 900, n° DOD - 876), Sanxay (Saint-Hilaire, n" 16 - 939), Ardin (Saint-Cyprien, n° 177
- 965-966), Ingrandes-sur-Vienne (Saint-Hilaire, n" 13 - 913), Savigné (CP avant 900, n°D031 - 891 ).
139 Braye-sous-Faye (CP avant 900, n° D034 - 892), Brion (Nouaillé, n" 33 - 904), Exoudun (Saint-Maixent.
n°28 - 963-964), Marnes (Saintjean d'Angély, n°189), Melle (Saint-Maixent, I, n" 1 2 -9 2 5 ), Saint-Maixent
(Ibid., n°55 - 988), Thouars (CP avant 900, n°D026 - 876 ou 885), Usson-du-Poitou (Saint-Hilaire, n" 13 -
913).
1411 Ferdinand Lot, « Un grand domaine à l’époque franque : Ardin en Poitou. Contribution à l’étude de
l’impôt », Biol. Éc. hautes éludes, Sc. Hist. et phii, fasc. 230, 1921, p. 109-129. Réédité in Recueil des travaux
historiques de Ferdinand Lot, t. II. Genève-Paris, 1970, p. 192-211 ; Walter Goffart, The Le Nlans forgeri.es : a
chapterfrom the liistory of church property in the ninlh cenlury, Cambridge, 1966.
141 CP 925-950, n° F004 (926) pour Colombiers ; pour Niort, cf. n. 135.

554
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VF-XI4 SIÈCLES

dance de Saint-Martin de Tours)142. Jean-François Boyer a récem m ent envisagé pour


le Limousin voisin une dualité des chefs-lieux de viguerie, ces circonscriptions recevant
indifférem m ent le nom d ’un site de n ature publique ou d ’un dom aine rural « servant
de dotation ou de résidence au vicaire en charge de la circonscription »"3. L’hypothèse
est séduisante et offrirait l’avantage d ’expliquer certains couples apparaissant sur la
carte : E xoudun et Isernais, Bouin et H anc, Thénezay et Cherves. Elle reste toutefois
insuffisam m ent étayée : l’origine fiscale de ces dom aines n ’est guère docum entée et
u n toponym e « d ’origine gallo-romaine » ou la présence de vestiges antiques ne cons­
tituent en rien des élém ents de preuve. Le seul exem ple poitevin fourni par l’auteur
est le couple Pouligny-Saint-Pierre/Le Blanc, q u ’une évolution frontalière suffit à expli­
q u er144. La m ention tardive (988-1031) d ’une viguerie de Brem-sur-Mer et Talm ont
(V endée)145, illustre probablem ent u n transfert de pouvoir du site traditionnel vers le
nouveau c a stru m , au moyen d ’une form ule que nous avons déjà rencontrée p o u r les
déplacem ents de chefs-lieux d ’archiprêtrés. Il faut bien avouer que nous ignorons ce
qui a am ené la prom otion com m e chefs-lieux de vigueries de sites com m e Rinsac,
aujourd’hui maigre ham eau de la com m une de Saint-Pierre de Maillé (V ienne), Aiffres
aux portes de Niort, Sillars et Adriers en M ontm orillonnais, Villefagnan ou Condac
(C harente).
U ne nouvelle série de circonscriptions apparaît dans la région à partir des années
980. Elle répond soit au nom classique de v ic a ria , soit à la dénom ination nouvelle de
v ic a r ia c a stri'46, et correspond aussi bien au ressort de châteaux récents q u ’à celui d ’an­
ciens chefs-lieux de vigueries carolingiennes désorm ais pourvus d ’u n c a s tr u m '41. La
dislocation progressive de la viguerie carolingienne s’achève dans la prem ière moitié
du XIe siècle, lorsque la v ic a ria disparaît com m e cadre territorial pour devenir un droit
banal et un objet de transactions118. La plus ancienne attestation régionale de cette
nouvelle acception rem onte aux environs de 975149et son usage se répand au cours du

,42 Saint-Cyprien, n° 79 (987-996).


I4:’Jean-François Boyer, « Contribution à l'étude des circonscriptions civiles carolingiennes du Limousin »,
Bull. Soc. archéol. hist. Limousin, CXXIII, 1995, p. 25-26, n. 10 : Id., »Les circonscriptions ... », op. cil., p. 256-
257. Il a été suivi par Frédéric de Gournay, op. cil., p. 245-246.
144Jean-François Boyer, « Les circonscriptions... », p. 257. Voir notre analyse supra et les sources n. 137.
145 Saint-Cyprien, n" 581.
1411Sur cette notion, voir en particulier André Debord, La Société..., op. cil., p. 122-124et« L'église, le château
et l'organisation de l’espace dans l’Ouest de la France, X'-XIV siècles », Actes des 2 rencontres de Commari/ue,
1986, s. 1„ 1988, p. 26-44.
147Availles-Limouzine (« Sancti Stephani Lemovicensis cartularium », éd. Jacques de Font-Réault, Bull. Soc. archéol.
hist. Limousin, vol. LXVIII, 1919, n" XXV - vicaria, ca 1020) ; Aulnay (Saint-Jean d'Angély, n" 65 - vicaria
Castro Auniaco, ca 1038) ; Châtellerault (Saint-Cyprien, n° 274 —vicaria, 988-1031 - et n° 275, formule origi­
nale : prope satis de Castro Araldo, ca 1017) ; Chauvigny (Saint-Cyprien, n° 212 - condila Castelli, ca 1022) ; Civray
(Saint-Cyprien, n" 454 - vicaria, 990-1020, Saint-Etienne de Limoges, n" IX, vicaria Sivriaco Castro, 1010-1014) ;
Fontenay-le-Comte (Saint-Cyprien, n° 539 - vicaria indiquée en interligne, 1021-1029) ; Gençay (Saint-
Cyprien, n" 416 -vicaria, 986-999, Saint-Cyprien, n" 348 - vicaria castri, ca 1080) ; Melle (BnF, coll. Moreau,
t. XX, p. 133 - vicaria castri, 1031 ; Saint-Jean 445) ; Niort (Nouaillé, n°62 - marais in Castro Niortinse, 961-
994 ?) : Mervent (Saint-Hilaire n° 49 - vicaria, ca 989) ; Ruffec (Saint-Cyprien, n“ 451 et 457 - vicaria, 988-
1031 et ca 980). L’évolution sémantique est égalem ent attestée pour la vieille fortification de Thouars
(Saint-Florent, n° 3 4 —vicaria ipsius castri, 994).
I4S Ferdinand Lot, « La vicaria et le vicarius », Rev. hist. Droit fr. étranger, 1893, p. 281-301 ;Jacques Boussard,
« Le droit de vicaria à la lumière de quelques docum ents angevins et tourangeaux », in Mélanges E.-R.
Labande, Poitiers, 1974, p. 39-54 ; Dominique Barthélemy, La Société dans le comté de Vendôme de l ’a n mil au
X IV siècle, Paris, 1993, p. 325-328.
149 Saint-Jean d'Angély, n° 447 : le duc Guillaume Fier-à-Bras donne à l’abbaye de Saint-Jean d ’Angély la
vicaria sur son domaine de Courcelles.

555
Luc B o u r g e o is

prem ier quart du XL siècle. Perduration d ’usages anciens, la vicaria continue pourtant
à servir occasionnellem ent de référence géographique ju sq u ’à la fin du XL siècle150.
Un glissem ent direct entre certaines vigueries et des châtellenies a souvent été
proposé, mais jam ais com plètem ent étayé151.
Il est vrai que les données sont souvent trop rares ou trop dispersées dans le temps
p o u r q u ’une confrontation des territoires successifs soit possible. Il n ’y a d ’ailleurs
aucune raison p o u r que la vicaria classique se soit fossilisée alors que les pouvoirs con­
naissent une recom position dont la logique est fort différente. D ’autre part, un certain
nom bre de lieux centraux se déplacent au sein des micro-régions q u ’ils contrôlent :
dans le sud de l’actuel départem ent de la Vienne, Civaux est ainsi éclipsé par Lussac
et M orthem er, Brion par Gençay, Blanzay et Savigné par Civray. Il n ’est p o u rtan t guère
plus facile de m esurer de possibles continuités lorsque le chef-lieu de la viguerie et de
la châtellenie sont identiques, com m e à Vivonne152.
La recherche de filiations entre viguiers et châtelains révèle égalem ent des situa­
tions diverses (et souvent am biguës).
Restons à Vivonne où un nom m é H ugues est vicaire en 1004-1005. L’un de ses
probables descendants, Hugues du castrum de Vivonne, est encore qualifié de vicarius
vers 1070153. A Melle, C onstantin est le d ernier personnage à s’intituler vicarius Metu-
lensis en 1043. Mais il est égalem ent dénom m é militis Metulensis caslri vers 103515'. Le
vicomte Adraldus, attesté jusque vers 985 et do n t le nom se retrouve dans la ville de
Châtellerault a souvent été considéré com m e un ancien viguier d ’ingrandes. Le viguier
Adraldus est en fait son fils cadet, qui tém oigne après ses frères Acfred et Boson à
p artir des années 990155156.D ’autres rapprochem ents glânés dans la littérature n ’on t en
revanche aucune p ertin en ce : pourquoi, p ar exem ple, faire un ancien viguier de
Guillaum e le Chauve, prem ier seigneur connu de Talm ont (Vendée), sim plem ent
parce q u ’il souscrit vers 1030 un acte concernant la viguerie de Brem et Talm ont1511?

Les plus anciens sites fortifiés


La relative rareté des fortifications du haut Moyen Age et le contrôle régalien qui
m arqua longtem ps leur édification invitent égalem ent à se p en c h er sur ce type de
structure. En l’absence de recherches de terrain, l’évocation de leur genèse dem eure
to talem en t spéculative157. C om m e la p lu p art des chefs-lieux de cités d ’A quitaine
seconde, Poitiers reçut une enceinte m onum entale à la charnière des HL et IV siè­
cles158. H ors des régions frontalières de l’Em pire, ce m ouvem ent de mise en défense

150 Vers 1037, un scribe de l’abbaye de Saint-Jean d ’Angély se sent encore obligé de localiser un bien dans
le pagus de Briotix, mais en portant la m ention vicarria nulla (Saintjean d'Angély, I, n" 101) !
151 Entre autres par Ferdinand Lot, « La vicaria.... », op. cil., et Marcel Garattd, Les Châtelains de Poitou..., op.
cil., p. 73.
152 Inventaire des lieux signalés dans une viguerie puis dans le ressort d'un château récent dans Marcel
Garaud, •<La construction des châteaux et les destinées de la ’vicaria’ et du ’vicarius’ carolingiens en Poi­
tou », Rev. hisl. Droitfr. étn, n° 1. 1953, p. 68-69.
153 Saint-Cyprien, n° 425 ; Nouaillé, n° 121.
154 Analyse détaillée dans Luc Bourgeois et Florian Téreygeol, « Melle (Deux-Sèvres), in Petites villes, II.
155 Saint-Cyprien, n1” 253, 269, 273, 276 et 517.
156 Marcel Garaud, Les Châtelains de Poitou. .., op. cit., p. 26.
157 Cf. la problématique présentée par Laurent Schneider, « Entre Antiquité et haut Moyen Age : traditions
et renouveau de l'habitat de hauteur dans la Gaule du Sud-Est », in La Méditerranée de Paul-Albert Février, actes
du colloque de Fréjus (2001), éd. Michel Fixot, sous presse.
158 Louis Maurin, « Remparts », op. cil.

556
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VT-XI" SIECLES

ne semble atteindre q u ’exceptionnellem ent les agglom érations secondaires. Deux sites
des confins septentrionaux de la civitas o n t p o u rtan t reçu u n e enceinte précoce qui
pourrait rem onter au Bas Empire. Il s’agit de L oudun (V ienne)159*16et de Cham ptoceaux
(Maine-et-Loire) l6°.
Il faudrait étudier avec attention le sous-sol de l’éperon rocheux p ortant le château
de Thouars. Les plus anciens élém ents m obiliers datés découverts dans son em prise
rem o n ten t à l’Antiquité, mais il s’agit de découvertes anciennes et d o n t le contexte est
mal co n n u 11’1. Le Toare ca(strum ou castellum) est signalé sur un tiers de sou d ’o r m éro­
vingien (ca. 575-ca. 675)I62. En 762, cette fortification est qualifiée de « forteresse la
plus solide de toute l’Aquitaine »I63.
Les sources du IX' siècle livrent peu de nouvelles m entions. Louis le Pieux autorise
la fortification du m onastère de N oirm outier (Vendée) en 830164. L’évocation des vici
et castella des Mauges, de Tiffauges et d ’H erbauge (843)165 et du Poitou (853) lors
d ’incursions Scandinaves tient peut-être de la figure de style166. Les Translations de saint
Vivent relatent la fuite des m oines de Vergyjusqu’au castellum Gravionem, dans la région
des Sables-d’O lonne (Vendée) entre 868 et le d ébut du XLsiècle167. La mise en défense
de l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) à l’époque carolingienne n ’est attes­
tée que par une chronique des années 1120-1140168. Enfin, l’apparition du castrum a
priori privé à Château-Larcher (Vienne) dès 888 constitue un tém oignage exception­
n e l169.

159 Analyse critique dans Béatrice Favreau et Luc Bourgeois, « Loudun », Les Petites villes ..., I, p. 44-47 et fig.
24-25.
m Le Sellense castrum est attesté au milieu du VT siècle : Grégoire de Tours, Historia Francorum, IV, 18 (éd.
Bruno Krusch, p. 151). Certaines parties de l’enceinte présentent un petit appareil très archaïque (Célestin
Port, Dictionnaire, op. cil., t. I, p. 608). Au XIIIe s., les murs de Champtoceaux et Loudun sont qualifiés de
« sarrazins », formule que l’on retrouve au siècle suivant pour désigner le castrum du Bas Empire de Poitiers
(A. D. Maine-et-Loire, 38H 1, n° 1 3 - 1241 ; Les Registres de Philippe-Auguste, t. 1, éd.John Baldwin, Paris, 1992,
p. 246, n° 9 - 1205-1212 ; A. D. Vienne, C 1136 - 1393). Louis Maurin prend en compte Loudun mais ignore
Champtoceaux dans son inventaire des enceintes antiques d ’Aquitaine en dehors des cités (« Sites fortifiés
en dehors des cités dans les provinces aquitaniques au Bas Empire. Loudun, Andone, Saint-Lézer, Bayonne »,
in De Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Porl, actes du XLIIT Congrès de la Fédération historique du Sud-Ouest,
Bayonne (1991), Bordeaux, 1993, p. 33-61).
161 Une sépulture découverte en 1834 dans la rue de la Trémoille a livré un bol Chenet 320 en céramique
d’Argonne (Henri Imbert, « Histoire de Thouars », Mot, Soc. Sial. Deux-Sèvres, 2e s., t. X, 1870, p. 7 ; vase au
musée m unicipal). Les dépendances du château moderne ont livré des vestiges antiques parmi lesquels une
stèle funéraire à personnage {Ibid., p. 12).
162 Maurice Prou, Catalogue des monnaiesfrançaises de la Bibliothèque Nationale : les monnaies mérovingiennes, Paris,
1892, n° 2487.
163 TheFourth books o f Fredegar Chronicle, éd. et trad. anglaise John Michael Wallace-Hadrill, Londres, 1960, c.
43, p. 112 ; Annales Mettenses priores, a. 762, MGH ad usum schoi, éd. von Simpson, Hanovre, 1905, p. 52.
lfi4 CP avant 900, op. cil., n°C013.
165 Chronique de Nantes (570-environ 1049), éd. René Merlet, Paris, 1896, p. 18-19 : vicos et castellas Metallicae
regionis et Theopliagiae et Herbadillicae dissipassent.
166 Adrevald de Fleury, Miracula s. Benedicti, c. 33, AA. SS., 3e éd., Mart., III, p. 310 : Pictavorum veto castella
clique vicos omnemque patriam a mari, usque eamdem. Pictavam urbem populanlur et vastant.
Ifi7 Vita et translationes s. Viventii, VIII, c. 45, AA. SS., 3e éd., Ian, II, p. 95 : in Pictavense lerritorio, Grcivionescilicet
caslello veterrimo.
168 La Chronique de Saint-Maixent, 751-1140, éd. Jean Verdon, Paris, 1979, p. 68-69 (a. 877) : cenobium Sancti
Savini et castrum in quo est, quod Karolus Magnusjussit edificari... L’attribudon à Charlemagne concorde bien
mal avec la chronologie des défenses monastiques établies en réponse aux raids normands, d ’autant que la
mention est placée à l’année 877, qui voit la mort de Charles le Chauve.
169 Saint-Cyprien, n° 400.

557
Luc B o u r g e o i s

La prem ière moitié du X' siècle voit l’apparition dans les sources écrites de nou­
velles enceintes m onastiques : Saint-Hilaire et Sainte-Radegonde de Poitiers respecti­
vem ent en 941-942170 et avant 955171, Saint-M aixent172 et de plusieurs forteresses com­
tales : Colombiers (Vienne) en 926173174,N iort en 946-947171 et Melle en 950175176.

Les émissions monétaires mérovingiennes

La faible représentativité de sources très ponctuelles et impossibles à quantifier, le


poids excessif de la docum entation ecclésiastique et de l’époque carolingienne em pê­
chent d ’évaluer correctem ent l’évolution économ ique de la région au cours du haut
Moyen Age (ou plutôt, les m êm es sources o n t permis d ’aboutir depuis un siècle à des
conclusions diam étralem ent opposées). Com me le note Olivier Bruand, ce n ’est par
exem ple pas « le sauvetage de quelques nom s qui p eut perm ettre une cartographie
réelle des m archés »17lî, approche qui serait p o u rtan t essentielle pour m esurer le poids
respectif des noyaux urbains et des cam pagnes dans l’économ ie d ’échanges177. Deux
critères économ iques nous sem blent toutefois plus faciles à m anier : les émissions
m onétaires m érovingiennes, qui on t laissé des tém oignages m atériels assez abondants,
et le problèm e des sites portuaires des VTL-IX1 siècles, qui renvoie à un thèm e cher
aux historiens des villes d ’Europe du N ord et peut être abordé à partir de quelques
m onographies.
E ntre ca 560 et ca 675, l’or m érovingien est m onnayé sous form e de tiers de sou.
Ces tremisses produits par des émissions très diverses p o rten t généralem ent au droit un
nom de lieu et au revers un nom de m onétaire. Ces personnages p re n n en t manifeste­
m ent la responsabilité d ’émissions faites au nom du roi, d ’une cité, d ’un vicus, d ’une
église ou d ’un fisc. Leur rôle précis dem eure mal connu : certains étaient sans doute
des officiers publics mais on estim e au jo u rd ’hui que ce nom cache égalem ent des
« ferm iers » du fisc voire des entrepreneurs ind ép en d an ts178. L’identification des topo-

1711 Chronique de Saint-Maixent, op. rit., p. 84-85 ; Saint-Hilaire, n" 18 ; Adémar de Chabannes, Chronicon, III,
25, éd. Pascale Bourgain, Richard Landes et Georges Pon, Turnhout, 1999, p. 147.
171 Les Annales de Flodoard, éd. Philippe Lauer, Paris. 1906, p. 141.
172 Chronique de Saint-Maixent et Adémar de Chabannes, loc. cil. Cette défense fut achevée sous l'abbatiat
d ’Ebles ( f 976), également initiateur du castrum de Saint-Hilaire de Poitiers.
173 CP 925-950, n°F004.
174 Saint-Cyprien, n°553. L’acte n°15 du cartulaire de Saint-Maixent mentionnant le castrum de Niort est daté
des environs de 940 par l’éditeur, mais il convient d ’attribuer ce document à la fin du Xe siècle.
175 Saint-Maixent, n°18.
176 Olivier Bruand, Voyageurs et marchandises aux temps carolingiens. Les réseaux de communication entre Loire et
Meuse aux VIII' et IX' siècles, Bruxelles « Bibliothèque du Moyen Âge, 20 », 2002, p. 144.
1,1 Pour le Poitou du IX' siècle, les sources écrites ont conservé la trace du marché de Cajoca, concédé par
le roi Pépin L à l’abbaye de Sainte-Croix de Poitiers (Recueil des actes de Pépin I" et Pépin II, rois d ’A quitaine
(SI4-S4S), éd. Léon Levillain, Paris, 1926, p. 11-12 - 825) ; des marchés octroyés par son fils Pépin II au
monastère de Saint-Maixent autour de l’abbaye et dans le domaine de Vanzay (Deux-Sèvres) (CP avant 900,
n" C024 —848) et du marché associé au monastère de Deas/Saint-Philibert-de-Grandlieu (Ermentaire, De
translationibus... c. 71, éd. Poupardin, p. 49-50). Ces quelques marchés associés à des centres monastiques
ou aux domaines en dépendant donnent sans doute une vision très partielle de la réalité.
178 Les rares monétaires dont la biographie nous est connue sont des personnages importants, comme Eloi,
son père Abbon —qui tint la monnaie publique du fisc à Limoges - ou Godenus, ancêtre des Arnulfides.
Position du problème dans Adolphe Dieudonné, « Les monétaires mérovingiens », Bibl. Ec. Chartes, 103,
1942, p. 20-51. Jean Lafaurie, « Eligius moneiarius », Rev. numism., 1977, p. 111-151, et analyses régionales
dans Alan Stahl, The Merovingian Coinage of the Région of Metz, Louvain-la-Neuve, 1982 « Numismatica Lova-
niensia, 5 ». p. 39-49 ; Peter Berghaus, « Wirschaft, Handel und Verkehr der Merowingerzeit im Lichtnumis-

558
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES \T -X T SIÈCLES

nymes portés sur les m onnaies pose égalem ent de difficiles problèm es que l’analyse
stylistique ne perm et pas toujours de résoudre. La diversité de nom s de lieux et la
m odestie des émissions ont incité certains chercheurs à se dem ander si les toponymes
m entionnés ne correspondaient pas à des lieux d ’émission plutôt q u ’à des lieux de
frappe. Mais la situation paraît encore plus com plexe : un graveur a pu fabriquer des
coins p o u r plusieurs ateliers, plusieurs émissions d ’un m êm e m onétaire ou de m oné­
taires différents peuvent présenter des liaisons de coins et un m onétaire a pu porter
sa m arque sur des m onnaies correspondant à plusieurs lieux179*182. Différents graveurs ou
m onétaires reçoivent donc parfois des com m andes en plusieurs lieux ou plusieurs
com m andes d ’un m êm e lieu. Pour Alan Stahl, un nom de m onétaire semble corres­
p o ndre au style de chaque graveur, et les deux personnages p o u rraien t donc être très
liés voire se confondre com m e dans les cas de saint Eloi et de son p è re lso. Ces diverses
associations invitent à concevoir soit une certaine centralisation des émissions, soit une
m obilité des m o n é ta ire s/g ra v e u rs voyageant avec leurs coins au gré de la
d em an d e1"1.
Le Poitou m érovingien constitue un espace riche en productions m onétaires. La
carte (fig. 6) illustre une répartition assez uniform e des toponym es identifiés1"'-’. Le
Bas-Poitou est p o u r une fois bien représenté, avec u n e nette concentration sur la rive
nord du marais poitevin et les bords de Loire.
Le statut de ces sites est assez divers : ils incluent la ville de Poitiers, le castrum de
T houars1 les ports de Saint-Même-le-Tenu (Loire-Atlantique), C enon et peut-être
Bessac, en face de N iort1'"4. L’Eglise est représentée par les abbayes de Ligugé, Saint-

matischen Quellen », Unlersuchungen zu Handel und Verkehr der vor- und frühgeschichtliehen Zeil im Mitlel- und
nordeuropa, t. 3, Der Handel des frühert Mittelallers, Gôttingen, 1985, p. 193-213 et A. Pol, « Les monétaires à
Huy et à Maastricht : production et distribution de monnaies mérovingiennes mosanes », Bull. Instit. archéol.
Liégeois, 107, 1995, p. 185-200.
179Jean Lafaurie, « Identité de coins de monnaies mérovingiennes », Bull. Soc. fr. Numism.. 1958, p. 248 suiv.
Du même, « Liaisons de coins de quelques monnaies mérovingiennes », IbicL, 1969, p. 432-439.
18(1Alan Stahl, op. cil., p. 48.
181 II serait également nécessaire de mieux comprendre la fonction du numéraire produit à cette époque
pour évaluer plus clairement le rôle des lieux d’émission. Au-delà du commerce, les {remisses pourraient être
émis, utilisés et collectés pour des besoins fiscaux, des présents ou pour le paiement de services rendus, voire
représenter des symboles de pouvoir. Il ne faut donc pas les interpréter uniquement comme des indicateurs
économiques (dans ce sens : Adriaan Verhulst, TheRise of ciliés in Norlh-Wesl Europe, Cambridge-Paris, 1999,
p. 25 et 32 ;Jean-Pierre Devroey, Chantal Zoller, « Villes, campagnes, croissance... », op. cil., p. 245).
182 Le corpus a été constitué grâce aux ouvrages classiques d ’Auguste de Belfort, Descriplion générale des monnaies
mérovingiennes par ordre alphabétique des ateliers, 5 vol., Paris, 1892-1895 ; Maurice Prou, Catalogue..., op. cil. Il
a été complété par les mentions de découvertes postérieures recencées par Georges Depeyrot, Le Numéraire
mérovingien, l'âge de l'or. III : les ateliers centraux, Wetteren, 1998 et Le Numéraire mérovingien : l'âge du denier,
Wetteren, 2002 et par Jean Lafaurie, Jacqueline Pilet-Lemière, Monnaies du haut Moyen Age découvertes en
France (V-VIII siècle), Paris, 2003. Nous avons rejeté quelques identifications traditionnelles ou récentes qui
posent des problèmes linguistiques ou présentent de nombreux homonymes. C’est par exem ple le cas
d’ANTRO VICO (Belfort 231 ) et de PETRAFICTA VICO (Belfort 3647-3654) quejean Lafaurie avait proposé
d ’identifier à Antigny (Vienne) et à Pierrefitte dans la m êm e com m une (« 7remisses mérovingiens aux
légendes ANTRO VICO et PETRAFICTA VICO », Bull. Soc.fr. Numism.. XXXVI, 1981, n* 5, p. 47-49).
18:1 Belfort 4352 ; Émile Breuillac, « Un triens frappé à Thouars », Bull. Soc. Sial. Deux-Sèvres, VII, 1888-1890,
p. 635.
181 Saint-Même-le-Tenu (Loire-Atlantique) : Belfort 3672-3675 ; Cenon (Vienne) : Belfort 3949-3950 et 3969-
3970 ; Bessac, c. de Niort (Deux-Sèvres) : Belfort 807. RAS(siacum ?) POR( lus ?). Le monétaire Iohannes est
également associé à plusieurs émissions du Bas-Poitou.

559
Luc B o u r g e o is

Maixent, Saint-Philibert-de-Grandlieu et Saint-Martin-de-Vertou183 et de grands dom ai­


nes m onastiques, com m e la curtis possédée p ar Saint-M artin de Tours à Doussay
(V ienne)185186. Les légendes distinguent égalem ent une série de sites qualifiés de vici :
l’ancien fisc d ’Ardin, Braye-sous-Faye, Brion, Melle, Niort, Rezé ou les chefs-lieux de
pagi de Brioux-sur-Boutonne et Thiré en fo n t partie187. D’autres toponymes ne sont
pas qualifiés mais correspondent à des habitats que nous avons pour la plupart ren­
contrés en abo rd ant d ’autres critères : Béthines et Usson, Loudun, M arnes ou Voulte-
gon, par exem ple188. M éron (Maine-et-Loire) est le seul lieu d ’émission qualifié de
domus p o u r l’ensem ble de la num ism atique m érovingienne189. Cette dénom ination
p o u rrait correspondre à celle d ’un dom aine fiscal190.
A défaut de pouvoir évaluer le volum e des émissions, le nom bre de m onétaires
associés à chaque toponym e perm et une approche de l’im portance respective des lieux
d ’émission. Le faible nom bre de m onétaires peut évidem m ent m arquer aussi la briè­
veté de la frappe et il faudrait com pléter n otre approche som m aire par un travail
systématique sur les types et les coins.
Poitiers, avec entre 13 et 17 m onétaires attestés, ne pren d pas clairem ent la tête du
classem ent : T hiré avec 16 m onétaires, Rezé (11), Thiverzay, sur la com m une de Fon-
tenay-le-Comte (10), et A m bernac (au m oins 8) concurrencent en effet le chef-lieu de
cité. Avec quatre ou cinq m onétaires attestés, Brioux, Melle, Tourteron, Ardin, Voul-
tegon, M éron et peut-être Neuvy-Bouin constituent une seconde série. Les autres lieux
d ’émission identifiés ne sont souvent connus que par une seule m onnaie.
Certains m onétaires apparaissent sur des espèces de différents lieux d ’émission.
Chadulfus est ainsi présent sur des espèces de Brion, Brioux-sur-Boutonne, Thive­
rzay et Trizay-sur-le-Lay (V endée)191 ; Audigisilus est associé à des frappes aux nom s de

185 Ligugé (Vienne) : Belfort 2088, Arthur Engel et Raymond Serrure, Traité de numismatique du Moyen Âge,
Paris, 1891-1895, p. 143 ; Saint-Maixent : Belfort 4030 et 6419 ; Saint-Philibert-de-Grandlieu : Belfort 1724-
1725 ; Saint-Martin-de-Vertou :Jean Lafaurie, Bibliothèque nationale, complément au catalogue des monnaies méro­
vingiennes, manuscrit, 1970.
'su DVFSIACVM CVRTIS SCI MARTINVS, Belfort 1836 (monnaie trouvée à Poitiers).
187Ardin (Deux-Sèvres) : Belfort 256-261, 263, 269, Engel et Serrure, of>. cil., p. 121 ; Braye-sous-Faye (Indre-et-
Loire) : Belfort 928 ; Brion (Vienne) : Belfort 946-955, Alan Stahl, Mérovingiens et royaumes barbares : fonds Bour-
gey, Paris, 1994, n°179 ; Melle (Deux-Sèvres) : Belfort 2878-2880, 2883 ; Niort (Deux-Sèvres) : Belfort 3215,
Benjamin Fillon, « Sur un tiers de sou d'or mérovingien frappé à Niort », Bull. Soc. Stat. Deux-Sèvres, 1864,
p. 38-43 ; Rezé (Loire-Atlantique) : Belfort 595-596, 3682-3683, 3691, 3684-3690, Engel et Serrure, oj>. cil.,
p. 140, Jean Perrier, « Monnaies mérovingiennes trouvées en Haute-Vienne, essai d ’inventaire », Bull. Soc.
archéol. hisl. Limousin, 119, 1991, p. 11-25 ou les chefs-lieux de pagi de Brioux-sur-Boutonne : Belfort 961-987,
Georges Depeyrot, L ’Âge de l ’or, op. cil., p. 115 et Thiré (Vendée) : Belfort 4282-4321, 6447-9, Alphonse de
Barthélémy, Numismatique de la France, T'partie : époques gauloise, gallo-romaine et mérovingienne, Paris, 1891, Rev.
numism., 1928, p. XXV, Hugo Vanhoudt, « De Muntvonsten in België uit de merovingische Période », Rev. belge
Numism., 1988, p. 41-88, Jacqueline Pilet-Lemière, « Triens de Tidiriciacum découvert à Curçy-sur-Orne (Calva­
dos) », Bull. Soc.fr. Numism., 42, 1989, p. 524-528, Perrier, op. cil., Depeyrot, op. cil., p. 30-31.
188Béthines (Vienne) : Belfort 858 ; Usson-du-Poitou (Vienne) : Belfort 2032-2033 et 3860-3861, S. E. Rigold,
« The Sutton H oo coins in the light o f the contemporary background o f coinage in England », in The Sutton
hooship burial, éd. R. L. S. Bruce-Mitford, . 1, Londres, 1972, p. 653-677 ; Loudun (Vienne) ? : Belfort 2227 :
1

Marnes (Deux-Sèvres) : Belfort 2380-2381 ; Voultegon (Deux-Sèvres) : Belfort 4064, 4995-4997, Münzen und
Medaillen, 8 décembre 1949, n° 364.
I8!l Belfort 2875-2876, 2882, 2884 et monétaire DORDO mentionné par A. de Barthélémy, op. cit.
190Josiane Barbier, Palatium, fiscus, saltus. Recherches sur lefisc entre Loire et Meuse du Vf au X' siècle, thèse de
doctorat à l'Université Paris I-Sorbonne, 1994, p. 111 et p. 232-234.
191 Belfort 951-952 et Stahl, op. cit., n° 179 : Belfort 961-964, 967-976 et Depeyrot, L ’Âge de l ’or..., op. cil., p. 115 :
Belfort 4275-4276 ; Belfort 4320.

560
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VF-XI2 SIECLES

Poitiers, Doussay et A ntran192 ; Bertoinus est m entionné à M éron et à Saint-Même-le-


T enu193, etc. L’activité d ’une proportion notable de m onétaires n ’est pas lim itée à la
cité de Poitiers : N onnus est p ar exem ple présent à Melle, T houars et Gué-du-Loir
(Loir-et-Cher)194 alors que Teodulfus apparaît sur des m onnaies d ’Ardin et de N ouâtre,
aux confins m éridionaux de la T ouraine195. L’analyse systématique de l ’activité des
monetarii illustre des liens nom breux entre H aut et Bas Poitou et des relations privilé­
giées avec les régions b ord an t la rive nord de la Loire.
A partir de 6*70-680, la Gaule bascule rapidem ent du m onom étallism e or au m ono­
métallisme argent. Le denier, émis dans un petit nom bre d ’ateliers, inaugure la frappe
presque exclusive de l’argent p en d an t six siècles. Le système m onétaire est à nouveau
modifié après la reprise en main du royaume p ar Pépin le B re f96.
Pour la cité de Poitiers, la réduction du nom bre d ’ateliers m et clairem ent en évi­
dence les centres politiques et économ iques majeurs et les principaux pôles ecclésias­
tiques197.
Poitiers p ren d dorénavant la tête du classement, avec au moins dix-sept m onétaires
attestés198, auxquels il faut ajouter les deniers frappés par l’Église de Poitiers199, ceux
de Saint-Hilaire200 et u n exem plaire associant le nom de Poitiers à celui du viens de
Nanlogilumr01. L’abbaye de Saint-Maixent, parfois en association avec Sainte-Croix de
Poitiers, a égalem ent émis des m onnaies d ’argent202. U ne dizaine de deniers anépigra-
phes o n t été attribués à Brioux-sur-Boutonne203. Melle, qui deviendra sous les Carolin­
giens l’un des ateliers m ajeurs du royaume, a produit des deniers et des bractéates204.
Deux deniers au nom de Rezé on t égalem ent été découverts205. Enfin, quelques nom s
de m onétaires se retrouvent à la fois sur des deniers d ’arg en t et des tremisses tar­
difs206.

192 Belfort 1836, 3590-3591 et 2053.


193 Belfort 2876 et 2994 et 3672-3673.
199 Belfort 2878-2879 etJean-Pierre Bost et al., « Les monnaies d ’or antiques et du haut Moyen Age du musée
archéologique de Saintes », Rev. Saintonge Aunis, 1976, p. 5-35 ; Belfort 4352 ; Georges Depeyrot, L ’Age de
l ’or, t. III, op. cil., p. 59.
195 Belfort 269 et 3245.
196Jean Lafaurie, « Numismatique : des mérovingiens aux Carolingiens, les monnaies de Pépin le Bref»,
Francia, 2, 1974, p. 26-48 et pl. 2-8.
197 Sur l’essor des monnaies émises par l’Église à la fin de l’époque mérovingienne, voir Jean Lafaurie,
« Monnaies épiscopales des VIL' et VIIIe siècles », Bull. Soc.fr. Numism., 1975, p. 778-782 et « Les monnaies
émises par les églises et monastères pendant la période m érovingienne », Bull. Soc. nal. Antiq. Fr., 1980-1981,
p. 346-349.
198 Belfort 3599-3630, peut-être à compléter par quelques monétaires cités par Engel et Serrure, op. cil.,
p. 139.
199 Prou 2225-2237 auxquels il faut peut-être ajouter quelques unes des frappes au nom de PECTAVIS, comme
Belfort 3605, dont le monogramme ANS pourrait évoquer l ’évêque Ansoald (av. juillet 677-après mars
697).
2011 P r o u 9 9 3 9.
2® Belfort 6355. L’identification avec Nanteuil, commune de Migné-Auxances (Vienne), n ’emporte pas la
conviction.
202 Belfort 4026-4033 et Belfort 6418 pour le denier à la légende RACIO SCI MAX/SCI CRUCIS.
203 Belfort 978-987.
2(MBelfort 2885-2891.
205 Belfort 3684 et 3690.
206 Fridiricus présent sur des deniers de l’Église de Poitiers (Belfort 3621-3622) et des tremisses attribués à
Neuvy-Bouin et Vrillé (Les Moùtiers, Deux-Sèvres) (Belfort 3246 et 4898-4902) ; Aribaldus attesté sur un
tiers de sou de Charroux (?) (Belfort 1413) et un denier poitevin (Belfort 3600).

561
Luc. B o u r g e o i s

La réduction drastique du nom bre d ’ateliers par la nouvelle dynastie illustre une
volonté de corriger la trop grande dilution de ce privilège régalien qui prévalait ju s­
q u ’alors. Cette concentration de la frappe s’accentue ju sq u ’à la m ort de Louis le Pieux
(840). O n revient alors dans bien des régions à une dispersion plus m arquée des lieux
d ’émission207. Le Poitou fait figure d ’exception, probablem ent parce que l’atelier de
Melle, associé aux plus im portantes m ines d ’argent du m onde franc, jo u it d ’une situa­
tion de m onopole208.

Les ports maritimes et fluviaux

Le développem ent de ports m aritim es ou fluviaux constitue l’une des manifesta­


tions du renouveau urbain et com m ercial que connaît le N ord de l’Europe à partir
des VTL'-VIIP siècles209. La région poitevine - bien que située en m arge de ce mouve­
m ent - a constitué u n relais p o u r le com m erce vers le golfe de Gascogne et la Manche.
Mais c’est surtout la présence des plus im portantes salines du m onde franc qui semble
avoir provoqué un développem ent précoce des échanges. A l’em bouchure de la Loire,
le pays de Retz et l’île de N oirm o u tierjo u en t les prem iers rôles dans cette activité sans
doute florissante210 et qui profita à de nom breuses abbayes211.
Au m oins un siècle après la création d ’un prem ier centre m onastique associé à un
p o rt dans l’île d ’Yeu212, l’évêque de Poitiers Ansoald préside entre 677 et 682 à la fon­
dation des trois abbayes d ’H ério (N oirm outier), Saint-Michel-en-l’H erm et Luçon213.

207 Olivier Bruand, « Circulation monétaire et pouvoirs politiques locaux sous les mérovingiens et les caro­
lingiens (du VIIe au IXe siècle) », in L ’Argent au Moyen Age, actes du XXVIII congrès de la Société des histo­
riens médiévistes de l'enseignem ent supérieur, Clermont-Ferrand (1997), Paris, 1998, p. 47-59 (ici p. 54-
55).
208 Sur cet atelier, voir en dernier lieu Florian Tereygeol, Les Mines d ’argent carolingiennes de Melle, thèse de
doctorat à l'Université de Paris I-Sorbonne, 2000 et Jean-Noël Barrandon et Françoise Dumas, « Minerai de
Melle et monnaies durant le haut Moyen Age : les relations établies grâce aux isotopes du plomb », Bull. Soc.
fr. Numism., 1990, p. 901-907, qui montrent que le métal mellois a servi aux ateliers de Bourges et de Ren­
nes.
2W 1Parmi les travaux de synthèse récents sur la question, citons Richard Hodges, Dark âge économies. The origins
of lowns and trade. A. D. 600-1000, Londres, 1982 ; Howard Clarke, B. Ambrogiani, Torons in the vikingAge, éd.
revue, Londres, 1995 ; Adriaan Verhulst, « Les origines urbaines du Nord-Ouest de l’Europe : essai de syn­
thèse », Francia, 14, 1986, p. 57-80 et plus récem m ent David Hill et Robert Cowie dir., Wics : the early Médiéval
trading Centres o f Northern Europe, Sheffield, 2001.
210 Ce thème a fait l'objet de travaux précoces et novateurs de Prosper Boissonnade : « Les relations entre
l’Aquitaine, le Poitou et l'Irlande du Ve au IXe siècle », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 3e s., 4, 1916-1918, p. 181-202 ;
« Les îles du Bas-Poitou pendant les cinq premiers siècles du haut Moyen Age (VC-IXCsiècles) », Ibid., p. 365-
403 ; « La renaissance et l'essor de la vie et du commerce maritime en Poitou, Aunis et Saintonge du Ve au
XVe siècle », Rev. Hist. écon. soc., 12, 1924, p. 259-325. Il a récemment été repris par Olivier Jeanne-Rose et
Olivier Bruand : Olivierjeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises : aspects économiques du littoral
poitevin (IX'-XIIe siècles) », in Les Sociétés littorales du Centre-Ouest atlantique de la Préhistoire à nos jours, actes
du colloque de Rochefort, 1995, éd. Dominique Guillemet et Jacques Peret, Poitiers, 1996 « Mém. Soc.
Antiq. Ouest, 5e s., IV », .1, p. 115-142 ; Olivier Bruand, Voyageurs et marchandises..., op. cil. Pour les V-YIIT
1

siècles, bilan actualisé des échanges commerciaux avec la Bretagne insulaire dansjonathan M. Wooding,
Communication and Commerce along the Western Sealanes, AD 400-800, Oxford, « BAR Intern. Sériés, 654 »,
1996.
2,1 Inventaire des exemptions dans Noël-Yves Tonnerre, Naissance de la Bretagne, op. cil., p. 155, n. 1 et dans
Olivier Bruand, Voyageurs et marchandises ..., p. 47 suiv.
212 Saint Amand y compléta sa formation au tournant des VT et VIT' siècles (Vita Amandi episcopi [BHL 332],
c. I, AA. SS., 3e éd., Febr. I. p. 859).
213 Georges Pon, « Le monachisme en Poitou avant l’époque carolingienne », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 4e s.,
XVII, 1983, p. 109-114.

562
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VT'-XIF- SIÈCLES

Elles viennent occuper des em placem ents stratégiques de l’ancien golfe des Pictons et
de la baie de Bourgneuf, do n t les rivages étaient alors fort en retrait par rap p o rt à leur
état actuel. Au d ébut du IXe' siècle, File de N oirm outier dispose d ’un po rt à Concaiu .
Il fait face au portus Furcas, localisé sur l ’actuelle com m une de Beauvoir-sur-Mer (Ven­
d ée)213. Les deux sites sont fréquentés par des m arins bordelais mais égalem ent par
des m archands irlandais et anglo-saxons21*’. A utour de l’an mil, le portus Aquitanorum
d ’A dém ar de C habannes correspond probablem ent à Saint-Michel-en-l’H erm 21456217. Mais
ce sont quelques ports fluviaux qui re tien d ro n t surtout notre attention : le portus Vetra­
ria, Cham ptoceaux, Rezé, C enon et B essac/N iort.
Le Tenu, m odeste affluent de la Loire longeant les marais salants, a jo u é un rôle
im portant dans le transit du sel. Ce bassin est à l’origine un fisc royal qui abrite le
portus Vetraria, déjà m entionné dans la liste des lieux d ’émission de tiers de sou d ’o r218.
En 652-653, le m onastère de Stavelot-Malmédy se voit attribuer le portus Vetraria et les
ports de Cham ptoceaux et de Vocassé sur la Loire219. L’abbaye, patronnée par le pip-
pinide Grimoald, s’assure à la fois le contrôle du principal entrepôt de sel et du trafic
sur la basse Loire220. Cet ensem ble portuaire a été identifié à Port-Saint-Père, le prince
des apôtres étant le patron du m onastère austrasien. Avant 821, l’abbaye de Saint-Mes-
min-de-Micy reçoit des souverains carolingiens une autre partie de la zone portuaire
p o u r y établir ses entrepôts221. Le nom du village de Saint-Même-le-Tenu (Loire-Atlan­
tique) conserve le souvenir de ce don.
La rive poitevine de la basse Loire abritait égalem ent deux ports im portants :
Cham ptoceaux, attesté en 652-653 et qui dem eure au XIe siècle un p oint de perception
essentiel sur le fleuve222, et Rezé, m entionné au IXe siècle par u ne anecdote relatant le
voyage effectué par une fem m e et son fils entre les environs du Mans et Saint-Philibert

214 Ermentaire. De translalionibus..., livre I, c. LXXXI et livre II, c. IX et XI (éd. Poupardin, p. 54 et 66-67).
215 Ibid., livre I, c. II et c. LXXXI (éd. Poupardin, p. 26 et 54) ; Gesta sanctorum Rotonensium, éd. et trad. Caro­
line Brett, in : The monhs o f Redon : Gesta sanctorum Rotonensium a n d V ita Couuoionis, Woodbridge, 1989,
lib. II, 1, p. 148-149. Pour la localisation, voir Mourain de Sourdeval, « Notice sur la ville de Beauvoir-sur-Mer
(Vendée) », Bull. Soc. Antiq. Ouest, 1" s., VII, 1853, p. 68.
2l6Ermentaire, Vita Filiberti, c. XXVIII (éd. Poupardin. p. 17) ; Ermentaire, De translalionibus, livre I, c. LXXXI
(éd. Poupardin. p. 54-56).
21' Chronicon, III. 53, éd Bourgain, p. 172. C'est là que le duc d'Aquitaine Guillaume le Grand repousse une
importante flotte Scandinave venue d'Irlande et du Danemark.
218 La localisation de ce port est discutée par Léon Maître, « Question de géographie mérovingienne. Le
fluvius Taunucus et le portus Vetraria », Bibl. Éc. Chartes, LX, 1899, p. 379-396.
219 Recueil des chartes de l ’abbaye de Stavelot-Malmédy, éd. Jos Halkin et C.-G. Roland, Bruxelles, t. I, 1909, n° 4
(19 janvier 652-18 janvier 653), p. 10-14 : teloneum igitur quod ad portum Vetrariae super fluviis Taunuco Ittaque
et porto ilia qui dicitur Sellis, immoque et Vogatio super fluvio Ligeris. Vocassé est situé sur la commune de Baule,
près de Beaugençy (Loiret).
2211Sur la portée politique et économ ique de l'opération, voir les hypothèses d'Olivier Bruand, « Circulation
monétaire... », op. rit., p. 49.
221 BnF, coll. Baluze, vol. 41, P 179 : ac in Pictavensi territorio, inportu Vitrariae, in pago Herbaldelico, superfluvium
Tannacum habet areas salinarum ad operandas naves sive ad suas nécessitâtes excludendas et possidet praedictas areas
cum vineis, terris, pratis, pascuis, sylvis et omnibus sibi pertinentibus quae Garotholenus de fisco regio habuit, scilicet a
nostro avo Pipino etfilio ejus genitore nostro Carolo regali munificentia collatum est coenobio Miciacensi. Confirmation
de son fils Pépin 1er en 834 ou 835 : locum ilium quem eis olirn in portu Vitrariae in pago Erbadilico superfluvium
Taunuco (Actes Pépin Ier et II, n° X X I).
222 Pour le XI8 siècle, le péage est m entionné dans un acte de 1040-1044 pour Marmoutier (A. D. Maine-et-
Loire, 38 H. n°2) et une donation faite entre ca 1056 et 1082 (Premier et second livres des cartulaires de l ’abbaye
Saint-Serge et Saint-Bach d ’Angers (XI' et X II s.), Angers, 1997, t. 1 n° 105, éd. Yves Chauvin. Sur les péages de
la Loire, voir Jean-Marie Bienvenu, « Recherches sur les péages angevins aux XL' et XIIe siècles », Le Moyen
Âge, LVIII, 1957. p. 209-240 et p. 437-467.

563
Luc B o u r g e o i s

de G randlieu. Le portus Retiacus sert alors de p o in t de ru p tu re de charge entre la voie


fluviale et la route terrestre223.
L’utilisation de la V ienne pour le transport de m archandises est égalem ent confir­
m ée p ar des exem ptions de tonlieu p o u r les bateaux des m onastères de Corm ery et
N oirm outier224. A l’époque m oderne, cette rivière était navigable à la rem o n téeju sq u ’à
C hitré (c. de Vouneuil-sur-Vienne, V ienne). Cenon, établi à peine un kilom ètre en aval
de ce p o in t est qualifié de viens à la fin du VIIe siècle225 et de portus au m ilieu du siècle
suivant, dans un texte qui décrit très précisém ent le passage de la Vienne par bac et
l’auberge im plantée sur l’une des rives226. U n passeur et une taverne : est-ce toute la
réalité d ’un portus carolingien ? D’autres particularités distinguent pou rtan t ce carre­
fo u r : la proxim ité de l’ancienne agglom ération de Vieux-Poitiers, le passage de la
grande voie Poitiers-Tours, des émissions m onétaires m érovingiennes, un vaste cime­
tière et deux édifices religieux probablem ent précoces227.
Enfin, des bateaux de faible tonnage ont pu naviguer sur le cours inférieur de la
Sèvre m ortaise, entre l’O céan et Niort, si l’on veut bien adm ettre l’attribution à Bessac
du tremis Belfort 807 à la légende BAS(siacum ?) POR(tus ?).
Com m e dans les régions plus septentrionales, La plupart de ces sites portuaires
s’effacent de la docum entation postérieure au IX1' siècle. L’effet des raids vikings sur
les échanges maritim es et fluviaux n ’est probablem ent pas seul en cause. L’envasement
de l’estuaire de la Loire a pu peser fortem ent sur la décadence de Rezé228, m êm e si un
petit P ort au Blé subsiste en m arge du village ju sq u ’à l’époque m oderne. O n notera
égalem ent que les ports des VHc-IXe siècles sont souvent superposés ou juxtaposés à
des agglom érations antiques : c’est le cas à Rezé, C enon, et probablem ent Bessac. Ce
p h én o m èn e se rencontre ailleurs, sur les bords de Seine p ar exem ple229. Les ports
fluviaux subissent donc le glissem ent des centres traditionnels vers des sites plus dyna­
m iques ou de nouveaux castra : Nantes supplante définitivem ent Rezé, l’essor de Châ-
tellerault condam ne C enon et le p o rt établi au pied du château de N iort relaie celui
de Bessac, avant de changer à nouveau de rive. Alors que les sources se m ultiplient au
Xe siècle, les m entions de nouveaux ports fluviaux restent exceptionnelles et on peut
se dem an d er si les ports de Thorus à Château-Larcher, m entionné vers 965230, et de
Lussac (Vienne), attesté entre 992 et 101423’, sont plus que de simples bacs. La côte
atlantique est p arallèlem ent m arquée p ar un renouvellem ent de la carte des sites
portuaires, surtout n et à partir du milieu du XI1' siècle232.

223 Ermentaire, De translationibus..., livre I, c. LXI (éd. Poupardin, p. 46) : ... et usque ad oplalum portum qui
Reliacum dicitur, distans a monasterio octo milliario...
221 MGH, Diplomata Karolinorum, 1.1, Hanovre, 1905, n° 192 (802) ; Actes Pépin I" et II, n° VI (826).
225 Vila la Leodegarii, Act. SS., Oct., 1.1, c. 67, p. 480.
226 Miracula s. Austregisili, II, c. 12, Act. SS., 3e éd.. Mai, V, p. 66.
227 Luc Bourgeois, « De Vieux-Poitiers... », op. cit., p. 178-181.
228 Voir les documents graphiques fournis par Lionel Pirault et David Guitton, Rezé, op. cil., p. 6 et 8-9.
229 Luc Bourgeois, « Agglomérations secondaires antiques et noyaux urbains du haut Moyen Age dans l'Ouest
parisien », in L ’H abitat rural du haut Moyen Age (France, Pays-Bas, Danemark et Grande-Bretagne), éd. Claude
Lorren et Patrick Périn, Rouen, 1995, p. 81-102 (cas des Mureaux, Yvelines et de Pontoise, Val-d'Oise, au
IX° siècle).
23(1 Saint-Cyprien, n° 404 : alodium ad portum Tauruca in vicaria Vedoninse. En 936, la villa Toruga possède des
moulins et une casa dominica (ibid., n° 414).
231 Nouaillé, n» 82 et 83.
232 Olivierjeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises... », op. cit., p. 128-135.

564
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VF-XIE SIÈCLES

3 - Transmission des fonctions et continuités topographiques

La recherche de liens entre agglom érations antiques et lieux centraux médiévaux


repose principalem ent sur deux facteurs : la transmission des fonctions et la continuité
topographique. L’enquête n ’est pas exem pte d ’am biguïtés : com m e le n o ten t Jean-
Pierre Devroey et Chantal Zoller, il est souvent difficile de discerner « ce qui relève
d ’u ne réelle perm anence d ’occupation et de fonction, de la réoccupation d ’u n site ou
d ’une totale résurgence fonctionnelle » D ’autre part, « le ‘passé’ rom ain ou ‘l’avenir’
médiéval [d ’une] localité in flu en cen t largem ent n o tre m anière de lire les sour-
ces » .

La transmission des fonctions


L’analyse d ’u ne transmission des fonctions centrales apparaît dès l ’abord biaisée,
tant le rôle des agglom érations antiques dem eure mal connu. N otre dém arche s’est
donc limitée à rep érer des fonctions centrales au cours du haut Moyen Age puis à
analyser leu r localisation dans l’espace. Cette approche suffit toutefois à dém ontrer
que le maillage des agglom érations secondaires antiques a pesé fortem ent sur l’im­
plantation des relais du pouvoir ecclésiastique et laïc postérieurs. Brioux-sur-Boutonne,
station sans doute assez m odeste m entionnée par les itinéraires antiques, est un bon
exem ple du genre, qui cum ule au cours du h aut Moyen Age u n e vaste nécropole, la
dénom ination de vicus, le rôle de chef-lieu de pagus, de viguerie puis d ’archidiaconé,
ainsi que des émissions de m onnaies d ’or et d ’argent. En attendant d ’en savoir plus
sur les fonctions des établissements antiques, la concentration au cours du haut Moyen
Age de différents pouvoirs dans ces centres traditionnels ou dans leurs marges invite
à envisager certaines formes de continuité. Leur m aintien com m e centres de pouvoir
n ’im plique toutefois pas obligatoirem ent celui d ’autres fonctions.
Mais le réseau des lieux du pouvoir haut-m édiévaux ne se limite pas à celui des
agglom érations issues de la période rom aine. Il com prend égalem ent quelques vic.i ou
castra d o n t l’origine antique n ’a rien d ’assuré, des sites portuaires et de grands sites
monastiques qui ém ergent au cours du h aut Moyen Age. L’analyse des lieux d ’émission
m onétaire d ’époque m érovingienne éclaire égalem ent deux autres types de lieux de
pouvoir que l ’état des sources nous a sans doute entraîné à sous-estimer : les terres du
fisc et les grands dom aines épiscopaux ou m onastiques. Doit-on voir dans cette atom i­
sation des lieux de pouvoir un phénom ène nouveau, com m e l’ont proposé récem m ent
plusieurs chercheurs, en lui opposant u n m onde rom ain basé sur la cité23234 ? C’est
ignorer que la cité antique dom inait égalem ent de nom breux centres secondaires, et
que ceux-ci - com m e nous avons cherché à le m o n trer - abritent souvent des lieux de
pouvoir après la chute de l’Empire.
Le m aintien de certains sites traditionnels com m e l’apparition de nouveaux centres
de pouvoir p o u rrait être en partie expliqué p ar la notion de site «public», parfois
rappelée p ar l ’appellation vicus publions.

233Jean-Pierre Devroey, Chantal Zoller, « Villes, campagnes, croissance... », op. cit., p. 225-226.
234 Chris Wickham, « Introduction », in Topographies of Power in the early Middle Age, éd. Maycke D ejong, Frans
Theuws et Carole Van Rhijn, Leyde-Boston-Cologne, 2001, p. 1 ; Gisella Cantino Wataghin, « Power and
territory from late Antiquity to the early Middle Ages : recent results and open questions o f the archaeo­
logical research », in Centre-Region-Periphery, Medieval Europe Basel 2002, vol. 1, H eitingen, 2002, p. 424.

565
Luc B o u r g e o is

Des im plantations abritant au Bas Em pire les services du cursus publions ou de l’an-
no n e m ilitaire o n t pu se m aintenir com m e relais du pouvoir central. Dans l’Antiquité
tardive com m e aux IX‘-X1' siècles, la puissance publique que constitue l’évêque a très
clairem ent privilégié le vieux maillage urbain : les tentatives de dém em brem ent du
diocèse, l’im plantation des groupes ecclésiaux puis des chefs-lieux d ’archidiaconés et
d ’archiprêtrés en tém oignent. Le patrim oine des prélats poitevins inclut m êm e l’em­
prise de plusieurs agglom érations secondaires antiques235. Le pouvoir royal carolingien
n ’a pas n on plus fait table rase du passé : ses représentants, vicomtes ou viguiers, sont
en m ajorité im plantés dans des pôles issus des périodes précédentes236. La corrélation
entre fisc royal e t lieux centraux traditionnels apparaît parfois en filigrane mais on sait
com bien il est difficile d ’inventorier ce fiscus très m ouvant237. Le cas d ’Ardin (Deux-
Sèvres), probable agglom ération antique, terre fiscale concédée à l’Église du Mans,
lieu d ’émission de tremisseset chef-lieu de viguerie carolingienne, constitue néanm oins
u n bo n exem ple du poids local de ce type d ’ensem ble dom anial238. Les privilèges
régaliens, com m e le droit de fortification, de tonlieu ou de frappe m onétaire, m êm e
s’ils font l’objet de délégations de plus en plus nom breuses au cours du h aut Moyen
Age, contribuent égalem ent à l’attraction ou à la capacité d ’encadrem ent exercées par
certains sites com m e C ham ptoceaux. Carl-Richard Brühl a égalem ent insisté sur la
persistance du caractère public des honores affectés aux autorités locales du haut Moyen
Age239. Les comtes de Poitou disposent ainsi d ’un patrim oine im portant, m êm e s’il est
impossible d ’y distinguer les anciens bénéfices publics des alleux privés. Les nouveaux
châteaux q u ’ils fo n dent ou q u ’ils contrôlent au X* siècle sont souvent établis en m arge
de centres publics attestés antérieurem ent et dans des espaces où ils disposent d ’al­
leux240. Enfin, les abbayes, en particulier lorsqu’ellesjouissaient de l’im m unité, ont pu
partager certaines prérogatives régaliennes, allant du droit de m arché à celui de for­
tifier.

2 3 5Vendeuvre et Saint-Pierre-les-Églises.
236 Par exem ple Rom et Civaux pour les vigueries, Thouars et Aulnay pour les chefs-lieux de vicomtés.
237 Le fiscus du haut Moyen Age n ’est plus à proprement parler le patrimoine public de l’Antiquité mais
simplement un ensemble de biens affectés à l ’usage du souverain, qui en dispose d ’ailleurs librement. Le
caractère public n’est autre que sémantique (Guillaume Leyte, Domaine et domanialité dans la France médiévale,
Strasbourg, 1996, p. 100-102), même s’il subsiste une idée de pouvoir central qui a laissé quelques traces
dans le vocabulaire des actes régionaux jusque dans les années 1030 (Michel Rouche, « Survivances antiques
dans trois cartulaires du Sud-Ouest de la France aux Xe et XL siècles », Cahiers de Civilisation médiévale, XXIII,
1980, n° 2, p. 93-108, ici p. 96-97). Sur l’évolution du fisc carolingien en Aquitaine, voir en particulier Jane
Martindale, « The Kingdom of Aquitaine and the ‘Dissolution o f the carolingian Fisc’ », Francia, 11, 1983,
p. 131-192 et Christian Lauranson-Rosaz, L ’A uvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du VIII' siècle au XF siècle :
la, fin du monde antique, Le Puy-en-Velay, 1987, p. 45 suiv.
238 Vestiges antiques et mérovingiens :Jean Hiernarcl et Dominique Simon-Hiernard, Les Deux-Sèvres, op.
ciL, p. 101-104 ; sources écrites : cf. n. 140.
239 Fodrum, gïstum, servitium regis. Studien zu den Wirtschaftlichen Grundlagen des Königslum im Frankenreich
und in den fränkischen Nachfolgenstaaten Deutschland, Frankreich und Italien vom 6. bis zum mitte des 14. Jahrhun­
derts^ Cologne, 1968, p. 73-84.
240 Melle : cf. Bourgeois et Tereygeol, « Melle », op. eit. ; Niort : le castrum est mentionné à partir de 946-947
(CP 925-950, n° F083) et le comte de Poitou apparaît formellement comme maître de la place en 989, dans
une notice relatant sa donation à Saint-Jean d ’Angély d ’une chapelle dans le castrum (Saint-Jean d ’Angély,
n° 5 ; mais la mention dans cet acte de la tête de Jean-Baptiste, inventée en 1016, pose toutefois problème).
La donation par Guillaume le Grand de la monnaie de Niort à l’abbaye de Cluny entre 1016 et 1029 confirme
également le rôle de cette place (Recueil des chartes de l ’abbaye de Cluny, écl. A. Bernard et A. Bruel, Paris,
1876-1903, t. 3, n° 2737).

566
LE POIDS DU PASSÉ : LE RÔLE DES PÔLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VP-XIE SIÈCLES

Ces observations n ’ont pas pour objectif de prolonger systém atiquem ent les cadres
du Bas Em pire ju sq u ’au Xe siècle. Ni dans leur form e, ni dans leurs fonctions, ni dans
leur étendue ou leur population, les vici du haut Moyen Age ne peuvent être considé­
rés com m e les héritiers directs des agglom érations secondaires de l’Antiquité, qui ont
progressivem ent changé de visage à partir du III1 siècle. Mais l’A ntiquité dem eure
tardivem ent une référence (à défaut d ’être une réalité) en Aquitaine : on l’a noté pour
le droit241 ; la constatation est égalem ent valable pour les cadres territoriaux. Il faut
com pter avec des élites qui ne cessent de se réclam er de l ’héritage antique et font
probablem ent de l ’occupation des lieux centraux traditionnels l ’une des m arques de
leur légitimité.
Si le maillage d ’agglom érations antiques survit par certains aspects, c ’est aussi parce
q u ’il ne constitue pas une construction théorique. Il obéit à une logique spatiale par
rap p o rt aux grands axes routiers et fluviaux, aux principaux carrefours et aux limites
administratives Et cette logique ne semble guère remise en question après les IVe-Ve
siècles : les sites se déplacent parfois, mais la situation des principaux centres obéit aux
choix antérieurs, au moins jusque vers l’an mil.
D ’Ingrandes-sur-Vienne à V ieux-Poitiers/C enon, de Rom à Brioux et à Aulnay,
toutes les stations de la grande voie im périale vers l’O céan continuent ainsi au cours
du h au t Moyen Age à se distinguer du com m un des habitats. La pérennité des points
de ru p tu re de charge est égalem ent avérée, m êm e si C hâtellerault succède à C enon
et à Vieux-Poitiers et N iort à Bessac242. La relative stabilité des limites de cité perpétue
égalem ent le rôle de sites frontaliers com m e Aulnay ou Thouars. Des centres antiques
moins bien intégrés à l’infrastructure d ’échanges - tels Sanxay, Vendeuvre ou Saint-
Jean-de-Sauves —sem blent p ar contre connaître un destin plus m édiocre.
Certains vici des VL-VIL siècles p o urraient perdre progressivem ent en im portance
à l ’époque carolingienne. La préém inence prim itive des églises publiques s’efface
lentem ent et la plupart des lieux d ’émission abandonnent leur pouvoir m onétaire avec
l’introduction du d enier d ’argent. Quel rôle économ ique conservent-ils désorm ais243 ?
Mais c’est surtout aux alentours de l’an mil q u ’intervient un fort reclassem ent du vieux
réseau d ’autorité. La mise en place des nouvelles agglom érations castrales rem et en
cause la plupart des chefs-lieux de vigueries. Savigné et Rom, Ardin ou Exoudun n ’exis­
tent plus désormais com m e lieux de pouvoir q u ’à travers leur archiprêtre, m êm e si ces
sites «déchus» conservent des particularités ju sq u ’à l’époque m oderne244.

Continuités et ruptures topographiques

Les agglom érations secondaires antiques com m encent à changer de visage dès le
IIIe siècle - voire p o u r certaines dès le siècle précédent - et la survie d ’une occupation

241 Lauranson-Rosaz, L'Auvergne.... op. cil., p. 212-215.


242 Sur l ’importance de ce type de carrefour dans l'Antiquité, cf. François Braemer, « La coordination de la
voie d’eau et de la route terrestre dans l’Antiquité romaine. Villes de transbordement », in La Ville et lefleuve,
actes du colloque du 112e C.N.S.S., Lyon, 1987, Paris, 1989, p. 109-121.
243 Cette évolution n ’em pêche pas le maintien d ’activités d'échanges. Nous ne relions pas systématiquement
l’émission de monnaies d ’or à fort pouvoir libératoire et la présence d’un marché, comme le fait Olivier
Bruand, Voyageurs..., op. cil., p. 92.
211 Des villages comme Sanxay ou Exoudun recèlent en particulier un bâti de qualité de la fin du Moyen
Age, qui ne doit rien à l’habitat villageois. Certains corps de métiers (marchands, gens de justice) semblent
sur-représentés dans ces sites à l’époque moderne. A la Révolution, certains essaieront encore de défendre
l ’ancienneté de leurs pouvoirs afin d ’accéder au rang de chef-lieu de district (cf. Marie-Vie Ozouf-Marignier,
La Formation des départements : la représentation du territoire français à la fin du XVIII'' siècle, Paris, 1989).

567
Luc B o u r g e o is

hum aine dans leu r em prise prim itive est souvent problém atique après le Vu siècle.
Pourtant, un habitat postérieur est la p lupart du tem ps juxtaposé à l’agglom ération
antique. Il s’éten d souvent sur d ’im portants cim etières du haut Moyen Age qui sem­
blent relayer des nécropoles antiques péri-urbaines. La mise en place de ces évolutions
indirectes des agglom érations antiques p ourrait être assez proche de celle des fau­
bourgs des cités : le site funéraire se perpétue et attire une infrastructure religieuse
précoce et un habitat. Il reste à tester la validité d ’un tel m odèle en m enant des recher­
ches plus fines sous ces villages. D ’autres figures peuvent bien sûr se rencontrer, allant
d ’u n abandon total du site et de son environnem ent (FayeTAbbesse) à une superpo­
sition au moins partielle des habitats antiques et médiévaux (Loudun).
U ne étape ultérieure voit s’o p érer le glissement d ’un certain nom bre de sites du
fond de vallée vers u n e h au teu r facile à défendre. L’existence d ’une fortification dès
l’A ntiquité tardive ou le h au t Moyen Age a sans nul doute constitué u n facteur de
stabilité topographique : le fait est évident à L oudun, C ham ptoceaux ou Thouars.
Ailleurs, la création de castra à la fin de l’époque carolingienne a souvent été effectuée
au plus près des vieux centres urbains ou dom aniaux et ce sont parfois les mêmes
personnages qui président à la destinée des deux pôles successifs : l’évêque de Poitiers
se déplace ainsi de la vallée de Saint-Pierre-les-Eglises au roc de Chauvigny, le comte
de Poitou délaisse définitivem ent le vieux viens de Bessac p o u r les deux collines de
Niort. Le glissem ent vers les hauteurs n ’exclut donc pas les continuités, en particulier
patrim oniales. Les pôles primitifs parviendrontjusqu'à nous sous la forme d ’une église
isolée (Saint-Pierre d ’Aulnay, Saint-Pierre-les-Eglises), seront ravalés au rang de fau­
bourgs (Bessac à Niort, Pranzay en contrebas de Lusignan) ou form eront l’u n des
noyaux d ’agglom érations doubles : Saint-Héraye —ancienne villa de Sensciacus —et La
M othe249, Javarzay et Chef-Bou to n n e245246 ; Aubigné et C holet247. Souvent, les grandes
paroisses prim itives c o n tin u e ro n t d ’être considérées com m e églises-mères et les
dém em brem ents successifs n ’em pêcheront pas leur territoire de s’étendre ju sq u ’aux
portes des nouvelles agglom érations (Antigny p o u r Saint-Savin-sur-Gartempe, Saint-
Pierre-les-Eglises p o u r Chauvigny, Les M oûtiers - au jo u rd ’hui Bourg-sous-la-Roche —
p o u r la Roche-sur-Yon, etc.).
La toponym ie a souvent gardé la trace de ces m utations : le nouveau castrum
em p ru n te le nom du centre dom anial q u ’il relaie en m arquant l’antériorité de celui-ci
(Parthenay et Parthenay-le-Vieux, La Roche-Posay et Posay-le-Vieil, Pouzauges et Vieux-
Pouzauges). Ailleurs, l’ancienne agglom ération devient presque anonym e en n ’étant
plus désignée que p ar un hagiotoponym e m arquant le m aintien d ’une église isolée
(Saint-Pierre-les-Eglises, Saint-Georges de M ontaigu relayant le viens de Durinum, Saint-
Pierre de Turre à Aulnay248). Enfin, parm i les nouvelles agglom érations castrales qui
co nnaîtront des destinées urbaines, un tiers seulem ent porte un toponym e rom an, qui
occulte parfois sim plem ent une form e antérieure249.
245 Mentions de la villa de Sensciacus et première attestation de La Mothe : Saint-Maixent, n" 65 (Xe' s.), 95
(1041) et 102 (1040-44).
-"’Jean Hiernard et Dominique Simon-Hiernard, op. cil., p. 144-146 ; Henri Beauchet-Filleau, « Recherches
historiques sur Chef-Boutonne », Mém. Soc. Stat. Deux-Sèvres, 3e s., 1.1, 1884, p. 1-246.
247 Élisabeth Zadora-Rio et Bernard Gauthiez, « Les fondations de bourges de l’abbaye de Marmutier en
Anjou-Touraine : ressorts dejuridiction ou espaces urbanisés ? », éd. Henri Galinié, in Village el ville au Moyen
Age : les dynamiques morphologiques. Tours, Presses de l'université François Rabelais, 2 0 0 3 ,1.1, p. 315-318).
248 Cf. notes 48, 62 et 73 ; Vita s. Martini Vertavensis, op. cil., c. 16 et 18 ; Ermentaire, De translalionibus__c.
36 ; Saint-Cyprien, n“ 475 et 484 et Saint-Jean d ’Angély, n° 65.
2411 C’est le cas de Château-Larcher (Vienne), où le castrum établi au centre de la villa de Mesgon en 888
prend vers 969 le nom d ’Achardus, karissimifilii des propriétaires (Saint-Cyprien, n" 400 ; première mention
du castrum Acardus en 976 ou 977 : Ibid., n° 402).

568
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES VT'-XIE SIECLES

Ces centres de peuplem ent en développem ent rapide on t attiré à eux les principaux
franchissem ents et itinéraires routiers. La voie antique Poitiers-Nantes, jalo n n ée par
Gourgé, Faye-PAbbesse, La Barbinière de Moulins à M auléon et probablem ent Voul-
tegon est ainsi supplantée par une nouvelle liaison jo ig n an t les castra de Chiché, Bres-
suire et M auléon 25°. Les conditions de mise en place de ces itinéraires alternatifs res­
ten t mal connues, m êm e s’ils peuvent parfois être approxim ativem ent datés et si les
solutions antérieures font rarem ent l'objet d ’un abandon total. Les nouveaux venus
taillent égalem ent des paroisses dans les circonscriptions antérieures et un ressort qui
ne semble que rarem ent e n treten ir des liens étroits avec les états successifs des décou­
pages administratifs carolingiens. Le « second réseau urbain » est désormais en place ;
il adopte des formes nouvelles mais n ’a pu totalem ent occulter le passé.

Luc Bourgeois
Université de Poitiers - CESCM

Nicole Augereau. « Bressuire (Deux-Sèvres) », in Petites villes, I, fig. 2.

569
Luc B o u r g e o is

A : A ntran IA : Ingrandes-sur-l'A nglin N SE : N anteuil/Ste-E anne SJC : St-Julien-de-C oncelles


A R : Ardin IV : Ingrandes-sur-V ienne S : Savigné S JD : St-Just-sur-D ive
A P : A iffres/Prahecq LC : la C rèche SG : St-G ervais SPR : S t-Père-en-R etz
A R E : A rthon-cn-R etz LL : Le Langon SGB : St-G eorges-du-B ois V : V aldivienne/Salles-en-Toulon
B : Béruges LM : Les M oûtiers/Prigny SGM : St-G eorges-de-M ontaigu VO : Voultegon
BM : B onneuil-M atours M M auléon/la B arbinière SJA : St-Jean-d'A ngély Y Z : Y zeurcs-sur-C reusc

F igu re 1 : L e rése a u u rb a in a n tiq u e d e la cité d e Poitiers.

Figure 2 : G ro u p es ecclésiaux e t au tre s pô les relig ieu x p réc o c e s d an s le d iocèse d e Poitiers.

570
LE POIDS DU PASSE : LE ROLE DES POLES DE POUVOIR TRADITIONNELS DANS LE POITOU DES Y I^X F SIÈCLES

Epigraphie funéraires
O
Sarcophages à décor élaboré
O
.0©C3
1 3 5 lOcxcmpla
Grandes nécropoles CIVAUX
Remplois antiques X
Principales voies antiques
Limites de cité restituées

Gains postérieurs sur l'Océan

Figure 3 : É p ig rap h ie e t to m b es à d é c o r é la b o ré e n P o ito u à l ’é p o q u e m é ro v in g ie n n e .

571
Luc B o u r g e o is

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Lim ites d e cité restituées


H i G ains postérieurs sur l'Océan

F igure 5 : Pagi, vigueries e t chefs-lieux d e vicom tés e n P o ito u (V ll'-d é b u t d u X IL'siècle).

Sl-M èm c- sVcrtou
Méron
le-Tcnu —

St-Phil ibert- 'Pouant


de-Grandlieu Thouars”
Loudun
Voultegon
Antran *1
1D oussay
/Marnes’'
Yzeures/Creuse

Latillé • MN j3

LThiverzay Béthincï

(Ardin
-Maixcnt
.Tourteron
vX o LE
éponyme f l Niort +

S60-V. 675) plausibles

Jrioux/B.
Carvilli
15 monétaires

èponyim
A mbcm ac
Limites restituées de la cité
IGains postérieurs sur l'Océan

AI : Aizenay CE : Celle-l'Evescault MN : Migné-Auxances/Nanteuil


B : Beaumont CH : Charroux NB : Neuvy-Bouin
BE : Bessac, c. de Niort D : Dissay TH : Thiré
BY : Braye-sous-Faye J : Joussé TL : Trizay-sur-le-Lay
C : Cenon-sur-Vienne LE : Lesson, c. de Benêt V : Vellèches
CD : Curçay-sur-Dive LL : Le Langon
F igure 6 : M o n n aies e t m o n é ta ire s m éro v in g ien s d an s la cité d e P oitiers.

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