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L’ÂNE D’OR

Collection fondée par Alain Segonds

et

dirigée par Vincent Bontems


Titre original :
How writing came about
© 1992, 1996, The University of Texas Press. All rights reserved.

www.lesbelleslettres.com
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© 2022, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, boulevard Raspail, 75006 Paris.

ISBN : 978-2-251-91768-9

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À mes sept petits-enfants, ma fierté

Nicolaus
Danielle
Michael
Cyra
Henry
Dennis
Lily
S
Titre

Copyright

Dédicace

Avant-propos à l'édition française

Préface

Introduction - Une nouvelle théorie

Première partie - Témoins archéologiques

Chapitre 1 - Les jetons

Chapitre 2 - En quels lieux et par qui les jetons étaient-ils utilisés ?

Chapitre 3 - Cordons de jetons et enveloppes

Chapitre 4 - Tablettes à encoches

Deuxième partie - Interprétation

Chapitre 5 - Évolution des symboles au cours de la Préhistoire

Chapitre 6 - Implications économiques et sociales du système des jetons

Chapitre 7 - Du comptage à l'émergence de l'écriture


Chapitre 8 - Conclusions : le rôle des jetons au cours de la Préhistoire et leur apport
à l'archéologie

Troisième partie - Les objets

Croquis et photographies
Glossaire

Abréviations

Postface

Bibliographie

Index
Avant-propos à l’édition française

Voilà bien longtemps que je n’ai eu l’occasion d’écrire en français à


propos de mes travaux. Je voudrais tout d’abord exprimer ma
reconnaissance envers les Belles Lettres qui me donnent ici l’occasion
d’évoquer dans ma langue maternelle quelque vingt années (1970-1990)
consacrées à l’étude des jetons archéologiques, dont le présent volume est
l’aboutissement. Je n’ai aucun souvenir de la première fois où j’ai tenu
entre mes mains ces minuscules objets d’argile. Ce fut peut-être en 1971,
en Turquie, à Istanbul ; sans doute s’agissait-il des cônes et des sphères du
beau site de Çayönü fouillé à l’époque par une équipe de l’Université de
Chicago. En tout cas, j’étais loin alors de me douter que ces humbles jetons
me mèneraient à la découverte et à l’exploration de sujets aussi
passionnants que l’art de compter, et l’art d’écrire.

Cette rencontre avec les jetons s’inscrit dans une série d’heureux
hasards dont le déclencheur fut, en 1964, l’offre d’un poste intéressant à
l’Université d’Harvard pour mon mari, Jurgen Schmandt. Nous avons
quitté l’Europe avec nos trois fils âgés alors de 7, 5 et 3 ans. Tout, dans
le Nouveau monde, nous semblait extraordinaire : les immenses gratte-
ciel, les glaces aux parfums si variés, la patience des automobilistes,
la richesse des bibliothèques, le base-ball, et surtout, l’importance
accordée par les États-Unis à la recherche scientifique. J’en ai bénéficié :
mon projet intitulé « Recherche Archéologique sur l’usage de l’argile avant
l’invention de la poterie au Proche-Orient » m’a permis d’obtenir un poste
de chercheuse au Radcliffe Institute. Située au cœur du beau campus du
College du même nom à Cambridge dans le Massachusetts, cette institution
avait la particularité d’être réservée aux femmes. Je garde un souvenir
ébloui du jour où Judith Brown, anthropologue à Harvard, m’y a invitée à
déjeuner. C’était sans doute un jeudi, jour où la douzaine de membres qui
composaient l’institut se réunissaient pour faire le point sur le travail
accompli au cours de la semaine. J’étais émerveillée : en face de moi se
tenait une jeune femme qui travaillait à un projet océanographique, à ma
droite une chercheuse en médecine, à ma gauche en biologie. Je me rends
compte aujourd’hui que cela m’avait paru d’autant plus remarquable qu’à
l’époque les chercheuses étaient rares. En ce qui me concerne, j’avais eu à
Ay une jeunesse choyée. La vie tournait autour de la marque de
champagne de la famille, Besserat de Bellefon : les vignes, le raisin,
le travail du vin, la fabrication des bouteilles, l’emballage et l’habillage. Au
sein de ma famille et parmi mes connaissances, j’étais la seule de ma
génération à embrasser une carrière de chercheuse. Je ne dirais pas que
mes proches en étaient fort enthousiastes ; au contraire, mes parents
s’efforçaient avec tact et gentillesse de faire valoir à mes yeux les vertus
de la femme au foyer.
Le choix de mon sujet de recherche m’avait été inspiré par un groupe
composé de professeurs, d’assistants et d’étudiants qui se réunissait
une fois par mois au MIT autour d’un dîner. Il était suivi d’une
présentation informelle des derniers travaux de l’un des participants sur
le matériau dont il était spécialiste – bronze, papier, verre, ambre, etc.
J’arrivais à chaque séance avec une longue liste de questions. Venant de
l’École du Louvre, mes connaissances archéologiques étaient basées sur
les grandes fouilles françaises : je devais impérativement assimiler
l’immense corpus des chantiers archéologiques américains et anglais. Je
prenais place de préférence aux côtés de David Kingery, spécialiste de
l’argile, ou de Cyril Smith, expert en métallurgie, lesquels, comme tous
leurs généreux collègues, semblaient ne jamais se lasser de répondre à
mes questions. Aussi me manquèrent-ils beaucoup lorsqu’en 1971 il me
fallut quitter Boston pour Austin, au Texas.

Grâce à une bourse de recherche de la Wenner-Gren Foundation,


j’entamais en 1971 à Istanbul mes pérégrinations de musée en musée à
la recherche des premiers témoins de l’usage de l’argile au Proche-Orient.
Je me rendais là où étaient conservées des collections provenant de
fouilles scientifiques récentes de sites néolithiques. Au fil des années, je
passais de la Turquie à la Syrie, au Liban, en Jordanie, en Israël, en Irak et
en Iran. Chaque musée était une aventure. Je me retrouvais seule, ou
accompagnée d’un gardien, à explorer des rayonnages et à ouvrir
des tiroirs, des caisses, des boîtes et des sacs, le plus souvent au fond de
sous-sols ou dans les recoins de greniers obscurs. De retour au Texas,
j’exposais, dans des articles 1, le fruit de mes observations : les plus anciens
assemblages d’argile du Proche-Orient se composaient de figurines
humaines et animales, de fusaïoles, de briques et d’éléments de foyer. À
cela s’ajoutaient d’énigmatiques petits objets – cônes, sphères, disques,
cylindres, tétraèdres et ovoïdes – que je baptisais « objets de forme
géométrique ».

Ces objets géométriques m’intriguaient, car tous les archéologues


fouillant les sites préhistoriques du Proche-Orient les connaissaient sans
qu’aucun d’eux ne sache ce qu’ils étaient, ni à quoi ils pouvaient servir.
La curiosité me poussa d’abord à chercher leur trace dans les rapports de
fouilles entassés sur les rayons de la bibliothèque archéologique du
Peabody Museum de Harvard. Ils figuraient à la rubrique « objets divers »
dans les assemblages archéologiques d’une période couvrant 5 000 ans. À
partir de 8000 avant J.-C., les fouilleurs les découvraient éparpillés sur
les premiers sites agricoles. Vers 3300 avant J.-C., on trouvait
des enveloppes d’argile scellées contenant de petites quantités de ces
minuscules cônes, sphères, disques, cylindres, tétraèdres et ovoïdes. Ce
furent ces enveloppes, portant l’empreinte des sceaux d’administrateurs
de temples mésopotamiens, qui révélèrent enfin que ces objets
géométriques servaient à compter : les Mésopotamiens les utilisaient pour
calculer le nombre d’animaux d’un troupeau, ou les quantités de denrées,
telles que l’orge ou l’huile, stockées dans les réserves communales. Je
les rebaptisais « jetons ».

Maintenant que j’avais compris quelle était leur fonction, une question
s’imposait : les jetons pouvaient-ils nous éclairer sur la genèse de l’art de
compter ? En 1972 commença ma longue et passionnante enquête sur
l’invention et le développement du comptage. Je commençai par
la bibliothèque du département des mathématiques de l’Université du
Texas à Austin. J’en sortais avec des piles de livres d’histoire
des mathématiques qui m’initiaient aux grandes théories sur l’invention
du calcul. Je me plongeai ensuite dans les rapports d’ethnographie,
d’anthropologie et de linguistique où je découvris l’infinie variété
des façons de compter propres aux mille et une cultures de notre planète.
Finalement, je me tournai vers les psychologues et les neurosciences,
lesquels m’apprirent que les enfants d’aujourd’hui éprouvaient par
certains aspects les mêmes difficultés à appréhender la pluralité que nos
ancêtres du Néolithique. Ces diverses sources m’amenèrent à conclure que
les jetons aux formes multiples correspondaient à divers systèmes de
numérations à base de chiffres concrets, caractéristiques de bien
des sociétés archaïques. L’introduction du concept de comptage concret,
pour qualifier une phase de l’évolution de l’art de compter précédant
l’acquisition des chiffres abstraits au Proche-Orient ancien, a eu le mérite
de susciter d’importants débats.
Le lien entre jetons et écriture en revanche ne fut pas le fruit d’un long
labeur. Il m’a pour ainsi dire sauté aux yeux en 1976 lorsque j’ai ouvert
le volume intitulé Archaische Texte aus Uruk 2, dans lequel on trouve
940 des premiers signes d’écriture mésopotamienne tracés de la main
d’Adam Falkenstein. J’étais stupéfaite d’y voir surgir les croquis de
ces jetons simples ou complexes sur lesquels je m’étais posé tant de
questions et de voir ces derniers acquérir des significations au fil
des pages. Ils représentaient soit des denrées, comme de l’huile, du miel,
du pain, de la bière ou du lait de brebis, soit des matières premières,
comme le métal ou la laine, ou encore des marchandises comme
des textiles ou des vêtements, et enfin des animaux – mouton, vache et
chien. Par la suite, c’est grâce aux travaux de Jack Goody, Walter J. Ong,
Marshall McLuhan, Jerome S. Brunner, Suzanne K. Langer, Claude Lévi-
Strauss, David Olson parmi beaucoup d’autres que j’ai pu continuer jour
après jour à approfondir mes recherches et mes connaissances sur cette
prodigieuse invention qu’est l’écriture.

Je me suis souvent étonnée qu’en 1970, alors que la Mésopotamie était


déjà bien connue du grand public, on ignorait encore, et même on ne se
souciait guère de savoir comment l’écriture, et encore moins le comptage,
avaient pu survenir. Cependant, les témoins de la genèse de ces
réalisations majeures de l’humanité étaient là, qui attendaient depuis plus
d’un siècle dans les musées du Proche-Orient qu’un archéologue accorde
de l’intérêt, du temps et de la patience à ces petits jetons d’argile qui ne
promettaient ni gloire, ni fortune. Qu’il m’ait appartenu de me consacrer à
cette belle tâche m’a comblée.

Denise SCHMANDT-BESSERAT 24 Août 2019


1. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « The Earliest Uses of Clay in Syria », Expedition, 19, no 13,
1977, p. 38-42 ; « The Beginnings of the Uses of Clay in Turkey », Anatolian Studies,
vol. 27, 1977, p. 133-150 ; et « The Beginnings of the Use of Clay in the Zagros »,
Expedition, 16, no 2, 1974, p. 10-17.
2. FALKENSTEIN, Adam, Archaische Texte aus Uruk, Ausgrabungen der deutschen
Forschungsgemenschaft in Uruk-Warka, Leipzig, Kommissionsverlag Otto
Harrassowitz, vol. 2, 1936.
Préface

Le présent ouvrage est la version abrégée de Before Writing, publié en


1992 aux Presses de l’Université du Texas. Ce premier ouvrage en deux
volumes – I : From Counting to Cuneiform et II : A Catalog of Near Eastern
Tokens – s’adressait avant tout aux spécialistes. La version abrégée vise à
offrir au public un ouvrage moins détaillé et plus abordable. Je n’y ai
apporté aucune modification, à l’exception de quelques révisions, de
légères corrections et de la mise à jour de quelques références.
La Genèse de l’écriture est la première étude exhaustive sur les jetons du
Proche-Orient destinée au grand public. Fondée sur l’analyse et
l’interprétation d’une sélection de huit mille spécimens provenant de 116
sites situés en Iran, en Irak, au Levant et en Turquie, elle porte sur
le précurseur immédiat du premier système d’écriture connu au monde :
l’écriture cunéiforme. Le matériel, datant de 8000 à 3000 avant J.-C. et
n’ayant pour l’essentiel fait l’objet d’aucune publication, a été collecté et
étudié par mes soins dans trente musées répartis sur quinze pays. On
trouvera également ici une étude systématique portant sur 200
enveloppes destinées à l’archivage des jetons ainsi que sur les 240
tablettes à encoches connues à ce jour. Ces deux types d’objets illustrent
les grandes étapes de la transition des jetons vers l’écriture.
Les jetons exhumés lors des premières fouilles ont rarement bénéficié
d’un relevé stratigraphique précis. Malgré cela, l’important assemblage
présenté ici dresse un portrait fidèle des différents types et sous-types
de jetons, et rend compte avec précision de leur répartition dans le temps
et dans l’espace, de leur évolution au fil du temps, et enfin, du passage
des jetons à l’écriture. L’ouvrage est divisé en trois parties.

Première partie : Témoins


archéologiques
Les deux premiers chapitres sont consacrés à la présentation du
matériel archéologique. Le chapitre 1 comporte une description
des jetons (formes, marques, fabrication) et retrace leur évolution depuis
les jetons « simples » jusqu’aux jetons « complexes ».
Le chapitre 2 présente le contexte dans lequel ils étaient utilisés :
le type de sites auxquels ils appartenaient, leur répartition spatiale au sein
de ces sites et les structures et assemblages auxquels ils étaient associés.
Une attention particulière a été accordée aux rares jetons trouvés dans
des sépultures.
Le chapitre 3 décrit les méthodes employées au IVe millénaire pour
archiver les jetons, notamment les enveloppes, à propos desquelles
les points suivants sont abordés : circonstances de leur découverte,
quantité, répartition géographique, chronologie, contexte, assemblages
de jetons contenus dans ces enveloppes, marques imprimées 1 à leur
surface, et enfin rôle des enveloppes dans la transmutation des jetons en
écriture.
Le chapitre 4 traite des tablettes à encoches. Après une mise au point
sur l’histoire de leur découverte, sur leur nombre, leur répartition
géographique, leur chronologie et leur contexte, je décrirai les documents
qu’elles constituent et les signes qu’elles portent et proposerai
une évaluation de leur apport à l’écriture.
Deuxième partie : Interprétation
Dans les trois derniers chapitres, j’analyserai le rôle des jetons dans
l’évolution de la communication, des structures sociales et des capacités
cognitives. Ces interprétations sont provisoires. Il va de soi que certaines
conclusions auront à être révisées lorsqu’on disposera de données plus
nombreuses et de meilleure qualité.
Au chapitre 5, je montrerai que, à la suite des bâtons de comptage du
Paléolithique, les jetons marquent la deuxième étape du développement
de l’enregistrement de données comptables. En tant que premier code
destiné à enregistrer des données économiques, le jeton constitue
l’arrière-plan immédiat de l’invention de l’écriture.
Le chapitre 6 montre en quoi l’économie a déterminé le système
des jetons et comment ceux-ci ont eu à leur tour des effets sur la société.
Le chapitre 7 porte sur les différents dispositifs de comptage, leur
évolution et leur rôle dans l’invention de l’écriture. On verra que les jetons
sont le reflet d’un mode archaïque de « comptage concret » tandis que
l’écriture découle pour sa part d’une forme de comptage abstraite.
Les Conclusions rassemblent les nombreuses informations apportées
par les jetons sur la communication, les mathématiques, l’économie,
les structures sociales et les capacités cognitives propres aux cultures
proche-orientales à l’époque préhistorique.

Troisième partie : Les objets


Les planches figurant en troisième partie fournissent
une représentation graphique des seize types de jetons et de leurs sous-
types. Pour plus d’informations, le lecteur est invité à consulter Before
Writing, Vol. II : A Catalog of Near Eastern Tokens, où il trouvera la liste
complète des jetons ainsi que la documentation photographique afférente.

1. Le terme « imprimé » désigne la technique par laquelle on enfonce un objet dans


l’argile pour y laisser son empreinte, sans ôter de matière, contrairement à
la technique de la gravure.
Introduction
Une nouvelle théorie

Le développement de l’humanité et l’épanouissement


des civilisations reposent dans l’ensemble sur les progrès accomplis
dans quelques domaines, comme la découverte du feu,
la domestication des animaux et la division du travail, mais ils
reposent surtout sur l’évolution des moyens permettant de recevoir,
de communiquer et d’enregistrer des connaissances, et notamment
sur le développement de l’écriture phonétique.
Colin Cherry 1.

La parole, cet instrument universel qui permet aux humains de


communiquer et de transmettre leurs expériences, s’évanouit
instantanément : un mot n’est pas plus tôt prononcé qu’il a disparu à
jamais. Première technologie permettant de donner à la parole
un caractère permanent, l’écriture a transformé la condition humaine.
La communication a connu une véritable révolution dès lors qu’une
forme d’écriture a permis aux individus d’échanger des informations sans
avoir à se rencontrer en personne. Grâce à celle-ci, ils ont pu en outre
conserver des informations et donc créer des réservoirs de connaissances
excédant largement ce qu’un individu pouvait à lui seul embrasser, tout en
les mettant à la disposition de tous. En nous libérant de notre dépendance
à l’égard de la tradition orale et de ses approximations, l’écriture nous a
fait entrer dans l’histoire. Transactions commerciales et gestion
administrative ne sauraient se concevoir aujourd’hui sans
une comptabilité qui équilibre dépenses et recettes. Enfin, parmi ses
innombrables avantages, l’écriture nous permet encore de saisir les idées
au moment où elles surgissent pour ensuite les trier, les analyser,
les réviser, y ajouter ou soustraire et les modifier pour enfin parvenir à
une rigueur logique et à une profondeur de pensée impossibles sans elle.
Comment l’écriture est-elle apparue ? Il est désormais communément
admis qu’elle fut inventée en Mésopotamie, dans l’Irak d’aujourd’hui, à
la fin du IVe millénaire avant J.-C. 2 pour gagner ensuite l’Égypte, l’Élam et
la vallée de l’Indus 3. On admet aussi que d’autres types d’écriture se sont
développés par la suite, de manière indépendante, en Chine et en
Mésoamérique 4 ; mais leur origine reste mystérieuse. Je m’appuierai sur
des témoins archéologiques afin de démontrer que l’écriture
mésopotamienne est pour sa part issue d’une méthode de comptage
archaïque. En effet, le précurseur immédiat de l’écriture cunéiforme est
un système de jetons – petits objets d’argile de diverses formes
permettant de compter et de comptabiliser des denrées dans les cultures
proche-orientales de l’époque préhistorique. Cette idée que l’écriture
mésopotamienne est née d’un dispositif de comptage est nouvelle.
Jusqu’au XVIIIe siècle, l’origine de l’écriture a fait l’objet de mythes
attribuant son invention à des dieux, à des créatures fabuleuses ou à
des héros. À l’époque des Lumières, on a avancé la théorie selon laquelle
l’écriture sous ses diverses formes avait commencé par des signes-images.
Cette idée a perduré jusqu’à aujourd’hui 5. Dans les pages qui suivent, je
montrerai comment les théories concernant l’invention de l’écriture ont
évolué au fil du temps.
1. Mythes
Le plus ancien récit sur l’invention de l’écriture est peut-être celui de
l’épopée sumérienne de « Enmerkar et le seigneur d’Aratta » 6. Ce poème
raconte qu’Enmerkar, seigneur d’Uruk-Kullab, envoya un émissaire auprès
du seigneur d’Aratta pour lui demander du bois, de l’or, de l’argent, du
lapis-lazuli et des pierres précieuses afin de reconstruire le temple de
la déesse Inanna. Le messager fit plusieurs voyages pour transmettre mot
à mot les demandes, les menaces et les défis échangés entre les deux
seigneurs jusqu’au jour où les instructions d’Enmerkar devinrent trop
complexes pour que l’émissaire parvienne à les mémoriser. Le seigneur de
Kullab inventa alors l’écriture en traçant son message sur une tablette
d’argile :

Le messager, (comme) sa parole était « lourde » ne pouvait pas (la)


répéter,
Le messager, sa parole (étant) « lourde », (comme) il ne pouvait pas
(la) répéter,
Le seigneur de Gul-ab de l’argile battit (et) la parole (le message)
formant (ainsi une) tablette il y plaça.
Autrefois, une parole dans l’argile placée n’existait pas,
(mais) alors (aussi vrai que) le jour éclaire, ainsi fut fait !
Le seigneur de Gul-ab, la parole formant (ainsi une)
tablette il y plaça 7.

Rappelons que, selon la liste des rois sumériens, Enmerkar vécut vers
2700 avant J.-C., soit à une époque où l’écriture était communément
pratiquée depuis cinq cents ans – ce qui évidemment remet en question
la réalité de la contribution d’Enmerkar à l’invention de l’écriture !
Dans un autre poème sumérien évoquant Inanna, Enki et le transfert
des arts de civilisation d’Éridu à Uruk, l’écriture est considérée comme
l’un des cent éléments de base de la civilisation détenus par Enki, dieu de
la sagesse 8. Inanna convoite ces décrets divins (les Me) pour sa propre
ville, Uruk, et décide de se les procurer. Elle y parvient car Enki, dans son
ivresse, lui fait cadeau de tous les arts. Dans la version que propose Samuel
Noah Kramer, les choses se passent ainsi :

Après que la boisson eut réjoui leurs cœurs, Enki s’écria :


« […] Au nom de ma puissance ! Au nom de ma puissance !
À la sainte Inanna, ma fille, je donne […]
Les techniques du bois, du métal, de l’écriture, de la fonderie, du
cuir, […] de l’architecture et de la vannerie ! »
La pure Inanna les prit .
9

Inanna chargea l’écriture et les autres Me sur sa barque céleste et


entama son odyssée vers Uruk. Après avoir surmonté les tempêtes et
affronté les monstres marins envoyés par Enki en vue de récupérer ses
biens, elle regagna enfin sa ville où elle déposa son précieux butin à
la grande joie de son peuple.
Selon l’Histoire de la Babylonie de Bérose, Oannès, créature marine à
corps de poisson et à tête, pieds et voix d’homme, donna aux Babyloniens
l’écriture, le langage, les sciences et toutes sortes d’arts 10. Dans d’autres
textes babyloniens, le dieu Ea, dieu de la sagesse, fut la source de tous
les savoirs magiques et secrets, et en particulier de l’écriture 11. En Assyrie,
Nabu, fils de Marduk, était révéré pour avoir instruit l’humanité dans
les arts et les métiers, et notamment l’architecture, l’agriculture et
l’écriture 12.
Dans la Bible, Dieu révèle ses volontés aux hommes par l’intermédiaire
des tables de la loi « écrites du doigt de Dieu » 13. Source de débats
majeurs 14, ces paroles furent interprétées par Daniel Defoe comme
la preuve que « les deux Tables, écrites du doigt de Dieu sur le Mont Sinaï,
furent les premières Écritures au Monde, tous les autres alphabets
dérivant de l’hébreu » (fig. 1) 15. D’autres attribuèrent l’invention de
l’écriture à Adam. En 1668, John Wilkins, l’un des membres fondateurs de
la Royal Society 16, érudit anglais reconnu et respecté, expliquait qu’Adam
avait inventé l’alphabet hébreu, « non pas immédiatement après sa
création mais au bout d’un certain temps, lorsqu’il en perçut la grande
nécessité et utilité » 17.
Fig. 1. Page de titre de An Essay upon Literature, Daniel Defoe,
Londres, Thomas Bowles, 1726. Avec l’aimable autorisation
du Harry Ransom Humanities Research Center, University of Texas,
Austin.

De Sumer à Daniel Defoe, les mythes ont une caractéristique


commune : ils présentent l’écriture comme un système apparu d’un coup
et dans un état parfaitement abouti ; aucun n’envisage l’idée d’une
évolution des systèmes de communication vers une plus grande
complexité. Ce concept d’un alphabet d’origine divine, descendu du ciel
dans un état de parfait achèvement, a perduré jusqu’au XVIIIe siècle.

2. La théorie des pictogrammes


Au e
XVIII siècle, William Warburton, évêque de Gloucester, propose
la première théorie évolutionniste de l’écriture. À partir de l’étude de
manuscrits égyptiens, chinois et aztèques, Warburton émet l’hypothèse
que toutes les écritures ont commencé par des dessins narratifs. Selon sa
théorie, ces représentations se sont simplifiées au fil du temps jusqu’à
devenir des caractères abstraits. Warburton présente sa théorie dans
un ouvrage, Divine Legation of Moses, paru à Londres en 1738 18. Ses idées
sont reprises dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert sous l’article
intitulé « Écriture », ce qui leur assura une large diffusion 19. La théorie
pictographique de Warburton ne fut pratiquement jamais remise en
question pendant plus de deux cents ans. Ignace J. Gelb, par exemple, dans
l’édition révisée de A Study of Writing (1974) – encore aujourd’hui l’une
des publications savantes modernes les plus connues sur l’écriture –
affirme qu’il « devint évident que l’écriture cunéiforme mésopotamienne
avait évolué à partir d’un stade pictographique » 20.
Bien que l’existence d’écritures cunéiformes ait été repérée par
des voyageurs occidentaux dès le XVe siècle, les premières écritures
proche-orientales ne jouèrent aucun rôle dans l’élaboration de la théorie
pictographique car elles étaient encore peu connues en 1738. Au
XIX siècle, lorsque les missions archéologiques rapportent en Europe
e

les premières grandes moissons de textes cunéiformes, on juge que cette


écriture est conforme au paradigme de Warburton. En 1913, George
A. Barton pense que « l’enquêteur doit procéder à partir de l’hypothèse
que l’écriture babylonienne, comme les autres écritures primitives, eut
pour origine des pictogrammes ». Cependant, il introduisit tout de même
dans sa théorie l’idée d’une évolution en trois étapes ayant permis
le passage de l’écriture idéographique à l’écriture phonétique.

En effet, écrit Barton, partout où l’on peut retracer les débuts de


l’écriture, on constate qu’elle prit d’abord la forme de dessins, en sorte
qu’on doit pouvoir considérer comme une hypothèse de travail, sinon
comme une loi, l’idée que les premiers systèmes d’écriture ont tous
commencé par une série d’idéogrammes pictographiques à partir desquels
furent élaborées des valeurs syllabiques et parfois alphabétiques 21.
En réalité, l’idée que l’écriture cunéiforme ait commencé avec
des signes-images cadrait mal avec les faits. En 1928, un an avant
la découverte des tablettes d’Uruk, William A. Mason admettait que
« même dans les inscriptions les plus anciennes et les plus archaïques, il
n’est pas toujours facile de reconnaître les objets d’origine ». Pourtant,
la théorie pictographique ne fut jamais remise en question ; on préférait
faire porter aux scribes babyloniens la responsabilité de l’écart entre idées
préconçues et faits : « En raison des faiblesses des cultures primitives, du
manque d’expérience des scribes et de leur absence de capacités
artistiques, chaque scribe traçait les caractères à sa façon, grossière,
approximative et souvent incorrecte ; si bien qu’il est tout à fait
impossible de toujours distinguer les caractères avec certitude et
d’identifier l’objet auquel il correspond 22. »
La campagne de 1929-1930 à Uruk apporta quantité d’informations
nouvelles sur les débuts de l’écriture. Des centaines de tablettes
archaïques furent exhumées, faisant remonter l’écriture au IVe millénaire
avant notre ère. On appela pictogrammes les signes tracés ou imprimés à
l’aide d’un calame selon une technique différente de l’écriture
cunéiforme, alors même que ces tablettes archaïques contredisaient
la théorie des pictogrammes. Adam Falkenstein, le spécialiste allemand
qui étudia ces textes, remarqua qu’au début de l’écriture en Mésopotamie,
il n’y avait pas d’authentiques signes-images, sauf à de très rares
exceptions. Les vrais signes-images, c’est-à-dire les signes désignant
une charrue, un char, un traîneau à dépiquer ou un sanglier, étaient non
seulement rares mais d’usage inhabituel : on n’en trouva qu’une seule
occurrence sur une unique tablette 23. Les signes ordinaires étaient
abstraits : un croissant portant cinq incisions signifiait « métal » et
un cercle portant une incision en croix « mouton ». En mettant en
évidence le fait que les signes pictographiques étaient rarement utilisés à
l’époque de la naissance de l’écriture en Mésopotamie, les tablettes d’Uruk
sapèrent la théorie des pictogrammes.
Edward Chiera, parmi d’autres, a tenté de réconcilier les observations
de Falkenstein avec la théorie des pictogrammes. Son argument repose sur
l’hypothèse que les textes d’Uruk correspondent à une étape déjà avancée
de l’écriture et qu’il y eut une étape précédente, à base d’authentiques
pictogrammes sans doute tracés sur des supports périssables comme
le bois, l’écorce, le papyrus ou le parchemin, lesquels, s’étant désintégrés
avec le temps, furent perdus à jamais 24.
Lors de la campagne de fouilles suivante sur le site d’Uruk, en 1930-
1931, on mit au jour des tablettes à encoches qui à leur tour remirent en
cause la théorie des pictogrammes. Ces textes, à l’instar de ceux qu’on
avait trouvés auparavant à Suse, et par la suite à Khafaje, Godin Tépé,
Mari, Tell Brak, Habuba Kabira et Jebel Aruda, étaient plus anciens que
les tablettes « pictographiques » d’Uruk étudiées par Falkenstein. Et
pourtant, elles n’étaient pas en bois, en écorce, en papyrus ou en
parchemin ainsi que l’avait supposé Chiera. Cette forme plus ancienne
d’écriture était constituée d’encoches, de cercles, d’ovales et de triangles
imprimés à la surface de tablettes d’argile et n’avait rien d’une écriture
pictographique. Le fossé entre les témoins matériels et les belles
représentations de pictogrammes dont étaient illustrés les ouvrages
spécialisés se creusait encore.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, face à l’accumulation
des données, la théorie des pictogrammes n’est plus guère tenable. Depuis
Champollion en 1822 jusqu’à Ventris en 1953, chacune des grandes étapes
dans le déchiffrement des textes sape davantage les fondements de
la théorie des pictogrammes et atteste du caractère phonétique de toutes
les premières écritures. Des anthropologues comme André Leroi-Gourhan
prennent part au débat, notamment pour dénoncer certaines idées reçues
au sujet des écritures à pictogrammes primitives ; ainsi écrit-il dans
Le Geste et la parole : « Les linguistes qui se sont attachés à l’étude de
l’origine de l’écriture ont souvent considéré les pictographies en projetant
sur elles une mentalité née de la pratique de l’écriture. » Il fait observer
que les écritures authentiquement pictographiques sont des phénomènes
récents et que la plupart d’entre elles sont nées au sein de groupes qui ne
possédaient pas l’écriture avant d’avoir été en contact avec des voyageurs
ou des colons originaires de pays à écriture ; et il en tire la conclusion
suivante : « Aussi paraît-il impossible de se servir de la pictographie
des Esquimaux ou des Indiens comme d’un terme de comparaison pour
comprendre l’idéographie des peuples antérieurs à l’écriture 25. »
Certains spécialistes ont commencé à mettre en doute l’idée que
l’écriture est née de la décision rationnelle d’un groupe d’individus
éclairés comme le fait V. Gordon Childe dans What Happened in History :
« Les prêtres […] s’entendirent sur une méthode conventionnelle de
comptabilisation des recettes et des dépenses grâce à des signes écrits
intelligibles par tous leurs pairs et successeurs ; ils inventèrent
l’écriture 26. » En effet, comme toutes les inventions humaines, l’écriture
n’est pas une création ex nihilo ; et pour reprendre les termes de Chiera :
« Il n’y a jamais eu de premier homme qui ait un beau jour déclaré : ‘‘À
présent, mettons-nous à écrire.’’ Cette magnifique réalisation de
l’humanité, qui rend possible l’existence même de la civilisation parce
qu’elle permet la transmission des acquis d’une génération à la suivante,
est le résultat d’une évolution lente et naturelle 27. »
Mais surtout, la théorie des pictogrammes ne concordait pas avec
les résultats des recherches archéologiques. Au cours des dernières
années, les fouilles au Proche-Orient ont privilégié l’étude de la naissance
de l’agriculture et des villes et ont cherché à déterminer quels effets ces
événements ont eu sur les sociétés. Du point de vue de l’urbanisation,
les premières tablettes « pictographiques » d’Uruk (de même que
les tablettes à encoches qui les ont précédées) ne sont pas en phase avec
certains autres aspects de la vie socio-économique. Les premiers
documents apparaissent au niveau IVa d’Uruk, et sont donc largement
postérieurs à la naissance des villes et à l’apparition du temple en tant
qu’institution, laquelle était déjà bien amorcée plus de deux cents ans
auparavant (niveaux X-IV). Si l’écriture est apparue aussi tardivement, il
est impossible qu’elle ait joué un rôle dans la formation de l’État, et on
peut donc se demander comment les cités-États mésopotamiennes ont pu
fonctionner en l’absence d’enregistrement d’informations comptables.
Alors que les ouvrages de vulgarisation continuent à présenter
la théorie traditionnelle des pictogrammes 28, dès les années 1950,
des chercheurs anticipent la découverte d’une écriture antérieure à
l’écriture mésopotamienne. Certains, comme V. Gordon Childe,
la cherchent dans les sceaux, d’autres dans les marques de potiers – en
vain 29. La plupart envisagent, à l’instar de Seton Lloyd, l’existence d’une
écriture encore plus ancienne : « Le degré de compétence […] [dont
témoignent les tablettes d’Uruk IV] laisse présager que l’on finira peut-
être par identifier des étapes antérieures de cette écriture, aux niveaux
correspondant à Uruk V et VI par exemple 30. » David Diringer se contente
quant à lui d’évoquer « une écriture plus primitive » ou « une écriture plus
ancienne, à ce jour inconnue, qui a pu être l’ancêtre commun de [l’écriture
de la vallée de l’Indus], de l’écriture cunéiforme et des premières écritures
élamites » 31. Je fais pour ma part l’hypothèse que l’écriture fut précédée
non pas par une forme antérieure d’écriture mais par un dispositif de
comptage. Car ce que l’on n’a pas vu, voire ce qu’on a délibérément laissé
de côté, ce sont ces modestes jetons utilisés depuis des siècles, et qui sont
– telle est mon hypothèse – les précurseurs immédiats de l’écriture.
Dans la mesure où elle fut la première à adopter un point de vue
évolutionniste sur l’écriture – rompant ainsi avec la croyance que
l’écriture avait été livrée tout aboutie à l’humanité par une révélation
divine – la théorie des pictogrammes restera une étape importante dans
l’histoire des idées. Cependant, cette théorie est fondée sur des modèles
égyptien, chinois et « américain » qui ne sont pas pertinents pour aborder
les jetons. Au cours du XXe siècle, l’archéologie n’a cessé d’apporter de
nouvelles preuves invalidant ce paradigme ; en particulier, les fouilles ont
régulièrement mis au jour ces petits jetons qui furent bel et bien, comme
je vais le montrer, les ancêtres de l’écriture.

3. Les jetons
Le système des jetons est le précurseur immédiat de l’écriture
cunéiforme. Ces petits objets en argile de diverses formes – conique,
sphérique, discoïde, cylindrique, etc. – servaient de jetons au Proche-
Orient à l’époque préhistorique, et on les trouve dès la période
néolithique, à partir de 8000 avant J.-C. Ils ont évolué en fonction
des besoins de l’économie : d’abord utilisés pour comptabiliser
les produits de l’agriculture, avec la naissance des villes leur usage a été
étendu aux produits manufacturés dans les ateliers. Le développement
des jetons est lié à l’apparition de structures sociales spécifiques : il a
commencé avec l’émergence des sociétés hiérarchisées et connut son
apogée avec l’avènement de l’État.
Avec le développement de l’administration, on inventa des méthodes
pour archiver les jetons. L’une de ces méthodes faisait appel à
des enveloppes en argile, de simples boules creuses dans lesquelles on
plaçait des jetons avant de les sceller. Ces enveloppes avaient pour
inconvénient de dissimuler les jetons qu’elles contenaient. Les comptables
finirent par résoudre le problème en imprimant la forme des jetons à
la surface des enveloppes avant de les y enfermer, le nombre de marques
correspondant au nombre de denrées comptabilisées. Ainsi une enveloppe
contenant sept jetons ovoïdes portait sept marques ovales.
Le remplacement des jetons par des signes constitue une première
étape vers l’écriture. Les comptables du IVe millénaire comprirent bien
vite que les jetons placés à l’intérieur des enveloppes avaient été rendus
inutiles par la présence des marques imprimées sur leur face externe. En
conséquence, ces enveloppes creuses furent remplacées par des boules
d’argile pleines portant des marques : les tablettes. Ces marques
formèrent peu à peu un système qui évolua jusqu’à inclure non seulement
des marques imprimées à la surface des tablettes mais aussi des signes
plus lisibles tracés avec la pointe d’un calame. Ces deux types de symboles,
issus des jetons, étaient des signes-images ou « pictogrammes ». Toutefois,
ces pictogrammes n’ont rien à voir avec ceux qu’avait imaginés
Warburton. Ces signes n’étaient pas l’image des objets qu’ils
représentaient mais celle, en revanche, des jetons utilisés dans le système
comptable précédent.
Ce qui m’a particulièrement fascinée dans cette étude, ce fut
la découverte que le système des jetons était le reflet d’un mode archaïque
de comptage « concret » ayant précédé l’invention des nombres abstraits.
Il n’existait pas de jetons correspondant à « 1 » ou à « 10 ». Il fallait en
revanche un type de jeton spécifique pour comptabiliser chaque type de
denrée : on comptait les jarres d’huile avec des jetons ovoïdes, les petites
mesures de céréales avec des cônes et les grandes mesures avec
des sphères. Les jetons étaient utilisés selon une correspondance terme à
terme : une jarre d’huile était représentée par un jeton, deux jarres par
deux jetons, etc. La portée de cette découverte est immense : l’écriture
n’est pas le résultat des seules exigences nouvelles de l’administration
mais aussi de l’invention du comptage abstrait. Le fait le plus important,
c’est que contrairement à ce qui était supposé auparavant, le comptage
n’est pas subordonné à l’écriture : on a écrit parce qu’on a d’abord compté.

3.1. ÉTUDES PORTANT SUR LES JETONS

J’ai découvert les jetons par hasard. Tout a commencé entre 1969 et
1971, lorsque j’obtins une bourse de recherche du Radcliffe Institute
(aujourd’hui Bunting Institute) à Cambridge dans le Massachusetts, pour
étudier l’utilisation de l’argile avant les débuts de la céramique au Proche-
Orient. Je fus amenée à me rendre dans des musées au Proche-Orient, en
Afrique du Nord, en Europe et en Amérique du Nord pour y examiner de
manière systématique les collections archéologiques proche-orientales
d’objets en argile datant de 8000 à 6000 avant J.-C. Je cherchais
des fragments de sols en argile, de revêtement de foyer et de grenier,
des briques, des perles et des figurines datant du Néolithique et j’en
trouvais en abondance. Mais je découvris par ailleurs une catégorie
d’artefacts auxquels je ne m’attendais pas : des cônes, des sphères,
des disques, des tétraèdres, des cylindres miniatures ainsi que d’autres
formes géométriques en argile. Je relevai les diverses formes de ces objets
ainsi que leur couleur et les procédés de fabrication mis en œuvre pour
les réaliser. Je les comptai, les mesurai, j’en fis des croquis et les rangeai
dans mes dossiers sous la rubrique « objets de formes géométriques ». Par
la suite, quand il apparut clairement que ces artefacts n’étaient pas tous
de forme géométrique mais avaient parfois aussi des formes d’animaux, de
récipients, d’outils ou d’autres marchandises, la rubrique prit le nom de
« jetons ».
Ces jetons m’intriguaient de plus en plus car, partout où j’allais, que ce
soit en Irak, en Iran, en Syrie, en Turquie ou en Israël, ils étaient toujours
présents dans les assemblages d’objets en argile les plus anciens. S’ils
étaient aussi répandus, c’est qu’ils devaient avoir eu une fonction bien
utile. Je remarquais que les jetons étaient souvent fabriqués avec soin et
qu’ils furent les premiers objets d’argile à avoir bénéficié d’une cuisson.
Le soin apporté à leur élaboration confirmait leur importance. Ils
semblaient par ailleurs faire partie d’un système ; en effet, il y avait
des grands cônes et des petits, des disques épais et des minces, des sphères
de grande et de petite taille, il y avait même des fractions de sphères sous
forme de demi- et de trois-quarts de sphère. Mais à quoi ces jetons
servaient-ils ?
J’interrogeai les archéologues et j’appris que tous ceux qui avaient
fouillé des sites anciens en avaient trouvé dans leurs tranchées.
Cependant, personne ne savait ce que c’était. Je consultai des rapports de
fouille et remarquai que les jetons n’y étaient en général pas mentionnés
ou bien se trouvaient relégués sous des rubriques intitulées « objets
énigmatiques » ou « objets d’utilisation incertaine ». Les auteurs qui se
risquaient à fournir une interprétation attribuaient aux jetons la fonction
d’amulettes ou d’éléments de jeux. D’autres, comme Carleton Coon
demeuraient perplexes. Dans son rapport sur la fouille de la grotte de
Kamarband (Belt Cave) en Iran, il prend un ton enjoué pour mentionner
que : « Aux niveaux 11 et 12 apparaissent cinq mystérieux objets coniques
en argile, qui ne ressemblent absolument à rien si ce n’est à
des suppositoires. Quant à savoir à quoi ils servaient, les paris sont
ouverts 32 ! »
Les données que je collectais sur les jetons m’ont d’abord paru de peu
de conséquence, mais ce sont elles qui, par la suite, m’ont permis de
reconnaître l’importance de ces objets. Les informations concernant
les jetons du Néolithique se sont révélées être la pièce du puzzle qui au
final a permis la reconstitution du tableau tout entier.

4. Les archéologues
Il faut saluer les archéologues, à commencer par Jacques de Morgan à
Suse (1905) et Julius Jordan à Uruk (1929), pour leur travail de fouilles, de
conservation et pour avoir fait figurer les jetons dans leurs publications
malgré l’apparente insignifiance de ces derniers à l’époque. Vivian
L. Broman a pour sa part eu le mérite d’inclure dans ses travaux l’étude de
centaines de jetons provenant de Jarmo 33. Dans sa thèse, elle n’eut pas
d’autre choix elle non plus que de deviner, à partir de leur forme, ce
qu’avaient pu être ces objets. Elle attribua à chaque type de jetons
une fonction différente. Ainsi les cônes sont-ils à ses yeux des figurines
schématiques et les sphères des cailloux à lance-pierres ou bien des billes
à jouer. Ayant remarqué que les bergers irakiens d’aujourd’hui
comptabilisaient leurs animaux avec des cailloux, elle en déduisit que
les cônes, sphères et demi-sphères étaient peut-être des jetons 34. Mais à
l’époque, son hypothèse n’était étayée par aucun témoin archéologique.
Cependant, dès l’année suivante, on eut la preuve matérielle de
l’utilisation des jetons dans le Proche-Orient ancien.

4.1. LEO OPPENHEIM


En 1959, Adolf Leo Oppenheim, professeur à l’université de Chicago,
écrivit un article sur les jetons du IIe millénaire avant J.-C. qui livra la clé
pour comprendre ce qu’ils étaient 35. Cet article portait sur une tablette
creuse trouvée à la fin des années 1920 sur le site de Nuzi, au nord de l’Irak
(fig. 2) 36. Cette tablette en forme d’œuf faisait partie, avec une tablette
normale portant des inscriptions relatives à la même transaction,
des archives familiales d’un propriétaire de moutons nommé Puhisenni 37.
L’inscription en cunéiforme gravée sur la tablette creuse était la suivante :
Jetons représentant du petit bétail :
21 brebis qui ont déjà procréé
6 agneaux femelles
8 béliers adultes
4 agneaux
6 chèvres qui ont déjà procréé
1 bouc
3 chevrettes
Document scellé de Ziqarru, le berger 38.
En ouvrant la tablette creuse, les fouilleurs découvrirent 49 jetons qui,
conformément à ce que disait le texte, correspondaient au nombre
d’animaux dont on avait dressé la liste 39.
Fig. 2. « Tablette creuse », Nuzi, Irak. Avec l’aimable autorisation
d’Ernest Lacheman.

Cette tablette creuse fut la pierre de Rosette du système. Les jetons (en
akkadien, abnu, pl. abnati, « cailloux » selon la traduction d’Oppenheim),
la liste d’animaux, et le texte explicatif en cunéiforme ne laissent aucun
doute sur la destination des jetons de Nuzi : ils servaient à la comptabilité.
Bien qu’on n’ait jamais trouvé d’autre exemple de tablette portant
des inscriptions en cunéiforme et renfermant des jetons, ni à Nuzi ni
ailleurs en Mésopotamie ou au Proche-Orient en général, Oppenheim en
conclut que les abnati étaient communément utilisés par l’administration.
Son raisonnement est le suivant : chaque animal faisant partie d’un
troupeau est représenté par un caillou enfermé dans un contenant ;
les jetons sont transférés d’un réceptacle à l’autre afin de conserver
la trace de changements de bergers ou de pâtures, ou à l’occasion de
tontes, etc. Oppenheim s’appuie sur de brefs messages rédigés en
cunéiforme concernant des abnati « déposés », « transférés » ou
« retirés », par exemple :
— Ces moutons sont chez PN ; les cailloux (qui s’y rapportent) n’ont
pas encore été déposés.
— Trois agneaux, deux jeunes boucs, la part de PN, ont été portés à son
compte (mais) pas déposés parmi les cailloux.
— Une brebis appartenant à PN, son caillou n’a pas été retiré.
— En tout, 23 moutons de Silwatesup, PN a apporté… leurs cailloux
n’ont pas été transférés.
— x brebis ont mis bas, sans les cailloux (qui s’y rapportent),
appartenant à PN 40.
Marcel Sigrist a trouvé d’autres textes faisant probablement allusion à
des jetons datant de la troisième dynastie d’Ur, vers 2000 avant J.-C. Par
exemple, on lit sur une tablette évoquant des bœufs : « Le reste du compte
a été placé dans la bourse de cuir » (en sumérien : Kus duIO-gan) 41.
Lorsque Oppenheim écrivit son article, personne ne savait à quoi
ressemblaient les jetons. Car bien sûr, les abnati mentionnés dans
les textes n’avaient fait l’objet d’aucune description et ceux qui se
trouvaient dans la tablette creuse de Nuzi avaient été perdus. Dans
le rapport de fouilles, ils sont désignés sous le vocable de « cailloux » et
aucune information n’est donnée quant à leur forme ou au matériau dont
ils sont faits 42. Ce fut Pierre Amiet qui apporta la deuxième pièce majeure
du puzzle.

4.2. PIERRE AMIET

Pierre Amiet étudiait les sceaux dont se servait l’administration pour


valider des documents dans les cultures du Proche-Orient ancien. En
particulier, il étudia les empreintes de ces sceaux apposées à la surface
d’objets en argile de forme sphérique provenant de Suse. Ces artefacts
étaient creux et contenaient de petits objets eux-mêmes en argile. À
la suite d’Oppenheim, Amiet pensa que ces objets enfermés dans
des enveloppes en argile étaient des « jetons » représentant
des marchandises 43. L’hypothèse était audacieuse dans la mesure où deux
mille ans séparaient les enveloppes de Suse de la tablette ovoïde de Nuzi et
où on ne disposait d’aucun autre exemple entre les premières et
la seconde. Ce fut une avancée majeure pour trois raisons : premièrement,
ce fut la découverte des jetons ; deuxièmement, les enveloppes trouvées à
Suse montraient que les jetons qu’elles contenaient ne dataient pas
uniquement de la période de l’écriture mais remontaient à une époque
antérieure à son invention ; troisièmement, Amiet envisageait
la possibilité que les jetons aient été les précurseurs de l’écriture : « On
peut ainsi se demander si [le scribe] ne s’inspirait pas des petits objets de
terre enfermés dans les bulles, et qui symboliseraient très
conventionnellement certaines denrées 44. »
L’apport d’Amiet fut immense mais il était limité à un cadre temporel
et spatial restreint, celui de Suse vers 3300 avant J.-C. Il ne faut pas oublier
qu’en 1966, personne ne connaissait les jetons préhistoriques et que
les seuls équivalents des enveloppes de Suse ayant fait l’objet d’une
publication étaient celles que l’on venait d’exhumer à Uruk 45. Six années
plus tard, en 1972, Amiet décrivait encore les marques imprimées à
la surface des enveloppes de Suse qui figuraient dans sa Glyptique Susienne
comme suit : « Une série d’encoches rondes ou allongées, semblable aux
chiffres que l’on observe sur les tablettes, et qui correspondent au nombre
que donne l’addition des jetons serrés à l’intérieur, à cela près que leurs
formes ne sont pas aussi diversifiées que celles des derniers 46. » Et par
la suite, Amiet résumait ainsi sa position : « Je me demandais donc si cette
écriture ne s’inspirait pas de certains des jetons enfermés dans
les bulles 47. »
Maurice Lambert, conservateur du Département des Antiquités
orientales du musée du Louvre a poussé plus loin l’idée d’Amiet : il repéra
très clairement que les premiers signes d’écriture imprimés dans l’argile
reproduisaient la forme des anciens jetons – « L’écriture a copié, ici
comme ailleurs, ce qui existait en vrai 48 » – et assigna en conséquence
différentes valeurs – 1, 10, 60, 600 et 3 600 – aux différents jetons :
tétraèdre, sphère, grand tétraèdre, tétraèdre perforé et grande sphère,
respectivement ; en quoi il se trompait en partie.
Ce que pour ma part j’ai compris, c’est que les jetons ont constitué
un système de comptabilité qui a perduré pendant cinq mille ans au cours
de la Préhistoire et qui a été largement utilisé dans tout le Proche-Orient.
J’ai pu par ailleurs établir des parallèles entre la forme des jetons et celle
des premiers signes d’écriture gravés et prouver qu’il existait
une continuité entre ces deux systèmes de comptabilité. Enfin, bien plus
tard, j’ai pris la mesure de l’importance des jetons pour les mathématiques
quand je me suis rendu compte qu’ils constituaient un dispositif de calcul
archaïque ayant précédé l’invention du comptage abstrait. J’ai un souvenir
très vif du jour où, en 1970, deux pièces du puzzle se sont tout à coup
emboîtées sous mes yeux. Dans le cadre de la préparation d’un cours, je
décidai de relire l’article d’Amiet rédigé en 1966 et que je n’avais pas repris
depuis que j’avais commencé à recueillir des jetons. Je n’en crus pas mes
yeux lorsque je vis les petits cônes en argile, les sphères et les tétraèdres
qui illustraient l’article. Car jusqu’alors, j’avais instinctivement écarté
l’idée que les artefacts de Suse pussent avoir un quelconque rapport avec
les jetons trouvés dans les villages néolithiques. Après tout, les jetons de
Suse étaient enfermés dans des enveloppes tandis que les jetons du
Néolithique en étaient dépourvus ; par ailleurs des milliers d’années
séparaient ces objets. Cependant, ma curiosité avait été suffisamment
piquée pour que dès le lendemain je me plonge dans les rapports de
fouilles de sites datant des IVe, Ve et VIe millénaires et me rende compte de
la possibilité que les jetons aient pu être utilisés sans discontinuité du
VIIIe au IIIe millénaire avant J.-C. Le travail ne faisait que commencer. Mes
premières publications sur les jetons et leur rapport à l’écriture datent
d’entre 1974 et 1978 49, celles qui portent sur les jetons et le comptage
concret ont été rédigées entre 1983 et 1986 50.

1. CHERRY, Colin, On Human Communication, New York, John Wiley and Sons, 1957, p. 31.
2. POWELL, Marvin A., « Three Problems in the History of Cuneiform Writing : Origins,
Direction of Script, Literacy », Visible Language, 15, no 4, 1981, p. 419-420.
3. GELB, Ignace J., A Study of Writing, Chicago, University of Chicago Press, 1974, p. 63.
4. SAMPSON, Geoffrey, Writing Systems, Stanford (CA), Stanford University Press, 1985,
p. 46-47.
5. JACKSON, Donald, The Story of Writing, New York, Taplinger Publishing Company, 1981,
p. 16-17.
6. KOMORÓCZY, Géza, « Zur Ätiologie der Schrift Erfindung im Enmerkar Epos »,
Altorientalische Forschungen, 3, 1975, p. 19-24.
7. COHEN, Sol, « Enmerkar and the Lord of Aratta », University of Pennsylvania, 1973,
p. 136-137. Pour la traduction française : « Sa parole : son message oral. ‘‘Lourd’’ au
sens de ‘‘magique’’, chargé d’influences redoutables qui en rendaient périlleuse
même la simple répétition. » Note de Raymond Riec-Jestin pour sa traduction du
poème d’En-me-er-kar parue dans la Revue de l’histoire des religions, tome 151, no 2,
1957, p. 145-220. Dans L’Histoire commence à Sumer, Kramer évoque plutôt
une difficulté d’élocution chez le messager ou bien la longueur du message (p. 53).
Vers 502-508. (ndlt).
8. FARBER, Gertrude, Der Mythos « Inanna une Enki » unter besondere Berücksichtigung der
Liste der Me, Studia Pohl, vol. 10, Rome, Presses de l’Institut biblique, 1973.
9. KRAMER, Samuel Noah, L’Histoire commence à Sumer, Flammarion, coll. « Champs »,
1993.
10. BURSTEIN, Stanley Mayer, The Babyloniaca of Berossus, Sources from the Ancient Near
East, vol. I, no 5, Malibu (CA), Undena Publications, 1978, p. 1-4.
11. HOOKE, Samuel H., Babylonian and Assyrian Religion, Londres, Hutchinson, 1953, p. 18.
12. EDZARD, Dietz O., « Nabu », dans HAUSSIG, Hans W. (dir.), Wörterbuch der Mythologie,
vol. I, Stuttgart, Ernst Klett Verlag, 1965, p. 106-107.
13. Exode 31 :18.
14. ASTLE, Thomas, The Origin and Progress of Writing, 2e éd., Londres, J. White, 1803, p. 12,
défend l’idée que l’écriture est antérieure aux Tables de la Loi car dans Exode 17: 14,
l’Éternel dit à Moïse : « Écris cela dans le livre. » Selon DOBLHOFER, Ernst, Voices in
Stone, New York, Viking Press, 1961, p. 14, certains considéraient le texte des Tables
de la Loi dans Exode 31: 18 comme « écrit de la main de Dieu », par opposition au
texte « écrit de main d’homme » dans Isaïe 8: 1.
15. DEFOE, Daniel, An Essay upon Literature, Londres, Thomas Bowles, 1726, page de titre.
16. V.-DAVID, Madeleine, Le Débat sur les écritures et l’hiéroglyphe aux XVIIe et XVIIIe siècles,
Paris, Bibliothèque générale de l’École Pratique des Hautes Études, VIe Section,
SEVPEN, 1965, p. 13.
17. WILKINS, John, Essay towards a Real Character and a Philosophical Language, Londres,
Gellibrand, 1968, p. 11.
18. WARBURTON, William, Divine Legation of Moses, Londres, Fletcher Gyles, 1738, livre 4,
p. 67, 70-71, 81, 139.
19. MALLET, Étienne (Abbé), « Écriture », dans DIDEROT, Denis et D’ALEMBERT, Jean Le Rond,
Encyclopédie, vol. 5, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1755, p. 358-359.
20. GELB, A Study of Writing, p. 62.
21. BARTON, George A., The Origin and Development of Babylonian Writing, Baltimore, Johns
Hopkins University Press, 1913, p. XIV.
22. MASON, William A., A History of the Art of Writing, New York, Macmillan, 1928, p. 236-
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23. ATU 25, 52.
24. CHIERA, Edward, They Wrote on Clay, Chicago, University of Chicago Press, 1938, p. 50
et 58-60 ; ROUX, Georges, Ancient Iraq, Harmondsworth, Penguin Books, 1980, p. 80.
25. LEROI-GOURHAN, André, Le Geste et la parole, vol. I, Paris, Albin Michel, 1964, p. 269-270.
26. CHILDE, V. Gordon, What happened in History, édition revue, Harmondsworth, Penguin
Books, 1954, p. 93.
27. CHIERA, They Wrote on Clay, p. 51.
28. CLAIBORNE, Robert, The Birth of Writing, Alexandria (VA), Time-Life Books, 1974, p. 66 ;
HAMBLIN, Dora Jane, The First Cities, New York, Time-Life Books, 1973, p. 99.
29. CHILDE, What Happened, p. 87 ; MERCER, Samuel A. B., The Origin of Writing and Our
Alphabet, Londres, Luzac and Company, 1959, p. I.
30. LLOYD, Seton, The Archaeology of Mesopotamia, Londres, Thames and Hudson, 1978,
p. 55.
31. DIRINGER, David, The Alphabet, vol. I, 3e éd., Londres, Hutchinson, 1968, p. 24, 49.
32. COON, Carlton S., Cave Explorations in Iran, University Museum Monographs,
Philadelphie, University of Pennsylvania, 1949, p. 75.
33. BROMAN, Vivian L., « Jarmo Figurines », mémoire de maîtrise, Radcliffe College,
Cambridge, Massachussetts, 1958. Ce mémoire fut par la suite publié sous le titre
« Jarmo Figurines and Other Clay Objects », dans BRAIDWOOD, Linda S. et al. (dir.),
Prehistoric Archeology along the Zagros Flanks, Oriental Institute Publications 105,
Chicago, University of Chicago Press, 1983, p. 369-423.
34. BROMAN, « Jarmo Figurines », 1958, p. 58, 62, 63 ; JACOBSEN, Thorkild, Human Origins,
Selected Readings, sér. 2, 2e éd., Chicago, University of Chicago Press, 1946, p. 245.
35. OPPENHEIM, A. Leo, « On an Operational Device in Mesopotamian Bureaucracy »,
Journal of Near Eastern Studies, 18, 1959, p. 121-128.
36. STARR, Richard F. S., Nuzi, vol. I, Cambridge, Harvard University Press, 1939, p. 316-
317 ; LACHEMAN, Excavations at Nuzi, vol. 7, Economic and Social Documents, Harvard
Semitic Series, vol. 16, Cambridge, Harvard University Press, 1958, p. 88, no 311.
37. Il est probable que la tablette normale ait été destinée aux archives de Puhisenni et
l’enveloppe ovoïde au berger Ziqarru, lequel était sans doute illettré. Voir STARR,
Nuzi, p. 316-317 ; LACHEMAN, Excavations at Nuzi ; Tzvi Abusch explique pourquoi
les deux textes étaient archivés ensemble : ABUSCH, Tzvi, « Notes on a Pair of
Matching Texts : A Shepherd’s Bulla and an Owner’s Receipt », dans MORRISON,
Martha A. et OWEN, David I. (dir.), Studies on the civilization and Culture of Nuzi and the
Hurrians, Winona Lake (IN), Eisenbrauns, 1981, p. 1-9.
38. ABUSCH, « Notes », p. 2-3.
39. STARR, Nuzi, p. 316.
40. OPPENHEIM, « On an Operational Device », p. 125-126.
41. La forme sumérienne est passée en akkadien sous la forme tuk(k)annu
(renseignement obtenu directement de Marcel Sigrist). Le texte est publié dans
PETTINATO, G., PICCHIONI, S. A. et RESHID, F., Testi Economici Dell’Iraq Museum-Baghdad,
Materiali per il Vocabulario Neosumerico, vol. 8, Rome, Multigrafica Editrice, 1979,
pl. XLVIII, no 148 ; DHORME, P., « Tablettes de Drehem à Jérusalem », Revue
d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, 9, 1912, pl. I (SA 19).
42. STARR, Nuzi, p. 316.
43. AMIET, Pierre, « Il y a 5 000 ans les Élamites inventaient l’écriture », Archeologia, 12,
1966, p. 20-22.
44. Ibid., p. 22.
45. Amiet pensait que l’objet trouvé à Ninive était une enveloppe, mais il s’agissait en
fait d’une bulle pleine. AMIET, Pierre, Élam, Auvers-sur-Oise, Archée, p. 70.
46. M 43, p. 69.
47. AMIET, Pierre, L’Âge des échanges inter-iraniens, Paris, Éditions de la RMN, 1986, p. 76.
48. LAMBERT, Maurice, « Pourquoi l’écriture est née en Mésopotamie », Archeologia, 12,
1966, p. 30.
49. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « The Use of Clay before Pottery in the Zagros »,
Expedition, 16, no 2, 1974, p. 10-17 ; « An Archaic Recording System and the Origin of
Writing », Syro-Mesopotamian Studies, I, no 2, 1977, p. 1-32 ; « The Earliest Precursor of
Writing », Scientific American, 238, no 6, 1978, p. 50-58.
50. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « Tokens and Counting », Biblical Archeologist, 46, 1983,
p. 117-120 ; « Before Numerals », Visible Language, 18, no 1, 1986, p. 48-60.
PREMIÈRE PARTIE

TÉMOINS ARCHÉOLOGIQUES
CHAPITRE 1

Les jetons

Une activité particulièrement importante à Tell Aswad, surtout dans


le niveau II au cours de la première moitié du VIIe millénaire, était
la fabrication de petits objets en argile modelée et durcie au feu. […]
Il s’agit […] d’objets de formes géométriques, telles que boules,
discoïdes et coupelles.
Henri de Contenson 1.

Les jetons furent en leur temps des objets proprement


révolutionnaires. Ils comptent parmi les premiers objets en argile du
Proche-Orient et furent les premiers à être durcis au feu. Leurs formes
elles-mêmes sont révolutionnaires dans la mesure où, comme l’a montré
Cyril Smith, les principales formes géométriques sont pour la première
fois exploitées de manière systématique 2. Ce premier chapitre traite de
l’aspect physique des jetons, de leurs différents types et sous-types, de
l’évolution des formes « simples » vers des formes « complexes »,
des matériaux utilisés et de la technique mise en œuvre pour leur
fabrication.

1. Types et sous-types
Les jetons sont modelés d’après seize formes de base : (1) cône, (2)
sphère, (3) disque, (4), cylindre, (5) tétraèdre, (6) ovoïde, (7) quadrilatère,
(8) triangle, (9) forme biconique, (10) paraboloïde, (11) boudin replié, (12)
ovale/rhomboïde, (13) récipients, (14) outils, (15) animaux, (16) divers.
(Ces formes sont reproduites dans la troisième partie de l’ouvrage). Ils se
répartissent ensuite en sous-types en fonction de différences
intentionnelles de taille ou de l’ajout de marques. Cônes, sphères, disques
et tétraèdres, par exemple, se présentent invariablement sous deux tailles
différentes : « petit(e) » ou « grand(e) ». On trouve aussi des sphères sous
forme de fractions : demi-sphère ou trois-quarts de sphère. Ils portent en
outre diverses marques : lignes incisées, encoches, pointillés, appendices
pincés ou granules appliqués.
En raison de leur fabrication manuelle, la taille des jetons varie d’un
objet à l’autre et d’un site à l’autre. Ils mesurent en général de 1 à 3 cm.
Les cônes, sphères, discoïdes et tétraèdres appartenant au sous-type
« grand » font entre 3 et 5 cm.

2. Des jetons simples aux jetons


complexes
Durant les quatre premiers millénaires de leur utilisation, les jetons
sont « simples » (fig. 3), principalement de forme géométrique : cônes,
sphères, discoïdes plats ou lenticulaires, cylindres, tétraèdres (types 1, 2, 3,
4, 5), et plus rarement, ovoïdes, quadrilatères, triangles, biconique et
hyperboliques (types 6, 7, 8, 9 et 16). Les formes imitant la réalité –
récipients et animaux – étaient également rares (types 13 et 15). Les têtes
d’animaux sont représentées par un cône pincé au sommet pour obtenir
la forme d’un bec ou d’un museau auquel sont parfois ajoutés certains
détails : yeux, oreilles ou moustaches (types 15 : 1-2) 3.
Bien que certains des assemblages les plus anciens du VIIIe millénaire
avant J.-C. comportent quelques jetons portant parfois une ligne incisée
ou des pointillés, les marques sont rares. La surface des jetons simples est
en général lisse.

Fig. 3. Jetons simples, Seh Gabi, Iran. Avec l’aimable autorisation


de Louis Levine.

Au bout de quatre millénaires, vers 3500 avant J.-C., le système accède


à sa deuxième étape avec la multiplication de types et de sous-types
nouveaux (fig. 4). Ces « jetons complexes » prennent de nouvelles formes
géométriques : paraboloïde, boudin replié, ovale/rhomboïde (types 10,
11 et 12), ovoïde, quadrilatère, triangle et forme biconique ; leur
utilisation se répand et les sous-types (types 6, 7, 8, 9) se multiplient. De
nouvelles formes figuratives apparaissent : outils miniatures (type 14),
pièces de mobilier (type 14 : 10), fruits et figures humaines (type 16 : 8, 1-
3). Enfin, les formes représentant des récipients et des animaux
deviennent moins schématiques (types 13 et 15 : 3-13).
La profusion de marques est un autre signe distinctif des jetons
complexes. On les trouve sur tous les types de jetons. Les marques
linéaires sous forme de lignes parallèles ou de stries courtes sont les plus
fréquemment utilisées, mais on trouve aussi des lignes perpendiculaires,
des dispositions en étoile, des quadrillages et des croisillons (dont certains
sont représentés dans la fig. 5). On voit aussi une grande variété de
pointillés (fig. 6) : marques circulaires profondes, petits cercles ou encore
traces de pointe d’aiguille. D’autres types de marques – encoches,
incisions à l’ongle, peinture, éléments pincés, granules ou colombins
appliqués – sont rarement utilisés. Les jetons pourvus de granules
appliqués ou d’appendices pincés sont peut-être des représentations
d’objets réels, par exemple les cubes surmontés d’un granule représentent
une boîte fermée par des sceaux. En d’autres termes, ces jetons sont
la reproduction exacte de paquets avec ficelles et sceaux en position (type
7 : 25, 26 et 30).
Parmi les jetons complexes, on trouve de curieuses séries aux formes
similaires portant des lignes différant par leur nombre mais identiques
quant à leur disposition (planche 1), par exemple des discoïdes
comportant 1, 3, 4, 5, 6, 8 ou 10 lignes (type 3 : 19-25). Sur la série de
discoïdes la plus importante on distingue des combinaisons de lignes et de
stries en diverses quantités (type 3 : 36-48). Les formes triangulaires et
paraboloïdales se rencontrent quasiment uniquement dans les séries
comportant un certain nombre de stries (type 8 : 5-10 ; type 10 : 4-7) ou de
lignes (type 8 : 11-22 et 23-26 ; type 10 : 12-15). Les triangles portant cinq
lignes (type 8 : 17) semblent avoir été particulièrement répandus.
Les jetons simples puis complexes correspondent sans aucun doute à
deux étapes différentes de l’évolution d’un même dispositif de calcul.
Les spécimens complexes ont été élaborés à partir des spécimens simples
en conservant leur taille ainsi que le matériau et la méthode de
fabrication ; ils reprennent les mêmes formes de base : cônes, sphères,
discoïdes, cylindres, tétraèdres, ovoïdes, quadrilatères, triangles,
récipients et têtes d’animaux, et ne font qu’élargir le répertoire
des formes et des marques. Lorsque le système des jetons a commencé à
disparaître, il est revenu à des formes simples et de moindre diversité.
Plusieurs éléments témoignent du fait que jetons simples et jetons
complexes appartiennent au même système de calcul et qu’ils étaient
utilisés par le même type de personnes pour la même fonction.
Premièrement, on a retrouvé les deux catégories de jetons sur les mêmes
sites, dans les mêmes caches et à l’intérieur des mêmes enveloppes.
Deuxièmement, on a commencé à les perforer à la même époque, ce qui
indique qu’ils ont été associés ensemble sur un même lien. Troisièmement
enfin, jetons simples et complexes sont au même titre les prototypes
des pictogrammes utilisés pour représenter les produits de base dans
l’écriture sumérienne.

3. Matériau
Le matériau le plus communément utilisé pour la fabrication
des jetons est l’argile. Au IVe millénaire avant J.-C., ils sont réalisés avec
une pâte très fine, probablement issue d’argile raffinée. Les traces
d’empreintes digitales fréquemment visibles à la surface des objets
indiquent qu’elle était travaillée à l’état très humide.
Les exemples de jetons simples en pierre, en bitume ou en plâtre sont
rares et les jetons complexes plus rares encore. Les jetons en pierre sont
souvent colorés. Ils sont en marbre rose, vert ou noir, en albâtre, en
ardoise, en grès brun ou en ocre.

4. Fabrication
La fabrication des jetons d’argile simples ne posait aucun problème :
on leur donnait leur forme en roulant un petit morceau d’argile entre
les paumes de la main ou en le pinçant entre les doigts. Toutes les formes
de jetons sont très faciles à réaliser : elles naissent spontanément entre
les doigts dès qu’on manipule de l’argile. Seule l’exécution des jetons
reproduisant des formes figuratives – récipients, outils et animaux
miniatures – nécessite un peu plus d’habileté. Les marques sont parfois
tracées avec l’ongle, le plus souvent à l’aide d’un instrument pointu, pour
les lignes et les stries notamment.
D’un site à l’autre, et même au sein des collections issues d’un même
assemblage, il existe de grandes différences dans le soin apporté à
la réalisation des jetons. La plupart sont modelés avec minutie : leur forme
est bien définie, les bords sont nets et précis ; mais certains, dont
les contours sont irréguliers, semblent faits à la va-vite. Les jetons en
pierre, dont l’exécution requérait beaucoup plus d’habileté et de temps
pour le polissage, sont en général l’œuvre d’artisans accomplis.
Faute d’un mode de cuisson approprié, les jetons de la période
néolithique sont souvent noirs à l’intérieur. La microscopie électronique à
balayage et l’analyse thermique différentielle ont confirmé que
la température de cuisson des jetons préhistoriques allait de 500 à
800 degrés. Les jetons du IVe millénaire avant J.-C. en revanche arborent
en général la même couleur beige rosé sur toute leur épaisseur, ce qui
témoigne d’une parfaite maîtrise du processus de cuisson.
Fig. 4. Assemblage comportant les principaux types de jetons,
Uruk, Irak. Avec l’aimable autorisation du Deutsches
Archaeologisches Institut, Abteilung Baghdad.

5. Présentation de la collection de jetons


étudiée
Notre étude porte sur 8 162 jetons dont 3 354 sphères, 1 457 cônes,
1 095 disques, 806 cylindres, 278 quadrilatères, 233 triangles, 220
tétraèdres, 204 objets ovoïdes, 129 représentations d’animaux, 85
paraboloïdes, 81 objets en forme de récipients, 60 boudins repliés, 51
formes biconiques, 45 ovales, 33 objets de formes diverses et 31
représentant des outils. Cet assemblage, entièrement reproduit dans
l’ouvrage intitulé Before Writing, Vol. II : A Catalog of Near Eastern Tokens, a été
recueilli et classé à partir de l’observation des collections de divers musées
ou de rapports de fouilles et, dans le meilleur des cas, à partir des deux
sources.
Le catalogue permet une double observation. Premièrement,
le nombre de jetons varie considérablement d’un site à l’autre : on en a
trouvé 2 022 à Jarmo, 812 à Uruk, 783 à Suse, 575 à Tépé Ganj Dareh, 485 à
Tépé Gawra, 380 à Tell Ramad, 320 à Tell Aswad, mais un seul à Matarrah, à
Tell Songor et à Obeid respectivement, et 3 à Tell Hassuna. Deuxièmement,
les assemblages de jetons en petit nombre sont plus fréquents que
les assemblages plus importants, 30 collections comptant moins de
10 jetons.

Fig. 5. Jetons complexes, Suse, Iran. Avec l’aimable autorisation


du musée du Louvre, département des Antiquités orientales.
Fig. 6. Jetons avec marques sous forme de pointillés, Suse, Iran.
Avec l’aimable autorisation du musée du Louvre, département
des Antiquités orientales.

Apparemment, le nombre de jetons trouvés sur chaque site n’est pas


le reflet de conditions socio-économiques particulières mais plutôt celui
des difficultés techniques rencontrées durant les fouilles et lors du
catalogage. Rien n’indique par exemple qu’à Jarmo, où quelque deux
mille jetons furent exhumés, la vie ait été très différente de celle que l’on
menait sur d’autres sites néolithiques comme Hassuna par exemple où
l’on n’en a trouvé que trois. Les écarts importants dans le nombre
de jetons retrouvés sur chaque site tiennent aux particularités de chaque
mission. La chance joue un grand rôle dans les campagnes de fouilles :
telle tranchée livrera de nombreux objets tandis que la suivante sera
stérile. Par conséquent, plus une campagne de sauvetage est limitée dans
le temps et dans l’espace, plus on est tributaire de la chance, ce qui n’est
pas le cas pour des fouilles en aire ouverte sur un terrain de grande
dimension comme à Jarmo. C’est sans doute la raison pour laquelle on a
trouvé un assemblage de 50 jetons à Tell Abada 4 par exemple alors qu’il en
reste moins de 5 provenant du site voisin de Tell Oueili. Les disparités
tiennent également aux méthodes de fouille. En raison de leur petite taille
et de leur couleur, les jetons constituent un défi, même pour les fouilleurs
les plus habiles, car ils sont difficiles à repérer au sein des déblais.
Les chances de retrouver des jetons dans les déblais de fouilles sont plus
grandes dans des missions telles que celles de Jarmo ou de Ganj Dareh, où
le tamisage est systématique, que sur les chantiers où l’on ne procède pas
ainsi. Sur tous les sites, ce sont sans doute les cylindres simples, pas plus
gros que des grains de blé, qui ont le plus massivement échappé à
l’attention des fouilleurs. Il est tout à fait possible que les sphères aient été
la forme la plus commune parmi les jetons, or on a souvent cru qu’il
s’agissait de billes, si bien qu’elles ont très certainement été classées sous
la rubrique « jeux » dans les rapports de fouilles.
Planche 1. Série de jetons. Avec l’aimable autorisation
du Deutsches Archaeologisches Institut, Abteilung Baghdad.
Planche 1 (suite)

En fait, la principale difficulté pour le catalogage a été l’absence de


documentation sur les jetons. Ils figurent rarement dans les publications,
aussi les collections disponibles ne représentent-elles qu’une fraction
des assemblages existants. C’est le cas, par exemple, pour Choga Mish et
Tépé Ganj Dareh. Lors des premières fouilles, les jetons étaient d’ailleurs à
peine mentionnés dans les rapports. Dans certains cas, la rareté
des images reproduites a pu être compensée par l’étude du matériel
conservé dans les musées, mais la plupart du temps ce fut impossible.
Selon le rapport de fouilles du site d’Hassuna, par exemple « on a trouvé
des billes en très grande quantité à tous les niveaux du sondage principal
d’Hassuna » , ce qui indique que de nombreux jetons furent recueillis sur
5

ce site. Cependant, on ne trouve aucune trace de ces objets au musée


national d’Irak où sont conservés les objets recueillis sur le site d’Hassuna,
à l’exception d’un cône d’argile et de deux sphères de pierre. Il est à
présent trop tard pour répertorier avec exactitude ce qui reste de la « très
grande quantité » de billes présentes sur le site ; quant aux trois jetons
mentionnés dans le catalogue à propos d’Hassuna, ils ne constituent pas
un échantillon représentatif de la collection d’origine.
Hassuna n’est pas le seul exemple où le nombre de jetons exhumés ne
correspond pas aux collections disponibles. C’est même plutôt la règle. Sur
le site de Djemdet-Nasr, par exemple, le rapport de fouilles signale
également qu’on a trouvé des cônes « en grand nombre », et pourtant
seuls sept spécimens ont été répertoriés 6. Selon M. E. L. Mallowan,
les cônes « étaient répandus » à Arpachiyah, or il n’y en a que 24 dans
les réserves du British Museum et du musée national d’Irak à Bagdad 7.
Les rapports de fouilles sont par ailleurs souvent fondés sur
des perceptions erronées : les jetons de pierre étant visuellement plus
attrayants que leurs équivalents en argile, on leur prêtait davantage
attention, ce qui pouvait donner l’impression dans certaines publications
que les spécimens en pierre étaient plus nombreux que les jetons en argile
alors que l’inverse est vrai. À Hassuna par exemple les seuls objets
reproduits dans le rapport sont deux sphères en pierre 8. Il en va de même
pour le site d’Amuq et surtout de Tépé Gawra où les jetons en pierre ont
été reproduits dans des catalogues tandis qu’on a ignoré les trois cents
spécimens en argile 9. Le rapport concernant les fouilles d’Obeid ne donne
des informations que sur un jeton, de forme paraboloïdale, présenté
comme « la langue d’une sculpture animale » 10. Il est probable que ce
paraboloïde ait été jugé assez important pour être signalé dans le rapport
en raison de sa forme inhabituelle et intéressante tandis que les formes
moins remarquables n’ont pas retenu l’attention ; de sorte que, sans doute
à tort, Obeid semble présenter un unique assemblage comportant un jeton
complexe mais aucun jeton simple.
Le grand nombre de jetons recueillis sur le site de Jarmo s’explique de
plusieurs manières. Premièrement, la campagne de fouilles a été menée
sur une période longue, sur un terrain de grande dimension et le tamisage
y a été systématique. Enfin, et peut-être surtout, l’un des membres de
l’équipe, Vivian L. Broman, était spécialisé dans l’étude des objets en
argile ; son intérêt pour ces objets a probablement suscité chez
les fouilleurs la vigilance nécessaire au repérage et au recueil de ces
objets. Vivian Broman a par ailleurs inclus le fruit de ses recherches dans
sa thèse, rendant ainsi son matériau accessible au public 11. Son étude est
la seule à ce jour à offrir une description détaillée d’un assemblage
de jetons. Il est évident que sans les travaux de cette archéologue, on en
saurait autant aujourd’hui – ou plutôt aussi peu – sur les jetons de Jarmo
que sur d’autres assemblages néolithiques comme celui d’Hassuna.
Les deux mille jetons exhumés à Jarmo nous laissent imaginer avec regret
le nombre de jetons que l’on aurait pu recueillir sur chaque site. Entre
le VIIe et le VIe millénaire avant J.-C., Jarmo n’était ni plus ni moins qu’une
communauté agricole de taille moyenne ; aussi doit-on considérer
la collection de jetons qu’on y a trouvés comme un assemblage moyen
pour le Néolithique. Ainsi les 3 jetons d’Hassuna et même les 812 d’Uruk,
les 783 de Suse et les 485 de Tépé Gawra ne sont qu’un pâle reflet de ce que
l’on aurait pu retrouver.
Les informations que nous pouvons tirer des assemblages de jetons
dont nous disposons aujourd’hui, à propos de leur nombre et de
la fréquence des différents types de jetons pour chaque site, sont au mieux
incertaines, au pire douteuses. En revanche, ces mêmes données reportées
sur une carte du Proche-Orient donnent une représentation
impressionnante de l’immensité de l’aire géographique où ce système de
comptabilité a été utilisé (carte 1).
Carte 1. Répartition des jetons (en gras : jetons simples seulement ; en
italique : jetons simples et complexes)
1. CONTENSON, Henri de, « Recherches sur le Néolithique de Syrie (1967-76) », Comptes
rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1979, p. 821-822.
2. SMITH, Cyril, « A Matter of Form », Isis, 1976, no 4, 1985, p. 586.
3. Les références ainsi placées entre parenthèses renvoient aux types et sous-types de
calculi illustrés dans la troisième partie du présent ouvrage.
4. JASIM, Sabah Aboud, The Ubaid Period in Iraq, 1re partie, International Series 267,
Oxford, BAR, 1985, p. 69-73.
5. LLOYD, Seton et SAFAR, Fuad, « Tell Hassuna : Excavations by the Iraq Government
Directorate General of Antiquities in 1943 and 1944 », Journal of Near Eastern Studies, 4,
1945, p. 258.
6. MACKAY, Ernest, Report on Excavations at Djemdet Nasr, Iraq, Anthropology Memoirs,
vol. I, no 3, Chicago, Field Museum of Natural History, 1931, p. 278.
7. MALLOWAN, M. E. L. et CRUIKSHANK ROSE, J., « Excavations at Tell Arpachiyah, 1933 »,
Iraq 2, 1re partie, 1935, p. 88.
8. LLOYD et SAFAR, « Tell Hassuna », pl. X, I, p. 22-23.
9. TOBLER, Arthur J., Excavations at Tepe Gawra, vol. 2, University Museum Monographs,
Philadelphie, University of Pennsylvania, 1950, p. 170-171, 205.
10. HALL, H. R., Ur Excavations, vol. I, Al Ubaid, Oxford, Oxford University Press, 1927,
p. 41, fig. 4.
11. BROMAN, Vivian L., « Jarmo Figurines », mémoire de maîtrise, Radcliffe College,
Cambridge, Massachussetts, 1958. Ce mémoire fut par la suite publié sous le titre
« Jarmo Figurines and Other Clay Objects », dans BRAIDWOOD, Linda S. et al. (dir.),
Prehistoric Archeology along the Zagros Flanks, Oriental Institute Publications 105,
Chicago, University of Chicago Press, 1983, p. 369-423.
CHAPITRE 2

En quels lieux et par qui les jetons étaient-ils


utilisés ?

Le seul phénomène qui semble toujours et partout lié à l’apparition


de l’écriture […] c’est la constitution de sociétés hiérarchisées, de
sociétés qui se trouvent composées de maîtres et d’esclaves, de
sociétés utilisant une certaine partie de leur population pour
travailler au profit de l’autre partie.
Claude Lévi-Strauss 1.

Ce chapitre traite des divers contextes dans lesquels on a retrouvé


des jetons. Il comprend une description des types de sites et de structures
dans lesquels on les a trouvés et des objets qui leur étaient associés.
Une attention particulière est portée aux rares jetons découverts dans
des contextes funéraires dans la mesure où ils pourraient fournir
des informations importantes sur le statut des personnes auprès
desquelles ils furent inhumés.

1. Types de sites
Les cinq sites qui virent l’apparition des premiers jetons vers
8000 avant J.-C. – Asiab et Ganj Dareh en Iran 2, Tell Aswad, Mureybet et
Cheikh Hassan en Syrie 3 – présentent de remarquables ressemblances
entre eux. Ce sont tous de petits hameaux constitués de huttes rondes très
caractéristiques. Les deux sites iraniens étaient semi-permanents tandis
que Mureybet, Cheikh Hassan et Tell Aswad abritaient des communautés
agricoles pleinement sédentarisées. Entre le VIIe et le IVe millénaire avant
J.-C., les jetons se répandirent à travers une grande diversité de sites. En
Iran, on a trouvé des jetons en argile à la fois dans la grotte de Kamarband
(habitée à l’époque néolithique) et à Tula’i, un campement de bergers
nomades 4. Cependant, la majorité des jetons simples proviennent de
villages sédentaires composés d’habitations rectangulaires, comme à
Jarmo en Irak.
Les jetons complexes en revanche sont associés aux ruines de villes
dotées d’une architecture publique monumentale. C’est le cas d’Uruk en
Irak, de Suse en Iran et d’Habuba Kabira en Syrie.

2. Répartition au sein des sites


Dans la plupart des sites pour lesquels le contexte des jetons a été
décrit, ces derniers ont été retrouvés tantôt à l’extérieur tantôt à
l’intérieur des bâtiments. À Tell Aswad, comme sur d’autres sites, bon
nombre de jetons ont été trouvés sur des terrains non bâtis, mêlés à
des ossements d’animaux et à d’autres déchets dans ce qui semble être
des dépôts d’ordures 5. À Sharafabad, on a retrouvé des jetons datant du
IVe millénaire avant J.-C. dans une ancienne fosse à ordures et on a pu
déterminer que ces jetons étaient le plus souvent associés à des dépôts
effectués au début de l’été tandis qu’ils étaient beaucoup plus rares dans
les couches correspondant aux dépôts hivernaux. Henry T. Wright en
conclut que les jetons étaient apparemment jetés après la moisson,
période traditionnelle de fêtes 6.
À Uruk comme à Suse, on a trouvé des jetons à proximité immédiate
des principaux temples. Même si l’on a repéré des jetons sur tout le tell à
Uruk, 719 spécimens (88,5 %) ont été exhumés dans l’enceinte sacrée de
l’Eanna tandis que 43 (5,3 %) provenaient de la ziggourat d’Anu et 50
(6,2 %) des parties privatives de la ville. Il est par ailleurs sans doute
significatif qu’à Suse, quasiment toutes les tranchées creusées au sud du
temple principal aient livré des jetons alors qu’on en a récupéré très peu
provenant de la partie nord de ce même tell de l’Acropole ainsi que du tell
voisin de la Ville Royale. Dans ces deux villes, on a retrouvé des jetons
dans des espaces ouverts. Sur le site de l’Eanna, des jetons étaient
éparpillés sur les sites du « Temple aux cônes de pierre » 7 et de
la « Grande cour » 8.
La répartition des jetons au sein des sites révèle deux faits importants.
Premièrement, dans les villes, on les trouve plus fréquemment dans
les espaces publics que dans les espaces privatifs. Deuxièmement,
la découverte de jetons au milieu des déchets dans des terrains non bâtis
indique qu’ils étaient jetés une fois qu’ils avaient rempli leur fonction. En
d’autres termes, ils servaient à tenir la comptabilité plutôt qu’à compter. À
cet égard, les jetons sont analogues aux tablettes archaïques d’Uruk qui
ont également été retrouvées dans des décharges et rappellent
une coutume qui a perduré au-delà de la Préhistoire et qui consistait à
jeter systématiquement les tablettes économiques 9.

3. Structures
Les structures ayant livré des jetons sont de deux sortes : domestiques
et publiques. À Ali Kosh, on a retrouvé quelques jetons dans
des environnements domestiques où ils étaient associés à des outils en
silex et à des mortiers et pilons en pierre 10. Plutôt que de se trouver in situ,
ces jetons donnent l’impression d’avoir été mis au rebut à un moment où
l’habitation n’était plus utilisée. Il en va de même pour le site de Seh Gabi
où l’on a retrouvé des jetons éparpillés dans des habitations ordinaires –
ici à côté d’une jarre 11, là dans un foyer 12. Sur les sites de Tell es-
Sawwan 13, de Hajji Firuz 14 et de Gaz Tavila 15, les jetons étaient regroupés
dans des lieux de stockage. C’est aussi le cas sur le site de Ganj Dareh Tépé
où une grande quantité de jetons se trouvait dans des réserves situées
sous les habitations 16.
La découverte la plus intéressante sur le site de Hajji Firuz concerne
un ensemble de 6 cônes situés dans une structure ne montrant aucune
trace d’activités domestiques de type cuisine ou taille de silex 17. Ce
bâtiment diffère des autres habitations par d’autres aspects : il est plus
petit puisqu’il se compose d’une seule pièce au lieu des deux pièces
habituelles et il comporte des éléments inhabituels, notamment
une plateforme basse et deux poteaux érigés à l’intérieur 18. La structure
ayant livré le plus grand nombre de jetons sur le site de Hajji Firuz
remplissait une fonction particulière indéterminée. À Tell Abada,
la majorité des jetons, soit une quarantaine d’objets parfois entreposés
dans des récipients, ont été découverts dans le bâtiment A, le plus grand
bâtiment fouillé du site. Les dimensions de la construction et la présence
de tombes d’enfants en bas âge ont incité les fouilleurs à penser que cette
structure avait « une portée religieuse » 19.
Fig. 7. Cache de jetons trouvée dans un foyer, Uruk
(Oa XV 4/5), Irak. Avec l’aimable autorisation du Deutsches
Archaeologisches Institut, Abteilung Baghdad.

À Uruk, les jetons sont associés à certains des édifices les plus
remarquables du niveau V, à savoir le « Temple aux cônes de pierre » et
le « Temple calcaire », tandis que les tranchées creusées dans la ville ont
livré un nombre dérisoire de jetons. Une cache contenant 75 jetons a été
trouvée in situ dans le complexe monumental de l’Eanna (bâtiments F, G et
H, fig. 7). Ces structures, disposées à angle droit de chaque côté d’une cour,
sont caractéristiques de l’architecture monumentale de l’Eanna. Elles sont
construites selon un plan caractéristique : un hall central flanqué de
pièces plus petites dont la façade est ornée de niches. Soixante-
quinze jetons (61 sphères, 7 sphères de grande taille, 3 tétraèdres, 2 cônes
et 2 cylindres) reposaient sur le sol d’une pièce située au nord du bâtiment
H, dans un grand foyer de forme circulaire doté d’un long appendice de
type Pfannenstiel 20. Il est étonnant que des jetons aient été trouvés dans
des foyers à deux reprises, à Seh Gabi et à Uruk. On peut supposer qu’ils y
ont été placés intentionnellement en vue d’une cuisson. Il est également
possible et peut-être plus probable qu’ils se soient trouvés enfouis dans
la cendre avec d’autres détritus dont on voulait se débarrasser.
À Suse, les jetons ont également été trouvés dans l’enceinte du temple,
rassemblés dans un espace consacré aux ateliers et aux entrepôts. Roland
de Mecquenem par exemple indique que des bulles contenant des jetons
proviennent d’un lieu d’entreposage 21. Les structures en argile ornées de
cônes de grande taille étaient divisées en petits compartiments. L’une de
ces habitations était encore emplie de jarres à long col contenant
une substance poudreuse et noire.
Sept des habitations les plus vastes et imposantes d’Habuba Kabira ont
livré des jetons. Ces édifices, typiques de Sumer, se distinguent par leur
plan et leur cour centrale. La plupart d’entre eux ont livré d’autres
matériels administratifs : sceaux, cachets, bulles oblongues, enveloppes et
tablettes à encoches. Par ailleurs, outils en silex, poteries et fusaïoles
évoquent des occupations domestiques. Il est sans doute tout à fait
significatif que la porte sud de la ville, laquelle menait au Temple, ait livré
non seulement une quinzaine de jetons mais aussi un sceau-cylindre et de
nombreuses bulles oblongues.
En résumé, les jetons proviennent souvent de lieux d’entreposage,
mais ce qu’il convient de retenir, c’est leur présence dans des édifices
relevant de l’architecture non domestique dès le VIe millénaire avant J.-
C. Au fil du temps, ces bâtiments publics ont pu prendre la forme d’un
« temple », comme à Uruk, ou d’une porte de ville comme à Habuba
Kabira.
4. Dépôts de jetons
Les jetons sont souvent trouvés en groupes de 2 à 100 unités. À Gaz
Tavila, on a trouvé 35 cônes et 1 sphère nichés dans une réserve 22. Ganj
Dareh Tépé a également livré de nombreux petits trésors comportant de
2 à 37 jetons divers, serrés dans des logettes de stockage. On a trouvé à Tell
Abada 11 ensembles de 4 à 16 jetons 23. Enfin, c’est à Uruk que l’on a mis au
jour la cache comportant les 75 jetons en forme de sphères (petites et
grandes), de cônes, de tétraèdres et de cylindres mentionnés plus haut. Il
est par ailleurs presque certain que les 155 jetons provenant du niveau IV
de l’Eanna aient fait partie d’un même ensemble.
Les ensembles de jetons trouvés dans les édifices d’Habuba Kabira sont
notablement réduits. L’habitation qui en a livré le plus grand nombre n’en
contenait que 21, répartis sur cinq pièces par groupes de neuf au plus. Mis
à part l’habitation no 2, qui ne contenait que des ovoïdes incisés,
les assemblages se composent tous de divers types de jetons. En résumé, il
apparaît que la comptabilité tenue à l’aide des jetons portait en général
sur de petites quantités de marchandises diverses.

5. Contenants
À Tell Abada, certains jetons étaient conservés dans des écuelles ou
des jarres en terre, d’autres ont été trouvés sur le sol 24. Sur la plupart
des autres sites, les jetons se trouvaient sur le sol des édifices ou
des édicules de stockage. Dans la mesure où on les a découverts en tas
compacts, on peut supposer qu’ils étaient placés dans un récipient qui
s’est désintégré avec le temps sans laisser de trace. On les conservait sans
doute dans des paniers, des boîtes en bois ou des bourses en cuir ou en
tissu. Des textes datant de la troisième dynastie d’Ur, vers 2000 avant J.-
C. contiennent de possibles références à l’utilisation de sacs de cuir pour
contenir les jetons. Marcel Sigrist a repéré une tablette mentionnant
« 1 492 bœufs gras dans le sac de cuir », ce qui d’après lui, signifie « jetons
représentant 1 492 bœufs archivés dans un sac de cuir » 25.

6. Objets associés
Au VIIIe millénaire avant J.-C., l’apparition des premiers jetons
coïncide avec la production alimentaire. Les liens entre calcul et
comptabilité d’une part et agriculture de l’autre sont particulièrement
bien illustrés à Mureybet. L’apparition des jetons (au niveau III)
correspond à une augmentation massive de la quantité de pollen de
graminées céréalières, laquelle témoigne du fait que des céréales sont
désormais cultivées alors qu’on récoltait encore des céréales sauvages à
l’époque correspondant aux niveaux inférieurs (II et I) où les jetons
n’étaient pas encore en usage. Avec Mureybet III sont également apparus
de vastes silos rectangulaires destinés à stocker des céréales 26. Enfin,
le site a connu une expansion rapide, reflet de l’augmentation de
la population 27. À Ganj Dareh Tépé, Tépé Asiab, Tell Aswad et Cheikh
Hassan, la subsistance dépendait également de la consommation de
céréales. En revanche, aucun des cinq sites, à l’exception peut-être de
Tépé Asiab 28, ne recèle de vestiges osseux témoignant d’une
domestication animale. Entre le VIIe et le début du IVe millénaire avant J.-
C., les jetons restent propres aux communautés agricoles. Apparemment,
ils ne sont pas liés au commerce en général ni à celui de l’obsidienne en
particulier. Il n’y avait pas d’obsidienne à Ganj Dareh Tépé qui pourtant a
livré de nombreux jetons. Mureybet I et II utilisaient le précieux verre
volcanique avant l’apparition des jetons.
Au IVe millénaire avant J.-C., les assemblages de jetons complexes
les plus importants – Uruk et Tello en Irak, Suse et Choga Mish en Iran, et
Habuba Kabira-Tell Qannas en Syrie – sont remarquablement similaires.
Bien que distantes de plusieurs centaines de kilomètres, ces villes
partageaient une même architecture monumentale qui se caractérisait par
une décoration à base de niches et de mosaïques de cônes d’argile 29.
Les assemblages comportent en outre des vases en terre identiques par
leur forme et leurs décorations particulières, notamment des jarres à
quatre anses ornées de motifs incisés et peints 30. Tous les sites recelaient
en outre un grand nombre d’écuelles à bord biseauté de facture grossière
ayant pu servir de mesure pour la distribution de rations alimentaires 31.
Les sceaux et cachets des cinq villes sont similaires par leurs motifs. On y
reconnaît la silhouette barbue du « roi-prêtre » mésopotamien, l’En, vêtu
de sa tenue caractéristique : une longue jupe taillée dans une sorte de
résille et une coiffe ronde 32. Enfin, à l’exception de Tello, les cinq sites ont
livré non seulement des enveloppes contenant des jetons mais aussi
des tablettes à encoches. Les traits propres à l’ensemble des assemblages
des sites ayant livré des jetons complexes – la figure du roi-prêtre,
une architecture publique monumentale, des mesures, des sceaux et
des jetons complexes – évoquent une bureaucratie bien organisée. Ils
témoignent de l’existence d’une institution économique puissante dirigée
par un En exerçant dans des édifices publics décorés de mosaïques faites
de longs cônes d’argile dont la base était peinte de diverses couleurs, et
adossée à un système de contrôle des marchandises à base de cylindres,
d’écuelles à bord biseauté et de jetons complexes.
Il est significatif que l’architecture ornée de mosaïques de cônes
d’argile, les écuelles à bord biseauté, les sceaux-cylindres et le motif de
l’En soient d’origine mésopotamienne mais étrangers à l’Iran et à la Syrie.
Ce sont en fait des traits emblématiques de l’enceinte de l’Eanna à Uruk.
De ce point de vue, il est sans doute tout à fait révélateur que l’importante
collection de jetons du niveau IV soit associée aux mosaïques de cônes
d’argile qui furent les premiers témoignages de la présence d’édifices
publics décorés dans le quartier de l’Eanna 33. Tandis que l’agriculture
constitue le principal dénominateur commun aux sites ayant livré
des jetons simples, les villes où l’on a trouvé des jetons complexes
partageaient une même bureaucratie étroitement liée à la Mésopotamie
méridionale.

7. Des jetons comme offrandes funéraires


En de rares occasions, les jetons sont associés à des dépôts funéraires.
Ces sépultures peuvent nous renseigner sur les individus qui utilisaient
les jetons.

7.1. SITES

Du VIe au IVe millénaire avant J.-C., des jetons étaient parfois déposés
dans les sépultures. On a trouvé des jetons dans un contexte funéraire sur
cinq sites : à Tell es-Sawwan, Arpachiyah et Tépé Gawra au nord de
la Mésopotamie 34 et à Tépé Guran et Hajji Firuz en Iran 35. Cette coutume
était donc répandue sur une vaste aire géographique et ne saurait être
considérée comme une pratique locale.

7.2. SÉPULTURES

Sur chacun des cinq sites, le nombre de sépultures renfermant


des jetons est très limité. Seules 4 des quelque 130 sépultures fouillées à
Tell es-Sawwan ont livré des jetons. On a trouvé un seul cas où des jetons
ont été déposés à titre d’offrande funéraire sur les 14 tombes d’Hajji Firuz,
les 50 tombes de la période Obeid à Arpachiyah, les 30 tombes de Tépé
Gawra XVII et les 5 de Tépé Gawra XI. Enfin, seules 4 des 80 tombes de
Tépé Gawra X contenaient des jetons. Ainsi le nombre total de sépultures
contenant des jetons ne dépasse pas la douzaine.
Les sépultures contenant des jetons sont de divers types. À Hajji Firuz,
les jetons sont mêlés aux ossements épars provenant d’une sépulture
collective 36 ; à Tell es-Sawwan, Arpachiyah et Tépé Gawra XVII et XI,
les jetons font partie de tombes sommaires constituées d’une fosse peu
profonde creusée dans la terre 37. À Tépé Gawra X, ils ont été déposés dans
des sépultures élaborées comportant une enceinte en briques ou en
pierres 38.
À l’exception du site de Hajji Firuz où l’un des quatre corps contenus
dans l’ossuaire est peut-être celui d’une jeune femme, les diverses
sépultures contenant des jetons sont celles d’hommes adultes ou
d’enfants 39. Il est frappant de constater que presque toutes les sépultures
renfermant des jetons possèdent des caractéristiques inhabituelles.
Un premier groupe se caractérise par l’abondance de son mobilier :
les tombes de Tell es-Sawwan renfermaient quantité de récipients en
albâtre et deux d’entre elles ont livré des parures faites de coquilles de
scaphopode ou de cornaline 40. À Tépé Gawra, la tombe d’un enfant de
la strate XI se singularise par son matériel en or 41. Au niveau X de Tépé
Gawra, les tombes 102, 110 et 114 comptaient parmi les sépultures les plus
riches du site : on y a trouvé des récipients en obsidienne, en serpentine
ou en électrum, des parures en or sous forme de clous, de perles ou de
rosettes, des têtes de massue en pierre et des sceaux en lapis-lazuli 42.
Un second ensemble de sépultures se caractérise par son architecture
particulière. À Hajji Firuz par exemple, les ossements humains déposés
aux côtés des jetons se trouvaient dans les petits édifices inhabituels
mentionnés ci-dessus 43. Le deuxième exemple, la tombe 107 de Tépé
Gawra, est la sépulture d’un homme adulte ayant pour particularité qu’un
monument fut élevé sur sa dépouille 44. En revanche, les offrandes
funéraires se réduisent à six sphères (fig. 8). Enfin, la sépulture la plus
étonnante – la tombe de Tépé Gawra XVII – appartenait à un individu
amputé des deux jambes sous le genou 45. La sépulture d’Arpachiyah est
la seule à n’avoir pour trait distinctif que la présence de jetons.

Contenu de quelques tombes de Tépé Gawra


A. Perles H. Rosettes en or

B. Récipients en pierre J. Tête de Loup

C. Pierres de forme sphérique, etc. K. Peigne et épingles à cheveux

D. Tête de massue L. Spatules

E. Lame en obsidienne M. Sceaux

F. Pierre à aiguiser N. Poteries

Fig. 8. Détails de quelques sépultures (tombes


102, 107, 110 et 114). Reproduction des croquis d’Arthur J. Tobler,
Excavations at Tepe Gawra, vol. 2, University Museum Monographs,
Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1950, p. XXVII.
Avec l’aimable autorisation de l’University Museum, University
of Pennsylvania.

7.3. JETONS

Parmi les nombreux types et sous-types de jetons, quatre seulement


ont été trouvés dans des sépultures : cônes, sphères, trois-quarts de
sphère et récipients miniatures. Les sphères sont de loin les plus
fréquemment utilisées : on les trouve dans dix des quatorze sépultures et
on en compte 49 en tout. Les 44 cônes sont répartis sur trois sépultures
seulement ; quant aux trois-quarts de sphère et aux récipients, ils ne sont
présents que dans une seule sépulture.
En règle générale, on ne trouve qu’une seule sorte de jeton dans
chaque sépulture. Par exemple, sur le site de Tell es-Sawwan, trois tombes
contenaient des sphères tandis que la quatrième renfermait un unique
cône 46. Les tombes 107 et 110 de Tépé Gawra ne contenaient que
des sphères tandis que la tombe du niveau XVII a livré des cônes 47.
Toutefois, la tombe 102 de Tépé Gawra a livré à la fois des cônes et
des sphères 48.
Les jetons déposés dans les sépultures sont identiques par leur forme à
ceux que l’on trouve dans les villages. La seule différence entre les jetons
utilisés pour des offrandes funéraires et ceux que l’on utilisait dans la vie
quotidienne étant que les premiers étaient souvent en pierre et
les seconds en argile. Neuf des 14 sépultures étaient garnies de jetons en
pierre, pour un total de 70 spécimens en pierre contre 41 spécimens en
argile. Les spécimens en pierre sont généralement fabriqués avec
beaucoup de soin et témoignent d’une superbe qualité d’exécution.
Les sphères par exemple sont parfaitement rondes. Il y a cependant un cas
à Tépé Gawra où les jetons sphériques – présentés comme des « cailloux »
dans le rapport de fouilles – sont simplement dégrossis 49. Dans un autre
exemple, six fragments de jaspe rouge apparemment destinés à être taillés
en jetons sont restés inachevés 50. Il est possible que la couleur des pierres
sélectionnées pour la fabrication des jetons ait eu une signification
particulière : toutes les sphères sont blanches à l’exception de deux
ensembles de sphères (ou « cailloux ») rouges 51 et d’un unique spécimen
noir 52. Le nombre de jetons inclus dans chaque sépulture va de l’unique
sphère trouvée à Arpachiyah aux 34 cônes de Tépé Gawra XVII.
Les ensembles de six sphères (« cailloux ») que l’on retrouve dans trois
des quatre tombes de Tépé Gawra X indiquent que ce nombre a pu avoir
une portée symbolique.
Le rituel consistant à déposer dans les sépultures des jetons différant
par leur type, leur matériau, leur couleur et surtout leur nombre est
d’autant plus significatif qu’il a duré pendant trois millénaires en diverses
régions du Proche-Orient. En particulier – comme on le verra plus loin au
chapitre 6 –, ce rituel nous donne de précieuses informations sur le rôle
des jetons comme symboles d’un statut social. Le fait qu’on ne les trouve
que rarement dans un contexte funéraire, et alors seulement dans
les tombes d’individus de haut rang, souligne leur importance du point de
vue économique. Cela signifie que les jetons permettaient aux puissants
d’exercer un contrôle sur les marchandises.

Voici donc qu’une esquisse des lieux et des personnes liés à


l’utilisation des jetons commence à se former. Les jetons simples furent
d’abord utilisés dans des hameaux où la subsistance reposait sur
l’agriculture, ou du moins sur le stockage de céréales ; les jetons
complexes sont une invention des temples de la Mésopotamie
méridionale. Les spécimens simples demeurèrent d’un usage commun
parmi les communautés agricoles tant que perdura le système tandis que
les spécimens complexes ne se trouvent que dans les centres
administratifs. Apparus au cours du Ve millénaire, les jetons sont
systématiquement présents dans les édifices publics et les entrepôts.
Lorsqu’ils se trouvent dans un environnement domestique, ils sont
souvent regroupés dans des lieux d’entreposage. Les ensembles de jetons
retrouvés in situ comptent en général de 12 à 75 objets ; ils n’étaient donc
jamais amassés en grande quantité, que ce soit dans les constructions
privées ou dans les édifices publics. Jusqu’à ce que l’invention du sceau-
cylindre entraîne celle des enveloppes et des bulles en argile, on
les conservait peut-être dans des bourses de cuir. Apparemment, les jetons
n’étaient pas réutilisés une fois que la transaction qu’ils représentaient
était terminée : ils étaient mis au rebut. Certains témoins archéologiques
indiquent même qu’on les jetait après la moisson. Avec d’autres signes de
prestige, les jetons étaient parfois déposés dans les sépultures
des personnages distingués, ce qui indique qu’ils étaient utilisés par
les membres de l’élite.
1. CHARBONNIER, Georges, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon/Julliard, 1961,
Presses Pocket, p. 32-33.
2. BRAIDWOOD, Robert J., HOWE, Bruce et REED, Charles A., « The Iranian Prehistoric
Project », Science, 133, no 3469, 1961, p. 2008 ; SMITH, Philip E. L., « Ganj Dareh Tepe »,
Paléorient, 2, no 1, 1974, p. 207 ; SMITH, Philip E. L., « An Interim Report on Ganj Dareh
Tepe, Iran », American Journal of Archeology, 82, no 4, 1978, p. 538.
3. CONTENSON, Henri de, « Chronologie absolue de Tell Aswad (Damascène, Syrie) »,
Bulletin de la Société préhistorique française, 70, 1979, p. 155 ; « La région de Damas au
Néolithique », Annales Archéologiques Arabes Syriennes, 35, 1985, p. 9 ; CAUVIN, Jacques,
Les premiers villages de Syrie-Palestine du IXe au VIIe millénaire avant J.-C., Collection de
la Maison de l’Orient Méditerranéen Ancien, no 4, Série Archéologique 3, Lyon,
Maison de l’Orient, 1978, p. 136.
4. COON, Carlton S., Cave Explorations in Iran, University Museum Monographs,
Philadelphie, University of Pennsylvania, 1949, p. 75 ; HOLE, Franck, « Tepe Tula’i : An
Early Campsite in Khuzistan, Iran », Paléorient, 2, 1974, fig. 15 h, o-t.
5. Renseignement communiqué par Henri de CONTENSON.
6. WRIGHT, Henry T., MILLER, Naomi et REDDING, Richard, « Time and Process in an Uruk
Rural Center », dans L’Archéologie de l’Iraq du début de l’époque néolithique à 333 avant
notre ère, Paris, Colloque international du CNRS, 1978, p. 277.
7. UVB 17, p. 36-37, pl. 24 g-h, m-n, p-t et v.
8. UVB 17, p. 37 ; UVB 22, p. 40.
9. ROSENGARTEN, Yvonne, Le Concept sumérien de consommation dans la vie économique et
religieuse, Paris, Éditions E. de Boccard, 1960, p. 32.
10. Renseignement communiqué par Frank HOLE.
11. Cat. No 43, p. 71-129, BW ; YOUNG, T. Cuyler, Jr. et LEVINE, Louis D., Excavations of the
Godin Project : Second Progress Report, Art and Archeology Occasional Paper 26,
Toronto, Royal Ontario Museum, 1974, p. 61, fig. 6, G 20.
12. 12. Cat. no 21, p. 71-144 et no 51, p. 71-143, BW ; YOUNG et LEVINE, Excavations of the
Godin Project, p. 59, fig. 4.
13. WAHIDA, Ghanim, « The Excavations of the Third Season at Tell as-Sawwan, 1966 »,
Sumer, 23, no 1-2, 1967 (169).
14. VOIGT, Mary M., Hajji Firuz Tepe, Iran : the Neolithic Settlement, Hasanlu Excavations
Reports, vol. I, University Museum Monograph 50, Philadelphie, University of
Pennsylvania, 1983, HF 68-81.
15. PRICKETT, Martha, « Man, Land and Water : Settlement Distribution and the
Development of Irrigation Agriculture in the Upper Rud-i Gushk Grainage,
Southeastern Iran », thèse de doctorat, Harvard University, 1985, p. 539.
16. Renseignement communiqué par Philip E. L. SMITH.
17. VOIGT, Hajji Firuz Tepe, p. 87, 181-184, HF 68-122, 68-170-172, 68-189 et 68-195.
18. Ibid., p. 47-49.
19. JASIM, Sabah Aboud et OATES, Joan, « Early Tokens and Tablets in Mesopotamia : New
Information from Tell Abada and Tell Brak », World Archeology, 17, no 3, 1986, p. 352-
355.
20. UVB 25, p. 40.
21. M 29, p. 13, 17-18, 25, 27 et fig. 23.
22. PRICKETT, « Man, Land and Water », p. 539.
23. JASIM et OATES, « Early Tokens », p. 352 et 355.
24. Ibid., p. 355.
25. Je remercie Marcel Sigrist de m’avoir communiqué les deux références suivantes :
CALVOT, D., Textes économiques de Selluš-Dagan du Musée du Louvre et du Collège de France,
Materiali per il Vocabulario Neosumerico, vol. 8, Rome, Multigrafica Editrice, 1979,
pl. XLVIII, MVN 8, p. 147 ; DHORME, P., « Tablettes de Drehem à Jérusalem », Revue
d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, 9, 1912, pl. I (SA 19).
26. CAUVIN, Les premiers villages, p. 74, 73, 43.
27. AURENCHE, Olivier, et al., « Chronologie et organisation de l’espace dans le Proche-
Orient », Préhistoire du Levant, Colloque CNRS no 598, Lyon, 1980, p. 7-8.
28. PROTSCH, Rainer et BERGER, Rainer, « Earliest Radiocarbon Dates for Domesticated
Animals », Science, 179, no 4070, 1973, p. 237 ; BÖKÖNYI, Sandor, BRAIDWOOD, Robert J. et
REED, Charles A., « Earliest Animal Domestication Dated ? », Science, 182, 1973,
p. 1161.
29. GENOUILLAC, Henri de, Fouilles de Telloh, vol. 1, Époques présargoniques, Paris, Paul
Geuthner, 1934, p. 64 ; M 46, p. 151 et pl. 89 ; DELOUGAZ, P. P. et KANTOR, Helene J.,
« New Evidence for the Prehistoric and Protoliterate Culture Development of
Khuzestan », The Memorial Volume of the Vth International Congress of Iranian Art and
Archeology, vol. 1, Téhéran, 1972, p. 27 ; FINET, André, « Bilan provisoire des fouilles
belges du Tell Kannas », Annual of the American Schools of Oriental Research, 44, 1979,
p. 93.
30. STROMMENGER, Eva, « The Chronological Division of the Archaic Levels of Uruk-Eanna
VI to III/II : Past and Present », American Journal of Archeology, 84, no 4, 1980, p. 485-
486 ; LE BRETON, Louis, « The Early Periods at Susa, Mesopotamian Relations », Iraq,
19, no 2, 1957, p. 97-113 ; DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 26-33.
31. NISSEN, Hans J., Grundzüge einer Geschichte der Frühzeit des vorderen Orients, Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1983, p. 92-93.
32. M 43, pl. 18 : 695 ; DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 32, pl. Xc. L’En est
représenté sur une bulle oblongue provenant de Habuba Kabira : 72 Hb 102
(information communiquée par Eva Strommenger).
33. UVB 3, pl. 10 et 13.
34. EL-WAILLY, Faisal et ABU ES-SOOF, Behnam, « Excavations at Tell es-Sawwan, First
Preliminary Report (1964) », Sumer, 21, nos 1 et 2, 1965, p. 26 et 28 ; MALLOWAN,
M. E. L. et CRUIKSHANK ROSE, J., « Excavations at Tell Arpachiyah, 1933 », Iraq, 2,
1re partie, 1935, p. 40 ; TOBLER, Arthur J., Excavations at Tepe Gawra, vol. 2, University
Museum Monographs, Philadelphia, University of Pennsylvania, 1950, tombe 181,
p. 117-118, 205, pl. XCVI. a : 2, 3, 5, 7-12 et CLXXIX, p. 53 ; Locus, 7-58, p. 116, 120, 170
et pl. LXXXIV.c., tombes 102, 107, 110 et 114, p. 84-85, 94-96, pl. XXII, XXVII et XLVI.a.
35. MORTENSEN, Peder, « Additional Remarks on the Chronology of Early Village-Farming
Communities in the Zagros Area », Sumer, 20, 1964, p. 28-36 ; VOIGT, Hajji Firuz Tepe,
p. 87, HF 68-122, 170, 171, 189, 195.
36. VOIGT, Hajji Firuz Tepe, p. 86-87, H12 B3.
37. EL-WAILLY et ABU ES-SOOF, « Excavations », p. 23 ; MALLOWAN et CRUIKSHANK ROSE,
« Excavations », p. 35 ; TOBLER, Excavations, p. 106-107.
38. TOBLER, Excavations, p. 70-75, pl. XXIV et XLVI.a.
39. VOIGT, Hajji Firuz Tepe, p. 254.
40. EL-WAILLY et ABU ES-SOOF, « Excavations », p. 26-28.
41. TOBLER, Excavations, p. 199, pl. CLXXV et fig. 74-76.
42. Ibid., p. 94-96, pl. LIII. b, c, e ; LV. a : 1 et 4 ; LVIII. a : 1 et b : 3 ; LIX. a : 6-8 ; CIII : 7-8 ;
CIV : 13-14, 20-21 ; CVI : 37-38 ; CVII : 55-56 ; CVIII : 58, 60 et 65.
43. VOIGT, Hajji Firuz Tepe, p. 146-151, Structure VI.
44. TOBLER, Excavations, p. 110-111.
45. Ibid.
46. EL-WAILLY et ABU ES-SOOF, « Excavations », p. 28, 26.
47. TOBLER, Excavations, p. 84-85, 116.
48. Ibid., p. 84-85.
49. Ibid., p. 94
50. Ibid., p. 84, 96.
51. Ibid., p. 84-85.
52. EL-WAILLY et ABU ES-SOOF, « Excavations », p. 28.
CHAPITRE 3

Cordons de jetons et enveloppes

En secouant […] [les boules de terre crue] […] près de l’oreille, on


entend le bruit de petits objets s’entrechoquant dans la cavité
intérieure ; plusieurs d’entre elles ayant été rompues dans
le dégagement, nous avons reconnu la présence de petites masses
d’argile cuite aux formes variées : grains, cônes, pyramides, pastilles
de 1 cm de diamètre.
R. de Mecquenem 1.

Au début du IVe millénaire avant J.-C., deux méthodes furent mises au


point pour archiver les jetons. La première consiste à les enfiler sur
un cordon après les avoir perforés, la seconde à les enfermer dans
des enveloppes d’argile. Ces techniques permettent de garantir que
des ensembles de jetons correspondant à un compte soient bien
maintenus ensemble et que la transaction soit identifiable grâce à
un cachet. N’était leur importance dans l’invention de l’écriture, on
pourrait se demander pourquoi leur porter un tel intérêt.

1. Cordons de jetons
1.1. JETONS PERFORÉS

Certains jetons sont perforés sur toute leur épaisseur (fig. 9).
La répartition géographique et chronologique de ces objets perforés
indique que cette pratique n’était pas généralisée mais était réservée aux
assemblages de jetons complexes. La répartition géographique des jetons
perforés coïncide quasiment avec celle des jetons complexes. On ne trouve
pas de spécimens perforés en Turquie ou en Palestine, mais on en trouve
sur certains sites d’Irak, d’Iran ou de Syrie. On trouve quelques exemples
de jetons perforés dans les collections de jetons simples des périodes
les plus anciennes mais ils sont particulièrement nombreux au
IVe millénaire avant J.-C. Il y a par exemple 119 jetons perforés à Uruk, soit
14,7 % de l’assemblage, 189 à Suse (27 %) et 118 à Habuba Kabira (84 %).

1.2. BULLES PLEINES

Apparemment, les perforations permettaient de faire tenir ensemble à


l’aide d’un cordon ou d’une lanière les jetons correspondant à
une transaction donnée. Si cette idée est correcte, on peut penser que
les deux extrémités du lien étaient nouées ensemble et le nœud garanti
par un cachetage identifiant le compte et garantissant l’intégrité de
la marchandise. Il existe une catégorie de bulles de petite taille portant
l’empreinte de sceaux qui ont peut-être eu cet usage (fig. 10 et 11) : elles
sont en argile, pleines, modelées selon une forme oblongue ou biconique
et mesurent environ 7 cm de long pour un diamètre de 5 cm. Ces bulles
portent les empreintes de sceaux et, à chacune de leurs extrémités,
la trace des cordons sur lesquels elles étaient enfilées.
Les bulles sont généralement tenues pour être des étiquettes attachées
aux balles de marchandises 2. L’hypothèse selon laquelle elles constituent
un dispositif permettant de maintenir ensemble des jetons est corroborée
par le fait que leur répartition géographique coïncide en général avec celle
des jetons complexes. À Suse 3, Choga Mish 4 et Habuba Kabira 5 par
exemple, jetons complexes et bulles pleines appartiennent au même
horizon et se trouvent à proximité les uns des autres, même s’il n’est pas
mentionné dans les rapports de fouilles qu’ils sont directement associés 6.
Il est peut-être significatif que ce soit à Habuba Kabira que l’on ait trouvé
le plus grand nombre de bulles ainsi que le plus grand nombre de jetons
perforés alors qu’on n’en a pas encore trouvé à Uruk, où les jetons
perforés sont rares. Par ailleurs, on peut voir, d’après les empreintes
marquant les deux extrémités des bulles, que les cordons sur lesquels elles
étaient enfilées étaient assez minces pour passer à travers les perforations
des jetons. Enfin, leur ressemblance étroite avec les enveloppes décrites
ci-dessous ne saurait être fortuite. Ces deux sortes d’objets sont très
similaires dans leur apparence : même matériau, même taille et parfois,
même forme oblongue. Ils portent en outre les mêmes cachets aux motifs
identiques : alignement de figures animales pacifiques, lions en position
héraldique et figures humaines au travail. Dans certains cas, les deux types
d’objets portent de fait l’impression d’un même sceau. À Suse, par
exemple, l’empreinte d’un sceau orné d’une rangée d’animaux pacifiques
et d’une rangée de félins a été trouvée à la fois sur une bulle pleine et sur
deux enveloppes 7. Le même nombre de cachets apparaît sur les bulles
pleines et sur les enveloppes : toutes deux portent pour la plupart
l’impression d’un même sceau déroulé sur toute leur surface et parfois
celle de deux ou trois sceaux différents. Quelques spécimens de bulles
pleines arborant des marques imprimées à leur surface similaires à celles
que portent les enveloppes ont aussi été trouvés à Suse, Habuba Kabira,
Tell Brak et Chagar Bazar. Nous y reviendrons un peu plus loin dans ce
chapitre 8. Nous verrons aussi que certaines enveloppes ont pu aller de
pair avec un système de jetons à enfiler.
Ces deux types d’objets diffèrent cependant par deux aspects
essentiels : premièrement, les enveloppes sont creuses tandis que
les bulles sont pleines, et, deuxièmement, les jetons simples étaient de
préférence placés dans des enveloppes tandis que les jetons complexes
étaient pour la plupart enfilés. Pour être précis, 83,69 % des jetons
contenus dans des enveloppes sont de type simple contre 10,57 % de type
complexe (5,74 % d’entre eux n’ayant pas pu être rangés dans l’une de ces
deux catégories). Il y a par ailleurs davantage de jetons perforés parmi
les spécimens complexes que parmi les simples. Il faut toutefois souligner
que les deux méthodes s’entremêlent parfois : certaines enveloppes à
Habuba Kabira et à Uruk contenaient à la fois des jetons complexes et
des ovoïdes incisés ; de même, des objets percés – cônes et tétraèdres,
triangles, rectangles et paraboloïdes ainsi que des animaux – étaient
enfermés dans des enveloppes provenant de Suse ou d’Uruk, ou des deux
sites. En revanche, on a trouvé treize spécimens de jetons simples perforés
à Uruk, 45 à Habuba Kabira (dont 35 cônes) et 14 à Suse.
Fig. 9. Disques (certains sont perforés), Uruk, Irak. Avec l’aimable
autorisation du Vorderasiatisches Museum, Staatliche Museen
zu Berlin.
Fig. 10. Deux bulles, Suse (Sb 6298 et 9279), Iran. Avec l’aimable
autorisation du musée du Louvre, département des Antiquités
orientales.
Fig. 11. Reconstitution d’un cordon de jetons maintenus ensemble
par une bulle pleine. Dessin d’Ellen Simmons.

En somme, enveloppes et bulles sont très proches par leur forme et


leur fonction, et il est probable qu’elles correspondent à deux façons
différentes d’identifier et de protéger les jetons à archiver. Pour
des raisons que nous ignorons, les jetons simples étaient la plupart du
temps maintenus ensemble dans des enveloppes et les jetons complexes
grâce à des bulles pleines.

2. Enveloppes

2.1. L’OBJET
Les enveloppes sont des boules d’argile creuses de 5 à 7 cm de
diamètre et de forme sphérique ou ovoïde (fig. 12). Leur fabrication était
simple : les empreintes digitales visibles à l’intérieur montrent que
la cavité destinée à recevoir les jetons était formée en enfonçant le doigt
dans une boule d’argile afin d’y creuser un trou. La couleur rouge de
certaines enveloppes montre que ces objets étaient cuits. On a obtenu
confirmation que les enveloppes subissaient une cuisson grâce à
la microscopie électronique et à l’analyse thermique différentielle
pratiquées sur un échantillon provenant de Suse 9. Comme les jetons,
les enveloppes étaient cuites à basse température, soit environ 700 degrés.

2.2. RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE ET QUANTITÉ

Cinq des onze sites proto-scripturaires ayant livré des enveloppes se


trouvent en Iran. Il s’agit de Shahdad, Tépé Yahya, Chogha Mish, Suse et
Farukhabad. Il y en a un autre en Irak (Uruk), un en Arabie saoudite
(Dharan), un en Israël (Dumah) et trois en Syrie (Habuba Kabira, Tell
Sheikh Hassan et Tell Qraya). La répartition des enveloppes couvre donc
une vaste région qui va de l’Iran au Levant et de l’Irak à l’Arabie saoudite
(carte 2).
Le nombre total d’enveloppes connu à ce jour correspond à 130
spécimens et 70 fragments. La majorité, soit environ 100 enveloppes
entières et 70 fragments représentant 85 % de l’assemblage total, provient
d’Iran. Parmi les sites iraniens, celui de Suse a livré 40 enveloppes
entières, 15 enveloppes fragmentaires et 57 fragments 10. L’assemblage de
Chogha Mish n’a pas encore fait l’objet d’une publication si ce n’est pour
les 8 enveloppes entières retrouvées lors de la deuxième campagne ainsi
que pour un trésor en contenant plus de 20, exhumé lors de la troisième 11.
Enfin, Farukhabad, Tépé Yayha et Shahdad ont livré chacun
un spécimen 12. L’Irak possède un ensemble de 25 enveloppes provenant
toutes d’Uruk 13. La Syrie en a livré 2 à Habuba Kabira et 3 à Tell Sheikh
Hassan 14. On ne connaît pas le nombre d’enveloppes exhumées à Tell
Qraya 15. Le spécimen israélien, acheté sur un marché aux antiquités,
faisait apparemment partie d’un lot de 2 provenant du site de Dumah, près
d’Hébron 16. L’unique enveloppe provenant d’Arabie est une trouvaille de
surface recueillie près de l’aéroport de Dhahran 17.

Fig. 12. Enveloppe avec six jetons ovoïdes incisés (l’enveloppe


en contenait sept), Uruk (W 20987.7), Irak. Avec l’aimable
autorisation du Deutsches Archaeologisches Institut, Abteilung
Baghdad.
Carte 2. Répartition des enveloppes.

2.3. CHRONOLOGIE

Les enveloppes ont été utilisées pendant plusieurs siècles au moins.


Les spécimens de Farukhabad 18 et de Chogha Mish 19 montrent qu’elles ont
commencé à être utilisées au cours de l’Uruk moyen, entre 3700 et
3500 avant J.-C. Elles ont perduré jusque vers 2600 avant J.-C. à Tépé
Yahya 20. La coutume consistant à imprimer des marques sur les objets a
débuté dès l’Eanna VI-V, soit vers 3500 avant J.-C., comme on le voit à
Habuba Kabira 21. Cette date concorde avec les informations fournies par
les fouilles de Suse, d’où 17 enveloppes sont sorties du niveau 18 22 et
une du niveau 17 23, que l’on associe désormais respectivement à l’Eanna
VI et V 24. Nous savons ainsi que les enveloppes de Suse sont
contemporaines de celles d’Habuba Kabira. Certaines enveloppes du
niveau 18 portent des inscriptions tandis que le spécimen du niveau 17
n’en porte aucune 25 : les marques ne dépendent donc pas de la période.
La découverte de spécimens en argile près du « Temple aux cônes de
pierre » à Uruk plaide également pour une pratique remontant à l’Eanna
VI-V.

2.4. CONTEXTE

La majorité des enveloppes étaient associées à des objets typiques de


l’Eanna VI-IV et liées à l’administration des temples de la Mésopotamie
méridionale. À Uruk, les 25 enveloppes étaient insérées dans un mur aux
abords du « Temple aux cônes de pierre », dans l’enceinte dédiée à Inanna,
ce qui indiquerait qu’elles faisaient partie des archives de ce temple et
qu’elles avaient été mises au rebut en même temps que des jetons,
des sceaux et des écuelles à bord biseauté 26 une fois le site abandonné et
transformé en carrière et en dépotoir.
Comme celles d’Uruk, les enveloppes de Suse proviennent d’une zone
proche d’un temple important. D’après Mecquenem, le quartier d’où
provenaient les objets était occupé par des bâtiments divisés en petits
compartiments servant sans doute d’ateliers ou d’entrepôts pour
le temple 27. Lors des campagnes plus récentes, ont été trouvées, entre
autres matériel administratif (bulles pleines de forme oblongue, tablettes
à encoches, écuelles à bord biseauté), 17 enveloppes, dans un édifice situé
à une trentaine de mètres de la terrasse monumentale du temple ; il est
donc très probable que cet édifice ait rempli quelque fonction
sacerdotale 28.
À Habuba Kabira, les deux enveloppes ont été exhumées à
l’emplacement de l’habitation la plus grande et la plus imposante de
la ville. Elle faisait partie d’un ensemble de structures dont le plan –
plusieurs petites pièces entourant une cour centrale – est caractéristique
du sud de la Mésopotamie, mais rare en Syrie. Cet édifice a non seulement
livré les deux enveloppes avec les ovoïdes incisés qu’elles contenaient,
mais aussi divers articles utiles à la gestion administrative : sceaux et
cachets, jetons complexes, bulles pleines de forme oblongue, ainsi que
quatre tablettes à encoches. La fonction de cet édifice avait sans doute
partie liée à l’administration de la Mésopotamie méridionale.
La configuration de Tépé Yahya est semblable à celle d’Uruk, de Suse
ou d’Habuba Kabira. Elle inclut également un édifice administratif
renfermant jetons simples, tablettes, écuelles à bord biseauté, vases à
anses en forme de nez, sceaux et cachets 29 ; mais ces derniers sont ici
typiquement élamites tandis que les tablettes portent des écritures proto-
élamites. Tépé Yahya met en évidence le fait que les enveloppes sont
apparues dans deux types de contextes : soit en rapport avec
l’administration sacerdotale de Mésopotamie méridionale, soit en rapport
avec l’administration proto-élamite.

2.5. ÉTAT DE CONSERVATION

Les enveloppes ont été trouvées dans des états de conservation divers.
Environ 80 d’entre elles sont encore intactes et recèlent donc un nombre
inconnu de jetons. Plusieurs des pièces trouvées intactes ont été ouvertes
grâce à diverses méthodes afin d’en découvrir le contenu (tableau 1).
Quatre enveloppes provenant de Suse ont été percées à l’aide d’un
couteau 30 tandis que le spécimen provenant de Tépé Yahya a été ouvert
avec précaution à l’une de ses extrémités. On ne dispose donc que de 5
enveloppes dont on connaît le contenu avec certitude, soit 3 % de
l’assemblage connu.
D’autres enveloppes ont été brisées au cours de l’antiquité sans pour
autant se trouver dissociées de leur contenu, total ou partiel, de jetons
(tableau 2). On trouve 19 cas de ce type à Suse, il y en aussi à Chogha Mish,
en nombre indéterminé, 5 à Uruk et 2 à Habuba Kabira 31. À Farukhabad,
l’enveloppe brisée a été séparée de son contenu mais la marque d’un
tétraèdre reste visible sur sa paroi intérieure 32. Enfin, 5 ensembles
de jetons appartenaient à des enveloppes écrasées (tableau 3). Le premier
ensemble provient d’Uruk et se compose de 52 unités 33, le deuxième vient
de Chogha Mish et en comporte 61 34, les trois ensembles de Suse se
composent respectivement de 14, 7 et 4 jetons 35.
Le recours à la radiographie pour explorer le contenu des différents
spécimens de Chogha Mish 36, Suse 37, Dhahran et Dumah (tableau 4) n’a
pas abouti. Les jetons étant serrés les uns contre les autres, ils se font
écran et il est difficile d’en calculer le nombre avec précision. Il est par
ailleurs impossible de déterminer avec certitude si telle forme circulaire
correspond à une sphère ou à un disque. Enfin, les marques d’incision et
les pointillés n’apparaissent pas à la radiographie.

Tableau 1. Enveloppes complètes.


Tableau 2. Enveloppes brisées.
Tableau 3. Groupes de jetons séparés de leurs enveloppes.

Tableau 4. Jetons radiographiés.


Tableau 5. Totaux.

2.6. JETONS ENCLOS DANS DES ENVELOPPES

Le nombre total de jetons provenant d’enveloppes s’élève à


345 (tableau 5), soit une moyenne de 9 jetons par enveloppe. En réalité
cependant, il y a de grandes disparités entre les contenants puisque
certains contiennent deux jetons tandis que d’autres en contiennent
jusqu’à 15.
Dix types de jetons différents ont été trouvés dans les enveloppes
(planche 2). L’assemblage se présente comme suit : cônes 8,11 % (28
spécimens), sphères 33,62 % (116), disques 11,59 % (40), cylindres 16,81 %
(58), tétraèdres 13,91 % (48), ovoïdes 6,66 % (23), quadrilatères 0,29 % (1),
triangles 0,87 % (3), formes paraboloïdales 2,03 % (7), animaux 1,16 % (4) et
indéterminés 4,93 % (17). À ce jour, on ne sait pas si des jetons de forme
biconique, de boudin replié ou rhomboïdale, ou en forme de récipients ou
d’animaux ont été conservés dans des enveloppes mais cette absence de
preuve tient peut-être au simple fait que l’échantillon de jetons contenus
dans des enveloppes soit si restreint.
Cônes, sphères et tétraèdres se présentent sous deux tailles : grande et
petite ; les disques peuvent être plats, lenticulaires ou épais ; on trouve
aussi des ovoïdes incisés, des animaux, des cônes ou des tétraèdres
perforés, ce qui porte à 19 le nombre de sous-types de jetons représentés
dans les enveloppes. Parmi ces 19 sous-types, 12 sont de type simple et
les 7 autres sont de type complexe. Les premiers sont représentés par
des cônes, de petite et de grande taille, des sphères, petites et grandes,
des disques aplatis, lenticulaires et épais, des cylindres, des tétraèdres,
petits et grands, des ovoïdes et des quadrilatères. Les seconds sont
représentés par des cônes perforés, des tétraèdres perforés, des ovoïdes
incisés, des triangles, des paraboloïdes ainsi que par deux types de formes
animales. En sorte que, sur les 345 jetons contenus dans des enveloppes,
287 sont des jetons simples, 32 des jetons complexes, et 26 sont de
catégorie indéterminée (y compris les 22 jetons enfermés dans
les enveloppes radiographiées dont on ne parvient pas à voir
les éventuelles marques). En d’autres termes, 83,19 % des jetons contenus
dans des enveloppes sont de type simple, 9,28 % de type complexe et
7,54 % de type indéterminé.
Les jetons enfermés à l’intérieur des enveloppes sont identiques par
leurs types et sous-types à ceux que l’on a trouvés sans leur enveloppe.
Les jetons contenus dans des enveloppes en argile se présentent
également sous plusieurs tailles – il existe par exemple des sphères de
petite ou de grande taille ; ils portent le même genre de marques, incisions
ou cavités et si la gamme est moins étendue, c’est sans doute parce que
l’assemblage est plus restreint.

2.7. MARQUES

C’est une grande chance que de pouvoir disposer d’ensembles


de jetons enfermés dans leur capsule d’argile portant les sceaux d’une
autorité. La plupart des enveloppes portent l’empreinte de sceaux. En
règle générale, un même sceau-cylindre était apposé sur toute la surface
de l’objet (fig. 13), mais dans certains cas, deux ou trois sceaux différents
ont été utilisés. Les enveloppes ont pour principal inconvénient de cacher
les jetons : une fois enfermés, ils ne sont plus visibles. Tandis que
des jetons enfilés sur un cordon permettent le contrôle à tout moment, il
est impossible de vérifier le contenu d’une enveloppe sans la briser ni
toucher aux cachets. C’est sans doute en vue de surmonter cette difficulté
qu’ont été mis au point des systèmes de marquage. Marque est le terme
utilisé pour désigner les inscriptions que l’on trouve sur les enveloppes,
signes pour celles que l’on trouve sur les tablettes.
Avant de procéder à la description de ces diverses marques, il faut
souligner que le nombre de spécimens portant des marques ne dépasse
pas 19, soit 9 % du nombre total d’objets. La présence d’enveloppes
portant des marques est aujourd’hui attestée sur trois sites : Suse, Habuba
Kabira et Tépé Yahya. On peut attribuer la rareté des enveloppes avec
marques au hasard des fouilles, on peut aussi en déduire que leur usage
n’était pas très répandu.
L’une des méthodes employées pour montrer ce qui se trouvait à
l’intérieur des enveloppes consistait à fixer sur la surface externe de
l’enveloppe un ensemble de jetons sans doute identiques à ceux qui se
trouvaient à l’intérieur. Cette méthode, qui consistait à enfoncer les jetons
dans l’argile encore tendre, n’est représentée que par un seul fragment
provenant de Suse sur lequel on distingue deux cylindres simples
incrustés dans sa surface (fig. 14) 38. Le fait qu’on n’ait retrouvé qu’un seul
exemple réalisé selon cette méthode indique qu’elle n’était pas très
répandue.
Planche 2. Jetons enclos dans des enveloppes.
Fig. 13. Enveloppe portant l’empreinte d’un sceau-cylindre. Avec
l’aimable autorisation du musée du Louvre, département
des Antiquités orientales.

Quatorze enveloppes, dont 12 à Suse 39 et 2 à Habuba Kabira, portent


des marques imprimées sur leur face externe alors que la terre était
encore molle. Il s’agit d’une technique selon laquelle les marques
correspondent terme à terme au contenu, c’est-à-dire qu’à chaque jeton
enfermé dans l’enveloppe correspond une marque à la surface de cette
dernière : une enveloppe contenant six jetons porte six marques. Cela est
corroboré par le fait que toutes les enveloppes appartenant à cette
catégorie et ayant été retrouvées intactes portent un nombre de marques
égal à celui des jetons qu’elles renferment. En d’autres termes, seules
les enveloppes brisées portent un nombre de marques différent du
nombre de jetons qui leur sont associés.
Les marques indiquent non seulement le nombre de jetons mais aussi
la forme de chacun. Par exemple, Suse Sb 1940 a livré trois jetons discoïdes
lenticulaires et trois cylindres qui apparaissaient sur l’enveloppe sous
la forme de trois marques circulaires et trois marques allongées (fig. 15).
Neuf sous-types de jetons sont représentés dans les treize enveloppes
portant des marques imprimées : conique perforé, petit et grand,
sphérique, discoïde lenticulaire, cylindrique, ovoïdes incisés, et peut-être,
des formes paraboloïdales et animales. L’examen des marques montre que
la représentation des divers jetons n’était guère systématisée, si ce n’est
pour les formes sphérique et discoïdale, qui sont reproduites par
des marques circulaires différentes : une cavité ronde assez profonde pour
la première, une dépression large et peu profonde pour la seconde.
Les cônes sont représentés par diverses empreintes, celle de leur profil 40,
de leur apex 41, ou de leur base 42. Dans ce dernier cas, le jeton représenté
est un grand cône perforé dont on applique la base sur le support en vue
d’obtenir une marque circulaire peu profonde ayant un diamètre
supérieur à celui d’un jeton discoïde lenticulaire. Les cylindres se
présentent sous la forme de longues encoches. Les formes ovoïdes incisées
sont représentées par une impression de forme ovale avec, en sa partie
la plus large, une arête correspondant au passage de l’incision.
Il y a plusieurs manières d’imprimer des marques sur l’argile fraîche.
La plus directe, telle qu’illustrée par l’enveloppe MII 134 d’Habuba Kabira,
consiste à presser les jetons contre la surface de l’enveloppe avant de les y
enclore. Cette technique est attestée par le fait que les jetons ovoïdes
incisés associés à l’enveloppe d’Habuba Kabira s’emboîtent parfaitement
dans les cavités ovales imprimées dans l’argile il y a environ cinquante-
cinq siècles (fig. 16). Il est tentant de se figurer que la méthode consistant
à incruster de réels jetons à la surface des enveloppes a débouché sur
la méthode de l’empreinte négative. La seconde enveloppe d’Habuba
Kabira ainsi que la plupart des spécimens de Suse témoignent encore d’un
autre mode de transmission des informations : au lieu d’être imprimées
directement avec les jetons, les marques sont faites à l’aide d’un bâton ou
d’un calame 43. Enfin, des traces d’ongle (?) sur les impressions circulaires
figurant sur une enveloppe de Suse indiquent qu’elles pouvaient se faire à
l’aide du pouce 44.

Fig. 14. Enveloppe avec jetons incrustés à sa surface, Suse


(Sb 5340), Iran. Avec l’aimable autorisation du musée du Louvre,
département des Antiquités orientales.
Fig. 15. Enveloppe portant des marques imprimées sur sa surface
correspondant aux jetons enclos à l’intérieur, Suse (Sb 1940), Iran.
Avec l’aimable autorisation du musée du Louvre, département
des Antiquités orientales.

Une autre technique encore consistait à marquer les enveloppes


quand l’argile était déjà sèche (peut-être après coup ?). Il est assez difficile
avec cette technique de rendre la forme des jetons puisque les marques
sont grattées plutôt qu’imprimées à la surface. Sur les deux spécimens
relevant de cette catégorie, le nombre de marques correspond à celui
des jetons mais leurs formes ne correspondent pas. Sur le premier, qui
provient de Tépé Yahya, il n’y a guère de différence entre les trois signes
représentant respectivement deux sphères et un cône (fig. 17). Sur
le second spécimen, provenant de Suse, on a tracé six traits au lieu de
reproduire la forme des six sphères, tandis qu’une grande sphère et
un disque plat sont pour leur part représentés respectivement par deux
cavités de forme circulaire et triangulaire 45.
Sept spécimens provenant encore de Suse sont percés sur toute
l’épaisseur de leur paroi en des points diamétralement opposés 46. Ces
perforations ont parfois été interprétées comme des moyens d’empêcher
les objets de se briser lors de la cuisson 47. Il est toutefois plus probable
qu’elles aient été réalisées pour permettre le passage d’un cordon destiné
à tenir ensemble des jetons correspondant au contenu de l’enveloppe. Il
est donc permis de penser que ces enveloppes percées constituent encore
une autre technique possible pour indiquer leur contenu.
Dans tous les cas sauf un, l’information communiquée par les marques
sur les enveloppes correspond au nombre et aux types de jetons qu’elles
contenaient. À Suse, la radiographie a révélé un contenu de huit jetons
dans une enveloppe marquée d’une croix 48. Mais il s’agit d’un cas unique
dans lequel le signe n’est apparemment pas destiné à nous renseigner sur
le nombre ou la forme des jetons contenus dans l’enveloppe, mais plutôt
sur la nature de la transaction. Il pourrait également s’agir du colophon
d’un comptable.
Fig. 16. Enveloppe portant l’empreinte de jetons ovoïdes incisés,
Habuba Kabira (MII 134), Syrie. Photographie de Klaus Anger ; avec
l’aimable autorisation du Museum für Vor- und Frühgeschichte,
Berlin.
Fig. 17. Enveloppe portant trois marques gravées après séchage
de l’argile, Tépé Yahya, Iran. Avec l’aimable autorisation
du Peabody Museum, Harvard University.

Il est remarquable qu’autant de techniques aient été inventées pour


représenter le contenu des enveloppes : (1) fixation des jetons à
la surface ; (2) empreinte des jetons à la surface de l’argile encore molle ;
(3) impression de signes à l’aide d’un bâton ou d’un calame ; (4) pression
du pouce ; (5) grattage de l’argile durcie ; et (6) assemblage par enfilage
sur un cordon. La plupart de ces techniques se révélèrent être
des impasses et disparurent. En revanche, les techniques d’impression
des jetons et d’inscription de marques à l’aide d’un calame ont été reprises
lorsque les premières tablettes apparurent. Elles marquent le début de
l’écriture. Au début simples accessoires dans le système des jetons,
les enveloppes le transformèrent de façon inattendue : elles sont à
l’origine du passage des jetons tridimensionnels aux symboles graphiques
bidimensionnels. Les conséquences de cet événement exceptionnel furent
immenses pour la communication.

1. MECQUENEM, R. de, « Fouilles de Suse », Revue d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, 21,


no 3, 1924, p. 106.
2. M 43, p. 70.
3. M 43, p. 510, 540, 541, 544, 547, 567, 587, 599, 644, 649, 665 ; Dafi 8a, p. 20-21, pl. V ;
Dafi 9b, p. 72.
4. DELOUGAZ, P. P. et KANTOR, Helene J., « New Evidence for the Prehistoric and
Protoliterate Culture Development of Khuzestan », The Memorial Volume of the Vth
International Congress of Iranian Art and Archeology, vol. 1, Téhéran, 1972, p. 27.
5. STROMMENGER, Eva, « Habuba Kabira », Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 1980,
p. 63 et fig. 57.
6. Á Suse, un jeton perforé et une bulle se trouvaient dans le même carré, J-4,
pièce 830, Dafi 9b, p. 142, fig. 40, p. 9 et p. 64.
7. Dafi 8a, p. 35.
8. Á Suse, Sb 1945 bis et 4850. Á Habuba Kabira, STROMMENGER, Eva, « Habuba Kabira am
syrischen Euphrat », Antike Welt, 8, no 1, 1977, p. 19, fig. 13b.
9. Je remercie W. David Kingery, chef du Département des céramiques du MIT pour ces
analyses.
10. M 43, p. 69-70 ; Dafi 8a, p. 15-18.
11. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 27.
12. WRIGHT, Henry T., An Early Town in the Deh Luran Plain, Memoirs of the Museum of
Anthropology, no 13, Ann Arbor, University of Michigan, 1981, p. 156 ; SCHMANDT-
BESSERAT, Denise et ALEXANDER, S. M., The First Civilization : the Legacy of Sumer, Austin
(TX), University Museum, 1975, p. 51, 53 ; HAKEMI, Ali, Catalogue de l’exposition : Lut
Shahdad « Xabis », Téhéran, 1972, p. 20, item 54 et pl. 22 A.
13. UVB 21, p. 30-32 et pl. 17-19.
14. SÜRENHAGEN, Dietrich et TÖPPERWEIN, E., « Kleinen Funde », Vierter vorläufiger Bericht
über die von der deutschen Orientgesellschaft mit Mitteln der Stiftung
Volkswagenwerk in Habuba Kabira und Mumbaqat unternommenen
archäologischen Untersuchungen, Mitteilungen der deutschen Orientgesellschaft,
vol. 105, 1973, p. 21, 26 ; SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « Tokens, Envelopes and
Impressed Tablets at Habuba Kabira », dans STROMMENGER, Eva et KOHLMEYER, Kay
(dir.), Habuba Kabira Süd – die kleinen Funde, Wissenschaftliche Verhöffentlichung der
deutschen Orientgesellschaft (à paraître) ; BOESE, Johannes, « Excavations at Tell
Sheikh Hassan, Preliminary Report on the 1987 Campaign in the Euphrates Valley »,
Annales Archéologiques Arabes Syriennes, no 36-37, 1986-1987, p. 77, fig. 36 a, b.
15. REIMER, Stephen, « Tell Qraya », Syrian Archeology Bulletin, 1, 1988, p. 6.
16. Collection de Shucri Sahuri, Amman, Jordanie.
17. Collection de Thomas C. Barger, La Jolla (Californie).
18. WRIGHT, An Early Town, p. 156.
19. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 27 ; DELOUGAZ, P. P. et KANTOR, Helene J.,
« New Light on the Emergence of Civilization in the Near East », Courrier de l’Unesco,
nov. 1969, p. 23.
20. Renseignement communiqué par C. C. Lamberg-Karlovsky.
21. STROMMENGER, Eva, « The Chronological Division of the Archaic Levels of Uruk-Eanna
VI to III/II : Past and Present », American Journal of Archeology, 84, no 4, 1980, p. 485-
486 ; SÜRENHAGEN, Dietrich, « Archaische Keramik aus Uruk-Warka. Erster Teil : Die
Keramik der Schichten XVI-VI aus den Sondagen ‘Tiefschnitt’ und ‘Sägegraben’ in
Eanna », BaM17, 1986, p. 7-95.
22. Dafi 8a, p. 31.
23. Dafi 8b, p. 62, 78.
24. DITTMANN, Reinhard, Betrachtungen zur Frühzeit des Südwest-Iran, 1re partie, Berlin,
Dietrich Reimer Verlag, 1986, p. 102.
25. Dafi 8b, p. 76, 62.
26. UVB 15, p. 21, W 18987 ; UVB 17, p. 26.
27. M 29, p. 17, 18.
28. Dafi 8a, p. 36 ; Dafi 9a, p. 14, fig. 1.
29. Renseignement communiqué par C. C. Lamberg-Karlovsky.
30. Sb 1927, 1936, 1940 et 4338.
31. Suse : Sb 1930, 1938, 1942, 1967, 5340, 6350, 6946, aucune référence ; S. ACR.1.77,
1999.1, 2049.1, 2067.2, 2089.1, 2111.2, 2111.3, 2130.1, 2130.4, 2142.2, 2142.3, 2173.4.
Chogha Mish : DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 27, pl. IXa. Uruk, W 20987.3 ;
W 20987.7 ; W 20987.8 ; W 20987.15 ; W 20987.17. Habuba Kabira : MII 133 et 134.
32. WRIGHT, An Early Town, p. 156.
33. UVB 21, p. 32 et pl. 19b, W 20987.27.
34. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IXb.
35. Le premier groupe est conservé au Louvre, Dafi 8a, p. 18, S. ACR.1.77.2091.2 et
S. ACR.1.77.2067.3.
36. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 27.
37. AMIET, Pierre, L’Âge des échanges inter-iraniens, Notes et Documents des Musées de
France, vol. II, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication/Éditions de
la RMN, 1986, p. 85 et pl. 29 et 31, p. 7-8.
38. Sb 5340.
39. Sb 1927, 1940, 2286, 6350 ; S. ACR.1.77.2089.1, 2111.3, 2130.1, 2130.2, 2142.2, 2142.3,
2162.1, 2173.4.
40. Sb 1927.
41. Sb 1927.
42. Dafi 8a, fig. 3, p. 3.
43. MII 133.
44. Sb 1940.
45. Sb 1932.
46. Sb 1928, 1929, 1936, 1944, 1950, 1974 et 1978.
47. SPANGLER PHILIPS, Mona, « The Manufacture of Middle-Eastern Clay Envelopes »,
Technology and Culture, 24, no 2, 1983, p. 256-257.
48. Sb 1936.
CHAPITRE 4

Tablettes à encoches

Et quand nous regardons quels ont été les premiers usages de


l’écriture, il semble bien que ces usages aient été d’abord ceux du
pouvoir : inventaires, catalogues, recensements, lois et mandements ;
dans tous les cas, qu’il s’agisse du contrôle des biens matériels ou de
celui des êtres humains, manifestation de puissance de certains
hommes sur d’autres hommes et sur des richesses.
Claude Lévi-Strauss 1.

Le système des marques imprimées à la surface des enveloppes


d’argile a fait franchir une nouvelle étape au dispositif des jetons :
les premières fonctionnent d’abord comme des auxiliaires des seconds
avant de les supplanter lorsque des tablettes d’argile portant des signes
imprimés remplacent les enveloppes creuses renfermant des jetons. Ces
signes imprimés conservent la forme des jetons mais leur fonction est
totalement nouvelle : tandis que les marques sur les enveloppes ne
servent qu’à répéter le message encodé dans les jetons qu’elles
renferment, les signes imprimés sur les tablettes constituent le message.
Les premières tablettes jouèrent un rôle décisif dans l’invention de
l’écriture et représentent une réelle révolution dans les technologies de
la communication. Ce chapitre traite des premières tablettes portant
des signes en forme de jetons. Il comporte un inventaire documenté
des objets retrouvés ainsi qu’une présentation de leur répartition
géographique (carte 3), de leur contexte et de la chronologie. Je
commencerai par décrire les tablettes et leurs inscriptions. Je retracerai
en particulier le passage des jetons aux marques sur les enveloppes puis
aux signes imprimés sur des tablettes. Enfin, je montrerai que les signes
imprimés sont les précurseurs immédiats de l’écriture pictographique
sumérienne.

1. Quantité
Le nombre total de tablettes à encoches entières ou fragmentaires
entrant dans le cadre de mon étude s’élève à 240. La majorité, soit environ
150 spécimens, provient d’Iran. Les 90 tablettes de Suse ont été retrouvées
au fil de campagnes de fouilles successives entre 1912 et 1977 2. Quarante-
deux spécimens ont été exhumés à Godin Tépé 3, 13 à Sialk 4, et 1 à Tall-i-
Ghazir 5. Pour Chogha Mish 6, 6 tablettes à encoches, sur un nombre
indéterminé, ont fait l’objet d’une publication. Le nombre de spécimens
irakiens s’élève à environ 67. On dispose d’informations sur 65 tablettes à
encoches provenant d’Uruk 7. Il existe un spécimen unique provenant de
Khafaje 8 et un fragment de Ninive 9. Vingt-cinq tablettes proviennent de
Syrie, dont 10 de Habuba Kabira 10, 13 de Jebel Aruda 11, 1 de Tell Brak 12 et 1
de Mari 13.
Carte 3. Répartition des tablettes.

2. Contexte
Sur les sites où l’on trouve à la fois des tablettes à encoches et
des enveloppes, les deux types d’objets appartiennent au même contexte.
À Suse, tablettes et enveloppes étaient situées dans le même endroit de
l’Acropole, parfois même dans le même édifice et la même pièce ; dans
un cas, on les a trouvées dans le même contenant 14. Le bâtiment 2 à
Habuba Kabira a livré à la fois des tablettes à encoches et
des enveloppes 15. À Uruk, 40 tablettes et 25 enveloppes provenaient du
quartier de l’Eanna. Vingt autres tablettes ont été découvertes dans
la ziggourat d’Anu, second sanctuaire le plus important d’Uruk, où jusqu’à
présent aucune enveloppe n’a été retrouvée. Plusieurs de ces tablettes se
trouvaient in situ sur le sol du « Temple Blanc » 16.
En règle générale, les tablettes à encoches se trouvaient, comme
les enveloppes, dans le quartier des temples et dans les bâtiments
administratifs. À Godin Tépé, la plus importante cache contenant
des tablettes se situait dans le bâtiment qui gardait l’entrée de l’enceinte,
et un second groupe provenait d’un important édifice qui avait sans doute
une fonction officielle 17.

3. Chronologie
On peut diviser les tablettes à encoches en trois groupes consécutifs
étroitement liés qui se sont succédé au cours d’une période située entre
3500 et 3000 avant J.-C. Le premier groupe date d’environ 3500 avant J.-
C. et comprend les tablettes à encoches de Suse 18 et de Habuba Kabira.
Certaines tablettes du Temple de l’Eanna et de Choga Mish pourraient
également appartenir à la période d’Uruk VI.
Les tablettes de Suse 17 datent d’entre 3300 et 3100 avant J.-C. Elles
sont contemporaines des 29 tablettes du « Temple Rouge » d’Uruk et de
celles de la ziggourat d’Anu à Uruk IVa 18. On peut inclure dans ce
deuxième groupe les 43 tablettes de Godin Tépé 19, y compris l’unique
spécimen comportant un signe incisé, ainsi que le groupe provenant de
Jebel Aruda que la datation au carbone 14 fait remonter à 3200 avant J.-
C. environ 20.
Les tablettes de Sialk et de Tall-i-Ghazir, associées à des écuelles à bord
biseauté (de type « Blumentopf »), à des sceaux proto-élamites et à
des jarres à anses et à décor de cordon appliqué, appartiennent au
troisième groupe, que l’on situe autour d’Uruk III et de Suse 16, soit vers
3100 à 3000 avant J.-C. L’empreinte sigillaire figurant sur la tablette de
Ninive évoque une date similaire bien qu’on l’ait attribuée au niveau V,
c’est-à-dire à une période située entre 2900 et 2500 avant J.-C. 21.
La chronologie des tablettes à encoches est importante car elle
démontre clairement que les signes imprimés ont précédé
les pictogrammes de quelque deux cents ans, soit environ huit
générations. On ne connaît pas de textes pictographiques contemporains
du groupe le plus ancien de tablettes à encoches provenant de Suse 18 et
d’Uruk VI-IVc. Le témoin le plus ancien d’écriture pictographique
provient d’un groupe de tablettes retrouvées sur le sol du Temple C, à
Uruk Oc XVI 3 : « Sur le sol, par-dessous les éboulis du toit de la longue
pièce en T du Temple C, au niveau IVa. » Ces 7 tablettes peuvent remonter
à une période comprise entre Uruk IVb 22 et Uruk IVa 23. Ainsi, comme on
le constate à Godin Tépé 24 et à Sialk, où l’on a trouvé les deux types de
tablettes ensemble 25, la coexistence entre les deux types d’écriture a
débuté entre 3300 et 3100 avant J.-C., pendant la période du second groupe
de tablettes.

4. Description
Toutes les tablettes sont en argile, à l’exception de 22 spécimens en
plâtre retrouvés dans la ziggourat d’Anu à Uruk 26. Les tablettes, de petite
taille, tiennent parfaitement dans la main. En moyenne, elles font 5 cm de
large, 4 cm de long et 2 cm d’épaisseur. Elles sont modelées selon diverses
formes et avec l’absence de standardisation caractéristique d’un art à ses
débuts. Certaines sont de forme ovale, d’autres de forme plus ou moins
ronde, carrée ou quadrangulaire. Leur profil est lui aussi très variable :
tandis que la plupart des spécimens sont convexes, certains sont plats et
d’autres plano-convexes. Nombre de ces documents sont authentifiés par
l’apposition d’un sceau. L’empreinte des sceaux recouvre les signes
imprimés, ce qui signifie que les tablettes étaient inscrites avant d’être
cachetées.
5. Signes
Par souci de clarté, j’appelle signes les notations inscrites sur
les tablettes et marques celles que l’on trouve sur les enveloppes. On
trouve 17 signes différents sur les tablettes à encoches.
1. Encoche courte
A. petite (fig. 18).
B. grande (fig. 19).
C. avec cercle inscrit (fig. 20).
D. de côté.
E. aux pointes affrontées (fig. 21).

2. Cercle profondément marqué


A. petit (fig. 18).
B. grand.
C. demi-cercle.
D. incisé (fig. 22).
E. avec point.
F. avec appendice.

3. Cercle légèrement marqué


A. lenticulaire.
B. plat (fig. 19)

4. Encoche allongée (fig. 23).

5. Encoche ovale

6. Encoche triangulaire
A. simple.
B. incisée (fig. 22).
Fig. 18. Tablette portant une ligne de quatre signes circulaires
suivie d’une ligne de quatre petites encoches, Godin Tépé (Gd 73-
19), Iran. Avec l’aimable autorisation de T. Cuyler Young, Jr.

Fig. 19. Tablette portant trois grandes encoches, une marque


circulaire peu profonde et quatre marques circulaires profondes,
Suse (Sb 2313), Iran. Avec l’aimable autorisation du musée
du Louvre, département des Antiquités orientales.
Fig. 20. Signe non répertorié ressemblant à un jeton en forme
de cylindre portant des traits sur toute sa surface (type 4 : 10/11),
Uruk (W 20973), Irak. Avec l’aimable autorisation du Deutsches
Archaeologisches Institut, Abteilung Baghdad.

Fig. 21. Tablette portant cinq petites encoches, deux signes


triangulaires et un signe en forme d’encoches affrontées, Godin
Tépé (Gd 73-291), Iran. Avec l’aimable autorisation de T. Cuyler
Young, Jr.
Fig. 22. Tablette portant l’empreinte de signes incisés en forme
de cercle profond et de triangle, Suse (Sb 1975 bis), Iran. Avec
l’aimable autorisation du musée du Louvre, département
des Antiquités orientales. Dessin d’Ellen Simmons. (La tablette
est présentée à l’envers).
Fig. 23. Tablette à encoches, encoches allongées, Suse (Sb 6291),
Iran. Avec l’aimable autorisation du musée du Louvre,
département des Antiquités orientales.

5.1. MISE EN PAGE

La plupart des tablettes ne sont inscrites que sur l’avers, mais


certaines portent des inscriptions supplémentaires sur le revers ou le long
des arêtes 27. Dans les deux derniers cas, chaque face présente un compte
différent, et le revers ne correspond pas à un total, contrairement aux
tablettes pictographiques plus tardives. Certaines tablettes étaient
retournées à la manière des pages d’un livre pour lire la deuxième face 28
tandis que d’autres étaient tournées selon un axe horizontal .
29

Les signes sont en principe alignés en lignes horizontales parallèles au


côté le plus long de la tablette. En règle générale, on ne trouve pas de
signes de types différents sur une même ligne. Au contraire, chaque ligne
se compose de signes identiques. Par exemple une ligne de signes
circulaires est suivie d’une ligne d’encoches (fig. 18). Lorsqu’une ligne ne
comporte que quelques signes, ceux-ci sont centrés plutôt qu’alignés sur
l’un des côtés. Les signes ne sont jamais alignés au hasard ; ils sont rangés
selon un ordre hiérarchique. Les unités les plus importantes sont placées
en haut de la tablette et sont suivies de lignes de signes à valeur
décroissante. Par exemple, une ligne de signes circulaires représentant de
grandes mesures de céréales précédera une ligne d’encoches, lesquelles,
on le verra plus loin, représentent des mesures de céréales plus petites
(fig. 18).

Fig. 24. Tablette à encoches, en boustrophédon, Godin Tépé


(Gd 73-292), Iran. Avec l’aimable autorisation de T. Cuyler Young,
Jr.

Dans la mesure où chaque ligne comporte une suite de signes


identiques, les tablettes peuvent être lues dans n’importe quel sens.
Plusieurs spécimens indiquent toutefois que l’écriture va en général de
haut en bas et de droite à gauche pour parfois repartir dans la direction
opposée, en boustrophédon. Parmi les tablettes de ce type, il en est
une provenant de Godin Tépé, qui comporte une rangée complète de
signes en sa partie supérieure tandis que les deux dernières unités sont
ajoutées au-dessous (fig. 24) 30. Sb 2313, provenant de Suse, illustre
la manière dont, aux rares occasions où les lignes sont composées de
signes différents, les unités les plus importantes sont alignées sur le côté
droit tandis que les unités moins importantes sont situées sur leur gauche.
Dans la mesure où les scribes plaçaient les signes selon un ordre
hiérarchique en commençant par les unités les plus importantes, on peut
logiquement en déduire que les signes placés sur le côté droit étaient
gravés avant ceux qui étaient placés à gauche (fig. 19). Enfin, la tablette
73-292 de Godin Tépé possède une ligne qui commence à partir de
la droite et une deuxième qui commence à partir de la gauche, en
boustrophédon (fig. 24) 31.

5.2. TECHNIQUES D’IMPRESSION

Les techniques d’impression des signes sur les tablettes sont


les mêmes que celles qui étaient utilisées pour les enveloppes : les jetons
étaient appliqués à la surface des tablettes afin d’y laisser leur empreinte.
C’est visiblement le cas pour Sb 2313 de Suse (fig. 19) qui porte l’empreinte
de trois grandes encoches et montre très clairement le contour entier du
cône utilisé pour faire ces empreintes. Les signes correspondant à
des sphères pincées, à des formes biconiques, ovoïdes ou triangulaires
sont imprimés à la surface à l’aide des jetons – un calame n’aurait pas pu
les reproduire. Les signes circulaires et les encoches sont parfois imprimés
avec la partie non taillée du calame.
Certains signes sont représentatifs d’une technique mixte mettant en
œuvre impression et incision (signes 2d et 6b). Sur Sb 1975 provenant de
Suse, on a appliqué à quatre reprises sur la surface de la tablette un jeton
en forme de triangle, puis chacune de ces empreintes triangulaires a
ensuite été incisée verticalement à l’aide d’une pointe de calame (fig. 22)
pour reproduire la forme d’un triangle coupé par une incision verticale
(type 8 : 11).
5.3. DES JETONS AUX SIGNES

À chacune des 17 formes d’encoches correspond un prototype sous


forme de jeton. Étant donné le caractère restreint de notre échantillon –
19 enveloppes marquées et 240 tablettes – nous pouvons nous réjouir de
disposer de 7 témoins incontestables du passage des jetons aux marques
sur enveloppes puis aux signes sur tablettes. Ces documents sont
présentés ci-dessous selon le cheminement suivant :

A. Un jeton isolé.
B. Le même jeton enfermé dans une enveloppe sans marques.
C. La marque correspondante à la surface d’une enveloppe.
D. Le signe correspondant imprimé sur une tablette.
E. L’apparition sur une tablette pictographique sous forme de signe
imprimé, de pictogramme incisé ou de signe imprimé ou incisé.
F. Proposition de traduction.

Nous ne donnerons pas la liste complète de tous les objets concernés.


Dans la mesure du possible, nous proposerons une interprétation
des signes. Les interprétations données correspondent à celles qu’ont
proposées M. W. Green et Hans J. Nissen 32, Hans J. Nissen, Peter Damerow
et Robert K. Englund 33, Adam Falkenstein 34, Jöran Friberg 35 ou A. A.
Vaiman 36. Il va de soi que les unités de mesure sumériennes standardisées
citées par ces auteurs sont le reflet des sociétés très organisées propres
aux cités-États de la fin du IVe millénaire et du début du IIIe millénaire.
La signification des signes et de leurs prototypes préhistoriques que sont
les jetons sera traitée en fin de chapitre.
1a. Petite encoche
A. Cône, type 1 : 1.
B. Enveloppe sans marques : Chogha Mish 37, Suse 38.
C. Enveloppe avec marques : Tépé Yahya (fig. 17) 39, Suse 40.
D. Signe imprimé : Chogha Mish 41, Godin Tépé 42, Jebel Aruda 43,
Khafaje 44, Sialk 45, Suse 46, Uruk 47.
E. ATU 892 / ZATU N-I (imprimé).
F. Mesure de céréales (1 ban ?) 48.

Commentaire : Sur l’enveloppe Sb 1927 de Suse, on a enfoncé les pointes


des jetons dans l’argile au lieu d’y appliquer le jeton de côté sur toute sa
longueur, en sorte que les cônes sont essentiellement représentés par
des marques circulaires 49. C’est peut-être cette technique que l’on a
réutilisée sur une tablette de Suse .
50
1b. Grande encoche
A. Grand cône, type 1 : 2.
B. Enveloppe sans marques : Chogha Mish 51.
C. Enveloppe avec marques : Suse 52.
D. Signe imprimé : Jebel Aruda 53, Suse (fig. 19) 54.
E. ATU 899 / ZATU N-34 (imprimé).
F. Mesure de céréales (180 ban ?) 55.

1c. Encoche avec cercle inscrit


A. Cône à point, type 1 : 19.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : Suse 56.
D. Signe imprimé : Uruk (fig. 20)
E. ATU 905 / ZATU N-48 (imprimé).
F. Mesure de céréales (1 800 ban ?) 57.
Unité de mesure de superficie (1 eše ?) 58.

Commentaire : L’unique cône à point enfermé dans une enveloppe a été


traduit à sa surface par l’impression de sa base, laissant une large marque
circulaire et non l’empreinte d’une encoche avec point.
1d. Encoche horizontale
A. Cône, type 1 : 1.
D. Signe imprimé : Godin Tépé 59.
E. ATU 918 (imprimé).
F. Fraction 60.
Unité de mesure de superficie (¼ iku ?) 61.

1e. Paire d’encoches en forme de cônes affrontés


A. Cône, type 1 : 1.
D. Signe imprimé : Godin Tépé (fig. 21) 62.
E. ATU 918 (imprimé).
F. Mesure de céréales (1/10 ban ?) 63.
2a. Signe circulaire
A. Sphère, type 2 : 1.
B. Enveloppe sans marques : Chogha Mish 64, Suse 65, Uruk 66.
C. Enveloppe avec marques : Suse 67, Tépé Yahya 68.
D. Signe imprimé : Godin Tépé 69, Jebel Aruda 70, Habuba Kabira 71,
Khafaje 72, Ninive 73, Sialk 74, Suse 75, Uruk 76.
E. ATU 897 / ZATU N-14 (imprimé).
F. Mesure de céréales (1 bariga ?) 77.

Commentaire : Dans un cas, une enveloppe contenant 6 sphères portait


six traits sur sa surface externe . Les marques avaient été gravées une fois
78

que l’argile était sèche et qu’il n’était plus possible d’y marquer
l’empreinte des jetons.
2b. Grand cercle
A. Grande sphère, type 2 : 2.
B. Enclose dans une enveloppe sans marques : Chogha Mish 79, Suse 80.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Suse 81, Habuba Kabira 82, Jebel Aruda 83.
E. ATU 913/ZATU N-45 (imprimé)
F. Unité de système de mesure de céréales (10 bariga ?) 84.

Commentaire : Aucune des enveloppes contenant des grandes sphères


ne porte de marques. Il faut donc supposer que ces grandes sphères
étaient représentées par des marques circulaires profondes plus larges
que celles qui représentaient les petites sphères. Cette hypothèse est
corroborée par des tablettes à encoches comme celles de Habuba Kabira
qui portent de profondes marques circulaires de tailles différentes,
inscrites sur des lignes différentes .
85

2c. Demi-cercle
A. Demi-sphère, type 2 : 24.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Godin Tépé 86, Sialk 87.

Commentaire : la demi-sphère est l’un des premiers sous-types


de jetons ; on la trouve dans de nombreux assemblages mais jamais en
grand nombre, ce qui explique peut-être pourquoi on n’en a jamais
retrouvé dans des enveloppes et pourquoi aussi le signe correspondant est
très rarement utilisé sur les tablettes.
2d. Signe circulaire avec incision
A. Sphère à encoche, type 2 : 7.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Suse (fig. 22) 88.
E. ATU 898 / ZATU N-15 (imprimé).
F. Mesure de céréales (1 bariga ?) 89.
Unité de mesure de superficie (1/8 iku ?) 90.
2e. Signe circulaire avec point
A. Sphère avec point, type 2 : 3.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Tablette à encoches : Tall-i Ghazir 91.
E. ZATU N-50 (imprimé).
F. Unité de mesure de superficie (10 bur ?) 92.

2f. Cercle avec appendice


A. Sphère pincée : type 2 : 15.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Suse 93.
E. ATU 781 / ZATU 240 (incisé).
F. Mouton à grosse queue.

Commentaire : le signe ATU 781/ZATU 240 a un contour similaire mais


porte en plus une croix incisée.
3a. Marque circulaire peu profonde
A. Disque plat, type 3 : 1.
B. Enveloppe sans marques : Chogha Mish 94, Suse 95, Uruk 96.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Suse 97.
E. ATU 907 (imprimé).
F. Unité de système de mesure de céréales (?) 98.

Commentaire : les disques lenticulaires (type 3 : 3) sont représentés par


des marques circulaires peu profondes sur deux enveloppes de Suse .
99

Cependant, aucune des enveloppes contenant des disques plats ne porte


de marques. Nous devons donc nous contenter de faire l’hypothèse que
ces disques étaient également représentés par de grandes marques
circulaires peu profondes présentant sans doute un contour plus net que
les disques lenticulaires. On peut en revanche tenter de déduire la valeur
du disque plat à partir des jetons auxquels il est associé. En effet, dans
les quatre cas où des disques plats se trouvaient enfermés dans
des enveloppes, ils étaient associés à des petites sphères 100 ou à
un mélange de sphères petites et grandes . L’association de sphères et de
101

disques plats dans des enveloppes semble correspondre à l’association de


signes circulaires plus et moins profonds imprimés sur des tablettes 102.

3b. Signe circulaire provenant du disque lenticulaire


A. Disque lenticulaire, type 3 : 10.
B. Enveloppe sans marques : Suse 103.
C. Enveloppe avec marques : Suse (fig. 15) 104.
D. Signe imprimé : Chogha Mish 105, Jebel Aruda 106, Suse 107, Tell Brak 108,
Uruk 109.
E. Unité de dénombrement des animaux (10 animaux ?) 110.
Commentaire : les disques lenticulaires contenus dans des enveloppes
sont le plus souvent associés à des cylindres 111. Lorsque ces deux types
de jetons sont traduits par des marques, ils apparaissent sous forme de
marques circulaires peu profondes et d’encoches allongées. En
conséquence, je suppose que lorsque des signes circulaires sont associés à
des encoches allongées sur une tablette, on peut en déduire qu’ils
proviennent du disque lenticulaire 112.

4. Encoche longue
A. Cylindre, type 4 : 1.
B. Enveloppe sans marques : Suse 113, Uruk 114.
C. Enveloppe avec marques : Suse (fig. 15) 115.
D. Signe imprimé : Godin Tépé , Habuba Kabira , Jebel Aruda , Suse
116 117 118

(fig. 23) 119, Tell Brak 120, Uruk 121.


F. Unité de dénombrement des animaux (1 animal ?) 122.

5a. Ovale
A. Ovoïde, type 6 : 1.
B. Enveloppe sans marques : Uruk 123.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Chogha Mish 124, Habuba Kabira 125, Jebel Aruda 126.

5b. Forme ovoïde incisée


A. Jeton ovoïde incisé sur son pourtour, type 6 : 14.
B. Enveloppe sans marques : Uruk (fig. 12) 127.
C. Enveloppe avec marques : Habuba Kabira (fig. 16) 128.
D. Signe imprimé : aucun.
E. ATU 733 / ZATU 393.
F. Huile.
Commentaire : La forme ovoïde incisée est incluse ici même si elle
n’apparaît pas sous forme de signe sur une tablette à encoches mais
seulement sous forme de marque sur enveloppe. Sur l’enveloppe MII 134,
provenant d’Habuba Kabira, il est clair que les marques ont été faites en
appliquant les jetons dans la paroi d’argile car les empreintes ovales qui
en ont résulté présentent une petite arête correspondant à l’incision
pratiquée sur le jeton. Concernant MII 133, les informations sont
contradictoires ; en effet, les marques sont peut-être de simples encoches
tracées avec un calame.

6a. Forme triangulaire simple


A. Triangle, type 8 : 2.
B. Enfermé dans une enveloppe sans marques : Uruk 129, Chogha Mish 130.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Godin Tépé (fig. 21) 131.
E. ATU 935 / ZATU N-39a (imprimé).
F. Mesure de céréales (1/5 ban ?) .
132

6b. Forme triangulaire incisée


A. Triangle avec ligne médiane incisée, type 8 : 11.
B. Enveloppe sans marques : aucune.
C. Enveloppe avec marques : aucune.
D. Signe imprimé : Suse (fig. 22) .
133

E. Signe imprimé/incisé : Suse 134.


F. Unité de mesure de blé (?) 135.

6. Des tablettes à encoches


à la pictographie
Les documents présentés ci-dessus montrent que les tablettes à
encoches ne sont qu’une étape dans la genèse de l’écriture vers
la pictographie – celle de la représentation graphique des jetons.
Le tableau qui suit illustre la manière dont certaines des encoches furent
supplantées par des pictogrammes tracés à l’aide d’une pointe de calame.
Les signes ovale et triangulaire sont devenus des pictogrammes incisés
tandis que d’autres signes furent tantôt imprimés, tantôt incisés. En
revanche, les encoches et les cercles continuèrent d’être imprimés si bien
que deux types d’écriture coexistèrent : par impression et par
pictogrammes. Dans les paragraphes qui suivent, je montrerai qu’on peut
rendre compte de l’apparition de ces deux écritures par l’existence
des deux sortes de prototypes que sont les jetons simples et les jetons
complexes.

6.1. LES JETONS : PROTOTYPES DES SIGNES


IMPRIMÉS

Les jetons les plus répandus, cônes, sphères, disques et cylindres que
l’on trouvait dans tout le Proche-Orient, sont à l’origine des signes
imprimés les plus courants. Ces jetons, y compris les cônes et les sphères à
point, que l’on trouve dès les tout premiers assemblages de Tépé Asiab et
Ganj Dareh Tépé et sans discontinuité jusqu’au IVe millénaire avant J.-C.,
font partie des formes de jetons les plus anciennes.
Ce qui est peut-être plus significatif encore, c’est que les cônes,
les cônes à point, les sphères, les disques et les cylindres font partie
des sous-types que l’on trouve le plus souvent dans les enveloppes et par
conséquent aussi ceux que l’on trouve le plus communément traduits par
des marques imprimées à la surface de ces enveloppes. Ainsi il apparaît
que la manière dont les jetons étaient archivés a déterminé l’écriture qui
en a découlé.
L’impression de signes est la plus ancienne et la plus rudimentaire
des deux premières formes d’écriture. Le principal inconvénient de
la technique de l’empreinte tient au fait que les formes des jetons
prototypes deviennent difficiles à distinguer les unes des autres : par
exemple des jetons de formes différentes comme des cônes et
des cylindres ou bien des disques et des sphères, se transcrivent
respectivement par des encoches et des signes circulaires qui se
ressemblent beaucoup. Les signes étaient donc identifiés par leur contexte
plutôt que par leur forme. Ainsi les encoches, courtes ou allongées,
représentant des cônes et des cylindres se distinguent par leur position
sur la tablette : les encoches allongées sont systématiquement placées sur
le bord de la tablette 136 tandis que les encoches courtes sont tracées en
son centre 137. Les signes circulaires formés à partir des sphères et
des disques lenticulaires se distinguent grâce à leur association avec
d’autres signes : ceux qui sont combinés avec des encoches courtes
représentent des sphères 138 tandis que ceux qui représentent des disques
lenticulaires sont combinés avec des encoches allongées 139.

6.2. LES JETONS : PROTOTYPES DES SIGNES


IMPRIMÉS/INCISÉS

Les sphères à incision courte (type 2 : 7) 140 et les triangles incisés (type
8 : 11) sont les prototypes de signes imprimés/incisés. Ces signes sont très
importants car ils témoignent du rapport étroit entre signes imprimés et
signes incisés. Ils sont la preuve indubitable que les pictogrammes incisés
constituent la troisième et dernière étape de la transition des jetons vers
l’écriture. Le triangle incisé est particulièrement intéressant dans
la mesure où l’on peut suivre son évolution en quatre étapes : (1) jeton
complexe, (2) signe imprimé, (3) signe imprimé/incisé et (4) pictogramme.
Bien que les triangles incisés fassent partie des sous-types les plus
courants parmi les jetons complexes du IVe millénaire avant J.-C., aucun
n’a été trouvé dans une enveloppe jusqu’à présent. La « bulle d’argile
pleine » de Suse porte l’empreinte de triangles incisés 141. Le signe
imprimé/incisé qui lui a succédé a été réalisé en ajoutant une marque
incisée à l’empreinte d’un jeton triangulaire (fig. 22) 142. Enfin est apparu
le pictogramme ATU 900.

6.3. LES JETONS : PROTOTYPES DES PICTOGRAMMES


INCISÉS

Quatre marques/signes imprimés supplémentaires sont devenus


des pictogrammes incisés. La technique n’était pas nouvelle : depuis
les débuts du système au VIIIe millénaire avant J.-C., les jetons portent
des lignes incisées, et les marques incisées prennent une grande
importance au IVe millénaire avec les jetons complexes. Cependant,
succédant à l’écriture à base d’empreintes, l’utilisation d’un calame pour
tracer des signes sur une tablette inaugure la troisième étape de
l’évolution de l’écriture au Proche-Orient (après les marques sur
enveloppes et les signes imprimés). Les signes incisés ont l’avantage d’être
beaucoup plus lisibles que les signes imprimés. Ils permettent de
représenter avec beaucoup plus de précision le contour des jetons
prototypes ainsi que les marques figurant sur leur surface. Cela est
important car les pictogrammes sont principalement issus de jetons
complexes qui se caractérisent par des marques linéaires.
Parmi les marques imprimées qui se sont transformées en
pictogrammes, les formes ovoïdes incisées (type 6 : 14) sont
particulièrement importantes car on peut les repérer à chacune
des quatre étapes de l’évolution vers l’écriture. Premièrement, elles font
partie des jetons complexes les plus courants sur les sites du
IVe millénaire ; deuxièmement, on les trouve dans des enveloppes sans
marques à Uruk 143 ; troisièmement, elles apparaissent sous forme de
marques imprimées sur une enveloppe provenant d’Habuba Kabira 144 ;
enfin, elles aboutissent au pictogramme incisé ATU 733 / ZATU 293. On ne
connaît cependant aucun signe imprimé qui leur corresponde.
Les trois derniers sous-types de jetons qui se sont perpétués à travers
les signes imprimés puis à travers les pictogrammes sont les sphères
pincées (type 2 : 15), les jetons ovoïdes simples (type 6 : 1) et les triangles
simples (type 8 : 2). On peut apparier ces jetons avec ATU 781 / ZATU
240 145, ATU 732 / ZATU 280, 709 et ATU 428 / ZATU 254. Tous ces jetons
sont de type complexe et, excepté pour les jetons ovoïdes simples, on ne
les trouve jamais dans des assemblages antérieurs au milieu du
IVe millénaire avant J.-C.
Jusqu’à présent, aucune enveloppe n’a livré de spécimen appartenant
à la dernière et la plus importante catégorie de jetons complexes ayant
contribué à la naissance de l’écriture pictographique sumérienne. Cela
s’explique peut-être par le fait qu’on ne dispose que de très peu
d’enveloppes mais il est plus probable que, comme je l’ai montré dans
le chapitre précédent, les jetons complexes aient été souvent perforés,
indice qu’ils étaient sans doute attachés par un cordon pour leur
archivage. Ils sont représentés dans les planches qui suivent :
146 147
148 149 150 151 152 153 154 155
156 157 158
Fig. 25. Signe ATU 761 / ZATU 575, « mouton », Uruk (W 21418.4),
Irak. Avec l’aimable autorisation du Deutsches Archaeologisches
Institut, Abteilung Baghdad.
Fig. 26. Signe ZATU 452e, « textile », Uruk (W 9657), Irak. Avec
l’aimable autorisation du Deutsches Archaeologisches Institut,
Abteilung Baghdad.

Commentaire : la signification des tétraèdres demeure énigmatique. Ils


font partie des jetons simples que l’on trouve à la fois sans enveloppe et
le plus souvent à l’intérieur d’une enveloppe. On peut donc s’attendre à
les retrouver dans l’écriture. Cependant, aucune des enveloppes
contenant des tétraèdres ne porte de marques imprimées et nous n’avons
pas trouvé à ce jour de tablettes portant des empreintes en forme de
triangle.

Il est possible que le tétraèdre ait fait office de récépissé ou ait


représenté une unité de travail 159. Le tétraèdre concorde avec les deux
signes triangulaires ATU 403 / ZATU 659 que René Labat rapporte à lagar
(« serviteur du temple ») 160 ou avec ATU 526 / ZATU 280, KAK (du3),
auxquels on attribue traditionnellement le sens de « fabriquer,
construire ». De tels récépissés en argile de forme tétraédrique ont par
exemple été utilisés à Sippar aux IIIe et IIe millénaires avant J.-C. 161.
Les dates et les noms de personnes inscrits sur les récépissés signalent
clairement que ces objets étaient destinés à être échangés contre
des rations d’orge à titre de salaire. Ces récépissés tardifs perpétuent peut-
être à la fois la forme et la signification des jetons préhistoriques. L’idée
paraît plausible car la main-d’œuvre constituait alors une monnaie
d’échange importante au Proche-Orient, ce fait étant attesté par
les nombreux textes mentionnant des ouvriers employés pour creuser
des canaux, construire des édifices et moissonner.
Si les tétraèdres correspondent bien à des unités de travail, il serait
logique de penser que les différentes tailles de jetons expriment
différentes unités de temps – une journée, une semaine ou un mois de
travail – à moins qu’ils ne correspondent à différents niveaux de salaire en
fonction de la taille d’une équipe ou du type de tâches effectuées.

En somme, certains jetons, pour la plupart simples, se sont perpétués à


travers des signes imprimés tandis que d’autres, pour la plupart
complexes, ont été transcrits en pictogrammes incisés. Il est évident que
les jetons complexes, qui se caractérisent par de multiples marques, se
prêtent mal à l’impression et qu’il est plus facile de les transcrire par
des signes tracés avec un calame. Cependant, la raison pour laquelle deux
styles d’écriture différents se sont développés parallèlement tient peut-
être au fait que ces jetons avaient des fonctions différentes. Cônes, cônes à
point, sphères, disques et cylindres étaient pour la plupart conservés dans
des enveloppes, et furent par conséquent traduits par des marques
imprimées. Les jetons complexes en revanche étaient perforés et enfilés
sur un cordon et ne furent donc jamais transcrits sous forme de marques
imprimées. Quant à la diversité des manières d’archiver les jetons, elle
peut s’expliquer par le type de marchandises que représentait chaque type
de jeton. Les jetons simples correspondaient aux produits agricoles et plus
généralement aux produits issus de la campagne tandis que les jetons
complexes représentaient des denrées fabriquées en ville. Il est par
conséquent logique de penser que les deux types de jetons étaient maniés
par des mains différentes pour des offices différents. On remarquera
toutefois que les jetons ovoïdes incisés faisaient exception au sens où ils
étaient tantôt conservés dans des enveloppes tantôt perforés pour être
enfilés sur des cordons. À Uruk par exemple, parmi les 30 jetons ovoïdes
incisés, 10 étaient conservés dans des enveloppes (fig. 12) 162 et 5 163 étaient
perforés, ce qui explique peut-être pourquoi les formes ovoïdes incisées
ont été transcrites à la fois par des signes imprimés et des signes incisés.

7. Signification des signes et jetons


correspondants
La clé pour comprendre la signification des pictogrammes,
des marques imprimées et enfin des jetons se trouve dans l’écriture
cunéiforme du IIIe millénaire avant J.-C. Dans certains cas les assyriologues
parviennent à retracer l’évolution des caractères cunéiformes en
les faisant remonter à des formes de plus en plus archaïques jusqu’à leurs
prototypes de la fin du IVe millénaire avant J.-C. L’interprétation
des pictogrammes et des signes imprimés proposée dans les paragraphes
qui suivent s’inspire des recherches menées par A. Falkenstein, M. W.
Green, S. Langdon, K. Szarzynska et A. A. Vaiman, ces chercheurs s’étant
logiquement appuyés sur l’idée que les signes originels avaient la même
signification que les signes cunéiformes qui en dérivaient.

7.1. SIGNES IMPRIMÉS

7.1.1. Cônes simples, sphères, disques plats : unités


métrologiques réservées aux céréales (?)
En 1932, Thureau-Dangin avait inféré que les encoches imprimées et
les signes circulaires représentaient des unités métrologiques
spécifiquement utilisées pour les céréales 164. C’est aussi la conclusion à
laquelle ont abouti les travaux plus récents de A. A. Vaiman, Jöran Friberg,
Hans J. Nissen, Peter Damerov et Robert K. Englund 165. Pour Friberg,
la petite encoche représente une unité de mesure de grain, le ban peut-
être, mesure de capacité de grain la plus courante à Sumer, équivalente à
environ 6 litres de céréales. Selon Friberg, la bariga, égale à six ban, est
représentée par une marque circulaire 166. Il apparaît que les formes
des signes servant à la métrologie réservée aux céréales proviennent
des jetons en forme de cône ou de sphère. Le petit cône représente
apparemment une petite unité de céréales d’usage courant et la sphère
une deuxième unité de mesure de céréales plus grande que la première.
Les grands cônes et les grandes sphères représentent des mesures de
capacité de céréales plus importantes. Selon Friberg, la grande encoche
qui correspondrait au grand cône valait 180 ban d’orge. Les encoches de
profil ou affrontées correspondent à des fractions de ban.
De plus, il est significatif que dans les quatre exemples où des disques
plats étaient contenus dans des enveloppes, ils étaient associés à
des petites sphères 167 ou à un mélange de sphères petites et grandes 168.
L’association entre sphères et disques plats au sein d’enveloppes semble
correspondre à une association fréquente entre impressions circulaires
profondes et moins profondes sur les tablettes. Cela me conduit à émettre
l’hypothèse que sphères, grandes sphères et disques plats correspondent
respectivement à une série de trois mesures de céréales équivalant aux
unités de mesure sumériennes de 1, 10 et (?) bariga. Ces trois signes
circulaires pourraient correspondre à ATU 897, 913 et 907.
Il faut cependant tenir compte du fait qu’au cours de la préhistoire,
cônes, sphères et disques représentent sans doute des mesures de capacité
de céréales non standardisées. Ils renvoient probablement aux contenants
traditionnels des marchandises : « petit panier », « grand panier » ou
« grenier ». On peut comparer ces unités de mesure aux mesures actuelles
approximatives que sont la « tasse de sucre » ou le « pot de bière ».
Les mesures préhistoriques sont des entités non mathématiques. Jusqu’à
la fin du IVe millénaire avant J.-C., une sphère ne saurait être considérée
comme le multiple ou la fraction exacte d’un cône ou d’un disque.
Les unités de mesure n’ont probablement pas été standardisées avant
la fin de la période d’Uruk ou le début de la période historique où
le rapport entre les unités métrologiques est le suivant :

Mesures de céréales : système Še ; d’après Jöran Friberg, The Third


Millennium Roots of Babylonian Mathematics, Göteborg, Chalmers
University of Technology and University of Göteborg, 1978-1979,
p. 10.

7.1.2. Cônes à points et sphères : unités de mesure


des superficies agraires (?)

Les unités du système sumérien de mesure de superficie agraire se


dénomment bur, eše, et iku ; il existe des fractions ou des multiples de ces
unités représentés par des signes circulaires et des encoches, portant
parfois un point ou une incision 169. La ressemblance entre ces signes et
les cônes à points ou les sphères à incision courte ou à point indique que
ces jetons ont pu être utilisés comme mesures agraires. La ressemblance
entre les jetons servant à mesurer les céréales et ceux qui servent à
mesurer les superficies évoque quant à elle une pratique courante
des premières sociétés : le calcul des superficies en termes de quantité de
céréales nécessaires pour les ensemencer 170.
Les jetons représentant des superficies ne correspondent pas à
des unités de mesures standardisées au cours de la préhistoire. Ce n’est
pas avant la fin du IVe millénaire ou le début du IIIe millénaire avant J.-
C. que ces unités de mesure prennent des valeurs s’inscrivant dans
des rapports spécifiques :

Mesures de superficies agraires ; d’après Jöran Friberg, The Third


Millennium Roots of Babylonian Mathematics, Göteborg, Chalmers
University of Technology and University of Göteborg, 1978-1979,
p. 46.

7.1.3. Cylindres et disques lenticulaires : unités


de dénombrement des animaux (?)

Jöran Friberg a repéré un système de comptabilité particulier utilisé à


Élam aussi bien qu’à Uruk pour tenir le compte des animaux 171. Les signes
de ce système sont constitués d’une encoche allongée, que je propose de
voir comme l’empreinte d’un cylindre (type 4 : 1) représentant un animal.
Cette hypothèse est corroborée par une enveloppe provenant de Suse,
Sb 1940, et portant l’empreinte de trois encoches allongées correspondant
aux trois cylindres qu’elle renferme 172.
Pour Friberg, le signe correspondant à 10 animaux est le cercle, figure
que j’interprète comme la représentation graphique d’un disque
lenticulaire (type 3 : 10). Cette interprétation se trouve également
confirmée par l’enveloppe de Suse Sb 1940 qui contenait trois disques
lenticulaires traduits par trois marques circulaires sur sa surface 173. Si
cette interprétation est correcte, le disque lenticulaire constitue
un exemple unique de jeton représentant un groupe. Je fais donc
l’hypothèse que le disque lenticulaire prototypique signifiait « troupeau ».
Ce n’est qu’à la fin du IVe ou au début du IIIe millénaire av. J.-C. qu’on peut
considérer que le signe en forme d’empreinte circulaire représente
un nombre précis, « 10 animaux ».
Cylindres et disques lenticulaires servaient, semble-t-il, à dénombrer
des animaux, sans considération d’âge ou de sexe. Moutons et chèvres
étaient si courants en Mésopotamie et dans l’Élam que ces animaux
étaient probablement surtout perçus comme du petit bétail.

Mesures réservées au comptage des animaux ; d’après Jöran


Friberg, The Third Millennium Roots of Babylonian Mathematics,
Göteborg, Chalmers University of Technology and University
of Göteborg, 1978-1979, p. 21.

Les jetons simples, qui sont à la fois les plus répandus et les plus
anciens, représentent des quantités de denrées de base – céréales et
bétail – ou des mesures de superficie. Ils ont produit des équivalents sous
forme de séries de signes imprimés, la première correspondant à
des unités métrologiques réservées aux céréales, la seconde à
des quantités d’animaux, et la troisième à des superficies agraires.
Les jetons/signes appartenant à ces trois séries ne se trouvent pas souvent
combinés dans une même enveloppe ou sur une même tablette. Dans
un cas cependant, des disques lenticulaires étaient associés à des cônes
dans une enveloppe provenant de Suse 174 ; peut-être s’agissait-il de
comptabiliser le fourrage alloué à un certain nombre d’animaux.
En somme, on peut saisir la signification des jetons simples du
IVe millénaire par extrapolation à partir des signes imprimés des IVe et
IIIe millénaires avant J.-C. Mais qu’en est-il des cônes, sphères, disques et
cylindres exhumés des couches préhistoriques du VIIIe au Ve millénaire
avant J.-C. ? Peut-on faire l’hypothèse qu’ils avaient la même signification
que ceux du IVe millénaire ? Il est impossible de le savoir. Le seul indice
allant dans ce sens tient à la grande capacité d’endurance des signes et
symboles qui leur permet de résister remarquablement au temps. C’est
cette même résistance qui fait que nos chiffres – 1, 2, 3, etc. – sont
pratiquement inchangés depuis leur création vers 700 après J.-C. Après
tout, les symboles étant institués à des fins de communication, toute
dérogation à l’usage engendrerait malentendus et confusion. La solution
de continuité dans le domaine symbolique ne peut survenir, d’après
Terence Grieder, qu’à la suite d’un changement radical de la société ou de
l’environnement 175 ; or on n’a pas connaissance de tels bouleversements
entre le Néolithique et le Chalcolithique, au Proche-Orient. Au contraire,
cette période connut une grande stabilité et correspond à ce qu’on appelle
un palier culturel.
Un autre problème épineux concerne la signification des cônes,
sphères, disques et cylindres : était-elle la même depuis les côtes
méditerranéennes jusqu’aux rivages de la mer Caspienne ? On ne peut pas
répondre à la question, mais plusieurs arguments incitent à penser que ce
fut le cas. Premièrement, il est plus aisé d’emprunter que de réinventer ;
deuxièmement, les cônes, sphères, disques et cylindres faisaient partie
des formes les plus faciles à modeler, aussi représentaient-ils, en vertu de
la loi du moindre effort, les denrées les plus courantes : céréales et
animaux. La culture des céréales et la domestication des animaux étant
communes à tout le Proche-Orient, l’adoption du système en bloc allait de
soi. Troisièmement, les jetons étaient des signes conceptuels, non
phonétiques, qui pouvaient être partagés par des personnes de langues
différentes. Encore une fois, on peut comparer les jetons à nos chiffres
d’origine indienne désormais utilisés sur la plus grande partie de
la planète et représentant des concepts identiques pour d’innombrables
personnes s’exprimant dans des langues différentes.

7.2. SIGNES INCISÉS

Les jetons identifiés par des pictogrammes représentent des denrées à


l’unité, ce qui nous mène à la conclusion que, durant toute son existence,
le système des jetons fut un instrument comptable dont la seule fonction
était de suivre les marchandises. Certains jetons complexes servaient à
tenir le compte des animaux et des quantités de céréales. Ils diffèrent
cependant des jetons simples par leur plus grande précision. Cylindres et
disques lenticulaires représentent un certain nombre de têtes de bétail
tandis que les jetons complexes en indiquent l’espèce (« mouton à queue
grasse », type 2 : 15), le sexe (« brebis », type 3 : 54) et l’âge (« agneau »,
type 3 : 14). Le saut quantitatif que connut le nombre de types et de sous-
types de jetons dans les grandes villes autour de 3500 avant J.-C. semble
refléter le besoin d’une plus grande exactitude.
D’un autre côté, la plupart des jetons complexes découverts dans
les grands centres au IVe millénaire avant J.-C. représentaient des produits
finis – pain, huile, parfum, laine, corde – et des articles provenant
d’ateliers – objets en métal, bracelets, tissus, vêtements, tapis, meubles,
outils, ainsi que divers récipients en pierre ou en terre. La multiplication
des formes de jetons au cours de la période protohistorique traduit donc
l’ajout de produits manufacturés aux denrées déjà présentes dans
les temples.
Ainsi jetons simples et complexes varient non seulement par leur
forme, leurs marques et la manière dont ils étaient utilisés et stockés, mais
aussi par le type de denrées qu’ils représentaient. Les jetons simples
symbolisent des produits venant de la campagne, les jetons complexes
ceux qui sont fabriqués dans les villes.

7.3. LES CHIFFRES

L’invention des chiffres sur les tablettes pictographiques a apporté


une nouvelle technique permettant d’exprimer des quantités de
marchandises. On sait d’après le contenu des enveloppes que le nombre
de jetons correspond au nombre d’articles dénombrés. « Une jarre
d’huile » est représentée par un jeton symbolisant une jarre d’huile ;
« deux jarres d’huile » par deux jetons de la même sorte ; « trois jarres
d’huile » par trois jetons et ainsi de suite (fig. 12 et 16). Ce système
rudimentaire fut remplacé sur les tablettes pictographiques par
des chiffres ou signes exprimant des nombres abstraits, comme 1, 2, 3, etc.
Il n’existe donc pas de correspondance terme à terme entre les pictogrammes
et les objets dont ils indiquent le nombre, comme c’est encore le cas pour
les signes imprimés. Les pictogrammes sont précédés par un chiffre. Par
exemple, le signe « jarre d’huile » est précédé des signes correspondant à
1, 2, 3, etc.
Le signe correspondant à 1 est une petite encoche, elle est identique à
celle qui désigne une petite mesure de céréales ; 2, 3, 4, 5, etc. sont
indiqués par deux, trois, quatre ou cinq encoches ; 10 est représenté par
un signe circulaire identique à celui de la mesure de céréales supérieure.
De la même manière, le signe correspondant à 60 est une grande encoche ;
600 est une grande encoche à point et 3 600 un grand signe circulaire 176. Il
semble donc que, tout en conservant leur signification première de
mesure de capacité pour les céréales, les signes imprimés aient acquis
une signification seconde exprimant des nombres. Ce phénomène de
bifurcation est particulièrement explicite sur les tablettes où, dans
un même texte, les mêmes signes sont utilisés tour à tour pour exprimer
des mesures de céréales et des nombres. Les tablettes enregistrant
les rations allouées aux ouvriers, par exemple, portent des signes
identiques pour désigner le nombre d’ouvriers ayant reçu un salaire et
la quantité de céréales qu’ils ont reçue 177. Il en va de même dans
le système d’écriture proto-élamite 178.
Le recours aux nombres a donné naissance à une économie de
notation : 33 jarres d’huile peuvent être représentées par 6 signes – 3
cercles et 3 encoches. Cette bifurcation dans la signification des signes est
importante dans la mesure où elle marque un tournant cognitif dans
la façon de quantifier les denrées.

8. Place des tablettes à encoches dans


l’évolution de l’écriture
Les tablettes à encoches, entre jetons et signes, constituent
la troisième étape de l’évolution. Elles suivent l’étape des jetons et
des marques sur enveloppe et furent à leur tour supplantées par
les pictogrammes.
Comme en témoignent leurs nombreuses caractéristiques communes,
il existe un lien entre tablettes à encoches et enveloppes : premièrement,
les tablettes reprennent le matériau dont les enveloppes étaient faites –
elles sont modelées dans l’argile. En gros, les tablettes reprennent
la forme et la taille de leur précurseur immédiat. Adam Falkenstein a
souligné la forme parfois étonnamment convexe des toutes premières
tablettes pictographiques d’Uruk : peut-être perpétuaient-elles la forme
bombée des anciennes enveloppes 179. Bien sûr, leur structure est
différente : les enveloppes sont creuses puisqu’elles sont destinées à
contenir et à protéger des jetons, tandis que les tablettes sont pleines
puisque les jetons ont disparu.
Les empreintes de sceaux couvrant toute la surface de la plupart
des enveloppes et des tablettes constituent un autre point de
ressemblance entre les deux types d’objets. Non seulement ces cachets
sont apposés à l’aide des mêmes types de sceaux – le plus souvent
des cylindres, plus rarement des sceaux à cacheter – mais ceux-ci
présentent les mêmes figures, gravées dans le même style. Parmi
les nombreux motifs que l’on trouve sur les deux types d’objets, on voit
par exemple des représentations de temple ainsi que divers types de
récipients 180. De plus, quelques tablettes et enveloppes trouvées à Suse 181
et à Uruk 182 portent l’empreinte d’un même sceau, ce qui montre que
les deux types de comptabilité coexistaient au sein des mêmes services
administratifs liés aux temples, et chez les mêmes individus.
Mais surtout, les signes figurant sur les tablettes à encoches sont
comparables – par leur forme, la technique employée pour les réaliser et
leur disposition – aux signes figurant sur les enveloppes.
Premièrement, les mêmes signes se retrouvent sur les deux types
d’objets. En particulier, toutes les marques imprimées à la surface
des enveloppes – petite et grande encoches, cercles et ovales profonds ou
peu profonds – sont passées telles quelles dans le répertoire des signes
imprimés sur les tablettes 183. Leur liste est toutefois plus longue que celle
des marques sur enveloppe. Cela est peut-être dû au fait que l’échantillon
d’enveloppes avec marques ne compte que 19 spécimens contre quelque
240 tablettes à encoches. Par ailleurs, lorsque vint le temps des tablettes,
les scribes avaient déjà exploré plus avant les possibilités offertes par la bi-
dimensionnalité en créant de nouveaux signes. Ils manipulaient par
exemple le calame en le présentant de côté (signe 1d) ou en le doublant
(signe 1e).
Deuxièmement, les techniques employées pour les tablettes sont
restées les mêmes que celles qui étaient le plus souvent employées pour
imprimer des marques sur les enveloppes. Ainsi pour tracer certains
signes, on a continué à appliquer des jetons à la surface des tablettes,
comme on le voit sur Sb 2313 (fig. 19) ; on utilisait aussi couramment
un calame non taillé (fig. 18).
Troisièmement enfin, les signes se présentent sur les tablettes en
lignes horizontales et parallèles, en suivant le même ordre hiérarchique
que sur les enveloppes. Par exemple, sur une enveloppe provenant de
Suse, on distingue une ligne de signes circulaires suivie d’une ligne
d’encoches selon une disposition parfaitement identique à celle dont
les signes se présentent sur une tablette 184. Cela peut à son tour refléter
l’ordre hiérarchique selon lequel les comptables des temps préhistoriques
organisaient les jetons en rangées parallèles.
La fonction des signes imprimés est toutefois radicalement différente
de celle des enveloppes avec marques. Cette différence tient à leur rôle par
rapport aux jetons en argile : sur les enveloppes, par commodité pour
les comptables, les marques sont la simple répétition de l’information
encodée dans les jetons qui sont à l’intérieur alors qu’à l’époque
des tablettes les signes avaient déjà entièrement remplacé les jetons.
Le format hérité des enveloppes et transmis aux tablettes à encoches a
perduré très longtemps. On a continué à utiliser de l’argile pour faire
les tablettes, à leur donner la même forme de coussin bombée et à leur
apposer des sceaux jusqu’à l’ère chrétienne 185. Par ailleurs la même
disposition et la même hiérarchisation des signes se sont perpétuées
pendant des siècles 186. Les tablettes ont même conservé leur fonction
essentiellement économique à travers les âges. La technique de l’écriture
en revanche est passée de l’impression grossière de signes aux
pictogrammes incisés beaucoup plus lisibles, avant d’être pratiquée à
l’aide d’un calame triangulaire plus fonctionnel.
1. Georges Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon/Julliard, 1961,
p. 32-33.
2. M 17, p. 1 ; M 43, p. 68-69 ; Dafi 1c, p. 236, fig. 43 ; Dafi 3, p. 93-94, fig. 14 ; Dafi 8a,
p. 18-20, pl. 18-20, pl. IV, fig. 4.
3. WEISS, Harvey et CUYLER YOUNG, T. Jr., « The Merchants of Susa, Godin V and the
Plateau Lowlands Relations in the Late Fourth Millenium B. C. », Iran, 13, 1975, p. 8-
11.
4. Roman Ghirshman, Fouilles de Sialk, vol. 1, Paris, Paul Geuthner, 1938, p. 65-68,
pl. XVII-XCIII.
5. WHITCOMB, Donald S., « The Proto-Elamite Period at Tall-i Ghazir, Iran », mémoire de
maîtrise, University of Georgia, Athens, 1971, p. 31, pl. XI A.
6. DELOUGAZ, P. P. et KANTOR, Helene J., « The Iranian Expedition : Chogha Mish
Excavations », dans The Oriental Institute Report for 1967-68, Chicago, Oriental Institute,
University of Chicago, p. 11 ; KANTOR, Helene J., « Excavations at Chogha Mish », dans
The Oriental Institute Report for 1974-75, Chicago, Oriental Institute, University of
Chicago, p. 22 ; KANTOR, Helene J., « Excavations at Chogha Mish : 1974-75 », Second
Annual report, Los Angeles, Institute of Archeology, University of California, p. 10, 17, 6-7.
7. UVB 3, p. 29, pl. 19b ; UVB 4, p ; 28, pl. 14c-h, W 9656 h, ea ; W 9656 eb ; UVB 5, p. 14,
pl. 14b, d, W 14148, 14210 ; UVB 8, p. 51, pl. 51C, W 16184 ; UVB 17, p. 56, W 19727 ;
FALKENSTEIN, Adam, « Zu den Inschriften den Grabung in Uruk-Warka, 1960-61 », BaM
2, 1963, p. 2, W 20239 ; UVB 20, p. 23, pl. 26g, 28c, W 20777 ; UVB 22, p. 59-60, nos 134-
140, W 21300-1-7 ; UVB 23, p. 37-38, W 21452, p. 40, W 21654.1 ; UVB 25, p. 38, pl. 27k,
n, W 21859 ; ZATU 34.
8. FRANKFORT, Henri, « Progress of the Work of the Oriental Institute in Iraq, 1934-35 ;
Fifth Preliminary Report of the Iraq Expedition », OIC, no 20, 1936, p. 25, fig. 19.
9. COLLON, Dominique et READE, Julian, « Archaic Nineveh », BaM 14, 1983, p. 33.
10. SÜRENHAGEN, Dietrich et TÖPPERWEIN, E., « Kleinen Funde », Vierter vorläufiger Bericht
über die von der deutschen Orientgesellschaft mit Mitteln der Stiftung
Volkswagenwerk in Habuba Kabira und Mumbaqat unternommenen
archäologischen Untersuchungen, Mitteilungen der deutschen Orientgesellschaft,
vol. 105, 1973, p. 20-21, fig. 4 ; STROMMENGER, Eva, « Ausgrabungen in Habuba Kabira
und Mumbaqat », Archiv für Orientforschung, 24, 1973, p. 170-171, fig. 17 ;
STROMMENGER, Eva, « Habuba Kabira am syrischen Euphrat », Antike Welt, 8, no 1, 1977,
p. 18, fig. 11 ; STROMMENGER, Eva, « Ausgrabungen der deutschen Orient-Gesellschaft
in Habuba Kabira », dans FREEDMAN, David Noel (dir.), Archeological Reports from the
Tabqa Dam Project – Euphrates Valley, Syria, Cambridge (MA), American Schools of
Oriental Research, 1979, p. 68, fig. 14.
11. DRIEL, G. van, « Tablets from Jebel Aruda », dans DRIEL, G. van, KRISPIJN, Th. J. H., STOL,
M. et VEENHOF, K. R. (dir.), Zikir Šumim, Assyriological Studies presented to F. R. Kraus
on the Occasion of His Seventieth Birthday, Leyde, E. J. Brill, 1982, p. 12.
12. CURTIS, John (dir.), Fifty Years of Mesopotamian Discovery, Londres, British School of
Archeology in Iraq, 1982, p. 64-65, fig. 51.
13. PARROT, André, « Les Fouilles de Mari, quatorzième campagne (printemps 1964) »,
Syria, 42, 1965, p. 12.
14. Dafi 8a, p. 19.
15. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « Tokens, Envelopes and Impressed Tablets at Habuba
Kabira », dans STROMMENGER, Eva et KOHLMEYER, Kay (dir.), Die Kleinfunde von Habuba
Kabira-Süd, Wissenschaftliche Verhöffentlichung der Deutschen Orient-Gesellschaft,
141, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2014.
16. UVB 3, p. 29.
17. WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 3.
18. ZATU, p. 48-49.
19. WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 8.
20. DRIEL, G. van et DRIEL-MURRAY, C. van, « Jebel Aruda 1977-1978 », Akkadica, 12, 1979,
p. 24.
21. COLLON et READE, « Archaic Nineveh », p. 33.
22. UVB 22, p. 59-60, nos 134-140, W 21300-1-7.
23. ZATU, p. 39-40.
24. WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 9, fig. 4, p. 2.
25. GHIRSHMAN, Fouilles de Sialk, pl. XCII-XCIII.
26. UVB 3, p. 29 ; ZATU, p. 48.
27. Gd, p. 73-74 et 286 ; WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 9, fig. 4, p. 5 et 6.
28. Ibid., fig. 4, p. 6.
29. Ibid., fig. 4, p. 5.
30. Gd, p. 73-292, ibid., p. 10, fig. 5, p. 1.
31. Ibid.
32. ZATU.
33. NISSEN, Hans J., DAMEROW, Peter et ENGLUND, Robert K., Archaic Bookkeeping, Chicago,
University of Chicago Press, 1990.
34. ATU.
35. FRIBERG, Jöran, The Third Millennium Roots of Babylonian Mathematics. I. A Method for the
Decipherment, through Mathematical and Metrological Analysis, of Proto-Sumerian and
Proto-Elamite Semi-pictographic Inscriptions, Göteborg, Chalmers University of
Technology and University of Göteborg, 1978-1979.
36. VAIMAN, A. A., « Über die Protosumerische Schrift », Acta Antiqua Academiae
Scientarum Hungaricae, 22, 1974, p. 17-22 ; « Protosumerische Mass- und
Zählsysteme », BaM 20, 1989, p. 114-120.
37. DELOUGAZ, P. P. et KANTOR, Helene J., « New Evidence for the Prehistoric and
Protoliterate Culture Development of Khuzestan », The Memorial Volume of the Vth
International Congress of Iranian Art and Archeology, vol. 1, Téhéran, 1972, p. 30, pl. IX b.
38. Sb 1938, M 43, p. 95 (582), pl. 72.
39. SCHMANDT-BESSERAT, Denise et ALEXANDER, S. M., The First Civilization : the Legacy of
Sumer, Austin (TX), University Museum, 1975, p. 51-53.
40. Sb 6350, M 43, p. 66, pl. 61 (460 bis) ; Sb 1937, M 43, p. 91, pl. 68 (539).
41. KANTOR, « Excavations », 1974, p. 17, fig. 6.
42. Gd 73-64, avers, WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 9, fig. 4, p. 5.
43. DRIEL, « Tablets », p. 14 : 1, 2, 4.
44. FRANKFORT, « Progress », p. 25.
45. GHIRSHMAN, Fouilles de Sialk, p. 67, pl. XCIII (S 539).
46. Sb 4839, M 43, p. 100 (629).
47. W 9656eb, UVB 4, p. 28, pl. 14.
48. DAMEROW, Peter et ENGLUND, Robert K., « Die Zahlzeichensysteme der archaischen
Texte aus Uruk », ZATU, p. 136 ; FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 10 ; VAIMAN,
« Protosumerische Schrift », p. 19.
49. Sb 1927, M 43, p. 91 (539), pl. 68.
50. Sb 6959, M 43, p. 101 (642), pl. 79.
51. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IX b.
52. Sb 1927, M 43, p. 91 (539), pl. 68.
53. DRIEL, « Tablets », p. 14 (1 et 6).
54. Sb 2313, M 43, p. 128 (622) ; MT, M 43, p. 91 (545), pl. 68.
55. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; FRIBERG, Third Millennium Roots,
p. 10.
56. S. ACR.1.77.2173.4, Dafi 8a, p. 15, no 2, pl. I : 3, fig. 3 (3).
57. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; VAIMAN, « Protosumerische
Schrift », p. 19.
58. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 57 ; FRIBERG, Third Millennium Roots,
p. 46.
59. Gd 73-299, non publié.
60. ATU 918.
61. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 46.
62. Gd 73-291, non publié.
63. VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 19 ; FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 25.
64. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IX b.
65. Sb 1967, M 43, p. 86, pl. 64 (488).
66. W 20987.15, non publié.
67. S. ACR.1.77.2173.4, Dafi 8a, p. 15, no 2, pl. 1 (3), fig. 3 (3).
68. SCHMANDT-BESSERAT et ALEXANDER, The First Civilization, p. 51 et 33.
69. WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 9, fig. 4 (1-6) et fig. 5 (1).
70. DRIEL, « Tablets », p. 14 (1-4) et p. 15, 7 et 13.
71. MII 128, STROMMENGER, Eva, « Ausgrabungen in Habuba Kabira und Mumbaqat »,
p. 171, fig. 17.
72. FRANKFORT, « Progress », p. 25.
73. COLLON et READE, « Archaic Nineveh », p. 34, fig. 1 a.
74. GHIRSHMAN, Fouilles de Sialk, pl. XCIII, S 359.
75. Sb 2312, M 43, p. 87, pl. 65 (491) ; Sb 2316, M 43, p. 85, pl. 63 (475) ; Sb 6289, M 43,
p. 102, pl. 67 (650).
76. W 10133 a et b, UVB 3, p. 29, pl. 19 b.
77. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; FRIBERG, Third Millennium Roots,
p. 10 ; VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 19.
78. Sb 1932, AMIET, Pierre, L’Âge des échanges inter-iraniens, Paris, Ministère de la Culture
et de la Communication, 1986, p. 85, pl. IX b.
79. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IX b.
80. Sb 1967, M 43, p. 86, pl. 64 (488).
81. Sb 2315, M 43, p. 89 (521), pl. 66.
82. MII 128, STROMMENGER, Eva, « Ausgrabungen in Habuba Kabira und Mumbaqat »,
p. 171, fig. 17, et 130, non publié.
83. DRIEL, « Tablets », p. 14, fig. 3.
84. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; FRIBERG, Third Millennium Roots,
p. 10 ; VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 19.
85. MII 130, non publié ; MII 128, STROMMENGER, Eva, « Ausgrabungen in Habuba Kabira
und Mumbaqat », p. 171, fig. 17.
86. WEISS et YOUNG, « Merchants of Susa », p. 9, fig. 4 (5), Gd 73-64.
87. GHIRSHMAN, Fouilles de Sialk, pl. XCIII, S 1627.
88. Sb 1966 bis, M 43, p. 104 (671), pl. 82 ; Sb 1975 bis, M 43, p. 101 (641), pl. 79.
89. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; VAIMAN, « Protosumerische
Schrift », p. 21.
90. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 46.
91. WHITCOMB, « Proto-Elamite Period », p. 31, pl. XI.
92. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 57 ; VAIMAN, « Protosumerische
Schrift », fig. 4.
93. S. ACR.1.77.2128.2 et 3, Dafi 8a, p. 19, nos 20 et 23, pl. IV, 7 et 6, fig. 4 (2 et 5).
94. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IX a et b.
95. Sb 1938, M 43, p. 95, pl. 72 (582).
96. W 20987.8, 15 et 17, non publié.
97. Sb 6959, M 43, p. 101 (642), pl. 79 ; Sb 2313, M 43, p. 128 (922), pl. 99.
98. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 10.
99. Sb 1927 et 1940, M 43, p. 91 (539) et p. 92 (555), pl. 68.
100. Suse, Sb 1938 et 1946 ; S. ACR. 2130.4.
101. Chogha Mish : enveloppe exposée à l’Oriental Institute, University of Chicago.
102. Sb 2313, M 43, p. 128 (622), pl. 99.
103. S. ACR.1.77.1999.1, Dafi 8a, 1978, p. 17.
104. Sb 1927, M 43, p. 91, pl. 68 (539) ; Sb 1940, M 43, p. 92, pl. 69 (555).
105. DELOUGAZ et KANTOR, « Iranian Expedition », p. 11.
106. DRIEL, « Tablets », p. 15, fig. 1 b (10).
107. Sb 299, M 43, p. 104 (666), pl. 81.
108. CURTIS, Fifty Years, p. 65, fig. 51.
109. W 21859, UVB 25, p. 38, pl. 27 k.
110. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 21.
111. Sb 1940, M 43, p. 92 (555).
112. Sb 6299, M 43, p. 104 (666), pl. 81.
113. S. ACR.1.77.1999.1, Dafi 8a, p. 17 ; S. ACR.1.77.2089.1, 2111.2.
114. W 20987.27, UVB 21, pl. 19 b.
115. Sb 1940, M 43, p. 92, pl. 69 (555) ; S. ACR.1.77.2049.1, Dafi 8a, p. 16.
116. Gd 73-293.
117. MII 127, STROMMENGER, Eva, « Habuba Kabira am syrischen Euphrat », p. 18, fig. 11.
118. DRIEL, « Tablets », p. 15, fig. 1 b (9 et 10).
119. Sb 4854, M 43, p. 85 (479), pl. 63 ; Sb 6291, M 43, p. 89 (520), pl. 66 ; Sb 6299, M 43,
p. 104 (666), pl. 81.
120. CURTIS, Fifty Years, p. 65, fig. 51.
121. W 21859, UVB 25, p. 38, pl. 27 k.
122. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 21. L’encoche allongée représentant un animal
figure sur les tablettes d’Uruk (par exemple sur W 28859, UVB 25, pl. 27 k), ce que
n’ont pas repéré Nissen, Damerow et Englund, faute d’avoir distingué encoche
longue d’encoche courte (Archaic Bookkeeping, p. 28).
123. UVB 21, pl. 19 b.
124. KANTOR, « Excavations », 1974-75, pl. 17 (7).
125. STROMMENGER, « Ausgrabungen in Habuba Kabira und Mumbaqat », p. 171, fig. 17.
126. DRIEL, « Tablets », p. 14, fig. 1 a (4).
127. W 20987.27, UVB 21, pl. 19b ; W 20987.7.
128. MII 133 et 134, SÜRENHAGEN et TÖPPERWEIN, « Kleinen Funde », p. 21-26 ; SCHMANDT-
BESSERAT, Denise, « Tokens, Envelopes and Impressed Tablets at Habuba Kabira ».
129. UVB 21, pl. 19 b.
130. DELOUGAZ et KANTOR, « New Evidence », p. 30, pl. IX b.
131. Gd 73-291, avers et revers, non publié.
132. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29 ; FRIBERG, Third Millennium Roots,
p. 25 ; VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 19.
133. Dafi 8a, S. ACR.1.77.2089.1, p. 21, pl. II (5), fig. 6 (2).
134. Sb 1975 bis, M 43, p. 101, pl. 79 (641).
135. VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 20-21, fig. 3.
136. Sb 6291, M 43, p. 89 (520), pl. 66.
137. Sb 6289, M 43, p. 90 (534), pl. 67.
138. Par exemple Sb 4829, M 43, p. 100, pl. 78 (629).
139. Par exemple Sb 6299, M 43, p. 104, pl. 81 (666).
140. Sb 1966 bis, M 43, p. 104, pl. 82 (671) ; Sb 1975 bis, M 43, p. 101, pl. 79 (641).
141. Dafi 8a, p. 21, S. ACR.1.77.2073.4.
142. Suse : Sb 1975 bis, M 43, p. 101, pl. 79 (641).
143. UVB 21, pl. 19b ; W 20987.7.
144. MII 134, SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « Tokens, Envelopes and Impressed Tablets at
Habuba Kabira ».
145. ATU 781 porte en plus une croix incisée.
146. GREEN, M. W., « Animal Husbandry at Uruk in the Archaic Period », Journal of
Near Eastern Studies, 39, no I, 1980, p. 5 ; SZARZYNSKA, Krystyna, « Offerings for the
Goddess Inana in Archaic Uruk », Revue d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, 87, no I,
1983, p. II, tableau 1 : 7a.
147. SZARZYNSKA, Krystyna, « Records of Cloths and Garments in Archaic Uruk/Warka »,
Altorientalische Forschungen, 15, no 2, 1988, p. 2, T-19.
148. Ibid., T-20.
149. Ibid., T-22-23.
150. Ibid., T-18.
151. Ibid., T-20.
152. Ibid., T-21.
153. Ibid., T-29.
154. Ibid., T-38.
155. Ibid., T-6.
156. Ibid., T-12.
157. Ibid., T-10.
158. Ibid., T-11.
159. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « The Envelopes That Bear the First Writing », Technology
and Culture 21, no 3, 1980, p. 375.
160. LABAT, René, Manuel d’épigraphie akkadienne, Paris, Imprimerie Nationale, 1948, p. 204-
205.
161. WEITEMEYER, Mogens, Some Aspects of the Hiring of Workers in the Sippar Region at the
Time of Hammurabi, Copenhague, Munksgaard International Booksellers and
Publishers, 1962, p. 12.
162. W 20987.7, p. 7 et W 20987.27, p. 3.
163. W 2566, 7176, 8206, 8945, 16235.
164. THUREAU-DANGIN, François, « Notes assyriologiques », Revue d’Assyriologie et
d’Archéologie Orientale, 29, no I, 1932, p. 23.
165. VAIMAN, « Protosumerische Schrift », p. 17-22 ; FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 10
et 20 (où les signes renvoient à « coupelles » et « disques ») ; NISSEN, DAMEROW et
ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 29.
166. FRIBERG, Jöran, « Numbers and Measures in the Earliest Written Records », Scientific
American, 250, no 2, 1984, p. 116.
167. Suse : Sb 1938 et 1946 ; S. ACR.2130.4.
168. Chogha Mish, enveloppe exposée à l’Oriental Institute, University of Chicago.
169. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 46.
170. POWELL, Marvin A., Jr., « Sumerian Area Measures and the Alleged Decimal
Substratum », Zeitschrift für Assyriologie, 62, no 3, 1973, p. 201 ; CHADWICK, John, The
Mycenaean World, Cambridge, Cambridge University Press, 1976, p. 110.
171. FRIBERG, Third Millennium Roots, p. 21 ; W 21859, UVB 25, pl. 27 k.
172. Sb 1940, M 43, p. 92 (555).
173. Ibid.
174. Sb 1927, M 43, p. 91, pl. 68.
175. GRIEDER, Terence, « The Interpretation of Ancient Symbols », American Anthropologist,
77, no 4, 1975, p. 849-855.
176. NISSEN, DAMEROW et ENGLUND, Archaic Bookkeeping, p. 28-29.
177. FRIBERG, Jöran, « Numbers and Measures », p. 111.
178. Ibid., p. 118.
179. ATU 7.
180. M 43, motifs 692, 629 et 633.
181. Dafi 8a, p. 52-53, fig. 7 (2 et 8).
182. BRANDES, Mark A., Siegelabrollungen aus den archaischen Bauschichten in Uruk-Warka,
Freiburger altorientalische Studien, vol. 3, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1979,
p. 39.
183. La technique d’impression du cône par sa pointe utilisée pour l’enveloppe Sb 1927,
M 43, pl. 68 (539) a été reprise pour la tablette Sb 6959, M 43, pl. 79, p. 620.
184. Sb 1940, M 43, p. 92 (555).
185. Remarquons qu’à partir de la période d’Ur III (fin du IIIe millénaire avant J.-C.),
certaines tablettes sont protégées par une enveloppe d’argile.
186. VAIMAN, A. A., « Formal’nye osobennosti protosumerkish tekstov », Vestnik Drejnev
Istorii, 119, no I, 1972, p. 124-131. ; GREEN, M. W., « The Construction and
Implementation of the Cuneiform Writing System », Visible Language, 15, no 4, 1981,
p. 345-372 ; SILVESTRI, D., TONELLI, L. et VALERI, V., Testi e Segni di Uruk IV, Naples,
Istituto Universitario Orientale, Dipartimento di Studi del Mondo Classico e del
Mediterraneo Antico, 1985, p. 34-42.
DEUXIÈME PARTIE

INTERPRÉTATION
CHAPITRE 5

Évolution des symboles au cours


de la Préhistoire

Les esprits se portaient vers les symboles et non vers les choses ;
dépassant le monde de l’expérience concrète, ils passaient dans
le monde des relations conceptuelles créé au sein d’un univers
temporel et spatial élargi, le temps se prolongeait au-delà du
souvenir des choses et l’espace au-delà des lieux connus.
Harold A. Innis 1.

Il est dans la nature de la recherche archéologique de traiter


des données et de les interpréter. Dans les trois chapitres qui vont suivre,
je m’appuierai sur les faits et les hypothèses que j’ai présentés à propos du
système des jetons pour mener une réflexion plus large sur leur
signification au regard de la communication, des structures sociales et
des capacités cognitives.
Le présent chapitre traite de la place des jetons parmi d’autres
systèmes symboliques propres à la préhistoire. Après une présentation de
certains aspects du symbolisme de l’époque paléolithique jusqu’au
Néolithique, je m’interrogerai sur ce que les jetons doivent à leurs
antécédents, sur la façon dont ils ont révolutionné l’usage des symboles et
enfin, je montrerai en quoi ils préfigurent l’écriture.
1. Symboles et signes
Un symbole est une chose dont la signification particulière nous
permet de concevoir, d’exprimer et de communiquer des idées. Dans notre
société par exemple, le noir est symbole de mort, la bannière étoilée
représente les États-Unis d’Amérique et la croix le christianisme.
Les signes sont une sous-catégorie des symboles. Comme les symboles,
ils portent une signification, mais à la différence de ceux-ci, l’information
qu’ils transmettent est limitée, précise et sans ambiguïté. Comparons par
exemple la couleur noire, symbole de mort, avec le signe « 1 ». Le noir est
un symbole chargé d’un sens profond mais diffus tandis que 1 est un signe
qui représente sans équivoque le nombre « un ». Symboles et signes sont
utilisés différemment : les symboles nous aident à concevoir et à examiner
des idées tandis que les signes sont des moyens de communication
orientés vers l’action 2.
Dans la mesure où l’usage de symboles est une caractéristique du
comportement humain, il est par définition aussi vieux que l’humanité
elle-même 3. Depuis l’aube de l’humanité, les symboles prennent en charge
les connaissances, les expériences et les croyances de tous. Depuis le début
aussi, les humains communiquent par signes. Signes et symboles sont par
conséquent essentiels pour comprendre les cultures.
Cependant, les symboles sont éphémères et ne survivent pas en
général aux sociétés qui les ont créés. Tout d’abord, la signification qu’ils
portent est arbitraire. Par exemple, la couleur noire, qui évoque la mort
dans notre culture, pourra tout aussi bien représenter la vie dans
une autre. Les symboles possèdent cette caractéristique fondamentale que
leur signification ne saurait être saisie ni par les sens ni par la logique, et
ne peut nous être transmise que par ceux qui les utilisent 4. C’est pourquoi,
lorsqu’une culture disparaît, les symboles qui lui survivent deviennent
énigmatiques parce qu’il n’y a plus d’initiés qui puissent interpréter leur
sens. Ainsi non seulement les reliques symboliques appartenant aux
sociétés préhistoriques sont-elles extrêmement rares, mais celles qui nous
restent résistent en général à l’interprétation.

2. Symboles du Paléolithique inférieur


et moyen
Bien qu’il y ait eu présence humaine au Proche-Orient dès
le Paléolithique inférieur, il y a 600 000 ans de cela, il ne nous reste aucun
symbole datant de cette époque. Le premier matériel archéologique
témoignant d’un recours aux symboles au Proche-Orient date de l’époque
de l’Homme de Néandertal, au Paléolithique moyen, entre 60 000 et
25 000 ans avant J.-C. Les données sont de trois ordres. Premièrement, on a
trouvé des morceaux d’ocre dans la grotte de Qafzeh en Israël 5. Bien
entendu, il est impossible de savoir à quoi servait l’ocre à l’époque, mais
le pigment rouge évoque une fonction symbolique plutôt qu’un usage
fonctionnel ; on a même pensé que cette ocre avait pu entrer dans
la composition de peintures corporelles. Le second ensemble de témoins
archéologiques se compose d’objets funéraires – fleurs ou bois de cervidé
déposés dans les sépultures à Shanidar environ 60 000 ans avant J.-C. 6 et à
Qafzeh 7 par exemple. Nous ne saurons jamais quelle était la signification
de ces fleurs et des bois de cervidé pour les hommes de Néandertal, mais
on suppose tout de même que le pigment rouge et les dépôts funéraires
sont des symboles à connotation magico-religieuse. Ainsi, certains
des tout premiers témoignages d’utilisation des symboles au Proche-
Orient évoquent une fonction rituelle.
Une troisième catégorie d’artefacts est constituée de fragments d’os
gravés de séries d’encoches disposées en lignes parallèles, comme celui
qui a été retrouvé dans la grotte de Kebara 8. Ces os incisés sont importants
pour notre étude parce qu’ils sont les premiers exemples connus de
symboles manufacturés au Proche-Orient. Alors que les hommes de
Néandertal de Shanidar donnaient une signification aux pigments et aux
fleurs qu’ils trouvaient dans la nature, les occupants de Kebara ont
commencé à modifier des matériaux en vue de traduire des idées.

3. Symboles du Paléolithique supérieur


et du Mésolithique
En matière de symboles, la même tradition s’est poursuivie au
Paléolithique moyen et supérieur. L’utilisation de l’ocre est souvent
attestée 9, et les os à encoches sont présents dans divers assemblages :
Hayonim en Israël, environ 28 000 ans avant J.-C. 10 ; Jiita 11 et Ksar Akil au
Liban, environ 15 000-12 000 ans avant J.-C. Par exemple, l’alène en os
provenant de Ksar Akil mesure une dizaine de centimètres et porte sur sa
longueur environ 170 incisions organisées en quatre rangées (fig. 27) 12. Il
y a encore d’autres objets de ce type à Hayonim 13, sur les sites natoufiens
au Levant 14 et même jusqu’au Néguev environ 10 000 ans avant J.-C. 15. En
même temps, depuis le Levant jusqu’à l’Irak, les sites ont livré des galets
ainsi que divers outils en calcaire ou en os gravés de lignes parallèles 16.
Une nouvelle catégorie de symboles iconiques apparaît dans l’ouest de
l’Asie au cours du Paléolithique supérieur. À Hayonim, environ 20 000 ans
avant J.-C., ces symboles prennent la forme de dalles de pierre portant de
fines lignes évoquant un cheval 17. Dans la grotte de Beldibi en Turquie,
datée d’entre 15 000 et 12 000 ans avant J.-C., on a découvert les images
d’un taureau et d’un cervidé, tracées au silex sur les parois de la grotte 18 et
sur des galets 19.
Fig. 27. Os à encoches, Ksar Akil, Liban. Avec l’aimable autorisation
d’Alexander Marshack, Peabody Museum, Harvard University.

Sur la fonction des os incisés et des représentations animales du


Paléolithique et du Mésolithique, les spécialistes en sont réduits à
formuler des hypothèses. André Leroi-Gourhan considérait ces
représentations iconiques comme des symboles ayant une signification
magico-religieuse. À ses yeux, les images d’animaux renvoyaient au sacré,
chaque espèce étant une manifestation parmi d’autres d’une cosmologie
complexe 20. Il pensait que ces figures animales étaient des symboles
chargés de profondes significations et à ce titre, des instruments pour
penser et saisir les concepts abstraits d’une cosmologie. Les premiers
archéologues ont vu dans ces os à encoches des bâtons de comptage,
chaque encoche correspondant à un objet dont on voulait conserver
la trace 21. Selon la théorie récente d’Alexander Marshack, ces objets
étaient des calendriers lunaires où chaque encoche correspondait à
une phase de la lune 22. Les marques linéaires sont invariablement perçues
par les chercheurs comme les représentations d’entités discrètes et
concrètes. Je propose pour ma part de considérer les encoches comme
des signes destinés à accumuler des connaissances en vue d’une fin
déterminée. Si ces hypothèses sont correctes, les bâtons de comptage
attestent que les signes sont utilisés au Proche-Orient au moins dès
le Paléolithique moyen ; et pour autant que ces témoins archéologiques
reflètent les faits, l’utilisation de signes pour communiquer
des informations factuelles a succédé à l’utilisation rituelle de symboles.
Si les os portant des incisions sont bien des bâtons de comptage,
les marques linéaires du Paléolithique et du Mésolithique de Kebara,
Hayonim, Ksar Akil et Jiita présentent un immense intérêt car elles
représentent la première tentative de sauvegarde et de transmission
d’informations concrètes au Proche-Orient. Cette première étape dans
le « traitement de données » implique deux apports majeurs.
Premièrement, en passant au traitement de données concrètes, les bâtons
de comptage ont vu s’estomper leur usage comme symboles rituels. Ils
servirent dès lors à traduire des phénomènes physiques perceptibles
comme les phases de la lune et non plus à évoquer les aspects intangibles
d’une cosmologie. Deuxièmement, les signes à base d’encoches confèrent
aux données un caractère abstrait à divers titres :
1) Ils transmettent de l’information concrète sous forme de marques
abstraites.
2) Ils sortent les données de leur contexte. Par exemple, les phases de
la lune sont détachées de tout événement contemporain – conditions
atmosphériques ou situation sociale.
3) Ils séparent les connaissances de celui qui les possède et présentent
les données, comme nous l’expliquent Walter J. Ong 23 et Marshall
McLuhan, sous une forme visuelle statique et « froide » qui s’oppose au
médium flexible et « chaud » de l’oralité avec ses modulations de voix et
ses gestes corporels 24.
En conséquence, les signes graphiques de Ksar Akil et de Jiita ont non
seulement apporté une nouvelle manière d’enregistrer, de traiter et de
communiquer des données, ils ont en outre apporté une objectivité sans
précédent dans le traitement de l’information.
Le bâton de comptage demeurait toutefois un instrument bien
rudimentaire. En premier lieu, les encoches étaient non spécifiques et
pouvaient donner lieu à une infinité d’interprétations. Marshack pense
que les signes représentent différentes phases de la lune ; d’autres ont fait
l’hypothèse qu’ils servaient à tenir le compte d’animaux abattus. Mais il
est impossible de s’assurer de leur signification. En fait, les os à encoches
servaient à enregistrer des informations quantitatives concernant
des objets connus de celui qui pratiquait les encoches mais qui restaient
un mystère pour toutes les autres personnes. Ces quantités étaient
indiquées selon une correspondance terme à terme où à chaque unité du
groupe à comptabiliser correspondait une encoche. Par ailleurs,
puisqu’une seule sorte de marque était utilisée pour les bâtons de
comptage, on ne pouvait traiter qu’un seul type de données à la fois. Un os
permettait de comptabiliser un objet, mais il en fallait un deuxième pour
faire de même avec un second ensemble de données. Ainsi, cette méthode
rudimentaire du bâton de comptage ne pouvait convenir qu’à
des communautés comme il en existait semble-t-il au Paléolithique
supérieur, où seuls quelques objets manifestement importants étaient
comptabilisés.
Il est tout à fait possible, bien entendu, que les bâtons de comptage en
os n’aient pas été les seuls instruments permettant de conserver
des informations il y a douze mille ans. Il est même probable que, comme
dans beaucoup d’autres sociétés pré-scripturaires, les hommes du
Paléolithique et du Mésolithique aient utilisé des cailloux, des brindilles
ou des grains pour compter. Or ces méthodes de comptage présentent
les mêmes inconvénients que les bâtons à encoches : premièrement, pas
plus que les encoches sur os, les cailloux n’indiquaient quel article était
comptabilisé, seul l’individu qui avait fait les marques ou rassemblé
un certain nombre de cailloux connaissait le type d’objet qu’il
comptabilisait. Deuxièmement, étant non spécifiques, cailloux et
brindilles ne permettaient pas de comptabiliser plus d’une catégorie à
la fois : un tas de cailloux ou un os pouvait rendre compte d’une suite de
jours, mais il fallait un autre tas et un autre os pour traiter par exemple
des quantités d’animaux. Troisièmement enfin, on peut supposer que
ces jetons en vrac étaient utilisés à la manière des bâtons de comptage
selon une correspondance terme à terme avec les objets qu’ils désignaient,
chaque caillou ou bien chaque brindille représentant un objet, sans
possibilité d’exprimer un nombre abstrait. Par exemple, une journée était
représentée par un caillou, deux journées par deux cailloux, et ainsi de
suite. Les jetons épars facilitaient le traitement des données parce qu’ils
étaient plus faciles à manier tandis que les os à encoches étaient plus
efficaces pour accumuler et conserver des données car les encoches
étaient permanentes et ne pouvaient être dispersées.

4. Symboles néolithiques
Les premières communautés agricoles du Proche-Orient ont perpétué
les traditions symboliques ancestrales. Les premiers cultivateurs plaçaient
des bois de cervidés dans les fondations de leurs habitations et teintaient
le sol avec des pigments 25. Ils accomplissaient des rites funéraires pour
lesquels ils utilisaient parfois de l’ocre rouge 26. À cette époque, on modèle
aussi des formes humaines et animales dans l’argile 27. Enfin, les os à
encoches faisaient encore partie des assemblages ruraux 28. Cependant,
la pratique de l’agriculture a donné naissance à de nouveaux symboles, en
raison sans aucun doute d’un nouveau type d’économie et d’un nouveau
mode de vie. Ces nouveaux symboles différaient par leur forme et leur
contenu de tous ceux qui les avaient précédés : ce sont les jetons modelés
dans l’argile selon des formes distinctives, chacune correspondant à
une denrée en quantité précise.
4.1. UNE FORME NOUVELLE

La singularité première des jetons réside dans le fait qu’ils étaient


entièrement fabriqués de main d’homme. Contrairement aux cailloux,
brindilles ou grains auxquels on attribuait un usage secondaire en
les utilisant pour compter, et aux bâtons de comptage qui transmettaient
un message par légère altération d’un os, les jetons étaient créés à partir
d’une masse informe d’argile selon des formes bien spécifiques comme
le cône, la sphère, le disque, le cylindre et le tétraèdre, dans le seul but de
communiquer et de conserver des informations.
Les jetons constituèrent un moyen de transmission de l’information
entièrement nouveau. Ils témoignent d’un saut conceptuel par lequel à
chaque forme de jeton – cône, sphère ou disque – fut attribuée
une signification particulière. Ainsi, contrairement aux marques sur
les bâtons de comptage, auxquelles on pouvait donner une infinité
d’interprétations, chaque jeton d’argile constituait un signe distinct
possédant une signification propre, unique et explicite. Tandis que
les bâtons de comptage perdaient leur sens hors de leur contexte
spécifique, toute personne initiée au système pouvait comprendre
la signification des jetons. C’est en cela qu’ils préfigurent la pictographie :
chaque jeton représente un concept unique. Comme les pictogrammes
sumériens qui leur ont succédé, les jetons sont des « signes-concepts » 29.
La plus grande nouveauté de ce nouveau médium cependant, c’est
qu’il a donné naissance à un système fondé non pas sur des jetons isolés
mais sur tout un répertoire de jetons interdépendants, chacun ayant
une signification distincte. Par exemple, le cône représente une petite
mesure de céréales, la sphère en représente une plus grande, la forme
ovoïde représente une jarre d’huile, et ainsi de suite. Ce système permet
de manier simultanément des informations concernant diverses
catégories de produits, et donc de traiter des données avec un degré de
complexité jamais atteint auparavant. Il permet en outre de conserver
avec précision des quantités illimitées d’informations relatives à
un nombre infini de denrées sans avoir à compter sur une mémoire
humaine faillible. Enfin, il est ouvert : de nouveaux signes peuvent être
ajoutés si nécessaire par la création de nouvelles formes de jetons, en
sorte qu’un répertoire toujours plus vaste porte l’outil vers
une complexité toujours plus grande.
Le système des jetons fut le premier code, le premier système de
signes destiné à transmettre des informations. Premièrement, son
répertoire de formes est systématisé : les divers jetons sont
systématiquement reproduits en vue de porter toujours la même
signification. Par exemple, une sphère signifie toujours une même mesure
de céréales. Deuxièmement, on peut supposer que les jetons étaient
utilisés selon une syntaxe rudimentaire. Il est probable, par exemple, que
les jetons se trouvaient alignés sur la table du comptable selon un ordre
hiérarchique, en commençant par la droite avec les jetons correspondant
aux quantités les plus importantes : c’est ainsi que les Sumériens plaçaient
leurs signes sur les tablettes, et on peut logiquement supposer qu’ils ont
hérité cette procédure d’un usage antérieur propre au maniement
des jetons. Le fait que les jetons aient bénéficié d’une systématisation a eu
un effet important sur leur expansion : en tant que code parfaitement
abouti, le système se transmettait d’une communauté à l’autre et s’étendit
à tout le Proche-Orient, chaque forme de jeton conservant la même
signification.
Le système des jetons ne doit pas grand-chose aux périodes
paléolithique et mésolithique : les chasseurs-cueilleurs ne s’étaient pas
intéressés à l’argile, le choix du matériau pour la fabrication des jetons
était donc innovant. C’est un matériau très avantageux dans la mesure où
on le trouve en abondance dans la nature et où il est facile à travailler. Sa
remarquable plasticité lorsqu’il est encore humide permettait de créer,
sans outils ni habileté particulière, un nombre infini de formes qui
devenaient permanentes après séchage au soleil ou cuisson en foyer
ouvert ou au four.
Le format des éléments mobiles, est sans doute l’un des très rares
caractères hérités du passé, peut-être sous l’influence d’un ancien usage
consistant à compter à l’aide de cailloux, de coquillages, de brindilles ou
de grains. Il est propice au maniement des données dans la mesure où
les petits jetons peuvent être placés et déplacés à volonté au sein
d’ensembles de composition et de taille diverses alors que les encoches
gravées sur les bâtons de comptage sont fixes et irréversibles.
En dehors de cette caractéristique, les diverses formes de jetons ne
semblent pas avoir d’autres antécédents au Paléolithique ou au
Mésolithique. Ils ont eu le mérite de rassembler dans un même ensemble,
et pour la première fois, les formes géométriques de base que sont
la sphère, le cône, le cylindre, le triangle, le quadrilatère et le cube (ce
dernier étant étonnamment rare) 30. Il est difficile de distinguer parmi ces
formes celles qui furent inspirées par les produits de la vie quotidienne et
celles qui étaient proprement abstraites. Parmi ces dernières, les cylindres
et les disques lenticulaires, représentant tantôt une tête de bétail tantôt
un troupeau, sont visiblement arbitraires. D’autres, comme les formes
coniques et ovoïdes, représentant respectivement une mesure de céréales
et une jarre d’huile, sont probablement iconiques dans la mesure où
la première rappelle une coupelle et la seconde une jarre à bout effilé.
D’autres jetons encore, en forme de tête d’animaux, sont
des représentations figuratives.

4.2. UN NOUVEAU CONTENU

Le système des jetons se singularise aussi par le type d’information


qu’il transmet. Tandis que les représentations artistiques du Paléolithique
évoquaient sans doute des figures cosmologiques et les bâtons de
comptage du Paléolithique et du Mésolithique mesuraient probablement
le temps, les jetons traitent des données économiques : chaque jeton
correspond à une denrée en quantité précise. Comme indiqué plus haut,
le cône et la sphère représentent respectivement des mesures de céréales
sans doute équivalentes au litre et au boisseau actuels ; le cylindre et
le disque lenticulaire représentent un nombre d’animaux ; les tétraèdres
des unités de travail, et ainsi de suite.
De plus, contrairement aux bâtons de comptage qui n’enregistrent que
des informations quantitatives, les jetons transmettent en sus de
l’information qualitative. La forme des jetons indique la nature
des denrées comptabilisées tandis que leur nombre correspond à celui
des denrées. Par exemple, un boisseau de céréales est représenté par
une sphère, deux boisseaux par deux sphères, et (comme le montre
la fig. 28) cinq boisseaux correspondent à cinq sphères. Ainsi, à l’instar
des bâtons de comptage qui l’ont précédé, le système des jetons est fondé
sur le principe simple d’une correspondance terme à terme, laquelle ne
facilite pas le traitement de grandes quantités de données à la fois, dans
la mesure où nos capacités limitées en matière de reconnaissance
des formes ne nous permettent de distinguer que de petits ensembles.
Quelques jetons cependant figurent une collection. Le disque lenticulaire
par exemple représente un « troupeau », c’est-à-dire vraisemblablement
10 moutons. Les grands tétraèdres comptent peut-être pour une semaine
de travail ou bien pour le travail d’une équipe, tandis que les petits
correspondent à une journée de travail ou au travail d’un individu.
Les jetons ne dissocient pas les denrées comptabilisées de leur
nombre : une sphère représente « un boisseau de grain » et trois sphères,
« un boisseau de grain, un boisseau de grain, un boisseau de grain ». Cette
incapacité à manier des nombres abstraits rendait le système
malcommode puisqu’à chaque collection comptabilisée devait
correspondre un nombre égal de jetons de même forme. De plus, il fallait
toujours inventer de nouveaux types et sous-types de jetons pour
répondre aux besoins d’une comptabilité toujours plus exigeante en
termes de précision. Ainsi, aux jetons servant à compter les moutons, il a
fallu ajouter de nouveaux jetons pour désigner béliers, brebis et agneaux.
Cette prolifération de signes vouait le système à l’échec.

Fig. 28. Enveloppe contenant cinq sphères représentant cinq


mesures de céréales (?), Suse (Sb 4828), Iran. Avec l’aimable
autorisation du musée du Louvre, département des Antiquités
orientales.

Au Néolithique, le système symbolique des jetons en argile a remplacé


les bâtons de comptage du Paléolithique à travers tout le Proche-Orient,
en vertu de ses divers avantages :
A. La simplicité
1. L’argile était un matériau courant qui ne requérait pas de capacités
particulières pour être travaillé.
2. Les formes des jetons étaient simples et faciles à reproduire.
3. Le système était fondé sur une correspondance terme à terme,
méthode la plus simple pour comptabiliser des quantités.
4. Les jetons représentaient des denrées à l’unité. Ils n’étaient liés à
aucun système phonétique et étaient signifiants dans n’importe quel
dialecte.

B. Les progrès qu’apportait ce code dans le traitement des données


et la communication
1. Il fut le premier moyen mnémotechnique permettant de manier et de
conserver une quantité illimitée de données.
2. Il a apporté une plus grande flexibilité dans le maniement de
l’information grâce à la possibilité d’ajouter et de soustraire
des données et de les corriger à volonté.
3. En permettant l’observation de données complexes, il favorisait
la prise de décision logique et rationnelle.

Comme nous le verrons au chapitre suivant, ce code est arrivé au


moment opportun : il répondait au besoin de dénombrer et de
comptabiliser qu’avait fait naître l’agriculture et il est donc intrinsèque à
la « Révolution néolithique » qui a gagné tout le Proche-Orient à mesure
que se développait l’agriculture.
5. Une nouvelle étape dans
la communication et la conservation
des données
Le système des jetons du Néolithique peut être considéré comme
la deuxième étape dans l’évolution des moyens de communication et du
traitement de données. Il vient à la suite des outils mnémotechniques
utilisés au Paléolithique et au Mésolithique et précède l’invention de
l’écriture pictographique qui eut lieu à l’époque de la naissance des villes.
Les jetons sont donc le chaînon qui relie les bâtons de comptage aux
pictogrammes. Ils empruntent certains éléments à leurs antécédents du
Paléolithique que sont les bâtons et les cailloux à compter et par ailleurs,
ils préfigurent l’écriture de diverses manières.
Ce que le système des jetons doit avant tout aux bâtons de comptage
du Paléolithique et du Mésolithique, c’est la capacité à abstraire
des données : à l’instar des bâtons, les jetons traduisent des informations
concrètes par des marques abstraites, détachent les données de leur
contexte et les connaissances de celui qui les possède, et enfin favorisent
l’objectivité. La présentation sous forme de petits jetons mobiles est sans
doute l’héritage d’un usage du passé consistant à compter à l’aide de
cailloux, de coquillages ou de grains. Mais surtout, les jetons ont hérité
des bâtons de comptage et des cailloux une manière malcommode de
traduire des quantités parce que fondée sur une correspondance terme à
terme.
En revanche, ils furent ces symboles nouveaux qui préparèrent
le terrain pour l’invention de l’écriture pictographique et ils préfigurent
en particulier le système de l’écriture sumérienne par divers aspects 31 :
1. Sémanticité : chaque jeton est signifiant et transmet de l’information.

2. Singularité : l’information transmise est spécifique. Chaque forme de


jeton, comme chaque pictogramme, se voit attribuer une seule
signification. La forme ovoïde incisée, par exemple, tout comme le signe
ATU 733, représente une mesure d’huile.

3. Systématisation : chaque forme de jeton est systématiquement


reproduite à l’identique en vue de transmettre le même message.
Le jeton ovoïde incisé, par exemple, désigne toujours la même mesure
d’huile.

4. Codification : le système des jetons repose sur une multiplicité


d’éléments interdépendants. Le cône représente une petite mesure de
céréales, la sphère une mesure de céréales plus grande, le jeton ovoïde
désigne une jarre d’huile, le cylindre un animal, et ainsi de suite. Ainsi
le système des jetons permet pour la première fois de traiter
simultanément des informations concernant différents objets.

5. Ouverture : le répertoire des jetons peut être étendu à volonté par


la création de nouvelles formes pour représenter de nouveaux concepts.
Les jetons peuvent également se combiner de toutes sortes de manières,
ce qui permet de conserver une quantité illimitée d’informations
concernant un nombre illimité de denrées.

6. Arbitraire : de nombreuses formes de jetons sont abstraites. Par


exemple, le cylindre et le disque lenticulaire représentent
respectivement une et dix (?) têtes de bétail. D’autres jetons offrent
des représentations arbitraires, par exemple une tête d’animal portant
un collier symbolise le chien.
7. Discontinuité : des jetons proches par la forme peuvent renvoyer à
des concepts sans rapport entre eux. Par exemple, le disque lenticulaire
représente 10 (?) animaux tandis que le disque plat renvoie à une grande
mesure de céréales.

8. Absence de système phonétique : les jetons sont des signes-concepts


représentant des denrées à l’unité. Ils ne dépendent pas d’une langue
parlée ou d’un système phonétique et peuvent donc être compris par
des personnes de langues différentes.

9. Syntaxe : les jetons sont disposés selon des règles préétablies. On sait
par exemple qu’on rangeait sur une même ligne les jetons de même type
avec les plus grands à droite.

10. Contenu économique : les jetons, comme les premiers textes écrits,
sont cantonnés au maniement d’informations concernant des denrées
tangibles. Ce n’est que plusieurs siècles plus tard, vers 2900 avant J.-C.,
que l’on commence à écrire pour enregistrer des événements
historiques ou rédiger des textes religieux.

Le principal défaut du système des jetons tient à sa présentation :


certes, son caractère tridimensionnel présente l’avantage de le rendre
tangible et facile à manier, mais le volume des jetons constitue
un inconvénient majeur. Bien qu’ils soient petits, les jetons deviennent
vite encombrants quand on les utilise en grande quantité. En
conséquence, comme le montre le petit nombre de jetons contenus dans
chaque enveloppe, le système est limité à la comptabilisation des denrées
en petite quantité. Par ailleurs, les jetons ne sont pas très bien adaptés au
stockage d’information dans la durée car un groupe de petits objets peut
facilement se trouver dispersé et ne saurait être conservé dans un ordre
donné pendant longtemps. Enfin, le système manque d’efficacité car
chaque denrée étant représentée par un jeton spécifique, le répertoire ne
cesse de s’allonger. En somme, parce qu’il se compose de jetons séparés et
en trois dimensions, le système suffit à la comptabilisation de transactions
portant sur de petites quantités de denrées diverses, mais il ne convient
pas pour transmettre des messages plus complexes ; aussi s’appuyait-on
sur d’autres – les sceaux notamment – pour identifier
le client/destinataire dans une transaction.
Les tablettes pictographiques à leur tour ont hérité des jetons leur
système de code à base de signes-concepts, leur syntaxe élémentaire et
leur contenu économique. Mais l’écriture a permis de dépasser les plus
grandes insuffisances du système des jetons grâce à quatre innovations
majeures. Premièrement, contrairement à une collection de jetons
tridimensionnels épars, les pictogrammes peuvent conserver
l’information indéfiniment. Deuxièmement, les tablettes peuvent traiter
des informations plus diversifiées car certaines parties de leur surface
sont réservées à la consignation de certaines données. Par exemple,
les signes désignant le garant/destinataire de la transaction sont
systématiquement placés au-dessous des symboles désignant les denrées.
Ainsi, le scribe pouvait transcrire des informations du type « 10 moutons
(reçus de) Kurlil » même s’il n’existait pas de signes correspondant aux
verbes ni aux prépositions. Troisièmement, l’écriture met fin à la nécessité
de répéter des symboles représentant des marchandises comme
« mouton » (ATU 761 / ZATU 571) ou « huile » (ATU 733 / ZATU 393) selon
une correspondance terme à terme. Les chiffres apparaissent et ces
nouveaux symboles placés à côté des signes correspondant à des denrées
en indiquent la quantité. Quatrièmement, l’écriture a détrôné le système
des signes-concepts en devenant phonétique, entraînant non seulement
la réduction du répertoire des symboles mais aussi l’ouverture de
l’écriture à tous les champs de l’expérience humaine.

Les premières traces de symboles visuels au Proche-Orient au cours de


la préhistoire remontent au Moustérien, entre 60 000 et 25 000 ans avant
J.-C. Ces symboles – offrandes funéraires et éventuellement peintures
corporelles – témoignent du fait que l’Homme de Néandertal avait élaboré
des rituels pour exprimer des concepts abstraits 32. Le plus ancien
témoignage de signes (?), sous forme de bâtons à encoches, date
également du Paléolithique moyen. En admettant que les données
archéologiques reflètent les faits, elles indiquent que les humains
recouraient au symbolisme à la fois dans leurs rituels et pour
la compilation d’informations concrètes.
Depuis ses débuts, environ 30 000 ans avant J.-C., l’évolution du
traitement de l’information au Proche-Orient préhistorique s’est faite en
trois grandes étapes, avec une progression dans le traitement de données
de plus en plus spécifiques. Premièrement, entre le Paléolithique moyen et
la fin du Paléolithique supérieur, soit entre 30 000 et 12 000 ans avant J.-C.,
le bâton de comptage renvoie à une denrée non spécifiée prise à l’unité.
Deuxièmement, au début du Néolithique, environ 8 000 ans avant J.-C.,
les jetons renvoient à une denrée spécifique prise à l’unité. Vers 3100
avant J.-C., au moment de l’essor des villes, l’invention de l’écriture
permet d’enregistrer et de communiquer le nom du garant/destinataire
de la marchandise, lequel était précédemment indiqué par des sceaux.
Les jetons du Néolithique constituent une seconde étape et
un tournant majeur dans le traitement de l’information. Ils ont hérité
des instruments du Paléolithique la méthode d’abstraction des données.
On peut attribuer au système des jetons le mérite d’avoir introduit l’usage
de signes pour le maniement des marchandises concrètes liées à la vie
quotidienne tandis que les symboles du Paléolithique servaient aux rituels
et les bâtons de comptage (peut-être) à enregistrer des données
temporelles. L’invention simple mais géniale de symboles en argile pour
représenter des concepts élémentaires a fourni le premier moyen de
relayer le langage et a ouvert de nouvelles voies, capitales pour
la communication, dans la mesure où ces concepts constituèrent l’arrière-
plan immédiat de l’invention de l’écriture.

1. INNIS, Harold A., Empire and Communication, Oxford, Clarendon Press, 1950, p. 11.
2. LANGER, Suzanne K., Philosophy in a New Key, Cambridge, Harvard University Press,
1960, p. 41-43.
3. BRUNER, Jerome S., « On Cognitive Growth II », dans BRUNER, Jerome S. et al., Studies in
Cognitive Growth, New York, John Wiley and Sons, 1966, p. 47.
4. Ibid., p. 31.
5. VANDERMEERSCH, B., « Ce que révèlent les sépultures moustériennes de Qafzeh en
Israël », Archeologia, 45, 1972, p. 12.
6. SOLECKI, Ralph S., Shanidar, Londres, Allen Lane, Penguin Press, 1972, p. 174-178.
7. VANDERMEERSCH, « Ce que révèlent les sépultures », p. 5.
8. DAVIS, Simon, « Incised Bones from the Mousterian of Kebara Cave (Mount Carmel)
and the Aurignacian of Ha-Yonim Cave (Western Galilee), Israel », Paléorient, 2, no I,
1974, p. 181-182.
9. Les sites concernés sont, entre autres, Ksar Akil, Yabrud II, Hayonim et Abu-Halka.
BAR-YOSEF, Ofer et BELFER-COHEN, Anna, « The Early Upper Paleolithic in Levantine
Caves », dans HOFFECKER, J. F. et WOLF, C. A. (dir.), The Early Upper Paleolithic : Evidence
from Europe and the Near East, BAR International Series 437, Oxford, 1988, p. 29.
10. DAVIS, « Incised Bones », p. 181-182.
11. COPELAND, Loraine et HOURS, Francis, « Engraved and Plain Bone Tools from Jiita
(Lebanon) and Their Early Kebaran Context », Proceedings of the Prehistoric society,
vol. 43, 1977, p. 295-301.
12. TIXIER, Jacques, « Poinçon décoré du Paléolithique Supérieur à Ksar’Aqil (Liban) »,
Paléorient, 2, no I, 1974, p. 187-192.
13. BAR-YOSEF, Ofer et GOREN, N., « Natufian Remains in Hayonim Cave », Paléorient, 1,
1973, fig. 8 (16-17).
14. PERROT, Jean, « Le Gisement natufien de Mallala (Eynan), Israël », L’Anthropologie, 70,
nos 5 et 6, 1966, fig. 22, p. 26. Un radius incisé provenant de Kharaneh IV, phase D,
date peut-être de la même période (Moujahed muheisen), « The Epipalaeolithic
Phases of Kharaneh IV », Colloque International CNRS, Préhistoire du Levant, 2, Lyon,
1988, p. 11, fig. 7.
15. HENRY, Donald O., « Preagricultural Sedentism : The Natufian Example », dans
DOUGLAS PRICE, T. et BROWN, James A. (dir.), Prehistoric Hunter-Gatherers, New York,
Academic Press, 1985, p. 376.
16. EDWARDS, Phillip C., « Late Pleistocene Occupation in Wadi al-Hammeh, Jordan
Valley », thèse de doctorat, Université de Sydney, 1987, fig. 4 (29), p. 3-8 ; SOLECKI,
Rose L., An Early Village Site at Zami Chemi Shanidar, Bibliotheca Mesopotamica, vol. 13,
Malibu (CA), Undena Publications, 1981, p. 43, 48, 50, pl. 8r, fig. 15p.
17. BELFER-COHEN, Anna et BAR-YOSEF, Ofer, « The Aurignacian at Hayonim Cave »,
Paléorient, 7, no 2, 1981, fig. 8.
18. BOSTANCI, Enver Y., « Researches on the Mediterranean Coast of Anatolia, a New
Paleolithic Site at Beldibi near Antalya », Anatolia, 4, 1959, p. 140, pl. 11.
19. BOSTANCI, Enver Y., « Important Artistic Objects from the Beldibi Excavations »,
Antropoloji, I, no 2, 1964, p. 25-31.
20. LEROI-GOURHAN, André, Préhistoire de l’art occidental, Paris, Mazenod, 1971, p. 119-121.
21. PEYRONI, Denis, Éléments de préhistoire, Ussel, G. Eyboulet et Fils, 1927, p. 54.
22. MARSHACK, Alexander, The Roots of Civilization, New York, McGraw-Hill, 1972.
23. ONG, Walter J., Orality and Literacy, New York, Methuen, 1982, p. 46.
24. MCLUHAN, Marshall, Understanding Media, New York, New American Library, 1964,
p. 81-90.
25. CAUVIN, Jacques, Les premiers villages de Syrie-Palestine du IXe au VIIe millénaire avant J.-C.,
Collection de la Maison de l’Orient Méditerranéen Ancien, no 4, Série Archéologique
3, Lyon, Maison de l’Orient, 1978, p. III ; CAUVIN, Jacques, « Nouvelles fouilles à
Mureybet (Syrie) 1971-72, Rapport préliminaire », Annales Archéologiques Arabes
Syriennes, 1972, p. 110.
26. BRAIDWOOD, Robert J., HOWE, Bruce et REED, Charles A., « The Iranian Prehistoric
Project », Science, 133, no 3469, 1961, p. 2008.
27. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « The Use of Clay before Pottery in the Zagros »,
Expedition, 16, no 2, 1974, p. 11-12 ; et « The Earliest Uses of Clay in Syria », Expedition,
19, no 3, 1977, p. 30-31.
28. REDMAN, Charles L., The Rise of Civilization, San Francisco, W. H. Freeman and
Company, 1978, p. 163, fig. 5-18 (A).
29. GELB, Ignace J., A Study of Writing, Chicago, University of Chicago Press, 1974, p. 65.
30. SMITH, Cyril, « A Matter of Form », Isis, 76, no 4, 1985, p. 586.
31. HOCKETT, C. F., « The Origin of Speech », Scientific American, 203, 1960, p. 90-91.
32. SCHACKLEY, M., Neandertal Man, Hamden (CT), Archon Books, 1980, p. 113.
CHAPITRE 6

Implications économiques et sociales


du système des jetons

À mesure qu’un système culturel donné s’institutionnalise et se


développe, il en résulte inévitablement une plus grande abstraction.
Raymond L. Wilder 1.

Dans ce chapitre, je montrerai en quoi la société a influé sur chacune


des étapes du développement des techniques de comptage au cours de
la préhistoire. Bâtons de comptage, jetons simples et complexes
différaient les uns des autres parce que chacun répondait aux besoins
d’une économie et d’une organisation sociale distinctes. L’écriture, en
revanche, est le résultat d’autres stimuli.

1. Outils de calcul et économie


La vie économique a influé sur les techniques préhistoriques de
comptage dans la mesure où les objets à compter étaient prescrits par elle.
Bâtons, jetons simples et jetons complexes permettaient de suivre
les mouvements d’éléments très divers : les premiers, les mouvements du
temps, les deux autres, ceux des produits agricoles et des produits
manufacturés.

1.1. CHASSE ET CUEILLETTE

Contrairement à une idée fausse très répandue, l’échange de denrées


semble n’avoir joué aucun rôle dans le développement des techniques de
comptage, sans doute parce qu’au cours de la période paléolithique,
denrées alimentaires et matières premières sont échangées sur la base de
la réciprocité et que ce type d’échange ne nécessite ni comptabilité ni
enregistrement 2. Il n’y a aucun lien apparent entre les bâtons ou jetons et
le commerce de l’obsidienne, qui s’effectue sur de longues distances. On
dispose de maints témoignages attestant que ce verre d’origine volcanique
s’échange déjà au Mésolithique, avant l’invention des jetons en argile.
Comme pour d’autres denrées, ces échanges ne nécessitent pas la tenue
d’une comptabilité car l’obsidienne est échangée ou offerte à titre de
cadeau lors de cérémonies 3. Les transactions sont effectuées de personne
à personne, comme pour les échanges locaux, et ne nécessitent pas
d’enregistrement 4.
Selon Alexander Marshack, la première chose que l’homme s’est mis à
compter est le temps, chaque encoche gravée sur un bâton représentant
l’une des phases de la lune 5. Cette théorie selon laquelle les bâtons de
comptage sont des calendriers est plausible dans la mesure où
l’observation de la lune permettait à des communautés dispersées de se
retrouver à intervalles réguliers afin de renforcer leurs liens et de célébrer
des rituels.

1.2. AGRICULTURE
Qu’est-ce qui a rendu nécessaire la tenue d’une comptabilité à partir
de 8000 avant J.-C. ? Le système des jetons créé à cette époque afin de
suivre les mouvements des denrées était entièrement nouveau.
Les premiers jetons d’argile sont pour la plupart simples et de forme
sphérique, conique, discoïdale ou cylindrique. Dans la mesure où
ces jetons semblent représenter des quantités de céréales et des têtes de
bétail à l’unité, on peut en conclure que céréales et troupeaux ont joué
un rôle primordial au commencement de la comptabilité.
Mureybet en Syrie apporte un témoignage convaincant sur le fait que
l’invention des jetons fut directement liée à la culture des céréales. Ce site,
occupé entre 8500 et 7000 avant J.-C., l’a d’abord été (niveaux I et II) par
une communauté de chasseurs-cueilleurs qui n’utilisaient pas de jetons en
argile. Ceux-ci apparaissent au niveau III, vers 8000 avant J.-C. et
coïncident avec les premiers pas de l’agriculture 6. L’apparition synchrone
des jetons et de la domestication des plantes au niveau de Mureybet III
n’est pas une coïncidence ; c’est même la preuve que l’agriculture a créé
le besoin d’une comptabilité. De fait, sur chacun des cinq sites où l’on a
trouvé les jetons les plus anciens, on trouve systématiquement
des témoins attestant que des céréales étaient récoltées ou stockées :
des lames de faucilles font partie des outils trouvés à Asiab et à Ganj
Dareh 7 et les silos sont une caractéristique importante de Mureybet III,
Cheikh Hassan et Tell Aswad 8.
Au cours du Néolithique, qu’ils soient locaux ou concernent de
longues distances, les échanges n’ont que peu d’impact sur les techniques
de comptage. On le voit au contraste frappant dans la répartition des sites
où l’on a trouvé de l’obsidienne et ceux où l’on a trouvé des jetons. Ganj
Dareh par exemple recelait des jetons mais pas d’obsidienne tandis que
Çatal Hüyük a livré une grande quantité d’obsidienne mais pas de jetons 9.

1.3. INDUSTRIE
Comme le montre la multiplication de nouveaux types et sous-types
de jetons représentant des produits manufacturés, l’industrie a fortement
stimulé le système des jetons au IVe millénaire. Les jetons complexes
figurent alors des produits finis typiques des ateliers urbains : textiles,
vêtements, récipients et outils ; des denrées travaillées, comme l’huile,
le pain, les gâteaux ou les canards apprêtés pour la cuisson ; les produits
de luxe comme le parfum, les métaux ou les bijoux.
Le développement des jetons complexes n’est cependant pas lié aux
échanges. Au contraire, le sondage profond d’Uruk ne fait apparaître
aucune correspondance entre le volume de matières premières importées,
comme l’albâtre, le silex, l’obsidienne et le cuivre, et la fréquence
des jetons 10. Bien que le temple fût probablement à l’origine de l’arrivée
de ces produits en provenance de marchés lointains, aucune archive ne
porte la trace de son implication.
Rien ne permet par ailleurs de penser que les jetons contenus dans
des enveloppes ou les signes imprimés sur des tablettes aient représenté
ces produits de luxe importés. Les témoins se composent essentiellement
de jetons simples et de signes imprimés représentant selon toute
vraisemblance des produits agricoles locaux de base comme les céréales et
le bétail. Les quelques jetons complexes (par exemple de forme
parabolique) présents dans les enveloppes d’Uruk représentent, semble-t-
il, des produits typiquement sumériens, notamment des vêtements.
De plus, ce sont en général de petites quantités qui sont traitées :
les jetons à l’intérieur des enveloppes représentent l’équivalent d’environ
cinq boisseaux de céréales ou cinq silà d’huile, autrement dit des quantités
trop faibles pour justifier des échanges à longue distance.
Tablettes à encoches et pictogrammes servent à traiter les mêmes
types de denrées que le système des jetons, et en quantités identiques ; ce
qui montre que l’écriture ne doit rien à un changement visible survenu
dans la sphère économique. À l’instar des enveloppes et des cordons
de jetons d’Habuba Kabira, les tablettes d’Uruk servent à enregistrer de
petites quantités de produits de base – céréales, animaux, huile,
vêtements, textiles 11.
En somme, l’essor de l’agriculture et de l’industrie a joué un rôle
majeur dans l’évolution du système des jetons. La culture des céréales est
directement liée à l’invention des jetons simples, comme les jetons
complexes sont liés aux premiers pas de l’industrie. Quant aux échanges,
ils n’ont joué aucun rôle manifeste dans la création de techniques de
comptage.

2. Outils de calcul et organisation sociale


L’organisation sociale a joué un rôle déterminant dans la façon dont
les humains se sont mis à compter. Elle constitue le facteur le plus
important après l’évolution de l’économie dans l’essor des techniques de
comptage préhistoriques.
Compter a deux fonctions principales : calculer et comptabiliser.
Calculer consiste à effectuer des opérations sur des nombres. Comptabiliser
consiste à tenir le compte des entrées et des sorties de marchandises. Ma
thèse est la suivante : le calcul (du temps) se pratiquait dans des sociétés
égalitaires tandis qu’il faut attribuer aux sociétés hiérarchisées et à l’État
la naissance de la comptabilité. En d’autres termes, le stockage
des céréales et la production d’articles manufacturés ne suffisent pas à
expliquer la naissance de la comptabilité : la structure sociale a joué
un rôle significatif.

2.1. SOCIÉTÉS ÉGALITAIRES


On ne dispose d’aucun témoin archéologique attestant de l’existence
d’une comptabilité au Paléolithique. Le fait n’est guère surprenant :
chasseurs et cueilleurs tirent essentiellement leur subsistance de leurs
prises au jour le jour et ne font guère de réserves 12. Une économie fondée
sur la chasse et la cueillette n’a donc pas besoin de comptabilité, non plus
que l’organisation sociale qui en découle. On suppose en effet que
les sociétés paléolithiques étaient égalitaires et que, comme dans
les sociétés de chasseurs-cueilleurs modernes, chaque individu recevait
une part des ressources communes en fonction de son statut (encore
une fois, la comptabilisation ou l’enregistrement des denrées étant
inutiles) 13. Il semblerait donc que les bâtons de comptage aient
pleinement répondu aux besoins des groupes du Paléolithique en termes
de calcul du temps – jusqu’à l’essor d’une organisation sociale formelle.

2.2. SOCIÉTÉS HIÉRARCHISÉES

Les jetons constituent le premier témoignage de l’existence d’une


comptabilité. Ils ne découlent pas de la seule agriculture, mais plutôt
des structures sociales qui en procèdent. J’emprunte le terme « société
hiérarchisée » (rank society) à Morton Fried pour parler des changements
organisationnels devenus nécessaires au maintien d’une stabilité au sein
des communautés villageoises agricoles 14. L’aspect le plus important de
ces changements sociaux pour ce qui nous concerne est la création d’une
élite pour superviser une économie de type redistributif 15. On admet en
général que la redistribution jouait un rôle majeur dans l’économie
des sociétés hiérarchisées dans lesquelles un chef s’occupait à la fois de
la collecte et de la redistribution 16. L’idée d’une implication directe
des jetons dans la mise en œuvre de ces fonctions est étayée par trois
ensembles de données : (1) le contexte des premiers jetons à Mureybet ;
(2) les jetons déposés dans les sépultures ; et (3) les témoignages textuels
et artistiques de la fin du IVe et du IIIe millénaire avant J.-C.

2.2.1. Les premiers jetons de Mureybet

À Mureybet, les premiers jetons coïncident avec l’essor de l’agriculture


et avec une croissance démographique considérable. Mureybet III est
passé d’un petit hameau d’un demi-hectare à un village de 2 ou 3
hectares 17. Il est difficile d’en évaluer la population, mais on estime que
cette communauté dépassait les trois cents individus, ce que l’on
considère comme étant le nombre maximum pour le maintien d’une
société de type égalitaire. Le premier assemblage de jetons de Mureybet
coïncide donc avec une organisation sociale nouvelle 18.

2.2.2. Des jetons comme offrandes funéraires

En raison de la rareté des jetons funéraires et de leur association avec


de riches dépôts funéraires comme avec des symboles de pouvoir, on sait
que les jetons n’appartenaient pas aux masses mais à une élite privilégiée.
La tombe 107 à Tépé Gawra, seule sépulture associée à un monument,
abritait sans doute un individu de premier plan 19. Le fait que ses offrandes
funéraires fussent réduites à six sphères indique que les jetons
constituaient en eux-mêmes des marques de prestige. L’utilisation
de jetons comme signes de prestige au cours de la préhistoire n’est pas
surprenante. En effet, l’aptitude à compter jouait certainement le même
rôle au cours de la préhistoire que la capacité à lire par la suite, en sorte
que les individus qui pratiquaient l’art de compter à cette époque
jouissaient du même prestige que celui des scribes par la suite.
Les dépôts de jetons isolés dans les tombes des enfants de Tell es-
Sawwan et de Tépé Gawra corroborent l’hypothèse assez répandue selon
laquelle ces enfants étaient ceux de membres de l’élite 20. En l’occurrence,
les jetons en question signifiaient peut-être que ces enfants étaient non
seulement destinés à occuper des positions de pouvoir mais aussi à être
initiés à l’art de compter. Le statut élevé des administrateurs dans
le monde pré-scripturaire n’est pas propre au Proche-Orient ancien, c’est
au contraire un phénomène répandu. En fait, l’utilisation d’instruments de
comptage comme signes de prestige dans des contextes funéraires est
une tradition que l’on retrouve dans des sociétés très éloignées ; les Incas
du Pérou par exemple avaient coutume d’enterrer leurs dignitaires avec
leurs quipus 21.

2.2.3. Témoignages textuels

Le système des jetons a permis l’instauration d’une économie


redistributive. Les tablettes économiques des IVe et IIIe millénaires avant
J.-C. permettent de comprendre en quoi les jetons préhistoriques ont joué
un rôle identique à celui de l’écriture par la suite.

2.2.4. IIIe millénaire avant J.-C.

Pendant la période dite des « Dynasties archaïques », l’écriture sert à


l’administration du temple et du palais. Les tablettes de Tello, par
exemple, enregistrent dans leurs moindres détails les mouvements
d’entrée et de sortie des marchandises pour le palais et les temples 22.
Les entrées proviennent de la production des domaines et des offrandes
des fidèles. Les dépenses correspondent d’une part aux rations d’orge, de
bière et autres marchandises allouées aux membres de la famille royale et
aux personnes dépendantes du Temple, et d’autre part aux sacrifices, à
l’achat de fourrage pour les troupeaux, et ainsi de suite. Ainsi la fonction
la plus évidente de l’écriture consiste à comptabiliser les ressources issues
du Palais et du Temple et à enregistrer leur redistribution.
L’écriture a une autre fonction, plus importante encore que
la première : une fonction de contrôle. Les tablettes sont des récépissés
officiels délivrés en échange de marchandises remises par des individus ou
des associations de marchands. Ces récépissés indiquent (1) la nature et
la quantité des denrées reçues ainsi que (2) le nom du donateur, (3) la date
de livraison, c’est-à-dire le nom de la fête célébrée au temple en l’honneur
d’une divinité, et (4) le nom de l’administrateur les ayant réceptionnées. Il
semble désormais établi que ce que l’on désignait comme des offrandes
aux dieux, et dont on dressait des listes sur des tablettes, était en fait
des contributions obligatoires. Les dignitaires, par exemple, devaient
offrir un agneau ou un chevreau lors de célébrations mensuelles au
temple, tandis que les pêcheurs devaient apporter une quantité bien
précise de poisson 23. Les récépissés permettaient aux dirigeants de
déterminer la quantité de denrées à fournir de la part de la communauté
et d’en garantir la livraison. L’écriture permettait donc au dirigeant de
contrôler de manière effective les entrées d’actifs. En plaçant
les administrateurs dans une situation où ils avaient à rendre compte
des denrées reçues, les récépissés leur conféraient également la maîtrise
de la redistribution de ces marchandises. En d’autres termes, grâce à
l’écriture, les rois du IIIe millénaire avant J.-C. exerçaient un contrôle total
sur les ressources communes. Elle est l’épine dorsale de l’économie
redistributive qui fit la prospérité de Sumer.

2.2.5. La période de Djemdet-Nasr

Comme les textes économiques du IIIe millénaire, les textes d’Uruk III,
ou de la période de Djemdet-Nasr (entre 3000 et 2900 avant J.-C.), servaient
à contrôler les entrées et sorties de biens collectifs. À Uruk, les tablettes
appartiennent au temple de la déesse Inanna. Comme les tablettes de
Tello, elles mentionnent (1) de petites quantités de biens, (2) le nom d’une
personne, sans doute celui du donateur, (3) le symbole d’un dieu, sans
doute celui qui était honoré lors de la fête à l’occasion de laquelle
l’offrande était faite, et (4) un service administratif identifié par un sceau.

2.2.6. La période d’Uruk

Qu’ils soient enfilés sur des cordons ou enfermés dans des enveloppes,
il est évident que les jetons du IVe millénaire partageaient avec
les tablettes une même fonction de contrôle dans une économie de type
redistributif. Jetons et tablettes pictographiques appartenaient aux
mêmes édifices cultuels et traitaient des mêmes biens dans les mêmes
quantités. À Uruk, tablettes, enveloppes et jetons appartenaient tous à
l’enceinte de l’Eanna. Les symboles utilisés sur les deux types de support
renvoient aux mêmes marchandises, essentiellement des céréales,
des animaux, des textiles et des vêtements. Le petit nombre de jetons
contenus dans chaque enveloppe correspond aux petites quantités de
denrées mentionnées sur les tablettes du IIIe millénaire.
Les témoignages textuels de la période proto-scripturaire attestent
qu’avant la royauté, le système redistributif du Proche-Orient reposait sur
quatre grandes composantes : (1) une idéologie religieuse, (2) une classe
dirigeante gérant à la fois la collecte et la redistribution, (3) une main-
d’œuvre dégageant des surplus, et (4) une technique de calcul permettant
d’administrer/contrôler les biens. Comme les tablettes cunéiformes du
IIIe millénaire, les pictogrammes assuraient un accès privilégié aux biens
collectifs et au pouvoir.

2.2.7. Témoignages artistiques

L’apport d’offrandes est un leitmotiv de l’art sumérien du


IIIe millénaire avant J.-C. que l’on retrouve sur les tablettes cunéiformes.
Les bas-reliefs montrent le roi et sa reine (?) banquetant tandis que
des personnages du peuple apportent des offrandes sous forme d’animaux
sur pied ou de jarres contenant des denrées. La scène reproduite dans
la figure 29 représente probablement une cérémonie qui se déroulait tous
les mois au temple et au cours de laquelle des offrandes étaient apportées
en l’honneur de divinités du panthéon sumérien. En d’autres termes,
le motif représenté sur ce bas-relief met en scène les interactions entre
Temple, roi et peuple au sein d’une économie redistributive 24.
Le célèbre vase d’Uruk III ne laisse aucun doute sur le fait que
l’économie de la redistribution était déjà ritualisée à la fin du
IVe millénaire avant J.-C. On y voit une procession de fidèles nus portant
des jarres et des paniers et suivant le roi-prêtre, l’En. En costume de fête,
vêtu d’un long pagne, l’En se dirige vers la porte du temple d’Inanna où
les biens accumulés sont présentés (fig. 30).
Les sceaux de la période d’Uruk attestent à leur tour qu’une économie
redistributive était déjà en place 3 500 ans avant J.-C. : inlassablement, ils
déroulent leurs files de personnages venant apporter nourritures et biens
précieux au temple 25 tandis que le roi-prêtre apporte un animal. Ces
images sont la preuve que l’économie redistributive du Temple
fonctionnait déjà parfaitement à cette époque.
En somme, l’art et les textes en cunéiforme du IIIe millénaire avant J.-
C. (qui est le mieux connu) nous donnent accès à la signification et
à la fonction des textes plus énigmatiques qui ont précédé l’écriture et à
celles des jetons encore antérieurs. La représentation de banquets et de
dépôts d’offrandes sous diverses formes artistiques indique que, entre
3500 à 2500 avant J.-C., l’économie sumérienne repose sur
la redistribution, laquelle s’appuie sur trois éléments principaux : (1)
un temple qui donne une signification et un cadre cérémoniel au don ; (2)
une élite qui administre les ressources collectives ; et (3) un peuple qui
produit des denrées en surplus et les remet au Temple. Cette économie
redistributive repose sur un système d’enregistrement des mouvements
sans lequel elle n’aurait pas pu fonctionner. Au IIIe millénaire avant J.-C.,
c’est l’écriture cunéiforme qui remplit cette fonction, auparavant celle de
l’écriture pictographique et des jetons.

Fig. 29. Plaque perforée, Khafaje (A 12417), Irak ; d’après Pierre


Amiet, La Glyptique mésopotamienne archaïque, Paris, Éditions
du CNRS, 1980, pl. 93 (1222).
Fig. 30. Vase sculpté, Uruk, Irak ; d’après André Parrot, Sumer,
Paris, Gallimard, 1960, fig. 89.

2.3. L’ÉTAT

Les jetons simples sont liés à l’essor d’une société hiérarchisée, mais
c’est l’avènement de l’État qui fait éclore le phénomène des jetons
complexes. Les jetons complexes relèvent de l’institution sacerdotale
mésopotamienne et coïncident avec certains changements socio-
économiques – architecture monumentale, monopole de la force et
constitution d’une administration – qui supposent des stratégies nouvelles
de mise en commun des ressources de la communauté.

2.3.1. Jetons complexes et essor du Temple en Basse-


Mésopotamie
La chronologie des jetons complexes telle que la fait apparaître
le sondage profond de l’Eanna révèle que les jetons complexes sont arrivés
avec le temple d’Uruk et ont disparu avec lui. Les premiers jetons
complexes coïncident avec l’établissement du sanctuaire et la décoration
des édifices publics avec des mosaïques de cônes. Le système est à son
apogée à l’époque où l’enceinte connaît elle-même sa période la plus
fastueuse. Enfin, la disparition des jetons coïncide avec la destruction de
l’Eanna, au niveau IVa. Le lien direct entre ce nouveau dispositif
comptable que sont les jetons complexes et l’essor du Temple
mésopotamien est significatif dans la mesure où il met en évidence le fait
que le système des jetons a joué un rôle dans l’essor de l’État.

2.3.2. Redistribution et introduction de la fiscalité

L’avènement de l’institution sacerdotale a induit une transformation


majeure de l’économie redistributive en introduisant une fiscalité, c’est-à-
dire l’obligation pour tout individu et toute corporation d’apporter au
temple une quantité déterminée de biens en nature sous peine de
sanctions. Les jetons complexes ont joué un rôle dans la collecte
des impôts et du tribut ; un rôle typique des économies étatisées.

2.3.3. Architecture monumentale

L’architecture monumentale exigeait un saut quantitatif pour ce qui


est des ressources collectives disponibles ; elle l’obtint grâce à un système
d’imposition. Le « Temple aux cônes de pierre » d’Uruk, aux niveaux VI-V
de l’Eanna, avec ses mosaïques de pierre colorées ou le « Temple calcaire »
au niveau V ont nécessité de grandes dépenses en matériaux. Il n’est donc
pas surprenant que les premières structures monumentales aient coïncidé
avec de nouvelles méthodes de mise en commun et de gestion des surplus
s’appuyant sur une comptabilité plus précise. La construction des édifices
publics nécessitait par ailleurs une main-d’œuvre importante et par
conséquent de nouvelles méthodes de contrôle de celle-ci, notamment par
l’imposition de corvées (accomplies par les individus en échange d’un
faible salaire, voire gratuitement, ou bien en lieu et place du paiement de
l’impôt).

2.3.4. Évolution des formes de pouvoir : le monopole


de la force

Le prélèvement d’impôts suppose également un système coercitif


permettant d’assurer leur perception. Le Temple de Basse-Mésopotamie
fut le catalyseur qui donna naissance à un nouveau genre de dirigeant :
un dirigeant ayant le pouvoir de punir. Cette évolution cruciale du pouvoir
politique est illustrée par des empreintes de sceaux montrant des hommes
nus, les mains attachées dans le dos, recevant des coups de bâton en
présence de l’En (fig. 31) 26. Ce motif a souvent été tenu pour
une représentation de prisonniers de guerre, or les personnages ne
portent pas les coiffures singulières par lesquelles se signalaient
les étrangers dans l’art sumérien, aussi peut-on interpréter cette scène
comme la représentation des punitions à prévoir pour garantir que
le temple reçoive son dû.
Fig. 31. Châtiments corporels, empreinte de sceau-cylindre, Uruk,
Irak ; d’après Pierre Amiet, La Glyptique mésopotamienne archaïque,
Paris, Éditions du CNRS, 1980, pl. 47 (660-661).

2.3.5. L’essor de l’administration

Le prélèvement de l’impôt a accru la nécessité de rassembler, de


manier et de stocker davantage de données avec plus de précision. Ainsi
s’explique l’apparition de nouvelles méthodes de contrôle
des marchandises : jetons complexes, enveloppes, bulles, sceaux-cylindres,
et enfin un système de poids et mesures.
Au IVe millénaire, la fiscalité fait peser de nouvelles obligations sur
l’administration, auxquelles les jetons complexes lui permettent de
répondre. Grâce à ce nouveau système fondé sur l’utilisation d’une plus
grande variété de jetons, il est désormais possible de tenir un compte plus
exact de ce qui doit revenir au Temple. Les jetons complexes indiquent
avec précision l’espèce, l’âge et le sexe des animaux. Ils permettent par
exemple de distinguer les béliers des brebis et des agneaux tandis que
les cylindres simples indiquaient un nombre d’animaux sans les spécifier.
Les jetons complexes enregistrent des quantités de blé ou d’orge tandis
que les cônes et les sphères simples ne représentaient que des quantités
de céréales. La multiplication des formes de jetons ainsi que de leurs
marques dénote par ailleurs un saut quantitatif dans le nombre d’articles
pris en compte. Ces nouvelles formes dévoilent la nature des denrées
prélevées à titre d’impôt : produits élaborés (pain, huile, canards
apprêtés), produits manufacturés (laine, tissu, vêtements, tapis, corde,
meubles et outils) ou encore denrées précieuses (parfum et métal). Ce qui
est nouveau, ce ne sont pas les produits en question bien évidemment –
pain, huile, vases, haches ou parfum existent depuis longtemps –, c’est en
revanche le fait que produits finis et produits manufacturés sont
désormais comptabilisés, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Ce qui est plus important encore, c’est que le prélèvement des impôts
imposait que l’on tînt compte de ce qui n’avait pas été porté au temple, de
ce qui lui restait dû. La prise en compte des tributs non perçus amplifia
le besoin de disposer d’archives, ce qui explique peut-être l’invention
des enveloppes et des bulles. Ainsi les comptes conservés correspondaient
peut-être à des paiements à effectuer ultérieurement, par exemple après
la moisson. Cela expliquerait aussi le grand nombre de cachets apposés sur
chaque enveloppe en fonction des diverses autorisations qu’il fallait
obtenir des divers échelons de la hiérarchie administrative avant de
pouvoir différer un paiement. Selon l’hypothèse d’Enrica Fiandra,
les deux, trois et quatre cachets apposés sur certaines enveloppes et bulles
pourraient correspondre aux signatures de personnes placées à divers
niveaux de la hiérarchie, par exemple le comptable, le contrôleur, son
supérieur et enfin le surintendant 27.
Le système des jetons n’a pas évolué isolément mais concomitamment
avec une transformation majeure dans la façon de sceller
les marchandises : le remplacement des cachets par les sceaux-cylindres.
L’empreinte continue laissée par les sceaux-cylindres était plus efficace
pour authentifier les marchandises et les enregistrements tandis que
la représentation de scènes entières ouvrait de nouvelles possibilités pour
la transmission des informations.
Enfin, la création de poids et de mesures au cours de la période d’Uruk
atteste d’un plus grand souci de précision dans la gestion
des marchandises 28. Thomas W. Beale a montré que les écuelles à bord
biseauté, trouvées par milliers sur les principaux sites du IVe millénaire,
servaient de mesures 29. Toutes ces innovations administratives répondent
sans aucun doute aux profonds changements socio-économiques qui ont
accompagné la naissance de l’État, et en particulier, au besoin de faire
respecter l’obligation de payer un tribut en nature au temple.

2.3.6. La levée du tribut

Les jetons complexes avaient cours non seulement en Mésopotamie


mais aussi en Élam et en Syrie. Dans ces trois régions cependant,
le phénomène est circonscrit à certains sites comme ceux de Suse et
d’Habuba Kabira, lesquels ont en commun la même architecture
monumentale ornée de mosaïques de cônes 30, les mêmes sceaux-cylindres
représentant l’En, mais aussi des écuelles à bord biseauté, des enveloppes
et des bulles. Cet assemblage administratif caractéristique d’Uruk signale
une présence mésopotamienne dans les pays voisins et désigne
probablement les lieux qui payaient un tribut au Temple de Basse-
Mésopotamie. La splendeur de l’Eanna V et VI peut s’expliquer par l’afflux
de contributions en provenance des régions voisines, et on peut sans
grand risque supposer que jetons complexes, enveloppes et bulles ont joué
un rôle dans le paiement de ce tribut.
En résumé, la fonction des bâtons de comptage et des jetons reflète
le système économique et politique des cultures où ils étaient en usage.
Alors que les sociétés de chasseurs-cueilleurs pouvaient se contenter de
calculs simples, l’économie redistributive du Proche-Orient ancien rendit
nécessaire le recours à une véritable comptabilité. Les jetons simples que
l’on utilisait pour la mise en commun des ressources de la communauté
dans les économies pré-urbaines n’étaient plus appropriés à une gestion
étatisée naissante. On leur préféra les jetons complexes car ils rendaient
plus efficace et plus précis le maniement de volumes de biens toujours
plus importants en raison de l’imposition de taxes et de la levée de tributs.

1. WILDER, Raymond L., Mathematics as a Cultural System, New York, Pergamon Press,
1981, p. 30.
2. EARLE, Timothy K. et ERICSON, Jonathan E., Exchange Systems in Prehistory, New York,
Academic Press, 1977, p. 227 ; WRIGHT, Gary A., Obsidian Analyses and Prehistoric Near
Eastern Trade : 7500 to 3500 B.C., Anthropological Papers no 57, Ann Arbor, Museum of
Anthroplogy, University of Michigan, 1969, p. 3.
3. CRAWFORD, Harriet, « The Mechanics of Obsidian Trade : A Suggestion », Antiquity, 2,
1979, p. 130.
4. BARTH, Fredrick, Nomads of South Persia, Oslo, Oslo University Press, 1961, p. 99 ;
GOODY, Jack, The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, Cambridge University
Press, 1978, p. 15.
5. MARSHACK, Alexander, The Roots of Civilization, New York, McGraw-Hill, 1972.
6. CAUVIN, Jacques, Les premiers villages de Syrie-Palestine du IXe au VIIe millénaire avant J.-C.,
Collection de la Maison de l’Orient Méditerranéen Ancien, no 4, Série Archéologique
3, Lyon, Maison de l’Orient, 1978, p. 74.
7. BRAIDWOOD, Robert J., « Seeking the World’s First Farmers in Persian Kurdistan »,
Illustrated London News, 22 octobre 1960, p. 695 ; SMITH, Philip E. L., « Prehistoric
excavations at Ganj Dareh Tepe in 1967 », Vth International Congress of Iranian Art and
Archeology, Téhéran, 1968, p. 187.
8. CAUVIN, Les premiers villages, p. 40, 41-42 ; CONTENSON, Henri de, « Tell Aswad
(Damascène) », Paléorient, 1979, p. 153-154.
9. SMITH, « Prehistoric excavations », p. 186 ; MELLAART, James, Çatal Hüyük, New York,
McGraw-Hill, 1967.
10. SÜRENHAGEN, Dietrich, voir vol. I, BW, p. 67, fig. 34.
11. NISSEN, Hans J., « The Archaic Texts from Uruk », World Archeology, 17, no 3, 1986,
p. 326.
12. MEILLASSSOUX, Claude, « On the Mode of Production of the Hunting Band », dans
ALEXANDRE, Pierre (dir.), French Perspectives in African Studies, Londres, Oxford
University Press, 1973, p. 189, 194.
13. COHEN, Mark Nathan, « Prehistoric Hunter-Gatherers : The Meaning of Social
Complexity », dans DOUGLAS PRICE, T. et BROWN, James A. (dir.), Prehistoric Hunter-
Gatherers, New York, Academic Press, 1985, p. 99 ; MEILLASSSOUX, « On the Mode of
Production », p. 194.
14. FRIED, Morton H., The Evolution of Political Society : An Essay in Political Anthropology,
New York, Random House, 1967, p. 109.
15. COHEN, « Prehistoric Hunter-Gatherers », p. 105.
16. REDMAN, Charles L., The Rise of Civilization, San Francisco, W. H. Freeman and
Company, 1978, p. 203.
17. CAUVIN, Les premiers villages, p. 43.
18. AURENCHE, Olivier, et al., « Chronologie et organisation de l’espace dans le Proche-
Orient », Préhistoire du Levant, Colloque CNRS no 598, Lyon, 1980, p. 1-11.
19. TOBLER, Arthur J., Excavations at Tepe Gawra, vol. 2, University Museum Monographs,
Philadelphie, University of Pennsylvania, 1950, p. 60.
20. REDMAN, Rise of Civilization, p. 197.
21. ASCHER, Marcia et Robert, Code of the Quipu, Ann Arbor, University of Michigan Press,
1981, p. 63.
22. ROSENGARTEN, Yvonne, Le Concept sumérien de consommation dans la vie économique et
religieuse, Paris, E. de Boccard, 1960.
23. MAEDA, Tohru, « On the Agricultural Festivals in Sumer », Acta Sumerologica, 5, no I,
1979, p. 24-25 ; ROSENGARTEN, Le Concept sumérien, p. 255.
24. TROUWORST, Albert A., « From Tribute to Taxation : On the Dynamics of the Early
State », dans CLAESSEN, Henri J. M. et VELDE, Pieter van de (dir.), Early State Dynamics,
Leyde, E. J. Brill, 1987, p. 133.
25. AMIET, Pierre, La Glyptique mésopotamienne archaïque, Paris, Éditions du CNRS, 1980,
p. 434, pl. 46 (656) ; p. 499, pl. 120 (1606-1607, 1609).
26. BRANDES, Mark A., Siegelabrollungen aus den archaischen Bauschichten in Uruk-Warka,
Freiburger altorientalische Studien, vol. 3, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1979,
2e partie, pl. 1-11.
27. FIANDRA, Enrica, « The Connection between Clay Sealings and Tablets in
Administration », South Asian Archeology, 1979, p. 36-38.
28. POWELL, Marvin A., Jr., « Sumerian Numeration and Metrology », thèse de doctorat,
University of Minnesota, 1971, p. 208.
29. BEALE, Thomas W., « Beveled Rim Bowls and Their Implications for Change and
Economic Organization in the Later Fourth Millennium B. C. », Journal of Near Eastern
Studies, 37, no 4, 1978, p. 291-292.
30. UVB 2, fig. 16-17 ; GENOUILLAC, Henri de, Fouilles de Telloh, vol. 1 : Époques
présargoniques, Paris, Paul Geuthner, 1934, p. 64 ; M 46, p. 151 et pl. 89 ; DELOUGAZ, P. et
KANTOR, Helene J., « New Evidence for the Prehistoric and Protoliterate Culture
Development of Khuzestan », The Memorial Volume of the Vth International Congress of
Iranian Art and Archeology, vol. 1, Téhéran, 1972, p. 27 ; FINET, André, « Bilan provisoire
des fouilles belges du Tell Kannas », Annual of the American Schools of Oriental Research,
44, 1979, p. 93.
CHAPITRE 7

Du comptage à l’émergence de l’écriture

Les mathématiques font bien sûr partie de la culture. De même qu’il


hérite de ses prédécesseurs et des contemporains qu’il côtoie
des coutumes relatives à la cuisine ou au mariage et des pratiques
religieuses, chaque peuple hérite aussi de manières de compter, de
calculer et de tout ce que les mathématiques permettent de faire […]
Qu’il compte en base cinq, dix, douze ou vingt ; qu’il ne dispose pas
de nombres cardinaux au-delà de cinq ou qu’au contraire, il possède
les concepts mathématiques les plus modernes et les plus complexes,
le comportement mathématique d’un peuple est déterminé par sa
culture mathématique.
Leslie A. White 1.

Dans ce chapitre, je montrerai que tout dispositif de calcul est


déterminé par une manière de compter. Les bâtons de comptage,
les jetons et l’écriture reflètent trois grandes étapes dans la manière de
compter : (1) la correspondance terme à terme ; (2) les méthodes de
comptage concrètes ; et (3) le comptage abstrait. Enfin, je ferai l’hypothèse
que l’écriture découle du comptage abstrait.
Avant d’entamer mon analyse, il me faut définir quelques termes de
base. La façon dont nous comptons aujourd’hui est abstraite. Les nombres
1, 2 et 3 par exemple expriment les concepts d’unicité, de binarité et de
trinité en tant qu’entités abstraites distinctes de toute entité concrète
particulière. 1, 2 et 3 tels que nous les connaissons sont donc
universellement applicables. Les chiffres sont des signes écrits – 1, 2 et 3
par exemple. Les noms de nombre nous servent à exprimer ces concepts
dans une langue donnée : par exemple, « one », « two », « three » en
anglais ; « un », « deux », « trois » en français. Les nombres concrets
renvoient à des concepts, comme « jumeau », qui amalgament la notion du
nombre et celle de l’objet compté.

1. Méthodes de comptage
Raymond Wilder fait partie de ces historiens des mathématiques qui
considèrent que notre façon de compter résulte d’un long processus
d’évolution 2. À la suite de Bertrand Russell, selon lequel « il a fallu
une éternité pour que l’on découvre qu’un couple de faisans et une paire
de chaussures 3 étaient deux instances du nombre 2 » 4, Wilder, parmi
d’autres, avance l’hypothèse que le comptage abstrait fut précédé par
d’autres méthodes plus archaïques 5.

1.1. UN, DEUX, BEAUCOUP

Si l’on en croit l’anthropologie et la linguistique, notre sens


des nombres est très vague au départ ; nous ne serions en effet pas
capables de différencier des groupes de plus de trois éléments. Cette idée
est corroborée par le fait que, jusqu’au siècle dernier, dans certaines
sociétés réparties en divers endroits du globe, la langue ne comportait pas
plus de trois noms de nombre : « un », « deux » et « beaucoup ». Les Vedda
du Sri Lanka par exemple ne possédaient qu’un petit nombre de termes
relatifs aux nombres : « un seul », « une paire », « un de plus » et
« beaucoup » 6.

1.2. LA CORRESPONDANCE TERME À TERME

Les Vedda « comptaient » en fonction de ce qui leur était nécessaire


pour faire face à leurs besoins quotidiens : ils comptaient selon
une correspondance terme à terme. Lorsqu’une personne voulait compter
des noix de coco, elle rassemblait des bâtonnets. Il y avait un bâtonnet
pour chaque noix de coco : une noix de coco = un bâtonnet. Pour chaque
nouveau bâtonnet, elle comptait « et un de plus » jusqu’à ce que toutes
les noix de coco aient été prises en compte. Elle pouvait ensuite montrer
sa pile de bâtonnets et déclarer : « Autant que cela ». L’exemple des Vedda
est éclairant car il illustre une méthode de comptage élémentaire qui ne
nécessite pas de système numéral.

1.3. LE COMPTAGE CONCRET

Pour parvenir à compter au-delà de trois, les diverses sociétés ont


suivi des méthodes et des rythmes différents, en sorte qu’il a existé
une multiplicité de systèmes de comptage. Parmi ces systèmes,
le comptage corporel – qui consiste à désigner les doigts, le poignet,
l’épaule, la tête, le nez, etc. pour exprimer différents nombres – est encore
en usage dans certaines cultures 7. Le comptage concret est un système de
comptage archaïque répandu dans lequel « un », « deux », « trois », etc.
sont liés aux objets comptés, ce qui signifie qu’aux différents objets
comptés correspondent différents noms de nombre. Franz Boas a étudié
des cultures dans lesquelles on utilisait des nombres différents pour
compter des humains, des kayaks, des objets longs, plats, ronds ou bien
des unités de temps ou de mesure, ou encore d’autres objets 8. Igor
Diakonoff décrit des sociétés qui n’utilisaient pas moins de 24 classes de
nombres 9. La complexité des méthodes de comptage concrètes était
parfois redoublée du fait que chaque système numéral pouvait avoir
une base différente. Ainsi Jack Goody raconte que lorsqu’il demanda à son
informateur LoDagaa (nord du Ghana) de compter, celui-ci lui répondit :
« Compter quoi ? », car dans sa culture on ne comptait pas les vaches
comme on comptait les coquillages 10.

1.4. LE COMPTAGE ABSTRAIT

La difficulté pour manier des données par l’intermédiaire d’une


correspondance terme à terme, du comptage corporel ou du comptage
concret met en relief les avantages de notre propre système de calcul.
Dans notre société, 1, 2, 3, etc. expriment des nombres indépendamment
des objets comptés. Humains, kayaks, arbres, tout ce qui existe et même ce
qui est imaginaire se compte avec les mêmes nombres. Tandis que
le comptage concret ne permettait probablement pas de compter au-delà
d’une vingtaine d’objets, le comptage abstrait n’a pas de limites. On peut
compter toutes les étoiles de l’univers et tous les grains de sable de
la plage, on peut même additionner les premières aux seconds, ce qui était
absolument impossible avec le comptage concret qui était cantonné au
maniement d’un seul type de données à la fois et avec lequel il était donc
impossible d’ajouter des triplés à des trios.

2. Témoignages philologiques dans


la langue sumérienne
En quoi tout cela s’applique-t-il aux bâtons de comptage et
aux jetons ? Que savons-nous des méthodes de comptage au Proche-Orient
ancien ? Les textes du IIIe millénaire avant J.-C., que l’on comprend assez
bien, révèlent sans aucun doute possible qu’au moins dès cette époque
les Sumériens comptaient de manière abstraite, exactement comme nous
le faisons aujourd’hui.

2.1. SYSTÈMES DE NUMÉRATION TERNAIRE

Il semble pourtant que la langue sumérienne contienne les vestiges de


systèmes de comptage archaïques utilisés antérieurement. Plusieurs traits
propres au système de comptage sumérien indiquent que, dans d’autres
sociétés, « trois » avait sans doute représenté un obstacle majeur qu’il
avait fallu surmonter en Mésopotamie ancienne 11. Par exemple, le fait que
dans le système de numération principal, /eš/ = « trois » et /eš/
morphème du pluriel soient identiques 12, a été interprété comme étant
le reflet d’un passé lointain et révolu où l’on ne comptait pas au-delà de
« trois », qui signifiait également « beaucoup ».
À Sumer, l’existence de plusieurs types de numération fondés sur
un système ternaire 13 est l’indice qu’au Proche-Orient, le système de
comptage abstrait a peut-être été précédé par un système archaïque
concret fondé sur l’utilisation de numérations différentes pour compter
des articles différents. Ces diverses formes de numération sont
les suivantes 14 :
1. merga = « un »
2. taka = « deux » (non attesté)
3. peš = « trois »
4. pešbala = « trois passé »
5. pešbala = « trois passé un »
6. pešbalagege = « trois passé un un »
7. pešpešge = « trois trois un » 15.

1. ge = « un »
2. dah = « deux »
3. PEŠ = « trois »
4. PEŠ-ge = « trois + un »
5. PEŠ-bala-gi4 = « trois passé un »
6. PEŠ-bala-gi4-gi4 = « trois passé un un »
7. PEŠ-PEŠ-gi4 = « trois trois un ».

1. be = « un »
2. be-be = « un un »
3. PEŠ = « trois »
4. PEŠ-be = « trois un »
5. PEŠ-be-be = « trois un un »
6. PEŠ-PEŠ = « trois trois »
7. PEŠ-PEŠ-be = « trois trois un »
12 PEŠ-PEŠ-PEŠ-PEŠ = « trois trois trois trois »

2.2. MULTIPLICITÉ DES NOMS DE NOMBRES


Marvin Powell a relevé la multiplicité des expressions utilisées pour
rendre « un », « deux » et « trois ». Il a remarqué que les textes lexicaux
comportaient sept équivalents sumériens du terme akkadien išten = un :
« aš », « santak3 », « dis » 16, « deli », « be », « giš » et « ge » 17. Il existe aussi
plusieurs formes correspondant à « 2 » (« min » et « man », « taka »,
« dah » et « be-be »), et deux formes correspondant à « 3 » (« eš » et
« peš »). Powell avance que ces différents noms de nombres attestés dans
les textes sumériens pourraient correspondre à plusieurs dialectes 18.
Diakonoff pour sa part voit dans la multiplicité des noms de nombre
dans la langue sumérienne la trace possible d’une tradition révolue où l’on
comptait de manière concrète. Après avoir comparé les différentes formes
de noms de nombres à des formes de numération concrète, il émet
l’hypothèse que le comptage concret a pu précéder le comptage abstrait
en Mésopotamie. Le raisonnement de Diakonoff est corroboré par le fait
que plus les textes sumériens sont anciens, plus leurs systèmes numéraux
sont complexes 19. Comme l’a montré A. A. Vaiman, les tablettes du
IVe millénaire à Uruk font appel à des séquences numérales différentes
selon qu’il s’agit de noter des superficies, des poids, des volumes ou
des mesures de capacité – ou même des quantités de blé, d’orge,
d’animaux domestiques, d’esclaves ou des unités de temps 20. À sa suite,
Hans J. Nissen, Peter Damerow et Robert K. Englund ont repéré dans
les textes archaïques d’Uruk treize systèmes de signes numéraux
différents, les uns en système décimal, les autres en système
sexagésimal 21. Dans ces conditions, l’idée que le recours à différents signes
pour enregistrer des quantités de marchandises de nature différente est
lié à des prononciations dialectales paraît forcément erronée. De plus,
Vaiman, et à sa suite Jöran Friberg, ont démontré que la multiplicité
des signes utilisés pour enregistrer différentes quantités de denrées
n’était pas un phénomène exclusivement sumérien puisqu’on la trouvait
aussi dans l’écriture proto-élamite 22. Cela laisse à penser qu’au Proche-
Orient comme dans d’autres parties du monde, le comptage concret a
précédé l’invention du comptage abstrait.

3. Données archéologiques proche-


orientales
Les sites archéologiques du Proche-Orient de la période comprise
entre 15 000 et 3 000 ans avant J.-C. ont livré une remarquable série de
dispositifs de calcul qui semble confirmer l’hypothèse selon laquelle
la correspondance terme à terme et le comptage concret ont précédé
le comptage abstrait au Moyen-Orient.

3.1. LES BÂTONS DE COMPTAGE DU PALÉOLITHIQUE

Les os à encoches du Paléolithique, utilisés au Proche-Orient entre


15 000 et 10 000 ans environ avant J.-C., illustrent bien cette façon la plus
simple de compter qu’est la correspondance terme à terme. Chaque
encoche note une unité d’une collection. Selon l’hypothèse d’Alexander
Marschack, ces encoches étaient peut-être la traduction d’une phase de
la lune 23. Il est probable (si l’on garde à l’esprit les données
ethnographiques et linguistiques présentées ci-dessus) que le système
des bâtons de l’Âge de la pierre ne reposait pas sur un système de
comptage abstrait ni même sur un système numéral, mais sur l’addition
répétée d’une unité. Comme la plupart des sociétés pré-scripturaires,
les cultures proche-orientales du Paléolithique semblent avoir compté
selon une correspondance terme à terme.
3.2. LES JETONS

Les jetons continuent d’être utilisés selon une correspondance terme à


terme. Cependant, la double innovation qu’ils ont apportée – cardinalité et
spécificité des objets comptés – est apparemment l’indice d’une seconde
étape dans les méthodes de comptage.

3.2.1. Cardinalité

L’apport le plus significatif fut la cardinalité, c’est-à-dire la capacité


d’assigner des étiquettes – des noms de nombres par exemple, le dernier
nom de nombre de la série représentant le nombre de l’ensemble – à
chaque élément d’un ensemble de façon arbitraire. Par exemple, il est
probable que les sept jetons ovoïdes incisés contenus dans une enveloppe
d’Uruk représentaient « sept jarres d’huile » (et non pas « et une de plus »
ou « beaucoup », comme cela aurait été le cas à l’étape précédente).
Des jetons comme les tétraèdres, dont il existait deux sous-types
distincts (« petits » et « grands », type 5 : 1 et 2), sont sans doute aussi
la preuve que la comptabilité à base de jetons impliquait la maîtrise de
la notion d’ensembles. On peut supposer que les tétraèdres représentaient
deux types distincts d’unités de travail, respectivement « un jour » et
« une semaine de travail », ou bien, s’ils se rapportaient au nombre
d’ouvriers, « un homme » et « une équipe » 24. Le disque lenticulaire (type
3 : 3) est un autre exemple : s’il représente bien « 10 animaux », il serait
la preuve qu’au Néolithique, pour compter les animaux, « et un de plus »
n’était plus recevable, mais que, en revanche, chaque jeton servait
d’étiquette représentant un nombre. La cardinalité fut donc synonyme
d’économie de notation puisque 30 animaux pouvaient désormais être
désignés par 3 jetons au lieu de 30.

3.2.2. Correspondance terme à terme


Les ensembles de jetons contenus dans les enveloppes apportent
la preuve que le système des jetons a conservé le principe archaïque de
la correspondance terme à terme aussi longtemps qu’il a duré. Il existe
des exemples d’enveloppes provenant d’Uruk, de Suse et d’Habuba Kabira
contenant des jetons d’un seul sous-type répétés autant de fois que
le nombre d’unités qu’ils représentent. L’une de ces enveloppes par
exemple contient 7 jetons ovoïdes représentant apparemment 7 jarres
d’huile (fig. 12) ; une autre enveloppe contient 5 sphères représentant
5 mesures de céréales (fig. 28).
Le contenu de ces enveloppes démontre sans ambiguïté que
les comptables du IVe millénaire avaient une façon radicalement
différente de la nôtre d’indiquer les quantités (combien) : contrairement à
nous, « 5 » n’était pas indiqué par un chiffre, « 5 jarres d’huile » se
traduisaient en effet par 5 jetons, chacun représentant « une jarre
d’huile », comme dans ce dessin :

Cet ensemble de jetons signifie littéralement « jarre d’huile, jarre


d’huile, jarre d’huile, jarre d’huile, jarre d’huile ». Le système des jetons ne
disposait pas de symboles désignant des nombres abstraits.
D’autres enveloppes illustrent clairement le fait que les jetons
représentant des ensembles étaient également utilisés selon
une correspondance terme à terme. Sb 1940 par exemple (fig. 15) note
un compte de 33 animaux, décomposé en 3 disques et 3 cylindres, comme
suit :
Soit, littéralement, 10 animaux + 10 animaux + 10 animaux
+ 1 animal + 1 animal + 1 animal.

3.2.3. Spécificité des objets

L’une des singularités du système des jetons est qu’il nécessitait


un type de jeton particulier pour chaque type de marchandises. Les jetons
ovoïdes servaient à compter des jarres d’huile, les sphères à compter
les mesures de céréales ; inversement, on ne pouvait compter les jarres
d’huile qu’avec des jetons ovoïdes et les mesures de céréales qu’avec
des sphères. Le fait que les jetons varient en fonction de la nature
des marchandises comptées indique qu’ils étaient conçus pour manier
des données au sein d’un système de comptage concret. À l’instar
des autres systèmes de numération concrets, les jetons fusionnent
le concept de nombre avec celui de l’élément compté. Ainsi, un jeton
ovoïde représente à la fois « 1 » et « jarre d’huile » sans possibilité aucune
d’abstraire les deux concepts l’un de l’autre.
3.2.4. Absence de jetons exprimant des nombres abstraits

Bien que la notion d’ensemble semble avoir été acquise, compter avec
des jetons ne relève aucunement du comptage abstrait. Il n’existe pas de
jeton qui représente des nombres abstraits comme 1, 2, 3, etc. et soit
applicable à une large gamme de biens.
Le système des jetons, qui a coïncidé avec le développement de
l’agriculture, le stockage de marchandises et une économie de type
redistributif, indique que ces innovations ont suscité le besoin de compter
au-delà de trois. La multiplicité des jetons montre que même s’ils
maîtrisaient la notion d’ensembles, ou de cardinalité, les premiers
agriculteurs continuaient à compter de manière concrète. En d’autres
termes, ils ne concevaient pas les nombres indépendamment des mesures
de céréales ou des animaux et n’auraient pas utilisé les premiers sans
référence aux seconds. Le système des jetons confirme donc les données
linguistiques selon lesquelles le comptage concret a précédé le comptage
abstrait au Proche-Orient au cours de la préhistoire.
Le comptage concret permet de comprendre ce qui fait vraiment
la singularité du système des jetons, à savoir leur multiplicité.
Les tentatives visant à assigner des valeurs numériques à certains jetons
n’ont pas résisté à l’épreuve de la réalité. Partant de l’hypothèse que
le système des jetons s’appuyait sur notre propre système de comptage
abstrait, Alain Le Brun et François Vallat ont proposé les traductions
suivantes : cylindre = 1, sphères = 10, disque = 100, cône = 60, 600 ou 1 000,
cône perforé = 300, et sphère perforée = 36 000 25. Mais cette interprétation
ne donne aucune explication pour les quelque 400 sous-types de jetons
complexes restants.
À la suite de Le Brun et Vallat, Stephen J. Lieberman avance l’idée que
les jetons simples représentent des nombres tandis que les jetons
complexes sont « de petits objets en argile d’usage inconnu » 26. Comme on
l’a vu au chapitre 1, l’idée que jetons simples et complexes ne font pas
partie du même dispositif de calcul ne concorde pas avec les faits car on
trouve les deux types de jetons sur les mêmes sites, aux mêmes niveaux et
au sein des mêmes trésors. Des enveloppes à Uruk et à Habuba Kabira
renfermaient des jetons complexes (ovoïdes incisés) (fig. 12 et 16) ;
pourquoi aurait-on enfermé des jetons complexes dans des enveloppes si
ce n’est parce qu’ils servaient de jetons de comptabilité ?
L’hypothèse de Pierre Amiet ne tient pas davantage. Il voit dans
les lignes et les points gravés à la surface des jetons des notations
numériques 27, or rien ne prouve par exemple qu’un jeton ovoïde marqué
de six points signifie « six jarres d’huile » (type 6 : 22). En effet,
les enveloppes d’Uruk et de Habuba Kabira mentionnées plus haut
montrent clairement que le nombre de jarres d’huile était indiqué par
la multiplication de jetons ovoïdes selon une correspondance terme à
terme et non par l’intermédiaire de marques. Les signes imprimés
le confirment : la tablette de Suse par exemple porte la quadruple
empreinte d’un jeton triangulaire incisé d’une unique ligne (type 8 : 11 ;
fig. 22). Si l’interprétation d’Amiet était juste, la notation aurait la forme
d’un triangle gravé de quatre lignes. Le fait que le triangle (et non
les marques) soit répété quatre fois indique que les marques renvoient à
la nature du produit et non à sa quantité.

3.3. L’ÉCRITURE

3.3.1. Marques imprimées sur enveloppes et tablettes

Lorsque les jetons furent remplacés par leur image imprimée à


la surface d’une enveloppe ou d’une tablette, les marques inscrites qui en
résultèrent demeurèrent identiques au plan sémantique aux jetons :
chaque idéogramme fusionnait les concepts de nature/quantité (par
exemple, mesure d’huile) avec le nombre 1. Par exemple, chacun
des jetons ovoïdes imprimés à la surface d’une enveloppe de Habuba
Kabira (fig. 16), ou bien les triangles incisés figurant sur la tablette de Suse
(fig. 22) indiquaient respectivement « 1 mesure d’huile » et « une unité de
(?) » selon une correspondance terme à terme. Friberg se trompe lorsqu’il
suppose que les tablettes à encoches obéissent au même système de
comptage que celui qui était utilisé au cours de la période sumérienne
classique où les unités étaient représentées selon une correspondance
terme à terme jusqu’à leur remplacement par l’unité immédiatement
supérieure : alors qu’au IIIe millénaire avant J.-C., cinq grandes mesures de
céréales se traduisent par cinq marques circulaires tandis que six mesures
se traduisent par une grande encoche, ce n’est plus le cas avec
les tablettes. En effet, on a trouvé plusieurs tablettes portant 22, 10 ou 9
marques circulaires représentant 22, 10 ou 9 grandes unités de céréales
(fig. 24), selon une correspondance terme à terme 28. Enveloppes et
tablettes à encoches sont donc la preuve qu’à l’époque d’Uruk IV,
les notations n’expriment toujours pas les nombres abstraits.

3.3.2. Premiers nombres

Vers 3100 avant J.-C., les comptables d’Uruk IVa inventèrent


les premiers chiffres – des signes encodant les concepts d’unicité, de
binarité, de trinité, etc., indépendamment de toute entité quelconque. Il
s’agit d’un véritable exploit car on estime que les nombres sont
l’expression du plus haut degré d’abstraction auquel nous puissions
parvenir par la pensée. Après tout, « deux » n’existe pas dans la nature ; ce
qui se rencontre, ce sont des ensembles de deux éléments concrets : deux
doigts, deux personnes, deux moutons, deux fruits, deux feuilles, ou même
des ensembles hétérogènes comportant un fruit + une feuille. « Deux » est
l’abstraction du caractère binaire commun à ces ensembles.
Les comptables d’Uruk IVa ont eu le mérite de créer des nombres, et ce
faisant, de révolutionner la comptabilité et le maniement des données. En
fait, ils ont créé deux types de signes : des signes numéraux (symboles
encodant des nombres abstraits) et des pictogrammes (signes représentant
des marchandises). Chaque type de signe était tracé selon une technique
différente. Ainsi les pictogrammes sont incisés tandis que les nombres sont
imprimés et ressortent distinctement du texte. Sur une tablette d’Uruk, par
exemple, figurent deux comptes de « 5 moutons » – désignés par
le pictogramme correspondant à « mouton » (un cercle barré d’une croix)
et par cinq encoches représentant « 5 » (fig. 32). La notion de nombre était
enfin dissociée de celle de marchandise.
Les chiffres figurant sur les tablettes d’Uruk IVa constituent le premier
témoignage d’un recours au comptage abstrait. L’invention des chiffres est
aussi importante, voire plus importante que celle du zéro. Même si
la notion de « rien » était bien comprise des Babyloniens, la création d’un
signe « 0 » en Inde vers 700 après J.-C. a changé le cours
des mathématiques. Les chiffres et le zéro marquent des étapes dans
l’abstraction qui a permis aux humains de manier et de traiter un volume
d’informations plus important et de parvenir à une meilleure
compréhension de la réalité.
Bien sûr, nous ne saurons jamais exactement où, quand, comment ni
par qui fut inventé le comptage abstrait, mais l’événement a sans doute
coïncidé avec le passage des jetons à l’écriture, pour la bonne raison que
personne n’aurait voulu utiliser un dispositif de comptage devenu
obsolète.
Fig. 32. Tablette portant un compte de moutons, Uruk, Irak. Avec
l’aimable autorisation du Vorderasiatisches Museum, Staatliche
Museen zu Berlin.

Les premiers chiffres ne sont pas des symboles spécifiquement créés


en vue de représenter des nombres abstraits, ce sont les signes imprimés
qui servaient auparavant à indiquer des mesures de céréales et auxquels
on a donné une nouvelle valeur numérique. L’encoche, qui désignait à
l’origine une petite mesure de céréales, représentait désormais 1 ;
le cercle, qui représentait une plus grande quantité de céréales, devint 10 ;
grande encoche, encoche perforée et grand cercle, qui représentaient
des unités de céréales encore plus importantes, représentaient désormais
des nombres plus grands :
Il est également probable que les unités réservées au comptage
des animaux servaient également de chiffres. L’encoche allongée
correspond à 1 ; la marque circulaire, correspondant à l’ancien disque
lenticulaire, à 10. Le comptage des animaux est donc sans doute à l’origine
de deux unités de base du système arithmétique sumérien, 1 et 10 :

Le rôle prépondérant des jetons simples au cours de la préhistoire a


donc été perpétué par le rôle qu’ont joué les chiffres par la suite.
Le système de comptage sumérien à la fois sexagésimal et décimal, qui a
suscité bien des étonnements, est probablement issu des jetons simples.
Friberg relève par exemple que, sur la même tablette, le signe circulaire
peut se trouver tour à tour dans un rapport de 1/6 puis de 1/10 selon ce
qui est compté 29. Il est probable que « 6 » dérive de l’ancienne unité
métrologique réservée aux céréales (la sphère) et « 10 » de l’unité réservée
au comptage des animaux (le disque lenticulaire). On comptait
apparemment les animaux par dix, sans doute à l’aide des doigts. En
revanche, 60, qui possède cette propriété unique d’être divisible par 1, 2, 3,
4, 5, 6, 10, 12, 15, etc., était particulièrement approprié à la mesure
des céréales 30.
En fait, les signes imprimés, qui finirent par représenter des nombres,
n’ont jamais perdu leur signification première. En fonction du contexte, ils
revêtaient tantôt une valeur abstraite, tantôt une valeur concrète. Par
exemple, l’encoche précédant un pictogramme se lisait « 1 » tandis
qu’isolée, elle représentait une mesure de céréales.
Ainsi donc les nombres abstraits dérivent des plus anciens jetons :
cônes simples, sphères, cylindres et disques lenticulaires. Quant à la raison
pour laquelle ces symboles devinrent les premiers chiffres, il faut se
contenter de formuler des hypothèses. David E. Smith a observé que dans
un certain nombre de sociétés, les mots exprimant des nombres étaient
dérivés de numérations concrètes d’usage très fréquent. Il mentionne
des langues où « un, deux, trois » sont exprimés par des noms de nombre
signifiant littéralement « un grain, deux grains, trois grains », ou « une
pierre, deux pierres, trois pierres » ou encore, comme chez les Niuéens
dans le Pacifique sud, « un fruit, deux fruits, trois fruits » 31. On peut donc
supposer que les premiers nombres abstraits sumériens sont dérivés
des numérations réservées à la mesure des céréales et au dénombrement
des animaux puisqu’elles étaient les plus communément utilisées en
Mésopotamie. Les céréales en particulier, étaient non seulement l’aliment
de base principal mais aussi le moyen d’échange le plus répandu. De plus,
la métrologie réservée aux céréales était constituée d’une remarquable
gamme de signes toujours plus étendue que l’on put facilement adapter
pour signifier des unités de comptage abstraites comme 1, 6, 60, 180.
Une rupture majeure s’opéra lorsque les pictogrammes encodant
des marchandises cessèrent d’être répétés autant de fois que le nombre
d’unités comptées. Au demeurant, l’invention des chiffres ne marqua pas
la fin du principe archaïque de la correspondance terme à terme puisque
celle-ci a continué à régir l’usage des nombres. « Neuf » était représenté
par 9 encoches, « 50 » par 5 cercles, et ainsi de suite. Par exemple, sur
la tablette de Godin Tépé portant la notation « 33 jarres d’huile », « jarre
d’huile » et « 33 » sont représentés par le même pictogramme composé de
trois cercles imprimés (10 + 10 + 10) et de trois encoches (1 + 1 + 1) (fig. 33).
Cet archaïsme fut perpétué pendant des siècles à travers le système
arithmétique suméro-babylonien. En fait, la correspondance terme à
terme a persisté dans tous les systèmes numéraux, y compris ceux de
la Grèce et de Rome, jusqu’à l’invention des « chiffres arabes » en Inde au
cours du Ier millénaire de notre ère.

Fig. 33. Tablette incisée montrant un compte de 33 jarres d’huile


(?), Godin Tépé (GD 73-295), Iran. Avec l’aimable autorisation
de T. Cuyler Young, Jr.

3.3.3. Écriture pictographique et phonétique

Ce n’est pas un hasard si l’invention de l’écriture pictographique et


phonétique a coïncidé avec celle des chiffres, tous deux résultant du
comptage abstrait. La séparation du concept de quantité (combien) de
celui de nature de l’élément compté – concepts inextricablement mêlés
dans le système des jetons – a donné naissance à l’écriture. Une fois
dissociés de toute notion de nombre, les pictogrammes ont pu suivre leur
propre évolution. Des symboles auparavant utilisés pour comptabiliser
des denrées purent dès lors être utilisés pour communiquer à propos de
n’importe quel sujet touchant les activités humaines. Ainsi, des choses
comme « la tête d’un homme » ou « la bouche » – objets qui n’eurent
jamais de jetons pour les représenter – furent dès lors exprimés par
des images. La pictographie authentique, où les concepts sont représentés
par leur image, découle du comptage abstrait.
Vers 3000 avant J.-C., au cours de la période d’Uruk III, l’écriture a
franchi plusieurs seuils après la pictographie. L’abstraction de la quantité
(indénombrable) a suivi celle des nombres (dénombrable). À Uruk VI (3500
avant J.-C.) par exemple, il faut un jeton pour désigner une jarre d’huile ou
vraisemblablement « un silà d’huile ». À Uruk IVa (3100 avant J.-C.), il faut
deux signes pour exprimer la même idée : « 1 » et le pictogramme « silà
d’huile ». À Uruk III (3000 avant J.-C.) enfin, chaque notion (« 1 », « silà » et
« huile ») est exprimée séparément à l’aide de trois signes distincts :
Enfin, les symboles représentèrent des sons plutôt que des objets : leur
fonction était désormais phonétique. Le passage à l’écriture phonétique a
semble-t-il été motivé par de nouvelles exigences administratives,
notamment la nécessité d’enregistrer sur des tablettes les noms
des donateurs/bénéficiaires des denrées. Les noms des personnes étaient
transcrits à l’aide de symboles se prêtant à une lecture phonétique à
la manière d’un rébus. Le nom propre Enlil-Ti, « Enlil (donne) la vie », est
rendu par deux pictogrammes : « dieu » (une étoile) et « vie » (une
flèche) 32. Ce fut le point de départ de l’écriture syllabaire dans lequel
les symboles ne représentent plus des marchandises ou des concepts mais
simplement les sons qu’ils évoquent. Cette transformation de
la pictographie en syllabaire marque la naissance réelle de l’écriture.
Au Proche-Orient ancien, l’écriture est née d’un dispositif de
comptage. Vers 8000 avant J.-C., le bâton de comptage avec sa
correspondance terme à terme fut remplacé par des jetons aux formes
variées, mieux adaptés au comptage concret. Enfin, est apparue l’écriture
qui a pris un véritable essor à partir du moment où, avec le comptage
abstrait, on a dissocié le concept de nombre de celui de la marchandise
comptabilisée. Chaque changement de dispositif de comptage – bâton de
comptage, jetons simples puis complexes – correspond à un nouveau type
d’économie : chasse et cueillette, agriculture, industrie. Chaque nouveau
dispositif de comptage correspond également à un nouveau type de
système politique : société égalitaire, société hiérarchisée, État.
Cependant, l’écriture pictographique et phonétique, née vers 3100-3000
avant J.-C. n’est pour sa part liée à aucun événement socio-économique,
elle est le résultat d’une nouvelle étape du développement cognitif :
le comptage abstrait.
1. WHITE, Leslie A., The Science of Culture, New York, Grove Press, 1949, p. 286.
2. WILDER, Raymond L., Evolution of Mathematical Concepts, New York, John Wiley and
Sons, 1968, p. 180.
3. RUSSELL, Bertrand, Introduction to Mathematical Philosophy, Londres, George Allen and
Unwin, 1960, p. 3. Russell compare « a brace of pheasants » à « a couple of days ».
L’expression « a couple of days » est beaucoup plus courante en anglais qu’en français.
Il faut prendre une collocation équivalente pour conserver l’humour du texte
d’origine, une paire de chaussures, de claques… (ndlt).
4. DANZIG, Tobias, Number : The Language of Science, 4e édition, New York, Macmillan,
1959, p. 6 ; FLEGG, Graham, Numbers, Their History and Meaning, New York, Schocken
Books, 1983, p. 8-14 ; KRAMER, Edna E., The Nature and Growth of Modern Mathematics,
New York, Hawthorne Books, 1970, p. 4-5 ; SMITH, David E., History of Mathematics,
vol. I, Boston, Ginn and Company, 1951, p. 6-8.
5. CONANT, Levi Leonard, The Number Concept, Londres, Macmillan, 1896, p. 28 ; CHERVIN,
Arthur, Anthropologie bolivienne, Paris, Librairie H. Le Soudier, 1908, p. 229 ; IFRAH,
Georges, From One to Zero, New York, Viking Penguin, 1985, p. 7 ; SMITH, History of
Mathematics, p. 6.
6. MENNINGER, Karl, Number Words and Number Symbols, édition revue et corrigée,
Cambridge, MIT Press, 1977, p. 33.
7. BIERSACK, Aletta, « The Logic of Misplaced Concreteness : Paiela Body Counting and
the Nature of the Primitive Mind », American Anthropologist, 84, no 4, 1982, p. 813.
8. DIAKONOFF, Igor M., « Some Reflections on Numerals in Sumerian towards a History of
Mathematical Speculations », Journal of the American Oriental Society, 103, no 1, 1983,
p. 88.
9. BOAS, Franz, « Fifth Report on the Northwestern Tribes of Canada », Proceedings of the
British Association for the Advancement of Science, 1889, p. 881.
10. GOODY, Jack, The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, Cambridge University
Press, 1978, p. 13.
11. DIAKONOFF, « Some Reflections », p. 92.
12. POWELL, Marvin A., Jr., « Sumerian Numeration and Metrology », thèse de doctorat,
University of Minnesota, 1971, p. 27-28.
13. THUREAU-DANGIN, François, « Le système ternaire dans la numération sumérienne »,
Revue d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, 25, no 2, 1928, p. 119-121.
14. DIAKONOFF, « Some Reflections », p. 90.
15. POWELL, « Sumerian Numeration », p. 30.
16. Powell signale que diš est attesté pour le comptage de parcelles de terrain. Ibid.,
p. 18.
17. Ibid., p. 13.
18. Ibid., p. 23, 28-29, 14.
19. DIAKONOFF, « Some Reflections », p. 84-87, 88.
20. VAIMAN, A. A., « Die Bezeichnung von Sklaven und Sklavinnen in der
protosumerischen Schrift », BaM, 1989, p. 126-127 ; et « Über die Protosumerische
Schrift », dans Acta Antiqua Academiae Scientarum Hungaricae, 22, 1974, p. 20-23.
21. DAMEROW, Peter et ENGLUND, Robert K., « Die Zahlzeichensysteme der archaischen
Texte aus Uruk », ZATU, p. 165 ; NISSEN, Hans J., DAMEROW, Peter et ENGLUND, Robert K.,
Archaic Bookkeeping, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 25-29.
22. FRIBERG, Jöran, The Third Millennium Roots of Babylonian Mathematics. I. A Method for the
Decipherment, through Mathematical and Metrological Analysis, of Proto-Sumerian and
Proto-Elamite Semi-pictographic Inscriptions, Göteborg, Chalmers University of
Technology and University of Göteborg, 1978-1979, p. 10, 15, 21, 46.
23. MARSHACK, Alexander, The Roots of Civilization, New York, McGraw-Hill, 1972.
24. La distinction entre ces deux sous-types ne fait aucun doute car l’enveloppe Sb 1967
de Suse renferme à la fois des petits et des grands tétraèdres. Sb 1967 contient en
fait trois sous-types de tétraèdres : petits, grands, à points.
25. Dafi 8a, p. 32-34.
26. LIEBERMAN, Stephen J., « Of Clay Pebbles, Hollow Clay Balls and Writing : A Sumerian
View », American Journal of Archeology, 184, no 3, 1980, p. 339-358.
27. AMIET, Pierre, L’Âge des échanges inter-iraniens, Éditions de la RMN, 1986, p. 87.
28. FRIBERG, Jöran, « Preliterate Counting and Accounting in the Middle East »,
Orientalische Literaturzeitung, 89, nos 5-6, 1994, p. 484 ; DRIEL, G. van, « Tablets from
Jebel Aruda », dans DRIEL, G. van, KRISPIJN, Th. J. H., STOL, M., VEENHOF, K. R. (dir.), Zikir
Šumim, Assyriological Studies presented to F. R. Kraus on the Occasion of His
Seventieth Birthday, Leyde, E. J. Brill, 1982, p. 114 (6, 2 et 7).
29. FRIBERG, Jöran, « Numbers and Measures in the Earliest Written Records », Scientific
American, 250, no 2, 1984, p. 116.
30. THUREAU-DANGIN, François, Esquisse d’une histoire du système sexagésimal, Paris, Librairie
orientaliste Paul Geuthner, 1932, p. 6-7.
31. SMITH, David E., Numbers and Numerals, New York, Bureau of Publications, Teachers
College, Columbia University, 1937, p. 8.
32. GELB, Ignace J., A Study of Writing, éd. revue et corrigée, Chicago, University of
Chicago Press, 1974, p. 67.
CHAPITRE 8

Conclusions : le rôle des jetons au cours


de la Préhistoire et leur apport
à l’archéologie

L’écriture est apparue dans l’histoire de l’humanité entre le IIIe et


le IVe millénaire avant notre ère, à un moment où l’humanité avait
déjà accompli ses découvertes les plus essentielles. […] l’agriculture,
la domestication des animaux, la poterie, le tissage – tout
un ensemble de procédés qui vont permettre aux sociétés humaines,
non plus comme aux temps paléolithiques, de vivre au jour le jour, au
hasard de la chasse, de la cueillette quotidienne, mais d’accumuler
[…] nous devons prendre garde que certains progrès essentiels, et
peut-être les progrès les plus essentiels que l’humanité ait jamais
accomplis, l’ont été sans [l’]intervention de [l’écriture].
Claude Lévi-Strauss 1.

Les jetons constituent une source d’information incomparable


concernant des aspects fondamentaux de la culture au Proche-Orient, au
cours de la préhistoire, sur une durée de cinq mille ans, dont deux
périodes cruciales : les débuts de l’agriculture et l’essor des cités. Ils nous
renseignent sur l’économie, la structure politique, les connaissances
mathématiques et les moyens de communication des sociétés qui les ont
adoptés.
1. Économie
La fonction première des jetons a été de compter des denrées.
Les jetons simples sont apparus en même temps que l’agriculture et
servaient à compter des produits agricoles – animaux et quantités de
céréales. Les jetons complexes ont coïncidé avec l’industrie ; on
les utilisait pour comptabiliser les produits qui faisaient la réputation de
la Mésopotamie : textiles et vêtements, produits de luxe (parfums, métaux
et bijoux) et produits manufacturés (pain, huile ou canards).
Le passage des jetons simples aux jetons complexes indique que
l’évolution du système est étroitement liée à celle de l’économie.
Les jetons nous renseignent donc sur les ressources dont disposaient
les communautés de l’époque. Les jetons simples peuvent être associés à
la domestication des plantes et des animaux. Les cylindres utilisés pour
compter le petit bétail évoquent l’apparition de l’élevage bien avant que
l’on puisse relever des changements dans les caractéristiques
ostéologiques des animaux, puisqu’il faut des générations de
domestication pour que la structure osseuse des animaux évolue.
Les jetons complexes permettent de situer l’essor des ateliers.

2. Structure politique
Aux deux étapes du système des jetons, simples puis complexes,
correspondent deux phases de l’évolution de la structure sociale : tandis
que les jetons simples servent à la mise en commun des ressources dans
les premières communautés agricoles et supposent une société
hiérarchisée, les jetons complexes jouent un rôle essentiel dans
la perception des diverses contributions destinées à subvenir aux besoins
des premières cités-États mésopotamiennes et sont l’indice de la naissance
de l’État en Mésopotamie méridionale. Par ailleurs, la répartition
géographique des jetons complexes dans les centres administratifs
stratégiques dresse la carte des zones sous administration
mésopotamienne et nous renseigne sur son organisation.

3. Mathématiques
L’apport le plus significatif des jetons concerne le domaine du
comptage. La multiplicité des formes de jetons destinés à
la comptabilisation des denrées témoigne de l’existence d’une forme
archaïque de comptage dite « comptage concret ». La chronologie
des jetons, retracée ci-dessous, révèle une évolution progressive du
comptage concret vers le comptage abstrait :
Vers 8000-3500 avant J.-C. : des jetons aux formes multiples sont l’indice
d’un système de comptage concret où chaque catégorie de denrée
requiert l’utilisation d’un type de jeton spécifique, par exemple
des jetons ovoïdes pour les jarres d’huile et des cônes pour la mesure
des céréales. Les nombres sont indiqués selon une correspondance
terme à terme : trois jetons ovoïdes = trois jarres d’huile.

Vers 3500-3100 avant J.-C. : les marques imprimées selon


une correspondance terme à terme sur des enveloppes et des tablettes
montrent que les notions de produit et de nombre sont encore
fusionnées, ce qui implique que le comptage concret domine à l’époque.

Vers 3100 avant J.-C. (Uruk IVa) : invention des chiffres. Article compté
et nombre sont dissociés. Chaque notion est exprimée par un signe
spécifique et les denrées comptées sont indiquées par des pictogrammes
incisés. Ces pictogrammes ne sont plus répétés autant de fois qu’il y a
d’objets à compter : le nombre d’unités est indiqué par des chiffres
correspondant à 1, 10, 60 et 360. Ce sont les premiers symboles
exprimant des nombres de façon abstraite, c’est-à-dire indépendamment
de l’article compté. Les premiers chiffres sont les signes imprimés
auparavant utilisés pour désigner des quantités de céréales ou
d’animaux et qui, dès lors, revêtent une nouvelle signification abstraite.

Vers 3100-2500 avant J.-C. : des formes archaïques de numération


destinées à compter diverses catégories d’articles perdurent ; ce qui
montre que la transition du comptage concret au comptage abstrait s’est
étalée sur plusieurs siècles.
4. Communication
Les jetons s’inscrivent dans une série de progrès de la communication.
La première étape correspond à la création du premier code connu ; elle
résulte d’un saut conceptuel : la création d’un ensemble de jetons aux
formes spécifiques et l’attribution à chacune de ces formes d’une
signification unique et discrète. Les symboles sont modelés selon
des formes géométriques caractéristiques bien définies et facilement
identifiables. Ces formes sont simples et faciles à reproduire, et les jetons
sont donc dupliqués à l’identique de façon systématique ; ils ont toujours
la même signification. Par la suite, avec le développement d’un répertoire
de marques, le code s’est enrichi de centaines de signes-concepts. Ce
système permet de traiter simultanément des données de différentes
sortes, c’est-à-dire de traiter et de communiquer des informations dont
la complexité et le volume sont sans précédent.
Les événements qui suivirent l’invention des jetons peuvent être
reconstitués de la façon suivante :
Vers 3700-2600 avant J.-C. : une deuxième étape est franchie lorsque
des ensembles de jetons représentant des transactions spécifiques sont
placés dans des enveloppes à des fins d’enregistrement. Certaines
enveloppes portent sur leur face externe l’empreinte des jetons qu’elles
contiennent. Ces marques imprimées à la surface des enveloppes sont
la charnière entre les jetons et l’écriture.

Vers 3500-3100 avant J.-C. (à partir d’Uruk VI-V) : les tablettes portant
l’empreinte de marques ayant la forme des jetons remplacent
les enveloppes.

Vers 3100-3000 avant J.-C. (à partir d’Uruk IVa) : l’écriture


pictographique tracée à l’aide d’un calame sur des tablettes en argile
marque le véritable début de l’écriture. Les jetons disparaissent
progressivement.

Nous avons vu que, dès lors que le concept de « nombres » fut dissocié
de celui de « produits comptés », les pictogrammes cessèrent d’être
cantonnés à l’expression du nombre de denrées à l’unité. Avec l’invention
des chiffres, la pictographie n’était plus réservée à la comptabilité, elle
pouvait s’appliquer à d’autres activités humaines. À partir de là, l’écriture
pouvait devenir phonétique et évoluer vers l’outil polyvalent qu’elle est
aujourd’hui, un outil propre à conserver et à transmettre n’importe quelle
idée. L’invention des nombres abstraits fut le point de départ
des mathématiques ; c’est aussi celui de l’écriture.
Les jetons sont des jetons ordinaires que l’on utilisait pour la gestion
des denrées ou d’autres marchandises de la vie courante, mais ils ont joué
un rôle majeur dans les sociétés qui les ont adoptés. On les utilisait pour
la gestion des denrées – ils ont eu des effets sur l’économie ; ils étaient
instruments de pouvoir – ils ont suscité de nouvelles formes de société ;
on les utilisait pour manier des données – ils ont transformé un mode de
pensée. Mais surtout, les jetons formaient un dispositif de comptage
et d’enregistrement qui fut un point de bascule pour les mathématiques et
pour la communication.

1. Georges Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon/Julliard, 1961,


Presses Pocket, p. 30-31.
TROISIÈME PARTIE

LES OBJETS
Croquis et photographies

Les planches qui suivent contiennent un exemple représentatif de


chaque sous-type de jetons. Il est toutefois important de retenir que, étant
fabriqués à la main, les jetons ne sont pas normalisés. On verra dans
le catalogue de photographies intitulé Before Writing, Vol. II : A Catalog of
Near Eastern Tokens que des objets appartenant au même sous-type
présentent de légères variations dans leur forme et le style des marques
qu’ils portent (par exemple, type 6 : 14 ou 8 : 17). Plusieurs croquis du
même sous-type sont proposés lorsque les variations sont importantes
(par exemple, des différences de profil pour le type 3 : 51). Les divers
motifs peints sur des cônes (type 1 : 46) ou des disques (type 3 : 79) ne sont
pas reproduits.
On a préféré des objets perforés plutôt que non perforés afin de
montrer où se placent les perforations. Quand cela se justifiait, on a choisi
de présenter plusieurs croquis illustrant des variations dans la position
des perforations (par exemple, le type 3 : 19).
Dans la mesure du possible, les croquis ont été réalisés à partir de
photographies. Toutefois, dans de nombreux cas, les seules sources dont
disposait le dessinateur étaient des esquisses provenant de notes prises
dans les musées. Il n’a pas été possible de tenir compte de l’échelle dans
les illustrations. La légende des croquis est la suivante :
Perforation :

Point :

Ligne incisée :

Motif peint :
Glossaire

Dans la mesure où le sujet des jetons est nouveau, le vocabulaire


existant n’est pas toujours adéquat. On trouvera ci-dessous une liste de
mots-clés utilisés dans l’ouvrage, accompagnés de la définition que je leur
donne.

Bulle : étiquette en argile de forme oblongue ou biconique portant


l’empreinte de sceaux. Mon hypothèse est que certains de ces objets
fermaient les extrémités des cordons sur lesquels on enfilait des jetons
(fig. 10 et 11).
Enveloppe : boule creuse en argile de forme sphérique, ovoïde ou
oblongue contenant des jetons et portant habituellement l’empreinte de
sceaux (fig. 12 et 13).
Jeton : petit objet en général modelé dans de l’argile selon l’une
des seize formes suivantes : cône, sphère, disque, cylindre, tétraèdre,
ovoïde, quadrilatère, triangle, biconique, paraboloïde, boudin replié,
rhomboïde/ovale, récipients, outils, animaux, diverses. Ma thèse est
la suivante : ces objets étaient utilisés pour comptabiliser et compter
des denrées (fig. 4).
Jetons simples : jetons typiques des périodes allant de 8000 à 4300 avant
J.-C. et après 3100 avant J.-C. Ils se limitent aux formes suivantes : cônes,
sphères, disques, cylindres et tétraèdres. Leur surface est en général lisse
(fig. 3).
Jeton complexe : jeton typique de l’administration des temples du
IVe millénaire avant J.-C. Cette catégorie inclut les seize types de jetons
décrits dans les planches ci-dessus. Ces artefacts se caractérisent par
une abondance de marques sous forme de lignes, de points ou d’éléments
appliqués (figures 5 et 6).
Marque : signe proto-scripturaire précurseur de l’écriture (figures 15,
16 et 18).
Proche-Orient : synonyme de « Moyen-Orient », il comprend les pays
suivants : Iran, Irak, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie et Israël, soit
l’ancienne Perse, la Mésopotamie, l’Anatolie, la Syrie et la Palestine.
Récépissé : objet attestant qu’une certaine quantité de travail a été
effectuée et valant pour échange contre paiement.
Signe : caractère écrit (fig. 25).
Tablette à encoches : tablette portant des notations imprimées à sa
surface par l’application de jetons ou d’un calame. Ces objets ont été
désignés dans la littérature sous le vocable de « tablettes numérales », or
les signes renvoient non pas à des nombres mais à des denrées à l’unité
(fig. 18).
Tablette incisée : tablette portant des signes tracés avec l’extrémité
pointue d’un calame (fig. 25).
Tablette pictographique : tablette portant des signes tracés avec
l’extrémité pointue d’un calame. « Pictographique » signifiait naguère
« écriture-image » au sens où les signes avaient la forme des objets qu’ils
représentaient. Ici, « pictographique » renvoie en outre aux signes qui
perpétuent la forme des jetons (fig. 25).
ABRÉVIATIONS

ATU = Adam Falkenstein, Archaische Texte aus Uruk, Ausgrabungen der


deutschen Forschungsgemeinschaft in Uruk-Warka, vol. 2, Leipzig,
Kommissionsverlag Otto Harrassowitz, 1936.

BaM = Baghdader Mitteilungen, Berlin.


BW = Denise Schmandt-Besserat, Before Writing, Vol. I : From Counting to
Cuneiform ; Vol. II : A Catalog of Near Eastern Tokens, Austin, University of
Texas Press, 1992.

Dafi Ia = Geneviève Dollfus, « Les fouilles à Djaffarabad de 1969 à


1971 », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran, vol. I, 1971,
p. 17-161.
Dafi Ib = Alain Le Brun, « Recherches stratigraphiques à l’Acropole de
Suse (1969-1971) », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran,
vol. I, 1971, p. 163-216.
Dafi Ic = François Vallat, « Les documents épigraphiques de l’Acropole
(1969-1971) », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran, vol. I,
1971, p. 235-245.
Dafi 3 = François Vallat, « Les tablettes proto-élamites de l’Acropole
(campagne 1972) », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran,
vol. 3, 1973, p. 93-103.
Dafi 5 = Geneviève Dollfus, « Les fouilles à Djaffarabad de 1972 à 1974,
Djaffarabad, périodes I et II », Cahiers de la Délégation archéologique française
en Iran, vol. 5, 1975, p. 11-219.
Dafi 8a = Alain Le Brun et François Vallat, « L’origine de l’écriture à
Suse », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran, vol. 8, 1978,
p. 11-59.
Dafi 8b = Alain Le Brun, « La glyptique du niveau 17B de l’Acropole
(campagne 1972) », Cahiers de la Délégation archéologique française en Iran,
vol. 8, 1978, p. 61-79.
Dafi 9a = Denis Canal, « La terrasse haute de l’Acropole de Suse »,
Cahiers de la Délégation française en Iran, vol. 9, 1978, p. 11-55.
Dafi 9b = Alain Le Brun, « Le niveau 17B de l’Acropole de Suse
(campagne 1972) », Cahiers de la Délégation française en Iran, vol. 9, 1978,
p. 57-154.

M 7 = J. de Morgan, G. Jéquier, R. de Mecquenem, B. Haussoulier et D. L.


Graat van Roggen, Mémoires de la Délégation en Perse, vol. 7 : Recherches
archéologiques, 2e série, Paris, Éditions E. Leroux, 1905.
M 12 = M.-C. Soutzo, G. Pézard, G. Bondoux, R. de Mecquenem,
M. Pézard, J.-E. Gautier et P. Toscanne, Mémoires de la Délégation en Perse,
vol. 12 : Recherches archéologiques, 4e série, Paris, Éditions E. Leroux, 1911.
M 13 = E. Pottier, J. de Morgan et R. de Mecquenem, Mémoires de
la Délégation en Perse, vol. 13 : Recherches archéologiques, 5e série, Céramique
peinte de Suse et petits monuments de l’époque archaïque, Paris, Éditions
E. Leroux, 1912.
M 16 = L. Legrain, Mémoires de la mission archéologique de Perse, vol. 16 :
Empreintes de cachets élamites, Paris, Éditions E. Leroux, 1921.
M 17 = V. Scheil, Mémoires de la mission archéologique de Perse, vol. 17 :
Textes de comptabilité proto-élamites (nouvelle série), Paris, Éditions E. Leroux,
1921.
M 25 = Allote de la Fuÿe, N.-T. Belaiew, R. de Mecquenem et J.-
M. Unvala, Mémoires de la mission archéologique de Perse, vol. 25 : Archéologie,
métrologie et numismatique susiennes, Paris, Éditions E. Leroux, 1934.
M 29 = R. de Mecquenem, G. Contenau, R. Pfister et N. Belaiew,
Mémoires de la mission archéologique en Iran, Mission de Susiane, vol. 29 :
Archéologie Susienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1943.
M 30 = R. de Mecquenem, G. Contenau, R. Pfister et N. Belaiew,
Mémoires de la mission archéologique en Iran, Mission de Susiane, vol. 30,
Archéologie Susienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1947.
M 43 = Pierre Amiet, Mémoires de la mission archéologique en Iran, Mission
de Susiane, vol. 43 : La Glyptique Susienne, vol. 1 et 2, Paris, Librairie
orientaliste Paul Geuthner, 1971.

OIC = Oriental Institute Communications, Chicago, University of


Chicago.
OIP = Oriental Institute Publications, Chicago, University of Chicago.
PI = S. Langdon, The Herbert Weld Collection in the Ashmolean Museum :
Pictographic Inscriptions from Djemdet Nasr, Oxford Editions of Cuneiform
Texts 7, Oxford, 1928.

UVB = Julius Jordan, Vorläufiger Bericht über die von der deutschen
Forschungsgemeinschaft in Uruk-Warka unternommenen Ausgrabungen,
Abhandlungen der preussischen Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Klasse,
Berlin, vol. 2, 1931 ; vol. 3, 1932.
= Heinrich J. Lenzen, Vorläufiger Bericht über die von dem deutschen
archäologischen Institut und der deutschen Orientgesellschaft aus Mitteln der
deutschen Forschungsgemeinschaft unternommenen Ausgrabungen in Uruk-
Warka, Berlin, vol. 15, 1959 ; vol. 17, 1961 ; vol. 21, 1965 ; vol. 22, 1966 ;
vol. 23, 1967 ; vol. 24, 1968 ; vol. 25, 1974.
= Jürgen Schmidt, Vorläufiger Bericht über die von dem deutschen
archäologischen Institut aus Mitteln der deutschen Forschungsgemeinschaft
unternommenen Ausgrabungen in Uruk-Warka, Berlin, vol. 31 et 32, 1983.

ZATU = M. W. Green et Hans J. Nissen, Zeichenliste des archaischen Texte


aus Uruk, Ausgrabungen der deutschen Forschungsgemeinschaft in Uruk-Warka,
vol. II : Archaische Texte aus Uruk, vol. 2, Berlin, Gebrüder Mann Verlag, 1987.

1. BOISSINOT, Philippe, « L’archéologie et le pari d’une mesure de la culture »,


Histoire & Mesure, XXXV-1 : L’homme et la mesure, 2020, p. 15-34 (en ligne :
https://doi.org/10.4000/histoiremesure.12632).
2. TESTART, Alain, Éléments de classification des sociétés, Paris, Errance, 2005.
3. CLASTRES, Pierre, La Société contre l’État : Recherches d’anthropologie politique (1974),
Paris, Minuit, 2011.
4. BACHELOT, Luc, « Aventures et mésaventure de l’écriture. À propos de l’interprétation
de la naissance de l’écriture en Mésopotamie », Cadernos do LEPAARQ, vol. XIV, no 28,
2017, p. 127-155, ici p. 141, note 16.
5. Comme par exemple HUDSON, Nicholas, Writing and European Thought 1600-1830,
Cambridge, Cambridge University Press, 1994, qui traite des réflexions sur l’écriture
dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles ou GLASSNER, Jean-Jacques, Écrire à Sumer.
L’invention du cunéiforme, Paris, Seuil, 2000, p. 223, qui met en regard les différents
débats historiographiques sur les origines de l’écriture cunéiforme.
6. HYDE, Thomas, Historia religionis veterum Persarum, 1700.
7. Voir par exemple YUSHU, Gong, « The Sumerian Account of the Invention of Writing.
A New Interpretation », Procedia – Social and Behavioral Sciences, 2/5, 2010, p. 7446-
7453.
8. Voir à propos de ces bibliothèques l’introduction de PEDERSÉN, Olof, Archives and
Libraries in the Ancient Near East 1500-300 B.C., Bethesda (MD), CDL Press, 1998 ; et à
propos de celles de la deuxième moitié du Ier millénaire av. J.-C., l’ouvrage de
CLANCIER, Philippe, Les bibliothèques en Babylonie dans la deuxième moitié du Ier millénaire
av. J.-C., Munster, Ugarit-Verlag, 2009.
9. Selon la traduction de K.2694+K.3050 dans TALON, Philippe, « La transmission du
savoir en Mésopotamie ancienne », Civilisation : revue internationale d’anthropologie et
de sciences humaines 52/1, 2004, p. 25-33 (publication originale dans STRECK,
Maximilian, Assurbanipal und die Letzten Assyrichen Könige bis zum umtergange
Niniveh’s. II. Teil : Texte. Die Inscriften Assurbanipals und der Letzten Assyrichen Könige,
Leipzig, 1916, p. 253-274, à compléter par BORGER, Rykle, Beiträge zum Inschriftenwerk
Assurbanipals, Wiesbaden, Otto Harrassowitz Verlag, 1996, p. 187-188 : texte L4).
10. CIVIL, Miguel, « Cuneiform », dans BRIGHT, William, International Encyclopedia of
Linguistics, vol. 1, New York, Oxford University Press, 1992, p. 322-325.
11. CANCIK-KIRSCHBAUM, Eva et CHAMBON, Grégory, « Genealogie der Keilschrift.
Geschichtlichkeit von Schrift im Alten Orient und altorientalische Schriftgeschichte
im 19. Jh. N. Chr. », dans DIETRICH, Manfred, METZLER, Kai A. et NEUMANN, Hans (dir.),
Studia Mesopotamica. Jahrbuch für altorientalische Geschichte und Kultur, Band 1,
Munster, Ugarit Verlag, 2014, p. 9-42.
12. Voir sur ce sujet LION, Brigitte et MICHEL, Cécile (dir.), Les écritures cunéiformes et leur
déchiffrement, Paris, Khéops, 2016.
13. Voir ASTON, Francis, « A Letter from Mr. F. A. Esq ; R. S. S. to the publisher, with a
paper of Mr. S. Flowers containing the exact draughts of several unknown
characters, taken from the ruines at Persepolis », Philosophical Transactions, 201,
Juin 1693, p. 777.
14. CHARDIN, Jean, Voyages de Monsieur le Chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient,
vol. III, Paris, 1711.
15. NIEBUHR, Carsten, Reisebeschreibung nach Arabien und anderen umliegenden Ländern,
Bd. I., Copenhague, 1774.
16. CANCIK-KIRSCHBAUM, Eva et CHAMBON, Grégory, « Les caractères en formes de coin :
le cas du cunéiforme », Revue d’Assyriologie et d’Archéologie, vol. 100, 2006/1, p. 13-40
(en ligne : https://www. cairn.info/revue-d-assyriologie-2006-1-page-13.htm).
17. WARBURTON, William, The Divine Legation of Moses, t. II de la seconde édition, Londres,
1742.
18. BOTTA, Paul Émile, Mémoire de l’écriture cunéiforme assyrienne, Paris, 1848, p. 1.
19. CANCIK-KIRSCHBAUM, Eva et CHAMBON, Grégory, « Genealogie der Keilschrift.
Geschichtlichkeit von Schrift im Alten Orient und altorientalische Schriftgeschichte
im 19. Jh. N. Chr. », 2014.
20. CHIERA, Edward, They Wrote on Clay : The Babylonian Tablets Speak Today, Chicago,
University of Chicago Press, 1938.
21. BOTTÉRO, Jean, « De l’aide-mémoire à l’écriture », dans CHRISTIN, Anne-Marie (dir.),
Écritures, systèmes idéographiques et pratiques expressives, Paris, Le Sycomore, 1982,
p. 13-38.
22. FALKENSTEIN, Adam, Die archaische Keilschrifttexte aus Uruk, Berlin-Leipzig, Otto
Harrassowitz, 1936.
23. GELB, Ignace J., A Study of Writing, Chicago, The University of Chicago Press, 1952,
rééd. 1963.
24. DIRINGER, David, A History of the Alphabet, Londres, Staples Press, 1977.
25. FÉVRIER, James G., Histoire de l’écriture, Paris, Payot, 1948.
26. DURAND, Jean-Marie, « Trois approches de la notion d’idéogramme sumérien », dans
Anne-Marie Christin (textes réunis par), Écriture II, Paris, Le Sycomore, 1985, p. 25-
43.
27. NISSEN, Hans J., DAMEROW, Peter et ENGLUND, Robert K., Archaic Bookkeeping : Early
Writing and Techniques of Economic Administration in the Ancient Near East, Chicago,
University of Chicago Press, 1993 (publ. originale : Frühe Schrift und Techniken der
Wirtschaftsverwaltung im alten Vorderen Orient : Informationsspeicherung und -
verarbeitung vor 5000 Jahren, 1990).
28. ENGLUND, Robert K., « Proto-Cuneiform Account-Books and Journals », dans HUDSON,
Michael et WUNSCH, Cornelia (dir.), Creating Economic Order : Record-keeping,
Standardization and the Development of Accounting in the Ancient Near East, Bethesda,
CDL Press, 2004, p. 23-46.
29. FALKENSTEIN, Adam, Keilschriftforschung und die alte Geschichte Vorderasiens, Leiden,
Brill, 1964.
30. Cela ne signifie pas qu’une marque en forme d’encoche représente un nombre en
tant que tel, mais qu’elle possède une valeur numérique, associée la plupart du
temps étroitement à une valeur qualitative, renvoyant à ce qui est compté ou
comptabilisé. On continuera d’employer par la suite cette expression de « marque
numérale », devenue maintenant courante en assyriologie, pour désigner ce type de
signe.
31. Voir le point sur les enveloppes d’argile et les jetons réalisé par Rainer M. Boehmer
dans Uruk. Früheste Siegelabrollungen, Ausgrabungen in Uruk-Warka, Endberichte 24,
Mayence, Philipp von Zabern Verlag, 1999.
32. ENGLUND, Robert K., « Texts from the Late Uruk Period », dans BAUER, Josef, ENGLUND,
Robert K. et KREBERNIK, Manfred (dir.), Mesopotamien. Späturuk-Zeit und Frühdynastische
Zeit. Annäherungen I, Orbis Biblicus et Orientalis 160/1, Göttingen,
Vandenhoeck & Ruprecht 1998.
33. OPPENHEIM, A. Leo, « On an Operational Device in Mesopotamian Bureaucracy »,
Journal of Near Eastern Studies, 18/2, 1959, p. 121-128.
34. LEGRAIN, Léon, Empreintes de cachets élamites, Mémoires de la Délégation en Perse XVI,
Paris, E. Leroux, 1921.
35. AMIET, Pierre, « Il y a 5 000 ans, les Élamites inventaient l’écriture », Archéologia, 12,
1966, p. 16-23.
36. LAMBERT, Maurice, « Pourquoi l’écriture est née en Mésopotamie », Archéologia, 12,
1966, p. 24-31.
37. LE BRUN, Alain et VALLAT, François, « L’origine de l’écriture à Suse », Cahiers de
la Délégation archéologique française en Iran, vol. 8, 1978, p. 11-59.
38. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « An Archaic Recording System and the Origin of Writing,
Syro-Mesopotamian Studies, vol. 1, 1977.
39. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « Reckoning Before Writing », Archaeology, vol. 32, no 2,
1979, p. 22-31 ; et « An Archaic Recording System in the Uruk-Jemdet Nasr Period »,
American Journal of Archeology, vol. 83, no 1, 1979, p. 19-48.
40. SCHMANDT-BESSERAT, Denise, « The Earliest Precursor of Writing », Scientific American,
vol. 238, no 6, p. 50-58.
41. SHENDGE, Malati J., « The Use of Seals and the Invention of Writing », Journal of the
Economic and Social History of the Orient 26/2, 1983, p. 113-136.
42. POWELL, Marvin A., « Three Problems in the History of Cuneiform Writing : Origins,
Direction of Script, literacy », Visible language 15/4, 1981, p. 419-440 ; GREEN, Margaret
W., « The Construction and Implementation of the Cuneiform Writing System »,
Visible language, 15/4, 1981, p. 345-372.
43. KRAMER, Samuel Noah, L’histoire commence à Sumer (préface de Jean Bottéro), Paris,
Arthaud, 1957, rééd. Flammarion, 2017.
44. ZIMANSKY, Paul E., « Review of Denise Schmandt-Besserat’s Before Writing, 2 vols. »,
Journal of Field Archaeology, 20, 1993, p. 513-517.
45. DAMEROW, Peter, « Bookkeepers invented scripture : review of Schmandt-Besserat’s
Before Writing 1992 », Rechtshistorisches Journal, 12/6, 1993, p. 9-35 ; FRIBERG, Jöran,
« Preliterate counting and accounting in the Middle East : a constructively critical
review of Schmandt-Besserat’s Before Writing », Orientalistische Literaturzeitung, 89/5-
6, 1994, p. 477-502 ; ENGLUND, Robert K., « The origins of script. Review of Before
Writing by Denise Schmandt-Besserat », Science, 260 (5114), 1993, p. 1670-1671 ; et, du
même, « Review of D. Schmandt-Besserat, How Writing Came About », Written Language
and Literacy, 1, 1998, p. 257-261.
46. Voir plus loin dans cet ouvrage.
47. BROWN, Stuart C., « Review of Schmandt-Besserat 1992 », Canadian Society for
Mesopotamian Studies, Bulletin 31, 1996, p. 35-43 ; FRIBERG, Jöran, « Preliterate
counting and accounting in the Middle East : a constructively critical review of
Schmandt-Besserat’s Before Writing », 1994 ; DAMEROW, Peter, « Bookkeepers invented
scripture : review of Schmandt-Besserat’s Before Writing 1992 », 1993.
48. Elle sera publiée plusieurs années plus tard : DAMEROW, Peter, « The material culture
of calculation : a theoretical framework for a historical epistemology of the concept
of number », dans GELLERT, Uwe et JABLONKA, Eva (dir.), Mathematisation and
Demathematisation : Social, Philosophical and Educational Ramifications, Leiden, Brill,
2007.
49. « … these ideas – long on theory and short on evidence – do not diminish the real
value of the author’s work, which has profoundly altered the way in which we view
the origins of writing in the Near East » (POWELL, Marvin A., « Before Writing by Denise
Schmandt-Besserat. Book Review », Journal of the American Oriental Society, vol. 114,
no 1, 1994, p. 96-97).
50. MATTESSICH, Richard, « Archaeology of accounting and Schmandt-Besserat’s
contribution », Accounting History Review, 4/1, 1994, p. 5-28.
51. GLASSNER, Jean-Jacques, « Essai pour une définition des écritures », L’Homme, 192,
Écritures et langage, 2009, p. 7-22, p. 11.
52. CHRISTIN, Anne-Marie, L’image écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995,
p. 5. Voir aussi CHRISTIN, Anne-Marie (dir.), Histoire de l’écriture. De l’idéogramme au
multimédia, Paris, Flammarion, 2002, 2012.
53. RIZZOLATTI, Giacomo et SINIGAGLIA, Corrado, Les neurones miroirs, Paris, Odile Jacob,
2008.
54. GLASSNER, Jean-Jacques, Écrire à Sumer, 2000, p. 223.
55. Il s’agit surtout des jetons complexes. Ceux de forme simples (cônes, sphères,
disques, tétraèdres…) ont été trouvés en nombre important, et souvent dans
les mêmes groupes, comme à Uruk et à Suse.
56. Voir la photo de l’enveloppe sur le site du Cuneiform Digital Library Initiative
(CDLI) : https://cdli.ucla.edu/search/archival_view.php?ObjectID=P281696.
57. ENGLUND, Robert K., « Review of The Invention of Cuneiform : Writing in Sumer, by Jean-
Jacques Glassner », Journal of the American Oriental Society, 125/1, 2005, p. 113-116.
58. ROSS, Jennifer C., « Art’s Role in the Origins of Writing : The Seal-Carver, the Scribe,
and the Earliest Lexical Texts », dans BROWN, Brian A. et FELDMAN, Marian H. (dir.),
Critical Approaches to Ancient Near Eastern Art, Berlin, De Gruyter, 2013, p. 295-317.
59. PITTMAN, Holly, « Seals and sealings in the Sumerian world », dans CRAWFORD, Harriet
(dir.), The Sumerian World, Londres, Routledge, 2013.
60. DURAND, Jean-Marie, « Du texte à l’histoire », dans BARTOLINI, Gilda et BIGA, Maria
Giovanna (dir.), Not Only History. Proceedings of the Conference in Honor of Mario Liverani,
Held in Sapienza – Università di Roma, Dipartimento di Scienze dell’Antichità, 20-21
April 2009, University Park, Penn State University Press, 2016, p. 77-89 ; CHAMBON,
Grégory, « Pourquoi écrire et tenir des comptes ? Étude de la comptabilité dans
le Palais de Mari au XVIIIe siècle av. J.-C. », dans BORDREUIL, Etienne, MATOÏAN, Valérie et
TAVERNIER, Jan (dir.), Administration et pratiques comptables au Proche-Orient, colloque
Louvain-la-Neuve, 21-22 fév. 2019, Louvain, Publications de l’Institut orientaliste de
Louvain, 37 p. (à paraître). En tant que professeur invité à l’EHESS en mars 2020,
Walther Sallaberger a également réinterprété lors d’une conférence les listes de
personnes recevant une allocation mensuelle d’orge dans la ville sumérienne de
Girsu (XXIVe siècle av. J.-C.) non comme de simples enregistrements comptables de
l’orge à délivrer chaque mois, mais comme des textes officiels de « garantie sociale »
en assurant à chaque individu une quantité fixée pour ses propres besoins dans
le cadre d’une économie de redistribution.
61. MALAFOURIS, Lambros, How Things Shape the Mind : A theory of material engagement.
Cambridge, MIT Press, 2013, p. 106-111.
62. OVERMANN, Karenleigh A., WYNN, Thomas et COOLIDGE, Frederick L., « The prehistory of
number concept », Behavioural Sciences, 34, 2011, p. 142-144.
63. BENNISON-CHAPMAN, Lucy E., « Reconsidering ‘‘Tokens’’ : The Neolithic Origins of
Accounting or Multifunctional, Utilitarian Tools ? », Cambridge Archaeological Journal,
29/2, 2019, p. 233-259.
64. CHARVÁT, Petr, « Spheres of interest : Hollow clay balls at the dawn of ancient Neat
Eastern history », Chatreššar. International Journal for Indo-European Semitic and
Cuneiform Languages, vol. 2, 2019, p. 5-22.
65. Pour une détaillée du site, voir BUTTERLIN, Pascal, Architecture et société au Proche-
Orient ancien. Les bâtisseurs de mémoire en Mésopotamie, Paris, Picard, 2018, p. 65-77.
66. AKKERMANS, Peter M. M. G. et DUISTERMAAT, Kim, « Of storage and nomads. The
sealings from Late Neolithic, Sabi Abyad, Syria », Paléorient, 22/2, 1996, p. 17-44.
67. TENU, Aline, « Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie », Comptabilité(S), revue
en ligne, 8, 2016 (URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/1877).
68. PITTMAN, H., « Seals and sealings in the Sumerian world », 2013.
69. CHARVÁT, P., « Spheres of interest : Hollow clay balls at the dawn of ancient Neat
Eastern history », 2019.
70. BUTTERLIN, P., Architecture et société au Proche-Orient ancien, 2018.
71. OVERMANN, Karenleigh A., « Beyond Writing : The Development of Literacy in the
Ancient Near East », Cambridge Archaeological Journal, 26/2, 2016, p. 285-303.
72. CHRISOMALIS, Stephen, Numerical Notation : a Comparative History, Cambridge,
Cambridge University Press, 2010.
73. ROBSON, Eleanor, Mathematics in Ancient Iraq : A Social History, Princeton, Princeton
University Press, 2008.
74. VELDHUIS, Niek, « How did they learn cuneiform ? Tribute/Word List C as an
elementary Exercise », dans MICHALOWSKI, Piotr et VELDHUIS, Niek (dir.), Approaches to
Sumerian literature. Studies in honor of Stip (H.L.J. Vanstiphout), Cuneiform Monographs
35, Leiden, Brill, 2006, p. 181-200.
75. WAGENSONNER, Klaus, « Early Lexical Lists and Their Impact on Economic Records : An
Attempt of Correlation between Two Seemingly Different Kinds of Data-sets », dans
WILHELM, Gernot (dir.), Organization, Representation, and Symbols of Power in the Ancient
Near East. Proceedings of the 54th Rencontre Assyriologique Internationale at Würzburg, 20-
25 July 2008, University Park, Penn State University Press, 2012, p. 805-817.
76. ROSS, Jennifer C., « The Scribal Artifact. Technological Innovation in the Uruk
Period », dans STEADMAN, Sharon R. et ROSS, Jennifer C. (éd.), Agency and Identity in the
Ancient Near East, Londres, Equinox, 2010, p. 80-97.
77. CANCIK-KIRSCHBAUM, Eva et CHAMBON, Grégory, « Maβangaben und Zahlvorstellung in
archaischen Texten », Altorientalische Forschungen, 33, 2006, p. 189-214.
78. Il s’agit de W.12139 dont une photo est disponible sur le site du CDLI :
https://cdli.ucla.edu/dl/photo/P000014.jpg.
79. Voir les remarques dans ce sens de Robert K. Englund dans « Review of The Invention
of Cuneiform : Writing in Sumer, by Jean-Jacques Glassner », Journal of the American
Oriental Society, 125/1, 2005, p. 113-116.
80. CIVIL, Miguel, « Feeding Dumuzi’s sheep : the lexicon as a source of literary
inspiration », dans ROCHBERG-HALTON, Francesca (dir.), Language, Literature, and History :
Philological and Historical Studies Presented to Erica Reiner, American Oriental Series 67,
University Park (PA), Eisenbrauns, 1987, p. 37-55.
81. D. Schmandt-Besserat relève la diversité de ces méthodes d’impression dans cet
ouvrage : 1) fixation des jetons à sa surface ; 2) empreinte des jetons à la surface de
l’argile molle ; 3) impression de signes à l’aide d’un calame ; 4) pression du pouce ; et
5) incision dans l’agile durcie. Elles ont également été repérées par Robert
K. Englund.
82. Voir les références dans GLASSNER, Jean-Jacques, Écrire à Sumer, 2000, p. 62-63 et dans
l’article de la note suivante.
83. Voir Chambon, G. « Écrire et (se) représenter les nombres en Mésopotamie »,
Pasiphae : rivista di filologia e antichità egee, XV, 2021, p. 63-82.
84. OVERMANN, Karenleigh A., « Updating the Abstract-Concrete Distinction in Ancient
Near Eastern Numbers », Cuneiform Digital Library Journal, 2018/1, p. 1-22.
85. GLASSNER, Jean-Jacques, Écrire à Sumer, 2000, p. 223.
Postface
GENÈSE DE L’ÉCRITURE
Grégory Chambon

« J’ai découvert les jetons par hasard. »


Comme Denise Schmandt-Besserat, la plupart des archéologues
spécialistes du Proche-Orient ancien ont réalisé leurs plus belles
découvertes grâce au hasard. L’exhumation accidentelle d’une statue
acéphale par un bédouin syrien a ainsi permis à André Parrot de localiser
l’antique ville de Mari à Tell Hariri sur l’Euphrate, et l’observation fortuite
d’enfants réalisant des ricochets sur le Habur avec des galets, qui se sont
avérés être en fait des tablettes d’argile couvertes de signes écrits, a
conduit Harmut Kühne à retrouver une grande partie de la documentation
cunéiforme de la ville médio-assyrienne de Dūr-Katlimmu (Tell Sheikh
Hamad) en Syrie.
Le commencement de tout travail archéologique ne se limite
cependant pas au seul hasard et requiert une compétence particulière, à
côté de l’expérience de terrain et de la maîtrise des outils techniques de
fouilles : il s’agit d’une forme d’intuition créatrice qui pousse
l’archéologue à s’intéresser à un type d’artefact plutôt qu’à un autre et à
opérer des choix prioritaires dans l’examen des unités stratigraphiques.
Selon Philippe Boissinot, l’archéologie, en tant qu’« enquête sur
les agrégats », relève de l’étude des relations entre un tout et ses parties
dans l’espace et dans le temps, puisqu’elle ne se contente pas – plus,
depuis quelques décennies – d’analyser des objets isolés pour leurs aspects
esthétiques, mais cherche à les mettre en relation du point de vue de leur
fonctionnalité, leur usage ou leur valeur symbolique avec d’autres
éléments de l’agrégat 1. L’intuition créatrice se double donc d’une
intention heuristique afin de mettre en place le questionnement
historique : à la question « Qu’y a-t-il ici ? » succèdent alors les questions
« Qu’est-ce que c’est ? », « À quoi cela servait-il ? » et même « Comment
cela fonctionnait-il ? ».
Les nombreux « jetons » en argile découverts fortuitement par Denise
Schmandt-Besserat dans différentes collections de musées, entre 1969 et
1971, posaient d’emblée plusieurs problèmes à la fois pour l’intuition et
l’intention archéologiques. Spontanément – et ce fut le cas de plusieurs
archéologues qui les avaient exhumés –, on pourrait interpréter ces petits
objets de forme et de facture diverses comme des éléments de jeux
anciens ou bien des amulettes votives. Cette tentation reflète cependant,
dans le premier cas, une vision quelque peu anachronique – nos jeux de
plateau modernes regorgent de jetons de toutes sortes –, et dans le second
cas, un choix commode par défaut – on a généralement tendance à ranger
tout artefact énigmatique dans la catégorie « objets cultuels ou votifs », en
raison de l’omniprésence supposée du religieux dans toutes les sphères
d’activités des sociétés préhistoriques et antiques. Cette difficulté
interprétative était de plus accentuée par le manque d’analyse
méthodologique de ces artefacts : ils avaient été souvent peu reliés au
contexte archéologique de leur découverte, et donc à l’ensemble
des éléments temporels, spatiaux et structurels de « l’agrégat » dont ils
provenaient, et décrits à minima, entravant ainsi toute étude comparative
dans la synchronie et la diachronie.
Le chantier – archéologique et théorique – ouvert par Denise
Schmandt-Besserat était donc colossal, et nécessitait non seulement
un travail méticuleux d’une grande ampleur, puisqu’il recouvrait
des corpus importants et épars, mais également l’investissement d’un
esprit passionné, faisant fi du caractère abrupt, inesthétique et répétitif
des collections de jetons en argile. Son expérience des us et coutumes
des cultures proche-orientales, grâce à ses multiples voyages (en Syrie,
Levant, Arabie Saoudite, Turquie, Irak, Iran…), ainsi que son parcours
professionnel mêlant archéologie, anthropologie et muséographie,
l’avaient prédisposée à porter un regard pluridisciplinaire sur son objet de
recherche, en croisant l’étude de la culture matérielle avec celle
des processus cognitifs des individus au cœur des sociétés du passé.
Lorsque son travail a débuté dans les années 1970, elle pouvait ainsi
d’emblée éviter l’aporie née de l’opposition entre deux approches en
histoire des sciences, vivaces à ce moment et maintenant en partie
dépassées : l’approche internaliste, qui s’intéresse à l’histoire des concepts
et des idées et aux productions des savoirs stricto sensu et l’approche
externaliste, qui porte plutôt son attention sur l’influence des contextes
sociaux, culturels ou économiques dans la construction de ces savoirs.
Cette volonté de croiser matérialité et cognition a caractérisé par la suite
la production scientifique de Denise Schmandt-Besserat, avec des titres
évocateurs comme « The Origin of Visible Language » (1992), « Tokens :
The Cognitive Significance » (1999) ou encore « Tokens and writing : the
Cognitive Development » (2009, 2015). Mais l’entreprise initiée par Denise
Schmandt-Besserat ne se réduisait pas simplement à lever le voile sur
une catégorie d’artefacts dont la fonction demeurait jusqu’alors obscure.
Elle touchait une question beaucoup plus vaste, objet de débats passionnés
depuis l’Antiquité, et suscitant toujours l’intérêt des chercheurs et du
grand public : celle de la genèse de l’écriture.
Les termes employés pour décrire ce moment, censé marquer
officiellement une césure dans le temps entre les âges préhistoriques et
l’Histoire, et témoigner de la création d’un outil à la fois pratique et
intellectuel, sont multiples dans l’historiographie. Ainsi, certains
spécialistes de l’écriture parlent-ils de « naissance », renvoyant au
premier stade d’une entité vouée à se développer inexorablement et
continuellement dans le temps, dont il faudrait comprendre la période de
procréation, voire de gestation. D’autres préfèrent le terme
d’« origine(s) », plus formel et moins affectif, mais qui pose des problèmes
d’ordre méthodologique et épistémologique : comment être sûr d’avoir
identifié l’origine de l’écriture dans le temps et dans l’espace ? Comment
définir précisément cette origine sans tomber dans la quête sans fin d’une
origine de l’origine ? D’autres encore utilisent le terme d’« invention »,
afin d’invoquer la formidable capacité créatrice de l’esprit humain qui
l’aide à s’adapter à de nouvelles circonstances.
Ces différents choix terminologiques procèdent néanmoins souvent
d’une même vision téléologique, invitant à remonter le temps. L’écriture
apparaît comme un phénomène bien défini dont on pourrait, de façon
rétrospective, saisir les différentes étapes d’évolution au cours de
l’aventure humaine jusqu’à notre alphabet occidental moderne, étape
ultime et aboutie du système. Elle caractériserait à ses débuts, de facto,
une rupture entre le recours à un ensemble d’images figuratives
représentant certaines notions mentales dans les sociétés préhistoriques,
qu’André Leroi-Gourhan nommait « mythogrammes », et l’instauration
d’un nouveau système de signes conventionnels propres à transcrire
le langage dans les temps historiques. Elle serait le fruit d’une situation
économique et sociale devenue plus « complexe », générant de nouveaux
besoins et donc de nouveaux outils aussi bien matériels qu’intellectuels.
Elle aurait ensuite suivi, progressivement mais inexorablement,
un processus de simplification aussi bien d’ordre graphique – réduction
des répertoires de signes – que d’ordre phonétique – transcription de plus
en plus facilitée de la langue – dans le cadre des sociétés humaines dont
les activités se sont, elles, de plus en plus complexifiées, du point de vue
des relations sociales, des productions culturelles ou des interactions
économiques.
Cette vision pose en réalité deux principaux problèmes dans
la recherche actuelle. Premièrement, on voit que se dessine en fond
un jugement de valeur d’ordre historique et anthropologique. L’écriture
renverrait non seulement à un événement marquant de l’histoire qui
définirait un avant et un après, mais elle ferait également partie des traits
permettant de caractériser le niveau culturel et intellectuel d’une
civilisation, selon un schéma évolutionniste, au même titre que l’existence
d’une forme d’État, d’un système de loi ou d’une hiérarchie sociale. C’est
lorsque des conditions culturelles particulières seraient réunies qu’elle
pourrait apparaître, et, inversement, toute civilisation faisant preuve
d’une organisation sociale et politique avancée connaîtrait forcément
l’écriture. Or, plusieurs anthropologues, comme Alain Testart 2 ou Pierre
Clastres 3, ont pointé du doigt le préjugé qui consiste à considérer comme
« simples » et « rudimentaires » les activités des cultures aux mœurs trop
éloignées des nôtres. La notion de complexité est donc à interroger : on
peut éventuellement parler de complexité croissante à propos de
l’équipement matériel et technique des sociétés au cours de l’histoire,
mais difficilement à propos des organisations politiques ou des structures
sociales. Ainsi l’archéologue Luc Bachelot remarque-t-il qu’« évoquer
la complexité du système économico-social de la Mésopotamie pour
expliquer la naissance de l’écriture devient un topos, peut-être même
une sorte de conte étiologique » 4.
Deuxièmement, la définition même de l’écriture, entre reflet fidèle de
la langue parlée, outil mnémotechnique ou retranscription matérielle de
la pensée, est encore l’objet de débats dont certains remontent à
l’Antiquité. On n’a qu’à comparer, pour mesurer la divergence des points
de vue, la vision de Platon, exprimée dans le Phèdre, d’une écriture qui
affaiblit l’esprit, fige le discours et ne joue qu’un rôle passif, avec celle du
linguiste Ferdinand de Saussure au XIXe siècle, pour lequel l’écriture est
la transcription graphique, sous forme d’un système rationnel et cohérent
de signes, d’un message oral, ou celle récente d’Anne-Marie Christin, qui
défend l’idée que l’écriture repose non sur la parole mais sur la capacité à
générer des images et à traiter l’espace. Comment – et même pourquoi –
chercher les origines d’une activité humaine, l’écriture, si l’on n’est pas au
clair sur sa nature ?
Il nous faut donc mieux connaître dans un premier temps les débats à
propos de l’écriture, et plus spécifiquement du cunéiforme,
communément considéré comme la première écriture, avec ses propres
caractéristiques graphiques, phonétiques et sémantiques, afin de pouvoir
étudier, dans un second temps, la réception et la portée des travaux de
Denise Schmandt-Besserat, et de dessiner, dans un troisième temps,
les perspectives d’une « genèse » de l’écriture. Ce choix terminologique,
préféré à celui de « naissance », d’« origine » ou d’« invention », répond à
la volonté d’insister sur le caractère nouveau, contingent et progressif
d’un phénomène, l’écriture, mobilisant plusieurs pratiques et ouvrant
un vaste champ des possibles aux sociétés humaines. C’est exactement à
quoi se réfère le titre anglais de cet ouvrage : How Writing Came About.

Débats anciens et modernes sur l’écriture


Si de nombreux ouvrages ont déjà proposé des histoires de l’écriture et
en particulier de ses origines, d’après ses diverses formes graphiques, ses
usages et ses circulations, peu d’entre eux ont abordé la notion d’écriture
de manière réflexive, en s’interrogeant sur l’évolution des discours et
des prises de position sur l’écrit dans l’histoire 5. Il n’est pas question
d’investir ici l’ensemble de ce champ historiographique dont
les dimensions excèdent cette postface mais de s’intéresser plus
spécifiquement au domaine de l’écriture cunéiforme, qui a suscité, dès
les hautes époques de l’histoire de la Mésopotamie, des réflexions
approfondies sur sa nature et son apparition.
Un simple regard porté sur une tablette d’argile couverte de signes
cunéiformes montre à quel point ce type d’écriture mérite son nom. Elle
se définit en effet, du point de vue graphique, par un agencement de
caractères en forme de « coins » – on parle également souvent de « clous »
– dont chacun est la combinaison de trois éléments simples génériques :
le clou vertical, le clou horizontal et le clou oblique. Paradoxalement,
l’orientaliste anglais Thomas Hyde, dont on crédite habituellement
l’invention du néologisme latin « cuneiformis » en 1700 6, conférait à ces
signes un rôle non scriptural mais ornemental sur les anciens palais
des rois d’Orient. Un récit légendaire mésopotamien, que l’on intitule
« Enmerkar et le seigneur d’Aratta », prête une réaction semblable au
souverain de la lointaine contrée d’Aratta en Asie, plus de 4 000 ans plus
tôt 7. En effet, suite à un long échange d’énigmes à résoudre transmises
oralement entre le roi d’Uruk et celui d’Aratta, dont les énoncés et
les réponses étaient devenus difficiles à mémoriser et à transmettre par
les messagers, Enmerkar décida de rédiger le premier texte en cunéiforme
sur une tablette d’argile. Mais lorsqu’on apporta la tablette au seigneur
d’Aratta, ce dernier fut surpris d’avoir affaire à des « clous » plutôt qu’à
des mots. De façon générale, les deux principales langues des cultures
cunéiformes, le sumérien et l’akkadien, désignaient en effet le signe écrit
selon son aspect matériel et visuel, résultant de l’impression du bout
biseauté d’un calame en roseau dans l’argile molle, à travers les termes de
« clou » (sumérien gag, akkadien sikkatum), « trait, encoche » (sumérien
gu-šum2, akkadien miḫiṣtum) ou encore « triangle » (sumérien santak,
akkadien santakkum). Le récit fait partie d’un cycle épique plus important
dont les plus anciennes versions datent du XXVIe siècle et les plus récentes
du e
VII siècle av. J.-C. Sa notoriété – antique et moderne – est due au fait
qu’elle reflète la vision mésopotamienne sur les origines de l’écriture. Plus
précisément, ce récit attribue l’invention de l’écriture à la Mésopotamie,
considérée comme supérieure intellectuellement aux contrées voisines,
qui doivent s’en inspirer.
Les habitants de la Mésopotamie étaient cependant pleinement
conscients de l’évolution graphique de leur écriture pendant plus de
3 000 ans. La « cunéiformisation » des signes, avec ses aspects anguleux,
n’a eu lieu en effet que progressivement au cours de la première moitié du
IIIe millénaire av. J.-C. Les premiers signes sur les tablettes dites
« archaïques » trouvées dans la ville d’Uruk dans le sud mésopotamien et
datant d’environ 3 300 ans av. J.-C., furent en effet réalisés par l’impression
d’un calame de section circulaire ou par l’incision d’un calame en pointe,
et sont donc d’apparence plutôt curviforme ou figurative. Or, il ne fait nul
doute que les scribes mésopotamiens des époques postérieures ont
disposé de certains de ces exemplaires archaïques ou de leurs successeurs
directs. En effet, alors que les archives familiales conservaient souvent
des documents sur plusieurs générations, l’horizon chronologique de
la documentation des « bibliothèques » de temples ou de palais du
Ier millénaire, comme celle de Kalhu (Nimrud), de Ninive ou de Sippar était
encore bien plus étendue 8, car elles accordaient un prestige important à
la tradition écrite. De plus, il est fort possible que des textes anciens aient
été retrouvés dans le sol lors des travaux de réaménagement de temples
ou de palais réalisés par les souverains et fréquents en particulier au
Ier millénaire av. J.-C. Dans une de ces inscriptions, le grand roi assyrien
Assurbanipal (VIIe siècle av. J.-C.) se vante ainsi de pouvoir « … lire
les textes littéraires parfaits dont le sumérien est obscur et l’akkadien
difficile à clarifier… [et d’]examiner les stèles de pierre d’avant
le Déluge… » 9. Il fait ainsi référence à un passé antédiluvien, à situer
certainement au IIIe millénaire, qui aurait produit des documents dont
la compréhension pose problème au Ier millénaire, notamment en ce qui
concerne le sumérien, langue devenue alors exclusivement savante.
Le répertoire de signes écrits a de plus subi au cours des siècles
une réduction et une simplification. Dans la phase finale de son
développement, à l’époque néo-assyrienne (env. 1000-600 av. J.-C.), chaque
signe a un nombre précis de « clous » constitutifs dont chacun est
essentiel, alors que pour les périodes précédentes, ce nombre pouvait
varier selon les lieux et les niveaux d’écriture, renvoyant à plusieurs
variantes graphiques 10.
Il est alors intéressant de voir la façon dont, en particulier, les lettrés
assyriens du temple du dieu Nabû à Kalḫu (IXe-VIIe siècles av. J.-C.) ont
historicisé leur propre écriture, fruit d’une évolution sur près de vingt-
cinq siècles. Ils ont en effet créé ce que la recherche actuelle appelle
des compendia paléographiques 11. Il s’agit de listes sous forme de colonnes,
dans lesquels les signes assyriens contemporains sont placés sur chaque
ligne, à droite, en regard de signes d’aspect archaïsant, inscrits à gauche.
Ces derniers, constitués de lignes courbes et d’encoches rondes
ressemblent en effet beaucoup par leur forme à certains signes archaïques
d’Uruk, mais sans leur correspondre. Il semble que les scribes aient généré
de manière hypothétique ces signes, mais en suivant une certaine
systématique, qui en faisait les précurseurs graphiques des signes usuels
assyriens. Les compendia sont donc le reflet d’une réflexion sur l’évolution
de l’écriture cunéiforme de sa première phase curviligne à sa version
simplifiée et standardisée du Ier millénaire av. J.-C. C’est précisément ce
glissement graphique de la courbe au « coin », du caractère en apparence
figuratif au signe écrit épuré, qui a continué d’alimenter jusqu’à
aujourd’hui les discours sur l’évolution de l’écriture, sous la forme du
paradigme plus général « de l’image à la lettre ».
La redécouverte du cunéiforme, disparu depuis le Ier siècle après J.-C.,
se produit en effet en Europe à l’époque moderne, à travers les récits de
voyageurs au Proche-Orient qui comportent parfois des croquis
d’inscriptions au milieu des dessins de ruines et de statues antiques 12. On
attribue généralement à l’explorateur et poète italien Petro della Valle
la première représentation de signes cunéiformes en 1658. Mais bien
d’autres lui emboîtent le pas, comme le marchand anglais Samuel Flower
(1693) 13, le chevalier Chardin (1711) 14, ou encore le géographe allemand
Carsten Niebuhr (1774) 15. L’agencement géométrique et la simplicité
graphique des signes en forme de « coins », de « pyramides » ou
d’« obélisques » fascinent et intriguent. Quelques savants, comme Thomas
Hyde mentionné plus haut, les considèrent d’ailleurs comme de simples
éléments décoratifs, dont l’assemblage donne une vision d’ensemble
esthétique. Mais pour la majorité, il s’agit bien d’une véritable écriture,
qui reste cependant difficile à interpréter et à classer.
La réception du cunéiforme en Europe a en effet lieu à un moment où
s’opère un renversement de paradigme dans le discours intellectuel sur
l’écriture 16. Les savants de la Renaissance sublimaient, à la suite des néo-
platoniciens, les signes hiéroglyphiques – dont certains venaient d’être
découverts sur des obélisques lors des grands travaux de réaménagement
de Rome –, c’est-à-dire des symboles figuratifs renvoyant à des réalités
métaphysiques qui ne pouvaient, selon eux, être discernées par l’œil mais
seulement par l’intellect de personnes initiées, et qui s’opposaient aux
caractères alphabétiques dont la seule utilité était de servir les besoins
prosaïques de la vie quotidienne. Ce préjugé hiéroglyphique est
abandonné au XVIIIe siècle, grâce en particulier au projet d’histoire
universelle de l’écriture initié en particulier par Gianbattista Vico et
William Warburton 17, discuté et prolongé dans les décennies suivantes.
Cette théorie, fondée principalement sur l’observation des formes et
des caractères, propage l’idée d’une évolution généalogique de l’écriture,
du pictogramme – un dessin figuratif et schématique de choses
concrètes – en passant par l’idéogramme – signe graphique représentant
le sens d’un mot ou une idée – jusqu’à l’alphabet. Il existait donc pour
les partisans de cette théorie non pas plusieurs types d’écriture, attestés
dans des cultures diverses, mais différents états de l’écriture, qui se
perfectionnait jusqu’au système suprême des lettres alphabétiques. Cette
théorie se double d’un jugement de valeur sur les sociétés humaines, selon
l’état d’écriture censé les caractériser, comme le résume en particulier
Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues (écrit vers
1754) : « La peinture des objets convient aux peuples sauvages, les signes
des mots et des propositions aux peuples barbares, et l’alphabet aux
peuples policés. »
Pour quelle raison aucun des savants soutenant l’idée d’un
perfectionnement de l’écriture selon le schéma « de l’image à la lettre » ne
mentionne les inscriptions cunéiformes, dont les croquis dans les récits
des voyageurs sont pourtant bien diffusés en Europe ? La réponse est
simple : l’écriture cunéiforme dérange, car elle ne se laisse pas aisément
classer dans ce schéma évolutif. Les inscriptions qui avaient été copiées
par les voyageurs correspondaient en effet à un état tardif du cunéiforme
présent sur les palais assyriens ou perses du Ier millénaire, et aucune
tablette d’argile écrite à des époques antérieures n’avait été encore portée
à la connaissance des milieux érudits. Les signes cunéiformes, issus de
la combinaison de « clous » génériques simples, semblent donc a priori ne
dériver d’aucun répertoire d’images originelles, qui auraient été
déformées et simplifiées. Qu’ils soient considérés comme des signes
renvoyant à des idées aussi bien qu’à des sons, à la manière des écritures
chinoises dont des exemplaires étaient également ramenés en Europe par
les jésuites, ou comme des lettres d’alphabet, il demeure inconcevable de
leur prêter une origine figurative jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.
Le consul français de Mossoul Émile Botta fait clairement part de cette
conviction en 1848 18 : « Les signes [cunéiformes] ne représentent pas
des objets et […], d’après la manière dont ils sont formés, à l’aide d’un seul
élément [le clou], on peut assurer qu’ils n’ont jamais été figuratifs. »
Le cunéiforme ne trouve réellement sa place dans les débats sur
l’évolution de l’écriture qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle,
plusieurs dizaines d’années après les premiers succès dans son
déchiffrement. Des tablettes plus anciennes que celles rédigées par
des scribes assyriens au Ier millénaire, et datant des périodes dites
« d’Akkad » et de la « IIIe dynastie d’Ur » (dernier tiers du IIIe millénaire av.
J.-C.) sont en effet exhumées au Proche-Orient et mises à la disposition
des chercheurs dans les grands musées d’Europe. Les différences
d’organisation et de réalisation des signes cunéiformes sur ces tablettes,
facilement observables, ouvrent la voie à une étude paléographique
des répertoires variés de signes 19. Les critères de différenciation
graphique constituent alors l’approche principale. Ils permettent dans
un premier temps de distinguer trois styles quasiment contemporains –
datant du Ier millénaire av. J.-C. – que l’on nomme alors « babylonien »,
« perse » et « mède ». Dans un second temps, ils servent à classer
chronologiquement les documents en argile rapportés du Proche-Orient
en nombre de plus en plus important et rédigés à des époques beaucoup
plus anciennes – le IIIe millénaire av. J.-C.
Cette mise en perspective diachronique invite donc pour la première
fois – en Europe, puisque les scribes assyriens y avaient déjà pensé – à
s’intéresser aux origines mêmes de l’écriture cunéiforme. Jules Oppert,
le premier à occuper la chaire d’assyriologie au Collège de France en 1869,
précise ainsi dans son rapport d’expédition archéologique, réalisée « en
Mésopotamie et en Médie » de 1851 à 1854, que « la première question à
examiner ici est celle de l’origine de l’écriture cunéiforme en général » et
intitule d’ailleurs son rapport Origine hiéroglyphique de l’écriture cunéiforme.
Il emploie alors pour la première fois le terme « archaïque » pour désigner
une forme de signe plus complexe, dont les éléments constitutifs ne sont
pas encore cunéiformes mais linéaires, et qui apparaît par exemple sur
une inscription du roi Narām-Sîn d’Akkad (XXIIIe siècle avant J.-C.) relevée
sur un vase. Il pressent que cette forme dérive d’une autre encore plus
ancienne, purement figurative, et précise que « tous les signes
cunéiformes sont dérivés d’images » et que, plus généralement,
« l’écriture cunéiforme a un point de départ hiéroglyphique ». Jules
Oppert prend alors l’exemple du signe KU6, signifiant « poisson » en
sumérien et dont la graphie archaïque renvoie en effet clairement à
une représentation de cet animal. À la fin du XIXe siècle, l’idée que
le répertoire originel de l’écriture cunéiforme est constitué de signes
hiéroglyphiques est reprise par plusieurs chercheurs comme Archibald
H. Sayce ou George Smith, suite en particulier à l’étude des exemplaires de
compendia rédigés par des scribes assyriens et rapportés dans les musées
d’Europe.
Cette thèse d’une pictographie primitive – c’est-à-dire de l’usage de
pictogrammes – perdure au cours du XXe siècle, sous différentes formes. En
assyriologie, Edward Chiera développe par exemple l’idée d’une pré-
écriture, de nature purement pictographique, inscrite sur des matériaux
périssables (écorce, peaux d’animaux ou papyrus) et antérieure aux
premiers signes écrits sur les tablettes d’argile, et qui ne nous serait pas
parvenue 20. René Labat reconstitue hypothétiquement certaines formes
figuratives originelles de signes cunéiformes dans son célèbre manuel
d’épigraphie akkadienne, de la même façon que les scribes assyriens dans
leurs compendia. Plus généralement, deux schémas sur l’évolution de
l’écriture sont alors proposés.
Le premier s’organise en trois étapes, comme le théorise en détail Jean
Bottéro 21. Une « écriture de choses » aurait marqué un premier stade où
des pictogrammes représentaient de manière plus ou moins schématique
des choses concrètes, directement reconnaissables quelle que soit
la langue du lecteur, et servaient donc d’aide-mémoire. Le deuxième stade
aurait été caractérisé par une « écriture de mots », avec la transformation
des pictogrammes en logogrammes – des signes notant des mots entiers.
La connaissance de la langue du scribe par le lecteur devenait alors
indispensable, afin de comprendre le message écrit. Ce processus s’est
accompagné de la « défiguration » des pictogrammes originels, de plus en
plus stylisés et abstraits, puisqu’ils étaient maintenant plus reliés à
la langue qu’au monde concret. Ce type d’écriture opérait en revanche
toujours comme un aide-mémoire. Ce développement du phonétisme
aurait conduit à un troisième stade, où les différents graphèmes ne se
contentaient pas de noter des mots, mais également des sons. Ce stade
aurait eu lieu dans le premier tiers du IIIe millénaire, lorsque
les Akkadiens, peuples de langue sémitique, ont emprunté leur système
d’écriture aux Sumériens, crédités de l’invention du cunéiforme. Ils ont
utilisé les signes retranscrivant les mots sumériens, essentiellement
monosyllabiques, non pas pour leur signification mais pour leur
prononciation, afin de composer, en en mettant plusieurs bout à bout,
les mots de leur propre langue plurisyllabique. L’écriture, qui collait
maintenant parfaitement à la langue, serait ainsi véritablement née après
une lente période de maturation.
Cette théorie en trois temps est cependant concurrencée par une autre
qui postule seulement deux étapes dans la genèse de l’écriture. Elle
s’appuie sur les observations en 1936 de l’éditeur des premiers textes
archaïques provenant d’Uruk, l’allemand Adam Falkenstein, qui s’étonne
que les plus anciens répertoires de signes ne comportent en fait qu’un
nombre très limité de pictogrammes reconnaissables 22. Certains signes,
comme celui du mouton, représenté par une croix inscrite dans un cercle,
revêtent même un caractère très abstrait. Ignace J. Gelb, l’un des tenants
de cette théorie, explicitée dans son célèbre Study of Writing de 1952,
qualifie cette première étape de « logographie », c’est-à-dire un système
graphique permettant de noter les mots de la langue, composé de
pictogrammes et de signes résultant de conventions arbitraires 23. Le souci
de noter par écrit tous les sons de la langue, et en particulier
les anthroponymes, aurait motivé la seconde étape, celle du phonétisme
avec des graphies syllabiques ; on parle alors de « logosyllabique ».
Si ces théories sur la pictographie originelle proposent des schémas
évolutifs différents pour l’écriture, elles partagent avec force un point de
vue commun : l’écriture a par nature vocation à être une notation
graphique des sons de la langue, et donc à s’adapter progressivement pour
retranscrire toutes les subtilités phonétiques. Ce point de vue est enraciné
dans une longue tradition, puisqu’on le trouve sous une certaine forme
dans la sémiologie d’Aristote, l’évolution généalogique de Warburton
décrite plus haut, les discours philosophiques de Condillac et Rousseau, ou
encore la Linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916) qui
l’exprime clairement : « Langue et écriture sont deux systèmes de signes
distincts ; l’unique raison d’être du second est de représenter le premier. »
Les partisans de cette théorie, que l’on retrouve également chez
les linguistes et les historiens de l’écriture comme David Diringer 24 ou
James Février 25, s’accordent également sur l’existence d’un stade
embryonnaire et imparfait des notations écrites, sans logique ni
cohérence apparentes. Issue de cette phase primitive, l’écriture des textes
archaïques d’Uruk serait alors « défective » ; il lui manquerait les éléments
grammaticaux et syntaxiques qui lui permettront plus tard de retranscrire
plus précisément les messages oraux.
Dans les années 1970, les travaux de Jack Goody, en particulier résumés
dans sa Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage de 1979 [1977],
mettent à mal ces présupposés. L’anthropologue considère en effet moins
l’écriture comme une transcription de la parole que comme un mode de
production et de représentation spécifique de la pensée, avec sa propre
logique. L’écriture reflète en même temps qu’elle structure la cognition et
révèle le rapport particulier au monde qu’entretiennent les sociétés.
D’instrument strictement subordonné au langage, elle devient pour
les chercheurs un outil heuristique doté d’une certaine autonomie,
susceptible de noter plusieurs ou même aucune langue parlée, comme
l’affirmait déjà le linguiste Charles de Brosses dans son Traité de
la formation méchanique des langues et principes physiques de l’étymologie de
1765. Le schéma explicatif des premiers temps de l’écriture, de « l’écriture
des choses » à « l’écriture des mots », devient alors la cible de critiques. En
particulier, l’assyriologue Jean-Marie Durand remet en question la notion
de pictogrammes dans les textes archaïques, dont l’aspect figuratif est
censé faciliter la compréhension, mais qui sont souvent plus difficiles à
interpréter que les idéogrammes, pourtant plus schématiques, parce qu’ils
ont une utilisation métaphorique qui nous échappe actuellement 26 ; par
exemple, le signe pour désigner le pied (noté GÌR en sumérien) est
clairement représenté par la silhouette d’une tête d’âne, selon un rapport
analogique qui faisait sens pour les scribes mais qui reste encore opaque
pour les philologues. L’existence de nombreux signes « numineux » dans
les grottes, sur des os ou des bois de renne, révélés par les spécialistes de
la préhistoire, le conduit alors à se demander si une notation conceptuelle
n’aurait pas en réalité précédé la notation des « choses », et si
les rédacteurs des premiers textes écrits n’auraient pas puisé dans
des répertoires graphiques et sémantiques déjà anciens.
C’est donc en partie sous un angle nouveau qu’un groupe
interdisciplinaire de chercheurs, composé en particulier de l’archéologue
Hans J. Nissen, de l’épigraphiste Robert K. Englund, de l’historien
des sciences et spécialiste de psychologie cognitive Peter Damerow et,
dans une moindre mesure, de l’historien des mathématiques Jöran
Friberg, interroge dans les années 1980 de façon méthodique les textes
archaïques d’Uruk, conservés à Berlin. Leur attention ne se porte pas a
priori sur une quelconque langue sous-jacente à ces premiers écrits mais
sur l’organisation spatiale et la valeur sémantique des signes ; grâce à
l’outil informatique, ils arrivent ainsi à repérer les répétitions,
les combinaisons et les variantes dans un répertoire évalué à environ 900
graphèmes 27. L’objectif n’est donc pas de mener une traduction précise
terme à terme, ou de tirer le sens de chaque signe de son simple aspect
figuratif, mais de réaliser une lecture globale des textes en identifiant
les champs sémantiques et en étudiant l’utilisation de la surface de
la tablette, parfois divisée en « cases » et « sous-cases » comportant
chacune des unités graphiques, ce qui empêche une lecture linéaire
des documents, contrairement aux textes produits quelques siècles plus
tard 28. Le corpus des textes archaïques d’Uruk étant constitué
essentiellement de documents administratifs, enregistrant différents
types de transactions, l’idée d’une origine comptable du cunéiforme, déjà
suggérée par Adam Falkenstein 29, remplace alors progressivement celle
d’une origine pictographique.
Du point de vue paléographique, l’accent est mis sur la distinction non
pas entre les pictogrammes et les graphèmes d’aspect non figuratif, mais
entre les encoches pour les notations numérales et les signes utilisés dans
le corps du texte pour représenter toutes les données de l’opération
administrative – acteurs, type d’opération, items comptés. Les premières
sont en effet disposées de façon ordonnée et symétrique sur la tablette
alors que les seconds sont écrits de façon plus libre, occupant la plupart
du temps sans ordre précis la surface restante des « cases ». Leur mode
d’inscription dans l’argile varie également. Les encoches résultent
essentiellement de l’impression simple, de façon perpendiculaire ou en
biais, d’un calame de section circulaire sur la surface de la tablette, qui
leur donne un aspect curviforme, contrairement aux autres signes qui
sont majoritairement incisés avec une pointe et de facture plus complexe.
Elles semblent donc suivre des règles conventionnelles et arbitraires,
détachées de tout processus figuratif. La soixantaine de ces marques dites
« numérales » 30 dénombrées par le groupe de Berlin s’organise alors en
une douzaine de systèmes pour exprimer des nombres et des quantités, en
fonction de ce qui est compté ou quantifié. Un système servait par
exemple à compter des choses discrètes, comme les animaux, les humains,
ou les objets manufacturés, un autre à noter les superficies, notamment
les surfaces agricoles, et un autre encore à quantifier de l’orge. Dans
chaque système, un signe est caractérisé par sa valeur arithmétique, c’est-
à-dire par ses rapports aux signes correspondant à son multiple direct et à
son sous-multiple direct – qui pouvaient être différents, contrairement
aux rapports entre unités dans notre système métrique où par exemple
1 mètre = 10 décimètres de même que 1 décamètre = 10 mètres. Pour
exprimer un nombre ou une quantité, on juxtaposait donc les signes du
système concerné et on inscrivait l’unité supérieure à chaque fois que
la somme des unités de même rang atteignait cette unité, après avoir
procédé aux réductions nécessaires. Un même signe peut alors appartenir
à des systèmes différents, mais sa valeur arithmétique varie ; par exemple,
la grande marque circulaire vaut 3 600 petites encoches dans le système
pour compter les choses discrètes, mais en vaut 60 dans celui pour
quantifier l’orge et 1 080 dans celui pour les noter les superficies.
La valeur arithmétique et sémantique d’un signe lui est donc conférée par
le système de nombres ou de mesures auquel il appartient : il porte à
la fois une information quantitative et qualitative, en rapport avec ce qui
est comptabilisé ou quantifié. Il s’agit toujours « d’un nombre de… » ou
« d’une mesure de… ». Ce principe préfigure la règle de la polysémie, qui
va caractériser l’écriture cunéiforme – et donc s’étendre au-delà du
répertoire des marques numérales – pendant trois millénaires.
Du point de vue chronologique, la thèse comptable soulève plusieurs
questions. Tout d’abord, il semble que l’écriture soit apparue
soudainement en tant que système complet à Uruk, sans phases d’essai ni
balbutiements qui auraient conduit à une normalisation progressive
des conventions écrites. Cette hypothèse se fonde en grande partie sur
l’établissement, par les premiers fouilleurs d’Uruk dans les années 1930,
des niveaux stratigraphiques du complexe cultuel de l’Eanna d’où a été
exhumée la grande majorité des tablettes archaïques. L’enchaînement
ainsi que les subdivisions des phases chronologiques associées, nommées
par les spécialistes, de la plus ancienne à la plus récente, « Uruk V » et
« Uruk IV », ne sont en effet pas aisés à établir à partir des comptes rendus
archéologiques d’un côté, et des datations données aux tablettes selon
des critères paléographiques par leur premier éditeur Adam Falkenstein
de l’autre 31. Or, le contexte archéologique et la chronologie relative – mise
en ordre des textes des plus anciens aux plus récents – sont essentiels
pour mieux cerner le moment de l’avènement de l’écriture. Deux étapes
consécutives dans ce processus semblent néanmoins se dégager : aux
tablettes les plus anciennes appelées couramment « numérales »
(tablettes à encoches), c’est-à-dire porteuses uniquement de notations
pour les nombres et les unités de mesure, auraient succédé des tablettes
mentionnant les denrées ou objets comptabilisés à côté des données
quantitatives, tablettes que Robert K. Englund qualifie de « numéro-
idéographiques » 32. Ces dernières témoigneraient d’un changement
radical dans les procédés comptables car la manière de noter les nombres
est devenue, à partir de ce moment, indépendante de la manière de
représenter l’objet comptabilisé.
Ensuite, les premières traces d’écriture n’apparaissent pas uniquement
à Uruk – même si ce site a fourni la grande majorité des tablettes
archaïques, plus de 5 000 – mais également (presque) simultanément dans
des sites éloignés comme Djebel Aruda et Habūba Kabira dans le nord-
ouest syrien, Tell Brak dans la haute Djézireh, ou Godin Tepe et Suse en
Iran. La question de l’émergence de l’écriture est donc étroitement liée à
celle de l’urbanisation en pleine croissance à la fin du IVe millénaire, ainsi
qu’à celle des rapports politiques et économiques entre les différents
centres de peuplement. Que le modèle suivi soit celui d’une « révolution
urbaine » dans la continuité de l’archéologue Gordon Childe, d’une
économie redistributive suite aux travaux de l’économiste Karl Polanyi,
d’une expansion urukéenne du centre vers la périphérie selon
l’anthropologue Guillermo Algaze, ou encore du facteur technologique
comme moteur du progrès suggéré par l’historien Mario Liverani,
la théorie de l’origine comptable cristallise les points de vue
des chercheurs autour d’une même conception de la première écriture en
Mésopotamie. Elle serait la réponse à des besoins de gestion
administrative devenue plus complexe en raison de différentes
innovations techniques (systèmes d’irrigation, outils agricoles plus
performants, élevage…) et économiques (principe de stockage à grande
échelle, développement du commerce, gestion des excédents agricoles…).
Sa raison d’être première serait celle d’aide-mémoire, facilitant
l’enregistrement, la gestion et l’échange. On peut voir là une forme de
parenté évidente avec la notion de « tendance technique » définie par
André Leroi-Gourhan et décrivant la relation dynamique entre l’objet
technique, les acteurs et le milieu culturel et social dans lequel il est
utilisé.
Il est alors intéressant de constater que la thèse comptable trouve
un écho dans un second mythe mésopotamien sur l’origine de l’écriture,
relaté à l’époque hellénistique par Bérose, dans ses Babyloniaca (IIIe siècle
av. J.-C.). Le prêtre babylonien explique en effet que Oannès –
mésopotamien Adapa –, un être hybride avec un corps d’homme et
une tête de poisson, serait sorti des eaux du Golfe Persique à l’aube
des temps pour enseigner aux hommes les compétences nécessaires pour
écrire et calculer, puis pour toutes sortes de connaissances, comme
construire des villes, fonder des temples et faire des lois.
Cette explication sur la fonction originelle de l’écriture ne résout en
revanche pas le problème de sa nature, caractérisée par un répertoire de
signes à l’aspect figuratif combinés à des marques numérales
conventionnelles. Ce répertoire a-t-il vraiment été pensé et mis en place
d’un seul coup ? A-t-il plutôt été engendré par une « proto-écriture » sur
des matériaux qui ne nous seraient pas parvenus ? Ou bien correspond-il à
un stade de maturation d’un ensemble de pratiques scripturales sur
d’autres supports ?
Un ensemble d’observations réalisées sur du matériel archéologique
depuis les années 1960, vient apporter des pistes de réponses à ces
questions et renforcer la thèse comptable. Tout part de l’étude par
l’assyriologue Leo Oppenheim d’une enveloppe creuse en argile (on
emploie aussi fréquemment le terme de « boules » creuses en argile)
retrouvée dans l’antique ville de Nuzi, dans le nord de l’Irak, et datant du
XIV siècle av. J.-C . Cette enveloppe, portant une inscription décrivant
e 33

la composition d’un troupeau d’ovins, contenait à l’origine


plusieurs jetons en argile, qui ont été malheureusement perdus depuis.
Oppenheim les interprète, à la lumière d’une part des textes
contemporains de Nuzi qui mentionnent des jetons – littéralement
des « pierres », abnu, pluriel abnātī en akkadien – utilisés pour
la comptabilité de troupeaux, et d’autre part de plusieurs exemples
ethnographiques, comme de véritables outils administratifs (bureaucratic
devices) et plus précisément des calculi ; chaque jeton renverrait d’après sa
forme, dans un principe de correspondance 1 à 1, à un animal particulier
(brebis, béliers, chèvres etc.). La manipulation matérielle des jetons
refléterait alors un ensemble d’opérations administratives, comme
le retrait ou l’ajout d’un animal, l’établissement du nombre de femelles et
de mâles, le calcul de l’accroissement du troupeau, etc.
Ce point de vue se fait en réalité l’écho d’une première intuition de
Léon Legrain, en 1921, à propos d’enveloppes creuses en argile trouvées
lors des premières fouilles à Suse, en Iran, et interprétées comme
des outils comptables 34. Les travaux de Pierre Amiet 35 dans les années
1960 sur l’ensemble du matériel archéologique exhumé à Suse prolongent
ce point de vue et l’appliquent aux origines mêmes de l’écriture : en
étudiant plusieurs enveloppes en argile datant du IVe millénaire,
l’archéologue observe en particulier que des marques représentant
les jetons qu’elles contenaient sont parfois inscrites sur leur surface – ou
bien les jetons sont imprimés eux-mêmes directement dans l’argile –, ce
qui permettait de « lire » le contenu de ces enveloppes, c’est-à-dire de
connaître sans avoir à les briser le nombre et le type de jetons et donc de
denrées ou d’animaux comptabilisés. Par la rencontre, sur la surface
d’argile, du principe du « signifié » – le sens, la représentation mentale
d’une chose – et du « signifiant » – la représentation matérielle de ce
sens –, l’écriture serait en effet, là, en gestation. Cette dernière serait
véritablement apparue peu de temps après sous la forme de tablettes
couvertes de quelques signes, selon les relevés stratigraphiques très précis
effectués par l’archéologue Alain Le Brun sur l’acropole de Suse. Cette
constatation permet de confirmer une intuition de Maurice Lambert selon
lequel les marques numérales sur les textes les plus anciens constituaient
un ensemble de représentations en deux dimensions de calculi en trois
dimensions, qu’il restait à découvrir dans la documentation
archéologique 36. En s’appuyant sur les systèmes de nombres attestés sur
des tablettes plus tardives du IIIe millénaire, François Vallat et Alain
le Brun proposent même des valeurs numériques pour certains jetons de
forme simple : un jeton en forme de petit cylindre vaudrait « 1 », en forme
de sphère « 10 », de disque « 100 », de cône « 60 », « 600 » ou « 1 000 » 37…
On voit se dessiner un nouveau schéma évolutif, fondé sur
une séquence chronologique précise, qui corrobore l’origine comptable et
permet de combler certaines lacunes de l’origine pictographique qui ne
pouvait expliquer le caractère en apparence purement conventionnel
des marques numérales : les calculi seraient les précurseurs en trois
dimensions des premiers signes écrits. La mise en place de la théorie
complète est alors l’œuvre fondamentale de Denise Schmandt-Besserat.

Réceptions d’une nouvelle théorie


À la fin des années 1970, les recherches approfondies de l’archéologue,
élève de Pierre Amiet, sont d’abord publiées dans un petit fascicule 38 et
des revues 39 archéologiques spécialisées – excepté dans la revue Scientific
American où ils sont destinés à une plus large communauté scientifique 40.
La réception de ces travaux a donc lieu, dans un premier temps,
essentiellement dans la communauté des spécialistes du Proche-Orient
ancien, et ne suscite pas un engouement particulier.
Un des premiers à s’y référer en 1980 est Stephen L. Lieberman,
spécialiste de langue sumérienne au département des Near Eastern Studies
de l’université de Princeton. Il concentre son attention sur les marques
numérales des textes du IIIe millénaire et interprète, à la suite de Maurice
Lambert, celles qui sont curviformes – réalisées avec l’extrémité circulaire
d’un calame – comme des représentations figurées (iconic representations)
de calculi et donc de calculs en train de se faire parallèlement à
l’enregistrement des données quantitatives dans le texte. Cette approche
se propose donc de changer la perspective chronologique avancée par
Denise Schmandt-Besserat. Les calculi auraient pu être ainsi employés,
probablement avec les enveloppes d’argile, encore longtemps après
l’invention de l’écriture pour réaliser des comptes à côté des textes
administratifs ; au moins jusqu’au XIVe siècle comme le révèle l’enveloppe
provenant de Nuzi. Seuls ceux en trois dimensions et de forme « simple »
(« plain tokens » selon la terminologie de Denise Schmandt-Besserat :
sphères, tétraèdres, cônes…) retrouvés à Uruk et à Suse dans
les enveloppes d’argile ou bien rattachés entre eux par une ficelle,
auraient pu jouer un rôle dans les premières phases de l’écriture ; ils
constituaient en effet de toute évidence des systèmes cohérents pour
la comptabilité, permettant de conserver la trace de transactions
administratives, qui auraient été par la suite fixées dans l’argile, comme
le montrent les cas d’impressions de jetons sur la surface des enveloppes.
En revanche, la typologie (plusieurs dizaines de formes), la provenance (du
Levant à l’Iran) et la chronologie (du VIIIe au IVe millénaire av. J.-C.) très
variées des jetons de facture plus « complexe » (« complex tokens »), parfois
décorés, incisés ou troués, ne permettraient pas selon Stephen
L. Lieberman d’attribuer à ce type de jeton une fonction analogue, et
conduisent même à penser dans certains cas plutôt à des bijoux ou
des éléments décoratifs. Les jetons ne représenteraient donc pas
des commodités qui auraient par la suite été notées sur des tablettes, et
les véritables précurseurs de l’écriture des textes archaïques, apparue
soudainement dans une forme pratiquement aboutie, resteraient donc
encore à trouver, probablement sur d’autres types de support que l’argile.
Pour Malati J. Shendge, une spécialiste des interactions entre
le Proche-Orient et l’Inde antique, qui s’intéresse également dès
les années 1980 aux premières publications de Denise Schmandt-Besserat,
ces précurseurs seraient à chercher en réalité du côté des pratiques de
scellement par des sceaux-cylindres ou par des sceaux-cachets, ces
derniers étant attestés bien avant l’apparition des premières tablettes en
Mésopotamie 41. Cette pratique porterait en germe une forme de
communication visuelle, puisqu’elle permettait d’identifier la personne
ayant des droits sur le bien auquel est rattachée l’empreinte de son sceau
(par exemple empreinte directe sur une jarre, ou sur une étiquette en
argile fixée sur le bien par une ficelle), ou bien la personne devant
rembourser une somme en nature, comme cela est très bien attesté dans
la documentation cunéiforme plus tardive, où les prêts d’argent ou de
grain sont scellés par les débiteurs. Il manquerait alors l’information
quantitative et qualitative sur le bien lui-même (par exemple le volume et
le type d’huile ou de grain, ou encore le nombre de moutons d’un
troupeau) ; cette déficience aurait été comblée plus tard par l’invention
des enveloppes d’argile et de leurs jetons, censés représenter des denrées
et des quantités. Denise Schmandt-Besserat postule plus précisément
l’existence de deux systèmes comptables parallèles mais probablement
identiques sur le principe : celui des enveloppes creuses en argile,
la plupart du temps scellées, contenant des jetons, et celui constitué par
des jetons percés et enfilés sur une petite corde, elle-même prise dans
un morceau d’argile plein, de forme oblongue et scellé, l’idée étant de
garder la trace d’une transaction grâce aux artefacts, et des ayants droit
(propriétaire, débiteur…) grâce au scellement. En revanche, les jetons en
argile datant du IXe au IVe millénaire, étudiés par Denise Schmandt-
Besserat, ne relèveraient pas tous, pour Malati J. Shendge, d’un même
système de comptabilité dont l’usage se serait progressivement généralisé
au Proche-Orient ancien. Elle rejoint le point de vue de Stephen
L. Lieberman : la fonction exacte des jetons complexes, dont les contextes
archéologiques sont souvent mal décrits par les fouilleurs, et dont
la grande diversité de formes et de lieux de provenance pose question, ne
concernerait pas forcément le domaine de la comptabilité et de la gestion
administrative.
Pour Marvin A. Powell et Margaret W. Green, s’intéressant
respectivement aux signes numéraux et aux autres signes d’écriture,
l’existence d’un lien conceptuel entre les jetons et les logogrammes bien
connus des textes postérieurs des IIIe et IIe millénaires, à travers les textes
archaïques d’Uruk, ne peut cependant être contestée, même si ce lien
reste à définir plus précisément. Dans un numéro de la revue Visible
Language de 1981 42, dédié aux caractéristiques de l’écriture cunéiforme,
les deux philologues défendent le principe novateur de la théorie de
Denise Schmandt-Besserat, tout en restant prudents sur certains de ses
résultats.
Ces premières réactions suscitent donc principalement deux axes de
réflexion à propos de l’apparition de l’écriture. Le premier interroge
la nature et la fonction même des jetons : est-ce que tous ces petits
artefacts en argile de formes très variées, jetons simples ou jetons
complexes, en usage sur une vaste aire géographique pendant plusieurs
millénaires, font « système » ? Peuvent-ils être tous réellement considérés
comme des calculi, c’est-à-dire des outils pour la comptabilité comme
semblent l’être assurément les jetons associés aux enveloppes d’argile ?
Le second axe de réflexion se concentre sur la relation, synchronique ou
diachronique, entre ces enveloppes d’argile et leurs jetons et les plus
anciennes tablettes couvertes de signes : les premières sont-elles
les prototypes des secondes ? Ou bien ont-elles toutes coexisté en tant
qu’instruments comptables complémentaires ? Les premiers signes écrits
sont-ils les représentations en deux dimensions de jetons en trois
dimensions ?
C’est en fait avec la parution en 1992 d’une étude complète en deux
volumes, sous le titre de Before Writing : From Counting to Cuneiform (vol. 1 et
2), que la communauté scientifique mesure réellement l’intérêt et l’impact
de la théorie de Denise Schmandt-Besserat. En effet, si l’idée de rechercher
l’origine de l’écriture en Mésopotamie était déjà ancienne, immortalisée
par exemple chez Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer 43, celle de saisir
précisément les conditions, les mécanismes et les étapes de son apparition
offrait un nouveau défi. Cette ébullition dans les réflexions sur l’écriture
se traduit les années suivantes par de multiples recensions des écrits de
Denise Schmandt-Besserat, dans lesquelles les auteurs soulignent leur
importance, émettent parfois des réserves, et proposent des hypothèses
alternatives, en se concentrant essentiellement sur la fin du
IVe millénaire, le moment où ont été produits les textes archaïques d’Uruk
et de Suse. Les remarques et critiques portent, du côté des archéologues,
comme Paul Zimansky 44, plutôt sur la méthodologie employée,
embrassant un corpus d’artefacts très hétéroclites du point de vue
chronologique et géographique, et, du côté des philologues, comme Piotr
Michalowski (1993) ou Marvin A. Powell (1994), sur la pertinence de
la relation morphologique entre les jetons en trois dimensions et
les premiers signes écrits en deux dimensions. Si l’on retient par exemple
l’identification du jeton représentant probablement le mouton ou plus
précisément le bélier (une croix dans un cercle) proposée par Denise
Schmandt-Besserat, le fait que seul un exemplaire soit daté du
VIIe millénaire et trois du IVe millénaire pose en effet question quand on
sait que ces sociétés étaient à forte dominante pastorale. Tous
les chercheurs reconnaissent en revanche les difficultés engendrées par
l’absence fréquente de contextualisation de ces artefacts lors des fouilles,
en raison du manque d’intérêt qu’ils suscitent habituellement chez
les archéologues. Tous s’accordent également pour rechercher
les conditions d’émergence des premiers écrits dans les besoins de gestion
devenus de plus en plus complexes à la fin du IVe millénaire, avec
les surplus engendrés par l’agriculture et l’intensification des échanges
économiques ; même si ses fondements sont discutés, l’idée d’une origine
comptable de l’écriture est donc plébiscitée.
Comme les textes archaïques d’Uruk avaient en grande majorité
vocation à enregistrer des opérations administratives, le groupe de Berlin
se montre particulièrement attentif à la théorie de Denise Schmandt-
Besserat, ce qu’on peut voir dans les recensions de Peter Damerow, Jöran
Friberg et Robert K. Englund 45. Elle pourrait en effet résoudre le problème
de l’apparition soudaine de l’écriture en tant que système graphique et
sémantique cohérent, en montrant la continuité entre des pratiques
comptables nécessitant la manipulation d’objets en trois dimensions et
des informations administratives enregistrées sur de l’argile par
des signes en deux dimensions. Or, c’est justement ce passage de
l’enveloppe à jetons au texte écrit qui pose problème aux chercheurs,
aussi bien du point de vue conceptuel que graphique.
La dimension épistémologique prend en effet, à partir des années
1990, de plus en plus d’importance dans les discussions sur l’origine de
l’écriture. Il s’agit essentiellement de réflexions autour de la notion de
nombre, et plus particulièrement de la dichotomie « nombres concrets »
et « nombres abstraits ». Ces deux expressions, introduites en assyriologie
par François Thureau-Dangin dans les années 1930, renvoyaient
originellement à un contexte de calcul. Ce dernier avait observé que
les données chiffrées des problèmes mathématiques cunéiformes,
exprimés dans les systèmes de mesure adaptés aux conditions pratiques
(« nombres concrets »), étaient traduites, dans un premier temps, dans
un système appelé « sexagésimal de position » (de base soixante), afin de
réaliser des calculs. Ce système était caractérisé par l’emploi de seulement
deux signes, le clou vertical et le clou oblique, dont le positionnement
détermine la valeur, de la même façon que pour les chiffres de notre
système décimal de position, mais sans ordre de grandeur déterminé pour
faciliter les calculs, qui s’affranchissaient ainsi des unités de mesures
(« nombres abstraits »). Les résultats étaient, dans un second temps,
exprimés de nouveau dans les systèmes de mesure correspondant, selon
leur ordre de grandeur. Le processus d’abstraction décrit par François
Thureau-Dangin consistait donc à extraire les nombres de leur gangue
métrologique, dépendant des usages du quotidien (mesures de longueur,
de capacité, de poids, de surface…) pour procéder au calcul. Denise
Schmandt-Besserat reprend dans sa théorie la terminologie « nombres
concrets » versus « nombres abstraits » mais dans un contexte élargi et
différent. Les premiers renvoient pour elle à des « concepts, comme
‘‘jumeau’’, qui amalgament la notion de nombre et celle de l’objet
compté » 46, et que l’on retrouve dans le système des jetons, où sont
imbriquées quantité et qualité – un jeton désignerait par exemple « 1 jarre
d’huile » et pas seulement « 1 » ni « jarre d’huile ». Les seconds désignent
des concepts numériques, comme 1, 2, 3, 4… indépendamment de ce qui
est compté. Elle distingue alors trois phases historiques dans l’évolution
des pratiques de calculs : une première phase où des marques (tallies), par
exemple sur des os ou des cailloux, sont mises en correspondance une à
une avec des choses, une deuxième phase qui est caractérisée par
la manipulation concrète de calculi (concrete counting), et une troisième
phase qui témoignerait, avec les marques numérales dissociées des signes
pour les choses comptées sur les tablettes archaïques, d’une séparation
conceptuelle entre quantité et qualité, ouvrant ainsi la voie au concept de
nombre et de calcul abstrait (abstract counting).
Ce paradigme est en particulier discuté par Stuart C. Brown, par Jöran
Friberg et surtout par Peter Damerow 47 qui, influencé par les travaux de
psychologie cognitive de Jean Piaget, cherche à fonder une véritable
épistémologie historique du concept de nombre de l’Antiquité à nos
jours 48. Ces chercheurs subordonnent le concept de « nombre abstrait »
non pas à l’utilisation de répertoires de signes distincts pour noter
les nombres d’un côté et ce qui est quantifié de l’autre, comme le suggère
Denise-Schmandt-Besserat, mais au lien plus ou moins direct
qu’entretenaient les signes numéraux avec le concret. Depuis les débuts de
l’écriture à la fin du IVe millénaire et pendant près d’un millénaire,
la façon d’écrire les nombres dans les textes semble en effet dépendre
étroitement de ce qui est comptabilisé, comme le montre par exemple
la douzaine de systèmes des textes d’Uruk pour exprimer des nombres et
des quantités selon le contexte comptable. Les scribes ne notaient pas
des nombres mais des « nombres de ». Avec l’invention du système
sexagésimal de position vers la fin du IIIe millénaire, les Mésopotamiens
seraient alors passés à une représentation « abstraite » du nombre, au
sens de « indépendante de la chose comptée », qui, théorisée plus tard par
les savants grecs, aurait perduré jusqu’à aujourd’hui. Alors que pour
François Thureau-Dangin, comme on l’a vu plus haut, cette abstraction se
traduisait surtout par un jeu d’écriture permettant de sortir du domaine
de la mesure pour rentrer dans celui du calcul, puis vice-versa, elle revêt
pour Peter Damerow une dimension conceptuelle beaucoup plus
importante, qui touche à la fois les processus de cognition de l’être
humain et leurs représentations dans la matérialité. Il identifie ainsi
plusieurs étapes dans l’histoire des pratiques arithmétiques différentes de
celles présentées par Denise Schmandt-Besserat. La première, qualifiée de
« proto-arithmétique », correspond à la période néolithique en
Mésopotamie jusqu’à la fin du IVe millénaire. Les quantités sont alors
représentées et manipulées grâce à une correspondance un-à-un entre
un système de symboles matériels (les jetons) ou écrits (les tablettes à
encoches les plus anciennes) et les choses concrètes. Elle est suivie d’une
période caractérisée par l’usage d’une arithmétique fondée sur
des symboles dépendants du contexte (Symbol-based arithmetic with context-
dependent symbol systems) jusqu’à la fin du IIIe millénaire : les quantités
sont représentées dans les textes cunéiformes selon plusieurs systèmes de
mesures et de nombres qui dépendent de ce qui est mesuré ou compté.
Enfin, une troisième étape est définie par une arithmétique fondée sur
des symboles cette fois indépendants du contexte (Symbol-based arithmetic
with context-independent symbol systems) jusqu’au début de l’Antiquité
classique (Ve siècle av. J.-C.) : les quantités et nombres sont représentés par
des systèmes de symboles écrits – comme le système sexagésimal de
position – qui permettent de réaliser des opérations arithmétiques
complètement séparées du monde concret et associées à
des représentations mentales complexes.
Ces considérations mettent donc en première ligne dans le débat sur
l’origine de l’écriture un point particulier évoqué par William W. Hallo
dans sa préface à Before Writing : From Counting to Cuneiform. Il s’agit du
concept de « numératie » qui, à côté de celui de « littératie » –
transpositions respectives des termes anglais numeracy et literacy –
désigne les connaissances et les compétences requises pour gérer
les exigences relatives aux notions de calcul dans diverses situations.
Les calculi, comme les tablettes à encoches, qui précèdent ou
accompagnent les premiers temps de l’écriture, renvoient en effet à
des pratiques arithmétiques et une pensée numérique spécifiques. L’écrit
et le compte, et plus généralement la littératie et la numératie sont donc,
dès leur apparition, étroitement intriqués – nous reviendrons plus loin sur
ce point. Denise Schmandt-Besserat contribue par la suite abondamment à
ce débat à travers plusieurs de ses publications comme « Oneness,
Twoness, Threeness – How Ancient Accountants Invented Numbers »
(1994), « Accounting Before Writing in the Ancient Near East » (1997) ou
« The Origin of Writing and Counting in the Ancient Near East » (1999).
À côté de ces considérations conceptuelles, le processus de transition
des jetons aux premiers signes écrits en passant par les enveloppes
d’argile portant des marques à leur surface, décrit par Denise Schmandt-
Besserat, soulève également des questions d’ordre matériel et graphique,
pointées par le groupe de Berlin. Robert K. Englund soutient l’hypothèse
d’une forme de continuité entre les jetons de formes simples, trouvés dans
ou avec les enveloppes d’argile, et les premiers signes numéraux sur
les tablettes ; une forme qui, selon lui, relève peut-être de l’imitation et
pas forcément de l’impression des premiers dans l’argile, car les deux sont
le fruit de pratiques comptables dans les mêmes contextes de gestion
des denrées à Uruk et Suse. Il reste néanmoins dubitatif quant à la relation
graphique censée exister entre les jetons complexes et les premiers signes
d’apparence pictographique pour désigner les denrées. Ce type de jetons
n’a en effet jamais été retrouvé, à quelques exceptions près, associé avec
des enveloppes en argile, ce qui ne permet donc pas d’affirmer avec
certitude son caractère comptable, et ouvre plusieurs autres possibilités
d’interprétation (bijoux, éléments décoratifs, objets votifs, poids…) ; seuls
deux types de jetons complexes, l’un en forme de jarre d’huile et l’autre en
forme de croissant, trouvés avec des enveloppes d’argile, pourraient être
mis en correspondance avec deux signes écrits plus tardifs, désignant
respectivement de l’huile et du métal. S’il existait une continuité entre
le système de jetons et le répertoire des premiers signes écrits, elle reliait
donc uniquement les jetons de formes simples, associés aux enveloppes
d’argile, aux premières notations de nombres.
Ces différentes remarques et critiques n’enlèvent rien au mérite
des travaux de Denise Schmandt-Besserat. Leur vigueur témoigne au
contraire du caractère novateur de ces travaux et de l’intérêt vif qu’ont
manifesté les chercheurs dès leur réception. Dans sa recension de Before
Writing : From Counting to Cuneiform, M. A. Powell précise d’ailleurs que
« ces idées – longues en théorie et courtes en preuves – ne diminuent pas
la valeur réelle du travail de l’auteur, qui a profondément modifié la façon
dont nous voyons les origines de l’écriture au Proche-Orient » 49. Robert
K. Englund reconnaît également que les travaux de l’archéologue
bouleversent la thèse de l’origine pictographique de l’écriture, en
fournissant une explication à son apparition soudaine, en réalité dans
la continuité de pratiques comptables anciennes : le fait que les jetons
semblent disparaître avec les premières tablettes écrites renforcerait leur
rôle de précurseurs de signes les plus anciens.
Mais les historiens et archéologues du Proche-Orient ancien ne sont
pas les seuls impressionnés par les conséquences d’une telle théorie.
Les économistes comme Richard Mattessich (1994) s’y réfèrent également,
non pas pour étudier les origines de l’écriture ou du calcul, mais pour
comprendre celles de la comptabilité elle-même 50. Ce dernier prolonge
même les réflexions de Denise Schmandt-Besserat sur le rôle comptable
des jetons, en suggérant l’existence d’un principe de comptabilité en
partie double (double entry accounting), théoriquement apparu plus de
quatre millénaires plus tard. Il reprend pour décrire ce principe l’exemple
de l’enveloppe d’argile de Nuzi, avec des jetons renvoyant chacun à
des types d’ovins ou de caprins, étudiée en premier lieu par Leo
Oppenheim. Chaque forme de jeton caractériserait en fait le type de
compte considéré (ovin ou caprin, mâles ou femelles…) ; l’insertion d’un
jeton dans une enveloppe A, représentant par exemple un enclos ou
un pâturage, scellée par un berger, correspondrait à un débit pour
le compte de cet enclos/pâturage A alors que le transfert de ce jeton de
l’enveloppe A à une enveloppe B, scellée par un autre berger,
correspondrait à un débit pour le compte de l’enclos/pâturage B mais à
un crédit pour le compte de l’enclos/pâturage A. Ce principe de transfert
des jetons d’une enveloppe à une autre, de leur enregistrement sur
la surface des enveloppes (par des marques ou par leur impression) et du
scellement des enveloppes par le débiteur ou le propriétaire, déjà présent
à la fin du IVe millénaire, comporterait les éléments caractéristiques d’une
comptabilité en partie double : le transfert physique de marchandises (ici
des ovins et caprins) symbolisées par les jetons, enregistrées sous la forme
de « crédits » et de « débits » ; la réalité sociale (propriété ou créance)
indiquée par le scellement ; le principe de contrôle possible par
la comparaison du nombre et du type de jetons dans une enveloppe avec
l’inscription sur sa surface, censée donner le total des fonds propres (total
equity) dus par une personne à une autre personne (ou possédée par
une personne vis-à-vis d’une autre personne).
La théorie de Denise Schmandt-Besserat a donc fait son chemin, au
cours des années 1980-1990, dans de nombreux domaines ; celui
des spécialistes du Proche-Orient ancien bien sûr, mais également de
l’écriture en général, de la culture matérielle, des processus cognitifs,
des approches épistémologiques sur le calcul et le nombre, et
des économistes. Elle pénètre également la sphère de l’enseignement,
puisqu’elle est décrite dans divers manuels scolaires d’histoire (niveau 6e).
Mais le travail de l’archéologue ne s’arrête pas là. Elle offre en 1996
une version plus accessible et plus mûrie du premier volume de son Before
Writing : From Counting to Cuneiform de 1992, dans laquelle elle répond à
certaines critiques et expose les enjeux et la méthodologie de son travail
plus en détail. Il s’agit de l’ouvrage que le lecteur tient actuellement entre
ses mains, paru originellement en anglais sous le titre programmatique
How Writing Came About. Ce qui vient d’être écrit dans les paragraphes
précédents vise à montrer que cet ouvrage, malheureusement trop
longtemps ignoré en français, non seulement constitue une voie royale
pour entrer dans la problématique sur la genèse de l’écriture, mais
demeure riche en perspectives de recherches futures. Il porte en effet en
germe un ensemble de réflexions profondes sur l’écriture, qui sont
fondamentalement de deux ordres : historique, puisqu’il s’agit d’identifier
des pratiques matérielles et sociales propres à une société ancienne en
pleine mutation à la fin du IVe millénaire ; et réflexif, puisque la démarche
proposée par Denise Schmandt-Besserat interroge notre propre rapport à
la scripturalité et notre propre conception du signe écrit, entre langage,
mémorisation, symbolisation et sémantisation. C’est cet ensemble de
réflexions suscitées, touchant le passé comme le présent, qui dessine
les contours programmatiques d’une véritable genèse de l’écriture.

Perspectives d’une genèse de l’écriture


Les travaux consacrés aux débuts de l’écriture explorent désormais
plusieurs pistes. Le débat sur le lien entre première écriture et restitution
graphique de la langue reste encore ouvert à propos du « proto-élamite »,
la première écriture née sur le plateau iranien au tournant du
IVe millénaire et découverte par exemple à Suse, en raison du récent
déchiffrement de l’élamite linéaire par François Desset. Ce dernier type
d’écriture, provenant du sud et du sud-est iranien, en vigueur à partir de
la moitié du IIIe millénaire av. J.-C., est en effet maintenant compris
comme le successeur direct du proto-élamite et non comme un nouveau
système apparu de façon indépendante. Il se caractérise, de manière
surprenante pour ces hautes époques, par un phonétisme très marqué :
les signes linéaires, gravés parfois sur des vases et des galets, représentent
des syllabes, des consonnes et des voyelles. Toute la question reste
maintenant de savoir si le proto-élamite censé en être le précurseur,
partage une même relation étroite avec la langue ; ceci fait l’objet de
nouvelles investigations.
Mais de façon générale, le mythe sur l’origine exclusivement verbale
de l’écriture est, dans le cas de la Mésopotamie, abandonné aussi bien par
les linguistes que par les cognitivistes et les historiens. Certains
conçoivent maintenant, comme Jean-Jacques Glassner, que « l’écriture
appartient au monde de l’image autant qu’à l’univers des signes
linguistiques » 51. La spécialiste de l’écriture Anne-Marie Christin, suivie
par un collectif de chercheurs, a pris en particulier, dès les années 1980,
le contre-pied, d’une part de la thèse faisant de l’écriture le reflet de
la parole et d’autre part de celle de la raison graphique proposée par Jack
Goody. Elle affirme ainsi : « L’écriture est née de l’image et, que le système
dans lequel on l’envisage soit celui de l’idéogramme ou de l’alphabet, son
efficacité ne procède que d’elle 52. » Elle doit être étudiée d’abord dans sa
matérialité, sans laquelle elle ne pourrait exister et qui lui donne toute sa
potentialité, avec les vides qui font ressortir les figures, comme dans
les dessins préhistoriques effectués sur le mur des grottes, et
les intervalles qui font ressortir des éléments disparates, les graphèmes,
dans le cas des écritures. Si l’alphabet repose sur une juxtaposition de
« blancs » et de signes et le pictogramme ne renvoie qu’aux seules choses
qu’il figure, l’idéogramme, tributaire à la fois du support sur lequel il est
réalisé et d’un répertoire d’images conçu par une interaction de la pensée
de l’homme avec son environnement, est porteur d’un sens pleinement
abouti qui requiert souvent une interprétation à plusieurs niveaux,
comme dans certains hiéroglyphes égyptiens ou certains signes
cunéiformes. Il n’est, par conséquent, plus considéré comme un stade
embryonnaire de la véritable écriture, mais comme un signe graphique à
la croisée de l’image, du langage et de la matérialité. Dès lors, où trouver
le répertoire d’images qui aurait inspiré le système écrit en
Mésopotamie ? Et comment expliquer cette inspiration, ou du moins cette
adaptation ? Pour Anne-Marie Christin, une pensée dite de « l’écran »
sous-tend ce répertoire : c’est en observant des configurations
particulières sur des surfaces (écrans) de son environnement naturel (ciel,
carapaces de tortues, entrailles des animaux…), et en les interprétant
comme les signes transmis par le monde invisible des divinités, que
l’homme aurait conçu ensuite, par imitation, son propre système
graphique. La divination aurait donc joué un rôle déterminant dans cette
conception, aussi bien en Mésopotamie qu’en Chine ancienne.
La perception de l’espace semble donc centrale dans toute activité
graphique. Mais cette perception, comme le souligne l’archéologue Luc
Bachelot, est loin d’être spontanée si l’on en croit des travaux en
neurobiologie comme ceux de Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia 53,
et dépend des possibilités d’action de l’homme – et en particulier du
contrôle de la main par la vue. Ces mécanismes neurobiologiques alliant
gestes, perception et traces sont en particulier à l’œuvre dans
la constitution de champs notionnels partagés par plusieurs individus. Or,
selon Luc Bachelot, qui renvoie aux réflexions de Jean-Marie Durand
décrites plus haut, c’est précisément à partir du moment où un champ
notionnel est assez structuré et élaboré pour être exprimé par un moyen
autre que celui de la langue, que l’écriture peut apparaître dans
une société donnée. La notation conceptuelle a donc en effet pu précéder
la notation des « choses ».
Dès lors, la vision téléologique du développement de l’écriture, du
pictogramme à l’alphabet, se doit également d’être dépassée.
Les pictogrammes et/ou idéogrammes, s’ils ont été premiers, ne portent
pas nécessairement en germe les évolutions graphiques et phonétiques
qui ont suivi, pour aboutir à des alphabets « débarrassés » de leur gangue
figurative et notionnelle, comme pourrait nous le faire croire
une approche rétrospective. La notion d’idéogramme ne doit donc pas être
étudiée à la lumière de notre propre perception de l’écriture, dans laquelle
le rôle du phonétisme et en particulier de l’alphabet est central, mais doit
être replacée dans le substrat culturel qui lui a donné un sens. On peut
signaler, à titre d’exemple, que dans les textes assyriens du Ier millénaire,
soit près de 2 500 ans après les tablettes archaïques d’Uruk, de nombreux
idéogrammes ont persisté à côté des signes purement phonétiques utilisés
pour noter la langue assyrienne. Cette documentation comprend même,
paradoxalement, une plus grande proportion d’idéogrammes que celle de
la période dite paléo-babylonienne, un millénaire plus tôt. Il est donc clair
que les scribes assyriens ne souhaitaient pas se contenter de retranscrire
fidèlement un message oral, mais qu’ils voulaient enrichir la lecture
des textes en proposant différents niveaux de lecture superposés. Afin
d’illustrer ce principe, on cite souvent les paroles du grand roi assyrien
Sargon II, au VIIIe siècle avant J.-C., à propos de la construction de sa
capitale Dûr-Šarrukin (Khorsabad) : « Je donnai à sa muraille la dimension
de 4 šár 3 geš’u 1 uš 3 qa-ni 2 kùš [= 16 940 mesures coudées],
correspondant à l’énoncé de mon nom. » Cette phrase composée de
plusieurs idéogrammes de mesures paraît encore énigmatique aux yeux
des spécialistes modernes mais ne l’était certainement pas à ceux
des érudits anciens, pour lesquels ces signes soigneusement choisis
étaient porteurs de sens – graphique et/ou phonétique – au-delà de leur
simple prononciation.
Ces jeux d’écriture, entre signifiant et signifié, lecture première et sens
second, interprétation détaillée ou appréhension globale des signes,
caractériseraient déjà les premiers écrits à Uruk selon l’historien Jean-
Jacques Glassner. Il en donne dans son livre sur l’invention du cunéiforme
plusieurs exemples, fondés sur des réplications, des combinaisons ou
des modifications délibérées de signes 54. On peut citer celui du signe
GIBIL₆, désignant le nom d’une divinité et formé par la juxtaposition de
deux « sous-signes », GI et NE. GI peut être compris comme un indicateur
phonétique disant la prononciation du début du mot. Mais GI est
le pictogramme représentant un « roseau » et NE, que l’on peut lire aussi
BIL, celui renvoyant au verbe « brûler, incendier ». L’agencement des deux
graphies GI et NE/BIL renvoie donc d’une part à l’écriture phonétique du
nom du dieu, et évoque d’autre part sa fonction de divinité du feu,
susceptible de brûler le roseau, c’est-à-dire la cannaie. On devine à travers
cet exemple la richesse et la complexité de la pensée mésopotamienne à
l’œuvre dans l’élaboration et le développement de l’écriture.
Jean-Jacques Glassner réfute pour cette raison la théorie de l’origine
comptable, qui se résumerait à subordonner les fonctions de l’écrit à de
simples besoins prosaïques, pour la gestion administrative des centres
urbains, et qui lui semble donc trop réductrice du point de vue
intellectuel : « L’hypothèse comptable commet donc la même erreur que
la thèse pictographique, celle de croire qu’au sortir de l’histoire,
l’humanité primitive est exclusivement tournée vers la satisfaction de
besoins immédiats, matériels et économiques, et qu’elle est incapable
d’une pensée conceptuelle. » Il concentre ses critiques en particulier sur
les travaux de Denise Schmandt-Besserat, en reprenant et prolongeant
les remarques à propos de la méthodologie formulées par plusieurs
auteurs de recensions et présentées plus haut. Tout d’abord, il lui semble
difficile d’établir une typologie des jetons complexes, dont certains ont été
trouvés en un seul exemplaire 55 et d’autres, d’apparence semblable, dans
des corpus différents, et surtout de leur prêter avec certitude une fonction
comptable. Ensuite, aucun cas de correspondance entre jetons et premiers
signes d’écriture ne lui semble pouvoir être validé, excepté peut-être entre
certaines formes, comme le bâtonnet ou la petite sphère, et certaines
notations numérales, respectivement une encoche fine et une marque en
forme de cercle. Les analogies éventuelles entre le corpus des jetons et
les signes des textes archaïques ne concerneraient donc que les calculi
associés aux enveloppes d’argile et dont la fonction comptable est, elle,
bien établie, avec les premières marques numérales, comme l’avaient déjà
pressenti Alain Le Brun et François Vallat à partir du matériel trouvé à
Suse. Mais si correspondance il y a, celle-ci n’est pas toujours rigoureuse
du point de vue de la forme : l’étude des enveloppes d’argile inscrites
trouvées à Suse avec leurs calculi montre qu’un même signe graphique
peut être mis en relation avec des calculi de formes différentes. Jean-
Jacques Glassner donne à ce propos l’exemple d’une enveloppe contenant
un ensemble de deux bâtonnets, un petit tétraèdre, deux disques et deux
plaquettes à quatre moignons, dont le nombre mais non la diversité est
reproduit sur sa surface à l’aide de trois encoches fines et quatre petits
cercles 56. Il reconnaît donc qu’à Suse et Uruk, les calculi et signes
numéraux entretiennent des rapports certains dans le cadre d’une
comptabilité, mais sans que l’on puisse établir avec précision, d’après
les relevés stratigraphiques censés donner une séquence chronologique –
surtout dans le cas d’Uruk –, si les premiers ont véritablement été
les précurseurs des seconds. Cela l’amène même à se demander si ce n’est
pas, inversement, les graphies en deux dimensions utilisées dans l’écriture
qui auraient inspiré la silhouette des jetons en trois dimensions. Enfin,
Jean-Jacques Glassner assène un dernier argument contre la théorie
comptable : à côté de la grande masse de textes administratifs trouvés à
Uruk (85 % du corpus) figurent également quelques listes lexicales,
un genre de texte qui énumère des catégories particulières, comme
des objets en céramique ou en métal, ou des animaux, des toponymes,
des noms de professions, et qui a perduré sur plus de deux millénaires.
Cinq exemplaires sont en particulier documentés dans les niveaux
archéologiques où ont été trouvés les premiers textes archaïques (Uruk
IV). Ces listes ne se contentent pas de réunir et de classer un ensemble de
savoirs ; elles témoignent également d’une réflexion profonde sur
l’écriture car, d’une part, les items sont organisés selon des critères
graphiques et phonologiques précis et, d’autre part, les scribes ont
visiblement exploré les possibilités heuristiques de leur écriture en créant
des signes « virtuels » – les collègues anglo-saxons parlent de « theoric
signs » – qui n’ont jamais été utilisés dans la pratique et qui
correspondaient peut-être à des essais infructueux dans l’établissement de
répertoires graphiques. Pour Jean-Jacques Glassner, l’ambition originelle
de l’écriture ne serait donc pas comptable mais intellectuelle, et
le véritable mobile de son « invention » serait à chercher probablement
dans les pratiques divinatoires, comme Anne-Marie Christin l’a suggéré.
Les scribes auraient procédé par analogie pour construire leurs propres
graphies à partir des messages des dieux, inscrits sur différents supports,
créant ainsi des « signes de signes ». Deux systèmes sémiologiques
différents seraient en fait apparus ensemble à la fin du IVe millénaire :
le répertoire iconographique des sceaux-cylindres et l’écriture.
Cette théorie sur l’invention de l’écriture, faisant la part belle à
l’intellect, qui procéderait par analogies et puiserait dans un substrat
iconographique inspiré de « méta-signes », appelle néanmoins plusieurs
remarques. Tout d’abord, aucun exemple évident de jeux sémantiques et
graphiques, censés être générateurs des premiers signes écrits, n’est
décelable dans la documentation archaïque, comme le souligne Robert
K. Englund 57. Ensuite, même s’il est vrai que les répertoires de signes
écrits et les répertoires iconographiques ont pu être en partie fondés sur
des représentations communes, Denise Schmandt-Besserat montre dans
son ouvrage When Writing met Art. From Symbol to Story de 2007 que
l’écriture a pu féconder elle-même la production d’images et influencer
l’organisation de scènes dans l’art. Dès l’apparition de l’écriture à la fin du
IVe millénaire, les motifs représentés sur les sceaux-cylindres ou
la céramique sont en effet disposés de façon nouvelle pour raconter
une histoire, et non pour évoquer un récit ou symboliser une idée comme
dans les scènes des époques antérieures, qui juxtaposaient par exemple
des dessins géométriques et des animaux. Les figures de personnages sont
de plus hiérarchisées selon leur rang (divinités, dirigeants puis sujets). De
plus, les répertoires de certaines listes lexicales seraient strictement liés à
l’iconographie des sceaux-cylindres 58.
L’apparition de l’écrit aurait-elle donc été accompagnée de nouveaux
modes de représentation et de procédés stylistiques ? La spécialiste de
sigillographie Holly Pittman souligne que la richesse du répertoire
iconographique développé à l’époque d’Uruk sur les sceaux-cylindres s’est
réduite par la suite, au IIIe millénaire, à partir du moment où le nom et
le statut des propriétaires des sceaux étaient aussi gravés 59 : en entrant
dans l’iconographie même, l’écriture aurait-elle puisé une partie de
la substance de cette dernière ? Enfin, la théorie de Jean-Jacques Glassner
est fondée sur une interprétation particulièrement réductrice de l’activité
comptable, qui consisterait à uniquement représenter des biens par
des artefacts ou des signes écrits, afin d’organiser leur gestion,
les quantifier et les échanger, et qui serait donc un pur produit de
comportements économiques. Or, l’étude des pratiques comptables
des époques postérieures, que l’on connaît mieux, révèle en particulier
qu’elles servaient, au-delà du simple enregistrement effectif de données
chiffrées, à l’établissement de valeurs par consensus, avec toutes leurs
nuances subjectives, ainsi qu’à la mémorisation de réseaux d’acteurs
économiques, utile aux administrateurs pour avoir une vision d’ensemble
des échanges, pour mettre en place le système « fiscal » et pour dégager
les responsabilités des uns et des autres dans ce système 60. Cela invite
donc à considérer, dans la continuité des réflexions de la New Accounting
History, les pratiques comptables non pas comme de simples réponses
naturelles, rationnelles et objectives à des besoins de gestion économique,
mais comme de véritables constructions sociales qui, tout en fournissant
des instruments utiles à l’administration, possèdent leurs propres
motivations, parfois liées à des activités très localisées. Comme le souligne
Jean-Marie Durand, « le document [comptable] ne représente pas
uniquement un bilan économique, ce que l’on croit trop souvent et fort
naïvement, en dissertant de façon générale sur la ‘‘gestion palatiale’’, mais
avant tout la légitimation d’une activité devant le propriétaire des biens
ou celui qui représente ses intérêts ».
Dès lors, si l’on regarde les pratiques administratives qui ont précédé
et accompagné l’émergence de l’écriture à la lumière de ces
interprétations, certes sur des documentations plus tardives, on est en
droit de se demander quelles formes elles pouvaient prendre et quelle
était leur visée. Revenons par exemple sur l’usage des petits jetons en
argile. C’est leur apparition, considérée comme relativement soudaine et
universelle, dès le début de la période néolithique (VIIIe millénaire) qui a
conduit plusieurs chercheurs comme Lambros Malafouris 61 et Karenleigh
Overmann 62, suite aux travaux de Denise-Schmandt-Besserat, à
les considérer comme des outils d’enregistrement mnémotechniques
(mnemonic recording devices) pour les comptes, appartenant à un système
partagé de gestion des ressources pastorales ou agricoles. Or l’étude
détaillée récente d’environ 3 000 spécimens dans plus d’une cinquantaine
de sites néolithiques par Lucy E. Bennison-Chapman tend à montrer que
l’usage de ces derniers, disséminés sur une vaste aire géographique,
remontait à une période plus ancienne qu’on ne le pensait (dès
le Xe millénaire), et qu’il aurait pu être multifonctionnel 63. Elle ne relève
en particulier aucun caractère répétitif ou homogène particulier dans
les groupes de jetons, qui suggérerait l’existence d’un système comptable
cohérent et uniforme à grande échelle, et aucune corrélation entre
les types de jetons et la taille ainsi que la fonction des sites (villages de
sédentaires, implantations temporaires, lieux de production agricole…).
Certains petits artefacts en argile auraient pu être, selon elle, des éléments
de jeux – on revient aux hypothèses spontanées des premiers
archéologues qui ont étudié ces objets –, ou bien des moyens utiles pour
prévoir l’avenir et prendre des décisions, comme les osselets qu’on jette
au sol et dont la disposition joue un rôle divinatoire chez différents
peuples actuels d’Asie centrale. Ces hypothèses, encore difficiles à
corroborer, n’excluent en revanche pas le rôle comptable d’une partie
des jetons, notamment ceux de forme simple, et ne s’opposent donc pas à
la théorie de Denise Schmandt-Besserat à propos des corpus de jetons du
IVe millénaire, qui semblent clairement associés aux différentes branches
d’une même administration. Lucy E. Bennison-Chapman reconnaît qu’une
de leur fonction première était bien de compter une multitude de choses,
non seulement des produits agricoles, mais aussi des personnes, voire
des unités de temps. Comment peut-on comprendre alors l’absence de
cohérence et d’uniformité des jetons selon les lieux et les périodes,
notamment pour les époques anciennes ? Pour Lucy E. Bennison-
Chapman, la forme et la facture des jetons aurait été conventionnelle et
circonstancielle. Ils ne conservaient après usage aucune valeur
intrinsèque ni aucun symbolisme ; toute signification qui leur était
attribuée était avant tout locale et temporaire. Cela expliquerait
la diversité des formes retrouvées ainsi que le manque de cohérence dans
les différents lots. Les jetons n’étaient pas archivés et, une fois leur
utilisation terminée, on pouvait s’en débarrasser. Ce point de vue ne
contredit pas la thèse de Denise Schmandt-Besserat mais substitue au
principe d’un système comptable uniforme sur une vaste région, celui
d’un ensemble de pratiques partagées (l’usage de jetons pour
la comptabilité) selon des besoins et des choix localisés. Cette variabilité
de sens prêtée aux jetons selon les lieux et les périodes ne permet
cependant pas d’expliquer convenablement la présence d’exemplaires
identiques de formes simples (sphères, cônes, tétraèdres…) dans de
multiples sites. De la même façon, l’usage des enveloppes d’argile a été
repéré dans une région très étendue, englobant des sites de Syrie (Tell
Sabi Abyad, Uruk, Tepe Gawra, Tell Sheikh Hassan, Habūba Kabira, Tell
Kannas, Tell Hamoukar, Tell Brak), d’Iran (Chogha Mish, Suse, Tappeh
Sharafabad, Tepe Yahya, Tepe Farukhabad, Shahdad) et de Turquie
(Değirmentepe, Hacinebi), dont certains sont datés du VIIe millénaire av.
J.-C. Petr Charvát souligne alors, d’une part, que les contenus
des enveloppes qui ont été retrouvés sont toujours constitués de jetons
simples et, d’autre part, que les enveloppes semblent provenir de
l’extérieur des espaces où elles ont été conservées 64. Elles exprimeraient,
selon lui, des obligations d’organismes extérieurs envers l’institution
centrale ; les jetons et les marques sur la surface des enveloppes
véhiculeraient les informations quantitatives et qualitatives des produits
échangés ou délivrés, et les scellements valideraient la responsabilité
des individus (sceaux-cachets) ou des organismes (sceaux-cylindres),
selon un principe déjà suggéré par Denise Schmandt-Besserat. Après
la vérification des comptes, les enveloppes, qui n’étaient alors plus
nécessaires, auraient été en partie archivées. Petr Charvát conclut que
la vision d’ensemble de ce fonctionnement administratif fait penser aux
activités d’une sorte d’amphictyonie, ou de confédérations d’institutions
sociales, exprimant leurs relations mutuelles par l’échange de
marchandises dans un cadre comptable (enveloppes et jetons) et légal
(scellements).
Ces hypothèses invitent dès lors à ne plus chercher à expliquer
l’apparition des premiers signes archaïques par une imitation de formes,
empruntées aux jetons en usage dans tout le Proche-Orient ancien,
puisque ces derniers ne font pas système et ne sont pas systématiquement
associés aux enveloppes d’argile, mais à s’orienter plutôt vers l’étude de
la corrélation entre un ensemble de pratiques administratives locales qui
font sens ensemble. C’est en particulier le cas des pratiques de scellements
utilisées de façon concomitante aux jetons. Les premiers usages de
sceaux-cachets connus proviennent de sites syriens, et en particulier du
site de Tell Sabi Abyad dans la vallée du Balikh, où près de 300 scellements
datant d’environ 6 300 av. J.-C ont été retrouvés, généralement brisés ; on
sait néanmoins que ces derniers étaient apposés à l’origine sur
des récipients et des paniers 65. Il est intéressant de remarquer que dans
la petite pièce où ont été découverts ces scellements, le sol était
également jonché de jetons en argile, de petites figurines humaines et
animales et de vaisselle miniature. Les archéologues ont alors émis
l’hypothèse que tout ce matériel avait été conservé intentionnellement
pour garder une trace des opérations administratives ; ces dernières
portaient sur les biens représentés par les jetons et les figurines. À quoi
les scellements de sceaux-cachets servaient-ils en particulier ? Pour
l’archéologue du site, Peter Akkermans, il s’agissait de marquer
la propriété des biens stockés de façon collective dans les bâtiments par
les habitants, susceptibles de s’absenter un certain temps pour
des activités pastorales. Grâce à ces scellements individualisés, dont plus
de 67 exemplaires différents ont été exhumés, ils pouvaient ainsi
retrouver dès leur retour le grain ou les diverses denrées qu’ils y avaient
laissés 66. Les scellements des récipients ou paniers étaient alors brisés
mais conservés et les jetons en argile représentant les biens pouvaient
être réutilisés ; cela expliquerait que le nombre des premiers excède de
loin celui des seconds. Comme le rappelle alors à juste titre l’archéologue
Aline Tenu : « Les trouvailles de Tell Sabi Abyad précèdent de près de
3 000 ans l’invention de l’écriture et du sceau-cylindre, mais elles
témoignent d’un système complexe et bien organisé de gestion collective
des biens individuels. Dès cette époque, le rôle du scellement dans
les pratiques gestionnaires est central 67. » Ce rôle de contrôle de
la propriété et de la circulation des biens continue de se développer par
la suite, comme le montrent par exemple les découvertes réalisées à
Arslantepe en Turquie et datées du IVe millénaire. Il semble que
les scellements qu’on y a trouvés, originellement apposés sur
les contenants dans les pièces de stockage, aient été rassemblés et
conservés dans un lieu spécial, une fois que ces contenants étaient
ouverts. Cette volonté de garder une trace, à des fins de contrôle, de
revendication ou même de prévision, témoigne d’une part du
développement des techniques d’archivage au sein des pratiques
administratives, et d’autre part d’une volonté centralisatrice dans
la gestion des biens.
Pendant la période d’Uruk, le nombre de scellements explose,
puisqu’on en a trouvé plus de 2 000, et rend donc compte de la diversité
croissante des opérations administratives. Contrairement aux périodes
postérieures, ils sont toujours à Uruk anépigraphes, c’est-à-dire que
les sceaux correspondant ne portent pas le nom de l’individu ou de
l’institution qui les possédaient. Ce constat rend difficile
la compréhension de leur usage exact, et les différentes interprétations
proposées par les archéologues s’appuient surtout sur leur riche
répertoire iconographique – dont nous avons déjà parlé (scènes rituelles
ou militaires, fabrication des biens, tissage, battage du grain…). Pour Hans
Nissen, les sceaux réalisés à gros traits et plutôt stéréotypés appartenaient
à des institutions ou des fonctionnaires d’Uruk, alors que ceux plus
finement dessinés, et souvent uniques, étaient utilisés par les individus de
l’élite sociale pour marquer leur droit de propriété ou leur responsabilité
dans une transaction. Jean-Jacques Glassner suppose que des particuliers
ont pu également posséder leur propre sceau, qui fonctionnait comme
une véritable signature, grâce à un décor iconographique complexe
rappelant, par un langage graphique à plusieurs niveaux, leur rang social,
leur fonction ou leur autorité. Plus récemment, Holly Pittman a avancé
une autre hypothèse : ces sceaux n’auraient en réalité pas servi à refléter
la hiérarchie sociale en indiquant la personne ou l’institution responsable
qui scellait, mais à renvoyer à l’occasion et au contexte même de
l’opération administrative 68. Les informations comptables – acteurs de
la transaction, services administratifs impliqués, destinations
des produits – transparaîtraient alors dans les éléments très variés
des scènes iconographiques. Petr Charvát, comme nous l’avons vu,
considère également que seuls les sceaux-cachets représentaient
les insignes d’individus 69.
Ce que révèlent en tout cas les données archéologiques – recours à
un grand nombre de scellements et de récipients, développement d’une
architecture monumentale, essor des techniques du métal et de l’art du
potier – renvoie l’image d’une société en pleine mutation dans les secteurs
agricole, économique et social, comme l’a synthétisé l’archéologue Pascal
Butterlin 70. Il ne fait nul doute que la gestion de ces différents flux de
biens, issus de la production agricole ou artisanale, a nécessité, comme
dans les périodes postérieures, la mise en place de procédures de
« certification » qui permettaient aux intermédiaires de garantir non
seulement les quantités mais aussi les qualités et l’origine
des marchandises. L’usage des jetons et des enveloppes – souvent
scellées – participe à cette sophistication des moyens de contrôle et de
prises de responsabilité. C’est là que les premiers textes écrits
apparaissent, non comme des outils de gestion révolutionnaires ou
des inventions de quelques érudits, mais comme les éléments d’un
ensemble d’activités administratives complémentaires, régies aussi bien
par des besoins économiques que des représentations sociales, et formant
un système cohérent qui fait sens localement et n’exclut pas – au
contraire ! – un foisonnement intellectuel. L’introduction du signe écrit a
en revanche profondément modifié le rapport à la temporalité dans
les pratiques de compte. Alors que les jetons, d’usage circonstanciel,
étaient théoriquement réutilisables à souhait et manifestement peu
conservés, les textes administratifs archaïques fixaient la trace d’une
opération passée ou à venir ainsi que le rôle des différents protagonistes
et nécessitaient d’être archivés, comme les scellements depuis longtemps
avant eux. Mais, à la différence de ces derniers qui, apposés sur
un récipient, un sac, une porte de réserve ou bien une enveloppe d’argile,
garantissaient un principe de certification ou de propriété a priori,
les comptes écrits élargissaient le principe de vérification et de contrôle a
posteriori, et même celui de prévision pour une gestion future à partir
des informations enregistrées. Ce n’est donc pas diminuer le génie humain
que d’associer la genèse de l’écriture aussi bien à une mise en ordre
intellectuelle du monde qu’à des besoins comptables prosaïques, car
les deux font partie plus généralement d’un même substrat culturel et ont,
au moins en partie, la même visée. Tenir et rendre des comptes faisaient
en particulier appel à des rationalités pratiques comme calculer, organiser,
anticiper ou synthétiser, au service de rapports sociaux qui reposent sur
des représentations partagées.
Une des questions centrales dans le débat sur l’écriture demeure
aujourd’hui l’explicitation de la part de numératie et celle de littératie
dans l’élaboration des premiers signes écrits. Pour Karenleigh Overmann,
spécialiste d’« archéologie cognitive », ce serait en revanche une erreur de
confondre les deux ou de considérer que la première est à l’origine de
la seconde, c’est-à-dire que les marques numérales auraient engendré
les signes écrits pour désigner les choses, pour plusieurs raisons 71. Tout
d’abord, ces termes renvoient à deux compétences humaines distinctes :
la littératie est l’aptitude à lire et écrire, et la numératie à raisonner avec
des nombres. Ensuite, le répertoire des marques numérales se compose de
signes conventionnels simples, les encoches, formant un sous-ensemble
réduit dans le lexique global et l’inventaire des phonèmes, bien insuffisant
pour créer la littératie. Enfin, comme l’a indiqué le spécialiste
d’anthropologie linguistique Stephen Chrisomalis, plusieurs sociétés ont
développé des notations numérales sans développer d’écriture et d’autres,
inversement, ont créé des signes écrits sans aucune forme d’expression de
nombres ou de quantités 72.
Denise Schmandt-Besserat et Robert K. Englund pour la numératie,
Jean-Jacques Glassner pour la littératie, représentent, comme cela a été
vu, les positions extrêmes dans ce débat. L’assyriologue et historienne
des sciences Eleanor Robson a un avis plus nuancé : les rôles de
la numératie et de la littératie seraient en fait intriqués et même
complémentaires lors de l’émergence de l’écriture. Les premières listes
lexicales, même si elles se distinguent des textes administratifs du point
de vue du format et du contenu, participeraient à la formation des scribes
de la bureaucratie en leur apprenant à mémoriser et écrire les denrées et
commodités lors des transactions (métaux, textiles, récipients, objets en
bois…) 73. Selon le spécialiste de ces listes Niek Veldhuis, le nouveau
système d’écriture devait s’adapter à toutes les utilisations possibles pour
les comptables des premières villes de l’époque d’Uruk 74. Au départ,
quelques items listés se retrouvent d’ailleurs dans la documentation
administrative contemporaine, comme l’a montré Klaus Wagensonner 75.
Le fait que plusieurs signes soient restés « virtuels » sur les listes lexicales,
sans jamais apparaître sur des documents comptables, témoignerait de
la potentialité de ce système et des tentatives opérées par les scribes pour
générer de nouveaux signes permettant à la fois de coder, de classer et
d’enregistrer le réel, à des fins qui n’étaient pas uniquement économiques.
Certains ont même voulu voir un lien fort entre les listes lexicales et
l’imagerie des sceaux-cylindres et considérer la création des listes
lexicales comme la conséquence de changements de modèles dans
les techniques et les activités artisanales au début de l’urbanisme
(métallurgie et poterie) 76.
La littératie, en offrant un répertoire progressivement plus riche pour
représenter les commodités, a permis ainsi à la numératie de s’affranchir
du système de jetons et des correspondances un-à-un. La séparation
graphique opérée entre qualité et quantité, dans les textes archaïques,
même si les marques numérales restaient dépendantes des denrées
comptabilisées, a en particulier permis le développement de nouvelles
pratiques arithmétiques. Comme l’avait remarqué Peter Damerow, ces
dernières ne se limitaient pas à la simple manipulation de calculi – retraits,
ajouts –, mais intégraient toute la potentialité de l’écriture et de son
support. Les subdivisions en cases et sous-cases sur la surface des tablettes
d’argile offraient ainsi la possibilité d’exprimer des sous-totaux (inscrits
dans chaque sous-case) de denrées nécessaires pour produire le total
(inscrit dans la case principale) du produit escompté, par exemple un type
de bière ou de pain. Le total de tous les items enregistrés sur la face de
la tablette était souvent reporté sur le revers, ce qui multipliait le nombre
d’informations ; le scribe-comptable pouvait ainsi connaître visuellement
non seulement la quantité globale à gérer, mais également le détail de
la provenance de chaque item, de façon effective ou bien prévisionnelle.
Certains documents d’aspect administratif, à peine postérieurs aux textes
archaïques, semblent même avoir été en réalité de véritables exercices
pédagogiques dont l’objectif était non seulement d’entraîner les scribes-
comptables aux calculs, mais également de susciter une réflexion plus
large sur les nombres et leur notation 77.
Réciproquement, la numératie interfère dans la littératie lors de ces
premières expressions. L’organisation spatiale des listes lexicales, dès
les premiers exemplaires d’Uruk, suit en effet un procédé d’énumération
d’items, chaque « entrée » étant généralement précédée d’une simple
encoche horizontale, représentant l’unité. L’hypothèse selon laquelle ces
encoches seraient des indicateurs sémantiques introduisant chaque entrée
lexicale, proposée par Jean-Jacques Glassner, ne peut être retenue. En
effet, le nombre de lignes des listes semble avoir été la plupart du temps
compté, afin probablement d’éviter les oublis lorsqu’on les mémorisait ou
les recopiait ou bien afin de signifier l’introduction de nouveaux items ;
plusieurs listes lexicales, comme une liste de noms de suidés datant de
la période (dite Uruk III) suivant immédiatement l’apparition de
l’écriture 78, portent sur la tranche ou sur le revers la somme de toutes
leurs lignes dont chacune est précédée d’une encoche horizontale 79.
Le principe d’énumération, incorporé cette fois dans un cadre narratif,
constitue par la suite un procédé rhétorique fréquent dans la littérature
sumérienne 80.
Cette notion d’énumération renvoie à un procédé qui n’a pas été,
jusqu’à maintenant, introduit dans les discussions sur les premiers temps
de l’écriture. Il s’agit du fait de compter ou, parfois plus précisément, de
« pointer ». Or, l’importance du geste est souvent sous-estimée dans
les études sur le processus de production écrite, dont seul le résultat figé –
impression ou incision de signes dans l’argile – est souvent considéré.
Dans le jeu de correspondance entre calculi et premières marques
numérales, les chercheurs ont ainsi le plus souvent porté leur attention
sur des questions de ressemblance graphique ou de raisonnement
analogique, en laissant de côté les aspects pratiques et techniques. On a
pourtant repéré, sur plusieurs enveloppes d’argile d’Uruk et de Tell Sabi
Abyad, ainsi que sur des tablettes archaïques de Suse, des marques
pouvant résulter de l’impression de jetons, de doigts ou bien de calames,
voire de plusieurs types de calames simultanément 81. Cela prouve d’une
part que diverses techniques pour noter des nombres et des quantités ont
coexisté, l’une n’ayant pas, au départ, vocation à remplacer
systématiquement les autres, et d’autre part que la correspondance
univoque supposée entre jetons et marques numérales s’avère plus
complexe qu’il n’y paraît. Un autre procédé, visible sur les tablettes
exclusivement numérales, censées représenter les plus anciens
témoignages de l’écriture, juste après – ou en même temps que – l’usage
des enveloppes d’argile, mérite également une attention particulière.
Nous avons vu plus haut qu’une douzaine de systèmes, pour noter
les nombres et les quantités, ont été identifiés dans les textes archaïques
d’Uruk. Lors de l’enregistrement de quantités de denrées, de nombre de
personnes, ou de mesure de champs, les scribes notaient les unités du
système concerné et, à chaque fois qu’un nombre d’unités atteignait
l’unité supérieure, ils inscrivaient cette unité après avoir procédé aux
réductions nécessaires. Or, sur plusieurs tablettes à encoches de Suse,
d’Uruk, de Djebel Aruda et d’Habūba Kabira, le nombre d’encoches ou de
marques circulaires excède la dizaine – allant même jusqu’à vingt-deux
sur l’une d’entre elles 82. Ce procédé se contente donc d’enregistrer
les unités de même grandeur les unes à la suite des autres, sans recours à
une unité supérieure. Cela fait penser plus à une pratique de comptage
d’items, un à un, à l’aide de marques successives dans l’argile, qu’à
une notation globale d’une quantité ou d’un nombre. On peut alors se
demander plus généralement si, à l’origine, chaque marque numérale ne
résultait pas du geste consistant à « pointer » dans l’argile successivement
chaque chose comptée (objets, animaux, personnes ou jetons) plutôt que
de la représentation en deux dimensions d’un jeton 83. La question
principale n’est alors pas de chercher à établir à tout prix un lien
analogique ou morphologique direct entre calculi et marques numérales –
lien qui n’existe peut-être que partiellement et secondairement. L’enjeu
consiste plutôt à comprendre comment on est passé de la correspondance
terme à terme entre un calculi ou une marque numérale et l’objet
comptabilisé – le calculi ou bien la marque étant répétés autant de fois que
l’objet – à un système complexe de notations de nombres qui permet
d’exprimer de façon globale et non pas répétitive ce qui est compté ou
quantifié, en recourant à une échelle d’unités de mesure. Il y a là
un véritable changement notionnel qui n’est donc peut-être pas à
chercher dans le passage du calculi à la marque numérale isolée, qui
partagent encore des caractéristiques communes – comme le fait de
renvoyer à une quantité et une qualité, et d’entretenir un rapport un à
un avec ce qui est comptabilisé ou quantifié.
Ce changement notionnel reste cependant encore difficile à
déterminer, historiquement et conceptuellement. Denise Schmandt-
Besserat argumente que certains jetons représentaient déjà une unité
supérieure, englobant les valeurs associées à d’autres jetons – par exemple
un jeton particulier pourrait représenter 10 moutons, alors que chaque
mouton est signifié par un autre type de jeton. Cela invite à réfléchir à
nouveaux frais sur le paradigme « nombre concret »/« nombre abstrait »,
car le regroupement d’unités par « paquets » introduit des rapports
numériques entre multiples et sous-multiples d’unités qui caractérisent
chaque système de nombres et de mesures, mais ne renvoie pas
directement à des choses concrètes ; en un mot, on ne se contente pas,
dans ce cas, de représenter et compter des objets, des animaux ou des sacs
de grain avec les calculi, mais on compte des unités qui certes dépendent
de la réalité mais également de représentations mentales et de
conventions sociales. Il faut donc repenser le processus d’abstraction que
l’on a l’impression d’observer dans le schéma évolutif des calculi au
système sexagésimal de position, en passant par les systèmes de nombres
et de mesures archaïques : les nombres, matérialisés originellement dans
chaque jeton et donc manipulables, puis encore associés étroitement à
la chose comptée dans les premiers systèmes de notations, auraient été
complètement « déconnectés » du monde concret dès l’invention du
système sexagésimal de position à la fin du IIIe millénaire. Or ce qui est
connecté avec la réalité et les catégories de biens comptabilisés dans
la documentation cunéiforme ne sont pas des « nombres-concepts » mais
des « nombres-écrits ». On oublie bien souvent cette différence entre
« nombres », c’est-à-dire des concepts, et « chiffres », c’est-à-dire
des symboles graphiques conventionnels auxquels on associe une valeur
numérique. Nous partageons bien actuellement une notion « abstraite »
des nombres, détachée du réel, et pourtant nos propres manières d’écrire
les nombres dépendent étroitement du contexte, car nous écrivons par
exemple en français 5 si nous réalisons un calcul, cinq s’il s’agit de
l’énoncé d’un texte, V si nous souhaitons désigner le volume d’une
encyclopédie, ou bien //// si nous énumérons des objets sur une ardoise.
Ces choix graphiques s’inscrivent alors moins dans des modes
d’intellection concernant le concept de nombre que dans des habitudes
culturelles et des usages pratiques. Karenleigh A. Overmann propose dès
lors de comprendre le terme « nombre abstrait » autrement, non pas
comme un nombre indépendant de la chose comptée mais comme
un nombre qui peut être instancié dans une variété de formes écrites ou
matérielles, et même orales et gestuelles 84. Il devient alors, à un certain
moment, indépendant de ces formes. Les choix matériels opérés – usage
de jetons, réalisation de marques dans l’argile suivant un ordre graphique
précis, notation de quantités – dépendent alors étroitement des domaines
d’usage des nombres – calcul, énumération, enregistrement de quantités…
– aussi bien que des façons de se les représenter selon les sociétés.
La numératie, même si elle ne peut pas être confondue avec la littératie,
relève donc comme elle de procédés d’abstraction et de conceptualisation
dès les premières traces d’écriture, et peut-être même davantage qu’elle,
car elle implique comme nous l’avons vu un rapport plus complexe au
temps : elle met en réserve pour un rappel ultérieur, tout en conservant
un ordre des opérations et des options multiples à chaque étape, ce qui
n’est guère possible dans la littératie.
L’apparition de l’écriture repose-t-elle alors sur un principe
d’imitation graphique censé expliquer, d’une part, le passage de
répertoires d’images aux signes écrits, par isolement d’éléments
iconographiques dans les scènes sur les sceaux ou sur la céramique, et
d’autre part le passage des calculi aux notations pour les nombres, par
conservation des formes mais réduction spatiale du « 3D » au « 2D » ?
Le premier cas ne peut relever, selon Jean-Jacques Glassner, d’une
simple transposition graphique d’un répertoire de dessins à un répertoire
de graphèmes, car « le fait de créer un système de signes, quel qu’il soit,
implique une opération mentale de captation et de motivation qui,
lorsqu’il s’agit d’une marque inspirée d’ailleurs, consiste nécessairement à
la transformer » 85. La création d’une écriture, même si elle peut s’inspirer
de modèles visuels empruntés à des répertoires préexistants de dessins ou
directement à l’environnement des hommes, repose sur l’attribution de
nouvelles valeurs sémantiques aux signes écrits ; il nous suffit de penser à
nouveau au signe pour le pied, GÌR, qui représente une silhouette d’âne.
Pour le second cas, nous avons vu que la question ne devait pas être
seulement abordée du seul point de vue morphologique mais nécessitait
d’intégrer la dimension pratique et gestuelle. Nous avons en particulier
remarqué que certaines notations à la surface des enveloppes d’argile
n’imitaient pas fidèlement les calculi que ces dernières contenaient, même
si elles en reproduisaient le nombre. Ces inscriptions ne doivent donc pas
être considérées comme une simple juxtaposition de marques
représentant des calculi en correspondance terme à terme, permettant de
« lire » l’intérieur de l’enveloppe, mais comme une nouvelle information
qui synthétise des données quantitatives et qualitatives à un instant
donné – celui de la clôture de l’enveloppe, validée par le scellement.
Contrairement aux calculi, qui sont manipulables et réutilisables, elles sont
figées et ne dépendent que de l’opération administrative convenue.
Les inscriptions sur les tablettes à encoches peuvent être en revanche d’un
autre ordre. Si certaines correspondent à des enregistrements de
quantités globales, dans des systèmes de nombres et de mesures précis,
avec réduction aux unités supérieures, d’autres renvoient à des procédés
d’énumération, sans passage aux unités supérieures. Il ne s’agit donc pas,
là non plus, de véritables imitations, mais de répétitions d’une même
marque convenue pour enregistrer de façon itérative un comptage d’item
ou un relevé de mesures. Il semble qu’on ait plutôt affaire à un processus
que le philosophe Bernard Stiegler nommait la « grammatisation », c’est-
à-dire l’extériorisation d’une décomposition de gestes. Car l’écriture est à
la fois action et système, c’est le geste – rendu par l’anglais writing – et en
même temps sa résultante, c’est-à-dire l’ensemble de signes établis et
choisis que ce geste s’est donné pour but de reproduire sur un support
matériel. Or le geste – de même que l’instrument –, le répertoire
graphique et le support utilisés dépendent étroitement des cultures qui
les ont produits et leur ont donné un sens.
En fin de compte, à la lumière des différents débats et discussions
présentés ici, on peut se demander si l’origine de l’écriture, qu’elle soit
pictographique, comptable ou divinatoire, n’est pas en réalité
une chimère. François Desset ne parle d’ailleurs plus d’une « écriture
mère », le proto-cunéiforme, qui aurait engendré le proto-élamite, mais de
deux « écritures sœurs », apparues certes pendant la même période et
partageant des caractéristiques communes, mais obéissant à des règles
phonétiques et sémantiques qui semblent différentes. Ce n’est donc pas
l’origine de l’écriture qu’il faudrait exhumer, mais la conception de
la genèse de l’écriture qu’il faudrait historiciser. Réfléchir sur la genèse de
l’écriture cunéiforme nécessite donc en particulier de prendre en compte
les schèmes de pensée des Mésopotamiens eux-mêmes à propos de leurs
pratiques scribales, et d’étudier leurs propres modes d’expression et
d’information dans l’argile. Saisir les moments de transformations,
intellectuelles et matérielles, qui caractérisent le passage d’un de ces
modes d’expression à un autre, par exemple des jetons aux signes
archaïques, ou d’un répertoire de graphèmes à un autre, implique de
mieux comprendre un ensemble de pratiques culturelles – les Allemands
parlent plus précisément de Kulturtechniken – qu’on n’associe pas a priori
au domaine de l’écrit : compter, calculer, classer, certifier, contrôler… Pour
l’historien, cela revient à ne pas aborder cette genèse de façon
uniquement internaliste et conceptuelle, en se contentant de décrire
les évolutions graphiques, les choix sémantiques et les changements
notionnels, mais à l’inscrire également dans des contextes socio-
économiques et culturels précis. C’est à cela qu’invite l’ouvrage de Denise
Schmandt-Besserat, qui se propose avant tout de saisir des processus
techniques et intellectuels et de reconstituer des contextes d’usage, sans
se focaliser obligatoirement sur la date marquant « l’heureux événement »
de la naissance de l’écriture. On doit en effet bien se rendre à l’évidence :
ce n’est pas l’écriture qui permet de rentrer dans l’histoire, mais l’histoire
qui permet de rentrer dans l’écriture.
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Index

Abnati : 32-33
Abu es-Soof, Behnam : 61-62, 64
Abusch, Tsvi : 31
Adam : 22
administration
associée aux jetons : 28-29, 32-33, 75, 157, 250
des temples : 75, 151, 211
développement : 28
et jetons complexes : 75, 155, 157, 180, 211
administration des temples : 75, 151, 211
agriculture : 22, 27-28, 59, 61, 136, 140, 146-150, 170, 179-
180, 237
Alexander, S. M. : 72, 98, 100
Ali Kosh : 55
Amiet, Pierre : 33-35, 76, 100, 154, 157, 171, 214, 233-234
Amuq : 48
analyse thermique différentielle : 43, 72
animaux
comptage : 13, 31-32, 103-104, 120, 122, 134, 138, 147,
168, 170, 173-175, 180-181, 230, 233, 257
domestication : 19, 59, 121, 179-180
en tant que symboles du Paléolithique supérieur et du
Mésolithique appliqués, marques sous forme de : 133
Arabie saoudite : 72-73, 218
architecture monumentale : 21-22, 54, 56, 60, 62, 155-156, 159,
252
argile comme matériau de fabrication des jetons : 29, 39, 42, 80,
125, 136-137, 140
Arpachiyah : 48, 61-64
Ascher, Marcia et Robert : 151
assemblages : 13, 15-16, 29, 40, 43-45, 48-49, 58, 60, 68, 72,
76, 79-80, 86, 101, 106, 132, 136, 150, 159
Astle, Thomas : 22
Aurenche, Olivier : 59, 150

Barger, Thomas C. : 73
Barth, Fredrik : 146
Barton, George A. : 24
Bar-Yossef, Ofer : 132
bâtons de comptage : 133-138, 140-141, 145-146, 149, 159, 161,
164, 176
voir aussi comptage
bâtons de comptage du Paléolithique : 16, 133-135, 138-140, 143-
145, 149, 167
Beale, Thomas : 158
Beigaben : voir offrandes funéraires
Belaiew, N.-T. : 214
Beldibi : 132-133
Belfer-Cohen, Anna : 132
Berger, Rainer : 59
Bérose : 22, 232
Bible : 22
biconique : 40-41, 44, 68, 79, 96, 202, 211
Biersack, Aletta : 163
Blumentopf : 90
Boas, Franz : 163
Boese, Johannes : 73
Bökönyi, Sandor : 59
Bondoux, G. : 214
bord biseauté, écuelles à : 60-61, 75-76, 90, 158-159
Bostanci, Enver Y. : 133
boustrophédon : 95-96
Braidwood, Robert J. : 30, 49, 54, 59, 135, 147
Brandes, Mark A. : 124, 156
Broman, Vivian L. : 30-31, 49
Bruner, Jerome S. : 130
bulles
comparées aux enveloppes : 65, 69, 71, 158-159
définition : 68-69, 211
et administration : 34, 157
et cordons de jetons : 68-69, 71, 148, 211
marques imprimées sur : 69
provenant de Habuba Kabira : 58, 60, 69
provenant de Suse : 57, 69-70, 107
Burstein, Stanley Mayer : 22

cachets : 58, 60, 69, 75-76, 80, 124, 158


calcul : 13, 34, 41-42, 59, 119, 145, 148-149, 153, 159, 161,
164, 167, 170, 233-234, 238-242, 255, 258
calendrier lunaire : 133
Calvot, D. : 59
Canal, Denis : 214
cardinalité : 167-168, 170
Çatal Hüyük : 147
Cauvin, Jacques : 54, 59, 135, 147, 150
céréales : voir mesure de
Chagar Bazar : 69
Charbonnier, Georges : 53, 87, 179
chasseurs-cueilleurs : 137, 147, 149, 159
châtiments corporels : 157
Cheikh Hassan : 54, 59, 147
Cherry, Colin : 19
Chervin, Arthur : 162
Chiera, Edward : 25-27, 226
chiffres
arabes : 175
création : 121, 172, 175, 181-182
définition : 162, 258
imprimés : 181
origine : 121
premiers : 172-174, 181
sur tablettes : 34, 122, 172
voir aussi comptage
Childe, V. Gordon : 26-27, 232
Chogha Mish : 48, 60, 68, 72, 74, 76, 88, 90, 98, 100, 102-
105, 118, 250
Claiborne, Robert : 27
Cohen, Mark Nathan : 149-150
Cohen, Sol : 21
Collon, Dominique : 88, 91, 100
communication
et jetons : 86, 121, 129-130, 140, 144, 180, 182, 235
voir aussi écriture
comptabilité
administration des temples : 124, 151
animaux : 13-14, 31-32, 103-104, 120-122, 134-135, 138, 147,
153, 157, 168-170, 173-175, 180-181, 230, 233, 257
céréales : 29, 120, 138, 147, 149, 170, 174, 180-181
définition : 149
denrées : 13-14, 20, 28-29, 34, 120, 123, 138-140, 142, 146,
149, 152-153, 166, 176, 180-181, 183, 211, 231, 233, 235, 241,
255-256
jetons : 29, 32, 34, 49, 55, 58-59, 120, 138-140, 142, 146-
147, 149-150, 159, 168, 171, 176, 180-181, 211, 233, 235-236,
241-242, 250
origine : 149, 173, 229, 232, 234, 237, 241, 245
signes utilisés : 26, 34, 120, 139, 166, 172, 230, 246
superficie agraire : 120
témoignages artistiques : 150, 153
témoignages textuels : 150-151, 153
voir aussi comptage
comptage
absence de jetons exprimant des nombres abstraits : 29, 135,
170
bâtons de comptage du Paléolithique : 16, 133-135, 138-140,
143-145, 149, 167
comptage abstrait : 17, 29, 35, 139, 161-162, 164-167, 170,
172-173, 175-177, 181
comptage concret : 13, 17, 29, 35, 161, 163-167, 169-170,
176, 181
comptage corporel : 163-164
correspondance terme à terme : 134-135, 138, 140-141, 161,
163-164, 167-169, 171, 176, 181, 257
données archéologiques proche-orientales : 133, 167
et écriture : 14-15, 17, 20, 26-29, 34-35, 143, 152, 161, 171,
173, 176
et spécificité de l’objet : 167, 169
et tablettes à encoches : 15, 88, 171-172, 231, 257, 259
fonctions : 149, 159
jetons utilisés pour compter : 17, 136, 138-141, 146, 159, 161,
167, 169-171, 173, 176, 181, 183
modes de : 17, 20, 29, 135, 145-148, 162-164, 167, 174
premiers nombres : 172, 174
système de numération ternaire : 165
témoignages philologiques sumériens : 164
un, deux, beaucoup : 162
voir aussi comptabilité ; bâtons
Conant, Levi Leonard : 162
cônes
comme offrandes funéraires : 64
dans des enveloppes : 13, 71, 79, 96, 98-99, 106, 116, 121
dimensions : 234-235
documents sur : 234
en tant que jetons complexes : 42, 60-61, 71, 155
en tant que jetons simples : 40, 42, 71, 121, 157, 174,
211, 246
marques sur enveloppes indiquant la présence de : 82, 84, 98-
99, 106
nombre de : 44, 48, 56-58, 64, 71, 79, 170, 234
sous-types : 40, 64, 79, 106, 187
sur divers sites : 13, 29-30, 35, 40, 48, 55-56, 58, 64, 159,
250
utilisations en comptabilité : 28-29, 31, 117-119, 136, 138,
146, 181, 211
utilisés pour porter des inscriptions sur des tablettes : 58, 96,
98, 106, 118, 121, 174
cônes en pierre : 55-56, 75, 156
contenant renfermant des jetons : 32, 236
Contenau, G. : 214
Contenson, Henri de : 39, 54, 147
Coon, Carleton S. : 30, 54
Copeland, Loraine : 132
cordons de jetons : 67-69, 117, 148, 152, 211
correspondance terme à terme dans les systèmes de comptage : 29,
122, 134-135, 138, 140-141, 143, 161, 163-164, 167-169, 171-172,
175-176, 181, 257, 259
corvée : 156
Crawford, Harriet : 146, 248
Cruikshank, Rose J. : 48, 61-62
Curtis, John : 89, 103-104
cylindres
dans des enveloppes : 13, 79-80, 82, 103, 106, 116, 120
en tant que jetons complexes : 42, 60, 180
en tant que jetons simples : 40, 42, 121-122, 157, 174, 180,
211
marques sur enveloppe indiquant la présence de : 82, 103, 106
nombre : 44, 57-58, 79, 157, 169-170, 234
sceau-cylindres : 58, 61, 65, 80-81, 124, 157-159, 235, 247-
248, 250-251, 254
séries de jetons comportant des : 29, 40, 42, 44, 57-58, 79,
106, 121
sous-types : 40, 106
utilisations en comptabilité : 28, 120, 136, 138, 147, 211
voir aussi sceaux

D’Alembert, Jean Le Rond : 24


Damerow, Peter : 97-102, 104-105, 118, 123, 166, 229, 237, 239,
255
Danzig, Tobias : 162
Davis, Simon : 131-132
Defoe, Daniel : 22-23
De la Fuÿe, Allote : 214
Delougaz, P. P. : 60, 68, 72, 74, 76, 88, 98, 100, 102-103, 105,
159
denrées
comptabilités des : 13-14, 20, 28-29, 34, 120, 123, 138-140,
142, 146, 149, 152-153, 166, 176, 180-181, 183, 211, 231, 233,
235, 241, 255-256
pictogrammes représentant des : 122, 143, 148, 176, 181-182
Dharan : 72
Dhorme, P. : 33, 59
Diakonoff, Igor M. : 163-166
Diderot, Denis : 24
Diringer, David : 27, 228
disques
dans des enveloppes : 13, 79, 102-103, 106, 116, 118, 121
dimensions : 234
disques perforés : 70
en tant que jetons complexes : 79, 116, 122, 170
en tant que jetons simples : 121-122, 174, 211, 246
marques sur enveloppe indiquant la présence de : 77, 84, 102-
103, 106, 120, 173
nombre : 44, 79, 169-170, 234, 246
provenant d’Uruk : 70, 102-103
série de jetons comportant des : 30, 40, 44, 79, 106, 120-121
sous-types : 40, 106, 187
utilisations en comptabilité : 118, 120, 136, 138, 141-142,
168, 174, 211
Dittmann, Reinhard : 74
Djemdet Nasr : 48, 152
Dolblhofer, Ernst : 22
Dollfus, Geneviève : 213
dumah : 72-73, 76

Ea : 22
Eanna
administration du temple : 75, 90, 156, 159
architecture monumentale dans : 56, 156, 159
ensembles de jetons trouvés sur le site : 55-56, 58, 61, 153,
155
enveloppes provenant d’ : 153
et levée du tribut : 159
nombre de jetons provenant d’ : 55-56, 58, 61, 74, 153, 155
tablettes à encoches provenant d’ : 90, 153, 231
voir aussi Uruk
Earle, Timothy K. : 146
économie : 16, 28, 123, 145, 148-150, 156, 159, 168, 180
économie redistributive : 150-154, 156, 159, 170, 232, 248
écriture
et comptage : 14-15, 17, 20, 26-29, 34-35, 143, 152, 161,
171, 173, 176
importance : 19, 142-143, 151-152, 154, 237
invention : 14, 16-17, 20-22, 26, 34, 67, 87, 140-141, 143-
144, 175, 183, 219, 221-222, 227, 234, 245, 247, 251
jetons, précurseurs : 15, 20, 27-28, 34-35, 123, 235, 241,
246
marques imprimées sur enveloppes et tablettes : 16, 28, 34, 88,
106-107, 110, 116-117, 123-125, 171, 182, 233-234, 246, 253, 256,
259
phonétique : 19, 24, 26, 143, 175-177, 182, 219, 221, 244-
245, 260
premiers chiffres : 172-173
récits mythiques sur les origines : 20-27, 176, 179, 217, 221-
222, 232, 243, 247
tablettes à encoches dans l’évolution de : 15, 25, 91, 96, 105-
107, 123-125, 148, 231, 240
théorie des pictogrammes : 24-28, 224-227
Edwards, Phillip C. : 132
Edzard, Dietz O. : 22
Élam : 20, 120, 159
El-Wailly, Faisal : 61-62, 64
En : 60-61, 153, 156, 159
Englund, Robert K. : 97-102, 104-105, 118, 123, 166, 229, 231,
237-238, 240-241, 247, 254, 256
Enki : 21-22
Enmerkar et le seigneur d’Aratta : 20-21, 221
ensembles de jetons : 58, 65, 67-68, 71, 76, 80, 84, 150, 168-
170, 182
entreposage des jetons : voir enveloppes
enveloppes
analyse thermique différentielle : 72
chronologie : 16, 74, 88, 235
comparées aux bulles : 65, 69, 71, 158-159
composition : 33, 71, 233
contexte : 16, 75-76, 88-89
définition : 211
dimension : 71, 235
en tant qu’objets : 69, 71, 89, 124
et administration : 28, 33, 75-76, 157-159, 234
et comptage : 181
et tablettes : 34, 171
état de conservation : 76
fabrication : 65, 71
inconvénients, en tant que dispositif de stockage : 28, 80
jetons enclos à l’intérieur : 16, 33, 69, 79-81, 83-84, 97, 142,
148, 153, 168
microscopie électronique à balayage : 72
nombre : 72-73, 82
nombre de jetons enclos à l’intérieur : 76, 79, 122, 142, 153
perforées : 117
portant des marques : 28, 34, 80, 82-85, 87-88, 91, 97-107,
110, 123-125, 171, 181-182, 233, 240, 242, 250
portant des sceaux imprimés : 13, 69, 80-81, 124, 211
provenant de Suse : 33-34, 71-72, 74-76, 80, 82-84, 89, 98,
102, 120-121, 124, 139, 168, 233, 235, 250
provenant d’Habuba Kabira : 58, 69, 72, 74-76, 80, 82, 84-85,
90, 104, 110, 148, 168, 171, 250
provenant d’Uruk : 34, 69, 71-72, 75-76, 90, 110, 124, 148,
153, 168, 171-172, 235, 250, 256
radiographie : 76-77, 80, 84
rapport avec les tablettes à encoches : 15, 60, 75, 89-91, 104,
123-125, 172
répartition géographique : 16, 72, 74
Ericson, Jonathan E. : 146
État
et jetons : 28, 155-156, 180

fabrication
des enveloppes : 65, 71
des jetons : 15-16, 30, 39-43, 64, 122, 136-137, 147, 187
Falkenstein, Adam : 14, 25-26, 88, 97, 117, 123, 213, 227, 229,
231
Farber, Gertrude : 21
Farukhabad : 72, 74, 76, 250
Fiandra, Enrika : 158
Finet, André : 60, 159
fiscalité : 156-157
Flegg, Graham : 162
formes diverses
nombre : 82, 137-138, 166, 238
sous-types : 28, 39-40, 79, 82, 101, 106, 110, 136, 187
Frankfort, Henri : 88, 98, 100
Friberg, Jöran : 97-105, 118-120, 123, 166, 171-172, 174, 229,
237, 239
Fried, Morton H. : 149

Ganj Dareh : 45, 54, 147


Ganj Dareh Tépé : 44, 48, 54, 56, 58-60, 106
Gautier, J. E. : 214
Gaz Tavila : 56, 58
Gelb, Ignace J. : 20, 24, 136, 176, 227-228
Genouillac, Henri de : 60, 159
Ghirshman, Roman : 88, 91, 98, 100-101
Godin Tépé : 26, 88, 90-93, 95-96, 98-101, 104-105, 175, 231
Goody, Jack : 14, 146, 163-164, 228, 243
Goren, N. : 132
Green, M. W. : 97, 117, 125, 215, 236
Grieder, Terence : 121

Habuba Kabira
bulles provenant de : 58, 60, 69, 75
ensembles de jetons provenant de : 58, 76, 168
industrie : 148
jetons complexes provenant de : 54, 60, 68, 71, 75, 171
jetons perforés provenant de : 68-69, 71
structures renfermant des jetons : 58, 75
tablettes à encoches provenant de : 58, 75, 89-90, 101, 257
type de site : 72, 80, 89, 159, 170, 231, 250
Hajji Firuz : 56, 61-62
Hakemi, Ali : 72
Hall, H. R. : 49
Hamblin, Dora Jane : 27
Hassuna : 45, 48-49
Haussoulier : 214
Hayonim : 132, 134
hémisphères : 30-31, 40, 101, 190
Henry, Donald O. : 132
Hockett, C. F. : 141
Hole, Frank : 54-55
Hooke, S. H. : 22
Hours, Francis : 132
Howe, Bruce : 54, 135
hyperboloïdes : 210

Ifrah, Georges : 162


Inanna : 21-22, 75, 152-153
Incas : 151
industrie
et jetons : 147-148, 176, 180
Innis, Harold A. : 129

Jackson, Donald : 20
Jacobsen, Thorkild : 31
Jarmo : 30-31, 44-45, 49, 54
Jasim, Sabah Abouh : 45, 56, 58
Jebel Aruda : 26, 89-90, 98, 100, 103-104, 172, 231, 257
Jéquier, G. : 214
jetons
à la période de Djemdet Nasr : 48, 152
à la période d’Uruk : 153, 158, 176
absence de documents : 27, 48
absence de jetons exprimant des nombres abstraits : 170, 238
Amiet à propos des : 33-35, 171
associés à divers types de sites : 16, 42, 53-55, 60-61, 250
au IIIe millénaire avant J.-C. : 35, 97, 116-117, 119, 121, 150-151,
153-154, 236
au IVe millénaire avant J.-C : 16, 28, 35
au VIIIe millénaire avant J.-C. : 35, 40, 59, 107, 121
chaînon entre comptage et écriture : 16-17, 27-28, 34, 140, 145,
161
comme offrandes funéraires : 61-62, 64, 150
contenants renfermant des : 32, 59
cordons : 67-69, 71, 80, 84, 86, 110, 117, 148, 152, 211
définition : 41-42, 149
dimensions : 86, 142-143, 236-237, 246, 257
émergence de l’écriture à partir des : 249
en tant que support d’information : 17, 30, 49, 84, 125, 136-138,
140-143, 179, 182, 250
en tant que symboles : 28, 65, 86, 129, 144, 150, 169
enclos dans des enveloppes : 33, 35, 67, 69, 71, 79-82, 110, 117,
148, 152, 171, 182
ensembles : 58, 65, 67-68, 71, 76, 80, 84, 150, 168-170, 182
entreposage : 56, 58, 65
et administration des temples : 56-57, 75-76, 157, 211
et agriculture : 28, 59, 61, 65, 146-150, 170, 176, 180
et cardinalité : 167-168, 170
et communication : 16-17, 86, 129, 140, 180, 182-183
et comptabilité : 29, 32, 34, 49, 55, 58-59, 139-140, 142, 146-
147, 149-150, 159, 168, 171, 176, 180-181, 211, 233, 235-236,
241-242, 250
et correspondance terme à terme : 29, 135, 140-141, 164, 167-168,
171, 181
et économie : 16-17, 28, 145-146, 150, 154, 159, 168, 176, 180,
183
et économie d’État : 28, 156
et économie redistributive : 151-154, 156, 159, 170
et État : 28, 155-156, 159, 176, 180
et fiscalité : 156-157
et industrie : 147-148, 176, 180
et mathématiques : 17, 34, 180-181, 183
et organisation sociale : 145, 149-151, 153, 180, 220
et spécificité des objets : 136, 143, 167, 169
études portant sur : 11, 29-30, 44, 49
évolution : 13, 15-17, 39, 41, 123, 140, 148, 158, 180-181, 219
fabrication : 29-30, 39-40, 42, 64, 136-137, 187
importance : 30, 34, 65, 67, 107
inconvénients : 28, 80, 106, 142
marquant un tournant dans la communication et le stockage des
données : 143, 157
matériaux utilisés pour leur fabrication : 39, 42, 137
nombre d’un site à l’autre : 44-45, 49, 54, 60-61, 68
nombre par site : 44-45, 48-49, 54, 56, 60-61, 170
nombre par type : 49, 64, 76, 79, 84, 122, 181, 233, 241-242
nombre réel de : 169, 257
nombre répertorié : 48
objets associés : 59-61
origine : 48, 86
origine du terme : 29, 167
perforés : 67-69, 71, 110, 116-117, 235
portant des marques : 40-42, 44, 80, 82, 84, 86, 103, 107, 116-
117, 122, 158, 171, 233
précurseurs de l’écriture : 20, 27-28, 34, 88, 235
prototypes des pictogrammes : 42, 105, 107
prototypes des signes incisés/imprimés : 107
remplacement par des signes : 28, 125
répartition géographique : 68, 180
répartition sur les sites : 15-16, 45, 48-50, 54-55, 60-62, 64, 147
signification des signes imprimés et jetons correspondants : 97, 106,
117
structures abritant des : 16, 53, 55-56, 58
travaux des archéologues sur : 30, 49, 217-218, 233, 237, 251
types et sous-types : 15, 17, 39-40, 64, 79-80, 82, 110, 122,
139, 147, 168, 187
voir aussi jetons complexes, jetons simples, enveloppes, types de jetons
spécifiques
jetons complexes
au IVe millénaire avant J.-C. : 42, 54, 60, 68, 107, 110, 122, 157,
211, 235
chronologie : 68, 155, 235
dans des enveloppes : 42, 60, 69, 79-80, 110, 116, 148, 171
définition : 41, 54, 65, 122, 145, 156-157, 170, 180
et administration : 155, 157
et comptabilité : 50, 122, 145, 155, 159, 171, 180, 236, 241,
246
et industrie : 147-148, 180
et levée du tribut : 156, 159
évolution des jetons : 16, 39-41, 107, 110, 148, 155, 180
fabrication : 16, 39, 42, 65, 122
marques sur : 16, 40-42, 69, 107, 110, 116-117, 122, 158
jetons de forme humaine : 41, 136, 251
jetons en forme d’animaux
dans des enveloppes : 79
en tant que jetons complexes : 29, 40, 71, 79
en tant que jetons simples : 29, 40, 79
fabrication : 40, 42, 136, 138
marques sur enveloppes indiquant : 69, 82
nombre : 44, 168, 233
pictogramme correspondant : 122, 138, 141, 148, 172, 181
sous-types : 40-41, 79-80, 82
jetons en plâtre : 42
jetons peints : 41, 60
jetons perforés : 67-69, 71, 110, 116-117, 235
jetons représentant des fruits : 41
jetons représentant des outils : 41, 158
jetons représentant des récipients
comme offrandes funéraires : 62, 64
en tant que jetons simples : 29, 40-41, 64, 79, 211
fabrication des : 42
nombre : 41, 44, 56, 64, 251-252
séries comportant des : 122, 124
sous-types : 40, 79
jetons représentant du mobilier : 41, 158
jetons simples
avec jetons complexes sur un même cordon : 67, 71, 84, 117,
148
chronologie : 68, 76
dans des enveloppes : 42, 69, 71, 79-80, 116, 121
définition : 41, 120, 122, 145, 170, 180
et agriculture : 28, 61, 65, 146, 148, 176, 180
et comptabilité : 50, 121-122, 140, 145, 148, 159, 174, 180,
234, 236, 241
et structure sociale : 28, 155, 180
évolution des jetons : 16, 28, 39, 41, 148, 180, 234
fabrication : 16, 39, 42, 122
portant des marques : 16, 28, 42, 80, 116, 122, 182, 233
provenant de Seh Gabi : 41
type de sites associés : 16, 42, 54, 170, 250
utilisations : 28-29, 31, 40-42, 65, 122, 159, 175, 180, 250
Jiita : 132, 134
Jordan, Julius : 30, 214

Kantor, Helene J. : 60, 68, 72, 74, 76, 88, 98, 100, 102-105,
159
Kebara : 131, 134
Khafaje : 26, 88, 98, 100, 154
Kingery, W. David : 12, 72
Komoròczy, Géza : 20
Kramer, Edna E. : 162
Kramer, Samuel Noah : 21-22, 237
Ksar Alil : 132-134

Labat, René : 116, 226


Lacheman, Ernest R. : 31-32
Lamberg-Karlovsky, C. C. : 74, 76
Lambert, Maurice : 34, 233-234
Langdon, S. : 117, 214
Langer, Suzanne K. : 14, 130
Le Breton, Louis : 60
Le Brun, Alain : 170, 213-214, 233-234, 246
Legrain, Léon : 214, 233
Lenzen, Heinrich J. : 215
Leroi-Gourhan, André : 26, 133, 219, 232
Levine, Louis D. : 41, 56
Lévi-Strauss, Claude : 14, 53, 87, 179
Lieberman, Stephen : 170, 234-236
Lloyd, Seton : 27, 48
LoDagaa : 163
Mackay, Ernest : 48
Maeda, Tohru : 152
Mallet, abbé Étienne : 24
Mallowan, M. E. L. : 48, 61-62
Marduk : 22
Mari : 26, 89, 217, 248
marques
définition : 80, 82, 84, 104, 125, 211
et comptage : 16, 28-29, 125, 133-136, 140, 158, 171-173,
181, 230, 233-235, 239, 242, 246, 251, 253, 255, 257, 259
et fabrication des jetons : 16, 40, 42, 117, 122, 136, 187
sur bulles : 34, 68-69, 107
sur enveloppes : 16, 28, 34, 69, 74-75, 80-88, 91, 96-107,
110, 116, 120, 123-125, 171, 181-182, 211, 233, 240, 242, 246,
250
sur enveloppes, comparé aux tablettes à encoches : 34, 58, 87-
88, 91, 93, 101-102, 104, 106, 118, 120, 123-125, 171-172, 240,
257, 259
sur jetons complexes : 16, 28, 41-42, 79, 97, 104, 107, 116-
117, 122, 158, 171, 211, 241, 246
sur jetons simples : 16, 28, 40, 42, 79, 97, 104, 116-117,
122, 158, 171, 240, 250
types : 28, 40-41, 69, 76, 80
marques en forme de point : 40-41, 44, 77
marques en forme d’encoches : 34, 40, 93, 105, 136
marques linéaires : 40-41, 107, 133-134
marques pincées : 40, 96
Marshack, Alexander : 133-134, 146, 167
Mason, William A. : 25
Matarrah : 44
mathématiques
jetons : 17, 34, 180-181, 183
voir aussi comptage
McLuhan, Marshall : 14, 134
Mecquenem, Roland de : 57, 67, 75, 214
Meillassoux, Claude : 149
Mellaart, James : 147
Menninger, Karl : 163
Mercer, Samuel A. B. : 27
mesures de grain : 29, 59, 65, 95, 98-102, 105, 117-123, 136-
139, 141-142, 147-149, 153, 158, 168-175, 181
voir aussi agriculture
microscopie électronique à balayage : 43, 72
Miller, Naomi : 55
monopole de la force : 155-156
Morgan, Jacques de : 30, 214
Mortensen, Peder : 61
Muheisen, Mujahed : 132
Mureybet : 54, 59-60, 135, 147, 150

Nabu : 22
Ninive : 34, 88, 90, 100, 222
Nissen, Hans J. : 60, 97, 99-102, 104-105, 118, 123, 148, 166,
215, 229, 252
nombre
en tant que jetons simples : 41-42, 48, 122, 170, 174, 176,
182, 234, 241, 246
sous-types : 41, 65, 79, 82, 101, 122, 139, 168
nombres
définition : 65, 122-123, 150, 161-164, 169, 172, 174, 181-
182, 238, 258
voir aussi comptage
nombres concrets, définition : 162-164, 172, 181, 238
noms de nombres : 162-163, 166, 168, 174
nouveaux types
avec jetons simples sur un même cordon : 110, 117, 148
et fiscalité : 157
et structure sociale : 219
prototypes des pictogrammes : 42, 105, 107, 110
provenant de Suse : 33, 69, 75-76, 82, 91, 124, 171, 235,
243
sites associés : 16, 42, 53-54, 69
utilisations : 136, 147, 176
Nuzi : 31-33, 232-233, 235, 242

Oannès : 22, 232


Oates, Joan : 56, 58
Obeid : 44, 48-49, 62
obsidienne : 60, 62, 146-148
ocre : 42, 131-132, 135
offrandes funéraires : 61-62, 64, 143, 150
Ong, Walter : 14, 134
Oppenheim, Leo : 31-33, 232-233, 242
organisation sociale
à la période de Djemdet Nasr : 152
à la période d’Uruk : 152-153
à Mureybet : 150
au IIIe millénaire avant J.-C. : 150-154
et économie redistributive : 150-154
et jetons : 149-152, 154, 180
et offrandes funéraires : 61, 150
sociétés égalitaires : 149-150, 176
sociétés hiérarchisées : 28, 149-150, 176, 180
témoignages artistiques : 150, 153-154
témoignages textuels : 150-151, 153
os à encoches : 131-136, 167
ovales : 26, 28, 40-41, 44, 82, 91-92, 104-105, 124, 200, 204,
211
ovoïdes
dans des enveloppes : 13, 28, 71, 73, 75, 79, 82, 110, 117,
168, 171, 211
en tant que jetons complexes : 40-42, 71, 75, 79, 110, 171
en tant que jetons simples : 40, 42, 71, 75, 79, 110, 171
et comptabilité : 28-29, 58, 136, 138, 141, 168-169, 171, 181,
211
marques sur enveloppes indiquant la présence : 82, 85, 96, 104,
171
provenant d’Uruk : 44, 69, 73, 110, 117, 171
séries de jetons comportant des : 29, 40-41, 58, 79, 141, 169,
181, 211
sous-types : 40-41, 79, 82, 110, 168

paraboloïdes
dans des enveloppes : 71, 79
en tant que jetons complexes : 41, 49, 71, 79
marques sur enveloppes indiquant la présence de : 71, 79
nombre : 44, 79, 202
portant des marques : 40-41
provenant d’Obeid : 44, 48-49
séries de jetons comportant des : 40, 211
sous-types : 40-41
Parrot, André : 89, 155, 217
Perrot, Jean : 132
Pettinato, S. A. : 33
Peyrony, Denis : 133
Pézard, G. : 214
Pézard, M. : 214
pfannenstiel : 57
Pfister, R. : 214
Phillips, Mona Spangler : 84
Picchioni, S. A. : 33
pictogrammes
définition : 25, 153, 244
et comptage : 26-27, 29, 122, 136, 140, 172, 174-176, 181-182,
230
et nombres : 28, 122-123, 172, 174-176, 181-182, 199, 227, 230
et tablettes à encoches : 25, 27, 91, 105, 123, 125, 143, 148,
175, 230
jetons prototypes des : 42, 107, 110, 116
premiers témoignages de l’existence : 24-25, 105, 107, 226-228
signification des signes et des jetons correspondants : 28, 97, 105,
107, 117
pictogrammes divers : 25-26, 28, 105, 122, 153
pictogrammes indiquant des unités de travail ou de service : 116,
138
pictogrammes représentant des denrées alimentaires : 122, 143,
148, 176, 181-182, 241
voir aussi agriculture ; mesure de grain
pictogrammes représentant des vêtements ou des tissus : 14, 122
poids et mesures : 29, 157-158, 166, 238, 241, 245, 256-257, 259
Pottier, E. : 214
Powell, Marvin A. Jr. : 20, 119, 158, 165-166, 236-237, 241
Prickett, Maria : 56, 58
Proche-Orient
définition : 212
voir aussi sites spécifiques
Protsch, Rainer : 59

Qafzeh : 131
quadrilatères : 40-42, 44, 79, 138, 198, 211

radiographies d’enveloppes : 76-77, 80, 84


Reade, Julian : 88, 91, 100
récépissé, définition : 116, 152, 212
récits mythiques des origines de l’écriture : 15, 19-28, 176, 179,
182, 217, 219-222, 226, 232-233, 237, 241, 243, 247, 260
rectangles : 71, 204
Redding, Richard : 55
Redman, Charles L. : 136, 150-151
Reed, Charles A. : 54, 59, 135
Reimer, Stephen : 73
Reshid, F. : 33
rhomboïdes : 40-41, 204, 211
Rosengarten, Yvonne : 55, 151-152
Roux, Georges : 25
Russell, Bertrand : 162

Safar, Fuad : 48
Sahuri, Shucri : 73
Samarkand, grotte de : 30, 54
Sampson, Geoffrey : 20
sceaux
cachets : 124, 235, 250-252
et administration : 13, 33, 58, 75-76, 91, 124, 152, 157,
159, 250-252, 254
et assemblages associés : 60, 159
et économie redistributive : 153
sceau-cylindres : 58, 61, 65, 80-81, 124, 157-159, 235, 247-
248, 250-251, 254
sur bulles : 68-69, 159, 211
sur enveloppes : 60, 80-81, 124-125, 159
sur tablettes à encoches : 60, 75, 125
Scheil, Vincent : 214
Schmandt-Besserat, Denise : 12, 14, 35, 72, 90, 98, 100, 104,
110, 116, 136, 213, 217-219, 221, 234-243, 246-247, 249-250, 254,
256-257, 260
Schmidt, Jürgen : 215
Seh Gabi : 41, 55, 57
sépultures : 16, 61-65, 131, 150
voir aussi offrandes funéraires
séries de jetons : 41, 46
Shackley, M. : 143
Shahdad : 72, 250
Shanidar : 131
Sharafabad : 54, 250
Sialk : 88, 90, 98, 100
signes comme sous-catégorie de symboles : 130
signes imprimés : 20, 25, 28-29, 34, 86-88, 91, 96-107, 110,
116-117, 120-121, 123-124, 148, 171-175, 181
signes incisés : 25, 75, 90, 92, 94, 97, 105, 107, 117, 122,
125, 172, 181, 230
signes sur tablettes : 28, 80, 88, 91, 95-97, 101, 103-104, 107,
121, 124, 137, 148, 233
comparés aux marques sur enveloppes : 34, 87, 96-97, 104,
123-124, 171
définitions : 80, 91, 106
disposition : 106, 124-125
évolution des jetons : 88, 97, 106-107, 117
fonction : 87, 95, 125, 137
imprimés : 25-26, 28, 34, 87-88, 91, 96-97, 103, 105, 123,
148, 171
incisées : 90, 94, 97, 101, 105, 230
jetons prototypes des signes imprimés : 29, 106
nombres : 122-123, 172
signification : 25, 87, 96-97, 117, 123, 130, 212
technique d’impression : 96
types identifiés : 95, 106, 229
Sigrist, Marcel : 33, 59
sites
de Syrie : 54, 60-61, 68, 72, 75, 85, 89, 147, 159, 212,
217, 250
de Turquie : 11, 15, 68, 132, 212, 218, 250, 252
d’Irak : 15, 20, 31-32, 43, 48, 54, 57, 60, 68, 70, 72-73,
93, 115, 132, 154-155, 157, 173, 212, 218, 232
iraniens : 54, 72
palestiniens : 68, 212
voir aussi sites spécifiques
Smith, Cyril S. : 12, 39, 138
Smith, David E. : 162, 174
Smith, Philip E. L. : 54, 56, 147
sociétés
égalitaires : 149-150, 176
hiérarchisées : 28, 53, 149-150, 155, 176, 180
Solecki, Ralph S. : 131
Solecki, Rose L. : 132
Soutzo, M.-C. : 214
sphères
dans des enveloppes : 13, 79-80, 100-101, 103, 106, 116, 118,
139, 168, 235
en tant que jetons complexes : 40, 42, 64-65, 79, 107, 157
en tant qu’offrandes funéraires : 63, 150
et comptabilité : 29, 31, 34, 136-139, 169-170, 174, 211,
235, 250
hémisphères et trois-quarts de sphères : 30, 40, 64
marques sur enveloppes indiquant la présence de : 80, 84, 100-
101, 103, 106
provenant de Hassuna : 44-45, 48
Starr, Richard F. S. : 31-33
Strommenger, Eva : 60, 68-69, 73-74, 89-90, 100-101, 104
structure politique : voir organisation sociale
structures abritant des jetons : 16, 28, 53, 55-56, 58
superficie agraire : 99, 101-102, 119-120
Sürenhagen, Dietrich : 72, 74, 89, 104, 148
Suse
bulles provenant de : 34, 57, 68-71, 75, 107, 159, 168
comptes d’animaux : 103, 120-121, 233
enveloppes provenant de : 33-34, 69, 71-72, 74-76, 80, 82-84,
89, 98-100, 102-104, 120, 124, 139, 159, 233, 235, 246, 250
jetons complexes provenant de : 44, 54, 60, 68, 246
jetons perforés provenant de : 68, 71, 82
jetons portant des marques en forme de point provenant de : 44,
76, 82, 98
jetons provenant de : 35, 49, 57, 71, 80, 82-84, 171
nombre de jetons provenant de : 44, 49, 82, 84
répartition des jetons : 55, 57, 68, 71, 75, 82
signes incisés provenant de : 82, 90, 94, 105, 107
structures abritant des jetons : 57
tablettes à encoches provenant de : 88-91, 93-94, 257
type de site : 54
symboles
caractère éphémère : 130
définition : 130
Néolithique : 30, 129, 135, 139-140, 143
Paléolithique inférieur et moyen : 131, 139, 143-144
Paléolithique supérieur et Mésolithique : 132-133, 135, 137-140,
143-144
Système des jetons comme : 86, 122, 129, 137-138, 140, 142,
144
utilisations : 130-131, 133, 136, 176
symboles mésolithiques : 132, 137
symboles néolithiques : 129, 135-136
symboles paléolithiques : 129, 131-132, 137, 144
systèmes de numération ternaire : 13, 23, 164-165
Szarzynska, Krystyna : 117

tablettes : voir tablettes à encoches ; tablettes incisées ; tablettes


pictographiques
tablettes à encoches
chronologie : 16, 88, 90-91
comptage : 171
contexte : 16, 88-89
définition : 212
description : 91
disposition des signes : 91, 95-96, 124-125
et pictographie : 25, 27, 91, 95, 105, 107, 110
étape dans l’évolution de l’écriture : 15, 107, 110, 123, 240
nombre : 15-16, 34, 88, 124
passage des jetons aux signes : 15, 97, 123
portant des nombres : 231, 259
portant des sceaux : 91, 125
portant des signes : 16, 87, 259
provenant de Godin Tépé : 25, 88, 90-91, 95-96
provenant d’Uruk : 25, 27, 34, 58, 75, 88, 90-91, 123, 148,
153, 172, 182, 231, 257
rapport avec la pictographie : 148
rapport avec les enveloppes : 15, 60, 75, 89-90, 104, 123,
125, 172
répartition géographique des : 16
signes imprimés : 91, 96, 105-107, 110, 125
signification des signes : 91, 97
technique d’impression : 96, 106, 125
tablettes cunéiformes : 25, 31-32, 153, 217, 221-222, 225-226
tablettes incisées : 96, 175, 212
tablettes pictographiques
définition : 153, 212
Tall-i Ghazir : 88, 90, 102
techniques de comptage
et économie : 136, 145-148
et organisation sociale : 145, 148, 153
Tell Abada : 45, 56, 58-59
Tell Aswad : 39, 44, 54, 59, 147
Tell Brak : 26, 56, 69, 89, 103-104, 231, 250
Tell es-Sawwan : 56, 61-62, 64, 151
Tell Hassuna : 44, 48
Tell Kannas : 60, 159, 250
Tell Mureybet : 54
Tell Oueili : 45
Tell Qraya : 72-73
Tell Ramad : 44
Tell Sheikh Hassan : 72-73, 217, 250
Tell Songor : 44
Tello : 60, 151-152
temple blanc : 90
temple calcaire : 56, 156
temple de pierre aux mosaïques de cônes : 56, 75, 155-156
temples : voir noms des temples spécifiques
Tépé Asiab : 54, 59, 106, 147
Tépé Gawra : 44, 48-49, 61-65, 150-151, 250
Tépé Guran : 61
Tépé Sialk : 91, 101
Tépé Yahya : 72, 74-76, 80, 84-85, 98, 100, 250
tétraèdres
dans des enveloppes : 13, 71, 76, 79, 116, 235, 246
dimensions : 235
en tant que jetons complexes : 42, 71
en tant que jetons simples : 40, 42, 211, 246
et comptabilité : 34-35, 136, 138, 168, 246, 250
nombre : 44, 57-58, 79, 246
signification : 116
sous-types : 40, 79, 168
théorie des pictogrammes : 20, 24-28, 224-228
Thureau-Dangin, François : 117, 165, 174, 238-239
Tixier, Jacques : 132
Tobler, Arthur J. : 48, 61-64, 150
Tonelli, Silvestri : 125
Töpperwein, E. : 72, 89, 104
Toscanne, Paul : 214
triangles
dans des enveloppes : 71, 79, 105, 116, 171
en tant que jetons complexes : 41-42, 71, 79
en tant que jetons simples : 40, 42
nombre : 41, 44
portant des marques : 107, 116, 171
séries de jetons comportant des : 41
sous-types : 40-41, 79, 107, 110
Trouworst, Albert A. : 153
Tula’i : 54

Unvala : 214
Uruk
chiffres provenant d’ : 172, 181
comptes d’animaux : 31, 120, 173, 181
ensembles de jetons provenant d’ : 76, 168
enveloppes provenant d’ : 34, 69, 71-72, 75-76, 90, 110, 124,
153, 168, 171-172, 235, 250, 256
hégémonie : 152-153, 252
industrie : 148
jetons complexes provenant d’ : 54, 69, 148, 155, 171, 246
jetons perforés provenant d’ : 60, 68-69, 71
jetons portant des marques en forme de point provenant d’ : 231
jetons provenant d’ : 30, 43-44, 49, 56-58, 153, 246
nombre de jetons provenant d’ : 55, 58, 117, 153
organisation de la société : 152, 252
pictogrammes provenant d’ : 25, 123, 153, 172, 176, 181
répartition des jetons : 55
signes de nombres provenant d’ : 166, 172, 176, 181, 236,
239, 241, 246
structures abritant des jetons : 56
système d’écriture découvert à : 21-22, 25, 27, 91, 176, 182,
223, 227-229, 231, 236-237, 239, 245, 247, 254, 256
tablettes à encoches provenant d’ : 25, 27, 34, 58, 75, 88, 90-
91, 123, 148, 153, 172, 182, 222, 257
tablettes archaïques : 25, 55, 222, 231, 239, 245, 256
type de site : 25, 72, 170, 250
voir aussi Eanna

Vaiman, A. A. : 97-102, 105, 117-118, 125, 166


Valeri, V. : 125
Vallat, François : 170, 213, 234, 246
Van Driel, G. : 89-90, 98, 100, 103-104, 172
Van Driel-Murray, C. : 90
Van Roggen, D.-L. Gratt : 214
Vandermeersch, B. : 131
V.-David, Madeleine : 22
Vedda : 162-163
Voigt, Mary M. : 56, 61-62

Wahida, Ghanim : 56
Warburton, William : 24, 29, 224, 228
Weiss, Harvey : 88, 90-91, 95, 98, 100-101
Weitemeyer, Mogens : 116
Whitcomb, Donald S. : 88, 102
White, Leslie A. : 161
Wilder, Raymond L. : 145, 162
Wilkins, Jogn : 22
Wright, Gary : 146
Wright, Henry T. : 55, 72, 74, 76

Young, T. Cuyler Jr. : 56, 88, 90-93, 95, 98, 100-101, 175

zéro : 172
Ziggourat d’Anu : 55, 90-91
Cette édition électronique du livre
La Genèse de l'écriture
de Denise Schmandt-Besserat
a été réalisée le 13 mai 2022
par Nord Compo.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 978-2-251-45293-7).

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