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Pierrette Lafond

promenade
en Enfer
Les livres à l’Index de la
bibliothèque historique
du Séminaire de Québec
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promenade en Enfer
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Pierrette Lafond

promenade
en Enfer
Les livres à l’Index de la
bibliothèque historique
du Séminaire de Québec

Se p t e n t r i o n
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Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage,
rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de


développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé
à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme
de crédit d’impôt pour l’édition de livres.

Illustration de la couverture : Section Enfer de la bibliothèque historique du Séminaire


de Québec. Photographie: Kathy Ann Kelly, 2006.
Illustration de quatrième de couverture : Aubin Vouet, Saint Michel terrassant le
démon, huile sur toile, 1518. Musée de la civilisation, collection du Séminaire
de Québec, 1991.534. Photographie : Julien Auger – Icône.
Illustration en page 4 : Section Enfer de la bibliothèque historique du Séminaire de
Québec. Cette section renferme près d’un millier d’ouvrages mis à l’Index, t­émoins
de l’application séculaire de la c­ensure. ©Photographie : Joan Fontcuberta, 2013.
Photographie du papier marbré ancien : Kathy Ann Kelly, 2006.

Chargée de projet : Hélène Dionne


Révision : Solange Deschênes
Mise en pages et maquette de couverture : Pierre-Louis Cauchon

Si vous désirez être tenu au courant des publications


des ÉDITIONS DU SEPTENTRION
vous pouvez nous écrire par courrier,
par courriel à sept@septentrion.qc.ca,
ou consulter notre catalogue sur Internet :
www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :


835, av. Turnbull Diffusion Dimedia
Québec (Québec) 539, boul. Lebeau
G1R 2X4 Saint-Laurent (Québec)
H4N 1S2
Dépôt légal :
Bibliothèque et Archives Ventes en Europe :
nationales du Québec, 2019 Distribution du Nouveau Monde
ISBN papier : 978-2-89791-073-0 30, rue Gay-Lussac
ISBN PDF : 978-2-89791-074-7 75005 Paris
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À Patrick
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remerciements

a publication de ce livre s’est (2010-2015) qui a imaginé le concept des événe-

L révélée un projet impliquant plusieurs


intervenants qui ont chacun apporté
une contribution appréciée. Cette
recherche ayant été réalisée dans le cadre d’études
ments publics Rares & Précieux et dont les quatre
éditions qu’il m’a confiées (Birds of America : le
livre trésor de John James Audubon ; Ces livres qui
ont nommé le monde ; Les livres de l’Enfer et les
de maîtrise à l’Université Laval, j’aimerais remercier tableaux mis au secret ; Le Traité de Paris de 1763)
mes directeurs, Laurier Turgeon (ethnologie) et ont magnifiquement permis de mettre en valeur le
Denis Saint-Jacques (littérature), de leur soutien. riche patrimoine livresque du Séminaire de Québec.
Mes remerciements s’adressent également à Gilles Des pensées empreintes de gratitude vont à ma
Herman des éditions du Septentrion pour l’intérêt collègue pendant plus de 23 ans et mon amie pour
soutenu exprimé envers le sujet de cet ouvrage. toujours, Martine Malenfant, dont la compétence et
Je tiens à souligner l’importante et généreuse l’excellence en techniques documentaires, notamment
contribution au niveau iconographique du Musée au catalogage des livres anciens de la bibliothèque
de la civilisation de Québec qui a permis la réali- historique, ont été une inspiration édifiante, ainsi
sation d’un livre richement illustré, ainsi qu’à Joan qu’à Hélène Dionne, collègue de l’ancien Service de
Fontcuberta, artiste de réputation internationale, qui la recherche et éditrice au Musée de la civilisation,
m’a gracieusement permis l’utilisation d’une de ses aujourd’hui éditrice chez Septentrion, pour son
photographies publiées dans son ouvrage Deletrix. indéfectible soutien qui a fait une réelle différence.
J’adresse une appréciation spéciale à Michel Merci, enfin, à ma famille pour ses chaleureux
Côté, directeur général du Musée de la civilisation encouragements.

 Bibliothèque historique du Séminaire de Québec. Photographie : Kathy Ann Kelly, 2006.


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ava n t - p r o p o s

l’étincelle
« Le Serpent dit à la femme :
Pas du tout ! Vous ne mourrez point ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. »

Genèse 3:4, 5

epuis juin 1995, les riches collections À ma stupéfaction, il s’y trouvait également une sec-

D d’objets, d’œuvres, d’archives et de


livres anciens amassés par le Séminaire
de Québec, institution séculaire établie
depuis 1663, sont gérées par le Musée de la civili-
tion d’ouvrages mis à l’Index. Ces documents frappés
d’interdit au fil des siècles par la censure ecclésiastique
étaient là, accessibles, à la portée de ma main. J’ai
fait le tour des rayons, découvrant ici et là un auteur
sation et s’intègrent à la collection nationale. Mes connu ou un titre familier parmi ces œuvres prohibées
fonctions au Musée me donnant l’accès aux réserves qui étaient pour la plupart retombées dans l’oubli. J’ai
abritant la bibliothèque historique du Séminaire de pris un livre au hasard et l’ai ouvert pour en parcourir
Québec, j’ai découvert, lors d’une première visite, des quelques lignes. Une voix a retenti, déclarant qu’il était
milliers d’ouvrages anciens qui avaient défié le temps. temps d’aller dîner et j’ai machinalement répondu
Baignés d’une lumière diffuse pour leur protection, que j’arriverais dans quelques minutes. C’est là qu’on
des reliures de parchemin jouxtaient des ouvrages m’a retrouvée après la pause du midi, subjuguée,
aux plats dorés sur cuir, des in-folio côtoyaient des hors du temps, plongée dans l’exploration de cette
couvertures usées et racornies. Mariant les origines étonnante section et absorbée par la lecture de ces
géographiques, les langues et les époques, alignant textes prohibés. Quelques années plus tard, lorsque
incunables, journaux et brochures, livres rares de j’ai dû déterminer le sujet de mon mémoire de maî-
théologie, de science, de littérature ou d’histoire, cette trise, le choix s’est imposé de lui-même : ces livres-là
extraordinaire bibliothèque témoignait de siècles m’attendaient depuis tout ce temps. Ils constituaient
d’enseignement, de recherches, de connaissances et à la fois un univers à découvrir, un mystère à résoudre
de culture. Et partout une indescriptible odeur de et une tentation teintée d’une séduisante ironie : une
papier, d’encre et de poussière flottait autour de ce femme avait désormais libre accès à l’Enfer !
corpus depuis longtemps reclus. Difficile de résister…

 L’auteure dans les rayonnages de la bibliothèque du Séminaire de Québec, en mars 2006. Depuis, la fenêtre a été opacifiée par
mesure de conservation préventive. Photographie : Kathy Ann Kelly, 2006.
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12 promenade en enfer
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préface

rois raisons m’ont amené à accep- une formation philosophique plutôt élémentaire

T ter l’invitation que m’a faite Pierrette


Lafond à préfacer son ouvrage.
D’abord, la question de la censure
demeure d’actualité même si l’on se réjouit en général
portant bien peu d’attention aux grands courants
de la philosophie moderne et contemporaine. Ainsi,
nous n’étions pas soumis aux dangereux attraits
des raisonnements d’auteurs pouvant introduire le
de sa disparition ; certains estiment cependant qu’elle doute dans nos certitudes religieuses.
persiste sous des formes différentes et même qu’elle C’est le hasard qui m’a amené pour la première
a quelque raison d’exister. Il m’intéressait également fois à réfléchir aux causes et aux conséquences de
de réfléchir à cette question parce qu’elle me donnait l’Index. Au Petit Séminaire, les étudiants recevaient
l’occasion de ramener à la surface des souvenirs loin- des prix sous forme de crédits pour acheter des
tains, ce qui est un exercice inévitable et salutaire livres aux Presses de l’Université Laval, situées à
pour un octogénaire. Enfin, connaissant la qualité deux pas du Séminaire. À la fin d’une année scolaire
du travail de Mme Lafond en matière de référence au début des années 1950, je m’y suis rendu pour
documentaire pour avoir bénéficié de sa compétence choisir deux ouvrages : un livre de pensées du grand
durant mes années passées au Musée de la civilisation sage Lao Tseu et L’existentialisme est un humanisme
de Québec comme directeur de la recherche, des col- de Jean-Paul Sartre. « Tu prends vraiment un livre
lections et des relations internationales, je ne doutais à l’Index ? », me demanda Gilles Vigneault qui y
pas de la grande qualité de son ouvrage. travaillait en marge de ses cours à la Faculté des
Étudiant au Petit Séminaire de Québec, je lettres. « D’accord, ajouta-t-il ; on va le placer face
connaissais l’existence dans nos murs d’un Enfer cachée. » Lors de la cérémonie de la distribution des
dont on savait peu de choses, sauf le fait qu’il y prix, Mgr Louis-Alphonse Parent me remit les livres
avait, dans l’édifice où je poursuivais mes études, choisis dans cette disposition.
des livres qu’il « était mauvais de lire » et dont l’accès Bien sûr, il savait, comme tout prêtre du Québec
était donc interdit. Ces livres étaient logés dans une sans doute, que Jean-Paul Sartre avait été mis à
grande pièce, paradoxalement située au quatrième l’Index de Rome omnia opera, c’est-à-dire son œuvre
étage de l’édifice, alors que les livres accessibles se au complet. Me faisait-il alors l’honneur de me consi-
trouvaient au troisième, plus éloignés du Ciel. dérer capable de résister à la logique existentialiste de
On sait fort bien que tout ce qui est interdit est Sartre ? Car l’interdiction de connaître une opinion
de ce fait attirant, sinon fascinant. Comme nous ne constitue-t-elle pas un aveu de la force de persua-
étions informés que les livres interdits l’étaient pour sion réelle ou potentielle de cette opinion ? J’ai plutôt
des questions de doctrine religieuse surtout, l’Enfer l’impression qu’il n’avait pas vu ce qu’il me remettait.
n’exerçait pas un fort magnétisme sur nos esprits. Quoi qu’il en soit, la lecture de cet ouvrage ne
Cela tenait sans doute au fait que nous avions reçu m’a convaincu de rien, si ce n’est qu’une philosophie

 Antoine Plamondon (1804-1895). Portrait de Cyprien Tanguay. 1832. Huile sur toile. Cyprien Tanguay, âgé de 13 ans, portant
l’uniforme bleu des séminaristes. Dès la fondation du Petit Séminaire en 1668, le règlement stipule « qu’afin de ne pas se
conformer à ce siècle corrompu par leurs habits » les élèves sont vêtus de manière distinctive. Ordonné prêtre en 1843, Cyprien
Tanguay (1818-1902) est considéré comme le père des études généalogiques au Canada français et l’auteur du Dictionnaire
généalogique des familles canadiennes depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours, paru en 7 tomes de 1871 à 1890. Musée
de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, 1991.74. ­Photographie : Julien Auger – Icône.
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14 promenade en enfer

basée sur le dégoût et l’absurde n’est pas la meilleure J’ai eu la chance de vivre ma jeunesse entouré
voie vers le bonheur. Je préférais considérer que, si la de livres. Mon père était un acheteur et un lecteur
poursuite de la félicité vise celle qui est promise par compulsif et avait constitué une bibliothèque
la foi au-delà de la vie sur terre, la mise à l’Index des où figuraient Hugo, Lamartine, Flaubert, Zola,
littératures en rupture avec le dogme officiel peut Alexandre Dumas, Stendhal et Balzac avec la col-
en effet constituer, à cet égard, une garantie ou, du lection complète de la Comédie humaine. Comme
moins, un fort espoir d’une heureuse après-vie. Bref, tous ces auteurs ont subi la condamnation de
j’adhérais au pari de Pascal. l’Index pour certaines de leurs œuvres, j’avais donc

Bibliothèque du Séminaire de Québec. Photographie : Kathy Ann Kelly, 2006.


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préface 15

accès à un mini-enfer, disons à un purgatoire, où jugement de censure par l’apposition du sceau du


le livre oscillait entre le bien et le mal. En guise Séminaire exprimait le rôle de geôlier moral qu’il
d’éducation sexuelle, mon père m’avait donné à lire s’attribuait ainsi. L’entrée d’un ouvrage dans l’Enfer
Le rideau cramoisi et Une vieille maîtresse de Barbey suivait une procédure qui a permis, après coup, de
d’Aurevilly, un auteur pour qui décrire le péché révéler certains aspects particuliers de la censure.
n’était pas un péché. C’était mettre un bémol aux Ainsi, les annotations que les censeurs ont jugé
interdits de l’Index. C’est beaucoup plus tard que bon d’inscrire en marge de ces livres témoignent
j’ai compris pourquoi mon père achetait souvent souvent de leur tempérament, qui va d’une froide
ses livres à Montréal, chez le libraire libre-penseur et cérébrale analyse jusqu’à un rare déchaînement
Henri Tranquille (!). verbal. Dans le premier cas, on comprendra par
Il m’a été donné, plus tard, de connaître une exemple que le censeur attribue l’erreur d’un auteur
autre manifestation de l’Index. Alors que certains à la mauvaise influence d’un autre auteur. Dans le
ont pu trouver réconfort dans cette immunité second cas, on verra dans toute sa force l’antipathie
imposée depuis des siècles dans les domaines de interreligieuse qui amenait les censeurs à traiter
la théologie et de la morale, le xxe siècle a montré protestants et jansénistes d’infâmes et méprisables
que la recherche du bonheur sur terre, tel qu’il était pamphlétaires. Certaines interventions ont ajouté
promis par les régimes inspirés de Karl Marx et des informations permettant de mettre un nom sur
exprimé par le mirage des lendemains qui chantent, des écrits anonymes alors que d’autres, au contraire,
avait également besoin de garde-fous idéologiques. ont soustrait du texte certains mots ou membres de
Mes recherches à la Bibliothèque Lénine à Moscou phrases en oblitérant des passages jugés excessifs…
m’ont appris qu’elle aussi a eu son Enfer jusqu’à ce ou trop évocateurs d’une chose à ne pas dire.
que ses portes s’entrouvrent à la chute du régime L’analyse minutieuse de l’aspect matériel des
soviétique. Le dernier siècle a ainsi contribué à faire livres de l’Enfer a révélé l’importance accordée à
de la censure un phénomène de tous les temps et ces ouvrages dont un des indices est le fait, pour
de tous les lieux. plusieurs, d’avoir été reliés. La vie des livres mis à
Ces réflexions et ces souvenirs ont accompagné l’Index se trouve aussi révélée par les ex-libris qui
ma lecture de cette Promenade en Enfer qui permet permettent de connaître quelques-uns des lecteurs
de comprendre comment, concrètement, ce phé- dont, soit dit en passant, il serait intéressant de
nomène s’est manifesté au Québec. La patiente savoir l’usage qu’ils ont fait de la doctrine que ces
recherche de l’auteure a analysé l’organisation livres leur ont inoculée. Enfin, le sceau des libraires
matérielle d’un système visant à contrôler l’imma- figurant dans certains des livres permet de connaître
tériel. En cela, ce livre apporte une expérience quelques diffuseurs de mauvais livres, dont le nombre,
nouvelle à quiconque s’intéresse à la censure en le en réalité, devait être beaucoup plus important.
familiarisant avec la matérialité du livre à l’Index, Ce sont là quelques-uns des aspects matériels
cette dimension qui assure une permanence aux des livres à l’Index qui soulignent l’importance et
idées émises, fussent-elles condamnables ou du l’intérêt du sujet qui donne à penser que l’Index,
moins condamnées. comme la censure en général, traduit un malaise
Le livre de Pierrette Lafond donne la parole, si sans jamais réussir à en enrayer la cause. Même si
l’on peut dire, à la matière première que constituent l’Index de Rome a désormais perdu toute influence
les 603 titres logés dans l’Enfer de la bibliothèque du sur les habitudes de lecture, il faut bien constater
Séminaire. L’examen qu’en fait l’auteure révèle des qu’aujourd’hui d’autres acteurs s’intitulent censeurs
informations précieuses sur le climat idéologique et et amènent des créateurs de haut calibre à une
social entourant la mise à l’Index. Déjà, le choix autocensure loin d’être toujours justifiée.
des auteurs pénalisés constituait une indication Ce livre de Pierrette Lafond nous amène à y
intéressante de la littérature disponible au Québec et réfléchir.
de la conformité des décisions locales la concernant
par rapport à l’Index de Rome. La confirmation du Henri Dorion
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introduction

braises de mémoire silencieuse


« Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, règle universelle des actions.
Il faut l’éclairer non la contraindre. »

Didedrot. « Intolérance » dans l’Encyclopédie ou


Dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers.

’époque, pas si lointaine, d’une ce lieu d’après le péril encouru pour tout catholique

L censure réglementant les pratiques de


lecture de la société québécoise est
toujours présente dans notre mémoire
collective qui conserve encore, sur les plans histo-
transgressant l’interdit : les principes régissant le
magistère de l’Église catholique évoquent la damna-
tion éternelle de l’âme du lecteur comme punition
potentielle à la suite de la lecture des mauvais livres.
rique, social, politique et littéraire, le souvenir des Mettre un livre à l’Index signifie qu’on le retire
controverses passées, des luttes et des tensions autour de l’espace de lecture et qu’il devient interdit aux
du droit à la liberté de lecture. La censure pourrait lecteurs, que le livre et son auteur sont soumis au
se définir comme étant une limite imposée à la jugement moral des autorités ecclésiastiques ou
liberté d’expression par un pouvoir réagissant à ce séculières, que le propriétaire-lecteur du livre est jugé
qui contrevient à son autorité ou encore à sa vision sur sa moralité et que son droit de propriété lui est
du monde. Tour à tour, la censure punitive et la dénié. Une partie de l’application de la censure sur
censure normative ont été déployées par les pouvoirs les livres est souvent immatérielle : la condamnation
politiques et religieux pour encadrer étroitement ce publique survient, la punition est appliquée et la
qu’il était permis de lire ou d’écrire. suite demeure évanescente. Le livre censuré devient
Le cadre censorial au Québec, tant séculier l’unique témoin pouvant raconter certains aspects
qu’ecclésiastique, et le mouvement antagoniste occultés de l’application de la censure.
qui l’a affronté ont marqué l’évolution de nos Lorsque la Loi de l’Index fut abrogée dans les
identités sociales et l’édification de nos institutions années 1960, ces ouvrages interdits de lecture
culturelles, dont celle de la bibliothèque. Il rappelle, ont été reclassés parmi la collection générale des
tout en véhiculant la pensée morale et sociale de bibliothèques, en conservant leurs secrets. Dans
l’époque, le contrôle que l’Église catholique a exercé un texte traitant des livres à l’Index, Jesus Martinez
avec rigueur pendant des siècles, avec ses sanctions De Bujanda, un historien spécialiste de la question
et ses interdictions imposées. et professeur émérite à l’Université de Sherbrooke,
L’appellation même de la section interdite de la déplore la disparition de ces corpus dont l’inventaire
bibliothèque, l’Enfer, frappe l’imaginaire en nommant aurait fourni de précieuses données : « Il est dom-
mage qu’on n’ait pas gardé mémoire de ces fonds qui
auraient été un élément important pour connaître
 Index librorum prohibitorum. Édition de 1841 publiée sous le nombre et les titres des ouvrages mis à l’Index ou
le pontificat de Grégoire XVI (1765-1846). Auteur d’un interdits par les autorités diocésaines, ou encore jugés
ouvrage qui influencera grandement le développement du
malsains par les responsables des bibliothèques1. »
mouvement ultramontain, il est élu pape en 1831. Il exerce
un magistère très conservateur et relance le mouvement de
la Propagation de la foi par une action missionnaire dans
le monde entier. Musée de la civilisation, bibliothèque du 1. Jesus Martinez De Bujanda, « Enfer », dans Pierre Hébert,
Séminaire de Québec, SQ047410. Photographie : Jessy Yves Lever et Kenneth Landry (dir.), Dictionnaire de la censure au
Bernier – Perspective Photo. Québec : littérature et cinéma, Saint-Laurent, Fides, 2006, p. 244.
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18 promenade en enfer

Une de ces collections a cependant été conservée et encore présent dans une bibliothèque québécoise,
elle existe toujours dans la bibliothèque historique tant il est rare de retrouver aujourd’hui une telle
du Séminaire de Québec. Elle représente à cet égard collection dont l’intégralité a été préservée.
une richesse précieuse et inédite à explorer, apparais- Le livre est un point de cristallisation de la culture,
sant comme l’un des derniers vestiges de ce genre tout comme il est un vecteur de relations, un objet

Anonyme. Âme damnée (Libidinun remedium), huile sur toile, xviie siècle. Tableau reprenant une composition qui ornait la chapelle
des Récollets à Paris. Il illustre le sort réservé aux damnés qui brûlent en enfer en punition des péchés mortels commis, par action
ou par omission, au cours de leur vie sur terre. L’excommunication d’un catholique par l’Église lui fermait également les portes du
paradis. Le terme enfer vient du latin infernus : ce qui est en dessous. Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec,
1991.195. Photographie : Red Méthot – Icône.
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i n t r o d u c t i o n • Braises de mémoire silencieuse 19

de socialisation, un acteur de la vie sociale et un


révélateur d’identité. Puisque les livres mis à l’Index
existent, puisqu’ils sont là, ils nous permettent de
refaire leur parcours, selon le regard opposé du
lecteur ou du censeur, en empruntant cette fois-ci
l’angle selon le livre, celui qui se retrouve au cœur
de la censure. Le recul du temps, qui met toutes
choses en perspective, permet de poser un regard sur
le phénomène et d’entamer la réflexion en posant
une première question, simple mais pertinente :
considérant la terrible symbolique accolée au terme
Enfer, que cachait-on dans ce secteur sulfureux des
bibliothèques ?

L’expérience de la lecture implique une quête de sens de la part


Contrer le pouvoir du livre du lecteur, qui, selon l’expression d’Alberto Manguel dans son
Le livre nous semble aujourd’hui un objet d’usage ouvrage La bibliothèque, la nuit, tisse des filets dans l’espoir
d’attraper des mots, des phrases, des pensées qui auront « le
courant, commun, voire banal. Pourtant, il a été, poids d’une réponse ». Bibliothèque du Séminaire de Québec.
et est encore dans certaines sociétés, un objet por- Photographie : Kathy Ann Kelly, 2006.
teur de polémiques liées à des luttes idéologiques
souvent violentes. L’usage premier du livre l’associe
naturellement à sa fonction usuelle : la lecture. Il
est de l’ordre de l’évidence qu’un livre est un texte déroulent selon un rituel s’accomplissant dans les
imprimé, publié et diffusé dont le lecteur prend paramètres du quotidien, dans un espace privé ou
connaissance. Cependant, cette dynamique entre public, lors d’activités intellectuelles ou ludiques2.
l’objet et le lecteur emprunte implicitement une Le livre apparaît donc comme le résultat d’une
perspective plurielle dans ses pratiques autant que chaîne d’opérations en continu : depuis l’écriture, la
dans ses mécanismes. Un livre est d’abord le produit production, la mise en marché jusqu’à sa réception
d’une activité intellectuelle ou littéraire enchâssée auprès du lectorat et son usage en tant qu’objet de
dans un processus de créativité, d’expression et consommation et produit culturel.
de rédaction, que d’aucuns réclament libre et Pourtant, cette dimension du livre ne représente
sans contraintes. Par la suite, sa réception auprès qu’une fraction de ce qui le définit. Symbole de la
du lectorat se module selon des critères inhérents connaissance, d’abord mystique puis littéraire ou
aux valeurs esthétiques ou critiques du public visé. scientifique, le livre est aussi un objet de pouvoir et
Certaines œuvres, après un parcours d’émergence, de représentation. L’ampleur de son effet et de ses
parviennent à s’inscrire comme des classiques d’une influences comme instrument de diffusion dans les
littérature nationale, voire universelle. sphères sociales, culturelles, intellectuelles, morales,
L’acte de lire s’ancre dans le moment présent et économiques ou politiques qui ont existé au fil des
s’évanouit au fur et à mesure de la progression de la siècles démontre sans équivoque le rôle déterminant
lecture. Cette action de lire se décline à travers de qu’il a joué dans la formation culturelle de l’Occi-
multiples pratiques immatérielles de lecture, qui se dent moderne.
sont constituées et ont évolué au fil de l’histoire et Loin d’être un objet unidimensionnel, le livre
dont le cadre de la bibliothèque ne représente que génère au contraire une définition plurielle, plus riche
le plus familier. La lecture effectuée en commun et qu’il n’y paraît et devient un monde en lui-même.
à voix haute a été longtemps un usage très répandu.
Mais, qu’elles soient individuelles ou collectives, 2. Voir Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, Arles,
oralisées ou silencieuses, ces pratiques de lecture se Actes Sud ; Montréal, Leméac, 1998, 428 p.
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20 promenade en enfer

Attribué à William Berczy (1748-1813). Jeune femme lisant, xviiie siècle ?, xixe siècle ?, huile sur toile. Pendant longtemps, l’acte
de lecture a été désapprouvé pour les femmes. Activité considérée comme futile, voire nocive, elle consommait un temps autre-
ment alloué aux travaux domestiques. La lecture leur procure pourtant un moyen d’élargissement de l’esprit et d’acquisition de
connaissances. Encore aujourd’hui, certaines sociétés interdisent traditionnellement aux filles l’apprentissage de la lecture et l’accès
à l’éducation. Musée de la civilisation, collection du Séminaire de Québec, 1991.95. Photographie : Red Méthot – Icône.

Car cet objet, né de la fabrique de la pensée, exerce Le monde du livre devient investi de pouvoirs
en retour une influence transcendante sur la même signifiants, que personne ne conteste, et qui vont bien
pensée humaine. Reflet-miroir d’une société, le livre au-delà des pages qui le composent. L’imaginaire du
génère en parallèle un univers distinct, cohérent, livre sature notre perception de la réalité. Ce qui fait
indépendant et évolutif qui s’alimente aux sources la puissance du livre, c’est qu’il est en mesure de pos-
de l’intellect et de l’imaginaire humains. séder le lecteur. « Ce merveilleux phénomène met en
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table des matières

Remerciements 9 Les ouvrages contre la morale 66


De la nature scabreuse de l’Enfer 66
avant-propos Miscellanées 67
L’étincelle 11 Les auteurs 71
Les imprimeurs 71
Préface de Henri Dorion 13 Les zones grises de la clandestinité 73
Pierre Marteau à Cologne
introduction ou L’imprimeur qui n’existait pas 74
Braises de mémoire silencieuse 17 Premier portrait de l’Enfer esquissé 75
Contrer le pouvoir du livre 19
chapitre 4
chapitre 1 Traces, marques et stigmates 77
Livre et censure 25 Reliures et relieurs : l’art du paraître, l’art de durer 78
Le livre, un objet de polémique 26 La reliure des livres prohibés 80
Le privilège du roi 26 Libraires : un fructueux commerce
Le livre, objet de méfiance du pouvoir religieux 29 d’arrière-boutique ? 80
Le livre sous haute surveillance 34 La cote Index ou Enfer : la marque initiale
La censure au Québec 36 de l’exclusion 82
Lecture et bibliothèques 41 La cote et le sceau : l’indice du
Les livres à l’Index et la huis clos et l’indice du contrôle doxique 83
bibliothèque comme microcosme 43 Inscriptions, annotations et autres marginalias :
un dialogue intime avec le livre censuré 84
chapitre 2 Des notes écrites pour sermonner l’hérésie 90
Le Séminaire de Québec Le corps du livre comme substitut du corps
et sa bibliothèque historique 47 humain 94

chapitre 3 chapitre 5
Premier portrait d’une La vie du livre avant l’Enfer 97
collection interdite 55 Les ex-libris : histoire et symbolisme 97
Une exception de l’inventaire hors l’Enfer : L’ex-libris, un signe d’appartenance 98
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert 56 Collège des Jésuites 100
Bienvenue dans l’Enfer 57 L’Hôpital général et les Récollets 105
Époque de publication 57 L’Archevêché 105
Langue de publication 60 Le clergé séculier 106
Provenance par pays 60 Le Séminaire de Québec 109
Époques et pays 61 Propriétaires civils, de langue française
Langue et pays 61 et anglaise 112
Les ouvrages hérétiques ou hétérodoxes 62 Propriétaires féminines 114
Les ouvrages contre la religion 63 Sir James Stuart (1780-1853) 115
Les écrits théologiques 64 Propriétaire-lecteur et châtiment 116
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chapitre 6 conclusion
Le livre censuré et ses Sortir de l’Enfer 127
multiples vies décodées 119 La censure pour éviter l’Enfer 129
Les lecteurs de livres à l’Index identifiés 119 Le livre à l’Index dévoilé 132
Ceux qui ont vraiment besoin de lire de tels La censure aujourd’hui 133
livres… 120 Censure et leçons de mémoire 135
Des livres uniformes dans l’adversité 122
Le livre interdit : endiguer le mal en Bibliographie 137
l’enfermant loin du lecteur 124
Punir et marquer le livre 125

Bibliothèque du Séminaire de Québec. 


Photographie : Kathy Ann Kelly, 2006.
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cet ouvrage est composé en garamond pro corps 11
selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon
et achevé d’imprimer en avril 2019
sur les presses de l’imprimerie marquis
à montmagny
pour le compte de gilles herman
éditeur à l’enseigne du septentrion

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