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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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De sang, de cuivre et d’or 

De sang, de cuivre et d’or

Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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De sang, de cuivre et d’or 

L’histoire

Il y a environ 4500 ans

Dans le village de l’Eperon, à côté de tombes déjà anciennes, un ancien, assis contre le
tronc d’un chêne, conte une vieille légende aux jeunes de la tribu. Il s’agit de la légende de
Naïm, le jeune guerrier du peuple de Cuivre et d’Or venu du couchant pour explorer les côtes
et trouver la Montagne de cuivre. Naïm mena une vie aventureuse, affronta de nombreux
dangers dans des régions inconnues et unifia les tribus, devenant le chef de toute la province.

Aujourd’hui

A Forcalquier, dans les Alpes-de-Haute-Provence, l’archéologue Charles Delapierre fait


une découverte exceptionnelle en fouillant une sépulture du troisième millénaire avant notre
ère. Il demande à plusieurs de ses éminents collègues de le rejoindre sur sa fouille. Mais
lorsque Marc Andréas, son ancien assistant, arrive sur les lieux, Delapierre a disparu.
A Nanterre, la jeune capitaine Karine Foucher de l’OCBC enquête sur la mise en vente sur
internet d’un trésor de cuivre et d’or préhistorique. La piste lui permet de remonter jusqu’à un
archéologue : Charles Delapierre.
Pendant ce temps, les collègues de Delapierre au courant de la découverte sont assassinés
un à un. Marc Andréas et Karine Foucher vont se lancer dans une course contre la montre à
travers l’Europe pour retrouver le fameux trésor, Charles Delapierre et le tueur…

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De sang, de cuivre et d’or 

Les auteurs
Olivier Lemercier, né à Paris en 1970, est archéologue. Après un cursus universitaire à Aix-
en-Provence, ponctué de nombreuses fouilles archéologiques, et un Doctorat en Préhistoire, il
effectue des stages post-doctoraux en Italie et en Espagne, ainsi que de nouvelles fouilles dans
le Midi de la France avant de devenir Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne, où
il enseigne la Préhistoire.
Spécialiste de la fin de la Préhistoire, le Néolithique, et du phénomène campaniforme en
Europe, il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages spécialisés comme Les
Campaniformes dans le sud-est de la France et co-dirige des publications collectives comme
Quatrième millénaire. La transition du Néolithique moyen au Néolithique final dans le sud-
est de la France et les régions voisines et Composantes culturelles et premières productions
céramiques du Bronze ancien dans le sud-est de la France.
Investi dans la vie universitaire (ancien Président du Département d’Histoire de l’Art et
Archéologie de l’Université de Bourgogne), et dans la recherche en dirigeant plusieurs
programmes internationaux (les nécropoles de Passy (Yonne) et la première monumentalité
en Europe au cinquième millénaire avant notre ère et l’enceinte préhistorique des Grands
Champs à Autun en Saône-et-Loire), il s’intéresse aussi à la diffusion des connaissances vers
le grand public en participant aux Conseils Scientifiques des Musées de Préhistoire de Solutré
en Saône-et-Loire et d’Orgnac l’Aven en Ardèche et des sites de Chalain et Clairvaux dans le
Jura.
Il vit à Dijon en compagnie de son épouse, spécialiste des restes osseux animaux de la
Préhistoire et de leur petite fille.
De cuivre et d’or est son premier roman.
+ http://ubprehistoire.free.fr/

Valéry Le Bonnec est né sous le règne d’un président dont il porte aujourd’hui le prénom.
Après un parcours scolaire chaotique, il retrouve le droit chemin sitôt le bac en poche. Dès
lors, il se passionnera pour ses études d’histoire qu’il mène en parallèle avec les sciences de
l’éducation. Domaine dont il fera d’ailleurs son métier puisqu’il est aujourd’hui conseiller
principal d’éducation, malgré une forte envie de devenir archéologue.
Stephen King hantera son adolescence comme bon nombre de jeunes boutonneux mais c’est
Tony Hillerman, James Ellroy et Jean François Coatmeur qui le tourneront vers la lecture et
l’écriture de textes noirs et policiers. Infatigable, il trouve le salut dans le sport. Après avoir
couru pendant 15 ans après un ballon rond qui lui échappait, il se décidera à glisser sur la
vague froide des houles bretonnes, debout sur une planche de surf.
Quelques raisons professionnelles (et sentimentales) plus loin, il est contraint de remiser
quelques temps les planches au garage. La ville lumière qui l’accueille n’offre pas la
possibilité de glisser. Il se lancera donc, après un pari, dans le monde des marathoniens puis
des ultramarathoniens. 2009 est un tournant dans sa vie sportive car il renouera avec le surf et
entamera une nouvelle -et bien modeste- “carrière” dans le triathlon.
Il est l’auteur de plusieurs nouvelles comme Marée noire chez Sunbreizh éditions, de courts
romans comme Traboule Blues et Le meurtrier de la place Davout chez Brumerge, et de deux
romans La larme du poison chez Pietra Liuzzo éditions et Le Lynx de la Néva chez Morrigane
Editions. Il écrit aussi des romans pour la jeunesse sur le thème de l’archéologie comme Le
dolmen des mystères chez Sunbreizh éditions et L’or des celtes chez Morrigane Jeunesse. Il
participe aussi au collectif l’Exquise nouvelle chez La Madolière éditions et Les auteurs du
noir face à la différence chez Jigal.
Il partage sa vie entre la Haute-Savoie et la Bretagne avec son épouse et ses deux petits
garçons.
+ http://scribouillardelouest.wordpress.com/

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Prologue

Forcalquier, France, le 23 juillet, 1h50

Au moment de rejoindre sa tente, Charles Delapierre se sentait tout excité. Il savait déjà le
site exceptionnel, mais cette tombe... Il entrevoyait maintenant qu’avec cette découverte, il
allait ébranler le monde scientifique et toutes les théories jusqu’alors élaborées par ses
confrères et lui-même. Il se retourna et jeta un œil satisfait à la sépulture. Magnifique, se dit-
il. Il en avait les larmes aux yeux.
Charles Delapierre était grand et blanchi par l’âge. Sa barbe, qu’il laissait pousser pendant
toute la durée des fouilles en été, devenait broussailleuse. Avec ses petites lunettes de
presbyte, son pantalon et sa chemise beiges, il cultivait une image d’Epinal de l’archéologue
du début du XXe siècle qui ravissait le public lors des conférences qu’il donnait.
Après des heures passées dans l’atmosphère confinée de l’abri qui recouvrait la tombe, il
reprenait enfin conscience de son environnement. La température était agréable. Fraîche
comparée à la chaleur suffocante que l’abri avait emmagasinée toute la journée en plein soleil.
Mais il remarqua surtout le bruit de la nuit. Quel sot avait écrit sur le silence de la campagne
la nuit, déjà ? Se demanda-t-il. Le silence n’existait jamais ici. Avec la nuit, les grillons
avaient pris le relais des cigales. Des millions d’insectes vaquaient à leurs occupations
nocturnes alors que d’autres animaux sans doute bien plus gros suivaient les bords de la
fouille en restant à l’abri de la végétation. Il perçut soudain des bruits de pas. Mais très vite, il
se rassura. Il reconnaissait cette démarche au bruit quasi-humain : une petite famille de
hérissons. Sous ce magnifique ciel étoilé, il pensa que la région serait bientôt célèbre pour
autre chose que la présence de l’observatoire astronomique de Haute-Provence. Il fut parcouru
d’un frisson, mais la fraicheur de la nuit n’y était pour rien.
Il allait enfin laisser son nom dans l’histoire de l’archéologie. Il allait enfin connaître la
consécration après tant d’années d’acharnement, de batailles, de controverses au sein de la
communauté scientifique.
La nuit était tombée depuis longtemps et, en contrebas de la fouille, le camp avait fini par
s’endormir. Il y avait une heure à peine, lui parvenait de la musique et des éclats de voix, des
rires… Une soirée de chantier de fouilles. Mais la fatigue avait eu raison des derniers
noctambules parmi les fouilleurs. Il avait été très strict. Il ne voulait pas être dérangé pendant
qu’il travaillait dans la sépulture. Stéphane, son assistant avait veillé à sa tranquillité et il avait
encore fouillé le dépôt funéraire toute la soirée. Malgré l’excitation, il se sentait maintenant

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épuisé. Pourtant, il était encore là. Il ne pouvait se résoudre à quitter le site. Inconsciemment,
il avait peur que quelque pilleur vienne tout saccager durant la nuit. Il avait peur qu’on le
dépossède de sa découverte.
L’archéologue consulta sa montre. Presque deux heures du matin. Il devait appeler ses
amis. Il savait qu’il ne pouvait réussir seul dans cette entreprise et qu’il avait besoin des
compétences de quelques spécialistes. Il se saisit de son téléphone portable et vérifia le
réseau. Les quatre barres sur l’écran lui indiquèrent que ses appels allaient pouvoir être passés
dans de bonnes conditions. Ce n’était sans doute pas une heure pour téléphoner, mais la
découverte le justifiait. Et puis, il avait déjà une réputation de savant fou. Il composa les
numéros les uns après les autres. Il parlait d’une voix qu’il ne parvenait pas à maîtriser. Il
s’enflammait, s’inquiétait aussi. Toutes ses émotions circulèrent à travers le réseau. Il évoqua
sa trouvaille sans donner de détail. Il était encore trop tôt pour tout dévoiler. De toute façon, il
ne s’était adressé qu’à des répondeurs.
Deux heures sonnèrent au clocher du village de Forcalquier, en contrebas, à deux
kilomètres et demi de distance. Il glissa son appareil dans sa poche et se dirigea vers sa tente,
passant sans bruit devant un couple de jeunes fouilleurs enlacés dans un hamac. Il devait
réfléchir à la suite. Très vite.

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Village de l’Eperon, il y a environ 4500 ans

L’ancien, assis en tailleur, le dos contre un poteau de bois, parlait depuis bien longtemps,
ne s’interrompant parfois que pour boire un peu de bière dans son antique gobelet. Mais Saï
n’avait pas sommeil. Il écoutait l’ancien, comme tout le monde assis autour du feu. Il était
encore très jeune mais connaissait déjà les aventures de Naïm, pourtant il ne se lassait pas
d’entendre l’ancien la raconter encore et encore, l’embellissant parfois ou oubliant certains
détails. C’était comme ça que la tradition de son peuple se transmettait de génération en
génération. La nuit était tombée mais l’air était doux et Saï se laissait bercer par les mots de
l’ancien.

Voilà plusieurs jours que les bateaux progressaient à distance du rivage. Sur sa gauche,
Naïm apercevait encore des fumées le long de la côte basse. La région leur avait semblé
propice pour accoster mais les indigènes n’étaient pas très accueillants et c’est sous une
volée de flèches qu’ils avaient regagné le large à leur dernière tentative.
Ils avaient réussi à accoster discrètement et lui, Naïm, premier guerrier, avait conduit un
petit groupe à l’intérieur des terres. Ils avaient vu les grands villages dans la plaine, protégés
de hautes palissades. Ils s’étaient approchés du plus grand des villages pour parlementer
avec les villageois mais n’avaient même pas réussi à échanger quoi que ce soit. Les guerriers
du grand village avaient fait une sortie et les avaient pourchassés jusqu’à la rive… Quel
accueil pour des étrangers venus d’aussi loin. De toute façon, Naïm avait eu le temps
d’apercevoir des poignards et des parures de métal sur certains de ces guerriers. Il n’aurait
pas été facile de troquer avec eux.
Depuis, les réserves d’eau potable à bord s’étaient taries et tous souffraient de la soif. Les
rameurs surtout semblaient s’épuiser à lutter contre ce très fort vent de travers qui les
repoussait perpétuellement vers le large. Tout en restant hors de portée des tribus locales, ils
ne devaient à aucun prétexte s’éloigner. Il fallait garder la côte en vue.
Ceux parmi vous qui n’ont jamais vu la grande mer ne peuvent pas comprendre cela.
Seul le vieux Gabor savait lire les étoiles et diriger les bateaux sans voir les côtes et
seulement la nuit encore. Et le vieux Gabor n’était plus que l’ombre de lui-même. Jamais ils
n’auraient dû l’emmener dans pareille expédition. Il était bien trop vieux, près de 60
printemps si Naïm en croyait la rumeur. Cela faisait déjà 8 lunes qu’ils avaient quitté la

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forteresse pour se lancer, comme d’autres des villages voisins, dans cette folle aventure et
depuis qu’ils naviguaient l’état de santé de Gabor n’avait fait que se dégrader.
Naïm en avait bien sûr parlé à Mistra, le chef de leur expédition, il y avait déjà plus d’une
lune. Il lui avait dit que Gabor devait transmettre sans plus tarder ses savoirs à quelqu’un
avant de quitter ce monde. Mistra avait brutalement repoussé l’idée. Ils ne pouvaient
accomplir les rites sur un bateau. Il fallait du temps pour choisir le nouveau Connaisseur et
du temps pour les rites de la transmission des savoirs. Le temps, toujours le temps et attendre
et attendre encore, c’était toujours la même chose avec les anciens. Naïm, lui, était jeune et
impatient. Il était le plus beau des jeunes guerriers, grand et athlétique, sa longue chevelure
brune attirait les filles de la tribu aussi surement que le miel attirait les insectes.
Mistra était débout à l’avant du bateau, sa crinière blanche au vent, ses parures de cuivre
et d’or brillant de tous leurs feux. En attendant, les siens n’avaient rien mangé et surtout rien
bu depuis des jours. Il leur faudrait accoster de nuit à proximité d’une rivière afin de se
réapprovisionner en eau douce, au minimum. Mais pas question de chasser la nuit. Naïm
attendait donc qu’ils aient dépassé le territoire de cette tribu belliqueuse et qu’ils rencontrent
des indigènes plus accueillant afin de troquer avec eux de quoi nourrir tout le monde. Il le
faudrait bien sinon ils mourraient tous, de la soif ou sous les flèches ennemies.

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Toulouse, France, le 26 juillet, 22h05

Henri Bard n’avait pas l’habitude de sortir de son labo aussi tard. C’était un homme
méthodique, pétri d’habitudes, que certains regardaient avec un peu de condescendance voire
de mépris : un technicien de la recherche avec des horaires fixes, une vie plan-plan, beaucoup
de manipulations et peu de publications.
Aujourd’hui, il aurait dû partir vers 18h, passer au Béarn, son petit bistrot habituel, prendre
une « mousse » en terminant de lire en terrasse l’édition du jour de La Dépêche – commencée
le matin même devant un café – avant de prendre le métro, pour rentrer chez lui. C’était
comme ça, tous les jours.
Pourtant, ce soir le chercheur avait travaillé tard. Il avait peaufiné quatre pages de résultats
d’analyses, comme toujours clairs, concis, efficaces mais cette fois il se sentait excité comme
jamais : Nous sommes bons pour un article dans Science ou Nature tiens ! Une découverte
pareille.
La nuit tombait sur Toulouse. La grande silhouette dégingandée d’Henri Bard longeait les
façades de l’avenue. On était déjà fin juillet. Il avait promis à plusieurs collègues de venir
visiter leur chantier de fouille et le mois s’était encore écoulé trop vite. Pendant le mois
d’août, il trouverait bien deux ou trois jours pour faire la tournée des sites, au moins ceux de
Midi-Pyrénées et du Languedoc. Il pourrait aussi pousser jusqu’à Forcalquier, pour constater
les découvertes de Charles. Mais pour le moment il avait pas mal de boulot.
En descendant les allées Jules Guesde, Henri Bard ne croisa presque personne. C’est à
peine s’il remarqua un couple de touristes probablement totalement perdu, leur Lonely Planet
à la main, dans ce quartier qui se vidait presque totalement après la fermeture du Museum et
du jardin des plantes. Il repensa à ce petit prélèvement de céramique que Charles lui avait
demandé d’analyser de toute urgence. De toute urgence ! Comme s’il pouvait y avoir des
urgences en archéologie. Il avait râlé pour la forme, car il aimait faire les choses dans le bon
ordre, mais il ne pouvait rien refuser à Charles. Dans le temps, Charles l’avait bien aidé. Déjà,
il était au jury de sa thèse de Doctorat, puis il lui avait trouvé de petits contrats d’étude et il
l’avait appuyé pour ce poste d’ingénieur où, depuis quinze ans, il menait ses modestes
recherches, tranquille. Maintenant, il ne regrettait pas d’avoir traité l’échantillon de Charles en
priorité, plus excitant que ces kilos de céramiques fontbuxiennes de provenance strictement
languedocienne qu’il était censé finir d’analyser en fin de semaine. Évidemment, pour le vase

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de Charles, les résultats n’étaient encore que partiels. Les cartes géologiques étaient ce
qu’elles étaient. Il lui faudrait faire une mission sur le terrain pour préciser la provenance des
argiles. Il avait déjà une liste des secteurs possibles, en espérant que l’urbanisation galopante
n’ait pas tout détruit. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas allé sur le terrain, surtout aussi
loin de son laboratoire.
Il fallait aussi qu’il pense à demander à Charles si le jeune Marc participait à l’étude. Il
l’aimait bien Marc, ce serait dommage de le laisser à côté d’un truc pareil. C’était quand
même le spécialiste de ce type de céramiques.
Lorsqu’il arriva à l’angle de Saint-Michel, la nuit était tombée. Les façades de briques de
la ville rose se teintaient des couleurs primaires des feux de circulation.
Il hésita. Il était déjà tard, mais il faisait encore chaud et le Béarn était encore ouvert. Il
regarda la bouche de métro. De toute façon, personne ne l’attendait à la maison. La
découverte du jour méritait bien une petite bière, peut-être même une belge en bouteille plutôt
que la pression habituelle. Il fallait fêter ça dignement.
Comme toujours, il attendait que le feu piéton passe au vert pour traverser la rue. Une
grosse berline ralentit à l’approche du feu.
Lorsque Henri Bard traversa la rue, la berline accéléra dans un crissement de pneus et le
percuta de plein fouet. Le corps du scientifique fut projeté à plusieurs mètres, vers le centre de
la place.

.:.

Henri Bard ne lirait pas, pour une fois, le gros titre de La Dépêche du lendemain : « Piéton
tué en plein Toulouse. Le chauffard en fuite ».

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Forcalquier, France, le 27 juillet, 7h00

― Au boulot ! Debout tout le monde ! C’est l’heure !


Stéphane Rollin perçut du mouvement dans plusieurs tentes, puis :
― Ouais, ça va ! On arrive !
Il poursuivit sa tournée des groupes de tentes comme jetées au hasard par petits groupes
sous les arbres :
― Il est 7h00 ! Debout là-dedans !
― On se lève ! Répondirent les filles.
Stéphane fut rassuré par ces quelques réponses et retourna vers les installations collectives
du camp. L’eau était en train de bouillir dans la casserole. Il la versa délicatement sur le café,
jusqu’à remplir le filtre avant de reposer la casserole sur le gaz. Un petit café ne lui ferait pas
de mal. En tant qu’assistant de Charles Delapierre, il était censé s’occuper des fouilleurs qu’il
aurait dû réveiller à 6h30, mais comme lui-même avait eu un mal de chien à se lever, ils
allaient encore commencer à travailler avec une demi-heure de retard. Et lui allait encore se
faire engueuler. Curieusement, Charles n’était pas encore debout. Ou alors, il s’était levé
tellement tôt qu’il était déjà au boulot sur la fouille, s’il s’était couché.
Audrey Girault apparut, sortant de la douche, pimpante comme à son habitude, pourtant
elle aussi avait picolé un peu la veille, se souvenait Stéphane.
― Salut Stéphane ! Encore des problèmes de réveil ? Je ne veux pas t’agresser de bon
matin, mais tu as le poil debout, mon pauvre… Tu devrais essayer la douche !
Stéphane tenta d’aplatir quelques cheveux rebelles sur le sommet de son crâne. Avec son
bermuda trop grand et son t-shirt à l’effigie d’un groupe de hard-rock, il ressemblait à un
grand adolescent.
― Non ! Elle est trop froide le matin… Et puis, ça m’aidera pas à me lever à l’heure. Tu
pourrais l’assurer le réveil toi plutôt, puisque tu es toujours fraiche le matin. Non ?
― C’est toi l’assistant ! T’es quand même payé pour ça, alors assume ! Mais là, trois jours
de suite avec une demi-heure de retard, à ta place je commencerais à baliser…
― Bâ ! De toute façon, je n’ai même pas vu Charles. Plus ça va plus il se désintéresse de la
fouille, j’ai l’impression.
― Il est peut-être déjà à la sépulture, je vais aller voir. De toute façon, il faut que j’arrive à
le coincer pour discuter un peu avec lui. Il faut qu’on décide rapidement ce qu’on fait dans le

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secteur 2, parce que les structures sont beaucoup plus profondes qu’on le pensait et on prend
pas mal de retard, surtout avec les « pépettes » qu’il nous a encore recrutées cette année.
Mignonnes certes mais pas très efficaces !
― Ça y est, il est à peine 7h05 et tu commences déjà à râler après nos petites fouilleuses…
Audrey s’éloigna en direction de la fouille. C’était vraiment une jolie fille.
Les fouilleurs commençaient à arriver en ordre dispersé. Leur air peu réveillé rassura un
peu Stéphane. Il n’était pas le seul après tout. L’essentiel était de mettre tout ce petit monde
au travail d’ici une demi-heure, mais ce n’était pas gagné.
La mine boudeuse, Célia tournait autour de la table depuis un petit moment, lorsque
Stéphane, déposant le grand broc de café et une pile de bol, lui demanda :
― Tu as perdu quelque chose ?
― Je cherche de quoi me faire des tartines…
― Oulà ! Je ne suis pas le seul à ne pas être bien réveillé, on dirait ! Si tu es pressée, le
pain est dans le sac suspendu à l’arbre. Il est d’hier, mais Bernard devrait arriver avec du pain
frais dans quelques minutes. Le beurre est au frigo et les confiotes à leur place dans la caisse
sous le marabout. Depuis quinze jours que tu es là, tu devrais commencer à connaitre un peu
les habitudes… Oh, les « Djeuns » ! Faudrait commencer à s’activer un peu. Je veux tout le
monde sur la fouille à 7h30 ! Vous avez déjà eu une demi-heure de rab de sommeil ce matin.
Audrey réapparut à ce moment. Stéphane se tourna vers elle, mais eu le temps d’apercevoir
deux étudiantes qui lui tirait ostensiblement la langue :
― Putain ! Des fois, j’ai l’impression d’être moniteur de colo !
Audrey lui répondu du tac au tac :
― Heureusement que non, pervers comme tu es ! Et puis, arrête un peu de faire le vieux…
tu n’as que quelques années de plus qu’eux ! Bon, sérieusement, je n’ai pas trouvé Charles, ni
dans la tombe, ni dans sa tente. Pourtant sa voiture est toujours là. Est-ce que quelqu’un l’a vu
ce matin ?
Quelques têtes se secouèrent négativement et plutôt mollement. Audrey commençait à
s’agacer d’autant de léthargie :
― En fait, est-ce que quelqu’un l’a vu hier ?

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Forcalquier, France, le 27 juillet, 12h20

La chaleur était accablante. Marc Andréas avait dû laisser sa voiture plus bas, en bordure
du chemin défoncé et finir à pied. Avec son habituel jean et sa chemise blanche, il
commençait à souffrir de la chaleur et regrettait de ne pas avoir emporté un short. Quelques
centaines de mètres au soleil avaient suffit à le liquéfier.
― Zed !
― 62 !
― Zed !
― 63 !
Il entendit la douce musique des archéologues au relevé et aperçut enfin un fouilleur tenant
une mire, debout en plein soleil.
― Salut les gars !
― Salut Marc ! Tu viens nous aider à terminer ce relevé qu’on puisse se rapatrier à
l’ombre ? Et tu auras peut-être droit à l’apéro…
C’était Stéphane Rollin, l’assistant du Professeur Charles Delapierre, qui interpellait Marc.
C’est lui qui tenait la mire, debout, pieds nus sur des pierres probablement brulantes. La
planche à dessin était coincée sous son autre bras et il portait un crayon sur chaque oreille. Le
dessin reproduisait l’accumulation de blocs de pierres qui remplissait le fossé devant lui et
dont Stéphane Rollin notait scrupuleusement les profondeurs que lui communiquait un autre
membre de l’équipe assis devant une lunette de chantier. Il était bronzé, comme la plupart des
fouilleurs que Marc apercevait et qui semblaient somnoler plutôt que travailler sous le soleil
de midi. Mais Stéphane se distinguait par sa taille, dépassant d’une bonne tête tous les autres
fouilleurs du site.
― Si vous voulez, mais ce n’est quand même pas pour ça que Charles m’a appelé. Il m’a
laissé un message où il me parle d’une découverte exceptionnelle…
― Ah ben le « Prof », on sait pas où il est ! Il a dû partir avant-hier soir oui hier. Mais bon,
j’assure l’intérim, et de toute façon c’est toujours moi qui m’occupe du chantier. Charles, il
passe ses journées dans la fameuse tombe.
― Une tombe ?

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― Ouais, ça fait plus d’une semaine qu’on l’a sortie et que le vieux s’en occupe tout seul !
Nous, on est juste bon à dessiner les caillasses des structures pourries… Il me gonfle des fois,
tu sais ? Mais tu as été son assistant avant moi… tu le connais !
― Ne dis pas du mal de mon vieux Maître Charles Delapierre, le plus grand archéologue
de Provence ! On peut la voir cette tombe ?
― Elle est sous l’échafaudage, là bas, dans le secteur 2… Mais je te conseille pas d’y
entrer maintenant : entre la température sous les bâches et l’absence du vieux… Tu en
mourras sûrement.
En réalité, Charles Delapierre n’avait jamais été Professeur. Il était Directeur de Recherche
au Centre National de la Recherche Scientifique, le CNRS. Ce nom lui venait probablement
de sa prestance et de sa notoriété et plus probablement encore du nuage d’étudiantes qu’il
trainait dans son sillage en règle générale.
Stéphane Rollin ramassa sa planche à dessin et son crayon, puis plaça la mire sur un bloc
de pierre.
― Zed !
Un fouilleur, que Marc ne connaissait pas, revint vers la lunette de chantier, prit le temps
de s’asseoir sur un pliant et visa la mire de Stéphane.
― 57 !
Stéphane nota la profondeur sur le dessin du bloc et posa la mire et son matériel de dessin à
côté de la grande structure excavée remplie de pierres. Il regarda sa montre :
― Bon ! On va s’arrêter là pour ce matin. Fait trop chaud ! Et il nous reste encore huit
mètres carrés à relever. De toute façon, on en a au moins pour deux heures. On reprendra en
fin d’après-midi, à la fraîche.
Il se tourna vers le bout du plateau et cria pour se faire entendre des autres fouilleurs
disséminés sur le chantier :
― Tout le monde ! C’est l’heure ! On arrête pour ce matin ! On range tout ! Pensez à
arroser copieusement dans le secteur 3 sinon ça va être du béton !
Il se retourna vers le fouilleur à la lunette :
― Antoine ! Quelqu’un a-t-il pensé à préparer le déjeuner ? J’ai oublié de désigner un
responsable…
― Ouais, t’inquiètes ! Audrey est descendue au camp avec Cécile la bretonne. Elles s’en
occupent.
Marc réagit au nom d’Audrey :
― Audrey ? C’est Audrey Girault ?

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Stéphane acquiesça silencieusement avec un demi-sourire. Il savait que Marc et Audrey


avaient eu une aventure il y a quelques années. Et apparemment Marc ne savait pas qu’elle
était ici.
Pendant que les fouilleurs finissaient de tamiser les sédiments et rangeaient leur matériel,
Marc s’éloigna en direction de l’énorme échafaudage fermé de bâches en plastique. Quelle
idée ! Ce devait être un four là-dessous.
Le chantier s’étendait sur trois mille mètres carrés. Le sommet de l’éperon qui dominait les
vallées voisines de près de cent mètres, avait été occupé à plusieurs reprises à la fin du
Néolithique : une première fois entre 3000 et 2800 avant notre ère, puis autour de 2500 avant
notre ère, avant de connaitre de nouvelles occupations à l’âge du Bronze, à l’âge du Fer puis
dans l’antiquité. À l’âge du Fer, c’était un site fortifié par une levée de terre, mais il l’était
déjà au Néolithique avec un fossé et une palissade. Cette position dominante, qui permettait
de voir toute la région de Forcalquier et au-delà, la Montagne de Lure au nord et la vallée de
la Durance à l’est, avait toujours attiré les hommes mais elle avait aussi connu une érosion
intense. Aucun niveau de sol archéologique n’était conservé. Seules les structures creusées
dans le sous-sol nous étaient parvenues. Le résultat était une sorte de mosaïque de taches de
formes diverses et de couleur sombre qui ressortaient très bien sur le substrat calcaire. Les
fouilleurs étaient répartis sur ces différentes tâches dont la fouille révélait qu’il s’agissait de
fosses-dépotoirs, de trous de poteau, de tranchées de palissade etc.
Marc se rendit compte qu’il avait faim avant de s’apercevoir d’un curieux mélange entre
l’odeur entêtante des plantes sous la chaleur et celle… des grillades. Le camp n’était situé
qu’à cent mètres en contrebas de la fouille.
Il était tenté d’aller voir la fameuse tombe, mais quelque chose le retint. Il pensa à Charles
qui lui avait demandé de venir et qui n’était pas là. Marc était lui-même en pleine opération de
prospections dans les Hautes-Alpes, en pleine montagne. C’est vrai qu’il avait eu le message
de Charles avec plusieurs jours de retard. Les hautes vallées étaient mal couvertes par le
réseau téléphonique. Il n’avait pas prévenu avant de venir ici. Il pensait que Charles serait là.
Il n’était pas du genre à s’absenter pendant la fouille.
― Oh Marc, tu viens ?
C’est Stéphane qui l’appelait. Les fouilleurs avaient terminé de ranger leur matériel dans la
cabane, sous les arbres en bordure de la fouille. Ils riaient et on sentait bien leur soulagement
d’avoir terminé cette matinée de travail et de pouvoir aller se reposer un peu à l’ombre de la
chênaie où était implanté le camp.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Tu peux prendre ces cartons à dessins ? On laisse tout le matériel de fouille ici mais on
redescend tout ce qui craint au camp : le mobilier, les plans, les appareils photos… On a
encore eu des visites la semaine dernière… Ils nous ont piqué un pied de parasol et on jeté
une brouette dans la pente. Il y a de ces cons !
― T’as raison. Et c’est pas une espèce en voie d’extinction, malheureusement !
Le petit groupe d’archéologues prit le chemin et s’achemina vers le camp. Le camp :
d’abord de gros 4X4 et des vieilles bagnoles d’archéologues pas riches, ensuite deux très
grandes tentes de grosse toile bleue, une cuisine qui servait de salle commune en cas de pluie
et un labo de campagne où le mobilier archéologique était nettoyé, marqué et recollé, trié,
conditionné etc. Derrière un muret de pierre, une zone boisée de chênes entre lesquels Marc
aperçut une grande table avec des bancs qui pouvait sans doute accueillir une trentaine de
personne. L’odeur des grillades se fit plus forte. Elle provenait d’un barbecue improvisé avec
quelques pierres et une grosse grille dessus. Plus loin sous les arbres, Marc devina les tentes
des fouilleurs comme jetées au hasard. Des tâches de couleur dans la chaleur poussiéreuse.
Les fouilleurs s’éparpillèrent vers leur tente, le tuyau d’eau et la douche, par petits groupes,
tandis que d’autres s’installaient déjà à la table se faisant passer des bouteilles de bière. Des
filles riaient en lui jetant des coupes d’œil. Marc connaissait cela. L’effet de huis clos du
chantier de fouille, où chaque visiteur constituait une attraction.
Une grande brune se redressa près de la table. Elle venait de sortir des bouteilles d’eau
d’une glaciaire. Elle était toujours très belle. Elle avait gardé le visage espiègle de la jeune
étudiante, mais elle était aussi plus élancée, plus athlétique.
Le regard d’Audrey se leva sur Marc :
― Tiens, un touriste ! Tu prends l’apéro avec nous ?

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De sang, de cuivre et d’or 

Château des Bergeries, Draveil, France, le 27 juillet, 13h00

Le camion était garé sur le parking de l’école de police. Karine n’en croyait pas ses yeux.
Un 38 tonnes rien que pour eux. Quand elle entra dans le mastodonte, elle fut bluffée par la
technologie dont il était équipé. Le « maître de bord » lui expliqua avec fierté son
aménagement : le double blindage, l’isolation phonique exceptionnelle, la mousse anti-rebond
et pour l’ambiance, deux gyrophares installés le long des parois et une sirène deux tons
complétaient le tout.
L’instructeur lui désigna aussi les cibles, des silhouettes coiffées d’un borsalino, tels les
gangsters de Chicago des années 30. Karine était impressionnée mais le discours ne passait
plus. Elle n’était pas dupe. Elle savait très bien que ce camion, c’était l’arbre qui cache la
forêt. Il était là uniquement pour pallier le manque des centres de tir.
Le formateur lui présenta ensuite son Sig-Sauer SP 2022, l’arme qu’elle allait désormais
utiliser. Elle était séduite par le pistolet mais pensait qu’il resterait bien souvent dans son étui.
Son affectation à l’Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels, l’OCBC,
représentait pour elle une opportunité de renouer avec les domaines qu’elle appréciait. Loin
des petites frappes, des vols à l’arrachée, des coups de filets sanglants, elle allait pénétrer un
monde plus feutré dans lequel on ne tirait pas aux pigeons.
Affublée d’horribles lunettes de protection et d’un casque, elle se sentit un peu ridicule.
Elle n’avait jamais aimé ces exercices, pourtant obligatoire. Néanmoins, elle tira sur les cibles
qui se levaient et se baissaient à une vitesse folle. Dans la cabine, le maître des lieux analysait
la séance sur un ordinateur. Temps de réaction, précision du tir, tout était enregistré dans le
logiciel en temps réel.
Quinze minutes plus tard, Karine ôta son casque et s’essuya le front et la paume des mains.
Elle transpirait. La chaleur était accablante dans ce container roulant. Conjuguée à l’effort
qu’elle avait dû produire pour massacrer les cibles, elle avait la bouche sèche.
― Soif ? demande l’instructeur en lui tendant une bouteille d’eau. Beau score en tout cas.
― Merci, mais je crois que j’aurais été encore meilleure si on avait mis le portrait de mon
chef de service sur les cibles !
―…
―Laissez tomber, je rigole !

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Quelques minutes plus tard, le capitaine de police Karine Foucher sortit du camion, ses
résultats au tir dans la main. Satisfaite du travail accompli. Elle devait maintenant rentrer sur
Nanterre ce qui signifiait contourner la moitié de la capitale, dans les embouteillages. Si elle
ne regrettait pas sa première affectation en Bretagne, elle avait encore un peu de mal à
s’habituer à la circulation parisienne. Tout ça pour un job de secrétaire améliorée.

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De sang, de cuivre et d’or 

Il y a environ 4500 ans

Les terres basses avaient laissé place à un marécage qu’ils longeaient depuis déjà
longtemps. Il n’y avait plus trace d’hommes, ici. Mais c’était parce qu’il n’y avait rien de bon
pour l’homme, ici. Une terre gorgée d’eau où les oiseaux étaient les maîtres. Naïm n’avait
pas besoin du Connaisseur pour savoir que c’était une terre de maladie et de mort. En face
d’eux, la côte devenait rocheuse. Il aperçut des falaises. Il y avait quelques fumées qui
témoignaient du fait que l’endroit était habité. A gauche, un bras de mer semblait entrer à
l’intérieur de la terre. Mistra indiqua cette direction aux bateaux. Il semblait enfin décider à
essayer d’accoster.
Les bateaux étaient poussés par le courant à l’intérieur d’une sorte de chenal étroit
environné de forêts de roseaux. Naïm ne vit pas de feux sur les sommets proches, ce qui le
rassura.
Au bout de quelques temps, ils se retrouvèrent dans une sorte de petite mer intérieure,
enfermée de collines et de véritables falaises. Des fumées s’élevaient des plus hautes falaises
en face d’eux. L’endroit était magnifique et verdoyant au pied de ces barres. Il devait y avoir
de l’eau douce et du gibier. Naïm plongea sa main dans l’eau et la goûta. Ce n’était pas une
rivière, l’eau était saumâtre, la mer entrait bien ici et devait rencontrer des eaux de rivière.
Naïm vit de nombreux poissons à travers les eaux cristallines. Il se serait bien vu s’installer
ici pour quelques temps. Il supportait de plus en plus difficilement les heures de bateaux et
plus encore l’inaction. Evidemment, le voyage en lui-même était une aventure où il découvrait
sans cesse de nouveaux paysages, mais depuis qu’ils avaient quitté leurs terre d’origine, les
tribus rencontrées semblaient arriérées et peu intéressantes. Ils n’avaient pas vu de
forteresses de pierre depuis qu’ils avaient commencé à remonter vers le froid. Ils avaient
échangé avec de nombreuses tribus qui ne connaissaient même pas le métal, ce qui les
arrangeait bien d’un côté pour assurer les échanges, mais globalement, par rapport à ce dont
il rêvait, cette expédition était bien décevante.
Les bateaux longèrent la côte intérieure vers le levant. Il ne semblait pas y avoir beaucoup
de villages par ici. Mistra était allé consulter Gabor et venait de donner l’ordre d’accoster au
bord d’une petite plaine aux pieds de collines abruptes.
Les hommes, épuisés, sortirent les sacs des bateaux et cachèrent ces derniers sous les
arbres. Comme d’habitude, Mistra avait commandé d’emporter les rames et c’est sous cette

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

charge que les hommes commencèrent leur marche. Ils se dirigèrent vers les collines et les
longèrent pendant un petit moment. Enfin, ils virent un vallon qui montait et semblait
s’arrêter au pied d’une formidable falaise, une véritable dent rocheuse qui semblait dominer
la vallée et la mer. De là haut ils pourraient sans doute aussi voir la grande mer de l’autre
côté. Mistra décida d’installer leur camp au sommet de la Dent. Les hommes montèrent
péniblement à travers les éboulis tandis que deux petits groupes partaient à la recherche de
sources d’eau. Naïm et ses guetteurs n’avaient vu personne, mais il savait que leur arrivée
n’avait pas dû passer inaperçue. Il y avait forcément du monde ici.

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De sang, de cuivre et d’or 

Toulouse, France, le 27 juillet, 13h30

Le bar du matin, sur la place des Carmes, un haut bâtiment brique et jaune, était un lieu
anonyme d’un quartier populaire de Toulouse, au pied de l’énorme parking aérien d’une
laideur de béton surplombant quelques étals de marché. Le secteur était encore animé.
Suffisamment pour passer inaperçu.
L’homme était ennuyé. Pas moyen d’accéder au bureau d’Henri Bard. Il y avait toujours du
monde dans ce maudit laboratoire, Pas comme dans celui d’Aix-en-Provence où il s’était
faufilé sans difficulté. Même à la pause de midi, il y avait encore des gens qui travaillaient ou
qui mangeaient sur place dans une petite cuisine nichée au centre du laboratoire. Certains
mangeaient même dans leur bureau, devant leur écran. Il savait bien comment étaient les
archéologues, des passionnés qui n’arrêtaient jamais.
L’exemplaire de La Dépêche, abandonné sur une table proche, titrait sur son exploit de la
nuit, en première page. Bard était bien mort. Le plan se déroulait bien jusque là.
Il n’y avait pas un souffle d’air. L’homme souffrait de la chaleur. Décidément il n’aimait
pas ces régions en été. Des touristes attardés, en sandales et pantalons courts cherchaient une
terrasse ombragée qui accueillerait leur repas de midi. Le temps était très clairement aux
vacances. Il ne manquait que la plage. Il n’aimait pas les vacances. Il n’aimait pas la plage. Il
se rendit alors compte qu’il s’était laissé distraire, ce qu’il exécrait encore plus. Il devait se
concentrer sur son problème.
Il aurait quand même voulu inspecter le bureau du pétrographe. Vérifier s’il y avait des
messages incriminant sur son ordinateur. Il réfléchit, assis dans ce petit bar de la place des
Carmes. Il ne fallait pas non plus qu’il traine trop longtemps dans le quartier, on pourrait le
reconnaitre. Les étals du marché en face de lui étaient en train de fermer. Il était aussi temps
pour lui de quitter Toulouse. Il s’était déjà débarrassé de la voiture. Un phare cassé. Le plus
sûr moyen de se faire repérer.
Il devait réfléchir.
Cinq minutes plus tard, il était rassuré. Réfléchir le rassurait toujours. Il était d’une
intelligence supérieure. Il pensait à tout. Le décès d’Henri Bard était un accident. Personne ne
viendrait fouiller son bureau. Il n’avait pas de temps à perdre et devait maintenant passer à la
suite de son plan. Il lui fallait tout d’abord la liste complète des personnes au courant. Il avait

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

déjà repéré les principaux contacts mais il ne fallait rien laisser au hasard. Ce serait une
catastrophe.
La table voisine fut assaillie par une tribu de géants blonds, une famille de touristes, dont
les enfants encore jeunes dépassaient leurs parents d’une bonne tête. Recuits par le soleil, ils
étaient ridicules dans leurs vêtements qui semblaient trop courts. Des hollandais. Il était temps
de partir.
L’homme se leva et s’engagea dans la rue des Filatiers pour rejoindre la place Esquirol et
le métro, puis la gare. Pour brouiller les pistes. Toujours brouiller les pistes.

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De sang, de cuivre et d’or 

Forcalquier, France, le 27 juillet, 13h45

Autour de la table, chahutaient une bonne vingtaine de personnes, pour la plupart jeunes.
Des étudiants. Des étudiantes en fait ! Il y avait bien une quinzaine de filles. Sacré Charles !
Marc n’avait jamais réellement compris si Charles préférait prendre des fouilleuses plutôt que
des fouilleurs pour leur patience et leur minutie ou simplement pour leur charme. Charles
aurait bientôt soixante ans, mais rien ne changeait.
Des dizaines de guêpes, excitées par la nourriture, volaient en tous sens, de façon saccadée,
autour de la table. Aucun des fouilleurs ne semblait vraiment y porter attention. On s’habituait
à tout.
Marc se dit qu’il n’en connaissait pas beaucoup, parmi ces fouilleurs. Quelques étudiantes
d’Aix, mais pour ses fouilles, Charles recrutait dans toute la France et même à l’étranger.
Marc qui travaillait maintenant en équipe réduite, avec ses propres collègues et étudiants se
souvint que dans les années quatre-vingt-dix, une simple annonce passée dans un mensuel
d’archéologie grand-public leur amenait 120 à 150 réponses en deux mois alors qu’ils
n’avaient besoin de compléter leur équipe que de deux ou trois personnes. Le principe des
fouilles bénévoles était toujours le meilleur selon lui. Les fouilleurs travaillaient sur le terrain
six jours par semaine. En échange, ils étaient logés, nourris, déplacés si besoin et équipés pour
la fouille. Les seuls frais à leur charge étaient leur voyage et éventuellement une assurance.
Evidemment, ces fouilleurs qui étaient essentiellement des étudiants mais aussi parfois des
retraités, des enseignants ou des gens de profession libérale qui faisaient de l’archéologie
pendant leurs vacances, n’étaient pas tous des bourreaux de travail. Certains étaient
effectivement en vacances, surtout sur les chantiers du Midi… d’autres venaient pour draguer,
évidemment. Mais généralement le travail avançait bien, car c’était tous des passionnés qui ne
comptaient pas leurs heures. Presque toutes les filles avaient réussi à prendre une douche
avant le repas. Les garçons, non. Une vraie douche de campagne : un tuyau tiré depuis un
bassin d’irrigation qui se trouvait plus haut sur l’éperon à côté de la fouille et connecté à une
douche de jardin sur pied. Une palette en bois recouverte d’un tapis, une bâche en plastique
enroulée autour de trois arbres pour préserver un peu d’intimité et voilà : rudimentaire mais
efficace. Marc savait que l’eau qui sortait du tuyau en plastique qui courait sur plusieurs
dizaines de mètres en plein soleil était nettement plus chaude que celle qui sortait des robinets
de son appartement.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Ce n’était pas le grand luxe, mais il faisait chaud, l’ambiance était bonne, le site était très
intéressant et l’équipe sympa. Il y avait de l’ombre sous les arbres. Tout le monde semblait
content. En fait, même l’odeur était agréable, un mélange de garrigue sèche et de grillades.
Sur un petit foyer, entouré de quelques pierres, une grille supportait des côtes de porc et des
poivrons alors qu’autour de la table les fouilleurs se faisaient passer des saladiers remplis de
tomates. Tout le monde discutait dans un gentil brouhaha en finissant un verre de pastis ou en
commençant à se préparer une salade de tomates.
Marc sentit qu’il était le point de mire de plusieurs regards, pour certains, appuyés. Pas
assez de garçons dans cette équipe, se dit-il. Mais il était aussi un visiteur et un prof de la fac
qui était aussi un ancien fouilleur du site, la curiosité de certains était normale.
Une jeune fouilleuse lui remplit son verre de vin rouge, presque à ras bord.
― Euh, merci !
― De rien, Monsieur. C’est un coteau de Pierrevert, je suppose que vous connaissez ?
Et voilà, pensa Marc, Monsieur ! Quelques années d’absence du chantier et il était devenu
un « Monsieur » :
― Oui bien sûr. On buvait déjà le même, de mon temps, au XXe siècle. Il avait appuyé sur
la fin de la phrase.
― Mais tu peux m’appeler Marc et me tutoyer, tu sais…
― Bien Monsieur ! Répondit la fille avec un semblant de salut militaire, sous les rires de
leurs voisins de table.
Marc attaqua son assiette avec bon appétit tout en écoutant à moitié les conversations et en
rêvant un peu à ses jeunes années passées à cette même table.

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De sang, de cuivre et d’or 

Nanterre, France, le 27 juillet, 14h00

Le Capitaine Karine Foucher entra dans son bureau. Elle venait de grignoter une pizza
toute seule dans un restaurant du quartier en revenant de sa séance de tir. Elle ne connaissait
pas encore grand monde dans le service. Naturellement elle était heureuse d’avoir eu ce poste
à l’Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels. En même temps, elle était un
peu loin de son univers favoris, celui de l’art, de l’archéologie, du beau… Elle avait tout de
même réussi à concilier l’inné et l’acquis. L’inné c’étaient ses gênes de flic issus d’un père
gendarme qu’elle avait suivi d’affectation en affectation à travers la France, pendant toute son
enfance. L’acquis c’était son goût pour l’art qui s’était développé pendant sa scolarité puis ses
études supérieures avant que la réalité du marché de l’emploi ne se rappelle à elle.
Dans son bureau exigu de ce quartier de Nanterre, à quelques pas de l’Arche de la Défense,
elle découvrait un univers de béton et de briques, d’acier et de verre. Ce n’était ni beau, ni
laid, c’était un mélange de moderne et d’ultra moderne. Ce qui était laid en revanche c’était le
logo de l’OCBC. L’acronyme du service dans une police improbable verte sur fond blanc
avec un gribouillis bleu et un rectangle rouge… Elle pensa qu’on avait dû payer une agence
de communication pour ça. Bon, elle était tout de même mieux ici qu’à saisir des mains
courantes toute la journée dans cette espèce de hall de gare qui lui servait de commissariat
pendant les deux ans qu’elle avait passé en Bretagne pour sa première affectation.
Karine Foucher s’installa devant son ordinateur. Elle avait un rapport à rédiger sur les
activités de l’Office en liaison avec plusieurs pays européens pour une grand-messe des
différents services de lutte contre les trafics d’objets d’art qui devait se dérouler
prochainement en Italie et où elle savait qu’elle ne serait même pas invitée. Elle n’était pas
très pressée de s’y remettre et consulta ses messages électroniques.
Parmi les messages administratifs et les publicités, elle trouva un message rédigé en
anglais, qui lui est transféré en provenance des Pays-Bas. C’était une cellule locale de veille
internet contre le trafic des antiquités. Elle n’en avait jamais entendu parler, mais à l’évidence
elle ne connaissait pas encore très bien ce petit monde.
En substance, le message l’informait de la création récente de cette cellule de veille qui
avait pour but de surveiller les sites internet fréquentés par les archéologues clandestins et les
marchands d’art illégaux et d’avertir les autorités des pays concernés lorsque des découvertes
sauvages étaient présentées ou des objets archéologiques mis en vente.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Le message l’informait ensuite qu’un important lot d’objets de cuivre et d’or préhistoriques
était apparu sur un site internet basé en Russie. Selon les informations recueillies, ces objets
proviendraient de France et, plus précisément, de Provence.
Karine suivit le lien internet qui lui était indiqué et tomba directement sur des photos
d’objets. Elle n’était pas spécialiste de la Préhistoire, mais effectivement il devait bien s’agir
de parures préhistoriques ou protohistoriques. Elle reconnaissait une sorte de bandeau en or,
des boutons en cuivre ou en bronze, des tortillons en or et de petites plaques percées aux
extrémités elles aussi en or. Il y avait aussi une pointe de flèche ou de lance en alliage
cuivreux.
Le message qui présentait les objets était rédigé en anglais. Il précisait qu’il s’agissait d’un
trésor campaniforme, mis au jour récemment en Provence (sud de la France) et qu’il
comportait 45 objets de cuivre et 17 objets en or. Les photos ne constituaient donc qu’un
échantillon du trésor. Le message se terminait par la mention : Envoyez votre offre à… suivait
une adresse électronique en Russie. Il n’y avait pas de doute. Il s’agissait bien d’une
découverte archéologique exceptionnelle qui était mise en vente de façon tout à fait illégale.
Voilà qui était beaucoup plus excitant que ce maudit rapport à boucler.
Le Capitaine de Police Karine Foucher, pourfendeur des pillards et des collectionneurs
véreux, releva soigneusement l’adresse du site web et ouvrit son logiciel de localisation des
serveurs internet.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Forcalquier, France, le 27 juillet, 14h00

Audrey sortit Marc de ses pensées :


― Tu es venu voir la nouvelle tombe campaniforme ?
― Hein ? C’est du Campaniforme, cette tombe ? Charles ne m’a rien dit. Il m’a laissé un
message en me disant de venir très vite, qu’il avait fait une découverte exceptionnelle, mais il
ne m’a pas dit quoi. Je n’ai eu le message qu’hier soir en redescendant chercher du matériel
dans la vallée. Tu sais, on est en prospections en Haute montagne en ce moment. J’ai laissé
mon collègue Cédric remonter le matos et je suis venu dès ce matin… Je pensais que Charles
serait là.
― En fait il est parti depuis probablement avant-hier soir, mais personne ne sait où. Je me
souviens qu’il n’a pas mangé avec nous, mais ce n’était pas la première fois ces derniers
temps. Il était à la fois tout excité et extrêmement fatigué. Il faut dire qu’il travaillait tout seul
sur la tombe depuis plus d’une semaine déjà.
Stéphane la coupa :
― Ouais et il est super chiant depuis ! D’abord, c’est la petite Vanessa – tu sais celle qui
t’a servi à boire tout à l’heure en se foutant de ta pomme – qui fouillait la structure 460, une
grosse fosse ovale de trois mètres par deux environ, qu’on pensait assez profonde. Et puis, à
un mètre vingt de profondeur elle est tombée sur un crâne et rapidement sur des vertèbres en
connexion. Jusque là tout allait bien et puis juste à côté du crâne, Vanessa a trouvé un vase,
un gobelet campaniforme décoré. Charles est devenu comme fou. Il a viré Vanessa de la
tombe. Il a réquisitionné tous les fouilleurs pour construire son étuve là, avec les tubes
d’échafaudage qu’on avait en stock et il s’est enfermé dedans du matin au soir. Il a dû perdre
dix kilos dans ce machin sous bâches plastiques en une semaine.
Marc était stupéfait. Il avait fait partie de l’équipe lors de la première fouille du site dans
les années 90, qui était déjà dirigée par Charles. Ils avaient déjà trouvé une sépulture
individuelle campaniforme, la première du sud de la France, avec un gobelet campaniforme
décoré et deux gobelets indigènes, un poignard en cuivre et des éléments de parure, mais
Charles ne s’était absolument pas comporté de la sorte à l’époque :
― Qu’est-ce que tu me racontes là ? C’est pas du tout son genre à Charles !

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Il a raison, tu sais ! rétorqua Audrey. Il n’était plus le même ces derniers jours. Je dois
même te dire que pour certains fouilleurs, c’est pas plus mal qu’il soit parti du chantier. Même
si, vu son état ces derniers jours, je me demande s’il ne faudrait pas s’inquiéter.
Leur repas avalé, les fouilleurs commencèrent à s’égailler. Certains attendaient leur tour à
la douche, pendant que deux autres emportaient la vaisselle pour la laver, la plupart
disparaissaient vers leur tente ou dans le bois à la recherche d’un coin pour faire une sieste.
Des couples se formaient. Ambiance de fouilles. Tout allait toujours très vite. Un groupe de
jeunes à huis clos, ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les gens apprenaient à se
connaître très vite ; à se détester ou à s’aimer. Généralement ce n’étaient que des amourettes
de vacances, car c’étaient bien des vacances pour beaucoup d’étudiants. Mais Marc
connaissait plusieurs couples mariés qui s’étaient rencontrés sur des chantiers.
Marc avala son café :
― Bon, je sais pas où est passé Charles mais s’il m’a appelé, je suppose que c’est pour
cette tombe… Vous m’emmenez la voir ?

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Monter sur la Dent avait été assez facile, du côté chaud, où la falaise ne mesurait que trois
hauteurs d’homme. Par contre, il n’y avait pas de vue sur la grande mer. Les collines se
succédaient dans la direction du chaud. Une fois les cordes installées pour faciliter l’accès au
sommet, les hommes avaient découvert une surface rocheuse assez pentue mais suffisamment
grande pour y implanter quelques cabanes.
Mistra avait dirigé la manœuvre et très rapidement le pied le plus accessible de la dent
avait été déboisé permettant de surveiller les alentours et le bois remontés sur la dent pour
commencer à construire les cabanes.
A la tombée de la nuit, un vent très fort s’était levé et avait fait s’affaisser les premières
ossatures mises en place. Les hommes avaient dormi serrés les uns contre les autres au ras du
sol pour se protéger de ce vent fou. Certains commençaient à se demander si le choix de
Mistra était vraiment bon. Avait-il seulement demandé au Connaisseur ou décidé seul comme
il ne devait pas… Ou alors c’était le vieux Gabor, leur Connaisseur qui ne connaissait plus
rien. Le monter jusqu’au sommet de la Dent, en le portant, avait été très pénible. Pour ça
aussi les hommes grognaient.
Le lendemain, le vent tombé, les hommes construisirent des armatures de cabanes plus
fortes en sélectionnant les meilleurs troncs calés dans des murets de blocs. Les deux cabanes
ovalaires seraient un peu étroites pour les trente hommes, mais ce n’était que provisoire.
Pourtant Mistra avait décidé de construire solide. Il fit installer des clayonnages de branches
entre les poteaux porteurs et préparer du torchis sur la plate forme au dessous de la Dent.
Pendant plusieurs jours des sacs de terre furent hissés au sommet de la Dent. Il avait fallu
descendre dans la plaine littorale pour trouver les plantes qui permettaient de préparer le
torchis et celles qui couvriraient la charpente des cabanes. C’est Naïm qui avait dirigé cette
mission mais ils n’avaient pas croisé un homme.
En quelques jours, les cabanes étaient terminées et le vent n’importunait plus les hommes
que par l’énorme bruit qu’il produisait dans les toitures.
Naïm avait aussi organisé les chasses. Cela faisait bien longtemps qu’ils n’avaient pu
troquer des moutons ou des cochons aux indigènes et la viande leur manquait. Les archers
avaient cependant trouvé plusieurs petits sangliers et un chevreuil, tandis que les pièges leur
avaient fourni des lapins. Peaux et fourrures seraient bien sûr préparées mais ils devraient

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

tôt ou tard rencontrer les indigènes afin de recomposer leurs stocks d’animaux et de grains si
Mistra voulait s’établir ici.
De fait, un soir Mistra convoqua Naïm et le chargea de trouver des indigènes afin de
troquer avec eux. Leurs objets en cuivre et en or leur assuraient à coup sûr de bons trocs.
Naïm avait cherché à sonder leur chef, mais n’avait pas réussi à connaitre ses intentions.
Voulait-il s’installer longtemps dans cet endroit ? Ne devait-il pas progresser encore pour
trouver les montagnes de cuivre et d’or, le but de leur quête ? Mistra n’avait répondu à
aucune question et s’était isolé avec Gabor. Après tout, et surtout après ces nombreuses lunes
passées en mer, ils avaient tous besoin de se reposer un peu.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Forcalquier, France, le 27 juillet, 14h30

Sur le moment, Marc fut surpris par la pénombre qui régnait sous l’échafaudage. Mais il ne
s’agissait pas d’une ombre fraîche, la chaleur était suffocante sous les bâches. Il était un peu
plus de 14h, le soleil était à son zénith.
Stéphane grogna :
― Putain ! Je veux bien te faire la visite mais on va pas rester deux heures là-dessous,
hein ? Je veux pas finir cuit à l’étuvée moi !
Stéphane était un grand râleur, mais Marc savait aussi que c’était un excellent archéologue,
ce n’était pas pour rien que Charles en avait fait son assistant depuis que lui, Marc, avait eu un
poste de Maître de Conférences et qu’il ne pouvait plus jouer ce rôle.
Peu à peu, la structure apparut aux yeux de Marc qui s’habituaient à cette étrange ambiance
en clair-obscur. Il s’agissait effectivement d’une grande fosse assez semblable à celle qu’ils
avaient fouillée à l’époque.
Encore Stéphane, derrière lui :
― En plus si le vieux arrive et qu’il nous trouve dans sa caverne, il nous tue. Il nous a
formellement interdit d’y entrer.
Audrey mit une claque sur les fesses de Stéphane :
― Oh, détends toi Monsieur le Chef en second ! Tu n’as quand même pas peur de
Charles ? Et puis moi aussi je suis curieuse de voir ce qu’il nous a sorti.
Marc ne s’intéressait qu’à la sépulture. Contrairement à la tombe qu’ils avaient fouillée,
l’individu était ici disposé bien au centre de la grande fosse. Pour le reste, c’était assez
conforme à ce qu’il pouvait attendre. Il était allongé sur le côté gauche, les jambes repliées, il
devait être orienté grosso-modo nord-sud, tête au nord, face tournée vers l’est, en fonction de
la disposition de l’échafaudage vu de l’extérieur. L’individu était grand, ses os avaient l’air
robuste, il s’agissait très probablement d’un homme adulte. Plusieurs vases avaient été
disposés dans la tombe. Comme dans celle qu’ils avaient fouillé plusieurs années auparavant,
Marc observa de petits gobelets du groupe local de la fin du Néolithique : le groupe Rhône-
Ouvèze, mais aussi plusieurs gobelets campaniformes décorés. Avec leur profil en S
caractéristique et leur décor couvrant ils se distinguaient facilement des productions locales.
Les plus proches, aux pieds de l’individu étaient de type maritime ou pointillé-
géométrique, décorés de lignes pointillées avec une coquille ou un peigne. Ils étaient tous

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

intacts ou complets cassés sur place. Le vase près de la tête avait l’air différent. Marc se laissa
glisser dans la fosse, après avoir retiré ses chaussures et en faisant attention à ne pas bousculer
d’objets.
Stéphane s’énerva :
― Mais qu’est ce qu’il fait l’autre ? Moi, je décline toute responsabilité ! Si le vieux
arrive… Je préfère vous attendre dehors.
Audrey contourna la fosse pour s’approcher de Marc :
― Il a l’air propre ce vase, non ?
Marc se pencha vers la poterie et l’observa quelques secondes :
― Charles a dû le nettoyer pour observer le décor et je comprends pourquoi… Tu as
devant toi un authentique gobelet AOC : All Over Corded, forme très élancée, décor à la
cordelette fine. C’est un vase campaniforme du style considéré par certains comme le plus
ancien… Il a dans les 4500 ans. On ne connait des productions de ce type, avec ce décor sur
cette forme qu’aux Pays-Bas ! Je sais maintenant pourquoi Charles parlait de découverte
exceptionnelle, c’est la première fois qu’on trouve un tel objet dans nos régions. Et je sais
aussi pourquoi il était agité. Ce vase va à l’encontre de toutes les théories de Charles. Pour lui,
comme pour moi d’ailleurs, le phénomène campaniforme provient de la péninsule ibérique,
probablement du Portugal… Pas de Hollande. Ça a dû lui foutre un coup !
― Portugal, Pays-Bas, il y a bien que vous les « Campaniformologues » pour vous
intéresser à l’origine de ce phénomène… Moi, ce qui m’intéresse ce sont les modes de vie
des gens à la fin de la Préhistoire, pas « le plus ancien », « l’origine de… ». C’est bien un truc
de mecs ça !
― Ecoute ! Toi, sortie de tes silex ! Je comprends tout à fait qu’on s’intéresse à la vie
quotidienne, aux techniques de travail et tout ça, mais tu ne te rends pas compte que le
Campaniforme est probablement un des premiers phénomènes historiques de l’humanité qui
couvre l’Europe entière entre 2500 et 1800 avant notre ère. C’est super important de
comprendre la nature de ce phénomène et son origine. Voilà plus d’un siècle que les
archéologues de toute l’Europe cherchent à comprendre de quoi il s’agit et proposent des
théories.
Audrey le dévisagea en fronçant les sourcils :
― Me fais pas un cours, petit prof ! Moi aussi j’ai suivi l’enseignement de Charles, même
si ses histoires de gobelets ne me passionnaient pas vraiment.

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De sang, de cuivre et d’or 

― Je ne te fais pas un cours mais je dois dire que j’étais complètement convaincu par les
théories de Charles, que j’ai contribué à développer pendant toutes ces années. On s’est
planté, c’est tout. Mais ça fait bizarre. Charles avait pourtant l’air content dans son message.
Audrey se pencha vers la fosse.
― Mais dis-moi, il y a des empreintes d’autres objets sur le fond de la fosse, non ?
― Oui, tu as raison. Plusieurs objets ont été prélevés, ici, ici, et encore là. Cette empreinte
là, la longue, on dirait un poignard. Où peut-il être ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

13

Nanterre, France, le 27 juillet, 16h00

Karine Foucher était très excitée. Cela faisait deux heures qu’elle planchait sur ce site web
russe qui ne semblait consacré qu’à cette unique annonce. Il n’avait été créé que depuis la
veille. Elle avait réussi à localiser le serveur à Moscou, mais c’était une adresse bien connue
pour héberger les sites de pirates de toutes sortes, principalement ceux consacrés aux
téléchargements du monde entier. Rien à faire de ce côté-là, ci ce n’était faire une demande
officielle de fermeture du site au contenu illégal qui mettrait des mois à être prise en compte
par les autorités russes.
Elle avait donc cherché à déterminer l’adresse IP de l’ordinateur à partir duquel le site
avait été chargé sur ce serveur. Et là, Bingo ! L’ordinateur en question se trouvait en France.
Karine ne regrettait pas d’avoir suivi un stage sur la cybercriminalité où elle avait appris le
fonctionnement de plusieurs logiciels de traque et d’identification sur internet. Elle avait
ensuite contacté les fournisseurs d’accès internet afin de préciser l’adresse physique de
l’ordinateur et le nom de l’abonné. Mais si les fournisseurs d’accès étaient de plus en plus
coopératifs avec les autorités pour lutter contre les délinquants du web, elle devait maintenant
attendre car la procédure n’était pas immédiate.
Elle vida son grand mug de café, aux couleurs de la Police Nationale, en fixant son
téléphone. Elle réfléchissait. Il y avait encore des risques que l’opération ait été faite à partir
d’un cybercafé ou de l’ordinateur d’une bibliothèque publique. Dans ce cas, aucun moyen
d’identifier l’auteur et d’interrompre les transactions en cours, encore moins de récupérer ce
fameux trésor.
Karine Foucher s’agita sur son siège.
Elle aurait pu envoyer un message à l’adresse électronique du site. Faire une offre et tendre
un piège au vendeur. Facile à dire. Elle n’avait aucune idée du prix auquel pouvait se négocier
des objets tels que ceux-là sur le marché clandestin. Rien ne dit qu’elle remporterait l’enchère,
ni même qu’on répondrait à son message. Si elle faisait une offre trop basse, elle ne
remporterait pas l’enchère, et si elle faisait une offre trop haute, elle ne serait pas prise au
sérieux ou serait suspecte. C’était sans solution.
Son téléphone sonna enfin.
― Bonjour, Antoine Lambert de France Télécom. Vous êtes le Capitaine Foucher ?
― Bonjour, j’attendais votre appel. Que pouvez-vous me dire de cette adresse ?

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De sang, de cuivre et d’or 

― Et bien… Hum ! C'est-à-dire… votre délinquant, je ne sais pas ce qu’il a fait… ce n’est
pas un particulier, c’est heu… Comme vous, du domaine public…
― Bon, vous la crachez votre pastille ?!
― Euh, oui… L’adresse correspond à un matériel de l’Université Aix-Marseille I. C’est un
ordinateur de la… Attendez ! La MMSH.
―…
― Pardon, la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme à Aix-en-Provence.
Karine Foucher, troublée, remercia son interlocuteur et raccrocha. Voilà qui n’était pas
banal. Un chercheur ou un étudiant qui mettait en vente du mobilier archéologique ?
Elle n’avait plus qu’à contacter le service informatique de l’Université pour savoir à quel
poste correspondait cette adresse IP et elle aurait le nom de son pillard, en espérant qu’il ne
s’agisse pas d’un poste public dans la bibliothèque de l’Université…
Trois heures plus tard, Karine n’avait pas réussi à joindre qui que ce soit à l’Université.
Elle pensa, un peu agacée, à ces fonctionnaires qui n’en ramaient pas une, avant de se rendre
compte qu’elle tombait elle-même dans le panneau du discours classique de la « droite
populaire » et légèrement populiste. Alors qu’elle était elle-même fonctionnaire et encore à
son bureau à 19h. En désespoir de cause, elle s’était remise à son train-train administratif.
Toujours ça d’avancé, se dit-elle. Et, des tonnes de paperasses rangées, des rapports
enregistrés, des dossiers classés, elle reprit sa veste et quitta son bureau. Le couloir était déjà
éteint. Evidemment à près de 20h, l’OCBC n’était plus la ruche qu’elle connaissait dans la
journée. Ce n’était pas un commissariat de quartier et les délinquants de l’art pouvait bien
attendre jusqu’au lendemain. Karine se dit qu’elle était sans doute un peu folle de faire des
heures sup, toute seule ici.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Forcalquier, France, le 27 juillet, 16h30

Marc retrouvait l’ambiance de fouilles de ses jeunes années. Il avait passé plusieurs étés
sur ce site, à l’extrémité de l’éperon de Pierrerue, à fouiller les occupations de la fin du
Néolithique. La découverte d’enceintes fermant la partie sommitale de l’éperon, puis d’une
sépulture campaniforme, éléments jusqu’alors inconnus dans le sud-est de la France, lui avait
assuré une petite notoriété dans la communauté des archéologues. Mais c’était surtout
l’atmosphère particulière de ce chantier qu’il regrettait aujourd’hui.
La table du repas avait été convertie en table de travail, un petit groupe d’étudiantes était
occupé au marquage des objets archéologiques qui avaient été nettoyés. Elles s’appliquaient
avec leur plume et de l’encre de chine à identifier chaque objet en fonction de la structure
d’où il provenait. Laure, l’archéozoologue, triait les ossements en fonction de leur espèce
(mouton, chèvre, capriné indéterminé, cochon, bœuf…) et les rangeait dans des boites en
cartons. Chaque objet marqué était répertorié et avait droit à un petit sachet plastique. Ces
sachets étaient regroupés dans des sacs plus grands puis dans des boites à leur tour rangées
dans des caisses avant de partir chez les différents spécialistes qui allaient les étudier. La drôle
de seconde vie des objets archéologiques.
Plus loin, un autre groupe était installé par terre avec des bassines d’eau et des brosses à
dents ou à ongles à nettoyer des objets qui était ensuite mis à sécher sur des casiers en bois.
Une musique à la mode était diffusée par un vieux poste de radio accroché à un arbre. Un
long bout de fil de fer, en guise d’antenne s’enroulait autour du tronc. Il y avait à l’évidence
des choses qui ne changeaient pas mais la musique, que Marc trouvait pénible, lui rappelait
que dix ans étaient passés. De la douche, émergea une grande rouquine que Marc avait déjà
remarquée pendant le repas. Impudique, elle n’était vêtue que d’une culotte et d’une serviette
jetée sur ses épaules, seins nus, adorable. Se dirigeant vers les tentes, sa trousse de toilette à la
main, elle passa en tortillant des fesses devant les autres fouilleurs qui ricanaient. Ambiance
de chantier.
Audrey sortit de la grande tente qui servait de laboratoire de chantier et rejoignit Marc :
― Hélène, étudiante marseillaise, vingt ans tout juste et totalement nympho. Tout à fait ton
genre… Je suis obligée de faire un peu la police parce qu’elle m’épuise tous les gars à tour de
rôle !

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De sang, de cuivre et d’or 

Au ton d’Audrey, Marc sentit qu’il était plus visé que la demoiselle. Il leva les yeux au ciel
d’un air indigné, mais Audrey repris comme si de rien n’était :
― Bon, plus sérieusement… J’ai cherché partout. Il n’y a aucune boite qui corresponde à
la sépulture, à part pour les niveaux de surface… Je ne sais pas ce que Charles a fait des
objets qu’il a prélevé dans la tombe.
Marc haussa les épaules.
― Bon, je ne vais pas pouvoir rester ici pendant trois jours, moi. Je vais essayer de le
rappeler sur son portable.
Marc sortit son téléphone et lança le numéro de Charles enregistré dans son répertoire.
― Il est toujours sur messagerie. Je vais essayer d’appeler sa femme.
Marc relança un numéro préenregistré.
― Allo ? Jeanne ? Bonjour, c’est Marc… Je cherche à joindre Charles… Oui, je sais qu’il
est censé être à Forcalquier, je suis sur la fouille, mais il semble qu’il est parti depuis deux
jours… Non… Bon… S’il passe ou s’il appelle, vous lui dites de me rappeler… Merci, à très
bientôt, Jeanne... Au revoir.
Il se retourna vers Audrey :
― Tu as compris ? Elle ne l’a pas vu et le pensait ici. Il est peut-être parti faire analyser
des objets quelque part, mais je ne comprends pas pourquoi il ne vous a pas prévenus.
― On t’a dit qu’il était bizarre ces derniers temps. Il ne s’occupait que de la tombe et ne
nous parlait presque pas… Alors ça ne m’étonne qu’à moitié.
― Bon, écoute ! Je dois retourner sur mon chantier. Je vais te laisser le numéro du portable
satellite de Cédric, parce que mon mobile ne passe pas dans la montagne. Surtout tu dis à
Charles de m’appeler dès qu’il revient. J’aimerais comprendre toute cette affaire et qu’il me
parle de ce qu’il a trouvé dans cette tombe.
Audrey regarda Marc et ne dit rien.
― Bon, on s’embrasse. Il faut vraiment que je file.
― Tu sais… quand je t’ai vu arriver tout à l’heure, ça m’a rappelé…
― Oui, je sais : « Il revient sur les lieux de son crime… » Mais le temps a passé Audrey.
Et nous sommes tous les deux passés à autre chose… Si tu veux, on se voit à Aix à la rentrée,
on parlera du bon vieux temps.
― Tu as raison. C’est le chantier qui me rend nostalgique. Allez retourne à tes montagnes
et prends soin de toi. Je transmettrai le message à Charles, ne t’inquiète pas.

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Paris, France, le 27 juillet, 22h00

Un peu plus tard, Karine Foucher retrouva sa petite jungle, comme elle l’appelait. Un petit
appartement sous les toits, où s’épanouissaient un nombre invraisemblable de plantes vertes.
Ça habillait bien l’appartement et le faisait sembler plus grand. Elle n’était pas une spécialiste
de la décoration d’intérieur.
Elle commença par ouvrir toutes les fenêtres, puis attrapa son arrosoir et entreprit de
donner de l’eau à toutes ses plantes qui en avaient bien besoin, comme elle-même d’ailleurs.
Après un bon quart d’heure d’arrosage, elle se déshabilla complètement et mit en marche
se petite chaine stéréo au passage, laissant derrière elle un sillage de vêtements froissés sur le
plancher. La voix suave de Sade entonna Is it a crime et Karine fila à la salle de bain. L’eau
de la douche était brûlante. Elle adorait quand ça fumait et que sa peau rougissait
progressivement. Elle se laissa aller. Décaper corps et esprit. Leur enlever la crasse odieuse
qu’elle absorbait dans la journée. Les minutes défilèrent sans qu’elle se lasse de l’eau qui
coulait, puis comme souvent lorsqu’elle prenait une douche le soir, elle glissa ses mains entre
ses cuisses et se caressa longuement, les épaules appuyées contre les carreaux humides,
tendue, sur la pointe des pieds.
Elle finit par sortir de la douche, prit le temps de se sécher, enferma ses cheveux encore
mouillés dans une serviette et passa une longue chemise d’homme. C’était un souvenir de ce
crétin de Paul, son ex, dont elle aurait préféré ne pas se souvenir, mais elle aimait beaucoup
cette chemise. Elle regagna la pièce principale et enfourna une pizza surgelée dans son micro-
ondes. L’album de Sade était entièrement passé sans qu’elle ne l’entende. Elle avait donc
passé plus d’une heure dans la douche. Pendant les quelques minutes de cuisson, elle observa
par la fenêtre la vie qui se déroulait au pied de son immeuble. Des jeunes squattaient les jeux
d’enfants du square voisin, fumant probablement un joint qu’ils se passaient à tour de rôle,
d’autres tapaient dans un ballon entre les voitures garées en épi, une ménagère, panier à la
main, pénétrait dans le hall de l’immeuble d’en face, malgré l’heure tardive. Sans doute une
femme qui travaillait tard et rentrait de faire quelques courses à l’épicerie de nuit.
Karine se laissa tomber dans son canapé, pour manger une part de pizza. Elle fureta dans
les magazines qui s’empilaient sur la table basse, mais ne trouva rien qui l’inspire réellement.
En repensant à sa journée, elle était excitée de sa découverte. Enfin quelque chose
d’intéressant.

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De sang, de cuivre et d’or 

Pourtant lorsqu’elle se coucha une heure plus tard, une impression d’énorme gâchis
l’envahit. Elle était seule, ne parlait à personne en dehors des heures de boulot. Elle pensa
qu’il faudrait qu’elle envisage à fonder une famille pour ne pas finir aigrie et acariâtre. Mais
pour fonder une famille, il fallait trouver l’homme. Ce soir-là, le Capitaine de police Karine
Foucher éprouva toutes les difficultés du monde à sombrer dans un sommeil enfin réparateur.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Il y a environ 4500 ans

Au petit matin, Naïm prit la tête d’un groupe de dix hommes. Il avait longuement réfléchi
assis au bord de la falaise. Les fumées là-bas, vers le froid, ne lui disaient rien. Le sommet de
ces grandes falaises percées de formidables abris abritait certes des hommes, mais il en
ressentait l’hostilité. Il avait consulté le Connaisseur et finalement choisi de cheminer vers le
chaud pour retourner vers là côte de la grande mer et retrouver les feux qu’il avait aperçu à
leur arrivée. Cela devait aussi lui permettre de voir ce qui se cachait dans ces collines dont la
présence massive au dessus de leur campement ne lui disait rien de bon.
Ils atteignirent le sommet des collines alors que le soleil était encore bas au levant. De là,
la grande mer s’étalait à perte de vue. Vers le levant il distingua d’immenses falaises et se dit
qu’ils avaient bien fait d’accoster ici. Ils atteignirent un vallon perpendiculaire qui
descendait vers le couchant et le suivirent jusqu’à atteindre une vaste plaine fermée par les
collines. Ils voyaient des champs de culture ici et là et se dirigèrent vers une butte où se
dressait un petit village palissadé. Ils essuyèrent une volée de flèches leur indiquant qu’ils
n’étaient pas les bienvenus et poursuivirent leur chemin jusqu’à un plateau bas d’où
montaient plusieurs fumées. Naïm ne prit que deux hommes avec lui et monta sur la petite
colline. Ils passèrent un vieux rempart de pierre ruiné et sans doute fort ancien et
s’approchèrent d’une ferme aux murs de pierre et de torchis : quelques maisons enfermées
par un mur. Des enfants jouaient un peu plus loin et ne les avaient pas entendus approcher.
Tout à coup, Naïm su qu’ils n’étaient plus seuls. Derrière les arbres, devant eux, derrière eux
mais aussi à droite, plusieurs hommes s’approchaient. Ils étaient cinq et Naïm percevait chez
eux plus de peur que d’hostilité. L’un d’eux arrivant en face était sans doute le chef. Il
s’avança et pris la parole dans une langue que Naïm ne comprenait pas. Mais il avait
l’habitude maintenant. A peine à une lune de voyage de chez eux, ils avaient commencé à
rencontrer des tribus parlant des langues étranges qui n’avaient rien à voir avec la leur.
Naturellement il attendait que Naïm réponde. Celui-ci expliqua donc dans sa langue qu’il
venait en paix afin de troquer avec eux. Certain de ne pas être compris, il s’avança de deux
pas s’arrêta et posa à terre une poignée de perle en tôle de cuivre. En se relevant il montra
du doigt la construction qu’il pensait être une bergerie surmontée d’une réserve de paille,
puis les perles disposées au sol. Il se baissa de nouveau reprit les perles et tendit le bras pour

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De sang, de cuivre et d’or 

les proposer à son interlocuteur tandis que de l’autre main il faisait le geste de prendre
quelque chose vers la bergerie.
Naïm sut que l’homme avait compris. Celui-ci se retourna et échangea quelques mots avec
un autre qui retourna vers la ferme. Quelques instants plus tard, il revenait en tenant, au bout
d’une corde, deux moutons pas bien gras. Naïm prit quatre perles dans sa main et les tendit
de l’autre en désignant les deux brebis. L’homme s’avança et examina les perles. Il désigna
l’autre main de Naïm en faisant le geste de tout prendre. Naïm remonta ses mains de part et
d’autre de sa tête et fit des moulinets mimant des cornes de béliers. L’homme se retourna vers
son compagnon et celui-ci revint un moment plus tard en trainant derrière lui un bélier un
peu capricieux mais aux très belles cornes enroulées. Le chef indigène tendait la main et
Naïm déposa dedans le lot de perles. Ils se serrèrent mutuellement l’avant bras pour signer
dans un langage universel le troc qui venait de se conclure.
L’homme porta la main à sa bouche par deux fois en émettant des bruits de succion et de
mastication. Ils étaient invités à manger. Un moment plus tard, ses hommes ayant rejoint
Naïm, ils étaient tous installés dans la cour de la ferme et partageaient de la viande de chèvre
et une bouillie de céréale.
Le contact avec les indigènes avait été établi.

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Haute Vallée du Queyras, France, le 29 juillet, 9h00

Le campement des archéologues se trouvait à plus de 2000 mètres d’altitude. Le matériel


était apporté par hélicoptère, profitant des rotations qui apportait du sel aux bergers en estive.
Plusieurs tentes étaient implantées autour d’une vieille cabane de berger ruinée, dont ils
avaient remonté un peu les murs et qu’ils avaient affublée d’une sorte de toiture constituée de
chevrons et d’une bâche en plastique transparente.
Cela faisait longtemps que Marc voulait redémarrer un programme de prospections en
haute montagne à la recherche d’extractions de cuivre remontant à la fin de la Préhistoire.
Pour le moment Marc et ses collaborateurs n’avaient trouvé que des exploitations d’époque
historique, mais ils ne désespéraient pas. Depuis une quinzaine d’années, la première
métallurgie alpine commençait à être mieux connue ; des objets, mais aussi quelques
exploitations et ateliers remontant jusqu’aux débuts de l’âge du Bronze. La découverte d’Ötzi,
la momie des glaces, datée de 3300 à 3100 avant notre ère, à la frontière entre l’Italie et
l’Autriche avait relancé les recherches sur les Alpes. Restaient à découvrir les exploitations du
troisième et peut-être du quatrième millénaire avant notre ère ; ce à quoi il s’efforçait avec son
collègue Cédric Vidal. Mais les objets en cuivre de la fin du Néolithique était finalement
assez rares en Provence avant le Campaniforme qui avait probablement contribué à la
généralisation de la métallurgie dans ces régions. Mais les objets anciens existaient et Marc
était sûr qu’ils finiraient par trouver les exploitations d’origine. C’était déjà la deuxième
mission d’été dans ce secteur. Marc avait arrêté de fumer l’été précédent, pour l’occasion.
Même avec un camp de base en altitude, les prospections nécessitaient plusieurs heures de
marche par jour, avec des dénivelés parfois considérables. Ce rythme n’était vraiment pas
compatible avec le tabac.
Marc avait du mal à se concentrer sur la carte topographique qui indiquait l’avancement de
leurs travaux de prospections. Depuis qu’il était remonté ici, il ne parvenait pas à sortir de son
esprit cette histoire de tombe à Forcalquier et la disparition de Charles. Certes le vieux
bonhomme était parfois étrange. Marc avait assez longtemps travaillé avec lui pour le savoir.
Mais ce n’était pas son genre de disparaitre surtout après lui avoir demandé de venir. Si Marc
n’était pas sujet aux pressentiments auxquels il ne croyait de toute façon pas du tout, il
ressentait une sorte de malaise qui ne pouvait pas être dû seulement à ses retrouvailles avec

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De sang, de cuivre et d’or 

Audrey. En fait, il ne ressentait plus rien d’autre qu’une sorte d’affection fraternelle pour la
jeune femme et il était simplement inquiet pour Charles, son vieux maître.
Le soleil commençait à paraitre au-dessus des crêtes et les montagnes se moquaient de ces
petits problèmes humains. Marc se sentait minuscule dans ce paysage immense. Il décida
qu’il descendrait le soir même dans la vallée pour tenter de rappeler Charles au téléphone.
Antoine, le géologue, qui coupait de large tranche dans un énorme jambon cru, le seul luxe
de ce campement où il n’était pas possible de conserver et donc de manger de la viande,
l’interpela :
― Marc, ça va pas ? T’es tout pâle… Tiens, viens par là te prendre une petite tranche de
cet excellent jambon sec : le petit déjeuner des champions !

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Nanterre, France, le 28 juillet, 11h10

Karine Foucher était pendue au téléphone depuis deux bonnes heures. Ce matin, son
premier coup de fil dès neuf heures au service informatique de l’Université de Provence lui
rappela en la personne d’un stagiaire, qu’en plein été l’université tournait au ralenti. Elle prit
donc son mal en patience et attendit une heure de plus. Elle pesta. Elle détestait être trimballée
de service en service, attendre des plombes avec Vivaldi et ses quatre saisons dans les
oreilles, pour s’entendre dire un quart d’heure plus tard que le responsable du service
informatique n’était ni secrétaire ni standard téléphonique. Elle n’avait qu’à tapoter sur
internet et voir du côté de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme !
Mais la chance tournait parfois et son interlocuteur de la MMSH lui indiqua que sa
demande devait impérativement, et il insista bien en détachant chaque syllabe, faite par fax.
Il lui avait fallu dix bonnes minutes pour localiser le fax du service et appendre à s’en
servir. Maudit archaïsme à l’heure de l’internet !
Il y avait des matins comme ça. Mais l’entête de l’OCBC sur le fax avait semble-t-il rempli
son rôle et elle avait maintenant un correspondant beaucoup plus aimable au téléphone.
― Je suis désolé Capitaine. Mais vous comprenez bien que je ne peux pas donner des
informations individuelles comme ça, à n’importe qui. Vous comprenez ?
― Venons-en au fait, cher Monsieur, pouvez-vous me dire à qui est attribué le poste
correspondant à l’adresse que je vous ai envoyée ?
― Oui, oui. Bien sûr. Cette adresse correspond à un bureau de chercheur du Laboratoire de
Préhistoire. Il s’agit de M. Charles Delapierre qui est Directeur de Recherche au CNRS.
― Vous en êtes certain ? Ce n’est pas un bureau partagé ? Une seule personne a accès à ce
poste ?
― Ah, je ne sais pas, moi ! Dans beaucoup de bureaux, il y a aussi des doctorants qui
travaillent avec les chercheurs. Je ne peux vous donner que les informations de création du
compte… Après ce qu’ils font avec les ordinateurs…
― Cher Monsieur, je vous remercie de votre très aimable collaboration. Au revoir.
Karine Foucher réfléchit. Il s’agissait bien d’un chercheur. Son nom ne lui évoquait rien,
mais un Directeur de Recherche du CNRS…
Elle mit ses notes au propre rapidement et se rendit, non sans une certaine appréhension, au
bureau de son supérieur. Le Commandant Jean-Luc Perrier, n’était pas un homme affable.

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Tout le monde semblait le redouter dans le service. Mais tout le monde semblait le respecter
aussi. C’était un flic à l’ancienne qui s’était usé dans divers services aussi durs que la
répression du banditisme et l’antidrogue. Il avait été blessé en service, promu à une place de
direction, mais la rumeur disait qu’il avait surtout pété les plombs et accessoirement la gueule
de son chef de service, ce qui l’avait conduit dans ce joli placard qu’était l’OCBC. Un héro
gênant. Il scruta Karine Foucher derrière ses petites lunettes. Son visage était absolument
immobile pendant qu’il l’écoutait faire le récit de sa petite enquête.
― Capitaine, vous étiez censée me préparer un rapport pour la conférence de Bologne.
L’avez-vous terminé ? Je ne me souviens pas l’avoir reçu…
― Mon Commandant, c'est-à-dire que… Lorsque j’ai reçu ces informations, je me suis dit
que cela devait passer en priorité. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons coincer un
archéologue célèbre pour vente d’un trésor archéologique.
Le Commandant fixa Karine Foucher pendant de longues secondes.
― Capitaine, vous êtes nouvelle dans le service et jeune policier. Vous avez encore
beaucoup de choses à apprendre. Règle numéro un : on ne discute jamais mes ordres. Vous
aviez un travail à faire et ne l’avez pas fait. Règle numéro deux : on ne se fout pas de la
gueule de son supérieur. Selon ce que vous m’avez dit, vous ne connaissez l’identité du
suspect que depuis un petit quart d’heure, alors que vous enquêtez sur cette affaire depuis
hier… Vous avez donc passé des heures sur une affaire qui n’en était peut-être pas une. Règle
numéro trois : Vous avez obtenu des données personnelles sans réquisition judiciaire, puisque
je n’ai rien signé. C’est tout à fait illégal. Votre procédure si elle devait se poursuivre pourrait
être invalidée.
Karine pensait que si la moitié de ce qu’on racontait sur son supérieur était vrai, il était mal
placé pour lui faire la morale.
― Mon commandant, je…
― Je n’ai pas terminé Capitaine ! Règle numéro quatre, dernière et plus importante : Votre
Commandant est quelqu’un d’intelligent. Donc… Je considère que cette affaire est importante
et je décide de vous la confier officiellement. Outre le fait que la moitié de mon effectif est en
vacances, vous avez réussi à sortir une affaire et à obtenir un nom en quelques heures, je mise
sur vous pour cette fois-ci. Vous allez partir à Aix-en-Provence dès aujourd’hui et vous allez
entendre ce Professeur… Non, Directeur Delapierre. Nous verrons s’il y a matière à poursuite
ou s’il s’agit d’un canular d’étudiant. Si l’affaire est sérieuse, vous me trouverez quelque
chose pour expliquer comment vous avez remonté l’identité du suspect. Je vais confier le

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rapport de Bologne au Capitaine Delamarre, il vient de rentrer de vacances. Vous avez quatre
jours pour me rapporter du biscuit.
Karine n’en revenait pas. Elle s’attendait à se faire virer, et le savon se transformait de fait
en approbation de ses propres choix. Il n’était peut-être pas si con qu’on le disait, ce Perrier,
après tout.
― Merci mon Commandant.
― Ne me remerciez pas Capitaine. Si vous me refaites un coup pareil, je vous fais muter à
Maubeuge. C’est bien compris, Capitaine ?
― Bien compris mon Commandant.

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Haute Vallée du Queyras, France, le 29 juillet, 12h00

Marc regardait la vallée qui s’étendait à ses pieds. Gigantesque. Il ne se lassait pas de ces
paysages grandioses de montagne. Ses inquiétudes du matin étaient un peu passées et après
avoir décidé de redescendre téléphoner ce soir, il avait pu se remettre au travail un peu plus
sereinement.
Un petit torrent serpentait calmement puis s’effondrait brutalement en cascades qui avaient
creusé d’énormes marmites de géant. Les pentes autour alternaient de grands éboulis de
pierrailles descendant de crêtes qui semblaient inaccessibles et une herbe rase déjà jaune.
Pourtant au fond de la vallée, dans la proximité humide du torrent, l’herbe était encore bien
verte et concentrait probablement quelques centaines de moutons en estive.
Le soleil était haut dans le ciel et la température augmentait. Il faisait déjà chaud. Marc
savait pourtant que dès 16h, le soleil passerait derrière les crêtes et que la température
baisserait très vite. Cette amplitude thermique était au moins aussi fatigante que les marches
forcées en haute altitude, mais le paysage seul méritait qu’on souffre un peu.
Cédric Vidal sortit de sa petite tente semblant gagner du volume à mesure. C’était une
force de la nature. Rond, gros disaient certains, il se déplaçait pourtant avec aisance dans ces
pentes d’altitude. Avec son regard gris acier et sa barbe blonde, il évoquait inévitablement un
guerrier viking à qui le croisait. En attendant, Marc ne comprenait toujours pas comment il
faisait pour utiliser une aussi minuscule tente de bivouac. Cédric avait son téléphone satellite
à la main. Un petit appareil noir surmonté d’une grosse antenne qui ressemblait à un réducteur
de son de pistolet, comme dans les films, et dont il est très fier. Son côté geek. Marc ne savait
pas comment Cédric avait fait pour se faire payer ce gadget et surtout le prix des
communications par le labo, mais il fallait bien reconnaitre qu’en mission dans ces coins
perdus, c’était très pratique. D’ailleurs, Marc songea qu’il pourrait lui demander de l’utiliser
pour joindre Charles… Après tout, son inquiétude justifiait bien de dépenser un peu d’argent
du contribuable.
― Marc, c’est pour toi ! C’est Audrey… Dit Cédric en clignant de l’œil.
Marc pensa qu’il lui faudrait un jour faire une annonce officielle. Audrey et lui, c’était une
histoire qui remontait à dix ans, terminée depuis huit. Mais personne ne semblait s’en être
rendu compte. Peut-être parce qu’il était resté le plus souvent seul dans les dernières années,

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

n’ayant eu que des aventures sans lendemain auxquelles il n’avait pas donné une grande
publicité. Il prit le téléphone en secouant la tête.
― C’est Marc. Charles est revenu ?
― Marc, Charles n’est pas là, mais il se passe des choses ici. Il y a la Police, la
Gendarmerie, ils cherchent Charles… Il est accusé de je ne sais quoi, de pillage, de vol
d’antiquités. C’est absurde, je ne comprends rien… Viens aussi vite que tu peux, j’ai peur que
Stéphane en vienne aux mains avec la Police.
― Je ne comprends rien moi non plus, mais j’arrive ! Il me faut trois quarts d’heure pour
redescendre à la voiture, puis deux heures de route, je serai là vers 15h00, OK ?
― Fais vite !
Marc était abasourdi. Qu’est ce que c’était que cette histoire ? Il se retourna vers Cédric :
― Il y a des problèmes à Forcalquier. Il faut que j’y retourne. Je n’ai pas le temps de
t’expliquer.
― Encore des histoires avec ce vieux Charles ? Il n’est pas foutu de se démerder seul à son
âge ? Je crois que tu vas rester son assistant à vie !
― Là, c’est sérieux Cédric, je ne sais pas ce qui se passe, mais il y a la Police. Faut que j’y
aille…
Plusieurs étudiants, membres de l’équipe de prospections s’étaient regroupés autour d’eux,
comprenant que quelque chose n’allait pas.
― OK, fais comme tu veux. De toute façon, on se débrouille ici, on doit encore prospecter
les coumbals situées au sud de la vallée, on en a pour trois jours au moins. Bien sûr, si on
tombe sur The Site, nous qui bossons, pendant que tu vas te promener ailleurs… On
envisagera peut-être de te faire cosigner la publication… En fin de liste des auteurs…
― Très drôle… Enfin, merci d’assurer. Je prends mes affaires et je descends.
Naturellement je reviens dès que possible.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Forcalquier, France, le 29 juillet, 15h15

Marc monta en voiture jusqu’au camp de la fouille. Tant pis pour le bas de caisse. Il se
gara à côté de la camionnette de la Gendarmerie. Ils étaient donc toujours là. Qu’est ce que
c’était que cette affaire ?
Une jeune femme blonde, plutôt petite, énergique, sortit de l’ombre des arbres et s’avança
vers lui tandis qu’il descendait de voiture. Audrey la suivait. Mauvaise mine. Elle semblait
avoir pleuré.
― Capitaine Karine Foucher de l’OCBC. Bonjour. Vous êtes Marc Andréas, l’assistant de
Charles Delapierre ?
― Euh… Bonjour. Oui… Et non.
Karine le regarda, interloquée.
― Oui je suis Marc Andréas et non je ne suis plus l’assistant de Charles depuis des années.
L’OCBC c’est le service qui s’occupe de la répression des trafics de biens culturels, c’est ça ?
Audrey s’interposa et se jeta dans les bras de Marc :
― Marc, je n’y comprends rien. Ils sont en train de fouiller partout. Ils ont mis le labo en
pagaille. Il faut les arrêter ! Stéphane a essayé de les empêcher. Il était tellement énervé que
les gendarmes l’ont bouclé dans leur voiture.
Effectivement Marc aperçut Stéphane assis à l’arrière de la camionnette de Gendarmerie. Il
semblait regarder ses chaussures, l’air absent. Plus loin, des gendarmes sortaient des cartons
du marabout-labo et les disposaient par terre. Marc reconnut le Capitaine Raymond Joubert de
la Gendarmerie de Forcalquier qui dirigeait l’opération. Ils se connaissaient depuis l’époque
où la première sépulture campaniforme avait été découverte. A l’époque, la Gendarmerie était
intervenue pour des vols de matériel sur le chantier.
Karine Foucher reprit :
― Mademoiselle Girault, c’est une enquête de Police. Je vous prierais de ne pas
m’interrompre. Monsieur Andréas, savez vous où se trouve Charles Delapierre ?
― Non, bien sûr que non. D’ailleurs, nous sommes tous inquiets de son absence.
― Vous travaillez vous aussi à la MMSH à Aix-en-Provence, je crois. Je vais devoir vous
interroger.
― Si vous voulez bien m’expliquer ce qui se passe…
Karine se tourna vers Audrey :

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Mademoiselle Girault, laissez-nous s’il vous plait. Puis se tournant vers Marc :
Monsieur Andréas, nous avons toutes les raisons de penser que Charles Delapierre a mis en
vente un trésor archéologique sur un site internet étranger. C’est un trafic international illicite
d’objets du patrimoine. C’est très grave. Et comme par hasard Monsieur Delapierre a disparu.
― Ecoutez Capitaine, c’est n’importe quoi ! Je connais Charles depuis vingt ans. C’est
probablement le meilleur archéologue que je connaisse, pas un pilleur. Il est incapable de faire
une chose pareille. Il s’agit d’une méprise. Il doit y avoir une explication. Pour le moment je
m’inquiète surtout de sa disparition. Ça ne lui ressemble pas du tout.
La plupart des fouilleurs étaient debout entre les deux marabouts et regardaient les
gendarmes inspecter les boites de mobilier archéologiques en écoutant, l’air complètement
éberlué, l’échange entre les archéologues et la policière. Certains se serraient les uns contre
les autres malgré la chaleur. Pour ces étudiants baignant dans une ambiance de chantier
archéologique, de fêtes et de la douceur des amours d’été, toute cette affaire était très
inattendue et probablement un peu traumatisante.
Karine s’adressa à Marc :
― Venez avec moi, nous allons trouver un coin d’ombre et essayer de démêler cette
affaire. Il fait toujours aussi chaud, dans cette région ?

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Le retour sur la Dent de Naïm et de ses guerriers, avec des bêtes et quelques pots de
céréales, avait été acclamé. Un parc avait aussitôt été aménagé pour les bêtes tandis que les
céréales étaient stockées pour de futures semailles. Un gros pot d’orge enthousiasma les
hommes. Deux d’entre eux mirent immédiatement les grains à tremper pour commencer la
fabrication de la bière.
Dans les jours qui suivirent, le petit village de la Dent commençait à prendre forme. Naïm
et un petit groupe de guerriers faisaient des trajets pour troquer avec les indigènes du bas
plateau qui les accueillaient toujours bien. La confiance s’installait entre les deux
communautés et les femmes étaient apparues lors des repas. Naïm avait ainsi pu trouver tout
ce qui leur faisait défaut dans ce pays bien loin de chez eux. Rencontre après rencontre, Naïm
apprenait aussi des rudiments de la langue de la côte.
Le moral revenait avec l’idée de séjourner quelques temps sur la Dent. Cette expédition
commençait à durer et il n’y avait encore aucune trace de la Montagne de cuivre et de la
montagne d’or qui reculaient toujours derrière l’horizon de leur imagination.
Mistra avait donc décidé une pause dans leur périple. Ce n’était pas un chef très loquace.
Il avait peu l’habitude d’haranguer les foules, mais un soir il convoqua tous les hommes. Il
leur expliqua que les montagnes de cuivre et d’or se trouvaient là, vers le froid, à quelques
distances encore et que la Dent constituerait leur base arrière pour de futures explorations.
Mais avant, ils devaient trouver des femmes et s’assurer un territoire. Il fut donc décidé que
Naïm et ses guerriers partiraient dès l’aube faire une grande reconnaissance des territoires
au-delà des collines et ramèneraient des femmes.
Ce soir là, les hommes galvanisés par la parole de leur chef se préparèrent à combattre.
Les lames de cuivre des poignards et des lances furent aiguisées, des flèches furent préparées
avec le silex local qu’ils avaient ramassé.
Au matin, vingt hommes affichant leurs plus belles parures de métal et chargés de leurs
armes remontaient le vallon en file indienne vers le sommet des collines. Naïm avait choisi de
reconnaitre la zone vers le levant et le chaud qu’ils n’avaient pas encore exploré.
Ils progressèrent à travers les collines et les vallons jusqu’au milieu du jour et atteignirent
les falaises qui se jetaient dans la mer. Vers le levant, une vaste baie avec en arrière des
collines et des falaises encore plus grandes, semblait densément peuplée. Ils ne pouvaient

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

progresser dans cette direction sans risquer d’affrontements difficiles. Naïm décida donc de
longer la côte vers le couchant afin de revenir vers la passe entrant dans la petite mer. Ils
suivirent les sommets afin d’observer les villages implantées dans les anses en contrebas. De
pauvres villages de pêcheurs.
A la fin du jour, ils aperçurent une ferme isolée à un petit col. Enfin autre chose que des
mangeurs de poissons, ils trouveraient peut-être des femmes moins faméliques. Ils avaient été
discrets et pouvaient observer la ferme et ses environs sans être remarqués. Il y avait deux
cabanes et une bergerie, probablement trois hommes et cinq femmes dont une trop vieille et
surtout des enfants, de tous âges et nombreux, qui couraient partout et constituaient pour eux
le plus grand danger d’être repérés. La nuit tombait lorsqu’un jeune garçon ramena un
troupeau de brebis vers la ferme. Naïm y vit l’occasion de s’en approcher en profitant du
bruit des bêtes et de l’occupation des chiens. Les hommes de Naïm, divisés en deux groupes,
pénétrèrent dans les deux cabanes simultanément. Le combat fut très bref, car les fermiers
étaient peu nombreux et pas formés au combat. Leurs corps sans vie furent rapidement
trainés hors des cabanes. Deux des femmes se bâtirent pour défendre leurs enfants et leurs
biens. La plus âgée fut égorgée devant les autres et l’autre qui devait avoir quinze ou seize
printemps et qui s’en était prise à Naïm lui-même fut assommée en un tournemain. Elle était
très jolie et totalement enragée, c’est pour ces deux raisons que Naïm lui avait laissé la vie. Il
ne le savait pas encore, mais vous avez compris : c’était sa future femme !
Naïm avaient envoyé des éclaireurs repérer les chemins depuis la colline qui dominait ce
petit col. Il connaissait maintenant le chemin du retour et pouvait rentrer de nuit. Avant de
partir il fit pendre les fermiers par les pieds aux arbres les plus proches et incendier les
cabanes. Il planta en terre une de leur lance à pointe de cuivre devant les cadavres
suspendus. Les indigènes sauraient qui ils étaient. Telles étaient les lois du peuple de Cuivre
et d’Or.
Il faisait nuit lorsque les guerriers repartirent emmenant avec eux les réserves de grain,
des rognons de silex de bonne qualité, un petit troupeau et surtout des femmes et des enfants.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Leiden, Pays-Bas, le 29 juillet, 15h30

Marike Paulsen s’ennuyait devant son écran. Par la fenêtre, elle voyait le ciel bleu pâle, à
peine voilé, et se dit que c’était un temps à aller se baigner. Voilà trois jours qu’elle pianotait
sur son clavier et passait de forums de discussions en sites d’enchères à la recherche d’objets
archéologiques découverts ou vendus de façon illicite. Une lubie de son patron. Ça lui avait
pris comme ça, d’un seul coup. Il l’avait contactée par téléphone pour lui annoncer la création
d’une cellule de veille internet contre les trafics archéologiques clandestins, dont elle serait la
cheville ouvrière. Marike avait une thèse de Doctorat à terminer, mais ce job d’assistante était
tombé à pic après le départ d’Adam, son petit ami qui l’avait laissé avec le loyer de leur grand
appartement à payer toute seule. Elle le savait bien que c’était trop cher pour eux, mais elle
n’imaginait pas qu’il la plaquerait pour une étudiante de deuxième année, une gamine. Cela
prouvait au moins que c’était un con et mieux valait que ce soit fini maintenant. En attendant,
elle pensait qu’assistante d’un prof d’archéologie, ce serait tranquille pendant les vacances
universitaires d’été. Qu’elle pourrait le prendre cool et se reposer un peu avant la rentrée, tout
en étant payée. La sonnerie du téléphone la rattrapa alors qu’elle commençait à somnoler.
― Oui ? Ah ! Monsieur le Professeur, c’est vous… Oui, j’ai bien transmis les informations
concernant le site russe au service français, comme vous me l’avez dit... Bien Monsieur le
Professeur. Euh, pardonnez-moi, quand revenez-vous à l’Université ? Pas avant la semaine
prochaine… Bien, Monsieur le Professeur. Je vous souhaite de bonnes vacances. Au Revoir
Monsieur le Professeur.
Décidément ce type était bizarre. C’était un grand archéologue très célèbre. Elle était
honorée de travailler avec lui. En plus, elle l’avait trouvé gentil au printemps, lorsqu’ils
avaient discuté de cet emploi, mais là, depuis quelques jours, elle ne l’avait eu qu’au
téléphone. Il était agité, peu patient avec elle, et n’avait fait que lui donner des ordres et la
rappeler pour vérifier qu’elle les avait bien suivis. Elle se croyait maintenant dans l’armée. Et
elle n’avait pas signé pour ça. Mais bon, elle n’avait pas vraiment le choix. Il y avait le loyer à
payer.
Dehors, un tourniquet arrosait la pelouse du minuscule parc. Marike en entendait le bruit
caractéristique et voyait le jet d’eau qu’elle imaginait d’une fraicheur délicieuse.
Marike se décida. Elle éteignit son ordinateur. Après tout le patron était en voyage et ne la
rappellerait sans doute pas d’ici le lendemain :

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Je peux bien prendre la fin d’après-midi pour aller me glisser dans l’eau.
La rue était baignée par le soleil d’été, les touristes butinaient de vitrines en vitrines en
tenues légères. Marike virevoltait. Elle était soulagée d’avoir quitté l’atmosphère lourde du
bureau. Elle aurait pu être complètement relâchée mais sentait que quelque chose s’était
passé. Son insouciance s’envola instantanément. Pourquoi le professeur ne venait-il plus au
bureau ? Pourquoi lui parlait-t-il de manière si sèche ? Peut-être se doutait-t-il de quelque
chose la concernant.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Forcalquier, France, le 29 juillet, 15h50

Marc était assis à la table, avec Karine Foucher, Raymond Joubert et Jacques Cassard du
Service Régional de l’Archéologie. Marc ne l’avait pas vu en arrivant. Il était en train de
suivre l’inspection des gendarmes.
Le SRA, comme on l’appelait vulgairement, dépendait du ministère de la Culture. Ceux
qui y travaillaient étaient censés gérer l’archéologie en région, délivrer les autorisations de
fouille, inspecter les différentes opérations et faire respecter les lois sur la protection du
patrimoine mais aujourd’hui ce service était essentiellement occupé à gérer l’archéologie
préventive, suivre les permis de construire et d’aménagement, établir des cahiers des charges
pour les appels d’offre archéologiques, ce qui représentait un boulot conséquent par rapport
au nombre d’agents. Jacques Cassard était arrivé récemment dans la région, au hasard d’une
mutation que Marc avait toujours trouvée suspecte. Il le connaissait mal mais nourrissait de
grands doutes sur son intégrité, depuis son arrivée. Ce gars là le mettait mal à l’aise.
Ils regardaient les photographies des objets présentés sur le site web.
Marc confirma :
― Oui, autant qu’on puisse en juger sur photos, il s’agit bien d’objets de parure et d’armes,
probablement en cuivre et en or qui peuvent dater du troisième millénaire avant notre ère.
Plusieurs de ces objets sont typologiquement connus en contexte campaniforme. Quant à leur
provenance, c’est autre chose. D’abord, je ne peux pas assurer qu’il s’agit d’originaux,
comme ça, sur photos. Et puis, je n’ai jamais vu autant d’objets métalliques campaniformes
en une fois. Et, il y a ici des types d’objets comme ces enroulements cylindriques que je ne
connais qu’en contexte atlantique, pas dans le Midi de la France. Si ces objets proviennent
d’un même ensemble c’est phénoménal !
Karine amena la conversation vers le sujet qui la préoccupait.
― Mais cette tombe que Charles Delapierre fouillait ici avant sa disparition, c’est bien une
tombe qui date de cette période, du Campaniforme ?
― Oui, mais rien ne dit que ces objets proviennent d’ici.
― Mademoiselle Girault nous a dit tout à l’heure que des objets avaient disparu de la
tombe, vous êtes au courant ?
― Euh, oui. C’est vrai. Il y a des empreintes d’objets autour de l’individu inhumé. Nous
avons cherché les objets correspondants dans le labo de fouille et n’avons rien trouvé, pas

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

plus que de notes de fouilles ou d’inventaires des objets d’ailleurs. Charles les a sans doute
emportées avec lui…
― Et avec les objets eux-mêmes, semble-t-il ! Plus exactement, j’observe qu’a priori seuls
les objets de métal, qui ont une valeur marchande, ont disparu. Les vases en poterie sont
encore dans la tombe si j’ai bien vu. Donc votre patron a disparu avec tous les objets
négociables et seulement cela. Vous ne trouvez pas cela suspect ?
― Mais nous avons observé l’empreinte de ce qui doit être une lame de poignard à côté du
crâne dans la tombe. Celui-ci n’apparait pas sur les photos…
― En fait, le texte qui accompagne ces photos précise qu’il ne s’agit que d’un échantillon
du trésor et non de la totalité.
Marc est interloqué.
― Vous voulez dire qu’il y aurait encore d’autres objets ?
― Beaucoup d’autres si j’en crois ce texte. 62 au total en cuivre et en or : un vrai trésor !
Marc resta interloqué.
Le Capitaine Raymond Joubert resté muet depuis le début de l’échange prit alors la parole :
― Excusez-moi Capitaine Foucher, mais comme je connais bien Monsieur Andréas, j’ai
l’impression qu’il n’ose pas vous dire que le mot « trésor » lui donne des boutons.
Marc rétorque :
― Vous avez tout à fait raison, Raymond. D’une manière générale, les archéologues
n’utilisent pas le terme de « trésor », sauf dans son sens premier qui ne concerne que
l’antiquité, c’est un bâtiment ou une pièce d’un sanctuaire qui contient les offrandes, comme
le trésor de Delphes. Nous préférons parler de dépôt. Le mot « Trésor » ce sont les
journalistes qui l’emploient et il a tendance à exciter la convoitise des pillards de tous poils.
Mais pour le moment ce n’est pas ce qui me préoccupe. Je suis très inquiet pour Charles...
Karine le coupe :
― Je vois que vous avez tous beaucoup de considération pour Charles Delapierre, mais
c’est bien de pillage dont nous parlons ici et de revente ! Le terme « trésor » est donc bien
employé. Tout ce que je constate moi, c’est que Monsieur Delapierre a fait une grosse
découverte, un trésor, et qu’il a disparu avec les objets…
Marc commençait à s’énerver :
― Allons, je ne peux pas vous laisser dire ça ! C’est n’importe quoi ! Charles n’est…
Mais il fut coupé par le Capitaine de Gendarmerie :
― Marc, calmez-vous mon vieux. Le Capitaine Foucher fait son métier. Et c’est vrai que
les preuves sont contre Charles, même si moi non plus je ne peux pas y croire. Ça fait bientôt

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De sang, de cuivre et d’or 

quinze ans que je le connais et je passe chaque année visiter sa fouille. Je suis sûr que c’est un
chercheur intègre.
Marc s’apprêta à répondre mais Jacques Cassard intervint alors d’une voix lente, douce
mais rapidement exaspérante :
― Monsieur Andréas, calmez vous. Je représente ici le Ministère. Notre Conservateur
Régional a décidé, depuis l’année dernière, de frapper un grand coup contre le pillage
archéologique. Tout le service est mobilisé pour faire respecter la loi du 27 septembre 1941
relative aux fouilles et celle du 18 décembre 1989 relative à l’usage des détecteurs de métaux.
Vous en avez entendu parler ?... Bon ! Nous sommes intervenus dans de nombreuses bourses
aux collections et autres foires aux minéraux et fossiles où nous avons pu verbaliser de très
nombreux détectoristes venus vendre du mobilier archéologique et surtout métallique et des
marchands vendant des objets acquis illégalement. Nous assurons aussi une surveillance des
forums de fouilleurs clandestins sur internet afin de remonter aux pilleurs qui sévissent dans
la région. Le procureur nous suit et plusieurs plaintes pour destruction de sites archéologiques
et usage de détecteur de métaux sont actuellement en cours d’instruction. Vous comprenez
bien que dans notre politique de tolérance zéro, nous devons évidemment balayer devant notre
porte et être d’une extrême sévérité avec les professionnels de l’archéologie qui enfreignent
les règles et les lois. Monsieur Delapierre sera un exemple de cette sévérité.
― Mais c’est du grand n’importe quoi ! Nous devrions nous inquiéter de la disparition de
Charles plutôt que de l’accuser sans aucune preuve. Et sa femme ? Vous avez pensé à sa
femme ? Elle doit se faire un sang d’encre ! Vous l’avez contacté ? Et puis merde ! Vous allez
aussi relâcher Stéphane, ce n’est pas un criminel, s’énerva encore Marc.
― Bien sûr, ne vous inquiétez pas. On l’a simplement mis au frais un moment… Enfin au
frais… Le temps qu’il se calme. Il a quand même essayé d’assommer un de mes gars avec une
grosse meule en pierre… intervint Joubert.
Karine rangea dans leur pochette les photographies étalées sur la table et se leva.
― Ecoutez, Monsieur Andréas, si vous vous calmez, voici ce que je vous propose. Je dois
me rendre au bureau de Charles Delapierre à Aix pour analyser l’ordinateur à partir duquel il
a mis en ligne ces photos. Venez avec moi, nous saurons si c’est effectivement son ordinateur
qui a servi ou s’il a été piraté. Et votre expertise me sera peut-être précieuse si nous avons
d’autres indices archéologiques. Retrouvons-nous demain matin à la Maison Méditerranéenne
des Sciences de l’Homme.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Forcalquier, France, le 29 juillet, 18h30

Karine Foucher était très redevable au capitaine Joubert de lui avoir laissé utiliser son
bureau à la gendarmerie de Forcalquier. L’espace était assez grand et le mobilier moderne et
fonctionnel. On sentait à la fois que c’était assez récent, que l’administration avait fait
quelques efforts. Et les plantes vertes qui trônaient en plusieurs endroits de la pièce
montraient que le capitaine Joubert était un homme délicat qui partageait son amour des
plantes.
Chose formidable : l’espace était climatisé. Son passage très rapide de Nanterre, ciel gris
24° maximum, à Forcalquier, plein soleil 35° minimum, avait été un peu rude. Elle se rendit
compte qu’elle commençait à sentir un peu la transpiration après ses heures sur le chantier de
fouilles. Elle sortit de son sac un stick déodorant.
En réfléchissant, elle regardait le grand écusson de la gendarmerie de Provence-Alpes-Côte
d’Azur, sur le mur, en se disant qu’il était plutôt moche avec son espèce d’aigle rouge avec
une crête sur la tête. Une faute de goût, mais ce blason n’était pas pire que celui de l’OCBC.
Elle devait très vite faire le point sur son enquête. Son enquête. Si elle cherchait à le
cacher, elle était en réalité excitée comme une puce. Le seul fait des quitter son bureau
parisien était un vrai bonheur, surtout pour descendre en Provence et encore plus pour se
lancer à la poursuite de trafiquants.
Le capitaine Joubert entra dans le bureau après avoir discrètement frappé deux coups à la
porte :
― Capitaine Foucher, voulez vous quelque chose à boire pour vous rafraichir ?
― Merci capitaine, j’ai toujours une bouteille d’eau avec moi. J’étais en train de faire le
point de notre affaire. Nous pouvons en parler un peu ? Tirez-vous une bûche !
― Pardon ? Ah oui, un siège, pardon.
Le Capitaine Joubert se laissa tomber dans l’un des sièges destinés aux visiteurs.
Karine le regarda faire :
― Excusez-moi, peut-être que vous voulez votre place ?
― Non, cela ira très bien. Allez-y, commencez.
― Alors, comme je vous le disais ce matin, une annonce de vente d’objets archéologiques
provenant de Provence a été mise en ligne sur internet il y a déjà plusieurs jours.
― La date de mise en ligne de cette annonce est-elle connue ?

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De sang, de cuivre et d’or 

― Non, pas encore, mais mes collègues du service informatique tentent de préciser ça.
Ensuite, on sait que cette annonce a été faite à partir de l’ordinateur de l’archéologue Charles
Delapierre à Aix-en-Provence. Ce même Charles Delapierre qui a disparu de la fouille qu’il
dirigeait depuis le 25 ou le 26 juillet. Là encore, on manque de précision sur la date. Quoi
qu’il en soit, il semble évident que ces évènements sont liés et que Charles Delapierre est
notre suspect numéro un.
― Ecoutez Capitaine, comme je vous l’ai déjà dit, je ne peux pas imaginer Charles en
voleur et en trafiquant…
― Allons Capitaine, vous avez sans doute vu des choses plus surprenantes dans votre
carrière ? Non ?
― Excusez-moi… Vous êtes bien jeune pour me faire une remarque pareille mais vous
avez raison. J’en ai déjà arrêtés qui avait l’air plus innocent.
― C’est moi qui m’excuse Capitaine, je ne voulais pas vous vexer ou remettre en cause
vos compétences. Je suis parfois maladroite, mais vous devez rester objectif. Delapierre est le
suspect numéro un mais, il y en a d’autres. Les assistants en particuliers !
― Les assistants ? Vous voulez dire Stéphane et Marc ?
― Oui !
Elle regarda ses notes, puis reprit :
― Je veux bien dire monsieur Stéphane Rollin et monsieur Marc Andréas. Justement
parce le premier est son assistant et le second l’a été. Vous savez : dépasser le maître, tuer le
père etc. Des histoires vieilles comme le monde. Et puis je vous rappelle que Stéphane Rollin
a eu un comportement particulièrement… Comment dirais-je ? Particulier… Pourquoi était-il
si nerveux ? Il cache sans doute des choses. Reste à savoir quoi. Concernant Marc Andréas, il
rapplique ventre à terre à Forcalquier alors qu’il est occupé ailleurs et qu’il est déjà venu il y a
deux jours… Pourquoi ? S’inquiète-t-il vraiment pour Delapierre ou veut-il suivre l’avancée
de l’enquête ? Celui-ci, de toute façon, je vais l’avoir à l’œil…
― Mais c’est bien vous qui lui avez demandé de venir à Aix demain pour suivre
l’enquête ?
― Justement ! J’ai fait exprès… Demain matin : l’examen de l’ordinateur de Delapierre
nous dira tout ce que nous avons besoin de savoir et la réaction de Marc Andréas nous
racontera le reste.

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Aix-en-Provence, France, le 29 juillet, 22h40

Le grand appartement était plongé dans la pénombre. Le mobilier ultramoderne supportait


de nombreux objets anciens. Des objets d’artisanat, des vases de céramique, des sculptures de
bronze et des masques de bois venant de tous les continents donnaient à la pièce des airs de
musée. Mais, Marc le rappelait souvent, il ne s’agissait que d’objets récents et non pas
d’antiquités. Il n’était pas un pilleur.
Marc termina son verre de Lagavulin en culpabilisant un peu d’avoir abandonné Audrey et
Stéphane à Forcalquier. Audrey n’était pas belle à voir. Elle avait mal vécu l’arrivée de la
maréchaussée, la perquisition du chantier, tout ça. Stéphane, c’était pire. Depuis que les
gendarmes l’avaient laissé ressortir de la camionnette, il n’avait plus rien dit. Il avait l’air
sonné. Il avait quand même eu de la chance que le gendarme qui avait failli prendre une
meule sur le crâne n’ait pas porté plainte. Joubert l’en avait sans doute dissuadé. C’était un
brave type. Et puis, la fouille devait continuer. C’est ce qu’aurait voulu Charles. Et ce qu’il
aurait fait.
Au-delà de la baie vitrée, la petite ville d’Aix-en-Provence s’apprêtait pour une longue
nuit, ses illuminations, ses touristes nocturnes et ses innombrables bruits : claquements,
sirènes, cris, klaxons, brouhaha et en fond le flot de la circulation. C’était toujours très étrange
de retrouver le monde urbain après quelques semaines passées en montagne ou simplement au
sommet de l’éperon de Forcalquier.
Marc avait de nouveau tenté, en vain, de joindre Charles sur son mobile à plusieurs
reprises. Il tombait directement sur la messagerie ce qui indiquait que le portable était coupé
ou qu’il était dans une zone non couverte par le réseau. Il ne comprenait toujours pas ce qui
avait pu se passer et il était maintenant vraiment préoccupé.
Cette inquiétude l’empêchait d’analyser posément les éléments dont il disposait pour
comprendre cette histoire. Les archéologues avaient coutume de comparer l’étude
archéologique à une enquête policière, mais finalement rien ne les préparait vraiment à se
retrouver dans une véritable enquête.
Peut-être allaient-ils tout simplement retrouver Charles à son bureau demain matin, et qu’il
aurait une bonne explication pour cette histoire de trésor et de site web. Marc y croyait de
moins en moins. Il commençait à penser qu’il avait dû lui arriver quelque chose. Peut-être
avait-t-il été enlevé par des pillards qui lui avaient volé les objets et tentaient maintenant de

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De sang, de cuivre et d’or 

les vendre ? Mais pourquoi dans ce cas utiliser l’ordinateur du bureau de Charles ? Il pensait
aussi à un complot pour faire tomber le chercheur. Qui aurait intérêt à l’éliminer, du moins à
le griller auprès de la communauté scientifique ? Il avait beau se triturer les méninges, il ne
voyait pas quel esprit tordu pourrait commettre ce genre d’actes pour des gobelets datant de la
préhistoire. Quand bien même ces objets avaient une valeur indéniable. On n’était pas dans un
film d’espionnage quand même.
Il se leva, posa son verre sas vraiment y prêter attention sur la surface parfaite du Steinway
modèle B qui occupait le centre de la pièce attrapa son téléphone pour appeler Sonia Rolland,
la secrétaire de son laboratoire :
― Allo, Sonia ?
― Qu’est ce que c’est ? Qui c’est ?
Marc distingua une pointe de sommeil derrière l’accent marseillais de Sonia. Il regarda sa
grosse montre de plongée dont les aiguilles luminescentes marquaient 22h54 et sentit
immédiatement qu’il allait se faire engueuler.
― C’est Marc Andréas, je ne te dérange pas ?
― Mais tu es complètement taré mon pauvre ! Tu sais qu’elle heure il est ? Il est 11 heures
du soir… Je te rappelle que je ne suis plus secrétaire de labo après 17h30, moi ! Et je me
couche à une heure honnête, pas comme les chapacans dans ton genre qui courent les petites
étudiantes dans les boites de nuit…
Marc ne voulait pas s’engager sur ce terrain. Sonia aimait bien le provoquer et c’était
devenu une sorte de jeu entre eux. Mais il avait d’autres préoccupations pour le moment.
― Excuse-moi Sonia, je suis désolé, je n’ai pas fait attention à l’heure. En fait, je suis très
inquiet. Est-ce que tu as vu Charles au labo, ces trois derniers jours ?
― Non, pas vu. Il est en fouilles à Forcalquier, je crois, jusqu’au 15 août. C’est déjà ce que
j’ai dit à la Police qui m’a appelé ce matin. Mais bon, comme je leur ai dit, ça ne veut pas dire
qu’il n’est pas passé. Moi, ce qui se passe entre 17h30 et 9h00 le matin… je sais pas, parce
que quand on me téléphone pas à n’importe quelle heure, moi la nuit, je dors, hein ? Mais, il
est sans doute passé puisqu’il a vidé son casier à courrier. Comme il n’était pas venu depuis
début juillet, ça commençait à déborder.
― Tu peux me dire quand tu as remarqué qu’il avait pris son courrier ?
― Oui, la policière m’a posé la même question. Ça devait être entre le 25 à 17h et le 26 au
matin. Mais je ne l’ai pas vu.
― Bon, merci Sonia, tu es un amour. Et encore désolé de t’avoir dérangée si tard.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Ça va pour cette fois, mon beau ! De toute façon, je pars en vacances dans deux jours,
tu ne m’enlèveras pas ma bonne humeur ! Allez, retourne courser les gamines et ne t’en fais
pas trop pour Charles, c’est un grand garçon, lui…
Marc reposa son mobile sur la table basse.
Charles serait donc bien passé à son bureau dans les derniers jours, au moment où, selon la
fliquette de l’OCBC, les fameuses pages web ont été mises en ligne. Merde ! C’est pas bon
ça. Marc comprit pourquoi elle suspectait son vieil ami.
Marc s’assit dans son canapé. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Elle faisait son boulot et tout
accablait Charles. En plus, cette jeune policière était plutôt jolie dans son genre. Dans d’autres
circonstances, il l’aurait bien draguée un peu. Juste pour voir.
Mais Marc était toujours préoccupé. Pourquoi Charles ne répondait-il pas au téléphone et
ne donnait-t-il pas de nouvelles, ni à lui ni à son épouse ?
Il reprit son téléphone. Il était prêt à raccrocher quand Jeanne répondit à la cinquième
sonnerie.
― Jeanne ?
― Marc ? C’est toi ? Je n’ai toujours pas eu de nouvelles, tu sais ? Et toi ?
Marc hésita. Il sentait le désarroi de la pauvre femme. Il aurait voulu la réconforter mais ne
parvint pas à trouver les bons mots.
― Rien de mon côté.
Elle continua d’une voix chevrotante :
― La police est venue me voir. Oh Marc ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de
pillage ? Ils disent que mon Charles, il aurait revendu des objets sur internet. Je ne peux pas y
croire. Dis le leur aussi, tu le connais bien, toi !
― Je le leur en ai parlé aussi. Charles doit être tombé dans un piège. Il n’est pas un pillard.
― Où est-il, Marc ?
Quand il raccrocha, il se sentait coupable. Il n’avait pas réussi à redonner espoir à Jeanne.
Il devait tout tenter pour le retrouver et puis défendre son honneur aussi. Si Charles avait été
contraint de faire des choses illégales, car il ne pouvait pas penser à autre chose, il ferait tout
pour prouver son innocence. Le mieux pour le moment était de rester proche de la fliquette
afin de suivre l’enquête au plus près.
Il se rendit ensuite dans son bureau et après s’être connecté à Internet, il envoya un
message électronique à la Présidente de l’association « Archéologie et Gobelets ». Après tout,
il disposait d’un réseau de collègues à l’échelle européenne. À l’origine, un petit groupe
d’étudiants français et suisses qui travaillaient sur le phénomène campaniforme, fondé en

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De sang, de cuivre et d’or 

association au milieu des années 90 et qui rassemblait aujourd’hui plusieurs centaines de


chercheurs et étudiants à travers l’Europe et l’Afrique du nord. Quelqu’un avait peut-être eu
des nouvelles de Charles.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Il y a environ 4500 ans

L’arrivée du convoi à la Dent, au beau milieu de la nuit, fut une nouvelle fois acclamé tant
par les hommes restés au village que par les guerriers de retour eux-mêmes. La mission était
un succès total. Ils ramenaient des vivres à profusion, des femmes, et des enfants comme
esclaves. Il était toujours important de conserver les enfants en vie, à la fois comme main
d’œuvre et parce que les femmes se tenaient ainsi plus tranquilles.
Le vieux Gabor fit taire les hommes qui criaient et organisa une prière pour remercier les
Dieux de cette manne.
Au fond de la nuit, les hommes s’enivrèrent avec la bière rapportée de la ferme et
chantèrent leurs exploits, pendant que certains allaient forcer les femmes.
Mistra, a l’écart, regardait d’un mauvais œil la montée en puissance de Naïm au sein des
hommes de l’expédition. Il avait voulu emmener un jeune guerrier valeureux mais il aurait
préféré quelqu’un de plus malléable et fidèle à ses ordres comme Sij, mais Gabor avait
imposé Naïm. Seul les Dieux et lui-même savaient pourquoi. Pour le moment Naïm semblait
fidèle, mais depuis quelques temps, il discutait les ordres et c’est son insistance qui avait
contraint Mistra à décider cette implantation sur la Dent. Lui, aurait poursuivi leur quête,
sans s’arrêter. Mais les hommes grognaient derrière Naïm et il voulait retarder la
confrontation qu’il savait maintenant inéluctable.
Dans les jours qui suivirent, une nouvelle cabane fut construite pour les esclaves. Comme
la saison était favorable, on dégagea un peu d’espace au pied de la Dent pour y implanter un
champ. Les femmes se mirent au travail sous les coups et les menaces pour leurs enfants et
furent bientôt dociles. Elles fabriquaient les poteries et Gabor assis à côté d’elles leur
apprenait les traditions du peuple de Cuivre et d’Or à petits coups de bâton. Bientôt de beaux
gobelets, décorés comme il se doit, purent attendre que la nouvelle bière soit prête.
La future femme de Naïm était la moins docile. Certains disent que c’est ce qui lui a plu.
Elle s’appelait Mina et, si elle était très belle, n’avait jamais connu d’homme ; ce qui était
probablement dû à son caractère de sanglier. Elle refusait souvent les ordres et prenait en
conséquence de méchants coups de bâton de la part de Gabor. Naïm venait parfois la
regarder et certains parmi les hommes avaient déjà bien compris ce qui se passait. Un jour
elle jeta un pot à la tête d’un guerrier et celui-ci la rossa si bien qu’elle resta couchée tout le
jour. Lorsque Naïm l’apprit, il vint la trouver dans la cabane et la porta dehors, inconsciente,

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De sang, de cuivre et d’or 

dans ses bras. Devant ses guerriers réunis, il l’appela Naïma et la conduisit à sa paillasse
avant de faire comprendre à une des femmes de la soigner de veiller sur elle.
Mistra fut irrité de voir que Naïm prenait femme sans suivre les coutumes, mais il fut plus
irrité encore de voir le vieux Gabor se contenter de hocher la tête en souriant. Il pensa que
Naïm avait raison sur un point : le vieux Gabor devenait sénile. Et le fait de penser que Naïm
avait raison l’irrita encore plus.
Il était grand temps d’éloigner ce jeune loup et de toute façon, le village était maintenant
totalement opérationnel et leur quête devait reprendre. Il fallait envoyer des hommes vers le
froid. Vers les montagnes qu’ils apercevaient du sommet de la Dent les jours de vent fort.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Forcalquier, le 30 juillet, 7h07

La tente plantée sous les chênes était baignée d’un soleil matinal déjà chaud. Stéphane
Rollin fut réveillé par une goutte de transpiration qui coulait dans son dos, le chatouillant
désagréablement. Il prit conscience de la chaleur déjà étouffante. Marie, jeune et jolie
étudiante, était lovée contre lui et dormait encore profondément. Il sourit en observant son
visage, et déplaça le bras de la jeune fille afin de repousser le sac de couchage dont ils
s’étaient couverts dans la fraicheur du petit matin. Il regardait ses seins qu’il avait si souvent
reluqués discrètement sur la fouille et qu’il pouvait enfin contempler à loisir. Il rejeta
complètement le sac de couchage et Marie se retourna dans son sommeil, lui présentant
maintenant ses fesses. Il les regarda un moment et sentit une érection le gagner. Audrey devait
avoir raison finalement, il n’était qu’un pervers, mais un pervers heureux ce matin. Il se fit
violence pour ne pas reprendre la jeune fille dans ses bras. Il était sans doute largement temps
de réveiller tout le monde et d’aller travailler. Il devait être encore une fois en retard.
A tâtons, Stéphane trouva sa montre jetée la veille derrière son oreiller. Il était 7h10. Son
réveil n’avait pas sonné. Et tout lui revint en un instant, achevant de le réveiller : Charles, la
police… C’est pour cela qu’il avait décalé l’heure du réveil. Après le chambardement de la
veille, les fouilleurs n’étaient pas très motivés et Stéphane avait décrété une journée de congés
pour tout le monde, le temps de remettre de l’ordre au camp après la fouille effectuée par les
gendarmes et le temps d’en savoir plus sur cette affaire.
Il se glissa silencieusement hors de la tente, nu, un slip et un t-shirt à la main. Il s’habilla
rapidement et enfila ses espadrilles en veillant à ne pas poser le pied sur un des petits kermès
particulièrement piquants qui environnaient la tente.
Les caisses et boites de mobiliers archéologiques s’amoncelaient toujours devant la grande
tente-laboratoire, telles que les avaient laissé les gendarmes. Stéphane soupira. Les gendarmes
l’avaient gardé jusqu’en début de soirée et lui avaient posé des tas de questions avec la
policières et cet énorme connard du SRA qui se prenait lui aussi pour un flic. Après cette
horrible journée, Stéphane n’avait pas eu le courage de se mettre au rangement, ni d’obliger
l’équipe à le faire. La plupart des fouilleurs avaient semblé choqués par l’irruption de la
police sur le chantier et cela dépassait nettement les préoccupations d’Ahmed et Marie qui
avaient disparu quelques minutes discrètement, sans doute pour enterrer leur petite réserve de
cannabis. Stéphane avait trouvé l’interrogatoire des gendarmes très éprouvant. Ils avaient

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De sang, de cuivre et d’or 

d’abord interrogé tous les fouilleurs, pendant que lui-même était enfermé dans la camionnette
en plein soleil. Bon, d’accord, il n’aurait pas dû s’en prendre à ce gendarme, mais il avait
craqué. Lorsqu’ils étaient venus le sortir de la camionnette, il était bien cuit et n’avait pu
contester ce qu’ils avaient de toute façon découvert. Les fouilleurs avaient bien sûr rapporté
aux gendarmes les engueulades dantesques qui émaillaient les journées de Charles et
Stéphane. Il n’avait pas bien su leur expliquer que c’était normal entre eux. Marc qui avait été
l’assistant de Charles avant lui aurait pu leur dire, mais il était déjà reparti du chantier. Il
s’était senti suspecté et avait tenté de comprendre les scénarios imaginés par les enquêteurs.
Si Charles n’était pas un pilleur et n’avait pas disparu avec les objets archéologiques alors
c’est que quelqu’un d’autre l’avait fait disparaitre ainsi que le « trésor ». Stéphane, l’assistant
qui s’engueulait sans cesse avec lui était un coupable tout désigné.
En réalité, Audrey avait elle-aussi été longuement interrogée et a priori suspectée, mais
lorsqu’ils en avaient parlé ensemble ensuite, après le départ des gendarmes et de la policière,
ils s’étaient accordé sur le fait que ces derniers penchaient toujours pour l’hypothèse
totalement stupide de Charles pilleur et trafiquant d’antiquités. D’ailleurs aucun d’eux n’avait
été arrêté et le Capitaine Raymond Joubert leur avait seulement demandé de ne pas quitter
Forcalquier pour le moment.
Stéphane se retourna vers la tente en pensant à Marie. Il savait qu’il n’aurait pas dû
coucher avec elle. Son statut de responsable effectif de l’opération, même en présence de
Charles qui ne s’occupait plus de la fouille et des fouilleurs, lui interdisait ce genre de
comportement. C’était juste bon à créer des jalousies, des comportements de coq et
finalement à planter la merde dans le groupe. Mais la veille, il n’était plus lui-même. Lui-
aussi avait été bien remué. Même il pouvait se l’avouer, il avait eu peur et la petite Marie
encore plus. Ils ne pouvaient pas dormir, s’étaient retrouvés tard autour de la table commune,
seuls, et cela s’était transformé en gros câlin. Ils avaient grandement besoin de se faire du
bien. Mais maintenant Stéphane ne voyait plus les choses de la même façon. Il fallait
reprendre les choses en mains avant que tout le parte en couille. Il fallait que Marie quitte sa
tente avant le réveil des autres et que cela reste leur secret. Il fallait faire disparaitre les traces
de la fouille des gendarmes et reprendre le travail au plus vite afin de normaliser les choses. Il
avait aussi quelques déplacements indispensables à organiser dans les prochains jours. Tant
pis pour le Capitaine Joubert. Il laisserait Audrey diriger la fouille en son absence.
Stéphane se dirigea vers leur « espace cuisine » pour faire du café afin de réveiller Marie
en douceur, mais rapidement avant qu’Audrey ne se lève, sinon il n’avait pas fini d’en
entendre parler.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Lisbonne, Portugal, le 30 juillet, 9h00

L’homme était arrivé à Lisbonne la veille, après un trajet volontairement compliqué. De


Toulouse, il était allé à Narbonne en train, puis à Barcelone en voiture afin de passer la
frontière discrètement puis jusqu’à Madrid en train. Il y avait séjourné une journée et une nuit
comme un touriste puis avait loué une voiture puissante et rejoint Lisbonne en moins de 5
heures.
Après une nuit passée dans une pension miteuse mais discrète et payée en espèces, il
arrivait à pied sur la grande esplanade de l’Université. Il s’agissait d’une grande place de la
taille d’un stade de football au gazon rare et jaunâtre. D’immenses lampadaires accentuaient
cette impression de terrain de sport. L’esplanade était entourée de bâtiments hétéroclites
reflétant sans doute trente ou quarante ans de développement du pôle universitaire et de
quelques arbres semblant souffrir de la chaleur eux aussi. Les voitures étaient relativement
nombreuses malgré les vacances universitaires. Il regarda les colonnades beiges qui
précédaient les entrées monumentales des bâtiments, les façades de pierre blanches qui
réverbéraient déjà un soleil de plomb, les sculptures et les bas-reliefs sur les murs. Certaines
façades avaient été recouvertes de quelque chose qui voulait sans doute rappeler des azulejos
en bleu et blanc, mais modernes. Décidément cette architecture était très prétentieuse, surtout
à l’aune de la qualité des chercheurs de ces régions ! Des graffitis, peints à la bombe,
recouvraient une partie des murs à hauteur d’homme. Mais ce n’était pas ce qui le préoccupait
pour le moment.
Il s’approcha du bâtiment qui abritait le Centre d’Archéologie. Il se dirigea vers une cabine
téléphonique qu’il avait repérée. Elle était bien évidemment détruite, le combiné avait disparu.
Poursuivant son chemin, il finit par trouver une cabine en état de marche. Celle-ci dégageait
une très forte odeur nauséabonde et devait régulièrement servir d’urinoir aux étudiants
noctambules, mais l’homme ne pouvait pas utiliser son propre téléphone et les vitres de la
cabine téléphonique toutes cassées rendaient l’atmosphère presque supportable à condition de
respirer par la bouche. Il appela le secrétariat du Centre d’Archéologie, dont il avait
soigneusement noté le numéro sur son petit carnet. Il s’adressa à son interlocutrice dans un
portugais approximatif :
― Bonjour Madame, je vouloir parler à Professeur Vitor Figueiras. Vous plait-il ?

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De sang, de cuivre et d’or 

― Désolée, cher Monsieur, le Professeur Figueiras n’est pas à son bureau en ce moment. Il
se trouve en mission sur le terrain jusqu’à la fin août. Je ne suis pas autorisée à communiquer
les numéros de téléphone privés des enseignants. Souhaitez-vous lui laisser un message ?
― Non, non.
Et il raccrocha, sans un mot de plus.
Un contretemps. Mais finalement ce n’était pas si mal. Ce serait plus facile à faire sur un
chantier de fouilles en pleine campagne. Figueiras devait être sur le site de Zambujal. Ce
n’était pas si loin, une cinquantaine de kilomètres dans son souvenir. Il lui fallait donc louer
une nouvelle voiture et se procurer une paire de jumelles pour établir une surveillance. Il ne
pouvait pas se rendre simplement sur le site, Figueiras devait avoir une équipe de fouilleurs
avec lui. Mais le problème Figueiras serait bientôt réglé. Puis il aurait encore un dernier cas à
traiter, en espérant que la police française fasse bien son travail, comme il l’avait prévu… Que
de temps perdu pour un homme comme lui. Mais enfin, si tout se passait bien, il serait rentré
chez lui dans deux ou trois jours et toute cette histoire serait terminée.

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Aix-en-Provence, France, le 30 juillet, 9h15

La MMSH, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, qui dépendait de


l’Université de Provence, avait curieusement été implantée au milieu des HLM d’Aix Ouest,
au Jas de Bouffan, bien loin du grand paquebot de la fac de lettres et sciences humaines situé
presque à l’autre bout de la ville. Super pratique pour les étudiants ! Marc trouvait toujours
incongru, au milieu des immeubles plutôt laids, cette grosse maison blanche et bois aux lignes
pures qui lui évoquait, sans qu’il sache vraiment pourquoi, une villa de l’antiquité. Il y avait
pourtant peu de chance que les villas antiques aient ressemblé à ce massif bâtiment aux portes
de verre monumentales.
C’était quand même une belle idée, ce regroupement de laboratoires d’archéologues,
d’historiens, d’ethnologues et de sociologues ayant en commun d’étudier le monde
méditerranéen. Marc était toujours un peu fier d’y travailler.
Il faisait déjà atrocement chaud, bien plus que dans les Alpes, et lorsque Marc arriva dans
le hall, il trouva un peu d’ombre fraiche qui arrivait des portes ouvertes sur le patio et ses jeux
d’eau. Un autre aspect sympa de la maison. Il passa par la loge d’accueil pour inscrire son
heure d’arrivée. Roger, le maître-chien qui assurait le gardiennage de la maison pendant les
vacances, leva la tête de son éternelle lecture : L’Equipe.
― Tiens salut Monsieur Marc, je croyais que tu faisais des « foufouilles » dans les
montagnes. Tu sais qu’il se passe des choses ici ? On a des policiers qui sont arrivés tôt ce
matin, il a fallu que je leur ouvre le bureau de Delapierre. Ils sont encore là. J’ai été jeté un
œil, toute à l’heure. Pas discrets. Font un raffut. Tu sais de quoi il s’agit ? C’est pas grave ? Il
lui est rien arrivé au moins ? Elle a pas voulu me parler, la flic en chef…
― Salut Roger. J’ai pas le temps de t’expliquer, j’ai justement rendez-vous avec elle. J’y
vais. À bientôt.
Marc s’éloigna rapidement du plus gros bavard de la région aixoise et monta l’escalier
pour rejoindre le laboratoire de Préhistoire au premier étage.
Le bureau de Charles était ouvert. À l’intérieur régnait un désordre indescriptible. Marc
remarqua malgré tout que les bibliothèques avaient été vidées de leur contenu et que tout était
plus ou moins empilé au sol : livres, papiers… Habituellement le bureau de Charles était
méticuleusement rangé. Un bureau fonctionnel, avec des meubles métalliques gris-bleutés,
qui ne servait presque que lorsque Charles avait des personnes à recevoir. Il venait peu à son

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De sang, de cuivre et d’or 

bureau et travaillait d’ordinaire chez lui dans une aile de sa villa qu’il avait converti en
bureau-bibliothèque et même une partie laboratoire très confortable avec du bois, du cuir – ce
que Marc rêvait de pouvoir faire, lui-aussi, un jour. Plusieurs policiers en tenue s’affairaient,
sans qu’il puisse comprendre ce qu’ils faisaient exactement. Karine Foucher était assise au
bureau de Charles, devant le très grand écran d’ordinateur, souris en main.
― Bonjour Monsieur Andréas, entrez !
― Mais que s’est-il passé ici ? Le bureau a été cambriolé ?
― Euh, non ! C’est une fouille de routine. Au cas où les objets seraient cachés quelque
part. Mais le plus intéressant se trouve dans cet ordinateur. Et, je crois que j’ai demandé de
l’aide au commissariat d’Aix pour rien. Les objets ne sont pas ici.
Marc vit Jacques Cassard, devant l’une des bibliothèques, les mains croisées dans le dos
qui semblait lire les titres sur les tranches des livres. Le vautour était toujours là… D’une
immobilité effrayante, il ne semblait pas s’être rendu compte de l’arrivée de Marc, ou alors il
le snobait ostensiblement.
Marc se baissa pour ramasser un gros livre relié ouvert sur le sol :
― Et vous imaginez que les objets ont pu être cachés dans cet ouvrage de Déchelette qui
date de 1908 ? Vous pourriez avoir un peu de respect pour les livres tout de même !
Karine lui sourit. Elle avait l’air de fort bonne humeur et cela déplaisait à Marc. Le cas de
Charles ne devait pas s’arranger.
― Oh, vous devriez le savoir Monsieur le gauchiste ! La Police et les livres… A part le
code de procédure…
― Excusez-moi, mais j’ai horreur qu’on abime des livres. Dites-moi que vous pouvez
disculper Charles de toute cette affaire.
― Hélas non, Monsieur Andréas, c’est même tout le contraire. La mémoire de son
ordinateur nous indique très clairement que c’est d’ici que la page web de vente du trésor a été
mise sur internet. Et je viens de trouver quelque chose de très intéressant dans l’agenda en
ligne de votre collègue. Regardez !
Marc contourna le bureau et regarda la page affichée. A la date du 31 juillet, il était indiqué
un rendez-vous à 9h00 : « Arcadi, Gd hôtel via Veneto ».
― Et regardez ce fichier qui se trouvait sur le bureau de l’ordinateur.
Elle ouvrit un document Word. Une liste en colonne : Saroyan : 50000, Toutankhamon :
70000, Albert : 35000, Arcadi : 100000.
Marc s’interrogea tout haut :
― Des noms et des chiffres ? Vous pensez que ce sont les enchères pour les objets ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Ça m’en a tout l’air. Mais avec Toutankhamon au milieu, je suppose que ce sont les
pseudos des enchérisseurs, pas de vrais noms.
― Vous êtes perspicace vous, comme flic !
Karine ne répondit pas à la provocation et poursuivit :
― Ce qui m’interpelle ce sont les sommes. Si ce sont des euros, c’est monstrueux.
― Vous savez, pour des collectionneurs pathologiques, il n’y a pas de limites lorsqu’ils
veulent acquérir l’objet qui leur manque. C’est un vrai problème pour les archéologues et
aussi pour les musées, pour enrichir leurs collections lors des ventes, sans droit de
préemption, la plupart des grandes œuvres échapperaient aux collections publiques.
― Je sais bien tout cela, mais ici, il ne s’agit que de quelques babioles préhistoriques.
― Ces babioles comme vous dites constituent un ensemble absolument inédit de cuivre et
d’or campaniformes à ma connaissance. Et elles ont dans les 4500 ans d’âge !
― Vous avez raison. Excusez-moi. Je ne veux pas dénigrer votre sujet de recherche. Bon,
il semble que ce soit cet Arcadi qui remporte l’enchère et le rendez-vous est fixé à demain
matin. J’ai déjà fait une petite recherche sur internet, le Grand Hôtel Via Veneto se trouve à
Rome, en Italie. Comme j’aurais toujours besoin d’un expert si on retrouve les objets, vous
m’accompagnez.
― Mais je…
― Il n’y a pas de « mais ». C’est l’OCBC qui paye les billets, j’ai déjà l’accord de ma
hiérarchie. Il ne reste qu’à nous trouver un vol et un hôtel un peu plus cheap car vus les prix
pratiqués par celui de votre collègue Charles Delapierre, aucune chance d’obtenir une prise en
charge par l’administration.
En sortant du bureau de Charles, Marc se fit attraper le bras. C’était Sonia, la secrétaire.
― Marc, hier soir… j’ai oublié de te dire. Henri Bard, ton collègue pétrographe de
Toulouse, il a eu un accident. Il est décédé il y a trois ou quatre jours.
― Mais comment ? Qu’est ce qui s’est passé ?
― Je n’ai pas de détail. Je crois que c’est un accident de la route. Le truc bête…
Marc en resta sans voix. Il y avait des périodes comme ça. Charles disparu, Henri décédé.
Karine sortit du bureau à son tour :
― Voilà, rendez-vous à l’aéroport de Marignane vers midi. En attendant je dois faire un
rapport à mon Commandant. Nous avons un vol Air France 5453 à 13h15, avec un
changement à Bordeaux, nous serons à Rome à 16h45. Logique des transports aériens, si vous
avez l’impression de partir dans le sens opposé de votre destination, ne vous inquiétez pas,
c’est qu’on soigne votre coût carbone !

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De sang, de cuivre et d’or 

Marc la fixait puis sembla la reconnaitre :


― Excusez moi, je n’ai pas tout compris, je viens d’apprendre le décès d’un ami.
― En rapport avec notre affaire ?
― Non, non. Un collègue qui a eu un accident à Toulouse.
― Je suis désolée. Je vais demander aux gars de remettre un peu d’ordre dans le bureau.
On se retrouve à Marignane à midi, ok ?
Avec sa lenteur coutumière, Jacques Cassard apparut dans la porte du bureau de Charles :
― Capitaine Foucher, tenez-moi au courant heure par heure de vos investigations. Je
compte sur une parfaite coopération entre services de l’Etat et j’espère que nous pourrons
coincer cette brebis galeuse dans les meilleurs délais.
― Bien sûr, bien sûr. Karine se tourna vers Marc et chuchota :
― Compte là-dessus ! C’est un vrai abruti, votre collègue là ?
Marc répondit un peu plus fort, juste suffisamment pour être entendu :
― Ce n’est pas mon collègue…

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Quelque part au-dessus de la tyrrhénienne, le 30 juillet, 16h00

Marc était coincé, comme d’habitude. Il n’était ni particulièrement gros, ni


particulièrement grand, quatre-vingt dix kilos pour un mètre quatre-vingt, mais chaque fois
qu’il prenait l’avion il pensait à ces camions chargés de moutons ou de porcs qu’il croisait
parfois sur la route. Il détestait ces autobus des airs, leurs sièges durs et leur ceinture.
Karine, qui semblait beaucoup plus à l’aise sur le fauteuil voisin, était plongée dans la
lecture d’un dossier. Décidément elle était jolie pour une fliquette. Il l’imagina en uniforme et
ne put s’empêcher de sourire.
Karine qui avait senti son regard, se tourna vers lui :
― Qu’y a-t-il ?
― Heu… non rien, je me disais que cela faisait longtemps que je n’étais pas allé à Rome.
Vous connaissez ?
― Non, jamais eu l’occasion d’aller en Italie. Mais nous aurons un guide, j’ai demandé de
l’aide aux collègues italiens. Un Lieutenant-colonel des Carabiniers devrait nous attendre à
Fiumicino : Raffaele Nistri du Comando Carabinieri Tutela Patrimonio Culturale.
― Vous êtes une femme très organisée, Capitaine.
― Pas du tout en réalité ! Vous verriez mon appartement… Mais dans le travail, bien-sûr.
L’OCBC a nécessairement des contacts avec les services des autres pays.
Karine laissa passer un moment puis reprit :
― Pendant que nous sommes coincés dans cet avion, si vous m’expliquiez un peu ce que
c’est que le Campaniforme, parce que mes études en Histoire de l’Art et Archéologie sont un
peu lointaines maintenant et je ne me souviens même pas avoir entendu parler de cette
bestiole là. J’ai cru comprendre que vous êtes un spécialiste ?
― Oui. En fait c’était mon sujet de thèse de Doctorat, alors je peux vous expliquer un peu.
Mais, vous savez, je peux rapidement devenir un prof soporifique sur un sujet comme celui-
ci.
― Je n’en crois rien. Considérez-moi comme une de vos étudiantes du premier rang. Je
bois vos paroles…
Marc fut troublé par cette réplique, mais il donna le change, comme en amphi :
― N’hésitez pas à m’interrompre si vous ne suivez plus. Alors, tout d’abord, le terme
campaniforme vient de la forme d’un gobelet de céramique, une poterie, qui a un profil en S.

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De sang, de cuivre et d’or 

C'est-à-dire la forme d’une cloche à l’envers, d’où l’appellation campana : la cloche. Ce sont
généralement des gobelets de taille modeste, très probablement des vases à boire. Ces
gobelets sont presque systématiquement décorés de façon assez chargée, avec plusieurs
techniques différentes possibles : des impressions de coquilles ou de peignes ou de
cordelettes, des incisions, et à la fin de la période on utilise même un peigne fileté pour
réaliser des décors qu’on appelle barbelé. Enfin, bref. Si les techniques de décors sont variées,
l’organisation de ces décors présente des récurrences qui permettent d’identifier très
facilement un gobelet campaniforme. Ils sont organisés en bandes horizontales, souvent sur
toute la hauteur du vase et parfois avec des bandes non décorés qui s’intercalent avec les
bandes décorées. Vous me suivez jusque là ?
― Pour le moment, je vous suis. Je n’ai même pas encore envie de dormir !
― Bon, en fait, les vases campaniformes ne se limitent pas à des gobelets et il existe toute
une variété de formes qui présentent ce type de décor, mais ce sont toujours des vases de
petites dimensions, de service ou de consommation. Mais ce n’est pas le plus intéressant…
Karine le coupa :
― Effectivement, jusqu’ici, pas de quoi en faire une tartine.
― Il y a plusieurs aspects qui ont excité les chercheurs. Tout d’abord, ces vases à boire ou
à manger décorés sont très souvent associés à des armes et des parures en métal,
principalement en cuivre, parfois en or et plus rarement en argent. Dans certaines régions le
Campaniforme s’associe aux premières productions en bronze. Ce n’est pas la première
métallurgie de l’histoire de l’humanité. Celle-ci apparait en réalité dès le septième millénaire
au Proche Orient et encore dès le cinquième en Bulgarie, mais c’est au troisième millénaire,
avec le Campaniforme, que les objets en métal vont se répandre largement en Europe
occidentale, même si la métallurgie y existe déjà dans certains coins. Il y a aussi dans les
assemblages d’objets campaniformes, des armatures de flèches. Vous savez, les pointes de
flèches telles que vous les imaginez avec un pédoncule et deux ailerons sur les côtés, elles
sont presque spécifiquement campaniformes si les ailerons sont carrés.
― C’est sacrément précis, dites donc !
― Bon, on connait d’autres types d’armatures dans le Campaniforme oriental. On a aussi
trouvé des éléments qu’on interprète comme des brassards d’archers. Ce sont des plaquettes
de pierre polie rectangulaires et perforées aux deux extrémités.
― On tirait déjà à l’arc à cette époque ?
Marc retint l’hôtesse qui passait à ce moment-là, une bouteille d’eau à la main. Il but une
longue gorgée avant de poursuivre :

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Bien sûr ! En fait l’arc existe au moins depuis le Paléolithique supérieur, il y a 20000
ans et peut-être avant. Mais, c’est une autre histoire. Pour en revenir au Campaniforme, il y a
encore des poignards et des pointes de lances en cuivre et parfois en silex, etc. On a donc un
assemblage très particulier composé d’armes et d’objets précieux, beaucoup de métal à une
époque où il y en a encore peu. Deuxième élément remarquable, ces assemblages ont souvent,
du moins au début, été découverts dans des sépultures individuelles qui étaient donc
particulièrement riches… Alors qu’en Europe occidentale, au milieu du troisième millénaire,
la tradition était plutôt à la sépulture collective dans des grottes et dans des dolmens, vous
voyez ?
― Oui, ça va, j’ai suivi quelques cours de Préhistoire générale dans lesquels j’ai quand
même entendu parler des dolmens et des sépultures collectives. Poursuivez !
― En fait on connait aussi aujourd’hui des habitats campaniformes dans de nombreuses
régions. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène funéraire.
― Mais pourquoi parlez-vous de « phénomène » ?
― J’y viens et c’est le dernier élément remarquable mais non le moindre. Dès la fin du
XIXe et le début du XXe siècle, on a découvert ces fameux gobelets et les objets qui les
accompagnent dans de nombreuses régions d’Europe. On dit habituellement : de Pologne au
Maroc et d’Irlande en Sicile. Et on sait, depuis le développement des méthodes de datation
comme le carbone 14 que cette diffusion – puisqu’il y a bien dû y avoir diffusion – a eu lieu
dans un temps très court au milieu du troisième millénaire avant notre ère. Même si le
Campaniforme semble avoir créé une sorte de mode qui va se prolonger ensuite selon les
régions pendant plusieurs siècles. En résumé, on aurait des guerriers, des archers, avec des
armes et des parures de cuivre et d’or qui se répandent à travers toute l’Europe à la fin de la
Préhistoire et qu’on retrouve souvent dans des sépultures privilégiées et riches. Mais ce n’est
peut-être pas si simple.
― Je commence à comprendre pourquoi ce phénomène excite les chercheurs… Mais
pourquoi « pas si simple » ?
― De nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponse. Tout d’abord, d’où provient
ce phénomène ? Au cours du XXe siècle de nombreuses régions d’Europe ont été évoquées et
même parfois au-delà de l’Europe, avec l’Egypte par exemple. Aujourd’hui deux zones sont
privilégiées comme origines possibles de ce phénomène : La région du Rhin inférieur aux
Pays-Bas et la côte atlantique de la péninsule ibérique, le Portugal en particulier.
― Pourquoi ces régions là ?

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De sang, de cuivre et d’or 

― Je vous expliquerai ça par la suite. Il y a surtout une autre question, plus fondamentale
encore : Qu’est ce que c’est que ce phénomène ? Quelle est la nature de la diffusion ? Voilà
maintenant plus d’un siècle que les hypothèses proposées se suivent, reviennent parfois, sans
preuve ni consensus parmi les chercheurs. On a évoqué des guerriers traversant l’Europe à
cheval et massacrant tout sur leur passage. J’ai oublié de vous dire qu’on a aussi mis en
relation les Campaniformes et la domestication du cheval. Aujourd’hui on sait que le cheval
est domestiqué dans les grandes plaines de l’Europe orientale dès le quatrième millénaire soit
bien avant le phénomène campaniforme, et qu’en même temps les restes de chevaux
réellement associés aux Campaniformes en Europe occidentale sont rares et pas
nécessairement domestiques et encore moins montés. On a aussi évoqué des déplacements de
prospecteurs de minerais ou de colporteurs d’objets en cuivre. On a proposé des
interprétations totalement économiques, liées à la mode de la consommation d’un produit.
Imaginez, par exemple, les interprétations qui seraient possibles à partir d’une carte de
répartition des canettes de Coca Cola sur la surface de la planète… On a même envisagé des
hypothèses idéologiques où les gobelets seraient des marqueurs sociaux ou identitaires… Ou
même encore une religion, vous savez que l’époque campaniforme est l’une des plus
importante dans la construction du monument en pierre de Stonehenge en Angleterre ? Bref,
on n’en sait rien, même si on a tous quelques petites idées sur le sujet.
― Merci Monsieur le Professeur. On sent bien que vous êtes un passionné. J’ai tout
compris. En particulier que les spécialistes eux-mêmes n’y comprennent pas grand-chose en
réalité.
― Je ne suis que Maître de Conférences, pas Professeur… Cela explique peut-être que je
ne comprenne pas tout ! Mais bon, n’exagérons rien, la recherche sur le sujet a fait beaucoup
de progrès ces dernières décennies et les découvertes se sont multipliées avec le
développement de l’archéologie préventive. Je suis optimiste, on finira par trouver un modèle
interprétatif opérant, autrement dit une hypothèse qui tienne la route. D’ailleurs, concernant
l’origine du phénomène, la fouille de Charles à Forcalquier pourrait bien faire avancer les
choses de façon assez inédite, même si cela va à l’encontre de toutes nos propres
interprétations jusqu’à ce jour… La sépulture appartient très probablement au Campaniforme
le plus ancien qu’on connaisse en France méditerranéenne et il y a dedans un magnifique
gobelet de tradition hollandaise ! Putain ! A penser que mon copain Henri Bard est mort dans
un stupide accident alors qu’on aurait eu bien besoin de lui pour nous analyser les matériaux
de ce vase. Imaginez qu’il ne s’agisse pas d’une copie locale mais d’une importation depuis
les régions rhénanes…

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Mais pourquoi Delapierre et vous pensiez que ce phénomène n’était pas d’origine
hollandaise ?
― En fait, nous sommes des tenants de l’hypothèse portugaise. A l’époque de ma thèse,
j’ai travaillé sur les vestiges campaniformes dans le sud-est de la France. Et, dans tout ce que
j’ai pu étudier, je n’ai rien trouvé qui fasse référence aux régions du nord. Tout au contraire,
les styles céramiques, les parures, certains objets métalliques et même les architectures et les
rites funéraires renvoyaient à la péninsule ibérique. Seule la présence d’une sépulture
individuelle, la première découverte à Forcalquier, renvoie à une autre tradition, peut-être…
de l’Europe centrale, puisqu’en Europe occidentale, à cette époque c’est la sépulture
collective qui est la norme. Bref, cette hypothèse n’est pas sortie de nulle part, elle correspond
aux faits connus à un moment donné. Mais la dernière découverte de Charles ne va pas du
tout dans ce sens là.
Accompagnés d’un discret signal sonore, les voyants « attachez vos ceintures »
s’allumèrent. La voix nasillarde du commandant de bord se fit entendre dans l’habitacle :
― Mesdames et Messieurs, nous amorçons notre descente sur l’aéroport Leonard de Vinci
– Fiumicino. Veuillez redresser vos sièges, ranger vos tablettes et attacher vos ceintures. Le
personnel aux postes d’atterrissage, merci.
― Marc, vous ne pensez pas que votre ami Charles aurait pu être tenté de faire disparaître
des éléments qui invalidaient ses théories ? Pour un grand archéologue, cela doit être terrible
de voir s’effondrer les hypothèses que l’on défend depuis longtemps ?
― Non ! Je ne peux pas imaginer que Charles soit un faussaire. Qu’il soit prêt à trafiquer
des données pour prouver ses théories. Ce n’est pas du tout son genre. Et puis quel intérêt
aurait-il à vendre une partie du mobilier archéologique découvert dans la tombe ? Ça n’a
aucun sens ! De plus, s’il avait du faire disparaître quelque chose dans cette tombe, c’aurait
été ce fameux vase de style hollandais, pas les objets métalliques.
― Le gars de la Culture, Jacques Cassard, lui semble particulièrement certain que votre
ami est coupable de quelque chose. Vous savez s’il y a quelque chose entre eux ?
Marc réfléchit un peu avant de répondre :
― J’espère que ce n’est que de la jalousie, Cassard est un administratif de l’archéologie
qui n’a fait aucune découverte majeure, d’ailleurs ce n’est pas un archéologue de terrain, ni un
archéologue tout court, à mon sens. Mais je n’ai jamais aimé ce type. Il a l’air fourbe.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Mistra n’avait donné que dix hommes à Naïm pour cette reconnaissance loin dans le froid.
Ils avaient pris l’une des embarcations et traversé la petite mer fermée en se tenant éloignée
des grandes falaises creuses en face, au sommet desquels des feux brulaient perpétuellement.
Ils avaient accosté un peu plus loin vers le couchant, en face de collines boisées devant
lesquelles se découpaient des dents rocheuses qui feraient d’excellents refuges. Les hommes
portèrent l’embarcation jusqu’au pied de l’une d’elles et la hissèrent au sommet où ils
laissèrent aussi quelques vivres et de l’eau.
Ils gagnèrent ensuite les collines et traversèrent des zones de plateaux bas.
Ils prenaient soin d’éviter les villages et les chemins. Leur but n’était pas l’affrontement ni
même le troc mais bien d’explorer les routes pouvant mener aux montagnes. Trouver une
rivière navigable était la priorité.
Ils traversèrent un grand désert de galets, très sec et vide de toute présence humaine. Au
loin, ils avaient aperçu un troupeau de chevaux. Cette terre était donc bénie des Dieux. Cette
grande plaine s’arrêtait sur de grandes collines mais un large passage permettait
probablement de les dépasser. Des feux étaient visibles alentour et Naïm avait décidé
d’attendre la nuit tombée pour le traverser plutôt que de faire un détour et d’affronter les
collines probablement peuplées elles-aussi. C’est donc de nuit qu’ils franchirent ce passage
aussi discrètement que possible. La lune leur permettait de se déplacer sans problèmes mais
les rendaient aussi bien visibles. Ils étaient maintenant face à une très large vallée où ils
trouveraient peut-être une rivière. Ils longèrent de hautes collines qui se transformèrent
bientôt en falaises. Naïm décida de trouver un abri au sommet de ces falaises pour finir la
nuit sans risque. Ils trouvèrent un passage par un vallon sec, très escarpé, qui leur permit
d’atteindre des terrasses suspendues au sommet des falaises. Ils étaient en sécurité. Ils
finirent la nuit assis contre une barre de rocher, les uns contre les autres. Pendant que deux
guerriers surveillaient les environs.
A l’aube, Naïm vit une large rivière qui passait à peu de distance. Elle s’écoulait vers le
couchant et longeait en amont une grande montagne. C’était bien le chemin qu’ils
cherchaient.
En prévision de leur retour, Naïm fit construire deux cabanes sur les terrasses perchées.
Un nouveau refuge en cas de mauvaise rencontre. Il envoya deux hommes en aval de la

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

rivière pour reconnaitre ce secteur et deux autres partirent vers l’amont pour savoir si la
rivière était navigable.
En fin de journée, ses hommes rentrés, les bonnes nouvelles étaient nombreuses. Vers
l’aval, la rivière rejoignait un grand fleuve très large au niveau d’une colline occupée par un
village pacifique. Si c’était bien la route du métal, ils pourraient sans doute y établir une base
et rejoindre la mer, en s’évitant des jours de marche. En amont, la rivière bien que composée
de plusieurs chenaux avec des bras morts et des impasses, semblait navigable dans son
chenal principal. Ses hommes étaient aussi de nouveau tombé sur un troupeau de chevaux et
en avait tué un, dont ils rapportaient les meilleurs morceaux. Un festin pour le peuple de
Cuivre et d’Or. Un symbole aussi. Chez eux, un jeu de jeunes guerriers consistait à essayer
de monter sur un de ces animaux et d’y tenir le plus longtemps. La présence de chevaux dans
cette région, leur permettrait de faire survivre les traditions de leur peuple.
Les jours suivants furent consacrés à la fabrication d’une embarcation de fortune avec du
bois et des roseaux. Ce radeau sur deux pirogues assemblées n’était certes pas fait pour
naviguer sur la grande mer mais suffirait sans doute sur cette rivière. Le temps passé à le
réaliser serait largement compensé lors de leur périple.
A proximité de la rivière, les éclaireurs avaient observé un très vieux sanctuaire ruiné où
des murs étaient surmontés de visages de pierre. Des stèles figurant des têtes humaines sans
bouche. Un endroit probablement mauvais dont ils s’étaient soigneusement écartés pour
mettre à l’eau leur embarcation.
Ils purent enfin reprendre leur route, en remontant la rivière. Les neuf hommes étaient
serrés sur leur petite embarcation tandis que Naïm avait envoyé les deux plus jeunes à pied
reconnaitre l’amont et les prévenir de tout danger.
Le long des berges, ils aperçurent plusieurs villages installés au sommet des collines les
plus proches. Ils surprirent une fois, au détour d’une courbe, un groupe de femmes et
d’enfants se baignant dans la rivière et qui s’égayèrent bien vite en criant dans une langue
locale.
Une autre fois, les éclaireurs les avertirent de la présence d’un groupe de guerriers qui
descendaient la rivière en longeant sa berge.
Naïm fit accoster sur l’autre berge, sortir et cacher le radeau et ils attendirent le passage
des guerriers. Ceux-ci, plus de vingt, étaient vêtus de peaux tannées et ne semblaient pas
avoir de métal mais leur air farouche confortait Naïm dans sa décision de rester discret.
A un moment, ils parvinrent à une gorge qui rétrécissait la largeur de la rivière. Les
rapides n’étaient pas très impressionnants mais suffisants pour empêcher toute progression.

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De sang, de cuivre et d’or 

Naïm fit sortir à nouveau le radeau et les hommes le portèrent le long de la rivière sur une
grande distance avant de dépasser cette gorge. Au-delà, la vallée s’élargissait nettement et
tournait en direction du froid. Malgré ces difficultés, Naïm avait vu juste. A l’horizon, devant
eux s’étendaient de puissantes chaînes de montagne.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Aix-en-Provence, France, le 30 juillet, 16h30

Jacques Cassard était installé devant son ordinateur au Service Régional de l’Archéologie
de Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans les locaux de l’ancienne caserne Forbin, à Aix-en-
Provence. Son grand bureau était comme d’habitude encombré de piles de dossiers sur les
tables et au sol, contre les murs. Seul le bureau lui-même était impeccable, car Jacques
Cassard n’y stockait jamais rien et une fois les dossiers lus ou traités, ils regagnaient leur pile
à l’équilibre précaire. Les demandes de permis de construire ou d’aménager, voisinaient avec
les rapports d’opérations archéologiques et les dossiers de prescription. Le grand public serait
sans doute bien surpris s’il savait ce que l’archéologie représentait en termes de documents
administratifs et techniques. Jacques Cassard tourna le pied de son ventilateur pour l’orienter
sur lui.
Au beau milieu de l’été, le Service n’était guère fréquenté, à part par le personnel
administratif. Ses collègues étaient soit en visite sur des sites, soit en train de fouiller eux-
mêmes. Evidemment, lui, n’était pas un archéologue de terrain. Mais c’était un passionné
quand même. Il avait fait des études d’Histoire de l’Art et Archéologie, puis l’Ecole du
Patrimoine. Les archéologues de terrain ne le comprenaient pas et se moquaient de lui…
Il savait que son physique y contribuait aussi avec son visage en lame de couteau, son long
nez, ses petits yeux et ses petites lunettes. Déjà enfant, on le surnommait « la fouine » dans la
cour de l’école et il était persuadé d’avoir entendu deux de ces collègues l’appeler comme ça,
l’autre fois, pendant qu’il entrait dans la salle de réunion. Pourtant son travail était utile.
C’est lui qui avait insufflé cette politique de lutte contre le pillage, même si le Conservateur
Régional était persuadé que l’idée lui était venue toute seule. C’était son truc, à Jacques
Cassard, protéger le patrimoine. Et il s’en donnait les moyens.
La « détection de loisir » comme l’appelaient les fouilleurs clandestins s’était largement
développée dans les dernières années, dans toute l’Europe. Chaque jour, des centaines
d’objets archéologiques étaient sortis de leur contexte, par des gens qui n’en avaient ni les
compétences ni l’autorisation, et disparaissaient du patrimoine public. Dans certains cas, ces
objets alimentaient un marché lucratif qui s’était développé beaucoup sur internet avec les
sites d’enchères. Evidemment, tous les détectoristes n’étaient pas des personnes malhonnêtes
qui s’enrichissaient. Beaucoup étaient seulement inconscients des dégâts qu’ils occasionnaient
sur les sites archéologiques ou simplement en sortant des objets de leur gisement, détruisant

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De sang, de cuivre et d’or 

un patrimoine qui, en réalité, leur appartenait, un patrimoine commun. Les lois étaient
pourtant inscrites sur les emballages et notices des détecteurs, mais aujourd’hui on ne
respectait plus rien.
Jacques Cassard sortit un mince dossier du tiroir de son bureau. Il le consulta une nouvelle
fois. Il devait boucler cette affaire quoi qu’il en coûte. Les derniers évènements, il ne les
sentait pas bien, mais il tenait sa revanche. La culpabilité de Delapierre allait éclater au grand
jour.
Par la fenêtre, il regarda les toits de la vieille ville d’Aix-en-Provence, sous le soleil encore
franc de la fin d’après-midi.
La fouine… Après tout, ça ne lui allait pas si mal comme surnom.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Entre La Brillanne et Forcalquier, France, le 30 juillet, 17h00

Benoit Martens se sentait fatigué. Il tentait de déchiffrer la carte routière étalée sur son
volant pendant que Brigitte, sa femme, s’évertuait à l’énerver, mi-râlant qu’il s’était encore
une fois perdu sur une route pourrie du fin fond de la campagne, mi-hurlant qu’il devait faire
attention à la route, qu’il y avait un virage, qu’il ne fallait pas lire en conduisant. Si elle
continuait à l’agacer de la sorte, c’est elle qui allait provoquer un accident. Son nouveau
camping-car Esterel exclusive 43 était un vrai plaisir à conduire, mais il était sans doute un
peu gros dans les virages de cette petite route sinueuse.
Tout allait bien, lorsqu’il suivait encore le tour de France, dans ses étapes alpines. Ils
avaient réussi à se placer plusieurs fois dans les meilleurs virages des cols les plus difficiles. Il
ramenait une moisson de photos de ses coureurs favoris où l’on pouvait distinguer l’effort, la
sueur, la douleur… La petite famille avait ensuite voté à la majorité absolue de rester
quelques jours de plus dans la montagne et il avait dû se résoudre à laisser tomber la suite du
« Tour ». C’est aussi ça les vacances en famille, ils devaient partager entre un peu de
cyclisme, quelques jours à la montagne et quelques jours à la mer avant de regagner leur
banlieue bruxelloise. Et ils se retrouvaient maintenant à descendre vers la Provence, ses
plages et sa chaleur étouffante, sans doute l’un des pires jours de l’année pour prendre la
route. L’Autoroute A51 était totalement saturée, il l’avait donc quittée pour emprunter la
route ex-nationale sur les cartes, devenue départementale sur les panneaux indicateurs qui
s’était avérée pire que l’Autoroute. La traversée des villages s’étirait en immenses files de
voitures arrêtées à des feux rouges dont l’utilité était sans doute à réfléchir un peu. Entre
Brigitte râlant-hurlant et ses deux mômes à l’arrière incapables de s’arrêter une seconde de se
chamailler, il avait décidé de quitter la nationale-départementale pour prendre les routes
secondaires à la hauteur de La Brillanne et rejoindre Forcalquier et le camping où il avait
réservé un emplacement pour la nuit. Malheureusement, une course cycliste locale l’avait
contraint à abandonner la route la plus directe et à se diriger vers une route encore plus étroite
sur laquelle il serpentait maintenant depuis un bond quart d’heure, entre champs et forêts sans
trop savoir où il allait. Il pensa tout à coup à David Vincent. « Pour lui, tout a commencé par
une nuit sombre, le long d'une route solitaire de campagne, alors qu'il cherchait un raccourci
que jamais il ne trouva ». Mais ce n’était pas la nuit et il n’était pas seul, car d’autres voitures
de touristes -comme eux- semblaient s’être égarées sur ce chemin perdu. Et, de temps en

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De sang, de cuivre et d’or 

temps, une voiture immatriculée dans le département le doublait au mépris de tout, de


préférence dans les virages, comme si le seul fait d’être du coin autorisait les gens à conduire
n’importe comment et à défier la mort. Sans doute des gens pressés, des gens qui
travaillaient… eux ! Comme ils disaient.
Le bazar à l’arrière du camping-car gagnait maintenant en puissance, c’est Laurie qui
hurlait après son frère. Benoit Martens secoua la tête. Penser que ce sont ses vacances. Il
devrait faire comme ses voisins, se payer le Club Med, mettre les petits au mini-club, madame
à la piscine et aller se la couler douce avec les copains.
― Bon ! C’est pas un peu fini ce bazar, là ? S’emporte t-il soudain. Brigitte tu me lâches
un peu maintenant ! Laurie tais-toi ! Et Enzo tu arrêtes d’embêter ta sœur, encore une fois !
Laurie répondit, en pleurant presque :
― C’est Enzo, il s’est enfermé dans les waters et j’ai très envie de faire pipi.
Brigitte qui lui a offert quelques secondes de calme, s’y remettait maintenant :
― Mais enfin, tu vois pas que les gosses en ont marre ? Et puis tu pourrais t’arrêter pour
que Laurie puisse aller aux waters !
― Enzo ! Sors des chiottes maintenant ! Laisse la place à ta sœur, un peu !
― Je peux pas ! J’ai la colique !
Bon, ça suffisait comme ça. Benoit Martens avisa un terre-plein qui semblait tout juste
assez large pour garer son camping-car. Il s’y engagea et s’arrêta dans un nuage de poussière
sèche. Il ouvrit la portière aussitôt assailli par une vague de chaleur jusqu’alors contenue par
la puissante climatisation poussée à fond. En même temps, l’odeur le prit à la gorge, le thym,
le romarin, toutes les herbes de la Haute Provence. Il pensa grillades. Mais il y avait autre
chose aussi, quelques chose de douçâtre qui évoquait un fruit, sans doute beaucoup trop mûr,
mais il n’aurait su dire lequel. Il attrapa la poignée de la porte arrière qu’il ouvrit rapidement.
― Laurie, tu laisses ton frère au cabinet et tu vas faire pipi dehors ! Hop ! Hop ! On ne
s’arrête que cinq minutes… Tout le monde se dépêche, je suis pressé d’arriver au camping.
La petite descendit très vite du marchepied et après un coup d’œil fila vers les taillis en
contrebas du terre-plein, remontant déjà sa robe.
Ça devait être urgent, effectivement, pensa Benoit. Il regarda passer d’autres véhicules,
toujours essentiellement des immatriculations belges, allemandes, hollandaises, en se
demandant pourquoi finalement il venait en Provence.
― Papa, y’a un truc qui pue ici, c’est dégueulasse, je peux pas faire pipi…

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Benoit Martens se dirigea vers l’endroit d’où sa fille l’appelait, derrière les petits buissons.
L’odeur de fruit pourri se précisa. Une alarme se déclencha quelque part au fond de son
cerveau. Cette odeur. Ce n’était pas normal :
― Laurie, reviens voir papa, ma puce. Je vais te trouver un autre endroit pour faire pipi.
Vite, dépêche-toi !
Il enjamba les buissons alors que Laurie rajustait sa culotte tout en venant vers lui :
― Papa, c’est quoi ?
Benoit Martens ne répondit pas. Il reconnaissait maintenant cette odeur immonde qui
semblait gagner de l’ampleur à mesure qu’il s’approchait. Une bâche en plastique bleue
semblait jetée dans un petit fossé. Une nuée de mouches s’en éleva alors que Benoit, en
attrapant un angle, tira sur la bâche afin de voir ce qu’elle contenait.
Il se retourna brusquement et vomit sur ses chaussures sans parvenir à s’arrêter.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Aéroport Leonardo da Vinci – Fiumicino, Italie, le 30 juillet, 17h10

Marc s’étirait comme il pouvait. Dans le hall des arrivées, un gaillard en grand uniforme
des carabiniers tenait une pancarte totalement inutile où était inscrit « Cpt. Foucher OCBC ».
Ils auraient reconnu sans peine leur hôte. L’homme était grand, costaud et portait l’uniforme
comme au défilé. Karine s’avança droit vers lui :
― Lieutenant-colonel Nistri ? Je suis Karine Foucher et voici Monsieur Andréas,
archéologue, qui m’assiste sur cette enquête.
Décidément cette fonction d’assistant me poursuit, pensa Marc.
― Enchanté Capitaine. Veuillez excuser mon français, un peu scolaire.
Il serra la main des deux français.
― Je vous ferai des reproches, le jour où je parlerai parfaitement italien… Votre français
me semble excellent, répliqua Karine.
― Suivez-moi. Une voiture nous attend, je vous conduis à votre hôtel. Je suppose que vous
souhaitez vous rafraichir après le voyage. Nous ferons le point pendant le trajet.
En quittant l’espace climatisé de l’aéroport, Karine et Marc se rendirent compte que,
malgré la fin d’après-midi, la chaleur était pire que dans le sud de la France. La circulation
intense des voitures devant l’aérogare rendait l’air presque irrespirable.
Une Alpha-Roméo bleu nuit siglée au nom des carabinieri avec un Z rouge sur le côté les
attendait en double file.
― Vous êtes quand même sacrément mieux dotés que la Police française, question
véhicule ! S’exclama Karine.
Le carabinier se retourna :
― Excusez moi, Capitaine, je n’ai pas compris…
― C’est rien ! Laissez tomber…
Le chauffeur de la voiture, sortit d’un mouvement souple sans enlever sa haute casquette,
pour leur ouvrir la portière arrière. Karine se demanda comment il pouvait réussir ça. Les
deux français s’installèrent, leurs bagages légers avec eux. Nistri monta devant et se retourna
sur son siège :
― Vous êtes à l’hôtel Via Veneto House, c’est bien cela ?
― Oui, tout à fait. Un petit hôtel dans la via Marche, pour être près du lieu de rendez-
vous… Et parce que l’administration française n’est pas très généreuse sur les notes de frais.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

La voiture puissante s’engagea dans la circulation et immédiatement le chauffeur démarra


la sirène et accéléra brutalement obligeant les autres automobilistes à se garer sur les bords de
la voie pour les laisser passer. Les deux français se retrouvèrent collés à la banquette. Le
chauffeur était concentré sur la route, il portait des gants de conduite ajourés en cuir noir.
Nistri, toujours installé de travers sur son siège semblait ne ressentir aucun effet de cette
conduite sportive, mais remarqua l’air effaré des deux français :
― Conduite romaine ! C’est une autre façon d’économiser l’argent du contribuable. Les
carabiniers ne perdent jamais leur temps !
Karine et Marc échangèrent un regard dubitatif.
Le carabinier poursuivit :
― Nous avons tout de suite vérifié la liste des clients du Grand Hôtel Via Veneto. L’hôtel
est presque complet. 122 chambres au total quand même. Il n’y a aucune réservation au nom
de Delapierre, ni au nom d’Arcadi, ni comme nom, ni comme prénom d’ailleurs. Il y a dix-
huit hommes seuls. Nous avons interrogé le personnel de l’hôtel et quatorze d’entre eux sont
des hommes d’affaire habitués. Quatre leurs sont inconnus. Mais notre homme peut-être
n’importe lequel de ces dix-huit, voire quelqu’un qui est en couple. Nous n’avons pas eu le
temps de vérifier les identités de tous les occupants.
Karine intervint :
― De toute façon nous pensons qu’Arcadi est un pseudonyme. Il n’a certainement pas
utilisé son vrai nom dans une transaction illicite. Et puis, rien ne dit que nos suspects résident
dans cet hôtel. C’est peut-être seulement le point de rendez-vous.
Entrée dans Rome à vive allure. Les immeubles défilaient le long des vitres de la voiture.
― Capitaine, avez-vous apporté la photographie de Charles Delapierre comme je l’ai
demandé.
Karine sortit son dossier, puis une photographie 10x15 de Charles, un peu plus jeune,
souriant. Marc se demanda où elle avait bien pu la trouver.
― Oui bien-sûr. La voici.
― Très bien, je la fais reproduire ce soir. Puisque c’est le seul élément connu, nous allons
nous concentrer sur lui. Je dispose d’un groupe de douze hommes qui seront répartis dans les
différents bars et le roof-garden.
― C’est parfait. Vous avez réussi à organiser tout ça dans un temps record. C’est
remarquable Lieutenant-colonel.
― Appelez moi Raffaele ! Pas de protocole en opération. Et puis, vous savez, mon équipe
travaille depuis quatre mois sur un gros trafic d’antiquités en provenance d’Irak, nous avons

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De sang, de cuivre et d’or 

interpelé dix-sept personnes à Rome la semaine dernière et tout transmis au juge. Votre
affaire, c’est un peu des vacances pour nous, entre ce qui arrive de l’étranger et ce qui sort
d’Italie, le travail ne manque pas.
Marc, qui n’avait rien dit depuis le début du trajet, se cramponnait au siège du chauffeur
devant lui. Le bruit de la sirène semblait encore plus puissant dans les rues de la capitale.
Marc reconnut le parc de la Villa Borghese, puis la porte Pinciana.
Marc connaissait toute l’histoire des jardins de la Villa Borghese, ce grand parc de 80
hectares au cœur de la ville de Rome et des célèbres musées du mont Pincio. Il ferait bien le
commentaire touristique à sa charmante voisine, mais la nausée qui le gagnait l’obligeait à se
concentrer pour ne pas vomir. La voiture tourna sec dans la via Veneto et ralentit devant le
Grand Hôtel.
― Voici le Grand Hôtel. Nous nous mettrons en place demain vers 8h15, mieux vaut
prendre de l’avance. Ils sont peut-être méfiants. Je passerai vous chercher à votre hôtel à
8h00.
La voiture reprit de la vitesse et descendit la via Veneto, tourna à gauche, puis encore deux
fois à gauche, avant de se retrouver dans la via Marche et de freiner brutalement devant le
numéro 54.
Le chauffeur regarda sa grosse montre brillante et se tourna vers Nistri, en lui disant en
italien :
― Ventiquattro minuti ! Record battuto, Capo !1
Nistri reprit la parole :
― Hôtel Via Veneto House ! Vous êtes arrivés. Bienvenue à Rome.

                                                            
1
Vingt-quatre minutes ! Record battu, chef !
 

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Entre La Brillanne et Forcalquier, France, le 30 juillet, 18h30


Plusieurs véhicules de gendarmerie étaient plus ou moins bien garés le long de la route
départementale, déjà étroite, la réduisant à une seule voie où deux hommes en uniforme
tentaient de gérer la circulation alternée des voitures toujours nombreuses. Si les gens
ralentissaient plus que nécessaire ce n’était pas pour une question de sécurité ou du fait de la
présence de la Maréchaussée et le Capitaine Joubert, qui regardait les visages penchés aux
portières à la recherche de sang et de carnage, s’interrogea une fois encore sur les élans
morbides de ses contemporains.
Il toussa dans la poussière sèche soulevée par les voitures. Il faisait encore chaud en cette
fin d’après-midi. Ses hommes avaient planté des piquets et déroulé un ruban jaune pour
sécuriser la zone. Dans l’agitation des spécialistes venus faire les constatations sur le corps, le
Capitaine Joubert se dit que cela ressemblait beaucoup au chantier de fouilles, là-haut, sur le
plateau de La Fare. Quelle ironie pour Charles Delapierre, maintenant sujet lui-même d’une
sorte de fouille archéologique. Seule la couleur de la rubalise était différente : rouge et
blanche chez les archéologues.
Il regarda le camping-car garé sur le terre-plein et la petite famille de touristes devant, qui
se serraient les uns contre les autres, comme après un accident. Ces gens étaient choqués. Il
essaya de se concentrer un peu sur le camping-car pour se libérer l’esprit un moment. C’était
un très beau modèle comme il aimerait pouvoir en acheter un. Devant le gros véhicule, la
petite fille se mit à pleurer en tapant de pieds et son père sembla désemparé.
Il appela l’un de ses hommes :
― Lieutenant, je ne pense pas nécessaire de retenir ces touristes plus longtemps ici. Vous
les escortez à la gendarmerie pour leur faire signer le PV d’audition et vous les libérez.
― Bien, mon Capitaine.
― Et vérifiez quand même qu’ils soient bien en état de reprendre la route. Ils n’ont pas
l’air dans leur assiette !
Il avait sans problème identifié le corps de Charles Delapierre, malgré une décomposition
de plusieurs jours dans une bâche en plastique en plein soleil. Le résultat n’était pas beau à
voir. Mais il devait quand même appeler la femme de l’archéologue afin de procéder à une
identification formelle. Saleté de boulot. S’il était régulièrement appelé sur des accidents
parfois tragiques, les crimes de sang n’étaient pas très nombreux dans la région depuis la
sinistre affaire Dominici, qui s’était déroulée à Lurs à seulement quelques kilomètres à vol

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De sang, de cuivre et d’or 

d’oiseau. Mais c’était en 1952. Dans les dernières décennies, la plupart des meurtres autour de
Forcalquier se concentraient dans les romans policiers de Pierre Magnan et ça convenait très
bien au Capitaine Raymond Joubert.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Il y a environ 4500 ans

Le radeau remis à flot, ils progressèrent jusqu’à la tombée du jour. Ils croisaient
maintenant régulièrement du monde le long des berges, des petits groupes de femmes et
d’enfants mais aussi des hommes vaquant à leurs occupations, tantôt craintifs, tantôt amicaux
leur faisant des signes à leur passage, mais jamais ouvertement hostiles.
A la fin du jour, les éclaireurs leur rapportèrent qu’un groupe rencontré au bord de la
rivière leur faisait l’hospitalité de leur village.
Ils étaient dans une zone ou la plaine était très large et limitée de collines basses. Ils furent
bientôt accueillis par des femmes qui parlaient beaucoup dans une langue qu’ils ne
connaissaient pas, alors que leurs hommes demeuraient en retrait leurs armes à portée de la
main. Ils furent conduits jusqu’à un village situé au sommet d’un petit mont rocheux, au
couchant de la rivière. Naïm fut présenté au chef du village, un bonhomme gras et très affable
qui parlait plusieurs langues et avec qui il réussit à échanger quelques mots qu’il avait appris
du langage de la côte. C’était la tradition de ce village d’accueillir les étrangers, pour la
plupart venus chercher du silex dans les vallées au couchant. Un très bon silex.
Naïm fit présent au chef de quelques petits objets de cuivre, que l’homme sembla
apprécier, en remerciement de son hospitalité. Ils furent nourris et partagèrent une bière de
blé totalement infecte mais particulièrement enivrante.
Naïm était agréablement surpris d’un tel accueil et se disait que leur mission serait facile
si tous les peuples de cette région se comportaient de la sorte. Il s’étonna quand même un peu
de voir les femmes fricoter avec ses guerriers sous le regard bienveillant des indigènes qui
avaient posés leurs armes. Sans doute avaient-ils besoin de sang neuf.
Plus tard, dans la nuit, Naïm et ses hommes partageaient une cabane un peu à l’écart des
autres dans le haut du village. Dans un rêve, il vit Gabor le regarder dormir en fronçant les
sourcils. Mal à l’aise dans son sommeil, Naïm se retourna sur lui-même au moment ou une
lance à la pointe de pierre pénétrait dans son bras, au niveau du coude. Réveillé en un
instant, il cria en apercevant de nombreuses ombres penchées sur ses hommes. Il comprit
qu’ils étaient attaqués et que s’il n’avait pas bougé dans son sommeil, la lance serait fichée
dans sa poitrine. Il sorti son poignard à lame de cuivre et trancha le mollet de son agresseur
qui hurla avant de tomber sur lui. L’homme avait lâché sa lance et Naïm, dégageant son bras,
l’égorgea d’un seul mouvement. Les hommes debout au dessus d’eux magnaient la lance avec

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De sang, de cuivre et d’or 

dextérité et frappèrent les guerriers de Naïm à plusieurs reprises. Naïm repoussa le corps
sans vie dont le sang lui coulait dessus et se mit à frapper les agresseurs à coup de poignard.
Ses hommes, encore mal réveillés se défendirent tant bien que mal mais comme c’était des
guerriers très expérimentés, ils parvinrent à prendre le dessus rapidement. Un guerrier se
pencha vers les braises du foyer afin d’allumer une torche. La lumière vacillante révéla un
monde de cuivre fait de corps couverts de sang. Aucun des agresseurs n’avait survécu au bref
assaut mais Naïm constata que trois de ses guerriers étaient morts dans leur sommeil sans
avoir eu aucune chance. Les autres n’avaient que des blessures légères. Naïm perdait du sang
par sa blessure au coude, mais ce n’était rien de grave.
Naïm et ses hommes surgirent de la cabane pour découvrir une bonne partie des femmes et
des hommes du village attendant en arc de cercle autour de l’entrée. Ces-derniers reculèrent
rapidement, surpris de découvrir que ce n’était pas leurs hommes qui ressortaient vivants de
la cabane. Sur un geste de Naïm, la tuerie commença. Les guerriers du peuple de Cuivre et
d’Or, ivres de vengeance, tuèrent tous les hommes qu’ils croisèrent, fouillant les cabanes une
à une à la lueur des torches. Les principaux guerriers du village étant morts dans la cabane,
il restait surtout des vieux ou des très jeunes. Dans l’une des cabanes, au centre du village, un
guerrier découvrit un spectacle atroce. Des bras et des jambes humaines étaient suspendus au
plafond, comme mis à sécher alors que les parois de la cabane étaient recouvertes
d’empilements de crânes. Lorsque Naïm découvrit cet endroit, il comprit qu’ils avaient à faire
à un peuple qui tuait les voyageurs pour les détrousser mais qui en plus mangeait leur
victimes. Le tabou suprême. Jamais le peuple de Cuivre et d’Or ne mangeait de chair
humaine. Naïm entra dans une grande colère et ses guerriers se remirent en chasse. Aucun
être vivant du village ne vit le soleil se lever ce matin là. Ni homme, ni femme, ni enfant.
Même les animaux furent exécutés et jetés avec les hommes dans le grand brasier qu’était
devenue la cabane maléfique. La curée dura jusqu’un peu avant l’aube et enfin ivres de sang,
ses guerriers ramenèrent à Naïm, le chef de ces cannibales qui s’était terré dans un trou aux
confins du village.
Naïm fit vider intégralement l’une des cabanes et fit suspendre l’abominable personnage
dénudé, par les pieds, à la charpente. Celui-ci remuait tant qu’il pouvait et se balançait au
dessus du sol. Naïm prit son poignard et fit de longues incisions sur l’abdomen et le thorax du
chef dont le visage fut bientôt recouvert de son sang qui coulait jusqu’au sol. Il fit enfermer
dans la cabane les trois chiens qui n’avaient pas encore été tués et fit sceller la porte.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Torres Vedras, Portugal, le 30 juillet, 19h00

Le temps avait tourné à l’orage, il y avait déjà plusieurs heures, mais celui-ci ne se décidait
pas à tomber. Il faisait très lourd. Dans un paysage vallonné de broussailles et de vignes,
quelques murs de pierres grises recouvertes de mousses et de lichens dépassaient de place en
place de la végétation au camaïeu de verts.
Le Professeur Vitor Figueiras se releva, non sans difficultés, et sortit de la tranchée, avec
sa planche à dessin sous le bras. Il n’avait plus vingt ans. Les positions de travail étaient
vraiment de plus en plus difficiles à tenir. Il ne maniait plus la pioche depuis quelques années,
mais il persistait à rester sur le terrain pour faire des relevés et des photographies. Il ne voulait
pas devenir un vieux schnock qui faisait travailler les autres en donnant des ordres depuis son
bureau.
La journée se terminait bien. Le nouveau mur d’enceinte dont il soupçonnait l’existence
était bien là où il l’avait prévu. Le plan du vaste site fortifié de Zambujal allait encore se
compliquer… Les observations qu’il venait de réaliser sur la stratigraphie prouvaient que ce
rempart avait été édifié quelque part dans la première moitié du troisième millénaire. Ce
n’était pas la première étape d’édification, mais cela allait conduire à réviser la chronologie
générale du plan dans ce secteur.
Il aperçut des fouilleurs qui remballaient du matériel au pied du « donjon », comme ils
l’appelaient, ce gros massif de tours accolées au centre du site.
Le Castro do Zambujal était probablement l’un des sites préhistoriques les plus connus du
Portugal et de la péninsule ibérique. Découvert dès 1932 par Leonel Trindade, il avait fait
l’objet de plusieurs opérations de fouilles dans les années 60, 70 et encore depuis le milieu
des années 90, mais seule une petite partie du site était encore reconnue. Ce site, c’était
vraiment toute sa vie, même s’il partageait les investigations avec l’équipe de l’institut
archéologique allemand de Madrid. Il savait qu’il était déjà trop âgé pour voir la fin de la
fouille de ce gisement. Du quatrième au début du deuxième millénaire avant notre ère, cette
sorte de forteresse préhistorique aux énormes murs de pierre avait été plusieurs fois
remodelée. C’est sur l’histoire de ces transformations successives que le Professeur Figueiras
travaillait, depuis plusieurs années maintenant.
C’était l’heure de partir semblait-il. Il rassembla son matériel de relevé et se dirigea vers le
chemin où les véhicules étaient garés. Il allait se faire ramener au village par un fouilleur, il

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De sang, de cuivre et d’or 

avait l’impression que tous ses os étaient douloureux et n’avait aucune envie de conduire ce
soir.
Il pensa tout à coup qu’il avait oublié de rappeler Charles, son vieux copain français. Il
n’avait pas réussi à le joindre la veille et avait totalement oublié de réessayer dans la journée.
Depuis qu’il avait pu faire ouvrir cette nouvelle tranchée dans le haut du site, il était très
content et envisageait très favorablement de faire un petit saut dans le sud de la France, pour
voir les fameuses découvertes de Charles et en profiter pour lui raconter les siennes. Voilà
plusieurs jours que Charles l’avait appelé et il l’avait fait attendre suffisamment longtemps
avant de programmer ce voyage.
Il posa son matériel sur une arase de mur de la phase récente, sortit le trop petit téléphone
mobile que sa fille lui avait acheté pour noël et s’assit sur la structure campaniforme. Quoi de
plus adapté pour appeler Charles ? Il tomba une nouvelle fois sur la messagerie, alors qu’il
était presque prêt à prendre son billet d’avion le soir même. Encore raté. Pourquoi Charles ne
répondait-il plus ? Il devait passer tout son temps au fond de cette fameuse tombe…
Il pourrait essayer d’appeler Marc, l’assistant de Charles. Si c’était bien encore son
assistant. Mais de toute façon, cela attendrait, il n’avait pas son numéro dans le répertoire du
téléphone. Il faudrait qu’il rentre à Lisbonne, à son bureau, ou qu’il appelle sa secrétaire, mais
pas avant demain matin. Et, il aurait peut-être des nouvelles de Charles dans l’intervalle.
Il rejoignit l’équipe de fouilleurs, en train de charger le matériel dans les véhicules. Il
commençait à avoir faim, il était temps de rentrer. Certains de ses collègues de l’université
perdaient l’appétit en vieillissant, ce n’était pas son cas. Peut-être un effet de la vie au grand
air, sur les fouilles. Il rappellerait son ami dans la soirée, après le repas.

.:.

Un peu plus haut sur la colline, l’homme appuyé contre une voiture observait le Professeur
Figueiras à l’aide d’une paire de jumelles Zeiss ultralégère qu’il avait acheté à Lisbonne.
Il y avait toujours du monde. Il fallait qu’il attende le moment propice, ou qu’il le
déclenche lui-même. Le site ressemblait à une vaste fourmilière dans laquelle tous semblaient
jouer un rôle précis sans se soucier des autres mais où chacun était à sa place.
Le vieil archéologue n’était pas très vaillant. L’homme était rassuré. Le moment venu, il
n’aurait aucun mal à s’en occuper. Il avait envisagé de faire faire le « travail » par quelqu’un
d’autre, ce qui permettrait peut-être d’éviter que la police fasse le lien entre les différentes
affaires. Mais où trouver quelqu’un pour ce genre de « travail », ici, en pleine campagne ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Forcalquier, France, le 30 juillet, 20h30

Le Capitaine Raymond Joubert referma la porte derrière lui, d’une main, tout en soutenant
Jeanne Delapierre qui venait d’identifier le corps de son mari. L’odeur dans la petite pièce
était presque insoutenable. Le corps était resté plusieurs jours en plein soleil sur le bord d’une
petite route entre Pierrerue et La Brillanne. D’un signe de tête, il indiqua à son jeune collègue
que c’était fini. Celui-ci savait ce qu’il avait à faire. Le corps allait maintenant être transféré à
l’Institut Médico-légal de Marseille pour l’autopsie. En réalité, même si c’était la procédure, il
n’avait pas besoin de la veuve pour identifier le corps. Il connaissait Charles, plutôt bien. Ils
n’étaient pas amis, mais le gendarme avait pris l’habitude de rendre des visites régulières à
l’archéologue sur son chantier. La première fois, il était monté sur l’éperon de La Fare parce
qu’un agriculteur voisin accusait les fouilleurs de lui voler des fruits et des légumes dans ses
champs. Il devait donc aller rappeler chacun à la loi et à un peu de tolérance. Il y était retourné
suite à une plainte des archéologues, cette fois, concernant des dégradations sur le site, et
finalement il avait visité la fouille en cours et s’y était intéressé. Il avait pris l’habitude de
passer voir les nouvelles découvertes. Il ne pouvait pas imaginer un instant Charles coupable
de trafic d’antiquités. Cela ne collait pas. Cet homme était amoureux de son métier. C’était
évident. Et intègre aussi. Le vieil enquêteur était sûr de son jugement. En même temps, cette
fois il aurait sans doute préféré se tromper. Même s’il en avait vu d’autres dans sa carrière, il
ne put s’empêcher d’éprouver une certaine tristesse pour Charles et pour sa veuve qu’il ne
connaissait pas encore, car elle ne suivait généralement pas Charles sur ses opérations de
terrain. Tristes circonstances pour une rencontre. La pauvre femme semblait éprouvée mais
elle était très digne. Elle était venue seule à Forcalquier et le gendarme ne se sentait pas de la
laisser repartir ainsi, il allait l’emmener au village pour boire quelque chose et lui laisser le
temps de reprendre ses esprits.
Ils sortirent de la nouvelle gendarmerie. Un bâtiment moderne, fonctionnel et pas trop laid,
relativement aux casernes que le vieux militaire avait fréquenté antérieurement. Il avait quand
même le défaut d’être implanté un peu loin du centre du village et le Capitaine Joubert était
un peu embêté de faire monter cette pauvre femme dans son véhicule de service qui ne lui
laissait aucun répit pour penser à autre chose : gendarmerie, enquête, mort…
Il devait appeler La jeune Karine Foucher et aussi prévenir Marc, l’ancien assistant de
Delapierre, mais il préférait s’occuper de la veuve pour le moment.

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De sang, de cuivre et d’or 

Pendant les quelques minutes de trajet, alors que Jeanne Delapierre ne prononçait pas un
mot, il pensa à l’affaire. L’audition de la famille de touristes belges qui avait découvert le
corps n’avait rien donné. Le père avait eu la présence d’esprit de ne toucher à rien, ou alors
c’était l’horreur de cette découverte. Il s’était contenté de soulever un coin de la bâche qui
renfermait le corps. Il s’agissait d’une bâche en plastique à œillets, du type qu’on achetait
dans tous les magasins de bricolage. Elle était tachée de boue et trouée en plusieurs endroits,
partiellement cuite par le soleil. Le Capitaine Joubert avait immédiatement appelé Stéphane,
l’actuel assistant de Delapierre et il avait eu très vite confirmation de ce qu’il soupçonnait. La
bâche provenait du chantier de fouille. Plus exactement c’était une vieille bâche qui ne servait
pas sur la fouille elle-même, mais au camp pour faire un abri pour la douche, ou couvrir les
matériels et les protéger de la pluie. Celle-ci était inutilisée et probablement stockée dans la
tente laboratoire. Cela signifiait clairement que Charles Delapierre avait été assassiné sur le
site archéologique ou au camp attenant et que l’assassin avait trouvé la bâche sur place pour
déplacer le corps et le charger dans son véhicule. Au premier coup d’œil, il avait aussi
observé que la bâche poussiéreuse et terreuse était couverte de dizaines ou de centaines
d’empreintes, probablement laissées par des générations de fouilleurs, après des années de
manipulations. Ils ne tireraient surement rien de ce côté. Concernant les causes de la mort, le
Capitaine en était réduit aux conjectures en attendant les résultats de l’autopsie. Le corps était
dans un tel état. Il avait cru observer plusieurs blessures au torse et à l’abdomen. Sans doute
une arme blanche mais il ne pouvait exclure que des animaux se soient aussi attaqués au
corps, perturbant la lecture des blessures antérieures.
Alors qu’il garait la voiture sur la place du Bourguet, Il se demanda comment une affaire
pareille pouvait bien arriver chez les archéologues qui, pour ce qu’il en connaissait, lui
semblaient être de doux-rêveurs inoffensifs et sympathiques.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Rome, Italie, le 30 juillet, 21h30

Karine et Marc étaient attablés sur la petite terrasse de Da Pancrazio, à quelques mètres du
Campo dei Fiori.
Une douche, un plat de trippa alla romana et quelques verres de Brunello di Montalcino
avaient redonné figure humaine à Marc après la séance de boite de sardines volante et celle du
Paris-Dakar en pleine ville. Il ne pouvait s’empêcher de regarder autour de lui dans l’espoir de
croiser le visage de Charles. Il savait que c’était quasiment impossible dans une
agglomération de plus de trois millions d’habitants et peut-être autant de touristes, en même
temps il le redoutait, car il voulait sincèrement que Charles ne soit pas mêlé à cette stupide
affaire. Mais il continuait de dévisager les passants, des touristes pour la plupart. Ce quartier
lui était familier depuis l’époque où il passait travailler à la bibliothèque de l’Ecole Française
de Rome, située au Palais Farnèse qui est aussi l’Ambassade de France. Il avait passé des
heures et des heures dans la salle des périodiques à monter et descendre les escaliers
métalliques en colimaçons, plongé dans de vieux volumes reliés, et il aimait bien le soir
prendre un verre à une des nombreuses terrasses du Campo dei Fiori, face à la statue de
Giordano Bruno, brûlé sur cette place en 1600. Selon la légende, c’était la seule place de
Rome qui ne possédait pas d’église. Rien n’avait réellement changé.
Pour le moment la nuit tombait lentement, sur cette placette aux façades ocres ponctuées
de cascades de plantes vertes à chaque balcon. Décidément il aimait toujours cette ville.
Pour la soirée, Karine avait passé une robe sans doute plus adaptée à la température locale
que le jeans qu’elle portait jusque là, mais qui mettait surtout ses formes en valeur. Marc
pensa à deux choses tout à la fois. Elle avait réussi à emporter de quoi se faire belle dans son
tout petit sac de voyage et surtout pourquoi ou pour qui s’était-elle pomponnée ? Avec ses
expressions bizarres, elle dirait probablement qu’elle s’est pomponnée pour Pompée dont le
théâtre s’élevait ici même au premier siècle avant notre ère.
Peu à peu Marc se détendait et peut-être sous l’effet du Brunello regardait Karine un peu
différemment.
Il repensait qu’il n’avait pas du tout apprécié la façon dont le carabinier Nistri avait attrapé
le bras de Karine lorsqu’il les avait laissés devant l’hôtel tout à l’heure dans un geste qu’il
imaginait beaucoup plus italien que militaire. « Appelez-moi Raffaele… ». Tout du bellâtre !
Petit racisme à deux balles issu des préjugés que les français nourrissaient à l’égard de tout ce

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De sang, de cuivre et d’or 

qui n’était pas né dans l’ombre de la tour Eiffel. Ça y est, ce doit être l’âge : je deviens con !
Mais n’était-ce pas du racisme ça aussi… Antivieux, maintenant.
Il s’aperçut que Karine était en train de lui parler.
― … et je trouve que tu a meilleure mine que tout à l’heure, Marc… Je peux t’appeler
Marc ? On peut se tutoyer ? Nous ne sommes pas encore de vieux policiers et archéologues…
― Bien-sûr, Capitaine ! Vous tutoyez les suspects, je vais bientôt prendre des coups de
bottin sur la tête, c’est ça ?
― Non, non, appelle moi Karine évidemment. Et tu n’es absolument pas suspect dans cette
affaire, sinon je ne t’aurais pas demandé de m’accompagner comme expert… Bien que tu sois
très lié au suspect.
― Soit. Donc : Karine, comment trouves-tu cette Panna Cota aux fruits rouges ? N’est ce
pas magnifique à déguster ici, avec l’un des meilleurs vins rouges du monde, à deux pas de la
place la plus charmante de Rome ?
― Marc, c’est tout simplement merveilleux. Rome est vraiment une ville superbe, le repas
est divin et tu es un homme charmant, peut-être trop… Je me méfie du jeune enseignant
universitaire qui doit faire tourner les têtes des jeunes étudiantes…
― On exagère beaucoup le donjuanisme des enseignants, tu sais… Je crois que les
étudiantes s’intéressent plus aux garçons de leur âge, sauf sans doute sur les chantiers de
fouilles, mais c’est une autre affaire. Et puis je n’ai plus l’âge… ou pas encore l’âge de
m’intéresser aux petites filles…
Karine s’inquiéta un peu du tour qu’elle même avait donné à la conversation. Marc était
décidément très séduisant. Il était grand, brun, les yeux verts, encore athlétique. Elle décida de
recentrer le débat… pour le moment.
― Pour en revenir au Campaniforme. Tu m’as dit que les gobelets étaient des vases à
boire. Mais à boire quoi ?
― Ah… En voilà une bonne question à laquelle nous n’avons encore une fois pas de
réponse définitive. Tout d’abord, si on se contente de regarder les morphologies de ces
gobelets, on se rend compte qu’il existe d’autres types que les gobelets galbés ou carénés à
profil en S. Par exemple dans les iles britanniques, on a découvert une grande quantité de
gobelets cylindriques ou légèrement en tonneau portant une anse unique.
― Tu veux dire comme une choppe à bière ?
― Exactement ! D’où une attribution ancienne des gobelets campaniformes à la
consommation de bière… Depuis, on a réalisé des analyses de résidus retrouvés directement à
l’intérieur des gobelets. Et il semble bien pour un certain nombre de gobelets qu’on puisse

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

évoquer la consommation de bière. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il y a une doctorante en
Grande-Bretagne qui a mis en évidence des produits laitiers à l’intérieur de gobelets
campaniformes, par exemple. Mais on sait aussi que le lait est utilisé pour imperméabiliser les
céramiques, grâce à sa graisse, donc ça ne veut pas dire que ces gobelets étaient des biberons.
Rien n’est simple encore une fois. Il faudrait peut-être distinguer ce qui correspond à la
première diffusion de ces gobelets, ou de l’idée de ces gobelets, qui peut être liée à une
consommation particulière, de ce qu’on a fait de ces gobelets un siècle ou deux plus tard,
lorsque cette forme de vase s’est banalisée et qu’elle est présente réellement partout, tu
comprends ? Après tout, rien n’interdit aujourd’hui de boire du lait ou du jus de fruit dans un
verre à bière, non ?
― Oui tu as raison. Un peu de bon sens ne peut pas faire de mal.
― Crois moi ! Mes collègues en manquent parfois d’une façon surprenante. Tiens, au sujet
de la bière, je me souviens d’un détail amusant. Lorsque je rédigeais ma thèse sur le
Campaniforme, j’avais l’habitude de lire des romans policiers ou de S-F pour me détendre. Il
y avait un auteur américain que j’aimais bien pour la S-F et le Fantastique. Il s’appelle Tim
Powers. Dans un de ces romans de jeunesse publié tardivement en français, Les chevaliers de
la brune, je suis tombé sur un passage qui disait : « Ecoutez, trois mille ans avant la naissance
du Christ, un peuple est sorti d’Espagne et s’est répandu dans toute l’Europe. C’étaient des
nomades, des étrangers en tous lieux. Mais on les respectait - on les vénérait, même - parce
qu’ils apportaient avec eux un secret. Celui de la fabrication de la bière. Ils ont propagé l’art
du brassage avec un zèle de missionnaires. On trouve leurs gobelets décorés dans des tombes,
du fin fond de la Sicile jusqu’à l’extrémité septentrionale de l’Ecosse. Ce cadeau qu’ils ont
fait à l’Europe est à l’origine de plus de croyances que je ne pourrais en raconter pour
l’instant… 2»
― Génial ! Mais tu connais le bouquin par cœur ?
― Non, bien sûr. Juste ce passage. Je n’ai pas eu de mal à le retenir. Tu imagines, je lisais
totalement par hasard un bouquin fantastique américain et je tombe sur quelque chose qui
parle de mon sujet de thèse.
Marc fut interrompu par une sonnerie de téléphone portable. C’était celui de Karine qu’il
vit instantanément apparaitre dans la main de la jeune femme… Il avait toujours cru qu’il
fallait plusieurs minutes à une femme pour trouver ce genre d’appareil au fond de son sac à
main…
                                                            
2
Tim Powers : Les chevaliers de la brune, J’ai lu, 1999. Publication initiale : The drawing of the dark, Del Rey,
1979.

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De sang, de cuivre et d’or 

Karine prit la communication et fixa son verre de vin.


― Capitaine Joubert, bonsoir… Non, non, pas du tout. Aucun problème. Comment ??!...
Mais où ça ?... Il a été identifié ?... Ah oui, c’est juste… Mais comment ?... D’accord… Cela
change toutes nos hypothèses… Bon je vous remercie. Je vous tiens au courant... Bonsoir.
Lorsqu’elle redressa la tête, Marc comprit à son regard que quelque chose de grave s’était
passé. Il ne dit rien, attendant qu’elle parle la première, mais il avait déjà compris.
― Marc, je ne sais pas comment te dire ça. C’est Charles. La Gendarmerie de Forcalquier
vient de le retrouver. Il est mort.
― Mais comment ? De quoi ? Où est-il ?
― Son corps a été découvert dans un fossé, le long de la route de La Brillanne. Il a été
poignardé. Sa femme est venue l’identifier, il n’y a aucun doute. C’est un touriste belge qui
s’est perdu en cherchant le trajet du Tour de France, ou je ne sais quoi, qui l’a découvert en
début d’après-midi. L’autopsie n’a pas encore eu lieu, mais il est sans doute mort depuis près
d’une semaine.
― Ce n’est pas possible, il était encore sur la fouille à Forcalquier il y a une semaine.
― C’est une première estimation, mais tu sais il fait très chaud en ce moment, ce n’est pas
très précis. Il faudra attendre l’autopsie. Je suis vraiment désolé Marc, j’ai compris que c’était
un ami très proche.
Marc sentit sa gorge se serrer. Mais quelque part il s’attendait à cette nouvelle, sans vouloir
l’envisager ouvertement. Il répondit quand même :
― Plus qu’un ami, presque un père. J’ai travaillé avec lui depuis que je suis gosse. Il m’a
tout appris. Excuse-moi, mais je n’ai pas trop envie d’en parler pour le moment.
― Je comprends. Ne t’inquiète pas. Mais comment te dire ça ?... ça ne change rien à sa
possible implication dans cette affaire. C’est quand même à partir de son ordinateur que les
objets ont été mis en vente.
― Mais dis moi, comment il a fait pour utiliser son ordinateur à Aix, s’il était mort à
Forcalquier ? Il aurait fait l’aller-retour ? Pourquoi ? S’il était décidé à partir avec son
« butin » et à le vendre... De toute façon il y a forcément eu un temps entre le moment où le
site a été mis en ligne et les réponses des « clients ». Si Charles est mort depuis plus de 4 ou 5
jours, ça ne peut pas être lui qui a noté le rendez-vous de Rome !
― Mais tu as raison ! Je fais une bien piètre enquêtrice…
― Essayons de réfléchir un peu. Est-ce que tu as retrouvé les messages des « clients » sur
l’ordinateur de Charles ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Non, j’ai pensé qu’ils avaient été effacés et je n’ai pas eu le temps de me plonger dans
l’analyse fine de la mémoire pour en retrouver la trace. Mais j’ai fait envoyer l’ordinateur à
Nanterre pour qu’il soit désossé complètement. Il est sans doute parti en début d’après-midi…
Si les techniciens le reçoivent demain ce qui n’est pas certain, nous n’aurons pas de résultats
avant au moins deux jours.
― En fait, rien ne prouve que ces messages existent, ni la culpabilité de Charles… Tu es
certaine que le rendez-vous de demain est réel ? On ne serait pas en train de se faire balader,
là ?
― Attendons demain, allons à ce fameux rendez-vous, nous verrons bien si quelqu’un se
présente.
Marc se leva pour quitter la table :
― Il faut que j’appelle Jeanne, la veuve de Charles. Elle doit être effondrée. Tu me donnes
cinq minutes ?
― Je m’occupe de la note.

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De sang, de cuivre et d’or 

40

Rome, Italie, le 30 juillet, 23h20

Un peu plus tard, ils regagnèrent leur hôtel à pied dans les rues de Rome qui commençaient
à se vider de leurs hordes de touristes. Au détour d’une rue, ils tombèrent sur la fontaine de
Trévi. Inconsciemment Marc avait conduit Karine à cet incontournable du tourisme romain
depuis La Dolce Vita. Si les rues alentour étaient vides, les gradins devant la fontaine étaient
noirs de monde. Tout autour, des marchands ambulants vendaient les objets les plus
improbables d’un « artisanat » sans doute d’origine chinoise. Karine écarquilla les yeux
devant ce décor qu’elle reconnaissait et se retourna vers Marc :
― Tu sais, je ne suis pas Anita Ekberg…
Elle ne termina pas sa phrase, s’approcha de lui, l’enlaça et l’embrassa. Marc était troublé.
Décidément cette journée n’était pas ordinaire. Mais elle était vraiment charmante la fliquette.
Et puis un peu de douceur après ces deux morts… Ses amis.
Karine et Marc se promenèrent ensuite au hasard des rues, pour faire durer ce moment,
magique pour tous les deux. Marc se rendit compte qu’en fait de hasard, il était en train de
faire à Karine la visite touristique du centre de Rome. Ils passèrent devant le Panthéon où les
terrasses de restaurants étaient toujours très animées, puis replongèrent dans des ruelles
calmes pour arriver à la place Navone. Ils s’arrêtèrent devant la fontaine des quatre fleuves,
œuvre du Bernin qui avait mobilisé quatre sculpteurs différents pour illustrer les quatre
continents connus au XVIIe siècle autour d’un colossal obélisque égyptien. Ils restèrent un
moment devant le bassin illuminé beaucoup moins fréquenté que celui de Trévi et se serrèrent
l’un contre l’autre. Autour d’eux les terrasses bruissaient des conversations des noctambules.
Karine et Marc reprirent leur déambulation et, rue après rue, il lui fit renaitre la Rome antique
et la Rome classique.
Ils arrivèrent à leur hôtel en se tenant la main, montèrent l’escalier comme des gamins et
entrèrent dans la chambre de Karine.
Marc se décida et plaqua Karine contre la porte de la chambre à peine refermée et
l’embrassa. Karine lui rendit son baiser et recula subitement :
― Tu sais, je culpabilise un peu…
― Que se passe t-il ? Tu es mariée ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Non, mais j’ai un peu l’impression d’abuser d’un homme en situation de faiblesse et
puis surtout… je me sens coupable d’avoir réservé deux chambres avec l’argent du
contribuable… alors que, de toute évidence, nous n’en utiliserons qu’une !
Marc l’entraina vers le lit :
― Laisse tomber le contribuable pour le moment et viens un peu par ici t’occuper de mes
faiblesses…
Il embrassa Karine de nouveau et fit glisser les bretelles de sa robe par-dessus ses épaules
tout en s’asseyant. La robe glissa au sol sans un bruit, laissant Karine debout devant lui, les
seins libres, seulement vêtue d’une culotte de quelques grammes de dentelles.
― Tout ça va un peu vite pour moi, dit Karine dans un souffle.
― Ne dis plus rien, laisse-toi aller.
La seule lumière provenant de la rue à travers les volets croisés faisait à Karine une peau
ambrée. Marc la trouva belle. Il embrassa ses seins, son ventre, tout en caressant ses fesses,
faisant glisser délicatement le slip qui rejoignit la robe sur le sol. Il glissa une langue
indiscrète dans son nombril puis descendit vers sa toison. Après quelques secondes, Karine
avec un petit hoquet, attrapa la tête de son amant à deux mains pour le relever vers elle. Elle
l’embrassa à pleine bouche avant de le repousser vers le lit où il se laissa tomber. Karine était
déjà sur lui, et s’attaqua de ses deux mains en même temps à la chemise et au pantalon de
Marc se souvenant que déshabiller un homme était toujours moins rapide et plus compliqué.
Marc l’aida en enlevant sa chemise alors qu’elle venait à bout de son ceinturon et des boutons
du pantalon. Elle put utiliser ses deux mains pour faire descendre slip et pantalon d’un seul
geste le long des jambes musclées de Marc, libérant son sexe.
Dans la chaleur moite de la nuit romaine et la douceur de Karine, Marc oublia pendant un
temps cette sinistre affaire et la mort de son ami.

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De sang, de cuivre et d’or 

41

Il y a environ 4500 ans

Devant le village en proie aux flammes, Naïm réfléchissait. Il leur fallait quitter ce lieu
maudit. Ils devaient aussi inhumer leurs compagnons morts. Naïm regrettait l’absence de
Gabor pour accomplir les rites dus aux guerriers. Il avait aussi dans l’idée d’aller voir vers
le couchant les gites de ce beau silex rubané qu’ils avaient trouvé en abondance dans le
village des cannibales. Sachant qu’ils allaient les tuer, le chef du village n’avait pas de raison
de leur mentir sur la provenance de ce matériau.
Ils prirent donc la route vers le couchant, dans la matinée, en emportant les trois corps
qu’ils ne voulaient pas laisser en ce lieu. Ils cheminèrent sur un petit plateau en s’éloignant
de la rivière. Des vallées verdoyantes s’ouvraient de part et d’autres et la région avait l’air
accueillant. En face d’eux, s’élevait en pente douce un grand éperon qui semblait ensuite
dominer de profondes vallées. Deux feux au sommet traduisaient la présence d’un village.
Naïm choisit de faire descendre ses hommes dans une petite vallée ou coulait une rivière.
L’endroit était très beau et ils s’y arrêtèrent pour inhumer leurs compagnons tombés si loin
de chez eux dans un recoin secret. Naïm présida à la cérémonie entouré de ses guerriers qui
partagèrent la bière avec lui et avec les défunts. La tombe fut recouverte et cachée avec soin.
Le groupe remonta ensuite sur le plateau et repris sa marche. Au détour du sentier sur
lequel ils progressaient, ils découvrir trois guerriers qui leur barraient le passage. Naïm dit à
ses hommes de se préparer au combat mais l’un des guerriers en face d’eux s’avança, les
deux mains en avant, paumes tournées vers le ciel, en signe de paix. L’homme tenta de
communiquer dans une langue inconnue et Naïm essaya le dialecte de la côte encore une fois
avec succès.
L’homme était un émissaire du village de l’Eperon. Leur chef voulait savoir si c’étaient
eux qui avaient détruit le village des cannibales. Et si c’étaient bien eux, il les invitait dans
son village pour les remercier d’avoir mis fin à cette monstruosité.
Naïm et son groupe suivirent donc les trois guerriers jusqu’au village au sommet de
l’éperon. Ce village, mes amis, notre village, celui où Naïm est aujourd’hui enterré.
Ils remontèrent le long de l’éperon jusqu’à son sommet. A l’époque le village ne
comportait que quatre cabanes et il était implanté sur les ruines d’un ancien grand village
dont subsistaient de nombreuses traces. Du sommet de l’éperon, Naïm découvrit un vaste

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

paysage fait de grandes vallées et de collines jusqu’à une grande montagne s’élevant en
direction du froid.
Il fallut du temps à Naïm et ses guerriers pour se détendre. L’expérience de la veille les
avaient rendus prudent. Ils gardèrent longtemps la main sur leurs armes avant d’être certains
qu’ils ne se trouvaient pas cette fois dans un village de cannibales. Ils restèrent plusieurs
jours pendant lesquels ils purent aller visiter la vallée du silex dans laquelle d’immenses
tailleries témoignaient d’une intense et ancienne exploitation. Ils marchaient littéralement sur
ce très beau silex rubané dont les indigènes tiraient de longues lames parfois appointées en
poignards. Les guerriers en profitèrent pour refaire leur stock d’armatures de flèche et
certains furent initiés à la fabrication des longues lames. Naïm se fit raconter comment était
la rivière en amont du village des cannibales. Il expliqua au chef du village qu’ils voulaient
remonter jusqu’aux grandes montagnes et ce qu’ils cherchaient : la pierre de cuivre. Il lui
montra plusieurs fragments dorés, bleus… Mais le chef ne connaissait pas ces pierres. Il les
avertit en revanche que la période froide arrivait et qu’il était impossible d’aller dans les
montagnes pendant plusieurs lunes. C’était vrai que, depuis quelques temps, les jours
raccourcissaient très vite et que les nuits devenaient froides.
Naïm demanda l’hospitalité au chef du village de l’Eperon et décida de rester ici jusqu’à
la fin de la saison froide. Il renvoya deux guerriers au village de la Dent pour rendre compte
à Mistra de leur périple et lui demander de renvoyer des hommes. Les guerriers partirent
chargés de silex rubané. Ils devaient récupérer le radeau et faire l’aller-retour sans
s’attarder.
Le soir, Naïm passait beaucoup de temps à regarder les montagnes, là-bas vers le froid, à
se demander ce qu’ils y trouveraient lorsqu’enfin il pourrait lancer son expédition.
Au bout de douze jours, ses hommes étaient de retour, avec trois guerriers supplémentaires
et… Naïma. L’un de ses hommes lui expliqua que tout le monde la trouvait insupportable à la
Dent et que Mistra avait déjà menacé de la tuer. Seule l’intervention de Gabor qui l’avait
expédié avec les guerriers l’avait probablement sauvée. Un des guerriers donna à Naïm un
tissu enroulé que Naïm ouvrit rapidement. Dedans, il trouva son gobelet richement décoré qui
ne le quittait normalement pas, mais qu’il n’avait pas emporté dans cette expédition
aventureuse. Les hommes avaient chacun rapporté leur gobelet personnel et un
supplémentaire à la demande de Naïm. Celui-ci en fit présent à Outik, le chef du village de
l’Eperon. A partir de ce moment, ils passèrent souvent des soirées à converser en buvant.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Rome, Italie, le 31 juillet, 7h45

Marc attendait Karine devant un petit café dans un bar voisin de l’hôtel qui ne disposait pas
de salle à manger. Il se sentait bizarre. Il vivait un moment génial avec Karine. Cela faisait
longtemps qu’il n’avait pas rencontré quelqu’un comme… comme elle. Cela aurait pu être
parfait. Mais voilà, deux de ses amis étaient morts et il était plongé dans une histoire dont il
ne comprenait pas encore réellement le sens.
Karine fit son entrée dans le bar, resplendissante comme seule une femme peut l’être après
une aussi courte nuit :
― Comment te sens-tu ?
― Ben, je ne sais pas encore. Il se passe beaucoup de choses à la fois, tu sais. Je me
sens…bizarre.
― Je comprends. Ne t’inquiète pas… Mais ne vas pas imaginer que je couche avec tous les
hommes mêlés à mes enquêtes !
― Loin de moi cette idée. Tu veux un espresso ? Je crois que c’est ce que je préfère en
Italie… Avec le Brunello bien-sûr.
― Bien sûr ! Un bon café italien, quoi d’autre ?
Marc sourit à la fine plaisanterie de Karine. En même temps, il repensa au Lieutenant-
colonel des Carabiniers, si pressant auprès de Karine. Hop ! Toc ! Bien fait ! Pas assez rapide
petit scarabée ! Mais il voulait croire que Karine ne serait pas tombée dans les pièges
grossiers de ce dragueur de plages…
Raffaele Nistri passa justement la porte du bar à ce moment là. Marc retira tout ce qu’il
venait de penser. Il était en civil, costume, cravate, sourire émail-diamant et c’était une vraie
gravure de mode. Il était vraiment beau, le con ! Et il avait l’air encore plus fier de lui qu’en
uniforme… Il s’approcha de leur table :
― Bonjour, je viens vous chercher mais prenez tout votre temps. Mes hommes sont déjà
en place. Ils ont chacun une photo de Delapierre. S’il vient, il ne peut pas nous échapper.
C’est Marc qui réagit le premier :
― En fait, Lieutenant… comment on doit dire ?...
― Raffaele !
― Très bien, Raffaele, Charles Delapierre ne viendra pas… Tout simplement parce qu’il
est mort depuis déjà plusieurs jours et qu’il n’est pour rien dans cette histoire de trafic !

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Karine intervint
― Tout doux, Marc ! Raffaele n’est pour rien dans le fait que j’ai suspecté ton ami. Et puis
nous ne savons toujours rien de l’implication qu’il a pu avoir dans cette affaire.
Karine se tourna vers le carabinier :
― Raffaele, effectivement Delapierre ne risque pas de venir, mais ce n’est peut-être pas lui
le vendeur, si Marc a raison. Et, dans tous les cas, peut-être que l’acheteur, lui, sera là…
Même si j’y crois de moins en moins. Essayons de voir si deux personnes ont l’air louche ou
si quelqu’un s’est fait poser un lapin.
― Karine, je ne suis pas sûr de bien toujours comprendre votre français mais je vous
trouve resplendissante ce matin. Allons vite boucler cette affaire et ensuite je vous emmène
visiter ma ville ! Qu’est ce que c’est « poser un lapin » ?
Alors qu’ils sortaient du bar, Marc susurra :
― Un lapin, j’espère bien que c’est ce qui va t’arriver si t’essayes de proposer un rencard à
ma copine, connard ! Ou un bourre-pif, si tu insistes…
L’italien se retourna. Il avait l’ouïe fine le militaire…
― Pardonnez-moi Monsieur Andréas, Mais « Bourre-pif » je ne connais pas non plus.
Vous pouvez m’expliquer ?

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De sang, de cuivre et d’or 

43

Rome, Italie, le 31 juillet, 9h45

Le salon du Grand Hôtel Via Veneto était cossu. La vue curieuse des façades de la cour
intérieure à travers le plafond de verre rappelait à Marc un film qu’il avait vu. Mais lequel ?
Il regarda Karine enfoncée dans un grand fauteuil en face de lui.
― Je te l’avais bien dit qu’on se faisait balader. Cette histoire de vente sur internet n’a
aucun sens.
― Bon d’accord, tu avais raison. Raffaele et ses hommes sont en train d’interroger toutes
les personnes qui étaient présentes dans tous les bars de l’hôtel entre 9h00 et 9h20. J’ai
entendu que le Directeur de l’Hôtel est furax. Il parait qu’il connait personnellement le
Président du Conseil !
Le Carabinier arriva à ce moment :
― Rien de rien. Nous avons interrogé tout le monde. Votre tube est percé !
Karine le regarde, ahurie :
― Pardon ?
― Il veut dire que c’était un tuyau crevé… cette information. Et je suis bien d’accord avec
lui pour une fois, intervint Marc.
― Vous avez raison, Monsieur Andréas. Je dois encore parfaire mon français. Mais je vais
devoir vous laisser, des affaires plus sérieuses m’attendent. Je vous l’ai dit : Les carabiniers
ne perdent jamais de temps ! Je vais faire mettre une voiture à votre disposition pour vous
reconduire à l’aéroport.
― Grazie Mille, Raffaele, mais je pense que nous pourrons prendre un taxi, s’empressa de
répondre Marc, au souvenir du voyage aller.
Raffaele tourna les talons d’un air martial peu compatible avec son costume de prix. Il
semblait avoir déjà renfilé son uniforme et disparut vers le hall de l’hôtel accompagné de
plusieurs autres mannequins-policiers de son équipe.
Karine s’étonna :
― Mais qu’est-ce qu’il a ? C’est parce que nous avons fait chou-blanc ? Il devait me faire
visiter « sa » ville…ce charmant garçon.
― Je crois plutôt qu’il a remarqué que nous étions passés du vouvoiement au tutoiement
en une nuit. Il part chercher une autre proie…
― Hein ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Non, rien ! Laisse tomber…


La poche de Marc se mit à vibrer et la sonnerie de son téléphone suivit rapidement.
― Merde ! J’espère que ce n’est pas encore une mauvaise nouvelle.
Marc s’éloigna pour répondre alors qu’un car entier de japonais semblait envahir le salon.
Cinq minutes plus tard, Marc était de retour :
― Viens sortons d’ici. Je viens d’avoir des nouvelles. Et elles ne me plaisent guère. Je vais
t’expliquer.
Ils abandonnèrent l’armée de photographes nippons qui se tortillaient pour réaliser la
meilleure vue du plafond de verre et se retrouvèrent dans la rue. La circulation était intense à
cette heure et la chaleur omniprésente devenait de plus en plus forte.
― Trouvons nous un café, pour discuter tranquillement.
Ils quittèrent la rue principale pour une allée transversale et un petit bar disposant d’une
micro-terrasse de deux tables à l’ombre heureusement inoccupées. Ils commandèrent deux
espressi et Karine interrogea Marc :
― Alors, c’est quoi ces mystères ?
― Ecoute moi bien et ne m’interromps pas, je réfléchis en même temps. C’est un collègue
de Charles qui vient de m’appeler, un professeur de l’Université de Lisbonne. Lui aussi un
spécialiste de la fin du Néolithique et de la transition à l’âge du Bronze, enfin bref. Charles l’a
appelé en même temps que moi, mais lui il l’a eu au téléphone et ils ont pu discuter
directement. Enfin, en réalité il ne lui en a pas dit beaucoup. Comme il me l’a annoncé à moi
aussi, via la boite vocale, Charles a fait une découverte qu’il considérait comme
exceptionnelle. C’est peut-être ce fameux vase hollandais que je t’ai signalé hier, ou
l’ensemble d’objets métalliques s’il provient bien de cette même tombe. Bref, Charles a
demandé à Vitor de le rejoindre très vite…
― Vitor ?
― Pardon, Vitor Figueiras, c’est le collègue portugais de Charles. Donc Charles lui a
demandé de venir à Forcalquier pour voir sa découverte, mais sans lui dire précisément de
quoi il s’agissait, malgré l’insistance de Vitor. Mais celui-ci ne pouvait pas quitter son propre
chantier du jour au lendemain, une histoire de mur, je n’ai pas bien compris. Il a dit à Charles
qu’il le rappellerait dès que possible et depuis plus moyen de le joindre. Et pour cause. Vitor a
aussi demandé à Charles qui était au courant de la découverte et qui devait venir à
Forcalquier. Charles lui a répondu que pour le moment presque personne n’était au courant,
mais qu’il m’avait demandé de venir, ainsi qu’à un autre collègue, un hollandais celui-ci, ce
qui – au passage – est cohérent avec la découverte du vase. Et il a aussi prévenu mon copain

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De sang, de cuivre et d’or 

Henri Bard, celui qui est mort dans un soi-disant accident de la route. Tiens, tu pourrais te
renseigner auprès de tes collègues de Toulouse, pour en savoir plus sur ce fameux accident. Je
pense que Charles a dû joindre Henri pour qu’il fasse des analyses sur le fameux vase. Et j’en
conclue que Charles est mort à cause de sa découverte et que Henri Bard aussi, simplement
parce qu’il était au courant.
― Et si tu as raison, peut-être que, les deux profs, le portugais et le Hollandais sont aussi
en danger. Et peut-être toi aussi !
― C’est ce que j’ai dit à Vitor. De faire gaffe à lui. Il n’était pas au courant de la mort de
nos deux collègues… Moi je ne sais rien de cette découverte… Et puis je suis protégé par
l’élite de la Police Nationale maintenant… Et je suis maintenant certain que cette histoire de
vente d’objets ne sert pas qu’à incriminer Charles mais aussi à détourner l’enquête pendant
que notre assassin fait le ménage des gens au courant de la découverte !
― Est-ce que tu sais si le hollandais est venu à Forcalquier, lui ? As-tu essayé de le
joindre ?

.:.

Quelques minutes plus tard, Marc revint vers le bar en rangeant son téléphone dans sa
poche. Il retrouva Karine toujours attablée.
― J’ai essayé d’appeler le Professeur Erik van Decken, à Leiden. Je ne l’ai pas eu, il est en
congés encore pour quelques jours. A priori il est injoignable et son assistante ne sait pas où il
se trouve précisément, donc lui au moins ne risque rien… du moins pour le moment. Du coup
j’ai rappelé le Professeur Figueiras à Lisbonne. Je lui ai expliqué ce que nous soupçonnons. Il
était sur sa fouille à Zambujal, ça se trouve à une heure de route de Lisbonne. Je lui ai
conseillé de rentrer chez lui, de s’enfermer et d’y rester jusqu’à ce que nous y voyions plus
clair. Je ne sais pas s’il va le faire. Il est du genre têtu. Et toi, qu’est ce que tu as ?
― J’ai eu les collègues de Toulouse. Selon moi, effectivement, l’accident de ton ami Bard
n’en est pas forcément un. En fait il a été renversé par une voiture qui a pris la fuite. Il n’y a
aucun témoin… Et comme j’ai horreur des coïncidences, c’est potentiellement un meurtre.
Par contre, j’ai aussi appelé Paris, pour faire un rapport à mon supérieur et… je suis relevée
de l’enquête…
― Mais pourquoi, bon sang !?
― Marc, il s’agit d’un homicide et d’un décès suspect, probablement un autre homicide.
En revanche rien ne prouve finalement qu’il y a bien eu un trafic d’antiquités. C’est peut-être

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

un vol qui a mal tourné ou sans doute quelque chose de plus compliqué mais c’est la
Criminelle qui va reprendre l’affaire probablement en lien avec Interpol s’il y a des
connexions à l’étranger… Mais ça ne concerne plus l’OCBC.
― Mais que vas-tu faire ? Rentrer à Paris ?
― Non. Du coup, j’ai posé deux jours de congés… je ne peux pas en prendre plus. Je crois
que nous devrions aller à Toulouse fouiner un peu. Comme le décès de Bard a été considéré
comme un homicide involontaire avec délit de fuite et non assistance à personne en danger,
l’enquête s’est limitée à chercher le véhicule en cause. Et comme il n’y a pas de caméras de
circulation dans ce secteur, autant dire qu’il n’y a pas eu d’enquête. Et puis il nous faudrait
quand même remonter la piste de ces objets disparus. Si ton collègue de Toulouse était un
spécialiste des analyses, c’est peut-être une bonne piste. Tu viens avec moi ?
― La spécialité d’Henri Bard c’était la pétrographie céramique. Il déterminait la nature des
argiles et des particules ajoutées à la pâte qu’on appelle des dégraissants dans les vases pour
en reconnaitre des choix techniques et éventuellement en préciser la provenance géologique.
Rien à voir avec les objets métalliques. C’est encore une fausse piste. Il est sans doute mort
parce que Charles l’a appelé simplement pour lui dire qu’il y aurait des vases à analyser…
J’ai vu les vases de la tombe, ils y sont encore et aucun n’a fait l’objet de prélèvements. Ce
sont de petits trous dans l’épaisseur du vase, ça se voit ! Je pense que je vais plutôt aller voir
le Professeur Figueiras à Lisbonne, si nous sommes tous deux des cibles pour le tueur, nous
regrouper le fera peut-être sortir et nous saurons enfin de qui et de quoi il s’agit. Mais tu peux
aller à Toulouse tenter de faire redémarrer l’enquête sur la mort d’Henri.
― Je n’aime pas trop ton idée de faire la chèvre ! Merde ! Il y a déjà eu deux morts…
― Ecoute, je ne vais pas rester à attendre de me faire assassiner. Je veux savoir. Et puis, si
nous sommes deux, nous pourrons peut-être nous défendre. Et tu n’as qu’à me rejoindre à
Lisbonne dès que tu pourras.
― Euh… tu sais Marc, je n’ai que deux jours devant moi. Après je dois rentrer à Paris et
mon salaire ne me permet pas de voyager en avion dans toute l’Europe… Je préfèrerais que tu
n’y ailles pas et que tu restes avec moi.
― Non, c’est décidé. J’y vais ! Et je vais te laisser de l’argent pour les billets d’avion. J’ai
quelques moyens au-delà de mon salaire d’enseignant. Aucun soucis.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Forcalquier, le 31 juillet, 11h30

Stéphane écrasa sa cigarette alors que la voiture d’Audrey se rangeait devant la


gendarmerie. Elle lui ouvrit la portière en affichant un air mauvais qu’il ne lui connaissait pas.
― Alors ? Tu es content de toi ? Je suppose que tu es le suspect numéro un maintenant…
― Ecoute Audrey, c’est des conneries tout ça…
― Les conneries, c’est d’être parti ce matin, alors qu’on nous a ordonné de rester à
Forcalquier. Tu peux me dire ce que tu avais de si urgent à faire ?
― Je devais descendre à Aix pour récupérer un chapitre de ma thèse qui a été corrigé par
une copine. C’était prévu. Je n’y ai pas vu de malice.
― Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Charles est mort assassiné. Tout le monde a raconté
aux gendarmes que vous vous engueuliez sans arrêt. On nous demande de ne pas quitter le
chantier et toi tu ne trouves rien de mieux que de te barrer le lendemain de la découverte du
corps et en plus tu te fais choper !
Audrey étouffa un sanglot. Elle semblait très mal, au bord de la crise de nerf et Stéphane se
demanda s’il ne devrait pas prendre le volant.
― Je ne te mens pas Audrey ! Je ne suis pour rien dans la mort de Charles et je ne faisais
qu’un aller-retour à Aix comme je te l’ai dit ce matin.
― Je t’avais dit de rester !
― Je pouvais pas imaginer qu’il y avait des contrôles routiers et que j’allais tomber sur ce
con de gendarme que j’ai failli assommer l’autre jour. Nous devons continuer à vivre, nous.
― Des fois t’es vraiment un con, tu sais ? J’aimerais que Marc soit là.
― Ah ! Ça m’aurait étonné aussi… Figure-toi que Marc est parti en Italie avec la policière
pour participer à l’enquête sur ce soi-disant trafic d’antiquités. En fait tu es toujours
amoureuse de lui ! Et il est en train de faire le joli-cœur avec une belle blonde !
Audrey encaissa l’attaque et sembla se calmer un peu :
― Bon, qu’est-ce qu’ils t’ont dit d’autres, les gendarmes ?
― Excuse-moi pour ça Audrey, tu as raison des fois je suis un vrai con. Les gendarmes, ils
m’ont, une nouvelle fois, interrogé sur mes rapports tendus avec Charles. J’ai essayé de leur
expliquer comment était le bonhomme, mais Joubert semblait persuadé que Charles était un
ange… Heureusement, ils ont pu contacter ma copine d’Aix avec qui j’avais rendez-vous.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Elle a confirmé ce que je leur ai dit. Mais ils ont quand même gardé ma voiture, pour faire des
analyses il parait. De toute façon, je n’ai strictement rien à me reprocher !
― Je sais bien que tu n’as pas tué Charles, c’est pas la question. Mais comprends que la
situation est très grave et que nous on a besoin de toit là-haut. Que va devenir le chantier ? On
doit arrêter ou quoi ? Et puis merde ! Dans le genre qui n’a rien à se reprocher, la petite Marie
est venue me parler ce matin !
Stéphane détourna le regard sur le paysage qui défilait sur sa droite :
― Et alors ?
― Alors rien ! Tu es un garçon, tu penses avec ta queue ! Ça, je peux le comprendre, mais
ne joue pas les Sainte-Nitouche avec moi : je n’ai strictement rien à me reprocher ! On a
besoin de quelqu’un de sérieux, de responsable, pour assurer face à tout ça.
― Tu as raison, Excuse moi, Audrey. On va essayer de réfléchir un peu à tout ça et
prendre une décision tous ensemble. Tout le monde a repris le boulot ce matin ?
― Oui, j’ai laissé Alain veiller sur la petite troupe. Pour le moment on est toujours que
quatre à être au courant pour Charles. Et on compte un peu sur toi pour annoncer ça aux
fouilleurs.

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De sang, de cuivre et d’or 

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En direction de Toulouse, le 31 juillet, 14h30

Karine était inquiète. Elle n’aurait pas dû laisser Marc partir tout seul au Portugal. Peut-
être allait-il se jeter dans la gueule du loup. Elle aurait dû insister. Mais elle avait peur de
gâcher leur histoire naissante. Elle n’avait jamais été très douée avec les hommes. En
attendant elle se rongeait les sangs et ne savait que faire. Elle allait au moins essayer de le
rejoindre le plus rapidement possible à Lisbonne.
Ses précédentes histoires avaient tourné court. Elle se rendait compte à posteriori qu’elles
n’étaient que des aventures. Et sa récente nomination à Nanterre avait achevé ce qui restait,
peut-être, entre Paul et elle. Son ex. lui avait bien fait comprendre que si elle partait, c’était
sans lui. Elle avait pris sa décision. De toute façon, ce poste à l’OCBC, elle en rêvait depuis
longtemps et quitter la Bretagne et son premier commissariat d’affectation c’était comme
remonter à la surface de l’eau avec les poumons en feu après une longue apnée.
Marc, lui, était un garçon très gentil, très intelligent, spirituel aussi… L’inverse de Paul
finalement. Elle se rendit compte qu’elle l’idéalisait déjà : Ma pauvre fille, tu es encore en
train de tomber amoureuse d’un gars que tu ne connais presque pas. Mauvais papier !
Souviens-toi qu’il travaille à Aix-en-Provence et toi à Nanterre… Comment veux-tu que cela
puisse durer ? Et puis c’est un prof, environné en permanence de jeunes et jolies étudiantes. Il
l’a bien dit que sur les fouilles archéologiques… Arrête ma pauvre fille, tu commences déjà à
te faire des films.
Karine essaya de ne plus penser à tout ça. Elle se concentra sur l’affaire. Elle devait être
efficace et discrète.
Il fallait qu’elle sache qui allait être chargé d’enquêter sur le meurtre de Charles
Delapierre. Si elle interférait dans cette enquête, elle risquait sa place, elle le savait. Pour le
moment, elle n’allait s’intéresser qu’à l’accident de Toulouse. Ses collègues sur place
n’avaient pas à savoir qu’elle agissait de son propre chef, sur ses congés.
Il fallait qu’elle accède au bureau d’Henri Bard. Même si Marc pensait qu’il n’avait rien à
voir avec le trésor disparu. Peut-être y trouverait-elle des messages, des traces d’une
conversation, qui pourraient l’éclairer sur cette affaire. Elle persistait à penser que ce trésor
était au centre de l’histoire. Et, il fallait qu’elle pense à supprimer le terme « trésor » de son
vocabulaire. Cela avait l’air de beaucoup agacer Marc, et même elle avait toujours aimé
agacer les garçons, si elle voulait le garder celui-ci, elle devait y mettre un peu du sien.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

46

Il y a environ 4500 ans

Naïma était encore une jeune fille sauvage à l’époque et Naïm consacra une partie de la
période froide à la domestiquer. Les débuts avaient été difficiles, Naïm était couvert de
griffures et de morsures qui faisaient ricaner les femmes et qui inquiétaient un peu les
hommes peu habitués à ce qu’un guerrier ne se fasse pas respecter. Mais Naïm qui était un
homme dur et généralement sans pitié ne pouvait se résoudre à la battre. Elle était trop belle,
trop fière. Elle n’était pas fille d’un chef comme lui-même, lorsqu’il était encore dans son
donjon de pierre là-bas, chez lui, mais elle était noble par bien des manières, comme certains
chevaux.
Naïma, petit à petit, s’habitua à la présence de cet homme qui était beau, comme jamais
elle n’avait vu d’homme dans sa région de la côte mais qui était aussi une brute comme on les
redoutait toujours à la ferme. Cet homme avait fait tuer ses oncles et réduit ses tantes et ses
cousins en esclavage. Ce n’était pas qu’elle les aimait beaucoup. Ils avaient tous été durs
avec elle depuis la mort de ses parents. C’est elle qui faisait l’esclave à la ferme. Mais elle
n’avait jamais été battue, ni violée, contrairement à beaucoup de jeunes filles qu’elle
connaissait. Depuis qu’elle avait été kidnappée par Naïm et ses hommes, elle avait reçu
beaucoup de coups de bâton, surtout pendant l’absence de Naïm, à la Dent. Elle avait
méprisé les autres femmes de sa famille qui acceptaient tout de ces barbares. Naïm, lui, était
différent. Jamais encore il ne l’avait prise de force et passait beaucoup de temps à parler
avec elle. Elle ne comprenait pas bien pourquoi, mais peu à peu et à son insu, elle se laissait
amadouer par cet homme.
La période froide fut longue au village de l’Eperon. La montagne au-dessus d’eux s’était
couverte d’une neige qui ne semblait jamais vouloir fondre. Les guerriers de Naïm s’étaient
totalement intégrés au village peut-être parce que leur présence et leurs armes avaient réglé
quelques problèmes de voisinage, principalement pour le contrôle des tailleries de silex. Le
temps passait et Naïm se sentait bien, à la fois loin de Mistra et son dictat et aux côté du vieux
chef du village de l’Eperon, Outik, qui semblait le considérer de plus en plus comme son fils.
Ce chef qui n’avait plus de femme et pas d’enfants passait beaucoup de temps avec lui à
converser sur leur région respective. Le chef aurait tant aimé voir les forteresses du pays de
Naïm même si ce dernier lui expliquait que c’était la compétition permanente entre les

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De sang, de cuivre et d’or 

villages et les guerres qui les avaient contraint à se fortifier ainsi et que la vie là-bas n’était
pas paisible comme ici.
Lorsque les fleurs refirent leur apparition, Naïma était grosse, Naïm allait être père.
C’est aussi le moment où le chef indiqua à Naïm qu’il était temps pour lui de poursuivre
son expédition vers la montagne. Naïma pouvait rester dans son village, lui évitant un tel
périple. Il la retrouverait à son retour.
Ils avaient passé plusieurs semaines à préparer des embarcations de bonne tenue et les
guerriers de Naïm, accompagnés de plusieurs jeunes hommes du village de l’Eperon,
partirent vers les montagnes.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Lisbonne, Portugal, le 31 juillet, 15h30

Marc descendit du taxi qui l’amenait de l’aéroport après avoir réglé le prix, très modique,
de la course. Il avait réussi à trouver un vol direct depuis Rome, mais le billet de dernière
minute était lui à un tarif indécent qui avait troublé Karine lorsqu’il avait payé. Elle devait
commencer à s’interroger sur l’origine de sa fortune personnelle. Il s’était fait déposer place
Dom Pedro IV, en plein centre ville. La grande place encadrée de beaux bâtiments aux
façades blanche ou crème était couverte d’une sorte de mosaïque de petits pavés qui dessinait
des méandres et donnait toujours l’impression à Marc que la surface n’était pas plane, ni
même totalement immobile. Sensation d’autant plus désagréable qu’il se rendit compte qu’il
avait faim. Il devait trouver rapidement le Professeur Figueiras, mais pour le moment il
devait aussi chercher quelque chose à manger, car son petit déjeuner était bien loin. Le temps
était orageux et il faisait lourd mais il ne pleuvait pas encore et cela ne semblait pas gêner les
groupes de gens, touristes ou autochtones qui étaient très nombreux sur la place. Il repensa à
Karine, à leur aventure. En fait, il n’avait pas arrêté d’y penser pendant son voyage. Il tenta de
rationnaliser en se disant que c’était un moyen de défense après avoir appris le décès de ses
amis qui lui plombait le moral, mais il savait au fond de lui que c’était un peu plus que cela. Il
l’aimait bien cette fille. Il l’avait trouvée d’emblée très mignonne et l’avait soupçonnée très
intéressante, mais l’avait aussi découverte drôle la veille puis extrêmement sensuelle la nuit
dernière. Marc se demandait jusqu’où pourrait aller cette histoire entre eux. Elle avait l’air de
bien l’aimer aussi. Ou alors c’était une enquêtrice d’un genre nouveau qui couchait avec les
suspects pour les faire avouer. Il sourit à cette idée. En tout cas, elle s’était planté sur ce coup
là, car ce n’était pas lui le coupable. Mais cela le ramena à cette sordide affaire. Il devait
tenter de protéger Vitor Figueiras, car si ses hypothèses étaient justes, il était une prochaine
cible. Il prit son téléphone portable et tenta une nouvelle fois de joindre le professeur, sans
succès. Il se dirigea vers le nord de la place afin de rejoindre un restaurant qu’il connaissait et
où il pourrait manger malgré l’heure tardive. Tant qu’il n’avait pas réussi à joindre Figueiras,
il ne savait pas s’il devait louer une voiture pour le rejoindre sur le site de Zambujal ou
trouver son adresse personnelle à Lisbonne, s’il était rentré s’enfermer chez lui comme il le
lui avait suggéré.

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De sang, de cuivre et d’or 

Marc aimait beaucoup cette ville. Il regrettait que Karine se soit pas là et aussi bien sûr les
circonstances de cette visite. Peut-être pourraient-ils revenir dans l’avenir ? Il pourrait lui faire
découvrir Porto aussi, bien différente mais tout aussi charmante.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Lisbonne, Portugal, le 31 juillet, 17h50

La Largo da Academia Nacional de Belas Artes était une rue en pente faible, par rapport à
beaucoup d’autres rues du quartier. Pour le moment, la chaussée pavée était transformée en
torrent de montagne.
L’homme se rencogna dans un angle, sous la porte cochère du bâtiment des associations
étudiantes. C’était le quartier de la faculté des Arts. Heureusement que c’était la période des
vacances universitaires, sinon le coin grouillerait d’étudiants, mais quoi qu’il en soit, la pluie
d’orage avait vidé les rues rapidement. C’était un véritable déluge et on n’y voyait qu’à
quelques mètres. Tant mieux. Il avait moins de chance d’être remarqué. Au bas de la rue, il
distingua un tram jaune et blanc qui passait au pied d’une façade jaune et blanche, dans un
tonnerre de ferraille qui s’ajoutait au grondement du tonnerre.
Le Professeur Figueiras avait quitté la fouille dans la matinée, sans raison apparente. Il
était rentré chez lui et n’était plus sorti de son appartement. Et il était veuf. Tout seul. Il le
savait. C’était l’occasion qu’il attendait.
Il n’aurait pas dû être là. Il s’en rendait compte. Il aurait dû aller se fabriquer un alibi mais
tant pis, c’était trop tard et puis qui le suspecterait, lui. Il avait très facilement trouvé
quelqu’un pour faire le travail à sa place, pour quelques billets de cent. Il avait l’habitude de
recruter des ouvriers. Finalement il suffisait souvent d’entrer dans un quelconque bar de
quartier et d’observer un peu les gens. Un drogué prêt à tout pour se payer une dose, ce n’était
pas vraiment le profil qu’il avait l’habitude de chercher, mais ce n’était pas difficile à trouver
dans toute les capitales d’Europe. Il avait très vite repéré un petit loubard des cités, le crâne
presque rasé, une grande estafilade sur la joue gauche, un sourire carnassier et l’air de ne pas
avoir inventé grand-chose. Un véritable imbécile qui comprenait à peine l’anglais. Mais
finalement le mauvais portugais de l’homme et surtout quelques billets verts avaient suffit à
lui faire comprendre ce qu’il attendait de lui.
Le jeune loubard venait d’entrer dans l’immeuble du Professeur Figueiras. Il n’avait même
pas de gants, il allait laisser des empreintes partout. L’homme était déjà venu chez Figueiras,
il y avait de cela quelques années. Il se souvenait des deux tableaux, de petits maîtres mais
sans doute d’un certain prix, qui se trouvaient dans le salon. Il avait demandé au voyou de les
prendre après avoir tué Figueiras. Cela détournerait l’attention de la Police, encore une fois.
Son plan était parfait. Depuis le début.

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De sang, de cuivre et d’or 

49

Lisbonne, Portugal, le 31 juillet, 18h00

Marc était trempé, il était habillé léger, trop léger pour le climat changeant de la côte
atlantique, mais c’était ce qu’il avait amené pour Rome. Il venait de tourner dans la rue du
domicile de Vitor Figueiras, avait péniblement réussi à lire, à travers le rideau de pluie, le
nom de la rue sur la plaque à l’angle de la façade en face et s’accrochait à la rambarde qui
séparait le trottoir d’une autre ruelle en contrebas pour ne pas glisser sur les pavés du trottoir.
Il avait perdu beaucoup de temps. Pas moyen de joindre Vitor sur son mobile et il avait été
obligé de faire un détour par l’Université et de déployer des trésors de diplomatie, sans grand
succès, pour convaincre la secrétaire du Département de lui donner l’adresse personnelle du
Professeur. Le cerbère de la porte lui avait résisté pendant près d’un quart d’heure jusqu’à ce
qu’une jeune femme, dont le visage lui évoquait quelque chose, passe la tête dans le bureau.
Elle au moins le reconnaissait, pour l’avoir croisé dans un congrès quelques années plus tôt.
Elle savait qu’il était ami avec le Professeur Figueiras et avait convaincu la secrétaire de lui
noter l’adresse. Il n’y avait évidemment pas eu moyen de trouver un taxi sur le campus
universitaire et c’est en bus puis à pied que Marc avait réussi à arriver jusqu’ici. Mais il
n’avait plus un poil de sec.
Tout cela avait pris trop de temps. Il n’aurait pas dû prendre le temps de manger. Un
sandwich aurait pus suffire s’il avait su qu’il perdrait autant de temps à trouver cette adresse.
Il était maintenant animé d’un sentiment d’urgence et il lui semblait que chaque seconde
comptait.
Il remarqua à peine le bel immeuble à la façade jaune pâle, aux hautes fenêtres et aux
balcons de fer forgé. Il tenta d’essuyer tant bien que mal sa main sur un pan de sa chemise
trempée et appuya sur l’ouvre-porte puis pénétra dans le hall. Il repéra rapidement la boite aux
lettres de Figueiras, qui résidait au 2e étage. Il monta l’escalier en glissant sur les marches de
bois. Sa chemise en lin, fort peu adaptée, commençait à ressembler à une serpillère. Ce n’était
pas vraiment une tenue pour se présenter chez les gens. Mais, en même temps, Marc était
inquiet de ne pas avoir réussi à joindre Vitor depuis plusieurs heures. Sur le palier du second
étage, une porte était grande ouverte sur un appartement. Marc s’approcha de la sonnette et lu
le nom de Vitor Figueiras. Un bruit étouffé lui parvint depuis l’intérieur de l’appartement.
Merde ! Il arrivait trop tard.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Toulouse, France, le 31 juillet, 18h05

Karine était dans le bureau d’Henri Bard. Elle n’avait eu aucun mal à se faire ouvrir en
présentant sa carte de Police. Les collègues du pétrographe ne s’étaient pas encore remis de
son décès et la personne qui lui a ouvert lui avait clairement fait comprendre qu’il n’était pas
trop tôt que la Police s’intéresse à cette affaire, mais que ce n’était certainement pas dans son
bureau qu’elle allait retrouver son assassin, le chauffard ! Karine avait eu plus de mal, en
revanche, à s’en débarrasser alors qu’elle lui faisait des théories sur les gens qui ne
respectaient plus rien, surtout sur la route et ces jeunes qu’il faudrait mettre en camp de
redressement. L’importun refoulé jusqu’au couloir et la porte fermée, Karine put enfin
s’assoir devant l’ordinateur d’Henri Bard. Le bureau n’en était pas réellement un. Plutôt un
laboratoire organisé autour de ce qui devait être un microscope électronique, avec juste une
petite table pour l’ordinateur dans un coin de la pièce. Partout, des rayonnages supportant
divers matériels qu’elle ne connaissait pas et, sur les plans de travail comme par terre, une
multitude de petites boites en bois ou en fer. Des boites à cigares pour l’essentiel. Pas de
fenêtre et une ambiance de placard. Il y avait des choses partout dans ce tout petit bureau,
mais ce n’était pas la pagaille, au contraire. Toutes les piles étaient soigneusement faites. Rien
ne dépassait nulle part. Ce devait être un drôle de bonhomme ! Elle ouvrit une boite au
hasard. C’étaient des lames minces : deux plaques de verre qui renfermaient une tranche
ultrafine de céramique. En orientant la lame vers le néon du plafond, Karine distingua des
multitudes de formes et de couleur, des méandres, des points. C’était très joli.
Elle démarra le PC de la victime, ne sachant encore quoi chercher. La page d’accueil de
session lui demanda un code. Encore un maniaque qui s’imaginait travailler sur des trucs
secret-défense ! Elle pourrait retourner demander à l’autre barjot s’il connaissait le mot de
passe de son collègue, mais ne se sentait pas la force d’affronter à nouveau sa diarrhée verbale
fascisante. Elle regarda les papiers accumulés sur le bureau, réfléchit. Quel mot de passe
pouvait bien utiliser un pétrographe célibataire d’une quarantaine d’années qui vit dans un tel
placard ?
Sous le bureau, elle remarqua une grande pile de CD musicaux : Ah ! Au moins il aime la
musique. Mais je ne vais pas essayer les titres, un à un…
Son regard tomba ensuite sur une grosse enveloppe en kraft, posée sur un scanner à plat,
sur un meuble bas, à côté du bureau. L’enveloppe était tellement bien disposée régulièrement

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De sang, de cuivre et d’or 

sur le capot du scanner qu’elle ne l’avait pas remarquée. Pourtant elle aurait dû… Sur
l’enveloppe s’étalait le nom de Charles Delapierre suivi de l’adresse postale de la MMSH
d’Aix-en-Provence.
D’un geste, elle attrapa l’enveloppe et la décacheta. C’était un courrier prêt au départ.
Dedans, quelques feuilles dactylographiées et un CD-Rom où il était inscrit « Forcalquier ».
Elle commença la lecture : « Echantillon 1… Ces sédiments, par leur composition
minéralogique, sont très matures…en opposition avec la présence de carbonates fréquents…
typique d’un milieu alluvial recevant des apports latéraux… ». Elle s’arrêta très vite. Pour elle
c’était du charabia.
Une chose était sûre cependant. Cela concernait la fouille de Forcalquier et donc
potentiellement leur affaire. Elle devait faire passer ce document à Marc qui saurait sans doute
y comprendre quelque chose, très vite.
Karine prit le temps d’une fouille rapide du bureau… La maniaquerie de son propriétaire
rendait les recherches très faciles. Mais Karine qui ne parvenait pas à réaligner les piles
d’objets et de matériels aussi bien avait un peu l’impression de profaner quelque chose.
Rapidement, il lui sembla évident que les objets qu’elle cherchait n’étaient pas là. A côté du
microscope électronique, étaient disposées plusieurs lames minces du même type que celle
qu’elle avait regardé en arrivant. Parmi celles-ci, une attira l’attention de Karine. Une
étiquette sur un bord indiquait : « Forcal. éch. 1 ». Elle prit la lame, la rangea soigneusement
dans une petite boite vide trouvée sur une étagère et glissa le tout dans l’enveloppe kraft.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Il y a environ 4500 ans

Plus ils progressaient, plus les montagnes semblaient reculer. Ils parvinrent cependant à
la force des rames jusqu’au cœur des montagnes. Après des jours et des jours de navigation
éprouvante, la rivière laissant place à des torrents impétueux, ils durent abandonner leurs
embarcations et poursuivre à pied. Si les pentes s’accentuaient de plus en plus, les hommes
semblaient plus heureux de marcher que de ramer.
Au cours de leur expédition, ils durent se battre à plusieurs reprises contre des tribus
agressives. Plus ils remontaient et plus les hommes ressemblaient à des animaux sauvages. Ils
croisèrent quand même quelques fermes et villages plus civilisés où ils purent pratiquer le
troc.
A chaque fois, Naïm exhibait ses pierres de cuivre dans l’espoir qu’un indigène les
reconnaisse et puisse leur indiquer le bon chemin.
Pendant toute la belle saison, ils remontèrent la moindre vallée et Naïm scrutait le sol et
les parois à la recherche des précieux filons, en vain.
Puis le temps vint à changer. A la saison des orages dont la foudre terrorisait les hommes
tant ils étaient près du ciel, succéda la saison où la nuit le dispute au jour. Ils croisèrent
plusieurs troupeaux qui redescendaient vers les vallées.
A son grand regret, Naïm dut renoncer à poursuivre son exploration. Il leur fallait quitter
les régions montagneuses avant que la neige n’arrive.

.:.

Pendant ce temps au village de l’Eperon, le ventre de Naïma s’arrondissait. La vieille


Zena, celle qui connaissait les plantes et les secrets de la vie, veillait sur elle. Chaque jour
elle lui faisait consommer d’infâmes brouets et prononçait des incantations magiques pour
que le bébé arrive à terme et soit un garçon. Bientôt Naïma fut si grosse qu’elle ne put
presque plus bouger seule. Les femmes du village l’aidaient à sortir de sa cabane le matin et
à y retourner le soir. Elle passait ses journées à des activités domestiques, tissage, travail de
la peau et fut initiée aux techniques de la poterie selon les traditions des femmes du clan de
Naïm. Elle passait des heures à réaliser de petits décors très compliqués sur des gobelets.

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De sang, de cuivre et d’or 

La délivrance fut longue et douloureuse. Assistée des femmes du village dans une cabane à
l’abri du regard des hommes, Naïma crut mourir plusieurs fois avant que le nouvel homme
apparaisse. Car c’était un garçon ce qui ne manquerait pas de satisfaire Naïm le guerrier.

.:.

Aux premières neiges, Naïm et ses hommes étaient de retour au village de l’Eperon. Là,
plusieurs nouvelles attendaient Naïm. La plus importante pour lui, il était père d’un garçon.
Naïma et l’enfant se portait bien. En revanche l’autre nouvelle était bien triste, Outik, le vieux
chef était mort pendant la belle saison. A sa grande surprise, Naïm qui revenait peu fier de
son expédition infructueuse, fut acclamé par l’ensemble du village comme nouveau chef. Ainsi
en avait décidé Outik avant de mourir et les volontés d’Outik étaient toujours respectées.
Naïm, qui n’avait guère le choix sauf à se faire chasser du village à coup de pierres, accepta
cette charge et nomma son jeune fils Outiki à la mémoire du vieux chef défunt.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Lisbonne, Portugal, le 31 juillet, 18h05

Marc pénétra dans l’appartement, sans prendre aucune précaution. Il parcouru rapidement
un couloir qui desservait plusieurs pièces aux portes fermées et se dirigea vers la pièce du
fond qui semblait être un salon donnant en façade. Il entendit quelque chose qu’il ne parvint
pas à identifier sur le moment.
En quelques pas, il était dans la pièce. Un intérieur surchargé de gros meubles en bois
massif qui lui cachaient une bonne part des lieux. Il faisait sombre, en l’absence de lampe
allumée, une rare lumière grise était dispensée par les grandes fenêtres s’ouvrant sur l’orage.
Les bruits qu’il avait entendu recommencèrent et cette fois il comprit que c’étaient des
gémissements. Il mit plusieurs secondes à en localiser l’origine, derrière un gros canapé
tapissé de fleurs. Marc contourna le vilain meuble et trouva un homme étendu sur le sol, sur le
côté. Il se pencha et tourna le corps sur le dos. Il l’identifia immédiatement. C’était bien le
Professeur Figueiras. Sa chemise était trempée de sang, mais il bougeait un peu. Il était encore
en vie et il essayait de parler :
― Marc ! Não é un vöo. E porque compreendi. E devido a origem…3
― N’essayez pas de parler ! Je vais appeler les secours. Ne bougez pas Professeur !
Malgré son état, Vitor Figueiras l’avait reconnu immédiatement mais il n’avait de toute
façon plus la force de parler. Il ferma les yeux. Sa tête tourna sur le côté.
Marc mit une main dans sa poche pour en sortir son téléphone et composa le 112. Il
attendait fébrilement que quelqu’un prenne son appel en espérant que Figueiras ne soit pas
déjà mort. Il entendait enfin la sonnerie retentir dans son téléphone, mais tout à coup il sentit
une présence derrière lui et se retourna brusquement.
Un homme jeune, avec une cicatrice sur la joue, le regardait, l’air affolé. Une longue lame
dépassait de sa main. Elle était couverte de sang. Marc comprit immédiatement le danger mais
ne savait quoi faire. La peur le gagnait, mais l’homme se retourna vers la porte et s’enfuit en
courant. Marc sans réfléchir s’élança à la poursuite du jeune homme, son téléphone à la main
comme seule arme, dérisoire.
L’individu arrivait déjà sur le palier et glissait en freinant sa course vers l’escalier. Marc le
rejoignit très vite et toujours sans réfléchir se jeta vers ses jambes, les bras en avant. Souvenir

                                                            
3
« Marc ! Ce n’est pas un vol. C’est parce que j’ai compris. C’est à cause de l’origine… »

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De sang, de cuivre et d’or 

du rugby. Le placage était parfait. Le jeune voyou se retrouva au sol, moitié dans l’escalier.
Marc entendit le couteau qui tombait plus bas sur les marches. Il réalisait seulement
maintenant qu’il venait de se lancer bêtement derrière un homme armé… On n’était pas au
rugby. Il n’y avait pas de règles. La peur le paralysait. Dans sa chute, il avait lâché son
téléphone portable qui gisait sur le plancher de bois, à moins d’un mètre de lui. Il entendait
indistinctement quelqu’un parler dans le téléphone et voulu s’en saisir. La dernière chose dont
il pu se souvenir, plus tard, c’était la semelle de la grosse chaussure qui arrivait tout droit sur
son œil gauche.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Forcalquier, France, le 31 juillet, 19h30

Le Café de l’Hôtel de Ville occupait la meilleure position, sur la place du Bourguet, au


cœur du village. Une partie de sa terrasse surélevée de deux marches permettait d’embrasser
la place du regard, jusqu’au parvis de l’église. Depuis des années, c’était le fief ou le point de
chute des fouilleurs du site de La Fare, lorsqu’il leur arrivait de descendre au village. Sous la
toile verte de l’auvent, c’était Stéphane qui animait la discussion devant une bière pression.
Depuis que le Capitaine de gendarmerie lui avait appris la découverte du corps de Charles, il
réfléchissait mais ne parvenait à se décider :
― La question est simple. Le responsable de notre fouille est décédé. Devons-nous
poursuivre la fouille ? Ou non ?
Audrey réagit la première :
― Bien sûr que nous devons poursuivre. C’est ce que Charles aurait voulu, de toute façon.
― Je ne sais pas si cette discussion a lieu d’être, intervient Alain, le doyen des fouilleurs
qui suivait l’opération depuis ses débuts comme bénévole. C’est au Service Régional de
l’Archéologie de décider. Pas à nous. L’autorisation de fouille était au nom de Charles, pas au
tien Stéphane.
― Mais j’ai téléphoné au SRA à deux reprises, il n’y a personne pour répondre. Nous
devons donc décider nous même. Par ailleurs, je te rappelle que le responsable effectif de
cette fouille, depuis que Marc n’y participe plus, c’est bien moi et non Charles qui ne
s’occupait ni d’organiser, ni de contrôler, ni de quoi que ce soit, à part sa fameuse tombe, ces
derniers temps. Enfin, ni la Police, ni la Gendarmerie ne nous ont demandé d’arrêter les
recherches.
― Nous n’avons qu’à voter ! Propose Audrey.
― C’est une excellente idée ! Renchérit Stéphane. Faisons le immédiatement, cela fait une
demi-heure qu’on palabre et on n’avance pas. Alors, qui vote contre la poursuite de la
fouille ?
La petite quinzaine de fouilleurs réunis se regardèrent les uns les autres. Marie, une jeune
étudiante à la peau brunie au soleil osa d’une petite voix :
― Mais Stéphane, on peut pas voter. Qu’est ce que tu fais de Célia, Ahmed, Francisco et
Laurence qui sont restés au camp ?

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De sang, de cuivre et d’or 

― On fait sans eux. Si personne ne vote contre, ce ne sont pas quatre voix qui vont
changer les choses. Donc, je poursuis : qui s’abstient ?
Seul Alain leva le bras, un peu mollement.
― Qui est pour poursuivre la fouille ?
Les bras se levèrent dans un bel ensemble malgré la fatigue et les courbatures. Stéphane
reprit :
― Alors l’affaire est entendue. Nous poursuivons l’opération comme prévu et je m’occupe
de réessayer de joindre le SRA pour avoir des instructions.
― Et qu’est ce qu’on fait pour la fameuse tombe ? Intervient Audrey.
― Tu as raison. On va réaffecter deux ou trois fouilleurs. Il faut maintenant s’en occuper
en priorité. On pourrait laisser tomber le nettoyage du secteur nord-est pour le moment. Une
partie du mobilier funéraire de la tombe a déjà été prélevé et il a disparu. Il faut mettre le reste
en sécurité. Donc, dès demain matin, on fait un relevé global, une couverture photo et on
commence le démontage au plus vite afin de conditionner le mobilier restant et je
m’occuperai de le redescendre à la MMSH à Aix pour le mettre en sécurité. On fera le
démontage du corps ensuite. Tu peux t’occuper de passer un coup de fil à Jacques,
l’anthropo ?
― Oui, bien sûr.
― Alors, jeune gens, ce soir, je vous invite à dîner au restaurant. Marie, tu peux téléphoner
à ceux qui sont restés au camp pour leur dire de descendre nous rejoindre ? Nous allons boire
ensemble, à la mémoire de Charles, notre vieux Maître !
Audrey posa sa main sur l’épaule de Stéphane et lui dit, en aparté :
― On laisse le camp et la fouille sans personne ? Ça craint pas, après toute cette affaire ?
La tombe ? Le mobilier qui reste ? On laisse toujours au moins une personne d’habitude.
― Que veux-tu qu’il arrive de plus maintenant ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Lisbonne, Portugal, le 31 juillet, 18h15

L’homme, toujours caché dans son coin de porte, vit le loubard sortir de chez Figueiras et
se précipiter dans le chantier d’un immeuble en construction mitoyen. Malgré son sang-froid,
il avait eu peur, tout à l’heure, en voyant arriver Marc Andréas. Puis il s’était dit que, peut-
être, il allait faire d’une pierre deux coups. Le jeune qu’il avait payé avait l’air assez méchant
et assez bête pour tuer deux personnes. Andréas ne ressortait pas de l’immeuble. C’était plutôt
bon signe. Allez, ne pas trainer par là.
L’homme sortit de son abri et remonta la rue sous l’orage qui se calmait aussi brusquement
qu’il avait commencé, laissant derrière lui une odeur de pierre et de terre mouillées. Très bon
présage. Il se pressa, au cas où Andréas serait toujours en vie et ressortirait de chez Figueiras.
Il contourna la façade en veillant à rester de l’autre côté de la petite place, puis se ravisa et se
dirigea vers l’immeuble en construction.
Il pénétra dans le chantier en passant derrière la bâche comme il l’avait vu faire le jeune
voyou quelques minutes plus tôt. Il ne tarda pas à retrouver celui-ci, appuyé à un tas de sacs
de ciment. Il avait l’air sonné et peinait à reprendre son souffle. L’homme, qui faisait très
attention à ne pas salir son pantalon contre les murs, ramassa un fer à béton de bon diamètre.
Malgré le soin que mettait l’homme à ne faire aucun bruit, le voyou sentit une présence
derrière lui et commença à se retourner. Il n’en eu pas le temps car l’homme enfonça le fer à
béton à travers son blouson, au milieu du dos. Il poussa de toutes ces forces, s’arcbouta et
enfin la résistance céda et la grosse mèche de métal ressortit sous le sternum du jeune qui
n’avait pas émit le moindre son.
Il fouilla rapidement sa victime. Il récupéra la liasse d’euros qu’il lui avait donnée et
constata qu’il n’avait pas les toiles qu’il lui avait demandé de rapporter pour laisser croire à
un vol qui aurait mal tourné. Quel imbécile ! A cause de lui son leurre ne fonctionnerait pas.
Mais bon de toute façon la présence de Marc Andréas aurait permit de faire le lien avec le
décès de Delapierre. Il regrettait maintenant d’avoir tué ce petit voyou sans avoir pris le temps
de l’interroger sur Andréas. Avait-il tué les deux hommes ?
Il devait rester calme mais s’éloigner d’ici le plus rapidement possible.
Après avoir vérifié que la rue était toujours tranquille, il ressortit du chantier en essuyant
rapidement ses gants tachés de rouille. Dégât collatéral, pensa-t-il en s’éloignant rapidement
vers le haut de la rue.

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De sang, de cuivre et d’or 

55

Toulouse, France, le 1er août, 9h30

Karine n’avait plus de nouvelles de Marc depuis qu’ils s’étaient quittés à l’aéroport de
Rome. Elle était encore et de plus en plus inquiète. Aucun moyen de le joindre. Il ne répondait
pas sur son portable. Elle n’avait pas le numéro du prof portugais. Pour tromper son angoisse,
elle s’était rendue au commissariat pour en savoir plus sur la mort d’Henri Bard.
Le jeune collègue, auprès de qui on l’avait orienté, semblait totalement dépassé par son
travail :
― Vous savez, j’ai des dizaines d’affaires à traiter tous les jours…
― Mais enfin, toutes les affaires ne se soldent pas par la mort d’un homme, tout de même.
― Ce n’est qu’un accident, a priori. Il y a certes plusieurs délits, homicide involontaire,
non assistance à personne en danger, délit de fuite etc., mais ce n’est pas un tueur en série qui
va récidiver demain !
― J’aimerais en être aussi sûr que vous…
― Je ne comprends pas ce que vous sous-entendez. Vous savez, nous sommes en sous-
effectif permanent ici. Peut-être que chez vous – à Paris, dans les beaux quartiers – c’est
différent, mais ici on est en zone de guerre : Ce matin un homme a tué sa femme à coup de
planche à repasser, j’ai aussi des jeunes qui ont essayé de retirer de l’argent à un DAB avec
un… tractopelle, hier soir ! Et, encore, un forcené qui a passé la nuit à tirer sur tout ce qui
bouge parce qu’il ne supporte plus le bruit. Il faut dire qu’il vient d’emménager juste au-
dessus d’une boite de nuit, drôle d’idée pour quelqu’un qui ne supporte pas le bruit, non ? Et
il n’est que 9h du matin…
― Ok ! Ok ! Montrez moi quand même ce que vous avez sur cet « accident ».
― Bon, rapidement alors.
Le jeune policier se dirigea vers un meuble à classeurs suspendus. Après une brève
recherche, il en retira une pochette que Karine trouva bien mince.
― Il n’y a pas de témoin… Et pas d’enregistrement, puisqu’il n’y a pas de caméras dans le
coin. Je vous l’avais dit au téléphone, déjà, je crois. Ce sont les gens d’un bar proche qui sont
sortis, après avoir entendu la collision, qui ont trouvé la victime et appelé les secours, mais
trop tard. Il est mort sur le coup. Le choc a dû être très violent. Le véhicule avait déjà disparu.
Tiens, il parait que la victime était un habitué du bar en question… On a quand même la
marque et le modèle du véhicule.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Ah, vous voyez ! Comment vous avez eu ça ?


― Des débris de phare sur la chaussée. Il s’agit d’un phare avant droit de Mercedes classe
E, un modèle tout récent, semble-t-il. Belle bagnole.
― OK, et puis ?
― Et puis c’est tout… Quoi d’autre ? Vous savez combien il y a de classe E en circulation
rien que dans l’agglomération ?
― Vous n’avez rien fait ? On ne peut pas essayer d’identifier le propriétaire ?
― On a fait comme d’habitude. On a fait passer une note à tous les garages et les casses de
la région pour être prévenus si quelqu’un vient faire une réparation d’un phare de ce type chez
eux. Mais n’y croyez pas trop. M’étonnerait que les casseurs nous renseignent et même dans
le circuit officiel, il suffit au chauffard d’aller faire faire sa réparation à Carcassonne et hop !
Hors région ! Ni vu, ni connu.
― Merde ! Piste de merde ! Plus rien à renifler…
― Vous avez de drôles d’expressions, vous.
― Oui je sais, on me le dit tout le temps ! Mais sur l’accident lui-même, il n’y a pas eu
d’expertise ? Comment une collision à un feu rouge peut-elle tuer quelqu’un ? Le chauffard
n’a pas freiné ?
― Et non, il n’y a pas eu d’expertise, pour les raisons que je vous donnais tout à l’heure.
Pas assez d’effectifs, pas assez de moyens. Mais vous avez raison : Pour tuer quelqu’un sur le
coup, le chauffard devait rouler drôlement vite et dans ce cas pourquoi la victime ne l’a pas vu
venir ? Elle n’avait pas de casque de baladeur sur la tête… Ou alors, la voiture a accéléré
brutalement alors que la victime était déjà sur la chaussée, pensant que la voiture allait
naturellement s’arrêter au feu… Et dans ce cas…
― Dans ce cas, cela signifie que le conducteur a ralenti à l’approche du feu puis accéléré
seulement lorsqu’Henri Bard était déjà engagé sur la chaussée : C’est un homicide volontaire.
Voilà ce que c’est ! Ça vaudrait peut-être le coup d’enquêter un peu plus, vous ne croyez pas ?

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De sang, de cuivre et d’or 

56

Il y a environ 4500 ans

Une fois ses hommes reposés de leur voyage, Naïm en réexpédia deux vers la Dent afin de
rendre compte à Mistra des évènements.
La période froide fut particulièrement dure cette année là, mais dans le village de
l’Eperon, tout le monde vivait bien et le petit contingent de guerriers du peuple de Cuivre et
d’Or assurait une relative tranquillité à toute la vallée. Bien sûr, ils durent encore se battre
parfois, à l’arrivée d’expéditions belliqueuses de groupes voulant prendre possession du silex
rubané, mais toujours ils repoussèrent ces assaillants.
Un jour, les hommes que Naïm avait envoyés à la Dent revinrent. Ils lui apprirent que de
nouveaux bateaux en provenance de leur pays étaient arrivés et que plusieurs villages avaient
été construits dans la région de la côte. Ils finirent aussi par lui dire que Mistra était très en
colère que Naïm soit devenu chef d’un village indigène au lieu de venir lui faire son rapport
lui-même. Naïm rumina ces informations pendant quelques jours, puis n’y pensa plus.
Un jour des envoyés d’un village lointain, bien au-delà de la vallée du silex vinrent le
trouver. Il se disait que des hommes de son peuple, du peuple de Cuivre et d’Or descendaient
le grand fleuve au couchant en tuant et en pillant beaucoup sur leur passage… Les villages
du couchant, le long du grand fleuve faisaient appel à lui dont ils avaient tous entendu parler
pour qu’il fasse cesser les massacres. Tout d’abord, Naïm ne comprit pas. Des hommes de
son peuple ne pouvaient pas descendre le grand fleuve, ils devaient le remonter puisqu’ils
venaient de la mer. Aux descriptions faites par les hommes, il finit par comprendre qu’il
devait s’agir de l’expédition de Gunar, partie de leur pays bien longtemps avant la leur, et en
sens inverse, longeant la côte vers le froid ! Ils avaient donc trouvé un autre accès à cette
région, d’où provenait le grand fleuve.
Dès le lendemain, Naïm confiait le village à l’un de ses guerriers et prenait cinq hommes
pour rejoindre le grand fleuve et rencontrer la troupe de Gunar.
Ils cheminèrent d’abord vers le chaud, puis longèrent une rivière dont les indigènes
disaient qu’elle se jetait dans le grand fleuve. Ils voyageaient au froid d’une grande
montagne. Les villages qu’ils croisaient les acclamaient. Il semblait que leurs exploits contre
les cannibales avaient été beaucoup racontés de proche en proche ou alors c’était dans
l’espoir que Naïm arrête ses rudes compagnons avant que ceux-ci n’arrivent. En tout cas,
personne ne leur chercha querelle. Une fois dépassée la montagne, Naïm reconnut au loin la

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

rivière qu’ils avaient remonté et la falaise sur laquelle il avait construit son premier
campement. La petite rivière qu’ils suivaient se jetait effectivement dans la rivière qu’ils
avaient remontée un peu en aval. A la fin de la journée, ils arrivaient à la confluence de la
rivière et du grand fleuve majestueux que lui avaient décrit ses éclaireurs, il y avait déjà
longtemps, au début de leur périple. Le village s’étendait sur les pentes d’une petite colline
directement au-dessus du fleuve. Naïm s’aperçut rapidement qu’en fait de village, il s’agissait
plutôt d’une place de troc où se croisaient des gens de plusieurs villages venant d’un côté et
de l’autre du grand fleuve. Les poteries traduisaient la présence de peuples différents et de
nombreuses denrées et matériaux montraient une grande richesse. Les émissaires
présentèrent Naïm au chef de l’endroit. Celui-ci n’était manifestement pas un guerrier mais
arborait de nombreuses parures, dont plusieurs de cuivre.
Ils durent attendre deux jours l’arrivée de Gunar et de ses hommes. Trois embarcations
descendaient la grande rivière, chargées de guerrier. A l’avant de la première embarcation,
comme il se doit, Gunar se tenait debout exhibant fièrement ses nombreuses parures de métal
qui brillaient dans le soleil de ce milieu de journée venteux. Naïm et deux de ses guerriers
furent envoyés devant, à bord d’une longue pirogue afin d’accueillir les guerriers. Gunar ne
reconnut pas Naïm qu’il n’avait, connu que petit, mais ses parures et ses tatouages le
signalaient comme appartenant au peuple de Cuivre et d’Or.
Les présentations faites, Gunar fut introduit à son tour auprès du chef du village tandis
que ses guerriers trouvaient à manger et à boire. Gunar était très surpris de trouver des
membres de son peuple ici. Il ne pensait pas que d’autres expéditions avaient atteint cette
région. Mais il était content. Il cherchait un passage pour redescendre dans leur pays après
de nombreux printemps passés bien loin. Il serait bientôt chez lui. Et s’il n’avait pas trouvé
les montagnes d’or et de cuivre, il avait bien des choses à conter.

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De sang, de cuivre et d’or 

57

Lisbonne, Portugal, le 1er août, 10h00

Marc ouvrit les yeux dans une pièce toute blanche. Des meubles chromés brillaient autour
de lui. Une télévision éteinte était accrochée au mur dans un angle. Il y avait un épais rideau
bleu pâle qui obturait une fenêtre. Ce n’était pas un hôtel, plutôt une chambre d’hôpital. Il
avait un mal de crâne comme jamais. Il y avait plusieurs personnes autour de lui mais il ne les
reconnaissait pas. Une infirmière s’adressait aux autres. Il ne comprenait pas. Elle
parlait…portugais. Tout lui revint alors, il était à Lisbonne. Vitor Figueiras blessé ou mort, la
poursuite sur le palier. L’infirmière s’adressa à lui, en français maintenant :
― Bonjour Monsieur Andréas. Vous avez pris un méchant coup sur la tête. Vous êtes à
l’hôpital, mais tout va bien. Vous ne parlez pas portugais n’est-ce pas ?
―…
― Prenez votre temps. Réveillez-vous un peu. Vous n’aurez qu’une grosse contusion
finalement. Ces messieurs sont de la Police et veulent vous parler. Je vais assurer la
traduction.
― J’ai mal à la tête…
― C’est normal et ça va persister quelques jours.
Marc eu la curieuse impression de se redresser. La douleur lui vrillait le crane. C’est
l’infirmière qui redressait l’arrière du lit en appuyant sur un bouton. Elle attrapa un verre sur
la table voisine.
― Tenez Monsieur Andréas, prenez ces deux cachets et buvez un peu d’eau. Cela va aller
mieux.
Marc s’exécuta et ferma les yeux. Il entendit l’infirmière parler en portugais et se
rendormit.

.:.

Il ouvrit à nouveau les yeux. C’était toujours l’hôpital. Les mêmes personnes autour de lui.
Combien de temps avait-il dormi ?
Sans doute pas longtemps. Sa tête allait mieux semblait-t-il, mais il n’osait pas bouger de
peur de réveiller la douleur.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Un homme affublé d’une grosse moustache et d’une veste visiblement trop petite
s’adressait à lui en portugais. Il ne comprenait rien.
L’infirmière prit la parole alors que le gros portugais à moustache était encore en train de
parler.
― Monsieur Andréas, vous avez été agressé. C’est le voisin du Professeur Figueiras qui
vous a trouvé sur le palier. L’inspecteur voudrait savoir ce qui s’est passé.
Marc se redressa d’un coup :
― Le Professeur Figueiras, comment va-t-il ? Il était blessé…
La douleur revint. Il se laissa retomber sur son oreiller en écoutant l’échange en portugais.
L’infirmière reprit la parole.
― L’inspecteur est désolé, mais le Professeur Figueiras est décédé avant même l’arrivée
des secours. Vous le connaissiez ?
― Oh, merde ! Oui, bien-sûr, c’était un collègue. Je venais justement chez lui pour lui dire
de faire attention. Il était menacé.
― L’inspecteur demande par qui il était menacé.
― Je ne sais pas. Dites à l’inspecteur d’appeler en France, le Capitaine Foucher de
l’OCBC. Elle lui expliquera tout. Moi j’ai trop mal à la tête.
― L’inspecteur veut savoir si vous avez vu votre agresseur.
― Oui, jeune, l’air d’un voyou, probablement brun, une coiffure de commando, une
grande cicatrice sur la joue gauche. Les yeux sombres. Les dents très blanches. Avec un jeans
bleu, un tee-shirt noir et un blouson sans col, noir aussi ou bleu sombre… Ah, et de grosses
chaussures du genre Doc Martens ou Rangers… Celles-là je m’en souviendrai… Et un très
grand couteau, genre cran d’arrêt, couteau automatique vous voyez. Je ne l’avais jamais vu et
je ne sais pas de qui il s’agit.
Nouvel échange entre les portugais.
― L’inspecteur dit que vous avez des dons d’observation tout à fait étonnants vue la
situation dans laquelle vous étiez.
― Je suis archéologue, c’est mon métier d’observer et de décrire. Mais là, je ne me sens
pas très bien. Mon mal de tête revient. Dites lui d’appeler Karine Foucher de la Police
française… Elle doit être inquiète.
L’infirmière traduisit et le policier lui répondit un long moment. Du moins, c’est ce qu’il
sembla à Marc.
― Tranquillisez-vous Monsieur Andréas. L’inspecteur dit que vous n’êtes pas en danger.
Votre agresseur a été retrouvé mort à côté du domicile du Professeur, vous venez de

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De sang, de cuivre et d’or 

confirmer son signalement. Et, le Docteur dit que cet entretien est fini. Je vais vous donner un
calmant et vous allez dormir un peu. Demain, vous pourrez sortir de l’hôpital.
― Quel jour sommes nous ?
― Le premier août, et il est bientôt 11h du matin. Vous êtes arrivé hier soir… Maintenant
reposez-vous, Monsieur Andréas.
Marc n’y voyait rien à redire. Il prit le verre que lui tendait l’infirmière, le but à petites
gorgées et se blottit dans son oreiller. Les policiers étaient encore dans la chambre qu’il s’était
déjà rendormi.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

58

Toulouse, France, le 1er août, 11h30

Karine le savait. Elle en était sûre. Elle n’aurait pas dû laisser Marc partir seul à Lisbonne.
Un policier portugais venait de l’appeler pour l’informer des derniers évènements. Il avait
insisté sur le fait que Marc allait bien. Il avait juste pris en coup sur la tête et sortirait de
l’hôpital dès le lendemain. Cependant, Karine culpabilisait. C’était elle la policière. Elle aurait
dû y aller avec lui. Elle tournait en rond dans sa petite chambre d’hôtel triste. En réalité, elle
faisait des demi-cercles aller-retour autour du lit, la seule place dont elle disposait. La fenêtre
verticale étroite donnant sur un mur aveugle, au-delà de la petite cour, et la moquette au mur
lui faisaient penser que, décidément, elle n’était pas douée pour choisir les hôtels. Il fallait
qu’elle sorte, qu’elle prenne l’air, en attendant d’avoir Marc au téléphone. Impossible pour le
moment, lui avait dit le collègue portugais.
Karine arrêta ses allers-retours autour du lit et se pencha vers l’unique prise électrique pour
débrancher son téléphone portable qu’elle avait mis à charger. Elle était repassée à l’hôtel
exprès pour ça, inquiète à l’idée de tomber en panne de téléphone avant d’avoir eu des
nouvelles de Marc. Elle allait trouver un moyen pour aller à Lisbonne au plus vite. En
rangeant ses affaires dans son sac, elle se rendit compte que cette idée était stupide. Pour le
moment Marc ne risquait rien et comme la police n’avait pas de raison de le garder après
avoir enregistré sa déposition, il serait rentré en France dès le lendemain.
Elle reposa son sac, sortit de sa chambre et dévala l’étroit escalier en colimaçon jusqu’à la
réception. Elle sortit de l’hôtel dans un même élan, sous le regard désapprobateur d’une
matrone campée derrière le comptoir.
Décidément le quartier de la gare n’était pas très sympathique. Karine tourna dans l’allée
Jean Jaurès pour gagner le centre ville. Elle regarda un instant cette immense façade peinte de
bleu ciel, parsemé de quelques petits nuages, avant de réaliser qu’il s’agissait d’un reflet du
vrai ciel toulousain sur l’immense miroir de la façade de l’hôtel Pullman.
Son téléphone sonna. C’était sans doute Marc, enfin ! pensa-t-elle. Mais, non. C’était la
boutique. Les gars du labo étaient formels, aucune trace de messages incriminants dans
l’ordinateur de Charles Delapierre. Elle s’en doutait. Elle était maintenant convaincue que
Marc avait raison sur toute la ligne. On les menait en bateau depuis un petit moment. Tout
cela n’avait aucun sens.
Et toujours pas de nouvelles de Marc.

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De sang, de cuivre et d’or 

.:.

En quelques minutes d’une marche rapide, Karine dépassa la place Wilson et se retrouva
sur la place du Capitole. La grande place de Toulouse, entourée de ses bâtiments de briques
roses très classiques était occupée par un petit marché aux étals colorés et joyeusement
bordéliques. Elle décida de s’accorder une pause à l’une des nombreuses terrasses de
brasseries qui lui faisaient face. En attendant des nouvelles de Lisbonne, elle devait faire le
point.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Aix-en-Provence, France, le 1er août, 14h00

Le mistral s’était levé sur Aix-en-Provence et la température caniculaire depuis plusieurs


jours avait baissé de plusieurs degrés. Jacques Cassard descendit de sa voiture et gagna
rapidement l’entrée du Service Régional, emporté par une bourrasque.
Il pénétra dans les locaux du service toujours aussi vides et gagna l’étage du secrétariat. La
secrétaire qu’il trouvait charmante – peut-être une des rares personnes à les comprendre lui et
son travail – lui communiqua quelques messages sans grand intérêt. Encore et toujours des
gens pressés qui confondaient archéologie et chirurgie. Il eu ensuite la désagréable surprise de
découvrir une nouvelle pile de dossiers en attente dans son casier à courrier. Essentiellement
des demandes de financements pour les opérations de l’année suivante, qui lui étaient
communiquées dans le cadre de la pré-programmation, afin d’établir les budgets. Et encore, le
mois d’août qui se profilait était généralement le plus calme de l’année, beaucoup d’entreprise
prenant leurs vacances, il ne restait généralement que les opérations archéologiques en cours,
à gérer. Il croisa deux de ses collègues, chargés de matériel de relevé, qui partaient sur le
terrain. Ils le saluèrent rapidement et disparurent dans les escaliers en rigolant. Jacques
Cassard était sûr qu’ils se moquaient encore de lui.
Depuis que la mort de Charles Delapierre avait été annoncée, Jacques Cassard était mal à
l’aise. Ce n’était pas vraiment ce qu’il avait prévu. Il suivait d’aussi près que possible
l’enquête menée par cet arrogant de Marc Andréas et la jeune policière de l’OCBC, mais il
était à la fois ennuyé et vexé que cette dernière ne le tienne pas directement au courant de ses
investigations. Il était obligé de faire fonctionner tous ses réseaux pour suivre ce qu’ils
faisaient et ce qu’ils découvraient. Heureusement Jacques Cassard disposait de très
nombreuses relations « électroniques » : des gens qui ne le connaissaient pas directement et
ne le jugeaient pas sur sa figure mais qui, au contraire, appréciaient son travail. Le petit
monde de la protection du patrimoine qui comptait dans ses rangs des agents des Services
Régionaux de l’Archéologie, bien sûr, mais aussi des archéologues, des conservateurs de
musées, des policiers et des gendarmes et une foule de particuliers qui œuvraient ensemble à
la fois pour la sensibilisation du public et la répression des pilleurs.
Jacques Cassard devait réfléchir à la tournure que prenaient les évènements.

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60

Forcalquier, le 1er août, 16h00

L’abri qui surmontait la tombe avait été démonté. Les tubes d’échafaudage qui
constituaient la structure avaient été rejetés en vrac à quelques mètres en une sorte de Mikado
géant.
Stéphane revenait du camp en rapportant des sacs plastiques et des boites en cartons. Il
s’arrêta devant l’amoncellement de tubes et les colliers graisseux qui trainaient dans la
poussière :
― Putain ! Alain… C’est quoi ce bazar ? On se croirait à Furiani ! Appelle les gars et vous
me rangez tout ça : les tubes sur le bord de la fouille, proprement que personne ne se prenne
les pieds dedans et les colliers dans un sac à gravas.
― T’inquiète pas, c’est prévu. Je les laisse juste faire une petite pause après le démontage
de la structure, parce qu’ils ont souqué comme des bêtes…
― Ok, mais dans une heure, je veux que ce soit nickel !
La tête d’Audrey apparut hors de la sépulture :
― Stéphane ! Tu les apportes ces sacs ?
― Oui oui, j’ai réussi à en trouver mais évidemment il a fallu que j’aille jusqu’à Aix.
Dans la fosse, le corps de l’individu avait été protégé par une bâche. Tout autour, les objets
avaient été retirés de leur gangue de terre et portaient des étiquettes. Audrey, pieds nus,
jouaient à l’équilibriste entre les vases.
― Bon, on a bien bossé pendant que tu te promenais. On a fait la couverture photo et le
relevé graphique. Toutes les profondeurs ont été mesurées et on a fait deux coupes avec les
projections des objets. On a pensé à dessiner toutes les empreintes des objets qui ont disparu,
comme ça si on les retrouve, on pourra probablement les replacer sur le plan, du moins la
plupart.
― Tu as comparé les empreintes avec les photos d’objets de la police ?
― Oui. Certaines empreintes sont directement identifiables à partir des photos. Mais c’est
clair, tous les objets n’ont pas été photographiés, j’ai des empreintes qui ne correspondent à
rien.
― Espérons que ces objets soient retrouvés ! C’est quand même une découverte fabuleuse.
Pauvre Charles, il n’aura pas eu le temps d’en profiter.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Essaye de parler d’autre chose, s’il te plait, j’ai besoin de me concentrer, pour ne pas
faire de conneries. Faut qu’on sorte tous les objets maintenant et ce soir impérativement.
Jacques a appelé il monte demain matin à la première heure pour démonter le squelette. On va
mettre les objets en sacs, ils sont déjà tous numérotés, et je vais remettre quelqu’un à nettoyer
les abords du corps pour prélever tout le sédiment et le tamiser. Il y a peut-être des petits
éléments de parure ou autres qui n’ont pas été vus à la fouille.
― Oui, tu as raison. Je vais me changer et je reviens te donner un coup de main.
Alain se pencha au dessus de la fosse, en regardant le magnifique gobelet déposé à côté de
la tête :
― Il a l’air vachement différent ce gobelet là, non ?
Audrey fronça les sourcils en se retournant :
― Oui, on a déjà remarqué ça. En plus, il a été nettoyé nickel. Bon c’est vrai que selon
Marc c’est un vase hollandais, d’un style campaniforme très particulier et considéré comme
très ancien. Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas été volé avec le reste, s’il est si rare que
ça.
― Tout simplement, parce que ça n’intéresse pas les trafiquants, les vases. Ils n’ont pris
que les objets métalliques !
Audrey prit un air sceptique :
― Peut-être…

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Le soir venu, devant des gobelets de bière, Gunar leur conta son périple. Il était le chef de
la première expédition qui avait pris le chemin du froid. C’était une grosse expédition avec de
nombreux bateaux. De nombreux guerriers étaient morts pendant le voyage mais surtout il en
avait laissé dans plusieurs régions traversées pour créer des relais. Le voyage avait mal
commencé car ils avaient bravé de nombreuses tempêtes sur la grande mer, les obligeant
souvent à accoster dans des régions où les indigènes étaient belliqueux. Ils avaient atteint une
région où de grandes plaines étaient couvertes de géants pétrifiés. En longeant la côte, ils
avaient ensuite aperçu par beau temps, une très grande ile dont la côte n’était que falaises.
Ils avaient poursuivi leur route jusqu’à un important delta qui donnait sur un grand fleuve
qu’ils avaient entrepris de remonter. Le peuple qui vivait là était organisé en grands villages
et les avaient accueillis pendant plusieurs printemps. Leurs objets de cuivre avaient connu un
grand succès et ils avaient même découvert des objets de pierre qui imitaient les objets de
métal. Gunar leur montra alors un grand poignard avec un manche et un pommeau
intégralement taillés dans un silex très beau. Il leur expliqua que ce poignard venait de
régions très au froid, au-delà de ce qu’il avait lui-même exploré.
A partir du delta où ils étaient installés, Gunar avait entrepris d’explorer la grande ile. Ce
qu’ils y avaient découvert défiait l’imagination. C’était un très vaste sanctuaire où
subsistaient de très nombreux monuments très anciens. Il y avait de très grands cercles de
pierres dressées et des enceintes symboliques avec des fossés partout de diverses formes…
Les indigènes très superstitieux avaient accueillis comme des Dieux ces hommes bardés de
métal brillant au soleil, et quelques massacres de villages leur avait assuré une autorité très
importante. Gunar n’était pas qu’une brute, et s’était fait expliqué les coutumes locales. Il
avait alors compris que les géants de pierre dans la péninsule qu’ils avaient visité étaient
aussi des monuments à d’anciens Dieux. Ils avaient laissé un contingent sur l’ile avec ordre
de concevoir un grand monument qui serait dédié au soleil, leur Dieu principal, qui serait
réalisé en pierre et recouvert de métal dès qu’ils auraient découvert la Montagne de cuivre et
la montagne de l’or. Ainsi s’assurait-il le contrôle de ce vaste territoire. Gunar était ensuite
retourné sur le continent et avait entrepris de remonter le grand fleuve. Ils avaient mis
beaucoup de temps et avaient dû abandonner les embarcations avant de trouver une rivière
s’écoulant vers le pays du chaud et de la suivre. Ses hommes devenant de plus en plus

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

difficiles à diriger, ils les avaient autorisés à massacrer et à piller un peu au cours du voyage
retour. Mais, maintenant qu’ils étaient presque rentrés et avaient retrouvés des gens de leur
peuple, Gunar avait hâte de rentrer à la forteresse pour raconter tout cela aux siens.
Naïm avait à son tour raconté à Gunar les autres expéditions qui avaient suivi la sienne au
départ des grandes forteresses dans toutes les directions à la recherche des montagnes de
cuivre et d’or, et son expédition à lui, dirigée par Mistra, leur installation sur la Dent et sa
remontée de la rivière jusqu’au montagnes, les cannibales etc.
Gunar le félicita pour toutes ses aventures. Il était pressé de rentrer et ne passerait pas à
la Dent. Il chargeait Naïm d’aller conter son périple à Mistra et au vieux Gabor.
Ils passèrent quelques jours au village de la confluence, le temps que les hommes de
Gunar vident ce qu’il restait de bière dans chaque cabane. Le chef du village acceptait cela
tant que les soudards ne faisaient de mal à personne. Ils apportaient tous avec eux des objets
et des matériaux en provenance de contrées lointaines qui pouvaient être troquées ici contre
beaucoup de choses.
Puis Gunar décida de reprendre le fleuve et de rentrer. Naïm qui commençait à avoir une
petite idée de la configuration de la région et de la côte au-delà pour redescendre vers le
chaud, lui donna toutes les indications nécessaires. Alors, Gunar lui donna son grand
poignard de silex, en présent pour Mistra, chef d’expédition, et pour Naïm il offrit un conseil.
Celui de se méfier de Mistra qu’il considérait comme un fourbe.
Les embarcations de Gunar et celle de Naïm, empruntée au village de la confluence
naviguèrent de concert jusqu’à la mer où ils se séparèrent, Gunar virant vers le couchant
alors que Naïm naviguait vers le levant. Naïm ne mit que peu de temps à retrouver la passe
vers la petite mer intérieure et la petite plage au pied de la Dent. Pour la première fois depuis
bien longtemps il allait revoir le vieux Gabor et Mistra.

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De sang, de cuivre et d’or 

62

Lisbonne, Portugal, le 1er août, 18h10

Marc pénétra dans la salle d’embarquement de l’aéroport. Son vol pour Paris était prévu à
l’heure. Réveillé de nouveau en début d’après-midi, il ne supportait plus de rester coucher
dans cette chambre d’hôpital. Même s’il avait encore mal à la tête et un gros pansement au
dessus de l’œil, il devait retrouver Karine. Il avait dû attendre 16h00 pour rencontrer un
médecin et signer une décharge afin de pouvoir quitter l’hôpital. Son infirmière-traductrice
n’était plus de service et il avait erré dans les couloirs un moment avant de trouver un autre
patient parlant français. Il voulait être sûr de la définition d’origem : l’origine, lui avait
confirmé le vieux monsieur qui semblait ravi de s’exprimer en français. Un petit coup de taxi,
un passage par son hôtel pour récupérer son sac et payer sa note et direction l’aéroport, en
évitant bien de demander à la police portugaise l’autorisation de quitter le territoire…
Marc sortit son téléphone mobile et se rendit compte que la batterie était à plat. Si Karine
avait essayé de le joindre. Il fouilla dans une poche de son sac et en sortit une batterie de
secours chargée – un truc habituel chez les gens qui se déplaçaient beaucoup, comme lui – et
remplaça celle de son téléphone. Quelques secondes plus tard, il put parler à Karine :
― C’est Marc !
― Enfin ! Tu vas bien ? Tu es toujours à l’hôpital ?
― Ça va, ça va, juste un méchant coup sur la tête. J’ai quitté l’hôpital, et je vais prendre un
avion pour rentrer. Je file directement à Paris. Tu es toujours à Toulouse ?
― Oui, mais je pense que je peux être à Paris ce soir, moi-aussi. De toute façon, je ne te
quitte plus… Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose.
― Ne t’affole pas pour moi, j’ai la tête dure. Mais j’ai appris des choses. Nous devons aller
aux Pays-Bas au plus tôt. C’est probablement au tour de van Decken d’être en danger.
Figueiras a eu le temps de me dire un mot avant de mourir : origem, origine… Je pense qu’il
voulait parler de l’origine du vase de la tombe de Forcalquier… ce qui nous conduit aux Pays-
Bas. Nous devons retrouver van Decken au plus vite !
― Ok, moi aussi j’ai appris des choses. On fera le point ce soir. Je regarde les horaires des
vols et je te rappelle.
― Je serai sûrement en vol. J’embarque dans cinq minutes, mais laisse moi un message.
― Marc…
― Oui ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Promets moi d’être prudent.


― Pas d’inquiétude, je t’ai dit. Je t’embrasse.
Le téléphone de Marc émit un bip de réception de messages. Il n’avait pas consulté sa
messagerie électronique depuis un bon moment et malgré la période estivale généralement
plus calme, les mails arrivaient par paquets dans sa boite de réception. Il les lista rapidement.
Rien de très important, mais quand même un message de Fabienne Derise, la Présidente de
son association d’étude du Campaniforme, à Genève. En substance, elle l’informait qu’elle
avait envoyé un message circulaire aux membres de l’association pour savoir si quelqu’un
avait des nouvelles de Charles. Elle-même n’en ayant pas eu. Elle n’avait pas eu beaucoup de
réponses, la plupart des archéologues se trouvant sur le terrain et non devant leur ordinateur.
Du coup elle avait pris le temps de téléphoner aux principaux collègues de Charles en Europe.
Parmi ceux qu’elle avait réussi à joindre, un seul avait eu de nouvelles, il y a quelques jours.
Il s’agissait de Mel Ashton, le spécialiste de la métallurgie préhistorique atlantique, à Oxford.
Cela confirmait ce que pensait Marc, Charles n’avait mis que peu de gens dans la
confidence, ce qui réduisait considérablement la liste des potentielles victimes à venir et
c’était tant mieux. Mais, en se comptant lui-même, ils étaient encore au moins trois.
En deux lignes, Marc remercia Fabienne, renonçant tout de suite à lui annoncer le décès de
Charles par courrier électronique. Il l’appellerait plus tard. Puis, le message envoyé, il tenta
immédiatement de joindre Mel Ashton en Angleterre, dont il avait trouvé le numéro dans la
signature d’un vieux message électronique.
Ashton répondit immédiatement et Marc lui dressa rapidement un tableau de la situation et
l’interrogea sur le contact qu’il avait eu avec Charles.
― Et bien, cher Marc, c’est très simple. Charles m’a contacté pour m’annoncer qu’il
m’envoyait des objets métalliques pour analyse. Il m’a laissé entendre qu’il s’agissait d’une
découverte fantastique mais n’a pas voulu m’en dire plus. J’ai reçu les objets aujourd’hui et je
pense que je vais me mettre à l’analyse dès demain. Charles m’a fait promettre de m’en
occuper au plus vite.
Marc mit en garde son collègue, qui n’avait l’air nullement impressionné. Le flegme
britannique sans doute.
Marc éteignit ensuite son téléphone mobile et se rapprocha de la porte d’embarquement où
les hôtesses s’installaient déjà pour appeler les passagers.

.:.

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De sang, de cuivre et d’or 

Un peu plus tard, coincé sur son siège inconfortable, Marc faisait le point de la situation.
Curieusement, il n’avait pas particulièrement peur pour lui-même, malgré ses deux amis
assassinés, plus le voyou de Lisbonne : Déjà trois morts. Les morts, il avait l’habitude de les
côtoyer, de les choyer même, mais les siens étaient habituellement très anciens, à l’état de
squelettes. Il ne les connaissait pas et finalement il ne les considérait que comme du matériel
archéologique et non comme des personnes. Il avait surtout peur pour ses collègues qu’il avait
tendance à considérer comme de gentils savants incapables de se défendre face à un ou des
assassins. Van Decken et Ashton, il ne les connaissait pas bien. Il les avait rencontrés à
quelques reprises lors de colloques. C’étaient deux grands bonhommes de la discipline
comme l’étaient Charles et le Professeur Figueiras, et très sympathiques comme l’était aussi
Henri.
Il s’apprêtait à filer le plus vite possible à Leiden pour tenter de retrouver van Decken mais
il commença à s’interroger. Van Decken serait à l’étranger et s’il était au courant de l’affaire,
rien n’indiquait qu’il fut en danger immédiat si, tout comme eux, l’assassin ne parvenait pas à
le localiser. Ashton, au contraire, se trouvait chez lui. Il était facile à trouver. Et il avait en sa
possession plusieurs objets que lui avait envoyés Charles. Aucun doute, c’était Ashton la
nouvelle priorité.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

63

Paris, France, le 1er août, 23h00

Karine retrouva Marc en train d’avaler un sandwich au comptoir d’un bar de l’aérogare. Ils
s’embrassèrent longuement avant de prononcer un seul mot.
Karine regarda le gros pansement de Marc :
― Tu me jures que c’est pas grave ?
― Promis, juré ! Mais il y a un changement de programme, nous n’allons plus à Leiden
mais à Oxford. Une autre personne est au courant de la découverte de Charles et, en plus, il a
en sa possession des objets métalliques qui proviennent à coup sûr de la tombe de Forcalquier.
Il s’appelle Mel Ashton, c’est un spécialiste des objets métalliques.
― Tu penses qu’il pourrait être lié à cette histoire de vol et de meurtre ?
― Non, tout le contraire, je pense qu’il est probablement en danger, d’autant qu’il a des
objets avec lui ! Comme van Decken est injoignable en Hollande, j’imagine qu’il l’est aussi
pour l’assassin. Nous devons donc aller en Angleterre. J’ai regardé les disponibilités de vols
pour Londres. On ne peut pas partir avant demain matin. Qu’est ce qu’on fait ? On prend une
chambre ?
― Non ! On va faire un saut chez moi. En taxi, à cette heure-ci, on y sera en une demi-
heure.

.:.

Dans le taxi, ils échangèrent leurs informations.


― Je suis maintenant presque sûre que l’accident d’Henri Bard n’en est pas un, dit Karine.
― Je m’en doutais : Charles, Henri et maintenant le Professeur Figueiras… et je pense que
c’est au tour d’Ashton et peut-être de van Decken. Mais je ne comprends toujours pas
pourquoi. En tout cas, il n’est pas question d’imaginer que tous trempaient dans une histoire
de vente d’objets archéologiques. Je ne pouvais déjà pas y croire pour Charles, mais là…
― Tiens, j’ai aussi fait un saut au bureau d’Henri Bard. Son placard, je devrais dire. J’ai
trouvé un courrier qu’il avait préparé pour Delapierre. Il s’agit d’analyses d’échantillons. Je
n’ai pas tout compris.
Marc la coupa :

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De sang, de cuivre et d’or 

― Ça ne peut pas concerner notre affaire. Il n’y avait pas de prélèvements sur les vases de
la tombe. Et puis Charles et Henri travaillaient fréquemment ensemble. Pour le moment,
l’urgence c’est de protéger Ashton. Puis il faudra retrouver van Decken et le faire protéger
aussi. Tu ne pourrais pas faire intervenir la police néerlandaise ?
― Si, je pense que ça doit être faisable, mais si je ne passe pas par mon service, cela risque
de faire des vagues. Au fait ! Je ne t’ai pas dit. Il y a quelqu’un qui suit de près notre enquête.
Ton collègue Cassard d’Aix-en-Provence, il paraît qu’il pose des questions à tout le monde,
mais moi aussi j’ai mon réseau dans la Police alors ça m’est vite revenu aux oreilles.
― Tu penses qu’il pourrait être mêlé à cette histoire ? C’est un pseudo-archéologue et je ne
l’aime pas trop, mais je ne le vois pas en assassin ! Et puis quelles seraient ses motivations ?
― Sincèrement, je ne sais pas. Mais j’ai déjà vu tellement de choses bizarres en quelques
années dans la Police…

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Paris, France, le 2 août, 0h20

Un peu plus tard, Marc pénétrait dans l’appartement de Karine, dans le XIVe
arrondissement. Le petit deux-pièces, sous les toits était mansardé, très joli mais très petit au
goût de Marc qui ne comprenait toujours pas comment les parisiens faisaient pour vivre dans
de si petites surfaces.
― Je sais, dit Karine semblant lire dans ses pensées. Ce n’est guère mieux qu’une boite-à-
chaussures, mais si tu savais combien je paye déjà…
L’appartement était heureusement propre et les murs blancs sous les poutres du toit
donnaient une impression de volume, certes relative. Un gros ficus tournait un peu de l’œil
sous un velux.
― Il a probablement fait chaud ici aussi. Je ne pensais m’absenter que pour deux jours et
évidemment les plantes font la gueule.
Karine attrapa un petit arrosoir et se lança dans un sauvetage de plantes vertes. Marc se
rendit compte qu’au-delà de l’énorme ficus, des plantes étaient disposées un peu partout, le
long des murs, sur les étagères etc. Des plantes et des livres, en fait. Les étagères croulaient
sous le poids d’une montagne de livres, des romans au format poche pour l’essentiel. Les
piles de livres colonisaient aussi les tables de nuit et une partie du plancher en bois autour du
lit dans la pièce à côté qu’il apercevait par la porte ouverte. Marc s’approcha d’une étagère et
s’aperçut qu’il s’agissait de romans policiers, des polars de toute sorte, mais uniquement des
polars. Il se demanda si vraiment c’était une bonne façon de se vider la tête pour une capitaine
de police…
Karine râlait parce qu’elle venait de renverser de l’eau sur l’une de ses piles de livres. Ce
qui rappela Marc à la réalité. Il en revint aux urgences :
― Tu as une connexion internet ici, pour que je m’occupe des billets pour demain matin ?
― Oui, l’ordi portable sur le comptoir.
Le comptoir, c’était celui d’une cuisine américaine et effectivement un petit PC portable,
pas très récent, était posé entre une corbeille de fruits blets et une collection de bouteilles
d’huile d’olive.
― Ah je commence à comprendre d’où provient cette légère odeur immonde… En
espérant que ce n’est pas ton ordinateur qui commence à pourrir !

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De sang, de cuivre et d’or 

― T’es agréable, toi, à cette heure-ci ! Réponds Karine en regardant la corbeille de fruits.
Ben, tu n’as qu’à les jeter, ces fruits. La poubelle est juste de l’autre côté du comptoir.
― Excuse moi, je commence à fatiguer. Et je ne voudrais pas être désagréable avec une
parisienne qui a un goût si sûr pour l’huile d’olive !
Marc démarra rapidement l’ordinateur. Lança le wifi, se rendit sur une page de discount
aérien et trouva rapidement deux places pour un vol tôt le matin.
Karine avait disparu vers la chambre, mais ne s’y trouvait pas. Marc entendit le bruit de la
douche et découvrit une microscopique salle-de-bains installée dans ce qui devait être à
l’origine un grand placard de la chambre.
― Je te rejoindrais bien dans ta douche… Mais je doute de parvenir à y entrer avec toi
dedans. Tout est conçu pour les nains dans ce pays ?
Des volutes de vapeur sortaient de la cabine. Karine répondit sous le jet.
― Effectivement, aucune chance d’entrer à deux là-dedans. Mais j’ai fini ; j’arrive. Et tu
peux toujours essayer de me faire le coup de la migraine, avec ton gros pansement, parce que
je m’en vais te soigner, moi !
Karine coupa l’eau et sortit de la douche, nue et dégoulinante sur le petit tapis de la petite
salle d’eau. Marc allait lui passer une grande serviette suspendue à une patère, mais Karine se
lova contre lui, trempant immédiatement chemise et pantalon de son amant. Marc allait râler,
pour la forme, mais Karine le bâillonna de sa bouche en l’embrassant. Elle sentait bon le
savon. Karine se recula soudain :
― Mais ! Mon chéri… tu pues ! Avion, hôpital, transpiration sur désinfectant… Beurk !
Tu ne dis rien, tu me laisses faire.
Elle débarrassa Marc de tous ses vêtements en quelques gestes. Sa montre alla tout droit
dans le lavabo. Elle enleva le pansement et examina la blessure rapidement puis le poussa
dans la cabine de douche, dos à la porte. Elle régla le jet d’une main en attrapant gel douche et
gant de toilette de l’autre. Elle le frotta de la nuque aux pieds pendant plusieurs minutes avant
de le tourner vers elle. Marc se laissa faire et lui présenta un sexe dressé, arrogant. Comme si
elle n’avait rien remarqué, Karine reprit son nettoyage en règle, côté face, en faisant attention
à la blessure de Marc et en évitant soigneusement l’objet de son désir. Un peu plus tard,
agenouillée devant lui et après avoir essoré une nouvelle fois le gant, elle remonta vers son
sexe qu’elle entreprit de nettoyer comme le reste de son corps. Marc s’appuya contre le fond
de la cabine, alors qu’elle prenait son sexe dans sa bouche, enfin. Le jet de la douche
rebondissait sur le dos luisant de Karine et suivant ses lents mouvements commença à inonder
la chambre.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Autoroute A7, dans la vallée du Rhône, France, le 2 août, 03h00

Les lignes blanches de part et d’autre de la grosse berline défilaient à une vitesse
vertigineuse. Le compteur affichait un bon 170 km/h et pourtant le silence était presque total.
C’était une très bonne voiture. L’homme devait cependant faire attention à ne pas s’assoupir.
Il conduisait depuis des heures. Il savait cependant qu’il avait fait le bon choix. Alterner les
trajets avec son propre véhicule et en train, et utiliser ponctuellement une voiture volée. Il
payait les péages et les billets de train en espèces. Il évitait les aéroports et ne se servait ni de
ses cartes bancaires ni de son téléphone mobile trop souvent. Il était presque invisible.
Même s’il avait eu quelques brefs moments de doute, tout s’était finalement bien passé
jusque là. Il regrettait cependant de ne pas savoir si ce satané Andréas avait survécu à son
agression. Il ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps inactif.
Il avait encore à faire. L’appel lancé par Fabienne Derise aux principaux spécialistes du
Campaniforme en Europe avait provoqué de nombreux échanges entre collègues soucieux de
la disparition de Charles Delapierre et cherchant à en savoir plus. Il ne lui avait pas fallu
longtemps pour identifier les autres chercheurs potentiellement au courant de la découverte.
En particulier Mel Ashton qui serait en possession d’objets provenant de la tombe. Il devait
s’en occuper en priorité. Mais il ne s’agissait pas simplement de le tuer. Il devait
impérativement récupérer les objets, car il ne savait pas de quoi était composé le lot. Il
pourrait être incriminant.
Il réfléchit encore. Il lui était difficile de se rendre en Angleterre pour le moment, car il ne
pouvait pas rester absent de son bureau et son domicile. Il était officiellement en déplacement,
mais il ne devait pas paraître suspect. Il pensa à une personne qui pourrait sans doute lui
rendre un petit service, moyennant une rétribution pas trop excessive. Il était constamment
dans le besoin. Quelques milliers d’euros devraient suffire à le convaincre. Mais pouvait-il lui
faire confiance ?

.:.

Quelques kilomètres plus loin, l’homme bifurqua vers une station service violemment
éclairée. Il descendit de sa voiture et, malgré l’heure matinale, fut immédiatement saisi par la
touffeur, après des heures dans l’habitacle climatisé. Il y avait très peu de véhicules bien que

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De sang, de cuivre et d’or 

l’on soit début août, mais il est vrai qu’il circulait dans le bon sens. L’autoroute semblait plus
chargée dans le sens nord-sud. La traditionnelle transhumance des gens du nord vers la côte
méditerranéenne. Décidément il ressentait de plus en plus de mépris envers ses
contemporains.
Après avoir fait le plein de carburant, il alla payer, toujours en espèces, puis s’accorda le
temps d’un café au distributeur. Il ressortit du local où tout semblait verdâtre, comme dans un
aquarium et s’éloigna de quelques mètres en sortant son téléphone mobile. Il avait pris sa
décision.
Un simple coup de fil à un bar qu’il connaissait bien lui permit d’être mis en relation en
quelques minutes avec la personne qu’il cherchait. A 3h25 du matin, ce 2 août le sort de Mel
Ashton était scellé.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

66

Il y a environ 4500 ans

L’arrivée de Naïm sur la Dent fut cette fois ovationnée. Ses aventures avaient été
rapportées, surtout l’épisode avec les cannibales et qu’il fut devenu chef de village… Même
les indigènes des villages voisins de passage à la Dent vantaient ses mérites. C’était la
troisième fois que Naïm était fêté à son retour et s’en était trop pour Mistra qui ruminait
quelque chose.
Le village de la Dent s’était développé avec les nouveaux arrivants et s’étendait sur le
replat au pied de la falaise. Plusieurs hommes de la première expédition avaient été rejoints
par leur famille.
Naïm fut étonné de ne pas voir Gabor. Le vieux sage qui l’avait prévenu en songe, pendant
la fameuse nuit des cannibales, aurait dû venir l’accueillir. Il s’enquit de lui auprès de ses
compagnons du village qui avaient l’air gêné. Enfin il comprit que Gabor était mort depuis
plusieurs lunes. Naïm savait que Gabor était vieux et fatigué. Il avait tant vécu que cela
devait arriver. Son étonnement premier laissait place à la tristesse lorsqu’un homme lui
apprit que Gabor n’était pas mort de vieillesse mais avait été exécuté par Mistra qui l’avait
accusé de devenir fou. La tristesse de Naïm devint colère.
Naïm et ses hommes avaient rapporté beaucoup de choses du village de la grande rivière
et distribuaient à chacun de petits cadeaux. En même temps, Naïm tenta d’en savoir plus sur
la mort de Gabor, mais tous semblaient encore gênés d’en parler et Naïm sentait l’ombre de
Mistra s’étendre sur tous les hommes du village.
Naïm fit comme si de rien n’était mais prévint ses hommes les plus fidèles que quelque
chose n’allait pas.
Mistra regardait Naïm et ses hommes distribuer des vivres et des objets aux femmes et aux
hommes du village. Tout cela tournait mal. Naïm devenait bien trop populaire. Il était aussi
furieux que Gunar ne soit pas venu jusqu’à la Dent pour le saluer. A mesure que Naïm
prenait de l’importance, on ne le respectait plus lui. Il fallait agir vite avant qu’il ne retourne
définitivement tous les hommes.
Le soir venu, tous se regroupèrent autour de Naïm qui leur conta ses aventures et celles de
Gunar dans les terres du froid. Les hommes buvaient beaucoup de bière et buvaient les
paroles de Naïm lorsque Mistra intervint. Il accusa publiquement Naïm d’être un incapable
qui avait failli à sa mission de découvrir les montagnes de cuivre et d’or. Il l’accusa aussi

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De sang, de cuivre et d’or 

d’être un traitre à leur peuple en ayant été nommé chef d’un village indigène. Il demanda aux
hommes de se saisir de lui.
Aux ordres du chef d’expédition, deux guerriers s’emparèrent de Naïm et le relevèrent. Il
était à la merci de Mistra qui s’avançait vers lui en proférant des malédictions. Mistra se
saisit de son poignard de cuivre pour appliquer immédiatement la sentence en cas de
traitrise : la mort. Naïm restait stoïque. Il ne bougeait pas et ne répondait pas aux
accusations de leur chef, au grand effroi de tout le village réuni. Lorsque Mistra arriva
devant Naïm en levant bien haut son poignard afin que chacun puisse le voir, il se rendit
compte que l’un des guerriers qui le maintenait n’était autre que l’un des hommes de Naïm,
revenu avec lui. Il fit une grimace mais n’eu pas le temps de réagir. Le guerrier lâcha
simplement le bras de Naïm qu’il semblait tenir fermement un instant plus tôt. Naïm attrapa
le grand poignard de pierre de Gunar, présent pour Mistra, qu’il portait à la ceinture et le
planta dans la poitrine de ce dernier avant qu’il ne puisse faire un seul mouvement. L’autre
guerrier qui tenait Naïm esquissa un geste pour attraper son arme mais il fut maitrisé en un
instant par plusieurs guerriers sortis des rangs. Mistra était debout, il tenait encore sa lame
de cuivre à la main. Seul, le manche du poignard de silex de Naïm sortait de son cœur. Il
avait l’air incrédule et toussa une écume rouge qui coula dans sa barbe. Naïm retira le
poignard du cœur de celui qui avait été leur chef et le leva au dessus de lui. Dans la lueur des
feux et des torches, le poignard de pierre blanche avait pris la teinte du cuivre. Dans le
silence qui persistait, Naïm pris la parole et d’une voix forte expliqua aux hommes qu’il
n’avait pas voulu cela, que c’était bien Mistra qui avait perdu la raison et que justice était
faite pour le meurtre de leur vieux Connaisseur Gabor. Selon les lois du Peuple de Cuivre et
d’Or, Mistra était déchu et maudit et lui, Naïm, devenait le nouveau chef de l’expédition et du
village de la Dent. Naïm se pencha sur le corps de Mistra et le dépouilla rapidement de ses
parures de cuivre et d’or pour les revêtir lui-même, selon la tradition. Il sortit la lame de
pierre de la poitrine de sa victime, l’essuya soigneusement et la remit à sa ceinture. Le
magnifique poignard de silex venu d’un lointain pays inconnu serait finalement sien.
Le corps de Mistra resta à terre, là où il était tombé, jusqu’au matin. Puis les guerriers le
découpèrent en morceaux et les jetèrent aux cochons qui divaguaient en bordure du village.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Oxford, Grande-Bretagne, le 2 août, 8h00

Mel Ashton était appuyé contre l’une des colonnes rosées à base noire de la bibliothèque
Sackler qui évoquaient les restitutions du palais de Cnossos par Evans. Cela donnait une
petite touche antique à cet espace moderne qui, s’il n’avait ni la majesté ni le charme de « la
Bod », la grande bibliothèque Bodleian, était au moins un lieu pratique.
Il devait faire des recherches pour une prochaine conférence sur les débuts de la
métallurgie au Moyen-Orient pour un prochain colloque à Oslo et pensait avoir terminé déjà
la veille, mais le coup de téléphone du jeune Marc l’avait beaucoup plus troublé qu’il ne
l’avait laissé entendre. Le célèbre flegme britannique était parfois difficile à tenir.
Il n’avait pas réussi à travailler de toute la soirée. Cette histoire de trafic d’objets était
embarrassante, mais la mort de Charles surtout, assassiné, l’avait beaucoup affecté. Et puis les
morts tragiques d’Henri Bard et de Vitor Figueiras… Marc lui avait laissé entendre qu’il était
peut-être lui-même en danger.
Il avait passé une mauvaise nuit puis, au matin, il avait décidé de continuer à vivre
normalement. Il avait glissé les échantillons de Charles dans son veston et considéré que
l’analyse de ces objets ne présentait plus un quelconque caractère d’urgence. Il devait
terminer le texte de sa conférence et s’était donc rendu à la bibliothèque de très bonne heure
puisque le gardien le laissait ordinairement entrer avant l’horaire officiel.
Maintenant qu’il se trouvait là, seul, il regardait les rayonnages de bois qui supportaient
des milliers d’ouvrages, des vies de recherches et des pans entiers de la connaissance
accumulée par les archéologues au cours des deux derniers siècles, il doutait.
Marc avait été très clair. Il risquait d’être assassiné. Il devait se cacher le plus rapidement
possible. Se cacher. Comment ce jeune français imaginait un instant qu’un Ahston pourrait se
cacher. Son grand père était mort en héros pendant la troisième guerre anglo-birmane en 1885
et son père avait été membre des SAS. Il regarda la grosse montre radiomir de l’Officine
Panerai qu’il tenait de son père et portait toujours au poignet. Son dernier cadeau qu’il tenait
lui-même d’un officier italien dont il avait épargné les hommes à la fin de la seconde guerre
mondiale. Non ! Si lui, Mel, n’avait pas embrassé la carrière et était devenu un scientifique
plus habitué aux bibliothèques et aux laboratoires qu’aux champs de bataille et aux actions
commandos, un Ashton ne se cachait pas. Son visage ridé sembla se détendre. Il avait pris sa
décision. Si la fin devait arriver, il fallait qu’il s’y prépare.

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De sang, de cuivre et d’or 

68

Oxford, Grande-Bretagne, le 2 août, 10h00

En sortant de la gare d’Oxford, Karine et Marc partirent d’un bon pas vers le centre-ville.
Après un nouveau trajet aérien de Paris à Gatwick, puis le Gatwick express pour Londres,
puis encore le train de Londres à Oxford, ils avaient décidé de se dégourdir les jambes.
Naturellement Marc connaissait l’Ashmolean Museum où travaillait Ashton mais il suivit
Hight Bridge Street, puis George Street pour atteindre Magdalen Street, le prolongement de
Commarket, la rue principale. Ce n’était sans doute pas le plus rapide mais c’était plus
agréable. Et puis Oxford était une toute petite ville.
Karine était un peu déçue. Malgré plusieurs voyages en Angleterre, elle ne connaissait
Oxford qu’au travers du cinéma et en avait gardé une toute autre image. Surtout depuis The
Oxford Murders avec John Hurt et Elijah Wood qu’elle avait adoré, même si elle avait
toujours du mal à détacher l’acteur Elijah Wood de l’image de Frodon Saquet, le Hobit….
Lorsqu’ils tournèrent dans Beaumont Street, Karine découvrit la façade monumentale de
l’Ashmolean Museum d’Art et Archéologie avec son entrée en forme de temple antique à
colonnade et fronton.
Ils entrèrent rapidement dans le Musée et Karine fut surprise de ne pas voir de guichet ni
de file d’attente. Marc lui expliqua :
― Ici, l’entrée des Musées publics est gratuite. Ils incitent les gens à faire des dons pour
assurer une part de financement, mais seules les expositions temporaires sont payantes. La
culture pour tous, quoi ! C’est autre chose qu’en France. Par contre le Musée est encore en
travaux et je ne suis venu ici qu’une fois, il y a déjà longtemps. On va demander où se trouve
le Département de Conservation.
Rapidement renseignés par une gardienne aux dimensions toutes aussi monumentales que
celles du Musée, ils parcoururent rapidement les salles d’exposition jusqu’aux bureaux de la
Conservation.
― Entre autres choses, ils ont pas mal de vestiges de la fin du Néolithique et du
Campaniforme. Ashton nous fera peut-être la visite tout à l’heure, si tu le souhaites, expliqua
Marc.
Karine et Marc rencontrèrent un homme d’une cinquantaine d’années que Karine pensa
être Ashton, mais Marc s’adressa à lui en lui demandant où se trouvait le bureau de son

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

collègue. L’homme répondit qu’il n’était pas au Musée mais qu’il s’était rendu sur le site de
Stonehenge dans le Wiltshire. Marc se retourna vers Karine :
― Merde ! Il veut se faire tuer celui-ci ou quoi ? Pourquoi n’est-il pas resté simplement
ici ? Il aurait pu aller se cacher quelque part, j’aurais compris, mais visiblement il est très
facile de savoir où il s’est rendu.
― Je ne sais pas Marc, mais nous ferions bien de nous dépêcher. On laisse tomber les
transports en commun et on loue une voiture. Ça fait loin, Stonehenge ?
― D’ici aucune idée. Je dirais au moins 150 kilomètres.
Marc sortit son téléphone mobile et regarda l’itinéraire sur l’application GPS :
― Si j’en crois la technologie moderne : 109 kilomètres, 1h20 de route environ.
― Partons tout de suite ! conclut Karine.
Avant de sortir du Musée, Marc avisa la grosse gardienne et alla lui demander l’adresse
d’un loueur de voiture proche.

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De sang, de cuivre et d’or 

69

Entre Oxford et Stonehenge, Grande-Bretagne, le 2 août, 12h10

Karine était au volant. Elle avait séjourné plusieurs fois à Londres et avait plus l’habitude
de la conduite à gauche que Marc, plongé dans ses pensées à côté d’elle. Karine qui était un
peu fatiguée par la folie de ces derniers jours, avait un peu peur de s’endormir sur cette voie
rapide qui traversait, plein sud, des paysages monotones, et l’interrogea pour alimenter la
conversation :
― Parle moi un peu de Stonehenge. J’ai lu quelques trucs sur ce célèbre tas de cailloux,
mais je ne savais pas que cela avait à voir avec tes Campaniformes.
― En fait, oui. Stonehenge a une relation avec la problématique campaniforme, mais ce
que tu appelles « tas de cailloux » est surtout un monument très compliqué qui a été plusieurs
fois transformé et qui ne comportait d’ailleurs peut-être pas de pierres à l’origine. Jusqu’à une
époque récente, les spécialistes de Stonehenge pensaient que le premier monument était un
fossé circulaire, complété d’une levée de terre, l’ensemble dépassant les 90 mètres de
diamètre. Un henge comme il en existe beaucoup en Angleterre. Ce premier monument était
daté autour de 3000 avant notre ère. A un moment, soit en même temps, soit un peu plus tard,
un cercle de fosses, 56 au total, est implanté juste à l’intérieur de cette enceinte périphérique ;
on les appelle les trous d’Aubrey, du nom de leur découvreur. On pensait qu’il s’agissait de
calages de poteaux de bois. Dans une seconde phase, le lieu était utilisé pour y déposer des
restes humains incinérés. Ce n’est qu’au milieu du IIIe millénaire que le premier monument en
pierre aurait été construit avec ce qu’on appelle les pierres bleues qui proviennent des monts
Preselli au Pays de Galles à 240 kilomètres de Stonehenge.
― Mais c’est crédible ça ? Comment ont-elles été transportées ?
― Sans doute par voie de mer, puis en remontant un fleuve. Les pierres ne sont pas
énormes mais ça représente quand même un sacré parcours. Et oui, c’est crédible. Les études
géologiques sont formelles. Ce n’est qu’ensuite que seraient implantés le grand cercle de
sarsens et les cinq grandes trilithes, les grands portiques.
― Tu emploies beaucoup le conditionnel pour un scientifique, non ?
― Je pense au contraire que ce devrait être la règle chez les scientifiques ! Aucune Vérité !
Seulement des interprétations… valables jusqu’à ce qu’elles soient invalidées. Concernant
Stonehenge, un nouveau phasage a été proposé dans les dernières années. Les pierres bleues
auraient été implantées dans les trous d’Aubrey dès la première phase et les cercles centraux

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

de sarsens avec les trilithes seraient mis en place dès avant le milieu du IIIe millénaire…
Avec plusieurs remaniements successifs jusqu’au milieu du second millénaire, mais ça on le
savait déjà. De toute façon, à deux cents ans près dans un sens ou dans l’autre pour tels
aménagement précis, la chronologie générale du monument demeure à peu près valide.
― Mais ça ne nous dit pas à quoi ça servait ce monument ?
― Effectivement, et c’est sans doute là le plus compliqué. On a très longtemps qualifié
Stonehenge de temple du soleil en raison de l’orientation même du monument. Le soleil se
levant dans l’exact alignement principal du monument le jour du solstice d’été.
― Ah oui, je me souviens de ça. Les druides font des cérémonies tous les ans, c’est bien
ça ?
― Oui, Stonehenge attire une foule de mystiques New Age, de druides et de sectes tout au
long de l’année mais particulièrement ce jour là. Mais Stonehenge est bien antérieur au
monde celtique et encore plus à la légende de Merlin qu’on évoque toujours… Dans les
dernières années, j’ai vu passer une étude qui proposait que Stonehenge était un monument
lunaire à l’origine qui avait été remanié pour devenir un monument solaire. Et puis
récemment, une autre étude a mis en relief l’importance des restes humains découverts au
cours des derniers siècles sur le site, entre 150 et 240 individus selon les diverses estimations
faites à partir de résultats de fouilles et découvertes anciennes… Il y a d’ailleurs une tombe
campaniforme très riche qui a été découverte dans le secteur, la sépulture de « l’archer
d’Amesbury » qui a livré une quantité inédite de mobilier, y compris des parures en or. La
publication doit justement sortir ces jours-ci. Mais je ne pense pas que Stonehenge puisse se
résumer à un site funéraire. Même si les nécropoles tumulaires sont très nombreuses dans le
secteur. C’est un peu comme si on disait que nos églises sont des nécropoles parce qu’il y a
dedans ou autour une fosse commune et des caveaux… Ça n’est pas si simple.
― Je vois.
― La dernière hypothèse en date a très largement été relayée par les médias. C’est celle
d’un lieu de pèlerinage qu’en France on a tout de suite comparé à Lourdes : une Lourdes
néolithique ! Ce sont les fameuses pierres bleues qui auraient eu un pouvoir de guérison… Je
ne sais sincèrement pas ce qu’on peut faire de cette hypothèse… Mais à cette occasion une
nouvelle fouille réduite a été organisée au cœur du monument et de nouvelles datations ont
été réalisées qui rajeuniraient un peu la phase de construction du monument de pierre qui
tomberait en plein dans la période campaniforme !
― Bref, comme d’habitude, selon toi, on ne sait rien !

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De sang, de cuivre et d’or 

― Nous ne savons pas grand-chose, nuance. Mais nous savons que ce n’est probablement
pas une station service pour soucoupes volantes, ni un émetteur radio cosmique relié à la
grande pyramide de Khéops, c’est déjà pas mal !
― Ne te fous pas de moi, s’il te plait.
― Non, non ! bien sûr que non ! Tout cela a été dit et écrit… Mais pour moi, le plus
intéressant est sans doute que Stonehenge n’est que la partie émergée de l’iceberg, comme tu
dirais. Il y a beaucoup d’autres sites monumentaux néolithiques dans le secteur de Stonehenge
et il y en a de plus anciens. Tiens, il y a Woodhenge qui, comme son nom l’indique, est aussi
un monument circulaire mais composé de poteaux ou de constructions en bois et non en
pierres, il y a aussi de nombreuses et grandes nécropoles, je te l’ai dit. Il y a ce que les anglais
appellent une avenue qui est une sorte d’allée limitée de chaque côté par un fossé et une levée
de terre, de plus de trente mètres de large, qui assure la jonction entre le monument de
Stonehenge et la rivière Avon à un kilomètre de là. Et encore plus étonnant ; il y a les cursus.
Ces monuments se composent comme des avenues, sortes de très larges allées bordées de
fossés et levées de terre, mais avec deux nuances importantes : ils sont beaucoup plus grands :
plus de 2700 mètres de longueur et 100 à 150 mètres de largeur pour le grand cursus de
Stonehenge et surtout ils partent de rien pour ne mener à rien et sont d’ailleurs fermés aux
deux extrémités. Celui-ci a fait l’objet de fouilles récentes qui ont permis de le dater entre
3600 et 3300 avant notre ère, soit plusieurs siècles avant le début de la construction du
monument de Stonehenge que tu connais… Etonnant, non ? En fait, il existe un autre cursus
encore plus grand dans le Dorset que l’on peut suivre sur près de 10 kilomètres.
― Une sorte de land art, quoi ?
― Interprétation intéressante, chère collègue ! Mais oui, pourquoi pas. Dans le secteur de
Stonehenge, la topographie naturelle a été sacrément aménagée… Et c’est le cas d’autres
secteurs dans le sud de l’Angleterre. Tiens une découverte récente intéressante, même si je
n’ai pas encore lu beaucoup de choses dessus, c’est la découverte d’habitats néolithiques du
troisième millénaire à proximité de Stonehenge. Jusqu’à présent on pensait que toute la région
n’était qu’un vaste sanctuaire avec des nécropoles. Mais il y a des gens qui ont vécu là.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Stonehenge, Grande-Bretagne, le 2 août, 13h00

Karine venait d’apercevoir le fameux monument de Stonehenge sur sa gauche en bord de


route, derrière un grillage.
― Ben, pas très sexy comme implantation, ce bord de route et ce grillage. Dit-elle en se
retournant pour suivre les vestiges du regard.
― Fais attention, l’entrée du parking est juste là.
Karine regarda à nouveau la route et freina un peu brutalement pour s’engager sur le
parking.
― Je crois que tu viens de rentrer par la sortie !
Effectivement deux voitures en sens inverse, mais juste en face, pilèrent dans un
crissement de pneus.
Karine, loin de se démonter sortit la tête par la fenêtre :
― Sorry, I’m french ! Et elle contourna les deux véhicules pour aller se garer un peu plus
loin.
― Quand tu m’as dit que tu avais l’habitude de la conduite à gauche…
― C’est vrai, aucun problème… sauf pour tourner à droite et aussi sur les ronds-points où
il faut que je réfléchisse un peu.
Marc entraina Karine au guichet d’entrée où ils se présentèrent. On les informa qu’Ashton
se trouvait sur le site. Ils traversèrent un passage souterrain aménagé sous la route et
ressortirent sur un petit chemin goudronné qui les conduisit vers les pierres. Autour du
chemin, le gazon d’un vert profond était impeccablement tondu.
― Ce n’est pas gratuit comme les Musées ici ?
― Hélas non, c’est même plutôt cher. Mais il y a des projets d’aménagements du site, en
déplaçant la route ou en l’enterrant même, qui sont colossaux. Il faut bien financer tout ça. Et
puis je n’ai pas dit que les Anglais étaient parfaits…
Des petits groupes de touristes semblaient contempler le site uniquement à travers
l’œilleton de leur appareil photo, sous la surveillance de gardiens à la veste jaune fluo.
Marc fit remarquer à Karine qu’ils pénétraient à l’intérieur du henge et Karine n’avait
même pas remarqué la faible rupture de pente sous le gazon qui marquait le passage de
l’antique fossé. En s’approchant du monument en pierre, Karine le trouva plutôt petit. Elle
imaginait cela plus grand. Marc aperçut un homme assis au centre du monument :

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De sang, de cuivre et d’or 

― Je crois que c’est Ashton.


Marc lui fit un signe et l’homme les interpella en français :
― Venez mes amis ! Venez jusqu’à moi !
Sans attendre, Marc franchit la petite clôture essentiellement psychologique – un simple
câble qui courait de piquet en piquet et qu’il suffisait d’enjamber – qui bordait le chemin,
suivi de Karine et bientôt de plusieurs visiteurs toujours accrochés à leur appareil photo.
Normal, pensa Karine, si un seul franchit la limite, tout le monde se croit autorisé à en faire
de même… Elle se demanda s’ils en avaient réellement le droit eux-mêmes.
Un gardien rappela vivement à l’ordre les visiteurs et ceux-ci montrèrent bien évidemment
Marc et Karine du doigt. Le gardien, sans doute averti par radio, leur répondit sèchement que
seuls les archéologues professionnels étaient autorisés dans le monument.
Lorsqu’elle pénétra à l’intérieur du cercle de sarsens, Karine prit conscience de la majesté
du lieu et des dimensions de ces blocs de pierre taillés.
Mel Ashton était assis en tailleur au centre du monument, par terre. C’était un monsieur
assez âgé à la crinière blanche, habillé comme devait l’être un scientifique anglais dans
l’imaginaire de Karine : un costume de tweed de couleur caca d’oie avec un motif écossais
rouge brique, des empiècements de cuir aux coudes… Une véritable caricature.
Marc s’adressa à lui en français :
― Bonjour Monsieur Ashton. Je ne vous avais pas dit de vous cacher ? Vous êtes en
danger. Il y a déjà eu quatre morts !
― Mon jeune ami, vous êtes bien excité. Présentez moi plutôt cette charmante personne
qui vous accompagne.
Marc s’exécuta mais insista sur le fait que sa compagne était une policière enquêtant sur
des meurtres.
― Ashton, vous ne pouvez pas rester là ! C’est dangereux.
― Mon jeune ami, la vie toute entière est dangereuse puisque nous la passons à la risquer
et que nous finissons tôt ou tard par la perdre. Je suis venu dans ce lieu, saint parmi les lieux
saints pour me ressourcer. J’aurais pu aller à Jérusalem me direz-vous et vous aurez raison,
mais Jérusalem est trop loin, et Stonehenge est un site sacré beaucoup plus ancien. Si je dois
mourir autant que ce soit ici.
Ni Marc, ni Karine ne lui auraient suggéré Jérusalem en vérité. Et Marc tomba un peu des
nues : la plupart des préhistoriens sont des laïcs, souvent athées, parfois purs esprits mais
parfois aussi matérialistes et voilà qu’il tombait sur un des rares qui soit fataliste et, vu sa
position de fakir, peut-être un peu mystique. Difficile à protéger !

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Avez-vous les objets que Charles vous a envoyé ?


― Oui, sur moi, comme il se doit.
Mel Ashton sortit de sa poche intérieure un sachet contenant deux petites boites opaques en
plastique blanc qu’il tendit à Marc.
Marc s’accroupit aux côtés d’Ashton et ouvrit la première boite. Il s’agissait d’une petite
alène à double pointe en métal, probablement du cuivre. Dans l’autre boite une petite spirale
d’or brillait d’un bel éclat.
― Ces objets ne figuraient pas sur les photos d’internet. Charles a dû les envoyer ici avant.
En tout cas, une chose est sûre, cela correspond bien à ce que j’ai pu voir sur les photos. Ce
« trésor » comme tu dis existe bel et bien et il est réellement exceptionnel.
Ashton le regarda d’un air intéressé :
― Un trésor vous dites ? Du troisième millénaire ?
― Oui, Charles est mort à cause de ça. Il a découvert un lot important d’objets en cuivre et
en or dans une sépulture en Haute-Provence.
― Un lot important ?
― Plusieurs dizaines d’objets semble-t-il, une soixantaine au moins. Mais ils ont disparu.
Le Capitaine Foucher enquête sur une possible vente clandestine de cet ensemble.
― Mais cela change tout mon jeune ami. Hors de question pour moi de mourir avant
d’avoir pu examiner les autres objets. Emmenez-moi où vous voulez, mais je dois encore
vivre un petit moment semble-t-il.
Marc et Karine échangèrent un regard. Ce type était sans doute un peu siphonné pensa
Karine, qui craignit immédiatement d’avoir pensé tout haut. Mais les deux hommes ne
semblaient pas avoir entendu quoi que ce soit.
Le vieil homme toujours dans son inconfortable position sembla s’agiter :
― Mon jeune ami ! Donnez-moi le bras, voyons… Vous ne voyez pas que je suis coincé !

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Naïm ne resta que quelques jours au village de la Dent. Il était pressé de retourner vers ce
qu’il considérait maintenant comme chez lui, au village de l’Eperon et de retrouver sa femme
et son enfant. Dans une grande cérémonie, il nomma un de ses plus vieux et fidèle guerrier
chef du village de la Dent, car lui-même ne pouvait être chef de plusieurs villages. Il avait fait
son choix.
Il regagna donc le village de l’Eperon, avec plusieurs de ses hommes qui contribuèrent à
l’agrandir.
Les jours succédaient aux jours, les lunes aux lunes. Naïm s’était installé dans ses
fonctions de chef de village. Il veillait au bien-être de chacun et à la sécurité de tous. Le
village s’était agrandi et embelli. C’était une période de paix et Naïm commençait à regretter
l’aventure. Il savait qu’il devait repartir à la recherche de la pierre de cuivre, mais la saison
favorable n’était pas encore là. Il regrettait de ne plus avoir les conseils du vieux Gabor.
Un matin, il se leva très tôt et prit, tout seul, le chemin des morts, descendant de l’éperon
par sa plus forte pente. Il suivait un sentier étroit qui cheminait dans la végétation basse et
sèche. Ce chemin était long et sinueux descendant au fond de plusieurs combes et remontant
sur des hauteurs. Le soleil était déjà levé depuis longtemps, lorsqu’il atteignit la grande
tombe du village de l’Eperon. Les traditions de cette région voulaient que les morts du village
soient regroupés dans une sorte de chambre de très grosses pierres recouverte d’un gros
tertre de terre et de pierrailles. Il s’assit auprès de l’entrée du caveau, fermé d’un mégalithe
impossible à déplacer seul. En pensée il interrogea le vieux chef Outik sur ce qu’il devait
faire.
De ce versant de colline, il pouvait voir l’éperon et distinguer à son sommet les maisons du
village dont il était aujourd’hui le chef. Il éprouvait un mélange de fierté et de frustration.
Fierté de son village, de sa famille, de ses origines et de son triomphe, frustration de ne pas
avoir trouvé la pierre de cuivre et surtout de l’inaction.

Après un moment, il sortit de sa petite besace une feuille pliée qui contenait une poudre de
couleur brune qu’il avait faite préparer à Zena, la vieille qui connaissait les plantes. Il versa
la poudre directement dans le petite outre d’eau qu’il portait toujours attachée à la ceinture.
Il prit le temps de soigneusement mélanger la mixture puis l’avala d’un trait comme la vieille

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

lui avait recommandé de le faire. Il s’allongea au pied du talus et posa la tête contre une
pierre pour se laisser emporter par les songes et communiquer avec l’ancien.
Très rapidement il s’aperçut que les plantes et les cailloux autour de lui présentaient un
curieux halo luminescent de couleur rouge ou verte ou les deux à la fois. Il redressa la tête
pour regarder autour de lui, mais il éprouva une vive douleur et fut étourdi comme l’avait
prévenu la vieille Zena. Il devait surtout ne pas bouger. Il sentit ses membres trembler et
bouger malgré lui et commença à avoir peur de la potion de la vieille. Puis, après un temps
indéterminé, il commença à se détacher de lui-même et à s’élever au dessus de son propre
corps. Il se voyait allongé là, contre le monument funéraire. Il avait les yeux fermé. Il
distingua la petite outre posée côté de lui, la feuille qui contenait la poudre. Il avait
l’impression de se mirer dans l’eau, mais se voyait les yeux fermés. Curieuse impression. Il
semblait s’élever de plus en plus rapidement et pu voir l’arrière du monument avec un luxe de
détail alors qu’il n’en avait jamais fait le tour. Il put voir le fond de la combe voisine où le
soleil commençait à pénétrer, puis des vallées plus distantes. Il se dit qu’il allait pouvoir
survoler le village de l’Eperon comme un oiseau en volant vers le chaud, mais il ne contrôlait
rien et commença à s’éloigner vers le froid et la grande montagne. La suite fut plus confuse.
Des sommets enneigés, le visage du vieux Outik, des serpents, des loups qui l’attaquaient. Il
lui sembla tomber. Une chute vertigineuse et sans fin qu’il ressentait au plus profond de lui.
Une impression de vitesse qu’il n’avait jamais connue.
Lorsqu’il s’éveilla, le soleil avait dépassé son zénith. Naïm s’étonna d’avoir dormi aussi
longtemps. Malgré la fraicheur de ce jour d’hiver, il était couvert de sueur. Il tenta de bouger
et ressentit une douleur immense. Chacun de ses membres le faisait souffrir. Il n’était plus
que douleur. Il resta immobile et attendit se demandant si cette chute dont il se souvenait
confusément avait été réelle. Après un moment, il pu commencer à bouger ses doigts, puis ses
bras encore endoloris. Mais une idée avait germé dans son esprit. Tout n’était pas encore très
clair, mais La vieille Zena avait bien travaillé et le vieux Outik lui avait répondu. Il en était
certain.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Silbury Hill, Grande-Bretagne, le 2 août, 16h15

Karine et Marc avaient rapidement fait le point. Il leur fallait mettre en sureté Mel Ashton
et retrouver Erik van Decken. Ce dernier demeurait injoignable et Karine avait contacté
Scotland Yard pour leur expliquer l’affaire et leur faire prendre en charge Ashton. Ils avaient
rendez-vous ce soir à Londres. Comme ils ne pouvaient pas partir pour la Hollande avant le
lendemain matin et que rien ne pressait, Marc, après avoir consulté Ashton avait décidé de
montrer à Karine quelques monuments préhistoriques qui ne leur faisaient pas faire un gros
détour sur le trajet pour Londres. Une demi-heure plus tard, ils étaient à West Kennet long
barrow, une tombe mégalithique enfouie sous un tertre d’une centaine de mètres de long et
s’étaient maintenant garés en bordure de route devant le monument de Silbury Hill.
Descendus de voiture, ils s’approchèrent de la clôture face à une colline gazonnée. Il
commençait à pleuvoir. Karine regarda le ciel :
― Tiens, c’est vrai, chaque fois que je viens en Angleterre, je ramène un parapluie. Mais il
faudrait quand même que je pense à l’acheter en début de séjour, plutôt qu’au moment de
partir. Bon, il est où ce monument ?
Marc se mit à rire. Il se détendait enfin un peu maintenant qu’ils avaient retrouvé Ashton :
― Mais tu l’as juste devant toi. C’est la colline elle-même le monument. Quarante mètres
de hauteur, même si la hauteur initiale n’était sans doute que d’une trentaine de mètres, plus la
profondeur du fossé qui a été creusé autour. Et cent-soixante mètres de diamètre à la base.
Quelque chose comme 250 000 tonnes de craie, de gravier et de pierres. Il ne s’agit a priori
pas d’un tertre funéraire et cela a été construit en trois étapes successives pendant le troisième
millénaire. Il y a eu des galeries creusées un peu dans tous les sens dans le but de trouver un
hypothétique trésor, mais bien entendu cela n’a rien donné.
Ashton intervint :
― Selon les données les plus récentes, les trois états de construction appartiendraient
même à la période du Campaniforme, pendant la deuxième moitié du troisième millénaire.
― Mais, ça servait à quoi, si ce n’est pas une tombe ? interrogea Karine.
― Bonne question ! Répondirent en cœur les deux archéologues.
― On a évoqué que le tertre présentait des degrés à l’origine, comme la pyramide de
Saqqâra en Egypte, mais certains ont aussi cru déceler une piste en spirale atteignant le
sommet, ajouta Ashton.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― J’ai lu quelque part que la forme initiale du monument dans sa dernière phase était peut-
être octogonale. Pendant longtemps on a imaginé qu’il s’agissait d’une plateforme destinée à
une construction sommitale ou à des cérémonies… reprit Marc.
― En tous cas, cela fait dix ans que le site est fermé pour sécuriser les différentes
tranchées qui ont commencé à s’affaisser en 2000. Il y a déjà eu des travaux… Cela va peut-
être être l’occasion de nouvelles découvertes.
La pluie se renforçait et les trois compères regagnèrent l’abri de leur véhicule puis prirent
la route d’Avebury à quelques kilomètres. En arrivant dans le petit village, toujours sous la
pluie, Karine repérait maintenant très bien les levées de terre et les mégalithes qui ne faisaient
pas partie du paysage naturel.
C’est Ashton qui expliqua, renonçant à descendre de la voiture face à l’hostilité des
éléments :
― Nous sommes ici dans une vaste enceinte, à peu près circulaire, d’environ 400 mètres
de diamètre. Il y a un fossé d’une dizaine de mètres de profondeur et de dix mètres de largeur,
associé à une levée de terre, à l’extérieur du fossé, d’une dizaine de mètres de hauteur elle
aussi. A l’intérieur, en bordure du fossé, il y a un cercle d’une centaine de blocs. Et à
l’intérieur de tout ça il y a deux autres monuments circulaires composés de mégalithes. Ils
sont beaucoup plus petits mais l’un d’eux atteint une centaine de mètres de diamètre, quand
même.
Marc compléta :
― Tu peux ajouter à ça, qu’il y a deux avenues qui partent de ce complexe là. Ce sont,
encore une fois, des sortes de chemin, mais ce coup-ci bordés de menhirs, à la place d’un
fossé comme à Stonehenge. Concernant la datation, on est encore une fois dans le troisième
millénaire.
Karine écarquilla les yeux :
― Mais c’est gigantesque. Même par rapport à Stonehenge.
― Ah oui, c’est beaucoup plus impressionnant mais beaucoup moins célèbre, parce que
moins bien conservé et moins restauré. Et puis il n’y a pas eu le même investissement dans la
taille de la pierre. En tous cas, Mademoiselle, vous aurez visité ces vénérables pierres comme
il se doit : sous la pluie…
Après cette visite archéologique de la région, il était bien temps de regagner Londres.

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De sang, de cuivre et d’or 

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En un lieu indéterminé, le 2 août, 18h00

L’homme attrapa son téléphone qui vibrait sur la console. Le numéro de l’appelant
s’affichait sur l’écran. Il prit l’appel immédiatement en se tournant vers la baie vitrée. Le parc
était toujours magnifiquement entretenu. Le soleil était encore haut en cette fin d’après midi et
illuminait l’étang immobile, le transformant en miroir. Il se sentait bien ici, au milieu de ses
livres et de ses œuvres d’art. Bien mieux qu’à son bureau. Il attendait une bonne nouvelle :
― Alors ?
― Nous avons réussi à localiser Ashton mais il y a un problème. Deux personnes l’ont
récupéré avant nous…
― Hein ? Qu’est ce que c’est que cette histoire ?
― Ça s’est passé sur le site avec des pierres dressées. Juste au moment où on arrivait. Des
français ! Un homme grand, costaud et une femme, plutôt mignonne. Je passerais bien un
moment avec elle… Vous voyez ce que je veux dire ?
L’homme ne répondit pas aux insinuations vulgaires du malfrat. Il réfléchit. Andréas et la
policière, ainsi il s’en était sorti et il se mettait encore une fois en travers de sa route. Il allait
falloir en finir une fois pour toute. Mais ce n’était pas le plus urgent :
― Et les objets ? Vous les avez trouvés ?
― Euh, c'est-à-dire que… Non. Nous avons discrètement visité son domicile et son bureau
mais on a rien trouvé qui corresponde à votre description. En fait on pensait faire cracher à
Ashton où ils se trouvent et donc…
― Vous êtes des incapables ! De la vermine…
― Mais Monsieur, nous avons fait très exactement c’que vous avez demandé… Les
impondérables, ça arrive parfois en opérations.
L’homme sentit monter la haine en lui… Il avait confié le travail à un stupide alcoolique
obsédé et incompétent :
― Où êtes-vous ?
― Sur la route de Londres.
― De Londres ? Ils ne vont donc pas à Oxford… Je crois que je sais ce qu’ils veulent
faire… Vous allez kidnapper Ashton et me le ramener ici. Ne le tuez pas ! C’est clair ? J’ai
besoin de ces objets ! Il parlera et vous irez récupérer ces objets pour moi. Et si vous voulez
votre argent, vous avez intérêt à réussir cette fois. Voilà comment vous allez faire…

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Londres, Grande-Bretagne, le 2 août, 21h30

Attablés à la Porte des Indes, dans Bryanston Street, Karine et Marc étaient plongés dans
leur tasting platter.
Ils avaient confié Mel Ashton à deux agents, Sanders et Hill, qui les attendaient sur le
parvis de New Scotland Yard et qui l’avaient tout de suite fait monter dans un Range Rover
de couleur noire. Ils étaient soulagés de le savoir maintenant en sécurité.
Après avoir déposé la voiture de location à une agence, Marc avait entrainé Karine vers
son hôtel habituel à Picadilly. Mais le Regent Palace était en travaux et c’est finalement au
Méridien qu’ils avaient trouvé une chambre, sans courir trop loin. Selon les critères de
Karine, la chambre était un peu onéreuse, même pour les tarifs londoniens, mais très
confortable il est vrai. Karine n’était pas habituée à un tel luxe, mais elle commençait à
soupçonner Marc d’avoir quelques moyens au-delà de son salaire de fonctionnaire. La
chambre était très spacieuse. Tout son appartement parisien y entrerait probablement. Les
murs, le mobilier, la moquette au sol se déclinaient en blanc, noir et gris avec une touche de
rouge donnée par des coussins et un fauteuil : chic mais sobre.
Ils avaient ensuite déambulé dans les rues de Londres pour gagner ce quartier calme mais
sans charmes particuliers où Marc connaissait un endroit pour manger.
― Un restaurant indien au nom français en Angleterre, n’est-ce pas curieux ? Le taquina
Karine.
― En Grande-Bretagne, pas trop. C’est le pays de tous les contrastes et de tous les
mélanges. Et puis, pour les britanniques, une touche de français, lorsqu’il s’agit de cuisine,
c’est sans doute un plus.
― Ou alors, c’est juste pour attirer les touristes français ! Non, je me moque de toi. En
attendant c’est délicieux. Tu connaissais l’adresse ?
― Pas du tout, mais je l’avais repérée dans un guide il y a quelques temps, et je m’étais dit
que je passerais bien… Il ne me manquait que l’occasion de passer à Londres.
― Bon, plus sérieusement, que faisons-nous concernant van Decken ?
― Je pense qu’on est plus à un voyage près. On devrait aller sur place à Leiden. On en
apprendra peut-être plus sur l’endroit où il se trouve. Je ne serai vraiment rassuré que lorsque
lui aussi sera sous la protection de la Police. Ensuite, il faudra encore trouver notre meurtrier.

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De sang, de cuivre et d’or 

― Tu as sans doute raison, mais je ne sais pas comment je vais pouvoir faire.
Normalement cette enquête ne me concerne plus tu sais. Je suis officiellement en congés et
j’ai déjà pris quelques libertés en m’adressant à plusieurs services étrangers…
― Il y a le week-end qui arrive. Tu dois pouvoir tirer encore un jour ou deux… Non ?
Après, il faudra que tu expliques à ta hiérarchie et aux autres services qui s’occupe du meurtre
de Charles, l’évolution de l’affaire.
Marc sortit son téléphone portable :
― Je vais m’occuper de trouver des billets d’avion, immédiatement.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Londres, Grande-Bretagne, le 2 août, 22h00

Un peu plus tard, ils traversaient en diagonale le quartier de Westminster, pour rejoindre
Picadilly. Ils avaient volontairement évité les grands axes et marchaient maintenant dans des
rues calmes environnés d’immeubles en briques.
Karine soupira.
― C’était très bon, mais j’ai trouvé que le Kerala Meen Curry était effectivement very hot.
Je le sens déjà dans mon estomac. Nous allons probablement avoir le cul qui pique !
― Décidément, tu les collectionnes, ces expressions…
Karine rit puis resta silencieuse un moment.
― Je me rends compte que je ne connais pas grand-chose sur la fin de la Préhistoire et je
commence à comprendre pourquoi cette période te fascine. Pendant mes études, je crois que
j’étais moins absente dans les cours d’histoire de l’art ou d’archéologie antique qu’en Pré et
Protohistoire.
― J’ai bien peur que tu ne sois pas la seule dans ce cas. Mais oui, le Néolithique est une
période fascinante. C’est le moment où tout ce qui fait nos sociétés actuelles se met en place :
l’économie de production avec l’agriculture et l’élevage, la sédentarité avec les premiers
villages permanents, la monumentalité dont tu as pu voir quelques exemples aujourd’hui…
Mais aussi des matériaux nouveaux, comme la céramique. Tu te rends compte que c’est le
premier matériau qui est fabriqué par l’homme, puisqu’il n’existe pas à l’état naturel… ? Bon,
ce n’est pas bien compliqué : de la terre argileuse, de l’eau pour la mise en forme, un
dégraissant éventuellement, le tout transformé par l’action du feu.
― La céramique n’existait pas avant le Néolithique ?
― Je vois que tu as quand même des restes des quelques cours que tu n’as pas séché ! Oui,
en réalité, les plus anciens objets en terre cuite connus datent du Paléolithique supérieur, pour
fabriquer des petites figurines et la poterie, quant à elle, apparait parfois dans des cultures qui
ne sont pas encore néolithiques, comme au Japon dans la culture Jomon, il y a 12000 ans. Et il
y a aujourd’hui de nouvelles datations très anciennes en Chine, dans des contextes de
chasseurs-collecteurs là-aussi. Mais c’est avec le Néolithique qu’elle se développe réellement
et ce sur tous les continents mais à des moments différents entre 7000 et 2000 avant notre ère.
Surtout, les progrès fait, avec la céramique, dans la maîtrise des hautes températures amènent
très rapidement à la métallurgie au Proche Orient d’abord, puis en Europe orientale. Tu

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De sang, de cuivre et d’or 

imagines, avec ce fameux trésor de Forcalquier, nos campaniformes tous bardés de cuivre et
d’or arrivant dans des régions où les populations ne connaissaient pour ainsi dire pas d’objets
de métal ? Le cuivre rouge et l’or jaune sont les deux couleurs du soleil…
―Ah si j’avais eu un Prof comme toi… j’aurais peut-être été plus souvent présente en
cours.
― Merci ! Mais je crois que tu n’es pas objective.
― C’est vrai, répond Karine en se retournant pour le prendre dans ses bras.
― Tu sais, reprit Marc, s’il n’y avait pas cette affreuse histoire et ces morts, j’aurais
vraiment l’impression de faire un grand voyage d’étude à travers l’Europe campaniforme, de
pays en pays et de site en site, avec mon étudiante préférée.
― Je suis sûre que ton ami Delapierre aurait été content de te voir heureux.

.:.

En entrant dans leur chambre, au Méridien, ils étaient épuisés. Alors que Marc appelait le
room service pour se faire servir à boire, Karine n’en revenait toujours pas de descendre dans
un tel hôtel de luxe. N’y tenant plus, elle interrogea Marc :
― Il faudra quand même que tu m’expliques. Ce n’est pas avec ton salaire à l’université
que tu peux te payer des hôtels pareil ? Qu’est ce que tu me caches ? Tu es sûr que tu n’as rien
à te reprocher ?
― Non, bien sûr. Mais peu importe, éluda Marc.
Il s’approcha de Karine et lui posa un doigt sur les lèvres alors qu’elle allait le questionner
à nouveau. Sans qu’elle comprenne vraiment comment, elle se retrouva bientôt toute nue et
chercha quelque chose pour se couvrir, alors que Marc ouvrait sans aucune gène la porte au
jeune groom qui leur apportait une bouteille de vin blanc et une bouteille d’eau sur un plateau.
Le jeune homme en uniforme déposa le plateau sur une console avant de quitter la pièce,
feignant de n’avoir rien remarqué. Il devait en avoir vu d’autres dans un établissement comme
celui-ci.
― Putain, t’es gonflé toi !
Marc leur servit deux verres d’eau et deux verres de vin, puis rejoignit Karine qu’il enlaça
à nouveau :
― Demain sera encore un jour difficile, profitons de cette nuit… Et il l’entraina vers le
canapé. Il la fit allonger sur le ventre. Lui passa un verre de vin et entrepris de lui caresser les
jambes, le dos puis les fesses avec une lenteur calculée.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

76

Il y a environ 4500 ans

A son retour au village de l’Eperon, Naïm avait déjà échafaudé son plan. Il réunit donc ses
hommes pour le leur expliquer. Les guerriers réunis sur la place du village étaient attentifs,
car tous avaient soif de repartir à l’aventure, peu habitués qu’ils étaient à l’inaction, la
mauvaise saison dans cette région, leur semblait particulièrement longue.
Naïm leur expliqua qu’il n’était pas possible de s’aventurer dans les montagnes avant
plusieurs lunes et qu’en même temps leurs recherches devaient les conduire toujours plus loin
à l’intérieur du massif. La marche d’approche était de plus en plus longue et la bonne saison
trop courte. Il se proposait donc d’approcher le massif par la région du froid, en le
contournant. Il suffisait de rejoindre le grand fleuve et de le remonter selon les enseignements
de Gunar et de son groupe. Cela, ils pouvaient très bien le faire sans attendre la fin de la
mauvaise saison et les beaux jours revenus, ils seraient à pied d’œuvre pour s’enfoncer dans
la montagne et remonter des vallées qu’ils n’avaient pas encore explorées.
Si la décision du chef était irrévocable, elle remporta en plus l’adhésion unanime des
guerriers.
Les femmes du village, en revanche, dans l’encoignure des portes des maisons, ne
pensaient pas la même chose et pleuraient déjà le départ de leurs hommes, car elles savaient
qu’une fois de plus tous ne reviendraient pas de cette expédition.
Ils partirent donc, quelques jours plus tard, en direction du couchant pour rejoindre le
village de la confluence, leur première étape.
Ils festoyèrent dans cette place marchande, mais ne s’arrêtèrent que peu de temps. Ils
purent acquérir des embarcations de bonne taille et quelques provisions qui leur
permettraient de remonter le fleuve et bientôt l’aventure commença réellement.
Les premiers jours de navigation furent paisibles. Les guerriers demeuraient à l’affut de
tout danger, mais le fleuve était suffisamment large pour se mettre facilement hors de portée
de flèches d’éventuels agresseurs et Naïm pensait que le passage de Gunar avait fait grosse
impression sur les peuples locaux et qu’ils ne risquaient pas grand-chose. Ayant longé des
zones basses pendant longtemps, ils passèrent au pied d’une immense falaise au sommet de
laquelle plusieurs constructions s’accrochaient. L’endroit rappelait la Dent à Naïm qui se
demanda comment ses maisons pouvaient résister au vent extrêmement froid et extrêmement
fort qui leur arrivait de face, comme cherchant à les ralentir.

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De sang, de cuivre et d’or 

Après une nouvelle plaine, dans laquelle ils aperçurent quelques villages et de petits
groupes curieux de leur passage, ils firent une première escale, pour une nuit, dans une grotte
nichée dans les falaises d’un défilé qui resserrait le fleuve sur une courte distance. Ils étaient
ainsi à l’abri. La grotte peu profonde semblait utilisée régulièrement. Plusieurs foyers, des
fragments de céramique et d’os sur le sol et des tas de paille moisie en témoignaient, mais la
nuit fut tranquille et les guetteurs, qui surveillaient les abords et les deux embarcations en
contrebas, n’eurent pas à réveiller Naïm.
Après le défilé, le paysage s’ouvrait à nouveau en une large vallée et correspondait
parfaitement à la description faire par Gunar.
Ils purent accoster aux environs d’un petit village et échanger de quoi reconstituer leurs
provisions auprès d’indigènes plutôt accueillants. Naïm se dit que les peuples des fleuves et
des grandes vallées étaient plus habitués à voir passer des étrangers et qu’ils étaient moins
peureux et moins belliqueux que ceux rencontrés dans les terres intérieures et les zones
montagneuses.
Après plusieurs jours de navigation, ils parvinrent sans encombre jusqu’à une nouvelle
confluence importante. C’était la limite de la zone connue par les récits de Gunar, car celui-
ci avait descendu la rivière venue du froid, alors que Naïm et ses hommes devaient
maintenant suivre celle qui venait du levant afin de contourner la grande montagne. A partir
de là, personne ne connaissait le peuple de Cuivre et d’Or et ils devraient peut-être se battre
pour imposer leur présence. Naïm ressentait l’appréhension des hommes mais aussi leur soif
d’en découdre et de découvrir la Montagne de cuivre pour se l’approprier.
Plusieurs jours encore, ils remontèrent le cours d’eau dans une région de plus en plus
montagneuse. Mais Naïm ne donnait toujours pas l’ordre d’accoster pour laisser les pirogues
et s’attaquer à la montagne. Ils ne faisaient que quelques haltes pour se ravitailler et ne
croisèrent que peu de villages et aucune hostilité. La largeur de la rivière réduisait mais
c’était toujours un important cours d’eau et Naïm, au fond de lui, voulait savoir jusqu’où ils
pourraient remonter. Il ne voulait toujours pas s’arrêter, car il imaginait que ce puissant
fleuve devait mener à la plus grande des montagnes, une montagne de cuivre et d’or peut-
être.
Un soir, alors que le petit groupe avait accosté pour la nuit, ses guetteurs partis un peu
plus loin en reconnaissance, revinrent lui annoncer qu’à quelques distances s’étendait une
mer. Une mer inconnue au milieu des montagnes. Naïm attendait l’aube pour découvrir cela
par lui même.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Londres, Grande-Bretagne, le 2 août, 23h00

La grosse Rover, confortable, filait rapidement dans la nuit. Devant, les deux agents du
Yard étaient silencieux. Leur profil dur seulement éclairé par les faibles lumières du tableau
de bord. Seul à l’arrière, Ashton commençait à se détendre, mais éprouvait maintenant de
drôles de sentiments. Il avait abusé du flegme britannique devant les deux jeunes français,
mais il était maintenant bien rassuré d’être sous protection policière. Cette histoire, la mort de
ses collègues, ne lui plaisait pas du tout. Il était triste pour Charles et en même temps il se
sentait excité par cette découverte. Plus de soixante objets en métal dans une tombe.
Lorsque l’agent Sanders jeta un œil mauvais dans le rétroviseur et croisa le regard du
scientifique, ce dernier ne pensa pas une seule seconde qu’il était en danger. Il faisait
confiance à Marc et à sa collègue. Il les avait vus téléphoner aux policiers. Il s’affala dans le
siège, se laissa aller. Son esprit divaguait. Il repensa à cette sordide affaire et espéra en finir
rapidement. Il ne se rendit pas compte qu’ils ne prenaient pas la direction de son domicile.
Ashton s’était assoupi et lorsqu’il se réveilla, il aperçut la côte et des embarcadères
illuminés.
― Mais où sommes-nous ? Ce n’est pas la route d’Oxford ? demanda-t-il soudain.
Le chauffeur ne se retourna pas mais l’agent Hill, sur le siège passager, tourna vers lui un
regard méprisant :
― On a bien dormi, professeur ? Je pense que vous devriez encore prendre du repos, vous
en aurez besoin.
Le scientifique ne répondit pas. Il eu juste le temps d’apercevoir un gaz sortir d’une bombe
aérosol, de tousser. Fort, très fort. Il sentit ses yeux qui brûlaient. Il pleura. Toussa encore. Il
allait mourir. Il le savait. Il s’enfonça enfin dans une douloureuse inconscience.

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De sang, de cuivre et d’or 

78

Londres, Grande-Bretagne, le 3 août, 8h00

Il se réveilla quelques minutes ou quelques heures plus tard, avec la bouche pâteuse et un
mal de tête digne de ses gueules de bois d’étudiant. Il consulta sa montre qui indiquait 8h et le
3 août. Il était donc resté inconscient toute la nuit. Le préhistorien jeta un œil circulaire à la
pièce. Il était allongé sur un lit en fer. Un mince matelas le protégeait de l’armature
inconfortable. Sa geôle était petite. Pas de fenêtre. Une lumière crue fournie par une puissante
ampoule inondait la pièce.
Ashton cligna des yeux. Il avait encore mal, les effets du gaz lacrymogène ne s’étaient
toujours pas totalement estompés. Il se les frotta et sa vision se troubla. En bon intellectuel
qu’il était, il essaya de remettre dans le bon ordre les idées qui se baladaient dans son cerveau.
Marc et la policière. Et puis, son ami Charles. Disparu, mort. Il se demanda où tout cela
pouvait bien le mener. La découverte de Charles y était pour beaucoup. Elle attisait les
convoitises à cause de sa valeur marchande mais aussi car elle bousculait les idées reçues.
Elle dérangeait. Ashton commençait à comprendre l’importance de cette trouvaille lorsque
Sanders pénétra dans la pièce. Il n’avait pas l’air avenant. Il avait les yeux rouges et
chancelait. Il était ivre. Il balbutia :
― A… Alors, le vieux ? On est ré… veillé ?
Ashton le dévisagea, bravache malgré la peur qui le gagnait :
― Que me voulez-vous ?
L’autre prit un air faussement indigné, il se foutait ouvertement de la gueule du
scientifique. Il lui répondit en tenant d’imiter sa voix :
― Que me voulez-vous ? Oh, le vilain monsieur qui me demande ce qu’on lui veut ? Oh !
Comme s’il ne le savait pas ?
Il se retourna et interpella son camarade resté dans l’embrasure de la porte :
― Il ne le sait pas ! Eh bien, on va le laisser mijoter dans sa soupe ! Hein ?
L’autre entra dans la pièce et posa à côté du lit une assiette contenant un sandwich au
jambon ainsi qu’une bouteille d’eau.
― Tiens, histoire que tu ne claques pas trop vite.
Puis le silence. Et toujours cette lumière blanche. Vive. Agressive. Et de plus en plus de
questions.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Ashton pensa que ces gens là n’étaient vraiment pas des gentlemen, même pas des sujets
de la Reine, s’il en jugeait à leur curieux accent, qu’il n’avait pas réellement remarqué jusque
là.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Leiden, Pays-Bas, le 3 août, 14h20

Marc et Karine descendirent du train régional qui les avait conduits de l’aéroport
d’Amsterdam-Schiphol à Leiden. Karine trainait un immense parapluie multicolore qu’elle
avait acheté à l’aéroport avant de quitter Londres.
Marc s’étira :
― Décidément j’aime bien les voyages, mais je préfèrerai toujours les trains aux avions, au
moins on a un peu de place. Quoi qu’il y a un avantage à prendre l’avion avec une fliquette,
c’est le passage des contrôles…
― Tu veux bien arrêter de m’appeler fliquette, Monsieur le farfouilleur ou je t’appelle le
pilleur de tombes !
― Ok ! J’ai rien dit. Je n’ai aucune idée de la distance pour aller à la fac, on va prendre un
taxi.
Le téléphone de Karine sonna soudain. Elle décrocha alors qu’elle s’installait près de Marc
dans la voiture qui venait de s’arrêter. Toujours d’humeur joyeuse, l’archéologue donna les
consignes au chauffeur avant de reporter son attention sur sa compagne.
Il comprit immédiatement qu’un drame s’était produit. Karine était livide.
― Vous en êtes sûr ?
―…
Marc l’interrogea du regard en se trémoussant sur son siège. Il ne tenait plus et cria
presque quand elle finit par raccrocher :
― Que se passe-t-il ?
― Ashton a … disparu.
― Quoi ? Mais ce n’est pas possible ! Que s’est-il passé ?
Le chauffeur jeta un œil dans le rétroviseur, tout de suite capté par Karine. Il demanda dans
une langue improbable :
― Ein problem ?
La jeune femme ne répondit pas. Près d’elle, Marc perdait tous ses moyens. De la sueur
perlait sur son front. Son visage devint rubicond. Il était pourtant sûr de ses billes. Du moins,
des billes de sa belle. Elle comprit son message.
― Je ne sais pas ce qui a pu se passer. J’étais pourtant persuadée… on a du être suivis. Ou
surveillés. Franchement, je ne sais pas. Tu m’en veux ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Il ne répondit pas.
― Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
Karine haussa les épaules. Elle était aussi démunie que lui. Des centaines de kilomètres les
séparaient maintenant de l’Angleterre où ils croyaient avoir laissé Ashton entre les mains des
agents du Yard. Elle se sentait complètement nulle et impuissante.
― Putain ! Mais c’est toi, le flic, bordel !
Elle se renferma. Ils traversèrent leur première crise. C’était un bon exercice pour tester la
solidité de leurs liens. La fin du trajet se passa dans un silence monacal. Chacun était perdu
dans ses pensées. Chacun cherchait une solution pour venir en aide à Ashton, ce vieux
monsieur si digne.
Sitôt débarqués du taxi, Karine pianota sur son portable. Elle s’éloigna un peu de Marc et
du brouhaha de la rue, le temps de transmettre quelques consignes.

.:.

Il ne leur avait fallu que quelques minutes pour atteindre le bâtiment de la faculté
d’Archéologie de l’Université de Leiden.
Karine ouvrit de grands yeux et se tourna vers Marc qui semblait enfin apaisé :
― C’est donc vrai qu’il y a plus d’eau que de terre dans ce pays. Il y a des canaux partout.
― C’est sans doute exagéré mais pas totalement faux. Tu sais pour tout à l’heure… je ne
voulais…enfin…
Elle balaya ses excuses maladroites d’un geste rapide et lui colla un baiser sur la joue. Il
était un peu rassuré quoi que toujours mal à l’aise et reprit la conversation :
― Tu connais Amsterdam ?
― Non.
― Il faudra qu’on y aille, alors.
Karine se dit que décidément Marc était allé partout. Elle, qui avait déménagé près d’une
dizaine de fois lorsqu’elle était enfant avait finalement très peu voyagé à l’extérieur de
l’hexagone. A côté de Marc, elle se sentait un peu médiocre. Mais cette idée lui passa très
vite, car elle avait beaucoup de choses à découvrir autour d’elle.
L’architecture du quartier en briques ici aussi, avec ces fenêtres blanches, était très
agréable. Le bâtiment de la faculté, en revanche, ressemblait à un gros préfabriqué. Il était
redoutablement moche, mais il donnait sur un petit parc et sur un canal. Les bâtiments étaient
bas et l’ensemble était sans doute agréable à vivre.

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De sang, de cuivre et d’or 

Ils pénétrèrent à l’intérieur du bâtiment et tentèrent de trouver le bureau d’Erik van


Decken. Les indications en néerlandais ne les aidaient pas beaucoup. Enfin ils tombèrent sur
un étudiant qui leur indiqua en anglais de se rendre au premier étage mais qu’il lui semblait
que le Professeur n’était pas là actuellement.
A côté du bureau fermé du Professeur van Decken, par une porte ouverte, ils virent une
jeune femme assoupie devant son écran d’ordinateur.
Marike Paulsen se réveilla en sursaut. Elle avait senti une présence. En un instant elle
retrouva ses esprits. Elle était devant son ordinateur. Si c’est le patron, elle allait se faire
engueuler et peut-être virer. Mais non, un couple inconnu était devant sa porte.
― Daar. Wat wil ik mag voor u ?4
― Excuse me. Do you speak French or English?
― Oui, je parle un peu français. J’ai fait un stage Erasmus à Paris il y a trois ans.
― Je suis Marc Andréas, c’est peut-être vous que j’ai eu au téléphone l’autre jour. Nous
devons voir le Professeur van Decken au plus vite.
― Ah oui, je me souviens. Mais comme je vous l’ai dit, le Professeur n’est pas là
actuellement.
― Ecoutez, c’est vraiment important. Le Professeur van Decken est en danger. En danger
de mort ! Nous devons au moins le contacter. Avez-vous un numéro de téléphone où je puisse
le joindre ?
― Non, je n’ai pas son numéro personnel. Je n’ai que son adresse à Amsterdam, mais je
crois qu’il est à l’étranger. Il doit rentrer en début de semaine.
― Merde ! Vous ne savez pas où il se trouve ?
― Non, il ne m’a pas dit.
― Est-ce que quelqu’un pourrait le savoir ?
― En ce moment, ceux qui ne sont pas en vacances sont sur les fouilles. Je ne sais pas…
― Pourrions-nous voir son bureau ? Il y aura peut-être une indication sur son lieu de
séjour.
― Je ne sais pas si je dois. Le Professeur est quelqu’un de difficile. Je ne veux pas avoir de
problèmes.
Karine, qui voyait la situation s’éterniser, prit la parole à son tour :
― Ecoutez mademoiselle, je suis de la police française. J’agis dans le cadre d’une enquête
pour meurtre et je vous demande de nous ouvrir son bureau.

                                                            
4
Bonjour. Que puis-je-faire pour vous ?

185
 
Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― La police ? Mais le Professeur a fait quelque chose de mal ?


― Non ! Nous pensons qu’il est en danger, au contraire.
― Tant mieux. Je vais vous ouvrir alors, nous allons voir. Vous savez le Professeur van
Decken est un peu bizarre mais c’est un très grand archéologue, très réputé.
Tout en parlant, Marike prit un trousseau de clés dans un tiroir et sortit du bureau avec les
deux français. Elle s’approcha du bureau du Professeur van Decken et ouvrit la porte.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Aix-en-Provence, France, le 3 août, 14h30

Jacques Cassard poussa le curseur de vitesse de son ventilateur sur la position 3. La chaleur
était décidément accablante. Il n’aimait pas cette région, surtout pendant l’été, trop de monde,
de touristes, trop chaud…
Il s’étira sur son siège de bureau et regarda ses notes sur l’écran de son Mac. Il avait suivi
les développements de l’affaire heure par heure en France et à l’étranger grâce à son réseau de
contacts dans les Ministères de la Culture et les services du Patrimoine des différents pays
concernés. Grâce à la presse en ligne aussi, car il semblait bien que cette affaire de
Forcalquier se transformait peu à peu en piste sanglante à travers le continent.
Il pensait réellement que Charles Delapierre serait reconnu coupable. Ce scientifique
marginal goutant peut aux honneurs, un peu anar sur les bords, n’était jamais très enclin à
respecter les règles et les procédures. Il n’aurait pas été surpris de le voir tremper dans une
affaire louche. Si on l’avait coincé, il aurait sans doute plaidé avec des airs de vierge
effarouchée, qu’il ne faisait que trouver des fonds pour financer ses si chères et si importantes
recherches, en raison des trop faibles crédits accordés par le Ministère. Il l’entendrait presque.
L’annonce de sa mort avait plongé Jacques Cassard dans un profond désarroi. Toutes ses
théories s’étaient effondrées.
Mais une autre idée avait germé en lui. Il fixa son regard, comme souvent lorsqu’il
réfléchissait, sur les toits de la vieille ville écrasés de soleil, là-bas, au-delà du boulevard.
Andréas avait réussi, il se demandait comment, à convaincre la Police de l’emmener à Rome
sur le lieu de la transaction. Andréas était ensuite seul sur les lieux de l’assassinat de Figueiras
à Lisbonne. La Police locale avait mis ce crime sur le dos d’un petit voyou, mais cela sur la
base des déclarations du même Andréas. Et comme le voyou en question était mort lui aussi,
il ne viendrait certainement pas le contredire. Et si ses dernières informations étaient exactes,
c’était maintenant un certain Mel Ashton, archéologue britannique, qui venait d’être enlevé,
alors même qu’Andréas se trouvait en Angleterre. Le seul lien qu’il n’arrivait pas à faire avec
Andréas concernait le meurtre d’Henri Bard qui avait été renversé par une voiture qui avait
pris la fuite à Toulouse le soir du 26 juillet. Il demeurait impossible de déterminer avec
certitude où se trouvait Andréas à cette date. Il était censé être sur son opération de
prospections en haute montagne, mais pour le moment Jacques n’avait réussi à joindre
personne de l’équipe qui pourrait lui confirmer sa présence à cette date.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Tout cela faisait quand même beaucoup de coïncidences pour Jacques Cassard. S’il
considérait qu’Andréas était l’assistant de Delapierre, il était très proche de lui, avec sans
doute des relations de Maître à disciple… Il n’était pas impossible qu’Andréas ait fini par tuer
le père. C’était une histoire vieille comme le monde.
Jaques Cassard consulta une nouvelle fois ses notes à l’écran. Il avait fait un très joli
tableau logiciste, avec des pavés en couleur, des liens, des flèches qui reliaient des lieux et des
dates. Tout convergeait. Le coupable ne pouvait être que Marc Andréas lui-même.
Si on ajoutait à ça qu’il s’était laissé dire qu’Andréas disposait de gros moyens financiers,
bien plus important que ne le permettait un traitement de la fonction publique. N’était-il pas
possible qu’Andréas soit aussi impliqué dans des trafics d’antiquités ?
Jacques Cassard décrocha son téléphone. En l’absence de son chef de service et même du
Directeur régional des Affaires culturelles, mois d’août oblige, il allait contacter directement
les services du Préfet afin qu’une plainte soit déposée contre Marc Andréas et que celui-ci soit
arrêté avant que la liste des morts ne s’allonge encore.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Le soleil se levait sur la mer intérieure encadrée de montagnes aux sommets enneigés. Le
spectacle était magnifique et de bon augure pour la suite de l’expédition. Naïm décida très
vite de poursuivre l’exploration en longeant la côte de ce vaste lac. Ils progressèrent donc à
une distance raisonnable du rivage pour demeurer hors de portée d’éventuelles flèches, mais
sans s’engager trop loin sur les flots qui semblaient une vraie mer.
A un moment, ils ne distinguèrent presque plus la côte opposée, au froid, tellement elle
était loin et cachée dans la brume.
Après un temps qui leur parut fort long, progressant toujours vers le levant, ils atteignirent
l’autre extrémité de ce vaste lac. Ils étaient au débouché d’une nouvelle rivière, encore
relativement large qui venait du levant dans une large combe cernée d’impressionnantes
falaises.
Naïm, après avoir sondé le cœur de ses hommes, pris la décision de poursuivre. Ils étaient
au cœur des montagnes. Ils n’avaient jamais été si proches. Ils campèrent au pied d’un
énorme rocher posé par quelque force titanesque au milieu de la vallée étroite et plate, aux
pentes presque verticales. La rivière s’était faite plus tumultueuse et la progression devenait
difficile. Ils avaient bien besoin de se reposer un peu. Ils passèrent donc la journée du
lendemain sur place mais Naïm envoya deux petits groupes de guetteurs en reconnaissance
vers les sommets perdus dans les nuages de part et d’autre de la vallée. Ceux-ci ne rentrèrent
qu’à la nuit tombée, exténués. La montagne, immense était presque verticale et la progression
avait été lente et très pénible. Mais Naïm put avoir la confirmation de ce qu’il imaginait. Les
montagnes cachaient d’autres montagnes plus hautes, plus grandes. Ils étaient bien au centre
de la grande montagne. Il leur suffisait donc de poursuivre leur route.
Le lendemain, après avoir croisé l’entrée d’une vaste vallée latérale, tout aussi plate et
impressionnante, la vallée principale fit un coude.
La rivière était de moins en moins praticable. La belle saison approchant, la glace des
montagnes devait fondre et grossir les cours d’eau. Naïm décida de laisser les embarcations,
bien cachées pour leur retour et de poursuivre l’exploration à pied.
Ils progressèrent donc encore, passant au large de petits villages qui semblaient assez
pauvres, ne cherchant pas les ennuis.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Puis au détour d’une petite falaise, ils tombèrent sur un lieu comme jamais ils n’en avaient
vus. Des géants semblaient les attendre.

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De sang, de cuivre et d’or 

82

Leiden, Pays-Bas, le 3 août, 14h45

Karine et Marc découvrirent un grand bureau spacieux et lumineux qui donnait, comme
celui de l’assistante, sur le jardin et le canal. Le mobilier en bois, le petit coin salon avec son
canapé et ses fauteuils club en cuir et un tapis épais évoquaient plutôt le bureau d’un chef
d’entreprise que celui d’un enseignant ; tout le contraire des bureaux de Marc et de Charles à
Aix-en-Provence. Les rayonnages de livres attiraient le regard de Marc qui reconnut les titres
de plusieurs périodiques spécialisés, reliés en forts volumes de couleurs variées. Une grande
vitrine occupait une partie de la bibliothèque. Marc vit des gobelets campaniformes serrés les
uns contre les autres, Il en reconnaissait certains qu’il avait déjà vus dans des publications,
provenant de célèbres sépultures néerlandaises mais aussi des armatures de flèches et des
poignards en silex.
La baie vitrée inondait de lumière le gros bureau du Professeur. Un très grand moniteur
Mac trônait sur la surface impeccable. Seule une pile de deux très gros documents à reliure
spirale occupait le centre du bureau.
Marc contourna le bureau et lut le titre du manuscrit : « European Bell Beakers ». Il s’assit
dans le grand fauteuil en cuir et attrapa le document. Il le feuilleta rapidement, découvrant
près de 1800 pages rédigées en anglais, en deux volumes. Il s’agissait à première vue d’une
synthèse sur le Campaniforme européen.
Marike s’approcha du bureau :
― Je ne sais pas si je peux vous laisser lire cela. C’est le dernier grand travail du
professeur van Decken, sa grande synthèse. Cela fait des mois qu’il travaille sur ce manuscrit.
Il l’a terminé juste avant de partir à l’étranger.
Tandis que Marc semblait se plonger dans la lecture, Karine interrogea Marike :
― Nous devons trouver comment joindre le Professeur. Utilise-t-il un agenda ?
― Non. Tout est informatisé.
Karine contourna le bureau à son tour et s’approcha du clavier du Mac qu’elle mit sous
tension. Marc était plongé dans l’ouvrage, il lisait les conclusions, revenait dans le texte, l’air
très absorbé. Pendant que le système démarrait, elle se retourna vers Marike :
― Au fait, c’est bien dans ce labo que vous avez une veille informatique concernant le
pillage archéologique ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Oui, c’est exact. Cela ne fait que quelques jours en réalité. Mais j’ai déjà trouvé plein
de choses sur le web. Je passe mon temps à avertir les différents services de Police, dont la
France d’ailleurs. Et, vous savez, c’est une idée du Professeur van Decken !
Marc ne semblait pas avoir fait attention et Karine leva les yeux vers Marike, interloquée :
― Vous voulez dire que c’est van Decken qui nous a fait envoyer les informations sur le
trésor campaniforme en vente sur un site russe ?
Marike répondit fièrement :
― Je n’avais pas compris que vous enquêtiez là-dessus. Vous êtes donc de l’OCBC de
Paris… Oui, c’est le professeur van Decken qui a trouvé cela et qui m’a demandé de prévenir
votre service. C’est même ce qui a été la première affaire de notre nouvelle cellule de veille
internet. En fait, c’est le professeur qui m’a indiqué ce site et qui m’a demandé de prévenir les
autorités et de chercher d’autres choses du même genre sur internet.
― Marc, tu as entendu ça ? Qu’est ce que ça veut dire ?
Mais Marc ne l’écoutait pas. Il se leva du fauteuil, l’air bizarre. Il marmonna :
― Je l’ai vu. Du coin de l’œil, mais je l’ai vu. J’en suis sûr.
Il se dirigea vers la vitrine et tenta de l’ouvrir. Oui, il était là, dans l’angle. Au milieu des
autres gobelets. La meilleure cachette possible. La porte de la vitrine était verrouillée. Il revint
rapidement vers le bureau, le contourna, ouvrit un premier tiroir, puis un second et en ressortit
un petit trousseau de clés. Il retourna à la vitrine, essaya successivement deux clés et ouvrit
finalement le panneau de verre.
Marike intervint :
― Mais vous n’avez pas le droit de faire ça !
Marc ne semblait pas l’avoir entendue. Il attrapa un gobelet du premier rang parmi les
vases serrés dans la vitrine et le posa au sol, à ses pieds. Il remit les mains dans la vitrine et en
sortit un second gobelet que Karine trouva assez différent. Il était plus trapu, plus petit et
surtout il était sale. Ce qui n’était pas le cas des autres. D’un geste, Marc retourna le gobelet.
Dans le fond plat, il y avait un petit trou parfaitement rond.
Marc s’adressa à Karine, un peu abruptement, en tendant sa main qui ne tenait pas le vase :
― Tu m’as dit que tu avais trouvé un rapport d’analyse dans le bureau d’Henri Bard… Tu
l’as avec toi ? Donne le moi, s’il te plait.
Karine fouilla dans son sac qu’elle avait posé sur un fauteuil de l’espace salon, tandis que
Marike dansait d’un pied sur l’autre ne sachant plus que faire… Karine sortit le dossier de
l’affaire qu’elle conservait avec elle, puis la grosse enveloppe adressée à Charles Delapierre.

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De sang, de cuivre et d’or 

Marc qui avait posé le gobelet sur la table basse, s’empara de l’enveloppe et en sortit les
feuilles imprimées. Il les parcourut rapidement, sauta à la conclusion, prit le temps de lire les
derniers paragraphes. Tout s’assemblait dans son esprit habitué aux jeux de déductions de
l’archéologie. Puis, enfin, il regarda Karine :
― J’ai compris. Van Decken n’est pas la prochaine cible, c’est l’assassin.
Marike ouvrit des yeux ronds. Elle ne comprenait rien à cette histoire. Si ce n’est que ces
deux là étaient fous à lier. Accuser le Professeur van Decken.
Karine réagit très vite :
― Il va falloir que tu m’expliques comment tu en es arrivé à cette conclusion. Mais je
suppose que le plus urgent est de trouver van Decken.
Elle avait une totale confiance dans les déductions de Marc. Elle se tourna vers Marike,
toujours immobile comme une statue de sel.
― Il nous faut l’adresse personnelle de votre patron !
Marike ne bougeait toujours pas.
― Oh ! La potiche ! Tu les remues toute seule tes jolies fesses où je te la joue à
l’inspecteur Harry ?!
Marike bougea enfin. Elle n’avait pas totalement compris ce que lui avait dit cette
française mais elle comprenait bien que ce n’était pas aimable. Elle gémit plus qu’elle ne dit :
― Le Professeur van Decken ne peut pas être un assassin. C’est quelqu’un de très
connu…
Karine l’entraina vers son bureau :
― Allez, bouge, la blondasse !
Mark prit le vase et le rapport d’Henri Bard. Il retourna vers le bureau pour attraper le gros
volume de van Decken. Il se pencha en même temps vers l’écran de l’ordinateur et cliqua sur
l’icône sous-titrée Dagboek qui figurait un petit calendrier. A la date du jour étaient indiqués
deux rendez-vous, à la date de la veille un autre. Van Decken n’était donc pas censé être en
vacances à l’étranger ces jours-ci. Il avait prévu d’être à son bureau…
Il rejoignit les filles dans le bureau mitoyen.
Karine, penchée sur le bureau, se redressa et se tourna vers lui :
― Ça y est : Oudezijds Woorburgwal, 219. C’est en plein cœur d’Amsterdam, selon notre
jeune amie.

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En un lieu indéterminé, le 3 août, 15h00

Ashton sortit des limbes d’un sommeil lourd et agité. Il voulut consulter sa montre mais il
ressentit une violente douleur au bras gauche. Il était menotté aux barreaux du lit. Il remarqua
aussi que sa montre avait disparu. Le cadeau de son père. Un des rares objets auxquels il
tenait vraiment.
Il analysa rapidement la situation. Isolement, une lumière qui ne s’éteint jamais, une pièce
sans fenêtre, plus d’heure. La perte de temps et d’espace. Ses ravisseurs avaient une idée en
tête : lui faire perdre la sienne.
Quelques minutes après, jugea-t-il, un type entra. Mal rasé, c’était le plus grand de ses
ravisseurs, « l’agent » Sanders. Il portait à nouveau un plateau repas qu’il posa à même le sol.
Il le regarda. Ashton l’observait aussi. Il ouvrit la bouche mais ne parla pas. L’autre le faisait
pour lui.
― Vous aimeriez savoir ce que vous faites ici et quand on va vous libérer, n’est-ce pas ?
Mais moi, je ne peux pas vous le dire. D’ailleurs, je ne vous dirai rien de plus. Je n’en sais
rien de toute manière. Inutile d’interroger mon collègue. Il ne viendra plus. Il est parti. Nous
sommes seuls, ici.
Le scientifique le regarda, ébahi. Il ne savait pas quelle attitude adopter. Il hésita entre la
résignation et l’envie de se battre. Il sentit pourtant que l’homme était fragile. Qu’il avait un
coup à jouer. Sanders sortit soudain une fiole de sa poche intérieure. Il dévissa le bouchon et
but une rasade avant de commenter :
― Il est bon, ce rhum. Direct de la Jamaïque. Le meilleur. Quoi qu’on en dise !
Ashton leva la tête et tenta de regarder au-dessus de l’épaule de son ravisseur. Personne. Il
devait avoir raison. Ils étaient bien seuls. L’espoir renaissait. Sanders semblait ivre, comme la
dernière fois qu’il était venu le voir quelques heures ou quelques jours avant.
― Quel jour sommes-nous ?
― Ah ! Ah ! T’en es encore là ? Peut-être lundi, peut-être mardi. Ou bien dimanche, qui
sait ?
L’archéologue en avait vu d’autres. Malgré son âge, il était encore frais. Il devait être
moins vif que Sanders mais l’effet de surprise conjugué à l’ivresse dont il était atteint lui
laissait une chance de s’échapper. Encore fallait-il qu’il l’attire au fond de la pièce.
― J’ai envie de me lever.

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De sang, de cuivre et d’or 

― Pour aller où ?
― J’en ai assez de rester dans cette chambre.
L’accroche fonctionnait. Sanders s’avança vers lui. Il fit le tour de la pièce, tâta les murs
comme pour en appréhender la solidité. Ashton l’observait, son visage s’était soudain
détendu. Il en profita pour enfoncer le clou.
― Qu’est-ce que vous risquez ? Vous n’avez rien à craindre d’un vieil homme comme
moi ! Vous voulez que je m’enfuie ? Pour aller où ? Je ne sais même pas où l’on est !
L’homme but une nouvelle lampée de l’alcool à la saveur de mélasse et, contre toute
attente, s’assit sur le bord du lit. Asthon se raidit. Leurs jambes se frôlèrent. L’homme
respirait rapidement. Il tourna la tête. Ses yeux étaient injectés de sang. Le scientifique jeta un
œil par delà la porte restée ouverte. Il suffirait…
― T’aimerais bien t’échapper, hein ?
Bien sûr, il aimerait se faire la malle, ne pas croupir dans cette geôle trop longtemps. Il
n’avait pas envie de finir comme son collègue Bard. Et encore, lui avait dû avoir une mort
rapide. Fauché par une voiture en pleine ville.
Discrètement, il tâta la poche latérale de son pantalon. Sa truelle d’archéologue s’y trouvait
encore. Ils lui avaient retiré sa montre mais ne l’avaient même pas fouillé. Des amateurs !
pensa-t-il. L’objet lui avait été offert par sa femme près de trente ans plus tôt. Il ne s’en
séparait jamais, c’était son dernier souvenir d’elle, disparue trop tôt. En plus d’être
indispensable dans son métier, avec un manche en ivoire de mammouth et une lame
triangulaire, la truelle était une véritable œuvre d’art. Bientôt, elle deviendrait une arme.

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Quelque part entre Leiden et Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 16h00

― Tu es sûr qu’on n’aurait pas fait plus vite en louant une voiture ?
― Absolument ! Le train est le moyen de transport le plus rapide dans ce pays… Attends
de voir Amsterdam… En voiture, c’est impossible !
Karine attrapa les mains de Marc assis sur le siège en face de lui et le fixa du regard :
― Si tu m’expliquais maintenant.
Marc avait l’air fatigué maintenant. Sans son pansement, il avait le visage un peu
asymétrique, une grosse bosse sur l’arcade sourcilière et plusieurs croutes marron tout autour
de l’œil.
― Tu te souviens du vase hollandais qui était dans la sépulture, déposé près du crâne de
l’individu. Il était très propre par rapport aux autres céramiques. J’ai d’abord pensé que
Charles l’avait sorti pour le nettoyer parce que c’était un type exceptionnel pour la région. En
réalité, je connais ce vase. J’aurais dû le reconnaitre. Il a déjà été publié dans les années 70. Il
provient d’une tombe d’ici, de la région…
― Tu veux dire qu’il a été mis volontairement dans la sépulture, après la fouille ?
― Oui, il a été introduit dans la tombe où il a remplacé un autre vase qui est celui-ci. Marc
montra le sac dans lequel il avait rangé aussi soigneusement que possible le gobelet découvert
dans le bureau de van Decken.
― Tu veux dire que quelqu’un a échangé les vases ? Et tu penses que c’est van Decken ?
Mais, pourquoi ?
― J’en suis certain. Et je sais pourquoi. Le vase original est un vase… portugais. En fait,
van Decken venait de mettre le point final à un gros travail de synthèse portant sur le
phénomène campaniforme en Europe. Il a recensé les découvertes de tout le continent et il a
développé ses interprétations concernant l’origine du phénomène aux Pays-Bas à partir des
phases récentes de la culture Cordée. C’est un travail magistral d’ailleurs. À partir de là je suis
obligé d’imaginer. Je pense que Charles a contacté van Decken en même temps que le
Professeur Figueiras et moi afin de nous faire venir à Forcalquier pour nous montrer une
découverte qu’il considérait comme exceptionnelle. Dans le même temps, il a envoyé à Henri
Bard un échantillon de ce gobelet maritime de style portugais afin d’avoir une analyse des
matériaux. Au passage, effectivement ce vase a bien été fabriqué au Portugal d’après l’analyse
d’Henri. Lui qui se plaignait tout le temps que les vases étaient presque toujours de

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De sang, de cuivre et d’or 

fabrication locale et qu’on ne pouvait donc pas déterminer l’origine du phénomène, il a enfin
eu ce qu’il voulait, mais il en est mort. Bref, van Decken est probablement le seul à s’être
déplacé tout de suite pour aller rencontrer Charles. Je ne sais pas comment il a fait pour que
personne ne le voit, mais il est vrai que les fouilleurs de Forcalquier descendent souvent au
bistrot du village le soir… Il n’y a pas tout le temps du monde ou alors une ou deux personnes
qui sont au camp et non sur la fouille. Mais logiquement, s’il avait garé sa voiture au camp,
on l’aurait vu… Il a dû tout faire pour arriver discrètement et coincer Charles sans que
personne ne le voie. Tout ça me semble avoir été prémédité. Quoi qu’il en soit la présence de
ce vase portugais dans la sépulture remettait en cause la totalité de l’interprétation de van
Decken. Celui-ci a dû péter un plomb. Il a tué Charles et échangé les vases – ce qui suppose
entre parenthèse qu’il avait apporté un gobelet avec lui… Et ça c’est bien la preuve que c’était
prémédité. Peut-être que Charles lui avait expliqué la nature de la découverte par téléphone. Il
a aussi emporté des objets de la tombe et conçu cette histoire de vente et de site web pour
nous mettre sur une fausse piste et incriminer Charles. Il a même réussi à passer au bureau de
Charles à Aix pour faire ça et sans doute pour vérifier la présence d’autres documents. Il est
ensuite allé à Toulouse pour assassiner Henri. Ou alors il a payé quelqu’un pour le faire
comme il l’a fait à Lisbonne pour le Professeur Figueiras. Une chose est sûre, il savait que
nous avions été contactés. Logiquement, je suis le dernier sur la liste avec Ashton, enfin...
Bref, il a tout fait pour faire disparaitre cette découverte et la remplacer par quelque chose qui
validait ses propres théories. A mon avis, il est devenu fou, totalement. Mais attention, il est
aussi machiavélique et très dangereux.
― Il y a quand même quelque chose que je ne comprends pas. Comment vous les
spécialistes, vous n’avez pas tout de suite compris que le vase dans la tombe n’était pas le
bon ? Il ne devait pas s’adapter à l’empreinte dans le sol ?
― En fait il s’adaptait parfaitement à l’empreinte, je me souviens d’avoir observé les
traces du décor à la cordelette dans le sédiment sous le vase. Mais le sédiment est plutôt
meuble, il aura été facile à van Decken d’effacer l’empreinte du vase qu’il a volé et
d’imprimer celle du vase qu’il a mis en place. Ce qui aurait du nous mettre la puce à l’oreille
c’est que ce vase était parfaitement propre, mais Charles aurait pu le nettoyer lui-même et
puis nous n’imaginions pas une histoire pareille.
― Merde, je ne pensais pas que l’archéologie pouvait conduire à de tels extrémismes.
― Sincèrement, je ne le pensais pas non plus. Mais le travail qui est là est probablement
l’œuvre de sa vie et il a tout vu s’effondrer en un seul coup de fil de Charles.

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― En attendant, je vais appeler mon service, pour qu’on nous mette en rapport avec les
forces de police néerlandaises. Vu la tournure que prend cette histoire, ils me couvriront. Il y
a déjà eu trop de morts. Et, je ne veux plus te faire prendre le moindre risque.
― De toute façon, nous devons l’arrêter au plus vite, sinon c’est lui qui m’aura… Dans sa
folie, il doit considérer que je suis le dernier obstacle à son œuvre.
Une vibration du téléphone de Karine lui annonça un message écrit. Il était long. Elle prit
le temps de le lire puis :
― On a retrouvé la Mercedes qui a tué ton ami Henri Bard à Toulouse. L’identification est
formelle à partir du phare cassé. Elle était dans un terrain vague à proximité d’une cité dans la
banlieue de Toulouse. Elle a été incendiée après avoir été en grande partie désossée
probablement par des jeunes…
― De toute façon, je suppose que van Decken n’avait rien laissé dedans, ni empreinte, ni
preuve. Il a l’air plutôt doué notre assassin.
― Tu l’admires ou quoi ?
― Non ! Bien sûr que non ! Mais je sais qu’il est très intelligent et qu’il ne va pas être
facile à faire tomber.
― Mais tu as tout compris et tu as les preuves avec toi : ce vase, le dossier, le bouquin… Il
est cuit, rôti, carbonisé !
― C’est pourtant toi l’enquêtrice. Tu devrais savoir que ce ne sont que des preuves
indirectes. Mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus. Il est dangereux et il détient Ashton. Je
crains pour la vie du vieux bonhomme.

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Il y a environ 4500 ans

Ce n’étaient pas des géants, mais de grandes stèles de pierre figurant des hommes stylisés
avec des représentations de parures et de poignards. Naïm reconnut tout de suite des objets
de cuivre. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Les gens d’ici connaissaient la pierre de
cuivre. Derrière ces stèles, se dressaient de massifs coffres de pierre, aussi grand qu’un
homme prolongés d’un podium triangulaire de pierre. Il devait s’agir de tombe, une
nécropole installée au pied de petites collines qui précédaient la montagne.
Après un instant de surprise, les hommes s’approchèrent. Il n’y avait âme qui vive. Mais
au sommet d’une colline proche, ils aperçurent un village perché défendu de palissades. Ils
s’en approchèrent afin d’interroger les indigènes sur l’origine de la pierre de cuivre. A
quelques distances de la colline, ils se rendirent compte qu’il y avait des hommes au pied des
palissades et dans les pentes abruptes. Ils entendaient des cris et une flamme prodigieuse
s’éleva au dessus du village, c’était le toit de chaume d’une maison qui venait de s’embraser.
De toute évidence, le village où ils se rendaient subissait une attaque, devant leurs yeux.
Naïm n’eut pas à réfléchir très longtemps : on était en train de massacrer les villageois
qu’il voulait interroger. Leur jetant un œil, il vit que ses hommes piaffaient d’impatience de se
jeter dans la mêlée. En quelques signes, Naïm sépara ses hommes en deux groupes qui
s’élancèrent à l’assaut de la colline escarpée pour prendre à revers les assaillants. Les
guerriers ne montraient plus aucune trace de fatigue, malgré leur long périple, ils gravirent
les pentes très rapidement et se jetèrent sur les agresseurs avec une rage qu’il ne leur avait
vue depuis longtemps. Les assaillants n’étaient en réalité pas très impressionnants, vêtus de
peaux et armés de gourdins et de torches, leur stratégie semblait simpliste. Elle consistait à
jeter les torches par-dessus la palissade afin d’incendier le village et obliger les habitants à
sortir de leur fortification. Ils n’étaient pas très nombreux mais semblaient fort sauvages et
acharnés. L’arrivée des hommes de Naïm derrière eux sembla les déconcerter. Tous occupés
à leur lancer de torches, ils n’avaient même pas pensé à surveiller leurs arrières et encore
moins à profiter de leur position dominante. Pris en tenaille entre les palissades défendues
par les villageois et les hommes de Naïm armés de poignards et de lances de métal, les
agresseurs qui n’avaient pas été immédiatement tués, s’enfuyaient comme ils pouvaient dans
la forte pente, chutant et roulant parfois jusque dans la vallée. En quelques minutes, la
victoire était totale, mais à l’intérieur du village palissadé, le brasier s’étendait de maison en

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maison. Naïm et ses hommes se présentèrent très vite à la porte du village qu’on leur ouvrit
sans que ne soit échangé aucun mot. Les nouveaux venus aidèrent immédiatement les
villageois à arroser et étouffer le feu pour l’empêcher de se répandre à l’ensemble du village,
mais trois maisons étaient déjà perdues. Fort heureusement, la localisation de ce village au
sommet d’une petite colline haute et abrupte, les contraignait à stocker beaucoup d’eau qui
servit à détremper les architectures et les toitures végétales. Ainsi le feu ne put gagner
encore. Circonscrit aux trois maisons déjà embrasées, il s’éteignit de lui-même au bout de
quelques heures, surveillé par plusieurs hommes.
Bien avant cela, Naïm avait trouvé le chef du village qui s’était empressé de le remercier.
Naïm fut d’abord surpris de comprendre son interlocuteur, mais il comprit que c’était la
même langue qu’au village de la Confluence, là-bas dans les basses terres proches de la côte.
C’était la langue des échanges et des grandes vallées de passage.
Le chef du Village aux Stèles lui expliqua que leurs assaillants étaient des habitants de la
haute montagne, très arriérés et généralement affamés à la fin de l’hiver, ils descendaient
parfois dans la vallée faire des razzias. Ils étaient venus deux fois ces derniers jours et la
première fois, beaucoup d’hommes du village avaient été surpris lors d’une pèche dans le
fleuve et étaient morts ou grièvement blessés. Les assaillants étaient donc revenus, finir le
travail dans un village déjà mal en point. C’est avec les femmes, les enfants et les vieux qu’il
avait dû, pour l’essentiel, défendre le village. Et cette fois encore, ils avaient eu des blessés,
en particulier des brûlés qui étaient compliqués à soigner. Le chef était très reconnaissant. Si
Naïm et ses hommes n’étaient pas intervenus, cette fois s’en était fini du village des Stèles.
Les hommes de Naïm aidèrent les villageois à soigner les blessés, avec leurs
connaissances et sortirent du village pour aller ramasser les corps des assaillants et les
brûler un peu plus loin dans la vallée.
Devant un repas constitué de ce qui restait dans les réserves non brûlées du village, Naïm
pu converser avec le chef du village. Il lui expliqua le but de leur quête et lui dit avoir vu les
objets de métal représentés sur les stèles.
L’homme le regarda alors d’un air malicieux. Il lui expliqua qu’il n’existait pas de
montagne du métal. Du moins dans toutes les vallées qu’il connaissait. Et il connaissait toutes
les vallées dans toutes les directions à des jours et des jours de marche.
Naïm se sentit soudain très abattu. Ainsi, il avait fait tout cela en vain et reviendrait les
mains vides auprès de son peuple. La honte resterait attachée à son lignage. Mais le chef
posa la main sur son bras et lui sourit. S’il n’existait pas une montagne du cuivre, en
revanche beaucoup de montagnes pouvaient livrer de la pierre de cuivre. Il suffisait de savoir

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De sang, de cuivre et d’or 

lire les signes. Le chef s’engagea à apprendre à Naïm comment trouver la pierre de cuivre, en
remerciement de son intervention pour sauver le village.
Dès le lendemain, les deux chefs partirent dans la montagne accompagnés de quelques
guerriers. Là, le chef du village, qui s’appelait Galla, montra à Naïm la pierre du cuivre dans
une petite vallée suspendue à seulement quelques temps de marche du village. Naïm
embarrassé dit à Galla qu’il ne devrait pas lui montrer les sources de métal du village, que
ses hommes et lui-même seraient tentés de l’en déposséder, mais Galla lui expliqua que
lorsqu’il saurait reconnaitre les signes montrant la présence de la pierre de cuivre, Naïm
pourrait en trouver dans les montagnes beaucoup plus près de chez lui et qu’il n’aurait ainsi
aucune raison de s’en prendre au village des Stèles et à ses biens. Ils laissèrent les guerriers
à l’entrée de la vallée et partirent tous les deux, maître et élève à la découverte des secrets de
la montagne.
A leur retour, au soir, Naïm savait reconnaitre la trace de la pierre de cuivre, dans la
forme des montagnes, dans les pentes et les éboulis. Il était très reconnaissant au vieux Galla
mais celui-ci insista, Il devait plus à Naïm pour les avoir sauvé des sauvages la veille. Au
village, une grande fête les attendait et les vivres semblaient s’être multipliées tant
l’abondance était remarquable. Galla expliqua à Naïm que le village disposait de caches
dans la proche montagne, au cas où… Ce qui avait été brûlé n’était pas irremplaçable.
Naïm et ses hommes ne restèrent que deux jours de plus au village des Stèles, tant il était
pressé de repartir à la conquête des montagnes pour trouver la pierre de cuivre qu’il savait
maintenant pister.
La légende de Naïm dit que les hommes de ce village abattirent les stèles qui figuraient
leurs anciens héros et les remplacèrent ou les transformèrent aux couleurs de Naïm et de ses
hommes en reproduisant leurs vêtements et leurs symboles. Si loin de sa terre d’origine, et
même loin de sa terre d’adoption, Naïm était un héro, vénéré parfois comme un Dieu. C’est
ce qu’on raconté bien après, d’autres expéditions du peuple de Cuivre et d’Or qui finir par
s’installer dans cette vallée et d’autres plus loin encore.

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Londres, Grande-Bretagne, le 3 août, 16h30

« L’agent » Hill conduisait prudemment. Il savait qu’il ne devait pas se faire remarquer. La
police était partout. Sur les dents. La disparition du scientifique avait dû être signalée. Il
traversa la ville sans encombre et gagna l’autoroute M25. Un important ralentissement au
péage de Dartford lui sembla peu habituel. Merde ! Je suis bon pour un embouteillage, se dit-
il. Puis il aperçut des uniformes, des véhicules estampillés, des gyrophares. Merde ! Merde !
C’était un barrage. Il poussa un long soupir et jeta un coup d’œil dans son rétroviseur. La
circulation était dense. Impossible pour lui de faire demi-tour sur l’autoroute. Il allait falloir
aviser et paraître le plus naturel possible.
Il roulait au pas, dans la longue file de voiture et ne vit pas arriver les deux motards qui
l’encerclèrent soudainement. Le premier lui intima l’ordre de se ranger d’un geste sévère. Il
tourna la tête vers lui, l’air surpris. Il n’aimait pas jouer la comédie. Il se sentit ridicule. Il
devait réfléchir. Et vite. La police devait avoir son signalement et celui de la voiture dont il
devait se débarrasser. Il savait bien qu’il aurait dû se débarrasser de cette voiture plus tôt, faire
autant de kilomètres avec, c’était une connerie ! Il n’avait pas envie de passer quinze ans en
prison pour avoir enlevé et séquestré un pauvre archéologue dont tout le monde se fichait.
Pour le peu qu’il avait touché dans cette histoire, c’était trop bête.
Rapidement, il mit en branle son cerveau mais les idées ne venaient pas. Stopper la voiture
et dormir en taule ? Prendre la fuite dans cette voiture volée ? Il évaluait comme il pouvait
une situation délicate. Une autoroute. Des flics partout. Des voitures partout. Des champs tout
autour. Il prendrait bien la tangente. Une sirène éclata soudain. Il sursauta. Le motard
s’impatientait. Il ralentit et tourna le volant vers la gauche. Le premier policier était devant.
L’autre juste collé à son pare-choc. Il suffirait… Non, cette pensée l’effraya et il l’écarta
aussitôt. Il n’était pas un assassin. Surtout pas un tueur de flics. Il savait que s’il commettait
l’irréparable, il en prendrait pour perpète. Alors il se calma. Mais au moment où le flic posa le
pied à terre. Il enfonça la pédale d’accélérateur, braqua à gauche sur la bande d’arrêt
d’urgence, prit un peu de vitesse et, arrivé sur une zone d’arrêt d’urgence sans glissière de
sécurité défonça le grillage, déboulant en contrebas dans un champ. L’herbe était haute et il ne
savait pas trop où il allait, mais peu lui importait, la Rover était solide. Il ne prit pas le temps
de regarder dans son rétroviseur. Il fonça. Il imaginait les policiers, dans leur grande panique,

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hurler des ordres et des contre-ordres dans leurs radios. Les sirènes se firent plus fortes et plus
nombreuses. Un vrai concerto.
Lui, il fonçait toujours. Tout droit. Devant, se dressait une forêt. Il ne connaissait pas
l’endroit. Le véhicule souffrait. Lui aussi. Chaque soubresaut lui renvoyait le haut du crâne
sur le plafond de l’habitacle. Il recevait des décharges dans la colonne vertébrale à chaque
trou dont le terrain était truffé.
La course-poursuite s’était engagée. Il ne pouvait plus faire demi-tour. Au sens propre
comme au figuré. Soudain, juste avant la forêt, la voiture sembla basculer en avant et stoppa
net. Il fut projeté en avant mais la ceinture qu’il n’avait pas oublié de serrer lui sauva la vie. Il
faisait noir, des branches d’arbres couvraient le pare-brise. Il soufflait, haletait même. Il n’y
avait pas de temps à perdre, déjà les sirènes des policiers se faisait plus précises, plus proches.
Il débloqua sa ceinture et sortit de la voiture par la fenêtre. Il se mit à courir sans se retourner
mais il savait que sa fuite était vaine et pathétique. Il courait toutefois. Il sentait les flics qui se
rapprochaient. Il entendait leur souffle se faire plus précis. Ils avaient laissé leurs véhicules et
comme lui, ils cavalaient à travers la forêt. Ils hurlaient. Bientôt, ils allaient faire feu.
Soudain, il se retrouva par terre. Une douleur vive lui transperçait le dos. De la mousse était
entrée dans sa bouche. Il tenta de la recracher mais n’y parvint pas. Il ferma enfin les yeux.

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Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 17h00

Lorsque Karine et Marc sortirent d’Amsterdam Centraal, le ciel encore bleu se chargeait de
nuages. En face d’eux, au-delà d’un canal, les façades blanches ou beiges des hôtels étaient
surmontées de noms de marques en grandes lettres. Karine s’aperçut qu’ils se trouvaient sous
la toile d’araignée des caténaires qui alimentaient les trams.
― On prend le tram ?
Marc qui avisait un loueur de vélos sur le trottoir d’en face, prit la main de Karine et
traversa rapidement.
― J’ai une meilleure idée…
Tous deux furent bientôt sur des vélos, un plan de la ville fourni par le loueur, dans la main
de Marc :
― Tu vas voir, ici le plus dangereux c’est d’être piéton.
― Mais ? Tu connais Amsterdam aussi ? Tu passes ton temps à voyager ?
― Oui, en fait, j’ai même eu un appartement ici, un temps.
― Hein ? C’est quoi cette histoire… Dis-moi une fois pour toutes, d’où tu tiens tout cet
argent ?
― Je n’aime pas trop en parler. Pour faire simple, disons que c’est une fortune familiale.
― Ah…
Marc s’était déjà élancé sur sa bicyclette et Karine dû se contenter de cette réponse
laconique.
Ils suivirent la piste cyclable sur Damrak, jusqu’à Dam Square. Tout à coup, Mark freina
brutalement et retint du bras Karine qui s’engageait sur une voie de tram. Le gros tram blanc
et bleu passa en faisant tinter son avertisseur. Karine était en train de regarder les façades, peu
attentive à la faible circulation. Elle était un peu déçue. Amsterdam ressemblait à une ville
d’Europe du nord comme les autres. Plusieurs façades en travaux étaient bâchées et couvertes
de panneaux publicitaires. Elle aperçut l’enseigne du Musée de cire de Madame Tussauds qui
faisait un angle. Elle avait déjà visité ça, mais c’était à Londres. Il y en avait donc partout…
Mark se plongea dans le plan de la ville. Un instant plus tard il avait localisé l’adresse :
― Viens, ce n’est pas très loin.
Il tourna à gauche dans Damstraat. Ils descendirent la rue, entre les terrasses de snacks et
restaurants, italiens, chinois et même un argentin… Karine vit un Coffee Shop sur la droite.

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De sang, de cuivre et d’or 

C’est vrai, pensa-t-elle, une spécialité locale. Elle se dit qu’elle essaierait bien, comme ça,
pour voir… Mais elle appartenait à la police quand même. Ils serraient le trottoir autant qu’ils
le pouvaient dans cette rue étroite que les voitures remontaient. Pourtant les cycles étaient
nombreux dans les deux sens. Karine se souvint que cette disposition avait aussi été prise en
France : autoriser les vélos à prendre les sens interdits. Ça lui avait semblé une bonne idée,
mais maintenant qu’elle en faisait l’expérience, elle trouvait cela bien dangereux.
Les deux français arrivèrent à un croisement. C’était un canal, large de 15 ou 20 mètres,
longé de rues arborées. En face d’eux, Karine vit à la fois un restaurant asiatique très coloré et
de l’autre côté de la rue les architectures qu’elle pensa typiques, avec leurs façades étroites
beiges, marrons et les encadrements de fenêtres blancs, des fenêtres très nombreuses. Le haut
des façades présentait des sortes de degrés et était souvent très travaillé avec des moulures
blanches qui ressortaient beaucoup. Elle remarqua aussi des poulies suspendues au sommet de
ces façades. Ce n’étaient pourtant pas des granges… A quoi cela pouvait-il bien servir ? Ils
s’avancèrent sur le pont. Les rambardes de part et d’autres semblaient servir de parc à vélos.
Une bonne dizaine de cycles étaient accrochés sur chacune d’elles. Une petite camionnette à
hot-dogs, violemment colorée attirait une petite foule de touristes.
Marc s’engageait déjà à droite dans la rue qui longeait le canal, suivi de Karine. Marc
s’arrêta bientôt devant un parc à vélos :
― Nous y sommes presque. Nous allons attacher les vélos ici et nous terminerons à pied.
Ce sera plus discret.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

88

Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 17h30

Le Oudezijds Woorburgwal, 219 était une adresse anonyme le long d’un des nombreux
canaux d’Amsterdam. Une façade plutôt étroite de briques très classique, sur quatre niveaux
plus les combles, qui surmontait un demi-sous-sol loué à une boutique. L’intérieur était très
cossu, évoquant la réussite d’un universitaire respecté qui était aussi l’auteur de nombreux
livres de vulgarisation pour le grand public. Le professeur van Decken avait été, dans une
autre vie, un archéologue classique, travaillant sur l’antiquité grecque. Et puis il s’était lassé
des interminables discussions avec ses collègues historiens et philologues. Il était finalement
impossible d’être archéologue en travaillant sur les périodes historiques où l’étude de l’écrit
dominait tout. Il avait donc commencé à développer des programmes sur l’âge du Bronze,
travaillant sur Mycènes. On lui devait aussi une importante biographie d’Heinrich
Schliemann, le fouilleur de Troie et Mycènes. Puis remontant dans le temps, il s’était de plus
en plus intéressé aux différents mystères de la fin de la Préhistoire. Les premiers métaux, les
navigations préhistoriques, les Celtes, les Campaniformes… Il était aussi un savant à
l’ancienne, travaillant essentiellement seul. Certains le considéraient comme une encyclopédie
vivante qui savait beaucoup de choses sur presque tout. Mais d’autres le raillaient car il
devenait quasiment impossible de travailler seul en archéologie, discipline en plein essor,
encore, avec toujours plus de données faisant appel à de plus en plus de spécialités et donc de
plus en plus de spécialistes. Son encyclopédisme encore très envié dans les années 70 et
même 80 s’étiolait, ternissait face à ces jeunes loups qui étaient loin de tout savoir sur tout
mais connaissaient bien mieux que lui une toute petite spécialité. Mais il savait que s’ils
étaient très doués chacun dans leur domaine, il leur manquait toujours une vue d’ensemble.
Celle qui permettait de comprendre. Celle qui lui permettait de réaliser la grande synthèse
européenne sur une question considérée comme le dernier mystère ou la question la plus
irritante de la Préhistoire européenne. Et ce n’était pas une poignée d’imbéciles autour de cet
archéologue français, qui avec une seule tombe allait détruire toutes ces années de travail.
C’est lui qui allait les détruire.
Ainsi pensait le professeur van Decken de lui-même. De plus en plus muré dans sa folie.
Pour le moment il était caché derrière la fenêtre de son bureau, au premier étage. Marike, son
assistante, l’avait appelé un peu plus tôt pour le prévenir du passage de Marc et d’une
policière française à son bureau à Leiden. Il avait bien fait, encore une fois, d’interdire à

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De sang, de cuivre et d’or 

Marike de donner son numéro de téléphone à quiconque quoi qu’il advienne. Il devait aller
s’occuper d’Ashton, mais celui-ci était en sécurité, il pouvait attendre. Il allait pouvoir
maintenant en finir avec ces maudits français… Et puis il lui faudrait encore se débarrasser de
la jeune Marike. De toute façon, cette empotée passait son temps à dormir au bureau ou à
s’absenter. Et elle était persuadée qu’il ne se rendait compte de rien. La pire assistante qu’il
ait eue… Elle ne le méritait pas. Lui, le plus grand archéologue vivant. Il devait encore faire
disparaître ces objets de la tombe de Forcalquier. Il avait pensé un moment les vendre sur le
marché clandestin, mais c’était trop risqué. Le fond d’un canal serait finalement plus sûr. Et il
ferait bientôt paraître sa grande synthèse définitive mettant un terme à plus d’un siècle de
controverse sur l’énigme campaniforme.
Par la fenêtre, il aperçut ce jeune sot d’Andréas accompagné d’une charmante jeune femme
qui se dirigeaient vers sa maison.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

89

Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 17h35

Karine et Marc longeaient le canal en s’approchant du domicile de van Decken. Ils se


tenaient par la main et jouaient les touristes pour passer inaperçus, lorsque Karine s’arrêta.
Son téléphone vibrait dans sa poche. Karine répondit et Marc sentit monter l’inquiétude quand
il remarqua que les traits de la policière se figeaient. Elle était blême. Il s’était passé quelque
chose de grave. Immédiatement, le jeune archéologue pensa à Ashton. Peut-être était-il mort.
C’était l’hypothèse la plus vraisemblable. Il se sentit découragé, baissa la tête. Mais
l’abattement fut de courte durée. Tandis que Karine s’éloignait un peu pour poursuivre sa
conversation, il serra les poings. C’était la haine qui montait. Il avait envie d’en finir avec
cette histoire. Il avait envie que justice soit rendue. Il fallait mettre ce type derrière les
barreaux.
Quelques secondes plus tard, Karine revint vers lui et annonça sans préambule la nouvelle :
― Ils ont retrouvé un des ravisseurs.
― Il est… mort ?
La policière hocha la tête.
― Merde ! jure Andreas. Encore un !
Marc se dirigea tout à coup vers la maison de van Decken. Karine le rattrapa mais il était
déjà à mi-chemin quand elle lui posa la main sur l’épaule.
― Attend ! On ne s’est pas compris. Ce n’est pas Ashton qui est mort ! C’est le ravisseur.
Le visage d’Andreas sembla se détendre mais il n’était pas tout à fait soulagé.
― Pfut ! Ça fait quoi, de toute façon ? On ne le retrouvera jamais si tes collègues ont tué le
ravisseur…
― Fais nous confiance ! Les enquêteurs du Yard, les vrais, sont très forts. Ils l’ont déjà
prouvé…
Karine n’osa pas terminer sa phrase. Elle non plus n’avait plus vraiment confiance en ses
homologues britanniques. Deux fautes graves commises à quelques heures d’intervalle et qui
pourraient causer la mort d’un scientifique de renom, c’en était trop ! Toutefois, elle
poursuivit :
― On l’a identifié. Le fameux « agent Hill » n’avait rien d’anglais. Une petite frappe
hollandaise. Un certain Indilson, de son vrai nom. Plusieurs fois condamné pour vols avec
violence. Les collègues recherchent le deuxième.

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De sang, de cuivre et d’or 

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Il y a environ 4500 ans

Le trajet du retour avait été beaucoup plus rapide. Naïm et ses hommes avaient retrouvé
leurs embarcations et avaient descendu le fleuve sans encombre jusqu’au village de la
confluence puis étaient remontés jusqu’au village de l’Eperon. Aucun des leurs n’était mort
pendant l’expédition et ils furent fêtés comme il se doit.
Naïm devait maintenant réfléchir aux différentes options qui s’offraient à lui. Il savait
reconnaitre la présence de la pierre de cuivre dans la montagne, mais rien ne lui assurait
qu’il y en avait réellement dans les montagnes proches qu’ils avaient commencé à explorer.
D’un autre côté, il avait vu, au village de la confluence, les objets de cuivre venant du
couchant. Il y avait forcément de grandes sources là-bas de l’autre côté du grand fleuve, mais
c’était les terres de peuples belliqueux et si Naïm voulait s’approprier les pierres de cuivre, il
lui faudrait se préparer à une guerre longue et difficile.
Mais Naïm devenait un homme sage et il décida de poursuivre les recherches dans les
grandes montagnes peu peuplées, plutôt que d’aller chercher querelle à un puissant peuple
voisin.
Il profita un peu de sa femme, tout en se préparant à un nouveau périple.
La belle saison était maintenant installée et Naïm repartit en expédition vers les
montagnes. Après deux lunes de recherches infructueuses, les guerriers tombèrent enfin sur
un berger qui avait déjà vu des pierres de cuivre, même s’il ne savait pas qu’elles
présentaient une grande valeur pour Naïm et ses hommes. C’était dans la dernière des plus
hautes vallées cachées tout au fond de la montagne. Ils mirent longtemps à l’atteindre et cela
coûta la vie à plusieurs hommes tombés dans les torrents furieux ou depuis les corniches
suspendues au sommet des falaises. Les hommes commençaient à se décourager mais Naïm
ne céda pas. C’est ainsi que l’expédition put gagner cette haute vallée où les éboulis dans les
pentes présentaient de nombreuses traces de la présence du précieux métal que Naïm savait
maintenant reconnaitre. Il leur fallut encore du temps pour localiser les filons et organiser
l’extraction de la pierre de cuivre. Un atelier fut créé directement dans la pente de la haute
montagne à proximité du gisement. Naïm dut renvoyer des hommes jusqu’à la côte pour faire
venir l’homme du métal qui savait transformer la pierre en soleil. L’exploitation ne pouvait se
faire qu’entre les périodes froides, où la neige tombait en abondance, et qui duraient
longtemps dans les montagnes. Naïm assista à la magie de la transformation de la pierre.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Celle-ci se déroulait la nuit à la lueur changeante du petit four sous les étoiles. Les hommes
actionnaient les soufflets qui attisaient le feu par des tuyères de céramique, lorsqu’enfin
l’homme du métal sortit un creuset de cette matière en fusion et fit couler le lingot dans une
cuvette creusée à même la terre. Selon l’homme du métal, la pierre de cuivre était de très
bonne qualité et les Dieux favorables. En quelques jours, aidé par les guerriers il fabriqua
plusieurs objets selon la tradition. Les hommes redescendirent avant les premières neiges et
retrouvèrent le village de l’Eperon.
Après une période de repos, Naïm redescendit jusqu’au village de la Dent apportant avec
lui des objets de cuivre neuf et désigna les hommes qui seraient renvoyés à la grande
forteresse du peuple de Cuivre et d’Or afin d’annoncer cette découverte. Les filons
semblaient nombreux dans la montagne et la matière ne manquerait pas.

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De sang, de cuivre et d’or 

91

Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 17h37

La pièce n’était éclairée que par la lumière naturelle perçant à travers les rideaux à demi
tirés aux fenêtres. Les grandes bibliothèques sombres chargées de volumes anciens
obscurcissaient encore l’espace qui était d’ordinaire égayée par un feu dans la cheminée
aujourd’hui éteinte. Entre les bibliothèques, les murs étaient occupés par de grands tableaux
tous sombres.
Le professeur van Decken écarta un peu le rideau et regarda encore une fois dehors. Il avait
dû se reculer précipitamment lorsqu’il avait eu l’impression qu’Andréas regardait vers la
fenêtre. Mais que faisaient-ils ces maudits français ? Ils s’étaient arrêtés. Ils discutaient.
Allaient-ils renoncer à venir ?
Ils n’avaient qu’à venir se jeter dans la gueule du loup… La porte d’entrée n’était pas
verrouillée. Il leur suffisait d’entrer.
Van Decken s’impatientait. Il voulait en finir, tout de suite. Une fois pour toute. S’il avait
douté pensant quelques instants, se demandant si c’était une bonne idée de les tuer chez lui, il
ne pouvait maintenant plus attendre. Faisant fi de toute prudence, lui qui calculait,
réfléchissait et préparait toujours tout, ne se reconnaissait même plus. Au diable la prudence.
Pourtant son cerveau continuait à travailler, envisageant tous les scénarios possibles. Une
policière pouvait-elle être armée, lorsqu’elle se trouvait à l’étranger ? Sans doute pas… Sa
présence ici ne pouvait pas être officielle. Mais il lui fallait une arme à lui.
Il remit très délicatement le rideau en place, pour ne pas trahir sa présence, et recula dans
la grande pièce. Sa pièce, mi-bureau, mi-bibliothèque, où il se sentait bien et dont il
connaissait chaque recoin. Quel meilleur endroit pour en finir ? Sur le bureau de bois massif,
trônait une série d’objets de cuivre et d’or ainsi qu’une longue lame de pierre, un poignard
dont la valeur ostentatoire était évidente mais qui était aussi une arme, celle dont il s’était
servi pour se débarrasser de Delapierre et qui avait peut-être aussi déjà tué des hommes
pendant la Préhistoire.
Van Decken gouta l’ironie d’utiliser à nouveau ce poignard pour une finir avec cette
histoire.
Il fit le tour de la pièce du regard. Il était serein ici, entouré de tous ces ouvrages de ses
prédécesseurs et de toutes ces œuvres d’art, accumulés pendant toute une vie. La fine fleur de
des sciences et des arts de la Hollande.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

S’il avait été contraint de ne mettre que des copies dans son château à la campagne où il
détenait Ashton, trop souvent vide et plusieurs fois cambriolé, il aimait être environné
d’œuvres originales. Il se souvint d’un jour, des années auparavant, où Charles Delapierre
était venu chez lui. Une époque révolue où il se forçait encore à estimer ses collègues et à
avoir une vie sociale. Cet abominable français lui avait alors fait un sermon sur le fait que ces
œuvres avaient leur place dans un musée et non au domicile d’un particulier. Quelle idée
saugrenue ! Ces œuvres étaient son plaisir et non celui des foules ignorantes et incapables de
les apprécier. Décidément, il avait bien fait de tuer Delapierre.
Il s’arrêta devant son esquisse originale de l’Astronome de Vermeer, la pièce principale de
sa collection d’art. Ce tableau était une ode à la science et aux scientifiques dont il était lui
aussi un très digne représentant. Hélas, le tableau définitif se trouvait aujourd’hui au Musée
de Louvre, chez ces maudits français, après des aventures rocambolesques qui l’avaient
amené jusqu’au fond d’une mine de sel autrichienne dans les trésors de guerre nazis, alors que
son pendant, le Géographe, se trouvait actuellement en Allemagne. Peu de gens connaissaient
l’existence de cette esquisse, dont la valeur pour lui était inestimable. Quelques secondes
devant la toile firent exploser sa haine des français. Le professeur van Decken, afficha un
sourire mauvais et se cacha dans un renfoncement du couloir devant l’entrée du bureau, le
poignard de silex à la main.

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De sang, de cuivre et d’or 

92

Amsterdam, Pays-Bas, le 3 août, 17h40

Karine et Marc montèrent les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée du n°219.
Marc avait déjà la main sur la poignée. Karine lui attrapa le bras :
― Nous devrions attendre la police locale. Tu l’as dit toi-même, ce gars est fou et
dangereux.
Marc dégagea son bras :
― Je veux avoir moi-même ce connard qui a assassiné mes amis !
― Je suis amoureuse d’un malade mental !
Marc se retourna à demi vers Karine, interpelé par sa dernière phrase. Il lui sourit et
appuya en même temps sur la poignée de la porte. Celle-ci s’ouvrit sans difficultés.
Karine attrapa son Sig-Sauer SP 2022, dans son dos, à la ceinture.
― Et merde ! Allons-y.
Ils pénétrèrent dans un couloir. A gauche, une porte était ouverte sur un salon richement
meublé et prolongé d’une salle à manger puis d’une cuisine. Ces trois pièces étaient vides. Ils
regagnèrent rapidement l’entrée et montèrent l’escalier qui conduisait aux étages. Karine était
passée devant, l’arme au poing. Elle montait lentement. A quelques marches du premier
palier, Marc n’y tint plus et la dépassa. Arrivé sur le palier, il accéléra et tourna à gauche, vers
l’entrée de ce qui ressemblait à un bureau, côté rue.
Derrière lui, il perçut un mouvement. Van Decken sortit d’un renfoncement et repoussa
violemment Karine vers l’escalier. Celle-ci perdit l’équilibre et, voulant se rétablir, tomba à
plat ventre, glissant dans l’escalier jusqu’en bas. Marc se retrouva devant van Decken. Celui-
ci eu un rictus qui en disait long sur son état mental pensa Marc. Il ne lui manquait que la
bave aux lèvres. Du coin de l’œil, Marc aperçut Karine qui redressait la tête. Elle était en vie.
Il respira. Il ne vit qu’ensuite le poignard de silex que van Decken tenait dans sa main. Marc
recula dans le bureau. Il chercha autour de lui quelque chose pour se défendre. Il vit sur le
grand bureau, une quantité incroyable d’objets en cuivre et en or et comprit instantanément
qu’il s’agissait du fameux « trésor » de Forcalquier que van Decken avait volé. Mais il devait
penser à sauver sa vie. Van Decken ne lui laissa pas le temps d’improviser une arme. Il se jeta
sur lui en criant :
― Maudits français ! Toujours plus forts que les autres ! Toujours aussi arrogants !

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Marc essaya d’attraper le bras qui tenait le poignard, mais il glissa et vit van Decken
reculer pour l’empêcher de l’attraper. Van Decken revint rapidement à la charge levant le
poignard devant lui. Marc se rendit alors compte qu’il avait toujours à la main son sac
contenant le vase et les livres de van Decken. Il le jeta à la tête de son agresseur. Il fit mouche.
Avec un bruit creux, l’antique gobelet, mal amorti par le sac s’était fracassé sur le front de van
Decken avant de choir et d’exploser au sol. Van Decken avait été stoppé dans son élan mais
se reprit bien vite, tout en regardant le contenu du sac répandu sur le parquet.
― Non seulement vous venez vous jeter sous mon arme, mais vous me rapportez toutes les
preuves pouvant m’incriminer. Vous n’êtes pas arrogant, vous êtes un idiot !
Observant les petits objets métalliques dans leurs boites, il ajouta :
― Vous m’apportez même les objets que détenait Ashton, n’est-ce pas ? Merci beaucoup,
je vais pouvoir aussi me débarrasser de lui aussi grâce à vous.
Puis il se précipita sur Marc en levant à nouveau son poignard. Marc parvint à détourner la
lame de pierre, mais pas assez, pas assez vite. Le poignard s’enfonça dans sa chemise, sur le
côté de son ventre, dans sa chair. Mu par l’instinct de survie, Marc parvint à repousser son
assaillant une nouvelle fois. La lame sortit de la blessure et immédiatement du sang apparut et
inonda sa chemise. Marc s’affaissa contre le bureau. Van Decken s’avançait déjà de nouveau
vers lui, le poignard dans son poing dressé au dessus de Marc. Marc commença à voir trouble.
Il sentit qu’il allait s’évanouir. Cette fois c’était foutu !
Deux coups de feu très rapprochés lui perforèrent les tympans et résonnèrent dans le
bureau. Van Decken s’affaissa et lâcha le poignard de silex qui tomba juste devant Marc.
Derrière van Decken, Karine, le visage ensanglanté, tenait son Sig au bout de son bras droit.
Elle était de côté, la main gauche à la ceinture, comme au stand de tir. Des bruits de course
montaient de l’escalier. Bientôt plusieurs hommes en tenue de combat noir entrèrent et se
répartirent dans la pièce. Dans leur dos, en gros caractères blancs, était inscrit « Politie ».
Karine lâcha son arme et se précipita sur Marc qui gisait maintenant au pied du bureau,
chemise et pantalon gorgés de sang. Elle était à genou devant lui et leva les bras en l’air pour
les policiers qui la mettaient en joue. Marc essaya de parler. Il montrait le beau poignard en
silex à manche massif avec une espèce de pommeau au bout, taillé d’une seule pièce dans la
roche :
― Le poignard… Le poignard…
Il sourit et finalement s’évanouit.
Karine devint hystérique :
― Mais aidez le, bon dieu ! Il va mourir… Dépêchez-vous !

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De sang, de cuivre et d’or 

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Dans un lieu indéterminé, le 3 août, 18h00

Asthon sentit que c’était maintenant ou jamais. L’autre était toujours à ses côtés mais il
semblait loin, perdu dans des pensées que le scientifique n’arrivait pas à saisir. Les mots qui
sortaient de sa bouche ne semblaient pas contrôlés. Ils ne formaient pas de phrases sensées. Il
était totalement ivre.
L’archéologue glissa discrètement la main dans sa poche et en retira sa petite truelle. Il
posa le doigt sur la pointe dont il avait pris grand soin tout au long de ces années pendant
lesquelles il ne s’en était jamais séparé. Il n’avait plus le temps de réfléchir. Il savait qu’il
allait devoir tuer cet homme pour se sauver lui-même.
Soudain, d’un geste bien plus sûr qu’il ne l’aurait pensé, il planta la lame de la truelle
jusqu’à la garde dans l’abdomen de Sanders. Celui-ci hurla en attrapant la main d’Ashton qui
tenait toujours l’outil. Puis, Sanders reçut un coup violent au visage. Puis un deuxième. Il eut
l’impression que le lit se mettait à tourner. Dans tous les sens. Encore un autre coup. Cette
fois, c’était le genou. Il était plié en deux. Il s’écroula sur le sol dans un bruit qui lui sembla
assourdissant.
Ashton était transcendé. Comme possédé. Il était habité par une violence qu’il n’arrivait
pas à contrôler. Il frappait. De toutes ses forces. Sur le visage, sur les jambes, sur les côtes.
L’autre bougeait dans tous les sens. On aurait dit une bête. Il hurla, tenta de se relever et
retomba tandis que le scientifique lui assénait coups sur coups. Quelques minutes plus tard,
Ashton était accroupi devant le colosse immobile. Il retira la truelle ensanglantée de la cuisse
de Sanders, nettoya la lame sur le pantalon de ce dernier. L’archéologue était en nage. Il
haletait et transpirait. Il observa le corps allongé mais ne parvint pas à percevoir le signe
d’une respiration. Il était rempli de rage et son excitation commençait à peine à retomber.
Avec dégoût, il se pencha sur son geôlier, lui fit rapidement les poches, trouva enfin des
clés. Il s’en empara, batailla un moment pour détacher son bras gauche des menottes et
s’apprêta à sortir de la pièce. Il hésita une seconde et revint vers l’homme à terre. Il lui refit
rapidement les poches et retrouva sa montre :
― Jeune homme, la Radiomir de 1938 est une montre au radium : elle est mortelle !
Le couloir était sombre. Il tâtait les murs tout en faisant le moins de bruit possible. Il se
pouvait que d’autres ravisseurs soient présents. Il n’était sûr de rien. Il progressa dans le noir
mais fut attiré par un mince filet de lumière qu’il venait d’apercevoir. Quelques mètres plus

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

loin, il se trouva devant une lourde porte blindée. Sans réfléchir, il abaissa la poignée et
poussa la porte. Fermée. Il se rappela des clés qu’il avait laissées à côté des menottes. Il
retourna rapidement dans la pièce, contourna le corps inerte de Sanders et attrapa les clés. Il
commençait à prendre conscience de ce qu’il avait fait. Il venait de basculer dans le monde
des assassins. Il retourna rapidement dans le couloir, s’arrêta devant la porte, se pencha et
observa la serrure dans la pénombre. Il choisit une clé sur le trousseau et ouvrit la lourde porte
sur un escalier de pierre illuminé par une ampoule nue. Il grimpa très vite l’escalier, comme
s’il avait le Diable aux trousses. L’humidité qu’il avait sentie dans le couloir l’accompagna
dans son ascension. En haut des marches, une nouvelle porte lui barrait le passage. Il sembla
ne pas y prêter attention et s’élança contre elle en en attrapant la poignée. Elle était ouverte et
il se retrouva dans un petit hall qui menait directement à une grande pièce, dont la double
porte était grande ouverte. Au plafond, un lustre monumental. Au fond, une cheminée dans
laquelle on aurait pu faire cuire un éléphant. Aux murs, Ashton reconnut des tableaux du
peintre néerlandais Albert Cuyp. Il prêta une oreille attentive au lieu. Pas un bruit. Pas un
souffle.
Rassuré, il avança d’un pas tout en scrutant les tableaux : « Vaches aux pâturages »,
« Couché de soleil au dessus du fleuve ». Le visage pincé, il passa le doigt sur les toiles.
D’authentiques reproductions d’une belle laideur. Il n’avait jamais apprécié l’œuvre de cet
artiste du XVIIème. Ces pâles copies renforçaient son opinion.
Il continua sa progression et alla jeter un œil à travers l’une des baies vitrées. Un grand
jardin s’étendait devant lui. Quelques arbres, un étang. Il était dans un château. Un 4X4
Mercedes était garé devant l’entrée. Celui de Sanders, probablement.
Il pensa tout de suite à sortir et à s’emparer du véhicule mais son attention fut portée vers
une porte ouverte au fond de la pièce principale. Il traversa le salon et découvrit un vaste
bureau. Une grande fenêtre donnait encore sur le parc qui semblait entourer la demeure. Aux
murs, des étagères de livres. Par milliers. Instinctivement, il se dirigea vers l’une des
bibliothèques et piocha au hasard. Darwin. Il ne parvint pas en revanche à déchiffrer le titre.
Ce n’était pas de l’allemand mais cela y ressemblait. Il replaça l’ouvrage et continua son
inspection. Puis, il se dirigea vers le bureau sur lequel s’amoncelaient de nombreux papiers. Il
s’empara de l’un d’eux. Il reconnut enfin quelques mots. Son cerveau se mit en marche. Il ne
l’avait jamais appris mais, pour avoir parfois péniblement déchiffré les légendes des figures
dans les publications de certains de ces collègues, il était sûr que c’était écrit en hollandais.
Les tableaux, les livres et maintenant ces papiers… tout le ramenait aux Pays-Bas. Il fallait
qu’il les prévienne…

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De sang, de cuivre et d’or 

Soudain, il ressentit une violente douleur au sommet du crâne. L’attaque l’avait pris par
surprise avant même qu’il n’ait eu le temps d’entendre quoi que ce soit. Il s’écroula mais ne
perdit pas conscience. Il était tendu par l’adrénaline et Sanders avait mal estimé la distance
entre eux deux avant de porter son coup.
Ashton se retourna et vit que Sanders était lui-même tombé en l’attaquant. Il était
agenouillé par terre. Du sang coulait en abondance de son abdomen, de son torse et de ses
cuisses. Il n’était plus qu’une plaie et semblait souffrir atrocement, mais tentait de se relever
― Tu croyais pas… que t’allais… t’enfuir si… si facilement ?
Ashton sentit la peur le gagner. Il fallait arrêter ce monstre. Il vit la cheminée à côté de lui,
beaucoup plus modeste que celle de la grande salle, mais dont les chenets portaient quelques
belles bûches. Il se saisit de celle du dessus et se rua sur son geôlier, dont il fracassa le crâne
d’un unique coup. Il avait nettement entendu un craquement au niveau de la tête de Sanders. Il
laissa tomber la bûche à côté du corps maintenant sans vie, ramassa un téléphone tombé de la
poche de Sanders et se précipita vers l’une des grandes portes-fenêtres qu’il ouvrit pour
gagner le jardin.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

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Amsterdam, Pays-Bas, le 4 août, 16h45

Le lendemain, en fin d’après-midi, Marc ouvrit enfin les yeux. La pièce était blanche, avec
des meubles chromés. Toujours une télé dans l’angle sur le mur. Il était encore à l’hôpital.
Mais la chambre était différente. A côté de son lit, dans un fauteuil, Karine s’était assoupie.
C’était son tour d’avoir de gros pansements sur la figure. Marc rit et soudain tout son côté
gauche le fit souffrir atrocement. Son mal de crâne se réveilla aussi.
Karine ouvrit les yeux à son tour et se précipita vers le lit :
― Mon chéri, tu m’as fait peur. J’ai cru que tu étais canné.
― Ne m’enterre pas trop vite, râla Marc dans un souffle qui lui arracha une grimace. Mais
c’est grâce à toi si je suis en vie.
― Je n’avais jamais tué quelqu’un.
― Mais, toi, tu vas bien ? Rien de cassé ?
― Quelques contusions, rien de plus. Heureusement que j’ai fait du judo quand j’étais
môme. Je n’aimais pas trop ça, mais mon père insistait. Au moins, j’ai appris à tomber et à me
recevoir sans trop de dégâts. Toi en revanche tu as pris presque vingt centimètres de silex
dans le gras. Mais la lame n’a rien touché de vital… juste ton muscle de brasserie ! Tu seras
vite debout.
― J’espère bien. Deux fois à l’hôpital en trois jours, moi qui en ai une sainte horreur ! Au
fait, où est ce fameux poignard ?
― Justement, j’ai réussi à le garder, même si c’est une pièce à conviction sur une enquête
qui n’était pas la mienne. Je pense que je vais me faire engueuler grave en rentrant à Paris…
Karine retourna à son fauteuil, fouilla dans son sac et en revint à petits pas. Quoi qu’elle en
dise, elle avait dû déguster en tombant dans cet escalier. Elle tendit un grand sac en plastique
transparent à Marc. Dedans, le poignard était encore taché de son sang.
― J’ai aussi eu le Capitaine Joubert au téléphone. L’autopsie de Delapierre a montré qu’il
a été tué d’un coup de poignard en pierre. Sans doute celui-ci. Et puis on a récupéré tout le
mobilier disparu chez van Decken ainsi que les notes de Delapierre. Si j’ai bien tout compris,
ce poignard aussi a été découvert dans la tombe.
Marc afficha un étrange sourire amer, comme lorsqu’il s’était évanoui la veille. Il reprit
une nouvelle fois la parole en grimaçant à chaque mot :

218
 
De sang, de cuivre et d’or 

― Ouais ! Je m’en doutais, j’en avais vu l’empreinte laissée dans le sédiment dans la
tombe… Je pensais qu’il s’agissait d’un poignard en cuivre à ce moment… Et tu n’imagines
même pas l’ironie de l’histoire. Ce taré de van Decken a massacré quatre personnes à cause
d’une tombe qui pouvait ruiner sa théorie si elle contenait réellement des objets provenant du
Portugal. Eh bien, ce poignard que tu tiens… Il n’est pas du tout portugais. C’est un type
hollandais ou même danois… enfin nordique quoi !... Tiens passe moi le sac avec mes
affaires, s’il te plait.
Il plongea la main dans le sac que lui tendait Karine et dans lequel une infirmière avait
rangé tous ses effets personnels. Il en retira son téléphone qu’il alluma instantanément.
― Il faut que je prévienne ma famille… tiens, j’ai un message.
Marc consulta l’écran. Ses traits se figèrent.
― Tu ne croiras jamais. C’est Ashton : « Attention à van Decken. C’est lui », lut-il.
Il posa un regard interrogateur à Karine, laquelle haussa les épaules en retour :
― Au moins, on sait qu’il est en vie.
Marc bougea dans son lit :
― Je voudrais me lever. Il faut que j’aille pisser.
― Je ne sais pas si c’est autorisé, mais comme ta blessure ne semble pas trop grave.
Karine se pencha sur Marc et l’aida à s’assoir sur le bord du lit, elle entreprit de l’aider à se
lever et le retint de justesse lorsqu’il sembla basculer vers elle. Elle se colla à lui pour le
maintenir debout et il retrouva un peu d’équilibre.
― Voilà tu es debout… Elle montra la bosse au niveau de son sexe qui déformait la blouse
d’hôpital qu’il portait :
― Et tu m’as l’air très en forme… Mais pour ce qui est de faire pipi !
Marc bougonna et s’éloigna, chancelant, en se tenant le côté blessé vers la porte des
toilettes. Karine le regarda passer, prête à intervenir s’il perdait à nouveau l’équilibre. Puis
elle éclata de rire lorsqu’elle découvrit qu’il avait les fesses à l’air avec cette blouse fermée
par des pattes en velcro.

.:.

Deux heures plus tard, les formalités administratives remplies et la ville traversée en taxi,
Marc et Karine étaient dans le bureau du chef de la police d’Amsterdam. Il venait de leur
donner de bonnes nouvelles d’Ashton et leur raconta l’épopée du vieil archéologue
britannique :

219
 
Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Si nous reconstituons bien les faits, ce sont de faux agents du Yard qui vous ont
intercepté à Londres. Vous leur avez livré Ashton de vous-mêmes. Vous deviez être surveillés
depuis que vous aviez retrouvé Ashton. Ils ont dû le transférer en Hollande dans la nuit pour
le livrer à van Decken.
Karine fronça un sourcil :
― Mais comment se fait-il que l’un des ravisseur a été abattu dans la banlieue de
Londres ? Nous pensions qu’Ashton était retenu en Angleterre.
― C’était probablement le but des ravisseurs. Transférer Ashton ici et se débarrasser de la
voiture en Angleterre pour brouiller les pistes.
― Décidément van Decken avait vraiment un esprit diabolique et une intelligence
certaine ! Intervint Marc. Mais comment l’avez-vous retrouvé ?
― C’est lui qui a appelé les secours en composant le 112. Heureusement qu’il connaissait
le numéro européen de secours. Il pensait être en Hollande mais ne savait pas où. Le service a
immédiatement triangulé la localisation du mobile qu’il avait récupéré sur son geôlier lors de
son évasion. Quand mes gars sont arrivés au château, ils ont trouvé Ashton errant dans le
parc. Il venait de lui régler son compte, à son ravisseur ! Ce dernier s’appelait en réalité
Helder, un ancien commando, viré de l’armée pour alcoolisme. Selon nos fichiers, ces deux
voyous fréquentaient un bar non loin du domicile de van Decken à Amsterdam. C’est là qu’il
a du les recruter pour ses basses besognes.
― Et ce château où on l’a retrouvé ?
― Un manoir de famille de van Decken, au fin fond de la Zélande. Ashton a été pris en
charge à l’hôpital de Middelburg. Ne vous inquiétez pas, il va bien.
― Tu te rends compte ce qu’il a vécu, ce bon vieux Ashton ? commenta Marc. C’est
bizarre mais, même s’il est britannique, j’ai du mal à l’imaginer jouant les James Bond face à
un commando dans un château hollandais.
Cette remarque lui arracha un sourire. Karine le prit alors par le bras et posa sa tête sur son
épaule. Elle se mit à rire.
Marc éclata également, des larmes lui coulaient aussi le long des joues. Mais soudain, son
visage se transforma. Ses spasmes venaient de réveiller sa vilaine blessure. Karine le regarda,
taquine :
― Tu vois, ce n’est pas bien de se moquer !
Le chef de la Police qui les regardait d’un air paternel les interrompit au moment où ils
commençaient à partir et que Marc se dit qu’il allait encore devoir se tasser dans un siège
d’avion pour rentrer en France :

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De sang, de cuivre et d’or 

― Euh… Excusez-moi. Il reste une chose. Voilà, même si je pense que l’affaire est
maintenant dénouée en fonction des informations dont je dispose de nos collègues du Yard et
de Lisbonne, il y a encore un petit problème. Monsieur Andréas doit rester avec nous un petit
moment encore.
Karine réagit la première :
― Hein ? Qu’est ce que c’est que cette histoire ?
― C’est tombé, il y a à peine une demi-heure par le réseau d’Interpol. La Police française
souhaiterait entendre Monsieur Andréas pour trafic de biens culturels, agression et meurtre…
Quand même !
― Mais quel est le con ? S’emporte Karine.
Marc ne dit rien. Il avait une petite idée de la personne à qui il devait cela.
Le chef de la Police reprit d’un ton d’excuse :
― Ne vous inquiétez pas. Cette affaire est maintenant résolue et toutes les charges vous
concernant vont disparaitre de fait. Mais nous devons tout de même respecter la procédure et
nous allons donc vous mettre dans un prochain vol pour Paris sous bonne escorte. Nous allons
naturellement faire le plus vite possible pour ne pas vous garder ici. Dites-vous que vous ferez
le trajet retour aux frais des contribuables néerlandais…
Marc haussa un sourcil, pris d’une idée soudaine :
― Je comprends tout à fait. Cependant, j’aurais une requête à faire.
― Je vous en prie. Je sais que vous n’êtes pas un criminel.
― Afin de ne pas coûter trop cher aux contribuables et comme je ne suis pas
particulièrement pressé de rentrer, vous serait-il possible de me faire reconduire en Thalys
plutôt qu’en avion ?

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

95

Il y a environ 4500 ans

Lorsque la nouvelle de cette découverte fut connue, là-bas à la grande forteresse de leur
pays d’origine, Naïm fut fêté comme un héro. De nombreux bateaux partirent du pays afin
d’amener de nouvelles populations dans cette nouvelle province du peuple de Cuivre et d’Or.
Ils installèrent de nouveaux villages et développèrent des relations avec les indigènes qui
vénéraient Naïm. Les peuples se mélangèrent mais c’est la tradition de notre peuple qui était
maintenant respectée. Naïm fut promu chef de la province, par les anciens du peuple.
Il vivait toujours dans son village de l’Eperon entouré de ses hommes, de sa femme et de
ses enfants. La période et la région étaient calmes et nulle guerre ne vint plus troubler sa vie
et celle du peuple.
En tant que chef de Province, Naïm avait des relations avec les autres chefs des autres
provinces où son peuple s’était installé le long des côtes mais aussi dans les grandes plaines
du levant.
On dit que, dans ses relations diplomatiques, Naïm retourna jusqu’à la vallée des stèles et
même jusqu’à la grande ile des sanctuaires.
Naturellement Naïm organisa de nouvelles expéditions auxquelles il participa parfois lui-
même à la recherche de la montagne d’or. Car s’il avait trouvé la Montagne de cuivre, la
Montagne d’or se dérobait toujours à lui. Il la chercha pendant toute sa vie, sans succès.
Et puis vint le jour où Naïm mourut. La nouvelle gagna rapidement toute la province et des
émissaires de tous les villages vinrent à l’éperon pour assister à l’inhumation. Naïm fut
enterré seul, selon les traditions des chefs et des guerriers qui s’étaient répandues dans la
province depuis quelques temps. Il était paré de ses objets de cuivre et d’or et du poignard
que Gunar lui avait donné et dont jamais il ne s’était séparé. On déposa avec lui son gobelet
qui venait du pays de la grande forteresse. Tous les présents partagèrent la bière à sa
mémoire et les gobelets de service furent déposés dans la tombe avant que celle-ci fut scellée
par un tertre.
Les aventures de Naïm s’achevaient et sa légende commençait.
C’est le fils de Naïm, Outiki qui lui succéda comme chef de la province. Ce fut encore une
grande période dans l’histoire du peuple de Cuivre et d’Or, mais il est temps pour moi de me
reposer. Je vous la conterai une autre fois.

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De sang, de cuivre et d’or 

Saï bailla à s’en décrocher la mandibule. L’ancien en avait rajouté un peu encore, cette
fois-ci, surtout dans l’épisode des cannibales. Mais cela faisait partie du jeu, Saï le savait. Il se
leva tandis que l’ancien reprenait encore un gobelet de bière. Saï s’approcha du vieux et lui
demanda :
― Mais alors l’ancien, d’où venons nous finalement ?
L’ancien le regarda en souriant et lui dit de la façon énigmatique qu’il avait toujours
lorsqu’il contait les légendes de leur peuple :
― Nous venons des terres du couchant en bordure de la grande mer, mais nos ancêtres
venaient d’ailleurs encore… Et le plus important c’est qu’aujourd’hui, nous sommes partout
jusqu’aux confins du monde.
Avant de regagner la cabane de sa mère pour aller dormir, Saï s’aventura en périphérie de
la zone illuminée par les torches et les feux. Là, dans l’ombre en périphérie du village qui
n’avait pas de rempart ni de clôture, inutiles dans un monde en paix, il distinguait les deux
tertres : La tombe d’Outiki et celle plus grande, plus massive de Naïm. Il s’approcha des
tombes et se sentit encore une fois fier d’appartenir au peuple de Cuivre et d’Or, le peuple qui
avait conquis un si vaste territoire. Il savait que lui aussi, une fois grand, partirait à l’aventure
au-delà des provinces du peuple et qu’il trouverait la montagne d’or.

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Epilogue

Collège de France, Paris, France, le 12 octobre, 19h10

Karine poussa la lourde porte de verre et pénétra aussi discrètement que possible dans
l’amphithéâtre Margueritte de Navarre, au sous-sol du Collège de France. La salle était pleine.
Des scientifiques pour la plupart mais aussi sans doute des journalistes attirés par le
sensationnel et surtout par le sang. Elle était très très en retard, mais elle vit Marc à la tribune,
encadré de Stéphane Rollin et d’Audrey Girault. Derrière eux, projetée en très grand format,
une photographie de la sépulture de Forcalquier. Il n’avait visiblement pas terminé sa
présentation et sa voix était retransmise par les haut-parleurs le long de la salle :
― … Vous avez pu le constater, l’assemblage de la sépulture 460 de Forcalquier est sans
doute le plus riche connu à ce jour dans une tombe campaniforme. Cependant, au-delà de la
qualité et de la quantité des objets céramiques, métalliques et lithiques mis au jour, je
voudrais insister sur la présence d’objets d’origine portugaise incontestable en particulier le
gobelet n°1, associés à ce poignard en silex de type danois et à des éléments de parures en or
probablement atlantiques. Cela signifie de façon évidente que cette sépulture ne peut en aucun
cas permettre de résoudre le mystère de l’origine du phénomène campaniforme, contrairement
à ce qu’a pu penser le cerveau malade de van Decken. Nos collègues Henri Bard, Vitor
Figueiras et surtout bien-sûr Charles Delapierre sont finalement morts pour rien. Nous
voudrions leur dédier ce travail. Chers Collègues, je vous remercie de votre attention.
Une salve d’applaudissement s’éleva dans la grande salle. Bien évidemment ce furent les
journalistes qui prirent la parole, plus vite que les scientifiques :
― Monsieur Andréas, vous avez été un protagoniste au premier plan de cette affaire, est-il
vrai que vous préparez un livre pour la raconter au grand public ?
Karine esquissa un geste discret vers Marc qui hocha la tête en la regardant. Elle quitta la
salle aussi discrètement qu’elle y était entrée, pendant que Marc répondait aux questions.
Dans le hall, les employés d’un traiteur achevaient de dresser les tables pour le cocktail qui
devait suivre la conférence. Karine remonta au rez-de-chaussée et sortit dans la cour du
prestigieux bâtiment. La nuit tombait déjà et un crachin sale tombait sur Paris. Elle ne voulait
pas assister à ces réjouissances qui découlaient de la mort de sept hommes au total. Marc lui
avait bien expliqué que c’était une forme d’hommage, mais tout ce qu’elle voyait, elle, c’est
qu’elle avait bien failli perdre l’homme qu’elle aimait. Elle n’avait pas trop apprécié non plus
la présence d’Audrey aux côtés de Marc. Cet imbécile de Stéphane n’avait pas pu s’empêcher

224
 
De sang, de cuivre et d’or 

de lui raconter qu’ils avaient eu une aventure et depuis elle se sentait jalouse même si elle ne
savait pas de quoi exactement.
Marc arriva derrière elle, discutant avec Jacques Cassard :
― En tout cas, je ne vous en veux pas de m’avoir accusé dans cette affaire. A bien y
réfléchir, effectivement, j’ai été très proche de la plupart des évènements et je faisais un
coupable idéal. Je suis aussi sincèrement étonné que vous ayez fait le déplacement pour
assister à cette conférence. Et puis, je peux bien vous l’avouer : pendant un moment, nous
nous sommes nous-mêmes demandé si vous-même n’étiez pas le coupable…
― Monsieur Andréas, c’est aussi mon travail de suivre ce qui concerne l’archéologie
régionale, même lorsque cela se passe à Paris. Et vous êtes tout excusé de m’avoir pensé
coupable, d’abord j’en ai effectivement fait autant, vous concernant. Je ne comprends pas bien
qu’un hériter comme vous, à la tête d’une fortune considérable, joue les enseignants en fac et
s’amuse à remuer de la terre. Je vous ai toujours trouvé suspect.
― Ah, vous êtes au courant.
― Je sais beaucoup de choses, Monsieur Andréas et puis j’ai l’habitude que personne ne
m’aime et je n’aime pas grand monde non plus. Maintenant, j’avoue que j’admire la façon
dont vous avez réussi à résoudre cette affaire et à mettre hors de cause votre ami Delapierre.
Mais rappelez-vous de toujours respecter les règles. Sinon, vous me trouverez sur votre
chemin. Au revoir monsieur Andréas.
Marc et Karine regardèrent ce peu sympathique personnage passer la grille et disparaitre
dans le flot des parisiens affairés.
Marc s’aperçut que sa veste commençait à être humide :
― Bizarre ce type quand même… Tu ne veux pas redescendre boire quelque chose, on
sera à l’abri ?
― Moi tu sais les mondanités. C’est ton jour de gloire aujourd’hui. Vas-y profites-en !
― Tu sais, cette gloire je m’en serais bien passé. Tant de morts. Mais elle aura au moins
servi à quelque chose. Les collègues de van Decken travaillent sur le manuscrit de sa grande
synthèse. Tu sais ? Celui que j’ai trouvé dans son bureau. C’est un travail formidable. Il a
réalisé la synthèse européenne que personne n’avait tentée avant lui. Il n’y a que ses
conclusions qui sont probablement un peu orientées. Lorsqu’il a cru que la découverte de
Charles ruinait l’ensemble de son travail, il est devenu fou, totalement.
― De là l’expression « savant fou » ! Je me demande si je ne préfèrerais pas que tu
changes de boulot…

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

― Toi et tes expressions ! Ne t’inquiète pas, je viens du sud. Je suis presque un savant de
Marseille… Je suis donc très sain… Mais écoute : Une équipe internationale est en train
d’être réunie pour reprendre et compléter ce travail qui est déjà énorme. Je suis persuadé
qu’en confrontant collectivement toutes les données réunies et en mettant quelques moyens
pour faire les analyses nécessaires, on trouvera une explication au phénomène campaniforme.
Quant à son origine, je me demande de plus en plus si la question est vraiment pertinente…
― Dis Monsieur le savant de Marseille, tu veux vraiment y retourner à ce cocktail ? Je
connais un petit restau dans le quartier dont tu me diras des nouvelles… et c’est promis, nous
boirons à la mémoire de ton ami Charles. Au fait, c’est vrai ce que j’ai entendu en bas, avant
de sortir, cette histoire le livre ?
― Oui, c’est vrai. Un roman. Un polar archéologique en fait. Un polar archéologique sans
templiers ni franc-maçons, sans nazis ni extra-terrestres et sans fin du monde…
― Mais avec pas mal de sang quand même.
― Tu as raison : de sang de cuivre et d’or.

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De sang, de cuivre et d’or 

Notes

Tous les personnages de ce roman appartiennent à la fiction. Fonction, caractère, physique


etc., parfois inspirés de personnes réelles, ont été mélangés jusqu’à ne plus correspondre à un
individu particulier. Alors ne cherchez pas à identifier qui que ce soit. Ce serait le produit de
votre imagination et non de la notre.

Le phénomène campaniforme quant à lui existe bel et bien et fait l’objet de recherches
depuis déjà plus d’un siècle. Malgré celles-ci, la nature et l’origine du phénomène sont
effectivement toujours qualifiées d’énigmes. Cependant, si le débat entre chercheurs est
parfois vif, il n’y a pas encore eu à notre connaissance de meurtres dans la communauté
scientifique à cause de ces recherches.

Nous avons aussi réellement fouillé une sépulture individuelle campaniforme sur la
commune de Forcalquier, au lieu dit La Fare, important site de la fin du Néolithique. Mais
celle-ci était bien plus modeste avec un vase campaniforme, deux gobelets de tradition locale
et un poignard en cuivre. Un moulage de cette sépulture est exposé au Musée de Préhistoire
des Gorges du Verdon à Quinson dans les Alpes-de-Haute-Provence.

L’aventure de Naïm, contée par l’ancien, est bien sûr totalement fictionnelle. Nous avons
tenté de rester dans le plausible en fonction de l’état des connaissances actuelles, mais de
nombreux détails aussi communs que les vêtements et les parures corporelles (peintures,
tatouages, scarifications…) échappent totalement aux archéologues. Surtout les pensées, les
émotions, les religions et les motivations de ces populations nous resteront encore longtemps
inaccessibles. En plus de cela l’idée même d’une colonisation par voie maritime de
prospecteurs à la recherche de métal ne correspond qu’à l’une des théories actuellement
proposées pour expliquer le phénomène campaniforme. Théorie qui nous semble séduisante
mais qui est loin d’être partagée. J’espère qu’on ne tentera pas de nous assassiner pour cela.

L’association « Archéologie et Gobelets » pour la diffusion des connaissances et la


promotion de la recherche sur le Campaniforme, existe. Son siège se trouve à Genève et elle
réunit la plupart des chercheurs travaillant sur cette problématique à travers l’Europe :
http://anthro.unige.ch/lap/archeo-gobelets/

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Olivier Lemercier & Valéry Le Bonnec

Le pillage archéologique fait aussi réellement des ravages en France, comme dans d’autres
régions. Pour en savoir plus, consulter l’association HAPPAH : Halte au Pillage du
Patrimoine Archéologique et Historique : http://www.halte-au-pillage.org/

Remerciements

Olivier Lemercier tient à remercier les personnes qui ont contribué à ce petit roman par
leurs relectures, leurs conseils, leurs remarques et leurs corrections parmi lesquels Robin
Furestier, Stéphanie Cravinho, Jean-Philippe Bocquenet et Emilie Blaise, archéologues eux-
mêmes ou anciens archéologues mais amis toujours. Un grand merci aussi à Xavier de Viviès
et François Herbaux lecteurs non archéologues, qui ont pris le temps de nombreuses
corrections et remarques pertinentes.

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