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INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

Thierry Lang

Presses de Sciences Po | « Les Tribunes de la santé »

2014/2 n° 43 | pages 31 à 38
ISSN 1765-8888
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dos s ier

Les inégalités de santé


Inégalités sociales de santé
Thierry Lang

Les inégalités sociales de santé sont fortes


et persistent ou s’accroissent. Les dépenses
sociales semblent plus liées à la mortalité que
les dépenses de santé. Ce résultat souligne
le rôle des déterminants sociaux de la santé.
Développer l’intersectorialité et agir sur les
politiques en dehors du champ de la santé sont
des enjeux majeurs. Réduire le gradient des
ISS invite à mettre en œuvre un universalisme
proportionné, promouvoir les expérimentations,
mobiliser l’expertise disponible et co-construire les
interventions locales et nationales.

1. M. Touraine, À un moment où notre pays prévoit 11 milliards d’économies sur le budget


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« Health inequalities
and France’s
des affaires sociales et 10 milliards sur le budget des dépenses de santé, poser
national health la question des inégalités sociales de santé (ISS) c’est aborder un enjeu ma-
strategy », Lancet,
383, 1101-1102, jeur pour les prochaines années, sachant que la France est à un niveau élevé
2014.
d’ISS en Europe occidentale et que leur réduction est désormais inscrite à
2. Drees, « Inégalités l’agenda politique1.
sociales de santé »,
in : L’état de santé
de la population en Les faits sont connus…
France, rapport
2011, p. 117-123. La France est le pays où les inégalités sociales de mortalité et de santé sont
3. V. Andrieux,
les plus élevées en Europe occidentale et celles-ci n’ont eu aucune tendance
« Espérance de vie : à régresser ces dernières années, contrastant avec l’amélioration du niveau
la durée passée à la
retraite », Dossier moyen de l’état de santé. En 2002-2003, un cadre peut espérer vivre qua-
Solidarité Santé,
n° 40, 1-36, juin
rante-sept ans, un ouvrier quarante et un ans. Mais cette espérance de vie
2013. n’a pas la même qualité. L’espérance de vie sans incapacité à 35 ans d’un
cadre est de quarante ans alors qu’elle n’est que de trente-deux ans pour un
ouvrier2. Les données les plus récentes ne font que confirmer l’ampleur du
problème3.
La France n’est guère mobilisée et très moyenne sur ce terrain en Europe.
Dans ses propositions pour une Stratégie nationale de santé et pour une nou-

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doss ier Les inégalités de santé

4. Haut Conseil de velle loi de santé publique4, le HCSP notait que l’environnement européen
la santé publique,
Inégalités sociales était peu pris en compte. Or, l’Union européenne s’est engagée dans la réduc-
de santé : sortir
de la fatalité, La
tion des inégalités sociales de santé. Son programme de santé publique (2008-
Documentation 2013) met l’accent sur les inégalités de santé et les déterminants sociaux de
française, 2010.
la santé. Le rapport européen de 2013, à l’issue de son bilan, considère que
5. T. Lang, P.
Lombrail, M.
la lutte contre les ISS doit rester une priorité. Il classe les pays européens en
Kelly-Irving, « Des fonction de leurs politiques pour la réduction des inégalités sociales de santé.
inégalités sociales
de santé : mieux La France est en position intermédiaire, avec un engagement réel, mais qui
connues mais reste limité, alors que les ISS se situent à un niveau élevé.
toujours présentes »,
Actualité et Dossier en
Santé publique, n° 80,
51-53, 2012.
Un problème long à émerger

Le travail d’un petit contingent de chercheurs a permis de construire et so-


6. HCSP, Inégalités
sociales de santé…, lidifier progressivement une accumulation de faits et de connaissances dont
op. cit.
la réunion dans un livre en 2000 ne permettait plus de penser que le manque
7. M. Elbaum, « Les de connaissances suffisait à expliquer l’absence de politiques publiques5. Ce
inégalités sociales de
santé, une question n’est pourtant pas non plus le manque de textes fondateurs soulignant le
politique oubliée », caractère de la santé comme bien commun et le droit à la santé dans notre
Observatoire des
inégalités (www. pays.
inegalites.fr/spip.
php?article628,
Plusieurs événements d’importance ont permis de réactualiser cette ques-
vérifié le 22 février tion dans les politiques publiques. La question des inégalités est devenue
2014).
une priorité majeure des plans cancer. Un rapport du HCSP, spécifiquement
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8. N. Treich,
« Ecotaxe, santé… :
consacré à cette question, attirait l’attention sur la distinction à opérer entre
attention à la précarité et inégalités sociales de santé, le développement de politiques pre-
médiatisation des
souffrances, Les nant en compte les déterminants sociaux de la santé, la nécessité d’intersec-
véritables victimes torialité et d’un suivi statistique permanent des inégalités sociales de santé6.
ne sont pas les plus
visibles », Le Monde, La réduction des ISS devenait un des objectifs prioritaires des agences régio-
22 novembre 2013.
nales de santé, avec pour mission de développer l’intersectorialité.
L’enjeu concernant la mortalité et la santé, placée parmi les grandes préoc-
cupations des Français au même titre que l’égalité, au cœur des principes de
la société française depuis 1789, n’a pourtant pas provoqué de débat social.
Cette question est encore largement ignorée par les professionnels et absente
des politiques publiques7. La situation des ISS soulève pourtant des questions
essentielles comme la vie, la mort ou la justice, qui semblent oubliées. Peut-
être faut-il y voir un déni devant un fait qui dérange le mythe de l’égalité ? Il
est vrai que les pertes de vie et de santé concernent des victimes statistiques
et non des victimes individuelles. La tendance à l’oubli des premières au profit
des secondes, susceptibles de provoquer l’émotion, n’est pas propre aux ISS8.
Les données statistiques de routine ne se sont guère enrichies. Les informa-
tions sanitaires du système de soins ne comportent qu’exceptionnellement

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Inégalités sociales de santé dos s ier
9. HCSP, Inégalités des données sociales. Le rapport du HCSP de 2010 rappelait encore la néces-
sociales de santé…,
op. cit. sité de disposer d’informations en routine9. Il faut accélérer le développement
10. T. Lang et al.,
de l’utilisation des bases de données administratives et leurs croisements ; on
« Des inégalités peut espérer de cette utilisation la production en routine de données sur les
sociales de
santé… », art. cité. inégalités sociales de santé.
11. M. Touraine,
« Health Quelles conséquences pour les stratégies
inequalities… »,
art. cité. de réduction des ISS ?

Les travaux de recherche ont accru les connaissances sur l’importance


de prendre en compte les expositions tout au long de la vie (épidémiolo-
gie biographique), apporté des méthodologies nouvelles qui permettent de
distinguer les facteurs individuels et les facteurs contextuels, accessibles à
des politiques territoriales. Les choix d’intervention, portant sur les causes
fondamentales (revenu, pouvoir, études, éducation, cohésion sociale) ou les
causes proximales (facteurs de risque cardiovasculaire, soins, biologie), sou-
lignent la possibilité de différentes politiques de réduction des ISS selon les
points de vue adoptés.
Dans le rapport de 1994, le HCSP notait que le système de soins n’avait
qu’un rôle limité pour expliquer l’état de santé d’une population. Divers rap-
ports européens ont souligné l’importance des déterminants sociaux et envi-
ronnementaux10. Dans un éditorial publié dans le Lancet, la ministre de la
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Santé rompt avec les conceptions antérieures de la santé et, pour la première
fois à un tel niveau de responsabilité, le système de soins et de prévention
médicale n’est plus l’unique déterminant de la santé11. Plus que le rappel de
l’objectif de réduction des ISS, déjà affirmé depuis 2009, c’est la conception
des déterminants de la santé qui marque un virage dans les représentations
françaises de la santé.
Les déterminants sociaux de la santé (DSS) peuvent être compris comme
les conditions sociales dans lesquelles les personnes vivent et travaillent.
Leur étude s’attache à montrer l’impact du contexte social sur la santé mais
aussi les mécanismes par lesquels ces déterminants l’affectent. Ce concept
trouve ses sources dans les années 1970, à partir de critiques suggérant que
la recherche et l’action publique devraient être dirigées plus vers les socié-
tés dans lesquelles les individus vivent que vers les individus eux-mêmes.
Il s’agissait de passer d’un service fourni aux personnes lorsqu’elles étaient
malades à un programme de santé publique qui les aiderait à rester en bonne
santé. Les DSS conditionnent la façon dont une personne dispose des res-
sources physiques, sociales, économiques et personnelles pour satisfaire ses
besoins, ses aspirations et s’adapter à son environnement. Si la question des

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DSS évoque les ISS, il est important de faire une distinction entre DSS et
déterminants sociaux des ISS. Certaines interventions peuvent avoir pour
effet d’améliorer l’état de santé moyen d’une population, tout en aggravant
dans le même temps les inégalités sociales de santé. Les exemples, liés à l’in-
troduction d’innovations qui ont eu pour résultat d’accroître les inégalités,
ne manquent pas.
De nombreuses études ont montré que les premières années de la vie, les
facteurs épigénétiques, l’analyse du parcours biographique en épidémiologie,
sont des incitations à de nouvelles interventions de type multifactoriel. Elles
soulignent la nécessité de repenser le rôle de l’environnement précoce dans
la production de l’état de santé d’une population et de sa distribution. Inves-
tir dans un environnement favorable pour les premières années est important
pour la santé et le bien-être tout au long de la vie.
Schématiquement, on peut distinguer des mécanismes valorisant les
conditions matérielles « objectives » et d’autres insistant sur les aspects
psychosociaux, les perceptions et les relations sociales. L’hypothèse matéria-
liste accorde un rôle primordial aux conditions matérielles et à leurs consé-
quences sur la santé. L’accès à l’eau, l’alimentation, les expositions chimiques
et physiques figurent dans cette approche. À l’inverse, l’explication psycho-
sociale suppose que les conditions matérielles ont moins d’influence sur la
santé que le « stress » psychologique associé à la perception d’un désavantage
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socio-économique. Les conditions de travail des employés et ouvriers restent
marquées par une pénibilité physique, des expositions à des facteurs nocifs
physiques et chimiques qui entrent dans le cadre matérialiste. Dans le même
temps, les travaux sur l’organisation du travail ont montré toute l’impor-
tance des explications psychosociales : il s’agit de comprendre comment une
organisation du travail, sur laquelle on peut agir, se traduit en vécu pour
des individus. Les réseaux sociaux, en rapport avec le nombre de contacts
sociaux, amicaux, familiaux, professionnels ou de voisinage d’une personne,
et le support social qu’ils peuvent apporter, illustrent ce double aspect maté-
riel et psychosocial puisque le soutien peut être d’ordre informationnel, émo-
tionnel, affectif mais aussi matériel ou financier.
Soulignons l’importance des causes fondamentales (les « causes des
causes »). De nombreux travaux montrent l’influence du niveau d’étude et
du revenu sur la santé, à tous les âges de la vie. Le niveau d’études est un
acquis fondamental de l’individu au début de sa vie adulte. Il influence les
styles de vie et les comportements de santé, oriente vers une profession, un
niveau de revenu et donc une catégorie sociale. Il est protecteur vis-à-vis du
chômage, et prédit aussi l’exposition plus ou moins forte aux contraintes de

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Inégalités sociales de santé dos s ier
12. D. Stuckler, travail péjoratives pour la santé. L’éducation intervient aussi sur la santé par
S. Basu, M.
McKee, « Budget des voies indirectes, notamment la capacité des personnes à maîtriser leur
crises, health,
and social welfare
vie.
programmes », BMJ,
341, 77-79, 2010.
Agir sur les déterminants sociaux pour réduire les ISS
13. Ibid.
Les dépenses sociales semblent plus liées à la mortalité que les dépenses
14. K.M. Doran, E.J. de santé. Ce résultat, issu d’une comparaison d’une quinzaine de pays de
Misa, N.R. Shah,
« Housing as health l’OCDE de 1980 à 2005, souligne le rôle des déterminants hors du système
care – New York’s de santé et montre l’importance d’un système de protection sociale indépen-
Boundary-Crossing
Experiment », N. damment des soins12. Développer l’intersectorialité et agir sur les politiques
Engl. J. Med., 369,
2374-2377, 2013.
en dehors du champ de la santé sans développer un impérialisme de la santé
sont des enjeux majeurs pour développer un nouvel axe de prévention pri-
maire.
Deux pistes semblent possibles pour agir sur ces déterminants sociaux et
réduire les ISS : élaborer des interventions ou politiques volontaristes por-
tant sur ces déterminants ou à l’inverse évaluer l’effet de politiques hors
système de santé. Le programme Total Place en Grande-Bretagne est un
exemple de la première démarche, en cours d’évaluation. Dans treize zones
géographiques volontaires, les élus et responsables ont décidé de mettre en
place des politiques intersectorielles visant à faire travailler ensemble les
soins de santé, les autorités de police, les agences sociales, dans le domaine
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de l’emploi ou du développement régional13. Un autre exemple de ce type
d’approche est le New York’s Boundary-Crossing Experiment. Il s’agit de tes-
ter l’efficacité d’aide au logement pour des personnes sans abri ou vivant une
situation d’instabilité et de précarité du logement. L’alternative pour ces per-
sonnes est d’être prises en charge dans des établissements médicalisés, voire
hospitalisées. Les études ont montré que les coûts de cette aide au logement
étaient largement compensés par les coûts évités par l’utilisation de services,
essentiellement de soins. Malheureusement, les règles de Medicaid n’auto-
risent pas le financement de ces aides au logement14. L’action sur les ISS
appelle donc à sortir de raisonnements étroits liant la santé au seul système
de santé et à sortir des raisonnements conventionnels en silo.
Une nouvelle forme d’action, l’évaluation d’impact en santé (EIS), inverse
la démarche en partant des politiques publiques. Une politique qui concerne
par exemple l’emploi, l’urbanisme, le logement ou les transports a des consé-
quences directes ou indirectes sur la santé, est susceptible d’exacerber ou de
réduire les ISS. Selon sa définition la plus courante, l’EIS est un ensemble de
procédures, méthodes et outils visant à évaluer les effets positifs et négatifs
potentiels d’un projet, d’un programme ou d’une politique sur la santé et la

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15. Consensus de distribution sociale de ces effets. L’objectif est de produire des recommanda-
Göteborg, « Étude
de l’impact sur la tions en direction des décideurs, afin d’en maximiser les effets positifs et d’en
santé, Principaux
concepts et méthode
diminuer les effets négatifs15. La multidisciplinarité, l’intersectorialité et la
proposée », 2005. participation, le focus sur les inégalités de santé et l’utilisation de « données
16. F. Jabot, A. probantes » caractérisent ce processus. La pratique et l’institutionnalisation
Roué-Le Gall, « Les
premiers pas dans
de l’EIS sont en développement au niveau international, et très variables se-
l’évaluation d’impact lon les pays. En France, la pratique de l’EIS est encore au stade d’émergence,
sur la santé en
France », La Santé en et souffre d’être parfois confondue avec l’évaluation centrée sur les impacts
action, (424), 54-56, des interventions de santé ou avec l’évaluation des risques sanitaires. Plu-
2013.
sieurs expériences y ont cependant déjà été menées à différentes échelles16.

Soins et prévention : vers plus d’équité

La littérature épidémiologique a montré la multiplicité des facteurs impli-


qués dans la construction des ISS, leur effet cumulatif, agissant tout au long
de la vie et souvent renforcés plus que réduits par le système de soins et
de prévention. L’effet de chacun de ces facteurs est donc « modeste » et ce
n’est que leur cumul qui crée les différences d’espérance de vie constatées
en France. Cette observation conduit à percevoir la nécessité de modifier
l’ensemble des politiques de soins et de prévention, dont la potentialité de
creuser les ISS est connue. Un tel enjeu impose de réfléchir à de nouvelles
orientations sur le système de soins, les parcours de santé ou encore la pro-
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tection sociale. Dans cette logique, un programme a été développé en Midi-
Pyrénées, le programme Aapriss (« Apprendre et agir pour réduire les iné-
galités sociales de santé »). Il s’agit d’analyser entre chercheurs et porteurs
de projets l’influence d’un certain nombre d’interventions sur les ISS et de
co-construire des actions pour faire évoluer les projets afin de diminuer leurs
impacts potentiellement négatifs sur les ISS et de renforcer et valoriser ceux
qui semblent positifs.

Vers un universalisme proportionné

Réduire le gradient des ISS suppose de mettre en œuvre un universalisme


proportionné. Dans la loi de santé publique de 2004, deux objectifs étaient
spécifiquement consacrés aux inégalités sociales de santé. Mais ils témoi-
gnaient d’un flou entre les problématiques des ISS et celles de la précarité.
L’objectif 34 était ainsi formulé : « réduire les inégalités devant la maladie
et la mort par une augmentation de l’espérance de vie des groupes confron-
tés aux situations précaires : l’écart d’espérance de vie à 35 ans est actuelle-
ment de neuf ans ». La partie analytique et diagnostique portait sur les ISS
en termes de gradient social. Mais l’intervention publique évoquée faisait

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Inégalités sociales de santé dos s ier
17. Commission explicitement référence aux situations de précarité. La notion d’universa-
des déterminants
sociaux de la santé, lisme proportionné, qui met l’accent sur le fait que l’intensité des efforts de
« Combler le fossé
en une génération :
politiques publiques et d’interventions pourrait être modulée en fonction des
instaurer l’équité besoins des populations et de leur état de santé, n’a été introduite que plus
en santé en agissant
sur les déterminants récemment, notamment à l’occasion du rapport de la commission OMS17.
sociaux de la santé »,
OMS, 2008.
Cette approche permettrait de prendre en compte le gradient de santé dans
l’ensemble de la population et pas seulement les groupes les plus pauvres ou
18. M. Touraine,
« Health les plus exclus.
inequalities… », Deux conditions semblent indispensables au développement de véritables
art. cité.
politiques de réduction des ISS : une volonté politique et le développement
d’une expertise. Le discours ministériel et les éléments de réflexion pour la
Stratégie nationale de santé en 2013 font largement référence aux ISS et aux
déterminants sociaux18. Mais, lors de la mise en œuvre, sur trente chantiers
organisés pour traduire ces objectifs généraux aucun n’était consacré aux ISS.
D’un point de vue économique, la santé est à considérer comme un capital
humain et son amélioration est un élément de nature à favoriser la croissance
économique. Le fait que la santé ait été incluse dans les critères d’efficacité
économique par l’Union européenne à Lisbonne participe de cette logique.
Ces arguments ne sauraient être en eux-mêmes la raison d’une mobilisation
contre les inégalités sociales de santé, mais permettent de ne pas considérer
la lutte contre les ISS comme un fardeau économique supplémentaire.
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La faiblesse de l’investissement dans le domaine de la santé publique et
de la promotion de la santé conduit au constat d’une expertise encore faible
dans ce domaine. Le développement de véritables politiques de réduction des
ISS ne peut passer que par des décisions claires pour offrir un support métho-
dologique aux équipes sur le terrain et développer les expérimentations et la
recherche interventionnelle en population. Celle-ci suppose de rapprocher
la recherche des acteurs et décideurs en santé publique, de diffuser les résul-
tats de la recherche vers les acteurs, mais aussi, et tout aussi important, de
produire des connaissances utilisables et transférables à partir des actions
conduites dans les territoires et souvent mal connues et mal décrites.

Conclusion
Ces vingt dernières années ont été marquées par le développement de l’at-
tention portée aux ISS et la distinction qui existe avec la grande précarité
et l’exclusion. Des objectifs spécifiques sont apparus, désignés comme prio-
ritaires aux acteurs de la santé publique. Parallèlement, de très nombreuses
initiatives sont en cours sur le territoire français. Elles sont malheureusement
peu visibles, peu décrites et par conséquent non reproductibles ou généra-

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lisables. Les besoins de connaissances et d’évaluation sont à la fois quanti-


tatifs et qualitatifs. Une demande d’expertise, de compétences, de produc-
tion d’expérience et d’expérimentation est largement formulée. Il est donc
nécessaire de promouvoir les expérimentations, de profiter des expériences
régionales, de rassembler chercheurs et acteurs autour de ces programmes,
d’impulser au niveau national la volonté politique de coordonner ces expé-
riences, mobiliser l’expertise disponible et co-construire les nécessaires inter-
ventions locales et nationales de réduction des inégalités sociales de santé.

contact
thierry.lang@univ-tlse3.fr

Thierry Lang est professeur de santé publique au CHU de Toulouse,


responsable de l’équipe 5 de l’UMR 1027 Inserm-université Paul-Sabatier,
Toulouse, et directeur de l’Iferiss (Institut fédératif de recherches
interdisciplinaires santé société).
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