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Teresina 

: la capitale rêvée
de la province du Piauí (Brésil, 1852) 1
Gercinair Silvério Gandara 2

s
ne
en
Au début des années 1850, naît le long du fleuve Parnaíba, la ville de Teresina.
R
Destinée à devenir le siège du pouvoir politique et administratif de la province du
de
Piauí, elle vient supplanter la ville d’Oeiras qui exerçait jusque-là ce rôle. Le Piauí
souffrait, depuis la période coloniale, d’une insatisfaction constante à l’égard de
s
ire

l’emplacement de la capitale qui, enclavée dans le Sertão, cumulait des difficultés de


transport et de communication. Les conditions financières, la situation d’isolement
ta

et de retard, entre autres, déterminaient le rythme des idées et des actions de ses
si

dirigeants. Les interprétations historiographiques régionales, les documents officiels


er

et les rapports des présidents de la province sont unanimes pour soulignr l’isolement,
iv
un

la dispersion, la dissociation, la décadence, la pauvreté, le retard, ou la stagnation.


Et les discours des voyageurs, mémorialistes et autres historiens viennent renforcer
s

ces représentations, faisant valoir les inconvénients d’une province confrontée à des
se

distances considérables, des difficultés de transports pour l’écoulement des richesses,


es

et un emplacement de la capitale distant des grandes artères fluviales. Ces mêmes


Pr

discours prétendaient qu’Oeiras était incapable de jouer un rôle actif en tant que
centre de développement de l’État. Son « isolement » physique faisait douter de son
efficacité, même purement administrative. En ce qui concerne les conditions sociales
de la ville, ils affirmaient que cette dernière n’avait pas les caractéristiques d’un centre
urbain, ne présentait pas de conditions sociales de ville ou de capitale, bien qu’elle
soit le centre des décisions politico-administratives. Les allégations les plus diverses

1. L es résultats présentés ici font partie de la recherche menée par Gercinair Silvério Gandara qui a abouti à
la thèse de doctorat intitulée Rio Parnaíba… Cidades-Beira (Fleuve Parnaíba… Villes frontalières). (1850-
1950), Brasília, UNB, 2008. Orientée par la professeure le Dr Vanessa M. Brasil.
2. Post-doctorante PNPD/CAPES/UFG, docteure en histoire sociale de l’université de Brasília (2008), master
en histoire des sociétés agricoles (UFG), spécialiste en études régionales (UCG), licence d’histoire (UCG),
professeur effectif de l’université de l’État de Goiás, unité universitaire Pires do Rio, rue Augusto Monteiro
de Godoy, n° 56, Centro, 75200-000 – Pires do Rio, GO – Brésil, téléphone : (064) 34 61 22 67. E-mail :
[gercinair @ msn.com].

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ont été soulevées, aussi bien par les gouvernements provinciaux que par des voyageurs
et même par la société du Piauí 3.
Ce sont, par conséquent, de telles convictions qui ont alimenté les débats de
politiques publiques de la province du Piauí, desquels a découlé le déplacement de la
capitale. Pour les consolider, les successifs présidents de province ont eu recours à des
stratégies politiques mettant en scène ces représentations. Ils ont invoqué le transfert
de la capitale pour incarner une nouvelle ère rendue possible grâce au raccourcissement
des distances, grâce au développement des moyens modernes de communications.
Comprendre ces représentations, articulées autour du transfert de la capitale
­d ’Oeiras à Teresina, suppose d’aller à l’encontre de l’histoire traditionnelle, et d’insister
sr l’idée que la modernité est donnée par un cadre de symbolisation de l’espace comme
un lieu hybride. Lieu de possibilités immenses et d’identification, lieu du nouveau et de
l’innovation, lieu de la rencontre de mondes. Nous savons que lorsque nous essayons

s
de partir d’un endroit à la recherche d’un mode de vie plus satisfaisant en termes

ne
d’emplacement, de communication et d’économie, nous avons tendance à chercher

en
les frontières qui, de leur côté, prennent aussi la forme d’un lieu de bonheur, à l’ave-
nir prometteur 4. J’anticipe en disant qu’à partir du transfert effectif de la capitale, la
R
province du Piauí s’est ouverte à de nouvelles frontières, compte tenu de sa position
de
géographique stratégique et des conditions proposées et est devenue le principal point
de convergence politique, économique et sociale de la province.
s
ire

Personnellement, je considère que le transfert de la capitale vers un lieu en marge


du fleuve Parnaíba est le résultat d’un processus de changement qui a commencé
ta

dans la période coloniale. Ce processus reposait sur la conviction que l’avenir de la


si

province se trouvait dans la région du fleuve Parnaíba, région destinée à être un pôle
er

économique et qui « permettrait de résoudre le problème chronique du territoire


iv

[…] la difficulté de communication et donc l’isolement qu’Oeiras créait à la région »


un

(Bonfim e Santos Júnior, 1995, p. 48). La justification fondamentale de son choix a


s

été économique, avec la certitude que la future capitale ouvrirait un espace pour l’agri-
se

culture de l’exportation et promouvrait la navigation à vapeur. Dans ce mouvement


es

politique, certains groupes réclamaient l’amélioration des routes et l’établissement de


Pr

la navigation à vapeur sur le fleuve Parnaíba et d’autres préconisaient le déplacement


de la capitale comme un moyen de faire prospérer cette province. Pour ces derniers,
seul le transfert de la capitale permettrait la prospérité de la province, et permettrait
par conséquent, la navigation à vapeur sur le fleuve Parnaíba, tandis que les autres,
très souvent, mettaient en avant la non-viabilité et/ou les dépenses liées au déplace-
ment de la capitale.

3. Voir Gandara, Rio Parnaíba… Cidades-Beira, Brasilia, UNB, 2008.


4. Dans notre mémoire de master nous avons fait une réflexion qui a mené à l’extension des notions de frontière.
Voir Gandara, op. cit., note 29. Voir aussi Aubertin et al. (ed.), Fronteiras (Frontières). Bertha Becher…,
Brasilia, UNB, 1988 ; Barth, Fredrick, Grupos Étnicos e Suas Fronteiras (trad. Élcio Fernandes) (Groupes
ethniques et leurs frontières), SP, UNESP, 1998 ; et Martins, « O tempo da Fronteira : retorno à controvérsia
sobre o tempo histórico da frente de expansão e da frente pioneira » (« Le temps de la frontière : retour à la
controverse sur le temps historique d’avant l’expansion et du front pionnier »), Tempo Social, Rev. Sociologia
(Le Temps Social, Rev. Sociologie), USP, São Paulo, 8(1), mai 1996, p. 25-70.

126 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
L’idée de transférer les tribunaux de la capitale, comme évoquée précédemment,
remonte à la période coloniale. D’après ce que l’on a pu voir dans les documents officiels,
elle a été pensée, peut-être pour la première fois, en 1793, lorsque le capitaine-major des
capitaineries du Maranhão et du Piauí, Dom Fernando Antônio de Noronha, a proposé
au roi son déplacement sur les berges du fleuve Parnaíba. Dom João de Amorim Pereira 5 a
également proposé de déplacer la capitale en suggérant son transfert vers la ville de São João
de Parnaíba ou vers une ville récente située à l’embouchure du fleuve Poti. Cependant 6
il a été demandé au ministre d’organiser et de décider le changement de résidence des
gouverneurs vers la ville de Parnaíba. Pourtant, ce gouverneur n’a pas réussi à mener à
terme ses intentions. Comme on le voit, c’est bien à la fin de la période coloniale que les
présidents de la province ont eu un regain d’intérêt pour la région du fleuve Parnaíba 76.
Au début du xixe siècle, pendant le gouvernement de la junte provisoire (1812), l’idée
d’aller dans la ville de Parnaíba a refait surface et, en 1816, pendant l’administration du

s
gouverneur Baltazar de Sousa Botelho de Vasconcelos, le lieu choisi a été cette même ville.

ne
Dans les années suivantes, que ce soit dans les chambres constituantes, ou en assemblée

en
générale à Rio de Janeiro, le sujet a encore été abordé, préférant la ville de Parnaíba en
tant que siège de la nouvelle capitale du Piauí. L’idée de déplacer la capitale a de nouveau
R
été discutée et ouvertement vantée par les influences politique du nord de la province en
de
raison du déclin politique du vicomte de Parnaíba, demeurant à Oeiras. Le président qui
l’a remplacé, José Idelfonso de Sousa Ramos, proclamant l’impossibilité de continuer avec
s
ire

Oeiras comme capitale de la province, a fait voter et promulguer une loi 8 autorisant le
transfert de la capitale vers les berges du fleuve Parnaíba. Pour cela, il a choisi le point de
ta

confluence de la rivière Mulato afin de la recevoir, devenant la nouvelle ville du nom de


si

Regeneração. La loi n° 191 a autorisé le président à employer les moyens appropriés pour le
er

changement immédiat de la capitale, passant les bureaux publics à São Gonçalo, appelée
iv

aujourd’hui Regeneração, au bord du fleuve Parnaíba, où ils devaient rester jusqu’à la


un

construction de la nouvelle capitale. Ces lois n’ont pas été appliquées.


s

Zacarias de Góes e Vasconcelos (1845-1847) s’est prononcé contre l’application


se

des lois de son prédécesseur, même s’il approuvait le transfert et reconnaissait comme
es

légitimes les raisons si souvent soulignées, mais n’était pas d’accord sur le lieu choisi.
Pr

Pour lui, la capitale devait être dans un lieu salubre, agréable, fertile, riche en eau et
qui propose des avantages dans les communications avec l’ensemble de la province, en
particulier avec les lieux de son plus grand commerce, tout comme avec les provinces
voisines. Il a énuméré les éléments propres à une capitale et a conclu qu’Oeiras ne les
possédait pas, au moins en partie, mais il a contesté le transfert vers l’embouchure de
la rivière Mulato, affirmant l’incompatibilité de l’emplacement choisi et les dépenses
inhérentes au déplacement de la capitale 9. Son successeur, le président Marcos Antonio
de Macedo (1847-1848) a préconisé la mise en place de la navigation, alléguant la

5. L ettre administrative du 8 avril 1798 adressée au ministre de l’outre-mer, D. Rodrigo de Sousa Coutinho.
6. L ettre administrative du 19 août 1798.
7. Voir Gandara, Rio Parnaíba… Cidades-Beira. (1850-1950), thèse de doctorat Brasilia, UNB, 2008.
8. L oi n° 174 du 27 août 1844.
9. Je vous ai donné raison parce que cette loi n’a pas été appliquée par mon prédécesseur, elle ne doit pas l’être
par moi, ni non plus, selon toute probabilité, par mes successeurs. Construire tous les bâtiments nécessaires

Te r e s i n a … 127
non-viabilité et/ou les dépenses liées au déplacement de la capitale 10. Déjà Anselmo
Francisco Peretti (1848-1849), au moment de sa prise en charge du gouvernement de
la province, a indiqué que « la navigation sur le Parnaíba était du plus grand intérêt,
non seulement du Piauí comme des provinces limitrophes, le Maranhão et le Ceará »
(lettre administrative n° 209, du 9 mars 1849). Cependant, une troisième loi 11 a été
promulguée par ce président, permettant de déplacer la capitale vers le site du nouveau
siège de la ville de Poti. Et par résolution 12 il a annulé toutes les lois adoptées jusqu’à ce
jour sur le déplacement de la capitale. Cette idée est restée à l’état de projet, puis a parfois
été remise au goût du jour dans les discours, jusqu’à ce qu’en 1851 elle soit consolidée
et régularisée dans un projet politique qui a entraîné dans son sillage l’« utopie » du
développement et de la modernité 13.
Initialement, le président José Antônio Saraiva 14 (1850) a considéré comme un
avantage incalculable l’exploitation du fleuve Parnaíba. Il a expliqué que « seules les villes

s
de Parnaíba et Vila do Poti jouissent d’un peu de navigation existante, parce qu’elles

ne
se trouvent sur ses berges ». Il a mis en relation les municipalités qui profiteraient et

en
celles qui ne profiteraient pas de cette navigation, a préconisé la création de nouvelles
villes le long du fleuve. Il a souligné qu’« indirectement, cependant, toute la province y
R
gagnerait ». Enfin, il a formulé les priorités de son administration en conformité avec les
de
idées qu’il avait émises en insistant sur « la protection, en particulier des villes en marge
du fleuve Parnaíba, le changement de celles qui le peuvent et la préparation du terrain
s
ire

pour que mes successeurs puissent réaliser un jour le transfert de capitale, si fécond
en bons résultats pour la province et l’Empire 15 ». Plus tard, il a choisi lui-même de
ta

permettre le déplacement de la capitale en disant que cette dernière devrait provoquer la


si

navigation sur le fleuve Parnaíba. J’anticipe en disant que le déplacement de la capitale a


er

conduit à des transformations socio-spatiales dans l’ensemble de l’État, car il a modifié


iv

l’orientation des relations sociales et économiques, situées auparavant à l’intérieur et


un

dans le sud de l’état, vers le nord, en marge du fleuve Parnaíba.


s

D’après la littérature du Piauí, la question du déplacement de la capitale a été discu-


se

tée dès les premiers mois de l’administration du président Saraiva quand il a reçu une
es
Pr

au travail, élever brusquement une ville entière, est une tâche possible pour un homme de génie, qui
dispose d’innombrables bras et d’une richesse immense, mais c’est un rêve total pour le gouvernement
constitutionnel d’une province pauvre. (Rapport du 8 janvier/1845. Zacarias de Góes e Vasconcelos).
10. « Beaucoup a été dit sur un plan visant à déplacer la capitale, mais pour ce que j’ai observé, cela me semble
inapplicable, ou du moins très coûteux de ce que le transport » (lettre administrative du 2 novembre 1847).
11. Datée du 23 août 1849.
12. Résolution provinciale n° 255 du 5 août 1850, signée par le président Inácio Francisco Saraiva da Mata.
13. L es réflexions sur la représentation de la modernité sont fructueuses et atteignent un long chemin sans
être toujours guidées par des voies consensuelles. Pour Renato Ortiz, « la modernité, le modernisme, la
modernisation, sont des thèmes qui ont toujours été parmi nous, en quelque sorte liés à la question natio-
nale ». Voir Ortiz, « Advento da Modernidade », Lua Nova : Cultura e Modernidade. Revista de Cultura
e Política (« Début de la modernité », NOUVELLE LUNE : Culture et Modernité. Revue de Culture et de
Politique), mai 1990 n° 20, p. 13.
14. José Antônio Saraiva a présidé la province du Piauí de 1850 à 1853.
15. R apport du 20 décembre 1850. De José Antônio Saraiva au conseiller d’État le vicomte de Monte Alegre,
ministre et secrétaire d’État aux Affaires de l’Empire.

128 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
pétition 16 signée par un certain nombre d’habitants de Parnaíba, Piracuruca et de la
chambre municipale de Campo Maior, traitant des avantages du transfert de la capitale
déjà plaidé. José Antônio Saraiva, devient un partisan du transfert, en étudie la question et
entreprend un voyage à Vila Velha do Poti 17. Il se rend alors compte que la ville ne peut pas
prospérer parce qu’elle est soumise à des fièvres endémiques et à des inondations périodiques
du fleuve Poti qui ne cessent de la détruire 18. Mais, en regardant la documentation et en
confrontant les dates, nous notons que ce président, en assumant la présidence, avait déjà
l’intention d’effectuer ce transfert. Le père Melo partage cette affirmation en disant que
« le comportement du président laisse entendre que la cour était déjà au courant de ses
objectifs car dès la fin du mois suivant sa prise de fonction, il se rendait à Barra do Poti,
en vue d’un examen “in loco” des conditions de la ville, sachant au préalable qu’elle
était insalubre et sujette aux inondations » (Melo, 1995, p. 124).

s
José Antônio Saraiva reçoit la pétition mentionnée le 19 décembre 1850 alors que la

ne
lettre administrative envoyée au conseiller de l’État le vicomte de Monte Alegre datait

en
du 22 octobre 1850 comme étant le premier jour de son voyage dans les municipalités
en vue d’un examen « in loco ». « Le premier jour du voyage, le 22/10, j’ai examiné
R
attentivement certains lieux en marge du Canindé… » Dans cette lettre il mentionne et
de
décrit les conditions de Vila São Gonçalo déplorant le manque d’une église principale 19.
s
ire

Teresina : du rêve à la réalité


ta
si

Pour installer la nouvelle capitale, José Antônio Saraiva choisit le site de Vila do Poti,
er

une ancienne ferme de bétail connue sous le nom de Chapada do Corisco. C’est son
iv

premier acte fondateur. Pour l’historien Laurent Vidal « le premier soin du fondateur
un

est de choisir l’emplacement de la ville nouvelle » (2002, p. 264). Cette ville, bien qu’elle
s

ait déjà été pensée et même choisie, même si son choix a par la suite été annulé, a fait
se
es

16. Dans cette pétition pour accueillir la nouvelle capitale, la ville de Parnaíba est suggérée en pointant ses
ressources naturelles et d’autres éléments de vie et de prospérité. Mais, comme alternative, dans le cas où
Pr

ce choix ne serait pas possible, on indiquait Vila Nova do Poti pour sa position avantageuse en marge du
fleuve Parnaíba et pour d’autres avantages facilement compréhensibles.
17. Où il arriva le 18 novembre 1850.
18. « En arrivant à Vila Velha do Poti, il m’a été facile de comprendre que, sujette à des fièvres endémiques,
elle serait ruinée par les inondations de ce fleuve, cette ville ne pouvait pas prospérer et que ses habitants
souhaitaient avec impatience la construire dans n’importe quel autre lieu qui puisse convenir à leurs
intérêts », discours à l’Assemblée provinciale du 3 juillet 1851.
19. Dans cette lettre administrative il montre qu’il a l’intention de demander à l’Assemblée le transfert de Vila
vers le bord du fleuve Parnaíba et pour autant que l’église principale y soit construite préconisant que « la
navigation du Parnaíba, un peu plus développée, faciliterait son déplacement […] ces quelques maisons qui
y existent se déplaceront en marge du fleuve sans aucune augmentation de la navigation » (lettre adminis-
trative du 20 décembre 1850). Se souvenant de la loi en date du 23 août 1849 autorisant le transfert de la
capitale vers cet endroit, « cette esplanade avait déjà été désignée par une loi pour le siège d’un village qui
recevrait la capitale de la province, loi qui n’a jamais été exécutée, et qui, peu de temps après, a été révoquée
parce qu’elle est née avant le temps ». Et il justifie « elle a été écrite avant même d’avoir étudié les moyens
pratiques et appropriés pour résoudre la question du changement de capitale ».

Te r e s i n a … 129
l’objet d’un long débat imprimé. Mgr Chaves a signalé que les inondations permanentes
qui sévissent dans Vila do Poti étaient « une préoccupation majeure des gouvernements »
(1987, p. 13). En fait, c’est à cause des inondations catastrophiques qui ont assailli
ses hivers rigoureux que le gouvernement central a autorisé 20 les habitants de Poti à
changer le lieu de leur ville, ce qui a finalement été refusé. À propos de ce projet de loi,
le gouverneur Saraiva affirme qu’il était peine perdue parce que
« certains moyens ont été utilisés pour obtenir des résultats similaires et apporter le
changement à l’action des intérêts individuels, ceux-ci n’étant pas si forts, les adminis-
trations ont décidé, sans le concours des administrations convaincues, de la ­non-viabilité
d’un déplacement, car sa réalisation ne concernait pas assez de personnes » (lettre
administrative du 20 décembre 1850).
Il explique qu’en arrivant à Vila Velha do Poti, il comprend que cette ville ne peut

s
prospérer et que ses habitants souhaitent impatiemment la reconstruire dans n’importe

ne
quel autre lieu qui pourrait convenir à leurs intérêts. « J’ai profité de ces souhaits, je

en
les ai invités à construire à l’endroit le plus beau et le plus agréable au bord du fleuve
Parnaíba… » Comme la loi n° 140 n’a été ni éxécutée ni abrogée, le président Saraiva
R
s’en empare stratégiquement et demande aux habitants de Poti de transférer la ville dans
de
un endroit plus approprié. Il les invite à construire leurs maisons sous sa planification
et dans un lieu préalablement choisi par lui-même, en front du fleuve Parnaíba. Il leur
s
ire

promet une aide et s’engage à transférer la capitale vers Nova Vila Poti 21.
ta

« Tous les intérêts convergent vers ce changement et c’est à ces intérêts que j’ai parlé,
si

en les conduisant et en les traduisant en réalités, en leur donnant une direction pour
er

l’élaboration de l’église principale, j’ai montré ma volonté de changement et suite à


iv

la déclaration très officielle que j’ai faite, des maisons devaient être très rapidement
un

construites là-bas, j’exécuterai ensuite la loi, ordonnant le déménagement de la justice


et la séparation » (lettre administrative du 20 décembre 1851).
s
se

Ce président a promis un travail exceptionnel qui viendrait s’inscrire dans un contexte


es

très particulier. Il est connu de nos jours que la présentation d’un travail d’une telle
Pr

ampleur, comme de surmonter les contradictions du passé, renforce les causes très défen-
dues et contribue à l’avancement de la rénovation. La solution radicale de la création serait
attrayante. Il en résulterait, peut-être, un modèle de ville qui privilégierait la commu-
nication, qui embrasserait les valeurs traditionnelles et qui aspirerait à réintégrer l’État.
Ce président savait qu’un tel résultat ne pourrait être atteint que grâce à une meilleure
organisation, un effort massif concentré sur l’objectif à atteindre, une énergie indivi-
duelle et collective constante. Si bien que, sûr de ses convictions, il commence sur le site
la construction d’une église, destinée à être l’église principale 22, grâce à des dons de la
population. Comme il le dit lui-même :
20. Au travers de la loi n° 140 du 29 novembre 1842.
21. Sur le processus de transfert, l’implantation de la capitale et la construction de la ville de Teresina voir
Nunes (1974), Chaves (1987) et Gandara (2008).
22. L e 24 décembre 1852 a eu lieu la bénédiction solennelle du sanctuaire ainsi que le déplacement, en
procession solennelle, de l’image du saint patron de l’ancienne église de Poti vers Teresina, en cours de

130 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
«  Profondément convaincu de la nécessité de changer de ville, j’ai démarré une
souscription pour une église principale dans le nouvel emplacement et le jour où je l’ai
ouverte, elle a dépassé de trois millions de réis (monnaie de l’époque) et s’est poursuivie
sous la direction d’un comité que j’ai personnellement nommé pour la promouvoir.
Immédiatement après, les gens de la ville ont été plus motivés et ont commencé à
prendre des terrains pour y construire leurs maisons en affirmant qu’en moins d’un an,
ils auraient construits leurs maisons qui seront régularisées, afin que Vila, dont les plans
se réfèrent à Votre Excellence, offre un aspect agréable et toutes les commodités que sa
belle et avantageuse situation lui permet » (lettre administrative du 20 décembre 1851).
Ainsi, le « créateur/fondateur » a répété le processus des premiers noyaux paroissiaux,
où l’église est le point de référence pour l’émergence des villes. Au Brésil, la construc-
tion et l’inauguration d’une chapelle ou d’une église constitue un vecteur important
d’induction pour l’émergence et le peuplement d’un lieu déterminé. C’est ainsi que l’on

s
peut affirmer que « comme le prince impérial, Teresina, naît dans les bras de l’Église

ne
catholique, c’est-à-dire, dans la célébration d’une messe, le moment où est lancée la

en
pierre angulaire de son église principale, l’église Nossa Senhora do Amparo » (Silva
R
Filho, 2007, p. 95). C’est ainsi qu’en marge du fleuve Parnaíba, a été testé un établis-
sement unique, exceptionnel, avec des idées et des commodités, vision stratégique et
de
audace commune d’un « pionnier 23 », qui se sont cristallisées. Comme le dit Cassiano
s

Ricardo « celui qui pratique “des actes pionniers” peut être appelé “pionnier”, le mot
ire

“pionnier” prend un sens plus large ; il est synonyme de précurseur, de spécialiste du


ta

sertão, “de grand entrepreneur” : c’est celui qui fonde les villes… » (1959, p. 303).
si

Et Laurent Vidal renforce en disant que « toute fondation de ville est une occasion de
er

réécriture de l’histoire, celle du groupe fondateur comme celle de la nation. La ville


iv

nouvelle est inscrite dans l’histoire tout comme elle se veut le point de départ d’une
un

histoire nouvelle » (2002, p. 261).


José Antônio Saraiva, réussit en contrepartie, grâce à sa présence et à ses convictions,
s
se

à susciter l’intérêt des habitants de Poti pour des entreprises nouvelles et peut-être
risquées. Ceux-ci, à leur tour, investissent leurs capitaux, commençant, immédiatement
es

le défrichement de la végétation qui couvre la vaste plaine. José Antônio Saraiva se


Pr

montre aussi enthousiaste et convaincu par les promesses faites par les habitants de Poti
en déclarant « en fait, j’ai toutes les raisons de croire en la sincérité de telles promesses
parce qu’elles expriment les intérêts et besoins ressentis » (lettre administrative du
20 décembre 1851).
Il est connu que le transfert d’une capitale est un sujet réellement compliqué et
coûteux, qui exige une bonne dose de sens de l’organisation et implique les niveaux de
gouvernement, national, étatique et local. Mais des progrès substantiels peuvent être
réalisés, à partir du moment où la communauté, en collaboration avec les autorités,
participe aux objectifs. Il est évident que, dans le transfert de la capitale d’Oeiras à

construction. Le lendemain, avait lieu l’inauguration du choeur de l’église de Nossa Senhora do Amparo,
avec la célébration de sa première messe. L’année suivante, il y a eu un transfert du siège de la paroisse
comme prévu par le président Saraiva.
23. N
 ous avons utilisé l’expression pionnier telle qu’elle est cristallisée dans Ricardo (1959).

Te r e s i n a … 131
Vila Nova do Poti, il y a eu de nombreuses décisions civiques de la part des adminis-
trations municipales. Cependant nous ne savons rien, même de façon décousue, des
nuances et des subtilités qui ont précédé ce choix. Si bien que j’ai entrevu que des
raisons économiques ont stimulé la spécialisation de grandes entreprises. En fait, la
préférence pour installer la capitale sur les terres de Vila do Poti était justifiée par
des raisons évidentes. Il s’avère que cette ville, située au confluent du fleuve Poti avec
le fleuve Parnaíba, était au cours des premiers siècles, le seul passage entre le nord
de la capitainerie et le reste du Brésil. La difficulté de communication d’Oeiras,
de notoriété publique, imposait le dégorgement uniquement par le Maranhão et
précisément dans ce passage. C’était alors par ce lieu que se faisait l’écoulement des
richesses du Piauí. Une condition qui devient un argument en faveur du transfert.
De plus, le choix de l’emplacement pour construire une ville nouvelle se fait dans
un lieu stratégique 24. Elle est située presque dans le centre géographique de l’unité

s
fédérale dont elle allait devenir le siège, et en tout cas, dans le lieu qui se destine à

ne
un grand avenir, par le fait d’être en marge du fleuve Parnaíba, un réseau fluvial qui

en
divise l’État tout entier, et qui présente des avantages sûrs dans l’intention d’en faire
un réseau de voies navigables. C’est la navigation à vapeur qui provoque l’éveil du
R
lieu. Si bien que le président, José Antônio Saraiva, donne son avis lors de l’Assemblée
de
provinciale 25, « il est nécessaire, donc, que vous et moi, messieurs, soyons sur les bords
de ce fleuve, et ne vivions pas à des dizaines de lieues, dans ces arrière-pays, une vie
s
ire

stérile à l’égard des améliorations matérielles les plus importantes de la province ».


Il présente à cette occasion, les avantages du transfert de la capitale vers Vila Nova qui
ta

est située à proximité des bois riches baignés par l’un des meilleurs fleuves du Brésil,
si

« salubrité, capacité de transférer à Caxias le commerce du Piauí, facilités pour les


er

relations commerciales et politiques avec la Cour et les grands centres de l’Empire,


iv

région agricole la plus riche de la province, et par conséquent, plus de chances de


un

progrès » (discours du 3 juillet 1851). Et il montre ses raisons de préférer cet empla-
s

cement pour le siège du gouvernement en énumérant


se

« 1º car elle est bien située et est aussi salubre que possible ;
es

2º car elle est en mesure de transférer à Caxias tout son commerce avec le Piauí, ce qui
Pr

est le plus grand avantage de ce transfert ;


3º car, plus proche de la ville de Parnaíba, elle peut mieux servir le développement de
la navigation et faire profiter à la capitale du grand bénéfice de la facilité de ses relations
politiques et commerciales avec la Cour, et de tous les grands centres de civilisation
de l’Empire ;
4º car elle se trouve dans le municipe le plus agricole de la province et il est important
que le gouvernement s’occupe sérieusement de promouvoir le développement de son
agriculture, l’amélioration des processus qu’il utilise et qu’il donne une orientation
adaptée à ses produits ;

24. Nous montrons que le choix d’un lieu stratégique aux conditions nécessaires à la création d’une ville est
caractéristique d’autres endroits et sont également signalés dans les œuvres littéraires. Voir Gandara
(2004).
25. A ssemblée provinciale du 3 juillet 1851.

132 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
5º car c’est le seul endroit qui promette de faire prospérer les bords du fleuve Parnaíba
et permette d’être en moins de temps possible, la capitale de la province. C’est pour ces
raisons que je vous recommande la nouvelle Vila do Poti comme le siège honorifique
du gouvernement de la province » (rapport de la session ordinaire du 3 juillet 1851).
Nous voyons donc que la position choisie, dans la vallée du fleuve Parnaíba, est
dictée par des considérations pratiques immédiates et démontre un franc intérêt à
unifier un territoire disparate. La stratégie de l’emplacement présente tous les facteurs
pour qu’elle se transforme en un carrefour de voies de communication. Et la nouvelle
ville accueillant la capitale favorisera de nouveaux phénomènes, la transformant, non
pas en un point d’arrivée mais en un point de départ. La précision du choix du local et
de la région pour installer la capitale aura des conséquences importantes pour toute la
province à travers les âges. Ses qualités sont les fronts de fleuves et leurs sources irrégu-
lières. Le résultat de cette construction sera la transformation totale du paysage. En un

s
mot, la solution de sa position sur les rives du fleuve navigable Parnaíba est absolument

ne
fantastique, car en plus de recevoir la capitale, cela permettra une transition. Condition

en
et argument en faveur du changement, parce que, une fois la capitale établie au bord
R
du fleuve Parnaíba, les communications seront largement favorisées et par conséquent
les actions économiques, sociales et administratives aussi.
de
En contrepartie, les obstacles à surmonter sont immenses. Il faut sans aucun doute
s

du courage, de l’énergie et de l’enthousiasme pour oser y faire face. Pour y parvenir, il


ire

faut également avoir certains soins et un grand pouvoir de persuasion. Aucune de ces
ta

qualités ne manque au jeune président dont l’action pionnière mérite d’être soulignée.
si

Son esprit de précurseur venu à la conquête d’un « nouveau monde » est prêt à surmonter
er

les obstacles et à être une victoire considérable, auquel est associé le fait que l’opinion
iv

publique est naturellement encline à l’appuyer. La sincérité des idées exprimées, la


un

simplicité des formules proposées et, surtout, l’esprit minutieux qui présidera à l’élabo-
ration du projet sont en mesure de répondre à l’impatience des habitants du Piauí qui,
s
se

depuis quelque temps, se nourrissent d’espoirs déçus en raison de divers discours de


caractère non exécutoire. Le président José Antônio Saraiva 26 rétorque contre les alléga-
es

tions constantes de non-viabilité, en mettant l’accent sur la forte opportunité de transfert


Pr

de la capitale vers Vila do Poti et en expliquant que la responsabilité administrative


d’un dirigeant doit être plus importante que les préoccupations concernant les coûts.
« Je crois avoir montré […] sur le fait que le transfert ne soit pas inapplicable et que
le gouvernement puisse en bénéficier […] Je souhaiterais montrer à Votre Excellence
combien la navigation sur le fleuve Parnaíba devrait bénéficier du transfert de la capitale
à cet endroit. […] Je souhaiterais faire part à Votre Excellence de toutes les circonstances
qui ont créé en moi une conviction si forte sur la nécessité d’un changement de siège du
gouvernement, reconnu aujourd’hui viable » (discours du 3 juillet 1851).
Tout étant très bien acheminé à Chapada do Corisco, y compris la construction
d’immeubles à un rythme rapide et dans l’ordre des rues comme prévu, et les habitants
de Poti étant enthousiastes et encouragés par la certitude de recevoir bientôt la nouvelle
26. Dans la lettre administrative du 20 décembre 1850 adressée au conseiller du vicomte de Monte Alegre.

Te r e s i n a … 133
capitale du Piauí, le président retourne à Oeiras. C’est là-bas que se trouve le plus grand
obstacle à surmonter, car la communauté d’Oeiras réagit à toute idée de changement.
Il y a, parmi les politiciens locaux, ceux qui « défendent la thèse que le progrès viendra
avec le déplacement de la capitale et les opposants qui plaident en faveur de l’améliora-
tion des routes et de l’utilisation du fleuve Parnaíba comme ressources primaires pour
résoudre le problème » (Nunes, 1974, p. 106). Cependant, en utilisant son prestige,
José Antônio Saraiva cherche à influencer les membres de l’Assemblée qui, pour la
plupart, avaient été favorables à la permanence du gouvernement à Oeiras. Mais même
en connaissant les pensées de la majorité de l’Assemblée législative, son discours 27 est
très incisif, discours dans lequel il traite en détail la question de déplacer la capitale en
discutant des avantages du lieu choisi, compte tenu de l’excellente situation topogra-
phique ainsi que de ses bonnes ressources et de son avenir prometteur. Il tisse de longues
considérations sur le lieu et son avantage en mettant l’accent sur : « Fils de la province,

s
vous savez que j’ai entrepris un voyage vers les villes du nord, afin d’examiner et de

ne
vérifier la navigabilité du Parnaíba, et la possibilité de donner, dans ses marges, l’essor à

en
une ville qui serait propre pour le siège du gouvernement de la province. » Il souligne :
« Vous dire, messieurs, que la marge du Parnaíba à côté de Vila do Poti, se lève et qu’il
R
y pousse une petite ville, est résumer la série d’événements… » Il insiste : « Je vous ai
de
montré que vous pouvez résoudre, en harmonie avec les ressources de la province, le
grand problème de sa croissance ; pourtant il convient encore de vous montrer la raison
s
ire

pour laquelle je donne la préférence à cette localité comme siège du gouvernement de


la province » (discours du 3 juillet 1851).
ta

Cette tentative exigeait également des moyens qui dépassaient de loin ceux des
si

collectivités locales. Pour ces raisons et compte tenu des conditions particulières du
er

pays et de l’État, une telle tentative n’était possible que dans une politique de prestige
iv

qui implique le gouvernement et la société. Ainsi, nous savons que toute cette transfor-
un

mation, ce changement, incluait des objectifs clairs et articulés à des projets du gouver-
s

nement impérial. Nous pouvons même associer leur existence aux plans de l’Empire
se

sous l’ordre du roi 28. Nous savons aussi qu’au Brésil, le pouvoir impérial a été formé
es

sur des bases visant à centraliser les actions politiques du pays à la personne de l’empe-
Pr

reur. Les provinces étaient gouvernées par des personnes de confiance de l’empereur,


indiquées par des critères liés à leurs différentes carrières politiques. Comme le dit
Raimundo Nonato Monteiro de Santana « en institutionnalisant le pouvoir dans le Piauí
en 1845, l’Empire se fait présent à travers ses représentants au sein du gouvernement
provincial. […] Les politiciens du Piauí les plus représentatifs discutent des problèmes

27. Discours dans lequel il installe l’Assemblée provinciale du 3 juillet 1851.


28. « Dans la mesure où se consolide le “pouvoir personnel” de l’empereur, après 1840, en particulier à partir du
Conseil d’État, les liens de dépendance des provinces extrêmes avec le centre sont renforcés, principalement
grâce au déplacement du pouvoir de décision vers le nouvel axe de gravité économique du pays. La tâche de
centraliser commence alors, le vicomte de Parnaíba chute, le représentant du centre vient à l’instant même
où le gouvernement a tendance à s’appuyer sur le commerce extérieur. Dès lors, la navigation fluviale et
maritime ainsi que le problème du port deviendront des thèmes centraux, et l’on pense de manière décisive
au transfert de la capitale », Santana, Monteiro RN. Perspectiva Histórica do Piauí (Perspective historique
du Piauí), Teresina, Ed Culture, 1965, p. 30.

134 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
locaux au sein de points de vue éminemment nationaux » (1965, p. 40). Pour cet auteur,
la réalité du Piauí est une composante de la réalité nationale. Il est donc intéressant
de souligner que les actions du conseiller José Antônio Saraiva s’inscrivent comme
un exemple de la politique du pouvoir impérial 29, puisqu’il a été nommé président
de la province du Piauí, par effet d’une Lettre Impériale, le 19 juin 1850. Reprenons
le discours du président Saraiva, après avoir tissé de longues considérations sur le lieu
et ses avantages, sur la navigabilité du fleuve Parnaíba et le détail des mesures et des
plans pour sa mise en œuvre, il dit textuellement aux opposants au développement 30.
« Il me semble que certains citoyens de cette ville se sont représentés devant le gouver-
nement impérial contre le système administratif que j’ai suivi et qui, parce qu’il tend à
ouvrir la voie à un changement de capitale, est contraire aux intérêts d’Oeiras, qui de
l’avis de ces citoyens a le droit d’être le siège du gouvernement car elle possède certains
bâtiments publics, car elle est dans le centre de la province et est une ville pauvre qui,

s
sans la capitale, serait réduite à peu de choses » (discours du 3 juillet 1851).

ne
en
Ainsi, le président donne sa décision aux opposants, en reconnaissant que le transfert
de la capitale blesse des intérêts, des préjugés et il prophétise :
R
de
« Dieu souhaite que ces intérêts produisent en votre présence toutes les raisons qui
pourraient servir à vous éclairer sur le jugement que vous devez prononcer sur la question,
s

qui est soumise à votre examen. Vous déciderez si ces intérêts sont légitimes et peuvent
ire

se risquer à disputer la province pour gagner de sa grande praticité, et si l’avenir du Piauí


ta

doit être lésé simplement parce que vous avez dépensé dans cette ville certains montants
si

en pont, en trottoirs, dans un hôpital et une école. Vous déciderez si, par amour pour
er

ces montants, vous empêcherez le Piauí de conquérir par le commerce, par l’agriculture,
iv

par l’industrie, des sommes plus importantes qui pourront rapidement vous donner une
un

capitale plus riche, plus confortable, plus civilisée et plus appropriée pour les affaires
publiques » (discours du 3 juillet 1851).
s
se

Et il se lamente : « Messieurs, personne plus que moi ne sent profondément que


es

certains illustres habitants du Piauí souffrent de ce changement de capitale. » Et finalise :


Pr

« Vous devez décider tout de suite si le changement de capitale est utile, faisable.
Si vous acceptez mes convictions, vous pourrez compter avec tous mes efforts… » Mais,
conscient des propos hostiles, une partie de l’Assemblée se rend compte qu’il ne serait
pas prudent, à ce moment, d’adopter une loi qui changerait le destin de la province.
Une telle situation n’est pas sans risques, car elle ouvre la voie à une nouvelle conjonc-
ture. Elle est aussi bénéfique, dans la mesure où elle permet d’audacieux projets qui
se lanceraient résolument. Ainsi, pour atteindre son objectif, qui d’ailleurs n’était pas
seulement le sien, mais celui de presque toute la province qui l’embrassera dans ses repré-
sentations, venant soit de la part des gens, soit des municipalités, il faut attendre l’effort
29. Né à Bom Jardim le 1er mars 1823, de la municipalité de Santo Amaro, province de Bahia. Diplômé en
droit de l’université de São Paulo. Obtient les postes de juge municipal et de procureur fiscal des finances
dans son pays natal. Il commence en politique en tant que député provincial, sous la direction du marquis
d’Olinda. Il est nommé président de la province à 27 ans.
30. Voir ce discours retranscrit intégralement dans Chaves, op. cit., note 117.

Te r e s i n a … 135
des habitants de Vila Nova do Poti dans les travaux de sa construction. Ses habitants,
tournés vers l’avenir visant à la création de la nouvelle ville qui abriterait la capitale du
gouvernement, ne ménagent pas leurs efforts. Dans la pratique, cependant, ayant en
vue la recherche du « nouveau », du « prometteur », ils se montrent influents à prouver
une orientation générale pour l’accomplissement effectif du développement local et
peut-être régional. Et la réponse des citoyens de Vila Nova do Poti est au-delà des
attentes du président Saraiva.
« Le résultat de tout cela a dépassé toutes mes attentes, parce que je n’ai jamais cru qu’ en
moins de six mois, près de trente logements seraient en cours de construction et, en outre,
que ces mêmes habitants de Vila Velha, qui avaient d’élégantes maisons, se décideraient
à les laisser afin de construire dans un nouveau lieu, aujourd’hui généralement appelé
Vila Nova do Poti » (discours du 3 juillet 1851).

s
Le président Saraiva se rend de nouveau à Nova Vila do Poti, y installe le conseil

ne
municipal et d’autres bureaux gouvernementaux. Il y installe une nouvelle assemblée 31

en
et le 21 juillet 1852 promulgue la Résolution n° 315 qui autorise le transfert de la
capitale à Nova Vila do Poti, immédiatement élevée au rang de ville, portant le nom
R
de Teresina 32 et avec des tribunaux dignes d’une capitale. Ce président dirige person-
de
nellement le transport des biens de l’ancien village. Il installe dans le nouveau siège
le conseil municipal et d’autres bureaux gouvernementaux 33. Mais avant de quitter la
s
ire

ville d’Oeiras, d’après le père Chaves (1987, p. 28), le président « prend les mesures
nécessaires et des précautions pour sa sécurité personnelle, car il a été informé que
ta

se formait un complot d’assassinat contre lui, nénmoins il laisse signé le décret de


si

transfert de capitale ». Jurandir Ferreira Pires nous dit que Saraiva a été informé que se
er

« formait un complot d’assassinat contre lui et ayant pris les mesures nécessaires et les
iv

précautions exigées pour sa sécurité personnelle […] il se retire d’Oeiras. […] Quand
un

la bombe explose, l’illustre et tenace président est déjà loin » (Ferreira, 1958, p. 628).
s

Nous anticipons en disant que la réalisation du transfert de capitale s’est faite au


se

détriment de frustrations, de réactions et par la conviction du « progrès », entendu


es

comme modernité. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une opération audacieuse,
Pr

d’improvisation, qui se produit à la hâte dans l’un des districts les plus pauvres du
Brésil. Il est aussi vrai qu’une vive opposition des partisans de la routine de la ville
coloniale est rencontrée. Comme le dit Yves Bruand (2002, p. 346), « Teresina et
Aracaju sont devenues respectivement les capitales des provinces du Piauí et de Sergipe
sur le dos d’Oeiras et de São Cristovão, abandonnées après une vigoureuse résistance
de la part de leurs habitants frustrés ». Dans le cas de Teresina, si le président Saraiva
n’était pas parti prudemment à temps d’Oeiras, il aurait certainement été victime
d’une agression. Pour paraphraser Ferreira (1958), les esprits se mettent en colère et
c’est un véritable tollé général où les plus énervés se couvrent d’insultes et s’engagent à
prendre, même à Poti, une vengeance bruyante et sanglante. Mais le président Saraiva

31. L e 1er juillet 1852.


32. Pour la littérature locale, ce nom est donné en l’honneur de l’impératrice du Brésil, D. Teresa Cristina.
33. B asé sur la loi n° 140 de 1842.

136 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
part, effectuant le transfert, à savoir, l’objectif de ce président est atteint, motivé par la
perspective de capturer l’avenir « prometteur » de l’expérience humaine dans le temps.
C’est là, c’est ainsi, c’est lui, c’est le départ de la capitale d’Oeiras vers Teresina… Pour
les habitants d’Oeiras, le « coup d’état » est terrible. Pour nous, la vérité de ce qui se
passe est impraticable et irrécupérable, nous laissant avec la seule tâche de construire
un récit crédible, autant que possible, se rapprochant de ce qui serait arrivé en fait et/
ou de ce qui s’est peut-être produit, en tout « véridique » dans son illusion référentielle.
Il convient de souligner que nous nous sommes intéressés, jusqu’ici, à présenter un bref
aperçu du spectre des discours qui encerclent la question du transfert de la capitale et
l’explication du dialogue attribué à ce « besoin » présenté depuis la fin de la période
coloniale jusqu’au transfert effectif de la capitale.
Le président Saraiva, en arrivant à Teresina, prend rapidement toutes les mesures
nécessaires pour le transfert immédiat de l’appareil administratif de la province.

s
Pourtant, de nombreux habitants d’Oeiras croient naïvement à la possibilité de retour

ne
du gouvernement à Oeiras, par résolution de l’Assemblée avec la révocation du président

en
ou par ordre exprès du gouvernement impérial. Or Saraiva n’effectue pas le transfert du
pouvoir judiciaire vers Teresina, qui reste le seul comté du Piauí basé à Oeiras jusqu’au
R
14 décembre 1855 34. Comme le dit le père Chaves (1987, p. 28), « tous les services
de
ont quitté Oeiras et se sont installés dans la nouvelle capitale dans les délais fixés par
Saraiva. L’ancienne capitale étant désertée de toute vie officielle, elle tombe rapidement
s
ire

en décadence ». Mais il reste encore une impasse dans le déroulement de cette question
qui nous amène à la recherche des « vérités » possibles sur ce passé. Selon Ferreira (1958,
ta

p. 628) on dit que les gens n’ont pas laissé le Trésor public sortir d’Oeiras et que des
si

« agitateurs criaient dans les rues que le mot de passe de la révolution était cette tentative
er

humiliante pour les habitants d’Oeiras, du retrait du Trésor public, signe définitif de la
iv

réalisation du changement projeté ». Toujours selon Ferreira (628, p. 28) « ils veulent
un

en effet que le Trésor public reste à Oeiras, comme une garantie de la permanence de la
s

capitale et pour protester contre la loi présidentielle ». Cet espoir donne aux habitants
se

d’Oeiras une légitimité et une identification avec la réalité de l’événement vécu, en fait,
es

un fini infini. Mais le Trésor public placé dans un char tiré par des bœufs part d’Oeiras
Pr

entouré par une importante force armée. La population selon Jurandir Ferreira (1958,
p. 628) « désabusée, abandonnée à l’idée de révolte, qui n’a jamais vraiment eu lieu,
s’en remet à une désolation douloureuse, en l’accompagnant de l’autre côté du grand
pont construit sur le Mocha… C’est un jour de deuil général ». Cette déclaration
de Ferreira, « abandonnée à l’idée de révolte, qui n’a jamais vraiment eu lieu » nous
dérange en soi, parce qu’elle déstabilise les impressions de ceux qui renferment raisons et
sensibilités, surtout en cette période actuelle, en interrogeant les habitants du Piauí sur
l’autre temps, celui du milieu du xixe siècle pour comprendre le contexte du transfert.
Je suis consciente que donner de l’intelligibilité aux sentiments par rapport à ce qui
s’est passé, sans en avoir vécu l’expérience, est tâche difficile. Cependant, je représente
le passé. Et si ce récit est amené au débat, c’est pour discuter d’un élément qui apparaît

34. Date de la loi provinciale n° 393 qui crée la région de Teresina, le démembrement de São Gonçalo,
aujourd’hui appelé Regeneração, son terme juridique.

Te r e s i n a … 137
en elle sans traumatisme, à savoir l’abandon. Nous savons qu’une ville n’est pas perçue
comme un cadre par ceux qui l’habitent. Sa perception est organisée en fonction d’une
série de liens existentiels, pratiques et affectifs, qui nous unissent à elle. Je considère
donc que l’exigence des traces de souffrance et d’indignation de la part des habitants
d’Oeiras élargit l’éventail de traumatismes possibles et peut-être se lamentent-ils jusqu’à
aujourd’hui. C’est ainsi que nous arrivons à une fin, qui n’est en fait qu’un début et/
ou un nouveau départ.

Concrétisation et matérialisation du rêve : « La ville de Saraiva »


La naissance de la ville de Teresina n’est pas seulement l’effet du libre jeu de forces ou
des besoins locaux, mais bien de l’État qui dirige et/ou induit le transfert de la capitale

s
entraînant toute la transformation socio-spatiale du Piauí. Nous pouvons dire que cette

ne
apparition correspond à des raisons jugées moins importantes que les raisons politiques.

en
C’est le résultat et le produit de l’avancement de la capitale, des stratégies gouverne-
mentales où la route naviguable est le moyen de transport physique pour atteindre les
R
objectifs de la politique de l’époque. Nous pouvons dire que, dans son « berceau », la
de
ville de Teresina fait partie, quoique subtilement, du processus d’élargissement des
communications de la Nation. Cette ville porte en elle l’inspiration créatrice de la vie
s
ire

humaine, bien qu’elle intégre des héritages constructifs de l’histoire du Piauí et par
conséquent du Brésil. Le transfert de la capitale du Piauí représente déjà le reflet d’une
ta

époque caractérisée par un complexe d’infériorité porté à l’extrême, du point de vue


si

local, mais qui contient le germe des éléments d’une réaction salutaire et qui ne tarde
er

pas pas à se manifester.


iv

Dans les premiers jours du nouveau siège, la capitale subit les carences naturelles d’un
un

déménagement hâtif. Le 16 du même mois, le président José Antônio Saraiva adresse


s

une circulaire à tous les présidents de province du pays, communiquant le transfert de la


se

capitale et, par conséquent, sa nouvelle résidence 35. Au travers d’une autre circulaire 36, il
es

effectue une nouvelle communication aux provinces du pays, annonçant la fin définitive
Pr

du transfert de la capitale 37. C’est ainsi que dans les premières années de la seconde moitié
du xixe siècle, le Piauí voit le « changement le plus important dans la gestion du pouvoir
des élites agraires du centre vers le nord de la province du Piauí » (Nunes e Abreu, 1995,
p. 97). Les motivations et les objectifs utilisés pour ce transfert se détournent peu des
projets et discours découlant de la période coloniale, du moins en essence. Ces discours,

35. « J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence que le corps législatif provincial autorise par la loi n° 315 du
21 Juillet de cette année, de transférer la capitale de cette province vers la nouvelle ville de Teresina, et
que j’ai déjà mis en œuvre l’exécution de cette loi, résidant dans cette ville, je me tiens à la disposition de
Votre Excellence. »
36. D atée du 21 octobre 1852.
37. « Je communique à Votre Excellence que cette province est en paix, et qu’elle se trouve complètement
transférée dans cette ville de Teresina, la capitale de la province et que tous les services publics travaillent
régulièrement. » Voir le rapport du 11 mars 1853 de José Antônio Saraiva au successeur Simplício de Sousa
Mendes, archives publiques du Piauí, Teresina-PI.

138 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
dans leur majorité, identifient en la navigation à vapeur l’élément qui assurera un avenir
prometteur et un nouvel ordre économique et spatial. Ils comprennent que les bateaux
à vapeur permettront que toutes les frontières puissent être franchies de telle manière
que tous, unis, forment une terre totalement sillonnée par des chemins. Et la « nouvelle
capitale » sera comme une panacée. En résumé, « le transfert de la capitale vers Teresina
(1852) est l’un des principaux facteurs de début d’un processus de développement du Piauí,
avec une participation active dans le commerce international » (Gandara, 2008, p. 373).

s
ne
en
R
de
s
ire
ta
si
er
iv
un
s
se
es
Pr

Figure 1. – Superposition du tracé original sur l´actuel. Source : Silva Filho Olavo P., Carnaúba, Pedra e Barro na
capitania de São José do Piauhy (Pierre et Argile dans la capitainerie de São José do Piauhy), Belo Horizonte, Édition
Do Autor, 2007, p. 108.

Comme je l’ai déjà dit, le processus de changement engagé par le président Saraiva
démontre en sa base une conception innovatrice de l’apparition des villes brésiliennes,
la planification du plan d’urbanisme. Il élabore lui-même les règles du futur « plan
d’urbanisme » de la ville conçue pour abriter, dans un avenir proche, la nouvelle capitale
du Piauí. Dans une lettre, il raconte et décrit lui-même son plan :
« Je ne m’occupe pas à décrire les avantages et les beautés de la localité puisque votre
Excellence me croira sur parole, et par son plan découvrira que la ville commencera très

Te r e s i n a … 139
régulièrement. Dans ce plan j’ai fait un changement qui fait sortir dans la grande place
trois rues au lieu de deux, formant trois pâtés de maisons à partir des deux qui existent
dans le même plan. Les six pâtés de maisons de la place principale seront occupés par de
belles maisons, et ce, avant la fin de l’année, parce que des gens très aisés commenceront
leurs logements et l’un de ces pâtés de maisons a déjà toutes les bases pour une grande
propriété, que son propriétaire s’engage à terminer avant six mois » (lettre administrative
du 20 décembre 1850).
Contrairement aux anciennes agglomérations de la province qui en général apparais-
saient spontanément, la ville de Teresina inaugure une régularité planifiée. Le plan qu’il
élabore pour la ville est une expérience intéressante, d’une certaine grandeur naturelle,
dans lequel transparaît clairement l’objectif de créer une ville ordonnée. Le choix de
la meilleure situation et le manque de constructions permettent le développement
d’un plan rationnel, régulier voire « monumental ». La planéité du site où la ville Nova

s
do Poti est située, contribue également à son ordre spatial initial. Sa situation et son

ne
site permettent un peu plus d’organisation pour l’utilisation des terres à construire.

en
Le propre lieu, avec toutes ses composantes, se propose comme un élément de produc-
R
tion, comme un produit, comme un texte écrit et vivant où seront fixés et communiqués
les acquisitions fondamentales et les choix contingents. « Le plan en damier, les rues
de
bien alignées et orthogonales, les places et les bâtiments principaux mis en évidence »
s

(Marx, 1980, p. 39). Tous ces arguments s’avèrent décisifs.


ire

Dans le plan Saraiva, la régularité géométrique, c’est-à-dire la rectilignité, est


ta

explorée et acquiert une plus grande cohérence avec la croissance de la ville. On y


si

prévoit son extension, ayant en son centre l’église d’Amparo et à partir de laquelle
er

vont s’orienter toutes les autres mesures de démarcation de la ville. De la grande place
iv

de l’église principale, il fait sortir trois rues, formant trois pâtés de maisons à l’origine
un

des rues coupées en angle droit. Ainsi, le tracé des rues en ligne droite, se croisant les
unes avec les autres, forme un damier. Pour Yves Bruand (2002, p. 346) « la régula-
s
se

rité du tracé en damier est une solution qui satisfait les habitudes brésiliennes en
matière d’urbanisme au xixe siècle, habitudes largement étendues jusqu’à aujourd’hui ».
es

Les six pâtés de maisons de la place principale seront occupés par des maisons d’habita-
Pr

tion. La fragmentation des pâtés de maisons se fait avec leur division en deux moitiés,
chaque côté divisé en cinq à six terrains qui font face aux rues qui descendent vers
le fleuve. L’organisation des pâtés de maisons suit la ligne de la façade de l’église,
tandis qu’entre le fleuve et la première rangée de pâtés de maisons on conserve une
parcelle de terrain généreuse avec l’intention présumée de protéger l’environnement
des inondations du fleuve. Par conséquent, innovant également dans la conception
de ce plan, il est imprégné d’un caractère paysagiste et environnemental cherchant
à proposer une ville régularisée, car comme le dit Saraiva : « Dans la plus belle et la
plus adéquate localité en marge du fleuve Parnahyba, car je l’ai parcourue en grande
partie, et n’ai rien vu d’égal » (lettre administrative du 20 décembre 1850). Selon le
nom constant de Plan de l’Esplanade de Teresina de 1922 (voir la figure ci-dessous) la
ville « assise avec le flanc ouest près du Port Carência révèle un propos cénographique
et l’exploration du paysage fluvial ».

140 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
s
ne
en
R
de
s
ire
ta

Figure 2. – Plan de l’esplanade de Teresina. Source : IPHAN-PI.


si

En fait, le fleuve Parnaíba donne au centre urbain le charme délicat qui émane de
er

lui. La ville est construite dans un tel climat de sympathie avec le fleuve Parnaíba que
iv

la sensibilité du lieu et sa propre beauté constituent la condition préalable nécessaire.


un

Il me semble que la beauté du paysage est recherchée tel un élément d’architecture. En se
s

développant, la ville part à la conquête des eaux du fleuve Parnaíba, le réseau fluvial, qui
se

de son côté, court à travers les vallées profondes et serrées, embrasse étonnamment la
es

ville, la laissant impliquée par ses contours. Cette délimitation est donnée par le fleuve
Parnaíba, mais également par le Poti qui ensemble, encadrent la création fascinante.
Pr

Cette préférence absolue pour le front de mer explique en partie les flexibilités du tracé
adopté, où les rues serpentent pour mieux s’intégrer au fleuve Parnaíba. En effet, une rue
est toujours orientée vers un endroit particulier, perçue comme si elle se rend quelque
part. Le fleuve Parnaíba renforce cette impression de perspective. Son emplacement est
crucial. Selon Rossi (1995, p. 141), « en ce qui concerne l’origine de la ville […] qu’il
s’agisse d’une ville spontanée ou d’une ville délibérée, le tracé de son plan et la concep-
tion de ses rues ne sont pas dûs au hasard […] Il y a toujours un élément générateur du
plan ». Et dans le cas de Teresina, l’élément générateur est le fleuve Parnaíba.
L’achèvement du projet Saraiva et le résultat de la rectilignité sont dûs, en partie,
aux habitants de Poti qui, obéissant au plan dans sa régularité sévère, commencent
la construction de leurs maisons qui forment des routes coupées en angle droit.
La construction d’une trentaine de logements commence en moins de six mois. Même les
propriétaires de maisons élégantes dans l’ancienne Vila do Poti, les laissent de côté pour

Te r e s i n a … 141
en construire d’autres dans le nouvel emplacement. Selon le père Chaves dans l’œuvre
« Teresina », la situation de la nouvelle capitale est peu flatteuse dans ses 10 premières
années d’existence. Pour lui, « l’emploi de main-d’œuvre esclave et de matériel improvisé
dans les constructions, aggravé par l’absence d’assistance technique, lui donne un état
de précarité que tous ressentent en contemplant la ville dans ses dix premières années
d’existence » (1987, p. 27). Mais nous remarquons que cette première décennie de son
existence marque une remarquable effervescence. Même si en 1852, certains bâtiments
publics sont déjà en cours de construction, les bureaux du gouvernement sont installés
dans des maisons louées. On se souvient que la présidence est autorisée 38 à obtenir par
location ou de la forme qui lui semble la plus commode, les bâtiments nécessaires aux
bureaux publics. L’administration ordonne de construire ou de racheter par vente aux
enchères sur le site de la nouvelle ville, une prison, un cimetière et n’importe quels
autres travaux qui sont nécessaires et s’harmonisent avec les ressources de la province.

s
Et la nouvelle ville capitale pourra et peut « exercer pleinement le rôle propre d’une

ne
ville hôte de province et promouvoir son développement », comme l’affirment Nunes

en
et Abreu (1995, p. 95).
Vers 1860, Teresina couvre déjà une superficie de plus d’un kilomètre de long du
R
nord au sud, en passant au large du quartier général du bataillon jusqu’au « Barracão ».
de
Son expansion est plus lente de l’est à l’ouest. Vers le côté du fleuve Poti, les rues se terminent
en une ligne irrégulière d’une dizaine de mètres au-dessus des places de la Constituição,
s
ire

aujourd’hui appelée Deodoro, et de Largo do Saraiva, actuelle Praça Saraiva. Toutes les
rues n’atteignent pas le fleuve du côté du Parnaíba. Cela confirme l’effervescence de la
ta

première décennie de son existence en tenant compte des 49 résidents qui vivent à Chapada
si

do Corisco, en juin 1851, site choisi pour la construction de la ville. En 1857 la population


er

de la ville de Teresina est déjà constituée de 11 820 habitants selon le père Chaves (1987).
iv

En outre, Teresina se développe rapidement car dans la deuxième décennie, on comptabilise


un

déjà 963 maisons dont 433 recouvertes de tuiles et 530 recouvertes de paille 39. L’éclairage
s

public de Teresina, qui consiste uniquement en des lampions sur les portes de certains
se

bureaux du gouvernement et sur les maisons des hauts fonctionnaires, est inauguré en 1882
es

avec l’installation de 80 brûleurs à pétrole sur les grandes artères. L’éclairage électrique est
Pr

inauguré en 1914 et le pavage est lancé en 1929, pendant l’administration du surintendant


major Dr Domingos Monteiro, qui choisit l’une des rues principales de la ville, la rue Álvaro
Mendes, pour bénéficier de ces améliorations. Le pavage est fait de pierres irrégulières,
dont le placement n’obéit à aucune règle artistique ou technique. Ce matériau est, pendant
longtemps, employé pour le pavage des rues de Teresina jusqu’à ce que l’on utilise plus
tard des pavés. Dans la photo ci-dessous nous pouvons voir la ville de Teresina en 1910 et
autour de la place, ses premiers bâtiments. De gauche à droite, le marché, des boutiques,
une maison résidentielle de deux étages cédée au palais du gouvernement. Au début de la
place, le tribunal et l’église principale de Nossa Senhora do Amparo.

38. Par la résolution 315.


39. Voir Chaves, 1987. Les résultats présentés ici font partie des recherches menées par Gandara qui ont
abouti à la thèse de doctorat intitulée Rio Parnaíba… Cidades-Beira. (1850-1950), Brasília, UNB, 2008.
Orientée par la professeure le Dr Vanessa M. Brasil.

142 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
Figure 3. – Place de la Constituição. Photo de 1910, auteur inconnu. Source : Silva Filho Olavo P., Carnaúba,
Pedra et Barro dans la capitainerie de São José do Piauhy (Pierre et Argile dans la capitainerie de São José do Piauhy),
Belo Horizonte, Édition Do Autor, 2007, p. 105.

Nous sommes donc face à l’accomplissement remarquable d’une ville qui suit un

s
plan organisé, qui ne découle pas de lui-même, mais de la force des circonstances

ne
politiques et sociales au niveau local et national. Il est donc important de noter que

en
dans la « ville de Saraiva », il y a un souci esthétique qui est exclusivement soumis aux
lois d’une géométrie « naturelle » et d’une autre rectiligne qui, extraite d’une tempo-
R
ralité concrète, devient un processus. Par ailleurs, cela encourage le développement de
de
la navigation à vapeur sur le fleuve Parnaíba et exerce une forte influence sur l’appari-
tion et la réapparition des villages et villes en front du fleuve Parnaíba. Cette ville est
s
ire

conçue et destinée à compléter les villes anciennes ou nouvelles, dont le noyau central
est fermement implanté. C’est ainsi que Teresina a représenté et représente la synthèse
ta

des propositions politiques, économiques et socioculturelles qui favoriserait, a favorisé


si
er

et favorise le développement de l’État du Piauí. Elle représente également une nouvelle


ère qui se structure dans les horizons de la vallée. Elle représente surtout l’espoir, selon
iv
un

Coelho (2002, p. 7) « l’espoir de ce qui n’est pas là, de ce qui n’existe pas, mais pourrait
devenir ». Elle représente et exprime le « progrès » et la « modernité ». Elle correspond au
s

moment de la réalisation d’une intention et a, principalement, une valeur symbolique.


se

Plutôt que d’être l’œuvre de l’ingénierie, la ville capitale Teresina se trouve sous deux
es

formes, à la fois théorique et pratique dans son origine, prérogative politique. Là-bas se
Pr

constitue une technostructure gouvernementale complexe, tournée vers les problèmes


économiques de l’État et par conséquent du pays, ce qui pourrait bien être considéré
comme la manifestation d’une nouvelle étape dans le processus de maturation de l’état
capitaliste. Comme nous l’avons souligné, cette ville émerge comme un élément de la
stratégie politique et économique, mais, peut-être pour la première fois dans l’Histoire
du Brésil, une ville capitale apparaît conçue et construite en fonction d’un réseau fluvial
et comme un élément stratégique du « progrès ».
Le résultat de tout cela est une « nouvelle ville capitale » dont le principe sera appli-
qué avec une rigueur consciente et résolue dans sa forme, afin de gagner du dynamisme,
de la lumière, de la lueur, en un mot, de la vie. Paraphrasant Lepetit (2001) les conditions
historiques qui lui donnent vie privilégient une telle procédure. En fait, la nécessité qui
cause son émergence pourrait être nouvelle, particulière à son époque, mais elle est le
résultat précis et spontané d’une conception stricte de l’époque, de l’adaptation la plus

Te r e s i n a … 143
logique à ce qu’elle doit être pour répondre à une utilisation plus pratique de ce que
l’on attend d’elle. Elle suit sa trajectoire, dans le temps et dans l’espace, dans les traits
les plus significatifs de l’ordre qui s’est perpétué et se perpétue depuis l’aube de son
apparition jusqu’à aujourd’hui, dans la première décennie du xxie siècle. Le résultat
obtenu pourra et peut ne pas satisfaire tous les goûts, mais il faut reconnaître que tout
correspond parfaitement à l’intention manifestée.
Et ainsi va le fleuve Parnaíba, le profil typique du paysage… et le bel horizon que
le Piauí gagne pour s’immortaliser, le corps édifié de la ville capitale rêvée. Teresina
est, par essence, la terre d’une fondation. L’ordre spécifique de cette ville s’exprime avec
une précision de détails et une régularité qui éliminent la possibilité de variantes. Dans
la racine de n’importe quelle ville ou dans l’intimité de ceux qui veulent les fonder, se
cachent, en fait, des tendances, des systèmes de valeurs et un certain déracinement.
Il est connu que la ville, dans son rêve éveillé, augmente la profondeur et l’intensité

s
potentielles de l’expérience humaine et que ce tel déracinement, phénomène préparé de

ne
longue durée, se manifeste à la lumière de l’histoire afin de clôturer un spectacle. La ville

en
de Teresina est le produit culturel de la société où la fragilité du cadre de vie s’accentue.
Personnellement, je pense que l’assimilation du passé et la réalisation d’un futur sont les
R
deux pôles omniprésents de l’existence de cette société en ce qu’elle bénéficie du futur
de
comme potentialité, possibilité, modernité. Dans ses lignes de démarcation et dans
ses contours, dans la délimitation, dans l’utilisation du site naturel, la ville enregistre
s
ire

l’histoire du Piauí qui se met en évidence devant les phénomènes fondamentaux de son
existence. Nous savons que les villes naissent ou sont fondées selon une représentation
ta

adéquate à une domination politique, économique, religieuse ou militaire. Ainsi, la


si

ville de Teresina est le résultat d’intérêts politiques et économiques, qui revendiquent


er

la modernité et le développement de l’État du Piauí. Cette ville nous offre les traces
iv

d’un projet moderne dans sa morphologie, capables d’exprimer les aspirations énoncées
un

dans les discours de progrès. Le transport est l’un des piliers de son origine et contribue
s

à la formation du cadre spécifique de vie citadine. Cette tendance fait son entrée dans
se

le processus d’« expansion », de « modernisation » de « modernité » et de « progrès »,


es

et, enfin, dans sa dimension historique.


Pr


Et Oeiras ? L’« échec » d’Oeiras est toujours expliqué par le caractère limitant de
son emplacement et de son organisation. Elle résulte d’un complexe historique dû à son
héritage d’« inconvénients » et se déplace lentement vers un destin conditionné, mais
incertain, le futur. Les principes de sa géométrie rigide, qui découlent du milieu le plus
simple et le plus rapide avec une relative adaptation au relief, s’imposent très tôt comme
une grande préoccupation. Ces techniques avancées de transport et de communication
qui expliquent l’expansion sont déterminantes pour sa morbidité. En dehors de la clarté
de son emplacement et du tracé extraordinaire atteint par ses travaux construits dans les
moules ruraux, on trouve, dans sa mentalité aphoristique et dialectique, l’importance
qu’on attribue aux polarités, mobilité et immobilité. Ainsi, on trouve à Oeiras, par
hasard ou par conformité, une référence à l’oubli. Mais une ville aussi lente, conduisant

144 G e r c i n a i r S i l v é r i o G a n d a r a
à l’oubli, défie le temps lui-même, parce que sa forme se place immédiatement dans
la catégorie des formes éternelles. Sa matérialité est marquée par l’action continue
du temps, et son inventaire s’inscrit presque entièrement dans l’Histoire du Brésil.
Les chocs qui lui sont attribués entraînent des résultats sociaux et ses besoins prennent la
forme d’idées et d’inventions qui mènent la communauté d’Oeiras à suivre de nouveaux
chemins de l’expérience. L’actuelle ville d’Oeiras est une survivance de caractère histo-
rique, qui ne répond pas aux besoins de l’unité qu’elle conduit, mais est, par elle-même,
le dépositaire de l’histoire. Elle est le propre texte de l’histoire coloniale de la société du
Piauí. Et c’est peut-être pour cette raison qu’Oeiras peut courir dans les eaux de l’oubli
au moment où Teresina se trouve dans les eaux de l’espoir. En un mot, Oeiras est la
racine et Teresina la fleur résultant de toute l’histoire. C’est l’une des représentations
des discours de changement et du transfert effectif de la capitale. Et je peux dire que
les discours d’antan sont dignes d’admiration. C’est ainsi que je comprends, comme

s
Bernard Lepetit, « que la connaissance historique ne progresse pas tant pour résoudre

ne
les problèmes que pour changer la façon de les aborder » (Lepetit, 2011, p. 59).

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