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Tiers-Monde

La gestion des projets publics dans les pays en voie de


développement
Rémi Huppert

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Huppert Rémi. La gestion des projets publics dans les pays en voie de développement. In: Tiers-Monde, tome 22, n°87,
1981. pp. 613-627;

doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1981.4050

https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1981_num_22_87_4050

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LA GESTION DES PROJETS PUBLICS
DANS LES PAYS
EN VOIE DE DÉVELOPPEMENT

par Rémi Huppert*

Trop souvent les projets publics de développement sont mal dirigés et mal
gérés. Des sommes importantes sont chaque année gaspillées en frais généraux
avant même que les activités envisagées n'aient franchi le seuil opérationnel.
Des retards surviennent partout, laminant le pouvoir d'achat des crédits
ou des subventions mis à la disposition des gouvernements et contraignant
ceux-ci à réévaluer en baisse leurs objectifs. La médiocrité du management
des grands projets dans nombre de pays en voie de développement est, à
proprement parler, un drame. Les administrés, sauf dans le cas d'opérations
pilotes très ponctuelles, ressentent trop rarement les effets de projets annoncés
à son de trompe mais mal exécutés.
L'objet de l'article est triple : décrire les difficultés organisationnelles
qui surgissent lors de la mise en place des projets; attirer l'attention sur la
faiblesse de la fonction approvisionnement, qui concerne directement les
exportateurs des pays développés; suggérer des solutions financières
permettant de rationaliser la gestion financière des projets publics dans les pvd.

* *

I. — Les difficultés organisationnelles

Relations avec les administrés et phénomènes bureaucratiques. — Alors que les


pvd s'endettent lourdement sans retirer en contrepartie les bénéfices
économiques ou les avantages sociaux que doit en principe leur procurer l'assistance
extérieure, les institutions financières internationales s'alarment de ce que
les calendriers ne sont pas respectés et en viennent à douter de la crédibilité
de leurs interlocuteurs.

* Docteur en sociologie, ancien responsable des projets de développement à I'onu, chef


du Service des Etudes économiques du Crédit d'Equipement des pme.
Revue Tiers Monde, t. XXII, n° 87, Juillet-Septembre 1981
6l4 RÉMI HUPPERT

Certains projets sont reconduits d'année en année, de réévaluation en


réajustement, jusqu'à épuisement des crédits et après avoir atteint une faible
part de leurs objectifs. Ceux-ci, relégués au rang des fins ultimes, doivent trop
souvent céder la place à la préoccupation plus immédiate du fonctionnement
de la machinerie bureaucratique avec son cortège de documents, de mémoires,
de protocoles et de textes réglementaires. Il repose aussi sur un culte du
formalisme, voire sur une certaine aversion pour toute réalité qui viendrait
troubler ce qui a été élaboré sur le papier. Encore embryonnaire, le
management des projets publics de développement (ppd) doit être encouragé, de
sorte que les vrais besoins et les priorités urgentes ne soient pas délaissés
par les administrations obnubilées par les règlements, mais au contraire,
remis à leur vraie place.
« L'expérience acquise dans de nombreux pays du Tiers Monde, au cours
des quinze dernières années, suggère que la réalisation des objectifs du
développement est entravée à presque tous les stades soit en raison du jugement
erroné des administrateurs, soit parfois en raison d'une suradministration »4
Tel est le constat établi fréquemment. Il est sévère, mais repose sur des
réalités pratiquement universelles. M. Khatkhate ajoute :
« En raison de cette attention accordée aux règles plutôt qu'à la production
et aux bénéfices, au prestige et à l'ancienneté plutôt qu'à l'efficacité et à
l'esprit d'initiative, la croissance économique est souvent tombée au point
mort. Ceci est également vrai des pays dans lesquels une nouvelle classe ou
une nouvelle génération d'administrateurs a vu le jour, mais qui sont restés
attachés aux procédures administratives léguées par les anciens dirigeants...
Il est souhaitable que le recours à un grand nombre de mesures de contrôle
qui constitue la norme dans la plupart des pays en voie de développement,
ait des aspects plus positifs que négatifs, l'objectif principal de ces mesures
devrait être d'obtenir quelque chose et non de tout empêcher. »
Tout empêcher... Voilà bien l'impression créée par des fonctionnaires
isolés du public, ne se concertant pas, prisonniers du principe hiérarchique
et refusant la délégation. Ces quatre facteurs méritent qu'on s'y arrête quelque
peu.
La coupure administration-administrés. — Faute de temps, on omet trop
souvent d'interroger les agents économiques sur la façon dont ils vivent
réellement leurs besoins et perçoivent les moyens de nature à les satisfaire.
L'analyse des situations se réduit trop souvent à l'utilisation d'un outillage
statistique embryonnaire ou peu fiable, à des sondages auprès d'échantillons
sans réelle représentativité : ainsi, une analyse défectueuse de l'offre et de la
demande de main-d'œuvre peut conduire à recommander des projets de
formation professionnelle inadaptés.
L'implantation, la taille, le contenu, le statut, la finalité d'unités de
production ou d'institutions de formation peuvent faire l'objet d'erreurs lourdes
de conséquences, voire de rejets, si, au-delà de leur utilité ou de leur
rentabilité supposée, ils n'ont pas fait l'objet au préalable d'une concertation
approfondie.

i. La gestion dans les pays en voie de développement, Deena R. Khatkhate in Finances


et Développement, n° 3, 1971.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 615

On en arrive parfois à mettre en place des infrastructures sanitaires


modernes sans action de formation conjointe à leur utilisation. La
programmation « du bas vers le haut » peut se révéler ardue dans des pays à
infrastructures médiocres et à institutions démocratiques insuffisantes. Certains
planificateurs vont jusqu'à affirmer que les administrés ne sont pas en mesure
d'adopter des attitudes orientées vers le développement, donc de définir
des solutions propres à modifier l'ensemble des croyances et tabous de type
malthusien qui les ont guidés jusque-là.
La controverse sur ce point n'est pas sur le point de prendre fin, mais on
peut indiquer deux facteurs permettant de renforcer la légitimité des projets
publics aux yeux des administrés :
i° Chaque communauté — village, région — quelle que soit sa situation
économique ou géographique, possède sa dynamique conflictuelle propre,
s'agissant de l'acquisition ou de la conservation du pouvoir et de son éthique
collective : elle ne peut en aucune façon être perçue comme un ensemble
homogène, immobile, non créateur; si la vision du développement adoptée
par les ayants droit peut être biaisée par les signes d'une modernité parfois
illusoire, si les implications des choix, positives ou néfastes, ne sont pas
toujours ressenties d'une façon adéquate, il reste que des groupes
d'administrés à repérer cas par cas sont en mesure de promouvoir un changement pour
lequel ils se sentent motivés2.
z° Les planificateurs ont tendance à négliger les disparités sociales et
régionales. Des objectifs nationaux valides peuvent aboutir à des allocations
de ressources inéquitables, quand on n'assiste pas à une redistribution au
travers des projets de richesses des groupes à faible revenu à des entités plus
favorisées par l'histoire (villes) ou la géographie (régions). L'enjeu est
évidemment politique et la géographie d'un projet reflète fidèlement les rapports de
force entre ethnies et régions, mais aussi entre services administratifs.
Il n'empêche que si l'on devait ne tenir compte que du seul aspect
politique, on s'exposerait à faire des projets publics de développement des
instruments de maintien du statu quo et non des moyens de réduire les disparités.
A une finalité politique à court terme doit répondre une finalité économique
supérieure.
Donc, la consultation s'impose. Plus elle sera directe et claire, plus elle
permettra une analyse exacte des besoins sur lesquels reposeront des projets
techniquement viables et compatibles avec les réalités et les contraintes locales.
Le contact avec les administrés doit au demeurant se poursuivre tout au
long de la vie du projet pour épauler celui-ci. Ses objectifs doivent être
expliqués et rappelés, ses résultats publiés, ses succès ou ses échecs commentés.
Sans effort d'information, l'exécution des ppd peut à tout moment être remise
en cause, mais il faut encore — ultime condition — que ces actions
d'information soient pertinentes par rapport aux motivations du public : le fait
de lancer et de promouvoir un projet d'adduction d'eau, de construction de

2. Les exemples abondent de projets lancés en milieu rural sans aucune préparation*
L'irruption d'institutions nouvelles (le puits moderne, l'école, le dispensaire) provoque alors
soit l'acceptation passive, soit après une période d'attente, le retour aux solutions
traditionnelles. Dans les deux cas, le projet meurt faute de participation (construction, entretien,
utilisation).
6l6 RÉMI HUPPERT

dispensaires et d'éducation sanitaire n'aboutira que si l'accent est mis non


pas sur « l'amélioration de la santé », mais sur les conséquences économiques
qui peuvent en découler pour les administrés (meilleure productivité, gains de
temps, loisirs nouveaux).

Les dysfonctionnements administratifs


1. Pour comprendre la difficulté du management des projets, il faut
noter une première anomalie au stade de leur mise au point. Négociées par
des autorités de représentation ou de coordination (ministère des Affaires
étrangères, du Plan, de la Coopération), les actions de développement ne font
pas l'objet d'une action de sensibilisation suffisante auprès des autorités de
gestion. Faut-il dès lors s'étonner que celles-ci « ne réagissent pas » ou « ne
soient pas motivées » ?
Un management correct des projets publics repose avant tout sur la
discussion entre toutes les parties concernées de la trilogie « objectifs - moyens -
contrôle » formant le corps de la programmation; le consensus des organismes
représentatifs (syndicats professionnels et ouvriers; groupements de
producteurs) ou des entreprises destinées à jouer un rôle clef dans l'exécution du
programme d'assistance doit être recueilli à l'évidence avant la définition du
programme.
2. Il est rare que le découpage administratif en vigueur dans la plupart
des pvd soit conforme aux impératifs logistiques liés à l'exécution des projets.
En réalité, les projets peuvent s'analyser comme une série d'opérations
simultanées ou successives nécessitant des prestations d'origines variées. Or, entre
services administratifs utilisateurs et fournisseurs (exemple : le ministère de
l'Education et les Services de Construction), l'absence de communication
est fréquente : on assiste à un « dialogue » marqué par des préoccupations de
procédure plus qu'à une collaboration orientée vers la poursuite d'objectifs
communs. La plupart des départements ministériels dépendent pour mener à
bien leurs activités des services fournis par trois catégories d'agents de l'Etat :
les financiers3, les bâtisseurs et les formateurs. Les uns et les autres ignorent
généralement tout du cadre général des projets dans lesquels ils se trouvent
brutalement impliqués4, d'où les malentendus et les retards.
Les délais d'approvisionnement des comptes budgétaires, la lenteur du
rythme d'ordonnancement des dépenses, les tracasseries des contrôleurs
financiers et des trésoriers résultent autant de causes internes (encombrement,
pénurie d'effectifs entraînés) que d'une absence de sélectivité en ce qui concerne
le degré d'urgence des projets.
A cet égard, il serait souhaitable — la remarque vaut pour les
services financiers et pour ceux responsables de la construction et des travaux
publics — que les objectifs prioritaires soient assortis de moyens financiers
et humains alloués en priorité. Les solutions existent : utilisation de procédures
extra-budgétaires, circuits d'ordonnancement simplifiés, déblocage des dossiers
au moyen d'une grille de priorité, préalablement reconnue et diffusée.
Ce n'est pas un hasard si les administrations saturées doivent sous-traiter

3. Services d'ordonnancement, de contrôle et d'engagement des dépenses.


4. Des services logistiques se trouvent saisis par divers utilisateurs sans en avoir été
prévenus par leur propre hiérarchie; d'où des réactions conflictuelles dans certains cas.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 6lJ

de nombreuses activités de conception et de gestion auprès des fournisseurs


de technologie (bureaux d'études, consultants, architectes) qui absorbent,
en frais d'établissement, une part souvent excessive des crédits.
3. La privatisation de la gestion des projets par recours à divers cabinets
spécialisés correspond certes à un impératif d'efficacité à court terme,
s'agissant de projets mettant en œuvre des technologies avancées, pour
lesquelles le recours à la sous-traitance est effectivement indispensable. Dans
les autres cas, il serait préférable de réaliser un effort considérable de
formation — effort qui pourrait d'ailleurs offrir matière à intervention de
spécialistes étrangers — de managers publics et de fonctionnaires-techniciens
avant de songer au lancement de projets à management et à procédés
techniques complexes. L'utilisation des ressources se rapprocherait dès lors
d'un optimum et la décision — coûteuse — du « faire ou faire faire » serait
prise en fonction de critères techniques ou de division du travail plutôt qu'en
raison de l'inaptitude des administrations à faire face à leurs responsabilités.
Le renforcement des administrations des pvd par des managers-techniciens
implique donc un effort spécifique de la part du système éducatif, étant entendu
qu'un tel effort ne peut porter de fruits que s'il s'exerce dans un contexte
global de simplification et d'assouplissement des circuits et des procédures,
et d'amélioration de la diffusion de l'information.
4. Une autre source de mauvais fonctionnement a trait à une
interprétation trop ambitieuse de la notion de coordination. La coordination
interservices suppose d'abord l'existence d'initiatives et de prises de responsabilités
au sein des services à contrôler. Une telle évidence mérite bien d'être rappelée :
le management des ppd doit consister en des poussées éventuellement dispersées
dans un premier temps. Les organes de coordination (comités de coordination,
cellules interministérielles de gestion, conseils nationaux spécialisés, ministères
du Plan, etc.) sont trop souvent perçus comme la source unique des initiatives,
pour que l'attention ne soit pas attirée sur ce fait.
On pense à tel comité national de la nutrition ayant défini en la matière
une politique théoriquement juste mais si ambitieuse que les représentants des
ministères psychologiquement écrasés pour ainsi dire par de pareils
déploiements scientifiques, n'osent plus agir dans des domaines qui leur sont pourtant
familiers puisqu'il leur faut désormais l'assentiment des nutritionnistes sur le
contenu de la production agricole et de l'enseignement, le consentement des
pédagogues et des agronomes pour l'introduction de thèmes nutritionnels
dans l'enseignement, l'acquiescement des agronomes et des enseignants pour
donner suite aux vœux des médecins, bref une liaison entre services d'extension
agricole, sanitaire et éducatif qui dans la pratique est tellement absorbante
qu'elle risque de mettre en péril tout en ensemble d'initiatives particulières.
On songe aussi à telle cellule de gestion d'un ensemble de projets de
formation impliquant l'intervention de plusieurs ministères bénéficiaires, qui
— mal informés au départ — ont refusé de prendre des initiatives et, sans
engager leurs responsabilités d'utilisateurs, se sont limités à enregistrer les
étapes parcourues dans la réalisation des projets, censés leur être livrés « clés
en main ».
En fait la coordination n'est en rien une panacée, même si elle se pratique à
un niveau hiérarchique élevé. Elle ne devrait être que la contrepartie de la
décentralisation. Et l'on imaginerait à tort que celle-ci s'inscrit d'elle-même
dans les faits.
TM 22
6l8 RÉMI HUPPERT

Hiérarchie et délégation
5. Au risque de demeurer des entités abstraites composées d'objectifs,
de budgets et de calendriers fictifs, les ppd doivent prendre en compte un
ensemble de réalités organisationnelles, au premier rang desquelles le couple
hiérarchie-délégation.
L'absence de délégation d'autorité à des échelons administratifs pourtant
assujettis à des responsabilités considérables constitue une entrave réelle au
développement de la programmation et du management des projets. Ceci
se vérifie au sein des organismes d'aide multilatérale dans la relation « siège-
terrain », les fonctionnaires des sièges ayant une propension à faire passer
leur mission de service après les contrôles rigides et à dissocier autorité
(du siège) et responsabilité (du terrain).
Par mimétisme ou par tradition, ceci se constate aussi dans les services
publics des pvd dans lesquels tendent par ailleurs à se reproduire les normes
d'autorité environnantes : la propension traditionnellement élevée à l'élitisme et
la pénurie d'encadrement moyen ne facilitent évidemment pas l'adoption de
modèles organisationnels nouveaux.
Dans l'immédiat, il existe un corollaire à cette situation : les ppd prévoient
des descriptions de postes de gestion généralement cohérentes sur le plan
technique mais elles négligent le fait que les individus auxquels elles
s'appliquent n'ont pas les moyens de telles responsabilités, qu'ils les refusent moins
pour des raisons liées à leur compétence qu'en raison des bouleversements
qu'elles introduisent dans l'échelle administrative.
Autre conséquence : les centres théoriques de responsabilités en matière
de gestion sont tout aussi fictifs au plan budgétaire, l'engagement des dépenses
étant dans la pratique réservé à un tout petit nombre de fonctionnaires par
ministère. La notion de centres de coûts gagnerait à être utilisée au niveau des
directions et des services. Il est vrai que Ta mise en place de tels systèmes
nécessiterait des moyens comptables supplémentaires.

II. — La fonction approvisionnement


Un domaine peu étudié et politiquement « sensible ». — La passation des marchés
pour la fourniture d'équipements de services ainsi que pour l'exécution de
travaux constitue l'une des fonctions centrales de la gestion des projets publics.
C'est, curieusement, un domaine en friche sur lequel peu d'administrateurs
et d'économistes ont eu le souci de réfléchir, alors que la décision de savoir
si les marchés seront passés localement ou par appel à la concurrence régionale
ou internationale conditionne non seulement les flux financiers relatifs à
l'aide6, mais peut affecter dans une très large mesure, par les effets induits
des projets, le développement général du pays.

5. Selon M. John A. King, auteur d'un article intitulé : Procurement Under World
Bank Projects in Revue Finance et Développement, juin 1975, 18,77 milliards de dollars ont été
consacrés, dans le cadre de projets financés par la Banque mondiale entre 1946 et 1974, à
l'achat de biens et services. En 1974, 43,1 % de l'assistance de cette institution dans le domaine
des travaux, biens et services (contre 55,6 % dix ans plus tôt) sont « retournés » vers quatre
pays fournisseurs principaux (Allemagne fédérale, Japon, Etats-Unis, Grande-Bretagne);
20,3 % supplémentaires revenant à un groupe de neuf pays développés dont la France.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 619

Le problème mérite d'autant plus d'être posé que les projets de


développement ont progressivement évolué de l'infrastructure lourde (routes, ports,
énergie) et de l'industrie vers l'ensemble des secteurs; notamment sous
l'impulsion de M. McNamara, président de la Banque mondiale de 1968 à 1980
vers le secteur rural et vers les investissements dits sociaux (santé publique,
éducation, nutrition, adduction d'eau dans les villages), domaines dans lesquels
on peut faire appel relativement plus aisément à des technologies simples et à
des productions locales. Encore qu'il faille se garder de vues simplistes du
genre « Créons des écoles ou des périmètres irrigués sans rien importer »,
qui dénotent parfois une ignorance certaine des capacités technologiques du
pays disponible à l'époque de la conception du projet, on doit, quand cela
est possible, utiliser les ressources existant sur les marchés locaux.
A cet égard, la Banque mondiale a édicté en faveur des pays à faibles revenus
des règles simples, accordant dès 1962 une préférence de 15 % (au-dessus
des prix mondiaux comparables) aux producteurs nationaux et une préférence
de 7>5 % en X974 pour les marchés de construction, toutes choses égales
d'ailleurs, c'est-à-dire sous réserve que la prestation s'effectuera dans des
délais et selon des normes de qualités et d'efficacité comparables aux normes
internationales.
Notons qu'une telle pratique est loin d'être générale et que cette « entorse
bénéfique » au principe de la libre concurrence internationale trouve son
contrepoids, et au-delà, dans le maintien des aides bilatérales « liées » et les
règlements d'autres organismes internationaux qui découragent dans la
pratique le recours à des productions locales. Ainsi, la fonction «
Approvisionnement » du Fonds des Nations Unies pour l'Enfance demeure centralisée de
même que toutes les fonctions annexes (vérification des spécifications, stockage,
emballages, expédition) et une grande inertie répond encore aux efforts de
ceux qui souhaiteraient favoriser la décentralisation et la diversification des
approvisionnements.
Il reste que les importations de biens et services sont souvent
indispensables à l'exécution des projets de développement compte tenu de la nécessité
technique des transferts et de l'impossibilité dans laquelle se trouvent les
prestataires locaux de répondre à certaines demandes suscitées par les projets.
L'appel à la concurrence internationale n'est cependant pas sans risque et la
responsabilité des emprunteurs ou receveurs d'aide à cet égard doit être bien
comprise.
D'abord parce qu'il leur incombe de définir les caractéristiques et les
modalités des appels d'offres en tenant compte des règlements nationaux
applicables à la passation des marchés publics.
Ensuite parce que les adjudications, si elles peuvent faire l'objet d'un droit
de regard et de suggestions de la part des donateurs et prêteurs, sont
généralement décidées par les utilisateurs d'aide en fonction de critères (prix,
rapidité, performance des matériels, existence de services d'entretien, conformité
avec le cahier des charges) qu'il s'agit de définir et de publier s'ils ne le sont
pas déjà.
Une telle responsabilité peut dépasser les compétences de nombre
d'administrations qui doivent très souvent faire appel à des consultants spécialisés
en prenant soin de s'assurer de leur indépendance vis-à-vis de toute pression
extérieure.
L'utilisation des consultants pour la définition des équipements ou l'éta-
6ZO RÉMI HUPPERT

blissement d'études architecturales et de génie civil n'est cependant pas, en


soi, une panacée. Ces techniciens ont parfois tendance à recommander des
techniques trop « lourdes en capitaux », des matériels et équipements trop
onéreux, trop sophistiqués ou trop difficiles à entretenir.
La fonction entretien oubliée. — L'entretien constitue en effet un aspect très
important de la gestion des projets. Il soulève des problèmes logistiques
considérables dans le cas de projets dispersés par nature (petites unités de production,
puits, parcs de véhicules ou de machines, matériel médical pour centres
ruraux...), tant au niveau de la prévention et du diagnostic des pannes que sur
le plan du maintien d'un stock minimal de pièces de rechange, de la commande
des pièces non gardées en stock et de l'éclatement du stock en direction des
utilisateurs. Le problème de l'entretien ne peut se résoudre qu'au niveau
le plus élevé (ministères de tutelle, ministères du Plan ou de la Coopération),
le projet étant généralement une entité trop étroite pour justifier à elle seule,
par exemple, la création et le fonctionnement d'ateliers d'entretien de véhicules,
de supervision. Des progrès sont déjà enregistrés en ce domaine et ont permis
une amorce de standardisation des équipements et des véhicules dans certains
pays. Mais beaucoup reste à faire pour développer la fonction entretien dans
la gestion des projets et la prendre en compte au moment même du choix des
équipements pour éviter notamment la dispersion excessive des modèles.
Par ailleurs les consultants n'examinent pas toujours d'assez près les
possibilités et potentialités locales pour les comparer avec ce qui est offert sur les
marchés internationaux8. Ils omettent enfin parfois de vérifier si les
technologies qu'ils préconisent sont transposables, si elles ne seront pas à terme
génératrices de sous- emploi, si leur mise en œuvre généralisée est compatible
avec les moyens humains et financiers disponibles dans le pays.
Préconisations et pratiques. — En revanche, il arrive fréquemment que des
consultants nationaux ou étrangers aient à aller à contre-courant : les autorités
nationales de tutelle, soucieuses d'éviter de sortir des sentiers battus, peuvent
au moment de l'adjudication, être sensibles à des arguments de prestige et de
sécurité (notoriété et références de telle ou telle marque) plutôt que de donner
leur chance à de nouveaux venus, pourtant compétitifs. Les recommandations
des consultants, même parfaitement neutres et indépendants, peuvent être
perçues comme des manifestations d'ingérence et délaissées au profit de
considérations politiques ; le phénomène semble survenir surtout lorsque les tuteurs
du projet n'ont aucun moyen d'établir des propositions allant valablement à
l'encontre des travaux d'expertise et préfèrent trancher arbitrairement pour
rappeler leur souveraineté sur le projet.
La fonction approvisionnement dans les projets de développement se
situe à la fois au cœur du projet — venant après la conception et avant
l'utilisation — et à l'extérieur de celui-ci puisqu'elle suppose des décisions prises
en fonction d'une série de critères plus ou moins « sensibles » par des autorités
souvent placées au plus haut niveau : ministres, Commission des Marchés
de l'Etat ou équivalent.
C'est typiquement une fonction de gestion interne puisque le plus souvent

6. L'on peut avoir intérêt à favoriser la production locale de fournitures scolaires simples
(cahiers, livres) plutôt que de les importer.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 62 1

les bailleurs de fonds évitent particulièrement de se substituer dans ce domaine


aux autorités nationales7, sauf bien entendu, le cas d'aides en nature. C'est
enfin une activité complexe combinant des aspects juridiques, financiers,
logistiques et qui doit aussi tenir compte de l'environnement administratif
et douanier des projets. A cet égard, les gestionnaires de projets, comme les
investisseurs directs8 doivent prendre en compte très à l'avance les contraintes
douanières et ne pas faire l'impasse sur le sujet en supposant a priori que le
principe de l'exonération douanière octroyé en général aux fournitures,
matériaux et services liés aux projets publics de développement est appliqué
systématiquement, sans heurts et sans litiges.

III. — Les aspects financiers de la gestion


lues raisons de la méconnaissance des outils. — Les projets de développement
doivent traduire en termes monétaires les objectifs retenus et les moyens
disponibles. La relation étroite entre choix des objectifs, choix et coût des
moyens devrait, d'ailleurs, être au cœur de la programmation de développement :
la pénurie des ressources impose, pour atteindre un objectif économique ou
social, le choix de la solution la moins coûteuse. Inversement, on devrait
s'efforcer de dégager les plus grands avantages possibles d'une allocation
donnée. Il est aussi dangereux de fixer des objectifs trop coûteux que d'allouer
des ressources sans objectifs précis et adaptés aux contextes nationaux et
locaux.
Or, on peut s'étonner de constater, dans la pratique, une relative carence
en matière de gestion financière des projets publics, y compris ceux que
financent les institutions internationales. Un faisceau de raisons et de contraintes
peut expliquer cet état de fait : toutes ne pèsent pas d'un poids égal.
— Pour certains, la formation financière des gestionnaires, nationaux ou
étrangers, serait insuffisante. L'argument n'est pas systématiquement valable.
Nombre de fonctionnaires ou de consultants sont convenablement formés aux
techniques quantitatives de gestion. Encore leur faut-il pouvoir convaincre
leur entourage de la légitimité de celles-ci, c'est-à-dire de leur efficacité. Encore
faudrait-il aussi que les procédures modernes soient insérées officiellement — au
besoin par voie réglementaire dans la description des tâches des responsables.
— Pour d'autres, les techniques de gestion, issues pour une large part du
management privé, ne seraient pas transposables dans le domaine public;
nous montrons par quelques exemples qu'une telle objection n'est pas conforme
aux résultats obtenus à titre expérimental dans le cadre de certains projets.
— Le troisième argument paraît le plus pénétrant. Il repose sur le manque
d'intérêt pour ce qui est généralement considéré comme la partie la moins
spectaculaire, la moins valorisante d'un projet public de développement. Si l'on
peut généralement admettre qu'un très grand nombre de projets publics,

7. Cf. Le cycle des projets de la Banque mondiale, Finances et Développement, décembre 1978 :
« II est parfois très difficile de déterminer lequel des divers fournisseurs internationaux a
soumis l'offre la plus avantageuse pour un contrat portant sur plusieurs millions de dollars...
la Banque se contente (c'est nous qui soulignons) de s'assurer que le travail de l'emprunteur a
été effectué correctement et que les directives ont été suivies... »
8. Cf. Gestion financière internationale de H. de Bodinat et J. Klein, Dunod, t. I, p. 154.
6lZ REMI HUPPERT

notamment la quasi-totalité de ceux qui donnent lieu à des financements


extérieurs, sont convenablement et même scrupuleusement préparés et négociés
sur le papier, la réalisation et la supervision financières ne font l'objet, en
dehors, bien entendu, des procédures comptables de décaissement des prêts,
d'aucune procédure écrite sur le financement global, les budgets de
fonctionnements et la trésorerie des projets.
A partir de ce constat, il est possible de proposer, en les esquissant, quelques
techniques susceptibles, selon notre propre expérience, d'améliorer
notablement l'efficacité de la gestion financière des projets publics dans les pvd :
le plan de financement consolidé; le budget de projet; les budgets de
fonctionnement et de trésorerie du projet.
i° Lep/afi de financement consolidé. — Rares sont les programmes ou groupes
de projets possédant un plan de financement consolidé. Un tel plan est
pourtant une nécessité, dès l'instant où il existe plusieurs sources de financement :
projets combinant les ressources de plusieurs agences des Nations Unies,
projets dits « multi-bi » faisant intervenir des ressources d'origine multilatérale
et bilatérale, projets intégrant un apport extérieur et une contrepartie nationale,
régionale ou locale, etc.
On peut imaginer le montage financier suivant (en francs actualisés) :

Année i Année 2 Année 3 Année 4 Total

A. Besoins
i. Assistance technique 55000 10 000 55 000 55 000 175 000
2. Investissements 75000 25 000 100 000
Total 55 000 85 000 80 000 55000 275 000
B. Ressources
— Financement Nations Unies 45 000 30 000 30 000 35 000 140 000
— Aide bilatérale 10 000 20000 30 000
— Contrepartie nationale 45 000 20000 20000 85 000
— Apport collectivités locales 10 000 10 000 20000
Total 55000 85 000 80 000 55 000 275 000

On notera que le plan donné en exemple est établi en équilibre, ce qui est
loin de correspondre toujours à la réalité, nombre de projets étant lancés sans
que la totalité de leur financement soit assurée, soit en raison du défaut de
contrepartie nationale (auquel il faudra parer par la suite en recherchant des
ressources de complément), soit à cause du mandat de certains organismes
d'aide qui leur fait interdiction de prendre en charge la totalité d'un projet
n'entrant pas entièrement dans leur champ de compétence. A cet égard, si la
Banque mondiale peut financer à peu près tous les projets présentant une
rentabilité économique ou sociale minimale, Punicef ne peut par exemple
contribuer, au sein d'un projet hospitalier, qu'au financement des sections de
gynécologie et de pédiatrie ; pour sa part, le pnud (Programme des Nations Unies
pour le Développement) est plus spécialisé dans l'assistance technique que
dans la fourniture d'équipements, etc.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 623

Enfin, on pourra établir des plans de financement consolidés faisant


apparaître le détail de l'investissement (infrastructure, bâtiments, matériel,
fonds de roulement), les dépenses dites de récupération du capital
(amortissement, amortissement des frais d'établissement) et de rendement du capital
(impôts, intérêts) avec, en contrepartie, les bénéfices réinvestis venant s'ajouter
aux autres sources de financement, ceci dans le cas de projets donnant lieu à
des recettes et sur lesquels il y a lieu de prévoir un service de la dette.
Uactualisation absente. — La plupart des plans de financement consolidés
ne présentent pas besoins et ressources en valeur actuelle, ce qui conduit à
surévaluer les ressources présentes et à sous-évaluer les dépenses futures.
Le simple examen d'une table d'actualisation permet de rappeler qu'une
recette immédiate de 1 F équivaut à une rentrée de 62 centimes, au taux
d'actualisation de 10 %, dans cinq ans. Inversement, un débours actuel de 1 F
est comparable, dans les mêmes conditions d'actualisation, à un débours
de 1,62 F dans cinq ans. La prise en compte de l'actualisation est une nécessité
évidente si l'on souhaite se prémunir contre des constatations selon lesquelles
« le temps ayant passé » ou « le financement promis s'étant fait attendre »,
on n'a plus les moyens... de ses objectifs.
20 Les budgets de projets. — Ces budgets, plus détaillés que le plan de
financement, transcrivent en termes monétaires toutes les composantes de chaque
projet rattaché à un programme : frais d'études, poste dans lequel sont à
regrouper tous les coûts antérieurs au démarrage effectif du projet (honoraires
de consultants, d'architectes, de conseillers en équipements, missions d'appui),
constructions, équipements, assistance technique, bourses de formation.
Il peut être illustré ainsi :

Total Année i Année 2 Année 3 Année 4

Prévu
1. Frais d'études 50 000 50000
2. Constructions et équipements IOO OOO 75000 25 000
3. Assistance technique et gestion 80000 5 000 IO OOO 30000 35 000
4. Formation 45 000 25 000 20000
5. Total 275 000 55 000 85 000 80000 55000
Réalisé
1. Frais d'étude 40 000 40000
2. Constructions et équipements 120 000 80000 30000 IOOOO
3. Assistance technique et gestion 85 000 IO OOO 30 000 45 000
4. Formation 35 000 25 000 IOOOO
5. Total 280 000 40000 90 000 85 000 65 000
Ecarts
1. — 10 000 ÏOOOO
2. + 20 000 + 5 000 -+■ 5 000 + 10 000
3- + 5 000 — 5 000 0 0 -f- IO OOO
4- IO OOO 0 IOOOO
5- + 5 000 — 15 000 + 5 000 + 5 000 + IO OOO
624 RÉMI HUPPERT

Le budget de projet retrace de façon exhaustive et plus détaillée que le plan


de financement l'ensemble des coûts d'un projet spécifique. Il permet :
1. Une quantification des objectifs terminaux (par exemple : réduire la
mortalité infantile) et intermédiaires (développer un réseau de Protection
maternelle et infantile);
2. De chiffrer, d'expliquer et de corriger les écarts entre coûts prévisionnels
et effectifs, année par année;
3. D'évaluer le degré de pertinence du projet par l'analyse coûts-bénéfices
ex post.

Avec les budgets de fonctionnement et de trésorerie, on cerne de plus près


encore la réalité quotidienne de la gestion des projets publics dans les pvd.

30 he budget de fonctionne ment du projet. — Ce budget comprend deux groupes


de coûts distincts (mais souvent mal dissociés dans la pratique) :
a) Le premier fait partie intégrante du budget de projet décrit plus haut,
dont il forme une sous-partie. Il regroupe les coûts de lancement du projet,
autres que les frais d'études techniques, rendus nécessaires pour
l'établissement d'une cellule de gestion responsable du lancement du projet et formant
l'une des rubriques du poste « assistance technique » du budget de projet :
salaires et frais d'installation des administrateurs de projets, des services
comptables et d'approvisionnement, coûts de secrétariat, frais directs de
gestion préalablement au lancement du projet.
b) Le second groupe de coûts englobe les coûts de gestion, fixes ou
proportionnels, du projet une fois lancé : amortissements, salaires, petits équipements
renouvelables, eau, énergie, transports, entretien, supervision; ces coûts,
initialement supportés par le budget de projet, doivent être rapidement mis à la
charge de l'autorité de tutelle, ce qui dans la pratique ne va pas sans soulever
malentendus et controverses, à moins d'un accord préalable passé entre les
intervenants financiers et l'autorité de tutelle bénéficiaire. Par exemple,
nombreux sont les projets sur prêts où l'on n'impose pas le service de l'intérêt au
projet lui-même mais au service de la Dette publique, ce qui ne permet pas
toujours une appréciation très objective de leur rentabilité interne9.
Le contrôle du budget de fonctionnement peut s'effectuer par référence
à des standards nationaux (rarement) ou internationaux (plus couramment).
Ainsi, les coûts administratifs des projets de I'unicef (Fonds des Nations Unies
pour l'Enfance) atteignent, en moyenne annuelle, 8 % du budget des
programmes.
Les budgets de fonctionnement, souvent négligés dans la préparation des

9. Dans le cas de projets donnant lieu à des recettes, le budget de fonctionnement prend
la forme d'un compte d'exploitation prévisionnel, prenant en compte diverses hypothèses
de recettes selon les niveaux des tarifs du prix de vente décidés, les aspects fiscaux et la
rentabilité interne. Dans la pratique, le bénéfice d'exploitation actualisé ou le taux de rentabilité
interne restent des critères peu utilisés ex post pour évaluer le projet et ses coûts de
fonctionnement. La rentabilité reste encore, largement, un critère de décision a priori plus qu'un
objectif dont on s'assure après coup qu'il est atteint.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 625

projets, sont parfois très élevés (surtout s'ils ne donnent pas lieu à recettes :
cas des hôpitaux, des établissements d'enseignement, des infrastructures
routières ou portuaires). Dans tel pays en voie de développement, il a été
établi que la dépense annuelle de fonctionnement par élève de l'enseignement
primaire était 1,7 fois plus élevée que le coût de création d'une place dans
cet enseignement.
40 Le budget de trésorerie du projet. — Certains projets publics — même
complexes — ne possèdent pour tout outil comptable qu'un livre de caisse
dans lequel sont consignées des dépenses n'ayant rien à voir entre elles. Les
plans de financement consolidés et les budgets prévisionnels de projets sont
inexistants et les budgets de fonctionnement imprécis.
D'autres projets sont dotés d'une comptabilité plus élaborée, telle que
celle qui a été décrite succinctement jusqu'ici. Toutefois celle-ci constitue
rarement un instrument de gestion quotidienne permettant d'abord de situer
l'origine des écarts entre prévisions et réalisations mais surtout de définir
le rythme intra-annuel des dépenses, cette dernière lacune interdisant par
conséquent des prévisions rigoureuses de trésorerie, donc de décaissement ou
d'ordonnancement des fonds. On touche là l'une des grandes faiblesses de la
gestion des projets publics de développement.
Prenons l'exemple simple d'un projet de recyclage des maîtres dans
l'enseignement technique et établissons un budget annuel de trésorerie relatif à cette
activité qui inclut le renforcement des moyens matériels mis à la disposition
du personnel recyclé.

i« 2e 3e 4e
mestre mestre mestre mestre Totaux

I. Mise au point des nouveaux


programmes (conception et
réalisation) 20000 20000 40 000
2. Frais d'organisation des
stages (transports,
ment, heures
taires) 30 000 30000
3- Subventions 5 000 5 000 10 000
4- Equipements (destinés à
survivre au projet) 25 000 2$ 000
5- Matériel de fonctionnement 5 000 5 000 10 000
6. Frais de supervision 2 500 2 500 5 000
Totaux 20000 75 000 12 500 12 500 120000

Ce projet présente logiquement une « période de pointe » pendant laquelle


il faut simultanément achever la mise au point des programmes (édition des
documents pédagogiques), organiser les stages de recyclage et procéder aux
б2б REMI HUPPERT

achats de matériels devant permettre la mise en place du programme rénové.


Si l'attribution des fonds au projet s'effectue d'une manière étale10, sans
préoccupation de trésorerie, on aboutit à la situation suivante :

Ier 2e 3e 4e
trimestre trimestre trimestre trimestre Totaux

I. Décaissements 20 000 75 ooo 12 500 12 500 120 000


II. Encaissements 30 000 30 000 30 000 30000 120 000
Ш. Mouvements +10 000 — 45 000 + 1750° + 17500 0
IV. Position trésorerie +10 000 — 35000 — 17 500 0

Graphiquement, la situation peut se représenter de la manière suivante

Situation de trésorerie
exemple de décalage
entre encaissements
et décaissements

Trimestre

—40

L'exemple permet de saisir comment des projets, convenablement financés


globalement, accumulent en fait — très fréquemment — des retards importants
par défaut de trésorerie, étant entendu :
1. Que des positions de trésorerie négatives ne peuvent que rarement faire
l'objet comme pour les entreprises de « relais » bancaires traditionnels;
z. Que la plupart des dépenses ne sont pas effectuées auprès de fournisseurs,
lesquels peuvent retarder leurs encaissements, mais auprès d'agents de
l'Etat qui n'exécutent les prestations qu'en fonction d'un paiement
immédiat, faute de moyens propres.

Ainsi les divers budgets définis et illustrés plus haut sont autant d'outils,
trop souvent ignorés, susceptibles de promouvoir la gestion de projets publics.

10. Par ordonnancement de la Direction du Trésor ou d'organismes extérieurs.


LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 627

Aux partisans du pragmatisme, nombreux parmi les gestionnaires de projets,


on peut faire remarquer que ce qu'ils préconisent n'est nullement
incompatible — au contraire — avec la gestion prévisionnelle. Il suffit pour s'en
convaincre de regarder vivre certaines entreprises et de constater que les
budgets prévisionnels n'y sont pas des constructions théoriques mais des
outils au service de l'action.
En définitive, le succès des projets publics de développement suppose
l'existence de trois facteurs d'égale importance : la solution des
dysfonctionnements bureaucratiques, l'habileté des managers à maîtriser la fonction
d'approvisionnement et la mise en place d'un dispositif plus rigoureux de gestion
financière. Aucun des trois ne peut être considéré comme accessoire par rapport
aux deux autres.

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