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Huppert Rémi. La gestion des projets publics dans les pays en voie de développement. In: Tiers-Monde, tome 22, n°87,
1981. pp. 613-627;
doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1981.4050
https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1981_num_22_87_4050
Trop souvent les projets publics de développement sont mal dirigés et mal
gérés. Des sommes importantes sont chaque année gaspillées en frais généraux
avant même que les activités envisagées n'aient franchi le seuil opérationnel.
Des retards surviennent partout, laminant le pouvoir d'achat des crédits
ou des subventions mis à la disposition des gouvernements et contraignant
ceux-ci à réévaluer en baisse leurs objectifs. La médiocrité du management
des grands projets dans nombre de pays en voie de développement est, à
proprement parler, un drame. Les administrés, sauf dans le cas d'opérations
pilotes très ponctuelles, ressentent trop rarement les effets de projets annoncés
à son de trompe mais mal exécutés.
L'objet de l'article est triple : décrire les difficultés organisationnelles
qui surgissent lors de la mise en place des projets; attirer l'attention sur la
faiblesse de la fonction approvisionnement, qui concerne directement les
exportateurs des pays développés; suggérer des solutions financières
permettant de rationaliser la gestion financière des projets publics dans les pvd.
* *
2. Les exemples abondent de projets lancés en milieu rural sans aucune préparation*
L'irruption d'institutions nouvelles (le puits moderne, l'école, le dispensaire) provoque alors
soit l'acceptation passive, soit après une période d'attente, le retour aux solutions
traditionnelles. Dans les deux cas, le projet meurt faute de participation (construction, entretien,
utilisation).
6l6 RÉMI HUPPERT
Hiérarchie et délégation
5. Au risque de demeurer des entités abstraites composées d'objectifs,
de budgets et de calendriers fictifs, les ppd doivent prendre en compte un
ensemble de réalités organisationnelles, au premier rang desquelles le couple
hiérarchie-délégation.
L'absence de délégation d'autorité à des échelons administratifs pourtant
assujettis à des responsabilités considérables constitue une entrave réelle au
développement de la programmation et du management des projets. Ceci
se vérifie au sein des organismes d'aide multilatérale dans la relation « siège-
terrain », les fonctionnaires des sièges ayant une propension à faire passer
leur mission de service après les contrôles rigides et à dissocier autorité
(du siège) et responsabilité (du terrain).
Par mimétisme ou par tradition, ceci se constate aussi dans les services
publics des pvd dans lesquels tendent par ailleurs à se reproduire les normes
d'autorité environnantes : la propension traditionnellement élevée à l'élitisme et
la pénurie d'encadrement moyen ne facilitent évidemment pas l'adoption de
modèles organisationnels nouveaux.
Dans l'immédiat, il existe un corollaire à cette situation : les ppd prévoient
des descriptions de postes de gestion généralement cohérentes sur le plan
technique mais elles négligent le fait que les individus auxquels elles
s'appliquent n'ont pas les moyens de telles responsabilités, qu'ils les refusent moins
pour des raisons liées à leur compétence qu'en raison des bouleversements
qu'elles introduisent dans l'échelle administrative.
Autre conséquence : les centres théoriques de responsabilités en matière
de gestion sont tout aussi fictifs au plan budgétaire, l'engagement des dépenses
étant dans la pratique réservé à un tout petit nombre de fonctionnaires par
ministère. La notion de centres de coûts gagnerait à être utilisée au niveau des
directions et des services. Il est vrai que Ta mise en place de tels systèmes
nécessiterait des moyens comptables supplémentaires.
5. Selon M. John A. King, auteur d'un article intitulé : Procurement Under World
Bank Projects in Revue Finance et Développement, juin 1975, 18,77 milliards de dollars ont été
consacrés, dans le cadre de projets financés par la Banque mondiale entre 1946 et 1974, à
l'achat de biens et services. En 1974, 43,1 % de l'assistance de cette institution dans le domaine
des travaux, biens et services (contre 55,6 % dix ans plus tôt) sont « retournés » vers quatre
pays fournisseurs principaux (Allemagne fédérale, Japon, Etats-Unis, Grande-Bretagne);
20,3 % supplémentaires revenant à un groupe de neuf pays développés dont la France.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 619
6. L'on peut avoir intérêt à favoriser la production locale de fournitures scolaires simples
(cahiers, livres) plutôt que de les importer.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 62 1
7. Cf. Le cycle des projets de la Banque mondiale, Finances et Développement, décembre 1978 :
« II est parfois très difficile de déterminer lequel des divers fournisseurs internationaux a
soumis l'offre la plus avantageuse pour un contrat portant sur plusieurs millions de dollars...
la Banque se contente (c'est nous qui soulignons) de s'assurer que le travail de l'emprunteur a
été effectué correctement et que les directives ont été suivies... »
8. Cf. Gestion financière internationale de H. de Bodinat et J. Klein, Dunod, t. I, p. 154.
6lZ REMI HUPPERT
A. Besoins
i. Assistance technique 55000 10 000 55 000 55 000 175 000
2. Investissements 75000 25 000 100 000
Total 55 000 85 000 80 000 55000 275 000
B. Ressources
— Financement Nations Unies 45 000 30 000 30 000 35 000 140 000
— Aide bilatérale 10 000 20000 30 000
— Contrepartie nationale 45 000 20000 20000 85 000
— Apport collectivités locales 10 000 10 000 20000
Total 55000 85 000 80 000 55 000 275 000
On notera que le plan donné en exemple est établi en équilibre, ce qui est
loin de correspondre toujours à la réalité, nombre de projets étant lancés sans
que la totalité de leur financement soit assurée, soit en raison du défaut de
contrepartie nationale (auquel il faudra parer par la suite en recherchant des
ressources de complément), soit à cause du mandat de certains organismes
d'aide qui leur fait interdiction de prendre en charge la totalité d'un projet
n'entrant pas entièrement dans leur champ de compétence. A cet égard, si la
Banque mondiale peut financer à peu près tous les projets présentant une
rentabilité économique ou sociale minimale, Punicef ne peut par exemple
contribuer, au sein d'un projet hospitalier, qu'au financement des sections de
gynécologie et de pédiatrie ; pour sa part, le pnud (Programme des Nations Unies
pour le Développement) est plus spécialisé dans l'assistance technique que
dans la fourniture d'équipements, etc.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 623
Prévu
1. Frais d'études 50 000 50000
2. Constructions et équipements IOO OOO 75000 25 000
3. Assistance technique et gestion 80000 5 000 IO OOO 30000 35 000
4. Formation 45 000 25 000 20000
5. Total 275 000 55 000 85 000 80000 55000
Réalisé
1. Frais d'étude 40 000 40000
2. Constructions et équipements 120 000 80000 30000 IOOOO
3. Assistance technique et gestion 85 000 IO OOO 30 000 45 000
4. Formation 35 000 25 000 IOOOO
5. Total 280 000 40000 90 000 85 000 65 000
Ecarts
1. — 10 000 ÏOOOO
2. + 20 000 + 5 000 -+■ 5 000 + 10 000
3- + 5 000 — 5 000 0 0 -f- IO OOO
4- IO OOO 0 IOOOO
5- + 5 000 — 15 000 + 5 000 + 5 000 + IO OOO
624 RÉMI HUPPERT
9. Dans le cas de projets donnant lieu à des recettes, le budget de fonctionnement prend
la forme d'un compte d'exploitation prévisionnel, prenant en compte diverses hypothèses
de recettes selon les niveaux des tarifs du prix de vente décidés, les aspects fiscaux et la
rentabilité interne. Dans la pratique, le bénéfice d'exploitation actualisé ou le taux de rentabilité
interne restent des critères peu utilisés ex post pour évaluer le projet et ses coûts de
fonctionnement. La rentabilité reste encore, largement, un critère de décision a priori plus qu'un
objectif dont on s'assure après coup qu'il est atteint.
LA GESTION DES PROJETS PUBLICS 625
projets, sont parfois très élevés (surtout s'ils ne donnent pas lieu à recettes :
cas des hôpitaux, des établissements d'enseignement, des infrastructures
routières ou portuaires). Dans tel pays en voie de développement, il a été
établi que la dépense annuelle de fonctionnement par élève de l'enseignement
primaire était 1,7 fois plus élevée que le coût de création d'une place dans
cet enseignement.
40 Le budget de trésorerie du projet. — Certains projets publics — même
complexes — ne possèdent pour tout outil comptable qu'un livre de caisse
dans lequel sont consignées des dépenses n'ayant rien à voir entre elles. Les
plans de financement consolidés et les budgets prévisionnels de projets sont
inexistants et les budgets de fonctionnement imprécis.
D'autres projets sont dotés d'une comptabilité plus élaborée, telle que
celle qui a été décrite succinctement jusqu'ici. Toutefois celle-ci constitue
rarement un instrument de gestion quotidienne permettant d'abord de situer
l'origine des écarts entre prévisions et réalisations mais surtout de définir
le rythme intra-annuel des dépenses, cette dernière lacune interdisant par
conséquent des prévisions rigoureuses de trésorerie, donc de décaissement ou
d'ordonnancement des fonds. On touche là l'une des grandes faiblesses de la
gestion des projets publics de développement.
Prenons l'exemple simple d'un projet de recyclage des maîtres dans
l'enseignement technique et établissons un budget annuel de trésorerie relatif à cette
activité qui inclut le renforcement des moyens matériels mis à la disposition
du personnel recyclé.
i« 2e 3e 4e
mestre mestre mestre mestre Totaux
Ier 2e 3e 4e
trimestre trimestre trimestre trimestre Totaux
Situation de trésorerie
exemple de décalage
entre encaissements
et décaissements
Trimestre
—40
Ainsi les divers budgets définis et illustrés plus haut sont autant d'outils,
trop souvent ignorés, susceptibles de promouvoir la gestion de projets publics.