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Revue d’études comparatives Est-

Ouest

Photographie d'un mouvement « mystique-ésotérique » de souche


russe - le club Cosmos
Kira Kovalkina, André De Peretti

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Kovalkina Kira, De Peretti André. Photographie d'un mouvement « mystique-ésotérique » de souche russe - le club Cosmos.
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 24, 1993, n°3-4. pp. 173-182;

doi : https://doi.org/10.3406/receo.1993.2636

https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1993_num_24_3_2636

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Résumé
Créé dans les années 1979-80, à une époque où la société soviétique était encore fermée, le club
Cosmos constituait un modèle unique en son genre. Non seulement, il invitait aux pratiques et
philosophies orientales (méditation, bio-énergie, auto-hypnose, hatha-yoga et agni-yoga, etc.),
phénomène rare en cette période de dictature idéologique, mais il était ouvert à tous. Il ne pouvait,
naturellement, afficher son orientation spirituelle et exprima ses objectifs en termes de " rétablissement
de la santé " et d' " éducation communiste ".
Le club Cosmos, qui ne se réfère à aucune doctrine (en tant qu'enseignement cohérent auquel il faut
croire), développe une vision du monde basée sur l'harmonie cosmique, commune à de nombreux
nouveaux mouvements religieux. La souplesse de sa structure et ses deux principes - universalisme et
ouverture - y ont attiré des milliers de participants, le noyau central étant formé d'intellectuels actifs
d'âge moyen. L'une des spécificités du Club est la primauté accordée aux comportements moraux
(honnêteté, vie et alimentation saines, tempérance...), permettant un développement harmonieux de la
personnalité dans toutes ses dimensions. Le document est fondé sur une série d'enquêtes, qui ont
permis à l'auteur de donner un premier aperçu de ce mouvement très peu connu en Russie même.

Abstract
Picture of an " esoteric-mystic " movement of Russian origins - the Cosmos club (Kira Kovalkina).
Founded during the period 1979-80, at a time when Soviet society was still closed, the Cosmos club
was a unique example of its kind. Not only did it offer oriental practices and philosophies (meditation,
bio-energy, auto-hypnosis, hatha-yoga and agni- yoga, etc.), a rare phenomenon in the age of
ideological dictatorship, but it was open to all. Obviously, it could not openly advertize its spiritual
orientation, and so it described its aims in terms of " the recovery of health " and " communist
education ".
The Cosmos club, which does not preach any doctrine (in the sense of an organized body of teaching
to which one must subscribe) develops a world vision based on cosmic harmony, which is common to
a number of new religious movements. The looseness of its structure, and its two principles -
universalism and openness - have attracted thousands of followers, the central nucleus consisting of
active middle-aged intellectuals. One of the Club's special features is the priority given to moral
behaviour (decency, wholesome living and eating, temperance...) which encourage harmonious
development of the personality. The document is based on a series of inquiries which enabled the
author to outline this movement, which is very little known, even in Russia.
Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1993, 3-4 (septembre-décembre)
pp. 173-182 - Kira KOVALKINA

Document : Photographie d'un mouvement


« mystique-ésotérique » de souche russe -
le club Cosmos

Kira KOVALKINA*

De l'universalisme à la spécialisation

Créé dans les années 1979-80, à une époque où la société soviétique était
encore une société fermée, le club Cosmos constituait un modèle unique en son
genre. Non seulement il invitait aux pratiques et philosophies orientales,
phénomène rare dans cette période de dictature idéologique, mais il était surtout
ouvert à tous. Ceci était alors insolite dans la mesure où les quelques groupes
de yoga, sciences occultes et autres pratiques, encadrés par des individus
enthousiastes, avaient une existence strictement souterraine, les informations à
leur sujet circulant essentiellement entre initiés. Naturellement, un club
« ouvert » ne pouvait pas dans de telles circonstances révéler nettement son
orientation spirituelle « contraire à l'idéologie » et ses objectifs s'exprimèrent
en termes de « rétablissement de la santé » et d'« éducation communiste ».
Le club Cosmos, qui ne se réfère à aucune doctrine (en tant qu'enseignement
cohérent auquel il faudrait croire) développe une « vision du monde basée sur
l'harmonie cosmique », concept qui trahit l'esprit de la période dans laquelle il a été
créé. Son programme défend une idée commune à de nombreux nouveaux
mouvements religieux qui est d'affirmer l'existence d'un champ d'énergies cosmiques avec
lesquelles, dans certaines conditions, l'homme peut être en interaction.
« La pensée (en particulier, la pensée concentrée, énergétisée, représentée,
formalisée) est la principale force du Cosmos, susceptible de structurer la
conscience, de coopérer avec toute sorte de créature. Les interactions positives
favorisent un développement personnel harmonieux, les interactions négatives
réduisent l'autonomie de l'être jusqu'à l'en priver totalement. Chaque créature
est ainsi une partie indispensable de l'univers. L'univers est un tout ; chaque
élément est indispensable, à un moment ou à un autre, au développement du
système... Chaque créature peut accéder à la Voie royale... si elle se reconnaît
comme disciple de l'univers ».

* Centre russe d'étude de l'opinion publique (VCIOM), Moscou. Ce texte est la


version adaptée d'une étude plus générale sur les nouveaux mouvements religieux en
Russie effectuée par Kira Kovalkina, qui a eu le mérite de faire des enquêtes auprès d'un
mouvement religieux très peu connu en Russie même. L'expression «
mystique-ésotérique » est empruntée à Françoise Champion.

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Kira Kovalkina

Cosmos fonctionne depuis ses origines sur le principe de l'étude et de


l'intégration des héritages spirituels de l'univers, ce qui permet de rassembler au
sein du Club des adeptes de traditions spirituelles différentes. Durant ses
14 années d'existence, il a accueilli des adeptes de la Fraternité blanche, du
Chi-Kong, des différents courants Yoga, de la Méditation transcendantale, du
Tai-shi-chouan, de la Confrérie végétarienne, de P.K. Ivanov et de N.F. Fedo-
rov, de certaines sociétés d'astrologie, de I. Tcharkovski (fondateur d'une
méthode d'accouchement en milieu aquatique).
Les deux principes du Club - universalisme et ouverture - y ont attiré
plusieurs milliers de participants. Son noyau était constitué d'intellectuels d'âge
moyen et de jeunes. Beaucoup apportaient leurs idées et leur conception
personnelle du monde et c'est avec des structures initialement imitées de celles du
PCUS que se sont créés les différents groupes d'adeptes.
« Représentez-vous l'année 1981 : une société fermée, pas de groupes de
plus de trois personnes. Et soudain naît un club où l'on peut pratiquer
différentes activités : techniques orientales, approche complexe de l'individu. Il
n'existait rien d'autre ; même les clubs de marche sont apparus plus tard. Et
quand on a fait déménager Cosmos à Podlipki, ses membres ont rejoint
d'autres clubs. Pratiquement tous les clubs qui sont nés à Moscou (La Famille
saine, les divers clubs de marche, tout le noyau actif des disciples de P.K.
Ivanov) se sont largement « nourris » d'ex-cosmosiens ».
Si le club Cosmos rassemble des représentants de différents courants
chrétiens et orientaux, l'enseignement qui reçoit les faveurs du plus grand
nombre est l'agni-yoga (ou Ethique vivante) de E.I. et N.K. Roerich. Le
symbole de Cosmos leur est d'ailleurs emprunté, l'un de ses préceptes étant :
« Passé, Présent, Avenir dans la sphère de l'éternité ». Pour autant, il serait
faux d'affirmer que l'on y étudie ou que l'on y pratique l'Éthique vivante,
même s'il existe une section qui porte ce nom. Bien que les participants
emploient parfois les concepts de Hiérarchie Universelle et Hiérarchie de
l'Amour (« Ce n'est pas la démocratie qui règne au Club, mais la Hiérarchie
Universelle »), il n'existe à Cosmos aucune transposition sociale de ces
notions, sous forme, notamment, de hiérarchie des disciples ou de
programme spécifique de développement spirituel. En général, l'élaboration
d'une conception du monde et la transmission d'une doctrine (ou d'une
somme de doctrines) ne se font pas au moyen d'un enseignement
programmé et suivi mais par l'apport individuel des participants qui, au cours
d'échanges informels, présentent leur conception du monde et leur
expérience spirituelle. Cette absence de hiérarchie est précisément une
particularité revendiquée par le club Cosmos.
« La conversion passe par un processus individuel ; il n'y a pas de
programme préétabli, pas de « aujourd'hui vous ferez ceci ou cela... ». C'est
l'intuition qui doit guider votre démarche. La règle d'or de Cosmos est : nous
n'exerçons pas de pression l'un sur l'autre ; nous ne disons pas : « voici le
Maître, voici l'élève » ; nous sommes tous pour l'autre à la fois maître et élève.
Voilà qui est fructueux ».

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Le club Cosmos, mouvement ésotérique de souche russe

Cette structure souple nous paraît être une caractéristique essentielle du


Club.
Ces dernières années, Cosmos a néanmoins perdu de son caractère universel
et donné le jour à toute une série d'associations « spécialisées », formant, selon
les membres du Club, un seul et grand mouvement et dont les relations
mutuelles pourraient être un intéressant sujet d'étude : antonoviens (disciples
de VI. Antonov, « Yoga russe »), FOD (système thérapeutique), Fraternité
blanche, Famille saine, quakers, ivanoviens (disciples de P.K. Ivanov), yogi
(hindouistes), ushu, bouddhistes, Nouvelle Acropole, théosophes. A partir de
l'exemple du club Cosmos, on voit ainsi apparaître une tendance forte dans le
développement des nouveaux mouvements religieux en Russie, celle de la
« spécialisation » de certains courants.
« Au début, il y avait plus d'unité. Chaque groupe constituait une
communauté. Aujourd'hui, on voit se multiplier les ateliers spécialisés ».
Le Club joue désormais un rôle très différent de celui qu'il avait au moment
de sa création. Ayant engendré une quantité de nouvelles associations et
n'offrant pas de plate-forme doctrinale forte, il apparaît plutôt aujourd'hui comme
un mouvement d'entraide, ce que confirme d'ailleurs l'augmentation du nombre
de femmes et de personnes âgées parmi ses participants. La gratuité de toutes
les activités proposées ne fait que renforcer cette tendance. Le Club continue
malgré tout à représenter un système original d'information et de liaison des
mouvements spirituels, même si ce rôle était bien plus important il y a cinq ou
six ans.
Par ailleurs, Cosmos semble privilégier de façon croissante une vision
chrétienne du monde, ce qui n'est pas sans conséquence sur les fidèles qui
s'éloignent en nombre toujours croissant des divers enseignements ésotériques pour
se tourner vers le christianisme.

Un code moral

Une des spécificités du club Cosmos est la primauté accordée aux


comportements moraux, fait qui est illustré par le second document-programme du
Club, les « Principes de la formation complexe de soi », marqués, tout comme
le concept d'harmonie cosmique, par l'esprit de la période soviétique :
« 1 . Envisager la formation complexe de soi comme le développement
spirituel, moral, social et physique harmonieux de la personnalité...
5. Vivre honnêtement. Contribuer à répandre sur terre la Paix, le Bien et
l'Entente mutuelle...
10. Faire de bonnes actions et apporter une aide bienveillante et
désintéressée..

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Kira Kovalkina

11. Mieux contrôler toutes les parties de son corps, le soumettre à sa


conscience, le discipliner... Envisager la santé comme le résultat d'un mode de
vie rationnel et d'une purification morale. La considérer comme une valeur
sociale...
14. Apprendre à vivre dans la joie, être en paix avec soi-même, connaître ses
qualités et ses défauts, œuvrer à toujours plus de coopération, tendre vers la
perfection en tout, être fidèle à des idéaux élevés.
24. Être modéré en tout, en particulier dans ses exigences. Ne satisfaire que
celles qui sont essentielles ».
Cette priorité accordée aux règles de comportement est l'un des traits
spécifiques de Cosmos. A cet égard, il convient de signaler la popularité dont
jouissent en Russie les courants prônant tempérance, mode de vie et alimentation
sains. L'idée de conduire sa vie selon des principes moraux déterminés est tout
à fait typique de la culture religieuse russe. Outre le passé sectaire riche en
enseignement dans ce domaine, on en trouve une illustration aujourd'hui non
seulement dans l'activité du club Cosmos, mais aussi dans celle de nombreux
autres mouvements comme celui des ivanoviens. Un constat qui est confirmé
par certaines des conclusions de la sociologue K. Kas'janova dans son étude
sur les particularités du caractère national russe (recherche menée en
comparant les résultats de tests effectués sur des Américains et des Russes)1. Le
fondamentalisme religieux2 chez les Russes obtient dans son étude un score
supérieur à la moyenne.

Une structure souple

Comme on l'a déjà souligné, peuvent prendre part aux travaux du club
Cosmos les représentants de tous les courants spirituels. On exige seulement des
candidats qu'ils ne fassent pas de propagande pour leur propre chapelle et se
contentent de transmettre leur expérience personnelle. « Ja. I. Koltunov [un des
initiateurs du Club] a tenté de rassembler en un seul lieu toutes les techniques
de travail connues. Chacun peut apporter ses connaissances et son expérience.
Mais il a inséré dans les principes du Club une clause de sécurité de manière à

1. K voprosu o russkom nacional'nom kharaktere (A propos du caractère national


russe), Samizdat, 1990.
2. On traite de fondamentaliste religieux tout homme qui s'efforce de conduire sa vie
de sorte à respecter rigoureusement... les prescriptions et interdits religieux ; ce faisant,
il accorde peu d'attention aux questions abstraites - témoignages de l'existence de Dieu,
interrogations sur l'origine et l'histoire de tel ou tel rite religieux et liens qu'il peut y
avoir entre eux... Il peut parfois se montrer fanatique dans l'observation de ces préceptes :
c'est là une question de caractère. Le trait essentiel - obligé - de ce type d'homme est...
l'importance qu'il accorde au comportement.

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Le club Cosmos, mouvement ésotérique de souche russe

ce que la présentation de nouvelles méthodes ne soit pas préjudiciable aux


autres. Les activités permanentes du Club sont les suivantes :
- recherche de la paix et du bien par la méditation (auteur : Ja. I. Koltunov.
Tous les membres du Club présents participent à cette recherche) ;
- cours de méditation avec utilisation de la bioénergie, de l'autohypnose, du
massage par points (les exercices se font en groupe sous la conduite d'un
instructeur) ;
- exercices d'hatha-yoga ;
- ateliers spécialisés (actuellement fonctionnent en permanence les ateliers
d'astrologie, d'ésotérisme et d'agni-yoga) ;
- examen des événements de la vie du Club.
Les participants ne constituent pas des groupes homogènes ayant un système
de relations précis, une symbolique, une hiérarchie et se reconnaissant en tant
que groupe. Certes, ce type de groupe existe mais seule une partie d'entre eux
correspondent aux groupes de méditation. Ils sont en général orientés non pas
vers une tâche précise (l'étude de tel ou tel courant spirituel), mais vers
l'élaboration d'un système d'entraide :
« Vivre aujourd'hui est difficile, c'est vrai. Mais le Cosmos est là pour nous
soutenir. Nous nous soutenons tous mutuellement ».
Le seul groupe qui ait une tâche bien déterminée est celui qui s'occupe de la
tactique et de la stratégie du Club. Il est constitué de militants de base, c'est-à-
dire pour l'essentiel de gens qui participent aux activités de Cosmos depuis sa
création et qui, en règle générale, animent les groupes de méditation et les
ateliers spécialisés.
Le principe directeur des activités de Cosmos est celui de l'auto-organisation
qui suppose la participation maximale de tous les volontaires. Les questions
stratégiques sont examinées par le Conseil du Club auquel peuvent se joindre
tous ceux qui le désirent. De même, chacun est libre de constituer son propre
atelier spécialisé. On a ainsi vu se créer un atelier de « gymnastique
articulaire » et un groupe d'enfants. Globalement, le principe de l'entraide
apparaît comme la pierre angulaire de Cosmos.
Le caractère démocratique de l'organisation est préservé par le noyau de
ceux qui participent à l'activité du Club depuis ses origines. Ce noyau exerce
sur les néophytes une autorité assez forte ; mais au fur et à mesure qu'il
s'intègre, le néophyte cesse d'associer l'autorité au noyau du Club pour la reporter
sur Cosmos tout entier en tant que communauté.
« Nous ne cherchons pas à attirer les gens qui désirent participer à l'activité
du Club sous forme de cours, séminaires, etc. Ce n'est pas que nous soyons
contre, mais nous préférons mettre l'accent sur l'échange d'expériences et la
pratique d'une coopération tous azimuts ».
Ainsi la cohésion du Club se maintient grâce à une sorte de système d'inter-
relations fondé sur la communication entre participants.

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Kira Kovalkina

Les comportements indésirables sont sanctionnés par le Club, mais les


actions ne sont pas formalisées. L'activité de Cosmos reposant sur la libre
confrontation des personnalités, toute participation suppose l'acceptation de la
confrontation et l'adhésion aux valeurs internes de Cosmos que sont, entre
autres, un mode de vie sain et la tempérance ; ces valeurs ne concernent que le
comportement moral et non la doctrine qui reste l'affaire privée de chacun. Si
ces conditions ne sont pas réalisées, personne ne chassera l'indésirable, mais
celui-ci sentira de lui-même qu'il n'est pas à sa place. On ne dira jamais à celui
qui méconnaît ces valeurs qu'il est étranger au Club.
« Ces derniers temps, on a vu arriver à Cosmos un certain Anatole, qui
s'occupait activement de thérapie extrasensorielle. Il s'est dit maître en la matière
et n'assistait pas aux autres activités du Club. Un groupe d'adeptes s'est formé
autour de lui. Comme son comportement était contraire aux principes du Club,
le conseil a décidé de laisser à Anatole et ses adeptes le local où, jusque-là,
avaient lieu les activités de Cosmos et de transporter celles-ci ailleurs ».
Le Club accueille tous ceux qui se présentent sans critère de choix. Le
premier contact du néophyte avec le Club présente néanmoins un caractère
quelque peu rituel. En effet, il assiste tout d'abord à une méditation sur la paix
et le bien : on organise un grand cercle et, après la session, les novices font
connaissance les uns avec les autres. Il existe un groupe spécial pour les
nouveaux arrivants dans lequel ils découvrent la vision du monde propre au Club,
son organisation et ses formes de travail. Les principes d'ouverture et de liberté
de choix des activités et de communication sont, en général, énoncés dès la
première séance. « Dans notre Club, chacun soutient l'autre. Vous pouvez vous
adresser à qui vous voulez, choisir votre groupe en fonction de ce qui vous
intéresse ». La majorité des membres du Club accordent une grande attention
aux nouveaux venus. L'atmosphère des échanges offre un contraste frappant
avec l'humeur « générale » de la Russie actuelle ; l'attention, les sourires, une
ambiance chaleureuse et participative remplacent le repli sur soi et les visages
renfrognés si caractéristiques de la société d'aujourd'hui.

Le recrutement au sein du club


La structure socio-démographique des effectifs de Cosmos est globalement
la suivante :
- personnes d'âge moyen (35 à 50 ans) : 60 %
La majorité a une formation supérieure et appartient à la catégorie des «
professions intellectuelles intermédiaires ». Beaucoup sont enseignants et
ingénieurs.
On compte 1 homme pour 5 femmes.
- personnes âgées (55 à 80 ans) : 25 %
Plus de la moitié possède une formation supérieure.
On compte 1 homme pour 2 femmes.
-jeunes (18 à 30 ans) : 15 %
La majorité possède une formation supérieure.
On compte 1 homme pour 1,5 femme.

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Le club Cosmos, mouvement ésotérique de souche russe

La majorité des membres de Cosmos appartiennent à des catégories sociales


peu et moyennement aisées.
Au début des années 1990, il y avait, en moyenne, 100 à 150 personnes
présentes aux journées d'activité du Club, mais, aux dires des organisateurs, ceux
qui se considèrent comme membres du Club sont en réalité plus nombreux
(beaucoup d'entre eux ne viennent pas au Club pendant des mois, voire des
années, mais continuent néanmoins à se sentir membres de Cosmos). 20 à
30 % de l'effectif du Club se renouvelle tous les ans.
Cosmos dont l'effectif est très hétérogène rassemble aussi bien des membres
« dispersés », qu'« intégrés », ou du type mixte. Les membres dispersés
s'adressent au Club en cas de besoin, avec un objectif bien précis (souvent lié à
des problèmes de santé ou des problèmes psychiques). Ils peuvent interrompre
leur participation aux activités du groupe pendant des périodes assez longues.
Par ailleurs, tout en se considérant comme membres du mouvement à part
entière, ils restent assez indépendants, dans leur vision du monde, des
conceptions de celui-ci :
« Le Club m'a aidé un peu à tenir le coup [il s'agit ici de santé et
d'alimentation].
- Avez-vous changé votre mode de vie ?
- Pas sensiblement... Par nature, bien sûr, c'est un Club d'amateurs de
méditation avec des éléments d'ésotérisme. Parfois, au cours de la réflexion, des
idées intéressantes émergent, on entrevoit l'amorce d'une certaine philosophie
et l'on a comme l'impression de déboucher sur quelque chose, on a l'impression
qu'on peut modifier ses idées. Mais cela ne va pas plus loin ».
Les membres intégrés élaborent leur vision du monde au sein d'un groupe et
au fil du temps deviennent les propagateurs de ses normes et de ses valeurs.
C'est essentiellement en tant que membres de leur groupe qu'ils s'identifient.
« Le sermon du Christ sur la montagne, c'est exactement les principes de
notre Club... Je me suis donné pour mission de communiquer avec autrui (je
cours, je communique avec les gens en courant, je leur raconte des choses, ils
viennent au Club...)... Le premier prétexte à communication nous est fourni par
la devise du Club : " Culture physique, sociale et spirituelle " ».
Les membres du type mixte ont une vision religieuse précise du monde et
considèrent le Club comme un des lieux où celle-ci peut s'épanouir.
« Au début, le Club réapparaissait comme un moulin où on ne faisait
qu'entrer et sortir sans cesse. C'est ce que j'ai fait moi aussi : je suis venue et puis je
suis repartie. Pendant un an et demi, je suis allée consciencieusement à l'église.
Mais quand je me suis sentie mal, je suis retournée à Cosmos. Et j'ai compris
que ce n'était pas un moulin, mais un nid, la forteresse où nous puisions nos
forces ».
Les membres « dispersés » sont souvent des néophytes qui viennent au Club
dans le but de rétablir leur santé ou de bénéficier de l'appui du groupe. Leur
conception religieuse de la vie est, en général, assez peu développée.

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Kira Kovalkina

« J'ai commencé les séances de communication après le ski. Je m'étais tordu


la cheville et un ami m'a dit : « Commence par courir correctement ». Tjurine,
le moniteur de course, est arrivé avec la méthode de Jan Ivanovitch à des
résultats assez bons dans l'ensemble. Il a couru le marathon à 82 ans, malgré ses
deux infarctus ! On s'est occupé au Club de problèmes de santé ».
Le Club s'intéresse tout particulièrement à ce type de personnes :
« Comme le Club n'a pas une vocation spécifique, ce qui importe avant tout,
c'est de faire évoluer, si peu que ce soit, le niveau de départ de ses membres.
Les gens ne viennent d'ailleurs pas au Club lorsqu'ils sont dans une situation de
confort. Cela dit, il y a des gens qui viennent non pour recevoir mais pour
" faire " ».
Ce sont ces derniers qui constituent le noyau actif du Club, qui en sont les
leaders. Il s'agit en général de membres du type mixte, qui participent aussi à
l'activité d'autres associations religieuses. Nombre d'entre eux peuvent être
qualifiés d'intellectuels. Estimant que le Club ne propose pas de doctrine
claire, ils s'en constituent une, tant en lisant qu'en fréquentant d'autres
mouvements.
Les membres intégrés sont souvent des vétérans du Club, surtout des
femmes d'âge moyen et des personnes âgées pour lesquelles le soutien du
groupe est essentiel.
Quelles sont en revanche les raisons qui occasionnent le départ du Club ?
Certains estiment que Cosmos occupe trop d'espace par rapport à leur vie
sociale et familiale. Mais cet argument est très rarement invoqué. En effet,
d'après l'enquête menée, il ressort que les participants aux activités du Cosmos
ressentent surtout le Club comme un soutien et ce dès les premières séances.
Certains regrettent que le Club ne propose pas de programme structuré, de
formation à une nouvelle perception du monde et qu'il n'ait pas d'orientation
intellectuelle. D'autres accordent une importance particulière à leurs propres forces
et ne ressentent pas le groupe comme la source essentielle d'une nouvelle
perception du monde.
« Je ne suis pas tombé sous l'influence spirituelle d'écoles bien définies. J'ai
toujours travaillé à partir des recherches spirituelles d'autrui pour élaborer mes
propres théories ».
« J'ai compris que pour avoir des connaissances, les livres étaient suffisants.
Pas besoin d'un groupe pour ça ».
On remarque néanmoins que le départ du Club ne s'accompagne
pratiquement jamais du rejet de la conception du monde du Club et des valeurs qu'il
véhicule, telles la Paix et le Bien, la relation positive au monde, la tolérance,
l'épanouissement personnel.

Participation au Club et changement de valeurs

L'intégration au Club permet, selon les participants, de rétablir sa santé et


d'acquérir un regard sur le monde plus optimiste grâce au soutien du groupe.

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Le club Cosmos, mouvement ésotérique de souche russe

La plupart d'entre eux considèrent que leurs relations familiales et


professionnelles se sont améliorées.
« En 1982, j'ai lu pour la première fois " 7 jours dans l'Himalaya ". Le
Cosmos, ça représente des livres, la possibilité de communiquer, une vision du
monde particulière. Une expérience personnelle : j'ai été très malade, mais je
me suis remis chaque année un peu plus, j'ai acquis des méthodes, j'ai adopté
un nouveau mode de vie, un nouveau type d'alimentation, j'ai fait des
exercices, j'ai œuvré à mon perfectionnement ».
« Mon caractère a changé. Je commence à mieux me contrôler, à mieux me
connaître. A la maison, les relations sont meilleures, je me maîtrise mieux. Et
avec les amis aussi, les relations se sont améliorées, elles ont pris un tour plus
spirituel ».
On voit parfois s'accroître la distance sociale avec les lieux d'identification
d'avant le Club.
« II m'est devenu difficile de communiquer avec les gens qui ne se
préoccupent pas de développer leur personnalité ».
La notion de carrière et, souvent, les connaissances et compétences
professionnelles perdent de leur importance au regard du système moral du Club. La
vie sociale, et en particulier les changements qui se sont produits en Russie,
perdent de leur signification. Aucun événement social et politique n'est
considéré par les membres de Cosmos comme les touchant personnellement. A la
question : « Citez, parmi les événements survenus en 1992, ceux que vous
considérez parmi les plus importants », 75 % des membres de Cosmos
répondent le 600e anniversaire de Saint Serge de Radonège (contre 5 % de la
population russe en général), 16 % les décrets de Boris Eltsine concernant
l'indexation des salaires (contre 19 % de la population russe en général) et 8 %
la libération des prix ou l'abandon du poste de chef de gouvernement par
E. Gaïdar (contre respectivement 46 % et 30 % de la population russe en
général).
Cette attitude s'accompagne souvent d'une opposition entre la réussite
matérielle et le perfectionnement spirituel.
« Regardez les nôtres ; ils portent une blouse à trois roubles, mais tous, ils
rayonnent. Les autres, ils ont des touloupes qui valent des trois et quatre mille
roubles, mais dessous, ce n'est que pourriture. Il est rare d'être riche tout à la
fois dehors et dedans. Il faut choisir son monde ».
Certaines conceptions du Club coïncident aujourd'hui avec celles de la droite
russe. Ainsi le journal Znamja mira (Le drapeau de la paix), dont le premier
numéro est paru à Tomsk cette année et qui est affilié au mouvement, publiait
ce texte :
« On assiste aujourd'hui à une lutte acharnée entre les forces de la Lumière et
celles des Ténèbres. Celles-ci ne reculent devant aucune bassesse, aucune
perfide trahison, aucun mensonge. Et il faut que celui qui étudie l'Éthique Vivante
soit bien aveugle pour ne pas remarquer cela et ne pas mesurer le terrible dan-

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Kira Kovalkina

ger de désunion que nous font courir ces forces mauvaises. Qui n'est pas avec
la Russie ne pourra participer à la grande Évolution ».
Le club Cosmos développe en outre l'idée d'une mission spirituelle
particulière de la Russie.
« La Russie a une voie spirituelle spécifique. Le nouveau Christ est né ; il est
né en Russie. Il a aujourd'hui 31 ans et s'appelle Vissarion. Il a affirmé qu'un
jour, dans 15 à 20 ans, toute l'humanité parlera russe. Très précisément, dans
10 ans, il ne restera que 15 % de la langue russe, les 15 % de la langue
"spirituelle" qu'utilise notre foi ».
Cette attitude socio-politique apparaît sans nulle doute comme l'un des
points de divergence fondamentaux avec les nouveaux mouvements religieux
d'origine occidentale.

(Traduit du russe par Anne de Peretti)

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