Ce pouvoir réglementaire, véritablement autonome du président de la
IIIe République, a été identifié
par le Conseil d'Etat comme étant une modalité d'exercice du pouvoir réglementaire (ordinaire), c'està-dire « d'application des lois ». Sous la IVe République, la même jurisprudence a permis, cette fois-ci au Gouvernement, de réglementer l'exercice du droit de grève, en l'absence des dispositions législatives annoncées par la Constitution de 1946(11), qui devaient procéder à cette réglementation. Le texte de 1958 a donné une consécration constitutionnelle à ce pouvoir réglementaire « propre ». Depuis 1958, cette notion de pouvoir réglementaire propre ou autonome étant bien connue (la jurisprudence Labonne a quarante ans en 1958), le Conseil d'Etat a rarement été amené à statuer sur - 62 - un moyen tiré du caractère limité à l'application des lois du pouvoir réglementaire. On trouve néanmoins quelques espèces(12) dans lesquelles le Conseil d'Etat, comme en 1918, a rejeté ce moyen. Ainsi rien n'a fondamentalement changé, sinon que la doctrine a préféré appeler « autonome » le pouvoir réglementaire que la jurisprudence appelait jadis pouvoir « propre ». Deuxièmement, lorsque le pouvoir exécutif prend un décret dans une matière non régie par la loi, on ne peut certes pas dire que le décret en question a procédé à ... l'application d'une loi ! Mais l'absence de « disposition » législative (loi absente ou loi non contraignante) dans le domaine considéré n'implique pas ou ne signifie pas que la compétence alors mise en oeuvre par le pouvoir exécutif soit d'une nature différente de celle dont il dispose traditionnellement. Si l'on peut risquer en la matière une comparaison, on dira que le pouvoir réglementaire autonome ressemble à s'y méprendre au pouvoir discrétionnaire et que le pouvoir réglementaire d'application des lois peut être rapproché du pouvoir lié. Dans un cas comme dans l'autre, c'est le même pouvoir qui s'exerce. Seules sont différentes les modalités de son exercice, la technique et l'étendue de son contrôle. La jurisprudence Syndicat général des ingénieurs conseils(13) ne saurait, nous semble-t-il, être invoquée à l'appui de la thèse de l'existence d'un pouvoir réglementaire « autonome » spécifique, se trouvant sur le même plan que la loi. Cet arrêt rattache certes les principes généraux du droit à la Constitution, alors que, auparavant, le Conseil d'Etat se contentait souvent d'en affirmer l'existence - sans référence formelle - ou les rattachait, plus ou moins explicitement, à la loi. Mais, sous la IVe République, et bien avant qu'il ait eu connaissance des innovations constitutionnelles de la ... République suivante, le Conseil d'Etat avait déjà rattaché des principes généraux du droit à la Constitution(14) sans qu'on ait vu, à l'époque, dans cette jurisprudence, l'annonce ou la démonstration d'un bouleversement dans les rapports de la loi et du règlement(15). En outre, les règlements « autonomes » du législateur colonial ont subi, à bien des égards, le régime des règlements traditionnels : ils ont été soumis au respect des dispositions législatives applicables dans ces territoires et aux principes généraux du droit(16). Sous ce rapport également, la jurisprudence Syndicat général des ingénieurs conseils, parfaitement identique à celle de la IIIe République, n'annonce ni ne justifie la création de règlements d'une nature nouvelle : « Le président du Conseil des ministres ... dans l'exercice de ces attributions, ... était cependant tenu de respecter, d'une part, les dispositions des lois applicables dans les territoires d'outre-mer ... ». On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que la doctrine qui s'attache à défendre l'existence d'un pouvoir réglementaire autonome dont la nature particulière le ferait échapper par principe au respect de la loi - et qui serait en quelque sorte « au-dessus » du pouvoir réglementaire « d'application des lois », éprouve des difficultés à trouver une confirmation de la théorie dans la jurisprudence(17).