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On trouve au livre IV des Collected Papers (1) de C.S. Peirce diverses tenta-
tives d'expression graphique des modalités. Ces essais, quelque peu dispersés, nous pa-
raissent pouvoir être regroupés en deux grandes catégories. La première pourrait être
caractérisée par le rôle joué par la « feuille d'assertion » (sheet of assertion : C.P.
4.396) utilisée précédemment par Peirce dans le cadre d'une expression graphique du
calcul usuel des propositions et des prédicats (2). Il s'agit de la surface sur laquelle sont
inscrites les expressions graphiques des propositions, surface que Peirce interprète en
MS 450 comme « l'univers du discours d'A. de Morgan ». Peirce imagine alors d'expri-
mer les modalités en se servant d'un ensemble de feuilles d'assertion, ensemble repré-
sentant les différents univers dont traite le discours : « Afin de nous représenter men-
talement la relation entre l'univers des possibles et l'univers des faits actuels nous di-
sons que, si nous concevons celui-<:i comme une surface, il nous faut concevoir celui-là
comme un espace à trois dimensions. où une surface quelconque représenterait tous les
faits qui pourraient exister dans un univers existentiel » (C.P. 4.514) (3). Quelques an-
nées plus tard (1906) Peirce revient sur l'idée d'une symbolisation des univers modaux
au moyen de la feuille d'assertion , tantôt en introduisant différentes couleurs pour dis-
tinguer les divers univers (cf. C.P. 4.553 ), tantôt en n'utilisant qu'une seule feuille pour
(1) Collected Papers of C.S. Peirce, vol. 1- VI, ed. C. Hartshorne et P. Weiss; vol. Vil·
VIII, ed. A.W. Burks, Cambridge, 1931-1958. On se réfèrera en général à cet
ouvrage en utilisant le sigle CP suivi de deux chiffres séparés par un point, le pre·
mier renvoyant au volume et le second au paragraphe. Nous nous réfèrerons éga-
lement au manuscrit MS 450.
(2) Cf les systèmes Alpha et Beta constituant les deux premières parties du système
des graphes existentiels et destinés à la représentation, respectivement, du a,lcul
des propositions et du calcul des prédicats du 1er ordre. La partie Gamma, outre
le traitement des modalités que nous allons étudier ici, comporte tout un ensem-
ble de recherches orientées vers une extension du calcul des prédicats du 1er ordre
et l'établissement de formulations métalinguistiques témoignant d'une première
tentative de formalisation, par des moyens graphiques, de la métamathématique
(cf P. Thibaud, La logique de C.S. Peirce : de l'algèbre aux graphes, chapitre III,
paragraphe 1.2).
laquelle sont distingués deux côtés : le recto où sont représentés les faits réels et le ver-
so représentant, selon ses couleurs, les « diverses espèces de possibilités» (C.P. 4,573).
Dans ce dernier cas les couleurs peuvent étre alors employées de deux façons : colorant
toute une surface donnée elles indiquent la modalité attachée à la proposition inscrite
sur cette surface ; utilisées sur les bords de la surface, elles servent à indiquer si la pro-
position inscrite sur la surface doit être comprise de façon interrogative (Peirce utilise
ici les couleurs des émaux), impérative (couleurs des fourrures) ou indicative (couleurs
des métaux). On devine la lourdeur d'un tel système que Peirce d'ailleurs ne semble ja-
mais avoir utilisé et qu'en 1913, si l'on en croit une lettre à F.A. Wood, il paraît même
rejeter comme «absurde» (4).
0
signifiait 7 p (6). En 1906, cherchant à exprimer les notions modales, Peirce imagine
d'étendre le rôle de la coupure en modifiant quelque peu cette dernière : « Tandis que
je m'efforçai de commencer la construction de la partie gamma du système des graphes
existentiels, je fus dans l'obligation d'effectuer un choix parmi la foule énorme des
idées ainsi suggérées pour en retenir un petit nombre aisément exploitable. Il m'a paru
commode de m'astreindre à n'utiliser qu'une seule feuille du réel à la fois; mais il est
apparu que plusieurs espèces de coupures étaient nécessaires » (C.P. 4.514) .. A la cou-
pure continue d'Alpha Peirce propose d'ajouter une coupure en potntillé (broken eut)
qui reçoit un sens très différent que Peirce explicite ainsi en C.P.4.515 : « Je commen-
cerai par l'une des coupures gamma. Je l'appelle coupure en pointillé et la représente
ainsi:
,,
', il pleut ;
'
' /
Ce diagramme n'affirme pas qu'il ne pleut pas. Il affirme seulement que les règles alpha
et beta ne m'obligent pas à admettre qu'il pleut ou, ce qui revient au même, qu'une
personne dont l'information se résumerait à la connaissance approfondie d'une logique
réduite aux parties alpha et beta des graphes existentiels ne saurait pas qu'il pleut» . La
coupure en pointillé indiquera alors que « le graphe entier sur sa surface est logique-
ment contingent (non nécessaire) » (C.P. 4.410). Le graphe précédent peut alors s'in-
terpréter : « D est po&<lible qu'il ne pleuve pas ». En C.P. 4.516 Peirce donne les graphes
~
v,.. .....
. « g est ... nécessairement vrai »
1)
@ 1- @ r g
Ng 77g g
-,
2) g r @ 1- '©1
\ J
g 77 g Pg
~ 0
3) 1-- \-- r -- '
{ g \
\, _, J
Mais en C.P. 4.516-522 Peirce introduit un signe particulier - une barre verti-
cale - pour distinguer I'« état particulier d'information » (C.P. 4.518) auquel on doit se
référer pour la compréhension des énoncés modalisés. La figure.
(8) Peirce ajoute que la coupure à transformer peut être indifféremment entourée de
coupures alpha ou bèta, seul comptant le nombre de coupures qui l'entourent.
64
ainsi glosé en C.P. 4. 520 : « n y a un état concevable d'information tel que nous sa-
chions (9) que g est vrai ». Il faut bien voir que Peirce utilise ici les conventions mêmes
du système Beta des graphes existentiels (10). La référence peircéenne au système Beta
ne fait aucun doute si l'on remarque que d'emblée les « états d'information » sont
assimilés à des « objets individuels» (C.P. 4.5 18) et que Peirce emploie en C.P. 4.521
le terme même de « ligature », allant jusqu'à préciser que cette notion de ligature suit
« toutes les règles des autres ligatures » (C.P. ibid) (11). Dans ces conditions le graphe
/
-,\
1 g ,
\, /
qui signifiait P 7 g et qui est glosé : « Il y a un état possible d'information tel que
nous ne soyons pas en condition de savoir que le graphe g est vrai » (C.P. 4. 520)
correspond au graphe
I -- ' \
\i~)
On voit alors, ainsi que le note Peirce, que le graphe
(10) Rappelons que, dans ce système, la proposition existentielle dx) A (x) est repré-
sentée par la figure - A où la ligne qui précède le prédicat A est appelée " ligne
d'identité» (C.P. 4.406) ou« ligature» (C.P. 4.407). Les figures
(3) et -Oreprésenteraientalorsrespectivement7 (3x)A (x)et (3x)7A(x)
(11) On notera que, dès le début de l'article, avant même l'introduction des conven-
tions Beta, Peirce parlait de beta-modalités (beta nécessité et beta-possibilité en
C.P. 4.516).
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A
~'
qui signifiait Ng peut être alors traduit sous la forme:
qui correspond au commentaire suivant que fait Peirce du graphe précédent de la né-
cessité : « Il est faux qu'il existe un état d'information tel que nous ne soyons pas en
condition de savoir que le graphe g est vrai » (cf. C.P. 4.520). Dans cette perspective
Peirce introduit alors en C.P. 4.518 la règle
®
qu'il ne commente pas mais que l'on pourrait traduire d'après ce qui précède : s'il exis-
te un état d'information tel que nous sachions que g est vrai alors il est faux qu' il exis-
te un état d'information tel que nous ne soyons pas en condition de savoir que g est
vrai (12). La compréhension de cette inférence nous oblige,d'une part à interpréter la
double ligature de la conséquence, d'autre part à préciser la sémantique sousjacente à
la notion « d'état d'information » utilisée dans l'énoncé peircéen de la règle.
(12) Ce qui revient, pour Peirce, à poser la nécessité de g comme on vient de le voir.
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qu'elle est utilisée par Peirce, nous paraît devoir être interprétée dans une toute autre
perspective. La description du système de la coupure en pointillé se trouve en effet sui-
vre un passage (cf. C.P. 4. 512) où Peirce souligne, comme on l'a déjà vu, que l'origina-
lité de la partie modale du système Gamma des graphes existentiels est de substituer à
la feuille d'assertion unique des systèmes Alpha et Beta un « livre » de ces feuilles : si la
feuille d'Alpha et Beta représente le monde de l'existence réelle (13), chacune des feuil-
les en Gamma représente un monde possible (dont l'un est le monde réel). Le système
Gamma peut apparaitre alors comme une tentative pour établir la logique des « mondes
possibles », dans le sens même où ce terme est utilisé dans le traitement contemporain
des sémantiques modales. En 1957 Prior, dans son système diodoréen, définit la possi-
bilité et la nécessité par référence aux instants futurs du temps : un instant de temps
peut aisément être construit comme un monde possible et ainsi le système de Prior ap-
paraît comme une logique des mondes possibles dans l'esprit peircéen. En 1959 la des-
cription Kripkéenne se rapproche, encore plus que ne le faisait Prior, de celle de Peirce.
Les éléments d'un modèle de style Kripkéen et leurs relations sont définis de façon abs-
traite mais une approche intuitive de ces derniers consistera à se donner un univers, ou
ensemble de mondes possibles, en relation les uns avec les autres, et une fonction don-
nant un assignement de valeur (vrai ou faux) à chacun des énoncés de chaque monde,
assignement obéissant, pour chaque formule non modalisée, aux lois ordinaires du cal-
cul des propositions mais, pour toute formule aprécédée d'un opérateur modal, tenant
compte du statut sémantique de la proposition ex dans les autres mondes de l'univers en
relation avec le monde dans lequel se fait l'évaluation en question. Une approche intui-
tive de la relation entre les mondes consistera à parler de relation d'accessibilité, rela-
tion dont une description pourrait, par exemple, consister à imaginer une machine cal-
culant dans un monde Ml la valeur d'une formule possédant un ou plusieurs opérateurs
modaux en tenant compte, non seulement de l'information qu'elle peut avoir sur le
monde en question (auquel cas la relation d'accessibilité est dite réflexive : M1 a accès
à Ml ), mais de l'information puisée dans certains autres mondes où se trouvent des ma-
chines effectuant les mêmes opérations et reliées à la première (mondes dits alors acces-
sibles à Ml). La relation d'accessibilité, souvent réflexive, peut aussi avoir d'autres pro-
priétés (telles que la transitivité, la symétrie). En modifiant les propriétés de la relation
d'accessibilité on peut alors construire des modèles pour tout un ensemble de systèmes
modaux différents.
(13) Chaque formule écrite sur cette feuille co"espondant à un énoncé vrai dans ce
monde.
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ces derniers que se trouve introduite la notion « d'état d'information » ; mais il faut
avouer que cette dernière est présentée de façon peu explicite, comme en témoigne le
passage suivant où cette notion apparaît pour la première fois dans un contexte modal :
« On doit se souvenir que la possibilité et la nécessité sont relatives à l'état d'informa-
tion. D'un certain graphe supposons que je sois dans un état d'information tel que le
graphe peut être vrai et peut être faux ; c'est-à-<lire que je peux écrire sur la feuille d'as-
sertion (14) :
- .... I
,- ' ,
\
\ g 1 \])' { g I
.__ .,
' /
Pg P7g
Or j'apprends qu'il est vrai. Ceci m'autorise à écrire sur la feuille (15)
~ .,,
l/0\ g 1 (
(
g
'
\. _ .,, !
Pg P7g
Mais par rapport à ce nouvel état d'information P 7 g = v cesse d'être vrai; et donc1par
rapport au nouvel état d'informationpn peut écrire
~ » (C.P. 4.517)
\::ï
Ng
Ce texte semble poser tout d'abord l'existence de deux familles d'évaluation, la premiè-
re caractérisée par la coexistence de deux valeurs distinctes de g (v et f) , la secon,de par
l'exclusion de la valeur g = f. Si,dans la perspective esqui~e plus haut d'une logique
des mondes possibles, on associe à chaque évaluation un monde et si on interprète la
notion d'«état d'information » par la notion d'« ensemble des mondes », le premier
état d'information décrit par Peirce apparaît caractérisé par la présence d'un monde où
g est vrai et d'un autre monde où g est faux, tandis que le second état d'information est
caractérisé par le fait que dans tous ses mondes g est vrai. De la vérité de g dans tous les
mondes Peirce tire alors la vérité de la nécessité de g. Mais on voit alors que s'éclaire
l'inférence de C.P. 4. 518 introduite plus haut et qui pourrait être ainsi traduite : s'il
existe un état d'information i (ou ensemble de mondes) dans lequel nous savons que g
(14) Sous les graphes de Peirce nous écrivons ici leur traduction en langage moderne
(sauf pour l'avant dernier).
(1S) Peirce écrit à droite le graphe g mais devrait écrire le graphe 1g ainsi que Je deman-
de, comme on l'a vu, l'expression« ;'apprends que g est vrai».
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est vrai ,alors il est faux qu'il existe un état d' infonnation i' (sous ensemble du premier
(16)) dans lequel nous ne soyons pas en condition de savoir que g est vrai. Ce qui re-
vient à dire que si g est vrai dans un ensemble de mondes alors il est vrai dans chaque
monde (17) de cet ensemble. En d'au tres termes,Peirce nous donne ici une définition
de la vérité dans un état d'infonnation (ou ensemble de mondes) comme la vérité dans
chaque sous é tat d'information (ou sous ensemble de mondes).
(16) D'o ù la justification d'une ligature différente de la première dans la partie droite
de l'inférence de C.P. 4.518.
(17) On voit que la notion de monde apparait ici comme l'état d 'infom1ation réduit à
un élément.
.j
69
(19) C.H. Morris, Fou11datio11s of the tbeory of signs, Chicago, 1938, pp. 6 sqq.
(20 ) Une analyse en termes frégéens nous parait suggérée par le passage suivant de C.P.
5,323 : " ... deux signes qui ne diffèrent que dans leur façon de représenter leur
objet, mais qui sont équivalents par le sens, peuvent toujours être substitués l'un à
l 'autre ». Il semble bien que la " manner of representing " l'objet soit proche de
l'« art des gegebenseins » de Frege. La seule différence que l'on pourrait peut-être
faire est que chez Frege I'« art des gegebenseins " s'attache à l'objet, alors que
chez Peirce il concerne plutôt l'expression. En conséquence on p ourrait peut-
être dire que le « ground " d 'un signe est l'ensemble de tous ses modes de re-
présentation possibles d 'un objet.
(22) Il faudrait plutôt parler de « structure objet » : comme le remarque Pe'irce, l'objet
du signe est " signe " lui-même, en tant qu 'objet désigné par rapport à d'autres
objets.
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d'action» (cf. C.P. 5.486 - 491) (23). Nous n'examinerons pas dans cet article les pro-
blèmes que peut sou lever la théorie d'un interprétant final non signe. Si nous considé-
rons seulement les interprétants de la première catégorie nous remarquons que ces si-
gnes, créés dans l'esprit par le signe originel, nous sont présentés par Peirce sous deux
formes : signes « équivalents » aux signes originels et signes « plus développés » que les
signes originels (cf. C.P. 2. 228). Si le « développement » des seconds peut s'expliquer
en particulier par le fa it de faire intervenir une expérience ex térielll'e au langage, le cas
des premiers paraît plus difficile à appréhender. L'opposition que fait Peirce entre ces
deux types d'interprétants nous amène à penser qu'il concevait des interprétants en ré-
férence à une expérience purement linguistique, ce que laisse penser l'expression de
« signe équivalent à un signe ». Nous croyons donc qu'une théorie peircéenne de l'in-
terpré tant devrait inclure. par exemple , certains aspects des tJ1éories fo rmeUes permet-
tant d' interpré ter une théorie formelle donnée. Ceci nous parait d'ailleurs réalisé dans
la notion moderne de « pragmatique » telle que la définit par exemple Richard
Mon tague (24) .
On voi t que l'analyse de l'inte rpré tant occupe une place centrale dans la des-
cription peircéenne de la relation de signe : il est à la fois étape nécessaire dans la liai-
son signe-objet et, en même temps, carrefour car point de départ d'inte rprétants, cha-
cun de plu s e n plus sophistiqué dans sa représentation de l'objet. Le schéma suivant
(25) fait bien apparaitre le rôle central joué par l'interpré tant dans le processus de si-
gnification dans la mesure où il montre que la relation signe-objetn 'estjamais une relation
(23) JI est évident que si l'habitude était de la nature du signe elle àurait un interpré·
tant et donc ne pourrait être considérée comme " interprétant final "· Ajoutons
que, pour Peirce, même les langues formelles ont ici un interprétant qui, en tant
que non signe, ne se réduit pas à la structure-objet visée par le signe. Une concep-
tion faisant du signe logique ou mathématique un signe sans interprétant ne serait
donc pas, pour cette raison (nous en verrons plus loin une autre), acceptée par
Peirce.
directe mais toujours médiatisée par la chaine des interpré tants. Une rhétorique spécu-
lative se donnera e n particulier pour tâche l'étude de la re latio n interprétant-interpré·
tant (26) . Nous voudrions mo ntrer que, dans le cadre d'une te lle rhétorique, peut être
faite une analyse de type modal, en termes de mo ndes possibles, de la notion d'inter-
prétant, analyse permettant, ainsi qu'on le verra, de préciser la notion d 'accessibilité e t
de do nner un sens au système de la coupure en pointillé.
Nous remarquons tout d'abord qu'en C.P. 5.481 Pe irce décrit certains inter·
prétan ts logiques (27) comme nous poussant « à accomplir diverses actions dans le
monde intérieur. Nous nous imaginons da.ns des situations variées et animés de divers
mobiles ; e l nous nous mettons à esquisser les autres lignes de conduite laissées ouver·
tes par les conjectures. De plus, nous sommes conduits, par la même activité , à remar·
quer les différentes faço ns selon lesquelles nos conjectures pourraient être m odifiées lé·
gèrement. L'interprétant logique doit donc être dans un temps ayant rapport au futur »
(28). Dans un autre texte qui précède immédiatement la description de la trilogie du si·
gne Peirce décrit une sorte d'observation dans l'imaginaire où le sujet crée une « esquis·
se de lui-même » et « considère les modifications que l'état de choses hypothé tique re·
quérerait de faire » (C.P. 2.227). Une théorie pragmatiste de la recherche défin is.sant le
sens d' un symbole par la classe des opérations auxquelles il peut do nner naissance ne
pouvait que mettre l'accent sur l'importance des « états de choses» (que nous appelle-
rons « mondes » ) hypothétiques ou réels (29) o ù peuvent s'effectuer ces opérations.
Dans une telle perspective une rhétorique des interprétants peut apparaître comme une
description de « mondes possibles » au sens Kripkéen du terme, description dans la-
quelle la relation qui joint un interprétant à un autre interprétant pourra être assimilée
(27) Dans la classification peircéenne des interprétants ces interprétants " logiques »
sont des concepts généraux, par opposition aux interprétants " émotionnels »
(sentiments) ou "énergétiques» (relevant du domaine de l'action). Cf en particu·
lier C.P. 5,475 sqq.
(28) Temps que Peirce précise plus loin en disant que " l'espèce de temps futur de l'in·
terprétant logique est celui du mode co nditionnel, le " serait » » (C.P. 5.482).
(29) Si l'un des états de choses réels apparait être l'univers des individus existants (cf C.P.
4. 512), d 'autres seront cherchés panni les états de choses passés : dans une
recherche sur un énoncé 01. de tels états passés apparaitraient comme les lieux
d'expérimentations déjà accomplies ou d'autres investigations empiriques de 01. •
72
à une relati on d ' accessibilité entre mondes. L'étude d 'une telle relation se donnera
alors pour but de mettre à jour la logique des modalités sous jacente à cette théorie des
mondes possibles . C'est à une telle logique que nous introduit , croyons nous, le systè-
me Gamma de la coupure en pointillé.
Si les interprétants d'un énoncé a peuvent être décrits comme lieux hypothé-
tiques ou réels d 'expérimentation sur cet énoncé, on voit qu'une rhétorique des inter-
prétants peut se donner pour tâche particulière d'étudier les rapports entre ces mondes.
Soit x et y deux mondes-interpré tants. L'expression A a x y signifiera : l'interprétant
x a un interprétant y relativement à l'énoncé a . Ce qui peut s'exprimer en termes
d 'accessibilité : le monde x a accès au monde y et cet accès est relatif au sens de a
(30). A a x y est relatif à un signe ; le signe en général pourra être considéré comme
exprimant une relation d' accessibilité entre les mondes de la recherche . Dans les présen-
tations ordinaires des sémantiques modales on suppose que tout énoncé a une valeur de
vérité dans tout monde possible , ce qui revient à dire que tout monde est relatif à
- pertinent pour - (31 ) tout énoncé formulable. Cela n'est pas vérifié pour les mondes
possibles qui apparaissent dans un processus de recherche. Un monde peut ê tre tout à
fait approprié pour la dé termination d'un savoir sur un énoncé a mais totalement non
pertinent pour {3. Quoiqu'un chercheur puisse avoir accès à tous les mondes possibles
qui apparaissent au cours de son investigation , seuls sero nt pris en compte , pour la dé-
termination d' un savoir sur a, ceux qui sont pertinents pour a. On proposera alors les
définitions sémantiques suivantes des opérateurs modaux. Si Y x a se lit « a est vrai
dans le mo nde x » on aura :
(30) Peirce dirait qu 'il est « grounded" sur le sens de a (ou mieux sur la relation de a à
son objet).
(31 ) Nous traduisons par ce tenne la notion de " re/evance relation " utilisée par
exemple par Montague dans l 'article cité plus haut (cf pp. 118 sqq ).
73
T2 a(3 -+a/\.(3
T3 G)-+7 œ
I" ...
T4 ,a,-+P7a
-,
Ts A -+ A~A
(32) Peirce introduit, comme on l'a vu, dans la langue de son système la feuille d'asser-
tion représentée par le tableau ou la feuille de papier où sont les écrits les graphes.
Nous choisirons le mot vide.A qui possède la même propriété que la feuille d'asser-
tion/à savoir la neutralité pour la juxtaposition. C'est pourquoi d'ailleurs nous
n'écrirons généralement que les mots réduits. Par exemple au lieu de
..A B @ nous écrirons B (3}
(33) La notion d'intérieur d'une coupure ne posant pas de problème sur le plan prati-
que, la forme de la coupure et la position des graphes dans l'espace ne jouant au·
cun rôle, seul intervenant le nombre de coupures entourant un graphe, on peut se
passer d'une théorie du rabattement sur un axe et se contenter de joindre les gra-
phes dans n'importe quel ordre par la conjonction. La seule chose à remarquer est
la non univocité de la traduction mais cette dernière ne pose aucun problème du
fait de l'associativité et de la commutativité de la conjonction.
74
@ ~ œv~
@ ~ œ=~
0®- .~,
® ~ Nœ
- R 1 (ins ): on peut inscrire tout graphe sur une surface donnée enclose par un
nombre impair de coupures alpha (cf. C.P. 4.505 ). Par exemple :
®
c'est-à -dire : 7 p 1- 7 (p J\ q )
En généralisant à un nombre quelconque de coupures la règle R 1 (ins) pourrait
s'énoncer (avec C0 représentant une suite - qui peut être - de conjonctions) :
. R 2 (eff) On peut effacer tout graphe enclos par un nombre pair ou nul de cou-
pures alpha (cf. C.P . ibid ). Par exemple :
p r ~ p
C'est-à-dire : p J\ r 1- p
De même :
Co A 7(C1 A ...7(CdAAA ... 7C1... ))rC 0 A 7(C 1 A... 7(CdA ...7C ... ))
1
où d = 21
- R 3 (it) : Tout graphe déjà donné peut étre réécrit, soit sur la méme surface,
soit sur une surface (déjà donnée) entourée d'un nombre supérieur de
coupures alpha et se trouvant à l'intérieur de la surface sur laquelle
se trouve le graphe originel. (cf. C.P. 4 506). Ainsi :
p 1- pp
C'est-à-dire : p 1- p A p
De même:
C'est-à-dire : 7 (p A 7 r) t- 7 (p A 7 ( p Ar))
Soit en généralisant :
C0 A 7 (C 1 A ... 7 (Cd A A A 7 (Cg A ...7 Ct ... )))
rC 0 A 7 (C 1 A ... 7(Cd A A A 7(Cg A...7 (Cu A A A...7Ct ... ))))
où
- R4 (deit) : Toute occurence itérée d'un graphe peut être effacée (cf. C.P. ibid).
C'est-à-dire :
C0 A 7(C 1 A... 7(Cd A A A 7(Cg A ... 7(Cu A A A ...7Ct ... ))))
- Rs (double coupure)
déf. La double coupure est la figure formée par deulC coupures alpha emboitées
l'une dans l'autre, rien n'étant inscrit sur la surface comprise entre les deu1C
coupures. Par e1Cemple, dans la figure suivante :
®
on a inscrit une double coupure autour du graphe p
76
Règle:
On peut inscrire une double coupure autour de tout graphe. Inversement
to ute double coupure peut être effacée de tou te surface sur laquelle elle se
présente (cf. C. P. 4 508)
Cette règle pourrait se présenter au moyen des deux schémas suivants :
R1 T oute coupure alpha entourée d'un nombre pair (ou nu l) de coupures (alpha
ou gamma) peu t-être transformée en coupure gamma. De même toute cou-
pure gamma entourée d'un nombre impair de coupures (alpha ou gamma)
peut être transform ée en coupure alpha. Ainsi :
,,,.,
c'est-à-<lire
0 7P
t--
f-
, _..,
( p l
P7 p
De même
@ ./
l- @
c'est-à-dire Np 1- 77p
1) Np~ p
Ce tte formule peut en effet s'écrire
7(7 P 7 p A7p)
(34 ) Nous prenons donc la règle dans son sens le plus restrictif qui nous paraît être ce-
lui de C.P. 4,51 6.
77
ainsi dérivable :
- par l'axiome
- par R 5
- par R 2 (eff)
@
- par R 1 (ins)
0
- par R3 (it)
0
0
2) N (p ~ q) ~(Np ~ q) 0
Cette formule en effet peut s'écrire
7 [ 7 P 77(p A 7 q) A (7P 7 p A 7 q))
soit
ainsi dérivable :
- par les trois premières étapes de la démonstration précédente
0
78
- par R 1 (ins)
· par R 3 (it) et R 5
- par R 7 et R 5
- par R 7
0.
M2
a=V
(3= V
a=>(3= V
M3
a = V
(3 = V
Ç.~________a_=>_f3_=_v_ _ _ _ _ _4Q
M1 M4
a=V (3 = f
(3=V
a•(3=V
79
Par ces quelques brèves remarques nous voudrions simplement attirer l'atten-
tion sur l'intérêt du système Gamma pour une rhétorique des interprétants. Peirce di-
sait que le seul but de la création d'un système logique était l'investigation de la théorie
de la logique (cf. C.P. 4. 3 73 ). C'est dans cet esprit que nous avons tenté d 'appliquer les
données de la logique modale contemporaine à la propre théorie peircéenne de la logi-
que comme sémiotique. [I resterait à étudier de façon systématique les dérivations et
les propriétés de Gamma et à se demander si ce dernier peut fournir de certains proces-
sus de la recherche intellectuelle une représentation adéquate.
***
(35) Une caractérisation formelle de cette notion de pertinence pourrait être fournie,
si l'on considère par exemple qu'un monde M· accessible à Mi lui est pertinent
pour a si M; {011rnit une interprétation de a dnterprétation pouvant être carac-
térisée formellement) . Dans une telle perspective on voit que toutes les tautologies
sont nécessaires t:t qu ·aucune formule consistante n'est nécessaire.
(36) Avec la notion de pertinence utilisée plus haut ceci reviendrait à dire que tout
monde peut fournir une interprétation pour chacune de ses formules.