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EPIPHANIES DE LA PRODUCTION

VICTORIA CALLIGARO

Mémoire 5e année DESIGNS 2010-2011


Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Lyon

Direction du mémoire : Jill Gasparina

Professeurs DESIGNS
Patrick Beurard-Valdoye
Jean-Marie Courant
Pierre Doze
Olivier Vadrot
Patricia Welinski

1
Mon mémoire se décompose en trois parties, que je présente sous la forme de trois actes.
Dans la partie centrale, l’acte II, je développe une étude de cas de projets de designs.
Les projets que je choisis, sont aussi bien exposés dans le milieu de l’art que celui du
design.
Ces exemples soulèvent la question de la place de la narration des processus de
production du design. Ils nous donnerons une interprétation à chaque fois
singulière de ces procédés.

2
ACTE I

Prologue : SAYNETE
__________________________________________________________________________________CONTEXTE D’EMERGENCE DES PROJETS DE DESIGN

ACTE II

ETUDE DE CAS
• INTRODUCTION
ECHELLES

Surface de réparation
PREFACE A LA SATURATION
___________________________________________________________________________________LE DESIGNER SE TROUVE UNE PLACE/ UN ROLE

Service lifté
LES EXEGETES DU QUOTIDIEN
______________________________________________________________________________________________REDONNER UN ROLE A L’USAGER

Ligne de fond
STRATEGIES DE DIVERSION
______________________________________________________________________________________________NARRATION VISE UNE DIVERSION

Hors-jeu
L’OPTION DE L’INFAMIE
_____________________________________________________________________________________QUELLES ARCHIVES DES PROJETS DE DESIGN

TRACAS ET ECLATS D’UN EXOSQUELETTE


__________________________________________________________________________________________________CONCLUSIONS SUR L’ETUDE

ACTE III

Epilogue : PROCES

3
               

  

4
<script>

5
les livres de Bruno Munari, Giorgio Maffei, ed.
les trois ourses, 2009, 287 p., 24 cm. ISBN 978-
2-9518639-5-8 : 42 €
6
ACTE I
PROLOGUE A L’ HETEROTROPISME

PERSONNAGE : A.
LA SCENE SE SITUE A TRAVERS LES OUVRAGES CITES EN BIBLIOGRAPHIE ( ANNEXE)

7
<didascalie>
« L’indéfinition du design est tolérable. »
Le silence qui suit dure peu.
La voix de A. s’élève dans l’éther fantasmagorique et conceptuel. Elle n’est pas plus incarnée qu’un
précipité inidentifiable et finalement transitoire. Et cela importe peu.
</didascalie>

A. − Je m’inscris en faux. Je vous propose de vous présenter B.


B. est designer. Bon, mieux que ça, B. veut faire preuve de design. B. agit en 2011 mais ne veut peut-
être pas être localisé. Dont acte. B. évolue dans un liquide amniotique d’informations (1) et de
données à variables entropiques. Ces informations sont disponibles sur de nombreux supports,
tangibles et cachés pour certains, omniprésents, insaisissables et faillibles pour d’autres.
D’ailleurs cela jette une épaisse nappe de brouillard sur l’horizon qu’essaie de repérer B.
La mesure de cet environnement fluctuant est relative, aucune configuration n’est absolue. (2) Il s’agit
d’user de sérendipité (3), ou de naviguer à vue. Dans ce système hors-sol, B. liste des
spécialistes à élire, repère des voies de circulation, et table sur une échelle, une mesure de temps.

B. n’est pas le récepteur d’un réseau dense, pour réaliser son projet de design, il va devoir agir en amont
et en aval. De plus, ce jeu constant de renvois qui anime le paysage de connaissances n’est pas
unidimensionnel, il s’élabore en strates, en profondeurs.
B. n’est pas dupe, mais il va devoir ruser pour ne pas se perdre. Heureusement pour lui, aujourd’hui
aucun projet de design ne s’élabore seul. B. va glocaliser (4)
à différentes échelles. Oui, B. lit un peu partout des nouveaux mots, destinés à la postérité ou non
d’ailleurs. Ce qui est sûr c’est que B. va utiliser pour cela un nombre démentiel de login et qu’il
va essayer de se rappeler tous les mots de passe qui vont avec. En quelques clics il va se
démultiplier, perdre un certain nombre de droits dû aux conditions d’utilisation qui sont
autant d’écrans de fumée franchissables en apnée. Pour glocaliser, il sent que ça va se passer dans
son entourage. Après tout il connait bien quelques graphistes et quelques boîtes qui pourraient
lui filer un coup de main.

B. se rend compte que les outils du designer ne sont plus rares et réservés à sa propre pratique. Cette
frénésie de duplication d’objets qui voit envahir son univers familier(5), agit désormais sur des
objets techniques, des outils. (6)
B. possède plein d’outils, comme beaucoup d’autres gens. (7) D’ailleurs, il est fier de sa dernière
acquisition en date, une imprimante Epson. Il possède aussi un appareil photo numérique
Canon, un ordinateur Sony, un téléphone portable Samsung, un dictaphone Olympus, une
perceuse-visseuse Bosch, une scie sauteuse Black&Decker, un fer à souder Weller, une carte de
bibliothèque municipale, une carte de crédit et de débit, quelques abonnements de téléphonies
et connexion Internet, plusieurs boîtes mails, une assurance maladie. Mais il se dit que l’encre,
c’est précieux. Il l’utilisera avec parcimonie.
B. est un utilisateur averti. La simplicité d’utilisation de ces petites machines mise en exergue par les
constructeurs et une communication efficace. Ce petit manuel qui accompagne sa nouvelle
imprimante qui est destiné en vérité qu’à être lu une fois qu’une panne a lieu en premier
recours a un joli logo engageant. Ce n’est de toute manière que l’excipient d’un phénomène
qui nous inculque un savoir technique inhérent à ces nouveaux usages. Ces outils fabriqués en
masse, ont certes développé des nouveaux usages, mais de nouveaux modes de pensée de la

8
production. Mieux, bien que cette révolution technique n’agisse réellement que là où se
concentrent les richesses, la pensée de production qu’elle invente, elle, peut avoir des effets
n’importe où. Car même si les outils techniques
se retrouvent eux-mêmes sur les chaînes de montage, ce n’est pas pour autant que ceux qui les
assemblent les utiliseront.
Là où la production de design étaient extraordinairement dépendante d’une technique, d’un savoir-faire,
utilisant le sens cette singularité technique ou opératoire comme étendard, elle s’émancipe. (8)
C’est une esthétique qui vise moins la technicité que la précision et la justesse de réalisation.
Néanmoins cette forme de production existe toujours. C’est pourquoi chacun peut être témoin
d’une production très technique s’appuyant sur de nombreux spécialistes, et d’autres formes de
production, autogérées, constitués des circuits courts où le nombre d’intermédiaire est réduit
drastiquement voir aboli pour le Do It Yourself. (9)
Mais B. réalise bientôt que pour réaliser son projet, il va lui falloir coordonner plusieurs rythmes. Un
temps attribué à la production de sens de son projet, un temps de communication de son
projet, un mode de réalisation. Ce que sait B. c’est qu’il veut faire exister un projet de design
maintenant, et donc B. va devoir donner une réalité singulière à cet objet. (10)
Or la réalité d’un projet de design à l’heure où B. veut accomplir son dessein, est multiple, elle gravite
autour de plusieurs foyers avec leurs temporalités. La conception met un temps épars et
extensible ; la production d’essai se fait sur un temps en pointillés mais qui s’empreinte
profondément dans le projet ; la réalisation elle tient dans un temps aux limites claires et
définies − sur ce point là B. n’est pas tout à fait sûr que ce sera lui qui les délimitera − ; et puis,
entre autres, il y a aussi la diffusion qui repose sur un temps en expansion qui se dissipe sur les
bords.

La logique post-industrielle, mètre-étalon aujourd’hui, transforme les moyens de production du design.


Cette logique vise l’émancipation de la production d’objets des circuits industriels issus de la
révolution technique du XIXe. Elle apparaît après la seconde guerre mondiale et se développe
depuis les années soixante. Il faut préciser que ce mouvement post-industriel s’inscrit dans une
géographie particulière, qui est celle du monde occidental. Cette aspiration à constituer une
alternative aux circuits dominants renaît. On tâche de constituer d’autres modes de production.
B. assiste à la généalogie de nouveaux processus qui amènent à voir émerger des projets à
plusieurs temps, qui emploient plusieurs langages. Les technologies informatiques apparaissent
avec leurs codes, mais aussi de nouveaux medias de l’image avec la vidéo, le cinéma, se
constituent un vocable singulier. Des nouvelles technologies qui appellent de nouvelles
pratiques et de nouveaux canaux de communications. (11) Cela tombe bien, B. se sent l’âme
d’un traducteur, il se sent plus aiguilleur ou vecteur que démiurge.
La position du designer n’est plus celle d’un ingénieur, mais bien celle d’un intermédiaire, d’un
médiateur (12) qui s’aménage un/son espace d’expression rendu aussi visible par les choix de
réseaux dans lesquels va s’articuler le projet.
Le designer devient-il un non-spécialiste ? Devient-il un professionnel qui construit le récit de la
production et de la réalisation du projet ? Connecter des réseaux spécialisés (13), repérer des
points de chute dans les réseaux de flux tendus, B. se doute que les enjeux principaux qui
teinteront de succès ou d’échec son projet, prennent position sur ce terrain là.
Repérer ses collaborateurs déjà bien ancrés dans ces méandres est primordial. Les références aussi
construisent l’échafaudage du projet. Plus tard, il devra surement s’agir de détourner des

9
procédés rôdés, construire un projet dans un domaine non familier. Les enjeux du projet de B.
sont ambitieux. B. cherchera à mettre en mise en perspective le contexte qui va environner sa
production. Pour cela, il va devoir aussi positionner, engager son projet. Il va donc devoir
fortifier les articulations idéelles principales de son propos. En effet, il va se rendre compte qu’il
agit singulièrement et que c’est sa parole d’auteur qui signera son projet. L’aménagement de cet
espace d’expression va colorer sa production ou la production qu’il va faire exécuter par un tiers.
De tout cela va découler, une résolution singulière, qui viendra répondre à l’enjeu cerné au
début. (14)

B. est tout de même en proie au doute, ce nouveau contexte phagocyte la vision historique du designer.
Le designer tendrait-il donc à se déspécialiser ? Loin de l’image d’Epinal du designer-ingénieur
peaufinant un moule qui servira à dupliquer infiniment un vase destiné à un usager aux traits
vagues et idéalement contextualisé, le designer cherche peut-être plus à attribuer une fonction
au regard de l’usager plus qu’à ce qu’il tient dans les mains. B. esquisse déjà une interrogation
sur l’esthétique de son projet. B. la qualifiera peut-être de non médiumnique. Mais B. sait qu’il
s’adresse à un usage et un usager en particulier, directement, faute de vouloir dialoguer avec un
fabricant précis. Peut-être qu’en visant cet usage et cet usage, celui-ci va pouvoir devenir
fabricant, s’émanciper du rôle unilatéral du simple consommateur.
Sélectionner, viser. Mieux : élire. B. va choisir l’objet de sa recherche parmi le ressac d’objets
environnant s’ajoutant à chaque lame de fond de nouveaux savoirs techniques. Ainsi B. se
positionne par rapport à ce phénomène d’accrétion moderne, mêlant objets et informations.

La surface de contact entre le monde des usages et celui des objets, est à matérialiser par le designer.
Dans le cas de B., il va s’agir d’un récit fictionnel, d’une narration. Vise-t-il une mystification ?. B.
connaît ses références, il va pouvoir naviguer avec facilité et communiquer avec un langage qu’il
maîtrise.
Il se demande juste comment il va être perçu à la fin, l’œil distrait par un reportage sur les bernard-
l’hermite.
B. va donc devoir se positionner(15), s’engager. Il va se saisir d’une face du prisme du projet. En effet,
le designer va construire son projet autour de sa communication externe et interne. La
communication externe visant ceux à qui s’adresse le projet ; la communication interne visant
ceux qui participent au projet. (16)
Il s’agit pour chaque objet de design de se projeter dans une mythologie, dans l’histoire. Pour B. il va
s’agir surtout, il le pressent bien, d’élaborer une mystique autour de son projet.(17) D’ailleurs,
non seulement il va pouvoir séduire en aval de son projet, mais pour sûr, cela va pouvoir l’aider
en amont pour construire ce projet.
C’est un peu comme aimanter son projet, il doit se dire.
Quelque chose comme ça.
Lui donner un pôle nord et un pôle sud. De cette façon, chacun qui s’en saisira percevra son sens par les
effets que le projet a sur son environnement proche.
Mais cette polarité ne se limite pas à une influence binaire, il sait bien que c’est un spectre intermédiaire
et aux tonalités imprécises.
Un gradient qu’il va lui falloir définir.
Tacitement.

10
• Introduction au dossier
____________________

ANALYSE DE L’ ETUDE DE CAS

11
es pratiques du design évoluent dans un environnement complexe. Rien

L de moins étonnant. Cet environnement entrelace des données


géographiques, économiques, politiques, technologiques et historiques.
Il était caractérisé par un discours historiographique aux tracés larges et francs.
Désormais, comme ce prologue semble en témoigner, cet environnement semble
muter, il tâche plus de ponctuer des flux de données que de constituer un corpus acté
et pérenne.
Il apparaît que cette forme de ponctuation de l’information donne envie à certains
designers de s’en saisir. Ils comprennent le fonctionnement de ce code et l’investissent
dans leurs propres projets. Ils en donnent une interprétation qui fait transparaître leur
captation du réel au sein duquel ils pratiquent le design.
Nous allons vois une sélection de projets qui rend compte de ces mouvements. Le
point de vue que nous allons adopter cherchera à mettre en lumière comment ces
designers nous parlent de leurs process de production du design. Dans les cas mis en
présence, il s’agit d’une narration. Qu’est-ce que cette narration de la production rend
compte des pratiques de design ? Quels enjeux dans la production de ces projets, ces
designers déplacent-ils ?
Aussi, il va s’agir pour nous d’interpréter les narrations qui transparaissent dans l’étude
des projets qui vont suivre.

Les processus de production sont des occasions d’exercices de style particuliers dans le
design. Ils s’apparentent alors à des formats prédigérés tels que le making-of
cinématographique, ou le journal d’écriture…
Pourtant on trouve aussi nombre de projets de design qui voient cette occasion de
montrer leurs procédés comme un moment d’expression de l’auteur. Une marge rare
dans laquelle il est permis de voir la construction du projet. En même temps, elle nous
donne un commentaire sur l’insertion du projet dans le contexte qui le voit émerger.
Un dialogue en bas de page apparaît, entre les auteurs et les techniciens, les
spécialistes… C’est une narration de la production. (18)
Mieux, dans ces exemples, on verra que cette marge est tout à fait artificielle. Dans les
exemples que nous allons développer, elle est pensée, élaborée à dessein. Que nous
raconte-t-elle ?

Mais d’abord, en quoi consiste cette narration ? Comment apparaît-elle ?


Celle-ci est différenciée pour chacun des projets, dans la mesure où les designers qui les
construisent s’expriment en auteurs et non en simple exécutant.(19)
Ce sont des récits −terme pris au sens large − qui sont de natures diverses, de formes
dispersées et aussi d’intentions disparates. A l’instar des modalités de production qui
voient déspécialiser les designers, réorganiser les chaînes de production, et spécialiser
de façon croissante des pratiques et des techniques, la forme de la narration qu’en font
les designers capte ces mouvements. Cette multiplicité des énoncés et de leurs supports
témoigne donc de ces modalités de production en mutation et jouent aussi un rôle
actif dans ce même mouvement.

12
Cette écriture ou réécriture du processus de production bouche les ombres et
surexpose parfois à la lumière. Qu’est-ce qu’elle permet alors de filtrer?

Le ton donné à cette narration, quant à lui, donne une couleur particulière au projet.
Par ton, c’est l’écriture qui est entendue. Une narration est avant tout l’occasion d’une
écriture singulière. Ce ton permet de faire apparaître de façon plus ou moins marquée
son auteur. Il se place sous une lumière particulière, il s’exprime et se donne un rôle.
Les documents qui viennent étayer sa description sont aussi un support de
l’information pour produire le projet de design. Les designers ne s’adressent pas
seulement à des lecteurs ou des spectateurs, mais aussi à ceux qui vont être parties
prenantes dans la réalisation du projet. Ce récit n’est souvent pas simplement un
support descriptif −là où se distingue le design critique qui constate, d’un autre design
qui propose −, ce récit doit être interprétable pour une étape suivante du processus de
réalisation.
Cette narration cherche donc à décrire certains détails du processus entier du projet de
design. En en évacuant d’autres. Chaque projet comporte des étapes modulables et
certaines incompressibles. Cette série d’étapes peut être revisitée selon le projet engagé.
Il s’agit alors de reconfigurer ces étapes, leur hiérarchisation dans le processus de
production, leur impact relatif dans la réalisation finale, le degré d’investissement dans
la production.
En effet, les projets s’appuient souvent sur un schéma de process qui décline : une
conception, une proposition, une production et une diffusion du produit. Cette
logique n’est pas absolue mais une référence a priori.

Entre les étapes de cette chaîne de montage, des documents circulent. Ces instructions
traduisent une intention et donne un statut au projet provisoirement. Elles constituent
aussi un écran, intrinsèquement, à l’étape suivante dans la production.
Les exemples qui vont suivre font état de cette propension qu’a le récit à constituer un
écran dans la production même. Mais il peut être aussi le support d’une volonté de
transparence maximale. Quoiqu’il en soit, cet écran est un filtre plus ou moins opaque,
plus ou moins tamisé. L’ensemble du projet est alors mis en perspective. Enfin, une
caractéristique essentielle de cet écran apparaît : c’est qu’il s’agit avant tout d’un
fantastique support de projections.
D’autre part, cette narration décrit des pratiques de design et tient compte de son
archivage à une postérité latente.
Comme dépeint au début de cette introduction, les projets de design émergent dans
un environnement en flux tendus. Ces flux sont ponctués, rythmés. Cette ponctuation
s’assimile à des comportements, des codes, des systèmes de fonctionnement particuliers
à chaque domaine.
On comprend bien que ces récits s’engagent sur diverses voies, et chaque designers
décident d’en préférer une ou bien plusieurs. D’aucuns s’ancreront dans des références
historiques et économiques visibles quand d’autres navigueront de dystopies sociales en
utopies modestes.(20) Chacun des designers s’engage dans son projet. Des enjeux sont

13
designés, des partis sont pris. Ils s’encrent dans un réel épais et banal. Il n’est pas
expliqué pour quelle cause ils s’engagent, mais c’est la narration qui urge un ressenti
particulier.

Au final, l’ensemble des projets de design présentés ici est mis en perspective dans
l’optique d’y discerner une narration de la production.(18) Il y en a treize en tout.
Quelles sont les différentes manières qu’ont ces designers de raconter la production de
leurs projets ? Comment traitent-ils ce sujet autrement que comme un phénomène
hermétique, clos ? Par quels effets le communiquent-ils ?
Ces exemples sont produits sur un no man’s land entre design et art. Empruntant des
circuits de production du design, des circuits de diffusion de l’art et vice-versa.

Les projets seront présentés, rassemblés sous différentes focales. Ensuite nous les
examinerons, en essayant d’opérer une extraction du récit.
Aussi ces exemples seront compulsés sous plusieurs aspects. Certains requerront plutôt
une enquête sur les conditions qui les voient naître puisqu’il s’agit d’un commentaire à
un réseau de production. (cf. « préface à la saturation »)
Pour d’autres c’est le parti pris vis-à-vis de l’usager à qui l’on s’adresse qui sera la pierre
angulaire de la réflexion. (cf. « exégètes du quotidien»)
D’autres encore interrogeront une stratégie globale, un dessein qui parcourt le projet
globalement. (cf. « stratégies de diversion »)
Enfin, quelques uns questionnent la dimension de l’archive de production que
constitue potentiellement ces narrations. (cf. « l’option de l’infâmie»)

Les exemples de cette étude de cas sont collectés sous le signe d’une intention
animiste qui se diffuse dans chaque projet. Elle est engagée, et interpelle le
contexte d’émergence de ces projets de design (cf. prologue). De plus ces
exemples déclinent chacun à leur manière la fragilité, la précarité du processus
de production du design qui tient s’élabore comme un numéro d’équilibrisme
collectif.
Au final nous verrons que cette narration qui transparaît relève d’une forme de
valeur conceptuelle ajoutée au produit. Ces apparitions sont ce que nous
appellerons les diverses épiphanies de la production. C’est la façon dont elle se
manifeste qui invite à reconsidérer les objets produits dans le contexte qui les
voient émerger. Chacun d’entre eux reconsidère d’un regard réflexif ce que
peut bien être la pratique de design. Et c’est in fine cette possibilité d’un
retour critique sur cette discipline nous conduira tout le long de nos analyses.

14
ACTE II
ETUDE DE CAS

PERSONNAGE : A.
LA SCENE SE SITUE DANS LES DOCUMENTS QUI NARRENT LES PRODUCTIONS DE DESIGN DES DESIGNERS :
CHARLES ET RAY EAMES , YONA FRIEDMAN, PHILIPPE MILLOT, CRAFTPUNK , MARTI GUIXE, BRUNO MUNARI ,
TOBIAS REHBERGER, ANTHONY DUNNE ET FIONA RABY , STUDIO GLITHERO, RYAN GANDER, MARTINO
GAMPER, DEXTER SINISTER, ETTORE SOTTSASS

15
<didascalie>

ENCART SUR LES ECHELLES


DE LA PRODUCTION
ET LES DEGRES D’INTERVENTION DU RECIT

A. nous présente l’étude de cas. Il nous précise que ces projets de design se dispersent sur plusieurs échelles.
</didascalie>

A. − Dans la sélection de projets de design qui va suivre, il s’agit de repérer, de comprendre et


d’apprécier en quoi ces projets sont des occasions de récits, qu’est-ce que ces récits racontent, quelles
techniques sont employées pour faire apparaître ce discours comme une narration. Il va donc s’agir d’une
part d’analyser l’énonciation, puis l’énoncé en lui-même. Pour ce faire chaque projet passera par cette grille
de lecture (ci-contre fig.1).
D’autre part, il faut bien noter ceci. Ces projets de design sont assez éparpillés pour certains d’entre
eux. Ils investissent différents supports d’énonciation de leur narration de production. Ces supports ont
différentes échelles.
Que voici.
Voici un schéma (ci-contre) des échelles d’un schéma de production de projet de design. Comme
nous pouvons donc le constater, plusieurs échelles entrent en ligne de compte.
la narration de la production de design peut se situer à plusieurs niveaux ;
il peut raconter une étape,
et il peut être diffusé/produit dans cette étape
(Immédiatement) ou dans une autre
Différents niveaux du projet de design
(auxquels on peut attribuer une temporalité)(22)
Nous avons donc ces étapes auxquelles correspondent des échelles du projet de design :
E0 (SEC) TECHNE (REGARDER DE PRES) ; TECHNIQUE
E1 (MINUTE) OBJET ASPECT GLOBAL + CONTEXTE, ENVIRONNEMENT ; CONSIDERER L’OBJET, RELATION
AVEC ENVIRONNEMENT
E2 (HEURE) PRODUCTION DE L’OBJET
E3 (JOURS) DIFFUSION DE L’OBJET / PROJET
E4 (MOIS) COMMUNICATION DE L’OBJET/ PROJET ; LE FAIRE EXISTER DANS UN CONTEXTE (QUELLE
RESONNANCE)
E5 (ANNEES) ARCHIVAGE ; POSSIBILITE D’ETRE SAISI AVEC QUELQUES BRIBES CHOISIES DU CONTEXTE

MAINTENANT NOUS ALLONS INTERPRETER LES EXEMPLES DE DESIGN DE :


Charles et Ray Eames, Yona Friedman, Philippe Millot, Craftpunk, Marti Guixé, Bruno Munari,
Tobias Rehberger, Anthony Dunne et Fiona Raby, Studio Glithero, Ryan Gander, Martino Gamper, Dexter
Sinister, Ettore Sottsass

16
fig. 1

DESIGNER _ TITRE

(SITUATION)
Quand le projet est-il visible ?

Où est-il visible géographiquement ?

(Techniques de production)
Comment se présente matériellement le projet ?

Quelles techniques de production sont employées?

Qui l’a réalisé physiquement ? (casting, collaborateurs)

Quelles ressources utilise-t-il ?

(Moyens de production)
Fait-il l’objet d’une diffusion ? Si oui, laquelle ?

Par qui est-il visible ?

Quel(s) usage(s) concerne(nt)-t-il ?

(Contexte d’énonciation)

Quelle est la typologie du récit ? à quels formats fait-il référence ?

Sous quelle forme apparaissent les références ?

Quel engagement dans le temps ? (éphémère, postérité….)

Ecart entre réalité / récit ? Factualité ? Rapport en le récit et le projet ?

(Énonciation)

Qui en est l’auteur ?

Qui parle ? Qui est le « je » ?

Quel territoire du Design est le théâtre des opérations ?

Quelles références entrent en jeu ?

Quelle résolution pour l’usage ? Quelle est l’intention ?

17
fig. 2 ECHELLES

18
« Au-delà de l’apparente simplicité de l’objet, si on l’analyse attentivement, celui-ci révèle toujours la
riche complexité du processus qui l’a engendré. Que ce soit la position du plan incliné d’un cendrier, ses
dimensiosns, la disposition des lignes ; le tracé d’une courbe permettnt d’obtenir une articulation sans
charnière ; le choix d’un matériau banal pour réinventer le diffuseur d’une lampe ; ou encore le choix
technique précis d’un procédé d’impresision : dans tous les cas, l’objet s eprésente comme porteur d’un
récit toujours sous-tendu par une « invention » au niveau du projet. » Vanni Pasca (21)

19
20
Surface de réparation
PREFACE A LA SATURATION
_____________________ARTICLE N°1

Service lifté
LES EXEGETES DU QUOTIDIEN
_____________________ARTICLE N°2

Ligne de fond
STRATEGIES DE DIVERSION
_____________________ARTICLE N°3

Hors-jeu
L’OPTION DE L’INFAMIE
_____________________ARTICLE N°4

Conclusion
TRACAS ET ECLATS
D’UN EXOSQUELETTE
_____________________

21
22
23
production d’une chaise en série impliquant une
Surface de réparation
technique de moulage de contreplaqué développée
PREFACE A LA pour l’équipement médical de l’armée américaine
pendant la seconde guerre mondiale. Nous allons
SATURATION interpréter cette photographie comme le document
____________________________ d’une performance. Ce qui va nous intéresser c’est
comment cette performance apparaît dans un système
LA PRODUCTION EN GENERAL SE DEPLOIE SUR UN RESEAU

DE SPECIALISTES. IL S’AGIT D’UNE TRANSFORMATION DES


de production industriel institutionnel dans un
SYSTEMES DE PRODUCTION D’OBJETS QUI DEPASSE LES contexte exigeant qui plus est.
SYSTEMES TAYLORISTES. Prédire, anticiper cette lame de fond qu’est
CES MODELES DE PRODUCTION SE SONT CONSTITUES SUITE A
l’arrivée de méthodes de production non
PLUSIEURS VAGUES D’INDUSTRIALISATIONS. CHACUNE DE
fordiennes, fut chose aisée. Et pour cause, ce n’est
CES LAMES DE FOND RENDENT OBSOLETES DES TECHNIQUES,

DES CORPS DE METIERS.


pas comme si les designers n’étaient pas étrangers
LES DESIGNERS DONT NOUS ALLONS PARLER PARLENT DE à la genèse de cette transformation. Ces designers
MUTATIONS LATENTES DANS LES MODELES DE PRODUCTION ne sont peut-être pas les instigateurs de la refonte
D’OBJETS COURANTS. CES MUTATIONS SE SITUENT AUX du système de production industriel classique,
EXTREMITES DES RESEAUX DE PRODUCTIONS. AU NIVEAU
mais ils joueront le rôle de catalyseurs.
DES SPECIALISTES. CHAQUE SPECIALITE EST POUSSE DANS
Les Eames parmi d’autres designers, vont
UNE TECHNICITE EXTREME EN CONSTANT PROGRES. LES

SYNAPSES DE CE RESEAU SONT INEXTRICABLEMENT s’adapter aux mutations du système de


CONNECTEES. production industriel. En innovant
CE QUI APPARAIT DANS CE RESEAU EN EVOLUTION techniquement, et aussi dans la médiation de leur
PERPETUELLE C’EST QUE LE DESIGN NE FAIT PLUS FIGURE
projet. Ils vont engager leurs pratiques dans des
QUANT A LUI DE SPECIALISTE. LE RESEAU COMPTE SES
nouvelles modalités de production. Ils inventent
TECHNICIENS QUI REMPLISSENT CHACUN UNE TACHE QUI

LEUR EST ATTRIBUEE. LE RESEAU EST SATURE. COMMENT LE


de nouvelles modalités de production où la
DESIGNER DEFINIT-IL SON ROLE DANS CE RESEAU ? EST-IL médiation entre les techniciens compte, lançant
DE TROP ? QUELLE EST SA PLACE CE RESEAU QUI NE ainsi leur projet à vive allure sur une voie sans
CONSTITUE PLUS UNE CHAINE DE PRODUCTION MAIS PEUT
retour.
ETRE DAVANTAGE UNE CHAINE ALIMENTAIRE ? (23)
LES DOCUMENTS ETUDIES ICI, RACONTENT UN PROCESSUS
C’est donc sur un territoire déjà mouvant, au
DE PRODUCTION QUI MET EN AVANT LE RESEAU EN

MUTATION QUI EST MIS EN BRANLE POUR CHAQUE PROJET. début des années 40, que les Eames vont produire
CES DOCUMENTS SONT EMPREINTS D’UNE NARRATION. UNE des objets de design destinés notamment à
NARRATION DONT NOUS ALLONS EXTRAIRE LES ENJEUX QUI l’armée et aux hôpitaux. C’est choix aux prises
CONCERNE LA SATURATION DU RESEAU DE PRODUCTION.
avec le contexte politique de l’époque, engageant
leur production avec les équipes médicales
RAY ET CHARLES EAMES soutenant l’armée américaine.
Dans ce contexte, les Eames centrent leur
Les documents qui nous concernent sont les technique de production autour d’un corps. Le
photographies prise lors de la réalisation d’un
prototype de chaise en 1941. Le projet ici concerne la

24
corps de Charles Eames moulé dans du Il s’agit du récit d’une performance qui circule
contreplaqué. dans le réseau de production industriel
Cette technique innovante du moulage de institutionnel.
contreplaqué est née peu de temps avant. Pour émettre ce signal au cœur même de la
D’abord pour une série d’attèles, puis plus chaîne de production, ils ont donc opté pour la
englobant, un brancard. Cette technique va rhétorique de studio photographique archivant
directement inspirer la fabrication de chaises et l’objet, support d’une performance.
fauteuil. Peu de textes accompagnent l’image, ce qui
L’innovation technique est incontestablement le renforce son aspect de «performance». Si c’était
pilier du projet, mais l’héritage historique et un simple cliché visant la description du procédé,
l’engagement des designers qui s’y mêlent on aurait probablement le droit à une
pourront être décelé par les documents qui font photographie sans doute plus explicite,
trace du projet de design. développant plusieurs étapes. Or ici rien de cela,
Les Eames prennent appui sur le modèle il s’agit d’une photographie d’objet, absolument
industriel, s’en servent comme d’un laboratoire à mise en scène, Le geste apparaît. Fragile,
grande échelle. Démultipliant la force de frappe télescopant l’échelle des moyens de fabrication
d’un geste fragile, ils cherchent avant tout à avec ceux de la production auxquels ils sont
mettre son efficacité au service d’un acte destinés. Par là, le designer se rend dépositaire du
émancipateur. Celui par exemple de mouler sur sens de l’objet qu’il s’apprête à réaliser, mais il ne
un corps réel, non idéel, puis de livrer tel quel le déborde pas de son rôle de designer. Le récit
prototype aux chaînes de production. C’est la n’enjolive pas, il est laconique et pourtant sensible.
machine à thermoformer le contreplaqué qui En effet, cette apparition technique relative au
devra épouser le corps en négatif de Charles bois se manifeste dans la communication interne
Eames. du projet (relation entre spécialistes), mais aussi
Dans cet exemple, les Eames utilisent donc un envers l’usager, et l’archive technique. C’est l’écho
réseau efficace, celui de la production industrielle successif de cette technique dans les différentes
de masse. Ils vont donc adapter la démarche du étapes du projet (prototype, production,
projet mais, par le levier de la fabrication du archivage..) qui révèle le réseau de production.
prototype, qui est une étape cruciale dans la Cette forme particulière qu’induit cette technique
production d’un objet industriel, ils vont émettre précisément, met en perspective plusieurs projets
un signe. (attèles, brancards puis chaise). C’est donc la
Ce signe est un document de production qui réverbération de cet écho dans différentes strates
nous est amené à être interprétés comme la du projet qui fait ici apparaître le réseau de
photographie d’une performance. Une production de l’objet de design.
performance où Charles Eames est ficellé à une
planche de bois contre-plaqué maintenue humide.
La posture adoptée n’est pas évidente ; introduire
les notions de traitement du corps à échelle

25
industrielle est à prendre avec recul. Les Eames Ici pour ce projet Yona Friedman prend un
font le pont entre ces productions postfordiennes contre-pied formel à cette charte communicante
et les industries qui font encore autorité, quand du projet urbain. C’est le document
d’autres choisiront, une fois la mutation opérée communiquant entre institutions qui est le
après-guerre, la rupture catégoricielle. Le projet support de la narration. Entre les institutions
de design vise à réemployer une technique utilisée responsables de ce projet urbain réel, circule les
pour la production d’équipement médical pour dessins de Yona Friedman. Des dessins qu’il fait
l’armée américaine pour une chaise destinée au aussi circuler hors de ce réseau, en les exposant
grand public. S’agit-il d’un hommage au contexte dans des éditions monographiques.
historique du projet subtilement caché dans le Le dess(e)in est simple, voire naïf. Ce sont des
matériau même ? formes autonomes, produites hors de ces circuits
traditionnels puisque se sont des illustrations de
YONA FRIEDMAN manuels poétiques. Des bulles de bande-
dessinées, des dialogues laconiques, un dessin

Pour son projet, le designer ici emploie le vocabulaire « bâtonnet » noir et blanc, ou sur fond de couleur

de la BD pour proposer son projet urbain dans le selon les éditions, des légendes métaphoriques ou

concours pour l’aménagement du site du centre George plus pragmatiques. Yona Friedman les utilise

Pompidou a Paris dans les années soixante dix. Il y comme base de son travail d’urbaniste,

propose une agora ouverte et construite par les d’architecte. (24) Il va même les exploiter dans la

habitants du quartier environnant. Le designer fait construction de projets à échelle1. Exploités en

circuler ces dessins comme document officiel dans le maquettes, puis en photographies de maquettes,

réseau du concours au projet urbain. puis en esquisses de projet, en mise en situation

Pour Yona Friedman, il s’agit de discourir en réelle dans la ville. C’est pour le projet de musée

négatif par rapport aux exercices de styles de Beaubourg (25) que ces dessins réapparaissent

imposés par les décideurs institutionnels pour un à plusieurs étapes de la production, comme

projet urbain. Dans ce cas, le designer-urbaniste référence tacite. Ces dessins ne sont cependant

utilise un vocabulaire expressif au contenu pas un statement invariable pour Yona Friedman.

délibérément fragile. Ces dessins lui permettent Il les décline à foison mais ne se repose pas dessus

de revisiter les formats de documents de projets de façon absolue. Ses dessins sont plutôt des

urbains circulant dans les réseaux de production commentaires à chaque étape de ce projet.

urbanistiques. Ces formats couramment admis Le designer ici raconte son projet, mais d’une

consistent en perspectives de mise en situation, façon telle que nulle institution réelle ne puisse

des simulations au trait vectoriel de vue s’en saisir tel quel. En effet, il participe d’une

d’ensembles, d’élévations cotées, de plans interprétation sensible. Il s’adresse à un lecteur

millimétrés… Mais il s’agit aussi de comptes singulier, et fait fi du jargon technique. Pourtant

rendus de prospection sur le terrain, de rapports le projet est réel, les intentions denses et

techniques d’investisseurs… concrètes.

26
Les modèles de projet de design urbain, qu’on qu’un projet reste et restera utopique, quand un
qualifiera à tort ou à raison d’utopiques, reviennent autre se verra impacter la vie des habitants d’un
sur ces formes aériennes qui structurent l’espace quartier. (26)
public.
C’est grâce aux fondements radicalement décalés PHILIPPE MILLOT
du projet, que Yona Friedman se distingue, et
émet une critique. Il donne à ce plan une Le designer dans ce cas est le graphiste qui supervise
envergure utopique et solaire qui trouve sa force
l’édition de monographies d’artistes éditées suite à des
dans sa cohérence et sa capacité au dialogue avec
expositions (pour le centre George Pompidou, Arman
des interlocuteurs pourtant désignés d’office.
2010 et Beckett 2007 ainsi que l’édition d’un roman
Ces dessins qui ponctuent légèrement son
pour Salmigondis, 2006).Le projet ici concerne la
discours sur ce projet en particulier, comme dans
d’autres, sont moins des annotations exotiques production de ces livres, la facture dont ils sont fait, le

qu’un rappel du statut du projet à chaque travail de graphisme qu’ils portent et qui trace le
moment. Moment de prospection, moment de travail éditorial et de production technique des
concertation avec les habitants, moment de ouvrages eux-mêmes.
proposition, moment de réalisation. Ici le geste du Dans les exemples du corpus, le designer
designer est une douce exhortation à graphique responsable de la qualité de l’édition
véritablement penser chaque étape de la des ouvrages Arman, (Salmigondis, aux éditions
construction du projet. Yona Friedman estime qu cent pages) et Objet Beckett, cherche à faire
l’habitant doit être légitimement intégré au apparaître dans les objets mêmes, les différentes
process (26). Ne pas simplement reproduire ce étapes de productions. Philippe Millot fait ainsi
qui est communément admis, mais véritablement apparaître les moments de productions mais
interroger son sens le plus radical. surtout les acteurs.
Anathèmes jetés sur la bien-pensance de projets Dans Salmigondis, il s’agit surtout des dialogues
viables sous prétexte d’être consensuels ? entre éditeurs et auteurs auxquels le graphiste
Invocations légères à reconsidérer la cherche à donner un statut particulier : les pages
responsabilité humaine pourtant grave de ce type sont plus fines, roses, et la typographie fait
de pratiques admises ? directement référence au brouillon, statut
Mais Yona Friedman ne pirate pas le système au transitoire du document. L’objet fait état de cette
sein duquel il navigue. Il fait passer son projet par laborieuse genèse, entre fausse maladresse et
le réseau de production déjà constitué, sous une diversion honnête. Il s’agit donc dans cet exemple,
forme délibérément enfantine, simpliste. de donner à corps et matérialité à la production
Il radicalise le geste, le dépouille, l’allège au d’un auteur aussi fictive soit-elle.
maximum. Néanmoins, il ne se contente pas de Dans Objet Beckett, il s’agira plus de faire état de
critiquer, il propose. Loin d’une absurdité la collecte des documents qui sont le sujet de la
lancinante qui disposerait d’une dystopie, son monographie (et de l’exposition) sur Samuel
projet veut interroger ce, ou ceux, qui décident Beckett. Là c’est le montage qui est pris au pied

27
de la lettre et qui déconstruit/ construit l’ouvrage désirs d’un individu sur l’objet final, et la
même. Plusieurs livres sont ainsi présents dans considération du travail effectif, lui déjà accompli
l’Objet Beckett, chacun avec ses propres par un collaborateur. (28)
caractéristiques de grammage, de foliotage, de Chacun apparaît dans son rôle ; les différentes
couleur de papier et d’impression, ses procédés de étapes de production sont signées aussi humbles
lithogravures ou de reproduction iconologique. soient-elles.
On voit par exemple apparaître les coutures Le réseau de production n’est pas directement
bleues qui relient les différents cahiers qui critiqué par Philippe Millot qui les fait apparaître
composent l’ouvrage. Comme pour manifester le non sans raison. Il s’agit plutôt de renvoyer
caractère artificiel de la composition finale du chacun à ses responsabilités. Susciter
livre. Un jeu de transparences d’images est aussi l’interrogation sur le processus de production,
présent le long de la lecture de la monographie. faire courir les fantasmes sur les rôles préétablis
Les textes à venir, des fac-similés, des documents dans la production éditoriale, en démystifier
extraits de microfilms apparaissent en d’autres : surtout « laisser quelques erreurs pour
surimpression. Pour nous avertir de ce qui va que ça laisse à désirer »(28).
advenir dans la suite de la fabrication, de la
collection d’images.
Enfin pour la monographie Arman, il s’agit là CRAFTPUNK
encore d’une monographie d’exposition, il s’agit
de faire apparaître les étapes de production de
C’est une installation de studios de designers dans un
fabrication de l’objet livre. La couverture fait écho
showroom sponsorisé (Fendi) lors d’une foire de design
aux objets que la monographie illustre (boîtes-
(Design Miami en 2009) (participants voir annexe)
collages d’Arman). En effet, certains détails
au cours de laquelle des objets de design sont produits.
(papier à pois et à rayures) sont extraits de cette
image et investit dans l’édition de la monographie. A l’instar des exemples précédents, l’installation

Le péritexte (27) concernant les sponsors et les Craftpunk voit un ensemble d’objets faire sens

responsables de l’impression en elle-même font dans un projet, un temps donné. Cette

l’objet d’un jeu formel sur plusieurs formats… installation-performance rassemblait des

Il s’agit de faire apparaître la trace des designers d’objets, dans un showroom, le temps

collaborateurs. Et même plus, car il s’agit aussi de de l’exposition pour produire un objet de design.

les nommer. Il donne un contexte de production Ici il est plutôt question de montrer la technique

qui est plus qu’une configuration de techniques et employée en temps réel que de montrer l’entier

une chaîne de production de savoir-faire. C’est processus de réalisation d’un objet de design.

foncièrement un entrelacs de traces d’individus. Le showroom était un endroit vaste (750m²)

On a affaire à une succession d’interprétations de entièrement équipé avec les outils employés

l’ouvrage. Car celui-ci au cours de sa réalisation d’habitude par les différents studios et designers

même, passe de mains en mains. Et rend compte présents. Il est particulier de montrer à l’ouvrage

de cela, avec à chaque étape la projection des les artisans dans le cadre même de leur future
mise en vente. Cela fait apparaître l’auteur de

28
l’objet dans la situation qu’est la sienne lors d’une sont rassemblés dans un lieu qui fait sens, et la
commande. Sa proposition sera validée par la cérémonie se passe aux yeux de tous. Chacun
viabilité commerciale de l’objet produit. Mais ici dans son rôle, la chorégraphie s’exécute sans
l’objet qui est réalisé est par définition déjà accroc et même si les objets achevés ne sont pas
validé ; on assiste à son exécution technique. Le tous aboutis. C’est l’événement qui les aura
spectacle de sa réalisation fait intrinsèquement sacralisés. Dans tous les cas, pendant cet atelier
partie de sa valeur marchande, plus que son de production performatif, l’objet était accessoire
aspect et son utilisation finale. et la production décor, la pyrotechnie fut calibrée
Le circuit commercial des objets de design de et le retour de flamme maîtrisé.
studio destiné aux galeries et aux showroom, est ____________
exhibé dans son aspect le plus tautologique.
Il est question de déceler où se justifie la
signature, à quelle étape voit-on l’empreinte du
designer indéniablement se saisir de l’objet. Ici le
format : designer en studio produisant une série
limitée est célébrée. Les principaux protagonistes
qui actent l’aspect design de l’objet en devenir
sont présents au même instant. Sont ainsi mis en
présence : le designer auteur et réalisateur de
l’objet, les institutions commerciales (showroom
et ses employés), la marque sponsorisant
l’événement (Fendi) et les relayeurs validant en
aval l’aspect design du projet (presse, weblogs
commentant les étapes de réalisation).
Le réseau de production est bien là, la matière
première aussi, c’est une expérience en laboratoire
sous cloche à laquelle on assiste. Le
fonctionnement de cette production est efficace
et il aboutit à une grande production d’images et
de commentaires plus ou moins légitimes, ce qui
est sûrement la visée non revendiquée la plus
prégnante dans ce procédé. Ceux qui sont mis en
avant lors de Craftpunk, se sont les acteurs, les
auteurs de ces objets. Personnifier la signature de
design est un enjeu central de l’installation.
Mettre en scène son geste est au final un bon
moyen d’y parvenir. On assiste à un adoubement
en direct. Le designer est présent, les convives

29
aire montre d’un réseau de d’autres de jouer des formats d’instructions

F production est à la charge du
designer qui lui, a une vue
d’ensemble du projet. Quand cela ne se produit
techniques destinés aux usines et ateliers, ou bien
encore de simplement poser une identité sur un
collaborateur et de qualifier son rôle, sa place
pas, c’est que les designers n’ont pas de point de dans l’ouvrage en réalisation.
vue global sur la production qu’ils créent, et cela
disqualifient leurs projet. Néanmoins, identifier, Ce qui s’esquisse dans tous les cas, c’est la
établir les connections et qualifier les relations nécessité de voir un réseau de spécialités
entre les protagonistes et corps de professions mis identifiées à nouveau et agencées à l’aune d’une
en présence, n’est pas toujours l’objet d’une mise rythmique singulière. Celle du designer.
en perspective singulière. (29) La narration d’une Qu’elle soit cosmétique ou effective radicalement.
production ne la requalifie pas systématiquement. C'est-à-dire que cette écriture soit de l’ordre du
Elle peut se limiter à un simple commentaire simple montage post-production, une ré-écriture
d’appréciation. Pour faire apparaître ces personnelle des designers. Ou bien que cette
collaborateurs, le contexte d’émergence des écriture ait des effets au cours de la production
projets, en somme le réseau de production, les même, grâce à des modifications de documents
designers ici emploient un vocabulaire qu’ils internes à la production (circulations
insèrent directement dans le projet. Ils l’insèrent d’instructions, formats déplacés, communication
au niveau du récit de celui-ci. Le récit tient à un entre techniciens reformulées …).
support particulier. Il s’agit de vidéos Cette écriture singulière, cette narration interne
documentaires d’exposition, de photographies de ou externe à la production fait apparaître les
performance, de la facture d’un livre, de bandes- collaborations. C’est une épiphanie du réseau de
dessinées éditées. Ces formats de récits ne production employé. (Selon le dictionnaire
s’inscrivent pas dans des exercices de styles pré- LeRobert ou Littré, L’épiphanie « caractérise
formatés tels que le générique de fin où l’apparition mystérieuse de ce qui est caché »).
s’égrènent sur le même plan les figurants et les Les designers ici posent des lentilles sur le plan
techniciens, plus jeux de lumière sur tel spécialité de production. Ces lentilles grossissent des étapes
dans tel rôle. minimales, floutent des arrière-plans, isolent des
Cette écriture du réseau de production permet au sujets.
designer de réagencer l’histoire de la production. Par là même, pour chacun de ces designers, il
Il préfère alors certains aspects de la production, s’agit de requalifier les étapes de productions, de
et les met en avant, tandis que d’autres sont densifier telle ou telle région de son réseau,
éludés. d’ouvrir certaines voies, d’en atrophier d’autres.
S’il s’agit pour les uns de faire jouer un clair- Comme les designers de ces exemples semblent le
obscur sur la production (30). Pour les designers constater, les modes de productions se
dont il est ici question, il est important d’amener transforment en spécialités très techniques. Ces
un récit humain sur la production d’un objet techniques requièrent des savoirs efficaces et
manufacturé. Il peut aussi être question pour pointus dans certains cas (hautes technologies…),

30
des spécialités aux interfaces et connections ces mêmes moyens, de planifier les
multimodales dans d’autres cas (communications interdépendances au cœur de leurs projets.
sur le spectre Internet…), ou encore des
spécialités au traitement de fond long et Dans ce mouvement perpétuel au métronome
rigoureux nécessitant des infrastructures déréglé(32), les designers dans ces exemples,
particulières (archivage vidéo, par exemple…). s’orientent dans une direction pourtant
Plusieurs temporalités se superposent désormais, particulière. Le métronome que constitue le
des interlocuteurs aux langages différents, des système de production industriel d’objets se
démarches incompressibles, des systèmes plus ou dérègle au rythme d’innovations techniques
moins autonomes, d’autres boucles fermées, des rapides et non-planifiées. Ici les designers
formats caractéristiques, des discours spécialisés, semblent convoiter une autonomie de la pratique
et le designer doit non seulement pouvoir du design. Une autonomie qui rendrait les projets
naviguer, identifier chacun mais lui accorder une moins dépendants d’un réseau de production.
place spécifique et adéquate dans son projet. Elle est couvée pendant les mouvements
émancipateurs des différentes révolutions
Dans le corpus de textes relatifs à ces nouvelles culturelles et sociales, mais elle se retrouve ici aux
pratiques de design on voit émerger de nouvelles prises avec d’inextricables interdépendances
conceptions de la production. Et on voit techniques et formelles du réseau de production.
apparaître un vocabulaire spécifique à ces Dans ce cadre, les designers se saisissent donc
transformations des réseauxs de productions. d’un rôle et l’interprètent. Certains vont même
D’aucuns qualifieront cette construction tantôt jusqu’à leur déceler un caractère spongieux. (33)
d’archipélagique, tantôt rhizomatique , portant Ce qui est dit par là, c’est que ces pratiques de
des caractéristiques radicantes (31) ou plutôt design cherchent à absorber des savoirs, à
sous forme de constellation, ce qui importe est apprendre des codes formels pour pouvoir s’en
de voir que sa forme, que son fonctionnement saisir pour dialoguer au sein de la production. Il
mutent. Trêve de qualificatifs alambiqués, il est est question d’élaborer un dialogue, mais aussi de
pratiquement impossible dans son essence même. maîtriser un discours. Certains accents seront
Ces fibrillations du réseau de production sont éludés, certaines figures imposées.
difficiles à saisir, à capter d’un point de vue global. Les degrés de compromis qui ont lieu dans la
Ce sont des mouvements intestinaux, techniques, production sont à lire entre les lignes. Dans ces
temporaires, profondément caractérisé par leur exemples, les designers les rendent traçables.
plasticité, leur spontanéité évolutive. (32) Ils se rendent aussi présents dans ce réseau qui
Il semblerait que les designers dont nous suivons apparaît. Et là se posent des nouvelles questions :
les projets doivent être réactifs et prêts à ces Quel est le rôle de ce designer ci dans ce réseau
changements. Dotés d’une acuité qui leur permet là ? Quelle est la place qu’il veut occuper ? Est-il
de ne plus seulement maîtriser leurs projets mais aiguilleur, vecteur, contrôleur ? Sur quel principe
aussi d’anticiper l’organisation de celui-ci. Et par actif agit-il dans son environnement, plutôt sur le

31
principe de la surface de contact, du catalyseur avant-gardiste qu’il escamotera par erreur. La
(34) ou celui du métabloquant ? pose n’est alors souvent pas loin de l’imposture.
Si Yona Friedman se voit qualifié d’utopiste, c’est Mais avant tout, −puisqu’il s’agit d’exposer un
sans doute pour avoir commis des projets « Do It réseau de collaborations−, mettre en exergue la
Yourself » pour les institutions. Car c’est le valeur du travail d’un collaborateur peut être
principe fondateur de ses ouvrages, des objets l’occasion heureuse de resituer la valeur de l’objet
solaires réels ou métaphoriques réalisables par de design abouti.♦
n’importe qui. Et peut-être à ne pas proposer à
n’importe qui. (35)

La restitution narrative de ce réseau de


production est donc issue d’une écriture. Cette
écriture est le point de vue du designer. En
amont ou en aval, selon les projets ici présents, les
designers font donc des choix d’apparitions de
tels ou tels collaborateurs, de telles ou telles
méthodes de production, de tels ou tels
institutions soutenant le projet. Ces choix sortent
la production de sa base neutre.
CraftPunk cherche à évoquer les espaces
transparents des galeries artistiques en mettant en
scène des designers dans un semblant de
performance, l’environnement choisi détermine
un peu plus l’objet final.
Se jouer des zones faussement neutres, et
apprécier la profondeur des eaux qu’il navigue.
En effet, la narration sera un peu confuse. La
structure qui porte le projet en gestation n’a pas
des prises sûres.
Mais la cosmétique appliquée au projet
globalement masquera quelques imprefections çà
et là. C’est ce qu’il peut arriver dans d’autres
projets de design dont il n’est ici pas question.
Dans les pires des cas, ces récits des réseaux de
production cachent la servitude des uns,
l’incompétence d’autres. Il peut aussi
malheureusement s’agir d’évacuer des clés du
projet, quand ce n’est pas l’innovation la plus

32
Service lifté
LES EXEGETES
DU QUOTIDIEN
____________________________
AU-DELA DE L’UNILATERALITE DE CE QU’ON NOMME LE
MARTI GUIXE
DESIGN CRITIQUE, ON VOIT APPARAITRE UN DESIGN DE

PROPOSITIONS. CELUI-CI S’ACTE DANS L’UTILISATION QUE

VA IMAGINER L’USAGER. Les installations de Marti Guixé sont visibles dans une
C’EST EN S’IMMISÇANT DANS LE QUOTIDIEN LE PLUS
exposition collective (Wouldn’t it be nice… Genève,
TRIVIAL QUE LA CRITIQUE FRAYE SON CHEMIN. LES

SITUATIONS SONT REELLES, ET L’USAGER EST SOLLICITE A


2008) qui croise pratiques d’art et de design(36). Avec
CONTRE-PIED. POUR CELA LES DESIGNERS PRESENTES ICI un vocabulaire propre aux vitrines illégales des « top
CHOISISSENT D’OUVRIR, DE RENDRE ACCESSIBLE, UNE
mantas » : le designer dispose au sol des nappes
ETAPE PRECISE DE LA PRODUCTION A CE NOUVEAU
repliables surlesquelles on trouve des collections d’objets,
COLLABORATEUR.

CES DESIGNERS PUISENT DANS UN FOND CRITIQUE POUR de projets réalisés de design qu’il a réalisés auparavant.
ECLATER DANS LES USAGES REELS. CES USAGES
Il affiche sur des posters dessinés simplement le procédé
ACQUIERENT GRACE A CETTE COLLABORATION SCENARISEE
de fabrication et d’exposition de ces vitrines « top
UN SENS PRESQUE MYSTIQUE. L’USAGER S’INSERT DANS LE

PROCESSUS DE PRODUCTION VIA UNE NARRATION DANS mantas ».


LAQUELLE IL ACCEPTE DE TENIR UN ROLE DEFINIT PAR LES
Les projets de design de Marti Guixé donnent un
DESIGNERS. UN ROLE ET DES USAGES REMYSTIFIES QU’IL VA
caractère faussement ludique aux objets qu’il met
NOUS S’AGIR ICI D’EXTRAIRE.
en scène.
DANS LE PROJET, LES DESIGNERS FONT UNE PROPOSITION A

L’USAGER. CETTE PROPOSITION INITIALE COMPORTE UN Les dispositifs de Top Mantas réutilisent des
EFFET. IL VA ORIENTER LA DEMARCHE DE L’USAGER, couvertures destinées aux glaneurs qui s’activent
COLORER LA COLLABORATION ENTRE CELUI-CI ET LES en marge des marchés de rues. Les couvertures
INITIES. CAR IL S’AGIT PRESQUE D’UNE INITIATION A DES
ont des ficelles qui relient chaque coin, de sorte
RITUELS, ECRITS ET RACONTES PAR LES DESIGNERS
qu’un geste adroit peut plier la couverture et
AUXQUELS NOUS ALLONS NOUS INTERESSER.

LES LANGUES Y SONT INVENTEES, LES MODES DE LECTURES


former un sac, permettant de cacher son contenu
DISPOSES. CE QUI VA DONC NOUS INTERESSER EST DE et de pouvoir se déplacer rapidement. Le langage
SAVOIR QUELLE NARRATION EST MISE EN PLACE PAR CES formel est donc simple, et le designer le
DESIGNERS. QUE METTENT-ILS EN PLACE POUR INITIER
schématise encore plus dans les posters qu’il
L’USAGER A UNE RELECTURE D’EXEGETE DE GESTES DE
placarde aux murs. Avec ces dessins, il indique la
PRODUCTION CHOISIS. CETTE RELECTURE EST UNE
marche à suivre pour disposer de telles « vitrines ».
INTERPRETATION DE RITES ANODINS QUI FONT

TRANSPARAITRE UN SENS CRITIQUE PROPRE A CHACUN DE Le plan illustré par des dessins à main levée et
CES PROJETS. vectoriel simple, est exposé au mur de
L’ACUITE CRITIQUE DES DESIGNER DISPUTE A L’HUMILITE l’installation quand le dispositif est mis en
DU LANGAGE EMPLOYE, LA FORCE DES PROPOSITIONS. ET
situation réelle au sol. Les objets mis en scène
C’EST COMMUNICATIF.
sont des objets qu’il a déjà réalisés pour d’autres

33
projets. Il existe donc un renvoi dans le même produit des objets qui ne sont peut-être pas le
espace de l’installation, la présence des objets et fruit de l’innovation. Marti Guixé interroge cette
l’explication de son mode de production au mur. récupération que pratiquent les designers. Il met
Ainsi, chacun peut voir un objet disposé sur une en scène cette récupération pour ses projets. Les
vitrine et lire le statut qui lui est attribué sur le objets qu’il a produits sont mis au même niveau
poster, une brève description qui indique un que des objets de seconde zone. Comme s’ils
usage, une action, une organisation générale de étaient issus d’une mode de production
l’installation etc. Ces objets sont des rouleaux de frauduleux.
bandes adhésives, des impressions d’images, des Mais d’un autre côté, il s’amuse de cette narration,
sculptures géométriques. Il s’agit de mettre en la schématise dans une forme délibérément
scène un designer vendant son travail, ou du simpliste. Le code visuel paraît inoffensif : les
moins l’exposant. couleurs sont pastels, le dessin rappel des manuels
pour enfant.
Le statut de la vitrine mise en place est trivial, Et surtout, le dispositif est aussi soigneusement
n’importe qui peut s’en saisir et la réaliser. C’est posé dans une galerie d’art contemporain, dans
d’ailleurs ce qu’il a fait car il fait très ouvertement une exposition. Cela lui confère un statut
référence à ce marché gris qui n’est régit par particulier. Le dispositif est rendu inoffensif une
aucune espèce de copyright. Il est d’ailleurs fois de plus, légitime car exposé au sein d’une
souvent le support de vente d’objets reproduits institution et, enfin, il s’agit d’une installation qui
illégalement, de faux (objets touristiques, a presque valeur d’objet d’art en soi. Si le
cigarettes de contrefaçon, objets cosmétiques, dispositif est démystifié, le geste du designer n’en
accessoires…). Le designer expose donc son est pas moins symbolique.
travail avec ce dispositif qui donne a ses Il s’agit certes d’indiquer la faisabilité du
réalisations un aspect clandestin avec les « top dispositif, de lui conférer un statut plus commun.
mantas ». Il ajoute a cela le plan de réalisation de Il est aussi moins risqué que le dispositif original
ce dispositif simple, comme pour exposer investit dans les réels marchés gris.
tautologiquement le non-mystère de ces vitrines- Le designer ne s’adresse pas au simple visiteur de
nappes. l’espace d’exposition, il s’adresse au potentiel
Mais paradoxalement le designer expose ici son consommateur de produits frauduleux. Il
travail, une production d’objets signés par lui. Et interroge l’usager dans sa définition de cette
il s’agit d’une installation dans une exposition illégalité. Qui confère à un objet un statut valide,
dont il est l’auteur. Le dispositif d’exposition de l’ordre du « vrai » quand un autre objet
porte son nom. C’est un peu comme s’il cherchait semblable est un « faux » ? Est-ce le détenteur du
aussi à signer ce dispositif illégal de revente/ copyright ? Et qu’arrive-t-il si celui-ci désigne
vitrine d’objets manufacturés. son produit comme faux dès le départ ? Si Marti
Marti Guixé a ici un discours donc Guixé indique comment il a réalisé la vitrine
singulièrement ambigu. Le travail du designer est exposée au sol, il n’indique pourtant rien de la
questionné sur son caractère inauthentique. Il production de ces objets.

34
C’est cette absence flagrante d’indication quant à Ces photographies l’illustrent donc dans diverses
la propriété et le mode de fabrication des objets positions fantaisistes ou non, dans la but de
ainsi exposé − la « validité » en somme −, qui « s’assoir » et de lire dans une chaise qualifiée
interpelle le visiteur. Mais peut-être que le pari d’emblée (dans le titre) d’inconfortable.
est déjà en train d’être gagné, car désormais le Le cadrage est identique pour chaque cliché seule
visiteur enquête sur le statut de ce qu’il voit, dans l’orientation de l’appareil peut varier pour
cette zone grise il s’interroge plus sur le produit toujours le placer centralement dans l’image, et
plus que sur l’objet exposé. ainsi ne pas hiérarchiser autrement l’image. Car
chaque posture qu’il adopte, à défaut d’être
vraisemblable, est probable. Il ne donne aucune

BRUNO MUNARI indication quant à celle qui est meilleure à


adopter ; ni n’établit-il de réelle progression dans
l’ordre des images. Celui-ci est chaotique.
Il s’agit d’une planche de 12 clichés dont Munari et
De plus la qualité photographique est suffisante
un fauteuil sont les sujets, réalisée vers 1950. Ces
pour conférer à l’image un statut de document
clichés déclinent douze façons différentes de « s’assoir »,
sérieux et entièrement utilisable mais elle ne
de se saisir de l’objet fauteuil en tant qu’utilisateur.
pourra pas être considérée non plus comme
La collection de photographies déclinant une probable
photographie d’art et comme geste « pur ». En
performance de Bruno Munari commente l’usage
effet, l’image n’est pas construite absolument,
prescrit d’un fauteuil. Le ton est léger, les usages
comme le serait une mise en scène symbolique.
décomplexés, le designer s’amuse des prescriptions
Ajouté à cela l’aspect sériel de l’ensemble, il s’agit
quant aux usages des objets de design. Le designer se
bien plus d’un mode d’emploi, d’une application
donne un rôle d’usager expérimentateur dans cette
d’un protocole simple et lisible auquel fait
série photographique. Une série qui constitue la
référence le titre.
narration d’un projet qu’on pourra qualifier de
L’ensemble photographique est parfois utilisé
performatif.
comme diaporama (diapositives) mais est plus
Si Bruno Munari ne s’adresse pas directement à
généralement accessible dans le corpus
l’utilisateur de ses productions, c’est parce qu’il se
bibliographique du travail du designer. Cet
met en scène lui-même comme usager. La série
ensemble, il n’a pas de statut particulier hormis
de photographies noir et blanc figurent le
de projet de design à part entière. Le designer
designer proposant une position d’ « assise » pour
s’adresse donc à l’usager en tant qu’il en est un lui
un fauteuil manifestement issu d’une production
aussi au même titre que chacun d’entre nous. Du
de design. C’est une série de geste englobant ce
point de vue de modeste démiurge que peut
qui s’apparenterait à une performance. Du moins
adopter le designer, il se déplace vers celui qui
que nous allons interpréter en tant que
utilise, ou plutôt dans ce cas particulier, qui essaie
performance. Et c’est les documents
d’utiliser un objet. Se confronte alors la vision
photographiques que produit Bruno Munari qui
étriquée de celui qui a conçu l’objet et croit en
construisent l’interprétation de cette narration du
projet de design.

35
avoir prévu l’usage, et la prolifération légère, réaliser une production dans le cadre de ce
inadéquate que développe l’usager. projet .Mais surtout qui permet à l’objet réalisé par
Cette expérience pourrait être un simple jeu un usager anonyme d’apposer la signature du projet
formel autour d’un objet de design, s’il n’avait pas de design de Tobias Rehberger sur l’objet produit. Un
le statut d’un projet de design. Car ce n’est pas document de brevet de cette cheminée est disposé à côté
non plus une pose d’un designer qui montrerait sa de l’objet, consultable par le visiteur. La narration ici
détermination à prendre en compte l’usager −ou concerne le langage du certificat mis en place par
du moins sa détermination à le faire croire −. l’auteur du projet qui permet à l’usager de ce saisir du
Ce récit photographique est du design. Il devient projet et d’avoir un rôle dans ce processus de
le support d’une démonstration par l’absurde production.
d’une part, et déplace l’aspect « design » de l’objet De son côté, Tobias Rehberger investit un objet
vers son utilisation réelle et fantasmée. reproductible directement et son dispositif de
Pour autant, l’objet de design désigné dans ces monstration dans le cadre d’une exposition
photographies n’est pas déconstruit. Il n’est pas collective (Wouldn’t it be nice… 2007, Genève).
remis en cause directement puisqu’il ne finit pas Son projet repose essentiellement autour du
disparaître, il persiste au fur et à mesure des brevet.
clichés. C’est son utilisation, trame du récit Dans l’espace d’exposition de son projet figurent
photographique qui est le projet de design. Là où l’objet produit, et avec, à disposition, un feuillet
Bruno Munari cristallise la singularité de son de brevet. Cette feuille explique la démarche à
projet, c’est qu’il le fait reposer sur le caractère suivre pour faire « reconnaître » l’objet que l’on a
subversif d’un jeu. La légèreté des moyens produit, comme œuvre « Mof 94 ,7% ». Il n’est
employés devient levier de la liberté de ton indiqué nulle part comment procéder et c’est ce
déployée. L’interprétation de ce projet reste donc qui importe le moins. Tobias Rehberger réalise sa
ouverte : les images ne sont ni numérotées, ni « cheminée » avec du bois, de l’aluminium, du
annotées. Chacun se sent libre et convié à polystyrène expansé et un assemblage divers aux
imaginer les autres éléments qui continueraient la couleurs peintes vives. Ce qui importe est de
série. prouver son existence : la documenter par
photographie (recommandations précises) et la
TOBIAS REHBERGER restituer à l’auteur pour validation. Ici l’entreprise
de design est bien non seulement de produire un
La cheminée produite par l’artiste est composée de objet (fonctionnel) mais surtout de valider son
divers matériaux courants, de récupération. Carton, caractère design, du moins y apposer une
bois, feuille d’aluminium, peinture signature d’auteur. L’aspect design veut aussi
acrylique…L’objet réalisé en 2007 est un prototype s’exprimer dans l’aspect sériel du projet.
La production en série est elle amenée à être réalisée Les indications ne visent pas pour l’auteur de
par quiconque veuille se saisir du projet. Le projet s’approprier la production d’un tiers, mais bien
vise une reproduction qui fait entrer en jeu un brevet. pour celui qui produit de voir son ouvrage
Un certificat accompagne l’objet, ce qui permet de reconnut par un certain nombre de critères. Ici les

36
critères sont ouverts : il s’agit de « s’inspirer » du On a affaire à un prototype qui s’acte dans un
travail original pour construire une cheminée −. Il brevet.
insiste surtout sur la communication ascendante Ce projet interroge le statut de l’objet qui est
de celui qui a produit vers l’auteur du exposé qui est un dispositif d’œuvre artistique.
« prototype » en mesure de valider l’objet produit. Car en tant qu’il n’est pas complet, et qu’il se
Ce qui est intéressant de noter dans cette œuvre, réalise dans un processus de production à venir
c’est que cette communication est rendue triviale (impliquant un tiers anonyme), il requalifie le
et très accessible : les coordonnées figurent projet vers un projet de design. Le fait que le
clairement comme une clé du projet. L’auteur du projet ne soit pas complet donne d’ailleurs aussi le
projet ne se cache pas, il est là en attente de sentiment d’usurper un peu sa place d’ « œuvre ».
sollicitation. De plus aucune date ne figure mis à Il n’est donc pas anodin que son titre soit exprimé
part celle de l’exemplaire de Tobias Rehberger, ce en pourcentage. C’est une trace de la narration du
qui ouvre le projet d’avantage. projet. C’est un objet en devenir et partiel qui est
Ce dont il s’agit ici, c’est que pour devenir un exposé, un projet dont on interrogera peu
usager réel de l’objet, l’hypothétique usager doit l’effectivité, mais plus le principe de
s’adresser à une instance supérieure. Cette fonctionnement du point de vue de l’usager qui
instance ne valide pas l’usage, mais bien le statut est un collaborateur en puissance.
de l’objet et sa propriété. C’est paradoxalement, _______________________
une invitation à partager sa production
personnelle avec l’auteur initial du projet et son
public (puisque grâce à l’identification par sept
chiffres, la photographie de l’objet sera exposée).
L’usager potentiel qui est interpellé ici n’est pas
n’importe qui, il s’agit du visiteur de l’exposition.
Il a devant lui un objet qui a une caractéristique
du projet de design : il n’est pas complet, il s’agit
de faire état à un moment de la production de ce
projet. Tobias Rehberger nous expose cette étape
de production qui implique l’émergence d’un
brevet. Il choisit de le raconter ce geste avec un
dispositif d’exposition dans un contexte artistique.
Pour ce dispositif qu’est Mof 94,7%, le projet est
potentiellement réalisable et appelé à une
production. La réalisation de ce projet de design
est rendue possible grâce à ce document
performatif. C’est un document qui est lié
intrinsèquement à l’objet présent, qui le valide.

37
L
es exemples des productions de Les documents qui font le récit de cette
design vus précédemment s’ouvrent production à venir, impliquant l’usager, sont donc
à la lecture par des non à collecter çà et là. Une des raisons pour laquelle
professionnels. Les étapes de la production de ils sont disponibles uniquement sous cette forme
design sont rendues lisibles, accessibles à l’usager. fragmentaire tient au statut transitoire du projet
Alors que d’ordinaire, il y a rarement un droit de de design en train de se faire.
regard. (37) Parce que les designers décident d’ouvrir des
étapes de la production verrouillées par la
De l’inspiration des dispositifs de monstration, à technique, le projet de design se manifeste sous
l’invitation à répéter l’objet de design, jusqu’à la une forme précaire, fragile, inachevée par essence.
production et aussi le sens global du projet, c’est Ce jeu du designer sur plusieurs échelles
bien l’usager qui est sollicité. Ces exemples (production, diffusion etc.(38)) et ses niveaux de
questionnent l’individu qui se saisit de l’objet en lecture est risqué.
amont de sa réalisation, de sa consommation, de Le récit porte ces caractéristiques également, il
son utilisation. C’est autour de ces étapes de la est morcelé, sur plusieurs supports simultanément.
production que le projet gravite. Le parti pris est C’est parce qu’il doit exister pour différentes
d’évacuer la technique. Désormais on s’intéresse à étapes −la conception, la production, la
celui autour duquel l’objet va graviter. C’est diffusion…−, et donner une cohérence à
l’usager qui est interpellé et non le spécialiste. l’ensemble qu’il prend ces différentes formes et
Les récits sont divers, ils empruntent un vocable qu’il s’auto-cite. Par ailleurs pour faire intervenir
aux installations artistiques, aux modes d’emplois, l’usager dans le projet il doit pouvoir lui donner
aux manuels, aux protocoles. C’est pourquoi il est un aperçu global du projet. Le rôle de l’usager
assez souvent difficile de baliser le projet de n’est pas celui d’un exécutant dans les exemples
design. Il est diffus car reposant sur divers relevés − quand bien même il peut y être réduit
épitextes et péritextes du projet (renvois à des sous couvert d’un aspect « ludique » par exemple−.
documents annexes, (27)) qui précisent la marche (39) C’est cette perspective d’ensemble qui
à suivre. permet à l’usager de s’en saisir et l’interpréter, de
Pour ces designers il s’agit plus qu’un geste à s’en émanciper aussi. (40) Le caractère exo-
produire ou à reproduire. L’objet produit est ici squelettique du projet doit donc pouvoir se
un prétexte d’emblée. C’est un prétexte à manifester de façon lisible et libre à interpréter.
l’interprétation du contexte qui situe l’usager. L’exosquelette se caractérise en effet par la
Pourquoi va-t-il être partie prenante dans ce capacité d’un système à être tenu non pas par un
processus de production ? Pourquoi s’intéresse-t- axe central ou centre de gravité, mais d’être tenu
il à cet usage ? Veut-il y injecter du sens dès sa par un dispositif externe.
production ? En quoi ces usages singuliers Le designer tisse une toile, qui se déploie sur
peuvent-ils aussi être support d’une narration plusieurs aspects de la production. Une toile
dans une exposition artistique ? collante pour y piéger un potentiel usager qui
passerait par là, plus qu’il ne s’adresse à un usager

38
fantasmé et choisit après tamisages successifs. Les Ce travail avec l’imaginaire n’est pas de l’ordre du
signes qui constituent le projet de design sont fantasme élaboré. Il s’agit plutôt d’une technique
épars et visqueux ; ils ne tiennent pas très bien en de distanciation, − comme celle de Brecht
forme, et leur consistance ne se saisit pas employé pour le théâtre épique −tel que le décrit
aisément bien que les contours soient distincts. Juliet Koss (42) − . Cette distanciation est activée
Cette externalité du projet se trouve dans des par une rupture dans un récit, une mise à distance
documents épars. Un péritexte ou épitexte (27), de récit pour être à nouveau projeté dans le réel.
des instructions disséminées dans une collections Ce retour brutal et lancinant, rythme la
d’ouvrages reliés entre eux par des projets à l’état construction de l’énonciation. La fonction qui se
gazeux. Il est alors parfois difficile d’accéder à la trouvait au cœur de l’objet/ projet de design se
consistance intrinsèque du projet. En effet, la déplace vers le regard de l’usager. C’est celui-ci
plupart du temps elle s’adresse à un public à jauge qui la construit, qui lui ajoute une valeur. Un
réduite (lecteur d’une rare monographie, aller-retour constant s’établit entre le fantasme du
exposition d’art contemporain, par exemple). On projet et la réalisation. Parfois le designer incite
peut alors se demander si la lecture de ces même à les superposer.
paratextes est nécessaire à la compréhension du La performativité n’est donc pas très loin. (43)
projet. Pour certains c’est le cas pour d’autres les (en tant qu’elle décrit la capacité d’un discours à
bribes de projets sont assez autonomes pour déjà réaliser ce qu’il énonce en même temps, par
être évocatrices. A la suite, il peut être intéressant exemple : « je promets que… »)
de noter quels sont les rapports entretenus entre Ce qui résulte est une mise à distance de ces
le geste fondateur du projet − le déplacement, la objets, une défamiliarisation (44) pourrait-on dire.
distinction d’un objet, un usage recontextualisé L’objet nous apparaît dans un contexte nouveau
etc.− et ces bribes externes qui balisent le projet ou bien, il est déplacé vers des usages imprévus. Il
de design. Parfois cela relève d’une annotation, est étonnant de voir que parallèlement à cette
ou d’une référence, parfois il s’agit d’un rejet défamiliarisation, s’opère une familiarisation de la
destiné ou non à faire une bouture. Le pari est technique. Celle-ci est sortie de la production
une fois de plus risqué. Faire des liens vers des sérielle et industrielle, pour être catapultée dans
contenus externes à un objet central demande un notre cuisine entre l’égouttoir et les paquets de
collaborateur attentif et réactif. Mais c’est là aussi pâtes. Les interfaces à l’utilisation de techniques
que se nouent de nouvelles relations de de production simples (Guixé/ Friedman) sont
connivence, de confiance et de responsabilité familières (dessin) et en facilitent l’efficacité
entre le designer et l’usager. d’une production. Il s’agit d’une relecture engagée
C’est grâce à cette narration singulière qui dans un processus de production. L’interprétation
interpelle l’usager, que le designer va pouvoir le du projet se fait au cours de différentes étapes. A
mettre à contribution. (41) En travaillant avec chacune de l’une d’entre elles, l’usager porte un
l’imaginaire, il va pouvoir y instiller une dose regard et il est invité à s’engager. Il démultiplie
critique. les propositions originales. Certaines étapes de la
production sont ainsi déléguées.

39
La responsabilité du projet se partage un peu, le
statut d’objet ouvert (45) s’esquisse. Ce qui
importe surtout c’est de voir que cette
démystification de l’objet technique est bientôt
doublée par une remythification des usages. Cette
remythification est caractérisée par la narration
singulière de la production en cours.
Ces usages qu’on a projetés, dont on a déjà écrit
les récits fantasmés. Les utopies atténuées (36)
de Marti Guixé et des autres designers
épaississent le réel, sous les strates de fictions, et
c’est dans la modestie employée qu’elles trouvent
leur résistance.♦

40
ANTHONY DUNNE & FIONA RABY
Ligne de fond
STRATEGIES DE Les objets mystérieux produits pour l’installation
mise en place lors de la Biennale de st Etienne
DIVERSION (2010) sont des prétextes à une production autonome
____________________________ et en circuit fermé. Ce sont des objets divers dont le
LE DESIGN SE RACONTE ET ELABORE DES STRATAGEMES contexte de production est narré dans des cartels, dans
POUR APPARAITRE SELON DES CRITERES QU’IL CHOISIT.
des photographies, dans une vidéo et des textes «qu’on
QUAND IL N’EST PAS L’EXCEPTION A UN SYSTEME, UN ANTI-
pourrait qualifier de « manifestes ».Chacun de ces
EXEMPLE A UNE LOGIQUE PRODUCTIVE, UN PROJET DE

DESIGN CRITIQUE DEVIENT SYSTEME LUI-MEME. CLOS ET


éléments qui supportent cette narration du contexte
AUTONOME, LE RECIT DE PRODUCTION TIRE AVEC LUI TOUT de la production repose sur une dystopie inquiétante
L’ENSEMBLE QUI LE FAIT EXISTER. IL REPOSE SUR UNE délibérément inscrite du côté de la fiction. Elle se
IDEOLOGIE, DES PRATIQUES RECONNUES, UN ENGAGEMENT,
manifeste sous forme de ces textes « frontons », de
ET DONC UN CORPUS DE REFERENCES (POLITIQUES,
témoignages d’usagers irréels transcrits sur cartels, de
CULTURELLES, TECHNIQUES…).
mises en scène travaillées et photographiées.
DANS LES EXEMPLES QUI VONT NOUS INTERESSER, LES

DESIGNERS ELABORENT UNE NARRATION DE LA L’installation est donc mise en place par le duo
PRODUCTION QUI EST TRES SPECIFIQUE. IL S’AGIT D’UNE joue sur divers aspect du récit fictionnel de la
FICTION QUI EST AUSSI LE LIEU DE REALISATION DU PROJET. dystopie. Des objets fantastiques et autonomes
LE RECIT NE VIENT PLUS PRECISER LE PROJET, IL EN EST
apparaissent exposés comme des fossiles d’un
RADICALEMENT LA SOURCE. AUSSI LA STRATEGIE DU PROJET
futur déraillé. Des tores laqués vert en acier polis
QUI EST CELLE DE LE RENDRE VIABLE (DE LE PRODUIRE)

UNIQUEMENT DANS CETTE FICTION DEVIENT UN MOMENT


à cannes et hameçons, des casques en polymères
REFLEXIF SUR LE DESIGN COMME PRATIQUE. fluo équipés d’antennes, des armes en bois de
EN LE POSITIONNANT SUR LE TERRAIN DE LA FICTION, CES gros calibres terminés par de petits écrans LED,
DESIGNERS VONT DISPERSER LE PROJET. UNE DISPERSION
des bras articulés équipés de souffleurs/
DES SUPPORTS DU PROJET RACONTANT UNE PRODUCTION
aspirateurs démesurés. Leurs formes font écho à
SINGULIERE. IL VA S’AGIR D’UNE PRODUCTION AUX
des instruments de communication, ou de
CONDITIONS IRREELLES.

LA MISE EN SCENE ELLE-MEME DEVIENT L’OUTIL DE captation, intrusifs, à une époque où l’humain
PRODUCTION DE DESIGN. C’EST DANS CE DECORUM semble vouloir protéger son intégrité physique et
SIGNIFIANT QUE LE PROJET FAIT SENS, QUITTE A EN DEVENIR identitaire.
ABSOLUMENT DEPENDANT.
Ces objets peuvent aussi être reproduits pour
ENFIN, NOUS VERRONS QUE CETTE STRATEGIE DE LA FICTION
créer des communautés d’usages. Ils sont donc
INTRODUIT UNE VALEUR MYSTIFIANTE DES CONDITIONS DE

PRODUCTIONS FICTIONNELLES DES PROJETS. UNE VALEUR


exposés de façon à acquérir un statut hybride
INDEXEE DANS LES OBJETS PRODUITS DE CES PROJETS. entre le fossile donc, et le trophée. Un cartel les
accompagne −récit péritexte−, ou plutôt témoigne
de façon racontée de leur impact dans une fable
du réel, menaçante et ubiquitaire. Sur des châssis
de près d’un mètre de haut, debout, délimitant
des zones, des photographies mettent en scène

41
ces objets en situation d’usage « manifeste ». Mais langage formel déplacé vers une eschatologie
rien ne moins évident pourtant que ces formes scientiste. Les derniers retranchements d’un
non communes, ce que langage de postures individu autonome et maître de son intégrité ont
quasi-militaires, que ces paysages ni urbain ni été dépassés et c’est une communauté précaire qui
ruraux. semble s’agréger autour de mythes
Un peu plus loin dans l’espace, une vidéo est technologiques et animistes.
projetée. Il s’agit d’une visualisation 3d, pareille Le design et son récit sont ici intrinsèquement
formellement à ce que pourrait être un projet liés. C’est la fable escha-technologique qui
quelconque de réalisation urbaine aujourd’hui, où construit ces objets qui paraissent donc clos et
l’échelle est paradoxalement absente. Subsiste inutiles dans le contexte usuel de notre quotidien.
alors des figures humanoïdes équipées d’objets en Les techniques employées quant à elles cherchent
usage. Pêche ? Captation électro-acoustique ? à ressembler à celles qui ont fondé l’humanité
Connexion à un réseau social et minéral ? culturelle. La fonte du métal, l’assemblage du
Mystère. bois… Ces objets, ces instruments comme
On trouve aussi disposés légèrement au sol, des prolongation du geste naturel se sont vus greffés
lettres en polystyrène découpés au laser dans une des terminaux luminescents pour les uns, des
calligraphie digne d’une édition de graphisme terminaux extra-sensoriels pour d’autres relevant
humble et référencée, un texte. Un texte qui a d’une technologie courante mais pointue.
valeur d’un « fronton » à l’installation. Ce texte L’engagement politique (46) n’est pas une
est une sorte de manifeste binaire. Le texte évidence, mais le positionnement du récit n’est
convoque, déplore, décrit, intime, lie, suggère pas neutre. Il s’agit d’un sentiment diffus, relatif à
plus qu’il ne proclame de lois. Le système qui des us, des comportements(47). Pour appuyer le
régit l’ensemble de l’installation est pourtant régit caractère fictionnel de cette dystopie et rendre
de lois tacites qui sont explorées grâce aux objets cette atmosphère, les designers ont choisit de
présents. (De plus, on trouve dans le même réaliser ce récit du côté de l’installation plastique.
procédé technique de découpe du polystyrène au L’installation devient le support d’explications
laser, des lettres disposées au sol un peu plus semi-techniques semi-poétiques, qui créé une
loin : c’est un générique de l’équipe qui s’est saisie mythologie post-urbaine à ce récit.(48)
du projet. Il s’agit des élèves, des studios, le duo C’est exclusivement cette narration qui justifie la
Dunne & Raby, des scientifiques impliqués dans production des objets impliqués dans cette
le projet). installation. En effet, c’est dans ce récit qu’ils
Même si le lieu n’est pas précisé, l’époque non existent, qu’ils ont un effet et nulle part ailleurs.
plus, ses règles non plus, on comprend
néanmoins les enjeux fondamentaux qui sont
explorés ici. Il s’agit de la mise en scène d’usages
connectant l’humain à un milieu naturel retrouvé,
sous des aspects para-médicalisés. Les scènes sont
étranges, elles inquiètent par la familiarité du

42
STUDIO GLITHERO comme des objets mécaniques productifs cachés
mais partie d’un système de production à montrer.
La machine créée par le studio est mise en scène, elle La raison qui est invoquée ici est que ce ballet
exécute une production d’objets usuels, sous l’œil du mécanique doit apporter un sens, un statut au
visiteur d’une galerie. Elle est exposée dans la galerie produit. Au final, cette « performance » de la
de recherche en design Z33 (Belgique, 2008). C’est machine est célébrée non seulement dans le
une machine qui produit des bougies. paratexte de cette installation mais aussi dans la
L’installation « Panta Rei » du studio Glithero valeur symbolique accordée à l’objet produit. Par
fait apparaître un bras articulé à la rotation ailleurs ce paratexte vient appuyer cette narration
continue. Des fils relient ce bras à des bidons de de la production, et de la machine productive en
paraffine maintenue à l’état liquide grâce à des présence. Il s’agit d’un récit externe au dispositif
sondes thermiques. La production se constitue au de la machine Panta Rei : c’est un manifeste du
fur et à mesure des passages. Par couches studio Glithero (Miracle Machine, 2007).
successives de cire refroidissant à l’air, des Le studio s’efface au profit de cette performance
bougies de facture simple se forment. de la machine autonome dont il est simplement
Contrairement à toute attente elles sont l’instigateur. Ce n’est pas le triomphe de la
irrégulières, non calibrées alors qu’elles sont machine mais plutôt l’acquisition pour elle d’un
issues de ce processus purement mécanique. En statut égal à n’importe quel personnage et acteur.
voyant le travail achevé, on ne saurait dire si elles Ce statut d’ « égal » à l’humain −fictionnel ?− en
étaient faites main ou par un robot. L’installation matière de production trouve sa source dans la
est silencieuse et le processus de production a lieu performativité de la tâche accomplie, la valorise et
pendant la durée de l’exposition, rythmée par le la singularise. Le studio prend ses distances quant
passage des visiteurs qui assistent sans pouvoir à la production fordienne sérielle et machiniste
intervenir dans la production. La facture du robot en réutilisant ses principaux ressorts. C’est une
est élégante et simple, c’est un mécanisme filaire forme quelque peu dogmatique qui est support de
qui repose sur un mouvement de balancier et de l’énoncé mais elle construit une sorte de code de
rotation. L’efficacité tient aussi à l’occupation de conduite vis à vis des machines employées et de
l’espace qu’il occupe, il se « connecte » par leur présence à l’usager − qui est aussi spectateur−.
intermittence à une matière première −la Une forme de déontologie même énoncée sous
glycérine− tenue au point de fusion. Les filins une forme éphémère et limitée comme
descendent au niveau du sol graduellement l’installation plastique, en regard des autres
exécutant une chorégraphie légère et régulière. designers et surtout des usagers apparaît.
Associé à cette installation où le geste répétitif
robotique n’est plus totalement prévisible même RYAN GANDER
si clairement régulé, le studio se réfère à un
manifeste (épitextes) dont la lecture est par Le livre dont il est question compile sous la forme de
ailleurs accessoire. Ce texte met en scène un futur scripts de cinéma divers projets et réalisations (de
proche où les machines ne sont plus à considérer design, de films…).Il s’agit d’Appendix Appendix,

43
édité en 2003. Cet ouvrage est considéré comme une Il s’agissait de faire reproduire du mobilier à
monographie de l’artiste. C’est le concept éditorial qui petite échelle par des enfants. Le scénario suit les
va nous intéresser : c’est un projet de design éditorial pérégrinations du projet, de sa conception, à sa
à part entière. De plus pour cet exemple nous allons fabrication filmée, puis à sa monstration en
extraire le passage sur le projet Rietveld galeries notamment. Le process de production
Reconstruction qui est lui-même le récit d’une entier figure dans ce récit sous la forme recousue
production de meubles. Ryan Gander raconte un et surpiquée du scénario. Les inserts d’images
processus de production (Rietveld Reconstruction) qui ponctuent une logorrhée qui défile mettant en
est le prétexte à une fiction dont il l’auteur (script lien le personnage du narrateur −qui est l’auteur
TV d’Appendic Appendix). du projet− avec ces indices sur la production
L’ouvrage Appendix Appendix et l’installation réelle.
qu’il a réalisé mettant en scène la vie d’atelier, Il est intéressant de noter que si l’aspect et
font partie du large éventail de formes au sein l’énonciation sous cette forme qui recontextualise
duquel il navigue. De l’intervention plastique, à artificiellement le projet est morcelée, elle reste
l’édition en passant par la photographie ou la ludique. Ce qui vient répondre au projet lui-
réalisation d’objets l’intention est la même : celle même car le travail de production n’est forcément
de mettre en abîme le travail de conception et de ludique. Pourquoi donc cherche-t-il absolument
production. Il devient alors important et à attirer l’attention sur cet aspect « ludique » en
primordial pour lui de situer les objets générés particulier en déployant ces différents moyens
dans un contexte qu’il s’approprie avec une genèse (l’aspect scénaristique de l’énoncé du projet, la
qui autonomise le projet. mise en scène photographique d’enfants, des
L’ouvrage Appendix Appendix se présente donc souvenirs d’enfance du narrateur…) ?
sous la forme très précise de scripts, de scénarios La réponse est peut-être à trouver du côté de
en tous points semblables à ceux que l’on pourrait l’éthique de la production à échelle industrielle,
rencontrés dans l’industrie cinématographique. ou plutôt de ses lacunes voire abus. Car évoquer
C’est ce support particulier qu’a choisit Ryan le travail d’enfants n’est pas sans évoquer des
Gander pour présenter, mais aussi donner les clés dérives de certaines productions industrielles.
de production de ses différents projets. Pour Ici le récit n’est pas anodin, il est léger et
l’extrait choisit, il nous indique la façon précise s’épanche parfois dans des anecdotes racontées
dont a été réalisé les objets dont il est question. par l’auteur.
Parce que ce processus de production fut une Ce qu’il transparaît est une sensibilité projeté par
mise en scène documentée par vidéo et Ryan Gander sur le narrateur. Le narrateur de ces
photographie, il décide de trouver le ton du scripts nous raconte ce projet de Rietveld
scénario pour hiérarchiser les plans. Et ainsi, il Reconstruction sur le ton de la banalité la plus
hiérarchise les étapes de la production. Décider routinière nous confronte à ses choix d’auteur de
de ce qui devient arrière-plan, les encarts de projet. Les références au monde de la production
paroles qui vont compter etc. L’objet dont il est de design sont récurrentes et dans ce scénario, et
question est le projet Rietveld Reconstruction. Rietveld apparaît plus comme un accessoire que

44
comme un arrière-plan historique sur lequel se
fonde le projet. Ryan Gander joue avec
l’historiographie classique pour situer son geste
et construire un projet. Il ne révise pas pour
autant l’héritage culturel, il lui donne un autre
statut, une autre échelle. Ici c’est le jouet. Le
personnage construit dans le scénario donne
corps au projet qui s’échafaude, il lui donne une
dimension sensible avec ce point de vue déplacé
du côté personnel −aussi fictionnel ou non soit-
il−. Le projet tente manifestement de répondre à
une problématique qui n’est ni posée par
l’industrie, ni par la technique, ni par des besoins
de consommation, ni par volonté politique, ni par
défi, ou orgueil. Le narrateur cherche son sens
entre les lignes du scénario qu’il élabore. C’est en
prenant le recul nécessaire à cette lecture qu’on
verra transparaître au final tous ces
questionnements imbriqués et ces prétextes à la
relecture de la production.
_____________________

45
es designers et auteurs ont une il prend ses distances avec la réalité de la

C démarche qui appelle une pratique


autonome du projet. Ils travaillent à
production. La comparaison, entre les schémas
de production industrielle et les schémas de
créer un environnement artificiel dans lequel production fictionnels ici créés, tient donc un rôle
apparaissent des besoins, des pratiques qui important dans la narration de ces projets.
n’auraient peut-être pas pu exister autrement.(49)
Il s’agit dans ces cas là d’une fiction. Ils s’activent C’est donc paradoxalement que cette apparente
donc à créer les conditions d’apparition de leur autonomie du projet se voit systématiquement
projet, générant leur propre historiographie. Ces ramener à cette comparaison entre ces schémas
conditions d’apparition du projet sont de production. L’une standardisée, opérant
fictionnelles. De ce fait, nous pouvons couramment et largement diffusés. L’autre une
interpréter ces projets comme la volonté pour ces production aux méthodes décalées, aux discours
designers de générer leur historiographie. Une mis en scène.(50) Ces projets particuliers se
historiographie particulière, puisqu’elle est close. proclament « autonomes », ou du moins
En effet, l’usager ici peut difficilement se saisir du autonormés. Même s’il s’agit de la remettre en
projet, il devient spectateur. Cette fiction devient cause. C’est une des critiques que mettent en
aussi un lieu proclamé d’élaboration de fantasmes scène ces projets. Ces projets ne fonctionnent
pour l’usager. Elle devient une occasion donc pas dans le vide, ils ne surgissent pas non
d’interprétation de conditions de production plus ex nihilo.
irréelles.
L’histoire des objets, de leur production, de leurs
Ce qui frappe est la propension qu’à l’autonomie usages, leur généalogie, la mémoire collective qui
du projet à faire écho aux schémas classiques de en résulte est mise non seulement à contribution,
production industrielle. Ces schémas de mais est aussi détourné de son usage
production sont des référents de la production du principalement didactique.
design. Et ici, les designers que nous étudions Les stratégies pour viser ce détournement de nos
inscrivent leur projet dans une production acquis en tant qu’usager, que spectateur, sont ici
inventée par eux. Mieux, il s’agit d’une multiples. Ils revêtent tantôt des aspects de réelle
production fictionnelle, dont le contexte est production (studio Glithero) avec les machines
élaboré par les designers grâce à leurs divers productives. Ils peuvent aussi manifester des
procédés narratifs. Les projets reposent ici sur aspects plus métaphoriques (Dunne et Raby) avec
une historiographie réécrite par les designers. Ces une atmosphère escha-technologique. Les projets
projets sont entièrement dépendants de cette sont difficiles à étiqueter. On évacue ce problème
fiction ; c’est grâce à celle-ci qu’ils sont viables. en parlant d’installations plastiques.
Plus ces projets s’émancipent des schémas de
productions référents et réels (comme la Les designers construisent d’abord le réseau de
production industrielle de masse), plus le récit est références auxquelles ils vont faire appel. Il peut
rendu artificiel. Ainsi plus le projet est écrit, plus s’agir de références historiques quant à la

46
production d’objets pour les machines du studio Ces designers montrent un projet qui vit tout seul,
Glithero par exemple. Mais ce réseau de dans un univers artificiel.En effet, les designers
référence peut aussi tirer à lui d’autres domaines : ont construit un contexte fictionnel qui fait
il peut s’agir aussi de références littéraires, émerger le projet, les conditions de productions
cinématographiques, scientifiques −le scénario, la qui y correspondent et qui le réalise. Le projet
prose d’anticipation propre à la SF−. Enfin c’est tourne en boucle, il est enfermé dans cette
l’aspect du dispositif de diffusion du projet qui est dimension narrative.
soumis à certains codes diffusion du projet − La narration qui est impliquée ici rend possible
installation, édition …−. cette impression hermétique. Le projet
Le projet balise son territoire pour y élaborer sa fonctionne de cette manière pour pouvoir être
fiction, son récit. Ce sont des ancrages dans des saisit en tant qu’entité autonome. En tant que
références qui vont permettre un détournement spectateur, nous ne pouvons nous saisir
de la par de ces designers dans leur projet. Par directement du projet. Seulement de la narration
exemple, il va s’agir pour le studio Glithero de qui le porte. Cette distanciation forcée est ce qui
détourner l’imagerie machiniste du progrès pour nous amène à questionner la viabilité du projet
faire apparaître une dimension inefficace, −du dans le contexte, dans l’environnement réel qu’est
moins une irrégularité des produits−. Ces le nôtre. Nous allons nous baser sur des normes
designers commentent les systèmes de établies, et questionner l’incompatibilité de ces
productions industriels ordinaires et standardisés. projets avec notre environnement réel.

De son côté l’appropriation d’un dispositif de


monstration relève d’une critique de Mais que fait apparaître cette mise en scène du
l’institutionnalisation de la pratique de designer ? Comment se montre-t-il dans cette
l’exposition (51) au sein du milieu du design. fiction ? Est-ce un auteur qui fait figure de
Cette critique précise son terrain car il est démiurge d’une fable qui fait percuter
question d’un vocabulaire accaparé par la pratique l’herméneutique contre hermétique ? (52)
exclusivement artistique. Les designers Le rôle du designer est-il ici omnipotent puisqu’il
questionnent la diffusion de leur production de créé le projet et les conditions de réalisation de ce
design. Ils questionnent aussi la modalité de projet ?
diffusion de projets. Est-ce aussi une stratégie de posture, voire de
La diffusion du projet devient donc l’enjeu pose ?
essentiel, et surtout son levier le plus fort. Il s’agit Ce qui infirme cette impression est l’absence ou
pour ces exemples, de trouver une narration du plutôt la disparition de l’auteur du projet.
projet qui fait état d’un projet fictionnel résolu. Dans les exemples cités les designers
Le projet est clos. On ne peut rien y ajouter, ni en n’apparaissent que subrepticement dans le
tant qu’usager, ni en tant que collaborateur. On générique de fin. Ou bien, quand il est mis en
se trouve en posture de spectateur. scène dans le projet de Ryan Gander, il est
tellement présent et raconté qu’il devient un

47
personnage dont la réalité n’importe plus. Au Le contrôle de la production pour ces designers
final ce qui est mis en exergue c’est le s’effectue donc de façon dispersée. Il part plutôt
déplacement du designer/auteur, de la place qui des extrémités de la production plutôt que
lui assignée, son geste. partant de son centre névralgique. C’est la
Il ne faut pas se laisser duper par les apparences, stratégie de la dispersion des informations (50).
le projet n’est pas ici un prétexte à une auto- La narration vise donc ici une simple diversion.
représentation du designer. La narration Le temps qu’on comprenne les conditions de
fictionnelle des projets, vise ici à mettre en scène production fictives de ces projets, on ne
un geste de production impossible en temps s’interroge pas vraiment sur la réalisation
normal, irréalisable dans les conditions actuelles. technique de ces objets.
La préciosité de ce geste, va de pair avec les Cela donne une étrange consistance aux
connotations sociales, économiques, politiques, designers : ils deviennent dans ce cas, les seuls à
culturelles que ces designers attribuent à chacun pouvoir créer l’offre et la commande. Point de
de leurs projets. contrôle qualité, l’environnement du projet est
fabriqué sur mesure du projet.

Ces designers interrogent donc aussi cet accès à


l’information technique de production. Car en
Ce qu’on voit apparaître aussi dans ces exemples somme, ce dispositif narratif raconte ici tout sauf
c’est la dispersion de ce récit fictionnel. Ces le processus de production des projets de design.
narrations se répandent sur de nombreux Qu’est-ce que cela nous dis de l’accès à
supports (photographies, livres, vidéos…). l’information des techniques de productions des
Cela passe par tout l’arsenal narratif qui met en designers ?
scène chaque production. Après avoir effectué Bien des projets de design reposent sur cet accès à
une distribution des rôles des collaborateurs l’information concrète. On assiste à la diffusion
fictifs (53), planté le décor, convoqué des de mode d’emploi et de manuels d’instructions
références, cette stratégie mise en place, ces diverses. Cette pratique interpelle malgré tout
designers mettent en place une stratégie de la deux sortes d’appropriation du projet. Le projet
dispersion des documents supports de la peut être réinterprété possiblement par un
narration du projet(50). quidam réceptif, mais il peut être aussi récupéré
Il s’agit d’un contrôle de l’image émise du projet, par l’industrie elle-même, les systèmes de
mais plus encore, il s’agit d’un pur et simple accès production que le designer s’est appliqué à évité.
à l’information réelle de la production. On Au mépris de tout droit d’auteur. C’est sous
remarque que dans ces projets, aucune donnée, couvert de cette « accessibilité » de l’information,
aucune cote, rien qui ne vise la reproduction des maintenant en vogue, que les systèmes de
objets produits. Le projet existe dans ce récit, il production traditionnels qui ont encore la main
n’est pas utile, cela ne fait même pas sens de mise sur le monde des objets, prennent l’avantage.
vouloir le reproduire ici, ou autre part. Est-il alors judicieux de créer des projets exempts

48
de toute opacité, qui tomberaient nus, dans le l’interprétation, ce qui n’est pas le cas des
domaine public ? Des projets libres de droits exemples vus.
d’auteurs et de brevets ? Quelles récupérations
seraient envisagées alors ? Que penser des projets La création des règles du jeu, de lois internes du
dits « open-source » par exemple ? projet fait toujours transparaître un enjeu cher au
Rarement c’est un potlatch empreint d’une designer. Dans ces exemples, il s’agit de la
générosité ingénue. Quand bien même le production d’objets à l’échelle intime, de la
copyright s’efface, la signature du designer elle machinisation de la production, d’un
subsiste. environnement d’usages fantasmés. Les récits vus
Le droit d’auteur qui était une interrogation sont le support de ces règles. C’est dans ces
psalmodiée, devient un enjeu fort pour la pratique fictions que ces lois sont valides. Ainsi ils
du design. décident dès le départ que leur projet est
irréalisable dans les conditions qui portent leurs
projets de design habituel. Ils ne s’illusionnent
pas, et c’est bien sur un ton pertinemment décalé
A l’instar des utopies de design des décennies qu’ils révèlent l’obsolescence flagrante d’un projet
précédentes (Superstudio, Archigram, pas encore éprouvé. Enfin, parfois, quand ces
Archizoom, ou bien les grands projets de règles sont édictées envers le milieu collaboratif
l’époque moderne…) qui prolongeaient les du design, on voit même s’esquisser une forme de
révolutions progressistes sociales et politiques, on déontologie.
voit apparaître des fictions modestes qui Ni sérieuse, ni vaine.
racontent des enjeux à petite échelle. Ou mi-sérieuse, mi-vaine. ♦
Ces projets sont le support de dystopies
ordinaires et silencieuses, porteuses d’une
inquiétude sans contraste.
Ce qui est intéressant de noter ici, c’est que ces
designers font apparaître des systèmes
globalisants dont dépendent leurs projets de
design. Seulement ils sont fictionnels et
manifestent une incompatibilité avec le réel.
Cette perspective particulière est empreinte d’une
vision globale du projet. Ces designers ont un
rapport ambigu avec l’héritage de ces utopies
passées et avec la pratique du
Gesamtkunstwerk(54). Cette pratique vise un art
total ou totalisant. Elle envisage le projet de
façon globalisante laissant nulle place à

49
50
le site Youtube. Bien que le film de la
Hors-jeu
performance fasse partie intégrante de son
L’OPTION DE working with Gio Ponti, qu’il la documente aussi
de photographie du même plan fixe, celle-ci
L’INFAMIE acquiert un statut particulier au regard des autres
___________________________ objets produits dans ce projet. C’est bien un récit
de production filmé. Il ne s’agit pas d’une
UNE QUESTION SE VOIT POSEE EN DERNIERE PARTIE DE performance productive accessoire, mais bien
L’ETUDE : IL S’AGIT DE L’ARCHIVAGE. COMMENT S’OPERE-
d’un récit de production sous forme de la
T-IL ? QUELLE POSITION ADOPTENT LES DESIGNERS ? ET
performance.
QU’EST-CE QU’ELLE PEUT SIGNIFIER ? TOUS LES RECITS DE
PRODUCTION ETUDIES INDIQUENT LES DIFFERENTES
Par ailleurs, les objets produits qui ont statut
INCLINATIONS DES UNS ET DES AUTRES. A L’EXERCICE DE d’accessoire dans la vidéo, deviennent des
FUTUROLOGIE ON SOUSTRAIT LE DEVENIR DES CES OBJETS meubles fonctionnels, tout à fait utilisables et
POUR ENQUETER SUR L’ARCHEOLOGIE QU’ILS
d’ailleurs présentés plus tard comme tel.
IMPLIQUERAIENT. COMMENT CES NARRATIONS DE
La chronologie d’apparition du projet dans ce cas
PRODUCTION SI PARTICULIERES PEUVENT CONSTITUER UNE

ARCHIVE ? PEUT-ELLE ETRE ENVISAGEE COMME L’ARCHIVE


présent est quant à elle particulière. En effet, ce
DE PRATIQUES ET DONC UNE EBAUCHE qui apparaît d’abord quand on s’informe du projet
D’HISTORIOGRAPHIE ? de design, c’est la performance. On peut lire des
épitextes sur cette performance, puis sur la vidéo
MARTINO GAMPER enfin, la vidéo est tout à fait accessible. Les objets
apparaissent ensuite, comme si l’on assistait, une
Le designer réalise une performance filmée au cours de seconde fois à cette réalisation. Si Martino

laquelle il déconstruit et réassemble du mobilier signé. Gamper pose les conditions de l’archivage de son
travail et de sa méthode de production, il met
Cette vidéo est accessible librement sur internet.
aussi en abyme l’utilisation qu’il peut faire de
La performance réalisée par le designer If Gio
l’archive de design. Ici l’archive en question est
only knew, fut mise en scène lors d’une foire
l’objet lui-même. Point de documents de la
d’exposition d’objet de design, à Bâle.
production de ces meubles par Gio Ponti, on
Documentée par une vidéo en plan large et fixe,
peut simplement lire en péritexte à la vidéo, que
le ‘plateau’ ou ‘studio’ se constitue d’un espace
ces meubles furent conçus pour un hôtel
neutre d’exposition. On peut voir, mis en
particulier, à la suite d’une commande. Le
situation, des meubles designés quelques
designer ici reformule un propos, constitue des
décennies auparavant par Gio Ponti. Entamant
objets à partir d’un vocabulaire qui existe avant lui.
sa performance, le designer inscrit au mur le titre
Il s’accommode de cet héritage pour le remettre
de cette performance. Au cours des heures qui
en mouvement, en circulation. Il ne détruit pas
suivent (en accéléré sur le montage vidéo), il
un héritage d’objets, ni de références.
décompose, coupe, colle, et réassemble les pièces
Contrairement aux gestes des mouvements
pour donner forme à de nouveaux meubles. La
radicaux qui cherchaient à annihiler un héritage
vidéo quant à elle est disponible sur Internet via

51
historique pour faire table rase, ici le designer place par les designers (vente par internet
redonne à ces objets un statut de simples meubles, principalement, abonnements). La dispersion a
de matière agencée d’une certaine manière. Il les donc lieu dans le cadre de production même, puis
débarrasse de toute référence historique et revient à la forme choisie par les designers pour
déplace la référence vers le contexte de son geste. diffuser leur travail. Le récit de production ici a
La signature dont ces objets portaient l’empreinte donc pris la forme d’une installation, d’une
n’est plus qu’un cadre vide. De cette manière, les performance aussi. Elle est pas documentée par
objets présents sont reconsidérés, débarrassés une vidéo, mais surtout par quelques
d’un aspect symbolique porteur d’un fragment photographies, elle-même reproduites dans la
d’histoire. Reste le bois, le formica, les couleurs revue (sur la couverture). L’objet est contextualisé,
donnera un écho particulier à l’objet renouvelé, il indique subtilement les conditions de sa
grâce au titre de la série. Martino Gamper ne réalisation. Mais cet avant tout en se procurant
détruit pas Gio Ponti, il le fait muter, s’adapter l’objet sur place que l’on se rend compte de cet
au contexte qu’il a choisi, pour lui rien ne se perd, aspect performatif. Il s’agit donc ici de montrer le
rien ne se créé, tout se transforme selon la processus de production en accédant directement
formule consacrée. à l’atelier. En allant dans l’espace d’exposition. Là
on y trouvera l’espace qui fut le support de cette
DEXTER SINISTER performance, on y comprendra les enjeux
techniques de la réalisation de l’objet. On pourra

L’édition d’un numéro d’une revue fut réalisée dans le apprécier la transportabilité de l’atelier, qui n’est
pas aisée mais réalisable. Parce que Dexter
cadre d’une exposition.
Sinister comprend son atelier de rédaction et de
La réalisation de la revue Dot Dot Dot pour le
conception éditoriale (basé à New York City)
numéro 15 de la fin d’année 2007, fut opérée
comme un lieu aussi de diffusion de ses
dans l’espace et le temps de l’exposition Wouldn’t
productions, on comprend pourquoi il fut choisi
it be nice située à Genève. A cette occasion, le
de distribuer l’objet sur place uniquement. Ce qui
studio de Dexter Sinister (stuart Bailey and Peter
transparaît d’une part, est la volonté d’inscrire la
Bilak) prit donc ses quartiers dans le centre
production quelque part, et que la diffusion y soit
d’exposition. Salle de rédaction, table de réunion,
intimement liée. D’autre part on perçoit aussi
et aussi la production éditoriale : les
largement la volonté de faire exister le geste de
photocopieuses et imprimantes nécessaires à la
production aussi modeste et quotidien soit-il
confection des trois mille exemplaires de la revue.
(utilisation notamment d’un appareil
L’élaboration de la revue dépassait même le cadre
photocopieur RisoV8000). La documentation de
de l’exposition, puisque l’équipe occupait l’espace
la production reste dans une forme d’annexe, c’est
en dehors des horaires d’exposition utilisant les
le dispositif de dispersion de l’objet qui importe.
installations à disposition (et les installations des
Celui-ci contextualise cette diffusion, rend
autres designers).
l’archive opérante à cet instant, dans cet endroit.
Une fois la revue réalisée, elle fut distribuée sur
L’objet fait écho à l’environnement, le produit et
place, puis par les circuits traditionnels mis en

52
la production se racontent, puis vient le moment entier d’Ettore Sottsass (le livre Métaphores, ed.Skira
où l’objet se destine à s’en séparer, pour trouver 2002 et Ettore Sottsass Jr,ed. Hyx 2006). Ce projet
un autre statut. Il devient une archive de cet de design existe sous forme de dessin préparatoire,
environnement. La revue ne sera pas éditée textes poétiques décrivant son intention, et de
autrement, il porte donc une trace invisible de photographies de l’interprétation concrète qu’il en fait.
cette production. Indiscernable pratiquement car Il s’agit au final d’un reliquaire éphémère, un
bien que la production de l’objet fut réalisée dans potlatch qui viendrait rendre hommage à son père
ces conditions, les enjeux éditoriaux eux, n’en disparu. Il est question d’élaborer un objet poétique et
dépendent pas. Si les choix de sujets traités ont personnel, support à un geste animiste et trace d’un
été surement influencés par l’environnement cérémonial.
donné, il n’est nulle part revendiqué qu’ils En ce qui concerne l’archive, la trace, le designer
découlent de ce dépaysement. La production ne Ettore Sottsass opte pour la multiplicité des
se raconte non plus à l’intérieur de la revue ; ce supports. Le seul objet de design reliquaire prend
n’est non plus la facture de l’objet car les trois formes qui comptent parmi les dispositifs
équipements techniques sont familiers au studio. privilégiés du designer. Croquis, photographies,
C’e n’est donc que de la transmission de l’objet poésie. Le fragment est le support de prédilection
qui raconte ce processus de production, qui est du designer. Quand ici il nous trace le parcours
évoquée par quelques fragments iconographiques du projet de design autour d’un reliquaire, c’est
sur la revue pour l’œil averti. Et cette moins la traçabilité technique et opérante qu’il
transmission qui prend le relai de la performance cherche, que d’adapter la démarche d’un designer
au cours des mois qui suivirent. L’installation du à la spontanéité des usages, à la légèreté des
studio dans le lieu d’exposition persiste, même si matériaux disponibles, à la gravité des symboles
la production est terminée, en tant que mode de qui y entrent en jeu. La fragilité et l’aspect
diffusion de la revue. On comprend alors que fragmentaire qui sont des caractéristiques qui
l’enjeu se déplace du côté de la production vers sa cherchent d’habitude à être évitées par quiconque
dispersion, sa disparition in fine, vers aussi veut archiver une production, des documents,
l’usager qui va s’en saisir. On sent presque un ton sont ici recherchés. Le designer témoigne de son
particulier, celui du designer qui fait la politesse à process de production, lui attribue ces qualités
celui qui va se saisir de l’objet, de lui montrer les transitoires et éphémères de documents-traces.
conditions de sa réalisation, mais aussi de lui Ce sont ces documents qui rendent compte du
donner ce privilège. projet de design ; il s’agit d’un objet éphémère,
une offrande, un potlatch, c’est avant tout une
ETTORE SOTTSASS création qui se fonde dans un geste contextualisé.
Un geste qui trouve sa genèse dans une histoire
Le reliquaire du designer est un objet éphémère dont personnelle et qui trouve une résonnance
la réalisation est documentée sur différents supports. particulière dans le lieu où prend place la
On trouve des traces de ce projet et de sa réalisation réalisation. Néanmoins, cette réalisation est
dans les monographies qui documentent le parcours documentée, il existe ces fragments, ce triptyque

53
dessin, écrits, photographie. Les documents se
répondent de façon évidente, mais on ne les
trouve pas au même endroit. Ils sont dispersés à
travers plusieurs ouvrages. On peut cependant
trouver des binômes écrits/photo, et écrits/dessin.
On sent donc bien cette nécessité de documenter
son geste pour le faire exister en tant que projet
de design, et cette envie d’y faire transparaître la
liberté du support, l’aspect transitoire, non
pérenne du projet.
Ici l’auteur apparaît comme le point focal d’une
histoire entre des individus qui n’ont pas de noms.
Plus qu’un objet à produire, le designer tâche, en
réitérant son propos sous différentes formes
−photographie, crayonné, prose …− de
transmettre à un auditoire les besoins qui
sollicitent la création de cet objet, et les
possibilités de réalisation qui nous sont offertes.
Ici l’archive de ce récit de production n’est pas
simplement la trace qui subsisterait de ce projet,
c’est aussi une promesse du designer d’interroger
nos cérémonials, c’est la trace fragile de la
conviction qu’il porte et qui veut engager une
relecture de son travail.
___________________________

54
n trouve dans ces exemples un enjeu documents émis est inversement proportionnelle

O particulier dans la question de


l’archivage de documents relatifs à la
à l’impact dans la durée du projet de design. Les
objets sont légers, l’empreinte dans le réel est
production de design. Pour qu’une production provisoire et précaire.
industrielle soit efficace, les documents qui sont Mais on aurait pu imaginer le contraire, que plus
supports d’informations de réalisations doivent l’objet est conditionné par un événement
être accessibles, valorisables commercialement particulier, plus cette occasion est rare, plus les
(brevets, copyright, royalties…). Les archives documents sont nombreux, forts et sacralisés. Ici
doivent être formatées, soumises à des standards point de cela, il ne s’agit pas de déplacer la valeur
de lecture pour être communiqués par les voies de l’objet vers sa trace, mais plus dans l’occasion
traditionnellement empruntées. Ici cette pratique qui le voit éclore. Peut être voit-on ici une
est remise en question. différence avec le milieu artistique sur la
L’enjeu se situe là où l’archive se place dans la conception d’une performance, d’une installation.
production de design. Est-ce qu’elle fait partie du Qu’ils subsistent ou non ce sont les objets
projet singulier, est-ce qu’elle s’adapte à un produits qui ont la part belle, et non les images
environnement particulier en une occasion ou documents de la performance ou de
singulière ? l’installation.
Parfois même on est en droit de se demander si
ce n’est pas cet enjeu visé dans la documentation On voit ainsi donc apparaître des objets qui
qui est à l’origine du projet de design. Dans tous naviguent entre un désir d’archivage, de parole à
les cas, même si elle n’en pas à l’origine, elle la postérité plus ou moins solennelle, et
détermine bien des aspects du projet. Il est par mouvement non archiviste.
exemple déterminant pour Martino Gamper que La narration du processus de production trouve
sa constitution d’un nouvel ameublement se fasse dans ces cas des supports peu évident à archiver.
sous forme d’une performance s’il cherche à Ils gardent la trace du projet réalisé dans une
montrer son geste dans cet environnement forme transitoire, une forme dispersée. La
particulier qui sera à durée limitée et non narration de la production du projet n’est pas
reproductible. fixée. Il est intéressant de noter que pour ces
projets en particulier, la narration du projet est
C’est l’occasion de se mettre en scène encore une postulée dès le départ dans une dimension
fois pour l’auteur. La qualité, les formats utilisés, apocryphe. Comme s’il s’agissait de s’affranchir
le vocabulaire formel, sont autant d’occasion de d’une étape postproduction d’archivage trop
comprendre comment le designer considère son encombrante.
projet dans l’avenir. On peut donc apprécier Mais c’est aussi grâce à ces récits qu’est possible
quelles prises il donne à d’éventuels une interprétation à défaut d’être une parole
commentaires de ces méthodes, de la conception d’évangile figée. Pour d’autres designers, c’est
de son projets. On pourra noter logiquement que l’envergure et la multiplicité des supports
l’importance qu’il accorde à la pérennité des employés qui peut être problématique dans la

55
réalisation d’une archive du projet globale. Trop rapidement évacué par la rapidité
Prenons l’exemple de du duo Raby + Dunne, le d’exécution et l’apparente efficacité du support
projet s’était étendu sur de la vidéo, de la numérique, on assiste à un retour cette question
production de prototypes, aussi l’élaboration de de l’archivage au sein de nombreux projets.
textes supports du propos, de photographies. Le Ces designers cherchent à se ressaisir de
récit du projet repose sur les dimensions de l’archivage de leur processus de production. Ils
conception, de réalisation, de diffusion, il est expérimentent les supports, disperses les contenus,
difficile de saisir une perspective d’ensemble. modifient les formats, déplacent des énoncés
Quand bien même une cohérence sensible dans des supports auxquels ils ne sont pas
traverse le projet. Le récit engage ici différentes destinés. Ces projets recherchent des nuances
échelles de temps, d’espaces. Dans ce cas là dans la valeur attribuée à des documents
l’archivage devient complexe et pour le duo, il apocryphes.
n’est pas forcément intéressant. Dans un cas, l’unique objet d’attention est projet
La narration du processus de production s’engage en lui-même −pensons aux projets impliquant
sur de nombreux supports différents dans ce cas. systématiquement une réinterprétation, au
Ces supports ont des formats particuliers qui mouvement DIY−. Car le projet de design et sa
engendrent chacun un archivage spécifique. production sont l’archive.
Difficile dans ce cas de garder une cohérence de Il peut aussi prendre une forme plus éclatée mais
la narration de la production, et de s’en saisir en réellement accessible. Une investigation sera alors
non-spécialiste. C’est alors un agencement des nécessaire. Elle visera la collecte des traces et
étapes de production par défaut qui s’opère, l’assemblage de l’archive.
regroupant plutôt les familles de supports (vidéos, Enfin il peut aussi s’agir d’un mutisme total, dont
photographies numériques, textes papiers de l’impénétrabilité remet en question alors la
l’autre …par exemple). Parce que tout de même, viabilité du projet.
les documents traces de cette installation existent,
ils sont produits. Reste que leur archivage ne La plupart du temps le format du récit induit un
dépend pas de ces designers. Leur projet de rapport précis du projet dans la durée. Un
narration de la production ne s’étend pas designer qui conçoit sur support d’un plan doté
postproduction. de cotes et tangible ne s’inscrit pas de la même
Plus généralement, l’archivage des projets de manière dans le temps qu’une installation qui
design se voit mis en route mécaniquement via la voue à une dissémination numérique anonyme du
diffusion du projet. projet.
Cet archivage est catalysé par des médiateurs qui Néanmoins, on sent bien que de cette tension
diffuse le projet, le relaient. Ce phénomène est entre cette volonté d’engagement dans la durée et
amplifié quand les documents produits sont celle de s’adapter à des conditions sur mesure,
numériques et intégrés à des réseaux vastes et naît nombre de compromis. Des compromis
ouverts (internet, circulation par articles, par performatifs. (55)
commentaires …).

56
Le design se voit alors phagocyté par des avec leurs photographies dans l’édition de la
contingences qui appartiennent à revue, et une vidéo captée sur internet).
l’environnement que l’usager se construit. La
signature devient un exercice de style en voie de A la différence d’autres flux tendus, ces archives
disparition. Parfois même le designer ne fait de production du design, ne spéculent pas sur une
qu’activer le projet grâce au récit qui lui permet valeur commerciale, ou de notoriété. Ces archives
de revisiter un environnement. La signature cherchent à resituer leur valeur d’impact dans le
devient un acte menacé, qui est réinterprété par réel via une interprétation à trouver pour qui veut
celui qui se ressaisit du projet. C’est d’ailleurs le s’en saisir. Où là, l’unité de mesure, les formats
mode de fonctionnement des projets open-source sont indéfinis.
par exemple −Superflex et leur projet Free Beer−. En dispersant leurs archives, en ne les signant pas
Dans l’usage d’alias et des autres techniques qui de manière formatées, ces designers invite à une
maquillent l’auteur, dans ces projets, on perçoit interprétation de ces archives. Ils cherchent à les
une interrogation qui travaille. On est souvent rendre actives. Comme pour prolonger des
amenés à se demander où se trouve l’imposture, extrémités de leurs projets.
et l’artifice qui farde l’inconsistance dans un Nous donnent accès à des tiroirs à double-fond.
projet. Certains se targuent d’un réalisme à toute Ces projets de design réactivent le processus de
épreuve qui exaucerait pourtant une poésie l’archive. Ils permettent à l’usager de ces
inframince. D’autres projettent un univers productions de design de s’en saisir, au même
tellement déformé que c’est son interprétation titre que l’objet produit dans ces projets.
qui sera l’objet d’un design très réel. Ces archives s’activent avec l’usager, délaissant la
mue de la signature de l’auteur.
Au final, ce qu’on voit se profiler c’est une Il s’agirait donc plus des archives de l’infâmie,
interprétation ouverte non plus aux seuls comme Foucault la définissait comme la
spécialistes à même de pouvoir lire des caractéristique de l’homme ordinaire confronté
documents cryptés. C’est un code libre, en flux brusquement au pouvoir, « L’homme infâme,
tendu. Il est disponible pour qui voudra, mais c’est une particule prise dans un faisceau de
surtout destiné à personne. Ou bien à qui voudra lumière et une onde acoustique.» (56)♦
s’en saisir. Il est disponible pour une
interprétation. Des indices de cette interprétation
peuvent être dans la manière dont ces designers
nous rendent accessibles la narration documentée
de la production du projet. Si on trouve des
fragments photographiques disséminés dans
l’ensemble d’un corpus de livres édités par un
projet de graphisme, cela devient différent d’une
vidéo accessible presque par erreur sur des bases
de données en ligne (dans ce cas : Dot dot dot,

57
58
traditionnelle du design, ils resituent la valeur du
TRACAS ET geste de production, ils le désacralisent.
Quand ces designers font montre d’une stratégie
ECLATS de projet autour d’une fiction −d’un contexte

D’UN fictionnel−, ils invoquent des conditions de


production irréelles. Et par là même, investissent

EXOSQUELETTE la valeur mystifiante, mythifiante d’un récit


________________________________________ indexé dans des objets.
Quand ces designers font émerger les documents
de leur production hors des formats d’archives

A travers ces exemples, nous trouvons établis, a fortiori dans une forme dispersée, ils

donc différentes mode narratifs de la production interrogent aussi la valeur de cette archive.

qui racontent chacun le processus qui les a C’est une équation de ces valeurs qui formule ce

générés. Cette représentation du process n’est ni que nous avons appelé la valeur conceptuelle

gratuite, ni fortuite. Sur la surface de ces objets, ajoutée au produit. C’est une indexation, scellée

courent les voix des collaborateurs venus dans l’objet produit, qui permet un retour critique

participer à leur réalisation. Ces empreintes sont sur la pratique du design.

ici agencées par les designers. Ils décident


singulièrement, pour chaque projet comment
rendre compte du process dans lequel ils
s’impliquent. Ces auteurs-designers nous L’immodeste redéfinition de la pratique du

exposent ces modes de narration comme design semble moins intéresser ces designers à

l’exosquelette de la production : il nous est quoi ils substituent une tolérance de l’indéfinition

présenté comme l’échafaudage signifiant qui tient de cette discipline (57).

le processus de production de l’exterieur. Au contraire, c’est la valeur conceptuelle

Ces objets cristallisent l’occasion d’une relecture contenue dans les projets qui déplacent les enjeux

des modalités de production de design. vers des interrogations aux prises avec la réalité de
la production. Une réalité de la production
pourtant empreinte de fantasmes.
Ajouté à cela, certains projets cherchent à

Quand ces designers font apparaître un réseau de s’émanciper d’un système d’échange économique

production spécialisé et saturé, ils questionnent pour reposer sur d’autres monnaies. Elles relèvent

notamment la valeur du statut des designers, de du symbolique, ne s’évaluent plus à l’aune de

leurs contributions. mesures absolues, mais elles s’ancrent dans des

Quand ces designers convoquent les usagers histoires, réelles ou fictionnelles(58).

directement dans la production grâce à des Ces échanges sont transformés, des transactions

communications externes à la pratique sensibles, symboliques se substituent


provisoirement au système économique habituel.

59
design et de diffusion de l’art et inversement : des
Ce qui apparaît également c’est une pollinisation réseaux de production de l’art et de diffusion du
de la pratique du design. Les projets examinés design.
circulent dans des réseaux externes à la Ce qui est intéressant est que, quoi qu’il arrive,
production industrielle dans certains cas, sont entre en jeu la dimension de l’exposition d’un
diffusés par des institutions dépendantes de réseau de production d’objets. Cette mise en
domaines artistiques pour d’autres, ou encore lumière repose sur des écritures narratives
court-circuitent des schémas de production singulières à chaque projet. Elaborer une
habituels pour s’externaliser complètement d’une narration de la production, quels que soient les
production professionnelle. Ce qui nous amène milieux mis en présence reste la mise en
aussi à se demander si cette dispersion n’est pas perspective essentielle que ces designers
aussi la résultante de tentatives de reconnaissance éprouvent.
de la part d’autres milieux que celui du design.
En effet, le milieu du design industriel ne peut se
saisir de ces projets qui ne cadrent pas dans leurs
normes et formats de production. Ils ne peuvent
le reconnaître.
Au-delà de ces quelques questionnements qui
sont induits par cette étude de cas, quels enjeux
articulent ces exemples ? En reprenant les quatre
lignes d’étude, −le réseau de production, le rôle de
l’usager, les stratégies fictionnelles et dispersées
opérées, et l’archive−, relevons-en quelques uns.

Mais en premier lieu, il s’agit d’évacuer la


définition du terrain sur lequel les projets voient
le jour. Aussi, nous pouvons discerner dans ces
projets aux contours vaporeux, des interrogations
non résolue quant au lieu d’intervention du
design. (59) Intervient-il dans un contexte
artistique, ou une production de design ? La
solution varie d’un projet à l’autre, mais il reste
que le choix existe bel et bien pour les designers
en charge. Comme dit en introduction, ces
projets explorent des réseaux de production de

60
en des termes classiques de production, est un
Que font apparaître ces narrations des réseaux de maillon de la production, il exécute une tâche
production ? spécialisée. Son rôle est ici focalisé. Les designers
Tout d’abord le designer cherche à donner sa peuvent avoir une vue d’ensemble du projet. Ils
vision du paysage social, économique, technique, ont accès aux informations nécessaires, et bien
historique ou culturel au sein duquel il évolue. plus que cela, ils doivent aussi les interpréter.
Ici on retrouve un certain nombre de renvois au D’un côté, il est peut-être fait montre du rôle
contexte qui encadre le travail. Ce contexte qui précaire et indistinct du designer dans le process
soutend l’acte de production, évoque la de production. Il apparaît non spécialiste ; il
machinisation du travail, mais surtout on trouve comptabilise des aptitudes communes à une main
de façon récurrente des investigations menées sur d’œuvre nombreuse. Ce rôle intermédiaire
la parcellisation des tâches réunissant la devient profondément interchangeable et
production.(60) (Philippe Millot, studio Glithero, infiniment remplaçable. (59) Mais d’un autre côté,
Charles et Ray Eames…) le projet passant entre ses mains, ou bien initié
Le système production industriel schématique se par lui, le designer cherche à définir les règles,
trouve modifié de façon indélébile. Plus l’autonomiser, en incliner la direction, à
réellement, les chaînes de production font place à reformuler ses buts, ou en recibler l’impact.
un environnement productif où les tâches sont Sans négliger la condition provisoire du projet, il
réparties et ultra-spécialisées. Cette va lui donner un support à une interprétation.
dissémination des interlocuteurs et de leurs Un équilibre se cherche dans ces récits entre la
aptitudes mettent en exergue cette fragmentation production à venir et une mise en perspective
éparse qui re-caractérise l’environnement du globale du projet.
travail.
Dans une production industrielle standardisée, le
travail est par principe fragmenté, contenu à une
tâche dévaluée, flottante, sans prise. Ce système Que font apparaître ces narrations du rôle de
évolue vers une externalisation de ces tâches. l’usager ?
Dans ces nouveaux réseaux de production Le plus souvent il s’adresse à un particulier, pour
fragmentés et saturés, ces designers nous la production d’objets domestiques. Mais il peut
exposent leurs rôles convergents significativement, s’agir d’objets plus vastes, d’urbanisme, d’objets
et convexes techniquement. Des rôles pourtant culturels ou cultuels.
paradoxalement, non spécialisés. Néanmoins, ce Dans certains projets on assiste à une
qui semble re-caractériser leurs rôles c’est indifférenciation de la production professionnelle
précisément l’intermédiaire, en masse et de la production pour soi limitée à un
c’est la médiation. usager. Schématiquement on pourrait dire, entre
Une distinction s’établit entre le spécialiste ou l’industrie et l’artisanat.
l’ouvrier et les rôles définis pour les designers que Cela apparaît notamment dès que les médiums
nous avons pris en exemple. Un ouvrier envisagé impliqués relèvent d’une diffusion courante et

61
pratiquée par les particuliers. La production sens à la production. Remplacer provisoirement
d’images peut en être un exemple. La production le Travail (W) d’une force se mesure en physique
et la diffusion d’images n’est plus réservés à des en Joules (kJ), par un geste humble et signifiant.
professions spécialistes, les particuliers peuvent
également s’en saisir via leur propre équipement.
Plus généralement, il existe des techniques de
diffusion ouvertes et non professionnelles qui Que font apparaître ces narrations des stratégies de
peuvent être entreprises grâce au réseau Internet fiction et de dispersion ?
et à l’équipement domestique (téléphone portable, Une autre fonction de ce récit est d’être l’écrin
ordinateur, imprimantes, électroménager…). d’une invention, ou de l’intervention d’un auteur.
Néanmoins cette ouverture des réseaux de Il s’agit alors d’une mise en scène référencée.
diffusion ne signifie par pour autant une Le rôle du designer d’auteur est le sujet mis en
ouverture des réseaux techniques de productions avant.
qui elles restent encore verrouillées (brevets a Dans la plupart de ces exemples, on ressent
l’appui, leur propre langage et système poindre la condition impérieuse des ces designers
économique etc.) et s’adressant aux professionnels ici auteurs, de manifester leurs points de vues
spécialisés. On revient ici à l’idée de singuliers, au point d’en déterminer entièrement
fragmentation du travail dans la production, cette le projet. Le déroulement des évènements qui a
fois du point de vue de l’usager. constitué le projet et le continuera en sera altéré.
Pour faire contrepoids à ce mouvement centripète On peut donc interroger ce besoin d’expression
qui éparpille la production, certains designers qui prévaut sur les usages auxquels sont destinés
cherchent à redonner une préciosité au travail, à les objets produits. Une fiction met en scène le
l’acte de produire. projet. Poussé parfois à l’extrême, il s’agit
Les projets décrits se recentrent autour de l’usager d’inventer des projets qui ne peuvent qu’exister
d’une manière ou d’une autre, ainsi qu’autour de dans ce contexte fictionnel. Ces projets se
son environnement et de son contexte singulier. construisent sur des sols virtuels, avec des
Ils s’adressent directement à l’usager en techniques irréelles répondant à des
mystifiant son geste. Il ne s’agit pas de substituer problématiques artificielles.
l’usager au designer, mais de l’inviter à interpréter Ils constituent une fiction éparse, une atmosphère
la production de l’objet. fictionnelle en quelque sorte, qui rend le projet
Celui-ci est parfois dépeint comme le support valide et viable.
d’un acte de collaboration à un projet étendu, il Il est alors difficile d’en discerner les intentions,
peut être aussi perçu comme un support elles, réelles.
d’expression signifiant, ou bien vu comme un acte Comme vu précédemment, les nouveaux modes
quasi cultuel, animiste. Ce qui subsiste aussi est de productions hors de l’industrie dépossèdent le
qu’il est attribué à cette production une valeur rôle traditionnellement perçu des designers de
d’engagement, d’implication non anodine. Il certaines de ses fonctions de décideurs et de
s’agit de consacrer du temps, de l’énergie, du techniciens. Cette expropriation dans ce large

62
mouvement de déspécialisation, entraîne une documents de production. Un engagement tacite
sorte de quête de consistance, qui serait elle lie le designer à l’usager.(63) Le processus de
reconnue de la part d’autres domaines. Les production évacue certaines étapes ; les diffuseurs
médiums se diversifient, les méthodes de de la production par exemple. Cela induit une
monstration du projet aussi, les réseaux impliqués pratique qualifiée de non-médiumnique.(64) Le
aussi.(61) Pour élaborer ces fictions productives projet lui-même, dans ce cas, n’existe que dans
les projets s’externalisent vers d’autres domaines. cet état latent : il n’existe qu’à travers ces
On note des emprunts aux installations documents racontant une production à venir,
artistiques diffusées au sein aux systèmes des effective potentiellement. Parfois la seule
galeries et d’autres institutions exposant de l’art. présence de ces documents permettant la
Les commentaires se font alors plus larges aussi, réalisation du projet, donne vie au projet
la communication des ces projets se situe hors des (pensons aux images de Dot Dot Dot, celles de
circuits de consommation de produits habituels. Bruno Munari ou de Yona Friedman…)
Mais le projet de design a un caractère fluctuant Cependant les instructions ne sont parfois pas
et intermédiaire, qui appelle une production qui claires et distinctes, et l’état gazeux du projet de
ne tient pas au milieu artistique. design s’accorde de façon complexe avec le récit
Les questions de certification identitaires restent du designer. La sublimation inverse qui induit le
ouvertes dans cet environnement aux règles passage d’un état gazeux à un état solide sans état
spontanées. intermédiaire (état liquide de la matière), n’est
pas toujours effective, mais courageusement
tentée.
Que font apparaître ces narrations du rôle de
l’archive? Ces projets cherchent à trouver leur modalité de
Ce qui se dégage aussi nettement c’est le dialogue envers l’archivage.
caractère performatif de l’énoncé du projet de Mais dans tous les cas un contrat est scellé. Il
design. Cet énoncé du projet se trouve dans les s’agit d’un contrat iconographique (65) tacite qui
documents qui racontent le processus de est impliqué dans la narration formulée. Ce
production. Or ces documents qui actent la contrat lie irrémédiablement les images produites
production de design et rendent possible son à l’effet, l’impact du produit de design. Il devient
archivage, ont parfois cette caractéristique une condition de l’interprétation lors de la
performative. Qu’est-ce que cela signifie ? réalisation de l’objet mais aussi de son archivage.
En effet, c’est le récit de production qui devient le Un rapport particulier à la postérité de l’objet se
support de design. Entre autres moyens, l’usager créée. On assiste ainsi à la mise en place d’une
devient un collaborateur, l’initiateur parfois du sous-veillance(66). Elle participerait d’un contrôle
projet. Le projet de design pari sur un renvoi (62). de la diffusion des traces de ce récit, du contrôle
Un renvoi vers d’autres documents qui racontent d’apparition de l’objet. Un filtre en amont des
l’histoire du projet. Une sorte de metaprojet latent, conditions d’émergences du projet, un contrôle
apocryphe. Il invite l’usager à collecter différents de l’image en aval.

63
Dans ces exemples, les projets ne cherchent pas à soixantes jusqu’au début des années quatre vingt
être exempts de tous procédés d’archivage. (68). Ces pratiques en récupèrent des fragments,
L’archive devient un terrain d’expérimentations cela se traduit sous forme de dystopies non
diverses. Ils le questionnent, le traitent localisables dirigées vers une immédiateté qui
directement, le déplace hors des formats s’échappe.
employés habituellement. Un animisme infraordinaire (69) apparaît et cote
les objets ainsi produits. Une spéculation
fabulatrice ?
______ Loin d’une efficacité condamnée à l’obsolescence,
ces récits cherchent à viser l’usager et le
collaborateur affectivement et effectivement. ♦
Ainsi la responsabilité du projet cherche à être
partagée avec celui qui lit le récit, qui l’interprète.
Dans certains projets il s’agit d’un collaborateur,
d’un spécialiste, dans d’autres il s’agit d’un usager,
ou encore d’un spectateur. On est alors en droit
de se demander, si ces récits ont alors seulement
valeur de prétexte au support de ce discours
critique.
C’est aussi en concédant d’adopter une position
en équilibre précaire que ces projets démontrent
la position critique que doivent adopter les
démarches de design. Cette narration du process
de production, se risque à une interprétation du
collaborateur ou de l’usager.
Cette posture cherche-t-elle à apparaître non-
dogmatique ? Cela semble paradoxal pour tous
les projets qui se voient déterminés de bout en
bout par une fiction, un socle créé par un auteur-
designer qui ordonne le projet. Pourtant les
pratiques du design contiennent originellement
un aspect autoritaire, celui de proposer, de choisir
en amont, et donc d’imposer une forme, un objet
à autrui.
C’est une relecture des utopies déchues(67) issues
des révolutions sociales. Ces projets de design aux
perspectives globalisantes étaient inscrits dans un
contexte historique s’échelonnant des années

64
ACTE III
EPILOGUE

PERSONNAGE : B.
LA SCENE SE SITUE AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS.
LA COURTE ET SOURDE HETEROTROPIE DE B.

(deus ex machina)

65
C’est d’un seul mouvement que les jurés se levèrent et gagnèrent la porte. La pièce se
débarrassait progressivement d’une tension moite qui plaquait chacun des auditeurs
aux bancs en formica lisse. La lumière fluorescente crispait encore quelques paires
de pupilles autorisées à s’avancer vers l’avant de la salle. On rangea alors les badges
au pictogramme distinctif. En jetant un dernier regard à la longue tablée où
s’éparpillaient les documents, un des membres du jury rattrapa la poignée et
s’éclipsa. Un froissement emplissait le corridor. Quelques mots furent échangés
formellement. Il était vingt et une heure. On lui fit signe de se presser, mais ça
commençait à bien faire, c’était quand même du bénévolat toute cette histoire. Des
jours et des jours que ça traîne. En plus, le premier jour, avant le début de la séance,
on demanda un petit rappel sur des textes de lois mis à jour. Les jurés avaient
demandé à être informés de façon solennelle de la modification récente de l’article
se rapportant à l’intime conviction. Entre éclats de voix populistes et logorrhées
législatives, il jetait des coups d’œil furtifs sur l’horloge affichée sur les tablettes
luminescentes disposées devant le jury. L’homme assis à ses côtés continuait de
psalmodier ; il devait supputer sur le nombre, à la dizaine près, de messages en
attente que devait afficher l’écran bleuâtre qui gisait dans une des vingt trois boîtes
scellées disposées de l’autre côté du bâtiment. Lui aussi visiblement se lassait
d’entendre les mêmes bribes de discours joués en boucles depuis quelques temps
sur de multiples supports cliquables. Il comprenait que c’était sûrement important
après tout, les droits et les devoirs de l’individu semi-public. En attendant, le procès
n’avait pas encore débuté, et les bouteilles d’eau individuelles labellisée
explicitement faisaient tout de même un litre. Tout cela n’était pas très engageant.
Personne ne semblait perturbé de se diriger vers la salle de délibération les mains vides. A
vrai dire il était inutile que quiconque du jury ne se saisissent des dits documents. Il
est véridique qu’il avait difficile de se les procurer, et ajoutées à cela, les longues
heures de visionnage vidéo n’était pas non plus probantes. En les imprimant, les
fichiers originaux furent corrompus de manière irréversible, et les épreuves encrées
sur papier étaient tout simplement illisibles. Pour cette séance, le juge d’instruction
autorisa le personnel de disposer de la salle pour la pose. Après tout il n’y avait
qu’eux et B.

66
La salle avait un écho particulier ces jours-ci quand s’égrenèrent tour à tour les mots de
responsabilité, de coût, de faux, de surveillance, de brevets, d’artifices, d’escroquerie,
d’ingénierie, d’identités, d’échanges sous-entendus, de contreparties symboliques,
de certificats, de travail, de marchés, d’obsolescence, de standards, de banalités, de
probité… B. essayait de visualiser cette liste lacunaire et incompressible. Elle devait
apparaître quelque part, taggée sur des encarts d’écrans recouvrant telles ou telles
surfaces. Il ne sait pas bien où mais cela devait se passer à peu près à ce moment, un
peu avant ou un peu après. Il entendit l’audience hors de la salle qui discutait
rapidement ; l’épicentre des informations allait bientôt se déplacer. Dans tous les
cas, cela faisait maintenant plusieurs années que le prédisposé aux badges ne
distribuait plus ceux étiquetés « presse ». Ils convenaient plutôt d’un login pour
chaque appareil pulsant des signaux lumineux complexes, se faufilant entre les
rangées. C’était bien plus pratique. Il ne passait plus son temps à contrôler des
bribes de documents paraphés sans regard aucun.
Dans l’autre salle, on se décida. Et alors le prédisposé donna des nouveaux login, et ouvrit
les portes. Les rampes de lumières fluorescentes cinglèrent à nouveau les pupilles
anonymes et patientes. Les spéculations et approximations laissèrent place à un
bruit blanc émis à un mètre du sol à peu près, dispersés dans les poches des
manteaux, entre les mains posées sur les genoux, dans les sacs. On remit en route
les surfaces tactiles des tables disposées face à l’assistance. Les jurés reprirent place
vers leurs sièges respectifs.
Quoiqu’il arriva, B. se demanda s’il était lui seul troublé par cette persistance rétinienne.

67
</script>

68
NOTES NUMEROTEES
PAGE 8________________________________________________________________________________________________________________________________________

(1)
p.28 « interface pas si virtuelle « Internet semble se construire autour de nœuds qui seraient à la fois ses centres et ses contours. Ce
maillage fait de la Toile un espace ouvert et poreux dans lequel le lieu et le site, le réel et le virtuel, sont de plus en plus imbriqués et
interdépendants. Les applications de réalité augmentée créent, par exemple, des interstices spatiaux dans lesquels se superposent images
virtuelles et perceptions naturelles. »

p.29 « Selon Eric Schmidt, nous émettons tous les deux jours autant d’informations que l’humanité en a produites entre sa naissance et 2003. »
Usbek & Rica/ °3, hiver 2011
Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal

(2)
« [le design] est devenu le principal acteur de la formalisation du social, le protagoniste le plus avancé de la culture du projet. La
métropole post-industrielle ne repose plus, selon Andrea Branzi, sur des opérations globales mais sur une infinité de microstructures, de
réseaux où circulent les fluides électroniques d’ne technique dématérialisée : renversement fin de siècle, revanche de la surface sur la
structure, du périphérique, de l’éphémère.
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais / Texte d’intro // Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio
Aguirre

(3)
p.29 « Les modes d’accès à ‘l’information sont variés et les utilisateurs misent sur les détours. (…) Sa réticularité favorise la sérendipité
définie par l’écrivain britannique Horace Walpole comme la possibilité de faire des découvertes inattendues grâce au hasard et à
l’intelligence. »
Usbek & Rica/ °3, hiver 2011
Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal

(4)
p.29 « glocalisation « Des phénomènes de glocalisation inédits sont également apparus. A travers ce mot-valise, inventé par le sociologue
Blaise Galland, se déploie l’idée d’un monde où le global et le local interagissent à diverses échelles et pour de multiples fonctions. Le
réseau contribue par exemple à l’aménagement du territoire ou à la formation de communautés d’individus épars en fonction de centres
d’intérêts communs − qu’ils s’agissent de préférences musicales ou même d regroupement dans des micronations. (…) Cet univers est en constante
expansion dessine sa propre carte au gré des conversations qui contrecarrent les axes temporel et spatial pour parfois les confondre tout à
fait. Le temps d’un email, le bureau d’à côté, New York ou Moscou sont équidistant. » »
Usbek & Rica/ °3, hiver 2011
Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal

(5)
p.9
« Aujourd’hui, la métropole de l’après-modernité ne se construit plus seulement à partir des infrastructures de grands travaux urbains ni des
codes de composition traditionnels. Elle naît plutôt de la prolifération des marchandises et des objets, dont la présence sans cesse
renouvelée et disséminée sur l’ensemble du territoire transforme l’environnement de l’homme, son habitat, ses lieux de travail et de loisirs.
»
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

(6)
p.253
« La production des objets est successivement passée tout au long des XIXe et XXe siècles d’un marché d’équipement à un marché de demande.
Elle a évolué, à partir de la fin de la Seconde guerre Mondiale, en un marché d’offre dans lequel la société de production a perdu son rôle
central ; à celle-ci a succédé une société orientée vers la consommation et animée par de nouvelles fonctions, assumées par le marketing,
chargées de créer les conditions de l’offre. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis
Frechin

(7)
p.254
« [confort moderne] a contribué à la banalisation et à la crainte de l’idée même de progrès. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis
Frechin

PAGE 9________________________________________________________________________________________________________________________________________

(8)
p.101
« Après-guerre : « Le designer effectuait un travail de conception consistant à faire coïncider les nécessités de production particulières
avec les grandes certitudes technologiques générales. » »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

p.60 « produits spécifiques fermés [clos] » « spécificité impasse »


DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005

(9)
p.107 deux courants inadéquats :
« vieille garde du design marxiste » vs. « une génération d’éternels jeunes expérimentateurs qui voient le monde comme un processus sans fin,
où tout est toujours provisoire, et où le projet s’exerce dans des stratégies à très court terme. »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

(10)
“Similarly, the postmodernist discourse about pluralism, multiplicity, and heterogeneity is inevitably used as
an excuse for singularity. Robert Venturi’s call for “complexity and contradiction” is surprisingly intolerant of alternative positions. The
proponents of “critical regionalism” see the same architectural qualities everywhere
rather than the unique site-specific differences they advocate. Such pluralist arguments are used as cover for a
particular aesthetic. And the architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work very hard to assure
that you know that a particular design is theirs by using recognizable — signature — shapes and colors. Once again, arguments about the
impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely such an image — a signed image that fosters brand loyalty.”
Mark Wigley / Whatever happened to total design ? 1998, Harvard design magazine, number 5

I
PAGE 7 _______________________________________________________________________________________________________________________________________

(11)
p.121 « Les rapports entre design et nouvelles technologies sont déjà totalement spontanés ».
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

(12)
p.143
« La solidarité du spécialiste avec le prolétariat − c’est en quoi consiste le début de cette clarification − passe toujours par des
médiations. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(13)
p.259
« Notre société est organisée en silos d’expertise et structuré par les concepts d’organisation scientifique et rationnelle du travail. »
(…)
« Le design a une capacité à intégrer et à être un médiateur, à côté des disciplines identifiées (sciences humaines, science, technologie,
science de gestion) de l’innovation. Il devient alors un médiateur, interface entre les organisations de création de valeurs et les
personnes. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis
Frechin

PAGE 10_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(14)
pp.253-261
« force de proposition « active et sensible » »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

(15)
p.256
« La perception et les rôles qui sont attribués au design doivent évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux qui se posent aux producteurs et à
la société. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis
Frechin

p.131
« (…) le lieu de l’intellectuel dans la lutte des classes ne peut-être fixé, ou mieux, choisi, que sur la base de sa place dans le procès de
production. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(16)
“More and more often there is embarrassment all around when the wish to hear a story is expressed. It is as if something that seemed
inalienable to us, the securest among our possessions, were taken from us: the ability to exchange experiences.’” Walter Benjamin, ‘The
Storyteller’, Illuminations (1923)

(17)
p.255
« Les systèmes de production des « objets » auront à résoudre des questions concernant l’imaginaire, la symbolique, les formes, l’immatériel
et le matériel, l’usage et les pratiques, le sens et l’utilité, le plaisir et la raison, et, in fine l’espace et le temps. Ils questionneront
aussi les notions de besoins et d’attente dans un monde d’hyperoffre. »
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

PAGE 12 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(18)
p.60
« La prémonition qu’il ya des histoires cachées sous la surface des objets est plus que fascinante ».
Même si tout cela semble logique, il ne va pas dut out de soi que la portée des objets transcende non seulement leur fonctionnalité mais aussi
leur capacité d’absorption de nos mémoires personnelles. Avant que l’utilisateur ne relie ses propres expériences aux chaises de Bey, elles
sont déjà signifiantes ; elles racontent déjà une histoire intriguant. Bey leur a donné une voix.
DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005

(19)
p.105 identités des nouveaux matériaux / designs
« Ils sont souvent un ectoplasme expressif qui acquiert une identité temporaire, parmi tant d’autres possibles, qu’à travers le projet. »
(…)
« Les principes de nécessité et d’identité disparaissant, la responsabilité des choix expressifs, linguistiques et formels se replace
entièrement dans l’épaisseur culturelle du projet. Le concepteur est nu face aux choix à accomplir, et il devra les faire de plus en plus
librement, c’est-à-dire avec de plus en plus de difficultés ».

p.118 « signes persuasifs et pénétrants »


« Le réel produit par la musique, les modes et les comportements sociaux, mais aussi par l’électronique et les nouveaux matériaux, est un réel
de surface, qui impose une connaissance de surface. Je n’entend par là rien de négatif. Au contraire, à bien des égards, ce type de
connaissance donne leur juste poids aux apparences. »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

PAGE 13_______________________________________________________________________________________________________________________________________
(20)
p.131
« (…) le lieu de l’intellectuel dans la lutte des classes ne peut-être fixé, ou mieux, choisi, que sur la base de sa place dans le procès de
production. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

II
PAGE 16 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(22)
p.4
“The architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work hard to assure that you know that a design is
theirs by using signature shapes and colors. Arguments about the impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely
such an image — a signed image that fosters brand loyalty”
Mark Wigley / Whatever happened to total design ? 1998, Harvard design magazine, number 5

PAGE 19 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(21)
p.14
Danese, Editieur d’objets de Design italien Milan 1957-1991, Objets choisis, Mudac, 2004

PAGE 24_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(23)
p.22
Hal Foster
« E. E comme environnement ;: pour certains modernistes, le monde du design total est un vieux rêve, mais ce n’est que dans notre présent
pancapitaliste qu’il devient réalité, sous une forme perverse. Avec la production postfordienne, les marchandises peuvent être altérées et les
marchés transformés en « créneaux », à telle enseigne qu’un produit peut être un produit de masse sur le plan de la quantité, mais sembler
personnalisé dans son abord. »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007

« Cannibalisation : Nous avons évolué depuis la situation des années 90, où les artistes cannibalisent le design (incluant des anoms aussi
célèbres que Jorge Pardo, Tobias Rehberger, Pae White et Andrea Zittel) vers un contexte où les designers sont devenus, conjointement aux
artistes, des agents interdisciplinaires (e. a. Abake, Stuart Bailey y Dexter Sinister, Will Holder, m/m, Bless, Dunne & Raby et Metahven). Le
premier mouvement de cannibalisation du design (par l’art) s’est cristallisé au début de la nouvelle décennie avec l’exposition en 2000, au
Moderna Museet à Stockholm, What if : Art on the Verge of Art and Architecture, sous le commissariat de Maria Lind, et « filtrée par Liam
Gillick. Le deuxième mouvement a lieu en ce moment même avec le courant du design art. Cependant, là où l’on pouvait s’attendre à ce que le
plus grand afflux de l’art s’observe dans le domaine de la conception de produits, le surplus de talent du design déborde plutôt dans la
conception de livres, le graphisme des institutions, les extensions hybrides entre le graphisme , la mode et la musique, les méthodes
classiques de l’impression et de la reproduction »
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais
Texte d’intro // Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre

PAGE 26 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

p.9
« Aujourd’hui, la métropole de l’après-modernité ne se construit plus seulement à partir des infrastructures de grands travaux urbains ni des
codes de composition traditionnels. Elle naît plutôt de la prolifération des marchandises et des objets, dont la présence sans cesse
renouvelée et disséminée sur l’ensemble du territoire transforme l’environnement de l’homme, son habitat, ses lieux de travail et de loisirs.
»

« Dans ces espaces saturés, le projet doit désormais s’exercer sur des territoires de l’imaginaire en créant de nouveaux récits, de nouvelles
fictions qui viendront « augmenter l’épaisseur du réel. ». Les designers deviennent, dans cette perspective, des inventeurs de scénarios et de
stratégies, et développent avec l’industrie une collaboration faite à la fois d’autonomie et de solidarité. »

« L’accumulation des diversités et des différences, la prolifération des signes et des informations sont à l’origine d’une véritable «
révolution sensorielle » qui nous confronte au défi peut-être le plus important de ces prochaines années : établir une relation renouvelée
entre l’homme et son milieu, entre l’univers artificiel et naturel, créer une techno-écologie afin de redonner des qualités profondes à un
environnement dévasté par l’industrialisation. La réponse ne eut être que d’ordre éthique et culturel : rendre le monde à nouveau habitable et
construire, comme nous y invite Andrea Branzi,
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

(24)
à propos des manuels
«You developed these do-it-yourself manuals for almost a decade. How many are there ?
− Several hundred. The United Nations wanted to develop this project further, so we worked on the Communication Center of Scientific Knowledge
for Self-Reliance in Paris, which I directed. But at one point, they cut the budgets. At least I was able to show that this sort of thing is
possible.
The Conversation serie − YONA FRIEDMAN, Hans Ulrich Obrist, N°7 / Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln, 2007

(25)
p.19
“In 1970, for your entry for the Centre Beaubourg competition in Paris, you proposed transforming the site into one large, covered public
square. In line with the principles of mobile architecture, nothing was predetermined in term of use : it was just about volumes − movable and
transformable volumes.
− Yes, because for me, museums are defined above all by their audience. For example, with the manuals I tried to show the global nature of the
problems faced by an audience without any formal schooling and focused on what even the poorest people need to survive : health, water, social
organization. That’s what’s important for the audience. the Centre Pompidou is a mixture − you have the conservation of artworks with the
Musée National d’art moderne, you have the library, etc. What I proposed to Pompidou in 1970 was a skeleton, an outline, a physical and − why
not − spiritual framework within which to work. I made the same proposal to the Museum of Modern Art in NYC. The way the volumes are organized
can be changed. With each new generation, a museum should change.”
The Conversation serie − YONA FRIEDMAN, Hans Ulrich Obrist, N°7 / Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln, 2007

PAGE 27_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(26)
p.31
« Le projet d’architecture et de design n’est donc plus aujourd’hui un acte destiné à changer la réalité en l’orientant vers un horizon
d’ordre et de logique : il est un acte d’invention qui construit un élément venant s’ajouter au réel, augmentant ainsi son épaisseur,
multipliant les choix possibles et impliquant l’utilisateur dans un nouveau récit de l’espace environnant. »

« Disons paradoxalement que le projet s’apparente à un plateau de cinéma ou de télévision, sur lequel on crée de manière temporaire ou
permanente − la différence est insignifiante −une nouvelle scène, un décor qui n’existait pas avant, et qui agrandit le champ du réel. Le
style, les matériaux, les couleurs, les parfums d’un lieu « projeté » forment une scène sur laquelle on peut évoluer ; mais ce lieu n’a de
sens et d’identité que s’il diffère des lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. »
« Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style
(rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et

III
sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de
territoires déjà imaginés dans l’histoire. »
« Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente,
donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original.
Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une
nouvelle identité et se régénérer. »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

PAGE 28_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(27)
Seuils, Gérard Genette, ed. Seuil, 1972

(28)
conférence Philippe Millot, Ecole Nationale supérieure des beaux arts de Lyon, 01.12.10

PAGE 30 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(29)
p.124-125 « Au lieu de demander en effet : comment une œuvre se situe-t-elle face aux rapports de production de l’époque ? Est-elle en accord
avec eux, est-elle réactionnaire, ou s’efforce-t-elle de les subvertir, est-elle révolutionnaire ? − Au lieu de cette question, ou en tout cas
avant même, j’aimerais vous en proposer une autre. (…) Comment se pose-telle en eux ? Cette question là vise très directement la fonction que
l’œuvre assume à l’intérieur des rapports de production littéraires d’une époque. Elle vise en d’autres termes directement la technique
littéraire des œuvres. »
p.125 « opérant »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(30)
« Dans ce contexte [post-moderniste], la question de la beauté de l’objet obtenu prend la dimension d’un dilemme, non seulement parce que les
designers veulent concevoir de beaux objets, mais parce que qu’ils dépendent du regard subjectif, de la spécialisation à outrance du marché et
de l’hégémonie du style et des marques dans « le monde-miroir »
De manière significative, Bruce Mau commence son livre par une citation (surprenante au départ) de l’ouvrage de Fréderic Nietzsche Die
Fröhliche Wissenschaft (Le Gai Savoir), qui permettra, en guise d’épilogue, de qualifier toute réflexion sur le sujet : « Que faut-il
apprendre d’un artiste : comment rendre les choses belles, attrayantes et désirables pour nous, quand en soi, elles ne le sont jamais. »
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par
Peio Aguirre

PAGE 31_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(31) Mille Plateaux (Paris, Éditions de Minuit, 1980), Gilles Deleuze et Felix Guattari / Le Radicant, Nicolas Bourriaud, 2009, Presses du
Réel et Denoel

(32)
p.29 « Nous produisons en continu et sélectionnons a posteriori. L’information est constamment et instantanément disponible, recherchée,
produite, partagée et « commentable ». Les réseaux sociaux font entendre la voix de tous et les interactions sont immédiates. Cette
accélération de la production d’informations induit une densification du présent »
Usbek & Rica n°3, hiver 2011 | Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal

(33)
p.80
« (…)En matière d’interdisciplinarité, les designers sont les meilleurs éponges au monde. ils peuvent absorber toutes sortes d’humeurs venant
de toutes les directions possibles. Ils peuvent certainement se laisser imprégner par l’art, l’architecture et même la science. »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007 (Table ronde, Jan Verwoert)

(34)
p.256
« Il est un catalyseur sensible de pratiques réelles : il réalise la transformation d’une intuition ou d’une problématique en une synthèse
créative qui s’incarne dans une solution sensible, sensée, adéquates désirable, un « produit » et des « pratiques ». »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

PAGE 32_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(35)
p.31 « Le projet d’architecture et de design n’est donc plus aujourd’hui un acte destiné à changer la réalité en l’orientant vers un horizon
d’ordre et de logique : il est un acte d’invention qui construit un élément venant s’ajouter au réel, augmentant ainsi son épaisseur,
multipliant les choix possibles et impliquant l’utilisateur dans un nouveau récit de l’espace environnant. »
« Disons paradoxalement que le projet s’apparente à un plateau de cinéma ou de télévision, sur lequel on crée de manière temporaire ou
permanente − la différence est insignifiante −une nouvelle scène, un décor qui n’existait pas avant, et qui agrandit le champ du réel. Le
style, les matériaux, les couleurs, les parfums d’un lieu « projeté » forment une scène sur laquelle on peut évoluer ; mais ce lieu n’a de
sens et d’identité que s’il diffère des lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. »
(..)« Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style
(rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et
sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de
territoires déjà imaginés dans l’histoire. »
« Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente,
donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original.
Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une
nouvelle identité et se régénérer. »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou,
1992.

p.7 « Our obsolete craving for possession means that most objects are not problem-solving but problem adding. In the decades immediately
after WWII, ‘possession’ was still something that could lead to freedom and happiness, but present times have become so uncertain, fear of
loss now has the upper hand. From being a blessing, possession has become a burden and an obstacle to our current need for mobility and
flexibility.”
Marti Guixé, Open-ended, MUdac, Stichting Kunstboek | 2008

IV
PAGE 33 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(36)
« Le terme d’ « ex-designer », consacré par Matri Guixé, a tout son sens dans la situation actuelle, mais avec cette autonomie accrue, le
designer a-t-il pour autant cessé d’être un complice du système ? A-t-il pénétré d’autres marchés ? Par le biais de la forme, le designer
sublimerait-il la pauvreté du contenu ? Parallèlement à cette autonomie accrue du design, on a pu observer une institutionnalisation
progressive de la profession, une tendance qui n’a pas seulement pris d’assaut les institutions d’art, mais fait à présent partie des points
de référence discursifs des directeurs de musées et commissaires d’exposition. Le design (l’image) est comme l’image réfléchie du « curating
» : ils vont de pair. Plutôt qu’un changement radical de notre compréhension du concept d’exposition, de centre d’art ou de musée, on a vu
éclore une politique de réforme (ou une politique réformatrice) : aujourd’hui, le design critique signifie répondre à ce que l’institution ne
veut pas, ne demande pas, suggérant ainsi que l’ex-design est une option substantielle. »
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par
Peio Aguirre

Marti Guixé, Open-ended, MUdac Stichting Kunstboek | 2008

Marti Guixé, Libre de contexte, MUdac, 2003 (octavi Rofes _ avril 2003)

PAGE 38_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(37)
p.124
« Les rapports sociaux sont conditionnés, comme nous le savons, par les rapports de production. Et chaque fois que la critique matérialiste
abordait une œuvre, elle s’interrogeait habituellement sur la position de cette œuvre face aux rapports de production sociaux. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(38)
« style : (…)
La faculté de créer des métacommentaires à propos d’objets singuliers ou une analyse exhaustive des strates stylistiques et formelles
successives d’une marque se situe dans l’usage exclusif de références et dans le fait de leur permettre d’opérer en tant que marqueurs
culturels.
En ce sens, et malgré l’utilisation intarissable du concept, le style est une catégorie difficile à saisir. (…)
« Un jour, il nous faudra des archéologues pour nous aider à deviner jusqu’aux lignes narratives originales des films classiques. », dit l’une
des voix d’Identification des schémas, avant de se lance dans une digression sur la dévalorisation de l’objet original dans la culture : « De
nos jours, s’ils sont intelligents, les musiciens mettent leurs compositions sur le web, comme une tarte qu’on laisserait refroidir sur le
rebord de la fenêtre, pour que d’autres personnes les retravaillent dans l’anonymat. Dix versions seront à jeter, mais la onzième pourraient
être géniale. Et gratuite. C’est comme si le processus créatif n’était plus contenu par un seul crâne ; si ça a jamais été le cas. De nos
jours, tout est un peu le reflet d’autre chose. » La meilleure description de « monde-miroir » est celle d’une archéologie de l’avenir.
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par
Peio Aguirre

(39)
p.61
« Le plaisir , le jeu et la non-productivité pouvaient aussi devient des fonctions (ce qui est intéressant, c’est que Munari a aussi conçu une
machine non-productive). Pour citer Eames, « qui peut dire que le plaisir est inutile ».
(ref. Charles Eames cité par Timo de Rijk, parallel thoughts in different minds. Bright Minds, Beautiful ideas, dir. E. Annink et Ineke
Schwartz, Amsterdam, BIS publishers, 2003.)
www.dolcevita.com/designers/munari0.htm
« Wouldn’t it be nice … », Livre d’exposition HEAD, Genève, 2007.

(40)
p.29 « Les modes d’accès à ‘l’information sont variés et les utilisateurs misent sur les détours. (…) Sa réticularité favorise la sérendipité
définie par l’écrivain britannique Horace Walpole comme la possibilité de faire des découvertes inattendues grâce au hasard et à
l’intelligence. »
Usbek & Rican°3, hiver 2011
Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal

PAGE 39_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(41)
p.140
« Elle immobilise l’action en cours et oblige ainsi l’auditeur à prendre position vis-vis de son rôle. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(42)
“Verfremdund (a dramatic technique of “estrangement” or alienation)”
“Rather than encouraging passivity, he argued, theatre should “refunction” the spectator’s emotions to produce both emotional identification
and critical reflection (…)”
“A playwriter (…) sought to produce a new viewing subject through a process of theatrical defamiliarization.”
p. 809-20 | Playing poltics with estranged and empathetic audiences : Bertolt Brecht and Georg Fuchs , Juliet Koss,
The South Atlantic Quarterly 96, no. 4, 1998

(43)
« Wouldn’t it be nice … », Performative shifts in art and Design, Katya Garcia-Anton, Livre d’exposition HEAD, Genève, 2007.

(44)
p.36
« Pourquoi devrais-je inventer de nouvelles formes alors que la réalité offre tant d’images fantastiques, tant de solutions spécifiques ? Ma
tâche de designer est de les découvrir et de les restructurer en histoires nouvelles.» Jurgen Bey
DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005

PAGE 40_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(45)
p.55 “design ouvert”
DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005

V
PAGE 42 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(46)
« Le designer est un innovateur par posture, il est régi par la passion et l’engagement ; comme il est un concepteur, l’inconnu est son espace
de travail. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

(47)
p.4
“The architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work hard to assure that you know that a design is
theirs by using signature shapes and colors. Arguments about the impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely
such an image — a signed image that fosters brand loyalty”
Mark Wigley / Whatever happened to total design ? / 1998, Harvard design magazine, number 5

(48)
p.15
« Nous souhaitons, enfin, interroger le possible devenir de ce te convergence présente entre art et design à travers l’exercice de «
futurologie » que nous tenterons lors de notre dernière demi-journée. La question d’une esthétique généralisée, non médiumnique, n’interroge-
t-elle pas principalement notre vision de l’avenir ? »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007

PAGE 46 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(49)
p.31
« Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente,
donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original.
Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une
nouvelle identité et se régénérer. »
Andrea Branzi / Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité préfacé par François Burkhardt

(50)
« Cependant, là où l’on pouvait s’attendre à ce que le plus grand afflux de l’art s’observe dans le domaine de la conception de produits, le
surplus de talent du design déborde plutôt dans la conception de livres, le graphisme des institutions, les extensions hybrides entre le
graphisme , la mode et la musique, les méthodes classiques de l’impression et de la reproduction,
(…)y compris dans le concept étendu de la communication visuelle, et il ne faut pas uniquement se tourner vers des artistes comme Seth Price
et Wade Guyton pour avoir confirmation de ce processus d’osmose. En outre, la grande qualité du design appliqué à l’art contemporain a la
concurrence − et même de nouvelles fusions et alliances − entre les éditeurs indépendants et les lignes de publications institutionnelles, et
a transformé le marché de la publication artistique en un domaine qui offre un plus grand espace de créativité aux designers.
(..)
Par le biais de la forme, le designer sublimerait-il la pauvreté du contenu ? »
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par
Peio Aguirre

PAGE 47_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(51)
« Parallèlement à cette autonomie accrue du design, on a pu observer une institutionnalisation progressive de la profession, une tendance qui
n’a pas seulement pris d’assaut les institutions d’art, mais fait à présent partie des points de référence discursifs des directeurs de musées
et commissaires d’exposition. Le design (l’image) est comme l’image réfléchie du « curating » : ils vont de pair. Plutôt qu’un changement
radical de notre compréhension du concept d’exposition, de centre d’art ou de musée, on a vu éclore une politique de réforme (ou une politique
réformatrice) : aujourd’hui, le design critique signifie répondre à ce que l’institution ne veut pas, ne demande pas, suggérant ainsi que
l’ex-design est une option substantielle. »
LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par
Peio Aguirre

(52)
p.191
Table ronde, Jan Verwoert
« Ce que je trouve intéressant à propos de Dexter Sinister et de Superflex, c’est le choc entre l’herméneutique et l’hermétique. D’un côté, on
offre quelque chose que l’on peut comprendre, un produit que l’on peut acheter, mais de l’autre, il y a aussi quelque chose d’hermétique, qui
interrompt l’herméneutique. C’est le fait qu’une partie de l’histoire est sans doute perdue, que le design apporte une qualité hermétique, et
il en va de même pour Dexter Sinister. Il y a une générosité liée à une sorte d’hermétique. Je me pose la question de ces éléments de
l’herméneutique et de l’hermétique et je me demande s’ils indiquent exactement le moment où la participation est interrompue et devient
quelque chose de différent et de résistant. »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007

PAGE 48_______________________________________________________________________________________________________________________________________

(53)
p.256
« La perception et les rôles qui sont attribués au design doivent évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux qui se posent aux producteurs et à
la société. »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

PAGE 49 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(54)
Hal foster
« G. G comme Gesamkunstwerk : La notion de G. a fait son apparition dans le romantisme tardif de Richard Wagner comme un moyen imaginaire
d’effacer la séparation entre l’art et la vie (…) ; tel était également son rôle dans l’Art Nouveau.
Mais à notre époque, l’industrie de la culture a « résolu » cette séparation de l’art et de la vie selon ses propres desseins. Surtout dans
nos environnements immergés dans les médias, le G. est souvent devenu une sorte de réalité incontournable, un programme par défaut. Cela vaut
souvent même (ou surtout) dans le domaine de « l’art supérieur ». Prenez un seul exemple : la manière dont les expositions d’art et
d’architecture paraissent fréquemment se préoccuper moins des œuvres présentées que de leur présentation en tant que telle : la valeur de
l’exposition l’emporte sur la valeur de l’art, et même sur toutes les autres valeurs (…). »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007

p.260
« une approche holistique (globale et transversale) »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou | Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin (NoDesign, ENSCI)

VI
PAGE 57 ______________________________________________________________________________________________________________________________________

(55)
Woudln’t it be ice, catalogue d’exposition, 2007
Texte Performative shifts in art and design, by Katya Garcia-Anton p.57-62

(56)
Les archives de l’infâmie, avec « La Vie des hommes infâmes » de Michel Foucault (première parution 1977), Collectif Maurice Florence, Édtions
Les Prairies ordinaires, 2009

------------pour aller plus loin :


« La réponse ne eut être que d’ordre éthique et culturel : rendre le monde à nouveau habitable et construire, comme nous y invite Andrea
Branzi, « la ville du présent dans celle du passé et celle du futur dans celle du présent ».

(…)
« lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. »
« Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style
(rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et
sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de
territoires déjà imaginés dans l’histoire. »

p.109
« Il semblerait plutôt que soit en train d’apparaître une architecture « morte » − c.à.d. une structure culturelle qui a cessé d’être active −,
mais qui est acceptée cependant comme l’une des conditions d’équilibre d’un héritage historique qu’on se contente d’utiliser froidement sans
en débattre, comme répertoire d’instrument opératoires. » citation : [ « On peut dire qu’en ce sens, ce que nous vivons n’est pas une crise
temporaire ni mortelle ; c’ est plutôt une condition « permanente de l’architecture actuelle », née comme théorie de l’absolument relatif et
projetée par les évènements dans une dimension de stabilité qui en élimine la composante provisoire : or celle-ci constituait, tout compte
fait, son espoir et sa sauvegarde. Une sorte d’hibernation d’un corps malade, propulsé dans l’histoire vers une époque qui saura résoudre un
mal aujourd’hui incurable. »

p.120 troisième hypothèse pour cette génération : « Elle pourra ainsi constituer un exemple de transition qui ne s’actualise jamais, de
révolution qui n’arrive pas, de gué qui ne se finit pas, de modernité qui ne se réalise pas mais produit des manières et des tendances
différentes d’elle-même. »
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité , de Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt

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(57)
« le design dont nous tolérons l’indéfinition »
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou | Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin (NoDesign, ENSCI)

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(58)
p.36
« Pourquoi devrais-je inventer de nouvelles formes alors que la réalité offre tant d’images fantastiques, tant de solutions spécifiques ? Ma
tâche de designer est de les découvrir et de les restructurer en histoires nouvelles.» Jurgen Bey
(..)
« La prémonition qu’il ya des histoires cachées sous la surface des objets est plus que fascinante ».
Même si tout cela semble logique, il ne va pas dut out de soi que la portée des objets transcende non seulement leur fonctionnalité mais aussi
leur capacité d’absorption de nos mémoires personnelles. Avant que l’utilisateur ne relie ses propres expériences aux chaises de Bey, elles
sont déjà signifiantes ; elles racontent déjà une histoire intriguant. Bey leur a donné une voix.
DROOG _ simply Droog, 10+3 ans Stichting Kunstboek 2005

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(59)
p.65
« [il s’agit du projet] « qui assurent la survie des travailleurs itinérants à l’intérieur d’espaces génériques ; chaque unité de base »
renferme dans une coquille de noix un conseil comme « n’emportez rien avec vous », « parlez à tout le monde sans discrimination », «
considéré que vous êtes partout à l’intérieur ».
Beach Towel Politics (la politique du drap de bain) permet d’interpréter les grandes traditions politiques en comportements micropolitiques
tels qu’ils se présentent dans la vie quotidienne. Ce sont là des objets qui font réfléchir, des objets enchantés plus efficaces que le
langage pour véhiculer des concepts et des propos complexes. »
Marti Guixé / Libre de contexte / mudac 2003 (octavi Rofes _ avril 2003)

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(60) p.132
« Pour désigner la transformation des formes de production et des outils dans le sens d’une intelligence progressiste − donc intéressée à la
libération des moyens de production, donc utile dans la lutte des classes−, Brecht a forgé le concept de changement de fonction
[Umfunktionierung]. «
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

p.253
La production des objets est successivement passée tout au long des XIXe et XXe siècles d’un marché d’équipement à un marché de demande. Elle
a évolué, à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale, en un marché d’offre dans lequel la société de production a perdu son rôle
central ; à celle-ci a succédé une société orientée vers la consommation et animée par de nouvelles fonctions, assumées par le marketing,
chargées de créer les conditions de l’offre.
p.254
[le confort moderne] a contribué à la banalisation et à la crainte de l’idée même de progrès.
p.255
Les systèmes de production des « objets » auront à résoudre des questions concernant l’imaginaire, la symbolique, les formes, l’immatériel et
le matériel, l’usage et les pratiques, le sens et l’utilité, le plaisir et la raison, et, in fine l’espace et le temps. Ils questionneront
aussi les notions de besoins et d’attente dans un monde d’hyperoffre.
(..)
Né en Europe, à la fin de la révolution industrielle, du besoin de créer des produits essentiels en adéquation avec l’homme, son environnement
et son époque, il est majoritairement utilisé dans l’organisation scientifique du travail comme un producteur de formes répondant aux attentes
identifiées par les grands métiers de l’entreprise : technique, marketing ou communication.
Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel
Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin

VII
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(61)
Much of the megastructural tradition promoted the idea of “total planning.” Think of Superstudio’s Continuous Monument project of 1969, which
they described as “a single piece of architecture to be extended over the whole world . . . an architectural model for total urbanization”
that marches sublimely across the surface of the planet. Clearly, the dream of the total work of art did not fade in modernism’s wake. On the
contrary, all of the issues raised by architects and theorists of recent generations that seem, at first, to signal the end of the idea of the
total work of art turn out to be, on closer look, a thin disguise of the traditional totalizing ambitions of the architect.
p.7
If design is always totalizing and involves the mystique of theory, then the question of the fate of total design becomes the question of
total theory. This is especially true if we want to discuss the relationship between the
professional expertise of what we have up to now called the architect and that of the designer. After all, theory is itself an art work,
something designed.
Whatever happened to total design ? Mark Wigley, 1998, Harvard design magazine, number 5

(62)
Texte Performative shifts in art and design, by Katya Garcia-Anton p.57-62 Woudln’t it be ice, catalogue d’exposition, 2007

(63)
p.140
« L’interruption de l’action, à partir de laquelle Brecht a qualifié son théâtre d’épique, fait constamment obstacle à une illusion dans le
public. »
« Elle immobilise l’action en cours et oblige ainsi l’auditeur à prendre position vis-vis de son rôle. »
Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris
27 avril 1934)

(64)
p.15
« Nous souhaitons, enfin, interroger le possible devenir de ce te convergence présente entre art et design à travers l’exercice de «
futurologie » que nous tenterons lors de notre dernière demi-journée. La question d’une esthétique généralisée, non médiumnique, n’interroge-
t-elle pas principalement notre vision de l’avenir ? »
AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007, introduction, Jean Pierre Greff.

(65) Quand l’œuvre d’art a lieu, Récits autorisés, JM Poinsot, Art édition,& Mamco, 1999

(66) Louise Merzeau dans la revue Hermès 53, 2009 p.27 en référence à Steve Mann pour décrire l’enregistrement d’une activité du point de vue
de la personne qui la pratique.

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(67)
p.92 cas des projets non autonomes de design car trop dictés par l’industrie, mais ex d’imitations largement diffusées pour Memphis et
Alchymia
Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité , de Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt

(68) Les utopies des mouvements européens, japonais et américains : d’Archizoom, à Ant Farm, en passant par Global Tools, Archigram, UFO,
SuperStudio, Alchymia, jusqu’à Memphis…

(69) L’infra-ordinaire de Georges Perec, ed. Seuil, 1995.

VIII
BIBLIOGRAPHIE
Monographies
Design Noir: The Secret Life of Electronic Objects, Anthony Dunne, Fiona Raby, Berlin : Birkhauser 2001
Munari, Bruno _ Air made visible, 2001
Appendix : exhibition, Amsterdam, Edited and designed by Ryan Gander and Stuart Bailey, Artimo 2003
Appendix Appendix : A proposal for a TV series, Ryan Gander and Stuart Bailey,Zürich, JRP Ringier Kunstverlag, 2007
The Work of the Office of Charles and Ray Eames, John Neuhart, Ray Eames, New York: Publishers, 1989
The complete works, Andrea Branzi, foreword by Germano Celant Milano, ed. Idea Books, 1992
Andrea Branzi : open enclosures, exposition présentée à Paris à la Fondation Cartier, du 28 mars au 22 juin 2008
No-Stop City : Archizoom associati, Andrea Branzi Ed. bilingue Orléans : HYX 2006
Ettore Sottsass : Métaphores, sous la dir. de Milco Carboni e Barbara Radice Milan : Skira Paris : Seuil, 2002
Ant Farm _ 1969-1978 : exhibition, Berkeley, January21-April 26, 2004 essays by Chip Lord, 2004
Ant farm : exposition, Orléans, Frac Centre, 12 oct.-23 déc. 2007, ed. Orléans : HYX, 2007
DROOG _ simply Droog, 10+3 ans, Stichting Kunstboek, 2005
Manuels, Yona Friedman, Centre national de l'estampe et de l'art imprimé, Paris, 2007-2008
Marti Guixé, Open-ended, MUdac Stichting Kunstboek, 2008
Marti Guixé, Libre de contexte, MUdac, octavi Rofes, avril 2003

Catalogues d’expositions
« Wouldn’t it be nice … », Livre d’exposition ed. HEAD, Genève, 2007.
Safe: design takes on risk : exhibition, Museum of Modern Art, New York, October 16, 2005 - January 2 , 2006
Day after Day: Kunsthalle Fribourg, Fri-Art, 2003-2007, Fribourg : Kunsthalle 2007
Objet Beckett, Marianne Alphant et Nathalie Léger, Centre George Pompidou, 2007
ARMAN, retrospective au Centre George Pompidou, ed. Centre George Pompidou, 2010
Destroy/Design, « Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design » de Peio Aguirre, FRAC Nord, 2009
Danese, Editieur d’objets de Design italien Milan 1957-1991, Objets choisis, Mudac, 2004
Catalogue In Progress, Monographik editions, 2010

Essais
Learning from Vegas, 1968, Robert Venturi ed. Poche
Whatever happen to total design? , Wigley Mark, Harvard design magazine, number 5, 1998
AC| DC : art contemporain, design contemporain Actes du Symposium à l’HEAD, Genève, Suisse, 2007
Design as art, Bruno Munari, Penguin Books, 2008
Le design : essai sur des théories et des pratiques, Brigitte Flamand; Regard : Institut français de la mode, 2006
Design & crime, Hal Foster; traduit de l'anglais, Paris : Les Prairies ordinaires 2008
Andrea Branzi, entretiens avec Catherine Geel Paris : Ed. de l'Amateur, 2006
Nouvelles de la métropole froide, Andrea Branzi, Paris : Centre Georges Pompidou, 1992
Archives & documents situationnistes n°2, Christophe Bourseille Paris : Denoël,] 2002
Le grand jeu à venir, textes situationnistes sur la ville, Libero Andreotti, ed. La Villette 2008
Essais choisis, Oyvind Fahlström, les presses du réel, coll. Relectures 1999 reéd.2002
Eameses multimedia architecture, Beatrice Colomina MIT, JSTOR, Grey Room, No. 2. (Winter, 2001)
Playing the politic with estranged and empathetic audiences, Juliet Koss, JSTOR, The South Atlantic Quarterly 96, no. 4
1998,p. 809-20.
Les promesses du zéro, Michel Gauthier, ed. Mamco, Genève, 2009
Essais sur Brecht : Walter Benjamin, édition et postface de Rolf Tiedemann, Paris : la Fabrique, 2003
« Illuminations », Walter Benjamin ‘The Storyteller’, ed. Pinguin books, 1969
Vers un design des flux, Marie –haude Caraës et Philippe Comte, Cité du design 2010
Seuils, Gérard Genette ed. Seuil, 1982
The Making of design, ed. Gerrit Terstiege, 2009
The Craft Reader, ed. Glenn Adamson, 2010
Le design de nos existences, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008
The Conversation serie − Yona Friedman, Hans Ulrich Obrist, N°7, Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln, 2007
Le Regard nomade, Ettore Sottsass Thames &Hudson, 1996
Le Radicant, Nicolas Bourriaud, Presses du Réel et Denoel, 2009
Du signe à la trace : l’information sur mesure, Louise Merzeau dans la revue Hermès 53, 2009
Quand l’œuvre d’art a lieu, Jean Marc Poinsot, d. Mamco, 1999
« Progress », Andrea Branzi, Catalogue In Progress, Monographik editions, 2010
Les archives de l’infâmie, avec « La Vie des hommes infâmes » de Michel Foucault (première parution 1977), Collectif
Maurice Florence, Édtions Les Prairies ordinaires, 2009

Fictions
Jorge Luis Borgès, Histoire de l’infamie, histoire de l’éternité, Le Rocher, 1951
Salmigondis (Mulligan sew), Gilbert Sorrentino, ed. Cent pages, 2007

Revues
Usbek & rica, revue trimestrielle, n°3, hiver 201/2011

Médiagraphie
http://michel-foucault-archives.org/
http://www.z33.be/en/projects/design-performance
Stuart Bailey [D.V.D.] : Conférence de l'Ensbal du 05 octobre 2007
Alexandra Midal [D.V.D.] : Conférence de l'Ensbal du du 27 octobre 2004 et 02 février 2011
Morgan Fischer [D.V.D.] : Conférence de l'Ensbal du 14 mars 2007
Vidéo Martino Gamper : http://www.youtube.com/watch?v=FUc5vofuKhI
Vidéo Dexter Sinister : http://video.google.com/videoplay?docid=4433493371724864408#
Vidéo CraftPunk : http://www.monocle.com/sections/design/Web-Articles/Craft-Punk---Milan/
Vidéo Eames : http://www.youtube.com/watch?v=0fKBhvDjuy0

http://www.guixe.com http://www.studioglithero.com/ http://www.dot-dot-dot.us/


http://www.dunneandraby.co.uk/ http://www.gampermartino.com/ http://www.dextersinister.org/
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