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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

27 – L’homme, la
vie et la
dissipation
d’énergie
26 octobre 2009 Général 
François Roddier
Chers lecteurs,
J’ai arrêté ce blog fin 2007. Plusieurs
d’entre vous m’ont fait part de leur dé-
ception. Je l’ai fait pour me consacrer
à la rédaction de deux livres sur des su-
jets traités en grande partie dans ce
blog.
Le premier livre, écrit en français, est
destiné à un très large public. Il devrait
paraître cette année aux éditions Pa-
roles. Son titre: “Le pain, le levain et
les gènes”. J’y prends comme exemple
la nourriture pour expliquer ce qu’est
l’évolution. Le second, rédigé en an-
glais, est un ouvrage pluridisciplinaire
s’adressant aux scientifiques: physi-
ciens, biologistes, économistes et his-
toriens. Son titre: “Thermodynamics of
evolution”. Sa rédaction me prendra
plus de temps. Je signalerai ici leur pa-
rution.
En attendant, vous trouverez ci-dessous
un court texte, à caractère politique
dans lequel je reprends plusieurs
thèmes développés dans ce blog.
Bonne lecture.

L’homme, la vie
et la dissipation d’énergie
François Roddier
Janvier 2009

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Une nouvelle loi fondamentale de la


physique a été récemment découverte.
Il s’agit d’un théorème abstrait de mé-
canique statistique dont la démonstra-
tion a été publiée en janvier 2003, dans
le plus grand journal européen de phy-
sique mathématique (J. of Physics A).
Personne n’en a parlé dans les jour-
naux. Peu de gens en ont encore vrai-
ment saisi l’importance.

La démonstration est due à un cher-


cheur d’origine écossaise Roderick De-
war, travaillant à Bordeaux à l’INRA.
Pourquoi l’INRA? Parce que ce théorème
a des implications fondamentales en
biologie. Il s’applique en particulier à
l’homme et à l’évolution des sociétés
humaines.

Il implique que, depuis sa création,


l’univers évolue en formant des struc-
tures matérielles de plus en plus com-
plexes capables de dissiper de plus en
plus efficacement l’énergie. Les
étoiles, les planètes, les plantes, les
animaux, et enfin l’homme forment une
telle suite de structures.

En physique, la puissance dissipée s’ex-


prime en watts. L’efficacité avec la-
quelle une structure matérielle dissipe
l’énergie peut s’exprimer en watts par
kilogramme de matière. L’astronome
américain Eric Chaisson a tracé une
courbe montrant l’efficacité avec la-
quelle les structures citées plus haut
dissipent l’énergie en fonction de l’âge
de l’univers. Cette courbe est repro-
duite à la fin de ce texte. La progres-
sion est foudroyante.

Pour un physicien, la vie est apparue


sur Terre pour dissiper l’énergie so-
laire. Dès 1905, Ludwig Boltzmann,
père de la mécanique statistique et
grand admirateur de Darwin, écrivait:
“la vie est une lutte pour l’énergie
libre” (c’est-à-dire l’énergie qui peut

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être dissipée).

Dès 1922, le chercheur américain Al-


fred Lotka écrivait: “la sélection natu-
relle tend à maximiser le flux d’énergie
à travers une structure organique”. Un
peu plus tard, il ajoute: “le principe de
sélection naturelle agit comme si
c’était une troisième loi de la thermo-
dynamique” (c’est-à-dire une nouvelle
loi de la mécanique statistique).

Cette loi est maintenant démontrée.


C’est la loi de Dewar. Comme l’évolu-
tion de l’univers, l’évolution des es-
pèces est un processus de maximisation
du taux de dissipation de l’énergie. L’é-
volution de l’humanité n’y échappe
pas. La physique et la biologie nous
montrent comment ce processus
fonctionne.

C’est un chercheur belge, d’origine


russe, Ilya Prigogine qui a étudié le
premier ce processus en détail. Son tra-
vail lui a valu le prix Nobel en 1977.
Les étoiles, les planètes, les plantes,
les animaux, l’homme, les sociétés hu-
maines sont des structures dissipatives
au sens de Prigogine.

En mécanique statistique, la dissipation


d’énergie porte le nom de “production
d’entropie”. La loi de Dewar s’appelle
“MEP” (en anglais: maximum entropy
production). Une structure dissipative a
la propriété de s’auto-organiser. Ce fai-
sant, elle diminue son entropie interne
en l’exportant à l’extérieur. Elle maxi-
mise le flux d’entropie vers l’extérieur.

Depuis les travaux du chercheur améri-


cain Claude Shannon (1948), on sait
qu’entropie et information sont deux
aspects opposés d’un même concept.
En exportant de l’entropie, une struc-
ture dissipative importe de l’informa-
tion venant de son environnement. Elle
mémorise cette information.

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Chez les plantes ou les animaux, l’in-


formation sur l’environnement est prin-
cipalement mémorisée dans les gènes.
Plantes et animaux sont adaptés à un
environnement particulier. Cette adap-
tation se fait par sélection naturelle.
Sont sélectionnés, les plantes où les
animaux qui se reproduisent le plus
vite, c’est-à-dire ceux qui accroissent
le plus rapidement la dissipation
d’énergie.

En dissipant l’énergie, un être vivant


modifie son environnement. Ses res-
sources naturelles s’épuisent ou se mo-
difient. Les proies dont il se nourrit
évoluent pour échapper à leurs préda-
teurs. Dès que l’environnement change,
les gènes doivent évoluer à leur tour.

Tout être vivant est ainsi pris dans un


cycle infernal que le biologiste Leigh
van Vallen a baptisé “l’effet de la reine
rouge”, en référence au livre de Lewis
Carrol “Alice à travers le miroir” dans
lequel la reine rouge dit: “ici, il faut
courir le plus vite possible pour rester
sur place”.

Pour rester en harmonie avec un envi-


ronnement qu’il fait évoluer, un être
vivant doit évoluer toujours plus vite.
C’est la raison pour laquelle la dissipa-
tion d’énergie croit de plus en plus ra-
pidement. L’information mémorisée
dans les gènes ne cesse d’augmenter.
Les êtres vivants deviennent de plus en
plus complexes.

Beaucoup de biologistes pensaient que


l’adaptation à l’environnement se fai-
sait de façon progressive. En 1972, le
paléontologue américain Stephen Jay
Gould montre que ce n’est pas le cas.
Quasi-stationnaires pendant de plus ou
moins longues périodes les espèces vi-
vantes tendent à disparaître de façon
brutale, laissant la place à de nouvelles
espèces. C’est le phénomène des équi-

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libres ponctués.

En 1993, le physicien danois Per Bak et


son collègue Kim Sneppen montrent que
ce phénomène est une conséquence de
la façon dont l’énergie se dissipe dans
l’univers, un processus physique bapti-
sé “SOC” (en anglais: self-organized
criticallity). Dewar montrera ensuite
que le phénomène “SOC” est une
conséquence de la loi “MEP”. Le phéno-
mène “SOC” fait que de nouvelles es-
pèces animales apparaissent assez fré-
quemment, de nouveaux genres plus ra-
rement, de nouvelles familles
exceptionnellement.

La famille des hominidés est apparue il


y a environ 7 millions d’années à la
suite d’un changement climatique en
Afrique orientale. La savane ayant rem-
placé la forêt, la population de pri-
mates s’est effondrée. N’ayant plus de
fruits à manger, quelques rares indivi-
dus ont réussi à survivre en mangeant
des racines qu’ils pouvaient arracher
de leurs mains. Il leur fallu quelques
dizaines de milliers d’années pour
s’adapter à cette nouvelle nourriture.
Ce furent les premiers hominidés, d’un
genre baptisé “australopithèque”. Ils se
diversifièrent en de nombreuses
espèces.

Il y a environ 2,5 millions d’années, un


nouveau changement important de
l’environnement a donné naissance au
genre “homo”. Pour survivre, le pre-
mièr représentant de ce genre, l’homo
abilis, a dû manger des restes d’ani-
maux tués par d’autres espèces ani-
males. Ses gènes ont mis à nouveau
plusieurs dizaines de milliers d’années
pour s’adapter à cette nouvelle
nourriture.

Il sera bientôt suivi d’une floraison


d’espèces homo sachant toutes captu-
rer et tuer leur propre gibier. Quittant

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l’Afrique le genre homo se répand dans


le monde à la poursuite de nourriture
et se multiplie. Ayant appris à se cou-
vrir de peaux de bêtes et à domesti-
quer le feu, l’homo erectus affronte le
froid des pays nordiques.

C’est l’époque de la disparition des


grands mammifères. Ayant vraisembla-
blement épuisé leur environnement, les
diverses espèces homo s’éteignent les
unes après les autres. A la fin du paléo-
lithique, il n’en reste plus qu’une: l’es-
pèce homo sapiens. Un phénomène
nouveau, absolument unique dans
l’évolution, va alors se produire.

Cela se passe il y a dix mille ans au


moyen orient. En quelques siècles
seulement, l’espèce homo va changer
totalement de nourriture, sans évolu-
tion notable de ses gènes. L’homme se
met à manger des céréales, une nourri-
ture à laquelle son système digestif est
totalement inadapté. Comment a-t-il
fait?

Il a découvert la cuisson des aliments.


Le même phénomène va bientôt se re-
produire de façon indépendante en
Chine, puis en Amérique du sud et fina-
lement en Amérique du nord. C’est ce
qu’on appelle la révolution néolithique.
Apparaissent alors l’agriculture et
l’élevage. Ces nouvelles techniques se
répandent comme des traînées de
poudre.

La sélection naturelle, qui favorisait


jusqu’ici les gènes dissipants le plus
d’énergie, favorise maintenant les
techniques ou cultures (dans tous les
sens du terme), permettant une adap-
tation beaucoup plus rapide à l’envi-
ronnement. L’information sur l’environ-
nement qui était jusqu’ici mémorisée
principalement dans les gènes et main-
tenant aussi mémorisée dans le cerveau
de l’homme.

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L’américain Ray Kurzweil estime la ca-


pacité du cerveau humain à environ 10
Gigabits comparé à 1 Gigabit pour les
gènes. A partir du néolithique, le cer-
veau va contrôler l’évolution de l’hu-
manité. Le zoologiste anglais Richard
Dawkins a proposé d’appeler “mèmes”
les éléments d’information enregistrés
dans le cerveau par analogie avec les
“gènes”. Chez l’homme, les mèmes ont
remplacé les gènes. Les conséquences
en sont considérables.

Alors que les gènes se reproduisent len-


tement par transmission génétique, les
mèmes se transmettent à toute vitesse
grâce au langage. Un nouveau type de
structures dissipatives s’auto-organise
formé d’individus partageant les
mêmes connaissances ou “mèmes”. Ce
sont les premières sociétés humaines.
Tandis que les gènes n’évoluent plus ou
évoluent trop lentement, ce sont main-
tenant les “mèmes” qui évoluent et se
diversifient. La sélection naturelle va
désormais favoriser les mèmes les plus
dissipatifs d’énergie. La sélection natu-
relle agit désormais sur les sociétés.

Apparaît une nouvelle forme de mémo-


risation de l’information propre à ces
sociétés: l’écriture. On sait que l’écri-
ture est apparue pour comptabiliser les
échanges. Elle est secondée par l’in-
vention de la monnaie, fondement de
l’économie. Le développement de
l’économie n’est rien d’autre que le
développement de la dissipation
d’énergie par les structure dissipatives
que sont les sociétés humaines. Avec la
monnaie, celle-ci fait un grand bon en
avant.

Peu d’économistes ont réalisé que


l’économie est une branche de la mé-
canique statistique. Robert Ayres et Ni-
colas Georgescu-Roegen ont sans doute
été les premiers vers 1970. Malheureu-
sement, ils se réfèrent essentiellement
à la thermodynamique du 19ème siècle

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qui ne s’applique qu’au voisinage de


l’équilibre. Elle ne s’applique pas à
l’économie qui est un processus dissi-
patif entièrement hors équilibre.

Il ne fait aucun doute que les résultats


de Dewar et de Per Bak deviendront un
jour les piliers d’une nouvelle science
économique, lorsque les économistes
voudront bien s’apercevoir de leurs tra-
vaux. Les plus avancés d’entre eux dé-
couvrent seulement maintenant l’im-
portance primordiale de l’information
en économie. L’histoire montre que
l’évolution favorise toujours les socié-
tés qui dissipent le plus d’énergie,
c’est-à-dire celles qui ont le dévelop-
pement économique le plus rapide.

Dans une société les individus sont sou-


mis à des contraintes qui limitent leur
liberté. Plus une société est organisée,
plus ces contraintes sont fortes.
Comme a dit Rousseau: “l’homme est
né libre, et partout il est dans les
fers”. Ces contraintes ne sont pas né-
cessairement optimisées pour maximi-
ser la dissipation d’énergie. L’évolution
va donc tendre à les éliminer pour les
remplacer par des contraintes mieux
optimisées. C’est l’auto-organisation
de la société. Son mécanisme est la sé-
lection naturelle. Chez l’homme, elle
agit essentiellement sur les “mèmes”
(évolution culturelle) non seulement au
niveau des individus, mais aussi au ni-
veau des sociétés (sélection de
groupe).

Les “mèmes” ayant remplacé les gènes,


une société d’individus partageant les
mêmes “mèmes” devient en soi une es-
pèce mémétique. Aucune espèce ani-
male n’attaque sa propre espèce. Une
espèce qui le ferait mettrait ses gènes
en danger. Elle serait vite éliminée par
la sélection naturelle et remplacée par
une espèce concurrente. Devenue
unique, l’espèce homo sapiens n’a plus
aucune concurrence.

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Un membre d’une espèce mémétique


peut alors domestiquer un membre
d’une autre espèce mémétique, comme
on domestique un animal. Il en fait un
esclave. Il peut aussi tuer un membre
d’une autre espèce mémétique sans
mettre en danger sa propre espèce.
C’est l’extermination des peuples pri-
mitifs par les envahisseurs blancs.

Avec la découverte des énergies fos-


siles, une nouvelle révolution arrive, la
révolution industrielle. A la pointe de
l’industrialisation, l’Angleterre est le
premier pays à limiter les pouvoirs de
sa monarchie. La révolution française
suit. Parce que la monarchie entravait
le développement de l’économie, elle
était condamnée à disparaître.

Au vingtième siècle deux idéologies


s’affrontent, le capitalisme et le com-
munisme. Ce sont des espèces mémé-
tiques différentes. Le communisme fi-
nit par succomber parce qu’il ne per-
mettait pas une dissipation aussi effi-
cace de l’énergie. Le libéralisme enva-
hit le monde comme un feu de forêt.
Cela a plusieurs effets.

La concurrence dite libre et non faus-


sée, donne libre cours à la sélection
naturelle entraînant une croissance
sans bornes des inégalités entre les na-
tions (sélection de groupe) et entre les
individus d’une même nation (sélection
individuelle). Ces inégalités favorisent
à leur tour la dissipation d’énergie.

En augmentant la dissipation d’énergie,


le libéralisme accélère l’évolution, ce
qui déstabilise les sociétés. Celles-ci
doivent en effet sans cesse s’adapter,
se réorganiser. C’est l’effet de la reine
rouge de van Vallen. Or la vitesse à la-
quelle une société ou espèce mémé-
tique évolue est limitée par la vitesse à
laquelle les mèmes sont transmis d’une

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génération à une autre. C’est l’effon-


drement du système scolaire, signe
précurseur de l’effondrement d’une
société.

Plus une société dissipe d’énergie, plus


elle modifie son environnement phy-
sique. Une conséquence de la révolu-
tion industrielle est le réchauffement
climatique. Tout ceci n’est pas nou-
veau. Les sumériens ont transformé en
désert les terres fertiles du moyen
orient. La majorité des grandes civilisa-
tions du passé se sont effondrées de la
même façon. C’est le processus “SOC”
du physicien Per Bak. Le même phéno-
mène se produit actuellement à
l’échelle de la planète.

On comprend maintenant la fatalité de


l’histoire. Le même processus se répète
sans cesse, chaque fois sous une forme
différente. C’est le processus général
de dissipation de l’énergie dans l’uni-
vers. La cause de tous nos maux est en-
fin élucidée. Pour y remédier, il suffi-
rait de limiter notre dissipation d’éner-
gie. Mais est-ce faisable?

Le problème est celui de l’irréversibili-


té thermodynamique. La sélection na-
turelle est un processus irréversible. Si,
pour le bien commun, un individu dé-
cide de limiter sa dissipation d’énergie,
alors il sera tôt ou tard éliminé dans la
compétition avec les autres. La réversi-
bilité n’est possible que si tous les indi-
vidus de notre planète décident solidai-
rement de diminuer leur dissipation
d’énergie. Il suffit alors qu’un seul in-
dividu refuse de coopérer pour qu’il re-
prenne l’avantage, auquel cas toute la
coopération s’effondre.

La situation apparaît sans espoir. Elle


l’est moins à l’échelle des nations.
Nombre d’entre elles ont signé les ac-
cords de Kyoto. Hélas, il suffit que
l’une d’entre elles refuse (les États-

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Unis) pour annihiler le résultat. Les ha-


bitants de la planète n’accepteront de
limiter leur dissipation d’énergie que
s’ils sont tous convaincus d’en tirer
avantage et si chacun est confiant que
tous les autres en feront autant.

Un aspect du problème est que la rela-


tion explicitée ici entre la dissipation
de l’énergie et le bonheur individuel
est difficile à saisir. Le principe de libé-
ralisation de l’économie paraît à priori
séduisant. Le mot libéralisme a la
même racine que le mot liberté. Il li-
bère en effet l’individu des contraintes
arbitraires. Il a conduit jusqu’ici l’hu-
manité vers plus de démocratie. Mais
surtout le libéralisme favorise la crois-
sance qui est synonyme de paix, de
progrès et de prospérité.

Pour la majorité des économistes, favo-


riser la croissance est le postulat de
base de toute économie. La déclaration
d’indépendance américaine reconnaît à
chacun un droit inaliénable à la vie, à
la liberté, et à la recherche le bonheur
(pursuit of happiness). Le libéralisme
semble apporter une bonne réponse à
ce besoin. Mais c’est une réponse à
court terme.

Un bonheur à long terme n’est possible


qu’en harmonie avec l’environnement.
Hélas, au lieu de tendre vers l’harmo-
nie en restant au voisinage de l’équi-
libre thermodynamique, le libéralisme
maximise la dissipation d’énergie en
maximisant le déséquilibre thermody-
namique. Étant le plus efficace à dissi-
per l’énergie, il est aussi le plus effi-
cace à épuiser les ressources et à pol-
luer l’environnement. Il oblige l’homme
à évoluer toujours plus vite.

Pour faire face à l’épuisement des res-


sources et à la pollution, la société doit
sans cesse évoluer. Elle le fait en impo-
sant constamment à l’homme de nou-

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velles contraintes. Ainsi, au lieu de li-


bérer l’individu, le libéralisme l’asser-
vit davantage. En favorisant la sélec-
tion naturelle, il accroît les inégalités.
Le résultat est moins de liberté, moins
d’égalité, moins de fraternité. Il s’op-
pose aux valeurs de notre République.

Doit-on pour autant renoncer à la crois-


sance et au progrès? A moins de faire
preuve d’ascétisme, cela paraît diffi-
cile, mais on peut tenter d’en rendre
les contraintes acceptables. Elles le de-
viennent dans la mesure où nous avons
le temps de nous y adapter. Pour cela,
l’évolution doit être suffisamment
lente. Comme nous l’avons vu, la socié-
té ne doit pas changer de façon notable
entre deux générations. Il suffirait donc
de limiter notre taux de dissipation de
l’énergie en conséquence. En termes
de mécanique statistique cela veut dire
rester dans le domaine linéaire des
transformations quasi-réversibles d’On-
sager. Certains appellent cela le déve-
loppement durable.

Le phénomène de production maximale


d’entropie n’est qu’une propriété sta-
tistique valable pour un nombre suffi-
sant d’éléments. Si notre planète se ré-
duit à une société unique d’individus
solidaires, il ne s’applique plus. Dans
son ensemble, l’humanité reste maî-
tresse de sa destinée. Le seul espoir est
donc une prise de conscience à
l’échelle internationale.

Une telle prise de conscience semble


prendre effectivement naissance grâce
au fait que pour la première fois la dé-
gradation de l’environnement devient
visible dans le temps d’une génération,
signe d’un nouveau séisme à l’échelle
mondiale. Le coût d’une nouvelle re-
structuration de la société commence à
paraître prohibitif non pas sur le plan
humain mais sur le plan économique.
D’où un appel effectif pour un dévelop-
pement durable. En essayant de sauver

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la planète (qui s’en moque), nous sau-


verons peut-être l’homme.

Évolution du taux de dissipation de

l’énergie (par unité de masse)

en fonction de l’âge de l’univers


(d’après Eric Chaisson)

T P
w ar

18 réflexions sur « 27 –
L’homme, la vie et la
dissipation d’énergie »

yoananda
novembre 2015 à 20

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

h 41 min

Il y a une autre
solution me
semble-t-il au
paradoxe de
l’accélération de
l’évolution :
quand l’évolution
biologique à atteint
ses limites, on est
passé à l’évolution
culturelle.
quand l’évolution
culturelle atteint
ses limites, on va
probablement
passer à l’évolution
« robotique » ou
« algorithmique ».

En effet, les
machines sont
capables d’évoluer
plus vite que nous,
et nul doute qu’elle
vont nous dépasser
en terme de
dissipation
d’énergie.

La solution est la :
remplacer
l’humanité par des
machines.

Si le but de
l’univers est de
maximiser la
dissipation
d’énergie, alors,
les robots sont
l’étape suivante de
l’accélération.

L’humanité restera
probablement dans
une niche
écologique, réduite

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à une poignée
d’individus. Si les
machines y
consentent.

yoananda
novembre 2015
à 21 h 00 min

ou peut-être
allons nous
devenir des
sortes de
mitochondries
pour les
machines …

François
Roddier
novembre
2015 à 22 h
23 min

Les
mitochondrie
s sont des
centrales à
énergie. Nous
fournissons
rarement
nous-même
de l’énergie
à nos
machines,
mis à part

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quelques
outils.

François
Roddier
novembre 2015
à 22 h 10 min

Les robots sont


là depuis
longtemps. Ils
continueront à
nous obéir,
comme nous
obéissons nous-
mêmes à nos
gènes, qui
obéissent eux-
mêmes aux lois
de la
thermodynamiqu
e.

roc
juin 2016 à
19 h 53 min

non désolé je
n’ai jamais
vu un robot
obéir a un
humain ils
obéissent a
leur
programme .

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

certes pour
l’instant les
hommes
écrivent
encore les
programmes,
mais pour
combien de
temps encore
?

Téji
20 juillet
2016 à 14
h 46 min

dans la
mesure où
le robot
est équipé
d’une
interface,
il répond
à
l’humain…

Marc
Laurent Le
Calvez
décembre 2019
à 4 h 07 min

L’Article est
Séduisant et fort
bien écrit mais

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

…peut on
affirmer qu’il y
a Consensus
inattaquable sur
la Théorie
Mémétique de
Dawkins ? Ou
n’est ce qu’une
théorie parmi
d’autres ? Si les
« mêmes » sont
une réalité
Biologique ils ne
remplacent
point les gènes
ils se
surajoutent et
sont bcp plus
fragiles car leur
transmission
peut s’arrêter à
chaque
génération Non
???

22
juillet
2016 à
11 h 03
min
David
Très intéressante
analyse. La grille
de lecture
« énergétique » ou
« thermodynamique
» me semble assez
compatible avec
celle de la
dominance et
incluant le
processus
d’habituation de la
cellule au SNC,
dont Laborit fut un
grand défenseur,
développeur et

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vulgarisateur
(référence : La
Nouvelle Grille,
1974).
Au plaisir
d’échanger avec
vous sur ces thèmes
!

24
juillet
2016 à
11 h 35
min
lparodi73
Bonjour ,
Je profite de ce
débat sur les robots
et l’ intelligence
artificielle pour
soumettre à votre
réflexion cette
petite conférence
TED de 12 min
alliant de manière
intéressante
l’intelligence et
l’entropie :
https://www.ted.c
om/talks/alex_wiss
ner_gross_a_new_e
quation_for_intellig
ence#t-690766 (les
sous-titres peuvent
être choisis en bas
à droite de la
vidéo).
Son équation visant
à maximiser la
capacité d’action
future me parait
intrigante , qu’en
pensez-vous ?

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

26

François
Roddier
juillet 2016 à 10
h 59 min

Merci pour la
référence à
cette vidéo qui
peut intéresser
certains
lecteurs.
L’auteur n’a rien
inventé. Il se
contente de
développer des
algorithmes
d’estimation
dits d’entropie
maximale, une
approche
proposée pour la
première fois
par Edwin
Thompson
Jaynes.

29
juillet
2016 à
12 h 04
min
Ruy Nuñez
Do you think that if
humanity achieved
a steady-state
society/economy,
with a reduced
energy dissipation,
then the entropy
maximization
principle would find
its way through

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

« elimination » of
humanity, and its
replacement with a
new species
complying with the
principle?
(excuse me for
writing in English
but it is easier for
me)

29

François
Roddier
juillet 2016 à 15
h 34 min

On peut
s’attendre à
l’apparition
d’une nouvelle
« espèce »
génétiquement
semblable à
l’humanité
actuelle, mais
culturellement
très différente.

2 août
2016 à
10 h 27
min

Téji
Tout d’abord, merci
pour l’ensemble de
vos travaux mis à
disposition sur ce
blog : quelle
richesse, quelle

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

originalité !
Je n’ai pas de
doute que l’Homo
sapiens soit à la
« pointe du
progrès » en terme
de solution
dissipative
particulièrement
efficace, assez
fulgurante même
depuis quelques
décennies !
Cependant, si cet
état de fait lui
laisse penser qu’il
est à la pointe
« tout court » du
progrès (à même de
tutoyer les dieux,
ce dont il ne se
gêne pas !), je
crains que ce ne
soit excès de
nombrilisme… ne
serait-ce parce
qu’il est sur le
point de s’auto-
détruire, ce qui
n’est pas une
marque notoire de
clairvoyance !
Limiter notre taux
de dissipation de
l’énergie, et le
faire globalement
comme une et une
seule entité,
l’humanité, est la
solution que vous
l’évoquez : je la
partage.
Cependant, me
vient à l’idée que
dans notre
nombrilisme, nous
ne nous apercevons
peut-être pas que
d’autres entités
pourraient le faire
ou l’avoir fait, et

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

je pense en
particulier aux
grands cétacés. Je
me souviens avoir
lu un article, dont
j’ai perdu la
référence, qui
laissait entendre
que, par la
complexité de leur
langage supérieure
à celle des nôtres,
tous idiomes
confondus, un
« alien » pourrait
croire que les
cétacés sont
l’espèce la plus
intelligente sur
Terre… Leur
efficacité à la
nage, avec en
particulier des
vibrations sous-
cutanées destinées
à favoriser
l’écoulement de
l’eau, montre
justement une
adaptation à
l’efficacité plutôt
qu’à la dissipation !

6
août
2016
à 19
h 42
Michel min
Lambotte
Limiter notre
taux de
dissipation est
certes
nécessaire mais
le plus urgent
est de recycler

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

l’entropie pour
l’évacuer.
Pour cela nous
avons besoin
d’une espèce
d’humain
culturellement
très différente.
Amha

29 août
2016 à
12 h 42
min

tphi
« Il suffit alors
qu’un seul individu
refuse de coopérer
pour qu’il reprenne
l’avantage, auquel
cas toute la
coopération
s’effondre. »

Suffit-il d’UN SEUL


individu ? Le
nombre de
refuseniks ne doit-il
pas dépasser un
nombre critique ?

Vous dites
d’ailleurs plus loin :
« Le phénomène de
production
maximale
d’entropie n’est
qu’une propriété
statistique valable
pour un nombre
suffisant
d’éléments. »

29 août 2016 à 14 h

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27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

27 min

Un seul individu
(comme un seul
flocon de neige)
François suffit à créer une
Roddier avalanche, bien
qu’en général il en
faille beaucoup.

29
mai
2017
à 16
h 53
Kiszka min

…ça me rappelle
une phrase qui
m’est tombée
sur le cerveau à
l’occasion de ma
thèse de
médecine: … »
Que c’est beau,
un flocon de
neige;
malheureusemen
t, il ne tombe
jamais seul..! »

29
mai
2017
à 16
h 54
Kiszka min
Peter
…ça me rappelle
une phrase qui
m’est tombée
sur le cerveau à
l’occasion de ma
thèse de

https://www.francois-roddier.fr/?p=202 Page 25 sur 26


27 – L’homme, la vie et la dissipation d’énergie | 25/10/2022 08:38

médecine: … »
Que c’est beau,
un flocon de
neige;
malheureusemen
t, il ne tombe
jamais seul..! »

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