LA BLOCKCHAIN, UN BOULEVERSEMENT ÉCONOMIQUE, JURIDIQUE

VOIRE SOCIÉTAL

Claire Fénéron Plisson

A.D.B.S. | « I2D - Information, données & documents »

2017/3 Volume 54 | pages 20 à 22

ISSN 2428-2111
Article disponible en ligne à l'adresse :
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 Yasmine Gateau
DROIT de l'information

La blockchain,
un bouleversement économique,
juridique voire sociétal
[ concept ] L’attraction des médias pour la blockchain a explosé depuis 2 ans. Effet de
mode ou prochaine révolution technologique à l’instar d’Internet ? Des problématiques
juridiques se trouvent au cœur du dispositif, en amont pour son développement,
et en aval pour les conséquences de fond et de forme qu’impliquera cette technologie
sur le droit.
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L
a technologie blockchain (BC), sou-
vent qualifiée de disruptive, constitue
tant une opportunité qu’une menace,
d’où l’excitation produite par les bou-
leversements potentiels considérables
qu’elle pourrait générer. De nombreux acteurs
économiques, tels les juristes, s’emparent du
sujet pour en comprendre les mécanismes et
appréhender au mieux les enjeux qu’elle sou-
lève. Après avoir dépeint les contours de la
blockchain, nous évoquerons ses 3 principaux
usages dans des secteurs et pour des applica-
tions très variés. Nous présenterons ensuite les
1. Système de devise électronique, décentralisé, sans tiers
de confiance, qui garantit l’anonymat des parties prenantes.
Il désigne à la fois un protocole de paiement sécurisé et anonyme
et une crypto-monnaie.
https://bitcoin.org/fr/vous-devez-savoir ou https://bitcoin.fr/
2. Il existe plus de 800 cryptomonnaies : Bitcoin, le Peercoin,
le Blockcoin, Digibyte, Megacoin, etc.
faiblesses qui freinent sa rapidité de développe-
ment et les problématiques juridiques qui créent
une incertitude, notamment pour les start-up.
Qu’est-ce que la blockchain ?
Blockchain Partner définit la blockchain, ou
chaîne de blocs, comme une « technologie de
stockage numérique et de transmission à coût
minime, décentralisée et totalement sécurisée ».
Cette technologie est apparue en 2008 avec la
monnaie Bitcoin1, le cas d’usage le plus connu
de la BC. Mais la BC a bien d’autres usages que
les transactions en cryptomonnaies2.
La BC est souvent comparée à un vaste registre
public, une sorte de grand livre intégrant
l’ensemble des échanges effectués par ses
utilisateurs depuis sa création : ces échanges
sont regroupés à l’intérieur de blocs ordonnés

20 I2D - Information, données & documen­ts - 2017, n° 3

 droit de
l ' information

du plus ancien au plus récent.
Chaque bloc contient des informa-
tions relatives au bloc précédent
de sorte qu’il est impossible de
modifier un bloc sans modifier
toute la BC en aval : la BC devient
alors caduque, et c’est pour cela
que l’on dit que le Bitcoin ne peut
pas être hacké.
Système de pair à pair3 décentra-
lisé, la BC fonctionne sans organe
central de contrôle. Les données
ne sont pas hébergées par un
serveur unique mais par une par-
tie des utilisateurs, les pairs ou
nœuds. Ce sont des « mineurs »4
qui valident les blocs par des opé-
rations de « minage » (vérification
via des algorithmes de cryptage)
contre rémunération en crypto-
monnaie si leur registre s’accorde
avec ceux de la majorité des autres
nœuds du système. La blockchain
est qualifiée de transparente car
tout le monde peut télécharger
l’intégralité de la BC et vérifier à
tout moment son intégrité.
Pour assurer l’intégrité et l’authen-
tification des transactions, la BC
est fondée sur l’utilisation de clés
cryptographiques asymétriques
et d’algorithmes de hachage,
somme de contrôles qui évitera
toute modification du bloc a
posteriori. La cryptographie à clé
publique  repose sur l’utilisation
d’une clé publique, diffusée, et
d’une clé privée, gardée secrète,
l’une permettant de coder le mes-
sage, l’autre de le décoder. C’est
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y être autorisé mais tout le monde
peut la consulter. La blockchain de
consortium, ou hybride, est sous le
contrôle d’un ensemble d’organi-
sations au sein desquelles le droit
d’accès peut être ouvert à tous
ou limité à certains utilisateurs.
Ce type de BC est souvent utilisé
dans les secteurs très réglementés
tels le secteur bancaire, comme
le consortium R3 qui regroupe
plus de 70 institutions financières
dans le monde.
Les usages
de la blockchain
La technologie BC a de nombreux
avantages et attire tous les sec-
teurs. On distingue 3  typologies
d’usages de la BC. La première
fonction de la BC a été le transfert
d’actifs (cryptomonnaie, actions,
etc.) avec le Bitcoin. Le deuxième
usage est un registre  qui permet
de tracer des biens ou actifs et
d’en prouver leur existence, leur
provenance à une date certaine.
Le troisième usage, le plus com-
plexe, est le smart contract, un
programme autonome qui exécute
automatiquement des actions vali-
dées au préalable par les parties
prenantes. Aucune intervention
humaine, une fois démarré, il
est impossible d’en modifier les
conditions après l’exécution. Les
frais de commission sont infimes
(notamment parce qu’il n’y a pas
d’intervention de tiers), les délais
Les applications
de la BC
La BC est une technologie
complexe qui fait l’objet
de nombreuses expéri-
mentations, connues ou
tenues secrètes, dans un
contexte très concurren-
tiel. Le secteur financier
a été le premier à s’y
intéresser et consacrer
juridiquement cette
technologie. En effet,
l’ordonnance n°  2016-
520 du 28  avril  2016,
qui modifie les articles
L. 223-12 et L. 223-13 du
code monétaire et finan-
cier, définit la BC, sans la
nommer, dans sa fonction
de registre : un « dispositif
d’enregistrement électro-
nique partagé permettant
l’authentification de ces
opérations ».
Si la BC révolutionne
le secteur bancaire et
financier, son immense
potentiel peut s’appli-
quer à d’autres secteurs :
chaque domaine impli-
quant un échange, une
sauvegarde ou même
une preuve pourrait être
impacté.
Plusieurs applications
existent déjà, notam-
ment dans le secteur de 9. Microsoft, Intel et plu-
sieurs grandes banques ont
la finance, tel BNP Smart créé Ethereum Alliance (EEA)
3. Peer-to-peer ou P2P :
réseau informatique où
chaque utilisateur (pair  ou
nœud) est aussi un serveur.
4. Utilisateurs d’une
blockchain disposant d’un
matériel idoine (puissant)
pour valider l’échange des
échanges à l’intérieur d’un
bloc. Il existe 3 Types de
mineurs : solo, en groupe,
professionnels.
5. « Le système est sécurisé
tant que des nœuds hon-
nêtes contrôlent ensemble
plus de puissance de calcul
qu’un groupe de nœuds qui
coopéreraient pour réaliser
une attaque » (Satoshi
Nakamoto)
https://bitcoin.fr/bitcoin-
explique-par-son-inventeur/
6. Permettant l’enregistre-
ment de titres de sociétés
non cotées, il fonctionne
comme une marketplace,
standardisée et sécurisée,
avec la possibilité de
revendre les actions ou d’en
acheter, avec des e-certifi-
cats émis instantanément
lors de chaque opération
financière.
7. Lancé en sep-
tembre 2014, il se définit
comme « un marché social
de pair-à-pair, semblable
à une fusion entre e-bay,
Twitter et BitTorrent ».
8. L’École supérieure
d’ingénieurs Léonard de
Vinci en 2016 ou Telecom
Bretagne IMT Atlantique
en 2017.

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avec la clé publique correspondant
à la clé privée ayant servi à signer la
transaction que l’on vérifie la fiabi-
lité de l’opération. Dès lors qu’une
opération est inscrite dans la base,
elle ne peut plus être modifiée ; elle
est incorruptible. Il faudrait avoir
accès à plus de la moitié des ser-
veurs de manière simultanée pour
falsifier une information5.
La BC peut être privée, publique
ou hybride : ce qui les différencie
est le degré d’ouverture. La BC
publique peut être consultée et
utilisée par tout le monde, comme
dans les blockchains Bitcoin et
Ethereum. Dans la blockchain pri-
vée, son accès et son utilisation
sont limités à certains acteurs.
Personne ne peut y participer sans
d’exécution très courts, et la tra-
çabilité totale. Ethereum, une BC
spécialement dédiée aux smart
contracts a même été lancée. Elle
fonctionne avec l’ether, monnaie
virtuelle qui sert à payer l’exécution
des smart contracts. Les béné-
voles gagnent cet ether en vali-
dant des transactions, sécurisant
ainsi le réseau.
L’appellation de smart contracts
est trompeuse  : il ne sera un
contrat que si les conditions de
formation du contrat sont réunies.
Or, le lien entre l’opération et
l’identité du partenaire reste diffi-
cile à établir aujourd’hui. Un smart
contract n’est pas forcément un
contrat au sens juridique du terme.
Il est plutôt une modalité technique
d’exécution de celui-ci.
Angels ou le registre afin d’adapter la Blockchain
6
partagé entre la Banque Ethereum aux besoins des
de France et 5  autres entreprises de tout secteur,
banques, pour des par des normes et des tech-
nologies facilitant l’usage
données non sensibles. du code «blockchain»
D’autres secteurs ont été Ethereum.
investis comme le com-
merce, avec Openbazar7, ou la cer-
tification des diplômes8. D’autres
applications se profilent dans le
domaine des assurances, l’auto-
matisation de la souscription des
polices, de la gestion des sinistres
et de l’indemnisation ; dans l’éner-
gie et le développement durable, la
certification de l’origine des pro-
duits ou Smart Grid, ou le projet
Ethereum Alliance9. Les industries
culturelles s’y intéressent par-
ticulièrement, notamment pour
la gestion des droits d’auteur10.

2017, n° 3 - I2D - Information, données & documen­ts 21

 Droit de l’information

La BC constitue une opportunité
pour l’industrie musicale en par-
ticulier, qui ne s’est pas adaptée
aux transitions technologiques
précédentes.
Des freins au
développement
phénoménal de la BC
Si les usages et applications de
la BC se sont indubitablement
développés, confirmant
10. Sur ce sujet, une
mission du CSPLA sur les ainsi son aspect révo-
blockchains est en cours. lutionnaire, certaines
11. Les pays en voie de incertitudes freinent
développement s’emparent son développement. Il
de cette technologie, s’agit principalement
souvent plus facilement que de limites techniques,
les pays développés. d’incertitudes juridiques,
12. L’ACPR et l’AMF ont créé ou même de réticences
un pôle dédié aux start-up culturelles11. On citera,
de la finance.
pour exemple des
13. L’ordonnance incertitudes techniques,
n° 2016-520 du
28 avril 2016 relative aux
la limite de création de
bons de caisse et l’ordon- Bitcoin plafonnée à
nance n° 2016-1635 du 21  millions  : même si
1er décembre 2016, qui vient cette cryptomonnaie a
modifier l’art L. 561-2 CMF. de la valeur, elle sera
14. Art. 1358 du code civil : sûrement en défla-
« hors les cas où la loi en tion constante. Autre
dispose autrement, la preuve
exemple, le nombre de
peut être apportée par tout
moyen ». Art. 1366 du code transactions pouvant
civil : « l’écrit électronique a être validées simulta-
la même force probante que nément dans un même
l’écrit sur support papier, bloc qui est plafonné, ou
sous réserve que puisse être
encore le temps d’au-
dûment identifiée la per-
thentification qui prend
sonne dont il émane et qu’il
soit établi et conservé dans environ 10  minutes
des conditions de nature à pour valider un bloc
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Il n’existe pas de droit spécifique
à la BC, sauf dans certains cas
récents concernant le secteur
financier 13 . Une consultation
publique a été ouverte par le Trésor
le 24 mars 2017 sur l’ordonnance
dite «  Blockchain  », prévue pour
décembre  2017. Cette consulta-
tion vise à recueillir des avis sur
un potentiel encadrement juridique
de ces technologies  : les termes
employés sont suffisamment
larges pour supposer que cette
consultation a également pour
visée de connaître les besoins de
légiférer ou pas sur les usages de
la blockchain.
S’il n’y a pas de droit spécifique à
la BC, il n’y a pas pour autant de
vide juridique : on applique le droit
commun même si la BC a des spé-
cificités. Plusieurs questions sont
soulevées comme celles liées à la
recherche de responsabilité, de
garantie, de preuves, à la propriété
intellectuelle et à la protection des
données. Il ne s’agit pas ici de lis-
ter toutes les questions juridiques
spécifiques soulevées par la
BC mais reprendrons les princi-
pales problématiques liées aux
3 usages de la BC.
Concernant l’usage de transfert
d’actifs, les cryptomonnaies
et plus globalement les jetons
numériques (ou tokens) ont encore
un statut incertain. Quel poids
juridique aura ce token devant
un tribunal  ? Par ailleurs, sur le
plan probatoire de la fonction de
concernant la territorialité (quelle
est la loi applicable aux transac-
tions  ?), l’identité des acteurs
(qui a effectué la transaction  ?),
la preuve des transactions, la
responsabilité (si le smart contract
n’effectue pas les opérations telles
que prévu, vers qui se retourner
lorsqu’il n’y a pas d’administra-
teur ?), les données personnelles
(le nouveau Règlement européen
sur la protection des données15
insiste sur le droit à l’oubli mais la
BC ne permet pas, pour l’instant,
d’effacer les transactions). Et, plus
généralement, la BC modifiera-t-
elle certains métiers tels que celui
de notaire et d’avocats et dans
quelle mesure ?
Avec la BC, on assiste au passage
d’un modèle de confiance fondé
sur les entreprises ou institutions
à un modèle basé sur un système
et une communauté décentralisée.
Cette technologie soulève de nom-
breuses questions et des groupes
d’acteurs, gouvernementaux ou
privés, travaillent pour comprendre,
développer et s’approprier cette
technologie comme l’indique, par
exemple, la création en  2016 par
l’organisation internationale de
normalisation (ISO) du comité tech-
nique consacré à la blockchain.
Ce comité compte 16 participants
dont la France, représentée par
l’Afnor. La question n’est plus de
savoir si nous adopterons cette
technologie ou pas, mais plutôt
quand et comment. 

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en garantir l’intégrité ». de transactions. La BC
15. Savoir plus le site de la consomme également
Cnil : www.cnil.fr énormément d’énergie :
tous les ordinateurs du
réseau hébergent chacun une
copie de l’intégralité du registre
depuis sa création, et celui-ci est
mis à jour en temps réel.
Les enjeux juridiques
Dans le cadre des multiples mises
en œuvre de la BC, certains,
comme Lawrence Lessig, s’ap-
puient sur l’adage « Code is law »
selon lequel ce qui se passe sur
la BC aurait force de loi. La liberté
donne des ailes mais les start-up
demandent à être sécurisées,
notamment sur le plan juridique.
Certaines institutions ont déjà
répondu à ce besoin12.
registre de la BC, plusieurs cas
de figure sont envisageables.
>> Claire Fénéron Plisson
Juriste PI-NTIC / Chef de projets
Lorsque la preuve sera libre 14,
claire.feneron@edhec.com
l’inscription pourra avoir valeur
juridique. Cependant, l’inscription
dans la BC n’est pas une signa-
ture électronique (sauf si un expert
peut en démontrer l’intégrité,
etc.), ni une preuve authentique.
Il est cependant envisageable de
conclure une convention de preuve
entre les parties si la technologie
utilisée est une BC privée. Quant
aux cas d’usage plus complexes
constitués par les smart contracts,
il conviendra d’analyser la situation
au cas par cas et d’appliquer les
lois et règlements applicables au
cas déterminé.
Quel que soit l’usage, d’autres
questions juridiques sont soulevées

22 I2D - Information, données & documen­ts - 2017, n°1