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OMS
Élaboration du
budget-programme,
histoire et limites
Le budget-programme
Organisation mondiale de la santé constitue une procédure de lie). Une nouvelle liberté d’expression
L’ traverse une période difficile. Les
derniers mois ont été mouvementés. L’as-
gestion intéressante et apparue après l’effondrement du bloc
communiste facilite par ailleurs une évo-
semblée mondiale qui vient de se tenir à novatrice qui a été adoptée par lution.
Genève, du 3 au 17 mai 1993, comportait l’OMS il y a bientôt vingt ans.
pourtant, dans son ordre du jour, tous les
ingrédients pour permettre un nouveau Cependant cette procédure, Histoire
départ : élection d’un directeur général, appliquée à une institution
adoption d’un budget-programme pour mondiale, montre actuellement L’outil actuel que constitue le « budget-
94/95, choix d’une stratégie. Pour beau- programme » a une longue histoire. Il a
coup, le premier point conditionnait lar- ses limites et la dernière été conçu progressivement, avec des im-
gement les deux autres et le groupe occi- session de l’Assemblée pératifs relevant autant d’un souci de
dental des pays membres avait fermement Générale en mai 1993 a été contrôle que d’une volonté d’efficacité.
plaidé pour un changement de directeur Le souci de contrôle a toujours existé.
général en soutenant – contre le docteur l’occasion de demandes En témoignent les rapports entre le secré-
H. Nakajima (Japon) déjà en poste depuis appuyées de réformes pour tariat et les organes directeurs (équiva-
cinq ans – son ancien directeur adjoint le lents de l’exécutif et du législatif dans
son élaboration.
docteur Abdelmoumene (Algérie). Mais une démocratie parlementaire) qui ont,
les résultats obtenus en janvier dernier au depuis longtemps, et périodiquement,
conseil exécutif, (18 voix au premier can- Depuis quelques années cette mission donné lieu à des commentaires critiques
didat, contre 13 au second) ont été confir- essentielle (et constitutionnelle) du con- des délégations.
més par l’assemblée. Cependant la forte seil exécutif s’était peu à peu érodée et la Si, dans l’après-guerre immédiat, les
minorité d’opposition apparue (58 bulle- liberté de manœuvre du secrétariat pour pays entièrement occupés par la mise en
tins opposés et 6 abstentions contre 93 ce qui était de la gestion financière et œuvre de programmes de reconstruction
bulletins favorables) a révélé un malaise budgétaire, donc du choix des priorités et des systèmes de santé dévastés, avaient
et devrait contribuer à la mise en œuvre des programmes, était très grande. tendance à faire largement confiance au
des réformes proposées par le rapport Cette passivité se retrouvait dans les secrétariat1, l’examen des actes officiels
d’un sous-groupe du conseil exécutif comités régionaux, et culminait lors de de l’OMS fait ressortir que, dès 1955,
(dont faisait partie la France, le profes- l’assemblée mondiale (instances deve- certaines demandes de clarification se
seur Girard assurant par ailleurs la prési- nues quasiment des chambres d’enregis- sont fait entendre lors du conseil exécutif.
dence du conseil exécutif). trement). Cette dérive accumulée finit En 1957, lors de la dix-neuvième ses-
Parmi ces réformes figurent – avant par devenir insupportable à certaines dé- sion du conseil exécutif, le gouverne-
toute chose – des recommandations pour légations qui se sont regroupées – malgré ment canadien avait émis pour la premiè-
redonner aux organes directeurs le pou- des vues parfois divergentes quant au but re fois l’hypothèse du passage à un budget
voir de décision pour le choix des priori- à atteindre – dans une « coalition » infor- biennal pour permettre de procéder à un
tés et l’élaboration du budget, melle mais active (au sein de la région examen très approfondi du budget. Du-
c’est-à-dire pour la construction du bud- Europe : Suède, France, Royaume-Uni et rant la même session, le professeur Pari-
get-programme. au Siège : États-Unis, Canada, Austra- sot, représentant de la France, avait ap-
très pauvres, il devint de plus en plus rôle d’observatoire de l’état de santé, rôle vise cruellement la portée de l’ensemble
inadapté voire utopique. Les pays du grou- qui constitue une de ses principales mis- de l’édification du budget-programme.
pe occidental sont devenus de plus en sions pour ne pas dire sa mission princi- Toutefois, il faut préciser que les contri-
plus réticents au « SPT 2000 » (raccourci pale. Elle collecte périodiquement les butions volontaires ne sont pas utilisées
elliptique pour « santé pour tous en l’an informations auprès des pays membres et ad-libitum. Elles sont regroupées, pour
2000 » utilisé fréquemment dans des do- publie tous les trois ans « un rapport sur une très grande part, dans des program-
cuments de travail de l’OMS). l’état de santé dans le monde. » Mais cette mes spéciaux (sida, recherche sur les
Par une tentative timide au conseil publication est décalée par rapport à celle maladies tropicales, médicaments essen-
exécutif de 1990 (la France n’était pas du budget. tiels...) pilotés par des comités de gestion
membre du conseil cette année-là), le La méthodologie adoptée dans la ré- ad-hoc où siègent les bailleurs.
Royaume-Uni évoqua le premier le be- gion Europe occupe une place un peu à
soin de modifier ce slogan. Plus récem- part : en poussant plus loin la démarche
ment lors du conseil exécutif de 1992, de programmes par objectifs, la région a Perspectives
plusieurs voix (Royaume-Uni, France, défini « les 38 buts de la santé pour tous »
Danemark) ont souhaité que soit dissocié (qui se substituent, dans la Région, à la Pour toutes ces raisons, le conseil exé-
le concept « La Santé pour tous », relatif liste ordonnée de 70 programmes), mais cutif avait mandaté certains de ses mem-
à la notion d’équité dans l’accès aux soins là aussi, les deux processus-évaluation de bres pour réfléchir aux réformes qui per-
– concept que personne ne conteste –, de l’état de santé d’une part, et adoption du mettraient de dépasser les limites du
la date de l’an 2000 qui doit être considé- budget-programme d’autre part – chemi- sytème actuel. Un groupe de travail a
rée comme une étape parmi d’autres. nent parallèlement sans se rencontrer. rendu ses conclusions au conseil exécutif
Le document du budget-programme Les contraintes de la politique de du 17 mai dernier. Son rapport contient
devint difficile à comprendre et à utiliser rigueur du groupe de Genève (groupe près de 45 recommandations pour réno-
pour les délégués. Au fil des ans, le des gros bailleurs dont fait partie la Fran- ver l’ensemble du sytème. L’avenir dira
secrétariat a multiplié les renseignements ce) imposant depuis quatre biennum si la communauté internationale se mobi-
contenus dans ce document et en est venu une « croissance zéro en valeur réelle » lise pour mettre en œuvre ces proposi-
– probablement malgré lui – à élaborer un pour le budget régulier, entraînent l’OMS tions.
document de budget-programme pres- dans une gestion qui échappe pour partie Mais d’ores et déjà, il faut souligner
qu’inutilisable pour les délégués. Certes, aux organes directeurs. En effet, toutes que, par une amusante répétition de l’His-
l’information fournie y est très abon- les considérations évoquées précédem- toire, la délégation canadienne (toujours
dante (450 pages pour le budget-pro- ment concernent uniquement le budget elle !) a pris l’initiative – avec l’aide de
gramme 1992/93), mais elle est difficile à régulier, c’est à dire celui alimenté par les l’Allemagne et de la France – d’une réso-
utiliser, précisément en raison de la mas- contributions obligatoires des pays mem- lution, adoptée le 14 mai dernier, intitu-
se de données présentées de façon très bres. Comme celui-ci se trouve en sta- lée « réforme budgétaire ». Le texte de
analytique. On ne peut pas trouver de gnation par la volonté politique des gros cette résolution ne remet pas en cause le
tableaux synthétiques, de diagrammes, bailleurs, l’Organisation s’est trouvée processus général d’élaboration du bud-
ni d’histogrammes qui permettraient d’ac- contrainte de faire appel aux contribu- get-programme, mais il modifie son con-
céder, par une lecture rapide, aux notions tions volontaires, pour faire face aux nou- tenu en demandant notamment qu’y figu-
essentielles. veaux besoins. C’est ainsi, par exemple, rent expressément « des priorités
La logique d’une « programmation- que le programme mondial de lutte con- stratégiques et financières dans le cadre
budgétisation » demeure inachevée puis- tre le sida se trouve entièrement tributaire d’objectifs mondiaux approuvés » et que
que manquent, dans le document, les du bon vouloir des bailleurs. La contra- pour chaque priorité soient fixées « des
indicateurs qui permettent le choix des diction réside dans le fait que ces derniers cibles réalistes et mesurables ». On peut
priorités et l’évaluation rétroactive. Com- (notamment les États-Unis) sont précisé- espérer que la mise en œuvre de cette
me on l’a vu ci-dessus, l’originalité de la ment ceux qui préconisent la croissance résolution s’effectuera dans un délai qui
démarche qui soutient la construction zéro. Le résultat est que pour la troisième sera – compte tenu de l’accélération de
d’un budget-programme réside dans une fois, en 92/93, les ressources « extra- l’Histoire – plus court que celui nécessai-
programmation par objectifs, couplée budgétaires » (volontaires) ont dépassé re (vingt ans) pour passer à une gestion
avec l’allocation des ressources. Pour celles du budget régulier : 999 359 000 biennale...
que le processus soit complet, il faut donc dollars contre 734 936 000 dollars. En
pouvoir disposer, pendant la discussion d’autres termes, les organes directeurs
budgétaire, des indicateurs chiffrés de examinent, au plus, la moitié du budget. Armelle Georges, médecin inspecteur en
résultats relatifs à l’état de santé des po- Cette dérive, qui porte en elle une grande chef de santé publique, division des rela-
pulations. vulnérabilité des programmes, ne peut tions internationales au ministère des Affai-
Certes l’OMS remplit très bien son laisser indifférent. Ce simple fait relati- res sociales