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Velázquez
39-2 (2009)
El conde de Floridablanca y su época
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Yassir Benhima
Quelques remarques sur le nomadisme
e e
préhilalien au Maghreb (VIII -XI siècle)
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Référence électronique
e e
Yassir Benhima, « Quelques remarques sur le nomadisme préhilalien au Maghreb (VIII -XI siècle) », Mélanges de la
Casa de Velázquez [En ligne], 39-2 | 2009, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 14 octobre 2012. URL :
http://mcv.revues.org/2969
Yassir Benhima
Institut historique allemand de Paris
1
Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une bourse post-doctorale de la Casa de Velázquez
(juillet-novembre 2008). Mes remerciements s’adressent au directeur de la Casa de Velázquez
ainsi qu’au directeur des études anciennes et médiévales pour leur soutien qui a permis de
mener à bien ce travail.
2
Gautier, 1937.
3
Pour Gautier, 1937, la destruction de l’ordre romain au Maghreb durant les siècles obs-
curs (de la chute de l’Empire romain aux cinq premiers siècles de la présence islamique) est
imputée en grande partie aux effets destructeurs des mouvements de populations nomades,
d’abord la migration supposée des grands nomades chameliers ZanÄta, puis l’arrivée des
Arabes nomades au milieu du xie siècle. Plusieurs travaux de l’époque de la décolonisation
avaient dénoncé l’arrière-fond idéologique des études de Gautier, notamment Laroui, 1970,
pp. 120-122.
4
Pour un aperçu de la bibliographie sur les nomades dans l’Antiquité africaine, voir Vis-
mara, 1998, pp. 79-81.
5
Cette constante de l’historiographie antique, qu’elle soit mésopotamienne, grecque ou
romaine, est mise en évidence par plusieurs études : Shaw, 1982, pp. 29-32 et 1982-1983, Trous-
set, 1982 et Hartog, 2001, notamment pp. 306-323.
6
Gautier, 1937, pp. 190 sqq.
7
Ces gravures et peintures rupestres, non datées avec précision, sont largement postérieures
à l’apparition du cheval et ne peuvent être rattachées à des faciès néolithiques ou post-néoli-
thiques (Camps, 1996, pp. 2542-2544).
8
Ibid., pp. 2544-2546. Pour une présentation détaillée de la question, Bulliet, 1975,
pp. 111-140.
9
Leveau, 1988, p. 181.
10
Voir notamment les cas des Lixites, pasteurs probablement semi-nomades mentionnés
dans le récit du périple de Hannon : Rebuffat, 1988.
11
Lassère, 1977, p. 362.
12
Ibid., p. 348.
13
Information suggérée par Villaverde Vega, 2001, p. 294, sur la base de l’interprétation de
la corporation vestiarorum comme étant liée à la transformation du cuir.
14
Ponsich, 1980.
15
Janon, 1973, p. 199.
16
Modéran, 2003, pp. 131-207.
17
Ibid., pp. 694 sqq.
18
Donner, 1981, pp. 263-267.
19
C’est le cas des élites arabes qui ont fondé et soutenu l’émirat aghlabide, et qui étaient
sédentaires. Sur l’occupation de l’espace rural dans le SÄÜil, voir Al-B®h∞, 2004.
20
Ibn al-Raq∞q, Ta’ràá Ifràqiya wa-l-MaÉrib, p. 75.
Cette étude n’aspire pas à faire un catalogue exhaustif des différentes tribus
nomades du Maghreb durant le haut Moyen Âge. Il est néanmoins nécessaire
d’évoquer les groupes les plus représentatifs, tout en montrant la variété des
formes de mobilité et d’articulation avec les populations sédentaires. Pour ce
faire, il convient au préalable de faire le point sur la terminologie employée
par les sources arabes.
Dans le lexique utilisé pour désigner les nomades dans nos sources, la ré-
férence à la mobilité est largement présente. Elle est généralement exprimée
par quatre racines :
— rÜl : ayant comme sens premier « aller et venir », cette racine s’est
déclinée en de très nombreuses formes verbales ou nominales relevant
214 du champ sémantique de la mobilité. Outre les sens de voyager (d’où
le mot riÜla), de déménager, le lexique chamelier est particulièrement
riche en dérivés de cette racine (rÄÜila : chamelle ; raÜl : charge d’un
chameau ; raÜl ou raÜla : selle de chameau). Enfin, le terme raÜÜÄla, en
plus de son sens courant de voyageur, est largement utilisé au pluriel,
pour qualifier les nomades.
— ìfin : racine exprimant l’idée de voyage, de déplacement ; d’après
le LisÄn al-fiarab d’Ibn Manìër, le mot ìafian désigne le déplacement des
nomades à la recherche de pâturages ou d’eau. Le terme ahl al-ìafian est
ainsi utilisé dans le sens de nomades.
— fizb : avec un sens initial synonyme de « s’éloigner », cette racine est
à l’origine de nombreux verbes et noms exprimant l’idée de partir loin à
la recherche de pâturages. Les mots fiazzÄb, berger, et fiazàb, désignant une
portion de terre affectée au pâturage d’un troupeau, et par extension un
domaine dévolu à l’élevage, dérivent de cette même racine.
— nÑfi : racine prolifique qui a donné lieu à plusieurs termes ou expres-
sions relevant du champ sémantique du nomadisme. Le verbe naÑafia,
dans sa forme simple ou dans plusieurs de ses formes augmentées, rend
l’idée de se déplacer, de voyager pour assurer sa subsistance. La forme
VIII, intaÑafia, exprime le fait de se déplacer à la recherche de pâturages
ou d’endroits arrosés par la pluie. Le mot naÑfia (pl. nuÑafi ou nuÑëfi) dé-
signe le troupeau, mais peut également (avec un pluriel en naÑfi) signifier
des tentes ou un campement.
Les racines utilisées pour nommer les populations nomades, leur mode de
vie ou leur mobilité, renvoient principalement à l’idée de mobilité dans un sens
général. Parfois, la spécificité de cette mobilité et son objectif (la recherche des
Le groupe des MazÄta fait partie de l’ensemble des tribus libyennes rencon-
trées par les premiers conquérants arabes. Ibn fiAbd al-öakam rapporte ainsi
que fiUqba b. NÄfifi conquit toutes les fortifications (quãër) des MazÄta, dont
le territoire est situé à l’ouest de Zawàla23. Cette position géographique est plus
ou moins confirmée par plusieurs sources plus tardives : al-Yafiqëbà (m. après
891) évoque plusieurs groupes appartenant aux MazÄta dans l’Est libyen, no-
tamment à Syrtes et à WaddÄn ; leurs territoires seraient limités à l’ouest par le
pays des HawwÄra24. Ibn öawqal (écrivant entre 977-988) confirme cette même
présence en terre libyenne : des MazÄta Mufitazilites sont signalés près de òabal
Naffësa25 ; plus au sud, le clan mazÄtà des Banë õaééÄb dominait Zawàla26.
Mais au-delà de l’espace libyen, où les MazÄta ne sont pas identifiés
comme nomades, des groupes mazÄtà-s sont signalés à plusieurs endroits.
D’abord, Ibn al-SaÉàr (auteur de la fin du ixe siècle) rapporte que plusieurs
21
Sur la terminologie employée pour l’habitation nomade, voir le dernier point de cette
étude (L’habitat nomade : quelques spécificités maghrébines ?).
22
Cette piste de réflexion sera prolongée par une enquête à paraître sur les notions de
ÜaÅÄra et de badÄwa à l’époque d’Ibn õaldën.
23
Ibn fiAbd al-ö®kam, FutëÜ Ifràqiya wa-l-Andalus, p. 53. Les MazÄta étaient comptés
parmi les Buér, voir Modéran, 2003, pp. 769-774.
24
Al-Yafiqπb∞, KitÄb al-buldÄn, pp. 344-346.
25
Ibn öawqal, KitÄb ãërat al-arÅ, p. 96.
26
Ibid., p. 106.
reprises chez al-†ammaáà, qui évoque les MazÄta dans la zone de QÄbis sous le
règne du Faéimide al-Mufiizz (953-972)36. Leur présence dans la région de QÄbis
semble habituelle ; l’auteur du KitÄb al-siyar relate leur arrivée dans la région,
durant une année de sécheresse, pour acheter à crédit des provisions de dattes37.
Le destin des MazÄta est révélateur d’une dynamique complexe qui nous
est connue d’une manière très fragmentaire. La dissémination du groupe loin
de son territoire libyen initial, à travers plusieurs régions, près de TÄhart, dans
les Aurès ou à plusieurs endroits dans le sud de l’Ifràqiya, pourrait être le
résultat de deux mécanismes différents. On peut d’abord penser à la segmen-
tation du groupe d’origine en plusieurs ensembles tribaux qui partent à la
conquête de nouveaux terrains de parcours et construisent ainsi de nouveaux
territoires38. Mais l’homonymie de plusieurs groupes tribaux ne peut être
toujours le fruit d’une migration accompagnant la fission d’un groupe. Le
phénomène inverse peut aussi se produire, avec l’agglomération de groupes
d’origines diverses sous le même emblème onomastique. Si dans le cas des
MazÄta, il nous est pour l’instant impossible d’attester un tel cas, les exemples
de l’Antiquité tardive incitent à prendre en compte cette éventualité. L’ana- 217
lyse complexe proposée par Y. Modéran a en effet permis d’attester, à partir
la fin du ve siècle, la réactivation d’entités tribales qui s’étaient auparavant
diluées dans le tissu social d’une Afrique largement romanisée. Cette expli-
cation rejoint d’ailleurs les critiques judicieuses de Jacques Berque à l’égard
d’une lecture historique fondée uniquement sur l’idée de « l’essaimage natu-
rel des groupes39 ». Les processus continus d’assimilation et de dissimilation
se traduisent par une prolifération onomastique de certains ethnonymes, ou
par l’apparition de nouveaux caractérisant une volonté de différenciation40.
La dynamique que décrit J. Berque s’apparente à une recomposition continue
des groupes et de leur association, une sorte d’ethnogenèse permanente dont
les manifestations sont encore ignorées dans l’histoire des Berbères.
Le cas des MazÄta, exemple d’une société nomade non pas reléguée à la
marge de l’histoire mais plutôt profondément ancrée dans les évolutions
de son temps, est également riche en enseignements sur les caractéristiques
des territorialités nomades. Impliqués dans une mobilité périodique néces-
saire pour assurer la pérennité du capital animalier, le choix des parcours
et la construction du territoire ne relèvent pourtant pas d’un simple dé-
terminisme géographique. Les MazÄta, principalement d’obédience ibÄÅite,
36
Al-†amm®Ø∞, KitÄb al-siyar, p. 319.
37
Ibid., p. 391.
38
Les modalités de la conquête puis de la construction d’un nouveau territoire nomade
restent très mal connues historiquement. Parmi les rares exceptions à cet égard, le texte tardif
d’al-fiAdwÄnà, Ta’ràá (xviie siècle) décrit, d’un point de vue nomade, un tel processus. Voir
également Benhima, 2008, pp. 174-176, à propos des nomades de la région de Safi.
39
Berque, 1953, p. 265.
40
Ibid.
41
Sur la notion de connectivité et son importance pour assurer la continuité des diffé-
rentes niches écologiques (microécologies) en Méditerranée, voir Horden et Purcell, 2000,
pp. 123-172.
42
Sur les premières relations entre les groupes ibÄÅites du Maghreb et l’Afrique subsaha-
rienne voir, Lewicki, 1962.
43
Ibn öawqal, KitÄb ãërat al-arÅ, p. 87.
44
Shaw, 1981, notamment p. 49. Sur l’idée de complémentarité économique entre plusieurs
formes de nomadisme, et entre nomades et sédentaires en Péninsule arabique avant l’islam,
voir Retsö, 2003, pp. 113-116.
45
Al-Bakr∞, Description de l’Afrique septentrionale, p. 67 (texte arabe).
46
Ibn öawqal, KitÄb ãërat al-arÅ, p. 103.
47
Al-Idr∞s∞, KitÄb nuzhat al-muåtÄq, pp. 256-257. C’est l’une des rares fois où l’un de nos
auteurs associe le mode de vie nomade aux qualités guerrières d’un groupe. Cela traduit non
seulement la position de plus en plus centrale des populations nomades sur la scène politique
maghrébine — al-Idràsà écrivant après l’arrivée des Hilaliens et au moment de la chute de la
dynastie almoravide —, mais évoque également un changement dans la perception du nomade
et de son rôle militaire. Sur le rôle militaire des nomades, voir la réflexion de Paul, 2004.
48
Le nom berbère de ce groupe signifie « non-résidents, non-sédentaires » ; c’est l’opposé de
IméaÉran (ou ImdaÉran), les résidents ou les sédentaires, qui a donné le nom des tribus MéaÉra
(ou MdaÉra). Voir Ibn al-Zayy®t, Al-taåawwuf ilÄ riÑÄl al-taãawwuff, p. 379.
49
Al-Bakr∞, Description de l’Afrique septentrionale, p. 152 (texte arabe).
50
Ibn Ab∞ Zarfi al-FÄsà, Al-Anàs al-muérib, p. 31.
51
KitÄb al-istibãÄr fà fiagÄ’ib al-amãÄr, p. 187. Voir également Colin, 1965.
52
Ibn fiAbd al-fiAª∞m, BahÑat al-nÄìiràn, pp. 55-56.
53
Cornell, 1998, p. 50.
54
Al-Yafiqπb∞, KitÄb al-buldÄn, p. 360.
55
Al-Masfiπd∞, MurëÑ al-Çahab, t. ii, p. 377. En citant al-FÄzÄrà, auteur de la fin du viiie siècle,
le polygraphe estime la superficie du territoire des Anbiya à 2 500 parasanges sur 600.
56
Ibn al-Faq∞h al-öam™®n∞, Muátaãar kitÄb al-buldÄn, p. 81. Il situe le territoire des
Anbiya à partir du Sous, à 70 nuits de marche. Il attire l’attention sur la qualité des adargues,
célèbres boucliers de cuir qui ont fait la réputation d’artisans et de guerriers des Berbères
sahariens. Voir Buttin, 1960.
57
Lewicki, 1962, pp. 528-529.
58
Ibn öawqal, KitÄb ãërat al-arÅ, p. 84.
59
Ibid.
60
Ibid., p. 100.
intéressante car, au-delà du fait que l’on possède ici la plus ancienne mention
du mot nwÄla, l’information pose le problème de la date de l’introduction et
de l’étendue de la tente chez les populations sahariennes.
Ibn öawqal précise par ailleurs les ethnonymes de quelques-unes des tri-
bus berbères nomadisant entre SiÑilmÄsa et AwdÄÉust : †aréa (qu’il faudrait
peut-être lire Saréa), Samaséa (?) et Banë Massëfa. En insistant sur la frugalité
de leur alimentation qui ne connaît pas les céréales, il évoque leurs terrains
de parcours situés dans une zone continentale ; il loue leur courage, leur rapi-
dité dans la course, leur agilité pour monter les chameaux et note également
leur connaissance des milieux arides qu’ils fréquentent61. Le voile (lièÄm) des
üanhÄÑa ne manque pas d’attirer son attention : il décrit leur habitude de se
voiler, parce que la bouche est considérée chez eux comme une fiawra62.
Al-Bakrà apporte des éléments supplémentaires sur les üanhÄÑa du dé-
sert, d’autant plus qu’il compose son ouvrage au moment où ces derniers
ont mené, sous la bannière du mouvement almoravide, leurs premières
conquêtes au nord du Sahara. Les noms de nouveaux groupes apparais-
sent : les GdÄla, qui contrôlent le gisement de sel d’Awlàl63 ; les Lamtëna 221
et les Banë Yantsar64. Al-Bakrà est le premier à donner quelques précisions
sur les déplacements et les limites des territoires parcourus par ces tribus :
ainsi, il nous apprend que les Lamtëna estivaient dans deux endroits dé-
finis, Amaélës et Taliwàn, proches de BilÄd al-SëdÄn. Quant aux GdÄla,
ils sont localisés sur la frange littorale du Sahara65. L’économie des üan-
hÄÑa du désert est fondamentalement basée sur leur vocation pastorale ; la
qualité des moutons al-damÄniya, caractéristiques de ces populations, est
louée par al-Bakrà66.
L’habitat nomade :
quelques spécificités maghrébines ?
61
Ibid., p. 101.
62
Ibid., p. 102. Le terme fiawra désigne toute partie honteuse du corps. Sur le tabou de la
bouche chez les populations nomades sahariennes, voir Al-Bakr∞, Description de l’Afrique sep-
tentrionale, p. 170 (texte arabe), puis le témoignage plus tardif de Da Mosto, 2003, pp. 43-44.
Pour les Touaregs actuellement, voir Lhote, 1984, pp. 152-153.
63
Al-Bakr∞, Description de l’Afrique septentrionale, p. 171 (texte arabe).
64
Ibid., p. 164.
65
Ibid., p. 164.
66
Ibid., p. 171.
L’on est d’abord frappé par le nombre relativement limité des mentions
de tentes, en comparaison avec les multiples occurrences des habitations en
matériaux végétaux. L’existence des tentes ne fait pourtant guère de doute.
Al-Muqaddasà (vers 990) déclare dans une annotation à l’un des manuscrits
de son texte que les habitants du Sous ne résident pas dans les villes mais éli-
sent demeure dans les maisons de poil, référence claire à des tentes en peaux
de chèvre ou de chameau67. La même habitation est attribuée aux ZwÄÉa et
Banë YarÉèan du Moyen Atlas68. Le terme qayéën (pl. qayÄéàn), utilisé égale-
ment pour qualifier une tente, apparaît dans deux contextes différents : chez
les MazÄta fréquentant les Aurès69, et chez les transhumants du Moyen Atlas70.
Quant aux huttes, habitations en matériaux végétaux, elles sont généralement
désignées par les termes áuãã ou nwÄla. Si le premier mot, d’origine arabe, est
commun, le second dénote une spécificité maghrébine. L’analyse linguistique
a en effet attesté sa racine berbère awl, qui a donné lieu également au latin
mapalia, utilisé par les auteurs antiques pour qualifier les habitations trans-
portables des Berbères71.
222 L’ambivalence de la terminologie utilisée est l’un des problèmes majeurs
que pose l’identification de l’habitation des nomades. Ainsi, le terme « tente »
et ses équivalents communément utilisés dans les langues européennes re-
couvrent des réalités techniques très diversifiées. La distinction, qui semble de
première vue claire, entre la tente et la hutte est finalement moins aisée que
l’on peut le penser car souvent l’ossature qui accueille un vélum peut servir
aussi pour une superstructure en matériaux végétaux. Une telle polyvalence
est d’ailleurs attestée au Maghreb par des exemples ethnographiques.
Il semble néanmoins que la classification la plus pertinente reposerait sur
la distinction entre deux types : d’abord, des structures à ossature (framed
tents), pour lesquelles les supports et la couverture sont établis indépen-
damment ; l’ossature, stable, peut tenir seule avant de recevoir la couverture
(qu’elle soit en matériaux végétaux ou textiles). Le deuxième type concerne
les structures tendues (velum tents), dans lesquelles la couverture tissée (le
vélum) et l’ossature sont interdépendantes72.
Cette distinction faite, il convient de s’interroger sur la nature des habita-
tions qui étaient utilisées au Maghreb avant l’arrivée des Arabes hilaliens ; les
tentes mentionnées dans les sources relevaient-elles du premier ou du second
type ? La question mérite d’être posée, car elle ouvre des pistes intéressantes
67
Al-Muqaddas∞, KitÄb aÜsan al-taqÄsàm, note de la p. 221.
68
Ibn Ab∞ Zarfi al-FÄsà, Al-Anàs al-muérib, p. 31.
69
Al-Q®©∞ al-Nufim®n, KitÄb iftitÄÜ al-dafiwa, p. 108.
70
Al-fiAzaf∞, DifiÄmat al-yaqàn, p. 63. Composé entre 1216 et 1223, ce recueil hagiographique
est consacré à la vie et aux miracles d’Abë Yafiza, célèbre mystique du xiie siècle originaire du
Moyen Atlas.
71
Marcy, 1942.
72
Alford Andrews, 1997, p. 3.
73
Sur la tente noire bédouine, la littérature ethnographique est très abondante ; on peut
consulter à titre d’exemple Cribb, 1991, pp. 86-88 ; Golvin, 1957-1958 et Maurières, Ossart
et Lapeyrie, 1996.
74
Malheureusement, à la différence du Proche-Orient, ou à une moindre mesure de
l’Afrique subsaharienne, aucun site archéologique médiéval de peuplement nomade n’a été
fouillé au Maghreb.
75
Saidel, 2008, pp. 469 et 479.
76
Laoust, 1930, pp. 168-169.
inscrivant l’émergence puis l’évolution des groupes nomades dans une op-
position permanente avec les sédentaires. La nécessité de restituer les pro-
cessus de territorialisation et d’examiner les modalités d’articulation avec
les autres formes d’occupation de l’espace exige un renouvellement de nos
approches par le croisement permanent des sources et le recours, souvent
salutaire, aux apports théoriques d’autres sciences humaines.
Avant l’avènement des Hilaliens au Maghreb à partir du milieu du xie siècle,
la pratique du nomadisme se conjugue au pluriel. La diversité de l’étendue et
des rythmes de mobilité, des écosystèmes, des modalités de la construction
des territoires, ou encore la variété des stratégies résidentielles et des formes
d’association entre l’économie pastorale et les autres activités de mise en va-
leur des ressources naturelles, font des nomadismes des phénomènes socio-
économiques et territoriaux complexes.
Enfin, en focalisant l’attention sur la documentation produite avant les
grandes migrations hilaliennes, l’on a pu remarquer la spécificité de la re-
présentation du nomade durant la première époque islamique. C’est que
224 l’histoire du nomadisme en général — et le cas du phénomène hilalien est
là pour nous le rappeler constamment — est d’abord une histoire écrite à
travers le prisme d’une vision de citadins et de sédentaires. Infléchir cette
tendance en plaçant nos sources dans leur contexte de production est indu-
bitablement l’un des éléments d’une nouvelle grille de lecture de l’histoire
rurale du Maghreb médiéval.
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Mots-Clés 227
- Organisation tribale,
Nomades et sédentaires, Nomadisme au Maghreb, Nwala,
Transhumance, Tentes.