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Caquot André, Masson Olivier. Deux inscriptions phéniciennes de Chypre. In: Syria. Tome 45 fascicule 3-4, 1968. pp. 295-321;
doi : https://doi.org/10.3406/syria.1968.6016
https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1968_num_45_3_6016
PAR
(x) En plus des abréviations usuelles, nous (8) Sans doute Paul-Louis Couchoud, cf.
signalons : Donner-Rollig, KAI = Kanaa- BCH, 90 (1966), p. 8.
nâische und Aramàische Inschriften, II, Wies- (4) Les seuls renseignements connus ont
baden, 1964; Masson, ICS — Les inscriptions été fournis, d'après Couchoud, par P. Lacau,
chypriotes syllabiques, Paris, 1961. BIFAO, 2 (1902), p. 207.
(2) Publication annoncée dans ICS, p. 248,
n. 2.
296 SYRIA [XLV
Il s'agit d'un socle en calcaire, en forme de pyramide tronquée; hauteur 40 cm, largeur
à la base environ 15 cm, au sommet 13 et 12,5 cm; sur le dessus, trou ménagé pour recevoir
une statuette. La face antérieure porte une inscription de trois lignes soigneusement gravées
(fig. 2), sur 12 cm de longueur et 6 cm de hauteur environ. Un éclat de la pierre a fait
disparaître une partie de la dernière lettre de la ligne 2, aussi, ce qui est plus grave, une ou deux
lettres à la fin de la ligne 3.
(1) 's p'i ' 'smn- (2) his ' hql' ' l'- (3) dny ' Irsps..
(!) Détails sur le site dans BCH, 1966, nouvelles dans RÉS, n° 1 214 (paru en 1916)
p. 7-8; carte de la région de Pyla, fig. 1. (4) Chez Lacau, fig. 1, reproduction très
(2) Pour Vigla, ibid., p. 8-9 et fig. 1; réduite d'une photographie; fig. 3, bon fac-
T. B. Mitford, AJA, 65 (1961), p. 116. similé. Nous donnons ici une vue d'ensemble
(3) « Une inscription phénicienne de Chypre », (fig. 1) et une vue de la partie inscrite (fig. 2).
BIFAO, l. c, pp. 207-211; résumé sans vues (5) Pour les détails, voir BCH, 1966, p. 8.
Fig.
au 1.Musée
— Dédicace
du Louvre,
phénicienne
AO 4411 de= Palaeo-Kastro,
RÉS, 1214.
(*) O. c, p. 209. La date du « ive siècle » p. 24) situe la trouvaille en 1872 sur la colline
dans RÉS doit provenir d'un lapsus. dite Muti Shinois ou plutôt Shinoas, au nord
(2) Nous remercions M. Février, qui nous d'Amathonte, entre Kellaki et Sanidha; elle
a aidés avec la plus grande complaisance à est invérifiable et probablement trop précise
l'occasion de ce travail. (acceptée par Ohnefalsch-Richter, Das Aus-
(3) La provenance exacte est inconnue, land, 1891, p. 502; Kypros, die Bibel..., I,
Honeyman, Iraq, 6 (1939), p. 106, n° 8; 1893, pp. 21 et 165, n. 2, etc.). En revanche,
c'est le numéro 397 dans la collection épigra- il n'est plus possible d'attribuer ces
phique. Voir BCH, 92 (1968), p. 379, pi. XXI. inscriptions à la région de Sidon comme le voulait
(4) Fragments conservés depuis 1877 à Renan, CIS I, 5 (cf. J. des Sav. 1877, p. 492).
Paris, Cabinet des Médailles; n° 2 291 chez Un culte du « Ba'al du Liban » a pu exister
Babelon-Blanchet, Catal. bronzes ant. de sur la côte méridionale de Chypre,
la Bibl. Nat., 1895, p. 698 sq. On sait qu'ils précisément dans la Kartihadast ou « Carthage »
ont été achetés à un collectionneur de Limassol, chypriote, quel qu'en ait été le site exact.
G. N. Lanitis, et que la provenance exacte (5) Voir Giselle Halff, « L'onomastique
en est ignorée; une tradition locale punique de Carthage », Karthago, XII (1963-
communiquée par Lanitis (lettre chez Renan, CIS I, 64) [paru 1966] , pp. 90 et 68.
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(*) Article cité, p. 210. (5) Article cité, pp. 210-211; à Tamassos,
(2) Koehler-Baumgartner, Lexicon in Vete- ces épithètes correspondent respectivement
ris Testamenti libros, 1958, p. 841. à Apollon Heleitas et Apollon Alasiôtas,
(3) Pour l'hébreu, Koehler-Baumgartner, ICS, n°B 215 et 216.
ibid. L'hypothèse de Lacau est acceptée (6) O. Masson, BCH, 1966, p. 1.
chez Jean-Hoftijzer, Dictionn. des inscr. (7) On ne peut retenir une suggestion de
sémitiques de l'ouest, Leyde, 1965, p. 259, L. H. Vincent, Rev. Bibl., 37 (1928), p. 532,
avec ce commentaire : « substantif (ou plutôt n. 2, voulant chercher ici un dieu « Reseph-
QAL participe actif d'une racine ql'?) Seth » (voir plus loin, p. 312, n. 0 in fine).
frondeur (ou : fabricant de frondes?) ». D'autre part, la longueur de la lacune interdit
(4) Au sujet du dieu Reshef, voir nos de retrouver une épithète phénicienne
remarques plus loin, p. 307 sqq. correspondant au rsp s ^r] mini (= rsp slmn) d'une
300 SYRIA [XLV
à un « Reshef des cieux », en lisant rsp s[mm] ou s[m] ; le plusiel smm est
attesté en phénicien (1) ; d'autre part, on connaît à Sidon une « Astarté
des cieux », *strt sm, dans l'inscription d'Eshmounazar, CIS, I, 3, ligne 18,
selon une interprétation qui est parfois admise (2). On pourrait aussi
envisager de lire rsp s[r], « Reshef le prince », sr étant donné comme titre à
Eshmoun dans les inscriptions de fondation du temple d'Eshmoun à Sidon,
KAI, no 15.
Il a existé en tout cas différents aspects de Reshef, dont les épithètes
sont plus ou moins obscures pour nous : le Reshef mkl, dont il sera question
en détail plus loin, le Reshef hs de Kition, que nous examinerons en
appendice, le Reshef sprm, « Reshef aux oiseaux », révélé par Karatepe (3).
Mais on voit que notre dédicace, malgré sa brièveté, apparaît fort
intéressante, puisqu'elle atteste, vers le vne siècle, le culte d'un Reshef
très peu connu dans les environs de Kition.
inscription égyptienne d'Aberdeen du xve s.; (4) D'après J. Asiat. 1867, II, p. 97, la pierre
voir en dernier lieu G. Goossens, Chron. fut découverte quelque temps auparavant
d'Eg., 29 (1940), pp. 65-66 et W. Helck, Die par Démétrios Piérides « près de Larnaca » ;
Beziehungen Aegyptens zu Vorderasien..., malheureusement, nous n'avons pas d'autre
Wiesbaden, 1962, p. 487. renseignement sur l'emplacement original.
(1) Jean-Hoftijzer, o. c, p. 308. Pour l'expédition Vogûé-Waddington à Chypre
(2) Dans ce sens, le CIS; G. A. Cooke en 1862, voir O. Masson, cette revue, 30 (1953),
A Text-Book of North-Semitic Inscriptions, p. 85 sqq.
Oxford, 1903, p. 37 sqq. (5) Première mention dans Rev. Arch. 1862,
(3) A. Caquot, Semitica, VI (1956), p. 55, I, p. 346, et étude ibid. II, p. 247-248; ensuite
etc.; une autre interprétation chez Dahood, J. Asiat., l. c, pp. 97-104.
Biblica, 44 (1963), p. 70 sq.; bibliographie (6) Par exemple chez Donner-Rollig, KAI,
chez P. Matthiae, Oriens Antiquus, 2 (1963), p. 50, n° 32 : « Paris ».
p. 42, n. 78.
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lignes 3-4
son seigneur, le Reshef-#s ». Que signifie le mot hs accolé au nom divin?
On a tout de suite songé au nom de la flèche, en rapprochant hébreu hês,
etc. (4), et en reconnaissant dans notre dieu un archer divin (5).
(x) Don annoncé par Héron de Villefosse, T. B. Mitford, AJA, 65 (1961), pp. 113-115
CRAI, 1917, pp. 102, 106. (sur la même face de la pierre, mais en sens
(2) Antérieurement, vue d'ensemble dans inverse, figure une dédicace grecque
CIS, I, 1, pi. V, 10; estampage dans J. Asiat, alphabétique plus récente, faite par le peuple de
l. c, pi. II. Kition, SEG, XX, n° 133).
(3) Pour la chronologie de Pymiaton (ca. (4) Koehler-Baumgartner, Lexicon, p. 323.
362-312 av. notre ère), fils de Milkiaton, voir Le mot fys est maintenant bien attesté en
O. Masson, ICS, p. 225, n° 2, et p. 273. On phénicien, précisément sur des pointes de flèches
connaît depuis peu une nouvelle inscription ou de lances, Donner-Rollig, KAI, n08 20-
de Pymiaton, découverte en 1954 près de 22; cf. Jean-Hoftijzer, Dictionnaire, p. 94.
Dhromolaxia (au sud-ouest de Larnaca-Kition), (5) Déjà Vogué, Rev. Arch., 1862, II, p. 248;
qui est datée de l'an 34 du règne, soit 329/8. J. Asiat., 1867, II, p. 103; autres études énu-
Voir A. M. Honeyman, JRAS, 1960, pp. 111- mérées dans la bibliographie de CIS, I, 10.
112, et les commentaires intéressants de
SYRIA, T. XIV. 19
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en tout cas, à
exécutées par Lang en
est entré au British
longue série d'objets et
Dhali (1). Nous le publions
ici (pi. XXIII et XXIV) avec l'aimable autorisation de M. R. D. Barnett(2).
L'inscription phénicienne est composée de deux lignes d'écriture
commençant à la face A et continuant sur les faces B, C, D; la hauteur
moyenne des caractères est de 5 mm.
La ligne 1 est d'une lecture malaisée; trois lettres ont été endommagées
et la forme bizarre de certains caractères rend leur identification difficile.
Nous avons soumis l'objet à M. J. Février, auquel nous sommes redevables
de la lecture proposée ci-dessous pour la ligne 1.
f1) Au sujet des inventaires rédigés en 1872 les autres ayant été transférées au « Department
et 1873 au moment de l'achat définitif par of Greek and Roman Antiquities », parfois avec
le British Museum, voir O. Masson, BCH, de nouveaux numéros.
1966, p. 14, n. 7; ajoutons que les pièces de (2) Pour cette autorisation et pour de
caractère « oriental » sont demeurées au nombreux renseignements, nous remercions ici
département des «Western Asiatic Antiquities », M. Barnett, ainsi que M. Mitchell
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I1) Deux études viennent de lui être voir A. Caquot, Semitica, XV (1965), pp. 29-
consacrées en Italie : P. Matthiae, « Note sul dio 33.
Siriano Resef », Oriens Antiquus, 2 (1963), (4) W. von Baudissin, Adonis und Esmun,
pp. 27-43; F. Vattioni, « II dio Resheph », Leipzig, 1911, p. 259 sqq., 275 sqq., a envisagé
Ann. 1st. Univ. Orient. Napoli, Sez. orientale, toutes les possibilités d'exégèse : la
15 (1965), pp. 39-74. juxtaposition peut impliquer soit une « copule latente »
(2) II n'existe pas de représentation figurée x-y = x [et] y, soit une relation génitivale,
de cette divinité à Chypre; on écartera par x [de] y, elle-même susceptible d'être comprise
exemple l'identification prématurée jadis de différentes manières : x [fils de, parèdre de,
proposée avec conviction par H. A. Tubbs, JHS, qui appartient à] y, soit une identification
11 (1890), pp. 89-91, pour une petite statuette ou une assimilation : x [qui est] y. R. Dussaud
de bronze (homme casqué) trouvée au site s'est prononcé à plusieurs reprises pour une
de Limniti : BCH, 1968, p. 409 (fig. 31). Voir filiation x [fils de] y, voir en dernier lieu cette
aussi Vattioni, o. c, p. 40, n. 5. revue, 25 (1946-48), p. 229.
(3) Citons comme exemples 'smn mlqrt, CIS, (5) Textes chez Marg. Guarducci, Inscrip-
I, 16 et 23; 'smn 'strt, ibid. 245; sd mlqrt, tiones Creticae, IV (1950), n. 72, III, 8 (un
ibid. 256; rsp mlqrt, voir J. M. Sola-Solé, sanctuaire 'A(i.uxXaïov à Gortyne), 182, 23
Semitica IV (1951-52), pp. 25-31; mlk 'strt, (un mois 'A(j.uxXaïoç, peut-être aussi dans
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173, 12), 172, 3 (des 'AfzuxXaïoi). Dans ce (3) O. c, p. 177; il rapprochait le b'smm
cas, on sait qu'il s'agit de l'Apollon laconien, b'nsm de l'inscription phénicienne de Cagliari,
en raison des relations existant entre Gortyne CIS, I, 139 = KAI, 64.
et Amyclées, Guarducci, pp. 18, 32, 155. (4) L'inscription en grec alphabétique citée
(*) Colonna-Ceccaldi, Monuments antiques plus haut est due à des Phéniciens, comme
de Chypre..., 1882, pp. 196-198, etc.; O. Mas- le prouve l'onomastique : Mvaaéaç (nom grec
son, ICS, p. 235, n. 2 et nouvelle édition, affectionné par les Phéniciens, cf. O. Masson,
dans BCH, 1968, p. 397-400 (fig. 25). On notera ICS, p. 226), 'A^irjç et rirjpucTficov.
de toute manière que l'auteur de cette dédicace (8) Comme l'a fait remarquer G. Hill,
est précisément un Phénicien hellénisé, Mva- Hist, of Cyprus, I, p. 87.
aéaç 'AiJnrjTOÇ : voir plus loin, n. 4. (6) Dans ce sens, J. Euting, Sechs pho'nik.
(2) Telle était l'opinion de P. Schroder, Inschr. aus Idalion, 1875, p. 7; Vogué,
Monatsber. Berliner Akad., 1872, p. 336, J. Asiat., 1875, I, p. 326; Renan, CIS, I,
n. 0; Mordtmann, ZDMG, 32 (1878), p. 557 sq.; p. 106; P. Foucart, BCH, 1883, pp. 512-513,
W. Deecke, Sitz.-Berichte Berlin, 1887, etc. Mais on ne peut suivre Ohnefalsch-
p. 115; Clermont-Ganneau, Recueil, I (1888), Richter, Kypros, die Bibel..., I, p. 332, qui
p. 176; G. A. Cooke, Text-Book, p. 76, etc.; allait jusqu'à imaginer que l'Apollon d'Amy-
cf. O. Masson, ICS, p. 248. clées représenterait une forme hellénisée de
SYRIA, XLV (1968), 3-4 PI. XXIII
notre dieu phénicien! On retrouve une idée égyptienne est une simple habitude graphique,
analogue chez W. F. Albright, BASOR, 90 surtout devant un k: Burchardt, Die altka-
(1943), pp. 33-34, pour qui le dieu Mkl, d'ori naanàischen Fremdworte... im aegyptischen,
gine sumérienne (??), aurait été connu à Leipzig, 1909, § 59; W. Helck, Die Beziehun-
l'ouest à la fin de l'âge du bronze et aurait gen Aegyptens, p. 601.
donné son nom à la ville d'Amyclées (?). (5) Vincent, o. c, p. 526. Même opinion
D'autre part, c'est introduire une difficulté chez W. F. Albright, Archaeology and the
supplémentaire que de vouloir chercher sous Religion of Israel2, Baltimore, 1956, p. 79;
les vocables grec et sémitique un nom divin O'Callaghan, Orientalia, 20 (1949), p. 202.
supposé autochtone ou « étcochypriote », (6) Selon O. Eissfeldt, « Philister und
comme l'a fait J. L. Myres, Handbook Cesnola Phônizier », Der Alte Orient, 34, 3 (1936),
Collection, New York, 1914, p. 127, suivi en p. 15, mkl est « ein im 2. Jahrtausend vom
partie par Hill, o. c, p. 87, n. 3. Festland nach Zypern gekommener phô-
(1) L. H. Vincent, « Le Ba'al cananéen de nizischer Gott ». Certaines réserves émises
Beisan et sa parèdre », Rev. Bibl., 37 (1928), par A. Rowe concernent seulement l'origine
en particulier, pp. 512-514; A. Rowe, The de la divinité, Topography... of Beth-Shan,
Topography and History of Beth-Shan, p. 17. Il remarque que les fouilles du site ont
Philadelphie, 1930, pp. 14-15. révélé une forte influence méditerranéenne,
(2) Pour ces éléments, voir Vincent, o. c, qu'on doit attribuer à des mercenaires
p. 517; les détails du vêtement rapprochent occidentaux installés là par les Égyptiens. Ces
le dieu du Seth-Soutekh de Tanis, cf. Montet, soldats auraient pu introduire le culte de mkl,
Kemi, 4 (1931-33), p. 191 sqq. qui se serait d'autre part conservé à Chypre.
(3) Vincent, o. c, p. 538. Mais est-il vraisemblable que le représentant
(4) La présence d'un ' dans la transcription du Pharaon ait élevé un temple à un dieu
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mkl, d'un plus ancien *m'kl, par le « dévorant»; cette solution a été
envisagée par S. Langdon, qui y voyait le titre d'un dieu en l'honneur duquel
on faisait passer les enfants par le feu (1). Une autre idée a été proposée
jadis par Euting : on aurait mekîl « protecteur » (2), d'une racine kwl qui
est attestée en hébreu au sens de « contenir », ou, à l'intensif, « nourrir »,
mais est inconnue en phénicien. De son côté, M. de Vogué (3) songeait
à la racine kly qui existe en phénicien, en hébreu, et aussi en ougaritique,
avec le sens d' « être achevé », au factitif « achever »; sa traduction «
destructeur » trouverait un appui en ougaritique (4). Enfin, L. H. Vincent a
expliqué mkl comme un participe intensif ou causatif de ykl, en hébreu
« pouvoir », avec le sens de « vainqueur et puissant par excellence » (5) ;
le dieu de Beth-Shan serait désigné par une épithète rappelant le titre
égyptien de Seth, phty « le puissant ». Toutes ces tentatives sont recevables :
aucune ne s'impose particulièrement, tant que nous ignorons la nature
et les fonctions du dieu ainsi nommé.
L'analyse de l'expression rsp hmkl fournie par le nouveau document
d'Idalion laisse donc ce problème ouvert. Il est vraisemblable que mkl
est un mot sémitique, mais le sens nous en échappe. Son emploi avec
l'article, en tout cas, tend à montrer en lui non pas un vieux nom divin, comme
pouvait le faire croire l'antique mention palestinienne de m(k\ r, mais
une épithète dont on a dû faire un titre divin. A Chypre, il était réservé
apparemment à Reshef, sans appartenir de manière organique à cette
divinité puisque le dieu de Beth-Shan n'est pas un Reshef, mais un Ba'al
sémitique assimilé par les Égyptiens à Seth-Soutekh (6). Il est évidemment
(*j Mythology of all Races — Semitic, Boston, logie a été acceptée par D. Nielsen, Der
1931, pp. 50 et 389. On notera que la chute dreieinige Gott, II. 1, Copenhague, 1942, p. 182.
d'un ' radical est rare en phénicien, cf. (6) Selon Vincent, o. c, p. 532, m'k \r jmkl
Friedrich, o. c, p. 10, § 14. serait un adjectif dissimulant le nom véritable
(2) Sechs phônik. Inschriften, p. 7 : « etwa du dieu de Beth-Shan, qui serait Reshef. Il
Mêkhîl... der Beschûtzende ». trouverait dans un cylindre provenant du
(3) J. Asiat., 1875, I, p. 325. même site, p. 528-532, la justification de cette
(4) Voir C. H. Gordon, Ugaritic Manual, identité. On y voit le pharaon Ramsès III
Rome, 1955, glossaire, n° 912; Aistleitner, criblant de flèches un bouclier surmontant
Wôrterb. der ugarit. Sprache, 1963, p. 148 sq. un pal, auquel sont liés deux prisonniers
(n<> 1 317). asiatiques; de l'autre côté du bouclier et
(5) Vincent, o. c, pp. 526-527. Cette étymo- faisant face au pharaon, un dieu debout, de
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profil, vêtu d'une tunique et coiffé d'une Shan soit un Reshef : le cylindre montre
tiare conique qui est ornée d'un protome au-dessus de l'image divine l'idéogramme nb
de gazelle. Ce dernier détail invite à en souvent employé pour désigner Seth 1' « Ombite»
rapprocher les monuments égyptiens de Reshef : (nbty). En outre, Rowe, Catal. of Egyptian
voir Ch. Boreux, Mélanges R. Dussaud, II, Scarabs, Le Caire, 1936, p. 253, a distingué
1939, p. 673 sqq. (sur ces problèmes auprès du dieu l'image de l'animal séthien.
d'iconographie, en dernier lieu P. Matthiae, Oriens Les traits de Reshef relevés dans la figure
Antiquus, 2, 1963, p. 27 sqq.). Comme il est divine du cylindre montrent que les deux
probable que le dieu du cylindre est le même divinités pouvaient confondre leurs attributs
que celui de la stèle, L. Vincent conclut : dans une certaine mesure, mais ils ne
« sous la forme spéciale où il présidait aux permettent pas de donner au mkl de Beth-Shan un
destinées de Beth-Shan, Ba'al = Soutekh autre nom que celui de Seth-Soutekh.
avait pour appellation qualificative mikal D'ailleurs, la qualification de Reshef par mkl,
'tout puissant' — et pour nom propre Reshep ». attestée à Idalion, ne suppose pas
Cette identification ne pourrait être tenue nécessairement que le dieu de Beth-Shan ait été un Reshef,
pour certaine que si un texte identifiait Sou- même si rnk\r lui est seulement donné comme
tekh-Mikal et Reshef. Or, le type titre et même si ce nom n'est qu'une forme
iconographique de Reshef demeure en Egypte distinct égyptisée d'un mkl sémitique connu plus tard
de celui de Soutekh-Ba'al, et le protome de à Chypre.
gazelle est caractéristique d'autres divinités (*) Voir les bilingues de Tamassos, RÉS,
sémitiques (Horon, Shed); il ne suffit donc 1212 et 1213 = ICS, 215 et 216, avec le
pas à identifier son porteur à Reshef. commentaire; O. Masson, Éléments orientaux, pp. 139-
Trouverait-on en dehors de l'Egypte le lien qui 141; P. Matthiae, o. c, p. 38.
fait défaut? L. Vincent a suggéré de retrouver (2) Selon le procédé que Clermont-Gan-
un Reshef-Seth dans la dédicace phénicienne neau a mis en lumière pour la transposition
de Chypre RÉS 1214 (republiée ci-dessus, en grec des noms sémitiques de personne,
p. 295 sqq.), mais sans vraisemblance. D'autre Recueil, I, p. 186.
part, il n'est pas certain que le dieu de Beth-
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 313
Par la suite, Chabot a supposé que le premier mot pourrait être la fin
d'un anthroponyme composé tel que 'smn'dn, Eshmounadon, mais il
était gêné par Mlqrt ; « l'emploi du nom divin Mlqrt comme nom propre
de personne paraît singulier », et l'on pourrait pallier cette difficulté en
voyant ici un hypocoristique de nom théophore (1). Cependant, nous
préférerions comprendre ainsi le fragment : « [à] (nom divin)... son seigneur,
(x) On connaît un Mlqrt à Carthage, CIS, 'bnsms, bnb'l, etc.; cf. Milik, BASOR, 143
I, 4062, cf. G. Halff, Karthago, XII, p. 121. (1956), p. 5, n. 25.
(2) On sait que la plupart des fragments (4) Suivi par Harris, o. c, p. 117.
de Batsalos, CIS, I, 14 à 39, sont des dédicaces (5) Cf. G. Halff, o.c, pp. 77 et 101 ; comparer
au dieu Eshmoun-Melqart. Eliézer, etc.
(3) Harris, Grammar Phoen. Lang., p. 87 :
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 315
Nous profitons de l'occasion qui nous est offerte ici pour republier,
avec des reproductions, deux autres inscriptions phéniciennes fragmentaires,
découvertes en 1894 par J. L. Myres dans une nécropole dite Turabi Tekké,
au sud de la vieille ville de Larnaca, en dehors de la partie méridionale des
murailles anciennes de Kition (1). Au cours de la construction de la route
de Nicosie, ce site avait déjà livré en 1880 une stèle avec inscription
phénicienne, CIS I, 44 = KAI, 34, qui est conservée au British Museum,
inv. 125.096 (2). Les travaux de 1894 ont mis au jour à Turabi trois
documents phéniciens.
a) Une stèle de marbre blanc en forme d'obélisque à quatre côtés,
RÉS, 1206; elle se trouve également au British Museum, inv. 125.082 (3).
b) Une stèle de calcaire, avec fronton orné d'acrotères, hauteur 83 cm;
sous le fronton, deux lignes de texte, quelques lettres manquant à
gauche (4) ; en dessous, dessin sommaire d'un objet, peut-être un rabot (5);
texte repris dans RÉS, 1207. Ancien numéro 6 231 au Musée de Nicosie (6),
inventaire actuel des inscriptions, n°396. Nouvelle reproduction ici (fig. 6).
Le texte se lit sans difficulté : (1) Vbdistr(t) bn 'smn [ - - ] (2)hrs 'glt pH
z y[- - ]. C'est-à-dire : « Pour Abdashtar(t), Tris d'Eshmun [...] le charron.
A fait cela Y[...] ». Comme on l'a vu dès le début, l'expression hrs 'glt
désigne un « fabricant de chariots », un charron (7) ; mais la fin du texte fait
difficulté, et nous proposons notre interprétation avec prudence (8).
(!) Myres, JHS, 17 (1897), p. 152 sqq. et A. M. Honeyman, Iraq, 6 (1939), p. 104, n° 1.
carte de la p. 149. (7) Au sujet du terme hri, voir M. Sznycer,
(2) Cf. Myres, o. c, pp. 152 et 171; « Une inscription punique trouvée à Monte
reproduction dans CIS, I, pi. VIII, 44 et 44 a. Sirai », Semitica, XV (1965), pp. 35-43,
(3) Reproduction dans Cooke, notamment 40 sq.
North-Semit c Inscriptions, pi. II. (8) Le RES réunit les deux dernières lettres,
(4) Myres, o. c, p. 172, n° 2; publication zy[, en y voyant le début du nom propre
par Cooke, The Academy, l. c. qui doit terminer le texte. Il existe bien des
(5) D'après l'interprétation d'E. Michon, anthroponymes commençant ainsi dans des
Rev. Arch., 1900, I, p. 458. inscriptions puniques (voir G. Halff, Kar-
(6) Myres & Ohnefalsch-Richter, Catal. thago, XII, p. 108); on peut y joindre zybqm
Cyprus Museum, p. 172; simple mention chez à Malte [CIS, I, 132; cf. M. Guzzo Amadasi,
316 SYRIA [XLV
Fig. 6. — Partie supérieure de la stèle de Kition Fig. 7. — Fragment de stèle, même site,
(Turabi), Musée de Nicosie inscr. 396 = RÉS 1207 Musée de Nicosie inscr. 394 = RÉS 1208
(photo Cyprus Museum). (photo Cyprus Museum).
Le iscrizioni fenicie e puniche délie colonie dérant y comme l'initiale du nom propre.
in Occidente, Rome, 1967, pp. 23-25) et zybqt (x) Myres, o. c, p. 172, n° 3; publication
dans le texte d'Avignon {RÉS, 360; Guzzo par Cooke, The Academy, l. c.
Amadasi, o. c, p. 183 sq.). Mais de tels noms (2) Cf. Myres & Ohnefalsch-Richter,
sont unanimement tenus pour libyques. Aussi l. c. ; Honeyman, o. c, n° 2.
présentons-nous cette suggestion, en
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 317
(*) Comme l'indique le RÉS, cette dernière 1957, n° 47, ligne 18 (aussi bnrsp, 9, etc.).
ligne semble complète. (5) Masson, ICS, n° 168, pp. 181-183.
(2) Le complément avec smr[b'l] « Ba'al (6) II s'agit bien d'un génitif, pour un
a conservé » est vraisemblable; nombreux nominatif de la flexion chypriote en -àç, cf.
exemples de ce nom en punique (G. Halff, Masson, l. c. ; on écrit très souvent, à tort, « Ses-
o. c, p. 143). maos » comme nom du personnage, encore
(3) Commentaire de CIS, I, 46 (p. 68). chez Donner-Rollig, KAI, pp. 44, 59, etc.
(4) J. Aistleitner, Wôrterb. der ugarit. Le premier éditeur, Vogué, J. Asiat. 1867,
Sprache, Berlin, 1963, p. 221, n° 1 935, 'bdssm, II, p. 121 sq., opposait bien « Sesmas » (trans*-
chez A. Herdner, Corpus des tablettes en cription du grec alphabétique) à « Sesmaï »
cunéiformes alphabétiques..., 1963, n° 49, (partie phénicienne) ; le même individu
verso, 6; pour bnssm, Aistleitner, ibid., pouvait être appelé ssm' et ssmy.
chez Virolleaud, Pal. royal d'Ugarit, II,
SYRIA. — T. XLV. 20
318 SYRIA [XLV
(*) Aucun élément de comparaison, par les noms des dieux hittites, 1947, chap. II,
exemple, chez E. Laroche, Recherches sur « Divinités hourrites ».
ADDENDA
a) P. 303, note 2. La dédicace CIS I, 88, découverte à Nicosie, avait été attribuée à Larnaca-
Kition par M. de Vogiié, Rev. Arch., II. ce.,' et J.Asiat. 1867, II, p. 87; plus tard Renan, CIS I
(p. 101), a défendu une attribution à Idalion. La solution de Vogué nous paraît bien préférable,
car le culte de Melqart était très important à Kition : voir entre autres Gjerstad, S wed. Cyprus
Exped. Ill (1937), p. 75; K. Nicolaou, Opusc. Athen. V (1965), p. 37 sqq.
b) P. 300. En plus du texte CIS I, 10, d'autres inscriptions phéniciennes de Kition sont
entrées au musée du Louvre. Nous signalons ici en particulier les pierres qui se trouvaient
encore chez D. Piérides à Larnaca, au temps de la rédaction du CIS (« penes Pieridem »), et
qui sont arrivées au Louvre en 1885. La liste suivante donne les correspondances, y compris
les numéros chez Ledrain, Notice sommaire des monuments phéniciens du Musée du Louvre,
Paris, 1888 :
CIS, I, 12 = inv. AO 1454 = Ledrain 132;
13 = — AO 1455 = — 130;
40 = — AO 1451 = — 134;
50 = — AO 1453 = — 135;
51 = — AO 1452 = — 131;
52 = — AO 1449 = — 133;
53 = — AO 1450 = — 136.
On ajoutera deux pierres de Piérides acquises en 1862 grâce à Vogué :
CIS, I, 42 = inv. AO 4948 = Ledrain 163.
— 45 = — AO 4835 = — 137 (et pour la partie grecque, = Le Bas-Wad-
dington 2741).
c) P. 302, note 6. Pour le dieu à la flèche, autre interprétation encore chez W. F. Albright,
Yahweh and the Gods of Canaan, Londres, 1968, p. 121. Il traduit l'expression b'i hz par « The
Lord of Good Fortune », d'après l'arabe hazz « lot, destin, bonne chance ». Les pointes de
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 321
flèche étaient utilisées comme instruments de cléromancie, ce qui expliquerait cette extension
du sens de hz, voir S. Iwry, JAOS,81(1961), p. 27-34.
d) P. 307, note 1. Sur Reshef, voir aussi G. R. Driver, dans Studia semitica I. Bakos ...
dicata, Rratislava, 1965, p. 96 sq.
e) P. 310, note 3. Pour la théorie d' Albright, voir aussi, en dernier lieu, Yahweh and the
Gods of Canaan, p. 121.
/) P. 318. Un autre exemple de Ssmy est proposé pour la Phénicie, chez M. Dunand et
R. Duru, Oumm el-'Amed, une cille de l'époque hellénistique aux échelles de Tyr, Paris, 1962,
p. 194, n° 15, mais avec de grandes réserves de la part des éditeurs eux-mêmes.
g) P. 320. Une conclusion analogue pour Ssm chez F. Grôndahl, Die Personennamen der
Texte aus Ugarit, Rome, 1967, p. 187, qui indique : « Gottheit unbekannter Herkunft ».