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Syria

Deux inscriptions phéniciennes de Chypre


André Caquot, Olivier Masson

Citer ce document / Cite this document :

Caquot André, Masson Olivier. Deux inscriptions phéniciennes de Chypre. In: Syria. Tome 45 fascicule 3-4, 1968. pp. 295-321;

doi : https://doi.org/10.3406/syria.1968.6016

https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1968_num_45_3_6016

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DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE

PAR

André Caquot et Olivier Masson


(PL XXIII-XXIV)

La présente étude est consacrée] essentiellement à deux inscriptions


phéniciennes de Chypre (1); la première est déjà connue, RÉS, 1214, mais
une nouvelle analyse en a paru opportune; quant à la seconde, mise au
jour à Idalion il y a environ un siècle, et conservée au British Museum,
elle est demeurée inédite jusqu'à maintenant (2\ Toutes deux intéressent
le culte du dieu Reshef, aussi nous a-t-il semblé utile d'examiner ici en
détail certains aspects de cette figure divine, en partant des épithètes
fournies par nos inscriptions de Chypre; nous nous sommes aussi occupés
du dieu mal connu Ssm, dont l'origine et le caractère demeurent énigma-
tiques.

I. L'inscription du VIIe siècle de Palaeo-Kastro (région de Pyla-Dhekelia)

En décembre 1902, le Français Couchoud, chargé de mission par


l'Université de Paris (3), achetait à un paysan qui venait de le découvrir un
cippe en calcaire portant une petite inscription phénicienne (4). Le lieu
indiqué pour la trouvaille est le site dit Palaeo-Kastro, sur la côte sud-est

(x) En plus des abréviations usuelles, nous (8) Sans doute Paul-Louis Couchoud, cf.
signalons : Donner-Rollig, KAI = Kanaa- BCH, 90 (1966), p. 8.
nâische und Aramàische Inschriften, II, Wies- (4) Les seuls renseignements connus ont
baden, 1964; Masson, ICS — Les inscriptions été fournis, d'après Couchoud, par P. Lacau,
chypriotes syllabiques, Paris, 1961. BIFAO, 2 (1902), p. 207.
(2) Publication annoncée dans ICS, p. 248,
n. 2.
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de Chypre, dans la région de Pyla, à quelque distance à l'ouest de la base


militaire de Dhekelia (1). La pierre, trouvée en même temps, disait-on,
qu'une tête de Bès, peut provenir effectivement d'un sanctuaire
autrefois situé à Palaeo-Kastro même, ou bien du site voisin de Vigla, où un
sanctuaire d'Apollon a été localisé il y a quelques années (2). Des fouilles
régulières pourraient permettre d'en apprendre davantage sur ce point;
en tout cas, l'existence de ce document atteste la présence d'éléments
phéniciens dans la région de Pyla, ce qui n'est pas surprenant, puisque le
grand centre phénicien de Kition, correspondant à la ville moderne de
Larnaca, se trouve à quelques milles au sud-ouest.
Le monument en question (fig. 1) et l'inscription phénicienne ont fait
l'objet, dès 1902, d'une publication soignée due à Pierre Lacau (3). Mais en
raison de l'intérêt du document, qui semble avoir été peu remarqué, il a paru
opportun d'en apporter ici une étude complémentaire, accompagnée de
meilleures reproductions (4). La pierre est facilement accessible, ayant été
transportée au Musée du Louvre, département oriental, avec d'autres
antiquités chypriotes de la mission Couchoud, inventaire AO 4411 (5).

Il s'agit d'un socle en calcaire, en forme de pyramide tronquée; hauteur 40 cm, largeur
à la base environ 15 cm, au sommet 13 et 12,5 cm; sur le dessus, trou ménagé pour recevoir
une statuette. La face antérieure porte une inscription de trois lignes soigneusement gravées
(fig. 2), sur 12 cm de longueur et 6 cm de hauteur environ. Un éclat de la pierre a fait
disparaître une partie de la dernière lettre de la ligne 2, aussi, ce qui est plus grave, une ou deux
lettres à la fin de la ligne 3.

Le texte a été interprété et traduit comme suit par Pierre Lacau :

(1) 's p'i ' 'smn- (2) his ' hql' ' l'- (3) dny ' Irsps..

« Ce qu'a fait Eshmounhilleç, le frondeur, à son seigneur, à Reshef de Sh... »


La forme des lettres, qui sont très claires, dénote une époque archaïque,
comme l'a bien montré Lacau, en insistant également sur la présence des-

(!) Détails sur le site dans BCH, 1966, nouvelles dans RÉS, n° 1 214 (paru en 1916)
p. 7-8; carte de la région de Pyla, fig. 1. (4) Chez Lacau, fig. 1, reproduction très
(2) Pour Vigla, ibid., p. 8-9 et fig. 1; réduite d'une photographie; fig. 3, bon fac-
T. B. Mitford, AJA, 65 (1961), p. 116. similé. Nous donnons ici une vue d'ensemble
(3) « Une inscription phénicienne de Chypre », (fig. 1) et une vue de la partie inscrite (fig. 2).
BIFAO, l. c, pp. 207-211; résumé sans vues (5) Pour les détails, voir BCH, 1966, p. 8.
Fig.
au 1.Musée
— Dédicace
du Louvre,
phénicienne
AO 4411 de= Palaeo-Kastro,
RÉS, 1214.

Fig. 2. — Même objet, partie inscrite agrandie.


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points de séparation, au nombre de quatre, qui sont un autre trait


d'archaïsme. Ce savant concluait en proposant « une époque antérieure
au vie siècle » (1).
Comme nous le confirme M. James Février (2), on peut placer le document
au vne siècle, ce qui lui donne un intérêt spécial, en le situant tout de suite
après les plus anciens textes phéniciens de Chypre, l'épitaphe du musée
de Nicosie, KAI, 30, qui serait du ixe s. (3), et les dédicaces au Ba'al du
Liban, CIS I, 5 = KAI, 31, de la deuxième moitié du vme s. (4).
Nous ne reviendrons pas ici sur les passages qui ont été élucidés de
manière définitive par Lacau, nous réservant l'examen de certains points.
Le nom du dédicant, 'smnhls, « Eshmoun a délivré », est déjà connu
en phénicien, et précisément par un exemple de Kition, tout proche de
notre site : épitaphe CIS I, 71, ainsi rédigée : l'smnhl[s]' il est beaucoup
plus répandu dans l'onomastique de Carthage (5).
En revanche, le nom de métier qV qui suit est nouveau, et son
interprétation ne paraît pas entièrement assurée. P. Lacau le commentait en ces
termes :

« Ce nom de métier est nouveau en phénicien... Il est précédé régulièrement de l'article h.


C'est évidemment un mot de la forme qattal. La racine ql' se rencontre en hébreu avec

(*) O. c, p. 209. La date du « ive siècle » p. 24) situe la trouvaille en 1872 sur la colline
dans RÉS doit provenir d'un lapsus. dite Muti Shinois ou plutôt Shinoas, au nord
(2) Nous remercions M. Février, qui nous d'Amathonte, entre Kellaki et Sanidha; elle
a aidés avec la plus grande complaisance à est invérifiable et probablement trop précise
l'occasion de ce travail. (acceptée par Ohnefalsch-Richter, Das Aus-
(3) La provenance exacte est inconnue, land, 1891, p. 502; Kypros, die Bibel..., I,
Honeyman, Iraq, 6 (1939), p. 106, n° 8; 1893, pp. 21 et 165, n. 2, etc.). En revanche,
c'est le numéro 397 dans la collection épigra- il n'est plus possible d'attribuer ces
phique. Voir BCH, 92 (1968), p. 379, pi. XXI. inscriptions à la région de Sidon comme le voulait
(4) Fragments conservés depuis 1877 à Renan, CIS I, 5 (cf. J. des Sav. 1877, p. 492).
Paris, Cabinet des Médailles; n° 2 291 chez Un culte du « Ba'al du Liban » a pu exister
Babelon-Blanchet, Catal. bronzes ant. de sur la côte méridionale de Chypre,
la Bibl. Nat., 1895, p. 698 sq. On sait qu'ils précisément dans la Kartihadast ou « Carthage »
ont été achetés à un collectionneur de Limassol, chypriote, quel qu'en ait été le site exact.
G. N. Lanitis, et que la provenance exacte (5) Voir Giselle Halff, « L'onomastique
en est ignorée; une tradition locale punique de Carthage », Karthago, XII (1963-
communiquée par Lanitis (lettre chez Renan, CIS I, 64) [paru 1966] , pp. 90 et 68.
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deux sens distincts : « funda mittere, librare » et « sculpere, caelare ». On se rappelle


immédiatement qu'il existe en hébreu un nom de métier dérivant du premier sens : S?1?)? « fundi-
tor ». Il semble bien probable que nous avons ici son équivalent phénicien... » W.

Il y a, en effet, deux racines homonymes, ql' « lancer des pierres »


et ql' « ciseler, sculpter » (2) ; en hébreu, on a un dérivé de la première,
pluriel qallâ'îm « les frondeurs » (// Rois, III, 25), d'où l'hypothèse d'un
équivalent phénicien, proposée par Lacau (3). Mais M. J. Février nous
fait observer qu'il existe aussi en hébreu un dérivé de la seconde racine,
à savoir miqlâ'ôt « sculptures »; par conséquent, on est en droit de
conjecturer que le mot ql' signifierait ici « sculpteur ». Les deux explications
sont très plausibles.
La fin de la dédicace indique le nom de la divinité qui était honorée
par Eshmounhilles. Comme dans d'autres cités chypriotes, il s'agit d'un
Reshef (4), mais un problème peut-être insoluble actuellement est posé
par le mot qui est étroitement joint (sans point de séparation) au nom
divin, mot dont il ne subsiste qu'un shin initial endommagé mais recon-
naissable. P. Lacau a supposé la présence d' « un adjectif ajouté au nom
divin », en fait, d'un ethnique correspondant au nom de la « ville inconnue
qui s'élevait sur l'emplacement de Paleo-Castro », en songeant aux Reshef
locaux qui sont connus par exemple à Tamassos (5). En réalité, aucun
nom antique ne nous a été conservé pour une localité de la région de Pyla (6),
si bien que cette hypothèse demeure impossible à contrôler.
Nous pensons d'ailleurs qu'il doit plutôt s'agir d'une qualification
du nom divin (7). Ainsi, M. J. Février nous suggère que l'on pourrait penser

(*) Article cité, p. 210. (5) Article cité, pp. 210-211; à Tamassos,
(2) Koehler-Baumgartner, Lexicon in Vete- ces épithètes correspondent respectivement
ris Testamenti libros, 1958, p. 841. à Apollon Heleitas et Apollon Alasiôtas,
(3) Pour l'hébreu, Koehler-Baumgartner, ICS, n°B 215 et 216.
ibid. L'hypothèse de Lacau est acceptée (6) O. Masson, BCH, 1966, p. 1.
chez Jean-Hoftijzer, Dictionn. des inscr. (7) On ne peut retenir une suggestion de
sémitiques de l'ouest, Leyde, 1965, p. 259, L. H. Vincent, Rev. Bibl., 37 (1928), p. 532,
avec ce commentaire : « substantif (ou plutôt n. 2, voulant chercher ici un dieu « Reseph-
QAL participe actif d'une racine ql'?) Seth » (voir plus loin, p. 312, n. 0 in fine).
frondeur (ou : fabricant de frondes?) ». D'autre part, la longueur de la lacune interdit
(4) Au sujet du dieu Reshef, voir nos de retrouver une épithète phénicienne
remarques plus loin, p. 307 sqq. correspondant au rsp s ^r] mini (= rsp slmn) d'une
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à un « Reshef des cieux », en lisant rsp s[mm] ou s[m] ; le plusiel smm est
attesté en phénicien (1) ; d'autre part, on connaît à Sidon une « Astarté
des cieux », *strt sm, dans l'inscription d'Eshmounazar, CIS, I, 3, ligne 18,
selon une interprétation qui est parfois admise (2). On pourrait aussi
envisager de lire rsp s[r], « Reshef le prince », sr étant donné comme titre à
Eshmoun dans les inscriptions de fondation du temple d'Eshmoun à Sidon,
KAI, no 15.
Il a existé en tout cas différents aspects de Reshef, dont les épithètes
sont plus ou moins obscures pour nous : le Reshef mkl, dont il sera question
en détail plus loin, le Reshef hs de Kition, que nous examinerons en
appendice, le Reshef sprm, « Reshef aux oiseaux », révélé par Karatepe (3).
Mais on voit que notre dédicace, malgré sa brièveté, apparaît fort
intéressante, puisqu'elle atteste, vers le vne siècle, le culte d'un Reshef
très peu connu dans les environs de Kition.

Appendice : Le « Reshef à la flèche » de Kition {CIS, I, 10)

En 1862, Melchior de Vogué acquit de D. Piérides à Larnaca (4) une


importante inscription phénicienne, qu'il conserva longtemps dans sa
collection personnelle (5). La situation de cette pierre (CIS, I, 10 = KAI,
32) est indiquée de manière vague dans les ouvrages récents (8) ; en fait,
après la mort de Vogué, le monument de Kition est entré au musée du

inscription égyptienne d'Aberdeen du xve s.; (4) D'après J. Asiat. 1867, II, p. 97, la pierre
voir en dernier lieu G. Goossens, Chron. fut découverte quelque temps auparavant
d'Eg., 29 (1940), pp. 65-66 et W. Helck, Die par Démétrios Piérides « près de Larnaca » ;
Beziehungen Aegyptens zu Vorderasien..., malheureusement, nous n'avons pas d'autre
Wiesbaden, 1962, p. 487. renseignement sur l'emplacement original.
(1) Jean-Hoftijzer, o. c, p. 308. Pour l'expédition Vogûé-Waddington à Chypre
(2) Dans ce sens, le CIS; G. A. Cooke en 1862, voir O. Masson, cette revue, 30 (1953),
A Text-Book of North-Semitic Inscriptions, p. 85 sqq.
Oxford, 1903, p. 37 sqq. (5) Première mention dans Rev. Arch. 1862,
(3) A. Caquot, Semitica, VI (1956), p. 55, I, p. 346, et étude ibid. II, p. 247-248; ensuite
etc.; une autre interprétation chez Dahood, J. Asiat., l. c, pp. 97-104.
Biblica, 44 (1963), p. 70 sq.; bibliographie (6) Par exemple chez Donner-Rollig, KAI,
chez P. Matthiae, Oriens Antiquus, 2 (1963), p. 50, n° 32 : « Paris ».
p. 42, n. 78.
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Louvre (1), Département oriental, inventaire AO 7090. Pour compléter ces


indications, nous donnons ici (fig. 3), une reproduction nouvelle du texte (2).
L'inscription est datée de l'an 21 de Pymiaton, le dernier roi de Kition,
soit en 336/7 (3). Il s'agit d'une dédicace à un Reshef, qualifié avec ks,

Illustration non autorisée à la diffusion

lignes 3-4
son seigneur, le Reshef-#s ». Que signifie le mot hs accolé au nom divin?
On a tout de suite songé au nom de la flèche, en rapprochant hébreu hês,
etc. (4), et en reconnaissant dans notre dieu un archer divin (5).

(x) Don annoncé par Héron de Villefosse, T. B. Mitford, AJA, 65 (1961), pp. 113-115
CRAI, 1917, pp. 102, 106. (sur la même face de la pierre, mais en sens
(2) Antérieurement, vue d'ensemble dans inverse, figure une dédicace grecque
CIS, I, 1, pi. V, 10; estampage dans J. Asiat, alphabétique plus récente, faite par le peuple de
l. c, pi. II. Kition, SEG, XX, n° 133).
(3) Pour la chronologie de Pymiaton (ca. (4) Koehler-Baumgartner, Lexicon, p. 323.
362-312 av. notre ère), fils de Milkiaton, voir Le mot fys est maintenant bien attesté en
O. Masson, ICS, p. 225, n° 2, et p. 273. On phénicien, précisément sur des pointes de flèches
connaît depuis peu une nouvelle inscription ou de lances, Donner-Rollig, KAI, n08 20-
de Pymiaton, découverte en 1954 près de 22; cf. Jean-Hoftijzer, Dictionnaire, p. 94.
Dhromolaxia (au sud-ouest de Larnaca-Kition), (5) Déjà Vogué, Rev. Arch., 1862, II, p. 248;
qui est datée de l'an 34 du règne, soit 329/8. J. Asiat., 1867, II, p. 103; autres études énu-
Voir A. M. Honeyman, JRAS, 1960, pp. 111- mérées dans la bibliographie de CIS, I, 10.
112, et les commentaires intéressants de
SYRIA, T. XIV. 19
302 SYRIA [XLV

Cependant, une interprétation toute différente a été proposée jadis


par Clermont-Ganneau (1). Supposant que le dieu de Kition devait être
l'équivalent local d'une divinité grecque, il voulait faire intervenir 1' «
Apollon des rues », ' AtzoKKoïv 'Ayoieuç ou 'Aymàr/jç ; au lieu du nom de la flèche,
il cherchait un équivalent phénicien du nom hébreu de la « rue », hûs (2),
avec un dieu qui serait « Reshef de la rue » (3). Cette théorie n'était guère
plausible, l'originalité du dieu phénicien demeurant évidente (4).
Surtout, le témoignage maintenant disponible de l'ougaritique permet
de confirmer d'une manière presque définitive l'interprétation des premiers
exégètes. En effet, on connaît à Ugarit un dieu à la flèche qui semble bien
être précisément un Reshef : b'i hz rsp, « le maître de la flèche (qui est)
Reshef » (5) : il a tout de suite été rapproché de notre dieu chypriote par
Ch. Virolleaud (6). Étant donné que la « flèche » peut désigner 1' « éclair »,
le Reshef à la flèche doit être une des désignations d'un dieu de l'orage (7).

II. Une nouvelle dédicace d'Idalion à Reshef Mkl

En 1868-1869, R. Hamilton Lang a dirigé des fouilles sur l'emplacement


d'un temple, au sud du village de Dhali, l'antique Idalion (8). Ces travaux,
publiés incomplètement, ont livré de nombreux objets et toute une série

(!) Recueil, I (1888), pp. 176-182. II (1957), pp. 3-5, n° 1, ligne 3.


(2) Koehler-Baumgartner, Lexicon, p. 283* (6) Commentaire du texte cité, p. 3; cf.
(3) Hypothèse envisagée par Z. S. Harris, Donner-Rollig, KAI, p. 51; Matthiae,
Gramm. of Phoen. Language, 1936, p. 104; Oriens Antiquus, 2 (1963), p. 37. A. Caquot
Jean-Hoftijzer, o. c, p. 94 (mais voir note fait cependant observer que l'antéposition
suivante). D'autre part, il faut rejeter une du titre est surprenante; l'obscurité du texte
hypothèse de R. Dussaud, cette revue, 25 ne permet pas d'affirmer absolument que
(1946-48), p. 230, et chez C. Schaeffer, b'i fy$ soit une désignation de Reshef.
Enkomi-Alasia, I (1952), p. 7, qui voulait (7) Pour ce caractère du dieu, voir A. Caquot,
voir ici (comme pour Mkl) un toponyme o. c, pp. 55 et 63-64, « l'antique dieu de
chypriote. l'atmosphère, maître de la foudre comme Hadad ou
(4) L'idée de Clermont-Ganneau a été Ba'al... »
écartée notamment par Albright, Oriental (8) Voir O. Masson, ICS, p. 235 et pi. II, 5
Studies... Paul Haupt, Baltimore, 1926, p. 147, (vue actuelle du site), aussi BCH, 1966, p. 11;
cité chez Jean-Hoftijzer, l. c. (non vidimus) ; historique détaillé de ces travaux, dans
cf. A. Caquot, Semitica, VI, p. 56, n. 3. BCH, 1968, p. 386-402.
(5) Virolleaud, Palais Royal d' Ugarit,
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d'inscriptions, parmi lesquelles des textes phéniciens importants, une


bilingue phénicienne et grecque syllabique, enfin des inscriptions en grec
syllabique et alphabétique (1).
Un groupe cohérent de dédicaces phéniciennes, qui nous intéresse
plus particulièrement ici, est fort bien connu, étant conservé depuis 1872
au British Museum, actuellement au département des « Western Asiatic
Antiquities » (2). Il se compose de six pierres, dont voici la liste avec les
numéros d'inventaire :

CIS I, 89 (bilingue) = 1872.8-16.84 = 125.320 (3);


ibid., 90 = 1872.8-16.80 = 125.315;
ibid., 91 = 1872.8-16.79 = 125.328;
ibid., 92 = 1872.8-16.82 = 125.326;
ibid., 93 = 1872.8-16.81 = 125.327;
ibid., 94 = 1872.8-16.83 = 125.316.

Toutes ces inscriptions sont des dédicaces à Reshef M kl, de dates


diverses (4), et la série des documents concernant ce dieu semblait complète,
du moins pour Chypre (5). Cependant, en mai 1958, au cours d'un colloque
d'histoire des religions réuni à Strasbourg, M. R. D. Barnett eut l'obligeance
de nous signaler l'existence d'un septième texte, conservé lui aussi à
Londres, mentionnant le même dieu, avec la formule « Reshef le Mkl » (6).

(x) La bilingue et un petit texte syllabique figure probablement dans un anthroponyme


dans ICS, n03 220 et 221 ; pour les textes grecs théophore de Kition, voir plus loin, Appendice I,
alphabétiques, nouvelle étude BCH, I.e. pp. 313 sq.
(2) L'inscription CIS I, 88 est une dédicace (5) On connaît depuis peu un témoignage
analogue, adressée au dieu Melqart. Son pour Reshef Mkl en Egypte, grâce à la
histoire est différente : elle provient très publication d'un torse d'Héraklès de la collection
probablement de Kition, et non pas d'Idalion, Michaelidis (Le Caire), qui porte une dédicace
voir Addenda p. 320. Elle a été retrouvée en araméenne fragmentaire au dieu, Irsp mkl :
1860 à Nicosie, remployée dans une mosquée, Edda Bresciani, « Resf-Mkl — Eracle »,
par Etienne Guillaume Rey. Mise à l'abri par Oriens Antiquus, 1 (1962), p. 215-217.
ses soins à Larnaca, elle fut envoyée au Musée (6) Première mention chez O. Masson,
du Louvre en 1862 par Vogué, cf. Rev. Arch. Éléments orientaux dans la religion grecque
1862, I, p. 346; II, p. 248, in fine. Inventaire ancienne, Paris, 1960, p. 138, n. 7 et ICS,
actuel au Louvre AO 4826. p. 248, n. 2; cf. Matthiae, Oriens Antiquus,
(3) Maintenant ICS, n° 220. 2 (1963), p. 38; F. Vattioni, Ann. 1st. Univ.
(4) On reviendra plus loin sur ces textes. Orient. Napoli, Sez. orientale, 15 (1965), p. 58;
En outre, le dieu Mkl est nommé seul à Kition, B. Peckham, Onentalia, 37 (1968), p. 320.
CIS I, 86, B, 5, ci-dessous p. 307, et son nom
304 SYRIA [XLV

Cet objet est demeuré très longtemps inaperçu et inédit, peut-être


en raison de ses petites dimensions. C'est une sorte de base miniature en
bronze, inventaire 1873.3-20. 328= 118.300;
longueur des quatre côtés
4,9 cm, 1,6 cm. La forme
est visible sur la
(fig. 4), qui le montre vu
Illustration non autorisée à la diffusion
chose curieuse, on ne voit sur
aucune trace de fixation
en dépit de l'indication
même; l'inscription court

en tout cas, à
exécutées par Lang en
est entré au British
longue série d'objets et
Dhali (1). Nous le publions
ici (pi. XXIII et XXIV) avec l'aimable autorisation de M. R. D. Barnett(2).
L'inscription phénicienne est composée de deux lignes d'écriture
commençant à la face A et continuant sur les faces B, C, D; la hauteur
moyenne des caractères est de 5 mm.
La ligne 1 est d'une lecture malaisée; trois lettres ont été endommagées
et la forme bizarre de certains caractères rend leur identification difficile.
Nous avons soumis l'objet à M. J. Février, auquel nous sommes redevables
de la lecture proposée ci-dessous pour la ligne 1.

Ligne 1 : (A) hsml z *s y- (B) tn 'bdssm [b- (C) n ']sr'd- (D) r


Ligne 2 : (A) Vly Irsp (B) hmkl 's b9- (C) dyl yb- (D) rk.

f1) Au sujet des inventaires rédigés en 1872 les autres ayant été transférées au « Department
et 1873 au moment de l'achat définitif par of Greek and Roman Antiquities », parfois avec
le British Museum, voir O. Masson, BCH, de nouveaux numéros.
1966, p. 14, n. 7; ajoutons que les pièces de (2) Pour cette autorisation et pour de
caractère « oriental » sont demeurées au nombreux renseignements, nous remercions ici
département des «Western Asiatic Antiquities », M. Barnett, ainsi que M. Mitchell
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 305

« Cette statuette est celle qu'a donnée Abdsasom, fils d'Osiraddir,


à son dieu, à Reshef le mkl, celui qui est à Idalion. Qu'il bénisse. »

Le nom du donateur, 'bdssm, n'est pas absolument certain, en raison de la forme


aberrante du s; la série de barres obliques qui surmontent ordinairement la haste semble avoir
été distendue et les barres réparties de chaque côté de la haste centrale. Le d final de la face C,
ligne 1, est conjectural; ce que nous voyons sur l'estampage ressemble plutôt à un h. On
remarquera également l'aspect particulier du y, seconde lettre de la face C, ligne 2.

La phraséologie de cette dédicace privée est des plus banales; l'emploi


de l'article devant le substantif suivi du démonstratif est connu (1). A la
différence des autres inscriptions phéniciennes de Chypre, celle-ci fournit
la forme simple du démonstratif, et non pas la forme avec aleph prothé-
tique *z.
Le nom ' bdssm « serviteur de Ssm » est bien attesté à Chypre, dans
plusieurs cités : à Kition, CIS, I, 46, 49 et 53; à Idalion, ibid. 93; à Tamas-
sos, RÊS, 1213 = ICS, 216, a, 3-4 (2). En outre, dans deux graffîtes
phéniciens d'Abydos, RÉS, 1309 et 1336, il a pu appartenir à des Phéniciens
de Chypre (3). On peut dire que le nom divin Ssm, qui est également connu
à Chypre dans d'autres anthroponymes, et plus rarement en dehors de
l'île, est d'origine vraisemblablement non sémitique (4).
Le patronyme probable [']sr'dr est un nom nouveau, « Osiris est
puissant ». Mais on connaît d'autres noms théophores d'Osiris en phénicien,
ainsi 'bd'sr « serviteur d'Osiris » à Kition, CIS, I, 13 et 46 (5) ; d'autre part,
le culte d'Osiris'est attesté dans les milieux phéniciens d' Idalion, grâce à un
des textes du temple mis au jour par Lang, CIS, I, 93 = KAI, 40, où est
nommée comme canéphore d'Arsinoé Philadelphe une certaine Amatosir,

(*) Voir J. Friedrich, Phôniz.-Punische dation Apsasôm < Abdsasom).


Grammatik, p. 39, § 300. Pour le mot sml (3) Un exemple à Carthage, G. Halff,
« image sculptée », voir A. Van den Branden, Karthago, XII, p. 132 [CIS, I, 5733).
Oriens Antiquus, 3 (1964). p. 249 sq.; Jean- (4) Sur cette question, voir plus loin Appen-
Hoftijzer, Dictionnaire, p. 194 sq. dice III, pp. 317-320.
(2) Dans la partie chypriote syllabique de (5) Aussi des exemples puniques, G. Halff,
cette bilingue, b, 2, le nom est transcrit o.c, p. 127 (CIS, I, 2098, etc.), avec un 'srgn,
a-pa-sa-so-mo-se, à comprendre probablement « Osiris protège », ibid., p. 88 (CIS, I, 821).
« 'A<J/aato[AOç », Masson, ICS, p. 227 (pronon-
306 SYRIA [XLV

'mt'sr ou « servante d'Osiris »; pareillement à Larnaka tis Lapithou, près


de la côte nord-ouest, où un temple d'Osiris est mentionné
expressément (1).
La dédicace à Reshef mkl nous invite à ranger ce document dans la
série déjà évoquée des inscriptions d'Idalion qui honorent ce dieu.
CIS, I, 90 = KAI, 38 : dédicace d'une patère en or à Reshef mkl par
Milkiaton, roi de Kition et Idalion, dans la deuxième année de son règne,
vers 390 (2>.
Ibid., 91 : offrande d'une statue au même dieu par le même roi, sans
date.
Ibid., 89 = ICS, 220, a = KAI, 39 : dédicace bilingue d'une statue
au même dieu par le prince Ba'alrôm, dans la quatrième année du règne
de Milkiaton, roi de Kition, vers 388 (3).
Ibid., 92 : on restitue le nom de notre dieu dans la dédicace d'une
statue faite par le fils de Milkiaton, Pymiaton, en l'an 8 de son règne,
vers 355.
Deux documents postérieurs à ces dédicaces royales ou princières
montrent la dévotion portée par de simples particuliers à Reshef Mkl
et le prolongement de son culte à Idalion, en plein me siècle.
CIS, I, 93 = KAI, 40 : indique qu'une certaine Batshallum, fille de
Marihay, a fait faire les statues de trois de ses petits-fils, en exécution
d'un vœu formé par son fils Marihay à Reshef mkl; l'inscription est datée
de l'an 31 du règne de Ptolémée II, donc en 254.
Ibid., 94 : dédicace d'une statue par Eshmunadon, fils de Nahumay,
fils d'Eshmunadon, à Reshef mkl, sans date.
L'inscription nouvelle d'Idalion, qui comporte un nom théophore
d'Osiris, appartient vraisemblablement, elle aussi, à l'époque ptolémaïque;
nous la placerons donc au me siècle avant notre ère.

(x) A. M. Honeyman, Le Muséon, 51 (1938), p. 182 et n. 1; O. Masson, ICS, p. 197 et n. 3.


p. 285 sqq., ligne 5 : « dans son temple ... (2) Pour la chronologie de ce roi, voir ICS,
pour mon seigneur Osiris à Lapethos », cf. p. 225, n. 2.
ibid., p. 294. Cf. G. Hill, Hist, of Cyprus, I, (3) Voir ICS, p. 247.
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 307

Cette dédicace attire à nouveau l'attention, non seulement sur le culte


du dieu Reshef (1), mais surtout sur la personne divine particulière de Res-
hef Mkl (2). De prime abord, il semble que l'on ait affaire à un de ces « binômes
divins », d'un type fréquemment attesté en phénicien et en punique (3),
et dont l'interprétation a donné lieu à diverses hypothèses (4). La mention
de Mkl comme une divinité apparemment indépendante dans les tablettes
appelées « comptes de Kition », CIS, I, 86 A-B = KAI, 37 A-B, conduirait
à accepter cette solution.
Cependant, la recherche a été engagée dans une autre voie, en raison
de l'équivalence que la version chypriote syllabique du texte CIS I, 89 =
ICS, 220, b, fournit pour notre Reshef Mkl, soit a-po-lo-ni a-mu-ko-lo-i,
'AuoXXwvt, 'A(j.uxXcùt,. Cette version a tout de suite rappelé aux interprètes
l'Apollon 'AjjiuxXaïoç révéré à Amyclées, en Laconie, et dont Pausanias,
III, 19, 2 décrit l'antique idole comme un colosse casqué tenant une lance
et un arc. Son culte paraît avoir joui d'une certaine popularité, puisqu'on
le retrouve en Crète, à Gortyne (5). Dès lors, plusieurs savants, considérant

I1) Deux études viennent de lui être voir A. Caquot, Semitica, XV (1965), pp. 29-
consacrées en Italie : P. Matthiae, « Note sul dio 33.
Siriano Resef », Oriens Antiquus, 2 (1963), (4) W. von Baudissin, Adonis und Esmun,
pp. 27-43; F. Vattioni, « II dio Resheph », Leipzig, 1911, p. 259 sqq., 275 sqq., a envisagé
Ann. 1st. Univ. Orient. Napoli, Sez. orientale, toutes les possibilités d'exégèse : la
15 (1965), pp. 39-74. juxtaposition peut impliquer soit une « copule latente »
(2) II n'existe pas de représentation figurée x-y = x [et] y, soit une relation génitivale,
de cette divinité à Chypre; on écartera par x [de] y, elle-même susceptible d'être comprise
exemple l'identification prématurée jadis de différentes manières : x [fils de, parèdre de,
proposée avec conviction par H. A. Tubbs, JHS, qui appartient à] y, soit une identification
11 (1890), pp. 89-91, pour une petite statuette ou une assimilation : x [qui est] y. R. Dussaud
de bronze (homme casqué) trouvée au site s'est prononcé à plusieurs reprises pour une
de Limniti : BCH, 1968, p. 409 (fig. 31). Voir filiation x [fils de] y, voir en dernier lieu cette
aussi Vattioni, o. c, p. 40, n. 5. revue, 25 (1946-48), p. 229.
(3) Citons comme exemples 'smn mlqrt, CIS, (5) Textes chez Marg. Guarducci, Inscrip-
I, 16 et 23; 'smn 'strt, ibid. 245; sd mlqrt, tiones Creticae, IV (1950), n. 72, III, 8 (un
ibid. 256; rsp mlqrt, voir J. M. Sola-Solé, sanctuaire 'A(i.uxXaïov à Gortyne), 182, 23
Semitica IV (1951-52), pp. 25-31; mlk 'strt, (un mois 'A(j.uxXaïoç, peut-être aussi dans
308 SYRIA [XLV

l'origine péloponnésienne du peuplement grec de Chypre, la date


relativement récente de la présence phénicienne à Idalion (milieu du ve siècle),
enfin l'existence à Idalion même d'une dédicace alphabétique grecque
à Apollon >A{i,uxXatoç(1), ont pensé que les premiers colons grecs auraient
pris à Amyclées le culte de l'Apollon local et l'auraient introduit à Chypre
lors de leur migration. Les Phéniciens, à leur tour, auraient adopté ce culte,
assimilant Apollon à leur dieu Reshef, et transcrivant simplement son
épithète d'origine sous la forme mkl (2). Clermont-Ganneau invoquait,
à l'appui de cette théorie, la formulation attestée par CIS, I, 90 : rsp mkl
b'dyl, soit « Reshef mkl à Idalion », qui pourrait s'appliquer à un dieu
transplanté hors de son pays d'origine (3)?
Mais une telle interprétation du nom mkl par le grec a aussitôt soulevé
des objections, sans parler du fait que l'on attendrait plutôt une forme
*mqly. On a fait remarquer qu'à Idalion même, l'Apollon Amycléen n'est
adoré que par des Phéniciens (4). Il est difficile, d'autre part, de placer
parmi les cultes qui auraient été apportés par les colons achéens de Chypre
celui d'une divinité qui n'est connue que beaucoup plus tard en Grèce (5).
Aussi a-t-on suggéré, à l'inverse, de comprendre "A[j,uxAoç et '
comme de simples transcriptions d'une forme sémitique mkl (6).

173, 12), 172, 3 (des 'AfzuxXaïoi). Dans ce (3) O. c, p. 177; il rapprochait le b'smm
cas, on sait qu'il s'agit de l'Apollon laconien, b'nsm de l'inscription phénicienne de Cagliari,
en raison des relations existant entre Gortyne CIS, I, 139 = KAI, 64.
et Amyclées, Guarducci, pp. 18, 32, 155. (4) L'inscription en grec alphabétique citée
(*) Colonna-Ceccaldi, Monuments antiques plus haut est due à des Phéniciens, comme
de Chypre..., 1882, pp. 196-198, etc.; O. Mas- le prouve l'onomastique : Mvaaéaç (nom grec
son, ICS, p. 235, n. 2 et nouvelle édition, affectionné par les Phéniciens, cf. O. Masson,
dans BCH, 1968, p. 397-400 (fig. 25). On notera ICS, p. 226), 'A^irjç et rirjpucTficov.
de toute manière que l'auteur de cette dédicace (8) Comme l'a fait remarquer G. Hill,
est précisément un Phénicien hellénisé, Mva- Hist, of Cyprus, I, p. 87.
aéaç 'AiJnrjTOÇ : voir plus loin, n. 4. (6) Dans ce sens, J. Euting, Sechs pho'nik.
(2) Telle était l'opinion de P. Schroder, Inschr. aus Idalion, 1875, p. 7; Vogué,
Monatsber. Berliner Akad., 1872, p. 336, J. Asiat., 1875, I, p. 326; Renan, CIS, I,
n. 0; Mordtmann, ZDMG, 32 (1878), p. 557 sq.; p. 106; P. Foucart, BCH, 1883, pp. 512-513,
W. Deecke, Sitz.-Berichte Berlin, 1887, etc. Mais on ne peut suivre Ohnefalsch-
p. 115; Clermont-Ganneau, Recueil, I (1888), Richter, Kypros, die Bibel..., I, p. 332, qui
p. 176; G. A. Cooke, Text-Book, p. 76, etc.; allait jusqu'à imaginer que l'Apollon d'Amy-
cf. O. Masson, ICS, p. 248. clées représenterait une forme hellénisée de
SYRIA, XLV (1968), 3-4 PI. XXIII

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SYRIA, XLV (1968), 3-4 PI. XXIV

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1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 309

La découverte ultérieure, dans le temple élevé par Thoutmosis III à


Beth-Shan, d'une stèle représentant un Ba'al sémitique sommairement
égyptisé et dénommé m'kl r est venue renforcer considérablement l'«inter-
pretatio semitica » de mkl (1). Ce dieu a une physionomie nettement
sémitique et les éléments proprement égyptiens tiennent peu de place dans
sa représentation (2). Il s'agit probablement d'une dédicace faite par un
officier égyptien à la divinité locale «m'klr, le dieu, seigneur de Beth-
Shan », au moment où Thoutmosis III, obligé de tenir solidement cette
place forte, cherchait à se concilier les dieux indigènes (3). Compte tenu
des particularités de la transcription égyptienne, m'kl r et mkl peuvent être
considérés comme le même nom (4). Ainsi, selon L. H. Vincent, la stèle
en question « reporte l'attestation de mkl d'un bon millénaire dans le passé
et transplante ce dieu d'une colonie phénicienne au cœur du pays de
Canaan » (5). On ne conteste plus maintenant l'identité du dieu de Beth-
Shan et du dieu d'Idalion (6). Avec mkl, on a donc un nom divin sémitique,

notre dieu phénicien! On retrouve une idée égyptienne est une simple habitude graphique,
analogue chez W. F. Albright, BASOR, 90 surtout devant un k: Burchardt, Die altka-
(1943), pp. 33-34, pour qui le dieu Mkl, d'ori naanàischen Fremdworte... im aegyptischen,
gine sumérienne (??), aurait été connu à Leipzig, 1909, § 59; W. Helck, Die Beziehun-
l'ouest à la fin de l'âge du bronze et aurait gen Aegyptens, p. 601.
donné son nom à la ville d'Amyclées (?). (5) Vincent, o. c, p. 526. Même opinion
D'autre part, c'est introduire une difficulté chez W. F. Albright, Archaeology and the
supplémentaire que de vouloir chercher sous Religion of Israel2, Baltimore, 1956, p. 79;
les vocables grec et sémitique un nom divin O'Callaghan, Orientalia, 20 (1949), p. 202.
supposé autochtone ou « étcochypriote », (6) Selon O. Eissfeldt, « Philister und
comme l'a fait J. L. Myres, Handbook Cesnola Phônizier », Der Alte Orient, 34, 3 (1936),
Collection, New York, 1914, p. 127, suivi en p. 15, mkl est « ein im 2. Jahrtausend vom
partie par Hill, o. c, p. 87, n. 3. Festland nach Zypern gekommener phô-
(1) L. H. Vincent, « Le Ba'al cananéen de nizischer Gott ». Certaines réserves émises
Beisan et sa parèdre », Rev. Bibl., 37 (1928), par A. Rowe concernent seulement l'origine
en particulier, pp. 512-514; A. Rowe, The de la divinité, Topography... of Beth-Shan,
Topography and History of Beth-Shan, p. 17. Il remarque que les fouilles du site ont
Philadelphie, 1930, pp. 14-15. révélé une forte influence méditerranéenne,
(2) Pour ces éléments, voir Vincent, o. c, qu'on doit attribuer à des mercenaires
p. 517; les détails du vêtement rapprochent occidentaux installés là par les Égyptiens. Ces
le dieu du Seth-Soutekh de Tanis, cf. Montet, soldats auraient pu introduire le culte de mkl,
Kemi, 4 (1931-33), p. 191 sqq. qui se serait d'autre part conservé à Chypre.
(3) Vincent, o. c, p. 538. Mais est-il vraisemblable que le représentant
(4) La présence d'un ' dans la transcription du Pharaon ait élevé un temple à un dieu
310 SYRIA [XLV

cananéen, introduit à Chypre par les colons phéniciens. La pauvreté de


notre documentation sur les cultes cananéens, la prolifération des noms
divins, ne rendent pas invraisemblable l'identification, malgré l'étrangeté
de la résurgence chypriote. Un culte prospère dans une cité cananéenne
au temps de Thoutmosis III, apparemment oublié depuis en cet endroit,
aurait pu survivre dans un milieu qui a fourni plus tard des colons sémitiques
à l'île de Chypre.
Si nous admettons désormais que mkl est un nom sémitique, il reste
à découvrir quelle est sa fonction et quelle en est la signification. Sur le
premier point, la nouvelle inscription du British Museum apporte une
précision qui n'est pas sans importance. Pour la première fois, mkl apparaît
précédé de l'article h. Il convient donc de considérer ce nom comme un
adjectif épithète qualifiant rsp (1). Mais l'adjectif a dû être substantive et,
devenant une apposition à un nom divin, Reshef, être employé seul pour
désigner le dieu, comme ce serait le cas à Kition, CIS, I, 86. La théorie de
Baudissin, expliquant rsp mkl comme un nom divin suivi d'un toponyme,
se trouve en tout cas définitivement écartée (2). Sur le second point,
l'incertitude demeure. Mais on laissera de côté la suggestion d' Albright, cherchant
ici une explication sumérienne (3), pour préférer l'une ou l'autre des
etymologies sémitiques qui ont déjà été proposées.
Il est peu probable qu'il faille rattacher mkl à la racine 'kl et traduire

des mercenaires et l'ait appelé « dieu, seigneur ICS, p. 270).


de Beth-Shan »? Le dieu de cette stèle n'a (3) BASOR, 90 (1943), p. 33. On aurait mkl
d'ailleurs aucun des traits caractéristiques venant de UMUN URU GAL-LA, « le maître
des « Peuples de la mer », et P. Montet, o. c. de la grande cité », synonyme de Nergal
p. 201, a pu opposer sa physionomie purement en tant que dieu infernal; Albright invoque
sémitique au profil « occidental » du Seth de l'insalubrité du site de Beth-Shan pour faire
Tanis. de mkl un dieu de la peste et de la mort,
(x) Cf. Friedrich, Phôniz. - pun. Grammatik, Archaeology and the Religion, p. 80. Cette
p. 138, § 299. hypothèse est conforme à la théorie générale
(2) Baudissin, Adonis und Esmun, p. 263; du même savant sur la nature de Reshef.
Kyrios, III (1929), p. 15. Hypothèse analogue L'assimilation de ce dernier à Nergal dans un
chez Dussaud, cette revue, 27 (1950), p. 74, document ougaritique inédit (E. Weidner,
et surtout Enkomi-Alasia, I, p. 6 : une « ville Arch. Orientf. 18, 1957, p. 168; C. F. A, Schaef-
chypriote Mukl » qui correspondrait à la fer, ibid., 21, 1966, p. 63) invitera à la
Makaria de Ptolémée (pour ce toponyme sur reconsidérer. [V. désormais Ugantica V, p. 57].
la côte nord-est de Chypre, voir O. Masson,
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHENICIENNES DE CHYPRE 311

mkl, d'un plus ancien *m'kl, par le « dévorant»; cette solution a été
envisagée par S. Langdon, qui y voyait le titre d'un dieu en l'honneur duquel
on faisait passer les enfants par le feu (1). Une autre idée a été proposée
jadis par Euting : on aurait mekîl « protecteur » (2), d'une racine kwl qui
est attestée en hébreu au sens de « contenir », ou, à l'intensif, « nourrir »,
mais est inconnue en phénicien. De son côté, M. de Vogué (3) songeait
à la racine kly qui existe en phénicien, en hébreu, et aussi en ougaritique,
avec le sens d' « être achevé », au factitif « achever »; sa traduction «
destructeur » trouverait un appui en ougaritique (4). Enfin, L. H. Vincent a
expliqué mkl comme un participe intensif ou causatif de ykl, en hébreu
« pouvoir », avec le sens de « vainqueur et puissant par excellence » (5) ;
le dieu de Beth-Shan serait désigné par une épithète rappelant le titre
égyptien de Seth, phty « le puissant ». Toutes ces tentatives sont recevables :
aucune ne s'impose particulièrement, tant que nous ignorons la nature
et les fonctions du dieu ainsi nommé.
L'analyse de l'expression rsp hmkl fournie par le nouveau document
d'Idalion laisse donc ce problème ouvert. Il est vraisemblable que mkl
est un mot sémitique, mais le sens nous en échappe. Son emploi avec
l'article, en tout cas, tend à montrer en lui non pas un vieux nom divin, comme
pouvait le faire croire l'antique mention palestinienne de m(k\ r, mais
une épithète dont on a dû faire un titre divin. A Chypre, il était réservé
apparemment à Reshef, sans appartenir de manière organique à cette
divinité puisque le dieu de Beth-Shan n'est pas un Reshef, mais un Ba'al
sémitique assimilé par les Égyptiens à Seth-Soutekh (6). Il est évidemment

(*j Mythology of all Races — Semitic, Boston, logie a été acceptée par D. Nielsen, Der
1931, pp. 50 et 389. On notera que la chute dreieinige Gott, II. 1, Copenhague, 1942, p. 182.
d'un ' radical est rare en phénicien, cf. (6) Selon Vincent, o. c, p. 532, m'k \r jmkl
Friedrich, o. c, p. 10, § 14. serait un adjectif dissimulant le nom véritable
(2) Sechs phônik. Inschriften, p. 7 : « etwa du dieu de Beth-Shan, qui serait Reshef. Il
Mêkhîl... der Beschûtzende ». trouverait dans un cylindre provenant du
(3) J. Asiat., 1875, I, p. 325. même site, p. 528-532, la justification de cette
(4) Voir C. H. Gordon, Ugaritic Manual, identité. On y voit le pharaon Ramsès III
Rome, 1955, glossaire, n° 912; Aistleitner, criblant de flèches un bouclier surmontant
Wôrterb. der ugarit. Sprache, 1963, p. 148 sq. un pal, auquel sont liés deux prisonniers
(n<> 1 317). asiatiques; de l'autre côté du bouclier et
(5) Vincent, o. c, pp. 526-527. Cette étymo- faisant face au pharaon, un dieu debout, de
312 SYRIA [XLV

impossible de déterminer si le transfert du titre mkl à Reshef s'est opéré


à Chypre même ou dans le berceau phénicien des colons de Kition, de même
que nous n'avons pas le moyen de connaître la signification exacte qui lui
était attachée. Cependant, sa valeur ne doit plus être, au ive et au 111e siècle
avant notre ère, celle d'une banale épithète, immédiatement intelligible.
Il est probable que les Phéniciens de Chypre n'en comprenaient plus le
sens : autrement, le scribe de la dédicace de Ba'alrôm (CIS, I, 89) ne l'aurait
pas traduit par un nom propre.
Le syncrétisme institué à Chypre — et à Chypre seulement — entre
Reshef et Apollon (1) explique que le titre de mkl ait été rendu au moyen
de noms propres présentant avec lui une certaine homonymie (2), "AixoxAoç
ou 'AfxuxXatoç, qui pouvaient en même temps convenir comme épithètes

profil, vêtu d'une tunique et coiffé d'une Shan soit un Reshef : le cylindre montre
tiare conique qui est ornée d'un protome au-dessus de l'image divine l'idéogramme nb
de gazelle. Ce dernier détail invite à en souvent employé pour désigner Seth 1' « Ombite»
rapprocher les monuments égyptiens de Reshef : (nbty). En outre, Rowe, Catal. of Egyptian
voir Ch. Boreux, Mélanges R. Dussaud, II, Scarabs, Le Caire, 1936, p. 253, a distingué
1939, p. 673 sqq. (sur ces problèmes auprès du dieu l'image de l'animal séthien.
d'iconographie, en dernier lieu P. Matthiae, Oriens Les traits de Reshef relevés dans la figure
Antiquus, 2, 1963, p. 27 sqq.). Comme il est divine du cylindre montrent que les deux
probable que le dieu du cylindre est le même divinités pouvaient confondre leurs attributs
que celui de la stèle, L. Vincent conclut : dans une certaine mesure, mais ils ne
« sous la forme spéciale où il présidait aux permettent pas de donner au mkl de Beth-Shan un
destinées de Beth-Shan, Ba'al = Soutekh autre nom que celui de Seth-Soutekh.
avait pour appellation qualificative mikal D'ailleurs, la qualification de Reshef par mkl,
'tout puissant' — et pour nom propre Reshep ». attestée à Idalion, ne suppose pas
Cette identification ne pourrait être tenue nécessairement que le dieu de Beth-Shan ait été un Reshef,
pour certaine que si un texte identifiait Sou- même si rnk\r lui est seulement donné comme
tekh-Mikal et Reshef. Or, le type titre et même si ce nom n'est qu'une forme
iconographique de Reshef demeure en Egypte distinct égyptisée d'un mkl sémitique connu plus tard
de celui de Soutekh-Ba'al, et le protome de à Chypre.
gazelle est caractéristique d'autres divinités (*) Voir les bilingues de Tamassos, RÉS,
sémitiques (Horon, Shed); il ne suffit donc 1212 et 1213 = ICS, 215 et 216, avec le
pas à identifier son porteur à Reshef. commentaire; O. Masson, Éléments orientaux, pp. 139-
Trouverait-on en dehors de l'Egypte le lien qui 141; P. Matthiae, o. c, p. 38.
fait défaut? L. Vincent a suggéré de retrouver (2) Selon le procédé que Clermont-Gan-
un Reshef-Seth dans la dédicace phénicienne neau a mis en lumière pour la transposition
de Chypre RÉS 1214 (republiée ci-dessus, en grec des noms sémitiques de personne,
p. 295 sqq.), mais sans vraisemblance. D'autre Recueil, I, p. 186.
part, il n'est pas certain que le dieu de Beth-
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 313

d'Apollon. L'existence de la seconde forme peut s'expliquer par le fait


que l'Apollon 'AfxuxXaïoç de Laconie était plus ou moins connu à Chypre
au ive siècle, mais de toute manière, c'est l'épithète sémitique de Reshef
Mkl qui est l'élément primordial (1).

Appendice I : l'inscription de Kition contenant un nom théophore de Mkl?

Le nom de Mkl n'est pas attesté, à notre connaissance, dans un anthro-


ponyme conservé intégralement. Cependant, comme l'a rappelé E. Bres-
ciani (2), il existe un composé incomplet, qui peut être restitué comme
Mkl'[zr] « Mikal a aidé ». Il s'agit d'une inscription fragmentaire des
environs de Kition, retrouvée en 1894 par J. L. Myres sur le site dit Batsalos,
à l'emplacement d'un sanctuaire phénicien déjà exploité sans méthode
par L. Palma di Cesnola (3). On peut revenir ici sur cette pièce, conservée
à Oxford, Ashmolean Museum, inventaire C. 111; reproduction inédite
ci-contre (fig. 5) (4). La découverte a été décrite par Myres, sans
reproduction (5); c'est une trouvaille de surface, un fragment de rebord
appartenant à un récipient en marbre gris, longueur maxim. 15,4 cm; on sait que des
fragments comparables avaient été recueillis auparavant par Cesnola (6).
Une publication rapide a été fournie par G. A. Cooke en 1896 (7), d'où
Chabot, RÉS, 1516. On lit sans hésitation : - - ]'dny bn mlqrt bn mkl'[ --
Cooke traduisait : « ... his lord, the son of Melqarth, the son of Mikal... »

(*) Naturellement, il en va autrement pour divers renseignements.


dans les textes cités plus haut de Tamassos, (5) JUS, 17 (1897), pp. 172-173, inscription
où rsp 'Ihyts n'est que la transposition d'Apollon n° 4. Batsalos est le nom d'une petite colline
Alasiôtas, et rsp 'lyyt, celle d'Apollon Heleitas, au bord du lac salé de Larnaca, sur la rive
voir O. Masson, II. ce. opposée à celle de Hala Sultan Tekké; carte
(2) Oriens Antiquus, 1 (1962), p. 216. détaillée, ibid., p. 149, fig. 6.
(3) Myres & Ohnefalsch-Richter, Catal. (6) II s'agit de CIS, I, n°3 16 à 39 (les nos 14
Cyprus Museum, 1899, p. 6 : « The sanctuary et 15 sont des pierres), à compléter par RÉS,
on the hill called Batsalos... was ransacked 1528 sqq. (cf. J. L. Myres, Handbook Cesnola
by L. P. di Cesnola; the ground-plan and a Collection, p. 521 sqq.). Pour ces fragments
few fragments were recovered by J. L. Myres... de vases de marbre, voir les remarques
in 1894 »; cf. Ohnefalsch-Richter, Kypros, précieuses de P. Schroeder, Monatsber. Preuss.
die Bibel..., I, p. 12, § 8. Akad. Berlin, 1872, p. 331.
(4) Je remercie M. Prag, Assistant Keeper, (7) The Academy, 1896, I, p. 59 (18 janvier).
314 SYRIA [XLV

Par la suite, Chabot a supposé que le premier mot pourrait être la fin
d'un anthroponyme composé tel que 'smn'dn, Eshmounadon, mais il
était gêné par Mlqrt ; « l'emploi du nom divin Mlqrt comme nom propre
de personne paraît singulier », et l'on pourrait pallier cette difficulté en
voyant ici un hypocoristique de nom théophore (1). Cependant, nous
préférerions comprendre ainsi le fragment : « [à] (nom divin)... son seigneur,

Fig. 5. — Fragment de dédicace phénicienne de Kition, RÉS, 1516


(photo Ashmolean Museum, Oxford).

Bnmlqrt (auteur de la dédicace), fils de Mkl\zr\... » (2)... ». Le nom


Bnmlqrt semble nouveau, mais on connaît une série de noms théophores
formés sur le schéma « fils » ou « fille de tel dieu » (3).
Pour le dernier mot, Cooke (4) a proposé un nom également nouveau,
dont le second élément serait une racine en '-, tel que Mkl'zr, du type de
B'Vzr « Ba'al a aidé » (5). Quoi qu'il en soit pour le reste du texte, la présence
d'un nom théophore très vraisemblablement formé avec Mikal pour le
premier élément est un fait notable pour l'onomastique phénicienne de
Kition.

(x) On connaît un Mlqrt à Carthage, CIS, 'bnsms, bnb'l, etc.; cf. Milik, BASOR, 143
I, 4062, cf. G. Halff, Karthago, XII, p. 121. (1956), p. 5, n. 25.
(2) On sait que la plupart des fragments (4) Suivi par Harris, o. c, p. 117.
de Batsalos, CIS, I, 14 à 39, sont des dédicaces (5) Cf. G. Halff, o.c, pp. 77 et 101 ; comparer
au dieu Eshmoun-Melqart. Eliézer, etc.
(3) Harris, Grammar Phoen. Lang., p. 87 :
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 315

Appendice II : inscriptions de Kition (site de Turabi)

Nous profitons de l'occasion qui nous est offerte ici pour republier,
avec des reproductions, deux autres inscriptions phéniciennes fragmentaires,
découvertes en 1894 par J. L. Myres dans une nécropole dite Turabi Tekké,
au sud de la vieille ville de Larnaca, en dehors de la partie méridionale des
murailles anciennes de Kition (1). Au cours de la construction de la route
de Nicosie, ce site avait déjà livré en 1880 une stèle avec inscription
phénicienne, CIS I, 44 = KAI, 34, qui est conservée au British Museum,
inv. 125.096 (2). Les travaux de 1894 ont mis au jour à Turabi trois
documents phéniciens.
a) Une stèle de marbre blanc en forme d'obélisque à quatre côtés,
RÉS, 1206; elle se trouve également au British Museum, inv. 125.082 (3).
b) Une stèle de calcaire, avec fronton orné d'acrotères, hauteur 83 cm;
sous le fronton, deux lignes de texte, quelques lettres manquant à
gauche (4) ; en dessous, dessin sommaire d'un objet, peut-être un rabot (5);
texte repris dans RÉS, 1207. Ancien numéro 6 231 au Musée de Nicosie (6),
inventaire actuel des inscriptions, n°396. Nouvelle reproduction ici (fig. 6).
Le texte se lit sans difficulté : (1) Vbdistr(t) bn 'smn [ - - ] (2)hrs 'glt pH
z y[- - ]. C'est-à-dire : « Pour Abdashtar(t), Tris d'Eshmun [...] le charron.
A fait cela Y[...] ». Comme on l'a vu dès le début, l'expression hrs 'glt
désigne un « fabricant de chariots », un charron (7) ; mais la fin du texte fait
difficulté, et nous proposons notre interprétation avec prudence (8).

(!) Myres, JHS, 17 (1897), p. 152 sqq. et A. M. Honeyman, Iraq, 6 (1939), p. 104, n° 1.
carte de la p. 149. (7) Au sujet du terme hri, voir M. Sznycer,
(2) Cf. Myres, o. c, pp. 152 et 171; « Une inscription punique trouvée à Monte
reproduction dans CIS, I, pi. VIII, 44 et 44 a. Sirai », Semitica, XV (1965), pp. 35-43,
(3) Reproduction dans Cooke, notamment 40 sq.
North-Semit c Inscriptions, pi. II. (8) Le RES réunit les deux dernières lettres,
(4) Myres, o. c, p. 172, n° 2; publication zy[, en y voyant le début du nom propre
par Cooke, The Academy, l. c. qui doit terminer le texte. Il existe bien des
(5) D'après l'interprétation d'E. Michon, anthroponymes commençant ainsi dans des
Rev. Arch., 1900, I, p. 458. inscriptions puniques (voir G. Halff, Kar-
(6) Myres & Ohnefalsch-Richter, Catal. thago, XII, p. 108); on peut y joindre zybqm
Cyprus Museum, p. 172; simple mention chez à Malte [CIS, I, 132; cf. M. Guzzo Amadasi,
316 SYRIA [XLV

Fig. 6. — Partie supérieure de la stèle de Kition Fig. 7. — Fragment de stèle, même site,
(Turabi), Musée de Nicosie inscr. 396 = RÉS 1207 Musée de Nicosie inscr. 394 = RÉS 1208
(photo Cyprus Museum). (photo Cyprus Museum).

c) Fragment de la partie supérieure droite d'une stèle de marbre,


hauteur 20 cm, trouvé avec un autre fragment au voisinage de la tombe
45 (1); texte repris dans RÉS, 1208. Ancien numéro 6232 au Musée de
Nicosie (2); inventaire actuel des inscriptions, n° 394. Nouvelle reproduction
ici (fig. 7).

Le iscrizioni fenicie e puniche délie colonie dérant y comme l'initiale du nom propre.
in Occidente, Rome, 1967, pp. 23-25) et zybqt (x) Myres, o. c, p. 172, n° 3; publication
dans le texte d'Avignon {RÉS, 360; Guzzo par Cooke, The Academy, l. c.
Amadasi, o. c, p. 183 sq.). Mais de tels noms (2) Cf. Myres & Ohnefalsch-Richter,
sont unanimement tenus pour libyques. Aussi l. c. ; Honeyman, o. c, n° 2.
présentons-nous cette suggestion, en
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 317

II subsiste des débuts de lignes : (1) lsmr[bH - - -] (2) msbt z [ ]


(3) Im (1). C'est-à-dire : « Pour Shamar[ba'al - - -], cette stèle [ ],
pour eux (?) ». Une restitution de la partie perdue est naturellement
impossible (2).

Appendice III : remarques sur le dieu Ssm

La nouvelle dédicace d' Idalion fait connaître un exemple


supplémentaire du nom 'bdssm « serviteur de Sasm », et attire une fois de plus
l'attention sur Ssm, personnalité divine mal connue, dont l'existence avait été
décelée par Ernest Renan (3). Ce dieu est ancien dans le monde sémitique
occidental, puisque l'onomastique d'Ugarit fournit déjà deux attestations
de noms d'homme qui se rattachent à son culte, 'bdssm et bnssm (4).
En dehors du composé théophore 'bdssm, il existe à Chypre et dans
d'autres régions des noms formés directement sur le radical du nom divin.
Pour Chypre, on connaît depuis quelques décennies un roi phénicien
Sasmas, qui a régné à Marion entre 470/460 et 450 environ : il a laissé des
monnaies portant la légende chypriote syllabique sa-sa-ma-o-se, soit
Sacrfxàoç, génitif en -à(F )oç d'un nom *2acr(i.à<; qui répond au phénicien *ssm'(5).
D'autre part, à l'époque hellénistique, sur le site de Larnaka tis Lapithou,
l'auteur d'une dédicace bilingue à Anat-Athéna et Ptolémée, CIS, I, 95 =
KAI, 42, est un certain Praxidemos, fils de Sesmas (au génitif dialectal
Ssa[zàoç) (6), appelé dans le texte phénicien B'islm fils de [S]smy.

(*) Comme l'indique le RÉS, cette dernière 1957, n° 47, ligne 18 (aussi bnrsp, 9, etc.).
ligne semble complète. (5) Masson, ICS, n° 168, pp. 181-183.
(2) Le complément avec smr[b'l] « Ba'al (6) II s'agit bien d'un génitif, pour un
a conservé » est vraisemblable; nombreux nominatif de la flexion chypriote en -àç, cf.
exemples de ce nom en punique (G. Halff, Masson, l. c. ; on écrit très souvent, à tort, « Ses-
o. c, p. 143). maos » comme nom du personnage, encore
(3) Commentaire de CIS, I, 46 (p. 68). chez Donner-Rollig, KAI, pp. 44, 59, etc.
(4) J. Aistleitner, Wôrterb. der ugarit. Le premier éditeur, Vogué, J. Asiat. 1867,
Sprache, Berlin, 1963, p. 221, n° 1 935, 'bdssm, II, p. 121 sq., opposait bien « Sesmas » (trans*-
chez A. Herdner, Corpus des tablettes en cription du grec alphabétique) à « Sesmaï »
cunéiformes alphabétiques..., 1963, n° 49, (partie phénicienne) ; le même individu
verso, 6; pour bnssm, Aistleitner, ibid., pouvait être appelé ssm' et ssmy.
chez Virolleaud, Pal. royal d'Ugarit, II,
SYRIA. — T. XLV. 20
318 SYRIA [XLV

Pour la Phénicie même, on dispose d'un témoignage concernant Sidon.


En effet, dans l'onomastique d'une petite colonie sidonienne établie vers
le ine siècle à Marisa, en Judée, on relève un personnage nommé en
transcription grecque 2e<r|jt,atoç, donc Ssmy, père d'un 'A7roXXo<pàv7]ç qui était
le chef civil de ces colons, OGI, 593 (1). D'ailleurs, le culte de notre dieu
n'était pas inconnu à Carthage : à côté du composé 'bdssm, CIS, I, 5733
(cf. 4561?), on retrouve le simple Ssmy, ibid., 3771 (2). La Bible fait
aussi mention d'un Sismaï dans la généalogie de la tribu de Juda, /
Chroniques 2, 40, qui représente encore Ssmy.
asma (Sa-as-ma-a) est fourni par un document
assyrien datant de la fin du règne d'Assurbanipal (668-626) (3) ; dans ce cas,
on a probablement un personnage d'origine araméenne (4), portant le
nom ssm'.
Un exemple ambigu est apporté, d'autre part, par un texte difficile,
l'incantation cananéenne du vne siècle, KAI, 27, découverte en 1933 à
Arslan Tash (5). A la ligne 2, on lit : ssm bn pdrss'... Les premiers
interprètes ont voulu reconnaître ici le dieu Ssm lui-même, qualifié de « fils
de Pdrss' » (6). Mais par la suite, M. Dupont-Sommer a proposé de voir
plutôt ici un simple nom d'homme, celui de l'auteur de l'incantation (7),

Se<7(jiodoi>, ap£<xç tov èv 1914, p. 219, renvoyant à C. H. W. Johns,


Mocpicnji StScovtwv..., inscription n° 1 de la Assyrian Deeds and Documents, I, 1898, p. 89,
tombe I de Marisa, dans la publication n° 151.
exemplaire de J. P. Peters et H. Thiersch, (4) Renseignement de Mlle Aynard,
Painted Tombs in the Necropolis of Marissa, obligeamment communiqué par M. J. Nougay-
Londres, 1905, pp. 36-40, avec un excellent rol (1965) ; les noms araméens sont fréquents
commentaire; ibid., p. 40 sq., 44 sq., les épitaphes à cette époque et dans ces documents.
n° 3, Sa^oïJç Zea[i.<xiou et n° 9 Koavaxavoç (5) Première publication par R. du Mesnil
' A[L\LO)io\j (sic) too Seafzdcou (sic), où Sesma(i)os du Ruisson, Mélanges R. Dussaud, I, 1939,
est le même personnage, ancêtre du groupe p. 421 sqq.; cf. W. F. Albright, BASOR,
(ibid., pp. 61-62). Dans l'onomastique 76 (1939), pp. 5-7 et autres études énumérées
intéressante (et peu connue) de ces Sidoniens, noter chez Donner-Rolug, KAI, p. 43.
aussi deux Meep^aXoç (sic), n0B 4 et 20; des (8) Encore dans ce sens Donner-Rollig,
éléments iduméens s'y introduisent, comme o.c, p. 44; pour le second nom, on rapproche
Koavaravoç, n0B 9 à 11, Koa^avoç nos 12. les noms divins ougaritiques pdr (masc.)
Cf. Lagrange, CRAI, 1902, pp. 496-505. et pdry (fém.), Aistleitner, o. c, p. 253.
(2) G. Halff, Karthago, XII, pp. 132 et 127. (7) A. Dupont-Sommer, Rev. Hist. Rel.,
(3) K. Tallqvist, Assyrian Personal Names, 1939, II, pp. 133-159, notamment p. 136.
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 319

et cette explication nous paraît en définitive la plus vraisemblable; on


aurait ainsi un nouvel exemple pour un des hypocoristiques déjà rencontrés.
Quant au nom divin lui-même, on admet généralement qu'il figure sur
un document unique, une amulette phénicienne d'époque et de provenance
exacte inconnues, portant la légende ssm, RES, 1505 (1).
La répartition des noms théophores de Ssm n'apporte pas grande
lumière sur l'origine possible de ce dieu. A l'heure actuelle, on ne peut
qu'énumérer les hypothèses assez vagues qui ont été formulées sur sa
provenance. Mais, de toute manière, on doit songer à un dieu étranger, aucune
étymologie sémitique ne se proposant pour un nom dont les deux premières
radicales sont identiques (2).
Le premier, semble-t-il, Clermont-Ganneau avait envisagé pour Ssm
la possibilité d'une origine égyptienne (3). Cette hypothèse a été reprise
et développée par Isidore Lévy, dans une étude assez détaillée (4) : il
faudrait penser à une divinité égyptienne secondaire, ssmw ou Shesmou, dieu
du pressoir à huile et à vin, qui joue aussi un rôle dans la toilette funéraire
et deviendra un des trente-six décans, étant surtout une figure memphite (5).
Le rapprochement est intéressant, mais ne semble plus soutenable
aujourd'hui, alors que le culte de Ssm est déjà attesté à Ugarit : le rayonnement
d'un si petit dieu jusque dans cette région n'est pas vraisemblable (6).
Une tentative dans une autre direction a été faite par W. F. Albright,
qui a soutenu la théorie d'une origine hourrite (7); mais là encore, on n'aper-

(*) D'abord Clermont-Ganneau, Recueil, (5) Outre I. Lévy, l. c, voir H. Bonnet,


II, 1898, pp. 60-61; l'objet proviendrait de Reallexikon der aegyptischen Religionsges-
la côte syrienne. Situation actuelle inconnue chichte, 1952, p. 679 sq. ; C. de Wit, Le rôle et
(ancienne collection Clermont-Ganneau; le sens du lion dans l'Egypte ancienne, Leyde,
procuré par le consul Lôytved). pp. 267-269; nous remercions J. Leclant
(2) A titre de curiosité, on mentionnera le pour diverses indications bibliographiques à
rapprochement superficiel suggéré par Gaster, ce sujet.
Orientaha, NS 11 (1942), p. 52, n. 1, avec le (6) Tel est l'avis de M. Georges Posener,
nom carien Zaa<7cofi.oç (Halicarnasse). consulté à ce propos (1967).
(3) Recueil, I, 1888, p. 183 et n. 2 (7) BASOR, 76, p. 7, note 9 : « There can
(suggestion de Maspero). be little doubt that this deity [Sasm] is of
(4) « Sasm », Volume du cinquantenaire de Human origin »; dans le même sens, Donner-
l'École prat. des H. Études (Bibl. des H. E., Rollig, o. c, p. 44.
fasc. 230), Paris, 1921, pp. 282-288.
320 SYRIA [XLV

çoit pas d'argument utilisable, malgré notre connaissance relativement


améliorée du panthéon hourrite (1).
En définitive, il faut conclure par un non liquet, en souhaitant la
découverte de nouveaux témoignages qui pourraient nous éclairer sur la patrie
primitive du dieu Ssm.

André Caquot et Olivier Masson.

(*) Aucun élément de comparaison, par les noms des dieux hittites, 1947, chap. II,
exemple, chez E. Laroche, Recherches sur « Divinités hourrites ».

ADDENDA

a) P. 303, note 2. La dédicace CIS I, 88, découverte à Nicosie, avait été attribuée à Larnaca-
Kition par M. de Vogiié, Rev. Arch., II. ce.,' et J.Asiat. 1867, II, p. 87; plus tard Renan, CIS I
(p. 101), a défendu une attribution à Idalion. La solution de Vogué nous paraît bien préférable,
car le culte de Melqart était très important à Kition : voir entre autres Gjerstad, S wed. Cyprus
Exped. Ill (1937), p. 75; K. Nicolaou, Opusc. Athen. V (1965), p. 37 sqq.

b) P. 300. En plus du texte CIS I, 10, d'autres inscriptions phéniciennes de Kition sont
entrées au musée du Louvre. Nous signalons ici en particulier les pierres qui se trouvaient
encore chez D. Piérides à Larnaca, au temps de la rédaction du CIS (« penes Pieridem »), et
qui sont arrivées au Louvre en 1885. La liste suivante donne les correspondances, y compris
les numéros chez Ledrain, Notice sommaire des monuments phéniciens du Musée du Louvre,
Paris, 1888 :
CIS, I, 12 = inv. AO 1454 = Ledrain 132;
13 = — AO 1455 = — 130;
40 = — AO 1451 = — 134;
50 = — AO 1453 = — 135;
51 = — AO 1452 = — 131;
52 = — AO 1449 = — 133;
53 = — AO 1450 = — 136.
On ajoutera deux pierres de Piérides acquises en 1862 grâce à Vogué :
CIS, I, 42 = inv. AO 4948 = Ledrain 163.
— 45 = — AO 4835 = — 137 (et pour la partie grecque, = Le Bas-Wad-
dington 2741).

c) P. 302, note 6. Pour le dieu à la flèche, autre interprétation encore chez W. F. Albright,
Yahweh and the Gods of Canaan, Londres, 1968, p. 121. Il traduit l'expression b'i hz par « The
Lord of Good Fortune », d'après l'arabe hazz « lot, destin, bonne chance ». Les pointes de
1968] DEUX INSCRIPTIONS PHÉNICIENNES DE CHYPRE 321

flèche étaient utilisées comme instruments de cléromancie, ce qui expliquerait cette extension
du sens de hz, voir S. Iwry, JAOS,81(1961), p. 27-34.

d) P. 307, note 1. Sur Reshef, voir aussi G. R. Driver, dans Studia semitica I. Bakos ...
dicata, Rratislava, 1965, p. 96 sq.
e) P. 310, note 3. Pour la théorie d' Albright, voir aussi, en dernier lieu, Yahweh and the
Gods of Canaan, p. 121.
/) P. 318. Un autre exemple de Ssmy est proposé pour la Phénicie, chez M. Dunand et
R. Duru, Oumm el-'Amed, une cille de l'époque hellénistique aux échelles de Tyr, Paris, 1962,
p. 194, n° 15, mais avec de grandes réserves de la part des éditeurs eux-mêmes.

g) P. 320. Une conclusion analogue pour Ssm chez F. Grôndahl, Die Personennamen der
Texte aus Ugarit, Rome, 1967, p. 187, qui indique : « Gottheit unbekannter Herkunft ».

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