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Rapprochement entre administrations locales et citoyens via les

technologies de l’information et de la communication


par Yves Poullet, directeur du Centre de Recherche Informatique et Droit (CRID)
et Béatrice van Bastelaer, coordinatrice de recherches à la Cellule Interfacultaire
de Technology Assessment (CITA)
Référence : Poullet Yves, van Bastelaer Béatrice (1999), "Rapprochement entre administrations
locales et citoyens via les technologies de l'information et de la communication", in Revue
Ubiquité, volume 2, FUNDP-Namur, pp. 97-101.

Introduction
La problématique du rapprochement entre administrations locales et citoyens par le biais des
technologies de l'information et de la communication n'est pas neuve mais semble soulever ces
derniers temps un intérêt de plus en plus grand en Région wallonne. On pense ici à la
conférence des pouvoirs locaux qui s'est tenue au début du mois de mars 1999 à Namur et qui
fait suite à une note de novembre 1998 du Ministre Anselme relative au développement des
téléservices en Région wallonne. Le Centre de Recherche Informatique et Droit (CRID) et la
Cellule Interfacultaire de Technology Assessment (CITA) des Facultés Universitaires Notre-
Dame de la Paix de Namur n'ont pas attendu les manifestations récentes pour se pencher de près
sur les questions juridiques et organisationnelles liées à ces développements que l'on qualifie
parfois de "villes virtuelles".

L'utilisation par les administrations communales des ressources nouvelles des technologies de
l'information et de la communication dans leurs relations avec d'autres administrations, en
particulier régionales, et avec les citoyens augure d'une transformation radicale du mode de
fonctionnement de ces administrations. On peut espérer que cette utilisation conduise à une
efficacité plus grande dans les services offerts aux citoyens (délai de traitement des dossiers,
confidentialité accrue des échanges, ...) et à une meilleure transparence de l'action
administrative.

Comme il est souligné dans le document relatif à la politique des télécommunications en Région
wallonne1 , "l'usage des télécommunications dans l'administration est essentiel 2 . Il
permettra une plus grande transparence, un accès plus aisé et en temps réel aux
informations et surtout, une plus grande efficacité dans le traitement des dossiers. Le
développement des téléservices par le secteur public représente un levier majeur pour
inciter les citoyens et les entreprises à utiliser ces technologies et à entrer ainsi de plein
pied dans la Société de l'information" (p. 19).

1. Aspects juridiques liés aux villes virtuelles


Notre propos est de souligner combien un cadre juridique accompagnant les développements
évoqués ci-dessus est nécessaire tant pour fonder ceux-ci et aider à les promouvoir que pour en
dessiner les contours et garantir la sécurité des investissements et transactions.

L'esquisse de ce cadre doit tenir compte de la variété des services et transactions dont le réseau
permet l'offre. Ainsi, une commune peut créer un site Web purement informationnel. On
s'interrogera alors sur la qualité des informations ainsi rendues accessibles et la responsabilité
attachée à un manque de qualité de celles-ci, sur les problèmes de propriété intellectuelle que
peut entraîner le montage d'un site Web, notamment sur les questions de vie privée liées à
l'enregistrement des données nées de la consultation des sites.

1
Gouvernement wallon, cabinet du ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement, des transports et des
télécommunications de la région wallonne, La politique des télécommunications en wallonie.
2
Souligné dans le texte original.
Le développement de site Web ou de courrier électronique offrant des services transactionnels,
permettant de télécharger des formulaires administratifs et même de les remplir, pose, outre les
problèmes déjà soulevés, des questions relatives à l'authentification des messages, des citoyens
d'une part, des agents administratifs d'autre part. Nos réglementations administratives ne
connaissent souvent que le papier, la signature manuscrite et le recommandé postal.

Enfin, on peut songer à mettre sur pied des forums de discussion, voire des référendums
électroniques. Des conseillers peuvent utiliser leur courrier électronique aux fins de dialogue ou
de propagande auprès des citoyens. Tous ces outils dits de démocratie électronique soulèvent
des appréhensions et méritent une réglementation.

En amont de ces questions juridiques liées à l'utilisation de services électroniques


spécifiquement administratifs, on relève deux interrogations.

• La première est tirée des lois sur la transparence administrative (en particulier, la loi du 12
novembre 1997 relative à la publicité de l'administration dans les provinces et communes).
Ne peut-on tirer du principe consacré par ces lois et de la loi du changement qui caractérise le
service public, l'obligation des communes d'utiliser les nouvelles technologies pour être plus
transparentes (création de services informationnels) et plus efficaces (création de services
transactionnels). Le Livre Vert récemment publié par la Commission européenne sur la
diffusion et l'exploitation des informations détenues par le secteur public3 souligne le rôle
essentiel que le service public pourrait jouer dans le développement d'une Europe citoyenne
et d'une économie plus prospère parce que disposant d'acteurs mieux informés.
• La seconde est la question des acteurs qui participent à la mise sur pied de ces services
nouveaux. De plus en plus, les acteurs publics sont amenés à collaborer avec des partenaires
privés, voire à leur confier des tâches importantes dans la conception et la gestion de ces
services nouveaux. Par ailleurs, la rentabilité des investissements nécessités par la mise sur
pied de ces nouveaux services amène les communes à développer des services proches de
ceux offerts par des entreprises privées. Ce double phénomène exige qu'une attention
particulière soit accordée aux problèmes des limites des monopoles publics, du droit de la
concurrence et des contrats conclus avec les entreprises privées.

Entre acteurs publics, administrations communales et régionales, l'utilisation des technologies


peut être précieuse pour faciliter la transmission des messages et l'exercice des compétences de
tutelle et autres. Sans doute, également, y a-t-il place pour une réglementation de ces
transactions garantissant leur sécurité, leur authentification et leur légalité.

En conclusion, le cadre juridique de l'utilisation des technologies de l'information et de la


communication par les communes est à écrire. Il ne s'agit point de bouleverser les règles
traditionnelles mais au contraire d'en approfondir l'esprit et de proposer des textes qui
permettront aux communes de profiter pleinement des opportunités que créent les technologies
de l'information et de la communication pour les citoyens.

2. Aspects organisationnels liés aux villes virtuelles


Les aspects organisationnels liés aux villes virtuelles ont été abordés par le biais de l’analyse
comparative de sept études de cas4 réalisées dans le cadre d’une recherche européenne

3
Livre vert COM (1998) 585 intitulé: "L'information émanant du secteur public: une ressource clef pour
l'Europe".
4
Copenhagen Base (CB), Craigmillar Community Information Service (CCIS-Edinburgh), De Digitale Stad
(Amsterdam), Digitale Metropolis Antwerp, Frihus 2000 (Frederikstad-Norvège), Geneva-MAN et Périclès
(Namur).
consacrée à la construction sociale et à l'apprentissage social du multimédia 5 . De cette analyse
ressort ce qui suit.

2.1. Concept de ville virtuelle


Le concept de ville virtuelle semble relativement flou et est utilisé pour qualifier des situations
très différentes qui vont d'une communauté en ligne (comme CCIS) à une administration en
ligne (comme CB ou DMA). On utilise également le terme de ville virtuelle pour décrire un
projet de développement d'une infrastructure de télécommunications dans une ville (Frihus
2000 ou Geneva-MAN) ou l'offre de services principalement disponibles sur le Web et plus ou
moins liés au concept traditionnel de ville (CB, DDS, DMA ou Périclès).

2.2. Difficulté de gestion de ces projets multimédia


L'étude des sept cas de ville virtuelle européens souligne la difficulté éprouvée par certains
concepteurs de ces projets au niveau de la gestion de ceux-ci. Cette difficulté semble liée à trois
éléments:

• l'approche de l'utilisateur;
• l'instabilité de la technologie;
• la définition des frontières de la ville virtuelle.

Dans la plupart des cas recensés, mais aussi sur base d'autres informations sur les villes
virtuelles, l'utilisateur final, souvent le citoyen de la ville mais pas exclusivement, semble être le
grand absent du développement du projet. Il est rarement impliqué dans la conception du projet
et plus généralement, les concepteurs de ces villes ne semblent pas toujours avoir des idées très
précises sur cet utilisateur souvent abstrait. C'est-à-dire qu'ils disposent peu d'études préalables
relatives aux besoins des utilisateurs ou aux attentes de ceux-ci ou encore relatives à leur niveau
d'équipement informatique ou à leur formation en la matière, ... Face à ce manque
d’informations préalables, les concepteurs semblent émettre un certain nombre d'hypothèses sur
ces utilisateurs, hypothèses pas toujours conscientes ou explicites et rarement testées
formellement dans la réalité puis adaptées.

Les difficultés de gestion de ces villes virtuelles paraissent ensuite liées à l'instabilité de la
technologie. Les technologies liées au multimédia sont en effet caractérisées par de fréquents
changements, au niveau de l'équipement comme des logiciels. Les mises à jour sont fréquentes,
l'utilisateur de ces technologies a rapidement l'impression que ses connaissances et son matériel
vont être dépassés et qu'il devra changer son équipement et adapter ses connaissances.
Différentes stratégies ont été observées face à cette instabilité. La première consiste à suivre le
mouvement et à constamment adapter la technologie, en proposant par exemple tous les six
mois une nouvelle version de l'interface ou de la page de garde de la ville virtuelle. Ceci peut
cependant créer un problème pour les utilisateurs non expérimentés qui doivent chaque fois
retrouver leurs repères et leur chemin dans ces nouvelles villes virtuelles. La deuxième stratégie
consiste à poser des choix techniques que l'on espère relativement stables (trois - quatre ans),
en pariant donc sur la stabilité de la technologie adoptée. Ceci correspond davantage à la
manière habituelle de fonctionner dans les administrations et à la lourdeur des procédures
d'achat d'équipement.

Enfin, la dernière difficulté de gestion nous semble liée aux frontières de la ville virtuelle. En
effet, nous avons souligné que le concept de ville virtuelle est relativement flou. Il comprend en
fait deux idées, différemment développées selon les cas: l'idée de Communauté et l'idée de Cité.
La notion de communauté fait référence à un ensemble de gens qui se regroupent souvent autour
d'une thématique commune ou qui habitent dans un même lieu. Dans ce cas, la ville virtuelle est

5
Social Learning in Multimedia (SLIM), programme Recherche Socio-Economique Finalisée (RSEF-TSER),
DG XII (http://www.ed.ac.uk/~rcss/SLIM/SLIMhome.html).
le reflet des différentes composantes de la communauté et permet à ses membres de s'exprimer
par divers moyens (courrier électronique, développement de pages Web, forums de discussion,
...) et de partager leurs points de vue. La notion de cité renvoie, selon nous, à une conception
plus administrative de la ville et fait un peu référence à la City de Londres. La ville est alors
surtout présentée en fonction de son administration et des services proposés par celle-ci; l'aspect
associatif ou communautaire est moins prioritaire. De manière générale, cette tension entre les
idées de communauté et de cité souligne la question de la frontière de la ville virtuelle et de ce
qui constitue aujourd'hui une ville. Différentes questions se posent : Est-ce ses habitants ou est-
ce son administration? Lesquels ont plus "le droit"6 de revendiquer le nom de ville virtuelle et de
bénéficier par exemple de l'appellation officielle "ville.be"? Les frontières virtuelles
correspondent-elles aux frontières réelles?

2.3. Concept d'interactivité et réorganisation de l'administration


Enfin, l'étude des sept cas de ville virtuelle a souligné que les potentialités du multimédia restent
encore sous-exploitées, notamment au niveau de l'interactivité de ces villes. Internet est encore
trop souvent utilisé comme un simple terminal d'information ou une entrée dans une base de
données. En outre, il convient de se rendre compte que l'interactivité n'est pas un concept
technique qui ferait référence à telle ou telle potentialité d'interactivité théorique liée à une
technologie particulière. L'interactivité, selon nous, fait référence à un processus de
communication et doit être gérée comme telle. L'interactivité dans ce sens suppose une idée de
réciprocité dans la relation, l'idée que A communique avec B et que B communique en retour à
A, c’est-à-dire lui répond en tenant compte de sa demande initiale. Dans ce cas, cela signifie
qu'il est nécessaire de s'interroger sur la manière dont la demande de A, imaginons qu'il
s'agisse d'un citoyen, va être reçue et traitée par B, imaginons qu'il s'agisse de
l'administration. Ceci nous renvoie à la question de la réorganisation de l'administration induite
par le développement des technologies de l'information et de la communication. Dans le cas, en
effet, où la ville virtuelle se rapproche de cette idée de Cité évoquée plus haut et donc où
l'administration occupe une place centrale, il est nécessaire de s'intéresser à la manière dont son
organisation va être repensée pour maximiser son efficacité et pour parvenir à un développement
réellement intégré des technologies multimédia. Le multimédia et Internet ont en effet certaines
spécificités qui vont influencer le fonctionnement de l'administration : services fournis 24h/24 et
donc administrations supposées disponibles 24h/24, introduction d'une idée de "juste-à-temps"
dans la gestion administrative, ... Le citoyen/consommateur moderne qui découvre son
administration sur le Web et connaît les spécificités de ce média pourra légitimement s'attendre à
une satisfaction quasi immédiate de sa demande. Les administrations doivent en être
conscientes.

Conclusion
Cette problématique des villes virtuelles, soulève de nombreuses questions extrêmement
pertinentes d'un point de vue juridique et organisationnel. Elle mériterait à elle seule un numéro
entier de la revue Ubiquité. Nous n'avons fait ici qu'aborder ces questions qui seront
développées plus en profondeur - et feront peut-être l'objet d'un dossier - dans un prochain
numéro d'Ubiquité.

6
Cf. compte-rendu de la première Rencontre Réelle de Villes Virtuelles, juin 1998, CITA-FUNDP, Namur
(http://www.info.fundp.ac.be/~cita/villes/compte-rendu.html).

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