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e prix d e l’entrée au bain dans l’Antiquité est fréquemment mentionné dans les sources littéraires
grecques et romaines 1. Il était perçu comme modeste, ce qui a d’ailleurs participé à la mau-
vaise réputation des bains antiques, considérés comme des lieux populaires et parfois mal famés 2.
La documentation égyptienne n’a jamais été totalement prise en compte pour confirmer les
données tirées des sources littéraires 3. Or le corpus est relativement important, et nous avons pu
recenser 41 documents indiquant une somme versée pour entrer aux bains 4, depuis le milieu du
iiie s. av. J.-C. jusqu’au début du ive s. apr. J.-C. (Tabl. 1) 5. Nous possédons avant tout des comptes
de dépenses journalières tirés d’archives, qui offrent la possibilité de comparer le prix de l’entrée
aux bains aux autres dépenses mentionnées dans les mêmes documents. Le dossier des archives de
Zénon 6, daté du milieu du iiie s. av. J.-C., est sans conteste le plus complet. Il permet de connaître
précisément les dépenses du Carien à divers moments de sa vie : lors de son voyage en Syrie dans les
années 260-258, puis alors qu’il navigue dans le Delta à la suite d’Apollonios, ministre des finances de
Ptolémée II, dans les années 258-256, et enfin quand il gère le domaine d’Apollonios à Philadelphie
dans le Fayoum de 258 à 246 av. J.-C. Les archives personnelles de Menchès 7, comogrammate de
* Nous remercions vivement Béatrice Meyer, Willy Clarysse et Olivier Picard pour la relecture attentive qu’ils ont bien
voulu faire de cet article.
1. Voir, pour l’époque hellénistique principalement, les références fournies dans Calderini 1919, p. 330-331 et Ginouvès
1962, p. 218. Pour l’époque impériale, cf. Nielsen 1990, p. 122-124 ou encore Yegül 1992, p. 45.
2. Ginouvès 1962, p. 216-217.
3. C’est en particulier le cas pour les prix de l’époque impériale. René Ginouvès avait en effet noté, dès 1962, que le prix
de l’entrée au bain en Égypte à l’époque hellénistique était d’un quart ou d’une demi-obole (Ginouvès 1962, p. 218, n. 8).
4. Il faut faire la différence entre le prix d’entrée au bain, acquitté par un client lorsqu’il fréquente un établissement de
bain, et la taxe sur le bain, qu’elle soit payée per capita par tout ou partie des habitants de l’Égypte, ou par les propriétaires
ou locataires d’édifices balnéaires. Cf. Bogaert 1998-1999, p. 58, Redon 2011 et l’article de K. Blouin dans cet ouvrage.
5. Ce tableau s’appuie sur les listes dressées par Bandi 1937, p. 417-418 et Préaux 1939, p. 338, n. 2, sur les quelques références
réunies par Drexhage 1991, p. 103-104, ainsi que sur un dépouillement complet de la documentation papyrologique grecque
publiée et mise en ligne sur le site http://papyri.info. Hormis le document figurant dans le tableau 1 (Caire JE 30440 =
CG 30641), aucune autre source démotique n’a livré de paiement pour une entrée au bain. Nous remercions vivement Willy
Clarysse pour cette référence, et Gianluca Casa qui a effectué pour nous des recherches dans la documentation démotique.
6. Pestman et al. 1981.
7. Verhoogt 2005. Sur la nature de ces archives, cf. Burkhalter 1996, p. 293-294.
836 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
Kerkéosiris entre 120 et 110 av. J.-C., sont des archives officielles qui permettent de connaître la
nature et le montant de prestations accordées aux fonctionnaires en déplacement dans son village,
pour y surveiller la mise en culture des terres. Les archives de Théophane 8, enfin, permettent de
suivre cet avocat de métier lors du voyage qui le mène d’Hermoupolis Magna en Moyenne-Égypte
à Antioche de Syrie, dans les années 317-323, périple au cours duquel il note scrupuleusement ses
dépenses.
À partir de ce corpus, nous commencerons par dresser la liste des prix attestés dans la documen-
tation papyrologique. Nous analyserons ensuite la terminologie du paiement effectué par les clients
des bains égyptiens pour déterminer les services qui étaient ainsi rémunérés et ceux qui venaient
s’ajouter au simple prix de l’entrée. Nous poursuivrons par une analyse numismatique du prix de
l’entrée : nous verrons quelles pièces ont pu servir, concrètement, à payer l’entrée aux bains. Nous
verrons aussi comment le montant du prix de l’entrée a évolué au fil des siècles et ce qu’il révèle des
changements économiques en Égypte grecque puis romaine. Nous terminerons en comparant le
prix de l’entrée au bain à d’autres prix, pour situer ce service dans l’échelle économique des Anciens.
13. Cette lecture est due à Willy Clarysse, que nous remercions.
838 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
compte privé,
deuxième peut-être de trois
Caire JE 30440 = r-tw=w r tȝ st-
moitié du iie s. Haute-Égypte 5 kité hommes en voyage
CG 30641, l. 4 ỉywn
av. J.-C. (mission officielle ?)
en Haute-Égypte
P.Tebt. I, 185 = compte de dépenses
P.Tebt. V, 1152, fr. 113 av. J.-C. ? Kerkéosiris 5 dr. βαλανεῖ provenant des archives
C2, l. 11 de Menchès
P.Tebt. I, 213 =
P.Tebt. V, 1153, l. 21, 113 av. J.-C. ? Kerkéosiris 5 dr. βαλανεῖ idem
23, 36, 50, 103
P.Tebt. I, 112 =
P.Tebt. V, 1151,
l. 10, 13, 16, 22, 47, 112 av. J.-C. Kerkéosiris 10 ; 5 dr. βα(λανεῖ) idem
75, 94, 106, 142,
172, 196, 297, 301
5 dr. ;
P.Tebt. I, 117, l. 13,
99 av. J.-C. Kerkéosiris 50 (βαλανεῖ τοῦ βαλανεῖ compte privé
23, 60
πατρ[ό(ς)])
O.Bodl. I, 320,
recto l. 5, 8, verso ier s. av. J.-C. Thèbes ? 15 ; 10 dr. εἰς βαλανεῖον compte privé
l. 2, 7, 9
P.Mich. V, 312,
34 Théogonis gratuit contrat de location
l. 29-30
SB XII, 11004,
ier/iie s. ? perdu εἰς βαλανεῖον compte privé
l. 16
P.IFAO III, fr. 1,
37, l. 6, 7, 8, 20,
44 ; fr. 2, 2, 4, 7,
1 ob. (et plus
10, 15, 21, 28, 30,
rarement 4 ch. ;
33, 42 ; fr. 3, 5, 12, 136-200 Oxyrhynchos βαλανεῖον compte privé
6 ch. ; 3 ch. ; 2 ob.
15, 17, 31, 37 ; fr. 4,
et 4 ch.)
2-5, 15, 17, 29, 31 ;
fr. 5, 2, 5, 7, 10, 16,
21, 27, 30, 37
P.Mich. XI, 619, fin du iie s.
Oxyrhynchos ? 1/2 ob. βαλανεῖ compte privé
l. 1, 4, 15 (182 ?)
P.Dubl. 17, l. 5, 20 εἰς βαλανεῖον /
iie/ iiie s. ? 4 ob. compte privé
(?) βαλαν[…]
P.Mert. II, 87, l. 4, compte privé
iiie s. ? 1/4 ob. εἰς βαλανεῖον
10, 14 (5 jours complets)
840 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
Dans la deuxième moitié du iiie s. av. J.-C., le prix le plus courant est d’un quart ou d’une
demi-obole. On note aussi quelques prix plus élevés, comme une obole à Thèbes, une ou deux
oboles dans le Fayoum, peut-être à une période plus avancée du iiie s. 14. À partir du début du iie s.
av. J.-C. apparaissent régulièrement dans la documentation les sommes de 1, 5, 10 ou 15 drachmes
(5 et 10 étant les sommes les plus courantes). Nous verrons plus loin les phénomènes qui expliquent
ce changement de prix, mais retenons que, dans le nouveau système monétaire mis en place au
iie s., les fractions de la drachme ont disparu et que la drachme en numéraire de bronze est devenue
l’unité de base du système. Notre documentation est lacunaire pour le Haut Empire et il est plus
difficile d’établir le montant du prix de l’entrée au bain (entre un quart d’obole et quatre oboles).
À l’époque byzantine enfin, le prix donné dans le journal de Théophane est régulièrement de 100
dr. par personne.
On note ainsi assez peu de variations dans les prix. Dans les archives de Théophane, le prix varie
de 1 à 3 (100 à 300 dr.), tandis que dans les archives de Zénon et de Menchès, il est de 1 à 2 (un
quart à une demi-obole et 5 à 10 dr.). Cette différence de coût vient peut-être du type d’établissement
fréquenté, selon qu’il était plus ou moins bien équipé, mais nous n’avons aucun moyen de le vérifier 15.
Nous en sommes donc réduits à des conjectures : ainsi Zénon paie-t-il au tenancier d’un bain une
demi-obole le 12 Hathyr et un quart d’obole le 13 et le 15 du même mois, alors qu’il est visiblement
seul à chaque fois 16. Le compte dont est tirée cette somme est visiblement une éphéméride, alors
que Zénon se trouve à Philadelphie. Nous savons que cette localité possédait plusieurs bains (Zénon
était même le propriétaire d’au moins l’un d’entre eux 17), et on pourrait expliquer la différence de
tarifs par le recours à plusieurs établissements de la ville, qui pratiquaient des prix différents. Mais
il peut s’agir également de payer plusieurs types de prestation (simple toilette ou visite de toutes les
salles du bain, notamment des salles de détente), ce que pourrait indiquer d’ailleurs la terminologie
des dépenses faites au bain.
Terminologie du paiement
Pour noter une dépense faite aux bains dans la documentation grecque, il existe en effet deux
formules dans les comptes journaliers des archives de Zénon, au milieu du iiie s. av. J.-C. 18 :
– le paiement est fait εἰς βαλανεῖον (pour le bain) ou plus rarement βαλανεῖον tout simplement,
ce qui correspond sans doute au paiement du droit d’entrée au bain ;
– on indique, en face de la somme payée, βαλανεῖ. Dans ce cas, il s’agit de rétribuer une personne,
le βαλανεύς, ou tenancier du bain 19, mais sans doute cela donne-t-il accès également au bain dont
il avait la gestion.
En démotique, la seule occurrence à notre disposition, r-tw=w r tȝ st-ỉywn ḳd 5, peut être tra-
duite par « ce qu’on a payé pour le bain, 5 kité 20 ». Le prix mentionné (5 kité) correspond aux 10 dr.
habituellement payées à l’époque (deuxième moitié du iie s. av. J.-C.) pour entrer au bain. Il nous
semble que cette formule correspond assez bien aux termes εἰς βαλανεῖον (« pour le bain »), utilisé
dans la documentation grecque.
Les deux formulations grecques se retrouvent dans les sources jusqu’au cœur de l’époque impé-
riale, même si la première semble prendre le pas sur la seconde à partir du iie s. av. J.-C. Dans les
archives de Théophane, la seconde formulation est la seule attestée, mais les raisons qui expliquent
le passage d’une terminologie à l’autre nous échappent quelque peu, par manque de documentation
pour le ier s. av./ ier s. apr. J.-C.
Si le paiement εἰς βαλανεῖον est toujours d’un quart d’obole au iiie s. av. J.-C., le paiement au
βαλανεύς peut être d’un quart ou d’une demi-obole (voire de ¾ d’obole dans un cas exceptionnel 21).
Ce prix plus élevé s’explique peut-être par le fait que le paiement au βαλανεύς implique son inter-
vention personnelle 22 (par exemple pour verser l’eau sur les clients, comme chez Théophraste dans
ses Caractères 23) ou son déplacement 24.
Pour le prouver, nous avons tenté d’isoler et de différencier chacun de ces paiements pour en
saisir la nuance, mais sans succès. En effet, on trouve parfois les deux formulations dans le même
document 25 ; on paie alors une demi-obole au βαλανεύς et un quart d’obole εἰς βαλανεῖον, mais on
trouve également, dans un autre document, le paiement au βαλανεύς d’un quart d’obole un jour,
et d’une demi-obole le lendemain 26. De plus, on trouve les deux tarifs à la fois dans les comptes
de voyage et les comptes de dépense classiques. Il nous semble donc à ce stade impossible de voir si
l’emploi de ces deux dénominations correspond à une différence majeure. S’il est probable que le
paiement au βαλανεύς impliquait davantage de services que le simple εἰς βαλανεῖον, la documenta-
tion n’est pas suffisante pour l’affirmer.
26. Ainsi dans P.Cair.Zen. IV, 59704 ; P.Cair.Zen. IV, 59705 (milieu du iiie s. av. J.-C.) ; UPZ II, 158 A = C.Pap. Hengstl 80.
27. Voir la liste, ancienne et incomplète, de Calderini 1919, p. 319-320 et Ginouvès 1962, p. 213. Le terme est employé
jusqu’à la fin de l’Antiquité, sous la forme de περιχύτης (ibid.).
28. P.Cair.Zen. IV, 59799 (254-250 av. J.-C.).
29. P.Enteux. 82 (221 av. J.-C.).
30. P.Iand. VIII, 146, 8, 6 (180 av. J.-C.).
31. P.Mil. Vogl. II, 188 = SB VIII, 9653, l. 11 (125 apr. J.-C. ?).
32. P.Ryl. IV, 630/637, l. 329 : ἑπέτ[αις εἰ]ς βαλανεῖον (δραχμαὶ) σ, « aux aides pour le bain, 200 dr. ». W. Clarysse nous a
cependant fait remarquer la rareté d’emploi de ce terme (il n’est attesté, pour le LSJ, que dans Pindare). Cette rareté avait
été notée par les éditeurs des P.Ryl., mais le terme est utilisé à trois reprises dans les archives de Théophane et la restitution
proposée l. 329 semble donc correcte (outre la mention ci-dessus, cf. P.Ryl. IV, 627, l. 146 et P.Ryl. IV, 630, l. 29 : les ἑπέται
sont respectivement rémunérés 200 et 100 dr.).
33. P.Tebt. III, 798 = C.Ptol.Sklav. n° 246 (iie s. av. J.-C.). Un autre document (UPZ I, 121 = C.Ptol.Sklav. I, 81, 156 av.
J.-C.) relate le larcin d’un esclave en fuite ; la nature du butin – des bijoux, un lécythe, un strigile, une chlamyde et une
ceinture – montre que ce récit pourrait bien mettre en scène un esclave spécialisé dans l’accompagnement de son maître,
ici un diplomate sans doute fort riche.
Le prix de l’entrée au bain en Égypte hellénistique et romaine d’après les données textuelles et numismatiques 843
Hormis ces garçons de bain, on ne trouve pas mention, en lien direct avec un bain, d’autres spé-
cialistes, tels que ceux qui officiaient dans les thermes romains, puis dans les hammams (épileurs,
masseurs, etc.). Les rares mentions de masseurs apparaissent seulement dans un contexte privé 34.
Les barbiers, quant à eux, ne semblent pas officier dans le cadre des bains, mais dans des échoppes
indépendantes. Toutefois, à deux reprises 35 dans des comptes journaliers d’époque hellénistique,
bain et barbier se suivent dans la liste des dépenses, ce qui pourrait indiquer une simultanéité de la
fréquentation du bain et de l’échoppe du barbier, et peut-être une proximité géographique de ces
deux édifices 36.
Achat Prix
Toutes ces dépenses d’ailleurs coûtent plus cher que l’entrée au bain en elle-même, qui, à quelque
époque que l’on se situe, semble être toujours le prix le plus bas que l’on puisse payer avec les pièces
de monnaies alors en circulation.
Du texte à la pratique
Il s’agit ici de mettre en corrélation les informations livrées par les textes et les monnaies. Ce
sont elles qui servaient à payer l’entrée aux bains ou à rémunérer le personnel qui y travaillait. Après
un rapide aperçu des spécificités monétaires de l’Égypte gréco-romaine, on s’intéressera plus par-
ticulièrement à ces petites monnaies qui servaient de droit d’entrée, en les comparant par exemple
aux pièces utilisées à Rome et sur lesquelles nous sommes bien renseignés, ou bien en essayant de
remettre ce prix d’entrée dans le contexte économique, pour essayer de comprendre ce que pouvait
représenter l’entrée aux bains dans les dépenses courantes d’un Égyptien.
Spécificité de l’Égypte
L’Égypte entre sous Ptolémée Ier, dès la fin du ive s. av. J.-C., dans ce que l’on appelle un système
monétaire fermé. On sait par les textes 45, mais aussi par l’archéologie 46, que les monnaies étrangères
n’étaient pas acceptées à l’intérieur du territoire égyptien. Les étrangers avaient donc pour obligation
de changer leur monnaie locale contre une monnaie égyptienne, largement surévaluée. Il en résulta
l’apparition d’un système monétaire complexe, inspiré du système grec et macédonien, mais dont
les spécificités rendent quelquefois difficile la comparaison avec d’autres monnayages.
41. P.Ryl. IV, 630/637, l. 45, 195, 216-217, 245, 344, 357, 377, P.Ryl. IV, 629, l. 106.
42. P.Ryl. IV, 629, l. 100, 203, 314. Il s’agit d’une altération du terme ἀπόνιπτρον. Nous renvoyons, sur la réalité que recouvre
ce terme, à l’article de M. Blonski dans cet ouvrage.
43. P.Ryl. IV, 629, l. 2-3.
44. P.Ryl. IV, 629, l. 309.
45. P.Cair.Zen. I, 59021 (milieu du iiie s. av. J.-C.), Le Rider 1998.
46. Mis à part quelques exceptions, dont fait partie le site de Tell el-Herr, presque aucune monnaie étrangère ne se retrouve
dans les fouilles sur le territoire égyptien. Cf. Picard 2005, p. 82 et Faucher 2011, p. 438.
Le prix de l’entrée au bain en Égypte hellénistique et romaine d’après les données textuelles et numismatiques 845
Période lagide
Ptolémée Ier a frappé une pièce d’un chalque. Issue de la tradition macédonienne, elle repré-
sente une tête juvénile d’Alexandre cornu au droit et un aigle sur un foudre, les ailes ouvertes, au
revers (fig. 1). La valeur de cette monnaie est bien connue puisqu’elle correspond à d’autres pièces
– de même poids et de même diamètre – émises en Grèce et qui circulent de façon régulière à
Alexandrie avant la fermeture du système monétaire 49. Il existe aussi à cette époque un hémiobole,
à la tête juvénile d’Alexandre cornu, mais cette fois-ci, avec les cheveux longs (fig. 2). Vers 261/260,
Ptolémée II engage une grande réforme monétaire. À cette date, toutes les monnaies sont retirées de
la circulation et le roi frappe une nouvelle série 50 (série 3) comprenant de nouvelles dénominations,
allant maintenant jusqu’à 100 gr. La plus petite dénomination de ce système pourrait être le quart
d’obole (Svoronos 418, 427, 431a, 442 [fig. 3], 453, 470, 485), mais l’existence d’un hémiobole aux
47. C’est le cas pour la majeure partie du monde grec antique ; mais dans les quelques régions où a cours l’étalon éginé-
tique, l’obole est à 12 chalques.
48. Psoma 1998, p. 21.
49. On a retrouvé ces monnaies dans les fouilles du CEAlex. Elles proviennent souvent des niveaux d’installation des
premiers colons et ont principalement pour origine l’Asie Mineure, en particulier Rhodes, cf. Picard 2005, p. 82 et
Marcellesi 2012.
50. Les monnaies ptolémaïques en bronze ne sont plus attribuées à des règnes, comme c’était traditionnellement le cas,
mais rangées en séries successives, plus proches de la réalité numismatique, cf. Picard 2005, p. 81.
846 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
mêmes types ne permet pas d’en être sûr 51. La série 4 (Svoronos 1171) et la série 5 (Svoronos 970
[fig. 4], 971 [fig. 5]) incluent également des hémioboles et des quarts d’obole. Les types de droit et
de revers sont régulièrement les mêmes, mais pour le revers, une corne d’abondance apparaît sur
l’épaule de l’aigle lors de la quatrième série et dans le champ à gauche lors de la cinquième série ;
Zeus Ammon et Alexandre coiffé d’une dépouille d’éléphant sont toujours représentés sur le droit.
Certainement au tout début du iie s. av. J.-C., le système monétaire change. Jusqu’à cette date,
une drachme de bronze équivalait à une drachme d’argent (même s’il fallait quelquefois acquitter un
léger agio), mais, après la réforme, la monnaie de bronze perd sa parité avec celle d’argent et les prix
en monnaies de bronze s’en trouvent multipliés par dix et plus. Sans entrer dans le détail de cette
évolution comptable 52, on peut simplement faire remarquer qu’entre le prix d’un quart d’obole que
l’on trouve pendant une grande partie du iiie s. et les 5 drachmes qu’il faudra payer à partir de la
deuxième moitié du iie s., trois textes mentionnent des prix d’entrée de 1, 2, 3 oboles et 1 drachme,
certainement la preuve d’une des phases de dévaluation de la monnaie de bronze 53. Il est encore
difficile de définir la valeur des pièces de la première moitié du iie s. tant les systèmes monétaires
successifs sont complexes. Les figures 6 et 7 représentent des pièces qui ont pu valoir cinq drachmes ;
elles sont, en tout cas, les plus petites dénominations de leurs séries respectives.
À partir du milieu du iie s. et jusqu’à la fin de la période lagide, le prix de l’entrée aux bains
semble se stabiliser, 5 drachmes constituant la norme. Il existe, à partir de cette époque, des pièces
de 5 drachmes (fig. 8-10) qui nous sont par ailleurs connues par un passage largement commenté
des Pneumatiques d’Héron d’Alexandrie : « Il y a des vases à libation dont, quand on insère une pièce
de monnaie d’un pentadrachme, l’eau coule pour les ablutions 54. » Comme au iiie s., cette monnaie
représente toujours la plus petite dénomination du système. Concernant l’époque du règne de la
grande Cléopâtre, nous sommes sûrs de la valeur de cette pièce, puisqu’elle fait partie d’une série où
les dénominations sont marquées d’une lettre, P pour 80 et M pour 40 drachmes ; si la plus petite
dénomination ne porte pas de marque de valeur, la relation métrologique avec les autres monnaies
du système ne permet pas le doute.
Période romaine
Après sa prise de pouvoir en Égypte, Auguste adopte le système monétaire de Cléopâtre, en émet-
tant au même type de revers, avec son portrait au droit, des monnaies de 80 et 40 drachmes (RPC
5001-2). Toutefois, les papyrus indiquent qu’assez vite (vers 2/3 apr. J.-C.), les autorités délaissent
l’unité de compte qu’était devenue la drachme pour la remplacer, non pas par le système romain –
sesterce, dupondius, as et ses divisions –, mais par l’ancien système grec : drachme, obole et chalque 55.
Ce changement se retrouve dans le prix d’entrée aux bains, qui passe de 5 ou 10 drachmes à 1 obole
ou quelques chalques 56. Il n’est pas possible de faire le recensement de l’ensemble des pièces qui
ont pu avoir la valeur d’un dichalque, d’un hémiobole ou d’une obole à la période romaine. D’une
part, les types varient régulièrement d’un empereur à l’autre, même à l’intérieur d’une même année,
et d’autre part, les numismates ne sont pas encore d’accord sur la valeur à accorder aux différentes
dénominations 57. On trouvera illustrées plusieurs monnaies d’Auguste (fig. 11-14), de Tibère
(fig. 15-16), de Trajan (fig. 17) et d’Hadrien (fig. 18), susceptibles d’avoir été utilisées pour l’entrée
aux bains ; elles montrent la variété des représentations et des modules utilisés à ces périodes. Quoi
qu’il en soit, ce système perdure jusqu’à la fin du iiie s. À cette date, Dioclétien met en place une
réforme monétaire qui ouvre le marché monétaire de l’Égypte aux autres monnaies de l’Empire.
À cette période, les différentes crises financières et monétaires que connaît le royaume font monter
les prix très vite, de sorte que les papyrus de Théophane, datés de 317-323, indiquent des prix d’entrée
qui peuvent paraître exorbitants : 100, 200, et même 300 drachmes. À la suite des dévaluations
rapides et de l’inflation galopante qui apparaît à la fin du iiie s., il est délicat de mettre en face des
valeurs enregistrées dans les papyrus, des monnaies en particulier. Ces sommes révèlent certaine-
ment l’utilisation des AE 4, ces petites monnaies en bronze, quelques fois frappées mais souvent
moulées, d’un diamètre de 10 à 14 mm, que l’on trouve en abondance lors de toutes les fouilles sur
le territoire égyptien (Salus Rei Publicae [fig. 19] ; Populus Romanus [fig. 20]).
56. Nous n’avons aucune donnée permettant de mesurer le rythme et la chronologie de l’évolution du prix de l’entrée
entre 99 av. J.-C. et 136-200 apr. J.-C.
57. Christiansen 1988 propose, dans son introduction, un système qui s’adapte au système romain où chaque monnaie
trouve une équivalence : la plus petite monnaie étant le trichalkon ou le dichalkon, valant un quadrans.
58. Thornton 1980, p. 348. Rostovtsew, Prou 1900 p. 136-138. Tessères avec images du bain : alabastron et deux strigiles
dans un anneau ou homme tenant les instruments du bain. Voir aussi Salinas 1866, p. 23.
848 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
59. IG IV, 1390 (92-91 av. J.-C.). Voir en dernier lieu Deshours 2006.
60. Corbier 1985, p. 92-93.
Le prix de l’entrée au bain en Égypte hellénistique et romaine d’après les données textuelles et numismatiques 849
variantes, autour d’une obole par jour ; l’entrée au bain représenterait alors le quart de son salaire
journalier. Aux ier et iie s. apr. J.-C., où le prix de l’entrée est souvent d’une obole, les salaires jour-
naliers sont régulièrement d’une drachme ; l’entrée aux bains représenterait alors pour cette même
personne le sixième de son salaire. Pour l’Égypte byzantine, les comparaisons entre les salaires et les
prix sont difficiles à faire. Les textes recensent des prix en numéraires différents, il est donc malaisé
d’en tirer des conclusions, contrairement à ce qu’il est possible de faire pour l’époque hellénistique
et même romaine 61.
Mieux que les salaires, le blé donne des renseignements plus précis encore sur l’évolution des prix
en Égypte tardive. Ses nombreuses mentions dans les papyrus en font un élément de choix pour
comparer l’évolution des prix dans l’antiquité grecque et romaine, à tel point que les spécialistes de
la quantification en économie antique traduisent volontiers les prix ou les salaires en équivalent blé 62.
Le premier graphique (fig. 22) présente l’évolution du prix de l’artabe de blé en Égypte à l’époque
gréco-romaine 63. Les données s’arrêtent en 360 puisque le système d’enregistrement des prix change
à cette époque ; l’unité du système devient alors le modius et non plus la drachme. À côté des prix
du blé, sont affichés les prix de l’entrée aux bains. On ne s’étonnera pas de la corrélation entre le
prix de ces bains et les inflations monétaires qu’a connues l’Égypte. On retrouve bien au début du
règne d’Auguste ce changement dans l’unité de compte et la ré-adoption du système comptable grec.
Le second graphique (fig. 23) permet de mieux apprécier l’évolution du prix des bains par rapport
à celui des denrées de la vie courante. Il présente le prix des bains, indexé au prix du blé, en prenant
comme base l’année 250 av. J.-C., où l’entrée au bain vaut un quart d’obole et le blé 1 drachme 2
oboles l’artabe. L’entrée aux bains devient alors, au cours de l’époque hellénistique, de manière rela-
tive, moins chère que le prix du blé ; ainsi, pour un salaire équivalent, un Égyptien avait plus souvent
accès aux bains. Cette tendance semble s’atténuer à l’époque impériale où les prix connaissent une
grande stabilité jusqu’à la fin du iiie s.
bien à l’équipe du secrétaire royal (numéro deux à la tête de l’administration du nome), qu’à celle du
simple scribe de village 65. Au sein de l’entourage d’Apollonios le diœcète, les esclaves avaient aussi
accès au bain et leur entrée était prise en charge par leur patron (de même que les soins médicaux) 66.
Dans les archives de Théophane, il apparaît également que la fréquence de ses visites au bain
était paradoxalement moins élevée lors de son séjour à Antioche, que pendant ses voyages vers la
Syrie et de retour en Égypte. Ainsi, lorsqu’il est à Antioche, du 7 Pachon au 27 Epeiph (pendant plus
de deux mois et demi), il ne se rend que 8 fois aux bains ; durant les 30 jours dont nous avons les
comptes complets (au mois de Pauni), il n’y va qu’à 4 reprises. On ne peut pas l’accuser de négliger
sa personne, puisque ses dépenses attestent au contraire un régime luxueux. Cela signifie peut-être
que Théophane a accès à une salle de bains privée durant son séjour à Antioche, ce que tendraient
à prouver les achats, qui se poursuivent régulièrement, de savon et d’ἀφόνιτρον 72.
Sur les huit fois où il se rend au bain à Antioche, Théophane est accompagné à trois reprises d’un
certain Antoninus 73. De même, le soir du 30 Mésôré, alors qu’il repart vers l’Égypte et qu’il est sans
doute à Tripoli, il va à la taverne après avoir été au bain avec Hermodoros et sa suite, preuve que le
bain collectif est aussi un lieu de sociabilité. Le coût modeste de l’entrée au bain a permis à ce lieu
de rester une institution vivante tout au long de la période hellénistique et romaine, non seulement
dans le but de conserver une hygiène élémentaire, mais aussi pour se rencontrer, discuter, parler
affaire, comme le fait Théophane.
Abréviations
Geissen Alegre, M. S. Butcher, Roman Provincial
A. Geissen, Katalog Alexandrinischer Coinage, vol. 1, Londres, 1998.
Kaisermünzen der Sammlung des Instituts SNG Paris
für Altertumskunde der Universität zu Köln, S. Bakhoum, Sylloge Nummorum Graecorum
Opladen, Westdeutscher Verlag, 1974-1983. France 4, Département des monnaies, médailles
RIC et antiques : Alexandrie I, Auguste-Trajan, Paris,
I. Carradice, Roman Imperial Coinage, 1998.
Londres, 1984. Svoronos
RPC J.N. Svoronos, Ta Nomismata tou Kratous ton
A. Burnett, M. Amandry, P. P. Ripollés Ptolemaion, 4 vol., Athènes, 1904–1908
72. J. Matthews fait la même remarque à propos de la nourriture : les comptes d’Antioche démontrent que la nourriture de
Théophane était cuisinée par ses serviteurs, preuve qu’il était installé dans une demeure munie de toutes les commodités
(Matthews 2006, p. 90).
73. Matthews 2006, p. 93.
852 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
Fig. 1. BnF Y84, Svoronos 54. Fig. 2. BnF 690, Svoronos 172. Fig. 3. BnF 619, Svoronos 442.
Fig. 4. BnF 608, Svoronos 970. Fig. 5. BnF 648, Svoronos 971. Fig. 6. BnF 710, Svoronos 1156.
Fig. 7. BnF 412, Svoronos 1382. Fig. 8. BnF 616, Svoronos 1647. Fig. 9. BnF 638, Svoronos 1732.
Le prix de l’entrée au bain en Égypte hellénistique et romaine d’après les données textuelles et numismatiques 853
Fig. 10. BnF 621, Svoronos 1733. Fig. 11. BnF, SNG Paris, 17. Fig. 12. BnF, SNG Paris, 34.
Fig. 13. BnF, SNG Paris, 37. Fig. 14. BnF, SNG Paris, 44. Fig. 15. BnF, SNG Paris, 94.
Fig. 16. BnF, SNG Paris, 102. Fig. 17. CNG, vente 81, lot 870, Geissen 655. Fig. 18. Jean Elsen, vente 94, lot 893,
Geissen 957.
854 Thomas FAUCHER – Bérangère REDON
× 2
× 2
Fig. 19. Jean Elsen, vente 89, Fig. 20. Baldwin’s Auctions Ltd, vente 57, Fig. 21. BnF 415B, jeton en plomb
lot 1074, RIC 58c. lot 234, RIC VIII, 22. d’entrée à un bain privé ?
Prix du blé (en drachmes) Prix d’entrée aux bains (en drachmes)
10 000 000
1 000 000
100 000
10 000
1 000
100
10
0,1
0,01
- 400 - 300 - 200 - 100 0 100 200 300 400
Fig. 22. Évolution du prix de l’artabe de blé et de l’entrée aux bains en Égypte à l’époque gréco-romaine.
Le prix de l’entrée au bain en Égypte hellénistique et romaine d’après les données textuelles et numismatiques 855
Prix du blé (en drachmes) Valeur indexée Prix des bains = Prix du blé en 250 av. J.-C.
10 000 000
1 000 000
100 000
10 000
1 000
100
10
1
- 300 - 200 - 100 0 100 200 300 400
Fig. 23. Évolution du prix de l’entrée aux bains, indexé au prix du blé (base = année 250 av. J.-C., entrée au bain = ¼ d’obole, 1 artabe de blé =
1 drachme 2 oboles).
Fig. xxx : Fréquence des entrées au bain et des achats “balnéaires” durant le voyage de Théophane
Entrée
Savon
Aphonitron
Huile
Chaussures pour le bain
P.Ryl. IV, 627 : itinéraire et listes d’achats P.Ryl. IV, 639 : comptes P.Ryl. IV, 629 : comptes journaliers P.Ryl. IV, 630/637 : comptes journaliers
(presque complets) journaliers (presque complets) (la in du mois d’Epeiph et le mois de Mésoré sont complets)
(fragmentaires)
1 Pauni
9 Pachon
23 Mesoré
9/10 Pharmouthi
10 Pachon
30 Pachon
9 Pachon
1 Pachon
30 Pauni
27 Phamenoth
1 Mesoré
1 Pharmouthi
26 Epeiph
P.Ryl. IV, 627 : itinéraire et listes d’achats P.Ryl. IV, 639 : comptes P.Ryl. IV, 629 : comptes journaliers P.Ryl. IV, 630/637 : comptes journaliers
(presque complets) journaliers (presque complets) (la fin du mois d’Epeiph et le mois de Mésoré sont complets)
(fragmentaires)
Fig. 24. Fréquence des entrées aux bains et des achats « balnéaires » durant le voyage de Théophane.