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McCall Smith 44 Scotland Street
McCall Smith 44 Scotland Street
ISBN :978-2-264-04327-6
N° X04327
Prix : 14
I
Debout devant la porte, au pied de l’escalier, Pat lut tous les noms inscrits sur l’interphone : Syme,
Macdonald, Pollock…, avant de repérer celui qu’elle cherchait : Anderson. Il devait s’agir de
Bruce Anderson, l’expert immobilier, qu’elle avait eu au téléphone. C’était lui qui collectait les
loyers, avait-il expliqué, et réglait les factures. Il lui avait suggéré de venir jeter un coup d’œil à
l’appartement avant de décider si elle avait envie de s’y installer.
— Et comme ça, on en profitera pour voir à quoi tu ressembles, avait-il ajouté. Si ça ne te dérange
pas.
On allait donc lui faire subir un examen, pensait-elle à présent, la soumettre à une expertise qui
déterminerait si, oui ou non, elle convenait aux autres colocataires, la jauger pour savoir si elle
était susceptible de mettre la musique à fond ou de recevoir des amis qui dévasteraient
l’appartement. Ou encore, supposait-elle, de taper sur les nerfs de tout le monde.
Elle sonna et attendit. Au bout d’un moment, un bourdonnement se fit entendre et elle poussa la
lourde porte noire du numéro 44, ornée d’un heurtoir en forme de tête de lion et d’une plaque de
cuivre ternie, au-dessus de la poignée. C’était une porte en mauvais état ; elle réclamait une bonne
couche de peinture, car elle était rayée et s’écaillait en plusieurs endroits. Il est vrai que l’on était
dans Scotland Street, et non sur Moray Place ou Doune Terrace, ou même sur Drummond Place, la
jolie place d’où Scotland Street descendait en pente raide. Cette rue se trouvait à la limite du
quartier bohème de la nouvelle ville d’Édimbourg, un secteur où les cabinets juridiques et
comptables étaient minoritaires (quoique de justesse).
Elle gravit à pied quatre étages pour atteindre le dernier palier, qui desservait deux appartements.
La première porte, vert foncé, ne portait aucune inscription. Sur la seconde, peinte en bleu, était
scotchée une feuille de papier avec trois noms écrits à la main, en gros caractères. Lorsque la jeune
fille déboucha en haut de l’escalier, cette porte était ouverte, aussi se retrouva-t-elle d’emblée face
à un grand jeune homme qui devait avoir trois ou quatre ans de plus qu’elle. Il avait des cheveux
1
Les mots en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte. (N.d.T.)
2
Coupe disputée entre les quatre équipes de rugby britanniques (Angleterre, pays de Galles, Irlande et Écosse). Pour
la remporter, il faut battre les trois autres équipes. (N.d.T.)
3
« L’an prochain – peut-être. » (N.d.T.)
© Alexander McCall Smith, 2005.
© Éditions 10/18, Département d’Univers Poche, 2007, pour la traduction française.
Après sa rencontre avec Bruce, Pat retourna chez ses parents, dans les quartiers sud d’Édimbourg.
Elle trouva son père dans son bureau, une pièce en désordre où s’empilaient de vieux numéros de
la revue du Collège royal des psychiatres. Elle lui raconta l’entrevue.
— Cela n’a pas duré longtemps, expliqua-t-elle. Je m’étais imaginé qu’ils seraient tous là, mais en
fait, il n’y avait que lui. Les autres sont partis je ne sais où…
Le père haussa les sourcils. À son époque, on partageait les appartements avec des jeunes du
même sexe. Il y en avait certes qui se mélangeaient, mais ils passaient pour – comment dire ? –
audacieux. Lui-même avait habité un appartement d’Argyle Place, à l’ombre de l’hôpital des
Enfants malades, avec trois autres étudiants en médecine. Ils avaient vécu là plusieurs années,
jusqu’à l’obtention de leur diplôme, et l’un d’eux était même resté un an de plus pour passer son
internat. De temps à autre, on invitait des filles le week-end, mais de façon exceptionnelle
seulement. Désormais, garçons et filles cohabitaient en toute innocence (parfois), comme au jardin
d’Éden.
— Parce qu’il n’y a pas que lui ? demanda-t-il. Il y en a d’autres ?
— Oui, répondit-elle. Enfin, je crois. Il y a quatre chambres en tout. Mais ne t’inquiète pas.
— Je ne m’inquiète pas.
— Si.
Il esquissa une petite moue.
— Tu sais que tu peux encore changer d’avis et rester à la maison, si tu veux. On ne te dérangera
pas.
Elle lui lança un regard et il secoua la tête.
— D’accord, reprit-il. J’ai compris. Tu dois vivre ta vie. Nous le savons. C’est à ça que servent les
années sabbatiques.
— Exactement, acquiesça Pat. Une année sabbatique, c’est…
Sa voix s’éteignit. À vrai dire, elle ne savait pas très bien à quoi servait une année sabbatique, et
elle s’apprêtait à en entamer une seconde. Était-ce un caprice dispendieux, un rite de passage*
pour progéniture de parents aisés ? Dans de nombreux cas, songea-t-elle, il ne s’agissait que de
vacances coûteuses : un tour en Amérique du Sud, où l’on s’imposait dans un village pour
apprendre l’anglais à des autochtones perplexes et repeindre leur école. Une multitude
d’organismes proposaient ce genre de séjours. Il en existait même un qui portait le nom de SOS-
Peinture, lui semblait-il, et qui se donnait pour mission de repeindre tous les locaux qui en avaient
besoin. Pat elle-même avait ainsi rafraîchi une moitié d’école en Équateur, jusqu’au jour où les
bidons de peinture avaient disparu, de sorte que le groupe avait dû tout arrêter.
Son père attendit quelques instants la suite de la phrase, mais, ne voyant rien venir, il changea de
sujet pour lui demander quand elle comptait emménager. Il transporterait ses affaires, comme il le
faisait toujours : les cartons de vêtements, la lampe de chevet, les valises, la bouilloire. Et il ne
s’en plaindrait pas.
— Et ton travail ? interrogea-t-il encore. Quand commences-tu à la galerie ?
— Mardi, répondit Pat. C’est fermé le lundi.
— Tu dois être contente de travailler dans une galerie d’art. N’est-ce pas ce dont vous rêvez tous,
vous autres ?
— Pas spécialement, rétorqua Pat, irritée.
Son père employait l’expression « vous autres » pour englober indifféremment Pat, sa génération
et son cercle d’amis. Certes, le travail dans une galerie en tentait certains – et peut-être même
beaucoup –, mais ce n’était pas pour autant un désir universel. Il y avait aussi des jeunes qui
souhaitaient trouver des emplois dans des bars, travailler « dans la bière », pour ainsi dire ; et il en
existait même qui se seraient sentis très mal à l’aise dans une galerie d’art. Bruce, par exemple,
avec son maillot de rugby et ses cheveux en brosse*, n’était pas fait pour ce genre d’endroit.