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LA RSE IMPACTE-T-ELLE LA COMPTABILITE DES ENTREPRISES :

LES ACCRUALS DES ENTREPRISES MAROCAINES COTEES

BENGHAZALA Zakaria
Professeur Assistant ENCG Settat, Université Hassan I, Maroc
Chercheur au laboratoire LARFAGO, chercheur associé au laboratoire FARGO- Dijon
z.benghazala@gmail.com

BENARBI Houda
Professeur Assistant ENCG El Jadida, Université ChouaibDoukkali, Maroc
Chercheur au laboratoire LERSEM-UCD
houdabenarbi@gmail.com

LOTFI Said
Professeur Assistant FSJES Ain Chock, Université Hassan II,
Chercheur au laboratoire FBGR-FSJESAC
Said.lotfi@gmail.com
Résumé

Dans le cadre d’une gouvernance actionnariale orthodoxe, l’intérêt du dirigeant est aligné sur
celui de ses mandants actionnaires. En Afrique, a fortiori au Maroc, le cadre légal ouvre droit
à une panoplie de choix comptables pouvant affecter directement le résultat net de
l’entreprise.
Le but du présent travail est d’étudier l’impact d’un engagement RSE sur le contenu
informationnel des accruals discrétionnaires d’une entreprise citoyenne. Nous essayons
d’examiner le processus d’institutionnalisation d’une culture RSE pour délimiter l’espace
discrétionnaire du dirigeant.
De ce fait, nous nous attendons à ce qu’un dirigeant d’une entreprise affichant un engagement
RSE soit plus enclin à minimiser ses pratiques comptables discrétionnaires. Des rapports plus
respectueux envers l’ensemble des parties prenantes conduiraient le dirigeant à aligner ses
intérêts ou ceux des actionnaires sur des objectifs environnementaux et sociaux. Nous
assisterions, en conséquence, à moins d’écritures comptables ajustant la forme voire la
substance du résultat comptable net de l’entreprise.

Mots clés : RSE, accruals discrétionnaires, courant néo-institutionnel.

Abstract:

In the context of orthodox shareholder governance, the interest of the executive is aligned
with that of its shareholder mandates. In Africa, a fortiori in Morocco, the legal framework
gives rise to a range of accounting choices that can directly affect the company’s net income.

The purpose of this paper is to study the impact of a CSR commitment on the informational
content of a company’s discretionary accruals. We try to examine the process of
institutionalizing a CSR culture to delimit the manager’s space.

As a result, we expect a company executive with a CSR commitment to be more inclined to


minimize its discretionary accounting practices. More respectful reporting to all stakeholders
would lead the manager to align his/her or the shareholder’s interests on environmental and
social objectives. We will therefore see fewer accounting entries adjusting the form or
substance of the company’s net book values.

Key words:

RSE, discretionary accruals, neo institutional current.


INTRODUCTION

Les scandales financiers de ces dernières années ont mis en évidence un manque d’efficacité
des systèmes de gouvernance, la faillite de plusieurs entreprises, les dérapages comptables, les
faibles niveaux de performances enregistrés, les fraudes de dirigeants et le manquement à
l’éthique.
L’amélioration de la transparence financière et de la sécurité des investisseurs sont ainsi
devenues un des axes majeurs de travail et de réflexion dans de nombreux pays ces dernières
années (Crifo, P., &Rebérioux, A. ,2015). Dans ce contexte, les dirigeants devaient accorder
plus d’attention au système de gestion et de contrôle ; à la gouvernance. Cette attention s’est
accentuée suite à la publication des codes de bonnes pratiques de gouvernance. Ceux-ci
permettent d’améliorer le système de gestion et de contrôle et par conséquent gagner la
confiance des parties prenantes et en particulier les investisseurs (Khanchel, 2007).
D’autres travaux ont démontré que d’autres pratiques telles que la gestion des résultats
(Bauwhede et al., 2003 ; Khanchel et Seboui, 2009) et la responsabilité sociale de l’entreprise
(RSE) (Jones, 1995 ; Quaak et al, 2007 ; Fika, 2013) visent notamment à assurer la fiabilité
des données financières transmises aux investisseurs, donnent une place primordiale à la
transparence des informations et permettent d’éviter une situation de mauvaise performance.
Dans ce cadre, la RSE est étroitement liée à l’éthique qui lui-même relève de la morale et de
la déontologie (Jackson et Apostolakou, 2010). Ainsi, le management de la RSE s’inspirant et
exigeant les valeurs éthiques de solidarité, de vérité, loyauté et transparence, de justice,
s’impose comme une réflexion éthique appliquée à l’entreprise et est par conséquent
considérée comme la valeur la plus englobante (Dorthe et Oliveira, 1997). Le succès de cette
notion auprès des dirigeants d'entreprise traduit la volonté de mieux maîtriser les contraintes
sociétales et de favoriser une performance économique durable et à minimiser leurs pratiques
comptables discrétionnaires.
L’Afrique, continent qui réalise ces dernières années des avancées significatives dans
différents domaines, ne peut plus rester en marge du débat international sur la RSE et son
institutionnalisation. De ce fait, un certain nombre d’entreprises africaines s’engagent
concrètement et volontairement sur la voie de la RSE. Néanmoins, leurs pratiques en termes
de RSE concernent essentiellement la fourniture de certains biens et services sociaux. La
politique de RSE en Afrique reste déconnectée des questions fondamentales liées au respect
des standards environnementaux, à la lutte contre la corruption, au droit du travail et au
dialogue social inclusif (Daouda Y., 2014).
Nous avons choisi pour cette recherche d’étudier le lien entre la RSE et le comportement des
dirigeants d’entreprises marocaines pour trois raisons, la première relative à l’intérêt croissant
accordé à la performance sociale des entreprises marocaines, surtout dans le contexte actuel
marqué par l’engagement des autorités marocaines en faveur du Développement Durable et de
la RSE (Initiative Nationale du Développement Humain, COP 22 par exemple). La deuxième
raison est liée à l’adhésion du Maroc aux normes internationales notamment la norme
NM00.5.600 qui renvoie aux principes de Social Accountability, connu sous SA 8000, et aux
normes de l’Organisation Internationale du Travail. Ces normes convergent vers la réelle
implémentation d’un système d’audit social (Ettahri S., 2009).
En effet, dans le présent travail, nous essayons de répondre à la question suivante : Est ce que
l’engagement des entreprises en RSE contribue à réduire le niveau des manipulations
comptables de ces entreprises ? Nous étudions l’influence d’une démarche RSE sur le
contenu informationnel des accruals discrétionnaires d’une entreprise citoyenne.
L’objectif de cette recherche est d’essayer d’apporter des éléments de réponse à la question du
jour préoccupant le public à savoir la fiabilité des états financiers et la transparence des
entreprises labélisées RSE. En effet, le monde de l’entreprise a vu éclater une succession de
scandales aux conséquences dévastatrices, ce qui a suscité un débat quant à la mauvaise
utilisation des stratégies de responsabilité sociale pour dissimuler des mauvaises pratiques
comptablesi. Par conséquent, l’étude du comportement des dirigeants des entreprises
labélisées RSE en matière de pratiques comptables permet de renseigner les régulateurs et les
investisseurs de la fiabilité des états financiers des entreprises socialement responsables.
Pour répondre à notre problématique, nous présentons dans la première section la notion de
responsabilité sociale, Dans la deuxième section, nous présentons le design de la recherche,
les mesures des variables ainsi que l’échantillon. La troisième section sera consacrée à la
présentation des résultats et à la conclusion.
1. Cadre théorique et revues des études empiriques :
L’émergence de la responsabilité sociale des entreprises reflète une évolution de l’entreprise
dont les frontières deviennent de plus en plus évolutives et transparentes.

Bowen (1953) a ouvert le débat sur la RSE en la définissant comme « une obligation pour les
chefs d’entreprise de mettre en œuvre des stratégies, de prendre des décisions, et de garantir
des pratiques qui soient compatibles avec les objectifs et les valeurs de la communauté en
général». Ensuite, les travaux plus formels de Caroll (1979) ont complété cette première
réflexion en proposant un modèle conceptuel reposant sur trois dimensions essentielles à la
RSE : les principes de responsabilité sociale, la manière dont l’entreprise met ses principes en
pratique (sensibilité sociale), et les valeurs sociétales qu’elle porte. Wood (1991) propose un
modèle intégrant les trois éléments : premièrement, les principes de responsabilité et les
motivations sous-jacentes aux actions et aux choix, deuxièmement, les process et les pratiques
organisationnelles, enfin les résultats occasionnés par les actions et choix réalisés par
l’entreprise. Au final, pour Allouche et alii (2004), adopter un comportement de
responsabilité sociale « c’est répondre à la nécessité de maximiser les objectifs de
l’entreprises par l’entremise de sa rentabilité, au profit toujours de l’actionnaire, mais aussi de

ses autres partenaires ».


Au niveau des institutions, la définition adoptée par la commission européenne (2001) reflète
bien l’ambivalence de cette notion. « Être socialement responsable signifie non seulement
satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables mais aller au-delà et investir
davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes,
cela suppose l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et
environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties
prenantes ».
Malgré leurs différences, ces approches soulignent toutes, la prise en compte des attentes des
parties prenantes internes et externes de l’entreprise et leur intégration dans sa gestion
quotidienne et dans sa politique de gouvernance. Plusieurs auteurs ont analysé les relations
entre gouvernance et responsabilité sociétale des entreprises (RSE) comme nouvelle frontière
de la finance durable (Crifo, P., &Rebérioux, A. ,2015). Ils identifient notamment trois forces
motrices en matière de finance durable et RSE : la structure du capital (identité des
actionnaires), la composition des conseils d'administration et le cadre réglementaire en
matière de gouvernance et responsabilité sociétale des entreprises.
Dés lors, la RSE constitue un atout pour une meilleure maitrise des risques potentiels :
juridiques, de réputation, sociaux, environnementaux ; risques auxquels est exposée
l’entreprise.

L’approche théorique de la RSE rejoint celle des parties prenantes, dans sa version normative.
L’entreprise par l’intermédiaire de ses dirigeants a l’obligation morale de répondre
équitablement aux demandes de toutes ses parties prenantes : actionnaires, consommateurs,
riverains, société civile en général, pouvoirs publics, etc. (Freeman et Evan, 1990). Les
intérêts de l’entreprise doivent être ainsi des intérêts éclairés, autrement dit, des intérêts
raisonnables et équilibrés (Frederik, 1994).
Dans le cadre de la présente recherche, notre objectif consiste à examiner l’impact d’un
engagement RSE sur le niveau des accruals discrétionnaires.
Dans son article de 1985 dans le Journal of Accounting and Economics, Paul Healy retient les
accruals comme indicateur de la gestion du résultat. Il définit les accruals comme la somme
des “ ajustements comptables aux cash-flows de la firme permis par les organismes de
normalisationii […] ” (Healy, 1985, p. 89). En effet, une part des accruals (ayant un impact sur
le résultat) peut être qualifiée de « normale », appelée aussi les accruals non discrétionnaires,
en ce sens qu’elle correspond à une application sincère et régulière des principes de la
comptabilité d’engagement dans un pays donné (Jeanjean, T. ; 2002). Ainsi, les accruals
discrétionnaires résultent de l'utilisation des dirigeants de leur jugement lors de la préparation
des états financiers.
Peu d'études ont examiné l’impact de la RSE sur l’ampleur des accruals discrétionnaires. On
peut citer dans le cadre des travaux ayant analysé cette question de recherche les travaux
Riahi-Belkaoui (2003). Ce dernier a testé l’hypothèse stipulant l’existence de lien
systématique entre le niveau de RSE et l’ampleur des ajustements dans les choix comptables
des gestionnaires. Les résultats montrent une relation positive entre l’ampleur des accruals
discrétionnaires et le niveau de RSE. La contribution majeure de cette étude est qu’une image
favorable de l’entreprise produite par son niveau de RSE accentue l’importance des bénéfices
dans l’explication des rendements des actions et motive les gestionnaires pour être plus
agressifs dans l’utilisation des accruals discrétionnaires.
Une autre étude a analysé l’impact des pratiques de la gestion des résultats comptables sur la
performance sociale des entreprises (Prior et al., 2007) en s’inscrivant dans le cadre de la
théorie des parties prenantes- agence (Hill et Jones, 1992) et le cadre théorique de gestion de
résultats. Les résultats de cette étude ont montré l’existence d’une relation positive entre la
performance sociale des entreprises et la gestion des résultats comptables. C’est ainsi que les
gestionnaires qui manipulent le résultat recourent à des pratiques de responsabilité sociale des
entreprises afin de faire face à l’activisme et la vigilance des parties prenantes
(MakniGargouri et al. ,2008). De plus, la performance sociale de l’entreprise peut être utilisée
comme un outil puissant pour gagner la confiance et le soutien des parties prenantes, et
constitue ainsi une stratégie d’enracinement des gestionnaires qui manipulent les résultats afin
de réduire significativement le risque de perdre leur poste.
Cette étude de Prior et al. (2007) s’est basée sur un volet négatif de la performance sociale
pour étudier un type particulier de problème d’agence, en l’occurrence la gestion des résultats
comptables, qui peut apparaître dans les entreprises qui exercent des politiques vigoureuses de
RSE.
Dans le cadre de la présente recherche, nous retenons, à l’instar de Riahi-Belkaoui (2003),
une mise en place d’une démarche RSE qui se manifeste par la réalisation de certains
objectifs sociaux. Nous visons l’étude de l’impact d’une démarche RSE sur le niveau des
manipulations comptables, ceci contrairement à l’étude de Prior et al. (2007) qui ont examiné
l’impact de la gestion des résultats comptables sur la RSE.
A cet égard, nous nous basons sur la vue positive de la RSE supportée par la théorie
instrumentale des parties prenantes (Jones, 1995 ; Donaldson et Preston, 1995). En effet,
conformément à cette théorie, adopter une démarche RSE conduirait à plus de transparence et
un partage plus équitable de la richesse créée par l’entreprise, par conséquent accroître la
performance financière de l’entreprise plutôt que d’enraciner le dirigeant. L’étude de l’impact
d’une démarche RSE sur le niveau des accruals discrétionnaires s’insère dans le cadre de la
théorie instrumentale des parties prenantes et de la littérature relative au lien supposé entre la
performance financière et la gestion des résultats comptables.
Le lien entre la performance financière et la gestion des résultats comptables a été largement
étudié dans la littérature existante. Les résultats des différentes études réalisées dans ce sens
sont souvent contradictoires. Il est donc important de souligner qu’il y a une tendance vers la
positivité de cette relation (Orlitzky et al., 2003; Alouche et Laroche, 2005 ; J.M Peretti et al,
2015).
Cette relation positive s’explique par le fait que les pratiques sociales visant la satisfaction des
parties prenantes améliorent l’image de l’entreprise et sa réputation et, en conséquence,
influencent positivement sa performance financière (Freeman, 1984; Cornell et Shapiro, 1987;
Ullman, 1985; Clarkson, 1995; Donaldson et Preston, 1995). Conformément à cette théorie
instrumentale des parties prenantes (Jones, 1995 ; Donaldson et Preston, 1995), la RSE est
vue comme un mécanisme pour espérer une meilleure performance financière. En se
comportant d’une manière responsable, les entreprises obtiennent un support continu de leurs
parties prenantes qui leur permet d’accéder à des ressources importantes garantissant la survie
et le succès à long terme de l’entreprise (Freeman, 1984).
En se basant sur la théorie instrumentale des parties prenantes, nous supposons qu’une culture
RSE influence positivement la performance financière de l’entreprise du moment où la
satisfaction des besoins et des attentes des parties prenantes augmente cette performance. De
ce fait, nous nous attendons à ce qu’un dirigeant d’une entreprise labélisée RSE soit plus
enclin à minimiser ses pratiques comptables discrétionnaires. Des rapports plus respectueux
envers l’ensemble des parties prenantes conduiraient le dirigeant à aligner ses intérêts ou ceux
des actionnaires sur des objectifs environnementaux et sociaux. Nous assistons, en
conséquence, à moins d’écritures comptables ajustant la forme voire la substance du résultat.
Réciproquement, l’absence d’un engagement pour la RSE risque de nuire à la réputation de
l’entreprise, augmente son coût de capital et réduit donc sa performance financière. Cette
situation inciterait les dirigeants à gérer leurs résultats à la hausse afin de masquer cette
médiocre performance. (Skinner, 1993 ; Balsam, Haw et Lilien, 1995 ; Sloan, 1996 ; Beneish,
1997 ; Pfeiffer, 1998 ; Shabou et BoulilaTaktak, 2002; et Mard, 2004).

H1 : La RSE impacte négativement le niveau des accruals discrétionnaires.

Suivant cette hypothèse, les entreprises présentant des niveaux élevés de performance sociale,
de par leur expérience en matière RSE, font preuve d’une meilleure performance financière et
n’auraient pas donc tendance à manipuler leurs résultats, ce qui nous amène à dire :

H2 : l’expérience en RSE impacte négativement l’ampleur des accruals discrétionnaires.

2. Méthodologie
 La cible
Pour tester empiriquement nos deux hypothèses, nous empruntons une démarche en deux
temps. Dans un premier temps, nous constituons deux échantillons appariés sur la base de leur
engagement RSE. Une différence significative de la moyenne des accruals discrétionnaires
entre ces deux échantillons nous permettra de confirmer notre assertion sur l’impact
théoriquement approuvé de la RSE sur les manipulations comptables.
Pour ce faire, nous avons approché l’engagement RSE à travers un proxy : la labélisation RSE
auprès de la Confédération Générale des Entreprises Marocaines (CGEM). Les neuf axes
d’engagements de la Charte RSE de la CGEM sont :
1) Respecter les droits humains.
2) Améliorer en continu les conditions d’emploi et de travail et les relations
professionnelles.
3) Préserver l’environnement.
4) Prévenir la corruption.
5) Respecter les règles de la saine concurrence.
6) Renforcer la transparence du gouvernement d’entreprise.
7) Respecter les intérêts des clients et des consommateurs.
8) Promouvoir la responsabilité sociale des fournisseurs et sous-traitants.
9) Développer l’engagement envers la communauté.
Un comité d’attribution du label est nommé pour évaluer toute entreprise éligible à cette
reconnaissance d’engagement. Parmi les éléments audités par ce comité, le sixième point
porte précisément sur la qualité de l’information comptable fournie par l’entreprise.
Après avoir identifié l’ensemble des entreprises labélisées RSE par ladite organisation, nous
avons exclu les entreprises nouvellement labélisées après 2015 pour rester en phase avec la
mesure de l’évaluation des accruals discrétionnaires nécessitant un historique d’au moins trois
ans. Ce choix a porté le nombre des entreprises retenues à 70 entreprises. Nous avons
constitué par la suite un échantillon témoin en observant, pour le choix des entreprises, les
critères de la taille et de l’affiliation sectorielle pour ne pas biaiser les résultats de la
comparaison des deux sous-échantillons.
Dans un second temps, nous restreignons notre analyse à l’échantillon des entreprises
labélisées. Entre ces différentes firmes, nous cherchons à tester le lien entre l’expérience en
termes d’engagement RSE sur le niveau de la manipulation comptable.
 Les variables
- Engagement RSE (LABRSE) : une variable binaire qui prend une valeur nulle si
l’entreprise n’est pas labélisée et 1 si elle l’est.
- Accruals discrétionnaires (ACDISCR) : comme précisé dans la littérature sur ce
sujet, les accruals discrétionnaires sont calculés sur la base de la différence entre
les accruals totaux de l’année et la moyenne des accruals totaux des trois dernières
années. Les accruals totaux sont calculés pour chaque année par la différence entre
le résultat net et les flux de trésorerie disponibles.
o ACDISCR = Accurals totaux N – moyenne des accruals totaux (N-3, N-2 et N-1) ;
o Accruals Totaux = Résultat net – Flux de trésorerie disponible ;
o Flux de trésorerie disponible = CAF - variation du BFR - dépenses
d’investissement.
- Expérience RSE : le nombre d’années où l’entreprise a été labélisée.
- La taille : le logarithme du total actif.

3. Les résultats
Pour tester notre première hypothèse, nous avons procédé à un test de différence de moyenne
pour étudier notre hypothèse.

Statistiques de groupe
LABRSE N Moyenne Ecart-type Erreur standard moyenne
ACDISC 1 70 291947,571191 39216,9796489 4687,3256048
R 0 70 380696,923333 28676,5821402 3427,5071392

Test d'échantillons indépendants


Test de Levene
Test-t pour égalité des moyennes
sur l'égalité des
Intervalle de confiance 95%
Sig. Différence Différence
F Sig. t ddl de la différence
(bilatérale) moyenne écart-type
Inférieure Supérieure
Hypothèse de
variances 7,342 0,008 -15,28 138 0 -88749,3521 5806,791413 -100231,141 -77267,5629
égales
ACDISCR
Hypothèse de
variances -15,28 126 0 -88749,3521 5806,791413 -100240,485 -77258,2197
inégales

Le test d'homogénéité des variances est significatif (p < 0,0005). Nous devons donc rejeter
l'hypothèse nulle : les variances sont significativement différentes, la prémisse d'égalité n'est
pas respectée.

Nous remarquons que le degré de signification est plus petit que 0,0005. Nous rejetons
l’hypothèse nulle. Il est donc très peu probable de trouver une différence de moyennes aussi
grande lorsque les deux groupes sont considérés comme provenant de la même population. Le
degré de signification indique qu'il est plus probable de postuler qu'ils proviennent plutôt de
deux populations différentes. La moyenne des accruals discrétionnaires chez les entreprises
labélisées RSE étant inférieure à celle du groupe témoin, nous pouvons conclure à l’impact
négatif de la RSE sur le montant des manipulations comptables. Notre première hypothèse
peut être corroborée à l’aune des résultats ci-dessus.

Pour tester l’effet négatif de l’expérience RSE sur le montant des manipulations comptables
dans le groupe des entreprises labélisées, nous commençons par présenter les résultats du test
ANOVA, puis une régression linéaire mettant en relation la variable nombre d’années
d’expérience RSE et le montant des accruals discrétionnaires. Nous avons neutralisé l’effet de
la taille en la considérant comme une variable de contrôle.
Test d'homogénéité des variances
ACDISCR
Statistique de ddl1 ddl2 Significatio
Levene n
1,685 4 65 ,164

Comme le test n’est pas significatif (p > 0,05), on ne peut pas rejeter l’hypothèse nulle de
l’égalité des variances. Elles sont donc considérées semblables, ce qui nous convient
parfaitement et nous permet de passer à l'interprétation de l'ANOVA.

ANOVA à 1 facteur
ACDISCR
Somme des ddl Moyenne des F Significatio
carrés carrés n
Inter- 4168392377 1042098094
4 10,512 ,000
groupes 7,545 4,386
Intra- 6443610922 991324757,3
65
groupes 4,657 02
1061200330
Total 69
02,202

Nous avons suffisamment de preuves pour rejeter l’hypothèse nulle et dire qu’il est peu
probable que le montant des accruals discrétionnaires dans chaque groupe soit le même dans
la population. Cette analyse de variance nous indique qu'il existe des différences entre les
groupes, mais ne précise pas où sont situées ces différences. Pour remédier à la situation, nous
avons fait un test post-hoc avec la comparaison de Bonferonni (le tableau des résultats est
présenté en annexe). Sur la base du dit test, une différence significative en termes des
montants liés aux manipulations comptables est relevée entre les entreprises avec des
expériences de 5 et 6 ans avec celles dont l’expérience en RSE remonte à 8 ou 9 ans. Cette
première lecture nous permet de statuer sur l’effet de l’expérience RSE sur les manipulations
comptables.
Régression linéaire
Corrélations
EXRSE ACDISC LOGAC
R T
Corrélation de
1 -,598** -,092
Pearson
EXRSE
Sig. (bilatérale) ,000 ,447
N 70 70 70
Corrélation de
-,598** 1 ,853**
ACDISC Pearson
R Sig. (bilatérale) ,000 ,000
N 70 70 70
Corrélation de
LOGAC Pearson -,092 ,853** 1
T
Sig. (bilatérale) ,447 ,000
N 70 70 70
**. La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).

Récapitulatif des modèles

R-deux Erreur standard


Modèle R R-deux ajusté de l'estimation
a
1 ,433 ,303 ,299 20606,4926002
b
2 ,705 0,433 0,429 0,0000000
a. Valeurs prédites : (constantes), LOGACT
b. Valeurs prédites : (constantes), LOGACT, EXRSE

Pour pouvoir juger du pouvoir explicatif de notre modèle sur la base d’une régression linéaire,
nous procédons au calcul de la distance de Cook, qui nous montre qu’aucune variable
aberrante n’est relevée.
En se basant sur les résultats de notre régression, le lien entre le nombre d’années
d’expérience et le montant des accruals discrétionnaires est à la fois positif et significatif
corroborant ainsi notre hypothèse. En effet, notre variable indépendante permet, à elle seule,
d’expliquer plus de 27% de la variance totale du phénomène étudié à savoir le niveau des
manipulations comptables. La variation du R-deux ajusté entre les modèles 1 et 2 nous permet
de statuer sur la fraction de la variance totale expliquée par l’effet d’expérience tout en
contrôlant l’effet taille qui peut nuire à la qualité explicative de notre test empirique.

Conclusion
Dans le présent travail, nous avons essayé de tester le lien théorique entre l’adoption par une
entreprise marocaine d’une démarche RSE et l’impact de ce choix sur les manipulations
comptables opérées par le dirigeant. Pour ce faire, nous avons déployé la théorie des parties
prenantes qui nous a permis de dériver deux hypothèses.
Somme toute, nous pouvons conclure à une relation négative entre la RSE et la manipulation,
par le dirigeant, des données comptables. Ce résultat plaide en faveur de l’influence positive
des normes de responsabilité sur un meilleur partage de la rente créée.
En outre, nous relevons l’effet positif et significatif de l’expérience RSE sur la réduction du
niveau des manipulations comptables.
Ceci étant, une étude longitudinale, sur la base notamment d’une analyse des séries
temporelles, peut conduire à des résultants plus probants. En effet, le comportement RSE
dépend de l’effet l’expérience ce qui nous pousse à croire en son impact progressif sur les
manipulations comptables.
Annexes

Comparaisons multiples
Variable dépendante: ACDISCR
Bonferroni
(I) Différence de moyennes Erreur Significatio Intervalle de confiance à 95%
EXRS (I-J) standard n Borne Borne
E inférieure supérieure
5 6 4126,5279374 11450,357798 1,000 - 37401,442740
2 29148,386865
7 10879,6201262 14042,756526 1,000 - 51688,085263
5 29928,845011
8 44598,3281983* 9502,1807495 ,000 16984,845681 72211,810716
9 71855,2705744* 14042,756526 ,000 31046,805438 112663,73571
5 1
6 5 -4126,5279374 11450,357798 1,000 - 29148,386865
2 37401,442740
7 6753,0921888 16258,944265 1,000 - 54001,832773
0 40495,648395
8 40471,8002609* 12547,736718 ,020 4007,885541 76935,714981
2
9 67728,7426370* 16258,944265 ,001 20480,002053 114977,48322
0 1
7 5 -10879,6201262 14042,756526 1,000 - 29928,845011
5 51688,085263
6 -6753,0921888 16258,944265 1,000 - 40495,648395
0 54001,832773
8 33718,7080721 14951,053939 ,275 -9729,283232 77166,699376
5
9 60975,6504482* 18178,052309 ,013 8149,952550 113801,34834
5 7
8 5 -44598,3281983* 9502,1807495 ,000 - -
72211,810716 16984,845681
6 -40471,8002609* 12547,736718 ,020 - -4007,885541
2 76935,714981
7 -33718,7080721 14951,053939 ,275 - 9729,283232
5 77166,699376
9 27256,9423761 14951,053939 ,729 - 70704,933680
5 16191,048928
9 5 -71855,2705744* 14042,756526 ,000 - -
5 112663,73571 31046,805438
1
6 -67728,7426370* 16258,944265 ,001 - -
0 114977,48322 20480,002053
1
7 -60975,6504482* 18178,052309 ,013 - -8149,952550
5 113801,34834
7
8 -27256,9423761 14951,053939 ,729 - 16191,048928
5 70704,933680
*. La différence moyenne est significative au niveau 0.05.

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i
L’exemple le plus marquant est le cas d’Enron qui, malgré son classement par Fortune magazine parmi « les
entreprises les plus admirées » pendant six années, illustre le comportement non éthique des gestionnaires qui
ont mis leurs propres intérêts au dessus de ceux de leurs employés et de leurs bailleurs de fonds, incluant leurs
actionnaires.
ii
Résultat = Cash − flows d'exploitation + accruals

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