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Couverture :

Arlon. le mont Saint-Donat. cœur de la Knippchen. et la statue du Hèlléchsman.


marieur des temps anciens. Photo Arnaud/La Vie Arlonaise.

© Jean-Marie TRIFFAUX
Chemin des Espagnols. 249 - 6700 ARLON

Toute reproduction. même partielle du texte ou de l'iconographie de cet ouvrage est


soumise à l'autorisation écrite de l'auteur. Une copie ou reproduction par quelque
procédé que ce soit. photocopie. photographie. microfilm. bande magnétique, dis-
que ou autre. constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi.
Jean-Marie TRIFFAUX

COMBATS POUR LA LANGUE


DANS LE PAYS D'ARLON
aux x1xe et xxe siècles

Une minorité oubliée ?

Editions «La Vie Arlonaise»


et Institut Archéologique du Luxembourg
2002
A la mémoire du professeur Jean Stengers qui m'a pro-
posé ce sujet de recherches original et combien passionnant
alors que j'étais son étudiant à l'U.L.B.

J.-M. T.

4
I. INTRODUCTION

La frontière linguistique : une origine plus


controversée que jamais

Pendant les huit siècles qui l'ont mené de l'âge féodal à l'épo-
que contemporaine. le duché de Luxembourg est resté partagé
par une frontière linguistique qui a résisté à tous les avatars de
l'histoire.
L'origine de cette frontière linguistique demeure un sujet con-
troversé. Durant tout le 19e siècle et la première moitié du 20e
siècle. le monde scientifique empreint d'antagonisme franco-
allemand a décrit nos régions submergées par les envahisseurs
germaniques à la fin de l'empire romain. Massacrés ou expulsés
par des païens iconoclastes. les Gallo-Romains auraient aban-
donné leurs terres colonisées massivement par les Francs. Ceux-
ci se seraient arrêtés devant des obstacles tels que les chaussées
romaines ou les forêts Oa forêt charbonnière). La frontière lin-
guistique se serait formée soudainement et épouserait le point
d'arrêt de la colonisation germanique dans nos contrées. face
aux territoires restés gallo-romains. Dans la partie germanique.
le latin aurait complètement disparu en même temps que la chute
de l'Empire romain. en 476.
De multiples découvertes archéologiques faites dans notre ré-
gion transfrontalière au cours des dernières décennies tendent à
prouver que la réalité est fort éloignée de cette théorie produite
par les nationalismes d'une époque aujourd'hui révolue.
Qu'en est-il exactement?
Il est certain que la douceur de vivre de la société gallo-
romaine est sérieusement perturbée dès la seconde moitié du me
siècle de notre ère par des incursions germaniques. En 291. après
des attaques dévastatrices dans le pays des Trévires. l'empereur
5
Maximien autorise des Francs à s'installer dans leur territoire. Il
pourrait s'agir de colons-soldats chargés de défendre le pays en
échange de terres. Ces premiers Francs se seraient implantés no-
tamment autour de Trèves. Luxembourg, Arlon, Thionville. Dans
les décennies suivantes, la société gallo-romaine connaît une pé-
riode faste dans nos régions. Promue au rang de résidence impé-
riale par Dioclétien. Trèves détrône Rome jugée trop éloignée des
frontières et accède au rang de capitale de la partie occidentale de
l'empire. Constantin y réside régulièrement et d'importants mo-
numents. comme les thermes impériaux et une grande basilique.
témoignent des efforts de l'empereur pour faire de la ville une
capitale à la mesure de ses ambitions. Non seulement notre ré-
gion est loin d'être un amas de ruines fumantes durant la pre-
mière moitié du ive siècle. mais elle abrite une des plus grandes
cités d'Occident
A cette époque. l'armée romaine recrute des Germains pour
pallier le manque de citoyens-soldats et faire face aux menaces
extérieures. Les Francs sont connus pour former deux unités
d'élite de l'armée de Constantin. Les carrières d'officiers leur sont
ouvertes et l'armée romaine compte bientôt des généraux francs.
Après avoir servi dans les armées de campagne ou les garnisons
frontalières, ces vétérans barbares accèdent à la citoyenneté ro-
maine. Ils bénéficient des mêmes avantages que les légionnaires
romains. Ils reçoivent des terres où leur installation est favorisée
par divers avantages comme l'octroi d'un pécule. de bétail. de
semences et l'exonération d'impôts Ol,
Vers 360, nos régions sont à nouveau durement éprouvées.
Les incursions des Alamans et la détérioration de la situation
politique à l'intérieur de l'empire en seraient la cause. De nom-
breuses villas sont détruites et des refuges fortifiés établis à tra-
vers tout le pays. Entre 395 et 406, Trèves perd son rang de rési-
dence impériale au profit de Milan et la préfecture du prétoire
est déplacée vers Arles (2).
Le 31 décembre 406, une série de peuples germaniques. les
Vandales. les Alains et les Suèves. traversent le Rhin gelé près de

(Il Chris SCARRE. Chronique des Empereurs romains. Bruxelles. 1995.


Michel KAZANSKI. Les auxiliaires francs dans l'année romaine au Bas-
Empire. in Les Francs précurseurs de l'Europe. Paris. 1997.
Patrick PERIN et Laure-Charlotte FEFFER. Les Francs, Paris. 1997.
(ll Françoise VAllET. Continuité de la civilisati.on romaine, l'exemple des villes:
Trèves. in Les Francs précurseurs de l'Europe. Paris. 1997.
6
Mayence et entament une marche dévastatrice qui les conduira
jusqu'en Espagne et même en Afrique du Nord où ils s'établi-
ront. Profitant de l'anarchie générale et de la fuite des armées
romaines, des tribus de Francs rhénans envahissent nos régions
et attaquent Trèves en 410-411. 413. 419-420. Les Burgondes les
imitent vers 430. En 451. c'est au tour des Huns. des cavaliers
surgis des steppes asiatiques. de traverser le pays. En 456. les
Francs rhénans s'emparent de Trèves dont ils sont délogés entre
459 et 462. La vie ne s'arrête pas pour autant. Les archéologues
nous apprennent que la production de céramique se poursuit en
de nombreux endroits jusqu'à la fin du vesiècle. A Trèves. on bat
monnaie, la population fréquente toujours la basilique et les ther-
mes tandis que l'aristocratie demande le rétablissement des jeux
du cirque ! Ajoutons que les inhumations du ve siècle se font
toujours suivant les usages gallo-romains.
Dès lors. que penser de ces grandes invasions ? S'agit-il d'un
raz-de-marée barbare ou d'une succession de raids et de pilla-
ges dus à des populations dont l'importance a été démesuré-
ment augmentée au fil des siècles ?
L'archéologue et linguiste mosellan Alain Simmer:
«Sans occulter des probabilités de destructions localisées et
ponctuelles. dont l'impact réel reste impossible à estimer, on peut
en conclure que les villes et vici de Belgique Première vivaient
encore au même rythme en ces temps troublés. sans véritable
repli autarcique.
«Dans l'état actuel de la recherche, des trouvailles identiques
sont encore rares en milieu rural, ce qui suggérerait des condi-
tions de vie plus difficiles qu'en ville... Même si ce domaine de-
meure le plus mal connu, il n'est cependant plus possible de
parler d'abandon systématique. En effet, si de nombreux établis-
sements ruraux paraissent ne plus avoir été occupés, leur déser-
tion est à mettre au compte de bouleversements socio-écono-
miques et rarement aux «invasions». n s'agit en fait. bien plus
souvent de déplacements d'habitats et de modifications des ty-
pes traditionnels de construction, le bois remplaçant la pierre, la
«villa» cédant la place au village de bois. En tout état de cause.
aucune trace d'établissement massif de Barbares hurlants sur le
sol lorrain suite à la grande invasion de 407... » (3l
L'énigme de l'origine de la frontière linguistique reste entière.

SIMMER. L'origine de la frontière linguistique en Lorraine. La .in des


!3l Alain
mythes ?, Knutange. 1998.
7
Les Francs en détiennent-ils la clé? Qui sont-ils exactement?
Le nom de Francs apparaît au mesiècle pour désigner une cons-
tellation de peuples germaniques habitant au-delà du Rhin. sur
son cours inférieur. des Pays-Bas aux massifs montagneux de
l'Allemagne moyenne. Certains entretiennent de bonnes relations
avec l'empire romain, d'autres pas. Françoise Vallet conservateur
en chef au musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-
Laye. avance l'hypothèse que leur nom viendrait du vieux norroi
(nordique occidental) frekkr. fri. qui signifierait hardi. courageux (4l_
il n'y a pas d'unicité parmi les Francs même si deux groupes
principaux émergent les Saliens et les Rhénans. Les appréhen-
der comme une masse unifiée et cohérente. s'opposant à l'Em-
pire romain, est une erreur, un cliché du 19e siècle. Il est intéres-
sant de noter que bon nombre d'entre eux sont entrés dans l'em-
pire romain non pas comme envahisseurs mais comme alliés ou
comme main-d'œuvre chargée de mettre des terres en valeur.
Au moment où cet empire s'écroule. certains sont installés à l'in-
térieur de ses frontières depuis deux siècles et sont largement
intégrés au sein de la société gallo-romaine. A la fin du vesiècle.
Trèves est gouvernée par le comte Arbogast descendant d'un
général franc du même nom. Vers 480, celui-ci ne peut empê-
cher la prise de la ville par les Francs orientaux du royaume de
Cologne. Dans l'historiographie classique. sa fuite est interprétée
comme la fin de la domination romaine à Trèves.
En réalité. les Francs rhénans ne feront pas long feu dans l'an-
cien pays des Trévires. Vers 507. ce territoire est incorporé au
royaume franc de Clovis. Celui-ci est le fils de Childéric. un roi
franc salien, général romain de la Belgique seconde. dont on a
retrouvé la sépulture à Tournai. Clovis est issu d'un milieu roma-
nisé depuis belle lurette. il se révèle un redoutable chef d'Etat et
un bâtisseur d'empire. Grégoire de Tours voit en lui le «nouveau
Constantin». il joue d'abord la continuité. s'allie la population
civile comme la classe militaire et l'aristocratie romaine. Sa con-
version au christianisme (baptême vers 498) lui assure les bon-
nes grâces de l'Eglise. Rusé. sans pitié, voire cruel. Clovis élimine
méthodiquement tous ses rivaux. y compris au sein de sa propre
famille. En quelques années. il unifie la plus grande partie de la
Gaule au détriment des autres rois francs et des Germains qui s'y
sont installés (Alamans. Thuringiens. Wisigoths). Au cœur de son
nouveau royaume. il choisit Paris comme capitale. La dynastie
4
( J Françoise VALLET. Origine des Francs. in Les Francs précurseurs de l'Europe.
Paris. 1997.
8
mérovingienne peut s'épanouir. Elle est tout sauf le fruit d'un
déferlement germanique sur la Gaule.
Quelle est la langue des Francs et pourquoi leur territoire est-
il traversé par une frontière linguistique ?
A leur arrivée en Gaule, les Francs parlent le francique, un
dialecte bas-allemand, lointain ancêtre du néerlandais actuel. Au
VIe siècle, on sait que Clovis et ses proches parlent le latin. Par-
lent-ils encore le francique ? On le suppose mais sans certitude.
Clovis n'impose en tout cas pas cette langue à son nouveau
royaume. En quelques générations, la romanisation et l'intégra-
tion linguistique au sein de la société romaine ont fait leur œu-
vre. Le phénomène n'est pas seulement culturel mais démogra-
phique. Pour submerger un peuple autochtone et sa langue, il
faut une marée humaine.
Patrick Périn, un des meilleurs spécialistes du monde franc,
directeur du Musée des Antiquités nationales et professeur à l'uni-
versité de Paris I (Panthéon-Sorbonne). estime que la frontière
linguistique est l'expression de la densité relative du peuplement
germanique en Gaule du Nord. Les régions gagnées par les par-
lers germaniques connaissent un peuplement franc suffisamment
important pour provoquer l'abandon du latin (sl. Ce serait le cas
de notre région où les nouveaux arrivants auraient rebaptisé nom-
bre de terroirs à la mode franque : un nom de chef, de tribu ou
de clan, suivi d'un suffixe germanique, très souvent -ingen. Dans
les autres provinces romaines de Gaule, au contraire, les Francs
demeurant minoritaires n'auraient pas eu la possibilité, sinon le
désir, d'imposer leur langue. même si dans bien des cas, les pe-
tites gens et les aristocrates d'origine franque continuèrent à s'ex-
primer en francique au cours de l'époque mérovingienne.
La frontière linguistique primitive a pu être reconstituée. Elle
est située plus à l'ouest que la limite actuelle des parlers germano-
romans. Hervé Hasquin. professeur à l'Université Libre de Bruxel-
les, note qu'en Wallonie, de nombreux noms de lieux dérivent
d'idiomes germaniques '6l. L'espace wallon a donc été, durant un
temps. une terre de mixité linguistique. Les abbayes qui s'instal-
lent presque toutes dans le sud du pays utilisent le latin et contri-
buent largement à «re-romanisern ou «dé-germanisern la région.
Autre détail intéressant. il subsiste jusqu'au IXe siècle de

l Patrick PERIN et Laure-Charlotte FEFFER. Les Francs. Paris. 1997.


(5

(6
lHervé HASQUIN. La Wallonie. son histoire. Bruxelles. 1999.
9
nombreux îlots romans et zones-reliques en pays germanique.
La vallée de la Moselle allemande et la ville de Trèves sont répu-
tées pour leur rôle dans la résistance des parlers romans. Le latin
y domine jusqu'à la fin de l'époque carolingienne. On cite même
le cas d'un patois roman qui s'est maintenu dans le domaine de
la viticulture jusqu'au xmesiècle.
Cela nous amène à examiner une autre thèse.
Pour Alain Simmer. l'accession des Francs au pouvoir et la
germanisation de nos régions sont sans rapport de cause à effet.
L'origine franque de la frontière linguistique dans l'Est de la Gaule
est une théorie qui ne tient plus la route. Les progrès de l'archéo-
logie et de la dialectologie l'ont ébranlée. Les paradoxes et les
anachronismes s'y ramassent à la pelle. En voici un avant-goût.
Nulle part ailleurs en zone germanique qu'entre Bitburg et Ech-
ternach, le long de la Moselle, de Bemkastel à Trèves et entre
Moselle et Sarre. on atteint une telle densité de nécropoles mé-
rovingiennes. L'occupation franque y est donc d'envergure. Les
chercheurs allemands ont découvert que la romanité s'y main-
tient à un degré record en l'absence de toute empreinte germa-
nique plusieurs siècles après la fin de l'empire romain.
Autre exemple : les franciques mosellans, baptisés ainsi par
des philologues persuadés qu'ils furent apportés par les Francs,
relèvent de l'allemand moyen (Mitteldeutsch). Or, les Francs par-
laient un dialecte bas-allemand (Niederdeutsch). Comment des
peuples pratiquant une langue du Nord auraient-ils pu en intro-
duire une autre, presque méridionale, foncièrement différente,
d'autant qu'il s'agit de dialectes auxquels la recherche moderne
hésite à assigner un véritable ancêtre commun ? Si les Francs
avaient joué un rôle quelconque dans la transmission des dia-
lectes lorrains, les Mosellans parleraient aujourd'hui néerlandais,
tout comme les trois quarts de l'Allemagne.
Une hypothèse de travail est que les Francs du VIe siècle ne
parlaient peut-être plus le dialecte bas-allemand qui leur était
propre. Minoritaires et rapidement intégrés dans leur nouveau
pays. ils n'auraient fait qu'adopter la langue des régions où ils
s'établissaient. Le véritable francique aurait disparu selon un pro-
cessus tout à fait naturel.
Dans la foulée, le linguiste-archéologue ouvre la porte à de
nouveaux horizons de recherches. Une frontière linguistique en-
tre gaulois et germanique existait probablement déjà avant l'arri-
vée de César. Nous voici amenés à nous interroger sur l'origine
10
de ceux qui peuplaient la Gaule Belgique avant la conquête ro-
maine. Ces Belges. de loin les plus braves de tous. ne seraient-ils
pas des envahisseurs d'origine germanique venus s'établir au
milieu des Celtes vers 200 avant J.C. ? La Gaule Belgique présen-
terait alors un mélange de deux ethnies : l'arrière-garde des Cel-
tes et l'avant-garde des Germains. Des «Gaulois» qui ont su habi-
lement emprunter à la civilisation romaine ce qu'elle avait de
meilleur tout en conservant leurs particularités. donnant ainsi
naissance à la brillante civilisation gallo-romaine. Ce serait donc
la romanité qui serait venue se superposer à une civilisation celto-
germanique et non pas un germanisme d'envahisseurs qui se
serait plaqué sur la civilisation gallo-romaine. La romanisation
n'aurait fait qu'effleurer les masses rurales où survivaient lan-
gues et coutumes.
Pour expliquer la formation de la frontière linguistique en Lor-
raine. Alain Simmer songe à la résurgence d'un germanisme in-
digène. parallèlement à celle du celtisme. alors que la romanité
s'estompe. Un simple retour de valeurs traditionnelles en dou-
ceur et sans heurt. Dans les campagnes. le germanisme était po-
pulaire, écrit-il. et il l'est resté jusqu'à nos jours. Atavique, ancré
dans les populations rurales, il a imprimé à la langue et au pay-
sage mosellan un sceau indélébile.

Le duché de Luxembourg :
un quartier allemand et un quartier wallon

L'origine du Luxembourg remonte à la formation des princi-


pautés féodales. Le comte Sigefroid. membre d'une puissante
famille de Moselle moyenne. en est un des premiers acteurs. En
963. lors d'une transaction avec l'abbaye Saint-Maximin de Trè-
ves. il acquiert un promontoire rocheux du nom de «lucilinburhuc»
(Luxembourg) et y construit son château-fort. renforçant ainsi ses
domaines des vallées de l'Alzette et de la Sûre. Ses descendants
poursuivent une politique d'expansion territoriale avec plus ou
moins de succès.
Une deuxième étape importante est franchie en 1214 quand
Ermesinde. comtesse de Luxembourg. épouse Waléran. fils ca-
det du duc de Limbourg. Celui-ci apporte en dot le château et les
terres d'Arlon qui s'étendent alors jusqu'à Capellen. Cette union
11
permet de réaliser la jonction entre le comté de Luxembourg et
ceux de Laroche et de Durbuy. Le Luxembourg commence à pren-
dre forme. L'acquisition du comté de Chiny (1337 et 1364) para-
chève l'œuvre. En 1354. la principauté est élevée au rang de du-
ché par l'empereur germanique Charles IV. Désormais les com-
tés de Luxembourg. de Laroche. de Durbuy et le marquisat
d'Arlon. avec tous les fiefs et autres terres qui en dépendent.
sont désignés sous le vocable de duché de Luxembourg.
«Les futurs souverains du Luxembourg. jusqu'à la Révolution
française - les Charles Quint Philippe IL Marie-Thérèse. Joseph II
- porteront le titre de duc (duchesse) de Luxembourg. en ayant
toutefois soin d'y accoler celui de comte (comtesse) de Chiny.» (7l
Si une certaine cohérence territoriale. administrative et politi-
que est établie au fil des siècles. d'autres divisions sont indélébi-
les. Au nord, le pays est peu favorisé par la nature. Le massif
ardennais forme une barrière difficilement franchissable. Les ter-
res sont de qualité médiocre et le climat est rude en hiver. Au
sud, c'est la Lorraine. Les terres sont fertiles et le climat plus doux.
La frontière linguistique traverse le Luxembourg suivant un
tracé Nord-Sud. Dans des textes contemporains de Jean !'Aveu-
gle (1310-1346). on distingue déjà la partie occidentale dite «quar-
tier wallon» de la partie orientale dite «quartier allemand». Loin
de provoquer des discussions. voire des conflits. cette différence
de langue entre les deux quartiers ne gêne personne. Elle de-
meure d'ailleurs imperceptible à la masse de la population, ap-
pelée à vivre là où elle est née.
Le quartier wallon correspond à une zone de peuplement moins
dense. La vie économique y repose essentiellement sur l'exploita-
tion forestière. sur la forgerie et sur une agriculture de petite et
moyenne dimension. En fonction des influences historiques. diffé-
rents dialectes wallons y prennent pied. Dans le nord, la proximité
de la principauté de Liège se fait sentir. Le wallon est pénétré de
tournures et de vocabulaire liégeois. L'Ardenne centrale reçoit un
wallon de transition, lui-même sous-divisé en parlers plus locaux,
comme le «chestrolais» par exemple. Dans le sud, la proximité du
champenois et du lorrain marque de son empreinte la spécificité
linguistique du dialecte gaumais. Dans la région de Virton, l'influence
champenoise et française est particulièrement forte (sJ.

17l Gilbert TRAUSCH. Histoire du Luxembourg. Paris. 1997. p. 31.


18l Roger BRU CHER. Régionalité. bilinguisme et littérature en pays de Luxembourg.
in Cahiers de l'Académie Luxembourgeoise. 0 °11-12. Virton. 1982.
12
Le quartier allemand. quant à lui. voit sa population bénéfi-
cier de terres arables proportionnellement plus importantes. Les
larges zones agricoles de la Lorraine luxembourgeoise profitent
des bienfaits de la Moselle qui permet aux habitants de déployer
une activité viticole prospère. tout en les reliant à leurs puissants
voisins. Dans cette partie du Luxembourg. le peuple reste unani-
mement attaché au vieux dialecte francique mosellan. le
«letzebuergesch».
Une histoire commune. sans interruption ni séparation de-
puis que le comté de Luxembourg s'est peu à peu formé, et la
complémentarité de l'économie du quartier wallon où domine
l'Ardenne et du quartier allemand où domine le Gutland (Bon-
Pays) vont accroître la cohérence de l'espace luxembourgeois.
Seules les langues différencient véritablement le quartier wallon
du quartier allemand. Hormis la langue. il n'y a pas de grandes
différences entre un paysan de Marche et un paysan de Mersch.
L'historien grand-ducal Albert Calmes écrit : «De part et d'autre
de l'immuable ligne de démarcation linguistique. vivaient les
mêmes types d'hommes ... La population était homogène dans
ses idées, ses croyances, ses mœurs et ses traditions.» (9l
Le développement de la ville de Luxembourg, capitale du du-
ché, centre d'administration. d'affaires et d'enseignement. amène
la bourgeoisie et les classes dirigeantes à utiliser l'allemand et le
français comme langues vernaculaires et de culture. Suivant les
époques. les dynasties. les influences. il y a prédominance de l'une
ou l'autre mais les deux subsistent toujours. Sous Henri IV l'Aveu-
gle et sa fille Ermesinde. la cour de Luxembourg s'ouvre largement
à la culture romane et la chancellerie comtale commence à se
servir du français en plus de l'allemand. Au XVIIIe siècle, les nota-
bles utilisent surtout le français devenu la langue et le critère de
référence de tout homme instruit en Europe. A Luxembourg. ne
paraissent que des journaux français. Cela ne signifie pas que le
duché est exclusivement tourné vers Bruxelles et les autres pro-
vinces des Pays-Bas autrichiens. Gilbert Trausch : «Culturellement
il regarde facilement Trèves, économiquement vers la Lorraine (ex-
portation de bétail, importation de sel) et Liège (exportation de
fer). Par la Moselle une partie du trafic est orientée vers Metz et
Trèves et. au-delà, vers la Rhénanie.» (JO)

'9' Albert CALMES. Naissance et débuts du Grand-Duché. 1814-1830. Luxembourg.


1971. p. 181.
10
' ' Gilbert TRAUSCH. Histoire du Luxembourg. op. cit. p. 53.
13
Quant au peuple des campagnes, il pratique toujours un dia-
lecte wallon ou francique mosellan selon qu'il est d'un côté de la
frontière linguistique ou de l'autre. Remarquons tout de même
qu'à la suite de remaniements tenitoriaux, le Luxembourg glisse
de l'est vers l'ouest. de la Germanie vers le monde latin. En 1815,
par la cession à la Prusse de la rive droite de la Moselle et des
rives gauches de la Sûre et de l'Our (pays de Bitburg, Saint-Vith,
Schleiden et Cronenbourg), il perd 46.000 citoyens germanopho-
nes alors que le rattachement du duché de Bouillon lui fait ga-
gner 16.000 Wallons. Mais la majorité des Luxembourgeois de-
meure germanophone. En 1831. environ 56 % de la population
luxembourgeoise sont d'expression germanique (11 J.

Arlon, carrefour des civilisations latine


et germanique

Aux premières tranchées du quartier allemand, on trouve la


région d'Arlon, d'idiome luxembourgeois. Le francique mosel-
lan, comme l'ont baptisé les linguistes. y est fortement ancré et.
malgré la proximité de la Wallonie, on y parle moins le français
qu'à Luxembourg où une société d'intellectuels, de commerçants
et d'officiers pratiquent volontiers le français. Ce qui est d'ailleurs
le cas dans la bonne société de maintes villes frontières d'Alle-
magne, à Aix-la-Chapelle comme à Trèves et à Deux-Ponts ozJ.
Si la région d'Arlon appartient au quartier allemand et sa po-
pulation parle l'idiome germanique, sa position sur la frontière
linguistique conduit la bourgeoisie locale à un extraordinaire bi-
linguisme français-allemand au fil des siècles. Cette connaissance
des deux langues de culture fait la fortune et la grandeur d'Arlon
devenu le berceau d'hommes importants et influents dans les
principautés voisines. Al' époque de la Renaissance. l'humanisme
est florissant à la croisée des mondes latin et germanique. Que
l'on pense un instant à Petrus Jacobi Arlunensis (1459-1509) ou à
Barthélémy Latomus (1496-1570), tous deux originaires d'Arlon.
On voit également les ducs de Bourgogne et leurs successeurs

O Il Albert CALMES. Naissance et débuts du Grand-Duché. op. dt. p. 177.


(IZl Albert CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la Révolution belge,
1830-1839. Luxembourg. 1982. p . 203.

14
appeler à eux nombre de modestes lettrés arlonais qui font à la
cour de Bruxelles ou à la cour impériale d'étonnantes carrières.
Chaque famille bourgeoise ou patricienne d'Arlon voit un de ses
membres grandir dans les Conseils des électeurs de Trèves. Co-
logne. Mannheim. et. si de nombreux postes de la Secrétairie
d'Etat de langue allemande des Pays-Bas - qui régit les rapports
avec le Saint-Empire - sont occupés pendant plusieurs généra-
tions par des fonctionnaires et des diplomates nés à Arlon (que
l'on se souvienne des Huart. Pütz. Pratz. Weller...). c'est d'abord
parce que ces derniers manient aussi bien le français que l'alle-
mand. Des ministres et des prélats comme les Busleyden. des
évêques comme Elchardus. des chanceliers de l'Empire comme
Naves et Held. des diplomates comme Houst. des grands magis-
trats comme les Bock. les Everlang. les Beyer ou les Ludovici. des
juges à la cour de Wetzelar comme les Neufforge. des princes
d'armée et d'église comme Aldringen. des administrateurs ecclé-
siastiques comme Georges d'Eyschen. des aumôniers de l'em-
pereur comme Lamorménil. des hauts dignitaires princiers
comme les Dujardin de Bemabruck ou les Nisette devenus ba-
rons de Loewenburg ... n'auraient jamais existé s'ils n'avaient eu
le privilège de parler naturellement deux langues. Même en 1830.
il y a encore en Autriche une série de généraux et de feld-maré-
chaux venus des confins arlonais tels les Wacquent. les Gallois.
le baron Ensch ... ce qui fait dire à Pierre Nothomb :
«ll ny a pas en Occident une ville qui ait produit autant d'hom-
mes éminents que l'humble Arlon de deux mille habitants. Pour-
quoi tant de grands fonctionnaires, de grands professeurs, de
diplomates sont-ils venus dïci ? Certes. à cause de leur intelli-
gence, de leur travail et de leur goût du travail, mais combien de
fois à cause de la supériorité que leur donnait. même dans une
Belgique que la neutralité repliait sur elle-même, leur participa-
tion à deux expression de la culture européenne. Privés de cette
supériorité, nos concitoyens du bas Luxembourg risquent de ne
plus dépasser pour la plupart. le grade de chef de bureau !» 0 3l
Le bilinguisme arlonais se retrouve encore dans les rares ar-
chives que les nombreux incendies qui ravagèrent la ville ont
préservées ou dans celles conservées à l'extérieur de la cité. On y
découvre des textes tantôt en allemand. tantôt en français selon
les époques et la prépondérance de l'une ou l'autre langue. D'une

(t Jl Pierre NOTHOMB, La grandeur d'Arlon bilingue.'in L'Avenir du Luxembourg,


21 novembre 1954.
15
manière générale, on peut observer qu'avant le xvesiècle. la ma-
jorité des documents officiels dans le pays d'Arlon est rédigée en
langue française. A partir de cette époque, on assiste à un renou-
veau de l'allemand qui domine jusqu'au règne de Louis XIV et
jusqu'à la période autrichienne. Ensuite. le français reprend le
dessus, surtout dans la vie publique. Toutefois l'allemand reste
la langue de base dans l'enseignement primaire et le clergé l'uti-
lise toujours pour le catéchisme et les prières. La population con-
tinue à parler le francique mosellan, seuls les bourgeois ont la
chance d'être bilingues ou plutôt trilingues puisqu'ils maîtrisent
à la fois le luxembourgeois, l'allemand et le français 0 4l_
Si le bilinguisme arlonais est célèbre, il existe également des
exceptions qui le sont aussi. Au milieu du XVIIe siècle, la ville a
un doyen qui ne connaît pas un mot d'allemand. Julian Fonce!.
docteur en théologie et brillant ecclésiastique originaire de Stenay.
se trouve dans l'incapacité de comprendre la majorité de ses
paroissiens. De même, il est connu que le maire Antoine Résibois.
qui préside aux destinées d'Arlon pendant 25 ans au début du
xr:xesiècle. ne parle que le français. Cela ne suscite pourtant pas
de problèmes. Sa bonhomie et son dévouement suffisent large-
ment à la population.
Après la révolution de 1830. la situation d'Arlon est profondé-
ment modifiée. L'application du traité des XXIV articles (19 avril
1839) maintient définitivement en Belgique. en même temps que
tout le Luxembourg wallon. Arlon et une importante partie de
son district appartenant antérieurement au quartier allemand. A
partir de ce moment. cette petite région d'idiome germanique se
trouve pour la première fois séparée politiquement des autres
territoires allemands du Luxembourg et désormais orientée vers
la seule langue de culture du nouvel Etat. le français.
Comment la situation linguistique a-t-elle évolué dans le pays
d'Arlon au xr:xeet au x:xesiècles ? Voici la principale question à
laquelle cette étude originale a pour but de répondre. Dans une
Belgique assourdie par ses querelles communautaires et linguis-
tiques. ouvrons le dossier de ce que Frédéric Kiesel appelle «la
plus étrange question linguistique et aussi la plus discrète, la plus
timide. la moins connue : celle du patois allemand d'Arlon» osi.

0 4l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. Vierteljahrsblatter für


luxemburgische Sprachwissenschaft. Volks-u. Ortsnamenkunde. Heft 7. 19 36.
pp. 135-152.
115! Frédéric KIESEL. Un dialecte sauvé de l'agonie ?. in Pourquoi Pas ?. 12 septem-

bre 1984. pp. 84-90.


16
Berceau de la Semois. Arlon est la plus ancienne ville de Belgique. Les riches
collections gallo-romaines du Musée Luxembourgeois témoignent de sa pros-
périté antique. Civilisations latine et germanique y font bon ménage depuis
deux millénaires.
La pierre représentant «Les Voyageurs» est l'un des plus beaux bas-reliefs dé-
couverts à Arlon. Elle provient d'un monument semblable à celui de la famille
trévire des Secundinii à !gel.

18
Sous une vigne chargée de grappes de raisins. un musicien joue du tibia tandis
qu'une m énade danse. un tambourin à la main. Au marché. des cultivateurs
vendent leur production de fruits. Mythologie ou scènes de vie quotidienne. les
bas-reliefs du musée d'Arlon sont parmi les plus beaux d'Europe.

19
Les Francs ont laissé des traces
ostensibles d e leur présence
dans le pays d'Arlon.

Ces bijoux en or (bague. rosette


et broche) ont appartenu à des
contemporains de Clovis ..

Plaques et boucles damasquinées datées des vre-vnesiècles de notre ère.

21
Le songe d'Ermesinde (vitrail de la chapelle Notre-Dame du Bel Amour à
Clairefontaine, 1877).
Selon la légende, la comtesse s'endormit et eut une vision, près de la source
bénie par saint Bernard, dans la vallée de la Durbach. Ce serait là l'origine de
l'abbaye de Clairefontaine, un couvent cistercien devenu la sépulture de la mai-
son de Luxembourg.

22
Tombeau de la comtesse Ermesinde à Clairefontaine (l 9e siècle).

Arlon au Moyen Age. gravure du 19e siècle.


23
1 •

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La ville d'Arl ond~ . · ·
24 près le plan de J. d e Deventer (début d es années 1560)
II. LA SÉPARATION DE 1839

La fin d'une époque

Nos régions ont conservé un doux souvenir de leur union


avec la Maison d'Autriche. Elle apporta la paix et la prospérité à
une population qui échappa à tous les conflits et n'eut à subir
aucune invasion étrangère. Dans les Pays-Bas autrichiens. le XVIIIe
siècle est synonyme d'essor démographique et d'expansion éco-
nomique 06l.
Si ses habitants vivent mieux que leurs ancêtres. le duché de
Luxembourg reste cependant un pays rural sous-développé. Ar-
lon. deuxième ville du duché devant Echternach. n'est qu'une
humble petite bourgade, beaucoup moins étendue qu'aujourd'hui.
Deux mille habitants. bourgeois. boutiquiers et agriculteurs vi-
vent derrière les murailles de l'enceinte élevée par les ingénieurs
de Louis XIV à la fin du xvrresiècle. Les deux portes donnant sur
les routes de Bastogne et de Luxembourg sont fermées tous les
soirs. les clefs déposées chez le justicier de la ville. Des ruelles
étroites et tortueuses s'emoulent autour de la colline dominée
par le couvent fortifié des Capucins. En 1738. les religieux instau-
rent la dévotion à saint Donat plaçant la ville particulièrement
exposée aux méfaits de la foudre sous la protection du thauma-
turge. Mais cela ne suffit pas à préserver la petite cité d'une terri-
ble catastrophe qui sonne le glas d'une époque '17l.
En 1785. la ville est complètement détruite par un incendie.
243 maisons sont la proie des flammes. Les cloches de l'église
Saint-Martin fondent sur place. Deux mille Arlonais errent dans

061 Hervé HASQUIN. La modernité du XVIIIe siècle. in La Belgique autrichienne.


1713-1794. Bruxelles. 1987.
t171 Alfred BERTRANG. Histoire d'Arlon. Arlon. 2e édition. 1953.

25
la campagne environnante à la recherche d'un abri. Durant l'hi-
ver qui suit les réfugiés s'entassent dans les couvents où les con-
ditions d'hygiène sont déplorables. Une maladie épidémique, la
fièvre putride, fait son apparition. La mort emporte 200 person-
nes '18l.
A peine reconstruite, la ville d'Arlon se trouve plongée en pleine
guerre entre l'Autriche et la France. Le passage des émigrés est le
prélude au choc des deux armées, impériale et républicaine. En
1793. à l'issue de la bataille de Weyler, les Français occupent
Arlon durant trois jours. pillant la ville à leur départ. En 1794.
Jourdan remporte une bataille décisive sur les Autrichiens à Ar-
lon, ce qui vaut à la ville d'avoir son nom gravé sur l'Arc de Triom-
phe. place de !'Etoile à Paris. L'abbaye de Clairefontaine est dé-
truite. La route de Luxembourg est ouverte. Après six mois de
siège, la forteresse capitule le 7 juin 1795. Quatre mois plus tard,
les anciens Pays-Bas autrichiens sont annexés par la France o9l,
La plus grande partie du duché devient le département des Fo-
rêts avec Luxembourg pour chef-lieu '20J. il le reste jusqu'à la chute
de Napoléon en 1814.
Après le départ des Français, c'est au tour des Alliés d'oc-
cuper le Luxembourg. Remarquablement aménagée par Vau-
ban '2 1l, la forteresse de Luxembourg est considérée comme
l'une des plus formidables places fortes d'Europe. C'est pour-
quoi les Prussiens décident de l'utiliser contre la France. «Elle
était la clef de la Lorraine, le pays qu'elle dominait en était la
porte.» (nJ
Luxembourg a un gouverneur prussien et le département des

1181 Alfred BERTRANG, Histoire de l'incendie d'Ailon en 1785. Arlon. 1914.


1191 Signé le 18 octobre 1797 entre la France et l'Autriche, le traité de Campofiormo
couronne la campagne victorieuse de Bonaparte en Italie et assure à la France
la possession des Pays-Bas autrichiens. le duché de Luxembourg inclus.
1201 Plus exactement. c'est la majeure partie (environ les deux tiers) qui forme le

département des Forêts avec Luxembourg comme chef-lieu. Le nord du du-


ché passe au département de l'Ourthe (chef-lieu: Liège) et le nord-ouest à
celui de Sambre-et-Meuse (chef-lieu: Namur).
1211 Au cours des années 1684 à 1697. les Français mènent à bien un vaste projet

de reconstruction de la ville endommagée par les bombardements du siège


de 1684, et de fortifications qui feront la renommée de Luxembourg. Au XVIIIe
siècle. les autorités autrichiennes continuent à développer la forteresse.
1221 Pierre NOTHOMB. Histoire belge du Grand-Duché de Luxembourg Paris, 1915,

p. 18.

26
Forêts est d'abord réuni au Gouvernement général du Rhin-
Moyen. puis au Gouvernement général du Bas-Rhin. Le proto-
cole de Londres de juin 1814. créant le Royaume des Pays-Bas au
profit de la maison d'Orange-Nassau. ne fait aucune réserve à
l'égard du duché de Luxembourg qui en théorie. est à nouveau
réuni avec les anciens Pays-Bas autrichiens et la principauté de
Liège. sous la dénomination générale de Belgique.
En mai 1815. les grandes puissances réunies en congrès à
Vienne pour remettre un peu d'ordre dans les affaires de l'Eu-
rope et se partager les dépouilles de la France vaincue.
redessinent la carte de nos contrées. La Hollande (anciennes
Provinces-Unies) et la Belgique (anciens Pays-Bas autrichiens et
principauté de Liège) sont réunies au sein d'un nouveau pays.
le royaume des Pays-Bas avec Guillaume Ier d'Orange-Nassau
comme souverain.
Cependant un sort tout à fait particulier est réservé au Luxem-
bourg. Elevé au rang de grand-duché. il est donné en possession
personnelle à Guillaume Ier pour l'indemniser de la perte. au
profit de la Prusse. de petites principautés situées au nord de
Coblence et qui faisaient partie de son patrimoine familial
(Dillenbourg. Siegen. Hadamar et Dietz). Guillaume Ier est donc
roi des Pays-Bas et grand-duc de Luxembourg. Selon l'article 67
de l'Acte final du congrès de Vienne. lui et ses successeurs peu-
vent disposer à perpétuité du Luxembourg. en toute propriété et
souveraineté '23l.
Mais ce n'est pas tout. Le Grand-Duché est également am-
puté de l'arrondissement de Bitburg et d'une longue bande de
terre sur la rive droite de la Moselle au profit de la Prusse. Par
contre. on y incorpore le duché de Bouillon. Enfin. il entre dans
la Confédération germanique et une garnison prussienne s'ins-
talle dans la forteresse de Luxembourg (24l_La création du royaume
des Pays-Bas et l'intégration du Luxembourg dans la Confédéra-
tion germanique s'inscrivent dans le cadre de la mise en place
d'un système défensif destiné à prévenir toute nouvelle agres-
sion de la France.

1z3l Albert
CALMES. Naissance et débuts du Grand-Duché. op. cit
124 l Devenue
forteresse fédérale (Bundesfestung). la forteresse de Luxembourg
est occupée par une garnison prussienne jusqu'en 1867.
27
Arlon, chef-lieu provisoire du
Grand-Duché de Luxembourg
Malgré ses spécificités. le Grand-Duché de Luxembourg parti-
cipe pleinement à la vie des autres provinces belges durant les
quinze années qui suivent Ne respectant pas les stipulations du
Congrès de Vienne, Guillaume 1er ne le traite pas en Etat séparé
mais il le considère comme la 18e province de son royaume '25l.
Les députés luxembourgeois siègent dans la même assem-
blée que tous les autres députés belges. En 1830. le Luxembourg,
théoriquement Etat distinct mais pratiquement simple province
belge. se joint tout naturellement à la Révolution belge. Ses vo-
lontaires accourent spontanément à Bruxelles, en même temps
que ceux de Liège. de Flandre et du Hainaut «ll en vient de tous
les coins du Grand-Duché». écrit Louis Lefèbvre '26l : Vianden, Ar-
lon, Luxembourg. Habay. Mersch. Koerich. Neufchâteau, Diekirch,
Bastogne. Esch-sur-Alzette. Marche. Grevenmacher, Bertrix, Virton.
Rernich, Mussy-la-Ville, Bellange, etc. Les uns sont à pied, les
autres en diligence. Certains voyagent isolément d'autres en
groupe. Bientôt c'est toute une compagnie franche luxembour-
geoise qui voit le jour. Ses volontaires se distinguent notamment
lors de l'attaque et de la prise du pont de Waelhem. au nord de
Malines, le jeudi 21 octobre 1830.
La volonté des Luxembourgeois est claire : ils veulent faire
partie de la Belgique. Le 16 octobre 1830. le Gouvernement pro-
visoire de Bruxelles, sous l'inspiration de François d'Hoffschrnidt<27J
et de Jean-Baptiste Nothomb '28l, déclare la province de Luxem-
bourg (c'est-à-dire le Grand-Duché de Luxembourg). «partie

(25 lGilbert TRAUSCH, Le Luxembourg sous l'Ancien Régime, Luxembourg, 1977.


p. 51.
(26l Louis LEFEBVRE, Luxembourgeois de 1830, Arlon. 1980, p. 70.

(27l Né en 1797, François d'Hoffschmidt est le fils d'Ernest d'Hoffschmidt nommé


membre de la seconde Chambre des Etats généraux en 1815 par le roi
Guillaume Ier. François d'Hoffschmidt est membre des Etats provinciaux pour
le district de Bastogne depuis 1827. En 1830. il embrasse la cause de la Révo-
lution belge et est élu à la Chambre des Représentants par ce même district
(2sl Né à Messancy en 1805, journaliste sous le régime hollandais, Jean-Baptiste
Nothomb émerge brillamment lors de la Révolution belge. Membre du Con-
grès National, rédacteur de la Constitution, il est élu député d'Arlon de 1830 à
1848 et occupe le poste de secrétaire général du ministère des Affaires étran-
gères de 1831 à 1837.
28
intégrante de la Belgique, nonobstant ses relations avec la Con-
fédération germanique et l'occupation de la forteresse de Luxem-
bourg par une gamison fédérative.» (z 9i
Le même jour, le gouverneur orangiste Willmar. qui n'a pas
fait le moindre geste pour se rallier à la Révolution. est renvoyé
par le Gouvernement belge. ainsi que le secrétaire provincial Jean-
Baptiste Gellé. Jean-Baptiste Thom (3oi lui succède au poste de
gouverneur de la province de Luxembourg avec Jean-Baptiste
Nothomb comme nouveau secrétaire provincial.
La situation exceptionnelle de la ville de Luxembourg où
Willmar continue à représenter Guillaume Ier et à exercer sa fonc-
tion de gouverneur à «Luxembourg-forteresse». la présence de la
garnison prussienne hostile à la cause belge. décident les autori-
tés de Bruxelles à transférer sur le champ le chef-lieu de la pro-
vince dans une autre localité que Luxembourg. La certitude d'y
revenir bientôt explique le choix d'Arlon, ville la plus voisine.
située à une vingtaine de kilomètres. et deuxième aggloméra-
tion en importance du Luxembourg.
En conséquence, le siège du gouvernement provincial. le tri-
bunal d'arrondissement de Luxembourg. le quartier-général du
commandant militaire de la province. la conservation des hypo-
thèques. la maison de justice. une agence de banque et diverses
administrations centrales se fixent provisoirement à Arlon '31l.
Ce déménagement impromptu n'est pas sans poser quelques
problèmes aux fonctionnaires résidant à Luxembourg. comme
le raconte Albert Calmes :
«L'adhésion au Gouvemement provisoire entraînait leur dé-
placement à Arlon, siège provisoire de l'administration de la pro-
vince. On peut se B.gurer quelles discussions et quelles brouilles
cela dut amener dans les foyers. Certains, et non des moindres,
passèrent le Rubicon, parfois avec armes et bagages. c'est-à-dire
avec la caisse et les archives de leurs bureaux. Tels furent Jean
Erpelding, garde forestier général à Luxembourg. Auguste Ma-
thieu, receveur des contributions directes à Luxembourg, plus

' 291Albert CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la Révolution belge.


op. cit. p. 33.
(3o1 Né à Remich en 1783. Jean-Baptiste Thom est avocat à Luxembourg en 1806.
membre des Etats provinciaux pour l'ordre des campagnes de 1815 à 1830. n
est élu membre du Congrès National en 1830. sénateur en 1831.
31
' l Arrêtés du Gouvernement belge en date des 16 octobre. 21. 23. 30 novembre,
13 décembre 1830 et 6 janvier 1831.
29
tard commandant de place à Anvers, et ]'ingénieur-vérificateur
Henri Heuschling, qui emporta à Arlon les actes et les plans du
cadastre. Le manque de ces pièces fut fort sensible aux autorités
luxembourgeoises lors de la délimitation de la nouvelle fron-
tière belgo-luxembourgeoise en 1839. Certains fonctionnaires
ralliés au gouvernement belge se contentèrent de transporter leurs
pénates hors des murs de la place en élisant domicile au plus
près, dans le village d'Eich qui était presque un faubourg de la
capitale.» oz)
Plusieurs imprimeurs de Luxembourg transportent leurs pres-
ses à Arlon (33l_ Descendant d'une vieille famille d'imprimeurs de
Luxembourg mentionnée déjà en 1688. Pierre-André Brück ouvre
la première imprimerie lithographique et typographique d'Arlon.
il exécute les commandes officielles et publie d'emblée le Mé-
morial administratif du Grand-Duché de Luxembourg. imprimé
en français et en allemand, dont le premier numéro sort le 26
octobre 1830. La même année, il fonde le premier journal local,
la Gazettequidevienten 1831 la GazettedelaProvincedeLuxem-
bourg,
Charles-Antoine Bourgeois, né à Luxembourg en 1800, s'ins-
talle à Arlon en 1832 et donne naissance au Jaumal d'Arlon et de
la Province de Luxembourg, feuille d'information libérale inspi-
rée par le gouverneur Thom. destinée à faire échec au Jaumal de
la ville et du Grand-Duché de Luxembourg, organe orangiste.
En 1833. Jean Laurent. natif de Luxembourg, ouvre son impri-
merie dans la Grand-Rue d'Arlon et imprime. à partir de décem-
bre 1836. L'Echo du Luxembourg, journal libéral fondé par deux
avocats arlonais : Emmanuel Servais et Victor Tesch. futur minis-
tre de la Justice.
Evoquant le combat mené par ce journal. Albert Calmes sou-
ligne:
«L 'Echo du Luxembourg représentait particulièrement les
intérêts de la population dïdiome luxembourgeois. ll reprochait

' 311 Albert CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la Révolution belge.


op. cit, p. 36.
' 331 Marcel BOURGUIGNON. Les débuts de la presse arlonaise 1830-1894, in L'.A ve-
nir du Luxembourg. 1er juillet 1969.
Philippe MOTIEQUIN, Répertoire de la presse de la province de Luxembourg.
1760-1940, Cahiers du Centre intemniversitaire d'histoire contemporaine, n°
84, Louvain-Paris, 1978.
Pierre EVERLING. 150 ans à Arlon. Arlon, 1985.
30
au Gouvernement belge de négliger les intérêts de cette partie
du Grand-Duché, parce qu'il n'était pas convaincu qu'il pourrait
la conserver. .. La sauvegarde de lïntégrité du Luxembourg était
la ligne de conduite rigide de l'Echo. Tout le reste y était subor-
donné. ll n'était belge qu'en fonction du Luxembourg» o4l

Fixation de la frontière entre


les deux Luxembourg et séparation
Il est vrai que depuis le traité des XXIV articles, en novembre
1831, la Belgique a peu de chances de conserver la partie alle-
mande du Luxembourg. Que s'est-il passé?
En 1815, la création du Royaume des Pays-Bas comme bar-
rière contre la France, a été un problème international, résolu
par le Congrès de Vienne. Son éclatement en 1830, à la suite
d'une révolution qui remet en cause l'équilibre européen, en est
également un.
A l'instigation de l'Angleterre, les principales puissances inté-
ressées se réunissent en conférence à Londres dès novembre
1830. Elles reconnaissent l'indépendance de la Belgique mais
rejettent les prétentions belges sur le Luxembourg. Le statut in-
ternational du Grand-Duché est compliqué. En 1815, il a été at-
tribué à Guillaume d'Orange-Nassau en propriété personnelle.
De plus, son appartenance à la Confédération germanique rend
la situation très délicate.
En juin 183L la Conférence de Londres règle la séparation
entre la Hollande et la Belgique par le traité des XVIII articles.
L'appartenance du Luxembourg à la Belgique n'est pas reconnue
mais le statu quo est provisoirement maintenu: à l'exception de
sa capitale, le Grand-Duché de Luxembourg demeure adminis-
tré par la Belgique. Tous les espoirs sont permis car le 7 juin. la
Conférence précise que le Luxembourg peut être obtenu par la
Belgique à la suite d' «un arrangement de gré à gré, moyennant
de justes compensations et seulement après son adhésion aux
bases de séparation.» '35 l. La désastreuse Campagne des dix jours

(341Albert CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la Révolution belge.


op. cit.. p. 143.
(35 1 Louis LEFEBVRE. Luxembourgeois de 1830. op.cit. p. 120.

31
réduit à néant ces espoirs. Les troupes hollandaises ayant en-
vahi la Belgique. l'armée belge ne se montre pas à la hauteur et la
situation ne peut être sauvée que grâce à l'intervention militaire
de la France. Les pourparlers reprennent à Londres et aboutis-
sent en novembre 1831. au traité des XXIV articles. beaucoup
moins favorable à la Belgique car il prévoit le partage du Lim-
bourg et du Luxembourg entre les deux protagonistes et non
plus un hypothétique rachat du Grand-Duché par les Belges.
Lors de la négociation de ce traité, le principe de base retenu
pour le démembrement du Luxembourg est celui de la sépara-
tion en vertu de la frontière linguistique. La partie orientale. de
langue germanique, revient à Guillaume. tandis que la partie oc-
cidentale où l'on parlait des idiomes d'origine romane. est con-
servée par la Belgique. En réalité. la ligne de partage ne coïncide
pas exactement avec la frontière linguistique. Elle s'en écarte as-
sez largement par endroits.
La zone de langue germanique du district de Bastogne n'est
attribuée au Grand-Duché que pour les deux tiers environ. Bien
qu'étant d'idiome germanique, les villages de Nothomb (Noutem).
Parette (Parrt). Martelange (Martel). Radelange (Réidel). Grumelange
(Grémeil). Bodange (Biedeg). Wisembach (Wüsbech). Tintange
(Tënnen) et Warnach (Warnech) demeurent à la Belgique.
Selon von Franqué (36l, cette entorse au principe de la sépara-
tion linguistique est causée en partie par l'ignorance et la négli-
gence du ministère des Affaires étrangères de Berlin. qui ne sait
pas se renseigner à temps. ni quant aux limites des zones du
wallon et de l'allemand. ni auprès du gouverneur militaire à
Luxembourg quant aux nécessités militaires à sauvegarder. Le
10 septembre 18 31. le ministère des Affaires étrangères de Berlin
écrit à Bülow qu'il n'est pas encore documenté, et c'est ainsi que
le plénipotentiaire prussien ne peut exiger dans la région de
Bastogne un tracé strictement conforme au principe de la sépa-
ration des langues.
De plus. toute la région d'Arlon. également germanique. est
attribuée à la Belgique et non au Grand-Duché. S'étendant au
nord de la frontière française et de la place forte de Longwy. ce
territoire englobe une soixantaine de localités. les anciennes com-
munes suivantes et leurs sections :

136l VON FRANQUE. Luxemburg. die belgische Revolution und die Mach te. Bonn.
1933. p. 225 . repris par A CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la
Révolution belge. op. cit. p. 202.
32
- Nobressart (Gehaanselchert). Almeroth. Luxeroth. Louchert
(Luchert). Heinstert (Heeschtert) ;
- Attert. Grendel. Faascht. Schadeck (Schuedeck). Schockville
(Schakeler). Post (Pass). Rodenhoff (Roudenhaff);
- Tontelange (Tontel). Côte Rouge (Beierchen). Metzert;
-Thiaumont (Diddebuurg). Lischert (Leschert). Tattert. Lottert;
- Hachy (Haerzeg). Fauches (Affen). Sampont (Sues);
- Heinsch (Haischel). Freylange (Frallen). Stockem (Stackem).
Schoppach (Schappech);
- Bonnert (Bunnert). Frassem (Fruessem). Viville (Alenuewen).
Seymerich (Seimerech). Quatre-Vents (Katterwang). Waltzing
(Walzèng);
- Guirsch (Giisch). Heckbous (Heckbuus). Gaichel (Giechel);
- Arlon (Arel):
- Autelbas (Nidderalter). Bamich (Bamech). Autelhaut (Ueweralter).
Clairefontaine (Badeburg). Stehnen (Stienen). Wolberg (Wolbierg).
Sterpenich (Sterpenech). Rosenberg (Rousebierg). Weyler (Weller).
Birel (Birelhaff);
- Wolkrange (Woulker). Buvange (Béiwen). Sesselich (Siesselech):
- Hondelange (Hondel):
- Toernich (Temech). Udange (Eiden):
- Habergy (Hiewerdang). Guelff (Giélef). Bébange (Biében);
- Messancy (Miezeg). Turpange (Türpen). Differt (Déifert). Longeau
(Laser). Guerlange (Gierleng). Noedlange (Néidleng);
- Sélange (Seilen);
- Athus (Attem);
- Aubange (Eibeng). Clémarais (Klamerech);
- Halanzy. Battincourt (Béetem). Aix-sur-Claie (Esch-op-der-Huurt) (37l,
Selon une légende couramment répandue dans l'historiogra-
phie locale. qu'on se plaît encore à conter aujourd'hui. l'attribu-
tion d'Arlon à la Belgique s'expliquerait uniquement par «un acte
de sympathie des plénipotentiaires de la Conférence de Lon-
dres à l'adresse du jeune et actif représentant de la Belgique
qu'était Jean-Baptiste Nothomb. député d'Arlon, auquel des di-
plomates sensibles n'auraient pas voulu faire le crève-cœur de

(J 7l L'orthographe luxembourgeoise des localités correspond à celle utilisée dans


Luxemburger Wôrterbuch. Luxembourg. 1950.
33
lui ravir sa circonscription électorale en la plaçant hors des fron-
tières belges.»
Albert Calmes, pour qui il s'agit d'une pure légende sans le
moindre fondement réel. fait judicieusement remarquer :
«Outre que des considérations sentimentales seraient aussi
déplacées quïnvraisemblables dans des négociations territoria-
les. et que l'atmosphère de la Conférence durant les dernières
heures qui précédèrent l'acceptation du texte des XXIV articles,
n'étaient guère aux effusions de cordialité et de sympathie. on
pourrait si cette histoire était vraie, se demander pourquoi ces
diplomates en veine de générosité, ont tiré la frontière belge juste
devant la localité habitée par la famille de Nothomb, de façon à
la laisser au roi Guillaume.» osi
La famille Nothomb s'était fixée à Pétange, en face d'Athus.
juste de l'autre côté de la frontière, en territoire grand-ducal.
Nothomb déclare à la Chambre belge dans son discours du 26
octobre 1831 : «Je ne sais par quelle fatalité. le premier village
réservé dans le Grand-Duché de Luxembourg à la domination
du Roi de Hollande est celui qu'habite ma famille ... »
De toute manière. il est vraisemblable que Jean-Baptiste
Nothomb a tout tenté afin qu'Arlon demeure en Belgique comme
il l'a fait pour Pétange. Le Hon. ministre de Belgique à Paris, lui
annonce le 17 octobre : «Je sors de chez lord Grandville qui a
reçu ce matin une lettre de lord Palmerston. ll l'informe qu'on est
disposé à céder Arlon à la Belgique. j'avais plaidé avant-hier la
cause de Pétange. Pourquoi aussi votre famille va-t-elle s'égarer
par-delà Rodange ?» (39l
D'autres thèses non contradictoires soutiennent que la Belgi-
que livre bataille en alléguant qu'Arlon, siège provisoire de l'ad-
ministration provinciale, est appelée à le rester définitivement.
ou encore qu'en confisquant Arlon, c'est la route Bastogne-
Longwy (via Arlon). unique et indispensable issue du Luxem-
bourg wallon vers la France. qui disparaît (4 l.
Si rien de tout cela n'est impossible. le fond du problème se
situe pourtant à un autre niveau. L'étude des archives diplomati-
ques a démontré que la région d'Arlon est donnée à la Belgique

IJsl Albert CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la Révolution belge.


op. cit, p. 207.
1J 9l Jacques RUZETTE. Jean-Baptiste Nothomb, Bruxelles, 1946, p. 65 .

t4ol DE LA FONTAINE. Publications de la Section Historique. Luxembourg. 1860,


p. 17.
34
lors des négociations de Londres. à la suite d'une revendication
française. dont l'objectif est de neutraliser la zone couvrant au
nord la forteresse de Longwy. et de placer hors de la Confédéra-
tion germanique la route stratégique allant de Metz à Liège. et
passant par Thionville. Arlon et Bastogne (41l.
Sébastiani. ministre des Affaires étrangères du roi des Fran-
çais.Louis-Philippe. a ordonné à son ambassadeur à Londres.
Talleyrand. de ne rien conclure si Bastogne et Arlon ne revien-
nent pas à la Belgique. Jusqu'au dernier moment. le cabinet fran-
çais tient bon face à la vive résistance de Bülow. le plénipotenti-
aire prussien. et des représentants du roi Guillaume. C'est à l'ul-
time instant. alors que tous les travaux de la Conférence risquent
d'échouer sur le problème d'Arlon que Palmerston. ministre bri-
tannique des Affaires étrangères, offre aux Hollandais pour prix
de la cession de ce territoire à la Belgique. des compensations
du côté du Limbourg. La frontière hollando-belge en Limbourg.
déjà convenue sur une longueur de 22 km entre Weert et Beegden.
peut être portée 6 km plus au sud, de façon à attribuer à la Hol-
lande les localités de Tungelroy. Stamproy. Neeritter. Grathem.
Thom et Wessem.
Appuyé par l'Autriche et la Russie. Bülow est disposé à main-
tenir sa position et à s'opposer à la cession d'Arlon à la Belgique.
Toutefois il décide de remettre la décision du sort d'Arlon entre
les mains des plénipotentiaires du roi Guillaume. l'ambassadeur
Falck et le baron Van Zuilen. il décrit la scène au roi de Prusse.
dans une lettre du 15 octobre 1831 :
«Sûr de voir approuver mes idées par le baron de Wessenberg,
j'engageai le (plénipotentiaire autrichien) prince Esterhazy et le
(plénipotentiaire russe) comte Matuszewic d'aller nous réunir sans
délai autour du lit de l'ambassadeur des Pays-Bas (Falck). tou-
jours souffrant de la goutte, et de faire inviter le baron de Zuylen
à prendre part à notre conférence confidentielle. C'est là que j'ai
déclaré être prêt à m'opposer à la cession d'Arlon et à courir les
chances du renvoi de cette question à Paris. Le prince Esterhazy
et le comte Matuszewic ont promis de soutenir mes efforts.

Voir à ce sujet l'excellente étude d'Albert CALMES. Le Projet de dém embre-


(41 1

ment du Luxembourg par le traité des XXIV articles. in Le Grand-Duché de


Luxembourg dans la Révolution belge. op. cit. pp. 195-213. d'après les archi-
ves du ministère des Affaires étrangères à Bruxelles et le Protocole séparé de
la séance de la Diète du 23 février 1837.
35
«Alors une discussion très intéressante s'est élevée entre les
deux plénipotentiaires des Pays-Bas, dont le résultat fut tel que
je l'avais prévu. Après avoir pesé et pondéré avantages et désa-
vantages, le baron de Zuylen lui-même a dû finir par me prier
d'aban donner Arlon afin de procurer au Roi de Hollande les
grands avantages qui se rattachent à cette cession.» (42i
Ainsi le Roi Grand-Duc se fait payer Arlon par des compensa-
tions territoriales dans le Llmbourg. «En l'occurrence, dans laper-
sonne de Guillaume Jer l'intérêt du Roi l'emportait sur celui du
Grand-Duc» (43 J
Les Britanniques voient cette solution d'un bon œil non seu-
lement parce qu'elle garantit aux Français que Longwy ne sera
pas attaquée par le nord mais aussi parce qu'il n'y a pas à cette
époque de route directe de Longwy à Luxembourg. Une invasion
française depuis Longwy vers les états membres de la Confédé-
ration germanique devrait nécessairement passer par Arlon. et
de là, gagner Luxembourg. En plaçant Arlon dans le territoire
belge dont la neutralité est garantie par les grandes puissances.
aucune mauvaise surprise dans ce sens n'est à redouter.
Enfin, signalons les interventions intéressées de la noblesse
locale qui. selon la tradition, aurait obtenu que de légères mo-
difications soient apportées à la frontière. Le baron de Mar-
ches, propriétaire du château de Guirsch et de nombreuses ter-
res à Heckbous et à Guirsch, aurait réussi à maintenir ces deux
villages frontaliers en Belgique. De même, le comte de
Berlaymont de Bormainville, propriétaire de Sterpenich - sei-
gneur auquel les cultivateurs du village continuent à payer des
rentes jusqu'en 1857. date depuis laquelle ils sont libres et leurs
enfants peuvent partager librement l'héritage de leurs parents,
ce qui n'existait pas auparavant (44l - aurait lui aussi pu mainte-
nir ses terres du bon côté de la frontière. Edouard Kayser cite
«un certain Fr. Simonet, propriétaire d'une fonderie dans la val-
lée de Dürbacfa (affluent de l'Eisch). qui aurait obtenu in extre-
mis une action similaire en sa faveur «en 1839, avec l'aide de
l'influent Nothomb» (45l.

l4 zl VON FRANQUE. Luxemburg, die belgische Revolution und die Mach te. op.
cit. p. 323.
l43l Gilbert TRAUSCH. Le Luxembourg sous l'Anden Régime. Luxembourg, 1977. p. 65.
l44l Emile TANDEL. Les Communes Luxembourgeoises, tome II. Arlon. 1889. p. 187.
145 l Edouard KAYSER. Un aspect méconnu de la réalité linguistique belge :la région
d'Arlon. in Eis sprooch iwert ail grenzen. Diddebuurg-Heeschtert, 1979. p. 4.
36
En résumé, le traité des XXIV artides stipule que la Belgique con-
serve du Luxembourg. les districts de Marche, de Neufchâteau et de
Virton en entier, le district de Bastogne presque en entier, et 18
communes sur 34 dans le district d'Arlon (46l. Guillaume garde en
entier les trois districts de Luxembourg. Diekirch et Grevenmacher.
Selon des chiffres de 1842, le Luxembourg grand-ducal compte
175.223 habitants répartis sur une superficie de 2.793 km 2 tandis
que le Luxembourg belge compte 176.493 habitants répartis sur
4.319 km 2• La Belgique obtient presque les deux tiers, c'est-à-dire
la partie wallonne, la plus pauvre et proportionnellement la moins
peuplée.
La frontière politique ne respecte nullement la séparation lin-
guistique puisqu'une bande de terre d'une longueur de 40 km
sur une largeur dépassant à certains endroits 15 km, englobant
une population de 23.000 habitants (47l qui parlent l'idiome luxem-
bourgeois. reste attachée à la Belgique. Cette région qui s· étend
de Tintange à Athus et de Hachy à Sterpenich. est baptisée
«Arelerland». c'est-à-dire «pays d'Arlon».
Nothomb. particulièrement réaliste. n'hésite pas à prôner l'ac-
ceptation et le respect du traité par la Chambre des Représen-
tants. malgré l'injustice de la décision.
«ll sent l'horreur de s'arracher soi-même un membre, mais ne
faut-il pas que le corps vive ?» (48l.
Mais dans ses discours prononcés lors de l'acceptation des
XXIV articles par la Belgique, on voit apparaître une lueur d'es-
poir en l'avenir. comme si tout n'était pas perdu et qu'un jour
peut-être. l'impossible se produirait: «Belges, j'ai foi en l'avenir.
Le jour de la réparation se lèvera pour nous, et tous les enfants
de la grande famille belge se réuniront de nouveau... » (49 l
Y croit-il réellement ou se contente-t-il de faire miroiter un évé-
nement plus improbable que possible pour mieux faire passer
une mesure injuste mais indispensable à la survie du jeune Etat ?
Nous ne le savons pas mais il est surprenant de constater qu'à la

(46l Arlon p erd les communes de Bascharage. Beckerich. Bettborn. Bigonville.


Clémency. Eli. Folschette. Gamich. Grosbous. Hobscheid. Perlé. Pétange. Saeul.
Steinfort. Useldange. Vichten. Wahl et une partie de la commune de Guirsch.
(47l Philippe VANDERMAELEN. Dictionnaire géographique du Luxembourg. Bruxel-

les. 1838. p. 279.


(48l Pierre NOTHOMB. Le drame de 1839. Liège. 1938. p. 47.

(49l Idem . p. 92.

37
même époque. la Ville d'Arlon, s'inquiétant d'un éventuel dépla-
cement du chef-lieu vers une autre localité luxembourgeoise.
avance. comme principal argument en faveur du maintien de son
statut. la nécessité de rester à proximité des frères grand-ducaux,
dans l'hypothèse d'une réunion future, jugée très possible :
«Un motif politique qui domine tous les autres, c'est de ne
point consacrer d'une manière définitive le douloureux déchire-
ment qui est près de s'opérer. en déplaçant d'Arlon le chef-lieu,
centre d'action si propre à entretenir chez les habitants de la
partie enlevée cet esprit de fraternité, par lequel ils se regarde-
ront toujours comme la moitié d'un même tout comme les mem-
bres d'une même famille, que des événements de force majeure
ont violemment séparés, mais que des événements plus heu-
reux peuvent réunir,
«ôter le centre provincial à Arlon, pour le placer dans les Ar-
dennes. c'est rompre définitivement avec des frères, c'est travailler
à établir au moral une scission qui n'existerait qu'au physique.
«Et dans l'hypothèse d'une réunion qui est loin d'être impos-
sible, ne serait-ce pas Arlon qui se trouverait être le chef-lieu
naturel de la province rétabli sur l'ancien pied. soit parce que la
ville de Luxembourg ne nous serait pas restituée, soit à la raison
de la présence d'une garnison étrangère dans la forteresse, cir-
constance qui serait toujours un grand obstacle au remplace-
ment des autorités belges dans Luxembowg.» (5oJ
Le partage de l'antique famille des Luxembourgeois en deux
familles nouvelles n'a toutefois pas lieu avant 1839. Guillaume,
dont l'opiniâtreté est connue, n'est nullement disposé à accep-
ter les XXIV articles, pas plus qu'il n'avait auparavant agréé les
XVIII articles. La convention solennelle entre la Belgique et les
cinq Puissances n'est pas acceptée ni ratifiée par la Hollande qui
tient tête à l'Europe en maintenant l'occupation d'Anvers.
Le Luxembourg tout entier reste à la Belgique. Arlon conserve
à titre provisoire son rang de chef-lieu provincial et promesse est
faite aux populations concernées de tout faire pour essayer de
les conserver, sans se suicider pour autant
En décembre 1832, les Français du maréchal Gérard s'empa-
rent de la citadelle d'Anvers mais l'entêtement du roi Guillaume

(5oi Mémoire. Motifs qui militent pour laisser le siège de l'administration provin-
ciale et le tribunal chef-lieu à Arlon. Arlon. novembre 1831. p. 1 (Archives
Générales du Royaume).

38
n'est pas pour autant brisé. Pendant cinq années encore, il se
montre intraitable et l'idée qu'il se résigne à abandonner le Lim-
bourg et le Luxembourg dont les députés siègent aux Chambres
législatives belges, fait son chemin. Le 14 mars 1838. c'est le volte-
face et le drame : le Roi de Hollande adhère aux XXIV articles. Ce
douloureux réveil atterre la Belgique qui connaît crises et tentati-
ves désespérées pendant une année encore. Rien n'y fait et le 19
avril 1839. à Londres. les représentants de la Belgique, des Pays-
Bas. de la Grande-Bretagne. de la France, de l'Autriche. de la Prusse
et de la Russie. signent les trois traités mettant un terme définitif
au conflit. La Révolution belge connaît son épilogue. le Luxem-
bourg la séparation. La Belgique perd définitivement le Limbourg
septentrional et le Luxembourg allemand (5n,
Quelques semaines plus tard, le partage du Grand-Duché est
réglé sur le terrain par une commission belgo-néerlandaise et
par l'action de «commissaires démarcateurs». Plusieurs difficul-
tés apparaissent alors. La Belgique refuse d'évacuer Steinfort mais
l'intervention d'une cinquantaine d'uhlans venus de la forteresse
de Luxembourg oblige les douaniers belges à se replier à l'ouest
du village le 24 juin.
C'est à Martelange que la division du territoire pose le plus
gros problème. Selon le traité. la route d'Arlon à Bastogne revient
à la Belgique et le village de Martelange au Grand-Duché. Mais à
Londres. les négociateurs ont utilisé la carte de Ferraris établie
vers 1770, qui mentionne uniquement l'ancienne route située à
l'ouest de Martelange. Or depuis 1826. une nouvelle route a été
construite à l'est de Martelange. C'est bien elle qui. pour des rai-
sons stratégiques et commerciales. doit revenir à la Belgique.
Martelange, peuplée d'un millier d'habitants. ne peut donc pas
appartenir à Guillaume 1er.
Tandis que sur le terrain. les réunions des commissaires
démarcateurs se multiplient sans résultat. des patriotes arlonais
arrivent à Martelange pour défendre la localité et maintenir les
communications avec le nord du pays. La question n'est pas ré-
solue lorsque le 7 octobre 1840. Guillaume 1er abdique en faveur
de son fils. avant de se retirer à Berlin. Après diverses péripéties,
un règlement définitif intervient le 7 août 1843 lors de la
«Convention des limites» qui attribue à la Belgique la route et la
localité de Martelange située à l'ouest de celle-ci. Seuls le Haut-
Martelange et Rombach. situés à l'est. sont au Grand-Duché.

(s ,, A DE RIDDER. Histoire diplomatique du traité de 1839. Bruxelles-Paris. 1920.


39
LE PAYS D'ARLON

40
La bataille d'Arlon (17 avlil 1794 - 29 ge1minal An II), d'après un tableau de
Despinassy au Musée de Versailles.
41
Les ruines de l'abbaye de Clairefontaine après l'incendie de 1794. dessin d'Emile
Puttaert
42
Arlon vers 1800. Le couvent des Capucins domine la cité fortifiée par les ingé-
nieurs de Vauban.

Canon en position sur le quadrilatère fortifié du mont Saint-Donat


L'invasion des Pays-Bas autrichiens par l'armée française marque le début d'une
ère nouvelle. En 1795. le duché de Luxembourg est annexé par la France. Sa plus
grande partie devient le département des Forêts. il le reste jusqu'à la chute de
Napoléon en 1814.
43
(N°. 2. - 11 janvier 1817.)

MÉMORIAL ADMINISTRAT.CF
DU GRAND-DUCHÉ DE' . LUXEMBOURG.

~re 1 · à-l t ung5~ IDl emorî al ,,

@.S t o B•.p e f ao g t ~ u më .s u~ emt> u t g.


(N°.5.) Cm•. s.)
Relation de la tournée de S. M. le Roi Q3eci~t aibtr bic llmteife,
des Pays-Bas dans le Grand-Duché ble etim mlajeflat btr stbni13 ber O?it•
de Luxembçurg_. bnlllnbe in btm œroff • ,Otr3ogt~um
f u~emburs .arma~t ~abm.
. l)Q fid) bie '.DeputQtion ber <5tlmbc btn brtiffigjlm
L'an 1816, le 5o décembre , à sept heures !t>r3en1btt bd ,3Q~re6 taufmb ad]t~unbert fcdje0e~n
du soir , la députation des États étant réunie auOerorbentlid} , um ficben U~r bd 'X&tnbG , uer•
extraordinairement, présens MM. \V1Lu1ua., einigt ~ttc , ntmlid) , bit ~tmn !ID i Il mat ,
. président, AN1>11.li, CoLLAaD, Roa ""• membre3 IJ)r,lfibcnt, 'X n bu, ŒoU arb, môfer , !lJl it•
d e l'ordre des villes, CL .. , ...., na LA FoNT.a.111&, gtiebtt bd ~ben! ber 6tabte, Œlai ITe, De la•
et P11.oasT, membres de l'ordre de, campagnes, fontaine unb l))robjl, IDlitglicber bcG .DrbenG
M. le président a fuit donot'r lecture d'une ber ~onb_. @cmeinbm, fo ~ol ber IPràfibcnt cine
dépêche de S. E. le secrétaire d'état, du 29 lOq,cJ~ e. <!. be5 et(l(lt& • eerrttair3 1)0111 29
de ce mois, arrivée U'lnstaotpar un courrier ex- bieftG !lllonat8, 11>e~ fo c&en burd) cincn oujjît•
traordina ire , et portant 11ue S. M. le Roi ayant orbentfül}en .turin Qtlgetommen ift, ab!efw laffen,
résolu de fo ire upe tournée dans le Grand-Duché IUti..>lDq,cf~ tnt~nlt. bajj Eieine .IDlajcjt â t
de Luxembourg, arrivera dan., la ville d'Arlon, b,n 6n ig, bic eine Umreije in .bem @roO•
le 1••. j~nvier 1817. ~rr3ogtbum ~ÙQCD1b11r9 iu modJen bcf~ofîen {)a•
ben , b(n , fltn 3anuar • 8, 1 in ber €tabt 'lCrlon
anfommcn œ«ben. , ,
Quoique cette d,p~che, exclusive de tO)Jte Dbf<t,on bicfc l:lepefd}e, bit iebc !Repr&fenta~on
représentation, n'appelà t que M . le Gouyeroeur 4U8fd}loj, nur ben .f)mn @ouuerneur uor Ei êt'n;t',.
auprès de S. M. , la députntion crut pouvoir !lR 4 i efU t btrief, fo g14ubte jcbod) bic l)eµut_itli'
se permettre d'y nller également. En consé- tion ii<t> ttl4uben àU f6nnen , tbenfn~6 bn~in 311 ·
quence, elle arrèta qll'elle partirait le lenllemain gcf>(n. l)ej6alb befd}loj fic , bajj fie .~en 4nbcrn
::h décembre pour ae rendre à cette deniuatioo. :l4g' btn 31 '.Deaembrr , n{mifm n,urbe • um

Durant l'hiver 1816- 17. tandis que la famine sévit dans le Luxembourg. le roi des
Pays-Bas Guillaume Ier visite pour la première fois son grand-duché. N'étant
pas le maître absolu de la ville de Luxembourg où loge une garnison prus-
sienne. le Roi décide de ne pas s'y rendre et de s'arrêter à Arlon pour y recevoir
les autorités grand-ducales.

44
Guillaume d'Orange-Nassau. devenu Roi des Pays-Bas et premier Grand-Duc de
Luxembourg. par la volonté du Congrès de Vienne (1815).

45
L'enthousiasme à Bruxelles lors des journées de septembre 1830. Les volontai-
res affluent de partout y compris des quatre coins du Grand-Duché de Luxem-
bourg : Vianden, Arlon, Luxembourg. Habay. Mersch, Koerich. Neufchâteau,
Diekirch, Bastogne, Esch-sur-Alzette. Marche. Grevenmacher...

46
Deux vues d'Arlon en 1830.
DU . .ROI~
. '

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!ltr frin3 2 topo I b n,irb am eamftaA, btn 16tth


Le Prinec LÉOPOLD r1ui1têra Londres samedi,
16 j uillet. -~ •• _ ,,., 1 2ulo 2onboa btdq!Ttn.
l!r bringt bit trllt 9lad)t in a;oliliÎ au.
1l pu,en la pn;;niérc nuit à CoL.i .. · · l!f folgt btr ettalfr l!on i{alail nad) .Otltn t / .
- li suivra la route de~Calais Il Osten~•, oi, il n,o te bir i1Dtitt !Jlad)t fid) anf{lalrrn n,irb.
s"arrètera la deuxième nuit. !Son .Olltnbt btairbt tr fid) auf !Brugtt anb Q.lr~t;
D'Ostcndé, il Ht rendra • Bruges et .. Gand, CL a • ~ ~bic Wo~ ia bicfrr ltftrn etabt ouf.
P'"""' )• nuit dons cette dernicre ville. !)irnjlag, btn 1!)tr1 2ull!, n,irb rr uin ~it it,
Mardi, 19 juillet, à midi, il fera son cntn.'c à tagtjlunbr i~ !lrlifîfl riatrrjfrn.
llrw,cllc,. 1 , E5rinr !Dlajrjlclt fo111mt in !Brglritung bon ben
S., M.uun sera ~mpagnéc des Dêpui..'s Belges brlgifd)rn f)rputirttn uab brm {ltmr et o rma r ,
cL de Mr. Sro1uu,;-, un de ses anciens Aides-<lc-camp. tintm fciatr alttn l!librf bt a:amp.

CONCITOYE.'lS,
Je m'ernpre,,e de porter a' TOl?C connoissonce la
rolit6ûrgn!
nouvclle ollicicllo qui ~ , et que je ICÇC)ÎI a Sdi ~ifrt midi, ~ntn l!otAt~rnbt amtlid)t !Jlru,
iarril, bir id) fo rben trbaltr, mir,atb(ilta,
finstont.
SdJ aœrif(r· aor aid)t, bG8 E5ir birfrlbt mit btm
cloàÎe pa qÙo-. ne foecueillia 1-, la
Je ne
· lc~ftrftrn . 18rraa411t1, 111tldlrl fit aUra 3rrunbrn
TÏTC atufection qu'cllo impire . l tous los amis de bn !lltbolurtoa unb brr Uuabbdnaiatrit btf 21ttbt5
la réwlulÏota • de rnaMpendanee du pep. riafi681, tllqfanara 11,nbta.
Arlon, le ,s juiDec 1H1. Wrloa, bra 1stra Sffl9 1831.
L, C:0-Mor t:MI, !)te JEll,Urllollbffllrur,
l'HOI\N. -lb,orll.
- '

La situation exceptionnelle de la ville de Luxembourg tenue par une garnison


prussienne et un gouverneur orangiste. conduit le gouvernement belge à trans-
férer le chef-lieu du Luxembourg à Arlon. deuxième ville du grand-duché de-
vant Echternach. C'est depuis Arlon que le gouverneur Thom annonce aux
Luxembourgeois l'arrivée du prince Léopold. leur futur roi.

48
Jean-Baptiste Nothomb en 1830. Tableau de Jean-Nicolas Bernard au Musée
national d'histoire et d'art de Luxembourg.
Né à Messancy le 3 juillet 1805. jeune avocat diplômé de l'université de Liège.
Jean-Baptiste Nothomb est l'un des principaux rédacteurs de la constitution
belge. Plus jeune membre du Congrès national. il est choisi pour plaider la cause
de la Révolution belge devant les représentants des grandes puissances à la
Conférence de Londres.

49
Charles Maurice de Talleyrand-Périgord est ministre plénipotentiaire de Louis-
Philippe. roi des Français. A la Conférence de Londres (18 30-31 ). Talleyrand exige
que la région d'Arlon soit détachée du Luxembourg allemand et donnée à la
Belgique. Son objectif est de protéger la zone couvrant le nord de la forteresse
de Longwy.

50
'~ ' 1.

Ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne. lord Palmerston réussit à


convaincre le plénipotentiaire hollandais de céder la région d'Arlon à la Belgi-
que en échange d'une bande de terrain dans le Llmbourg. Palmerston parvient
ainsi à débloquer les négociations et à éviter une nouvelle guerre.

51
La conférence de Londres vue par un caricaturiste du 19e siècle : le dogue hol-
landais, le cheval prussien (Bülow). le singe autrichien (Esterhazy). l'ours russe
((Matusjewic). le renard anglais (Palmerston). le lièvre français (Talleyrand) et le
dindon belge.

52
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L.om,.,w, dl.ta c11..1e,n,Ubn1irw :
L• t •11:,rt"" 11,1. Le-d1;1c , r•• llople, ,. , t1S , L«leu r u , rk l• ~ • !Joa• , ~• h , ,uuo1ru l!e,
C1t .ULUo t, d.c&tk;libl1IJ1,lfbr1JN,
~ITU,1', <b.-1 J••pl••, Ut.raira 1
N.u., ..:,,d...a0.•:111C, IIN,1,.. ,
Wcv,a, t..._
x1i.s•p,._1,c-H1
&t clt-. .... ~ m,...,...,, .. di~c.iu-1 d,, po,u,
-
HODI P.tn 111,,lrcufflf, w,. ru . i l"#dltcvr.

O• 1'• L.oaH i l' • rh. cliH ) 1, J a..,i:I• • phc:td o


I• tlo ,o ro• , .. , . ct cloca ) l . l'l1111b-edc L• b,,,o ll <t/
,.• • S1-ll aaof'i, • • >!li . oia r a a ~ ou lu • • ·
tl11ro11-.e. A b 1 ••&Île , ta HGJC dil!chlru •• lot 1

BÉ BISTOPHÉLÈS.

fait part de la
MÉPHISTOPHÉLÈS

perte douloureuse que la Belgique


vient de faire de 350,000 fi·ères du
Limbourg et du Luxen1bourg que la
maJorité vient de vendre au despo- ·
tisme . étranger.
Honte et malédiction éternelle aux
CAiNs et aux JuDAS qui ont trafiqué
de leurs frères ! ! !

54
Le 7 août 1843, la Convention des limites entre le
Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume de Bel-
gique est signée à Maestricht 286 bornes en fonte
sont aussitôt placées sur la nouvelle frontière. Millé- =..,,.....,.
simées 1843, elles portent les armes de la Belgique -,b'?'i,..
et du Luxembourg. La plus méridionale (n° 1) est ~. ~-..,.--
plantée au point de rencontre des territoires belge, -~ ,~ ...::
français et luxembourgeois; la plus septentrionale &œ:-;:;
(n° 286) se dresse au point de rencontre de la Belgi- . •
que, de la Prusse et du Grand-Duché. Posées dans ·
un dé de maçonnerie enfoui à un mètre sous terre,
ces bornes sont coulées d'un seul jet et pèsent cha-
cune 367 kg. D'autres bornes en pierre jalonnent l'es-
pace entre les bornes en fonte.
D'après la tradition. le baron de Marches. propriétaire du château de Guirsch
ainsi que de nombreuses terres à Heckbous et Guirsch. aurait pesé de tout son
poids pour maintenir ces deux villages frontaliers en Belgique où la situation
fiscale était plus intéressante.

56
Quel chef-lieu pour la province belge de
Luxembourg ?
Aussitôt après la signature des traités définitifs à Londres. une
véritable lutte d'influence s'engage entre les principales villes du
Luxembourg belge pour l'attribution à titre définitif des sièges de
l'administration provinciale et des arrondissements judiciaires.
Arlon qui peut invoquer une possession et une expérience de
huit années devient rapidement la cible privilégiée de Saint-Hu-
bert et de Neufchâteau.
Le 24 avril 1839. le bourgmestre, les échevins et les membres
du conseil de la ville de Saint-Hubert s'adressent à la Chambre
des Représentants et au Sénat pour obtenir une réorganisation
administrative et judiciaire de la province. jugée imminente. à
l'avantage de Saint-Hubert (5zi. Battue de vitesse. Neufchâteau sort
précipitamment de sa torpeur et fait de même le 30 avril '53 l. Si
leurs avis s'accordent bien sur un point c'est l'impossibilité de
laisser le chef-lieu du Luxembourg dans une ville tout à fait ina-
daptée.
Arlon est désormais située à moins d'une lieue de la frontière
hollandaise. au centre d'une ligne de douanes. et ne se prête
absolument pas à l'établissement définitif des administrations.
de la conservation des hypothèques et autres. dont les archives
seraient constamment exposées à la première tentative de l'en-
nemi. Pour les deux cités ardennaises, Arlon est manifestement
destinée à devenir une place forte frontalière et on ne peut cou-
rir le risque de voir ses activités suspendues et ses hauts fonc-
tionnaires menacés chaque fois qu'elle sera en état de siège.
De plus. la situation géographique de la ville par rapport à la
province. est depuis la séparation tout à fait excentrique. il n'existe
plus aucune centralité et on est trop éloigné du plus grand nom-
bre des administrés. Sans parler des déplacements très pénibles
qui seront imposés aux conseillers provinciaux. pour lesquels il
faudra encore augmenter l'indemnité accordée en vertu de la loi

(5z1 Mémoire SUI la réorganisation du LuxemboUig présenté à la Chambre des


Représentants et au Sénat par la ville de Saint-Hubert Imprimé daté du 24
avril 1839 (AG.R).
(53! A MessieUis les Membres des deux Chambres et du Conseil provincial du
LuxemboUig. Adresse de la Ville de Neufchâteau. Imprimé daté du 30 avril
1839. Accompagné d'une Acfresse A Sa Majesté le Roi des Belges (AG.R).
57
du 30 avril 1836. D'autre part. les églises d'Arlon sont insuffisan-
tes et menacent de tomber en ruines (54i.
Neufchâteau exige particulièrement la suppression du tribunal
chef-lieu d'Arlon. dont la révolution l'a gratifié, car son maintien
signifie la disparition de celui de Neufchâteau. pourtant beaucoup
plus ancien (55l, il n'est pas question de laisser le tribunal d'Arlon
avec uniquement les cantons d'Arlon et de Messancy. Un regrou-
pement doit s'opérer et le gouvernement penche pour une divi-
sion en deux grands arrondissements judiciaires. l'un pour la par-
tie méridionale. l'autre pour la partie septentrionale. Les deux chefs-
lieux seraient les villes de Saint-Hubert et d'Arlon.
A Neufchâteau. on considère que cet arrangement. s'il se réa-
lise. obligerait une partie des habitants du nouvel arrondisse-
ment. à s'absenter pendant sept à huit jours. pour aller deman-
der justice à Arlon qui n'est même pas située dans la partie wal-
lonne et où des différences de langues poseraient problèmes.
«On sacriflerait les intérêts de la partie wallonne à une seule
localité, qui a eu jusqu'à ce jour le monopole de tous les avanta-
ges d'une révolution à laquelle elle a pris la moindre part. En
détachant de Neufchâteau certains cantons pour les rattacher à
Arlon, l'on méconnaîtrait les titres d'un arrondissement qui a pour
lui une existence de près de quarante ans. et cela pour le main-
tien d'un tribunal qui n ·a jamais eu que le caractère d'une insti-
tution temporaire... » (56l
«Il y a plus, la différence de langage de la presque totalité de la
province est un obstacle réel à ce que l'on établisse un tribunal à
Arlon, tribunal qui distrairait des justiciables d'un arrondissement
auquel ils sont liés. non seulement par une communauté intime
de mœurs et d'intérêts, mais encore et principalement à cause
de l'unifonnité du langage.» (57 l
A Saint-Hubert où l'on est assuré du chef-lieu judiciaire et très
confiant en l'avenir pour le siège administratif de la province. on con-
seille à des fins d'équité de ne pas priver Arlon de tous ses avantages
à la fois et de lui laisser son tribunal (5si. Sil'optimisme règne. c'est que

(54 J Mémoire... de Saint-Hubert. 24 avril 1839. op. cit. pp. 4 et 7.


(55 J Neufchâteau possédait un tribunal correctionnel depuis le 28 prairial an III.
(561 Adresse de la Ville de Neufchâteau. 30 avril 1839. op. cit.. pp. 4-5.

(57 J Idem. p. 7.

(5sJ Motifs qui militent en faveur de la formation de deux arrondissements judi-


ciaires dans le Luxembourg, ayant pour chefs-lieux Arlon et Saint-Hubert
Saint-Hubert. 17 mai 1839 (AG.R).
58
Saint-Hubert offre un centre quasi géographique à la nouvelle pro-
vince belge. Par contre, Bastogne, Bouillon et Marche présentent les
mêmes inconvénients qu'Arlon en plus de l'absence de bureaux con-
venables pour recevoir les administrations, et doivent être immédia-
tement écartées. Quant à Neufchâteau et à La Roche, le bourgmestre
Deschene reconnaît leurs positions plus centrales que les précéden-
tes. mais hélas ... ces deux villes souffrent cruellement d'une pénurie
d'édifices et d'habitations '59l_ Heureusement il y a sa bonne cité de
Saint-Hubert dont la demande se concilie parfaitement avec les in-
térêts de l'Etat et des Luxembourgeois.
Point central du territoire, les déplacements et les frais de
voyage sont moins onéreux pour tous : l'agglomération se situe
à cinq lieues de Neufchâteau et de Rochefort.
Au point de vue économique, Saint-Hubert reconnaît toute-
fois ne pas avoir «la centralité des affaires». Sous ce rapport, Ar-
lon est imbattable mais Saint-Hubert ne cède sa seconde place à
aucune autre ville de la province, avec 138 professions sujettes à
patentes. 119 artisans et 9 foires annuelles.
La route de Malmédy à Sedan la relie à l'axe Bruxelles-Trèves
et plusieurs projets de route existent. prêts à développer les rela-
tions de Saint-Hubert dans toutes les autres directions. Les dé-
pêches et les journaux des autres provinces y parviennent plu-
sieurs heures avant d'arriver à Neufchâteau ou à Arlon.
Mais l'argument décisif aux yeux de Saint-Hubert est l'exis-
tence des vastes et magnifiques bâtiments de l'ancienne abbaye,
acquis et restaurés par la Province. Nul édifice ne convient mieux
à l'établissement de locaux nécessaires à un tribunal. de loge-
ment pour un gouverneur. de bureaux divers. etc., et on imagine
déjà les séances du conseil provincial dans les vastes salles de
l'ancienne bibliothèque ou du réfectoire de l'abbaye.
En outre. les propriétés boisées abondent dans les environs
et l'on peut pallier le manque de logements pour les fonction-
naires. D'ailleurs, la Ville est prête à offrir immédiatement vingt
maisons en location. Quant aux édifices du culte. la basilique de
l'ancienne abbaye peut être considérée comme l'un des plus
beaux et des plus riches monuments religieux de Belgique :
«Construite dans le style élégant de la Renaissance, elle excite
l'admiration de tous les étrangers: elle surpasse presque tous les
édifices de ce genre, par la régularité de son architecture, par la

' 59l Mémoire ... de Saint-Hubert, 24 avril 1839. op. cit, p. 7.


59
LE PAYS D'ARLON DANS LA PROVINCE DE LUXEMBOURG

60
hardiesse de son maître-autel, par la quantité et la richesse des
marbres qui entourent le chœur et forment le pavé de l'édifice,
enfin par la rare beauté de la sculpture des salles... Elle est digne
de la majesté de la religion et d 'une grandeur proportionnée au
nombre de fidèles.)) (60l
Enfin, la «bonne terre d'Ardenne)) entourant Saint-Hubert est
faite de terrains labourables et de belles prairies. dont près d'un
tiers de première qualité. La forêt commence à une lieue de là.
Les mémoires envoyés par Saint-Hubert au Parlement belge,
développant tous ces points. sont accompagnés de nombreux
plans et tableaux relatifs à l'ancienne abbaye. au cadastre, à la
situation de la ville. etc.
A Neufchâteau. le conseil communal ne l'entend pas du tout
de cette oreille. Neufchâteau se voit évidemment plus au centre
que Saint-Hubert. à une lieue et demie de la province de Namur.
On n'hésite pas à se référer à une adresse faite au Roi par la
députation des Etats du Grand-Duché en 1824:
«Nous avons primitivement proposé d'établir le siège du tri-
bunal à Saint-Hubert. comme étant le lieu le plus central, il a été
reconnu depuis que cette centralité n'était vraiment que mathé-
matique, et qu'elle n'offrait pas celle de la population, non plus
que des affaires et des relations commerciales... » (61l
Pour le président Gourdet. le véritable centre de la partie wal-
lonne du Luxembourg est. sous le rapport démographique et éco-
nomique, Neufchâteau. On n'y manque pas de maisons. ni de
bâtiments spacieux et commodes, ni de quartiers. Le conseil com-
munal offre une somme de cent mille francs pour la construc-
tion d'un hôtel provincial et on est prêt à s'empresser de cons-
truire de nouvelles demeures si le développement l'exige. An' en
pas douter. on rattraperait très rapidement le nombre d'habita-
tions d'Arlon. Quant à l'aridité du centre des Ardennes : «depuis
longtemps. l'on cherche les moyens de fertiliser ce pays; ces
moyens, on les trouvera sûrs et prompts dans l'agglomération
au milieu de ces contrées, de fonctionnaires dont la présence
donnera à toutes les industries un essor qu'elles ne peuvent guère
attendre que d'une circonstance semblable.)) (62l

' 60l Mémoire ... de Saint-Hubert. 24 avril 1839. op. cit. p. 7.


'6 0 Adresse de la députation des Etats du Grand-Duché à Sa Majesté le Roi des
Pays-Bas, Prince d'Orange-Nassau. Grand-Duc de Luxembourg etc, etc, 1824
(AG.R).
' 62 l Adresse de la Ville de Neufchâteau. 30 avril 1839. op. cit.. p. 9.
61
Avec nettement moins d'entrain qu'à Saint-Hubert et une
pointe de menace pour prévenir toute déception, le conseil com-
munal conclut :
«Telles sont, Sire, les considérations qui parlent en faveur de
Neufchâteau. Si, contre toute attente et malgré des titres aussi
patents, cette ville, qui peut espérer devenir le chef-lieu de la
province à cause de sa position et de ses antécédents, se trou-
vait au contraire privée, ne fût-ce qu'en partie et par suite de la
forma tion de trois arrondissements judiciaires, de son tribunal,
combien alors ses habitants pourraient crier à l'injustice, et mau-
dire la révolution à laquelle ils se sont associés avec un dévoue-
ment sans réserve, surtout si en compensation de cette privation
on ne leur accordait pas le chef-lieu judiciaire...
«On sait que dès le 30 septembre 1830, les habitants de Neuf-
château ont désarmé le bataillon hollandais qui quittait la garni-
son d'Arlon pour se rendre à Bouillon; que parmi eux on en ren-
contre beaucoup qui ont versé leur sang pour la cause belge, en
volant au secours de leurs frères dès qu'ils les ont su attaqués;
qu'ils ont repoussé l'ennemi avec courage O'un a planté le pre-
mier drapeau brabançon sur le pont de Waelhem): que malgré
cet enthousiasme et les circonstances difB.ciles dans lesquelles
on s'est trouvé, ils ont donné l'exemple de la modération, du
civisme, du respect pour les lois et l'ordre public Peut-on vouloir
les réduire à regretter le Gouvernement qu'ils ont concouru à
faire tomber!... » (63l
On perçoit toute l'importance de l'enjeu pour l'avenir de ces
villes du Luxembourg belge et nous passons sous silence les dé-
marches d'autres agglomérations moins importantes comme par
exemple la ville de Marche '64l, ou encore La Roche et Bastogne.
En 1830. Arlon a le seul marché important qui existe dans la
province. C'est là que s'opère exclusivement l'échange des pro-
duits entre le quartier allemand et le quartier wallon. Les pro-
ducteurs des contrées agricoles y amènent leurs denrées, les Ar-
dennais viennent les acheter et y portent leurs produits qui pas-
sent en France et dans le quartier allemand.

' 63l
Adresse de la Ville de Neufchâteau. 30 avril 1839. op. cit., pp. 9-10.
(Ml La Ville de Marche à MM les Présidents et Membres de la Chambre des
Représentants et au Sénat. Marche. 1839 (AG.R).
Un dernier mot de la Ville de Marche. en réponse aux motifs invoqués par la
Ville de Saint-Hubert dans son deuxième mémoire du 17 mai courant.
Marche, 19 mai 1839 (AG.R).
62
Ville de bourgeois et de boutiquiers. située aux portes de l'Al-
lemagne et de la France, à l'embranchement de quatre routes
fréquentées par des diligences, toutes les affaires s'y traitent Grâce
aux nombreux chemins vicinaux, Arlon est au contact immédiat
des forges de Clairefontaine, du Prince. du Pont d'Oye. de Buzenol.
de La Claireau. du Châtelet. de Bologne. des fourneaux de
Luxeroth et de Piérard.
Depuis les XXIV articles, elle est l'agglomération la plus peu-
plée du Luxembourg belge. Les cantons d'Arlon, de Messancy.
d'Etalle. de Virton, de Florenville et de Fauvillers réunis repré-
sentent les 2/ 5 de la population (67.018 habitants sur 168.000).
Ces habitants entretiennent des relations journalières avec
Arlon où ils vont s'approvisionner. Arlon est «la» ville. le centre
économique et démographique le plus important de la plus vaste
et de la plus pauvre des provinces belges (65 l.
Pour le banquier Charles Printz (66'. bourgmestre d'Arlon en
1839. ces faits sont simples et sans appel. Arlon n'est ni dans les
landes ni dans les forêts rendues inabordables durant les mau-
vaises saisons de l'année, en raison des neiges et des torrents.
Elle est cinq lieues moins loin des localités du nord de la pro-
vince que ne l'était Luxembourg. La neutralité de la Belgique et la
proximité de la forteresse de Longwy sont des garanties contre
toute irruption étrangère.
Depuis 1830, elle n'a pas hésité à faire des sacrifices inouïs
pour accueillir les administrations. Tous les locaux nécessaires
ont été construits et aménagés. La ville a même participé à l'édi-
fication d'une prison et d'une école moyenne. L'important ré-
seau routier a été amélioré. En neuf ans, le nombre de maisons
est passé de 352 à 475 et sa population. de 3.500 à 4.200 habi-
tants. Les parties les plus riches et les plus peuplées tant en hom-
mes capables qu'en grandes propriétés, avoisinent Arlon. A une
distance moyenne de trois lieues autour de la cité. on dénombre
plus de 160 jurés potentiels contre 140 pour tout le reste de la

!651 Georges-Fran çois PRAT. Histoire d 'Arlon. Arlon. 1873-1874.


Emile TANDEL. Les Communes Luxembourgeoises. Arlon. 1889-1914.
Alfred BERTRANG. Histoire d'Arlon. Arlon. 1953.
!661 Traité des XXIV Artid es. Du ch ef-lieu administratifet judiciaire dans le Luxem-
bourg. Mém oire de la régence d 'Arlon à la chambre des Représentan ts et au
Sén at Bruxelles-Arlon. m ai 1839 (A.G.R).
Circon scription judiciaire dans le Luxembourg. Observations présentées à
Messieurs les Membres du Sén at p ar le bourgmestre d 'Arlon. Printz. 28 m ai
1839. (A.G.R)
63
province. Très à l'aise, le banquier arlonais déclare : «Arlon, à tous
ces titres, est centre, plus centre qu'aucune autre localité» '67l. Et il
est vrai que dans cette guerre de clochers qui ravage le Luxem-
bourg belge depuis la perte de la métropole, la réalité économi-
que fait d'Arlon la «Nouvelle Rome».
Le bourgmestre Printz poursuit en démontrant l'impossibilité
pour chaque localité concurrente de devenir le siège des admi-
nistrations provinciales et judiciaires. Avec 19 3 maisons et 1.69 3
âmes. Neufchâteau n'est pas à la hauteur. Malgré la présence
d'un tribunal d'arrondissement depuis près de quarante ans. elle
n'a connu aucun développement et est restée la même depuis la
fin du xvrne siècle. Quant à Saint-Hubert. avec 280 maisons et
1.737 habitants. elle ne cesse de décliner depuis la suppression
de son abbaye en 1796. Marche avec 252 maisons et 1.620 habi-
tants est toujours à son point de départ. Comment faire de l'une
de ces villes sans commerces, sans affaires. sans industries. sans
communications. sans population. isolées dans des terres arides
et enneigées. un véritable chef-lieu de province ?
Il a suffi à Arlon de huit années d'incertitude pour s'élever au
rang de capitale. Sa population grandit par centaines d'habitants
d'année en année. La civilisation et le développement propres à
un chef-lieu de province y ont élu domicile. On ne peut raison-
nablement défaire ce choix.
Le problème de l'idiome germanique utilisé par la population
arlonaise alors que la très grande majorité de la province est
wallonne, n'est pas oublié. Neufchâteau. espérant la suppression
du tribunal d'Arlon n'a pas hésité à recourir à cet argument et à
parler d' «obstacle réel» '68l. Pourtant. en novembre 1831. le no-
taire Jean-Nicolas Rossignon, bourgmestre d'Arlon. s'en est servi
pour prouver l'inverse :
«Traîner les justiciables à de grandes distances, c'est un véri-
table déni de justice. C'en serait un bien caractérisé pour Arlon et
la partie allemande qui nous reste, que de les forcer d'aller plai-
der à grands frais d'interprètes, devant des tribunaux éloignés et
étrangers à leur idiome. ll leur faut, pour quïl y ait égalité devant

' 67 lTraité des 24 Articles. Du chef-lieu administratif et judiciaire dans le Luxem-


bourg. Mémoire de la régence d'Arlon à la Chambre des Représentants et au
Sénat Bruxelles-Arlon, mai 1839. p. 24.
' 68l Adresse de la ville de Neufchâteau, 30 avril 1839. op. cit.. p. 7.

64
la loi, des juges et des avocats versés dans leur langue. Partant.
un tribunal doit être établi à Arlon.» (69l
En mai 1839. Charles Printz est beaucoup plus direct:
«Neufchâteau invoque la différence de langage: tout le monde
à Arlon parle français et allemand; les Wallons se rendant à Ar-
lon ne doivent pas craindre de ne pouvoir se faire comprendre;
les Allemands se rendant à Neufchâteau ne sauraient à qui
s'adresser.» (7ol
L'affirmation du bourgmestre est certainement sincère mais plu-
sieurs nuances s'imposent Lorsqu'il parle de l'allemand et des
Allemands, il entend en fait le patois arlonais et les Arlonais. ou
plutôt il assimile à la langue allemande l'idiome germanique d'Ar-
lon. En effet s'il est probable que la totalité des indigènes utilisent
familièrement le luxembourgeois, tous ne parlent pas pour autant
la langue allemande. Cette dernière. tout comme la langue fran-
çaise, n'est vraisemblablement connue que d'une partie seulement
de la population. Ces deux langues ont pu être apprises soit à
l'école - mais une minorité d'enfants la fréquentent - soit dans la
pratique de la vie courante, par exemple en tenant un commerce.
Le français et l'allemand à la fois sont utilisés depuis des siècles
dans l'administration. dans la justice et comme langues écrites à
Arlon. Si on consulte les registres de Justice d'Arlon, les collections
d'affiches ou encore les archives des notaires. on constate que les
litiges. les enquêtes. les jugements, les interrogatoires. les actes
notariés, les emegistrements de testaments. les quittances. les
conventions... sont en français ou en allemand ou que les deux
langues sont utilisées dans le même document. En justice, le ma-
gistrat et le greffier entendent. parlent et emploient tour à tour,
sans aucune différence ni aucune traduction officielle. les deux.
Un avocat plaide en français. l'autre en allemand. la réponse est
faite en français. Jamais de problème de prééminence. ni de règle-
ment. Pierre Nothomb explique ce phénomène en déclarant :
«Le bilinguisme parfait du magistrat et la courtoisie native des
Luxembourgeois arrangeaient tout. Personne ne songea jamais
à se plaindre, ni à se vanter d'une solution qui était toute natu-
relle. Et l'on se débrouillait fort bien.» (71 l

(69l Mémoire. Motifs qui militent pour laisser le siège de l'administration provin-
ciale et le tribunal chef-lieu à Arlon. Arlon. novembre 1831. p. 6.
(7oi Traité des XXIV articles... Mémoire de la régence d'Arlon. ... op. cit. p. 29.

(7 ,i Pierre NOTHOMB. L'emploi des langues en justice, in L'Avenir du Luxem-


bourg. mardi 24 octobre 1933. p. 1.
65
Mais seuls des Arlonais bénéficiant d'un certain niveau d'ins-
truction sont capables d'utiliser ces grandes langues de culture.
De plus. si les érudits foisonnent peut-être en ville, dans les cam-
pagnes il en est à coup sûr autrement. Rares sont les villageois
du pays d'Arlon qui connaissent l'une ou l'autre. Le luxembour-
geois domine partout.
Lorsque le bourgmestre Printz soutient que les Wallons se
rendant dans la ville d'Arlon peuvent se faire comprendre sans
problèmes, il a raison pour autant que ces Wallons connaissent
le français. ce qui est loin d'être une évidence à cette époque. Les
paysans gaumais ou ardennais ne pratiquent pas plus le français
que les paysans arlonais ne pratiquent l'allemand. Mais. pour-
suivant. il reconnaît lui-même que tous les habitants de
l'Arelerland ne parlent pas le français puisqu'il déclare que des
Allemands se rendant à Neufchâteau ne sauraient à qui s'adres-
ser tout simplement parce que ceux-ci ne comprennent pas le
français et qu'à Neufchâteau le bilinguisme n'existe pas.
La Ville d'Arlon. après avoir utilisé tous les éléments plaidant
en faveur de son statut et contré toutes les critiques prononcées
à son égard. use encore d'un dernier argument. le plus important
à ses yeux. peut-être celui qui va se révéler décisif dans le choix
du Parlement. La Belgique se doit de maintenir le chef-lieu ad-
ministratif et judiciaire du Luxembourg belge à Arlon. en terri-
toire germanique. S'il n'y était déjà établi. il faudrait l'y fixer. La
raison est politique et morale. Se retirer d'Arlon. c'est renoncer à
la fois aux souvenirs et aux espoirs; c'est quitter une position
politique. baisser les bras et abandonner définitivement les com-
patriotes exilés, les petits frères arrachés. Au contraire, il faut se
placer à Arlon, en quelque sorte pour regarder Luxembourg en
face, pour opposer drapeau à drapeau.
«Nous ne vous disons point un éternel adieu !» (72l, telles avaient
été les paroles paraphrasées de cent manières qui avaient servi
de péroraison à la plupart des orateurs de la mémorable discus-
sion des XXIV articles. Arlon ne l'oublie pas et fait vibrer la culpa-
bilité de chacun des parlementaires belges qui ont voté l'accep-
tation du traité et l'injuste déchirement.
«Donnera-t-on un démenti à ces paroles par la retraite
d'Arlon des autorités administratives et judiciaires, par l'évacua-
tion politique et administrative de la localité en possession de

P 21 Traité des XXIV Articles... Mémoire de la régence d'Arlon .... op. cit.. p. 7.
66
représenter la Belgique et seule propre à rester lïntermédiaire
entre la Belgique et le Luxembourg germanique ?» (73l
La langue allemande et l'idiome germanique de l'Arelerland.
le caractère et les mœurs de ses habitants. désormais communs
au Grand-Duché de Luxembourg et à une infime partie du terri-
toire belge. la proximité d'Arlon de la frontière faisaient de cette
région et de cette ville, le seul lieu d'où il était possible d'entrete-
nir le plus de relations avec la partie cédée et le seul refuge d'où
on pouvait espérer la récupérer un jour.
Le député Bekaert-Baekelandt avait déclaré avant de s'effon-
drer foudroyé par une crise cardiaque en pleine séance de la
Chambre. le 14 mars 1839:
«En attendant le jour où les députés du IJrnbourg et du Luxem-
bourg reviendront solennellement occuper leur siège à la repré-
sentation nationale, nous ne cesserons pas de les estimer et de
les chérir. ..
«En attendant ce jour de jubilation, que nous appelons de
tous nos vœux, ils resteront Belges comme nous. et. assurés de
nos sympathies. de notre fidélité, ils seront assez généreux, as-
sez justes pour ne voir dans nos votes à la suite du gouverne-
ment qu'un vote arraché de nous par la force. qu'un douloureux
sacrifice impérieusement imposé par la politique étrangère.» (74l
Cet espoir sert les intérêts d'Arlon qui emploie toute son éner-
gie pour lui faire dominer les esprits. Les Belges ne peuvent évi-
demment pas le renier et s'il y a un geste à faire, c'est à Arlon et
seulement là qu'il faut le faire. ôter le chef-lieu provincial d'Ar-
lon. lui enlever son arrondissement judiciaire, reviennent à «dé-
nationaliser le Luxembourg rompre avec le passé et fermer 1'ave-
niL Vous circonscrivez à tout jamais la Belgique dans les limites
qu'on lui a faites.» (75i
Le résultat ne se fait pas attendre. La loi du 6 juin 1839 modi-
fie complètement les circonscriptions judiciaires du Luxembourg
et confirme l'arrêté du 16 octobre 1830: un tribunal de première
instance et le siège de l'administration provinciale demeurent à
Arlon. Neufchâteau sauve son tribunal et Saint-Hubert perd la
bataille.

-( 73 lTraitédes XXIV Articles ... Mémoire de la régence d 'Arlon .... op cit.. pp. 7-8.
(74 l Pierre NOTHOMB. La mort de Bekaert-Baekelandt. in Le drame de 1839. Liège.
1938. p. 106.
175 l Traité des XXIV articles... Mémoire de la régence d'Arlon. ... op. cit.. p. 19.

67
Le nouvel arrondissement judiciaire d'Arlon comprend les can-
tons d'Arlon, Etalle. Fauvillers. Florenville. Messancy et Virton.
c'est-à-dire les 15 communes restées belges de l'arrondissement
de Luxembourg et 44 communes distraites de l'arrondissement
de Neufchâteau. Celui-ci perd ces 44 communes. plus 5 cédées
au roi de Hollande et 14 attribuées à l'arrondissement de Mar-
che. il en reçoit 29 de l'arrondissement de Saint-Hubert supprimé,
dont les 7 autres sont réunies à Marche (76l.

(76) Emile TANDEL. Les Communes Luxembourgeoises. tome 1. Arlon. 1889. p. 186.
68
III. ÉVOLUTION DES LANGUES DANS
LE PAYS DruuDN ENTRE 1839 ET 1890

Transformation d'une petite ville


campagnarde en chef-lieu de province,
difficultés y afférentes et arrivée des
Wallons

En dépit de toute considération linguistique et ethnique. le


pays d'Arlon est brusquement détaché du quartier allemand de
l'ancien duché de Luxembourg. auquel il appartenait depuis des
siècles afin de respecter les exigences stratégiques de l'équilibre
européen. De plus. Arlon est promue au rang de chef-lieu de
province alors qu'avant 1830. elle n'était qu'une humble bour-
gade dont la population oscillait entre deux et trois mille âmes.
une pauvre agglomération étouffant dans ses remparts vétustes.
une petite ville terne et calme. aux maisons basses et exiguës.
aux rues étroites et tortueuses. avec une population de modes-
tes bourgeois. d'artisans et d'agriculteurs.
Jusqu'alors l'équilibre linguistique entre l'allemand et le fran-
çais avait été maintenu dans la ville. sans que l'on ait jamais
manifesté une hostilité ou une protection marquée à l'égard de
l'une ou l'autre langue. que ce soit dans les sphères officielles ou
dans les classes populaires. Mais à partir de ce moment. les com-
merçants et les agriculteurs arlonais voient affluer chaque jour
dans leurs murs des éléments étrangers et la ville est bientôt
transformée en cité de fonctionnaires.
Arlon devient coup sur coup le siège du conseil provincial. du
gouvernement civil et militaire de la province. d'un tribunal de
première instance. de la cour d'assises. des administrations de
l'enregistrement. des eaux et forêts. des douanes et accises. d'un
régiment...
69
C'est par centaines que les fonctionnaires wallons y débar-
quent à partir de 1831. La ville se transforme rapidement et en
profondeur. Les Wallons et les administrations de l'Etat et de la
Province lui coûtent très cher. Pour éliminer ses rivales telles que
Marche. Neufchâteau et Saint-Hubert. elle prend des engagements
financiers très lourds. Arlon supplée au loyer du gouverneur : elle
cède au tribunal son nouvel hôtel de ville qu'elle vient de faire
construire; elle promet d'intervenir dans les frais de construction
d'un palais provincial. etc.
Devant la nécessité de se procurer des ressources. la Ville vote
en 1836 de nouvelles taxes communales sur les boissons. les
combustibles. le bois. les meubles et la viande. A la suite de di-
verses oppositions. ces taxes sont finalement remplacées par un
impôt sur le revenu. Une commission est nommée pour évaluer
la fortune des habitants et dresser un tableau de répartition des
impositions. Une avalanche de réclamations s'abat sur le conseil
communal. Les critiques fusent de partout. Elles portent sur le
calcul des revenus. la fixation des catégories de contribuables.
les bases de taxation. l'inégalité des impositions, l'injustice des
dégrèvements ... Le mécontentement se mue bientôt en agita-
tion. La population se laisse entraîner par les petits bourgeois et
l'émeute éclate le mardi 15 août 1837. Les vitres des habitations
des échevins volent en éclats. Des soldats sont blessés. Les gen-
darmes chargent sabre au clair et en quelques minutes. les ma-
nifestants sont dispersés. Chacun rentre chez soi et la tranquil-
lité est rétablie. La petite révolution d'Arlon n'aura guère été san-
glante. On dénombre seulement quelques blessés. Finalement.
les autorités communales donnent satisfaction à l'opinion pu-
blique. Le bourgmestre fait voter par le conseil communal l'abo-
lition des taxes incriminées et le rétablissement de l'octroi (77l_
Ce mouvement populaire provoque un changement à la fois
dans la composition et dans le caractère du conseil communal
d'Arlon. A la suite de ces événements. le bourgmestre et plu-
sieurs conseillers démissionnent. En décembre 1837. il est pro-
cédé à leur remplacement.
Durant la campagne électorale. une vive propagande est me-
née en faveur des candidats qu'on appelle les «étrangers». c'est-
à-dire les Wallons. nouveaux venus. arrivés à Arlon à la suite de
l'érection de la ville en chef-lieu. Lors des élections générales.

77
( ! Alfred BERTRANG. Une émeute à Arlon en 1837 à propos d'un projet d'impôt
sur le revenu, Arlon, 1928.
70
après la promulgation de la loi du 30 mars 1836. on avait systé-
matiquement écarté ces intrus des votes. de peur d'innovations
ruineuses. La défiance à leur égard s'estompe et l'occasion paraît
propice:
«La campagne fut dirigée avec habileté. On B.t observer que le
conseil se composant de onze membres. on pouvait sans dan-
ger y faire entrer trois étrangers: l'élément purement arlonais y
dominerait toujours : par contre, on donnerait au conseil un ca-
ractère nouveau et ]'on ferait sans inconvénient une expérience
peut-être salutaire, sans compter la légitime satisfaction accor-
dée à une fraction importante de la population.» '78l
La campagne réussit parfaitement et trois étrangers sont élus.
Le jour de leur installation. un quatrième conseiller démissionne.
Lors d'une nouvelle élection en janvier 1838. il est remplacé par
un étranger. L'élan est donné. n se révélera irréversible. Les Wal-
lons contre qui plus aucun grief ne pèse ont acquis droit de cité
à Arlon grâce à leurs capacités et à leur dévouement aux intérêts
publics. Désormais. ils ne cesseront de renforcer leur position à
la tête de la ville.
Après 1839. Arlon ayant obtenu l'assurance de conserver son
rang, les transformations se poursuivent de plus belle. Pour hé-
berger tous les organismes nouveaux qui s'implantent dans le
chef-lieu, il faut construire des bâtiments. éventrer les remparts,
agrandir la ville. On procède à l'alignement des rues. à leur éclai-
rage. à leur pavement. On crée un square et des places publi-
ques. On installe des pompes pour remplacer les vieux puits à
ciel ouvert. On prend des mesures relatives à l'hygiène et à la
salubrité publique. On nomme un commissaire de police. On
érige une prison et une caserne.
Avant 1830. il n'existait à Arlon qu'une seule école primaire
où un instituteur et une institutrice s'efforçaient de former la jeu-
nesse. Chose difficile car le nombre des enfants était parfois de
300 en hiver. Pour les études moyennes supérieures. les jeunes
gens fréquentaient traditionnellement l'athénée de Luxembourg.
A partir de 1839. la capitale grand-ducale est d'un abord difficile.
Les fonctionnaires envoyés en masse à Arlon réclament énergi-
quement des établissements sérieux. On multiplie les classes de
l'enseignement primaire et en 1838. la Ville ouvre un collège com-
munal. institution baptisée «athénée royal» dès 1842. et reprise par
l'Etat en 1850. «Onse Koleisch», tel est le nom que la population
178l Alfred BERTRANG, Histoire d'Arlon. op.dt. p. 288.
71
donne par admiration et par affection à l'établissement
En 1845, débute la construction du palais du gouvernement
provincial et. en 185 3. il faut créer un nouveau cimetière qui sera
agrandi par la suite à plusieurs reprises. En 1858, est inaugurée la
ligne de chemin de fer entre Bruxelles et Arlon. Le chef-lieu du
Luxembourg belge s'enrichit d'une gare de premier rang et de
grands ateliers occupant des centaines d'ouvriers. De nouveaux
quartiers pour loger les ouvriers wallons poussent comme des
champignons. C'est le cas de Schoppach:
«Comment expliquer l'existence de cet espèce de ghetto ? A
peu près chaque maison abrite un ou plusieurs ménages de che-
minots. Pendant plusieurs années, ]'habitation de mes parents
en compta trois : mes parents au rez-de-chaussée (machiniste),
un chauffeur au premier et un serre-frein au deuxième. A côté un
cabinier et un ajusteur: puis un commis d'ordre, un nettoyeur et
un agréé. En face, une kyrielle d'agents du personnel roulant et
de la voirie, avec, en plus, un garde-salle, quelques visiteurs et
même un portier à la jambe de bois. Puis une série de gardes et
de chefs-gardes et - suprême raffinement - un sous-chef de sta-
tion.
«Ces cheminots, presque tous importés, avaient fait de
Schoppach un quartier purement wallon, un îlot dans une ville
se servant encore beaucoup du dialecte allemand Le patois ger-
manique s'utilisait très rarement entre habitants de ce quartier.
Par contre, tous les parlers wallons couraient de maison en mai-
son, d'une fenêtre à celle d'en face. d'un bout à l'autre des rues.
Ces ménages provenaient. en effet. de la Gaume et de l'Ardenne.
du Namurois comme du pays de Liège. L'abondance des che-
mins de féristes était telle que, chaque nuit. on entendait un
veilleur arrêté devant l'une ou l'autre maison, crier «François» ou
«Joseph» ou «Jules» afin de réveiller celui dont approchait l'heure
de prendre son service.11 (79l
En 1860, la Ville construit un important abattoir. En 1858, les
Jésuites s'installent à Arlon. édifiant une église romane à deux
tours massives. L'importante colonie israélite d'Arlon demande
la construction d'une synagogue qui est inaugurée en 1865. En
1864. les Sœurs de Notre-Dame construisent un couvent et
ouvrent des écoles primaire et moyenne. La même année, sont
inaugurés un hospice et un orphelinat. En 1866. Léopold II inau-
gure le palais de justice. En 1867. la Ville crée une école moyenne

1791 Omer HABARU. Au Pays des Braves Gens. Vieux-Virton, 1965. p. 74.
72
et une école normale pour filles. reprises toutes deux par l'Etat
en 1881. En 1870. c'est au tour d'une académie des beaux-arts et
d'une école industrielle. En 1888. les frères maristes. récemment
arrivés, érigent d'imposants bâtiments abritant école primaire,
section d'humanités et école normale pour instituteurs.
Pendant des siècles. le nombre d'habitants était resté à peu
près stationnaire et n 'avait guère dépassé les deux mille. A partir
de 1830. il augmente de plus d'un millier d'unités tous les dix
ans: 3.283 habitants en 1831. 4.507 en 1841. 5.707 en 1851. 6.174
en 1863. 7.461 en 1879. 8.269 en 1886 et d'après le recensement
de 1910. on franchit le cap des 12.000 (80l.
Dans le sud du pays d'Arlon. un phénomène comparable se
produit avec l'exploitation de la minette dans les mines de Halanzy
et le développement industriel dans la région d'Aubange-Athus-
Rodange. Sur le territoire de l'ancienne commune d'Aubange. la
population est multipliée par sept entre 1846 et 1930. principale-
ment par l'installation de Wallons. de Français et d'Italiens. Si l'on
prend en considération la ville d'Arlon et les trois communes in-
dustrielles du sud (Halanzy. Aubange. Athus). la population passe
de 8.176 à 19.060 habitants entre 1846 et 1910 (8 1l.
Par contre. dans les communes rurales où les Wallons ne s'ins-
tallent pas, la tendance est plutôt à l'émigration. Le phénomène
s'accentue durant la première moitié du :xxesiècle. Entre 1910 et
1930. la disparition de la population de certains villages devient
préoccupante. Huit communes perdent pratiquement le quart
de leurs habitants (Nobressart: 43.3 %). quatorze communes per-
dent plus de 10 % de leur population. Selon le spécialiste alle-
mand Matthias Zender qui parcourt la région. 10 % des maisons
habitables d'Habergy et de Nothomb sont vides vers 1930 (32l. Si
certains émigrent vers les régions industrielles pour aller grossir
le flot wallon, d'autres partent pour l'étranger.
Ces pertes touchent surtout la population patoisante attachée
au sol. Au même moment. l'inondation d'Arlon, Athus et Aubange
par des fonctionnaires. des employés et des ouvriers de culture
française. porte des coups très durs à l'idiome germanique dans
le sud-est du Luxembourg belge.

(80lAlfred BERTRANG. Histoire d'Arlon. op.dt. p. 296.


Recensement général de la population. Institut National de la Statistique.
(81 l
Années 1846. 1910 et 1930.
( l Matthias ZENDER Die Deutsche Sprache in derGegend von Are], in Deutsches
82

Archiv für Landeskunde und Volksforschung. tome 3. 1939. pp. 1-40.


73
74
Evolution de la situation linguistique et
isolement de la population gennanique
au 19e siècle

Premières données linguistiques du recensement


de 1846

Les premières données chiffrées que nous possédons dans


le domaine linguistique datent du premier recensement belge
de 1846. Lors de l'enquête. les habitants doivent déclarer la lan-
gue qu'ils parlent. Ils sont répertoriés en cinq catégories : ceux
parlant le français ou le wallon, ceux pratiquant le flamand ou
le hollandais, ceux utilisant l'allemand, ceux parlant l'anglais et
ceux parlant une autre langue. Il n'est pas demandé aux gens
s'ils parlent plusieurs langues. par exemple le français et l'alle-
mand. Toutefois. cela se fera lors des recensements suivants.
Pour cette raison, il est difficile de comparer ces premières sta-
tistiques avec celles qui suivent. En effet on peut imaginer que
des Arlonais connaissant le français. mais placés devant l'obli-
gation de choisir entre l'allemand et le français, se prononcent
pour l'allemand car le patois luxembourgeois est leur langue
maternelle. la langue parlée à la maison, entre amis, etc. Re-
marquons encore qu'il est proposé à la population : français ou
wallon. flamand ou hollandais, mais pas allemand ou luxem-
bourgeois. comme c'est le cas en 1866. Cela n'a guère d'impor-
tance en 1846. L'écrasante majorité des gens recensés comme
parlant l'allemand dans la province de Luxembourg. parle en
fait le luxembourgeois. Et même s'ils avaient eu ce choix. ils
auraient été additionnés de la même manière qu'on totalise à
l'époque ceux qui se prononcent pour le français ou le wallon.
le flamand ou le hollandais.
Toutefois, on peut imaginer qu'un Luxembourgeois ayant
comme seconde langue le français et ne souhaitant pas passer
pour un Allemand. préfère déclarer le français plutôt que le luxem-
bourgeois. La statistique est alors faussée. En 1846. ce type d'atti-
tude est peu probable car il n'existe aucune hostilité particulière
envers la langue et la culture allemandes.
75
Ville d'Arlon Nombre Habitants parlant Habitants parlant
et communes rurales d'habitants français ou wallon allemand
Arlon 5.405 (1) 891 16.5 % 4.217 78 %
Attert 2.505 25 1 % 2.480 99 %
Aubange 1.221 60 5 % 1.161 95 %
Autelbas 1.497 71 4.7 % 1.426 95.2 %
Bonnert 1.094 21 2 % 1.073 98 %
Fauvillers 1.076 (2) 271 25,2 % 714 66.3 %
Guirsch 306 27 8,8% 279 91.2%
Habergy 737 5 0.7 % 732 99.3 %
Hachy 1.824 29 1.6 % 1.795 98.4 %
Halanzy 1.550 (3) 755 48.7 % 795 51.3 %
Heinsch 1.677 40 2.4 % 1.637 97.6 %
Hollange 806 (4) 682 84.6 % 124 15.4 %
Hondelange 1.21 7 4 0.3 % 1.213 99.7 %
Martelange 1.116 42 3.8% 1.074 96.2 %
Messancy 2.154 62 2.9% 2.092 97.1 %
Nobressart 1.374 17 1.2 % 1.357 98.8 %
Rachecourt 1.180 1.160 98.3 % 20 1.7 %
Thiaumont 848 0 0 % 848 100 %
Tintange 700 70 10 % 630 90 %
Toernich 1.000 13 1.3 % 987 98.7 %

Total 29.287 4.245 14.5 % 24.654 84.2 %

(1 ) 297 personnes parlant le flamand ou le hollandais sont également recensées


à Arlon. Elles ne sont pas reprises dans le tableau mais font partie des 5.405
habitants.
(2) Dans la commune d e Fauvillers, seules les sections de Bodange et de
Wisembach sont d'expression allemande et appartiennent à l'Arelerland.
(3) Dans la commune d'Halanzy. seules les sections de Battincourt et d'Aix-sur-
Cloie sont d'expression allemande.
(4) Dans la commune de Hollange. seules les sections de Strainchamps et de
Honville sont d'expression allemande.

Ce tableau reprend toutes les communes de l'arrondissement


d'Arlon et trois communes de l'arrondissement de Bastogne :
Fauvillers. Hollange et Tintange. On peut voir qu'à Arlon, 16.5 %
de la population parlent le français contre 78 % pratiquant le
luxembourgeois. On constate également la présence de 5.5 % de
Flamands, la plupart appartenant à des bataillons stationnés dans
la caserne Léopold, construite en 1838. Cinquante ans plus tard,
un régiment de ligne viendra se fixer de manière définitive dans
le chef-lieu du Luxembourg.
Dans les communes rurales de l'arrondissement d'Arlon, 89 %
de la population sont germanophones contre 11 % francopho-
nes. Assez logiquement. la percée du français est moindre dans
76
les villages que dans la ville. On remarque qu'une commune de
l'arrondissement d'Arlon, directement située sur la frontière lin-
guistique, est presque complètement francisée. Il s'agit de
Rachecourt. Le cas opposé est la commune de Thiaumont où
aucun habitant n'a déclaré parler le français.
En 1846, la grande majorité de la population du pays d'Arlon
(plus de 84 %) parle le luxembourgeois mais une partie d'entre
elle connaît également le français.

Evolution de la langue dans l'enseignement


Devant l'accroissement du nombre d'enfants wallons dans
les écoles primaires d'Arlon, se pose un réel problème linguisti-
que puisque l'enseignement y est dispensé uniquement en lan-
gue allemande. En conséquence, les instituteurs, tous originaires
de la région. sont obligés d'introduire progressivement des cours
en langue française. Cette évolution est grandement facilitée par
le fait que beaucoup d'Arlonais et surtout d'Arlonaises délais-
sent le patois pour ne plus parler que la langue des nouveaux
venus et cela. soit par snobisme, soit par intérêt '83l.
Traditionnellement. les manuels scolaires sont en langue alle-
mande mais depuis 1839. les livres français font timidement leur
apparition. On les utilise davantage pour les leçons données en
français. Vers le milieu du 19e siècle. le français est devenu une
seconde langue dans l'enseignement primaire de la ville.
Godefroid Kurth. né en 1847 à Arlon, fait ses classes en alle-
mand à l'école primaire de la ville haute :
«Naturellement, puisque nous étions tous Allemands. les
leçons se donnaient en allemand. .. Je venais de passer de la troi-
sième classe dans la seconde et, pour la première fois de ma vie,
je trouvais dans mes mains un livre de lecture. Un vrai livre de
lecture cette fois, et non plus un manuel pour apprendre à lire.
Le livre, il est vrai. était en français. et nous ne savions que l'alle-
mand mais on commençait cette année l'étude de la langue fran-
çaise et ma soifde lire était si grande qu'au bout d'un an je fus en
état de commencer, à très petites journées. un voyage dans mon
«Ami des écoliers»... Je me voyais arrêté plus d'une fois dans mes
lectures par mon insufB.sante connaissance du français. Heureu-
sement j'avais pour voisin un camarade qui était wallon, et qui

(s,i Alfred BERTRANG. Histoire d'Arlon. op. cit. p. 297.


77
78
m'expliquait volontiers, quand il le pouvait les mots et les tour-
nures qui m'embarrassaient» (84l
Au niveau de la formation des instituteurs. il n'existe aucune
école normale possédant une section allemande (85 l. C'est proba-
blement le principal obstacle que rencontre l'enseignement pri-
maire allemand dans le pays d'Arlon au milieu du siècle. Cela
s'explique par une méconnaissance à Bruxelles des besoins lo-
caux et le dédain régnant à Arlon envers l'idiome germanique.
Tout le monde préfère apprendre le français plutôt que l'alle-
mand. Mais dans les campagnes où les enfants ne fréquentent
plus l'école après le niveau primaire, la carence de bons institu-
teurs allemands pose de graves problèmes. L'allemand est pour
les patoisants une langue étrangère qu'ils doivent apprendre à
l'école. C'est la seule solution pour eux car elle est proche du
luxembourgeois tandis que le français leur est encore totalement
étranger. Le 1er décembre 1846. l'inspecteur provincial de l'ensei-
gnement primaire écrit à son ministre :
«La séparation politique de la province et l'espèce d'isolement
dans lequel se trouvent les populations allemandes, expliquent
à la vérité jusqu'à un certain point le peu d'empressement que
montrent les jeunes gens à se former aux études qu'exige la car-
rière de l'enseignement mais je n'hésite pas à dire que cette
circonstance est due également à l'absence d'une école normale
placée à proximité du quartier allemand et dans laquelle on s'oc-
cuperait tout particulièrement à former des instituteurs pour ce
quartier. Je reconnais volontiers que les 25.000 allemands et les
55 instituteurs qui nous restent ne valent pas la peine qu'on crée
à leur profit une école normale spéciale... » (86l
L'inspecteur Tandel demande tout de même au ministre de
remédier à cet état de choses en ouvrant au plus tôt des cours
permanents d'allemand à l'école normale de Virton. Ce projet ne
peut pas rencontrer d'obstacle sérieux et améliorera la condition
des patoisants. Il demande encore l'acquisition d'un certain nom-
bre de livres allemands en plus des quelques livres français déjà

184l Souvenirs de Godefroid Kurth. in Fernand NEURAY. Une grande figure natio-
nale : Godefroid Kurth . Bruxelles. 19 31. p. 20.
185 l Une section allemande est créée à l'Ecole normale pour jeunes filles d'Arlon.

au début du xxesiècle. En 1931. elle est fermée par manque d'élèves.


186 l Rapport sur l'état de l'instruction primaire dans le Luxembourg pendant l'an-

née 1846. par l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire Tandel. in


Registre des rapports annuels des inspecteurs provinciaux pour les provinces
de Limbourg, Luxembourg et Namur. 1846-1848 (AG.R).
79
envoyés par le gouvernement Il propose de les acheter lui-même
et de rendre compte.
Si. en 1848. Tandel obtient un subside de 622 francs pour
l'achat de manuels allemands. rien ne se produit pour l'amélio-
ration de la formation des instituteurs. Ses plaintes répétées n'y
changent rien et on voit les instituteurs des écoles allemandes
multiplier les leçons en langue française. Voici le rapport de
Tandel sur la question en 1848. Il s'agit d'un document excep-
tionnel car les allusions aux problèmes de la langue à Arlon pour
des époques aussi reculées sont rares.
«ll y a dans le Luxembourg 49 écoles allemandes et 372 éco-
les wallonnes. Les études sont en général moins fortes dans les
premières que dans les secondes, Cela tient d'abord à la grande
pénurie d'instituteurs allemands que nous n'avons cessé d'éprou-
ver jusqu'à présent et dont j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'en-
tretenir le gouvemement Cela provient ensuite de l'absence d'une
véritable langue matemelle et de certains tiraillements qui exis-
tent dans les écoles dont il s'agit. entre la langue allemande et la
langue française,
«Dans la plupart des écoles allemandes. on enseigne aux
élèves à lire et à écrire en français: dans quelques-unes aussi.
on s'occupe des premiers éléments de la grammaire française,
ce qui donne lieu naturellement à certaines complications dans
le programme des études, Il est à remarquer ensuite que dans
tout le quartier allemand on parle une sorte de patois tudesque
mêlé d'un grand nombre de mots français et que la culture du
bon allemand y est entièrement négligée, La grande majorité
des prêtres font usage de cet idiome dans les églises et il en est
de même encore pour beaucoup dïnstituteurs dans leurs éco-
les,
«Les élèves ne comprennent plus le bon allemand du mo-
ment que dans la conversation vous sortez du cercle étroit des
termes les plus vulgaires, ll y a chez eux une absence de langue
matemelle bien sentie, bien comprise et je n'ai pas besoin d'ajou-
ter que cet état de choses exerce une fâcheuse influence sur le
développement de l'intelligence dans les écoles allemandes ainsi
que sur l'état de l'instruction en général,» (37 l

,s7J Rapport sur l'état de lïnstruction primaire dans le Luxembourg pendant l'an-
née 1846. op. cit
80
Compte tenu du nombre toujours plus important de petits
Wallons fréquentant les écoles de l'enseignement primaire
d'Arlon, du fait que cet enseignement est devenu par la force des
choses totalement bilingue et prenant en considération le suc-
cès remporté par le français chez les Arlonais de souche germa-
nique, l'administration communale d'Arlon prend en 1867 la
très importante décision de faire du français la langue véhicu-
laire exclusive de ses écoles. L'allemand est relégué au rang de
seconde langue '88l. D'après Bertrang. on ne garde que trois peti-
tes heures par semaine '89l.
Dans les villages. c'est l'allemand qui demeure la langue véhi-
culaire des écoles de l'enseignement primaire même si les incur-
sions du français sont toujours plus nombreuses. Dans les com-
munes industrielles du sud. l'enseignement devenu également
bilingue s'oriente résolument vers le français.
Quant aux établissements d'enseignement moyen créés à Arlon
au 19e siècle. le français y est la langue véhiculaire dès le début Cela
s'opère sans difficulté car c'est le vœu de la population. Aussi les
élèves ne tardent-ils pas à parler de plus en plus le français. A
l'athénée. on crée un cours spécial pour les élèves d'origine alle-
mande mais Alfred Bertrang, professeur de langues germaniques et
historien de l'établissement. juge qu'il est insuffisant et ajoute:
«Pour des raisons à la fois naturelles, sentimentales et utilitai-
res. il eût fallu consacrer à l'étude de l'allemand une attention
toute particulière, ou du moins pro.iter des dispositions innées
des jeunes gens natifs d'Arlon et de la région, pour leur permet-
tre d'acquérir une solide connaissance de l'allemand. Tout en
donnant la prépondérance au français, puisque ce dernier était
en fait l'unique langue of.i.cielle employée en Belgique. on eût pu
faire la part plus large à l'allemand.» ,9o)
On ne le fait pas. La plupart des élèves sont fils de bourgeois
arlonais ou de fonctionnaires wallons et se contentent parfaite-
ment du français. De plus, on confie l'enseignement de la langue
allemande à des maîtres dont Bertrang souligne l'insuffisance
notoire : «sans diplôme, ils connaissaient l'allemand, comme

' 88l Alfred BERTRANG. Histoire d'Arlon. op. cit.. p. 297.


Rapport du bourgmestre d'Arlon Paul Reuter au Ministre des Sciences et des
Arts. Arlon. le 20 juillet 1931. Archives de l'Administration communale
d'Arlon.
l89l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit.. p. 237.
(9oi Alfred BERTRANG. L'Athénée d'Arlon. 1837-1929. Arlon, 1929. p . 75.
81
Hô tel du Gouue rnemen t F' rovlnc!al.

1 '.

Après la douloureuse séparation de 1839 et la perte par la Belgique du Luxem-


bourg allemand. Arlon est confirmée dans ses nouvelles fonctions de chef-lieu.
La petite ville se voit devenir coup sur coup le siège du gouvernement civil et
militaire. du conseil provincial. d'un tribunal de première instance. d'une cour
d'assises. etc. De grands travaux urbanistiques sont lancés. Le nouveau quartier
de la place Léopold témoigne de la transformation de la ville. Le palais provin-
cial est inauguré en 1849. le palais de justice en 1866.

.ARLON PALAIS DH: JU!;TICE


Avec son rang de chef-lieu, Arlon fait figure de «nouvelle Rome» dans une pro-
vince qui n'a plus de Luxembourg que le nom. Les commerces se multiplient. la
prospérité est au re ndez-vous. On construit un athénée, une caserne et même
une prison. On éventre les remparts pour agrandir la ville. Les rues sont alignées
et pourvues d'un éclairage. Un square et des places publiques sont créés. Des
pompes remplacent les vieux puits à ciel ouvert. Les autorités prennent des
mesures relatives à l'hygiène et à la salubrité publique. Les congrégations reli-
gieuses ouvrent des écoles et une clinique.
r

. ·' ... ·-...


~~

Arlon . - La Synagogue

L'anivée de centaines. puis de milliers de fonctionnaires. d'enseignants. de mi-


litaires d'ouvriers venus principalem ent de Wallonie. mais aussi de Flandre. d 'Al-
lemagne et de France. bouleverse la donne linguistique. La communauté israé-
lite d'Arlon connaît un essor remarquable. Une synagogue de style romano-
byzantin est construite en 1863-65. En périphérie. de nouveaux quartiers ac-
cueillent tous ces «étrangers» appelés à s'intégrer rapidement dans la société
arlonaise.

11 ARJ.()N - {iouveau quartier, dit Ve /el Anvera


Gtrlon - Slue êle:> Sle111-pa,zb
U ne de~ rues les p~u s pitt-fJ!"e~es d u Vie il Arlon. F'ait partie d u quartier populai re que le pa1oi..: l0l'.il
dénomme ''lforchegâs~., Rep ro d. int erd ite

Le quartier pittoresque du Vieil Arlon n'échappe pas à l'évolution de la ville.


Ancien cœur de la cité. la Hètchegaass devient. au fur et à mesure du dévelop-
pement du chef-lieu, le quartier populeux d'Arlon. Les familles aisées le quittent
pour s'installer dans de vastes et belles demeures érigées dans le bas de la ville
ou le long des nouvelles avenues tracées aux abords de la place Léopold et de
la gare. La plupart des ouvriers. petits artisans et commerçants qui habitent la
Hètchegaass parlent exclusivement le patois germanique. Nombre d'entre eux
portent des sobriquets ou des surnoms savoureux.

fir!on

lies Serie 3r No. 30


La ligne de chemin de fer Bruxelles-Arlon est inaugurée en 1858. avec une gare
de premier rang et de vastes ateliers occupant des centaines d'ouvriers. De somp-
tue ux immeubles de style Art Nouveau sont érigés le long de l'avenue qui mène
à la gare. Les cheminots. presque tous importés de Wallonie. sont logés dans
des quartiers plus modestes. de l'autre côté du pont de Virton. Voici comment
naît Schoppach, un quartier purement wallon, un îlot dans une ville se servant
encore beaucoup du patois germanique.
Le snobisme est le principal ennemi de la langue maternelle. A la maison. on
parle le patois. Dans la rue. on s'exprime en français. langue de culture témoi-
gnant de son degré d'éducation. Lorsqu'elles font leur promenade dominicale.
les jeunes filles de bonne famille conversent entre elles en luxembourgeois.
Mais quand deux groupes se croisent. c'est en français qu'elles échangent les
formules de politesse.
Ouvert par la Ville d'Arlon en 1837. le collège du chef-lieu reçoit le titre d'Athé-
née royal en 1842. Huit ans plus tard, il est repris par l'Etat. Les humanités an-
ciennes et modernes y sont enseignées par un corps professoral qui compte de
f01tes personnalités : Kugener. un savant philologue. Even. un mathématicien
distingué. Jérôme. Beguin et Bimbawn. trois pédagogues extraordinaires. Fabritius.
un linguistique hors pair. Van Dooren. un promoteur exceptionnel de la culture
française. etc. L'Athénée d'Arlon se hisse bientôt au rang des grandes écoles du
pays.
quelqu'un qui a fait des études moyennes satisfaisantes connaît
sa langue matemelle...lls accusaient une infériorité, voire une igno-
rance lamentable.)) (90
L'enseignement de l'allemand à l'athénée peut se résumer de
la manière suivante : les élèves parlant l'idiome germanique ont
droit à trois cours d'allemand répartis entre les niveaux inférieur,
moyen et supérieur. Les élèves wallons font également un peu
d'allemand avec un cours baptisé «français-allemand)). Mais la
langue véhiculaire est le français.

Le déclin du patois germanique


Alors que jadis le français était une simple langue administra-
tive, on le voit devenir petit à petit. dans la seconde moitié du
xrx:esiècle. la langue usuelle de toute la bourgeoisie arlonaise et
finalement d'une partie notable du peuple.
Outre l'invasion massive d'employés wallons. d'autres facteurs
doivent être pris en considération pour expliquer le phénomène.
Pour entreprendre des études secondaires. pour travailler en-
suite dans l'administration, bref pour faire carrière. la connais-
sance de la langue française est devenue indispensable depuis
la séparation de 1839. La langue allemande ne mène nulle part
dans l'Etat belge. Or. par tradition dans les familles aisées de la
campagne. on élève le deuxième des fils et ceux qui suivent. en
vue d'occuper des emplois de fonctionnaires. On peut ajouter
que parler le français donne pleinement l'impression d'être
«Belge». C'est une preuve de patriotisme national aux dépens de
la mentalité et de la langue allemandes. Enfin. l'inévitable se pro-
duit : des Wallons épousent des Arlonaises et des Arlonais épou-
sent des Wallonnes.
Avant l'arrivée des Wallons, des mariages mixtes ne se pro-
duisaient jamais. même dans les villages situés sur la frontière
linguistique '92l. Lorsque dans un de ces villages. une fête réunis-
sait des membres des deux communautés, à la moindre bagarre,
on voyait Wallons et Allemands se rassembler chacun de son
côté. Au fil des ans, tout cela est profondément modifié et le
mélange s'opère. Le plus souvent. les enfants issus de mariages
mixtes adoptent la langue française.

91 l Alfred BERTRANG. L'Athénée d'Arlon. op. cit. p. 75.


l92 l Matthias ZENDER. Die Deutsche Sprache in der Gegend von Are]. op. cit
89
Le français se répand également beaucoup par snobisme. Parler
le français pour un Arlonais revient à se présenter comme une
personne distinguée appartenant à la bonne société. Le diman-
che après-midi, lorsque les Arlonaises se promènent dans la rue,
elles s'entretiennent en patois allemand mais quand deux grou-
pes se croisent et échangent des formules de politesse, elles s'ex-
priment toutes en français. Dans un hôtel d'Arlon, tout le monde
parle le patois dans le salon privé mais dans le hall et dans la
salle publique de l'établissement. les mêmes personnes utilisent
le français entre elles. Dans le train vicinal d'Arlon à Attert. deux
locataires de chasse assis côte à côte parlent le français mais
lorsqu'ils s'adressent à un paysan assis en face d'eux, ils lui par-
lent le plus naturellement du monde en patois (93i.
Dans le même ordre d'idées, on préfère acheter un journal en
langue française, quitte à devoir tout traduire à la maison pour sa
femme et ses enfants. Cela «fait mieux».
Les germanophones de la ville se retirent progressivement de
la vie publique avec leur patois pour le réserver uniquement à la
maison et à la vie familiale. Cela se fait volontairement et sans
aucune contrainte. il n'existe aucune attitude combative pour
protéger sa langue maternelle et se préserver de la romanisation.
On aime la langue française et on dédaigne le dialecte. Ce serait
une erreur de chercher dans le chef des autorités belges une po-
litique de «dégermanisation» ou une volonté de tuer le patois
allemand. Le vent souffle en faveur de la langue française et les
Wallons se font plus nombreux. ils n'ont aucun intérêt à appren-
dre le dialecte local mais les patoisants. eux, ont tout à gagner à
connaître le français.
Pendant les années trente et durant la seconde guerre mon-
diale. certains Arlonais, intéressés. décrivent cette situation de
manière excessive. Leurs propos sont à dénoncer et à rejeter. Les
écrits du gestapiste Maurice Krier sont de ceux-là :
«Ces fonctionnaires venaient à Arlon dans un but de coloni-
sation dont plus d'un s'est vanté et considéraient les Arlonais et
encore plus les habitants des villages environnants, en indigè-
nes de pays conquis... On ne peut d'ailleurs les appeler des wal-
lons, ils sont et étaient avant tout des fonctionnaires, des em-
ployés et des ouvriers belges francophones, sans la moindre
tradition populaire... Sous leur influence et par leur volonté

(93 l Matthias ZEND ER Die Deutsche Sprache in der Gegend von Arel. op. cit. p. 38.
90
disparurent lentement les traditions populaires d'Arlon et la lan-
gue allemande qui, pour les nouveaux Messieurs, était une lan-
gue étrangère, par conséquent de bas étage et de valeur moin-
dre. Elle fut reléguée à l'usage domestique,» (94l
On remarque que l'auteur, écrivant en 1943 dans les Cahiers
de la Communauté culturelle wallonne, veille tout particulière-
ment à ne pas assimiler les colonisateurs du pays d'Arlon à des
Wallons.
Outre ce recul du luxembourgeois dans la région arlonaise, on
assiste à son appauvrissement lexical. Les termes français utilisés
dans la conversation des patoisants deviennent nombreux (95l, Suite
à l'influence romane et probablement au manque de pratique, les
jeunes gens ont de plus en plus de mal à s'exprimer avec leur
dialecte et on les voit passer au français en plein milieu de la
conversation dès qu'ils rencontrent la moindre difficulté. Parallè-
lement à cette attitude, leur connaissance du français s'améliore.
Alors que par le passé, l'Arlonais s'exprimant en français avait un
accent tout à fait caractéristique, celui-ci disparaît peu à peu :
«Alors que jadis la prononciation se distinguait par la force de
l'aspiration, la prédominance des sons gutturaux, le ton rude et
chantant, ce qui faisait sourire les Wallons, nos jeunes bourgeois
prononcent nonnalement et même nos ouvriers francisent en
singeant l'accent boulevardier rapporté de la Villette ou d'autres
coins populaires de Paris... » (96l
Alfred Bertrang décrit le déclin du patois arlonais, particuliè-
rement parmi les étudiants fréquentant l'athénée royal d'Arlon :
«Veis 1880, les familles bourgeoises délaissent peu à peu le pa-
tois. On commence par ne plus le parler avec les enfants. Déjà à la
veille de la guerre, beaucoup de jeunes gens d'origine locale igno-
raient lïdiome du cru et se fâchaient quand un professeur leurre-
prochait de ne plus connaître leur langue maternelle. Plus d'un pro-
testa en dédarant que sa langue maternelle était le français ...
«A l'athénée, nous constatons cette décadence du patois
même chez nos campagnards. Que de mots, que j'ai appris dans
mon enfance à Arlon, en ville par conséquent, sont inconnus

<94 lMaurice KRIER. La question linguistique dans la région d'Arlon. in Cahiers de


la Communau té Culturelle Wallonne. n° 5. mai 1943. p. 34.
<95 l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit. p. 139.

' 96l Alfred BERTRANG. Le patois allemand de la région d'Arlon. notes inédites
(Institut Archéologique du Luxembourg).
91
des jeunes villageois. Leur vocabulaire se restreint de plus en
plus. Le séjour des jeunes gens en ville contribue largement à cet
appauvrissement: ils partent de chez eux à six ou sept heures
du matin, suivent de 8 à 12 h. et de 14 à 16 h. des cours tous faits
en français. Pendant la récréation et au réfectoire à midi, on leur
interdit l'usage du patois. lls rentrent à la maison vers 5 ou 6
heures pour sy occuper de leurs tâches à domicile. lls ne sont
donc presque pas en contact avec les leurs. lls vivent pour ainsi
dire à l'écart de la communauté villageoise. Quoi d'étonnant que
loin d'enrichir leur connaissance de la langue maternelle, ils
désaprennent leur dialecte. ll en va de même de leur connais-
sance de l'allemand littéraire. Soumis à une étude intensive du
français à l'athénée, n 'ayant que trois malheureuses leçons d'al-
lemand par semaine, tous les autres cours se faisant en français,
comment voulez-vous qu'ils puissent s'exprimer librement en
allemand? A leur entrée à l'athénée, leur vocabulaire était plus
ou moins en rapport avec leurs connaissances. Au fur et à me-
sure qu'ils avancent, ils acquièrent de nouvelles notions en his-
toire, en géographie, en mathématiques, en sciences naturelles,
en religion, en morale et que sais-je encore, qu'il leur est impos-
sible de faire valoir au moyen de la langue allemande puisqu'ils
n'ont appris ces notions qu'en français; de sorte que leur facilité
d'élocution en allemand s'en trouve réduite et que proportion-
nellement ils connaissent moins d'allemand en sortant de
l'athénée qu'au moment de leur entrée en septième.
«Malgré cette éducation purement française, la majeure partie
de nos jeunes gens de la campagne ne possèdent le français
qu'imparfaitement, le manient gauchement et lourdement, se
trouveront longtemps dans une réelle infériorité. Ce sont des
hybrides connaissant mal le français et plus mal encore l'alle-
mand et leur langue maternelle, des déshérités, comme a été
forcé de le reconnaître un directeur pourtant hostile à une
meilleure organisation des cours d'allemand.» (97 l

La langue utilisée par le clergé


Si la langue française ne cesse de gagner du terrain et si le
nombre de bilingues est continuellement en hausse. l'idiome
germanique reste tout de même la langue utilisée familièrement

(97 l Alfred BERTRANG, Le patrois allemand de la région d'Arlon, op. cit.


92
à Arlon. Dans les campagnes. le luxembourgeois enregistre un
recul beaucoup moins important car l'Eglise veille.
Depuis 1823. un bref de Pie VII réunit les communes des ar-
rondissements de Luxembourg. Neufchâteau et Diekirch audio-
cèse de Namur. La séparation de 1839 ne change rien pour les
cantons d'Arlon et de Messancy tandis que le Grand-Duché est
détaché de l'évêché de Namur pour être érigé en vicariat aposto-
lique (9si.
Les membres du clergé sont en général originaires de la ré-
gion où ils sont nommés. Il n'y a donc pas de problème au ni-
veau linguistique. Les curés du pays parlent tous l'idiome germa-
nique et la langue allemande. La plupart des lettres pastorales et
des mandements de l'évêque leur parviennent en langue alle-
mande. Les textes sont d'abord envoyés en français à Arlon où
ils sont traduits en bon allemand. puis imprimés et distribués
dans les paroisses pour être lus en chaire. le dimanche à la messe.
L'impression de ces documents ne peut se faire directement à
Namur. car on ne trouve pas dans cette ville d'imprimerie utili-
sant des caractères gothiques.
Le mandement en langue allemande le plus ancien que nous
avons découvert dans les archives de l'évêché de Namur date du
5 janvier 1837. Il s'agit d'un mandement de Mgr Dehesselle sur
la nécessité des bonnes œuvres et sur la manière dont elles doi-
vent être faites. Il sort des presses de l'imprimerie arlonaise Pierre-
André Brück.
Lettres pastorales et mandements de l'évêque de Namur. en
allemand. sont maintenus durant tout le .xrxe siècle. spéciale-
ment pour le pays d'Arlon. Ils se font pourtant de plus en plus
rares. On peut supposer que les curés se contentent des textes
en français et les traduisent dans les villages où l'allemand est
nécessaire pour se faire comprendre des fidèles. Vers 1880. les
quelques textes traduits en allemand chaque année proviennent
de l'imprimerie Saint-Paul de Luxembourg.
Avec la consécration épiscopale de Mgr Heylen en 1889. la
traduction quasi systématique des lettres en langue allemande
reprend pour le pays d'Arlon. Elle est interrompue de 1913 à
1919. époque durant laquelle Arlon ne reçoit que des textes fran-
çais. L'évêché ne veut pas appuyer ou encourager une politique
de germanisation entamée par l'occupant Après la guerre. on en

(9si Suite chronologique des évêques de Namur. Archives de !'Evêché de Namur.


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revient au système antérieur et la toute dernière lettre pastorale
en langue allemande, rédigée par Mgr Chame. date du 27 janvier
1950.
A la messe, le sermon du curé et les prières se font en alle-
mand. De la même manière, le catéchisme est enseigné égale-
ment en allemand. Les curés ont recours à la bible allemande de
Schmitt et au catéchisme allemand de Scouville (99i, Dans les re-
lations journalières avec leurs paroissiens, ils utilisent naturelle-
ment le patois. La langue maternelle et l'allemand sont les
meilleurs garants de la religion. quand bien même les paysans
ne comprennent pas toujours les prières qu'ils récitent machina-
lement ou la signification des lettres pastorales.
Afin de faire face à l'arrivée de nombreux Wallons dans les
communes d'Aubange et d'Arlon, les curés sont bien obligés de
recourir à la langue française. ils utilisent la bible et le catéchisme
de l'abbé Martin de Noirlieu. Le français s'introduit progressive-
ment dans la vie religieuse.
Avec l'évolution. les recrues allemandes du clergé commen-
cent à faire défaut tout comme les instituteurs dans l'enseigne-
ment il faut demander aux prêtres d'apprendre l'allemand et
l'idiome local.
«Vous êtes insuffi.samment versés dans la langue allemande.
Ceux qui seront convoqués à vos conférences rurales ne sont
pas des érudits: ce sont de braves ouvriers et cultivateurs. n vous
suffira d 'étudier davantage cette langue, tout en vous appliquant
à rester bien à la portée de ]'auditoire, au besoin en empruntant
l'idiome populaire. Vous vous exercerez à ce genre de conféren-
ces, simples et d'autant plus fructueuses.» (woi

Les langues dans la presse


Tous les journaux édités à Arlon depuis 1831 sont en langue
française. n faut attendre 1859 pour voir paraître pendant deux
années l'Arloner Zeitung. un petit hebdomadaire catholique. De
1872 à 1876, il y a encore Der Alte Ackersman, de tendance chré-
tienne et à périodicité variable. Mais le premier journal en langue

,99l Rapports des curés du Luxembourg suite à la visite décanale. Archives de


l'Evêché de Namur.
(ioo1 1ettre sans date de l'Evêché de Namur à un prêtre attaché aux œuvres socia-
les à Arlon. Archives de l'Evêché de Namur.
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allemande ayant une certaine importance est Die Wahrheit un
mensuel libéral fondé par le ministre Victor Tesch. originaire de
Messancy. Il paraît de 1876 à 1889. Les libéraux ont réussi à voler
aux catholiques une de leur meilleure arme : la langue allemande.
Ceux-ci la reprennent rapidement en main avec la création du
mensuel Der Katholik, qui paraît de 1879 à 1887. En 1887. Der
Katholik, qui subsiste difficilement. cède la place à un hebdoma-
daire d'informations locales, le Deutsche Arloner Zeitung Ce sont
les frères Willems. originaires d'Aube! et installés depuis peu à
Arlon, qui le fondent C'est la seule feuille allemande qui parvient
à se maintenir pendant plusieurs décennies.
L'Arloner Zeitungpublie quatre pages d'un caractère typogra-
phique très dense. Il n'offre d'intérêt que pour les agriculteurs
des villages et adapte ses rubriques aux exigences de sa clien-
tèle. Les annonces. les faits divers. le résumé de conférences agro-
nomiques. les relevés de l'activité de l'abattoir communal et la
mercuriale des grains en constituent les éléments. Quelques an-
nées après sa fondation, il est déjà en difficulté.
Tous les quotidiens arlonais sont édités en langue franç aise
et on peut observer que l'allemand littéraire ne réussit jamais à
s'imposer dans le monde de la presse régionale. La population
lit essentiellement les organes catholiques et libéraux tels L'Echo
du Luxembourg(bi-hebdomadaire libéral devenu quotidien, de
1836 à 1920), Le Jaumal d'Arlon et de la province de Luxem-
bourg(bi-hebdomadaire libéral. de 1848 à 1850). L'Indépendant
du Luxembourg(quotidien catholique, de 1848 à 1863). La Voix
du Luxembourg(quotidien catholique. de 1863 à 1888). L'Jndé-
pendantdu Luxembourg(hebdomadaire neutre, de 1865 à 1893).
Le Luxembourg (quotidien catholique. de 1888 à 1894). L'A ve-
nir du Luxembourg (quotidien catholique fondé en 1893. qui
paraît toujours actuellement), Les Nouvelles (quotidien libéral.
de 1914 à 1960). Le Jaumal d'Arlon (hebdomadaire libéral. de
1921 à 1939) (lO I)_
Toute cette presse arlonaise n'exclut pas les publicités occa-
sionnelles en allemand. De même. à l'approche des élections.
les appels en langue allemande se multiplient y compris dans
les organes libéraux.

(JOJ l Philippe MOTfEQUIN. Répertoire de la presse de la province de Luxem-


bourg. op. cit
97
3le année. Dimanche, 26 Janv,er 1879 .L, 0 12.

Abonnement:. Insertions :
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Pour la Pruss,: . . . . . . . 15 80 qu e lient J'annonce.
UN "Yllil\O : ! 5 CEl'CTUIES.

ON S'ABO:INE :
D.,ARLON Tout ce qui concerne la rédaclion, les rt·
clames el les annonces, doit étre adressé à
J. BOURGER, éditeur à Arlou.
A Arlon, au hureau du journal, 8, Marehé- Oo reçoi t e>:cl usivcment les aunonccs du
aux.Légumes. - Joindre le montant en men· Brabaol et de l'Elraoter à l'OrncE Dt Pusuc1T.f:,
da1-po,1c. 46, rue de la lladcleinc, à Bruxelles.
Eo province, chez 1c,ns le~ percepteurs, corn·
mi!- 1,,i f.ictcur& des postes.

L'INDÉPENDANT p11a!1 les mercredi, ven-


dredi el dimanche de chaque 1,emaioe.
ET DU LUXEMBOURG. li sera renclu complc de tous ks ouvrag·
don l deux exemplai res seront déposés au bue
rc:iu du jouroJI.
Tou,e leure nor1 affranchie sera rerusée.

1. 1 f
AIIL_"'&TJl[!!lîiil- por le lrailéde Berlin soilprécisémrnl 1i1utour, ùans chaque école; il délnmi_oe I Art. 7. La nominalion de• inst ,luleur s · rilé,, en l'a llsence même de toute récla•
crllc qui ~"i nsurge le (lins ouverl emcn l
1
,es
école, qni scroni, eiclu,ire'."eul dtali- I•
lieu _P~.r 1~ con,eil ~orunrnna l, co ufo rm_é-1 ruation de lï~_,1i1~1eur. . ,
No:is rappclor.s ; r.os ,bon n es rrcc - con Ir~ 1,s J éc,'s_ïons des grandes . puis- ores' "' enfaois, de I un o~ de l aulre sexe, _j menl a 1_ar11cle 84, n 6, de la 101 •Ju 50 Art. !O. _L insl1lule~r fr,p~ e J uoe, des
,·anl le jo11riul sous lia o<lf", a,·<·c ll'Ur sanccs ; la resislrnce 0 ~ sau~ail, du 1 el ce lle. J ,,ns l•.squ•iles _e•. enfar,\s. des I mars 1856. . . . . deux prem1êres pe1oe, prévnc, par 1>ri ,
n ·s le, t'h c ùc Ion gui~ Lhirér. de1n isrxes pourront ê1re aùm 1s ; 1110 d1que Pour pouvoir êlre nom iue rnst11u1eur 8 peu l udresst"r, d.1ns IPs quuan te-huit
adrrS.iC in1pr i1née , q,1c. dclontt~ foçon.
I.e correspond·a nl d~ Londres du les écolo, au,que lles des écoles gudien~ communal,'.' foui ~Ire Belge ou na1ura•isé heures de IJ ool ifi caiio n à lui fai1e de la
l'abonncml!nl cs l (ll )'ablo 1par an-
Jo t:RNAL DtS DfoATS dit Ufl · ra candi-· ne'. OOJ des cours d'adulles dovrool être e_l ê lr~ muni d un d,plôrue d:asp:'.anl ins- couùa mni lion, un appel motivé augouv6r•
ticipation. Les qnillrnc,·s (<lu d d . H _q ad1om1s. l1lulcu, ou de professeur de I eose1g,1emenl neur de 13 pro,ince ; il donne en même
{•' scm,·slrc l 879 ùu l•' janvi " r a_u 1
". '"" u princ: •·nri de Reuss _a u Art. 3. Les er.fon t, pauvres rrçoi,eot moyen du 2• dcgre. temps conna iss, nce der.c l appel à l'ios -
I•' ju il let) lllil rdirécs en févrirr se· ltone _de Dulgaric gagne . dn lerrain .. l'inslruclioo gra\uilemeol. Si aucun cand ida t diplômé ne sollicite pecleur, '" nouverneur \raosmel l"aµpel,
ronl pr<;s ·n li rs :\Ill rrla.rdal.1ire~ l'n
1 Le prinr.c de Reuss, ancien ambassa -· (.3 commune e;I tenue do 1, procurer une plore vacante d'ins1i1u1eur, le wnse;f dans les hui1 jours rie la récep lion , ou roi-
mars ou en ;.avril :1u plus lard, a,·ec deur d 'Al lemagne •Sain! Pélersliourg, doos les écules corumunales à lou, les en- communal peul être aulorisé p,r le minis- ni s!r, de l" in ;l rucl ion , en y joisnanl son
augmenlalion Je W CENTDIES par esl oclucllemrol accrédilé en la même fai,ts pauvre;. 1re de l'instrucli on pul,lique à choisir uo avis el c,•lu; de l'i nspecleur.
quillancc · polir frais de rt·cot.\'remrnl. qualilé à Conslanlinoplc. L~ prince . Le cunseil communal, après avoir en- cand ida! non dipl/Jrné; 1ou1efois celui-ci Arl. 11 Lonqu'uoe place d'in;liluteur
de llallrnberg rdo~e, parai1-i1 la can- leodu le llurrau de lli eu foiunce, fixe tous o'rotre en fo,,ctions qu'après avoir prooté es i vacante. le bourgmesire en informe
dida1ur,. ' le, ans le nomllre ù'enfanls pauvres qui sa capaci1é ,1evanl un jury nommé par le immé.Jialemen l l'in specteur . D,n, le délai
AII LO N, 25JANVIER. On annonce qut· le pr.ince Arnolphe doivenl recernir l'ioslruelion gralu ile, gouvernement. • da hni1 jours, il '51 procé_Jé par lec~Uége
d Il .. - • . 1 aio51 que la sul,veolioo à payer de ce chef Arl 8 Les pein•s suivrnte• peu,enl des bnurjlmeslre r i éch•Y1ns ~ ~ désigoa -
Bulletin politique 1 1
e H1ere ava, aussi accep t une ou, s'il v· a lieu. la rétribut,oo due par être p~o~oncée ; coo1re lïnsli1 ~;~ur com tion d'un inlér im,ire. Si le col lège ne pro•
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L'ELECTION DE PIE X
lcggis et d~i:01~nt s•n' !a balastrad~ un gm1d diur!, des hwts . prélat, et des dignitai re,

Vive le Pape ! :~pis J.1 foute ~',gile; 13 graade croix ap· de la cour qui se rendent en U te an Va-

Nous avons un Pape I la dépêche de R ome qzli nous est parven11e hier atl•
-,ionce que le Sacré-Collège vient d'élever sur le trône de Pierre le cardinal Del
- \lflr-(J; su r la lpggla ; les trou pea pré1eDtent
let ù ,nen ; le ·moment e8\ so!eone!.
be cedinal Macchi apparaît revêtu da la
mo,,,d te rouge et de la roataDa viclett<',
~cl!l)111 p•ga6 dea cérém0ntaire1.
lic,n.
Lea cloche• de la bMilique 0011tinnent t.
r~nnrr à tm1te volée, aio~I qne lei cloche•
dM aqlre• églises de la ville.
Dans l'enceinte du Conclavt1
f)arto, Patriarche de Venise. J.111. {oole pou12e dei scclamRliouA. Le car• Dès que l'on a annoncé ilu peuple que le
Nous saluons avec respect le nouveau chef de l'Eglise catholique romaine ; dinai M& .cchi bit nn signe do l~ main pour nouveau Pape était élu, le maréchal da
'O
'O Nous saluons cette torche ardente - ignis ardens - qui doit jeter lss del'lsnder le 1ilence.
L9. foule 10 porte aabitemn,nt vers la ba•i·
Conclav~, prince Ch'gl, le gouverneur
toas les prélat, chugée de la garde du Con·
e,
flammes dzi zèle sur les apôtres modernes ; liq"<i e; ne maue aur l'esplaaade du grand r.b1ve 10 sont r•ndus aux to11rs pour recevoir
Nous saluons l'âme cle feu qui doit réaliser le vœu d11 C7irist disant: u Je Atnatt11, ponr mieox eDt~ndro annoncer h con tirm~tlon officielle de l'élection et le,
suis venu apporter le feu sur la tene et !UOU désir est qu'il embrase tout ". l'élt9tiol dn oouveau Pape ; mais, vu le.a odrcs don11é1 par le Pape pour l'ouverture
rQ111P111·s de la foule qTJi accourt, peu de tlca porte• du Conclave. Suivant le cérémo-
Et, dès ce jour, nous déposons aux piecls du Souverain Pontife, successeur perl!()3Dea pou1.~t cDteD<l!O ks paroles tra• nial, à l'iDtériear du Oo11clav11,, aartoat 1ur
de Pierre, le très respectueux hommage dB nos félicitations, de notre dévouement et ditiilpn~(les pr?~onc~~, pH 1~. cardinal Mac- l'escalier reyal et dan, 1~ cour da Màr6cha_l,
CARTE LINGUISTIQUE DE LA VILLE D'ARLON
d'après A. BERTRANG , Grammatik der Areler Mundart,
Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1921.

Quartiers où la population parle essentiellement le dialecte

•Il
luxembourgeois (vieil Arlon)
Quartiers où la population parle le français
et le dialecte luxembourgeois

Quartiers wa llons où la population parle le français


100
Localisation des groupes linguistiques
dans la ville d'Arlon
Max Kiesel (1884-1968), ancien commissaire des arrondisse-
ments d'Arlon et de Virton, s'est livré à une brève mais intéres-
sante étude de la localisation des groupes linguistiques dans les
quartiers d'Arlon vers 1890 (10z). On se rend compte que tout le
cœur de la ville est essentiellement d'expression germanique, à
commencer par la Hètchegass, le vieux quartier populaire d'Ar-
lon bâti au pied du mont Saint-Donat.
«Dans les mes de la Porte-Neuve et avoisinantes, le patois est
de règle. Adultes et enfants n'ont qu'une connaissance rudimen-
taire du français. Aussi, pour le catéchisme, les enfants reçoivent
le livret en langue allemande du diocèse de Trèves.» (10 3)
Si l'on descend un étage de la Knippchen. la légendaire col-
line sur les versants de laquelle les habitations arlonaises ont
été construites. pour gagner la Grand-Rue. la place Léopold. la
me des Faubourgs et les environs. on constate que les habitants
presque tous autochtones connaissent le français mais parlent
le patois en famille. Les enfants, tout en utilisant le dialecte chez
eux, n'emploient que le français avec leurs camarades d'école ou
de jeux. Fait curieux. pour dénommer ces jeux. ils gardent les
noms en patois. Quant aux quartiers de la périphérie. comme
ceux de la Semois et de Schoppach. les habitants sont presque
tous des Wallons. A la fin du xrx:esiècle. la ville d'Arlon est un
grand chantier de constmctions diverses. L'extension de la cité
se poursuit notamment le long des routes vers Virton, Toernich,
Sesselich et Weyler. Une décennie plus tard, l'évolution dans le
domaine de la langue se fait déjà sentir. Kiesel remarque à ce
propos:
«En 1900, à la Porte-Neuve... moins de catéchisme de Trèves,
moins de sermons en allemand, mais la récitation en commun
du chapelet à l'église est faite exclusivement dans le texte alle-
mand mieux rythmé que le français. A l'église Saint-Martin. le
chapelet de la Confrérie du Rosaire continue à être récité en alle-
mand tous les jours avant le premier offi.ce du matin pendant de
nombreuses années.» oo 4)

1102 l Max KIESEL. Le dialecte local. in Arlon en 1890. Bruxelles. 1967. pp. 33-40.
Max Kiesel fut nommé commissaire d'arrondissement pour Arlon et Virton
le 1er avril 1924.
1103! et 1104! Idem. pp. 35-36.

101
Comparaison entre les recensements
de 1866 et de 1890:
HABITANTS PARLANT
COMMUNES ANNEES POPULATION SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LE FRANCAIS L'ALLEMAND ET L'ALLEM ANr
ARLON 1866 5.426 59 1 10.9 % 1.994 36.7 % 2.622 48.3 %
1890 8.029 1.501 18.7 % 2.002 24.9 % 4.16 1 51.8 %
ATIIUS 1866 -- - - - - - -
1890 1.612 420 26 % 363 22.5 % 814 50.5 %
ATTERT 1866 2.163 53 2.4 % 2.020 93.4 % 74 3.4 %
1890 1.851 55 3 % 1.060 57.3 % 712 38.5 %
AUBANGE 1866 1.183 103 8.7% 780 65.9% 294 24.8%
1890 705 107 15.2 % 114 16,2 % 480 68 %
AUTELBAS 1866 1.570 86 5.5 % 1.158 73.7 % 325 20,7 %
1890 1.685 98 5.8% 807 47.9% 768 45.6 %
BONNERT 1866 1.261 57 4.5 % 1.050 83.3% 153 12.1 %
1890 1.382 92 6,6 % 582 42.1 % 679 49.1 %
FAUVILLERS 1866 1.261 5S3 46,2 % 309 24.5 % 364 28.9%
1890 1.134 607 53.5 % 136 12 % 387 34.1 %
GUIRSCH IS66 2S2 - - 260 92,2 % IS 6.4 %
1890 284 4 1.4% 200 70.4 % 69 24.3 %
HABERGY 1S66 784 - - 644 S2.l % 140 17.8%
1S90 773 - - 547 70.8% 226 29.2 %
HACHY IS66 1.663 35 2.1 % 1.253 75.3 % 365 21.9 %
1890 1.883 39 2 % 1.204 63.9 % 640 34 %
HALANZY 1866 1.656 798 48.2 % 822 49.6 % 35 2.1 %
1890 1.912 927 48.5 % 316 16.5 % 653 34.1 %
HEINSCH 1866 1.570 15 0.9% 1.171 74,6 % 375 23.9%
1890 1.667 31 1.8 % 1.166 69.9% 466 27.9%
HONDELANGE 1866 1.324 19 1.4 % 1.147 86,6 % 148 11.2 %
1890 1.388 15 1 % 770 55.5 % 592 42.6%
MARTELANGE 1866 1.361 45 3.3% 740 54.4 % 568 41.7 %
1890 1.308 103 7.9% 803 61.4 % 394 30.1 %
MEIX-LE-TIGE 1866 600 582 97 % 9 1.5% 8 1.3%
1890 646 627 97 % 0 19 2.9%
MESSANCY 1866 2.361 64 2.7 % 2.260 95.7 % 37 1.6 %
1890 2.003 26 1.3 % 1.121 56 % 850 42.4 %
NOBRESSART 1866 1.422 11 0.7 % 1.289 90.6% 121 8.5 %
1890 1.518 6 0.4 % 1.340 88.3% 170 11.2 %
RACHECOURT 1866 706 690 97.7 % - - 14 2 %
1890 718 6SS 95.8 % - - 30 4.2%
SELANGE 1866 - - - - - - -
1890 723 10 1.4 % 451 62.4 % 259 35.8%
THIAUMONT 1866 921 1 0.1 % 665 72.2 % 251 27.2 %
1890 794 - - 610 76.8 % 184 23,2 %
TINTANGE 1866 649 35 5.4% 490 75.5 % 124 19.1 %
1890 639 70 10.9 % 215 33.6 % 349 54.6 %
TOERNICH 1866 1.703 19 1.8% 948 88.3 % 104 9.7 %
1890 1.031 Il 1 % 654 63.4 % 364 35.3 %
TONTELANGE 1866 694 16 2.3 % 465 67 % 210 30,2 %
1890 659 17 2,6 % 357 54,2 % 276 41.9%
TOTAL 1866 29.930 3.803 12.7 % 19.474 65 % 6.350 21.2 %
1890 34.344 5.454 15.9 % 14.818 43.1 % 13.542 39.4 %

102
Ce tableau présente les données linguistiques en chiffres ab-
solus et en pourcentages pour toutes les communes de l'arron-
dissement d'Arlon et deux communes de l'arrondissement de
Bastogne (Fauvillers et Tintange). Précisons qu'Athus est séparé
de la commune d'Aubange et érigé en commune distincte en
1878. De même. Sélange est détaché de la commune de Messancy
en 1889. Ajoutons que le recensement général de la population
au 31 décembre 1866 est le seul qui demande aux gens s'ils par-
lent le luxembourgeois. Le bulletin à remplir par chaque ménage
donne le choix entre trois possibilités: français ou wallon. néer-
landais ou flamand. allemand ou luxembourgeois. Les person-
nes parlant le flamand ou aucune des trois langues nationales
ne sont pas reprises dans le tableau.
La comparaison des résultats des deux recensements montre
que la proportion d'habitants connaissant le français dans la ville
d'Arlon passe de 59 % en 1866 à 70 % en 1890. et pour l'ensem-
ble des communes. de 34 % à 55 %. Ceux connaissant l'allemand
passent de 85 % en 1866 à 77 % en 1890 à Arlon et de 86 % à
82 % dans l'ensemble des communes.
Pour Alfred Bertrang. les chiffres des recensements décennaux
sont sujets à caution. A la question «quelle langue parlez-vous
habituellement ?». Bertrang pense que nombre de citoyens ont
hésité à mentionner le patois comme de l'allemand et ont donc
indiqué le français oos).
On peut raisonnablement en douter pour cette période car la
plupart des Arlonais considèrent que leur patois est un dialecte
allemand et ont l'habitude qu'on les appelle «des Allemands».
Enfin. il n'existe aucune hostilité envers l'Allemagne qui ne s'in-
téresse d'ailleurs jamais à cette région au :xrxesiècle.
Cela n'enlève rien au fait que la population autochtone parle
encore de préférence son dialecte francique mosellan dans les
relations de famille et d'amitié. Le déclin du patois est amorcé.
Quant à l'allemand littéraire. il est la langue d'enseignement dans
toutes les écoles du niveau primaire en dehors d'Arlon et le clergé
l'utilise encore largement. Mais le bilinguisme est en passe de
triompher.

oo5l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit


103
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1907

(Y/: Arlon. Imprimerie et Lithographie Ch. BIER


~<;'df';f)tj . 6, Rue Marché-aux-Légumes, 6 et Rue des Ecoles,
Une littérature populaire au pays d'Arlon :
Jean-Jacques Ménard et Nicolas Warker
Au :xrxesiècle, les livres allemands sont pratiquement incon-
nus dans le pays d'Arlon. Au mieux, on achète le «Hinkende Bote»
de Strasbourg pour y lire les prévisions météorologiques, les po-
sitions de la lune et des conseils pour le jardinage. Deux hom-
mes, Jean-Jacques Ménard et Nicolas Warker. contribuent à mo-
difier profondément cette situation.
L'Arlonais Jean-Jacques Ménard (1837-1924) est coiffeur de pro-
fession, auteur populaire dans ses moments perdus. Il écrit des
poèmes. des chansons et des pièces de théâtre en luxembour-
geois comme en français. Le poète patoisant d'Arel op der
Knipgen, véritable barde national du pays d'Arlon. fait le succès
de la société théâtrale «Les Philanthropes».
La revue «La Vie Arlonaise» le compare à Jasmin, poète-perm-
quier occitan d'Agen en Gascogne. qui compose ses vers, tout en
calamistrant la tête de ses clients 006l. Dès 1871. l'imprimeur Brück
publie les premiers recueils de l'œuvre de Ménard.
Nicolas Warker est né le 17 février 1861 à Echternach. En 1886,
à la fin de ses études, il est nommé professeur d'allemand à
l'athénée royal d'Arlon. Passionné par le folklore local, il s'efforce
de rendre accessible à ses concitoyens les traditions, les légen-
des. les contes de fée et les chansons populaires des villages
allemands autour d'Arlon (107l_ La plus grande partie de son temps
libre, il se promène de village en village. Il rencontre les habi-
tants et leur fait conter les légendes de l'endroit. Dans le même
esprit. il donne à ses élèves des rédactions ayant pour thème un
conte connu dans leur village. De la sorte, il réunit et consigne en
quelques années une partie importante du folklore régional. En
1889 et en 1890, il publie ses premiers récits populaires dans
l'Arloner Zeitung Peu après, l'imprimeur Willems édite sous la
plume de Warker un petit volume reprenant les principales

006i ARLO. Jean-JacquesMénard, in La Vie Arlonaise. n ° 12. 1er avril 1913.


1107 l Alfred
BERTRANG. Nicolas Warker. in Biographie Nationale. Bruxelles. 1964.
tome 32. pp. 756-757.
Matthias ZENDER. Nikolaus Warker. ein deutscher Kampfer aus Are/, in
Rheinische Blatter. Deutsche kulturpolitische Zeischrift im Westen. Heft nr. 4.
Kôln. april 1941. pp. 165-166.
Julien BESTGEN. Littératures allemande et dialectale au pays d'Arlon, in
Cahiers de l'Académie Luxembourgeoise, n° 11 -12. 1982, p. 63.
105
Au cimetière d'Arlon. la tombe du barde arlonais Jean-Jacques Ménard (1837-
1914). coiffeur de profession, mais auteur populaire qui écrivit su rtout en luxem-
bourgeois, ne laisse pas les passants indifférents. En effet. son sarcophage en
petit granit comporte sur la face avant une épitaphe en frança is, reprenant en
acrostiche le nom de Ménard. et sur sa face gauche. un poème en luxembour-
geois que l'on peut traduire de la manière suivante: «Un homme est enterré ici.
qui sans qu'il y ait lieu de le vante1; a vécu sur tene comme le Christ l'a de-
mandé. A vivre bien comme il faut. nous aurons le jugement que nous méri-
tons.11
légendes arlonaises. Le succès est grand et la publication rapide-
ment épuisée. Cela encourage Warker à produire une deuxième
édition beaucoup plus développée.
En 1890. les imprimeurs Willems et Everling s'associent pour
publier le chef-cl' œuvre de Warker. son « Wintergrun : Sagen.
Geschichten, Legenden und Marchen aus der Provinz Luxem-
bourg». Le succès du livre rédigé en allemand est considérable.
Aujourd'hui encore. c'est un honneur et un plaisir pour un patoi-
sant de sortir de sa bibliothèque le précieux volume tout écorné
par l'usage.
Ce succès s'explique d'abord par la qualité de l'ouvrage. Il
s'agit d'un travail de compilation exemplaire pour l'époque.
Ensuite. les Arlonais sont friands de livres se rapportant à leur
région. à ses paysages et à toutes ses légendes. histoires téné-
breuses. hantées d'animaux fantastiques et de manifestations
diaboliques. pleines d'un humour rustique comme celle du dia-
ble berné par le pauvre paysan ou celle des chasseurs poursui-
vant en vain des lièvres ou des renards qui se rient tout haut de
leurs plombs.
Le travail de Warker est doublement important. Tout d'abord.
il intervient à un moment où la tradition orale vieille de plu-
sieurs siècles risque de se désagréger. Puis. il prouve que le folk-
lore local peut produire une œuvre littéraire allemande pure-
ment arlonaise.
Dans ses «Légendes du Pays d'Arlon», le journaliste Frédéric
Kiesel décrit la situation avant l'arrivée de Warker:
«Même sous ]'ancien régime, le patois allemand mettait un
obstacle à la diffusion des belles lettres dans le petit pays qui
sommeillait autour de la butte de Saint-Donat Et pourtant, sous
la sagesse un peu rude des bûcherons de Guirsch et des labou-
reurs de Waltzing sourdaient de vieilles rêveries légendaires. d'une
féerie souvent ténébreuse mais non privée de malice. Avare de
mots. elle se libère entre deux bouffées de pipe et n'appelle pas
de réponse. Pendant des siècles. des récits se sont transmis sans
écrit, sans livre. par le simple relais de la tradition orale. .. Elle est
actuellement sommaire et menacée, à la fois par une sorte de
pudeur ou de timidité des anciens, et le désintérêt des jeunes
gens qui disposent d'autres distractions que les sentencieuses
veillées autour de l'âtre.» (108)

(wsi Frédéric KIESEL, Légendes du Pays d'Arlon. Arlon, 1959. p. 6.


107
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< 7 •

C::Z.//.1,,-,, - ~ -7,.,_., / yj&,~:J"c ~d ,k /'_,,, ~ ""_·,.j:,., C<A G<-'- ":;)-'-{_.,<c.~


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Le Wintergmn de Nicolas Wagner connaît un énorme succès. Un premier petit


volume reprenant les principales légendes arlonaises est rapidement épuisé.
Cela encourage Warker à produire une seconde édition beaucoup plus déve-
loppée. Son travail de compilation est exemplaire pour J· époque. A remarquer la
dédicace signée par N. Warker pour le commissaire d'arrondissement TANDEL.
108
Mais Warker n'en reste pas aux loups-garous, aux lutins et
aux trésors cachés. Il se lance dans le théâtre et la poésie. Pour la
première fois. il publie les noms allemands des localités, des
ruisseaux, des lieux-dits et de toutes les dénominations cadas-
trales. Il collabore à des revues et à des journaux du Grand-Du-
ché, comme «Ons Hémecht».
Nicolas Warker est un des premiers à réaliser le danger que
court la langue maternelle devant l'irrésistible avance du fran-
çais. Son inlassable travail se situe dans le cadre de la défense
de l'allemand et du luxembourgeois. Sans répit il travaille avec
discrétion, s'efforçant de faire comprendre à ses élèves qu'il ne
faut pas mépriser la «mundart». La tâche est dure car le cham-
pion de la langue française à Arlon. Jean Van Dooren. est son
collègue à l'Athénée. A la fin du xrxesiècle, Warker décide de
s'engager davantage et de 1902 à 1914, il estle principal colla-
borateur de Godefroid Kurth dans la lutte en faveur de l'alle-
mand.

109
illtutf~tn l!ltrtins
3ur J!)eôttng un~ ~ 1 fteg-e ~er ~lttfferftH·adJe im
t>etttfd}ret,enben 1?)1etgie-n
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J\;reC lF ~rüfreî
~u1l.lbntifl't>Î ve11 :,;llpljt11J; !lliUr-1111; î SOCJÉTÉ BELGE DE l1BaA1ft1E
~ufütmo.\:ftftR,f~c ~ â:mtrcnllc~ftt·afie
~
-l 9· tHf

110
rv. 1890-1914 : PREMIERS DÉFENSEURS
DE LA LANGUE ALLEMANDE ET
RISPOSTE FRANÇAISE À ARLON

Godefroid Kurth et le Deutscher Verein


A partir de septembre 1892. quelques catholiques arlonais sou-
cieux de la situation de plus en plus préoccupante de la langue
maternelle, commencent à se réunir régulièrement afin de dis-
cuter du problème. Le recul de l'allemand et du dialecte luxem-
bourgeois est sérieux dans les deux principaux centres de la ré-
gion, Arlon et Athus. Certains évoquent même le déclenchement
d'une «déchéance irrémédiable» de la langue maternelle 009l.
L'arrivée de très nombreux ouvriers et fonctionnaires wallons,
qualifiée «d'invasion», provoque un phénomène de recul sensi-
ble du parler germanique. De plus, depuis la fin des années 1870.
la bourgeoisie arlonaise a commencé à éliminer systématique-
ment le patois de ses conversations et c'est en français qu'on
s'adresse désormais aux enfants dès le plus jeune âge (110l. Les
patoisants ne parviennent plus à se faire comprendre aux bu-
reaux des différentes administrations où des Wallons connais-
sant exclusivement le français ne peuvent les aider qu'au prix de
grandes difficultés. Pire, les villageois se sentent perdus quand
ils «montent à la ville» et si par malheur. l'un d'entre eux doit
passer en justice pour un délit quelconque, grande est la proba-
bilité d'avoir affaire à un magistrat venu de l'intérieur du pays,
qui n'a évidemment pas la moindre intention d'apprendre l'alle-
mand ou le dialecte local. Enfin, la ville est sous la coupe des
libéraux qui profitent de leur position pour répandre et renforcer

oo9i René HENRY. Allemands de Belgique. Bruxelles. 1903.


Heinrich BISCHOFF. Notre troisième langue nati.onale. Bruxelles. 1930.
Matthias ZEND ER. Die Deutsche Sprache in der Gegend von Are], in Deutsches
Archiv für Landeskunde und Volksforschung. tome 3. 1939. pp. 1-40.
oioi Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit. p. 139.
111
la langue de Voltaire, jugée malsaine par la morale chrétienne.
Pour ces Arlonais, seule l'Eglise catholique préserve et défend la
langue maternelle et les traditions locales contre les ennemis,
mais qu'arrivera-t-il si le centre administratif et scolaire de la ré-
gion continue à se franciser et à être gagné par la «tare libérale» ?
A court terme. ce sera le drame pour les milliers de patoisants
habitant les communes environnantes, à plus long terme ce sera
la mort de la «mundart».
Pour emayer ce processus de francisation. se battre contre l'or-
dre établi afin d'obtenir des mesures et des garanties. la création
d'une société de défense et d'entretien de la langue dans
l'Arelerland s'impose. Des statuts sont rédigés sous la plume de
l'illustre enfant du pays. Godefroid Kurth. alors professeur d'his-
toire à l'université de Liège. Le 26 juin 1893. dix-huit participants
réunis les acceptent à l'unanimité et forment le «Verein für Rege
und Pi1ege des Deutsche Mundart» o, o.
Cette poignée de fondateurs procède au rassemblement de tous
les défenseurs de la langue mais. apparaissant dès le départ comme
un mouvement catholique réservé aux érudits. son audience est
immédiatement limitée. La première assemblée générale a lieu le
29 septembre 1893 et réunit 35 membres regroupés en deux sec-
tions. à Messancy et à Arlon (112l. En 1898. le nombre d'adhérents
s'élève à 86. Ala veille de la Grande Guerre. ils sont 112 (11 3l. C'est là
le plafond atteint par cette société d'intellectuels au sein de la-
quelle siège toute l'élite catholique de la région. principalement
les curés et les instituteurs des villages comme le reconnaît
Godefroid Kurth dans une interview au journal Le Vingtième Siè-
cle: «qu'on veuille bien le remarquer. les deux sociétés dont je
parle contiennent l'élite du pays allemand.» o14l
Godefroid Kurth trace les grandes lignes de l'action du Deuts-
cher Verein. Le mouvement regroupe uniquement des Belges,
mais des Belges de langue allemande attachés à leur idiome
maternel et résolus à ne pas le laisser périr. L'intention n'est pas
de créer un mouvement hostile à la langue française ou à l' élé-
ment wallon, mais bien de conserver à la langue allemande sa

1111
) Deutsch-Belgien. Organ des Deutschen Vereins zur Hebung und Pilege der
Muttersprache im deutschredender Belgien. Arel-Brüssel. 1899. p. 8.
1112 l Idem. p. 9.
111 3
) Jahrbuch des Deutschen Vereins zur Hebung und Pilege der Muttersprache
im deutschredenden Belgien. Are!. 1914, pp. 74-77.
) Le Vingtième Siècle. lundi 13 août 1906. n ° 225. p. 1.
111 4

112
modeste place «pour le bien de notre peuple». Kurth insiste par-
ticulièrement sur «la belgiocité et le patriotisme» des Belges de
langue allemande qui ont toujours combattu pour le droit la li-
berté et la religion. La nouvelle société veut poursuivre en ce
sens. Sa fondation s'explique par:
- la nécessité dans la situation sociale actuelle d'avoir accès à la
population d'expression allemande;
- la nécessité de ne pas laisser dépérir l'enseignement en langue
allemande dans l'intérêt de l'éducation et de la formation;
- la nécessité de permettre à tous les citoyens belges d'expres-
sion allemande d'être servis dans leur pays par des fonction-
naires connaissant leur langue O15l.
L'objectif de Kurth est de modifier les conditions de vie des
germanophones belges. Ignorés du monde officiel. les Allemands
de Belgique sont isolés de leurs concitoyens et traités comme
s'ils n'existaient pas. dit-il.
«S'ils n 'ont pas la chance d'avoir appris une autre langue, on
les exclut de toutes les jouissances intellectuelles de la civilisa-
tion.» 016l
Or les ouvriers et surtout la population agricole n'apprennent
pas de seconde langue (français ou flamand) et ne disposent
d'aucun autre instrument de formation intellectuelle pour rattra-
per leurs compatriotes plus favorisés. Condamnés à l'ignorance
dans l'abandon le plus total. les Belges allemands sont relégués
dans une condition jugée inférieure et humiliante. Même ceux
qui symbolisent la patrie. les officiels et les fonctionnaires. leur
parlent en français ou ne leur parlent pas du tout. Le paysan de
l'Arelerland ou celui de Montzen est laissé en dehors de toute
conversation compréhensible pour lui. Ce qui amène Kurth à
déclarer : «Pour le paysan allemand de Belgique, la civilisation
belge est une marâtre.» 0 17l
S'ils ont pu survivre au sein d'un tel état pendant près de
cinquante années. c'est grâce à deux catégories d'hommes, les
instituteurs et les curés de villages, au secours desquels il faut
maintenant se porter avant qu'il ne soit trop tard. Avec beau-
coup de vaillance, ceux-ci ont déployé des trésors d'abnégation.

0, 51 Deutsch-Belgien .... 1899. op. cit.. p. 3.


' 11 61
Notre Troisième Langue Nationale, in Le Patriote, jeudi 2 et vendredi 3 jan -
vier 1896. n° 2 et 3. p. 1.
0 111 Idem.

113
d'intelligence et de patience, parlant au peuple dans sa langue.
la seule qu'il comprenne. Le catholicisme est le seul lien des pay-
sans avec le monde extérieur et le seul défenseur de leur langue
maternelle. le seul véhicule de civilisation et le seul instrument
de formation morale et intellectuelle du peuple des campagnes.
«Que deviendrait le peuple si l'Eglise catholique n'était pas là,
qui. du haut de toutes ses chaires. lui fait encore entendre les
accents familiers de sa langue. et qui lui rappelle ses vérités éter-
nelles sans lesquelles il ny a pour l'homme ni salut dans l'autre
monde ni existence digne de lui dans celui-ci ?
«Prêtres et instituteurs, ouvriers d'une grande œuvre sacrée,
vous avez été pendant un demi-siècle les bons génies du peuple
allemand de Belgique : sans vous. il serait plongé aujourd'hui
dans la nuit totale.» oisJ
La conservation de la langue allemande irrémédiablement liée
à celle du catholicisme assure aussitôt au mouvement une con-
notation religieuse très forte. Celle-ci se retrouve dans les statuts
du mouvement qui assignent aux membres de la société. la con-
servation «de la langue, de la foi et des mœurs de nos ancêtres».
Avec un tel article, le Verein est à l'abri de toute participation
libérale arlonaise. Par contre. les personnages marquants de la
magistrature. du barreau, de l'enseignement. appartenant au parti
catholique, s'y donnent rendez-vous.
A l'aube du xxesiècle. l'Eglise a besoin du soutien de nouvel-
les forces éducatives. Il est grand temps d'intervenir car «la
wallonisation et la francisation anti-patriotiques, visant à la perte
de la moralité du peuple» 01 9l gagnent chaque jour du terrain.
L'influence des publications françaises peu recommandables au
point de vue moral. grandit sans cesse à Arlon. Pour protéger la
population au point de vue moral. religieux et même politique. il
faut défendre la langue maternelle. Dans une lettre écrite à son
ami Fernand Neuray. Godefroid Kurth ne cache pas qu'à Arlon.
le Deutscher Verein est aussi une machine politique : «Si le Verein
prend un peu, il sera une citadelle catholique pour ]'arrondisse-
ment d'Arlon et il défiera libéraux et socialistes.» '120l
Dans la presse nationale. Kurth organise une vaste campagne

Notre Troisième Langue Nationale. op. cit


111 sl
Deutsch-Belgien. 1899. op. cit. p. 4.
111 9)
ozo) Lettre de Godefroid Kurth à Fernand Neuray. Liège. le 17 mai 1897. Papiers
Fernand Neuray (AG.R Bruxelles).
114
pour présenter son mouvement. U se garde bien de dévoiler ses
objectifs politiques, mettant l'accent sur le combat culturel à
mener. Pour lui, la meilleure façon d'aider les Belges germano-
phones est de leur donner une base littéraire. U faut fournir une
nourriture intellectuelle au peuple des campagnes. La presse, la
tribune, le livre. tout doit concourir au même grand but civilisa-
teur et défendre la langue allemande. Jusqu'à présent. ces forces
ont fait cruellement défaut. L'action de courageuses petites feuilles
de langue allemande telles l'Arloner Zeitunget le Fliegende Taube
à Aubel. est hautement bienfaisante au point de vue moral et
religieux mais très insuffisante. U faut organiser des conférences
publiques, des bibliothèques, mais surtout écrire en allemand
des brochures, des livres. des journaux. etc. Une solide assise
formée par une littérature belge de langue allemande est indis-
pensable 021 l.
Cette attitude propre à tout mouvement linguistique peut être
considérée comme la première phase d'un combat en faveur de
la langue allemande dans le Luxembourg et plus généralement
en Belgique. Afin de pouvoir entamer avec quelques chances de
succès la seconde étape. celle des revendications vis-à-vis du
pouvoir central, il faut prouver qu'une minorité germanophone
existe bien et qu'elle est capable de produire autre chose qu'un
ensemble d'idiomes dont l'Etat central ne peut décemment pas
tenir compte. En matière de revendications et d'actions, l'efface-
ment du patois derrière la langue allemande est inévitable. Le
dialecte luxembourgeois ne s'écrit pas et il est impensable d'en
demander l'enseignement ou d'exiger des fonctionnaires sa con-
naissance. Par contre l'allemand, assez proche, est une grande
langue de culture et d'érudition, rayonnante par ses développe-
ments en philologie et en philosophie. U est possible de s'y rap-
porter et de demander l'application d'une véritable politique lui
conférant la place de troisième langue nationale en Belgique.
C'est pourquoi Godefroid Kurth parle tantôt de la langue mater-
nelle, qui n'est pas l'allemand mais le dialecte luxembourgeois,
et tantôt de l'allemand qui constitue en réalité une seconde lan-
gue pour les patoisants, évidemment plus facile à acquérir que le
français et dont il est possible de se servir comme un bouclier
pour protéger l'idiome germanique d'Arlon.
Le Verein est une société de défense et d'entretien de la lan-
gue maternelle qui utilise par la force des choses l'allemand pour

121
( l Notre Troisième Langue Nationale. op. cit

115
tout ce qu'elle publie et qui revendique des mesures en faveur
de l'allemand car c'est le seul moyen de protéger le luxembour-
geois qui n'est pas une langue et pour lequel il serait suicidaire
de demander quoi que ce soit au Palais de la Nation. Les deux
sont désormais associés, le sort de l'un dépendant des progrès
de l'autre.
A l'extérieur de la région germanophone. dans les relations
avec les dirigeants francophones et flamands, on entretient vo-
lontairement une certaine confusion entre l'allemand et le luxem-
bourgeois par nécessité et par facilité. On réclame par exemple
des fonctionnaires capables de s'exprimer en langue allemande
et capables de comprendre leurs administrés, ajoute-t-on sans
trop préciser. A Bruxelles. on en déduit tout naturellement que
les administrés parlent l'allemand, ce qui n'est pas exact.
Si officiellement l'activité littéraire et culturelle de la société
est destinée aux masses paysannes. il est clair que dans la réa-
lité, elle ne peut s'adresser qu'aux élites catholiques allemandes
du Luxembourg. le clergé en tête. Elle permet également de for-
tifier la position de l'ensemble des germanophones vis-à-vis de
Bruxelles en donnant plus de poids à leurs revendications.
Dans la mesure où une grande partie des masses populaires
n'est pas instruite et ne comprend déjà pas la signification du
sermon ou des prières dites en allemand à la messe. elle est
obligatoirement hors de portée de la production littéraire du
Deutscher Verein. même si la vocation de celle-ci est de les pro-
téger.
Durant ses deux premières années d'existence. le cercle ne
connaît pas d'intenses activités (m l. L'assemblée générale du 29
septembre 1894 décide d'ouvrir une bibliothèque allemande à
Messancy et de la doter de cent volumes. Godefroid Kurth pro-
pose également d'organiser des cycles de conférences. Comme
l'argent manque. le comité se met en quête de bénévoles. L'as-
semblée examine encore une éventuelle aide à apporter à
l'Arloner Zeitung qui connaît une situation financière difficile. Il
est convenu à l'unanimité de lui chercher de nouveaux abonnés
et de lui faire de la propagande. Mais le cercle ne peut se per-
mettre d'aller plus loin.

' l Les
122
rapports d'activités du cercle sont publiés par la revue Deutsch-Belgien
en 1899 et en 1900. puis par le Jahrbuch des Deutschen Verein. de 1901 à
1914.
116
Fin de l'année 1895. la société déploie une activité beaucoup
plus nourrie et offensive. Aucune conférence n'a encore eu lieu,
aucune publication n'est sortie de presse. aucune bibliothèque
n'a été installée à Arlon. Tout change. Le 30 septembre 1895. le
comité de la section d'Arlon prend la décision de créer une bi-
bliothèque dans «la capitale de la Belgique allemande» 0 23i. n se
prononce également en faveur de la publication d'annales sous
la direction de Kurth. Une assemblée extraordinaire et publique
du Deutscher Verein avec sa première conférence. a lieu le 26
décembre. A en croire les comptes rendus dans la presse au len-
demain de cette première grande séance. elle se déroule devant
«un public nombreux et choisi» '124' . Le secrétaire de la société. le
juge de paix Jungers. retrace dans quelles conditions le Verein
est né avant d'exposer le but de ses fondateurs : rassembler tous
les amis de l'idiome national et développer chez eux le goût et
l'usage de la parole allemande. orale et écrite. Ensuite. un très
jeune et distingué professeur. enseignant la philologie germani-
que à l'université de Liège. lui-même originaire de Montzen. dans
la partie allemande de la province de Liège. apporte un témoi-
gnage de sympathie aux frères luxembourgeois et fait un brillant
exposé sur la place occupée en Belgique par les dialectes alle-
mands. il s'agit vraisemblablement d'Henri Bischoff. Quelques
jours plus tard. Le Patriote titre en première page : «Notre troi-
sième langue nationale». Le quotidien apprécie :
«Pour la première fois, depuis un temps immémorial, la lan-
gue allemande a retenti de nouveau à Arlon, dans une réunion
littéraire. Et la séance a pleinement réussi.» 0 25 J
Grâce au prestige et à la publicité apportés à cet événement.
le cercle enregistre de nouvelles adhésions qui portent le nom-
bre de ses membres à une soixantaine. Parmi eux, plusieurs per-
sonnalités dont le ministre et sénateur provincial Alphon se
Nothomb. frère de Jean-Baptiste, qui est nommé président d'hon-
neur du Verein: le comte de Llmburg-Stirum, député d'Arlon et
questeur de la Chambre. nommé membre d'honneur.
Pendant les dernières années du siècle, les activités se multi-
plient A partir de 1899. la revue annuelle «Deutsch-Belgien, Organ
des Deutschen Vereins» sort de presse. On y lit les comptes ren-
dus des assemblées. des conférences. la liste des membres. les

11231Notre Troisième Langue Nationale. op. cit


11241Idem.
0251 Idem.

117
rapports d 'activités. des articles historiques. folkloriques.
philologiques. rédigés sous la plume de Kurth. Jungers. Bischoff.
Bertrang. Warker... A partir de 1901. la publication prend le titre
de «jahrbuch des Deutschen Vereins». Le numéro de 1903 con-
tient une histoire assez drôle mais reflétant bien le type de pro-
blèmes auxquels on peut être confronté à Arlon 0 26l.
Une carte postale destinée à l'imprimeur Willems. installé de-
puis 1879 sur la Grand-Place d'Arlon. est postée à Arlon avec
l'adresse suivante : «An Herr A Willems. Drucker, Wohlgeb, Hier.»
«Hien> signifie en allemand «ici» et équivaut dans la suscription
d'une lettre. à la formule française «en ville». Et la ville en ques-
tion est Arlon, la capitale de la Belgique allemande comme se
plaisent à le répéter les dirigeants du Deutscher Verein.
Qu'arrive-t-il à cette carte postale? Après un voyage circulaire
en pays flamand. elle prend enfin le chemin de Hyères (Hier !) en
France, et c'est là qu'un employé plus doué en langues que le
postier wallon d'Arlon la renvoie à son lieu d'origine avec la note:
«Voir à Arlon même».
Une supplique adressée au ministère de l'Intérieur et de l'ins-
truction publique permet d'obtenir un subside destiné à finan-
cer la revue du Deutscher Verein. Grâce à cette aide gouverne-
mentale. la situation du cercle s'améliore et il promet de soute-
nir moralement et matériellement les oeuvres d'auteurs belges
en langue allemande. L'effort porte surtout dans le domaine des
manuels utilisés par les écoliers de l'enseignement primaire.
F. Perbal. instituteur en chef à Messancy. publie en 1896 Der
Deutsche Sprachschüler. en 1898. Der Ackerbau in den
Primarschulen. L'inspecteur de l'enseignement Emering publie
en 1906 Geographie für die untere et mittlere Abteilung der
Primarschulen. De son côté, Warker poursuit l'édition de ses con-
tes et de ses pièces de théâtre. En 1909. il écrit De Baltes vum
Bichenhaf. Volkssteck a véier Akten.
A la fin du siècle. les conférences et les pièces de théâtre po-
pulaires prennent également de l'ampleur sous l'égide du Verein.
La compagnie d'art dramatique de Toernich anime des soirées;
le professeur Duqué raconte la guerre des paysans; le doyen
Knepper évoque la présence des Capucins à Arlon; le curé Goedert
conte son pèlerinage à Jérusalem; Bischoff analyse les chansons
populaires allemandes; Perbal explique le système des pensions

l 126l Jahrbuch des Deutschen Vereins. 1903. p. 10.


118
de vieillesse: etc. Cette multiplication d'activités traduit une vo-
lonté de toucher la population patoisante restée assez indiffé-
rente jusque-là (127 l en lui faisant prendre conscience de l'oppres-
sion sans cesse croissante dont elle est victime et des menaces
qui pèsent sur sa langue maternelle.
Grâce à une seconde intervention du Gouvernement. le Verein
reçoit de nouveaux subsides pour assurer le bon fonctionnement
des bibliothèques. Les parlementaires catholiques interviennent
auprès des ministres du même bord chaque fois que la situation
financière de la société l'exige. Le nombre de livres déposés dans
les bibliothèques est augmenté. Arlon passe à 200 volumes con-
tre 400 à Messancy. Dans cette localité, la situation est jugée très
inquiétante au niveau des lectures. Les « écrits immoraux fran-
çais» et la «propagande du vulgaire roman à deux sous» se ré-
pandent rapidement Afin d'enrayer ce mouvement. on s'attache
tout spécialement à renforcer l'action et le dynamisme de cette
bibliothèque.
En 1900, Godefroid Kurth devient le président d'honneur du
Deutscher Verein. npasse le flambeau à d'autres comme le juge
Jungers et le docteur Eischen mais demeure le véritable inspira-
teur du mouvement Les chevilles ouvrières de l'association sont
les germanistes Nicolas Warker et Alfred Bertrang. tous deux pro-
fesseurs à l'athénée royal d'Arlon. ainsi que l'archiviste Henri
Michaëlis. neveu de Godefroid Kurth. Le principal soutien exté-
rieur du mouvement est l'évêque de Namur, Mgr Heylen. qui crée
un cours d'allemand au Grand séminaire et vient prêcher en al-
lemand aux Arlonais.

(t
27
l Deutsch-Belgien. 1899. op. cit. pp. 15-16.
119
Godefroid KURTH {1847-1916}

Godefroid Kurth est né dans une maison de la Grand-


Rue d'Arlon, à l'ombre de l'église Saint-Martin, le 11 mai
1847. Ancien militaire originaire de Cologne, son père
exerçait la fonction de commissaire de police dans le
nouveau chef-lieu de la province de Luxembourg. nmeurt
en 1850 et sa femme, Jeanne Erpelding, s'installe rue de
Mersch (aujourd'hui : rue Godefroid Kurth}. où la culture
d'un potager, l'élevage d'une vache et la location de deux
pièces à un pensionnaire, permettent à la famille de join-
dre les deux bouts.
L'allemand est la langue maternelle de Godefroid Kurth.
C'est seulement à l'age de 8 ans qu'il commence à ap-
prendre le français à l'école primaire de la ville haute.
Fils de bourgeois et d'ouvriers, Arlonais de souche, Wal-
lons et Allemands y sont mélangés. « Kurth est un Alle-
mand instruit et élevé en français ». écrit son ami Fernand
Neuray.
L'enfant est doué. A 11 ans, il entre à l'athénée et en-
tame un brillant parcours. Dans toutes les branches, ses
succès scolaires sont impressionnants. En 3e gréco-la-
tine, le collégien signe un poème intitulé «Paul et Virgi-
nie», qui est couronné par la classe des Beaux-Arts de
l'Académie de Belgique. Deux ans plus tard, au concours
général entre les athénées du royaume, Godefroid Kurth
obtient. chose remarquable, trois premiers prix (compo-
sition française, histoire, latin}. Au total des points, il
apparaît comme le meilleur étudiant de Belgique et la
population arlonaise est à la gare, le 27 septembre 1865,
pour l'acclamer à son retour de la capitale où le roi Léo-
pold 1er et le duc de Brabant ont présidé la cérémonie de
distribution des prix.

120
121
Kurth entre à l'Ecole Normale des Humanités, annexée à
l'université de Liège, et y fait des études de lettres. Son
cœur balance entre la poésie et l'histoire. C'est cette der-
nière qui l'emporte. il débute sa carrière professorale à
l'athénée de Liège. Le 7 juin 1872, il obtient le titre de
docteur spécial en sciences historiques à l'université de
Liège, après avoir défendu avec brio des thèses sur Ca-
ton l'Ancien et sur l'histoire politique des ducs de Bour-
gogne. A la rentrée académique, l'université de Liège lui
confie la chaire d'histoire du Moyen Age et d'histoire de
littérature moderne.
Dans l'enseignement universitaire, Godefroid Kurth va
faire œuvre de pionnier. Non seulement, il instaure des
cours novateurs comme l'épigraphie ou l'archéologie mais
il crée le premier séminaire de recherche historique tel
qu'il a pu le voir fonctionner en Allemagne. Toutes les
universités belges lui emboîtent le pas. Kurth a réussi à
donner une impulsion des plus bénéfiques pour la criti-
que historique et l'épanouissement d'une l'école histo-
rique belge.
En 1874, il épouse Eva Lavaux, fille d'un industriel de
Saint-Léger. La jeune femme apprend le latin et le grec
pour aider son mari dans ses travaux et l'accompagne
dans ses voyages et ses randonnées scientifiques.
Godefroid Kurth laisse une œuvre diversifiée. Parmi ses
principaux ouvrages : Les origines de la civilisation mo-
derne (1886), Histoire poétique des Mérovingiens (1893),
Clovis (1896), La frontière linguistique en Belgique et dans
le nord de la France (1895-97), L'Eglise aux tournants de
l'histoire (1900), Notger de Liège (1905). La cité de Liège
au Moyen Age (1910), La nationalité belge (1913).
Dès sa plus tendre enfance, Godefroid Kurth se signale
par son fervent catholicisme. il se considère comme un
enfant de l'Eglise, persuadé d'être né dans une maison
érigée sur l'emplacement de l'ancienne église médiévale

122
Sainte-Catherine qui s'élevait jadis dans la rue Basse d'Ar-
lon. A l'université, son cléricalisme marqué ne lui vaut
pas que des amitiés et plus d'un le juge inapte à ensei-
gner. En pleine guerre scolaire, il frôle la destitution lors-
qu'il prend nettement position, en 1879, contre le gou-
vernement libéral qui veut déchristianiser l'école en Bel-
gique. En 1893. en pleine explosion de la question so-
ciale, il se rallie publiquement à la démocratie chrétienne
par une lettre adressée à l'abbé Pottier, ce qui lui vaut
l'inimitié de la frange conservatrice du parti catholique.
L'historien qui n'hésite pas à haranguer des milliers
d'ouvriers chrétiens à Charleroi devient une personna-
lité de premier plan en Belgique. A la même époque, il
crée le Deutscher Verein afin de défendre et promouvoir
la langue allemande en Belgique.
En 1906, ce professeur à la réputation internationale
obtient l'éméritat et s'établit à Assche, aux portes de
Bruxelles. Le gouvernement le nomme directeur de l'Ins-
titut historique belge de Rome, un titre qui s'ajoute à
ceux de membre de l'Académie royale de Belgique, de la
Commission royale d'Histoire, ou encore docteur hono-
ris causa de l'université de Louvain.
Grand admirateur de l'Allemagne et de la culture germa-
nique, Kurth est suzpris par l'invasion allemande de 1914.
Les atrocités commises en territoire belge par les armées
du Kayser le perturbent au point de le briser. n s'éteint à
Assche, le 4 janvier 1916, après avoir signé un violent
réquisitoire qui paraît après-guerre : Le Guet-Apens prus-
sien en Belgique (1919). Le 25 septembre 1921, ses cen-
dres sont transférées au cimetière de Frassem (Arlon)
lors d'une imposante cérémonie présidée par le cardi-
nal Mercier.

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Les annales du Deutscher Verein publient la liste de ses membres. On y re-


trouve toute l'élite catholique de la région arlonaise. Mais le cercle linguistique
ne connaît pas un grand succès parmi les masses populaires.
124
Les principales revendications du
Deutscher Verein

Dans l'enseignement
Quand ils sont chez eux, les enfants du pays d'Arlon parlent
exclusivement le patois. Lorsqu'ils entrent à l'école primaire, li-
bre ou officielle, ils reçoivent un enseignement de base en fran-
çais. Kurth le déplore vivement mais ses justifications sont am-
biguës. D'une part, il affirme que la transition est tellement bru-
tale que les enfants ne comprennent rien ou presque à ce qui
leur est enseigné. D'autre part. il déclare que les écoliers sont
alors soumis à l'influence malsaine de brochures immorales que
des librairies parisiennes répandent à profusion dans le sud de
la Belgique. De cette dernière plainte, on peut déduire que les
jeunes Arlonais savent lire et comprennent le français. ce qui est
en contradiction avec son premier argument.
Dans les villages, les résultats sont encore plus désastreux, nous
dit Kurth. L'enseignement de base se donne d'abord en allemand
et en français durant les dernières années. Les quelques notions
d'allemand sont aussitôt oubliées et celles de français se rédui-
sent à très peu. Les enfants quittent l'école à 11 ans sans connaî-
tre aucune des deux langues. S'ils arrêtent là leurs études, ils re-
prennent chez eux l'utilisation exclusive du patois et tout est perdu.
Dans un cas comme dans l'autre, il est impossible de leur
enseigner les principes de la religion ou de la morale par la pa-
role ou les écrits allemands. De plus, les Belges de langue alle-
mande ne sortent pas de l'enseignement primaire avec les mê-
mes chances que les autres Belges. Kurth juge cette situation con-
traire à la constitution déclarant que tous les Belges sont égaux
devant la loi 0 2si. En conclusion, les Belges germanophones sont
condamnés à «passer leur vie entière à creuser des sillons, à faire
inconsciemment le geste auguste du semeur; par le fait même
de cette éducation défectueuse, tout horizon intellectuel leur est
fermé sans retour.» 0 29i
La solution préconisée par le Deutscher Verein est l'instaura-
tion de l'allemand comme langue véhiculaire officielle dans

02 sJ Deutsch-Belgien. 1899. op. cit, pp. 5. 6, 24, 25 , 96. 97.


029l René HENRY, Allemands de Belgique. Bruxelles. 1903. p. 11.
125
l'enseignement primaire des régions allemandes de Belgique.
Mais là, nouvelle contradiction puisque Kurth affirme également
ne pas combattre le français et vouloir le bilinguisme dans l'en-
seignement.
A l'administration communale d'Arlon, il n'est pas question
d'accepter l'élimination du français ou la prépondérance de l'al-
lemand. Paul Reuter. échevin de !'Instruction publique. ne nie
pas pour autant l'insuffisance relative de l'enseignement de la
langue allemande. En 1899. dans une lettre destinée à l'inspec-
teur des écoles de l'enseignement primaire, il l'explique de deux
manières.
La première raison est que les écoles reçoivent une propor-
tion considérable d'enfants d'origine wallonne (enfants de fonc-
tionnaires, d'employés et d'ouvriers des ateliers du chemin de
fer). Ces élèves n'ont en arrivant aucune notion d'allemand et
se trouvent néanmoins appelés à concourir avec des condisci-
ples ayant déjà suivi des cours d'allemand depuis plusieurs an-
nées. L'organisation des classes au niveau primaire ne permet-
tant pas une subdivision qui n'est d'ailleurs pas souhaitable, l'en-
semble des élèves est placé dans de mauvaises conditions pour
l'étude de l'allemand, la présence des Wallons compliquant sé-
rieusement l'exécution du programme.
La seconde raison est l'éloignement du patois par rapport à la
langue allemande. Sur ce point les propos de Reuter sont exces-
sifs :
«On aurait tort de croire que la connaissance et la pratique du
patois allemand, qui est lïdiome local, constituent une facilité
pour l'étude de la langue allemande. Le contraire paraît démon-
tré. En effet, notre patois n'admet ni les déclinaisons, ni la grande
majorité des tenninaisons de l'allemand littéraire : aussi, la plu-
part des élèves originaires d'Arlon ont-ils grand mal à s'assimiler
les règles premières de la déclinaison et de la conjugaison alle-
mandes. C'est dans ce double ordre d'idées qu'il faut voir, mon-
sieur l'inspecteur, la raison des critiques dirigées contre l'ensei-
gnement de l'allemand dans nos écoles. Je n'ai pas besoin d'ajou-
ter que nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour remédier
à cette cause d'infériorité.» 0 3o)

( 13ol Lettre de Paul Reuter. échevin de !'Instruction publique d'Arlon, à l'inspec-


teur principal de l'enseignement primaire Domaine. Arlon, le 16 août 1899.
Papiers Paul Reuter (A.E.A.).
126
De toute façon. l'instauration de l'allemand comme langue
véhiculaire dans l'enseignement primaire se heurte à un obsta-
cle de taille: le manque d'instituteurs capables d'enseigner con-
venablement l'allemand. En effet il n'existe pas de sections alle-
mandes dans les écoles normales de la province de Luxembourg.
Et on voit les élèves instituteurs revenir de l'école normale en
ayant perdu leurs notions d'allemand et la pratique de leur lan-
gue maternelle. Dans sa brochure intitulée «Allemands de Belgi-
que», René Henry dénonce le fait :
«ll y a quelques semaines à Habergy, commune allemande,
cinq candidats se disputaient la place d'instituteur. Les concur-
rents obtinrent de trois à cinq points sur vingt pour la langue
allemande ! A Arlon, ville essentiellement allemande, on a adopté
le français comme langue véhiculaire dans l'enseignement élé-
mentaire et plusieurs classes sont dirigées par des maîtres ne
connaissant que le français. Comment peuvent-ils s'entretenir
avec les élèves qui comprennent seulement le patois allemand ?
L'administration communale a soin d'ailleurs de fermer impi-
toyablement ses écoles aux jeunes instituteurs allemands sor-
tant d'une école normale agréée.» 0 3i i
Grâce aux parlementaires catholiques du Luxembourg. le Deuts-
cher Verein intervient auprès des Chambres et du Gouvernement
afin de modifier la situation dans l'enseignement En 1897. le doc-
teur Winand Heynen, quoique député du Luxembourg wallon. in-
tervient auprès de Schollaert. ministre catholique de l'instruction
publique, afin d'obtenir que l'allemand devienne la langue de base
dans les écoles de l'enseignement primaire des régions germano-
phones. Cela lui est promis mais le manque d'enseignants capa-
bles de donner cours en allemand ne permet pas la réalisation de
ce projet o32i. Des demandes régulières afin que les écoles norma-
les d'Arlon et de Verviers créent des sections allemandes pour la
formation des instituteurs et des institutrices se destinant à ensei-
gner en pays allemand. n'ont pas plus d'écho (ml.
Le Deutscher Verein tente alors d'organiser lui-même des cours
d'allemand gratuits pour les instituteurs et met sur pied une for-
mation le samedi après-midi à Arlon et à Messancy. Mais ce

(
131
HENRY. Allemands de Belgique. op. cit, p. 11.
l Ren é
o,zl Deutsch-Belgien, 1899. op. cit, p. 24.
Onl Godefroid KURTH. Ce que demandent les Allemands. in Le Vingtièm e Siè-
cle, lundi 27 août I 906, n ° 239. p. 1.
Deutsch-Belgien. I 900. op. cit. p. I 2.
127
projet avorte car. le 19 septembre 1900. le ministre fait savoir
qu'il était pleinement d'accord mais que trop d'enseignants ne le
sont pas et que la plupart des communes concernées ont refusé
de leur donner congé le samedi après-midi 0 34i. Cette tentative
résulte pourtant d'une pétition signée par 55 enseignants. S'agis-
sait-il des enseignants déjà membres du Verein? Les véritables
intéressés ont-il manqué d'intérêt pour l'offre qui leur était faite ou
les a-t-on découragés de suivre cette formation supplémentaire?
Le Deutscher Verein revendique encore l'organisation à
l'athénée royal d'Arlon d'un régime allemand similaire au régime
flamand dans les régions flamandes. n propose notamment de
consacrer suffisamment d'heures à l'étude de l'allemand dans
les classes du degré inférieur pour pouvoir faire de l'allemand la
première langue durant les trois dernières années du cycle supé-
rieur. Cela pourrait facilement se faire aux dépens du grec o35 l
mais aucune suite n'est réservée à cette proposition.
Chaque fois qu'une décision doit être prise au niveau natio-
nal en matière d'enseignement. le Deutscher Verein se mani-
feste sans grand succès tant auprès du ministre qu'auprès des
Chambres. Choisi parmi d'autres. l'exemple qui suit date du 11
mars 1910:
«Messieurs.
«A l'occasion de la discussion prochaine du projet de loi sur
l'emploi du flamand dans l'enseignement moyen. nous venons
vous prier, au nom du «Deutscher Verein» de bien vouloir rendre
justice aux Belges de langue allemande en votant. quelle que
soit la solution qui intervienne. un article additionnel ainsi conçu :
«Les prescriptions de la présente loi sont également applica-
bles à la langue allemande dans la partie allemande du pays.
arrondissements d'Arlon. de Bastogne et de Verviers.»
«Confiant dans votre esprit de justice. nous vous prions, Mes-
sieurs. d'agréer l'hommage de nos sentiments respectueux.
«Au nom du Deutscher Verein :
«Le secrétaire: N Warker- Le 1er vice-président: N Lecler.» '136l

0 341 jahrbuch des Deutsch en Vereins. Are!. 1902. pp. 8-9: 1903. p. 9.
(iisi Deutsch-Belgien. 1899. op. cit. pp. 13 et 25.

OJôJ jahrbuch des Deutschen Vereins. Are!. 1902. pp. 17-18.

128
Donnez-nous des fonctionnaires de langue
allemande!
Le problème le plus épineux et le plus important pour le Deuts-
cher Verein concerne la nomination des fonctionnaires. C'est lui
qui fait l'objet du plus grand nombre d'interventions et peut-être
du plus de résultats quoique impossibles à mesurer.
Le Deutscher Verein demande que «l'on con.ie les fonctions
exigeant des relations fréquentes avec le public à des personnes
capables de s'exprimer en langue allemande» car la grande ma-
jorité de la population connaît l'allemand seul. les autres ayant
une connaissance très imparfaite du français. Une démarche
auprès du ministre des Chemins de Fer. des Postes et Télégra-
phes porte ses fruits. Jules Vandenpeereboom promet formelle-
ment de ne nommer aux postes supposant des rapports entre
les agents et le public en pays allemand que des candidats par-
lant la langue du pays. Cependant l'administration est réduite à
donner la préférence aux candidats allemands pour autant qu'il
s'en présente. Mais après le départ de Vandenpeereboom. en
1899. cette mesure qui touche essentiellement les guichetiers et
les gardes-convois. est abandonnée. ce qui vaut une lettre du
Deutscher Verein au nouveau ministre Julien Llebaert. le 12 sep-
tembre 1900. avec une revendication supplémentaire :
«De plus, dans bon nombre de gares, de postes et le long des
lignes de chemin de fer dans notre partie allemande, les avis
concernant le public qui souvent ne connaît que sa langue ma-
ternelle, ne sont qu'en français et en flamand. ou en français
seulement. Pour que ces avis aient leur entière utilité, il faudrait
qu'ils fussent rédigés en langue allemande.» 0 37 )
Les choses n'évoluant guère à Bruxelles. le Deutscher Verein
envoie une nouvelle pétition aux Chambres le 31 octobre 1902.
Il y est demandé au ministre des Chemins de Fer de reprendre la
tradition de son prédécesseur et aux ministres de la Justice et de
la Guerre d'agir de la même manière envers leurs fonctionnaires.
Le 17 décembre. le rapporteur Colis déclare à ses collègues dé-
putés:
«Les pétitionnaires afBrment que le nombre des fonctionnai-
res ignorant complètement la langue de leur population

ti 371Jahrbuch des Deutschen Vereins, Are!. 1902. p. 11.


129
augmente constamment et les renseignements que nous avons
pris auprès de personnes dignes de foi confirment leurs affinna-
tions.
«Cet état de choses est extrêmement dangereux, particulière-
ment en ce qui conceme les magistrats et les gendarmes. L'hon-
neur ou la liberté d'un citoyen peuvent dépendre de l'interpréta-
tion d'un mot ou de la rédaction d'un procès-verbal, et les er-
reurs d'appréciation, les interprétations erronées sont faciles en-
tre des personnes qui ne comprennent pas la langue de leur
interlocuteur.» ( us)
Le comte de Limburg-Stirum appuie de tout son poids les
pétitionnaires et conclut lors de la séance de la Chambre du 6
février 190 3 :
«Je le répète, tous nous avons été unanimes ou presque à
rendre aux populations flamandes la justice qui leur était due.
Dans ces conditions, j'espère que, dans la limite où une moindre
importance de la population peut-être l'exige, que vous serez
aussi unanimes à rendre justice aux populations allemandes de
Belgique et à appuyer la pétition auprès de MM les ministres
auxquels elle est renvoyée.» 0 39)
Dans le courant de l'année 1903. les inscriptions sur les quais
des gares du pays d'Arlon sont indiquées dans les deux langues
et un certain nombre de candidats douaniers et gendarmes ori-
ginaires de la région sont nommés à ces fonctions. Malgré ses
succès, l'association allemande doit constamment maintenir la
pression sur les pouvoirs publics afin que l'administration conti-
nue une politique allant dans le même sens. Rien n'est acquis et
rien ne se fait automatiquement Les résultats s'obtiennent à coup
de pétitions, de protestations et de campagnes dans la presse.
Citons encore un extrait de lettre du Deutscher Verein au minis-
tre de la Guerre le 28 novembre 1911 :
«Les usines d'Athus et de Rodange ont été considérablement
agrandies cette année-ci. ll y a, de ce chef un accroissement d'un
millier d'ouvriers qui s'établissent tous à Athus, même ceux de
Rodange, parce que la vie est moins chère en Belgique que dans
le Grand-Duché. Or cette population ouvrière est en majeure
partie composée de gens venant du fond de l'Allemagne qui ne

o33l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 17 décem-


bre 1902. p. 268.
o39l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 6 février
1903, p. 437.
130
comprennent pas un mot de français. Comme ce ne sont pas
toujours des sujets de choix, il arrive presque journellement des
rixes et des batailles dans lesquelles la gendarmerie doit interve-
nir.
«La brigade d'Ath us est composée de six hommes, dont deux
Allemands et quatre Wallons, Dorénavant c'est insufB.sant pour
la langue allemande. Pour que le service soit bien fait il faudrait
surtout que le commandant connût parfaitement le français et
l'allemand pour prendre connaissance des faits et pour la rédac-
tion des procès-verbaux,» 0 4oi
Godefroid Kurth préconise encore le déplacement vers les ré-
gions germanophones de tous les fonctionnaires allemands ori-
ginaires du pays que l'Etat a envoyés loin en Wallonie ou en
Flandre en raison de leurs aptitudes linguistiques.

La traduction des actes officiels


Un autre cheval de bataille du Deutscher Verein est la traduc-
tion des actes officiels en langue allemande. En effet. l'article 2
de la loi du 19 septembre 1831 prévoit que les lois sont insérées
au Bulletin Officiel aussitôt après leur promulgation. avec une
traduction flamande ou allemande pour les communes où l'on
parle ces langues. Cette disposition légale n'a jamais été abrogée
et pourtant elle n'est plus appliquée depuis 1840. c'est-à-dire
depuis la cession effective du Grand-Duché de Luxembourg au
Roi des Pays-Bas. Apparemment on s'est persuadé à cette épo-
que qu'il n'existe plus de régions allemandes en Belgique.
Godefroid Kurth demande que cet article tombé en désuétude
soit à nouveau appliqué.
En 1896. le comte de Limburg-Stirum. Alphonse Nothomb.
Camille Ozeray et Georges Lorand. tous quatre députés. deman-
dent à la Chambre que l'allemand soit désormais mis sur pied
d'égalité, au point de vue administratif. avec le flamand. afin
d'avoir à l'avenir une version allemande officielle de chaque texte
de loi. A ce moment. on discute les projets de loi relatifs à l'em-
ploi de la langue flamande dans les publications officielles.
Lorand. député libéral de l'arrondissement de Virton. dépose un
amendement en faveur de l'allemand et c'est bien la seule fois que
des libéraux apportent de l'eau au moulin des Luxembourgeois

04ol Jahrbuch des Deutschen Vereins. Are!. 1912. pp. 17-18.


131
allemands et du comte de Limburg-Stirum. Le rapporteur de la
commission, Van Cauwenbergh. propose un travail législatif to-
talement bilingue. La discussion sur les articles du projet ou de
la proposition de loi s'ouvrirait tant sur le texte français que sur
le texte flamand. L'un des secrétaires donnerait lecture du texte
français et un autre secrétaire lirait le texte flamand. etc. En fait il
n'y aurait pas deux lois, une française et une flamande, mais une
seule loi. qui serait bilingue. Van Cauwenbergh. député catholi-
que flamand. ne veut pas de l'allemand qui complique une si-
tuation suffisamment délicate :
«Je voudrais bien me rallier à l'amendement de M Lorand,
mais je crains qu'il ait pour effet de rendre la procédure non pas
difficile, mais tout simplement impossible, parce qu'il ny pas un
assez grand nombre de membres de la Chambre qui compren-
nent la langue allemande...
«Les habitants parlant allemand dans notre pays se trouvent
dans un seul arrondissement qui est représenté ici par un seul
député. Maintenant. pour faire rédiger les rapports en allemand.
pour faire la lecture des textes en allemand, il n y a pas assez de
membres de la Chambre des Représentants qui soient en état
de le faire. Le travail législatif. sous ce rapport, se trouverait donc
entravé, et il faudrait avoir recours à des traducteurs. Or, ce n'est
pas ce que nous voulons.» 0 4 ,i
L'amendement Lorand est rejeté par la Chambre. Lors d'autres
discussions. de Limburg-Stirum revient à la charge. rappelant
qu'une loi du 16 novembre 1830 prévoit que dans les parties du
pays où les langues flamande ou allemande sont utilisées. le
gouverneur de la province doit faire paraître dans le Mémorial
administratif une traduction flamande ou allemande des règle-
ments particuliers ou applicables seulement à ces parties du pays.
C'est peine perdue. Aucun résultat n'est obtenu dans ce domaine.

(
14 1
l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 19 novem-
bre 1896. p. 41.
132
La campagne de 1906 et les réponses des
partisans de la langue française
En 1906, Godefroid Kurth monte personnellement en première
ligne afin d'alerter l'opinion publique sur la situation faite aux
«60.000 Belges dont ]'allemand est la langue maternelle». Le se-
crétaire de la Commission d'Histoire se lance corps et âme dans
le combat et signe une série d'articles intitulés «Les Belges de
langue allemande», parus dans Le Vingtième Siècle. d'août à dé-
cembre de la même année o42l. La direction de l'équipe rédac-
tionnelle de ce grand quotidien catholique fondé en 1895. est
assurée depuis 1898 par Fernand Neuray. l'ancien rédacteur en
chef de L'A venir du Luxembourg et ami intime de Kurth. Parallè-
lement à cette campagne. Henri Bischoff redouble d'efforts et
fonde à Montzen un Schillerverein organisé selon un modèle
identique à celui d'Arlon.
La démonstration de Kurth fait avant tout appel à l'histoire en
reprenant les grandes lignes développées dans «La Frontière lin-
guistique en Belgique» o43 i. Kurth y rappelle que les souverains
des Belges, tant bourguignons qu'espagnols. ont toujours fait
preuve d'une largeur de vue remarquable en matière linguisti-
que, malgré une puérile légende qui les a transformés en persé-
cuteurs de la «moedertaal». Plus tard. sous Marie-Thérèse et Jo-
seph II. les Etats de Luxembourg ont eu recours aussi bien à la
langue française qu'à la langue allemande tandis que le Conseil
de Luxembourg jugeait en allemand les causes des villages de
langue allemande.
Par contre. le régime français passe très mal chez Kurth qui
parle carrément du «principe antinational de la domination ex-
clusive d 'une seule langue». Après une évocation très brève du
régime hollandais, des colonnes entières du journal narrent la
mise sur pied d'égalité du français. du flamand et de l'allemand
en 1830. Citant tous les décrets qui prévoient la publication en
allemand des textes officiels. des affiches, etc. dans les provinces
concernées. l'historien en arrive à la mutilation du Luxembourg

1142 l Le Vingtièm e Siècle. lundi 13 août 1906, n° 225. p. 1: lundi 20 août 1906 ,
n° 232. p. 1 : lundi 27 août 1906. n° 239. p. 1 : lundi 3 septembre 1906, n° 246,
p. 2 ; lundi 12 novembre 1906. n° 316, p. 2: lundi 3 décembre 1906. n° 337,
p. 2.
ll 43 l Godefroid KURTH, La Frontière Linguistique en Belgique et dans le Nord de
la France. Bruxelles. 1896.
133
Convocation des membres du Deutscher Verein à l'assemblée du 9 février 1905.
en la salle Orban.

134
en 1839 et à la loi du 28 février 1845 qui, par omission, frappe de
mort civile une des trois langues nationales 0 44l,
Le «scandale)) que s'efforce de dénoncer Godefroid Kurth à
travers sa campagne est l'absence à Arlon de fonctionnaires maî-
trisant la langue de la population. Pourtant les Belges de langue
allemande ont de par la constitution, les mêmes droits que leurs
compatriotes wallons et flamands. Ils paient leurs contributions,
craignent Dieu. respectent l'autorité, ne font guère d'émeutes et
fournissent nombre de bons serviteurs à l'Etat dans tous les do-
maines. Malgré cela. on les traite dans leur propre patrie comme
des Belges de seconde catégorie tandis que les Wallons bénéfi-
cient d'une nette supériorité grâce à l'universalité du français et
que les Flamands obtiennent graduellement grâce à des mesu-
res législatives, le libre usage de leur langue et l'égalité dans les
textes officiels avec le français.
Kurth explique que les Belges de langue allemande attendent
le jour de la justice et de la réparation mais que. pour l'instant ils
demeurent administrés et jugés par des fonctionnaires et des
magistrats qui ne savent pas leur langue. Tels peuvent se résu-
mer très brièvement les propos de l'historien au travers de cette
vaste offensive. Les généralités qu'ils développent sont illustrés
par des exemples concrets. L'un d'eux. largement inspiré de l'af-
faire Coecke et Goethals. revient fréquemment : un malheureux
patoisant ne comprenant pas un mot de la langue de Voltaire. a
été traduit en justice et condamné sans réaliser ce qui lui arrivait.
Kurth date ce scandale du tribunal d'Arlon. du 11 septembre 1903 :
«Pendant ma jeunesse, les journaux flamingants protestaient
avec indignation contre des scandales de ce genre, qui alors écla-
taient de temps à autre au pays flamand. Sont-ils moins révol-
tants parce qu'ils se produisent aujourd'hui dans la partie alle-
mande du pays. et les flamingants toléreront-ils qu'on réserve à
leurs compatriotes allemands un traitement contre lequel ils se
sont insurgés ?)) o45 l
A la suite de la parution de ces articles. une vive réaction se

0 44lLe Vingtième Siècle. 20 août 1896. op. cit


La loi du 28 février 1845 « prescrivant un nouveau mode de sanction et de
promulgation des lois et de publication des lois et arrêtés 11 déclarait dans
son article 5 : « Le Gouvernement fera imprimer dans un recueil spécial les
lois et arrêtés. avec une traduction flamande pour les communes où l'on
parle cette langue. "
(t J Le Vingtième Siècle. lundi 13 août 1906. n° 225. p. 1.
45

135
manifeste à Arlon dans les rangs francophones. C'en est vrai-
ment assez ! La coupe déborde et la mauvaise publicité natio-
nale faite par les catholiques au chef-lieu du Luxembourg ne fait
plus rire personne. Plusieurs périodiques belges - et plus seule-
ment d'obédience catholique - font écho à cette propagande
sans parler de L'Avenirdu Luxembourg qui reproduit systémati-
quement les textes de Kurth. A partir de la fin août 1906. on voit
paraître à Arlon. en réponse aux attaques du Vingtième Siècle.
des brochures anonymes défendant les intérêts francophones
de la région 0 46l.
Cette réaction porte d'abord sur le «soi-disant scandale du
tribunal d'Arlon». L'auteur a procédé à une petite enquête à ce
sujet Les résultats sont surprenants. Non seulement on ne trouve
pas trace de l'affaire mais en plus. l'audience du 11 septembre
1903. incriminée par Kurth. était présidée par le juge Jungers. un
magistrat originaire du Grand-Duché de Luxembourg et natura-
lisé belge. qui préside également aux destinées du Deutscher
Verein depuis 1901. Dès lors. c'est plutôt la légèreté. les inven-
tions et les contre-vérités du savant à la réputation internatio-
nale. qui constituent le scandale. Quant aux autres anecdotes du
jahrbuch des Deutschen Vereins. déjà négligeables auparavant.
leur authenticité est maintenant très sérieusement ébranlée. Ce
n'est pas la première aventure. peut-on lire. dans laquelle l'histo-
rien arlonais jette. sans réflexion suffisante et sans mesure. l'auto-
rité de son talent et l'abus de sa haute situation.
Le ou les auteurs anonymes se livrent ensuite à une profonde
réflexion remettant en cause le bien-fondé de toute l'action du
Deutscher Verein et des publications de Kurth ou de René Henry
au cours des dernières années.
«La question allemande que M Kurth essaye de susciter... n'est
en définitive qu'une pastiche dérisoire de la déplorable question
fi.amande, particulièrement dominée par des considérations
d'amour-propre et des intérêts secondaires.» 0 47 l

0 46lLes Belges de langue allemande. réponse à M. Godefroid Kurth, Arlon, 1906.


Les Belges de langue allemande. Deuxième réponse à M. Godefroid Kurth.
Virton. 1906.
C'est probablement par mégarde que l'imprimerie de !'Avenir du Luxem-
bourg (société coopérative La Presse Luxembourgeoise) accepte de réaliser
la première brochure anonyme contre Kurth. La seconde est évidemment
refusée et l'auteur doit s'orienter vers une imprimerie de Virton.
(i l Réponse à M. Godefroid Kurth. 1906. op. cit. p. 5.
47

136
La thèse développée dans ces brochures ne manque pas d'in-
térêt L'explication de toutes ces revendications «prétendument
linguistiques» serait en réalité une question de collation et de chasse
aux emplois. Par leur action. les catholiques allemands manœu-
vrent afin d'obtenir le monopole des places rémunérées par l'Etat
dans l'administration et la magistrature tant à Arlon qu'à Liège et à
Verviers. L'opération vise les Wallons. les francophones et à tra-
vers eux. la gauche anti-cléricale et surtout les libéraux. L'affaire
est politique. le prétexte est linguistique. Voilà une théorie qui re-
joint étonnamment l'allusion de Godefroid Kurth à son ami
Fernand Neuray neuf ans plus tôt : le Deutscher Verein sera une
citadelle catholique défiant libéraux et socialistes o4sJ.
Pour les opposants au cercle allemand. la tactique de Kurth et
de ses amis est claire. En exigeant des mesures législatives ex-
cluant des emplois publics les Belges ne parlant pas l'allemand.
toutes ces places sont réservées à des membres de l'élite catho-
lique regroupée au sein du Deutscher Verein. En effet tous les
Allemands quelque peu instruits connaissent le français en rai-
son de son universalité et de son importance dans l'Etat belge.
Par contre, tous les jeunes gens de langue française ou wallonne
ne connaissent pas l'allemand. C'est pourquoi Kurth revendique
que tous les gendarmes. gardes-convois. magistrats et employés
à la disposition du public sachent l'allemand.
Les francophones jugent cela inacceptable. Le tribunal d'un
arrondissement. au sein duquel les Wallons prédominent. doit
sans doute compter dans ses rangs des magistrats comprenant
et parlant l'allemand mais il n'est pas question d'exclure dans le
futur tous ceux qui ne le parlent pas. Kurth lui-même reconnaît
que sur sept juges de paix à Arlon, deux au moins sont d'origine
patoisante et pratiquent couramment l'allemand o49 J_ Partout des
gendarmes. des notaires. des greffiers. des douaniers. des em-
ployés d'administration. même s'ils ne sont pas les plus nom-
breux, connaissent la langue du peuple. nn'y a pas de véritables
plaintes ou de récriminations vraies de la population allemande
mais seulement de sombres manœuvres de l'élite catholique
s'inscrivant dans un contexte d'opposition politique et religieuse.
La conclusion de cette réflexion est que le Deutscher Verein.
à la tête duquel on trouve un Grand-Ducal naturalisé belge.

!148l Lettrede Godefroid Kurth à Fernand Neuray. Liège. le 17 mai 1897. Papiers
Fernand Neuray (AG.R Bruxelles).
!149l Le Vingtième Siècle. lundi 3 septembre 1906. n° 246. p. 2.

137
comprend une centaine de membres «triés sur le volet de la haute
bourgeoisie de langue allemande, apte aux emplois qu'elle ré-
clame pour elle seule» o5ol. n n'y a pas de mouvement allemand.
Après avoir exposé la position des francophones arlonais. il
nous faut revenir sur cette affaire du tribunal d'Arlon et la com-
menter car elle a. en réalité. bien eu lieu. C'est à la suite d'une
grave erreur que Godefroid Kurth a mentionné la date du 11 sep-
tembre 1903 à la place de celle du 19 septembre 1902. Manifes-
tement l'historien arlonais s· est référé au jahrbuch des Deutsch en
Vereins qui avait dénoncé en son temps le scandale en publiant
un extrait du quotidien L'Echo du Luxembourgrelatant l'audience.
L'affaire s'est déroulée en septembre 1902 mais le jahrbuch pa-
raissant une fois par an. n'a pu en faire état avant 1903 0 51l. De
surcroît. l'Echo a rapporté des faits du 19 septembre dans son
numéro du 21 du même mois. Mais à la suite d'une coquille
typographique. le jahrbuch s'est référé à l'Echo du 11 septembre
au lieu de celui du 21. il n'en a pas fallu moins à Kurth pour
transformer le 21 septembre 1902 en 11 septembre 1903. date
historique du mouvement allemand. Plein de sincérité sur ce
point. l'auteur de la brochure anonyme contestant Kurth. n'a pas
trouvé trace de cette affaire et l'a automatiquement attribuée à
l'imagination ou à la mauvaise foi de l'historien.
Voyons maintenant de quoi il retourne exactement. Dans
son édition du 21 septembre 1902. le quotidien libéral arlonais
L 'Echo du Luxembourg relate en ces termes l'audience du tri-
bunal correctionnel d'Arlon :
«A l'audience de ce jour, aucun des juges du siège, ni le subs-
titut du procureur du Roi, ne parlant la langue allemande - situa-
tion vraiment bizarre - il a dû être procédé à l'interrogatoire des
prévenus et des témoins assez nombreux. ne parlant pas le fran-
çais, par voie d'interprète.» 0 52i
Or. Godefroid Kurth. se référant à ce même article reproduit
fidèlement par le Jahrbuch. rapporte quatre années plus tard ceci :
«ll y a quelques années, à Arlon. on a eu ce spectacle scanda-
leux d'un individu allemand qui ne savait pas un mot de français
et qui fut jugé et condamné par des magistrats wallons sans rien
comprendre à ce qui se passait autour de lui.» 0 53i

(
150
l Réponse à M Godefroid Kurth. 1906. op. cit., pp. 11-12.
0 51 l Jahrbuch des Deutschen Vereins. 1903. p. 10.
o5zl L'Echo du Luxembourg. vendredi 21 septembre 1902. p. L
(
15
,l Le Vingtième Siècle. lundi 13 août 1906. p. L
138
Une brève critique de l'attitude de Godefroid Kurth s'impose.
n est indiscutable que l'historien arlonais passe volontairement
sous silence la présence d'interprètes lors de la séance du tribu-
nal. nne commence à en faire état que beaucoup plus tard lors-
que celle-ci est dénoncée dans la seconde brochure anonyme.
Naturellement. s'il avait dû y faire allusion dès le départ. cela
annulait en grande partie le caractère scandaleux du fait Mais
rapporter, uniquement parce que cela sert son intérêt. que le pré-
venu a été jugé et condamné sans rien comprendre à ce qui se
passait autour de lui, alors que l'on sait pertinemment qu'il a
bénéficié d'un traducteur, est une attitude incompatible avec la
démarche de l'historien à la recherche de la vérité.
Quand on suit le cheminement judiciaire de cette affaire. on
s'aperçoit encore que le prévenu est acquitté par le tribunal d'Ar-
lon et que ce sont les conseillers de la Cour d'Appel de Liège qui
réforment le jugement d'Arlon et condamnent le prévenu à trois
mois de prison. n n'est pas précisé si ces conseillers parlaient
l'allemand.
D'une manière générale, remarquons que le recours à un in-
terprète en matière judiciaire est une procédure régulière prévue
par le code pénal. Elle est d'ailleurs utilisée constamment dans
la vie judiciaire arlonaise durant tout le XIXe siècle et une bonne
partie du :xxesiècle. depuis que le tribunal siège à Arlon et cha-
que fois que le magistrat ne comprend pas la langue d'un pré-
venu ou d'un témoin. De telles situations se produisent encore
après la seconde guerre mondiale et le phénomène se caracté-
rise par sa permanence et sa périodicité. A partir de 1830, on
envoya à Arlon des magistrats wallons ignorant l'allemand qui,
progressivement. devinrent majoritaires. Et jusqu'en 1945. il y eut
des patoisants luxembourgeois ayant besoin de traducteurs de-
vant le tribunal.
En conclusion, on peut déplorer que des magistrats belges ne
connaissent pas la langue de leurs justiciables, que ces derniers
soient jugés dans une langue qu'ils ne comprennent pas et qu'il
faille recourir à des interprètes. Remarquons toutefois que si des
magistrats wallons avaient fait l'effort durant leurs études d'ap-
prendre la langue allemande, leur nomination à Arlon n'aurait
pas modifié fondamentalement la position des justiciables luxem-
bourgeois car l'allemand et le luxembourgeois sont deux lan-
gues différentes. la compréhension de l'une n'entraînant pas la
compréhension de l'autre. Les interprètes auxquels on recourt
devant le tribunal d'Arlon, ne traduisent pas de l'allemand en
139
français mais bien du luxembourgeois en français. Pratiquant l'al-
lemand, ces magistrats wallons auraient eu de grandes facilités
pour apprendre l'idiome local. mais à partir de ce moment on
peut considérer que des problèmes similaires existaient partout
en Belgique. notamment en Wallonie chaque fois que l'on ju-
geait en français un patoisant wallon. En fait. il n'était pas possi-
ble d'exiger des fonctionnaires de l'Etat la connaissance des dia-
lectes locaux. La seule solution était de faire appel à des magis-
trats allemands originaires de la région ou du Grand-Duché de
Luxembourg qui maîtrisaient le luxembourgeois.
Selon Kurth, en 1906. Arlon compte deux juges sur sept capa-
bles de parler le luxembourgeois. Les cinq autres recourent à des
interprètes quand la nécessité s'en fait sentir car la majorité des
gens concernés sont des francophones.
Précisons encore que l'utilisation d'interprètes lors d'un pro-
cès ne signifie pas que la justice soit mal rendue et qu'elle trompe
le prévenu. U n'y a pas eu d'affaire Coecke et Goethals à Arlon.
Le francophone désireux de rester dans l'anonymat ne mâ-
che pas ses mots à propos de la tentative de Kurth d'exploiter
l'affaire du tribunal d'Arlon. U parle de «scandale inventé de tou-
tes pièces. à J'aide de données mal interprétées. non sufB.sam-
ment contrôlées, et avec la hâte maladroite de gens heureux de
trouver l'occasion d'un mauvais coup à faire ... ». «d'étranges tripa-
touillages n'ayant que des rapports très éloignés avec l'histoire
impartiale, la discussion sérieuse, la bonne foi et même la plus
vulgaire honnêteté.» 0 54 i
Outre cette polémique. son argumentation et la seconde en-
quête qu'il mène à propos de cette affaire révèlent certains dé-
tails intéressants. Nous n'avons pas pu vérifier ceux-ci. Us doi-
vent être considérés avec prudence.
D'après lui. l'audience correctionnelle du 19 septembre 1902,
présidée par un magistrat wallon assisté de deux assesseurs wal-
lons, traita onze affaires. Huit d'entre elles concernaient unique-
ment des prévenus et des témoins wallons. Dans deux autres
affaires. les prévenus ne se présentèrent pas et furent jugés par
défaut. Le dernier était le prévenu allemand mais qui. contraire-
ment à ce que l'Echo annonça. parlait le français. S'il fallut recou-
rir à un interprète. ce fut uniquement pour deux ou trois témoins.
Une faut pas généraliser hâtivement cette singulière statistique

(t
54
1 Deuxième réponse à M Godefroid Kurth. 1906. op. cit, p. 6.
140
dans les proportions où elle nous est présentée mais il est sûr
qu'au début du xxe siècle, le volume d'affaires relatives à des
Luxembourgeois comprenant le français est de loin supérieur à
celui concernant des Luxembourgeois ne parlant que le patois.
L'auteur anonyme ajoute encore:
«Depuis un an ou deux, les audiences du tribunal correction-
nel d'Arlon sont le plus souvent présidées par un magistrat wal-
lon, qui ne doit d'ailleurs cet honneur qu'à son rang ll ne se
présente pas que des Allemands, bien entendu, à ces audiences,
puisque les Wallons forment la majorité de la population de l'ar-
rondissement: mais il y a toujours un interprète pour les cas
spéciaux et rares qui pourraient donner lieu au fameux «scan-
dale» si singulièrement découvert par M Kurth. Et qu'arrive-t-il?
C'est que ces Allemands qui dénient pouvoir s'exprimer en fran-
çais, tout à coup se mettent le plus naturellement du monde à
parler dans cette langue, à interrompre leur interprète et à recti-
Ber, en français, la traduction quelque peu fautive de celui-ci. Ce
cas n'est pas unique, mais il est fréquent» 0 55J
Poursuivant. le contradicteur affirme que le 20 septembre 1902,
le tribunal tient une audience complémentaire dans le cadre d'une
affaire mettant en présence cinq prévenus. Les deux principaux
sont des Flamands originaires de Clercken en Flandre occiden-
tale, le troisième est un Wallon tandis que les deux derniers sont
Allemands d'Arlon dont un. assez âgé. ne parle pas le français.
Plusieurs témoins déclarent ne pas parler le français. On recourt
à deux interprètes : un interprète flamand et un interprète alle-
mand. Cela n'empêche pas le prévenu allemand d'être acquitté.
D'autre part le contestataire anonyme ne s'attaque pas seule-
ment à la version de Kurth mais également à la «manière perni-
cieuse» dont le chroniqueur de L'Echo du Luxembourg a rap-
porté les faits. Celui-ci aurait eu des motifs d'ordre privé et des
rancunes personnelles contre le magistrat nouvellement promu
qui traitait l'affaire. Cette récente nomination avait donné lieu à
de longues et ardentes compétitions entre deux candidats libé-
raux. L'un d'eux était wallon, tandis que l'autre était allemand.
Finalement c'est le Wallon qui obtint le siège. Parmi les partisans
du candidat évincé. on trouvait le chroniqueur en question dont
l'article n'avait pour autre objectif que de nuire ou d'être désa-
gréable à l'heureux magistrat 0 56l.

0 551 Réponse à M. Godefroid Kurth. 1906. op. cit.. pp.16-1 7.


0561 Deuxième l'éponse à M. Godefroid Kurth. 1906. op. cit. p. 13.
141
En tout cas, si ce dernier argument est authentique, il prouve
que tous les Luxembourgeois allemands ne sont pas catholiques
et qu'il s'en trouve au moins un pour être libéral. L'auteur ano-
nyme se prend ici à son propre piège et il est légitime de se
demander si son interprétation de la politique du Deutscher
Verein. en tant que volonté de monopoliser la fonction publique
dans la région au profit des catholiques. est fondée.
Deux éléments sont incontestables. Tout d'abord le Deuts-
cher Verein de Kurth réunit toute l'élite catholique du pays d'Ar-
lon, défend ses intérêts et exclut les libéraux. Qu'on le veuille ou
non. son action est autant religieuse et politique que linguisti-
que. Ensuite. il est indéniable que la masse des patoisants dans
les villages est sous l'influence du clergé et des instituteurs ca-
tholiques tandis que la plupart des bourgeois et des fonctionnai-
res résidant en ville forment les rangs libéraux et sont sous l'in-
fluence de la culture française. Peut-on en déduire qu'en réser-
vant des postes aux Luxembourgeois allemands. on les mono-
polise pour les catholiques ? Non. certainement pas. Il est bien
connu que l'Arlonais Victor Tesch. ministre d'Etat originaire de
Messancy. qui fut l'une des grandes figures du libéralisme belge.
ne se servait pratiquement que du patois dans la vie courante 0 57l,
Mais cela ne change rien à la réalité : les liens entre le libéra-
lisme et la langue française à Arlon sont très forts, tandis que
ceux entre le catholicisme et la langue allemande sont privilé-
giés. Sans pouvoir s'appuyer sur aucune statistique. il apparaît
probable que les Luxembourgeois allemands comptent beau-
coup plus de catholiques parmi eux que de libéraux.

La riposte : l'Association Française d'Arlon


Face à la politique des élites catholiques jugée agressive en-
vers la langue française et face aux offensives répétées du clergé
et du Deutscher Verein. une vigoureuse réaction francophone
s'impose. L'activité de l'Extension de l'Université de Bruxelles est
totalement insuffisante pour assurer le rayonnement de la cul-
ture française. de l'esprit laïc et pour contrer des menées consi-
dérées comme pangermanistes dans les rangs francophones.
Numa Ensch-Tesch. bourgmestre d'Arlon. et Jean Van Dooren.

o57 l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart 1936. op. cit, p. 138.
142
professeur de rhétorique française à !'Athénée royal d'Arlon, res-
pectivement président et secrétaire du comité local de !'Exten-
sion. sont conscients que quelques conférences à l'audience li-
mitée ne peuvent décemment pas concurrencer des campagnes
dans la presse nationale et des interventions politiques auprès
du Gouvernement ou du Parlement Même si le succès remporté
par le mouvement de Kurth est très contestable au niveau local.
le retentissement de ses activités est grand à travers toute la Belgi-
que. Ce ne sont pas les tentatives catholiques en vue de renfor-
cer leur position politique ou d'obtenir des avantages subséquents
dans l'administration ou dans la magistrature qui dérangent le
plus. Ce qu'ils ont acquis en plusieurs années est négligeable et
les libéraux sont suffisamment forts pour y faire face, mais la
propagande en faveur de la culture germanique à Arlon, baptisée
«capitale de la Belgique allemande» et son impact à travers tout
le pays, est ressentie comme insupportable. Pour remédier à cette
situation. il faut recourir aux grands moyens. Jean Van Dooren
décide de faire appel à un de ses amis personnels. une toute
grande figure de la culture française en Belgique : Maurice
Wilmotte, membre de l'Académie royale et professeur de philo-
logie romane à l'université de Liège.
En 1905. Maurice Wilmotte a organisé à Liège un congrès in-
ternational pour la défense et l'extension de la langue française.
«Titre ambitieux mais la jeunesse est audacieuse et elle a bien
raison de l'être.» 0 5s)
A part une modeste tentative faite à Paris dans les locaux de
l'Alliance française, on n'avait jamais essayé de convoquer en un
même lieu tous les amis étrangers de la langue française. «tous
ceux qui, l'ayant apprise, sinon dans la famille, à l'école, en avaient
goûté le charme et lui devaient un complément de culture dont
ils avaient le droit d'être Bers .11 o59) Profitant de !'Exposition uni-
verselle dont la ville de Liège est le siège en 1905. Maurice
Wilmotte a brillamment réussi ce rassemblement grâce au sou-
tien de la Mission laïque française et de l'Alliance française qui
ont couvert les frais de l'entreprise.
Toutes les associations et tous les groupes d'amis de la lan-
gue française s'y sont retrouvés. Parmi les personnalités pré-
sentes : le représentant officiel de la France, Jules Gautier, chef

oss) Association pour la culture et l'extension de la langue française. comité d'Ar-


lon, XXV anniversaire. 1910-1935. Bruxelles. 1936. p. 13.
lMaurice WILMOTIE. Mes Mémoires. Bruxelles. 1948. p. 157.
(IS 9

143
de cabinet du ministre de l'instruction publique et futur mem-
bre du Conseil d'Etat. Paul Meyer et Salomon Reinach. tous
deux membres de l'Institut de France. le Suisse Bouvier. futur
recteur de l'université de Genève. le conseiller russe Novicow.
célèbre par ses livres sur l'universalité du français et venu spé-
cialement d'Odessa. le gouverneur du Cambodge de Lamothe.
représentant les colonies françaises. le baron de Lépine. délé-
gué du Gouvernement du Québec. etc. Le congrès s'est ter-
miné sur la promesse d'en tenir bientôt un deuxième encore
plus grandiose.
A la suite de ces curieuses assises liégeoises. on voit durant
les années suivantes la multiplication des conférences françai-
ses et la création de nombreux cercles d'amis de la culture fran-
çaise en Belgique. A l'étranger. les congressistes suisses fondent
l'Union romande pour la culture et l'enseignement du français
tandis que les Luxembourgeois du Grand-Duché lancent un co-
mité de l'Alliance française.
Une des réactions inattendues de ce congrès est la mise sur
pied dans la province de Liège d'un Lüttischer Schillerverein créé
à l'initiative d'Henri Bischoff.
«Chaque fois que nous créions un cercle de culture française.
d'autres Belges. mus par des in tentions mystérieuses jusqu 'en
1914, fondaient aussitôt un Schillerverein ...11 ' 160)
Vers 1907. Wilmotte bien décidé à récidiver se met en quête
d'une autre ville et d'un comité prêts à accueillir sa nouvelle or-
ganisation. La Belgique ayant déjà eu les honneurs. il se tourne
tout naturellement vers l'étranger. Genève semble toute désignée
mais les Suisses. pourtant très actifs dans ce domaine. sont par-
ticulièrement embarrassés. craignant que des conflits naissent à
la suite d'une telle manifestation pourtant pacifique.
«Peut-être aussi le particularisme helvétique s'effarouche-t-il
à l'idée d 'une affirmation trop brutale de la suzeraineté intellec-
tuelle de la France.» '1 6 1)
Wilmotte pense alors au Grand-Duché de Luxembourg qui a
l'avantage de posséder une culture mixte. les Luxembourgeois
pratiquant chacun deux langues tandis qu'en Suisse il y a
simplement voisinage de l'élément roman et de l'élément
alémanique. situation plus délicate. Malgré des premiers signes

0601 Association pour la culture et l'extension de la langue fran çaise. op. cit. p. 14.
061 1Maurice WILMOTfE. Mes Mémoires. op. cit, p. 171.
144
encourageants. la réponse grand-ducale est finalement négative.
le ministre d'Allemagne à Luxembourg ayant pesé de tout son
poids à cet effet.
Amer. Wilmotte déclare plus tard : «Peuh ! à Luxembourg, il
est vrai que tout le monde entend le français. Mais la première
langue est et restera l'allemand.» 0 62l
Plusieurs Liégeois conseillent encore à Wilmotte de prospec-
ter à l'est. Mais la seule ville de langue française qu'on y trouve
est Malmédy. incorporée depuis 1815 dans le Deutschtum. Y réu-
nir le congrès tiendrait de la provocation et est littéralement im-
possible. Déjà en 1905. les congressistes liégeois avaient été ser-
rer la main des «frères de race et de langue» mais les choses
n'avaient pas été commodes. Tous les habitants de Malmédy
qui avaient osé arborer un drapeau français en signe d'accueil,
s'étaient vu infliger par le landrat. cinq marks d'amende. Dès lors.
seule la Belgique apparaît susceptible d'accueillir la seconde réu-
nion des amis étrangers de la langue française. n ne reste plus
qu'à choisir une des grandes villes du pays. C'est à cet instant
que Jean Van Dooren entre en scène.
Wilmotte connaît bien Arlon. En tant que «missionnaire» de
!'Extension. il s'y est déjà rendu pour donner des conférences
sur des sujets littéraires. Recourant à tous les arguments imagi-
nables. Van Dooren s'efforce de convaincre Wilmotte de choisir
Arlon. idée qui ne lui serait assurément jamais venue à l'esprit.
Non seulement. Arlon est connue comme une ville de langue
allemande. mais sa population germanique est traditionnelle-
ment considérée par les gens de l'intérieur du pays comme froide
et peu aimable. De plus. les problèmes matériels ne manquent
pas car le chef-lieu luxembourgeois est grand comme un mou-
choir de poche :
«Que d 'objections à vaincre ! Pas d'hôtels confortables ! Pas
de locaux spacieux pour recevoir tant d'hôtes étrangers ! Pas de
théâtre où la Comédie Française dont je comptais bien obtenir
le concours, pût offrir à une population émerveillée un spectacle
de choix! Dans la villette même, on ne pouvait compter sur des
concours généreux. comparables à ceux que Liège avait sponta-
nément procurés... » (163l

061 l Association pour la rnlture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 14.
0 63 l Maurice WILMOTI'E. Mes Mémoires. op. cit.. pp. 174-175.
145
BRUXELLES , 5 SEPTEMBRE 1906 . Le Numéro é~ix centimes DEUXIÈME ANNÉE, N • 52.
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LE CONGRÈS MM:. Vau D00r1o, proreeaear l l 11ihtuèt1
d'Arlon, d Marllu d 'Ruarl, preh,11eur à
peapl ... faPorlal! par la r•pldUé dee com·
mnnlce.Uon,. li •ppll'Uol "11 Oougre1
Bouv.u t. 1., profetMDr 1. l'Unl'fereit6 de
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POUR LA IV. Lo fra.nÇ&11 et la qauUou dH lupM p111 lallnl e1 •1'•ea, l adoptar le lrt11ç1i1 Dfll.
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Bonry, prolH•Hr . A l'Boote llbr. det luternaUonalea. P •r 10118, de l'60011omle da Saln1,Ptienbourr .

LANGUE FRANÇAISE 1cJeoce1 polltlquH, IL P"rl..


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VL L 1:1 lr1u1çall au 0 1t.ada. Rapportnr, Ad. B i· publieU6 bleu ph1e t teadue l l•nr traTau"J:. ll'nnaao, G., hl.torlen à Turin .
'Hrd, prol..,.ur à l'Unlunllfi UTal, t. RapportHr, li. P11.n~nhoCJ, doct.eur u FUHTDHOn, J., profNHU1' d• l'lh:leJlliOl2
Co congrès se iieudra à Arlon, les D1_ ,...,.,a 11,., ..,.,,.,.,.,""', pro fea,eor à le Pa.cuité QntbM- 1cioo J?e:e,lBruu1lt11. uu i,.e reha.lre de Bel1iq11.e.
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20-23 seplembre proohai u. Il co rupre11- Dr. R oo:z:, cllreci..ur de l'lJ11tllnt Pule11.T, à M H eorl Albe1-t, ridacteur en Jt>rmurl #et Entente Scientifique lnternalioule l•r•I. l Li1bonne.
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socUou d e pédagogie, uue secHon pré1ldeul da 11 Obt.Dlbre de oomu,uce A l'Uol't'erell6 de Lyo11. • 1 -- li. B ndapH\.
scicntltiqne. Dès tnaiuton:mt) il eai fr•nc•lae dH pro't'l11ce, d• L tég,, ~•mur et IX. Lo lrouçale enHoll11.11d e. Rapport.enr.M.S.J. MONSIEUR, MAGAl.11.U. · LBllO& , p rofeauur à I• P11eul16
Lonwboug, h A.011Hr tBo!giqoe). Terùa de o,..,. .. prolHaenr à l'U11lu nUé Les rela.üons en tre natio ns civ!Ha~ea se de méd.oine d'Oporto.
... ,. . as~m·é d'nn,g r.a µd uombre d 'adhésions

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V aimA&JI.B!'I:, E11rLa, IIU6r11t.eur, l Parla. Milll!mCo,·¾ ;irorene~W..illlln~
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et de p a.r ü~ipaUons, Par~i l et.quelles V1&rMO, J'ou.o,, reottnr J e l'Uul•er11Ui dê
celles d e savants appart&uan t à-krn tes Oot.beaboug (61.)de).
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run.niJosLe. e.t n~enie 1~ uéoeuiLé d'nae lan•
gu.e an1.Jha1rs mternahon ale.
Bno.rMI.
}bt"TJ.G·L~ G., profeaieur t. l'UDl't'er•
ell6 de Sioù.hol1D, Djanb.olm·Sl0Ckbolua.
les 1111.tionl!i de l'Enrope, de liUét?,lenrs & r:nt litllroir« tl• B01t1ri1. ÛtUe néoeasité s'impose 1nrtont ans: aens Mm~aaur., R., profHNur A l'Uol't'er, IUI de
HORAIRE DU CONGRÊS D'ARLON
urn.rqna.111.s et de pédngognes sonoienx . 11 • _ SecUen Littéraire de acienoe oon\raîo~, plna qne d ' Aut.ree, à Bruallt11,
d'él ndier ensemble les meilleures D,,,,anthl 20 stpltmbrt M.OMlfLLI, E . , prolffNnr, d lreclear de clin!·
aaivre de près lea progrè.3 réalüés à 1'61tan-
lll~lhodes d 18ll!8igoeU18Ui pratique do à l~Blo\!"=~~~:~r~1; 1::~ficl,II, dea oongreaiOu
L Qu elle Ml la pArl À !aire 10 anLenrs belg<"s
de l.a11g11e franç,.i.Ju d1H l'en1eigue111eut g,r. Dans lear coogrèa , ils oo\ adm ia j111qo ' â
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rôservée à la question de la propa.ga· Uo~ !::::::.i'.•:,!;1::.11 orr1r1, par l'Mmlallir•-


f11lr• ADJ: anle•re fr1,u çal1 du, t.ou1 1,e
P-Y" blllngueef Rapport.un, Ml.C. D11l.3.îi,
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fran çais e& l'aJ lem&od ; mais la par(ioiplWoo
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Dr. RJ.oovrn~ EN I aona-dlrecl.ur d11 labo-
liou dn fran çais. · Lundi 21 s,pt,mbre A Brui:ellN, al R:auHn, profe1Hu li. ratoire Arago, dlnct.eu dH A.rcb \TH de
récente d'aa tres grands penples an mùa'fe·
l'1t.1b6de de Di<"klrch. Zroologte er ptrimea&ale.
Le co ugrès cow porte anssi one .A 10 henret du mAUn et l ~ heurp do l'•pril•·
II L ll prop•r11tion du lraut"•i• par la pr,u•. went scienUfîq a.e moderne mêoe .à 0110 oon· Dr. SoLLma, m6deoln du S 111a~rlu111 de
exonreion à Lnxembonra noo excn r. t11idi., •tAnoH dn 1e0Uott1; RapporUur, lt Gtrard D11.rr1, Jond1teur tasiou babèllqne . Une étnde aériense et i m- Boulo11:te.1ur.Selae.
sion à. Trèves et nne rep;~sentatiou de 00~,!.~:::; :::;~·::::rad:,!~!:;"::~ 0 ; 1~~
et Ancl.n dlree,lenr d11 Pr/11 Bk1i à Bru"J.el ·
lo,, oor ra1poudiaut belJe du F'ignro.
médiate dt1 la qneelion eaL dono indiepe11-
nble.
VAN LJ..D, H ., prolNHDr à l'Eoole dH Mines
do R11l paut, t. Brni:ello•,
gal~ offerte aux cougressistes, avao le de la Co,ddle !raaçaln: prormnme ht.torlque 111. L11 prop•rllou dn frar.r;111J1 a) par l&1 re't' u &1 W11.uOTTA, 1:1.. 111e111.bre de l'Aced,mle de
couoonrs de ~a. Co médie FrauQaiec. 1 !~=·~::·m:~!;!:'~.P1 4 ":l7!~:e:c;,.::~
11
:':!i'q:~u ~ 111 IIU6ral ru de hwgn lraoo,'UH l l'6lr11oger.
S-pporieur, M. !C1url0t Gauche., dira<:·
Il y a denx métbo aes ponr lavoriHJr l'in·
Ul'tionaliaation des rappor'8 en ~ saYants :
llelr\qne.

Les adhé81ous sont reçn86 ro.o de lo. 1 Nnrdi 22 saplemfm: teu r du f'l1Jr1t, Il) par lu re't'uH de prop,11· la. première consiat, daca le mainüon do
Fer ure, 118, on rne do Ton lonse, 33, 1 E1:cnralon à Lnn11.1bour1. D,.part l 9 b. M m.. l!•uùe. Rapport.enr, M. Oaat.on BorJat, statu q1'o, à la condition to utefois de déter• Exposé des raisons militant en faveur de
à Bro:xollos. ar rlT6e à! lb. S8 111 . (heu1"8 allH1ude1- JUceptlon ùlreo,eu r de la.R,PtU poar k.J PrtlH~aU. miner toc s les suants, sans distiaction de l'adoption de la langue française
1 d• c,ooi:rnu\1lo• par l'J.Ui1Uufn111p,i11 deL11nm• IV. L'ex\enlon Je J.,. lanrue frn.nçalte p• r le
1 boura. R11tour à 8 Il. 17 m. lb1u.re alleu1ande).
n:üiooalité, à ndopler eue des ~rois l~ngoes comme langue auxiliai,e
1\ot ,\l r11. Rn n nnrtflur. M. OlLarlH Dulalt. Y.
«...et pourquoi ne pas le dire, une administration, intelligente
certes, et disposée à tous les sacrifices, mais limitée dans son
budget et contrainte à toutes sortes de ménagements politiques,
philosophiques et. .. autres.» 0 64l
Van Dooren balaie une à une toutes les objections. Pas de
théâtre ? Le gymnase de l'athénée est assez spacieux pour deve-
nir une salle de spectacle. On édifiera une scène et il y aura même
des loges d'artistes. Les hôteliers sont enchantés de l'aubaine et
renseignements pris. certains s· engagent à faire les travaux né-
cessaires pour recevoir les voyageurs qui vont affluer. Le notaire
Hubert accepte d'accueillir sous son toit quelques hôtes de mar-
que. Et on logera chez l'habitant ceux qui seront en surnombre.
La ville sera pavoisée, bref rien ne manquera pour donner à la
réception le caractère qu'elle mérite (165 l.
Historiquement. Arlon est admirablement désignée. Poste fron-
tière de la culture française. la ville a un important passé romain
dont son musée archéologique conserve l'éclatant souvenir. Elle
est pour la langue française. ce qu'après 1870. Belfort est pour le
patriotisme français et ce que Malmédy deviendra pour les Belges
de la Grande Guerre 0 66 l.
U est évident que sans le charme et la persuasion de Van
Dooren, jamais Wilmotte n'aurait accepté de se lancer dans une
telle entreprise. Mais devant l'insistance du vieil ami, et peut-
être en considérant les raisons impératives de la lutte entre fran-
cophones et germanophones à Arlon. Wilmotte succombe aux
arguments de Van Dooren et donne son accord.
«Il y avait à l'athénée royal du lieu, un professeur d'origine
verviétoise, donc wallonne, et dont le nom était flamand. qui
avait par des publications excellentes, témoigné de son zèle pour
notre culture. C'était plus que sufB.sant pour m 'encourager à re-
nouveler là-bas une tentative qui n'aurait pas réussi à Lwœm-
bourg.» 067'
La date du congrès est fixée au mois de septembre 1908 et
Van Dooren entame aussitôt les démarches nécessaires. Le co-
mité local d'organisation est immédiatement constitué avec la
participation de toutes les personnalités libérales du chef-lieu.

0 64l Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 16.
0 65 lMaurice WILMOTI'E, Mes Mémoires, op. cit., p. 175.
066l Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit, p . 15.

0 67l Maurice WILMOTI'E, Mes Mémoires, op. cit.. p. 174.

147
Numa Ensch-Tesch. ancien membre de la Chambre des Repré-
sentants et bourgmestre d'Arlon. en prend la présidence. Mau-
rice Wilmotte écrit à son sujet :
«Un peu fruste, et même revêche à la première rencontre, il se
révèle bientôt infiniment accessible à mes sollicitations, Je lui fis
savoir quels utiles effets la présence de quelques centaines de
congressistes, venus de partout. et la plupart intellectuellement
qualifiés, aurait sur la mentalité un peu terne de ses administrés,
La bourgade, de ce jour-là. allait prendre un rang supérieur dans
une province, dont elle était le chef-lieu administratifplus nomi-
nal que réel Je n 'eus pas besoin d'insinuer ce que le succès du
Congrès éveillerait de jalousies passionnées à Luxembourg car
je connaissais la vieille rivalité des deux cités voisines et les fa -
çons de supériorité que la plus grande affectait à l'égard de celle
moins favorisée du nombre et de la fortune.» 0 68l
La vice-présidence est partagée par André Mortehan. agent
consulaire de France à Arlon. et Paul Reuter. échevin de }'Instruc-
tion publique et futur bourgmestre. tandis que la cheville ouvrière
du comité est Jean Van Dooren. au poste de secrétaire, aidé par
l'hôtelier Jules Feider. Le comité compte encore parmi ses mem-
bres : le trésorier Victor Birnbaum. professeur à !'Athénée. Auguste
Netzer. avocat et conseiller provincial. Charles Hubert. notaire et
conseiller communal. Emile Appelman. avocat et conseiller com-
munal.
Comme ils devaient s'y attendre. ils se heurtent à une vive
résistance catholique, Le Deutscher Verein de Kurth n'élève tou-
tefois pas la voix et ne fait pas la moindre allusion à l'affaire.
s'efforçant de ne pas paraître un ennemi de la langue française
mais Camille Joset. directeur de L'Avenir du Luxembourg. en-
tame une campagne virulente contre le Congrès dès que celui-ci
est annoncé.
Dans ses Mémoires. Maurice Wilmotte évoque brièvement
l'opposition dont il est l'objet:
«Si le magistrat communal était libéral, l'administration provin-
ciale ne l'était pas, Un gouverneur catholique siégeait. en face de
l'hôtel de ville, dans une grande bicoque qui tenait du couvent et
de la prison Un journal inspiré par lui et dirigé par un assez habile
homme, fut tout de suite adversaire d'une initiative qu'il jugeait
p érilleuse pour la moralité publique. A Liège (et il ne l'ignorait pas)

11 681 Maurice WILMOTIE. Mes Mémoires. op. cit.. p. 174.


148
on avait, fort librement, exposé des thèses audadeuses en ma-
tière éducative... Brel l'esprit nouveau allait sou.iler dur dans un
milieu où l'on s'était efforcé jusque là de maintenir une atmos-
phère plutôt opaque de conservatisme déricalisé.» '169)
Alors que les préparatifs battent leur plein, Camille Joset lance
l'offensive le 17 mai 1908 et maintient la pression jusqu'à la fin
du congrès au mois de septembre. Tout au long de ses articles
qu'il titre «Congrès d'expansion française» au lieu de «Congrès
pour ]'extension de la langue française» , Joset ne mâche pas ses
mots. Pour lui. Arlon est confrontée à une manifestation d'anti-
cléricalisme français et «ça puait à plein nez la maçonnerie» '170l.
A ses yeux. la situation se résume à l'opposition machiavélique
de Maurice Wilmotte à l'Eglise catholique :
«M Maurice Wilmotte ... est un des représentants les plus ca-
ractérisés - dans notre pays où cette espèce reste heureusement
fort rare - des doctrines de décadence qui dissolvent la vie mo-
rale et la vie sodale de nos voisins...
«L'Eglise catholique est essentiellement l'amie de la lumière
et dans la marche de l'humanité vers le progrès, le groupe chré-
tien est perpétuellement l'entraîneur.» 0 71 )
Quant au Congrès, c'est affirme le journaliste, un complot judéo-
maçonnique contre l'Eglise catholique. Organisé avec le concours de
l'Alliance française universelle. réputée pour ses tendances nettement
anti-religieuses, et la Maison laïque fondée sous les auspices de la
franc-maçonnerie qui infeste son comité de patronage. on ne peut
espérer parmi les congressistes que «des ministres ou des fonction -
naires blocards, des savants et des hommes de lettres plus ou moins
gangrenés d'antichri.stianisme». Wilmotte essaie d'introduire à Arlon
sa «pacotille blocarde» (172) et «les immortels prindpes dont crèvent
les nations» o73 l_ U n'y a rien à attendre d'une organisation du fonda-
teur de l' Express. la «feuille liégeoise aux immondes mœws françai-
ses» et del' auteur d'ouvrages où «l'odieux de la passion anti.chréti.enne
n'a d 'égal que le grotesque des prétentions philosophiques» 0 74l_ Son
seul objectif est «d'importer systématiquement chez nous un idéal
philosophique et sodal répugnant à l'âme belge» 0 7sl.

069l Maurice WILMOTŒ. Mes Mémoires. op. cit. p. 175.


o 7oi et 1171 l L'Avenir du Luxembourg. samedi 17 mai 1908. n ° 116, p. 2.
1172 l L'Avenir du Luxembourg. samedi 23 mai 1908. n ° 121. p . 1.

1ml, 1i 74l et 1i 75 l L'A venir du Luxembourg. lundi 25 et mardi 26 mai 1908. n° 123. p. 1.

149
Jamais l'Avenir du Luxembourg ne présente explicitement le
Congrès comme une action destinée à lutter contre la langue
allemande ou contre le Deutscher Verein d'Arlon, mais unique-
ment comme une tentative d'expansion de la langue française
et des idées libérales au détriment de la religion et des valeurs
chrétiennes.
Van Dooren, Ensch-Tesch et les autres libéraux arlonais ne
sont pas directement pris à parti par le quotidien catholique. Le
seul nom de Wilmotte rend Camille Joset malade et provoque
chez lui une telle colère qu'il ne lui est plus possible de la dépas-
ser et d'atteindre ceux qui se trouvent derrière l'organisateur. Au
mieux, Joset parvient encore à attaquer le Juif Salomon Reinach,
membre de l'Institut de France qui, au Congrès de Liège, avait
prôné le remplacement des classiques du xvrresiècle par ceux
du xvme, et quelques dirigeants maçons de la Mission laïque,
juste pour souligner le caractère judéo-maçonnique du «com-
plot».
Pendant l'été, les préparatifs se poursuivent sans que les or-
ganisateurs répondent aux attaques. Seul l'Echo du Luxembourg
entretient l'une ou l'autre polémique avec l'Avenir. notamment
lorsque l'Association flamande pour la vulgarisation de la langue
française, présidée par Firmin Van den Bosch, avocat général à
Gand, fait connaître son refus de participer au Congrès d'Arlon
après avoir estimé que par respect pour ses membres catholi-
ques. elle ne peut y adhérer: ou encore chaque fois que Joset
dénonce le comportement de Wilmotte, qu'il juge aux antipodes
de la neutralité, méprisant la littérature belge. ne se souciant que
de Paris, de ses mœurs, de son esprit et... de ses décorations.
Enfin, les invitations sont lancées et le mois de septembre
arrive.
Durant quatre jours. du 20 au 23 septembre inclus, se tient à
Arlon le Deuxième Congrès International pour ]'Extension et la
Culture de la Langue Française. Des hôtes de marque venus de
Belgique. de France, d'Angleterre. de Hollande. de Hongrie, de
Suisse. du Grand-Duché. du Canada. etc., se rencontrent dans le
chef-lieu du Luxembourg. Parmi les personnalités présentes, on
reconnaît le délégué officiel de la France, Jules Gauthier. direc-
teur du cabinet du ministre de l'instruction publique et directeur
de l'Enseignement secondaire. le délégué officiel de la Suisse.
Jean Bonnard, professeur à l'université de Lausanne et président
du conseil municipal. plusieurs Luxembourgeois grand-ducaux
dont Martin d'Huart, professeur à l'athénée de Luxembourg.
150
bibliothécaire de la ville et ancien élève de l'école normale de
Paris, l'avocat Simonis. président de l'Alliance française de Luxem-
bourg et son second, Tony Wenger, receveur des hospices à
Luxembourg. le vice-président Bonnet et le secrétaire
Dufourmantelle de l'Alliance française à Paris, le secrétaire Ber-
nard. de la Mission lalque française. des délégués de Londres. de
Nuremberg. Paul Meyer. membre de l'Institut. le professeur
Baldensperger de la Sorbonne. Henri Albert. du Mercure de France.
le Hongrois Huszar, directeur de la Revue de Hongrie. venu spé-
cialement de Budapest. et de nombreuses autres personnalités :
Emile Verhaeren, Fürstenhoff. Charles-Maxime Leconte, etc.
La plupart des journaux belges dépêchent sur place leurs
meilleurs correspondants et c'est une activité intense qui règne
à Arlon durant ces quatre jours.
De nombreuses fêtes sont organisées à cette occasion : des con-
certs par des musiques belges (Musique militaire du 1oede Ligne et
Royale Philharmonie d'Arlon) ou française (Harmonie des Aciéries
de Longwy-Mont-Saint-Martin) sont donnés en divers endroits de
la ville. La cantate «Douce France». écrite par J.J. Van Dooren, étu-
diant à l'université de Liège. est interprétée sur la place Léopold par
la chorale «Les Echos de la Semois». Un grand cortège de sociétés
belges. françaises et luxembourgeoises traverse la ville pavoisée aux
couleurs nationales et françaises. Une réception est offerte par l'ad-
ministration communale dans les salons trop exigus de l'hôtel de
ville; une grande fête gymnique et athlétique a lieu au jardin Waltzing;
le belvédère des Capucins est illuminé la nuit; etc. 0 76l.
Toute la population participe à ces festivités et c'est elle qui
loge la plupart des professeurs. comédiens. publicistes, poètes.
artistes, journalistes ... qui n'ont pas trouvé de lits dans les hôtels
de la place. Emile Verhaeren est hébergé chez un négociant
arlonais qui reçoit en remerciement un volume dédicacé.
Le dimanche 20 septembre, une soirée artistique se déroule
au gymnase de l'athénée royal. transformé en théâtre. On y en-
tend la cantatrice Jeanne de Bussy et Lucienne Roger, du Théâtre
royal de !'Alcazar. le chansonnier Dumestre et le professeur
Kauffrnann du Conservatoire de Bruxelles ainsi que l'artiste Baillet
de la Comédie Française. On y voit également des danses grec-
ques réglées par le maître de ballet de la Monnaie.

076l L'Echo du Luxembourg. dimanche 20 septembre 1908. n ° 222, p. 1 ; lundi 21


et mardi 22 septembre 1908. n° 223. p. 1 ; mercredi 23 septembre 1908,
n° 224, p. 1.
151
PRIX : 0.50

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Organe Officiel Numéro spécial
PUBLIÉ PAR
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20-23 SÉPTEMBRE 1908
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2ME'GON-GR-ÈS POlJR L~EXT-E-N-SiON E'.f LA iCUL TURE
DE LA LANGU·iE· f':RANCAISE
' ' ,

·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-. -·-·-·-·--·-··-·-··-·-·-·-·-·-·-·-··--·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-··-·-·--··-·-·-·-·
' .

dence était légitime, je crois - et M. Wilmotte


Horaire du Congrès le distrait d~ ses agTestes occupations . Puis
résigné, appuyé sur le long manahe de l'outil.
nous ' apporta son savoir précis de :sociologue ;
'M.;"J'..îlkin, Qliî do~a. sans~· çompter son "dévoô- appuie !lur ces mots - je crois qu'elle répon-
Dimanche 2 0 H~tembre il écoute e:t attend . !.m~; t l ' ~ ' :/,.e _chiffres; et qùi fut le plus dait moins encore à des nécessités -de tactique
.,A midi, r!ception officielle des congressistes il - Vous avez1 il y a trois ans, livré quel· ·-- · · · · ,e et le· plus désintéressé qu'à une conviction iritime.
!' Hôtel de ville d'Arlon ; ques-uns de vos·· sê~1:el,; au To,,,.(-Liégc , dont ~êt!t, dans'. les,·,Sphères Not.re. Fédération sera une,ceuvre •scie;tifique
A 2 heu~, sbnce, .solennelle d 'ouvtrture ; le numéro·prog ramme du C~ngrès n'est qu'une ou elle ne sera pas. ·Le jour où - comme on
v. , .- et M./ ~haRW. _ l'un
A 8 ·hf:ures, me d;·
nuit offerte par l'Admin1s.
éduion spéciale, ce 20 sep1embre. Nous venons assîân . à -nos ' séances · prépara.toues et·~ que l'a essayé. pour l'entente . hollando-belge - on
tr;ifion communa~ d'Arlon.
vous demander la m~me gràce ... j'aqdis ·/bien voulu .rètl'Ouver à Arlon, l'autre vien'dra m è.ler che:z nous, à des questions di
Lundi 21 Hptembre q ui ~ t tc>tne-~a7gë.'.la~baurse ,d.e -' la- f;a~ce pure fraternité intellec~uelle , d'autres que{~ions
- Des secrets, dit le Président de la Fédéra·
A 10 heures du matin et à 2 heures de l'aprè.!'· tion dans W1 sourire, mais 1e n'en a i point. po~donner l~éclat',a'uni; réC:~pl'ion solennelle év.eillant des appétits et des intér~ts, effarOu-
midi, séances des sections ; à nos amis étrangers. Enfin, tfie''last ·nut the chan1 le patriotisme de nos populations, mena,
Chacun sait ce que sera le Congrès d'Arlon
A S heures, .-cprésentation de gala offerte .iux leat M. Emile Digneffe, dont Ja s)'lllpatbîe çnnt d·c:compromeure, le •p11cte inte:ryenu ·entre
congressistes avec le concours d'artistes tminents parmi les amis · fidèles de notre entreprise. Et.
de la Comédie française: programme historique QU."lnt aux au1res ... ;... J e:
-de..f~ue une bonne et fid~ e amitié, .~-ç~~~~ et La~~ ~~ez..,'~ous,' -c_·~.n serà b.it
(XV•-XIX• siècles) précédé d'une coolérence par Ici. un ,nouv_ment, qui ramène l'outil devan t a ,üdé à la réussite d u l,Onltl'ès et , plÙs tard, de tout ce que nm:tI aurous ·\:.mrep,1S'; le Fr.m-
M. J. Ernest-Charles. Ïnon'I i11terlocu1cm. Cclui-ci semble m'avoir a permis i1 ln Sec tion Jié,rL-oisc cl c prendre çais cleviendra odieux, et la langue française
. ~ . ;d t 2-f' Hptembr• oublié totalement, et la rasette enlève, à l'ex· l'admirable développement que vous savez. Et pâtira du discrédit de ceux qui en auront été
Le lundi soir, c'est la soirée de gala avec une conférence
d'Ernest Charles sur le thème du «Théâtre français. instrument
de civilisation mondial». suivie d'une représentation théâtrale
jouée par huit artistes de la Comédie Française. Le programme
comprend des pièces de Molière. Musset et François Coppée.
Le lundi et le mardi, des excursions à Luxembourg et à Trèves
permettent aux congressistes de découvrir les beautés de la ca-
pitale grand-ducale et les vestiges romains de la Trèves impé-
riale. Malgré ce programme fort chargé, les défenseurs de la lan-
gue et de la culture françaises trouvent le temps de travailler ac-
tivement en sections.
La section de propagande se préoccupe de l'activité des diffé-
rentes associations de propagande et de l'état du français dans
les pays représentés au congrès. Parmi la vingtaine de rapports
présentés. citons: pourquoi l'on a fondé une Union romande
pour la culture et l'enseignement de la langue française, par le
professeur Knapp de l'Académie de Neufchâtel; le français et la
question des langues nationales en Belgique. par Oscar Grandjean
de la Bibliothèque royale à Bruxelles: le français et le wallon par
J. Delait. président de la Ligue Wallonne à Liège: le français au
Canada par le professeur Rivard de l'université Laval à Québec:
le français en Alsace-Lorraine par Henri Albert. rédacteur au Jour-
nal des Débats à Paris; le français et l'allemand dans le Luxem-
bourg belge et grand-ducal par Jean Van Dooren et Martin d'Huart
La section littéraire écoute entre autres les rapports d'Ernest-
Charles sur la pornographie et les lettres françaises; de Maurice
Gauchez. directeur du Thyrse. sur la propagation du français à
l'étranger par les revues littéraires; de Gérard Harry. fondateur du
Petit Bleu, sur la propagation du français par la presse; etc.
La section pédagogique traite notamment de la réforme de
l'enseignement élémentaire du français dans les pays bilingues
à l'aide des études phonétiques. par G. Cohn, lecteur de français
à l'université de Leipzig: la réforme des humanités dites classi-
ques. par Yves Guyot ancien ministre à Paris; le placement des
Belges de langue allemande dans les pays germaniques. par
Maurice Wilmotte : etc.
La section scientifique étudie et recherche les meilleurs
moyens d'entente entre les sociétés scientifiques des différents
pays latins pour éviter la déformation des mots scientifiques em-
pruntés au français et la meilleure façon de parer aux difficultés
qu'éprouvent les savants des divers pays pour l'échange de leurs
idées suite à l'avènement scientifique et industriel de nouveaux
153
pays. tels que l'Italie, la Russie et le Japon. On écoute Remy de
Gourmont. directeur de la Revue des Idées à Paris et le docteur
en sciences Fürstenhoff, de Bruxelles.
A l'issue de tous ces travaux, quelques motions intéressantes
sont votées. On adopte un vœu d'Oscar Grosjean pour que le
Congrès s'oppose énergiquement à tout projet de loi qui aurait
pour conséquence de restreindre l'enseignement du français dans
les établissements libres, réclame une application équitable de
la loi de 1883 dans les établissements officiels. demande que le
régime français, prévu par l'article 5 de cette loi. soit organisé
dans les athénées du pays flamand où il n'existe pas.
Dans le même ordre d'idées. l'assemblée plénière du Congrès
adopte une motion du professeur Engel. en faveur du maintien du
français comme langue véhiculaire à l'université de Gand Enfin. il y a
le vœu du Grand-Ducal Ch. Dumont afin d'obtenir la réduction de la
taxe postale entre les pays de langue française, et la protestation
d'Ernest-Charles. au nom du monde littéraire français contre l'indus-
trie de la pornographie qui cherche à se confondre avec la littérature.
La querelle des pédagogues. qui discutent sur la question de
savoir s'il ne conviendrait pas de substituer dans l'enseignement
les auteurs du XVIIIe et même du XIXe siècles à ceux du XVIIe
n'est pas tranchée. On se contente de déclarer qu'il serait désira-
ble d'augmenter la part faite dans l'enseignement aux auteurs
du XIXe siècle comme préparation à l'étude de ceux du XVIIe.
Le Congrès s'achève en proclamant la culture française indis-
pensable au développement de l'esprit humain. d'où la néces-
sité de fortifier ses positions actuelles afin d'assurer sa préémi-
nence sur les autres langues.
Le Jaumal de liège décrit les dernières heures en ces termes :
«Nous voilà arrivés à l'heure du banquet. On clôture le con-
grès en hâte, on court s'habiller: dès huit heures, une Marseillaise
vibrante, suivie d'une Brabançonne bon enfant nous avertit dans
la salle de ]'Athénée que le moment de détente est arrivé.
«Banquet fastueux, d'allure peut-être un peu trop solennelle
et lente, mais que de toasts vibrants à Arlon ! à la Belgique ! à la
France! à l'Alsace-Lorraine ! à la Wallonie ! à la Suisse ! au Grand-
Duché de Luxembourg! à la littérature ! à l'art! à la morale ! etc.
achèvent en apothéose.» o77i

11771 Le Jaumal de liège. jeudi 24 septembre 1908. p. 1.


154
Maurice Wilmotte. professeur de Numa Ensch-Tesch. bourgmestre li-
philologie romane à l'université de béral d'Arlon. ancien membre de la
Liège. membre de l'Académie Chambre des Représentants. prési-
royale. accepte l'invitation de son dent de !'Extension de l'U.L.B. et du
ami Jean Van Dooren et relève le comité organisateur du Congrès
défi d'organiser à Arlon un congrès d'Arlon.
international pour la défense et l'ex-
tension de la langue française.

André Mortehan. agent consulaire Victor Birnbaum . professeur à


de France à Arlon. vice-président du !'Athénée royal d'Arlon. trésorier du
comité organisateur. comité organisateur.
155
Le matin même de l'ouverture du
Congrès pour l'extension de la langue
française, le gouverneur catholique Ca-
mille de Briey quitte Arlon, préférant
passer la fin des vacances scolaires en
compagnie de ses enfants, ce qui fait
dire à Maurice Wilmotte que le gouver-
neur du Luxembourg est un excellent
père de famille !

Pour Camille Joset. rédac-


teur en chef de L'Avenir
du Luxembourg, le Con-
grès d'Arlon est une «ma-
nifestation d'anticlélica-
lisme français qui pue à
plein nez la maçonnelie.»

156
Impact et répercussions du Congrès
d'Arlon
On peut se poser la question de savoir si ce congrès connaît
un succès réellement considérable comme l'affirment ses orga-
nisateurs ou s'il est un lamentable échec comme le soutiennent
les milieux catholiques.
L'A venir du Luxembourg précise que sur 125.000 invitations
lancées au mois de mai, il n'y eut que 125 congressistes. Pour
Camille Joset. le «Easco» de la «kennesse maçonnique» d'Arlon
est indiscutable o73l_ Le Vingtièm e Siècle va dans le même sens et
dresse le procès-verbal de carence de «ce congrès d'opérette, vau-
devillesque». en rapportant même les propos qu'aurait tenus à
Arlon «un ami de M Wilmotte» :
«Heureusement la jeunesse célibataire peut se consoler de
cette manifestation puribonde en allant faire, la nuit venue. le
tour des maisons agréables de ce délicieux Arlon.»
Il adresse ensuite ses condoléances à «l'activité prompte, in-
lassable. despotique du philologue désabusé qui organisa le con-
grès. en un mot le touche-à-tout national.» 0 79l
Toutefois il n'y a que quelques organes catholiques pour con-
tester le succès et les résultats du congrès car l'ensemble de la
presse belge. française. suisse. grand-ducale et même britanni-
que. lui fait une importante publicité, Plusieurs journaux comme
L'Echo du Luxembourg. L'Action Wallonne. organe de défense
des intérêts matériels. intellectuels et moraux de la race wal-
lonne. Le Jaumal des Débats, Le Jaumal du Matin, La Meuse. .. lui
consacrent des pages entières tandis que des dizaines d'autres
feuilles rapportent jour après jour. au travers d'articles plus mo-
destes, les événements qui se déroulent dans le chef-lieu du
Luxembourg belge,
A Arlon. on distribue un journal spécial de huit pages. intitulé
Pro Gallia, organe offlciel du Congrès d'Arlon, édité par le «Tout-
Liège» o3oJ_
Outre les comptes rendus des travaux des sections. des festivi-
tés. la présentation des congressistes. du comité de patronage. des

s) L'Avenirdu Luxembourg. vendredi 25 septembre 1908. n° 234. p. 1.


(i 7

' ' 79l


Le Vingtième Siècle, jeudi 29 octobre 1908, p. 1.
osol Pro Gallia. organe officiel du 2" congrès pour J"extension et la culture de la
langue française. 20-23 septembre 1908.
157
artistes de la Comédie Française ... ces articles sont l'occasion de
présenter Arlon. son passé. ses attraits et.. sa situation linguistique.
Dans le domaine historique. les journalistes s'attachent sur-
tout aux origines romaines d'Arlon, au développement de son
vicus et aux imposants vestiges que la cité a conservés de cette
époque. aux siècles d'obscurantisme avec les invasions des Huns
et autres Barbares. à l'édification de sa muraille par Vauban au
xvrresiècle, aux batailles que les troupes françaises y ont livrées
contre l'armée autrichienne en 1793 et en 1794. à son nom figu-
rant sur l'arc de Triomphe à Paris. etc.
Tous les correspondants de presse soulignent encore le ca-
ractère moderne de cette petite ville coquette. son exquise pro-
preté grâce à un système d'égouts perfectionné et sa remarqua-
ble distribution d'eau, quasi unique au monde puisqu'une ma-
chine hydraulique refoule l'eau d'une source située sur la fron-
tière du Grand-Duché. 137 mètres plus bas que le réservoir éta-
bli dans le jardin des Capucins. Après nombre de détails de ce
type. le choix d'Arlon comme siège du Congrès et les récents
progrès de la langue française dans la ville sont brièvement
abordés. probablement sur base d'informations fournies par Jean
Van Dooren. Dans son édition du 29 septembre 1908, le Jour-
nal des Débats écrit :
«Cette coquette petite ville se prête admirablement à l'organi-
sation d'une telle assemblée. Située exactement sur la ligne de
partage des eaux entre la Meuse et la Moselle. sur la limite qui
sépare la langue française des idiomes germaniques. en un point
où quatre pays prennent contact : la Belgique. la France. l'Alsace-
Lorraine et le Luxembourg. elle voua de plus. de tous temps. une
ardente sympathie à notre pays...
«A Arlon même. on n'entend parler que le français. toutes
les inscriptions sont françaises et la ville a cet aspect coquet de
nos petites cités lorraines. On nous a dit qu'il y a vingt ans. il
n 'en était pas encore ainsi. Grâce au perfectionnement de l'en-
seignement primaire, on a pu substituer peu à peu le français à
]'allemand. L'allemand pour les gens du peuple. est une langue
écrite, très différente du jargon courant. le luxembourgeois: il
leur est donc presque aussi facile d 'apprendre le français que
de s'initier à la syntaxe du haut-allemand. Le cas s'est vu de
certaines familles nombreuses. où les aînés parlaient luxem-
bourgeois. alors que les cadets. même en dehors des heures de
classe. se sont mis tout naturellement au français ... Les préten-
158
tions des pangermanistes font hausser les épaules aux Luxem-
bourgeois,)) osiJ
La version officielle, fournie par le journal Pro Gallia, explique
encore que l'Arlonais ne se rattache plus guère que de nom au
type germanique, tant l'infiltration du sang wallon a été grande
depuis la séparation de 1839. Depuis le transfert à Arlon de tous
les services provinciaux et de ceux de l'Etat. avec un personnel
nombreux d'agents et d'ouvriers de l'administration des chemins
de fer, la ville et sa région se sont francisées et on y trouve même
une petite colonie flamande. Pro Gallia conclut :
«Tout ce monde vit en bonne entente sans les froissements
de race et de langue qui se constatent par ailleurs, Pourtant la
création, fort superflue, d 'un «Deutscher Verein/i, dû à des étran-
gers à la ville, révèle des préoccupations pangermanistes d'autant
plus déplacées que le progrès de la langue française est constant
dans la ville et les environs,)) 0 82l
Ce genre de considérations se retrouve dans bon nombre de
journaux belges ou français, du Nouveau Précurseur à la Républi-
que Française, de la Métropole à la Liberté.
Si la principale intention de Van Dooren, Ensch-Tesch et des
autres libéraux francophones arlonais, était de stopper les cam-
pagnes de propagande du Deutscher Verein dans la presse na-
tionale, tendant à faire passer Arlon pour une ville allemande,
on ne peut que constater leur réussite sur toute la ligne. Non
seulement ils parviennent à coller l'étiquette «pangermaniste»
au mouvement de Kurth mais en quatre jours, ils ébranlent sé-
rieusement les quinze années d'efforts du Deutscher Verein et
font découvrir à tous les Belges, à tous les Français et à tous les
francophones, la petite ville bien française d'Arlon, dans le sud
de la Belgique.
«Le rayonnement intellectuel et artistique de la France avait
changé de foyer et partait. pendant ces jours mémorables, non
plus de Paris, mais d'Arlon,)) (183l
Tous les lecteurs ne peuvent retenir qu'une chose de ces arti-
cles: à Arlon, on parle le français et non l'allemand même si le
patois local est germanique, un peu comme en Alsace et en Lor-
raine avant 1870,

( Jaumal des Débats. mardi 29 septembre 1908. n° 271, p. 2.


1811

( 1 Pro Gallia. op. cit. p. 7.


182

11831 L'Indép endance Belge. samedi 26 septembre 1908.

159
«Le congrès international pour l'extension et la culture de la
langue française qui tenait, il y a trois ans, ses assises à Liège en
terre wallonne, a siégé l'autre semaine dans une petite ville du
Luxembourg belge, région où le génie latin s'est imposé au cours
des siècles à une population de race purement germanique.» (i s 4)
Quant au Deutscher Verein, il est discrédité tant à Bruxelles
qu'à l'étranger et c'est la suspicion qui plane désormais sur lui.
Belle victoire pour Van Dooren grâce au soutien de Wilmotte et
des responsables libéraux.
A l'exception du ministre d'Etat Jules Lejeune, les catholiques
boudent ou combattent le Congrès. Le matin même de son ouver-
ture. le comte de Briey. gouverneur de la province de Luxem-
bourg. quitte la ville. nest ce jour-là dans l'obligation impérieuse
de passer la fin des vacances scolaires en compagnie de ses en-
fants. ce qui fait dire à Maurice Wilmotte lors de l'inauguration :
«Le gouverneur est un excellent père de famille».
Camille Joset ne change pas d'attitude et continue d'appeler à la
«coalition de toutes les énergies nationales et catholiques pour s'op-
poser à l'un des pires ennemis qui aient jamais menacé notre pays :
lïnfl.uence dissolvante, anarchique et démoralisatrice du laidsme
français» 085l. Un mois après le congrès. le Vingtième Siède. qui lui
aussi se remet difficilement de cette manifestation. déclare :
«Nous n'entendons pas que l'on bafoue devant les étrangers nos
écrivains, nos joumaux, notre parler, nos mœurs, notre magistra-
ture, nous ne sommes pas disposés à nous vendre à un gouverne-
ment étranger quel qu'il soit nous avons plus que les thwiféraires
du florentin de la Batte le souci de la dignité de la Belgique.» 086l
Les libéraux répondent :
«L'hostilité des catholiques s'explique parl'étrange confusion que
certains catholiques étroitement nationalistes, et qui craignent de
voir leurs électeurs leur échapper dès qu'ils cesseront de regarder
plus loin que le docher de leur village, font entre la culture française
et lïdéal révolutionnaire. lls préféreraient que les paysans ne sus-
sent pas lire, mais en tout cas ils veulent qu'ils ne lisent que de
petits joumaux flamands et le catéchisme de Malines.» 0 87l

0841 Journal des Débats. mardi 29 septembre 1908, n° 271. p. 1.


(iss) L'A venir du Luxembourg. vendredi 25 septembre 1908. n° 234, p. 1.
0861 Le Vingtième Siècle, jeudi 29 octobre 1908. p. 1.

1871
( DUMONT-WINDEN, Pour la culture et l'extension de la langue française. Le
congrès d'Arlon. Coupure de Presse. Papiers Omer Habaru.
160
Jean VAN DOOREN (1861-1945)
Jean Van Dooren n'est pas un
:><;
Arlonais pur sang. Mais ce
Wallon né à Petit-Rechain,
près de Verviers, y a acquis un
droit de cité indiscutable. Di-
plômé de l'Ecole normale des
humanités à Liège. il débarque
à Arlon le 19 septembre 1885,
désigné pour la chaire de rhé-
torique française à l'athénée.
Il se révèle comme le plus
brillant professeur de l'établis-
sement. Esprit de grande fi-
nesse, possédant des lectures
étendues. se tenant au courant
des productions les plus ré-
centes. la rectitude de son jugement. sa vaste érudition et
sa parole vive, lui valent une vénération inégalée. Ses an-
thologies des poètes lyriques de France et de l'étranger
(1901), ainsi que des prosateurs français (1907). sont cou-
ronnées par l'Académie royale de Belgique.
Populaire auprès de ses élèves, Van Dooren l'est aussi auprès
de ses concitoyens. Marié à Arlon où il construit sa maison.
cet humaniste se dépense sans compter pour animer la vie
locale. Fondateur de !'Extension de l'U.L.B .. inspirateur de
la revue La Vie Arlonaise, cheville ouvrière de l'Association
pour la culture et l'extension de la langue française, organi-
sateur de soirées culturelles et artistiques, Jean Van Dooren
est l'âme de la vie intellectuelle locale. Après sa retraite en
1921, il est nommé rédacteur en chef du quotidien Les
Nouvelles. La France l'honore à plusieurs reprises. Lauréat
de l'Académie Française, chevalier de la Légion d'honneur.
ce «champion de la langue française» s'éteint le 13 mars
1945.

161
Nous ne connaissons pas le nombre de participants au Con-
grès d'Arlon, pas plus que le nombre d'invitations lancées par les
organisateurs, mais il paraît matériellement impossible que les
organisateurs aient attendu et reçu plus de deux à trois cents
invités.
Le fond du problème se situe certainement à un autre niveau.
Ce qui importe est l'impact de la publicité faite à la culture fran-
çaise à Arlon. Dans la ville même, elle est considérable. A travers
le pays, le retentissement est grand pendant trois jours mais en-
suite s'estompe rapidement. Le Congrès a-t-il réussi? L'avis du
Jaumal de Liège semble précieux :
«Un congrès a réussi lorsqu'il a eu une bonne presse, qu'il a
provoqué l'éclosion de rapports intéressants et activé les bon-
n es volontés de ses paiticipants: le congrès d'Arlon n 'a pas man-
qué, comme on peut le voir. à cet idéal.» ossl
Deux ans plus tard, le comité organisateur du congrès se mue
en comité directeur de l'Association Française d'Arlon. Pendant
trente années, il va accueillir dans le Luxembourg les conféren-
ces françaises organisées par Maurice Wilmotte.

Conclusions sur l'action du Deutscher


Verein
Le Deutscher Verein de Godefroid Kurth mena une action es-
sentiellement revendicative. C'est par ses nombreuses pétitions
au Parlement qu'il se fit avant tout remarquer. C'est grâce à elles
qu'il rassembla le plus de patoisants autour de lui. Ainsi en 1898.
après que Van Cauwenbergh ait déclaré à la Chambre que les
Allemands de Belgique ne demandaient rien, une pétition de la
région allemande. protestant contre cette affirmation. fut cou-
verte en quinze jours par près de 10.000 signatures. Elle consti-
tue le plus beau succès du cercle linguistique allemand. Mais elle
resta sans suite. de même que la plupart des pétitions.
Si le Deutscher Verein obtint parfois d'un ministre que cer-
tains postes soient réservés à des patoisants originaires du pays
d'Arlon et non à des Wallons. la mesure fut difficile à appliquer
en raison du manque de candidats intéressés. De plus, elle ne
devint jamais définitive ou automatique et disparut avec le

!188l Le Jaumal de Liège. jeudi 24 septembre 1908. p. 1.


162
ministre. Le Deutscher Verein échoua dans sa demande au mi-
nistre de la Guerre visant à permettre aux élèves de l'Ecole mili-
taire qui le souhaitaient. de passer leurs examens en allemand; il
essuya un refus lorsqu'il demanda à la Ville d'Arlon de renouve-
ler les plaques indicatrices des rues. pour y faire figurer les noms
dans les deux langues. en allemand comme en français. n n'ob-
tint pas l'extension à la langue allemande des dispositions de la
loi du 22 mars 1878 sur l'emploi de la langue flamande en ma-
tière administrative. ni l'extension à la langue allemande des dis-
positions de la loi du 3 mai 1889 sur l'emploi de la langue fla-
mande en matière répressive. ni la même extension de l'article
49 de la loi sur l'enseignement supérieur du 10 avril 1890. insti-
tuant un examen en flamand pour les juges. les notaires et les
professeurs se destinant à la partie flamande du pays. n n'obtint
pas non plus l'application de la loi existante du 19 septembre
1831. prescrivant une traduction allemande des lois. ni l'institu-
tion d'un concours spécial allemand, à côté des concours fran-
çais et flamand. pour tous les examens conduisant aux fonc-
tions publiques. ni la création d'une section allemande dans les
athénées d'Arlon et de Verviers. etc. La langue allemande ne de-
vint pas la troisième langue nationale. comme le souhaitait ar-
demment Godefroid Kurth.
Par contre. les activités culturelles du Deutscher Verein con-
nurent un succès non négligeable parmi les élites catholiques
des villes d'Arlon et de Liège.
«Les circonstances étaient favorables : la science allemande
jouissait alors d'un prestige sans pareil: des philologues, des mé-
decins, des ingénieurs étaient allés parfaire leur savoir dans les
hautes écoles et les laboratoires d'Allemagne: la musique alle-
mande était en pleine vogue et les «pèlerinages» à Bayreuth
étaient de bon ton: on donnait volontiers des gouvemantes alle-
mandes à ses enfants: on venait de fêter le centenaire de la mort
de Schiller.» '189l
En 1912, le Deutscher Verein était composé de 48 ecclésiasti-
ques, de 33 enseignants. de 26 magistrats ou fonctionnaires. d'un
industriel. d'un commerçant et d'un imprimeur. Connut-il un suc-
cès réel?
Selon le bourgmestre Paul Reuter, «il végéta lamentablemenb> (i 90J,

0891 AL. CORIN. Henri Bischoff. in Liber Memorialis. l'Université de Liège de 1936
à 1966. tome II. Liège. 1967. p. 28.
0 901 Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 20.
163
Ce témoignage émanant de l'un des principaux leaders libéraux d'Ar-
lon. apparaît naturellement suspect Mais celui du professeur Alfred
Bertrang n'est guère plus flatteur. Pourtant ce dernier. auteur de la
«Grammatik der Areler Mundarb1, ne peut pas être soupçonné d'hos-
tilité envers la langue maternelle ou le Deutscher Verein. En 1936. il
écrit dans Die Sterbende Mundait:
«Unter den hundert Mitgliedem. die man alle Mühe batte
zusammenzubringen und deren Zahl nie überstiegen wurde.
waren die Dorfpfarrer und die Dorfschullehrer am starksten
vertreten. In der Stadt Arlon fand der Verein nur wenige Anhanger.
auszer einigen aus dem Groszherzogtum Luxembourg
stammenden Gymnasiallehrern. Aus beschrankte sich die
Tatigkeit des Vereins aufdie Abhaltung einiger popularisierenden
Vortrage. Nach dem Volkerkriege fiel es niemanden ein, den
Verein wieder ins Leben zu rufen. 11 0 91 l
L'impact du Deutscher Verein au niveau local semble avoir
été faible et sans commune mesure avec le véritable tapage qu'il
organisa au niveau national et avec ses pétitions au Parlement.
Ce cercle avant tout catholique ne toucha guère la masse de la
population patoisante si ce n'est par l'intermédiaire des prêtres
et des instituteurs. Pourtant après sa disparition survenue lors
du déclenchement des hostilités en 1914. son importance allait
devenir capitale.
Le Deutscher Verein avait amorcé un mouvement et aussi fai-
ble ait été son importance. il allait être poursuivi, récupéré ou
détourné par ceux venus après lui. au cours des quatre décen-
nies suivantes.
D'autre part. le respect suscité par tous ces notables et ces
ecclésiastiques rassemblés autour de la personne de
Godefroid Kurth et de la foi chrétienne. devint tellement grand
que tous ceux qui lui succédèrent. se présentèrent comme
ses héritiers.
Enfin. au lendemain de la première guerre mondiale. on vit
naître à Arlon un culte. une adoration. une admiration sans bor-
nes pour Godefroid Kurth. disparu en 1916. C'est tout un mythe
qui se développa autour de lui et c'est à ce moment qu'il devint
le père de tous les germanophones belges et de leur mouve-
ment. Le fait d'avoir tant aimé l'Allemagne et la culture allemande
et d'en être presque mort lorsque l'Allemagne attaqua la
Belgique et massacra par milliers des innocents. permit à cette

'' 9 ' l Alfred BERTRANG . Die Sterbende Mundart. op. cit.. p. 138.
164
passion et à cet émerveillement pour Godefroid Kurth et pour
son œuvre. de se répandre dans tous les foyers du pays d'Arlon.

Les rapports du Deutscher Verein avec


l'Allemagne
Si le Deutscher Verein demande justice pour les Belges ger-
manophones. il ne cherche pas pour autant d'appui auprès de
l'Allemagne. le grand voisin avec lequel le Luxembourg belge n'a
d'ailleurs pas de frontière commune. Cela ne signifie pas que
son action en faveur de la langue allemande et du Deutschtum
passe totalement inaperçue du côté allemand. A plusieurs repri-
ses. on voit de l'autre côté du Rhin des journaux ou des universi-
taires saluer l'action du Verein belge.
La Kolnische Volkszeitungdénonce avec vigueur les fossoyeurs
du Deutschtum en Belgique et souligne le mérite du clergé et des
nouveaux défenseurs de la langue maternelle. Les Alldeutscber
Blatter déplorent la triste situation faite à la langue allemande en
Belgique et félicitent le Deutscher Verein pour son action (192l.
En novembre 1902. le professeur K Winterstein. de Kassel. et
le professeur Llesegang, de Wiesbaden, proposent au Deutscher
Verein de recevoir gratuitement deux séries de livres pour les
bibliothèques du cercle linguistique par l'intermédiaire du
«Alledeutsche Verband11, avec promesse d'envois futurs. Réuni
en assemblée générale. le Deutscher Verein refuse l'offre car il
estime qu'un tel geste pourrait être mal interprété en Belgique.
L'Union pangermanique est remerciée pour son intention mais
son cadeau est repoussé 0 93l.
Ce refus donne une bonne image au Deutscher Verein. toute
empreinte de patriotisme. En Belgique. on apprécie. et en Alle-
magne. on n'oubliera pas le loyalisme de cette société défen-
dant les droits de la langue allemande.
«lm übrigen war die Tendenz der Vereine durchaus loyal-
belgisch wie sich schon daraus ergibt. dass in 1903 eine
Bücherschenlmng aus Deutschland abgelehnt wurde, weil sie
angeblich von all-deutscher Seite kam und die Vereine hiermit
nichts zu tun haben wollten » 0 94l
0921 Jalubuch des Deutschen Vereins. Are!. 1903. p. 14.
o93 l Idem. p. 15.
' 1941 A FRESE. Deutsches Land in Belgien. Berlin. 1918. p. 10.

165
Le Deutscher Verein a toutefois une troisième raison de ne
pas accepter le don, outre son patriotisme et la publicité que son
geste lui assure. En effet un membre du cercle, le chanoine Lecler,
ayant connaissance de la liste des livres proposés, conseille aus-
sitôt de rejeter l'offre car le cadeau est empoisonné: les livres
sont d'inspiration protestante 0 9sl.
Le Deutscher Verein, en tant que société catholique, n'hésite
jamais à condamner le protestantisme allemand. Des articles pu-
bliés dans le jahrbuch dénoncent la politique menée par Bismark.
rendu présomptueux par ses victoires sur la France, et racontent
comment il a conçu le projet de fondre toutes les convictions
religieuses en un catholicisme d'Etat sans obédience à Rome.
Persécutions des catholiques, fermeture des séminaires et des
écoles catholiques, fuite des étudiants. brimades. etc. sont décri-
tes 096l.
On peut conclure que les relations entre le Deutscher Verein
et l'Allemagne sont quasiment inexistantes. ou en tout cas très
rares. S'il y en a. elles sont aimables sans plus. On peut même
signaler un incident entre Godefroid Kurth et la Frankfürter
Zeitung durant l'année 1906 0 97l,
A la suite de la campagne de l'historien dans les colonnes du
Vingtième Siècle. le correspondant bruxellois du grand quoti-
dien allemand s'en prend à Kurth et à son organisation. D'après
lui. il est absolument faux de prétendre que la Belgique néglige
ses germanophones. il s'évertue à prouver que le mouvement
allemand n'est pas justifié et que son promoteur va beaucoup
trop loin. il y a en Belgique. remarque-t-il. 1.457 communes wal-
lonnes. 1.137 communes flamandes et en tout et pour tout 26
communes allemandes comptant 36.344 habitants dont 15.900
seulement ne parlent que l'allemand. Kurth exagère largement
en réclamant la mise sur pied d'égalité de l'allemand avec le
français et le flamand. Pour le journaliste, la question des lan-
gues est admirablement résolue en Belgique.
Malgré ces rapports très limités entre le Deutscher Verein et
la nation germanique. certains n'hésitent pas à affirmer que
Godefroid Kurth fait le jeu des pangermanistes. Dans le cadre de
son article consacré à l'influence allemande en Belgique. paru en

(l9 5l Jahrbuch des Deutschen Vereins. Are!. 1904, p. 3.


96
(1 ' jahrbuch des Deutschen Vereins. Are!. 1910, p. 81.
(1 97 l Frankfürter Zeitung, samedi 25 août 1906, n° 234.

166
1907 dans la Revue de Paris. Maurice Wilmotte consacre un pa-
ragraphe aux sociétés allemandes de Kurth et de Bischoff:
«Né germain et plébéien. M Kurth ne pouvait aimer les raffi-
nements de la civilisation latine, et tout s'accordait pour faire de
lui le champion, sincère jusqu'aux ardeurs fanatiques, du germa-
nisme en Belgique. nn 'eut pas de peine à trouver des collabora-
teurs dans un milieu qu'il dominait de toute sa stature.» o9sl
Poursuivant Maurice Wilmotte fait remarquer que les résul-
tats de ce genre de cercles linguistiques sont dangereux. Les
Leitfaden für den Unterricht in der Geographie du professeur
Daniel et l'Alldeutscher Atlas du professeur Langhans. tracent
une ligne de démarcation surprenante entre le Deutschtum et
les territoires de langue française :
«Est-il besoin de dire qu'Arlon et les petites bourgades luxem-
bourgeoises du Sud-est de la Belgique sont également restituées
au Deutschtum ?Le Grand-Duché n'est pas simplement annexé,
il est débaptisé comme Arlon est Arel.» o99l

o9si Maurice WILMOTfE, Lïnfluence allemande en Belgique, in La Revue de Pa-


ns. Paris, septembre-octobre 1907, p. 662.
1199l Idem.

Voir également Th. HEYSE, La propagande allemande en Belgique avant la


guerre, Bruxelles, 1925.
167
Au mois d'août 1914. 1· envahisseur allemand fait régner la terreu1 dans le sud de
la province de Luxembourg. Les exactions sont multi ples : villages rasés. exécu-
tions sommaires. massacres collectifs .. C'est le prélude à une occupation parti-
culièrement douloureuse au cours de laquelle des milliers de LHxembourgeois
sont déportés au travail obligatoire. Cette tragédie a des conséquences extrê-
mement négatives pour l'usage du patois germanique dans le çays d'Arlon.

]&AN GOEDERT.
Isidore POIRY ÉPISODE DE LA GU ERRE DE 191 4- 1918
"'q
LES BOCH ES DANS LE LUXEMBOURG

Les Barbaries La J ournée du 23 ao-(lt 1914

allemandes
DANS LA

PROVINCE DE LUXEMBOURG EN 1914

.,,. BRUXELLES
TROIS IÈME .D1Tl0N J. LEBÈGUE & c;,
LA BE LGIQ UE ME U RTRI E
(revue ~t c.orriirée)

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3 13, at111,t1sse, f"br:eU t •, ~ruxellH
V. LA GRANDE GUERRE ET LES
PREMIERES TENTATIVES DE
GERMANISATION (1914-1918)

Août 1914: horreur dans le Luxembourg


C'est peine perdue que d'essayer de comprendre la résistance
des autorités communales d'Arlon à l'occupant. la réaction de la
population patoisante au lendemain de la Grande Guerre, la tris-
tesse et la haine de Godefroid Kurth. la signification de sa dispa-
rition... sans savoir ce que représente pour un Luxembourgeois
l'été 1914.
En août 1914, l'envahisseur allemand exerce une politique de
terreur, massacrant et déportant par centaines les paisibles villa-
geois luxembourgeois. Dès leur entrée en Belgique. les soldats
de Guillaume II font preuve d'une grande cruauté. Première ré-
gion traversée. le pays d'Arlon fait immédiatement les frais de la
barbarie allemande. Exécutions sommaires dans les rues. arres-
tations d'otages. la ville d'Arlon n'évite la destruction totale que
par le paiement d'une rançon exorbitante de 100.000 francs/ or.
Cela ne sauve cependant pas 64 maisons des rues de Neufchâ-
teau et de Viville qui sont mises à sac ou incendiées. Dans le
village de Freylange. les habitants ont juste le temps d'évacuer
avant que le feu ne soit bouté aux habitations et que l'artillerie
n'entre en action: 38 maisons détruites.
Au fur et à mesure de leur avance en territoire belge. les Alle-
mands se heurtent de plus en plus violemment à l'avant-garde
française. C'est en Gaume que le choc des deux armées a lieu. n
fait 20.000 victimes. Aussi. les Allemands accentuent leur vengeance
sur la population civile. Faisant preuve d'une sauvagerie et d'un
acharnement inouïs. ils massacrent 277 civils dans le village d'Ethe
et incendient 256 maisons. A Latour. 74 habitants sont fusillés. 62
à Tintigny. 24 à Baranzy. Dans les villages de Breuvanne. Etalle.
169
Houdemont. Jamoigne. Musson, Mussy-la-Ville. Poncelle, Saint-
Léger. c'est par dizaines que les habitants sont exécutés. A Arlon.
le 22 août 1914. 121 habitants de Rossignol emmenés au chef-lieu
sont fusillés en quelques minutes par groupes de dix (2ooi.
Non seulement la barbarie allemande horrifie chaque Luxem-
bourgeois de 1914. mais en plus elle consterne les générations
suivantes pendant des décennies (201 l. Les récits décrivant les atro-
cités commises dans le pays d'Arlon ou en Gaume sont innom-
brables. Leur publication commence dès la libération en 1918 et
se poursuit jusqu'aux périodes les plus récentes. Personne n'a
oublié.
Isidore Poiry écrit en 1919 dans «Les Barbaries allemandes
dans la province de Luxembourg» :
«A Arlon, l'agent de police Lempereur, qui avait dit la vérité
dans un rapport de la scandaleuse conduite en public d'un sol-
dat allemand ivre, se jeta à genoux en suppliant grâce pour son
innocence, au nom de sa pauvre femme et de ses petits enfants.
Pour réponse il eut plusieurs balles dans la tête.» (202 l
Léon Thiry et Nestor Outer écrivent à la même époque dans
«Les Larmes Gaumettes», à propos de Musson :
«Francs-tireurs ! Francs-tireurs !» répétaient les Allemands en
entraînant des braves gens sans défense qui tremblaient de tous
leurs membres, hors de leur logis...
«Des soldats lançaient par les fenêtres des cartouches incen-
diaires ou allumaient de la paille, arrosée d'essence, dans les
chambres et les granges. Le ciel était rouge et traversé de fumées
lourdes que le vent soulevait en panaches. Bientôt tout Musson
ne fut qu'un vaste brasier. Des hommes sortaient en hâte le bé-
tail épouvanté: des bêtes hurlaient de douleur, consumées vives
dans cette foumaise ardente. Des femmes portant leurs enfants

1200
l Jean SCHMTTZ et Norbert NIEUWLAND. La bataille de la Semois et de Virton.
in L'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg.
tome vm, Bruxelles et Paris. 1924.
Jean-Marie TR.IFFAUX. Les tragiques événements d'août 1914 à Arlon. in
Arlon-Carrefour, mercredi 30 août 1989, p. 7.
Jean-Marie TR.IFFAUX, Le Pays d'Arlon et la Gaume au fil du XX' siècle, Arlon.
1999, pp. 31-33.
1201 l Dominique ZACHARY. Villages gaumais choqués, in L'.A venir du Luxembourg.

vendredi 11 mai 2001. p. 19.


1202i Isidore POIRY. Les Barbaries allemandes dans la province de Luxembourg
en 1914. Bruxelles. 1919.
170
se sauvaient en détresse, et des brutes tiraient sans pitié sur ces
innocentes victimes.» (20 3)
En 19 34, Omer Habaru raconte dans «Je fais fusiller 121 Belges»,
le martyre des habitants de Rossignol au fond de la gare d'Arlon :
«Des .ils se jetaient à genoux. demandant grâce pour leur vieux
père. Des pères criaient : «Tuez-moi deux fois. mais laissez la vie
à mon pauvre petit». Des hommes bondissaient hors des wa-
gons : «Tuez-moi tout de suite, bande de lâches !»
«Pourquoi ? Pourquoi ? ne cessait de gémir un enfant qui ne
comprenait pas.» (2o4l
En août 1985. Joseph Bourguignon se souvient des habitants
de Latour dans le livre «22 août 1914» :
«Je vis tomber jusqu'au demier civil. Quand les hommes de
Latour furent tous fusillés, les Allemands poussèrent un hourrah !
Soldats et officiers se ruèrent sur leurs victimes, les achevèrent à
coups de baïonnette. de revolver. de crosse de fusil, de lance. Je
ne puis comprendre comment je n'ai pas été fusillé.» (205l
En mai 2001. quelques jours après la cérémonie du pardon
allemand à Dinant le journaliste Dominique Zachary écrit dans
les colonnes de l'A venir du Luxembourg:
«En Gaume, le geste sollidté par les Dinan tais a choqué bon nom-
bre de famiJJes qui sont toujoUIS orphelines de leUIS pères, de leUIS
grands-pères,gratuitementtuésparlesAllemandsilya87ans... Latour
a fait moins de bruit que Dinant mais n'est pas prêt à pardonner.»(206l
La tragédie d'août 1914 a des conséquences incalculables pour
la défense de la langue allemande et l'utilisation du Luxembour-
geois chez les habitants du pays d'Arlon.

Les tentatives de gennanisation de


l'enseignement primaire à Arlon
A la suite de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi scolaire du
19 mai 1914. activée par le pouvoir occupant. l'administration

' 203) Lucien THIRY et Nestor OUTER. Les Larmes Gaumettes. Bruxelles.
' 2041 Omer HABARU. Je fais fusiller 121 Belges. in Les Annonces du Luxembourg.
août 1934.
, 2o51 Jean DAUPHIN et Patrice DUMONT. 22 août 1914. Virton. 1985.
206
' 1 Dominique ZACHARY. Villages gaumais choqués. op. cit.

171
centrale classe d'office la région d'Arlon panni les communes de
langue allemande, à savoir:
1) dans la province de Liège : Aubel. Balen, Gemmenich, Henri-
Cha pelle, Homburg. Membach, Montzen. Moresnet.
Sippenaken et Welkenraedt :
2) dans la province de Luxembourg : Arel. Athem, Attert, Bocholz,
Bonnert, Diedenburg. Elcheroth, Feiteler, Girsch. Heischligen,
Herzig. Hewerdingen, Holdingen, Hondelingen, Ibingen,
Martelingen. Metzig, Niederelter, Seligen, Tintingen, Tëmich et
Tontelingen.
Cela ne modifie en rien la situation à Arlon, pas plus que la
parution de l'arrêté du 22 avril 1916 concernant la langue véhicu-
laire dans les écoles communales, adoptées et adoptables de la
région allemande de Belgique. Pourtant cette législation scolaire
précise que :
Article 2 : «Dans la partie allemande du pays, l'allemand est
considéré comme étant la langue maternelle des enfants, à moins
que le chef de famille. en faisant inscrire l'enfant, ne fasse par
écrit une déclaration spéciale désignant une autre langue comme
langue maternelle et usuelle.»
Article 8 : «On consacrera à l'enseignement de la langue ma-
ternelle. donné dans cette langue. six heures entières au moins
par semaine, dans les classes du premier degré, cinq heures dans
celles du deuxième degré, quatre dans celles du troisième et qua-
tre dans celles du quatrième.»
Article 9 : «La commune où l'administration scolaire a le droit
d'inscrire au programme des cours, une ou plusieurs langues à
titre de branches facultatives ... on ne devra pas, jusqu'à nouvel
avis, commencer l'enseignement de ces langues avant la 6e an-
née d'études ni y consacrer plus de trois heures entières ou de
six demi-heures par semaine...»
Article 10: «Aucun instituteur n'a le droit d'enseigner dans
une classe s'il ne possède pas à fond la langue véhiculaire de
cette classe.» (zo7l
Au début de l'année 1917. l'administration communale d'Ar-
lon n'ayant rien modifié dans son enseignement primaire, l'ins-
pecteur des écoles de la région allemande du pays. Jean-Pierre

(zo
7i Table des lois, arrêtés et avis pour le tenitofre belge occupé, du 1er avril au 30
juin 1916, p. 2054.
172
Fraikin (208l, nommé à ce poste par l'occupant prend contact
avec les responsables arlonais afin d'obtenir sans plus tarder
l'application du décret.
L'échevin de l'instruction publique Paul Reuter fait rapport de
la situation au Conseil communal lors de sa séance du 10 avril
1917. Pour lui la situation est très claire :
«Actuellement la majorité de la population appartient à la race
wallonne, et le patois vulgaire, qui n'a d'ailleurs que des rapports
fort lointains avec la langue allemande proprement dite, cède de
plus en plus le pas au français.» (2o9J
Reuter agite les derniers recensements et les dernières listes
électorales, d'après lesquelles la proportion d'électeurs d'origine
wallonne est officiellement de 61 % contre 39 % seulement d'élec-
teurs autochtones. D'ailleurs les conséquences de ce mouvement
d'immigration trouvent leur reflet dans la composition même du
Conseil, du personnel administratif. enseignant. etc. U rappelle
que c'est pour cette même raison qu'en 1867, le Conseil commu-
nal a modifié les bases de l'enseignement élémentaire pour
l'adapter à l'afflux toujours croissant d'élèves d'origine wallonne.
De l'égalité des langues française et allemande dans les écoles,
on est passé à la prépondérance de la langue française. en tant
que langue véhiculaire, tout en laissant à l'enseignement de l'al-
lemand, considéré comme seconde langue obligatoire. la «part
légitime qui lui revient dans la formation intellectuelle de nos
jeunes générations».
A ses yeux. la décision adoptée en 1867 a depuis lors été rati-
fiée par l'unanimité des pères de famille qui n'ont jamais émis la
moindre plainte en confiant leurs enfants aux écoles de la ré-
gion.
Uva sans dire que Paul Reuter passe sous silence les revendica-
tions du défunt Deutscher Verein. En conséquence. la décision

208
1 lJean-Pierre-Dieudonné Fraikin. inspecteur cantonal de l'enseignement pri-
maire. né à Herstal le 9 novembre 1871. est directeur au ministère wallon
des Sciences et des Arts pendant l'occupation. Le 3 octobre 1919. la Cour
d'Assises de Namur l'a condamné par contumace à 20 ans de travaux forcés.
Archives du Palais de Justice de Namur. Dossier Fraikin.
Procès des Activistes Wallons. Condamnation des Fugitifs. in Province de
Namur. vendredi 19 décembre 1919. n° 297, p. 2.
12091 Rapport fait au Conseil communal par M. Reuter, échevin de !'Instruction

publique sur la question de l'enseignement de la langue allemande dans les


écoles primaires de la Ville. Registre aux résolutions du Conseil communal
d'Arlon. Séance du 10 avril 191 7.
173
de placer Arlon parmi les communes de langue allemande est
tout à fait arbitraire et ne tient pas compte des nombreux élé-
ments wallons qui y résident naurait fallu au moins la considérer
comme appartenant à la frontière linguistique.
Lorsqu'on examine de près l'attitude de Reuter, on se rend
compte qu'elle n'est pas intransigeante, ni anti-allemande. mais
plutôt réaliste. nest vrai que jamais la Ville d'Arlon n'a voulu faire
totalement disparaître l'allemand de l'enseignement élémentaire
mais qu'elle s'est adaptée à la réalité de la forte immigration fran-
cophone dans le chef-lieu. Si l'enseignement de l'allemand a été
limité et ramené au rang de seconde langue, il existe toujours.
Paul Reuter souligne encore dans son rapport qu'il aurait pu,
par une interprétation restrictive des dispositions de la loi du 19
mai 1914. peu claires et ambiguës. réduire dans des proportions
considérables, l'enseignement de la seconde langue, c'est-à-dire
l'allemand. n ne l'a cependant pas fait car, pour lui, maintenir
l'allemand comme seconde langue au niveau primaire est un
atout pour le pays d'Arlon situé au point de rencontre des civili-
sations latine et germanique. L'enseignement tel qu'il se pré-
sente actuellement répond aux nécessités pratiques de la vie
future des travailleurs manuels et mène les enfants des familles
bourgeoises vers des études moyennes en français avec lesquel-
les il forme un tout organique, ayant subi l'épreuve du temps et
auquel il n'est pas question d'apporter des modifications quel-
conques.
L'échevin de l'instruction publique fait certainement preuve
de sagesse, de modération et de prévoyance lorsqu'il déclare et
demande au Conseil communal et à travers lui, à Fraikin et à
l'occupant:
«Si néanmoins vous jugiez quïl peut y avoir utilité réelle pour
nos enfants à renforcer l'enseignement de la langue allemande.
je vous proposerais, non pas une mesure de circonstance dont
les effets ne persisteraient pas au-delà des événements actuels,
ni davantage lïnstauration d'un double régime wallon et alle-
mand (il n'existe déjà panni nous que trop de ferments de con-
flits et de désunion pour qu'il faille encore en créer d'artificiels),
mais bien d'augmenter dans une proportion à convenir après
mûr examen de la question, le nombre d'heures consacrées à
l'enseignement de la langue allemande et cela dans toutes les
classes primaires, sans exception.» (2 10l

!210l Rapport de Paul Reuter. op. cit


174
Paul Reuter essaie en fait de répondre à ce qu'il peut y avoir
de légitime et de recommandable dans la demande de l'occu-
pant sans bouleverser toute l'organisation du système scolaire
en vigueur à Arlon et sans accepter une éventuelle germanisation
dont on ne sait encore si elle n'est qu'un mirage ou un réel dan-
ger.
Ce rapport est envoyé par le Collège échevinal à l'inspecteur
cantonal Fraikin qui le fait suivre. Grâce à cela, Reuter obtient un
peu plus de deux mois de répit ll ne faut pas perdre de vue que
l'arrêté du 22 avril 1916 doit normalement entrer en vigueur au
plus tard au commencement de l'année scolaire 1916-191 7 et
qu'il est applicable pour les deux premières années d'études
depuis sa parution. Or, nous voici en avril 191 7 et l'administra-
tion communale n'a encore rien fait La résistance passive du
Conseil communal a fait perdre une année entière au programme
pangermaniste.
Fraikin. conseillé par le président de l'administration civile
Kaufmann. un pangermaniste qui a déjà sévi avant la guerre dans
la région de Malmédy. répond au Conseil communal par une
dépêche en date 12 juillet 1917 '21 1).
Fraikin ne vient pas les mains vides. Il semble que la requête
de Reuter a été soigneusement étudiée et que le Gouverneur
général en Belgique a, par une ordonnance, accepté de faire un
certain nombre de «concessions» aux Arlonais. Chose extrême-
ment troublante, cette réglementation spéciale pour les écoles
communales d'Arlon porte la date du 16 février 1917. c'est-à-dire
qu'elle est antérieure à la première intervention de Fraikin en
février et au rapport de Reuter en avril. Pourtant. personne n'en a
jamais entendu parler avant que Fraikin ne la fasse parvenir à
l'administration communale le 12 juillet
Les concessions de l'occupant prévoient tout d'abord que l'en-
seignement dans les deux années inférieures sera donné en lan-
gue allemande sous réserve de la création de classes spéciales
wallonnes pour autant que les chefs de famille fassent une dé-
claration spécifiant que l'allemand n'est pas la langue maternelle
de leurs enfants. comme le stipule l'article 2 de l'arrêté du 22
avril 1916.
Ensuite. il est prévu que dans les classes allemandes des deux
années inférieures, le français sera introduit comme langue

(
2 11
! Extrait
du Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 191 7.
175
facultative avec quatre heures par semaine et sera maintenu dans
ces classes au même titre et avec la même importance pendant
toute la période scolaire.
Enfin. l'occupant veut que dans toutes les classes usant du
français comme langue véhiculaire. l'allemand soit enseigné
comme langue obligatoire avec six heures de cours par semaine.
Au sein du collège échevinal. personne n'est prêt à accepter la
création de classes wallonnes regroupant les francophones. aux
côtés de classes allemandes rassemblant les patoisants. L'idée
selon laquelle l'occupant veut jouer l'élément allemand contre
l'élément wallon se précise et le bourgmestre Ensch-Tesch n'est
pas disposé à accepter ce jeu dangereux. Nul ne sait quel sera le
prochain arrêté. ni quand se terminera la guerre et qui la rempor-
tera. Déjà, l'ombre de l'annexion se profile. C'est sans aucun mal
que le premier magistrat convainc le conseil communal qui se
déclare unanime pour résister à cette mesure quelles que puis-
sent en être les conséquences. La lettre de Fraikin se termine
par:
«Veuillez me faire connaître dans la huitaine quand et com-
ment vous comptez appliquer cet arrêté ainsi que ces conces-
sions. Agréez... » (212)
La réponse est envoyée à la suite de la séance du conseil
communal du 21 juillet 191 7 et c· est à une bonne surprise que
l'inspecteur de l'enseignement a droit.
La tactique adoptée par les dirigeants de la ville d'Arlon est
tout à fait légale et respecte scrupuleusement les volontés de
l'occupant: à Arlon. tous les parents ont déclaré que l'allemand
n'est pas la langue maternelle de leurs enfants. En conséquence.
il n'y a pas d'écoliers à mettre dans d'éventuelles classes alle-
mandes mais uniquement des enfants pour former des classes
wallonnes. Le problème est donc définitivement résolu.
Si le Conseil communal a le culot d'adopter soudainement
un pareil point de vue face à l'occupant. c'est parce que l'échevin
de l'Instruction publique est en possession des résultats tenus
secrets jusqu'alors. des démarches que l'administration commu-
nale a menées auprès des parents d'élèves dès le mois de mai
1916 et lors de la rentrée scolaire 1916-191 7. En effet. immédia-
tement après la parution de l'arrêté du 22 avril 1916. les respon-
sables communaux se sont préparés à faire face à toutes les
12121
Extrait du Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 1917.
176
situations et ils ont eux-mêmes contacté les chefs de famille
arlonais pour les prévenir du danger et pour qu'ils déclarent que
l'allemand n'est pas la langue véhiculaire de leurs enfants. Ce
qui est tout à fait exact en soi dans la mesure où les patoisants
parlent le luxembourgeois à la maison et non l'allemand. Même
les récalcitrants ont accepté. C'est la guerre. Personne ne veut
être germain et puis il y a Rossignol. et aussi Godefroid Kurth
que l'on a enterré en janvier 1916.
Dans sa réponse. le Conseil communal dévoile à l'occupant
cette arme ultime, savamment et discrètement préparée (ml. Les
chefs de famille ont déclaré unanimement que le français cons-
titue la langue maternelle ou usuelle de leurs enfants. à l'excep-
tion des parents de huit élèves de l'école communale des gar-
çons et de trois élèves de l'école communale des filles. Sur les
huit cas divergents chez les garçons. quatre concernent des en-
fants de nationalité allemande dont les familles résident depuis
peu d'années à Arlon. De plus. ceux-ci ont quitté l'école commu-
nale depuis février 191 7 pour gagner l'école allemande créée à
cette époque à Arlon à l'initiative de l'occupant. Deux autres gar-
çons concernés ont plus de 14 ans et sont en dehors des condi-
tions d'âge prévues par la loi scolaire du 19 mai 1914. Quant à
l'école des filles. une des trois élèves en question, est issue d'un
ménage habitant le territoire de la commune de Heinsch dont le
père n'a sollicité l'admission dans une école communale d'Arlon
que pour lui permettre d'apprendre le français. En conclusion,
sur un total de 998 élèves fréquentant les écoles communales
d'Arlon, il n 'y a que quatre enfants arlonais en âge d'école (deux
garçons et deux filles) pour lesquels leurs parents ont reconnu
de façon formelle la langue allemande comme étant leur langue
maternelle ou usuelle.
Paul Reuter assure que les résultats de cette enquête ont été
vérifiés consciencieusement par les chefs des écoles et recueillis
sans intervention ni pression aucune de la part de l'administra-
tion communale. il rappelle une nouvelle fois que le français est
depuis cinquante ans la langue véhiculaire de l'enseignement
primaire à Arlon et que. sous l'empire de ce régime. l'enseigne-
ment fondamental de cette ville a su gagner. non seulement la
confiance de plus en plus marquée de la population arlonaise,
mais encore une réputation qui dépasse de loin les limites du

12 13J Extrait du Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la


Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 191 7.
177
territoire de la commune. Effectivement beaucoup d'écoliers de
la campagne. voulant apprendre le français ou se préparant à
des études moyennes. fréquentent les établissements d'Arlon.
En se basant sur l'article 20 de la loi du 19 mai 1914 qui sti-
pule notamment «que la langue maternelle des enfants est la
langue véhiculaire aux divers degrés de l'enseignement» et «que
la langue matemelle ou usuelle est détenninée par la déclara-
tion du chef de famille». en s'appuyant aussi sur l'arrêté du 22
avril 1916. l'ordonnance du 16 février 1917. l'article 75 de la loi
communale. etc., le Conseil communal constate à l'unanimité.
en sa séance du 21 juillet 1917. que «les prescriptions... et l'arrêté
de M le Chef de l'administration civile près le Gouvemeur géné-
ral en Belgique..., en matière de langue véhiculaire, ont été ponc-
tuellement observés en ce qui conceme les écoles primaires com-
munales de la Ville d'Arlon et passe à l'ordre du jour.» (2 14l
Le lendemain 22 juillet. l'échevin Paul Reuter est convoqué
chez le président de l'administration civile allemande pour la
province de Luxembourg où se trouve le VezwaltungschefHaniel.
responsable pour la partie wallonne du pays. venu en personne
pour régler cette fâcheuse affaire et mettre un terme à l'arrogance
et à la mauvaise volonté de la direction communale d'Arlon. Le
contenu de cette entrevue nous est connu grâce au rapport que
l'échevin de l'Instruction publique adresse par la suite aux mem-
bres du conseil communal (21 5l_
Haniel et Kaufrnan insistent vivement pour que le Conseil se
rende compte que la création de classes wallonnes où le français
resterait la langue véhiculaire et où l'allemand ne serait obliga-
toire qu'avec six heures de cours par semaine. était une conces-
sion «très notable» au regard des prescriptions de l'arrêté du 22
avril 1916. L'entêtement de la Ville d'Arlon à refuser la constitu-
tion de classes allemandes où le français serait encore admis à
titre facultatif avec quatre heures de cours par semaine. est injus-
tifié et risque d'avoir des conséquences déplorables.
De son côté. Paul Reuter se place sur le terrain de la loi du 19
mai 1914. complétée par l'arrêté du 22 avril 1916. Sous cet angle.

t214 1Extraitdu Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la


Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 191 7.
t2151Rapport fait au Conseil communal par M. Reuter. échevin de !'Instruction pu-
blique. sur son entrevue du 22 juillet 1917 avec !IAM. Haniel. Verwaltungschef
pour la partie wallonne du pays, et Kaufmann. président de l'administration
allemande pour la province de Luxembourg. Extrait du Registre aux résolu-
tions du Conseil communal de la Ville d'Arlon. Séance du 11 août 191 7.
178
il prétend quel' ordonnance du 17 février 1917. loin de constituer
une concession. aggrave considérablement les dispositions en
vigueur en ne tenant aucun compte de la volonté des pères de
famille. reconnue comme facteur essentiel dans toute la législa-
tion scolaire. Et ce n'est pas la direction communale mais les
chefs de famille qui ont déclaré le français comme la langue ma-
ternelle de leurs enfants. exactement comme l'arrêté du 22 avril
1916 leur donne le droit de le faire.
Finalement Kaufrnann et Haniel concèdent à Reuter que les
enfants appartenant à des familles où le patois arlonais est en-
core d'usage courant. sont en réalité d'éducation bilingue. le fran-
çais leur étant en général aussi familier que le patois arlonais.
Cependant le conflit persiste car l'autorité allemande exige
que ces mêmes enfants reçoivent l'instruction primaire en alle-
mand tandis que Reuter défend le français. «étant une de nos
langues nationales et celle précisément que nos enfants. à quel-
que classe sociale qu'ils appartiennent. ont à tous égards. intérêt
à connaître à fond et à pratiquer. c'est au français qu'il convient
de donner la préférence en tant que langue véhiculaire. Je pense
- et je n 'ai pas cru devoir faire mystère de mon opinion à mes
interlocuteurs - que si. après la guerre. se pose la question de la
seconde langue dans notre enseignement primaire, ce serait plu-
tôt au flamand (qui constitue somme toute notre seconde lan-
gue nationale) qu'iraient nos préférences.» (216l
Le dialogue de sourds se poursuit Reuter propose ce qu'il a
baptisé «la solution équitable et vraiment transactionnelle», à sa-
voir: permettre la fréquentation de l'école allemande (ml, organi-
sée avec le concours matériel de l'administration communale à
tous les enfants. même de nationalité belge. dont les
parents en formuleraient le désir. Tant au point de vue de la lan-
gue véhiculaire qu'au point de vue du programme d'enseignement.

!216l Rapport fait au Conseil communal par M. Reuter... sur son entrevue du 22
juillet 1917. op. cit
!2 17l L'école primaire allemande d'Arlon est créée à l'initiative de l'autorité occu-
pante au début de l'année 1917. Le manque d'informations quant à sa fré-
quentation et à son fonctionnement est total. Il est probable que seuls les
citoyens de nationalité allemande installés à Arlon y inscrivent leurs en-
fants. Un conseil d'administration chargé de diriger les affaires et d'adminis-
trer les fonds de cette école est créé le 30 mai 191 7. Il est composé du prési-
dent de l'administration civile à Arlon. en qualité de président. du commis-
saire civil de l'arrondissement d'Arlon. vice-président. du directeur de l'école
et de deux personnes appartenant à la colonie allemande d'Arlon. en tant
que membres.
179
la Deutsche Schule réalise pleinement les vœux de l'autorité alle-
mande. Les modalités pratiques de cette admission ne se heurte-
raient vraisemblablement à aucune objection insurmontable.
Haniel refuse ce compromis de dupes et demande plutôt la
mise en place d'une commission spéciale composée du prési-
dent de l'administration civile de la province, de l'inspecteur can-
tonal et de l'échevin de !'Instruction publique. afin de vérifier les
déclarations des chefs de famille. Pour gagner du temps. Paul
Reuter, très ennuyé, déclare devoir d'abord en référer au conseil
communal. Sur ce. l'entrevue prend fin.
La Ville d'Arlon ne peut évidemment pas accepter la mise en
place d'une telle commission. Reuter s'y trouverait en minorité
et il ne s· écoulerait guère de temps avant que Kaufmann et Fraikin
ne lui fassent constater que la plupart des enfants ont pour lan-
gue maternelle et usuelle le luxembourgeois et non le français
comme les pères de famille l'ont déclaré. Ufaut empêcher à tout
prix qu'ils en arrivent à interroger les enfants.
Devant le conseil communal, Paul Reuter souligne à quel point
cette solution implique une suspicion imméritée des conditions
dans lesquelles les pères de famille ont été appelés à formuler
leurs déclarations. Elle tend à substituer à leur appréciation sou-
veraine la décision d'un jury composé en majeure partie de per-
sonnes étrangères à l'enseignement.
Il rappelle encore que d'après les prescriptions des lois et ar-
rêtés, la vérification de l'exactitude des déclarations des chefs de
famille ne peut être faite que par le chef de l'école sauf en cas de
désaccord entre celui-ci et le père de famille. Dans ce cas, un
recours du père de l'enfant uniquement. peut avoir lieu auprès
de l'inspection scolaire qui décide en dernier ressort.
Le 11 août 1917. le Conseil communal se basant une nouvelle
fois sur la légalité, rejette la création d'une telle commission et
déclare s'en référer à sa résolution du 21 juillet 1917.
Après deux nouvelles mises en demeure inefficaces. le
Verwaltungschef Haniel nomme un commissaire spécial chargé
de procéder à une enquête au sujet de la langue maternelle ou
usuelle parlée par les enfants fréquentant les écoles communales.
Il s'agit du Dr Lohmeyer, directeur de l'Ecole allemande de Bruxel-
les. Il va rencontrer quelques difficultés pour remplir sa mission.
En effet. il commet l'erreur d'annoncer la date de sa visite. Le jour
en question. après avoir débarqué du train de Bruxelles. il se
présente dans les écoles pour y enquêter. Malheureusement pour
180
lui, les classes sont entièrement vides ... dépeuplées par une mys-
térieuse épidémie de «croup» qui vient de se déclarer de façon
fort inopportune ! (218l
L'ahurissement se mue bientôt en colère, qui devient de la
rage. lorsqu'au Gouvernement provincial et à la Kommandantur.
on apprend la déconvenue de l'émissaire du Verwaltungschel
reparti furieux et bredouille pour la capitale. Ce n'est qu'une par-
tie remise car peu après le même personnage débarque à nou-
veau et cette fois à l'improviste. il trouve les bancs des classes
occupés par les enfants subitement guéris.
Son rapport est absolument formel : la langue allemande est
la langue maternelle de la majorité prédominante des écoliers
d'Arlon. Le 6 novembre 1917, le Verwaltungschef für Wallonien
revient à la charge en agitant les résultats de sa propre enquête
et met une fois de plus le Conseil communal en demeure de
substituer l'allemand au français comme langue véhiculaire (21 9l.
Le 17 novembre 191 7, le Conseil communal. imperturbable.
lui répond en concluant :
«Dans ces conditions, le fait de substituer à la volonté de pè-
res de famille, librement et souverainement manifestée, la déci-
sion d 'une commission non prévue par la loi, aurait pour résultat
inévitable d 'apporter une profonde perturbation dans l'enseigne-
ment primaire de la Ville d'Arlon, de faire déserter les écoles
communales et de compromettre gravement lïnstmction de la
jeunesse arlonaise.
«A l'unanimité, le Conseil confirme sa décision du 21 juillet et
passe à l'ordre du jour.» (noi
Cette fois-ci. c'en est trop pour les Allemands. Reuter est con-
voqué pour la deuxième et dernière fois au Gouvernement pro-
vincial. il ne modifie nullement son attitude et l'entrevue se ré-
vèle orageuse.
Dans les jours qui suivent. l'inspecteur d'étape de la Ve Armée.
Von Seydewitz, décrète, sur proposition du président de l'admi-
nistration civile du Luxembourg, la déportation en Allemagne de
Paul Reuter. échevin de l'instruction publique à Arlon. Reuter est

1zisJ Comment Arlon se défen dit pendant l'occupation allemande contre les cir-
culaires Huysmans. in La Défen se Wallonne. dimanche 24 avril 1927. pp. 1-2.
1119l Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la

Ville d'Arlon. Séance du 17 novembre 191 7.


izzoJ Idem.

181
La Résistance ~u Conseil comm1al
aux tentatives de germanisation
des Ecoles
â la lumi~re des -documents authentiques
Séances des 10 avril, 21 julllet, 11 aofit et 17 novembre 1917 ;
11 mai et 26 septembre 1918.

Les a,;ooss,in.a.ts, les in~dies et les pilla- li' , l'our ceila, il :fa.llait commencϥ pua: nons
get:J d'août 1914, lea odie:useis déporlation~ 1 dot.el,• d'un fa.u.x-nœ genJUliDique;: il f&llait
de nove;m;bte 1916 ert- de ma,i 1917, 1~ vexa.- fair.e de nous, de gré OU dl! foroe_ d«t «fré-
t io.us ot les bru;taJ.it,és sa.us nom;bre, nE! cons- l"e's» de langue et de ra.œ.
tiltu.ctnt qu'un des aspeJCte dei i' oooupa,tion
boche. C'elSt dans œ but *qlU!!
* * dès 1916, quelques
A la. vio~ ma.télielle, ces défein.seu.r·s «forj;es tê~ de. Bocli.ie, imaginèrent de
de la. «Klùina,, deva.ie111t a.jouter la con- gex:xnaari!relll DOIS éoolee d' a.boll'd, nos instiiu-
tr<ainto moa'SJ.e, l'~,priS10 9Ull' illba coosai.en- tfüOillS adm!imi,sjit'll;tii.veis ensu;i.tei.
cœ, s ur nos S0111Jtiment!l intimes, 811111 notre G1"âœ, à l' éneJ'gie dCI nœ éd.iilee, le mau-
la.n.gue, S'llll" oel qui, ~lgl'é t.out, leiw, de- vai:s OOUlp éohoiua., Dll'.IÏ& ce ne fuit pes la. fa.u-
me,.u'ait impénétrable et inacœlsBi.ble.. re. des Halflll ~ -delil KIUffmavt, SI'. lem-- en-
Sou.a préteode qu'un œrtaàn_ n:omb1<e de ill'eprise :faifl déjouée. ~ edfot!!B vini'tlttlt,
noo habiœ;nt& pa.rlenit u.n pa.tois bas-ailler se b1iser c:o;niir'el l'.inviinaible l'éa$lB.nœ op-
:rnand , ils nous avaieln.t .ami.exés déjà pa.i: pœée pll,Il le Oom.-1 oom.m.lllJl.llll, :fœtt de l'a.p-
a.\""SJlOO ,nmouvelaill.t cher,: nqus, ruveo la pqi l ~ d~ fouie' la. populadiun:
lou,rdeuir qui les œ.l:ootécise, et d'.a.ill:etü'S
sans plus de su.cc:ès, la_politique de genn'a,
nise.tioli pou,1;suivie 8lll Pologne et en Alsae
. "' "'
Ne pou,va.n)tl opéiretr PÇ' lui-m.ême, le Boche
o.vaitl \tmiuv&, poolll" li'a.i.dei1 da.n.s !18 si.nJis1:re
ce,.Lolfllii.ine. bœogne, quelq1œ9 Belgeis, tmîtœs à leiur
Ils poun."stiivaietnt, ce WSQllJ.t, un but -po- pa.ys: l'uu d ' ~ eux, un nommé Frai•
litique =i.bitie.u.x. C'était à 1/ époque où ils kïn, ci:.aeva:nt lll&peoœjull' C88l!looai à Bous-
se voya.ient le.a :rnaâti-es déjà, et à tout jae . !fU', a.ujourd'hu$ eo:11 fuite - .la. Oiiu.r d.'aai-
mai.s, du bassin de Briey eit de Longwy. TI ses de Nam.lu/Ii lui aym11 imlig& 20 années
&' a,gissa.it de OO!D&titwn', pa.r l' llill.D.oocion du . de tr'avlllUix fo.roés -- s'ébl,iJtl e;luwgé dœ pl'e-
wd du Luxembourg beilge au «Deutsch- mi~ tiJ!a.vaux d'a.JlI)Il:>c;heJ. - Nommé pea1
1.a.n:d übe1j Alles• - en attendant l'airuiexioin l' ooou,pant , ~ d4*1 écdlel, il;ane la
politique du G1<and-Duché, déjà &onomi- ll"égÏO'Il ~ e l du pa.ys, il s'~ti mÎé
que«Iœ!nt asservi, grioe au Zollverein - uné en ra.ppootti avec n.os édilee, a.u début ,le
CO"Illtinui·t!é géographiqiiEI qui eût gÎlmdem.ent 1917, ~ pùl Utt groêelr ~ clei pl'O-
facilité l es plans d'éxpa,ni9ion -tmrit.oa1i'aJe. mèsgcl,j et. d~ m.ielnaclelJ, &'.§tait e:lromé d'ob-

-------~-- '

182
averti que s'il essaie de se soustraire par la fuite à l'exécution de la
mesure prise à son égard. la Ville d'Arlon sera frappée d'une
amende de trois millions de francs. il ne choisit pas la dérobade et
est déporté en Allemagne fin de l'année 191 7 '22 !).
Loin de fléchir la position des autorités communales. cette
répression spectaculaire a pour effet de renforcer la détermina-
tion du Conseil qui ne répond même plus aux mises en de-
meure de l'occupant. Se rendant compte de son impuissance,
Kaufrnann change de ton et propose de nouvelles concessions
dans une lettre datée du 15 septembre 1918:
«Attendu que la mission spéciale confiée en novembre 191 7
au directeur Lohmeyer à Bruxelles, est terminée, je désire rece-
voir la décision prise par le Conseil communal et cela le plus tôt
qu'il sera possible, décision concemant l'emploi de la langue al-
lemande dans l'enseignement du calcul et du chant dans la pre-
mière et dans la seconde années d'études des écoles communa-
les à partir du premier octobre 1918.
«L'introduction de l'allemand dans ces deux branches d 'en-
seignement se fera de telle façon que lors de la prochaine année
scolaire, les deux langues soient employées :jusqu'à Noël, le fran -
çais aura le premier rang et après Noël, ce sera l'allemand.» (ml
Une dernière fois. le Conseil communal refuse catégorique-
ment d'appliquer ce qui lui est demandé. il répond qu'il suit à la
lettre une circulaire du 17 mai 1916 précisant les dispositions
d'application de l'arrêté du 22 avril 1916. il y est notamment dit :
«En aucun cas, il n'est pennis dans les classes inférieures d'en-
seigner dans une autre langue que dans les classes supérieures
et de former ou de maintenir des classes transitoires ayant deux
langues véhiculaires.» (ml
Six semaines plus tard, l'armée allemande plie armes et baga-
ges et reprend le chemin <l'outre-Rhin. La germanisation de l'en-
seignement primaire de la ville d'Arlon a totalement échoué. A
Athus aussi. l'Administration communale a courageusement ré-
sisté aux tentatives de germanisation de ses écoles (zz 4l, Quant

221 1
' La Résistance du Conseil communal aux tentatives de germanisation des
écoles. Arlon. éditions Bourger.
' 2221 Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 26 septembre 1918.
' 2231 Idem.
'
2241
Comment l'Administration communale d'Atbus s'opposa patriotiquement à
la germanisation de ses écoles. in Les Nouvelles. vendredi 7 mai 1920. p. 1.
183
aux villages du pays d'Arlon, le statu quo y est maintenu ou par
réaction aux obligations nouvelles, on utilise davantage le fran-
çais. En effet. il est aisé pour l'instituteur du village de s'arranger
avec les enfants patoisants pour que le jour de la visite de l'ins-
pecteur cantonal, celui-ci ne remarque rien.
L'occupant visait surtout l'enseignement primaire d'Arlon car
renverser le mouvement dans la ville où depuis 1867 le français
était la langue véhiculaire dans les écoles, eut signifié endiguer
la francisation de toute la région. Les dirigeants du Deutscher
Verein l'avaient très bien compris quelques années auparavant.
Les Allemands ne réussirent pas car la bourgeoisie libérale
francophone, siégeant à la tête de la ville, s'y opposa systémati-
quement. De plus les catholiques la rejoignirent pour former avec
elle un bloc uni face à un occupant détesté par tous, qui avait
violé la neutralité du pays et répandu le sang luxembourgeois
sur le sol des villages calcinés par le feu. U ne fait guère de doute
que si Godefroid Kurth n'était pas mort en janvier 1916. il aurait
pleinement soutenu Paul Reuter et Numa Ensch-Tesch dans leur
résistance. Cela peut paraître paradoxal car même si le père du
mouvement germanophone n'avait jamais demandé la distinc-
tion et la création de classes wallonnes et de classes alleman-
des. il faut reconnaître que le texte des arrêtés promulgués par
l'occupant allait tout à fait dans le sens de ce qu'il avait réclamé
pendant des années pour défendre les patoisants. le luxembour-
geois et la langue allemande.
La guerre avait tout changé. Non pas les hommes mais les
circonstances. On ne se situait plus dans le cadre unitaire de la
Belgique indépendante. mais face à un envahisseur sanguinaire
dont l'objectif n'était pas de défendre les intérêts de la popula-
tion ou d'une partie d'entre elle au sein de la structure nationale.
mais plutôt de faire éclater celle-ci à son profit Tout naturelle-
ment il tentait de répandre et d'imposer sa langue et sa culture
dans les régions germanophones car. en cas de paix victorieuse.
il y aurait des annexions territoriales. L'Est de la Belgique faisait
partie de ses projets comme ailleurs il y avait le bassin de Briey
et de Longwy pour d'autres raisons. La culture de Kurth n'avait
rien à voir avec la Kultur de l'occupant. La plupart le comprirent
mais d'autres comme Warker ne saisirent pas cette subtile diffé-
rence.

184
Nicolas WARKER (1861-1940)
Né à Echternach, Nicolas Warker
est nommé professeur d'allemand
à !'Athénée royal d'Arlon en 1886.
Passionné de folklore local, il s'ef-
force de rendre accessible à ses
concitoyens les traditions, les lé-
gendes, les contes de fées et les
chansons populaires des villages
de l'Arelerland. En 1889-90, il pu-
blie ses premiers récits populaires
dans l'Arloner Zeitung. Le succès
est immédiat et l'amène à rédiger
son chef-d'œuvre: Wintergrün.
Sagen, Geschichten, Legenden und
M:Jrchen aus der Provinz Luxem-
burg(l890). Aujourd'hui encore, c'est un honneur et un plaisir pour
un patoisant de sortir de sa bibliothèque le précieux volume tout
écorné par l'usage. De 1902 à 1914, Warker est le principal collabo-
rateur de Godefroid Kurth dans la lutte menée par le Deutscher
Verein en faveur de la langue allemande.
Durant la guerre 1914-18, Warkercollabore de son mieux avec l'oc-
cupant n est le seul germaniste de l'athénée à accepter de donner
cours d'allemand aux instituteurs et institutrices de la région pour
leur permettre d'appliquer les ordonnances allemandes dans les
villages du pays d'Arlon. A la rentrée d'octobre 1917, sa servilité est
récompensée. L'occupant le nomme préfet de l'établissement A la
libération, dès l'entrée des troupes américaines, des étudiants or-
ganisent une manifestation hostile devant son habitation et par-
courent les rues de la ville avec des calicots pourvus d'inscriptions
vengeresses. La Justice enquête sur son attitude durant la guerre.
L'affaire se termine par un non-lieu. Warker est finalement pen-
sionné. n meurt en décembre 1940, alors qu'une nouvelle occupa-
tion allemande a débuté.

185
Les tentatives de gennanisation de
l'administration arlonaise
Le 18 avril 1918. paraît un arrêté du Gouverneur général pres-
crivant aux administrations communales de la région linguisti-
que allemande en Belgique d'employer exclusivement la langue
allemande dans leur service intérieur. dans leurs relations entre
elles. avec leurs autorités supérieures et dans tous leurs rapports
verbaux ou écrits avec leurs administrés. Von Falkenhausen vient
de créer le statut linguistique de la région belge de langue alle-
mande (m l.
Pas plus qu'en matière scolaire. le Conseil communal de la
ville d'Arlon ne se laisse impressionner. Si sa réaction n'est pas
smprenante. son argumentation est intéressante (226l. L'article 23
de la Constitution prévoit que l'emploi des langues usitées en
Belgique est facultatif et qu'il ne peut être réglé que par la loi et
seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affai-
res judiciaires. Se référant à l'ensemble de la législation prise en
exécution de cette disposition, le Conseil constate qu'il n'existe
en Belgique que deux langues officielles : le français et le fla-
mand.
D'autre part. la Convention de La Haye. par son article 43.
exige que les autorités d'occupation d'un pays. prennent toutes
les mesures en vue de rétablir et d'assurer. autant que possible.
la vie et l'ordre publics en respectant. sauf empêchement absolu.
les lois en vigueur dans ce pays.
Or. à Arlon. la population comprend une très forte proportion
de ménages de fonctionnaires. agents et ouvriers des diverses
administrations publiques. venus pour la plupart des régions
wallonnes du pays et qui n'ont pas la moindre connaissance de
la langue allemande. Le Conseil rappelle à ce propos le recense-
ment décennal effectué en 1910. accusant un total de 9.9 23 habi-
tants parlant le français. soit exclusivement (2.684). soit en par-
tage avec le dialecte local ou le flamand. contre 8.444 seulement
parlant le dialecte local. soit exclusivement (1.5 5 2). soit en
partage avec le français ou le flamand. Les dernières listes

1225 l Les avis. proclamations et nouvelles de guerre allemands publiés en Belgi-


que pendant l'occupation. Bruxelles, Brian-Hill. volume 31. p. 35.
1226l Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 11 mai 1918.
186
électorales comportent une proportion de 61 % d'électeurs d'ori-
gine étrangère à la ville contre 39 % seulement d'électeurs autoch-
tones et enfin. il y a les déclarations faites en 1916 par les pères
de famille au sujet de la langue véhiculaire de l'enseignement
primaire, avec 998 élèves ayant la langue française comme lan-
gue maternelle ou usuelle contre 4 ayant l'allemand.
La composition de l'administration communale reflète cette
situation, tant au niveau du Collège échevinal qu'au sein du Con-
seil communal ou des bureaux et services communaux en géné-
ral. Sur les douze conseillers communaux restant encore en fonc-
tion, cinq sont nés en pays wallon et trois d'entre eux, bien qu'ha-
bitant Arlon depuis de nombreuses années. n'ont aucune con-
naissance de la langue allemande; les autres ne connaissant qu'in-
suffisamment l'allemand. Par conséquent. le Conseil communal
estime que l'application de l'arrêté en question «rendrait impos-
sible à la généralité des mandataires. fonctionnaires et agents
communaux de cette ville, l'accomplissement du mandat ou des
fonctions quïls détiennent»
Considérant encore que la langue française est à Arlon, de-
puis plus d'un demi-siècle, la langue véhiculaire de l'enseigne-
ment à tous les degrés. que la langue allemande n'est pratiquée
ni dans la vie publique ni dans les relations privées, que l'idiome
régional est un patois n'ayant que des rapports lointains avec la
langue allemande proprement dite. que la population autoch-
tone lettrée elle-même ne connaît pas la langue littéraire alle-
mande. que l'emploi de la langue française dans l'administra-
tion, depuis des temps immémoriaux, n'a jamais provoqué la
moindre difficulté, ni plainte, ni réclamation de la part des habi-
tants, le Conseil en déduit et conclut que le nouveau régime lin-
guistique créé par cet arrêté, s'il devait être appliqué à Arlon, pro-
voquerait dans l'administration communale de la ville:
«une perturbation qui fatalement conduirait à la désorganisa-
tion complète des services communaux et inévitablement
échouerait devant les impossibilités d'ordre pratique qu'il ferait
naître: qu'il froisserait les sentiments et les aspirations de la
population arlonaise toute entière, et qu'il lèserait, en dépit des
lois existantes, les intérêts des fonctionnaires et agents commu-
naux qui ont tous été investis de leurs charges sous J'empire de
la législation en vigueur, et avant l'occupation allemande.» (ml

221
( i Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 11 mai 1918.
187
En d'autres circonstances. il va de soi que l'élite catholique et les
dirigeants du Deutscher Verein se seraient élevés contre la plupart
des affirmations du Conseil et auraient hurlé au scandale. Mais, comme
pour les pères de famille en 1916. il ne vient à l'idée de personne
d'élever la voix dans ce sens et de dire ou de faire quoi que ce soit qui
puisse apporter de l'eau au moulin de l'occupant A l'unanimité. le
Conseil communal rejette l'arrêté et décide de maintenir le statu quo.

Julius Loeb à Arlon : un Prussien prépare


l'annexion
Pendant que ce combat législatif sans merci se livre entre l'ad-
ministration communale d'Arlon et l'administration d'occupa-
tion. la vie quotidienne continue entre les murs de la vieille cité
gallo-romaine. Mais depuis l'année 1916. elle aussi est l'objet de
préoccupations pangermanistes. Un journaliste prussien nommé
Julius Loeb a été envoyé sur place comme agent de la propa-
gande allemande dans le Bas-Luxembourg. Son rôle est double.
D'une part. il est chargé de l'administration du Gewerbebüro.
organisme destiné à recruter des travailleurs volontaires pour l'Al-
lemagne: et d'autre part il doit défendre la culture allemande
dans la région. notamment au niveau littéraire.
L'archiviste Marcel Bourguignon nous décrit cet inquiétant per-
sonnage dont la silhouette était devenue familière à la popula-
tion arlonaise vers la fin des hostilités :
«C'était un petit homme noir et robuste, pourvu d'une fort
belle barbe, et toujours vêtu avec une extrême recherche. ll con-
trastait, par sa correction, avec la plupart des employés allemands
de la Zivilverwaltung. que les hasards de la guerre avaient con-
duits jusque chez nous, et qui. malgré leur raideur et leur arro-
gance, étaient loin de faire B.gure d'hommes distingués.
«Extrêmement réservé. d'un abord assez difB.cile. Julius Loeb
représentait assez bien le type de ]'intellectuel allemand de se-
conde zone : grand travailleur. assez érudit, opiniâtre, imbu de
l'idée de prééminence de la Kultur germanique. Type assurément
peu sympathique. incompatible avec notre toumure d'esprit. mais
qui mérite, néanmoins, à distance, la considération.» (ml
(228l Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en Belgi-
que. Le livre de Julius Loeb sur le Territoire belge de Langue allemande. in
Revue belge des Livres. documents et archives de la guerre 1914-1918. Bruxel-
les-Paris, 1931. pp. 69-77.
188
C'est surtout au niveau de la presse régionale que Loeb déve-
loppe son action. Lorsqu'il arrive à Arlon. il ne trouve que deux
feuilles locales dont la parution n'a pas été interdite ou qui ne
l'ont pas interrompue volontairement. Toutes deux sont franco-
phones, l'une libérale et l'autre cléricale. Voici comment le baron
von der Lancken. chef de la section politique près le Gouverneur
général en Belgique. les voyait dans le courant de l'année 1915 :
«Les Nouvelles du Jour, qui continuent d 'être un organe sûr et
bien dirigé, et le clérical Luxembourg se combattent avec pres-
que autant de vigueur que le Vooruit et le Bien Public à Gand. ce
qui ne laisse pas de réjouir ]'autorité allemande. qui préfère voir
ces querelles de politique intérieure détourner l'attention du
public des problèmes extérieurs.» (n 9)
Ces deux quotidiens se vendent très bien pendant la guerre
et à en croire von der Lancken. le tirage des Nouvelles passe
même de 7.800 à 12.000 exemplaires tandis que le Luxembourg
se maintient à trois ou quatre mille exemplaires. Tous les autres
journaux ne paraissent plus. en général parce que leurs rédac-
teurs ont préféré déposer leurs plumes pendant l'occupation
comme à l'Avenirou à l'Echo du Luxembourg Quant à l'Arloner
Zeitung la seule feuille en langue allemande avant la guerre. elle
est déjà en difficulté depuis de nombreuses années et elle ne
résiste pas au choc de l'invasion.
Les intellectuels attachés à une presse en langue allemande
ne sont pas pour autant privés totalement de journaux. Déjà avant
août 1914, il n'était pas inhabituel. comme c'est encore le cas
aujourd'hui, de voir dans certains foyers arlonais. le quotidien
clérical du Grand-Duché Luxemburger Wort Au début de la guerre.
l'occupant ne s'oppose pas à son importation dans la province
belge de Luxembourg. mais à la fin de l'année 1916, il est interdit
à cause de son attitude germanophobe (230l.
Les Allemands tentent en vain de le remplacer par le
Luxemburger Zeitung dont le ton est plus apprécié à la Kom-
mandantur et qui était déjà autorisé auparavant. Von der Lancken
affirme que son tirage passe alors à plus de 10.000 exemplaires
par jour uniquement à Arlon et dans ses environs où l'on parle le
haut-allemand. Ce chiffre est sans aucun doute fortement

Rapport d'activité de la Section politique près le Gouverneur général en Bel-


' 2291
gique. d'août à octobre 1915.
(no) Rapport d'activité de la Section politique près le Gouverneur général en Bel-

gique. d'août 1916 à janvier 191 7.


189
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til e fH t cf! tr Shi cg!! f If) a 11 J A$, 1 !181:.\8 'motl'itlinu, 20. 2ZllQ. lll :lj Slarjdjouer ~Ia:lern ~~t -1 21 t I Ili eu fo11iie 3 o dJ, Qlenernl 113 et a in 11nb C!leaernl
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IJoq;rj'tern eine n~[lirot~rntiiiii! 6 i vun g bei \1 v I :,_,,
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liiiihmrftliài bor. i8aiileul jtei1erte fitq bie fültfü tiif at,nfeit ! 9k nu[; ITT11b,;i will' iib rr \tint :!!dl' iu b,1g @rote 41au1t~ua , , fdjroeigen benrn ~rt.

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~~ucrte ~,r lWnb ge[tcttt aueub ieinc llf11gr!fie. ë,e fomen ~nll~!t111A•;t w~rbe fü r ~c[teru ei\t S_ilj~i:g b~3 ~ro_n~nMl j !JladJ btn 'lllt!bnn g,u hr frau ,oi:igrn ~re'oe iit bct ~eutj d)e
j~lldi \Jou \!Jt~ tcren 111 ~n[e_reu, iu!a!ltm,ngefabtrn \jeucr 1m6eranm •. 2'51e bedantc.t, ll>1rb .Ra~btl1nU 3\Uti?l! \)oltltfro,er ) ~füoer!eutnnnl IDlrnd~olf, ber jciu,, , it ben fr•nio\ifdjrn 'll!eifter•
md)t iu r ~11t1u1drlu11g. !J!orbhdj Uon $1cu;:,~rr~nm ltlurben Ronre~e11 0ep lidJ nr.dj •tcn gtgrkn. 6
fli , get Qlu~n,mrr ,rjieste, •""' tlfüiturA
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surévalué car il n'existe pas dans tout le pays d'Arlon 10.000 in-
tellectuels capables de lire un journal en gothique et suscepti-
bles de l'acheter chaque jour. D'ailleurs, c'est pour effacer l'échec
du Luxemburger Zeitung et pour contrebalancer l'influence du
Luxemburger Wort qui. malgré la censure allemande, est par-
venu à garder une certaine liberté à Luxembourg et continue à
parvenir dans la région arlonaise. que Julius Loeb est chargé de
ressusciter l'Arloner Zeitung
Le nouveau journal auquel il donne naissance le 26 août 1917
n'a malheureusement plus grand chose de commun avec son
vieux prédécesseur, à commencer par son nom : l'Arlon du titre,
«sorte de moyen terme assez peu philologique, mais dont tout le
monde se contentait» '231) est symboliquement germanisé et rem-
placé par Arel. L'Areler Zeitung est né. De plus, la feuille d'infor-
mations locales et agricoles, destinée aux bons villageois
patoisants qui ont fait toutes leurs études primaires dans la lan-
gue de Goethe, est remplacée par une feuille d'allure plus litté-
raire où la politique tient une place considérable. Julius Loeb as-
sure pendant quatorze mois la direction et la rédaction de ce
quotidien, mais nul ne reconnaît l'ancien journal sans préten-
tions.
Quel est le succès de ce nouvel organe de la propagande alle-
mande dans le Bas-Luxembourg? Selon Marcel Bourguignon. les
abonnés d'autrefois accueillent mal la résurrection sous une autre
forme de leur journal préféré et ils s'en détournent totalement '232).
Selon von der Lancken, ce journal destiné à cultiver le sentiment
ethnique allemand des germanophones de l'arrondissement d'Ar-
lon, remporte un large succès dès sa naissance '233). Il passe rapide-
ment d'un millier d'exemplaires par jour à 2.000 numéros, puis à
3.000 le dimanche. Avec les 10.000 exemplaires du Luxemburger
Zeitung. d'après lui la barre des 12.0000 numéros en langue alle-
mande serait atteinte. On croit rêver... A moins que les soldats
allemands en garnison à Arlon ne soient responsables d'une bonne
partie de ce succès.
Ce que Julius Loeb nous a laissé de plus important est un
petit ouvrage consacré à la région allemande de Belgique et plus

(13 11 et (1311 Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en


Belgique. op. cit
(1331 Rapport d 'activité de la Section politique près le Gouverneur général en Bel-
gique. de février à juillet 1917.
191
3ulius ~oeb.

~as l)ocl)beutfcl)e
6pracl)gebiet
in

2.,elgien.
mte alte beuff d)e 6fabt filrel.

- - -•·- - -

1918.
<.Uerlag ber ,,2lreler 3elfung" ln 2lrer.

En 1914-18. l'Allemagne s'intéresse pour la première fois au caractère germani-


que du pays d'Arlon. Fonctionnaire à la Zivilverwaltung. le journaliste prussien
Julius Loeb estime que la population arlonaise appartient au Deutschtum et
qu'elle doit être libérée de l'oppression belge pour intégrer le Reich allemand.

192
précisément à la vieille ville allemande d'Arlon. La lecture de ce
livre édité à Arlon au début de l'année 1918, montre clairement
dans quel sens et avec quelle intention le journaliste prussien
développe son action dans «la capitale de la Belgique allemande».
ll lui faut avant tout préparer les esprits à l'acceptation de l'idée
qu'un jour le pays d'Arlon devra être incorporé à l'Allemagne.
«leur commune patrie linguistique, terre où s'épanouit une sorte
de déesse qui doit primer toutes les contingences et tous les
sentiments : la Muttersprache.» (234l
Ce petit livre de 71 pages en caractères gothiques s'intitule
«Das hochdeutsche Sprachgebiet in Belgien. Die alte deutsche
Stadt Arel. » Loeb y étudie notamment le dialecte arlonais, son
importance en tant que langue maternelle, sa situation à travers
le temps et son recul face au français. Il y décrit les actions du
Deutscher Verein avant la guerre, la manière dont les droits des
germanophones ont été bafoués par l'Etat belge ...
Un chapitre est également consacré aux régions allemandes
de la province de Liège. Loeb se sert abondamment des ouvra-
ges de Godefroid Kurth sur la frontière linguistique en Belgique
et dans le nord de la France, et des publications annuelles du
Deutscher Verein. En reprenant les arguments et la manière de
penser de Godefroid Kurth, Loeb essaie en fait de tirer le trait
d'union entre la politique de l'occupant en faveur des germano-
phones belges et les revendications d'avant-guerre des Verein
d'Arlon et de Liège.
Sa présentation des faits s'inspire largement de celle de
Godefroid Kurth. Les Belges de langue allemande font partie d'une
unité politique dont le français est la langue officielle. Victimes
de cette situation, ils sont opprimés car leurs protestations in-
cessantes et leurs revendications en matière d'enseignement. de
justice, de connaissance de la troisième langue nationale dans
l'administration. se heurtent à la sourde hostilité du Gouverne-
ment de Bruxelles.
Quant à son évocation historique. autant les défenseurs de la
langue française ont souligné en 1908 les bienfaits. les magnifi-
ques réalisations et les apports de la culture française à Arlon à
travers les siècles, autant Loeb insiste sur la manière dont la ville
a été pillée et saccagée par les troupes de François 1er, les armées
de Louis XIV, de Napoléon ...

(z 34l Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en Belgi-


que. op. cit
193
A partir de 1830, il reprend l'évolution classique avec l'aban-
don par le pouvoir central de la langue allemande suite à la perte
du Grand-Duché et la dramatique wallonisation et francisation
d'Arlon. il aboutit à 1914, avec une région gâtée par la présence
d'étrangers qui, comme les Français. n'ont aucune compréhen-
sion des mœurs de ceux qui ne sont pas les leurs.
Marcel Bourguignon qui étudia avec attention les propos de
Loeb,écrit:
«ll sait utiliser sa documentation avec adresse, car il ne se sert
généralement, dans sa démonstration, que d'arguments décisifs,
et néglige délibérément tout ce qui est faible ou douteux. S'il
aboutit à des conclusions qu'un Belge n'admettra jamais, c'est
qu'il applique justement à sa démonstration des manières de
penser qui n'ont jamais été dans l'âme de ceux auxquels il
s'adresse, et qu'il ne saurait leur faire partager. ..
«On sent très bien que sa pensée pourrait s'exprimer ainsi:
les Belges d'une partie du Luxembourg sont des Allemands qui
sïgnorent La mère patrie leur tend les bras. Qu'attendent-ils pour
s y précipiter. pour goûter l'intense plaisir de ne plus vivre panni
ceux qui n'ont point reçu, comme une grâce, la faveur de connaî-
tre la commune Muttersprache ?» (235l
Le Prussien se montre particulièrement agressif envers l'élé-
ment wallon installé à Arlon et souligne sans cesse son caractère
étranger et son rejet par l'ethnie allemande d'Arlon :
«Die Wallonen, die eine franzôsische Mundart und das
Schriftfranzôsisch Sprechenden, die in den übrigen Kreisen der
Belgischen Provinz Luxemburg. in Virton, Neufchâteau usw. Bis
hinauf zu der Provinzen Namur und Lüttich leben, sind von den
Arelem und Luxemburgem sa verschieden, wie eben Franzosen
von deutschen. Die Flamen im Norden Belgiens haben überhaupt
keine Berührungspunkte mit dem Südzipfel des Kônigreichs und
bleiben Fremde, wie Hollander für Süddeutsche, trotz der
germanischen Stammesgemeinschaft. Man darf auch getrost
behaupten : der Areler liebt weder den Flamen noch den
Wallonen. » (236l

(235 l Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en Belgi-


que. op. cit
(236l Julius LOEB. Das hochdeutsche Sprachgebiet in Belgien. Die alte deutsche
Stadt Are]. Arel. 1918, p. 70.
194
Ces affirmations irritent l'archiviste Marcel Bourguignon. wal-
lon d'origine mais arlonais d'adoption. C'est probablement ce
qui le pousse à prendre sa plume pour contester ce mensonge :
«Comment Julius Loeb ose-t-il affirmer que l'Arlonais n'aime
ni le Flamand, ni le Wallon? Parce qu'il prétend que le fait de
désigner un étranger à la région et à la langue par le nom de sa
région et de sa langue propres Oe «Flamand». le «Wallon») est un
indice de mépris. Raisonnement puéril de primaire et d'ignorant
n n'existe pas d 'antagonisme basé spécifiquement sur le parler
local. Quoi qu'en pense l'auteur, le villageois de Stockem, par
exemple. entretient de moins bons rapports avec l'habitant de
Freylange, qui parle la même langue et vit à cinq cents mètres de
lui, qu'avec un indigène du Pérou ou du Kamtchad(a. Tel Arlonais
se préoccupe bien plus de faire des niches à un voisin qui le lui
rend bien, que de vouer une haine platonique à un Flamand de
Poperinghe ou à un Wallon de Couvin. Le Luxembourgeois grand-
ducal, qui parle la même langue que l'Arlonais, est certainement
moins cher à celui-ci qu'un Wallon de Virton. Au cours des siè-
cles, certains villages du Luxembourg ont été constamment en
désaccord avec des localités toutes voisines, pour des questions
d'intérêt local, et la Muttersprache ne leur a servi qu'à mieux
comprendre les injures qu'ils s'adressaient sans aucun ménage-
ment» (z 37 l
Bourguignon conteste la plupart des affirmations de Loeb. Il
considère que la communauté de langue. même celle du patois.
ne crée qu'une affinité aussi artificielle et sujette à révision que
toutes les autres.
Pour lui, le principe moral qui est à la base de l'idée de nation
paraît autrement solide. et il est permis de préférer. aux affinités
naturelles. les affinités électives. Il conclut en faisant remarquer
que l'Arlonais. en admettant qu'il ne professe pour le Flamand
ou le Wallon. qu'une sympathie toute relative. déteste à coup sûr
le Prussien.
Il est vrai que si Virtonnais et Arlonais ont des différences de
langue. de moeurs. de caractère et de tempérament. en 1914 ils
sont tous des patriotes belges. unis sous un même drapeau. face
à un même ennemi. L'attitude des anciens membres du Deuts-
cher Verein pendant la guerre. le prouve. Plutôt que de laisser
faire un occupant qui ne demande qu'à satisfaire leurs anciennes

!ml Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en Belgi-


que. op. cit
195
.....
'O
°'
ft(tf
~iigU~te !liod)rid)teublatt fiat i)(i~
eituno
l}od}biutf d)e S~ra,~gebiet in t;dgien.
lm,.ao3
. Œrjiljth:t tnglid) (auscr 6or.nta~o) naif)s1.
lRebc:ftion 1111b @iféJi:ft~fte!Te 6rpniltn jh11: 6,mut(ag, à,eu IHtâniJ~~rcii (bnrd) b!èl.fü)J~rn,1)'e!l>poft ob,
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' ' f Îirn:i:11~ h!!,:; 1v1:!1qd)e11 fi'on;um~ berttmmt tnoren unb i:>te oan3·rn !Belt l11ftcu: .,3rgen~ tin ~ertrauen auf bic ~entnughrt
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lutftli c!J bon Urra~, nadj Eüben über bie !Somme ~inauil loenig m,t ber jrmnbjdjajt!idJen !tnb ;:ittcrlidjc1t .paituug,
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blic bic bd ~·n• !Balfour. ;}rgenblllann muw ~•dJ einmaJ .3mifdjen
~illf unb malt fe rtto1§ 11.ufteimen, b:lie eine Oieguu.11 bDn fatr•
llidow nub uon ·ber @aUiuiiJ brad)en ben \l!nfturm beil an trfü!lt. S!lie lRegieruug g!a·•&tc btlllt:adJ rüu~igqin uidJt o§nt tranen, irgenblllann mni. jitfi bie berg,malti!I• ntenfdjlidje 9lotnr
jaijl i:&cr!egenen ljeinbe~. .pi'ntnnfe!;uug i~m lllcjcntlidjften !81't{Jllid)tunocn !maüna§ntrn aufbâum,n g,g,n jene ;}rrle~re bel ~an,;, bie in i~r bie tiefe
IStiirfjtcr fütilleriefomi,f ucu Wrra~ -bi;; [!ian!uc, !eitete 1I nujfdjiebrn 3u fiinnen, bie roir!fam'lliiirrn, um bie filufredJ!• iunerfte Qleniein[oR1!tit ber ~en[djen 0u trftiiftn broijt. Slie[c
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&cjef,lilorx1iiÏJ cuf €roifilleM5t.,l!rg•r fiir.,~icnh au~. !.llorb, ! fclJii~cu. · _!JlciiuaiJmcn, b:e niif)t iu eincm 'ii11fge&cn jeimr gegrn ta~ ~,utjtfie 'l!ol! fe!bjt nnb feiu eigenftel !!\lejen.
loeftli<'q bon ll!~paume na~ram mir brn lfam~f in ber ~inie I Vlcutrcl_(tot fii~tcn. ID!tine {imtn l \i)it jl f :j c1J o I o g il dJ e @i i t u a t i o Il,
61. ~•Atr,%:l)i et,Ic ,@ranb,ID/irattm9.. t . nit. !3'11 i~t 6rcdJcn : SJ11r.e1tdJti! be~ llmf!anbe~, bof; t<rfcileteue ~ro!tj!e un, au; ~er fJerani ~,r britifcljt 6tantiltt1ann ~anbe!t, * f!ar_.
~ i c 3' ri n b t ln o Ile n te i IIe n 1j rie b c :t b t< r rlj l8 er,
bie ;l;r,i!jr.ngrifjc be~ f(einbe~ 0ujammtn . ~let !l!aclJmi!lc9 ; lc irtjam &ricbcn, bejci)!oii bie ~hgi, rua~ itt fr e II n b j dJ a j t,
ernrner!(! ~11ftt1r?t geruantt in -~füi1tung IDlor~ Sobe!t. 1 ! i 01 e r ~ ci i e; iuic frii!;e r fd; , u, j,c!J nn bic foiftrli:~ beut, fj an b ! un g en. 9«:dJ einm~( gcljt bic fillc!le ~e; Ueber,
!llreuau(!Jc ll!romw:trr, au~ )t~uftltd)er 9l1dJ!u11n 1nm (.ie, , ldJt ~egiernnn ;~ lucubrn m:~ :,e )arauf aufmerf1nm 0u mule3 burlij il)re !llii!tcr mie nad; t cm lfüttritt 3'tali<n~,
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lltrnidjtctc ~ier 01 :t cinem @cjc!Jii~ aUeia ~ !J!at: 0criragiu 1· 6dji11, onm @ria~ tcrnngeAOAen llilitbm. ~iefe !!J!aj;naljmc, von nenem a!lt feint Ji'riiftc beil l!eocnô fiitnll icttb uub jie,
be~ tlcgncr:. , )ie bon hcr !Jloil"rnbigfcit bi!titrl. if!, fommt ttiner befini• genb 111ja111meµ3nraffen, iuic in ber gro!iett l.\:r~eu,mg llom
Dtit!idJ n_o1t ia_mel foute. ber 3'eb~ c:if b:m iiftliir;en \'ln, ( t(Ut\t WejdJ!~gunfJrn~ bief cr GciJif e o!_eidj. l!;i. fj_aubdt .fidJ l!luguft 1514. l:int 111eitm Scl!lufljo!gtrul111 idJeint fidJ àit
creufcr l!'ua. E:eme !llngnift oltij 21Œert ~ercu~ brndirn , emi;c nnt e111c uorubergc~cnb ·: !lofung, btt im mnge1t• tr1elltR. 6olfm mir gefü~!ôméiflig reagimn, folfct1 mir uni
iiiHidi ber iitn~t ;ujan:meu. Snr_ (llen, ir.nung be~ \li>,, i 6lid b_cr . ;'iricb:·n~be[~redjung btigc:egr !oürbc, 1uc11n O!té!j bit c6enfa!lii auj ben !!loben ~ci 18erniciJ!ung~roi!lcn} ber lhtocf.
i_~l!tjj!3 bei $~• itl!ten l!lir unfre !l.inie ~on !U!iromont 6i~ J ia§!retrl;cn anbmn fdJmebenben •fpnni[d;rn lRcf!amatiDnm o11Mll0Iitif jttllen 11nb atit alleu ienrn SideR bred)eu, !Jin•
s1!!td1 !1Il&ert lion ber ~ncrc ab. Snb:idJ ber ~ommr. fc!)'.11• 1 3ur lïrlc~1~•n~ ~clattArlt. ter btntn ber @ebanfe ber $ii!feruerfofjnung i!t~!, nur b,~.
gen preuil,fdJe %ru~~tn; bit idiou at:t 9. ~lunuft ben eug• t Unj~>:( !llcrlincr @rjanbtjdjaft fjnt !Seifung erljalten, ~iefc megtn, mei! b,m !l'tittbt bie elru11blagc btr ttotlllrnbigtn i!lt•
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1ifcfim ~:trd,J&ndJ ~~r~ inhert ~atten, aud) geftern ~ie n•om )!lt.fdJ!unc ;ur Si'cnutmi! ber faifn!id) brutfc!Jen lRegitruna jinuun, ftlJ(t ? !Dteine vmeu ! 3'dJ !tfjne bicfe !Jlolitif ab,
~t wiire ~ie btn!&or griiite ll:r!tidjterung bci ftitiblidjen
l!:a1>~1l'll'oucauc,urM8trman~obilferG geridjtetrn englijd)m 3u bringen. ~it fl1anifd1t ll'!egit~ng ..1mc:felt nidjt baron,
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h,f.J bnm ij\Pnn_,.,.. l\;u;,..,."-"" r... r.:"- o.,,,.~ ~ .__
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revendications. ils s· élèvent avec véhémence contre lui. aux cô-
tés de leurs anciens adversaires avec les mêmes arguments que
ceux-ci ont utilisé jadis contre eux.
L'ouvrage de Loeb nous montre également à quel point l'oc-
cupant est attaché à l'utilisation des noms allemands des locali-
tés du Luxembourg belge. Bourguignon considère cette
germanisation contre-nature. ne tenant aucun compte des habi-
tudes locales. comme ridicule. Il le signifie habilement en posant
le problème inverse:
«Quel est le Wallon des environs de Saint-Léger qui. pour dé-
signer le village allemand de Guelff. emploie le mot équivalent
mais français de Juvilloncourt ?» (238l
Le livre de Julius Loeb n'a qu'un succès très limité. Déposé en
stock aux bureaux de l'Areler Zeitung et de la Zivilverwaltung au
Gouvernement provincial. il est surtout diffusé dans les
Kommandanturen et dans les différentes administrations bel-
ges. On le retrouve souvent entre les mains d'officiers ou de fonc-
tionnaires civils allemands. Malgré tout. «Die alte deutsche Stadt
Arel» constitue un précédent dangereux. laissant croire à beau-
coup d'Allemands mal informés qu'Arlon et sa région font tou-
jours partie du Deutschtum et que sa population opprimée at-
tend qu'on la libère de l'envahisseur wallon.
Pour preuve. on trouve dans cette brochure les actions me-
nées par «le grand et défunt historien belge Godefroid Kurth, qui
s'est fait connaître avant la guerre comme l'un des plus fidèles
admirateurs de la langue et de la culture allemandes». Loeb dis-
simule que le Deutsche Verein s'est spontanément dissout dès
les premiers jours de la guerre. que ses annales de 1914 bien
quïmprimées n'ont jamais été envoyées aux affiliés, que
Godefroid Kurth est mort davantage de tristesse. de honte et de
haine envers l'Allemagne que de maladie. Pris individuellement.
les membres du Deutscher Verein se sont opposés avec énergie
à toutes les entreprises de l'occupant.
Loeb a ouvert une voie dans laquelle d'autres pangermanis-
tes pourront un jour s'engouffrer. poursuivant le travail et le com-
bat de ce journaliste prussien des années 1916-1918.

12381 Marcel BOURGUIGNON. Un aspect de la Propagande allemande en Belgi-


que. op. cit
197
Brisé par l'invasion de la Belgique et l'occupation allemande, Godefroid Kurth
s'éteint à Assche le 4 janvier 1916 après avoir signé un violent réquisitoire con-
tre l'Allemagne. « Le Guet-Apens pmssien en Belgique» paraît en 1919. Deux
ans plus tard, les cendres de ]'illustre histmien sont transférées au cimetière de
Frassem lors d'une imposante cérémonie présidée par le cardinal Mercier.
La mort de Godefroid Kurth
«Godefroid Kurth a aimé l'Allemagne sinon comme une mère,
au moins comme une ai'eule.» (239 ) Son père était né à Cologne. Sa
langue maternelle avait été l'allemand. navait commencé à s'ex-
primer en français à l'âge de huit ans seulement et avait fait tou-
tes ses études primaires en allemand dans «la capitale de la Bel-
gique allemande», comme il se plaisait à le dire. L'Allemagne lui
avait appris la critique historique qu'il avait introduite de sa pro-
pre initiative en Belgique, à l'université de Liège en 1874. Vingt
ans plus tard, il avait fondé le premier mouvement de défense
des Belges de langue allemande et n'avait jamais cessé de re-
vendiquer en faveur de la troisième langue nationale. Parmi les
personnalités politiques et scientifiques du parti catholique alle-
mand. on trouvait nombre de ses amis sincères. dévoués et fidè-
les.
Mais à partir du 2 août 1914. Godefroid Kurth ne reconnaît
plus l'Allemagne. celle du «chiffon de papier», de Visé, de Tamines,
de Termonde. de Dinant. de Rossignol... En septembre 1914. alors
qu'il chemine sur la route d'Assche à Berchem, consterné par la
barbarie et la sauvagerie allemandes. il déclare à son ami. le cha-
noine Cauchie : «L'Allemagne est la seule mère qui force ses en-
fants à la renier.» (240)
Un mois plus tard. alors que le système des otages est appli-
qué par l'occupant dans la ville même où il a construit sa villa,
Assche dans le Brabant. il demande au bourgmestre de l'inscrire
sur la liste de ceux de ses concitoyens susceptibles d'être dépor-
tés en Allemagne. Sa demande est rejetée. la Kommandantur
ayant probablement reçu l'ordre de ménager l'illustre historien.
Profitant de la liberté qu'on lui laisse. il se met alors à parcou-
rir pendant des mois les provinces de Brabant. de Namur et de
Luxembourg, fréquentant tous les lieux où la «fureur teutonique»
s'est exercée. interrogeant les témoins. confrontant les déposi-
tions. appliquant la méthode de critique historique qu'il a ensei-
gnée à Liège. Lors d'un bref passage dans cette ville. il confesse à
ses anciens collègues ses erreurs et ses illusions.
<1'ai beaucoup aimé et admiré l'Allemagne. et maintenant
comme Clovis. il me faut brûler ce que j'ai adoré» (24 1l. nle fait en

!239l et !240l Fernand NEURAY. Une Grande Figure Nationale. Godefroid Kurth. Un
Demi-Siècle de Vie Belge. Bruxelles-Paris. p. 15.
!24 1l Idem. p. 198.

199
Godefroid KURTH
ProfeB1eur émérite à l'Université de Liége

Le
Ouet=Apens .Prussien
en Belgique
Avec une Préface de

S. E. le Cardinal 0.-J. Mercier


Archevêque de Malines

Avant-Propos de M. Oeor1es Ooyau

PARIS BRUXELLES
Honoré CHAMPION Albert D!EWIT
5, QUAI MALA.QUAIS, 5 53, RUE ROY ALE, 53
1919

200
commençant la rédaction d'un livre dénonçant les exactions prus-
siennes en Belgique.
En novembre 1915. quatre policiers allemands perquisition-
nent chez lui, bouleversant ses livres et ses manuscrits. l'obli-
geant à les suivre de pièce en pièce. même dans sa bibliothèque
non chauffée faute de combustible. nprend froid et s'alite le même
jour. C'est la pneumonie. U meurt le lundi 3 janvier 1916. un peu
avant minuit. dans sa 69e année.

Godefroid Kurth et le Guet-Apens prussien


Si le jour de l'invasion. la main de Godefroid Kurth avait été
encore capable de tenir un fusil. sa vie se serait certainement ache-
vée dans les tranchées de l'Yser. Ne pouvant faire l'offrande de son
sang à la patrie. il lui apporte son témoignage et sa plume. Quel-
ques jours avant sa mort. il confie à Eugène Bacha. conservateur des
manuscrits à la Bibliothèque royale. les cinq premiers chapitres d'un
livre intitulé «Le Guet-Apens prussien» (24 2l. Pieusement conservés à
l'abri des regards ennemis. ils sont publiés en 1919 avec les six
chapitres suivants. ébauchés et même rédigés en partie par Kurth.
Ce témoignage d'outre-tombe. paru trois ans après la dispari-
tion de Kurth. est le résultat d'une enquête sur les crimes de
l'envahisseur et une protestation contre les calomnies infligées
aux victimes. C'est parce qu'il a tellement aimé l'Allemagne et
tellement contribué à rapprocher son pays de ce grand voisin.
que Kurth éprouve. plus que tout autre Belge. le besoin de dres-
ser lui-même l'impitoyable acte d'accusation des atrocités alle-
mandes commises en Belgique. Il y décrit ce qu'il appelle la lé-
gende des francs-tireurs, le cynisme de l'envahisseur. et la ma-
nière dont l'Allemagne a calomnié les femmes belges. le clergé
belge. le gouvernement belge et le pays tout entier.
Le cardinal Mercier :
«L'invasion, son iniquité originelle, ses atrocités, ses perfidies,
le renversèrent Blessé à mort, Kurth n'est plus capable de porter
une anne, mais il ne lâchera pas sa plume. Elle vengera sa patrie.
ll donnera au traître, qui a tenté de nous déshonorer. un dernier
souffl.et» (243l

!242 ) Godefroid KURTH. Le Guet-Apens Prussien en Belgique, Paris-Bruxelles, 1919.


!243 l Préface de S.E. le Cardinal D.-J. Mercie1: archevêque de Malines, in Le Guet-
Apens Prussien en Belgique. pp. XII-XIII.
201
Mais au-delà de cette description d'événements qu'il ne nous
appartient pas de reprendre ici. on trouve chez Kurth une sorte
de justification de son attitude d'avant-guerre, de sa défense de
la langue et de la culture allemandes. C'est un peu comme s'il
avait été envahi par un sentiment de culpabilité pour avoir large-
ment participé au rapprochement avec un pays et une culture
dont la barbarie n'a pas d'équivalent. Pris d'horreur devant la
sauvagerie des Allemands, Kurth est «blessé à mort» par l'Alle-
magne qu'il a tant admirée. On peut être sûr que le mois d'août
1914 est fatal au grand Arlonais, même si ce n'est qu'un an et
demi plus tard qu'il s'éteint. Avant sa disparition, il éprouve le
besoin de prouver son amour à la patrie belge et de rappeler
quelles ont été ses véritables intentions lorsqu'il a défendu une
culture et une langue honnies par tous aujourd'hui. Une fois ce
travail accompli, il s'en va le cœur plein de déception mais aussi
plein d'admiration pour la résistance de ses concitoyens.
Ses amis, ses collègues et même ses rivaux comprennent à
quel point l'homme est blessé. Loin de lui faire des reproches, ils
se font l'écho de son message. Henri Pirenne:
«Incapable de porter un fusil, l'ardent patriote s'arma de sa
plume pour venger son pays et de la violence et de la calomnie.
Qu'on ne cherche point dans ces pages, nous dit Kurth, des hym-
nes à la civilisation latine ou des imprécations contre la barbarie
tudesque; ce n'est qu'un acte précis d'accusation. «Etranger aux
misérables querelles de race... , je n 'avais pas de rêve plus ardent
que celui de réconcilier. sur le sol de la libre Belgique, le génie de
deux grands peuples faits pour se comprendre et pour s 'aimer.
j'avais consacré ma vie à cette tâche. ..» (244 )
G. Goyau:
«Le crime germanique fut pour lui la plus affreuse déception.
On ne pouvait l'accuser. certes, de malveillance préconçue pour
ses mauvais voisins de l'Est ll avait toujours revendiqué l'auto-
nomie linguistique pour les divers groupes de populations qui
formaient l'unité belge, et non point seulement pour les Flamands,
mais aussi pour certains Belges de langue allemande, voisins des
provinces rhénanes...
«Avec le peu de documents dont il disposait, mais avec toute
l'acuité de sa vision et avec toute l'acuité de sa conscience, il Et

'
244
1Henri PIRENNE. Godefroid Kurth, in Le Flambeau, 1921. tome m. pp. 1-9.
202
pour une demière fois œuvre d'historien, en racontant le guet-
apens dont sa patrie était victime.» (245 l
Le 25 septembre 1921. le corps de Godefroid Kurth est ra-
mené à Arlon. Les Arlonais et tous les Luxembourgeois lui font
des funérailles grandioses.
Tandis qu'il repose dans une chapelle ardente dressée dans
l'église Saint-Martin. on voit arriver des quatre coins du pays et
du Grand-Duché, une foule considérable. Le drapeau est arboré
en berne à toutes les façades de la ville. Sur la place Léopold. le
gouverneur de Briey. le nouveau bourgmestre d'Arlon. Paul Reu-
ter. et l'ancien bourgmestre Numa Ensch-Tesch. prennent place
aux côtés des plus hautes personnalités civiles et militaires de la
région. pendant la cérémonie d'hommage. Lors de l'éloge funè-
bre de Godefroid Kurth, le cardinal Mercier rappelle à la foule les
dernières paroles du grand historien :
«lls m 'ont frappé au cœur. Je les avais toujours estimés et aimés.
Mon père était allemand. Je comptais pam1i eux des amitiés an-
ciennes, des relations de confraternité sociales avec les hommes
du Centre.
«Et ramassant tout ce qui lui restait de souffle :
«Eminence, Eminence, quelle déception amère pour moi ! Leur
trahison, leurs violences, leurs calomnies m'ont brisé...
«Je cite l'Allemagne devant le tribunal de la conscience h u-
maine: qu'elle essaie de répondre à mon acte d'accusation ! Je
ne produis que des faits et des témoignages soigneusement con-
trôlés. j'ai enseigné et pratiqué pendant quarante ans la critique
historique, et j'en ai appliqué la méthode ici, avec d'autant plus
de rigueur que je sens toute la responsabilité que [assume.» 246l

Conséquences de l'occupation et réactions


de la population envers le patois
luxembourgeois
Avant la guerre. le développement de la culture allemande
progressait à petits pas. mais progressait tout de même. On

(245 lGeorges GOYAU. Le témoignage de Godefroid KURlli. in Le Guet-Apen s


Prussien en Belgique. pp. XVI-XVII.
(246l Les Funérailles de Godefroid Kwth. d'après le correspondant particulier de
!'Etoile Belge. Bruxelles. 26 septembre 1921. Discours du Cardinal Mercier.
203
trouvait un Deutscher Verein à Arlon et un Schiller Verein à Liège.
L'Académie royale de Belgique décidait que l'allemand était une
des quatre langues admises dans ses publications; elle mettait
au concours l'étude d'un dialecte allemand en Belgique; elle cou-
ronnait un important mémoire sur Leneau dont l'impression était
commencée quand éclata la guerre. La Commission royale d'His-
toire publiait des dissertations écrites en allemand qui lui étaient
envoyées d'autre-Rhin ... (247l. Il n'existait aucune haine de la cul-
ture allemande. Après la guerre. tout change.
Dans la région arlonaise. la langue allemande devient telle-
ment détestée qu'on la traque partout. En réaction à la tentative
de germanisation dont les écoles ont été victimes. les conseils
communaux et les instituteurs suppriment l'enseignement de la
langue allemande partout où cela est possible. Ce phénomène
se produit aussi bien dans les écoles libres que dans les écoles
officielles (248l.
A Athus et à Aubange où le nombre de Wallons implantés est
très important en raison du développement de l'industrie, on
adopte à titre définitif le français comme langue véhiculaire dans
l'enseignement primaire. Dans plusieurs autres villages. on tente
de faire de même mais on se heurte à la réalité patoisante et il
faut revenir en arrière. C'est le cas du village de Sélange dont
l'exemple nous est connu grâce à Alfred Bertrang (249l. Du jour au
lendemain. on remplace l'allemand par le français dans l'école
du village. Le résultat est désastreux. Les enfants qui se servent
du patois à la maison et à qui on enseigne le catéchisme en
haut-allemand. langue incompréhensible pour eux. reçoivent
maintenant leurs leçons dans une langue tout aussi incompré-
hensible et totalement étrangère. Bertrang parle d'une situation
comparable à la tour de Babel. Heureusement. l'inspecteur de
l'enseignement. bien que d'origine wallonne. oblige certains con-
seils communaux à revenir totalement ou partiellement à l'alle-
mand dans leurs écoles. Son élimination est une erreur pédago-
gique. Sélange retrouve son enseignement en langue allemande
et le conserve jusqu'en 1948.
On ne possède pas de tableau d'ensemble sur la situation
dans les écoles après la guerre. Ce qui est certain. c'est que le

(
247
i Godefroid KURTH. Le Guet-Apens Prussien en Belgique, op. cit. pp. 18-19.
(
248
l Alfred BERTRANG, Die Sterbende Mundart op. cit, p . 145.
(249l Idem. p. 146.
204
régime linguistique varie de village à village et que les frictions
entre les autorités compétentes ne sont pas rares. Certaines éco-
les abandonnent complètement l'allemand, d'autres le mettent
sur pied d'égalité avec la langue française dès la première année
d'étude. Toutefois il semble que le système adopté le plus fré-
quemment soit le régime mixte avec l'allemand comme langue
véhiculaire durant les deux premières années. puis son rempla-
cement progressif par le français durant les deux années suivan-
tes, et la fin des études exclusivement en français.
A Arlon, le catéchisme se donnait avant la guerre en allemand
et en français. De même, le sermon à l'église se faisait très sou-
vent en allemand. Tout cela change et l'allemand est totalement
éliminé du chef-lieu par le clergé '250l.
Par dégoût pour l'Allemagne. on se tourne exclusivement vers
la langue française. Revirement spectaculaire car quelques an-
nées auparavant l'allemand et la religion catholique étaient in-
dissociables tandis que chaque avancée du français était inter-
prétée comme une progression de la laïcisation et un recul de
l'Eglise. Dans un livre publié en 1919. le curé de Fauches écrit:
«Quelle nation dépravée, qui se vante de sa haute culture et
de sa prétendue civilisation. Elle est toute imprégnée de la doc-
trine de Martin Luther, dont le corps repose à Wittenberg, tandis
que son esprit dissolu vit partout «La Prusse», dit Donoso Cortèse,
«vit dans le protestantisme, par le protestantisme, pour le pro-
testantisme. Là est le mystère de sa gloire, mais là aussi le mys-
tère de sa mort Je crois la Prusse vouée au démon depuis sa
naissance et je demeure convaincu que par une fatalité de son
histoire, elle lui est vouée pour toujours.» Voilà ce que les der-
niers événements de la guerre 1914-1918 ont prouvé suffisam-
ment» '25 1l
Avant la guerre, le fossé entre libéraux et catholiques arlonais
était également un fossé linguistique. Pour un curé du pays d'Ar-
lon, langue française était synonyme de libéralisme. Sans faire
disparaître cette séparation, les événements d'août 1914 et les
tentatives de germanisation l'ont considérablement atténuée. La
Gaume, région qui était perçue par le clergé arlonais comme un
foyer de libéraux et de socialistes. n'est plus aussi mal considé-
rée.

' 2501AlfredBERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit. p. 140.


' 25 11
Jean GOEDERT. Les Boches dans le Luxembourg, La Joumée du 23 août 1914.
Bruxelles. 1918.

205
En 1901. l'abbé Jean Goedert. curé de Fauches. avait publié
chez l'imprimeur local Willems. le récit de son pèlerinage à Jéru-
salem au départ d'Arlon, via Rome, Naples, Athènes et Constan-
tinople. Son livre avait connu un beau succès. U était écrit en
allemand, cela va de soi. La description du paysage par l'ecclé-
siastique commençait lorsque le train quitte la gare d'Arlon. En
voici un extrait traduit en français :
«Le 16 août, lendemain de ]'Assomption, après m'être placé
sous la protection de la Sainte-Vierge et de mon Ange Gardien,
je prends place, avec annes et bagages dans le train. Pendant
trois jours, je vais voyager dans les entrailles de ce cheval de feu,
où plutôt y rester enfermé comme jadis Ulysse dans le cheval de
Troie et Jonas dans le ventre de la baleine...
«Nous jetons un bref regard sur l'entrepôt d'un certain mar-
chand de bois du parti libéral et nous prenons la direction de
Virton et de la France.
«Pas du tout une terre sainte ! Virton et ses alentours sont la
partie la moins ragoûtante de notre province. La population croit
y vivre au siècle des lumières. Ces «Gaumais» sont imbus d'eux-
mêmes, parlent vite et haut, nasillant comme les Juifs. La plupart
appartiennent au parti libéral.» (252l
En 1920. soit deux ans après la fin de la guerre, le même curé
publie une réédition de son livre en langue française. Si le récit
de son installation dans le «cheval de feu» avec «annes et baga-
ges» est identique à celui de 1901, la description du pays de Virton
est tout à fait différente :
«Virton est la localité principale du pays gaumais, renommé
par la beauté de ses sites, la richesse de son sol et l'amabilité de
ses habitants...
«Pauvre pays gaumais ! ll n'offre plus aujourd'hui que des rui-
nes, car les barbares y sont passés et ont laissé des traces indélé-
biles de leur haute culture. Ses villages riants ont été réduits en
cendres: la gaieté si pétillante d'autrefois a fait place aux pleurs
et aux lamentations des veuves et des orphelins, ses courageux
habitants ayant été fusillés ou étant morts en déportation dans
les géhennes allemandes.» (253 l
Si le rejet de l'allemand par le clergé est complet à Arlon et

1252l Jean GOEDERT. Konstantinople. Ath en. Neapel, Jerusalem. Rom.. Arlon. 1901.
p. 2. Traduction de M. Roger Paring.
125 ,i Jean GOEDERT. Un pèlerinage à Jérusalem. Arlon. 19 20. p. 6.

206
dans les environs immédiats. les sermons et le catéchisme en
allemand subsistent dans la plupart des villages. D'ailleurs les
lettres pastorales de l'évêque de Namur sont toujours traduites
et imprimées en allemand pour le Sud-Luxembourg (254l. Les gens
continuent également à prier en allemand. ce qui ne va pas sans
provoquer des critiques comme celles formulées par un «Jass»
après la procession du Très Saint Sacrement de l'église Saint-
Martin d'Arlon, le dimanche 22 juin 1919. procession à laquelle
participaient de nombreux villageois de l'Arelerland :
«j'ai fait partie du détachement qui, sous les ordres du major
Badart et des capitaines Boucquey et Collard a assisté, en service
commandé, à la procession de la Fête-Dieu, dimanche demier. ..
Ce contre quoi je voudrais protester par la voie d'un joumal qui,
comme «Les Nouvelles», se tient en dehors des luttes politiques
ou confessionnelles, c'est un fait qui nous a tous vivemen t et
désagréablement impressionnés, nous les soldats.
«Comment! après nous être battus pendant plus de quatre
ans pour chasser de Belgique les Boches exécrés, il nous faut
escorter, dans une ville belge, une procession dont des groupes
entiers récitent à nos oreilles, une heure durant des prières... en
AILEMAND !!!
«Certes, nous ne nous attendions pas à celle-là et je le répète,
cela nous a produit une impression très désagréable et même
douloureuse. Les gens qui priaient en allemand - des camp a-
griards pour la plupart - ne pensaient évidemment pas à mal.
Mais j'estime que les curés de leurs villages devraient s'attacher
à leur faire perdre cette habitude, tout au moins dans des céré-
monies publiques. N'êtes-vous pas de mon avis, monsieur le ré-
dacteur? Nous sommes en Belgique que diable ! et non en
Bochie !» '255 l
Commentaire du journaliste :
«Nous pensons que les observations du brave Jass sont par-
faitement justifiées. Nous avons tous suffisamment eu l'occasion
d'apprécier le «Gott mit uns» des Boches pour qu'il soit inutile de
l'évoquer encore dans des cérémonies religieuses belges, quel-
les qu'elles soient!»

' 254 l Lettres pastorales et mandements de Monseigneur l'évêque de Namur. Ar-


chives de !'Evêché de Namur.
' 255 l Après la Procession. Un Jass nous écrit. in Les Nouvelles. vendredi 27 juin
1919. p. 3.
207
La réaction de la population du pays d'Arlon ne tarde pas.
Une partie des patoisants décide d'abandonner l'utilisation de
sa langue maternelle pour celle du français. Il est notoirement
connu que, dans nombre de familles arlonaises, on interdit aux
enfants de parler l'idiome germanique et on leur impose doré-
navant l'emploi exclusif du français.
Pendant des années le Deutscher Verein a travaillé au rappro-
chement de l'allemand et du patois. Maintenant qu'on déteste la
langue de l'envahisseur de 1914 et parce qu'on veut s'en défaire
à jamais, on met dans le même sac sa propre langue maternelle.
Ce phénomène se développe surtout en ville et touche moins
la campagne. Une telle évolution des mentalités est très difficile
à mesurer. Les résultats du recensement de 1920 ne donnent
pas pleinement satisfaction car les patoisants ont à choisir entre
l'allemand, le français ou les deux. L'horreur devant la première
possibilité est telle que beaucoup désignent aussitôt le français.
Même ceux à qui on explique que l'administration ne fait pas de
différence entre l'allemand et le luxembourgeois ne trouvent pas
cela flatteur. De peur d'être considérés comme une minorité «bo-
che» par l'Etat belge, ils choisissent le français.
Un sentiment de culpabilité les envahit car ils parlent une
langue germanique, assimilée par tous les Belges à l'allemand,
c'est-à-dire la langue de l'envahisseur sanguinaire. La situation
est d'autant plus délicate que les villages gaumais qui ont tant
souffert et dont on a fusillé les habitants à Arlon, se trouvent à
quelque distance de là. Or il est impossible de se déclarer soli-
daire en parlant du «boche». Pour beaucoup, être patoisant est
devenu incompatible avec être patriote.
Naturellement plus rien n'est publié en langue allemande dans
la province de Luxembourg. L'invasion a eu raison du vieil Arloner
Zeitung. la dernière feuille allemande ayant survécu à la franci-
sation du Luxembourg germanophone. Il ne se relève pas de ses
cendres et il n'y aura plus jamais de journaux en langue alle-
mande, rédigés ou publiés dans le pays d'Arlon (256l. Seul un heb-
domadaire collaborateur en allemand paraîtra à Arlon, à l'insti-
gation des nazis, d'août 1941 à août 1944. En conséquence, les
Arlonais se tournent encore davantage vers leurs quotidiens en
langue française ou éventuellement vers la presse allemande du
Grand-Duché, comme le Luxemburger Wortpar exemple.

l156l Philippe MOTTEQUIN, Répertoire de la presse de la province de Luxem-


bourg. op. cit. pp. 39-40.
208
Le Deutscher Verein. disparu également dans la tourmente.
ne revoit pas le jour. Il ne vient à l'idée de personne d'essayer de
le ranimer. Ses annales de 1914 ne sont jamais envoyées bien
qu'ayant été imprimées juste avant le déclenchement de la guerre.
La seule «fausse note» vient d'Alfred Bertrang. En 1919. il ose
présenter un travail rédigé en langue allemande au concours de
l'Académie royale de Belgique. L'ancien secrétaire du Deutscher
Verein est cependant excusé car il a rédigé son mémoire avant
l'invasion du territoire. En effet c'est en janvier 1913 que l'Acadé-
mie a mis au concours «l'étude phonétique et morphologique
d 'un patois allemand de Belgique». Comme le sujet a été main-
tenu après la libération du pays et le délai de remise prorogé au
1er novembre 1919, il prend le risque et envoie son travail. Il a
raison car son «Grammatik der Areler Mundart» est couronné et
publié par l'Académie (257l.
Bertrang s'entoure toutefois d'un maximum de précautions
qui traduisent bien le climat de l'époque. Il ajoute à son mé-
moire un avant-propos qu'il rédige en 1919. en langue française.
Il y explique pourquoi son travail est en allemand et fait remar-
quer qu'il est possible d'être patriote tout en parlant un idiome
germanique :
«Ayant été rédigé avant la guerre. mon mémoire fut écrit en
langue allemande, et cela pour diverses raisons : comme il s'agis-
sait d'un patois allemand. il était tout naturel que le travail fût
composé tout entier en allemand: d'autre part. la terminologie
scientifique allemande s'adaptait mieux aux phénomènes à ex-
pliquer: il eût tout de même été nécessaire de conserver certains
tennes techniques. qui n'ont à vrai dire pas d 'équivalents en fran -
çais. et les deux langues continuellement juxtaposées. mots du
patois en regard des vocables du vieil allemand et de la traduction
fran çaise, auraient produit une impression disparate et désagréa -
ble: enfin, c'était ma langue maternelle. dont l'Académie elle-même
me pennettait de faire usage. Cette langue n ·a pas empêché mon
père et deux de mes frères de se battre vaillamment à Namur. à
Anvers et plus tard dans les tranchées boueuses de l'Yser. voire
même d 'y verser leur sang pour la patrie belge.» '258l
Dépassant quelque peu le cadre de son mémoire, il ajoute
encore:

2571
' Alfred BERTRANG. Grammatik der A.1:eler Mundart. Mémoire couronné par
]'Académie royale d e Belgique. Bruxelles. 1921.
2581
' Idem. p. 4.
209
«Quand nos troupes victorieuses eurent balayé l'ennemi, qui
avait si longtemps souillé le sol sacré de la patrie, les popula-
tions de la région allemande de Belgique exultèrent de joie et
d'allégresse. Si une réaction violente, que le Gouvernement eût
jugée nécessaire, s'était produite contre leur idiome matemeL
elles n'auraient guère protesté. Un homme de cœur est profon-
dément attaché à son pays natal avec son patois et ses tradi-
tions locales: mais, en bon citoyen. il met au-dessus de tout le
salut de la patrie et lui sacrifie généreusement ses affections les
plus chères.» '259 )
Cet extrait montre à quel point la population arlonaise est
prête à se séparer de son patois. Le dialecte est coupable de par
son origine germanique et le peuple qui le parle, l'est tout autant.
Les Arlonais se sentent montrés du doigt car ils sont le symbole
de la culture germanique en Belgique. Leur isolement est grand
mais. selon Bertrang. ils le comprennent parfaitement.
L'Etat belge ne prend pas de mesure contre le patois luxem-
bourgeois. En échange. la population ne veut plus avoir de liens
quels qu'ils soient avec la culture et la langue allemandes et elle
se tourne largement vers la langue française. tout en conservant
son patois pour elle et rien que pour elle.
L'Avenirdu Luxembourg du 15 mai 1920:
«ll y eut de la résistance qui fait honneur au patriotisme de la
population. Mais n'est-il pas naturel que, par réaction, après no-
tre victoire, l'idée soit venue à des Belges d'ouvrir plus largement
la voie à l'influence française ... de manière à aniver à une substi-
tution progressive du français à ]'allemand là où les autorités
communales et ecclésiastiques l'estimeraient souhaitable... : la
vulgarisation du français chez nos patoisants leur vaut des avan-
tages d'ordre matériel, intellectuel et même moral considérables
dont ils comprennent généralement l'importance... » '260)
ll y a bien quelques voix pour s'élever contre cette attitude.
Après tout. la résistance de la population à la germanisation est
le meilleur garant de l'avenir et de son patriotisme. Le danger
d'une infiltration de la «Kultur» germanique n'existe pas. Et de
toute manière, le pays d'Arlon n'a de leçon de patriotisme à re-
cevoir de personne.

(259l Alfred BERTRANG. Grammatik der Areler Mundart op. cit. p. 5.


(260l Pour mettre les choses au point. in L'Avenir du Luxembourg. vendredi 14 et
samedi 15 mai 1920. p. 1.
210
«Que convient-il de faire pour remédier à l'isolement intellec-
tuel dont souffre la région allemande du Luxembourg?
«Dites à ces Belges qu'ils se familiarisent avec le français. vous
les ferez bondir. .. ny a des Belges allemands qui ne savent pas le
français et ne Je sauront jamais ?Qu'on leur mette entre les mains
la «Fliegende Taube» ou un joumal sodal comme «Das neue Leben»
édité à Verviers: qu'on se serve de leur langue pour en faire de
bons dtoyens et les préserver de la «kultun1 allemande.» (261 l
Ces voix discordantes ne réussissent pas à se faire entendre.
Les Luxembourgeois germanophones ne bondissent pas et ap-
prennent le français. il anivera même un jour où il n'y aura plus
un seul d'entre eux qui ne connaîtra la «langue de Voltaire» de-
venue depuis peu la «langue de Bossuet».

1261 1 La situation de nos patoisants. in L'Avenir du Luxembourg. jeudi 13 mai


1920, p. 1.
211
Comparaison entre les recensements de 1910 et de 1920
(Chiffres absolus et pourcentages)
HABITANTS PARLANT
COMMUNES ANNEES POPU- SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LATION LE FRANCAIS L'ALLEMAND ET L'AI.LEMAND

ARLON 1910 12.012 2.684 22.3 % 1.552 13.0 % 6.747 56,2 %


1920 11.202 4.522 40.4 % 572 5.1 % 5.159 46 %
ATHUS 1910 3.371 1.031 30,6 % 665 19.7 % 1.382 41 %
1920 4.046 2.042 50.5 % 23 1 5,7 % 1.501 37 %
ATTERT 1910 1.804 122 6.8 % 687 38 % 881 48.8 %
1920 1.664 108 65 % 452 27,2 % 1.042 62,6 %
AUBANGE 1910 1.415 703 49.7 % 152 10.7% 467 33 %
1920 1.772 1.11 2 62.7 % 24 1.3 % 514 29 %
AUTELBAS 1910 1.819 137 75 % 413 22,7 % 1.1 77 64. 7 %
1920 1.720 149 8.7 % 210 12.2 % 1.258 73.1 %
BONNERT 1910 1.632 95 5.8 % 255 15.6 % 1.209 74,1 %
1920 1.572 144 9.2 % 425 27 % 905 57.6 %
FAUVILLERS 1910 1.223 659 53.9 % 28 2.3 % 458 37.4 %
1920 1.15 3 689 59.8 % 37 3,2 % 384 33.3 %
GUIRSCH 1910 305 51 16,7 % 141 46,2 % 81 265 %
1920 315 26 8.2 % 149 47.3 % 119 37.7 %
HABERGY 19 10 649 1 0.1 % 264 407 % 352 54,2 %
1920 588 4 0.7% 213 36,2 % 356 605 %
HACHY 19 10 1.871 95 5 % 770 41.1 % 894 47.8 %
1920 1.704 68 4 % 514 30.2 % 1.043 61.2 %
HALANZY 1910 2.262 1.1 96 52.9 % 384 17% 551 24.3 %
1920 2.427 1.409 58 % 110 45 % 805 33.2 %
HEINSCH 1910 2.05 3 87 4.2 % 989 48,2 % 854 41.6 %
1920 1.961 79 4 % 525 26,8 % 1.299 66,2 %
HONDELANGE 1910 1.512 21 1.4 % 758 50.1 % 646 42.7 %
1920 1.466 35 2.4 % 628 42.8 % 766 52.2 %
MARTELANGE 19 10 2.147 155 7.2 % 1.027 47.8 % 804 37.4 %
1920 2.042 11 5 5.6 % 853 41.8% 982 48 %
MEIX-LE-TIGE 1910 580 511 88.1 % 1 0.2 % 48 8.3 %
1920 524 475 90.6 % 3 0.6 % 30 5.7 %
MESSANCY 1910 2.448 173 7 % 538 22 % 1.625 66.4 %
1920 2.368 195 8.2 % 463 195 % 1.705 72 %
NOBRESSART 1910 1.352 10 0,6 % 47 9 31.3 % 893 58.3 %
1920 1.267 1 - 172 13,6 % 1.069 84.4 %
RACHECOURT 1910 716 656 91.6 % - - - -
1920 72 3 702 97 % - - 20 2.8 %
SELANGE 1910 722 24 3.3 % 375 51.9 % 291 40.3 %
1920 630 22 35 % 299 475 % 299 475 %
TIIlAUMONT 1910 807 2 0.2 % 512 63.4 % 251 31.1 %
1920 71 3 2 0,3 % 65 9,1 % 626 87.8 %
TINTANGE 1910 652 99 15.2 % 184 28,2% 345 52.9 %
1920 575 77 13.4 % 131 22,8 % 340 59.1 %
TOERNICH 1910 972 29 3 % 408 42 % 483 49,7 %
1920 842 23 2,7 % 360 42.7 % 429 50.9 %
TONTELANGE 1910 630 25 4 % 311 49.4 % 279 44.3 %
1920 572 41 7,2 % 282 49.3 % 221 38,6 %
TOTAL 1910 43.134 8.566 19.8 % 10.893 25,2 % 20.718 48 %
1920 41.846 12.040 28,8 % 6.7 18 16 % 20.872 49.9 %

212
Cette comparaison entre les résultats du recensement linguis-
tique de 1910 et celui de 1920 '262' pour l'arrondissement d'Arlon et
les communes de Fauvillers et de Tintange (arrondissement de
Bastogne). montre clairement la régression de l'allemand ou en
tout cas du nombre de personnes ayant déclaré parler l'allemand.
En dix années, on chute de 25 % à 16 % pour les habitants parlant
uniquement l'allemand. Quand à ceux parlant les deux langues. il
augmente à peine de 2 %. Par contre. le nombre d'habitants par-
lant le français monte de 9 %. Plus de 7 % de la population con-
naissant l'allemand ont disparu de la circulation en une décennie.
Rien qu'à Arlon. ce sont 18 % qui s'évanouissent. Les Arlonais
sachant seulement l'allemand passent de 1.552 à 572. tandis que
ceux connaissant le français et l'allemand régressent de 6.747 à
5.159. Ce n'est pas le cas dans tous les villages où il arrive parfois
que l'allemand progresse. En général. parmi les habitants ayant
déclaré en 1910 connaître seulementl'allemand. beaucoup d'entre
eux se retrouvent en 1920 dans la colonne «français et allemand».
Mais il est indéniable que certains. connaissant l'allemand en
191 O. ont déclaré l'ignorer en 19 20.
Où les résultats sont encore plus nets, c'est quand on demande
aux habitants de choisir entre le français, l'allemand et le flamand
pour désigner la langue qu'ils utilisent le plus fréquemment ou la
seule qu'ils savent parler. Voici les résultats pour les deux langues qui
nous intéressent. uniquement dans l'arrondissement d'Arlon '263l :
- en 1910: 70.76 % de la population totale (soit 29.195 habitants)
déclarent utiliser l'allemand contre 23.58 % (soit 9.728 habitants)
parlant le français :
- en 19 20, le pourcentage de gens parlant uniquement ou le plus
fréquemment l'allemand est tombé à 55,72 % (soit 22.353 habi-
tants) contre 40.51 % de la population (soit 16.25 3 habitants)
ayant préféré indiquer le français ;
- en 19 30. on constate que le processus s· est légèrement ralenti mais
que les personnes pratiquant le français sont désormais majori-
taires avec 51.96 % de la population (soit 21.575 habitants) contre
43.48 % (soit 18.053 habitants) ayant déclaré parler l'allemand.
Les années qui suivent la guerre sont sans cesse marquées par
des cérémonies d'hommage et de souvenir des sauvageries dont
la culture allemande est responsable. Parallèlement on remercie

(2621 Statistiques de la Belgique. Recensement Général du 31 décembre 1910 et


Recensement Général du 31 décembre 1920. Bruxelles.
(2631 Statistiques de la Belgique. Recensement Général du 31 décembre 19 30.

213
constamment la France pour être venue au secours des Luxem-
bourgeois. Le 17 août 1919. la Ville d'Arlon inaugure le «Coq Gau-
lois», monument érigé à la mémoire des soldats français morts à
Arlon. La colonne de pierre est surmontée du coq français fière-
ment perché sur un casque allemand. Ce coq en bronze, œuvre
du sculpteur arlonais Jean-Marie Gaspar, sera enlevé et fondu
durant la seconde guerre mondiale par l'occupant
Le 18 juillet 1920. les Luxembourgeois se rendent en masse à
Arlon pour assister à la cérémonie d'hommage rendue. en pré-
sence du roi Albert 1er, aux victimes de Rossignol. Les corps. ex-
posés sur la place Léopold, sont ensuite solennellement transfé-
rés au cimetière de Rossignol.
Le 25 septembre 1921. on rapatrie le corps de Godefroid Kurth
et les Arlonais lui font d'imposantes funérailles en présence du
cardinal Mercier. avant de le conduire au cimetière de Frassem.
sa dernière demeure.
La première guerre mondiale et ses atrocités ont considérable-
ment rapproché le pays d'Arlon et la culture française. L'Allema-
gne. par ses exactions. y a tué la langue allemande pour plus d'un
demi-siècle et a placé le patois luxembourgeois dans une situa-
tion précaire. Elle est responsable de la mort de Godefroid Kurth,
le père du mouvement germanophone. Elle a rendu difficiles les
relations entre les patoisants et leur patrie car non seulement ils
sont orphelins mais ils se sentent coupables. Après une courte
phase d'isolement ils se tourneront résolument vers la langue fran-
çaise sans pour autant renier leur patois qu'ils parleront entre eux,
mais dont l'importance ne cessera de décroître. Quant à la langue
allemande. elle disparaîtra rapidement des églises et ne sera con-
servée que dans les écoles où elle est indispensable. A !'Athénée
d'Arlon, les élèves choisissant l'allemand comme deuxième lan-
gue se feront toujours moins nombreux et c'est vers le flamand
qu'ils s· orienteront La population vivra dans le souvenir perpétuel
du mois d'août 1914 et à tous les étrangers qui prétendront défen-
dre ses droits linguistiques ou qui la considéreront comme une
population allemande. elle répondra unanimement:
«j'étais à Arlon. .. pendant ces journées tragiques d'août 1914...
j'étais là lorsque nos frères. les martyrs de Rossignol et d'ailleurs,
sont tombés sous les balles ennemies. Si vous aviez été là aussi...
vos idées seraient peut-être autres que celles que vous professez
en ce moment» (264l
12641 Discours de Camille Ozeray à la Chambre des Représentants. Annales Parle-
mentaires. Séance du vendredi 10 juin 1932. pp. 2037-2038.
214
LE PATRIOTE ILLUSTRÉ
~ -~-~~- ~-===
AD?.fli'HSTRATION

=r=====~~====d!...-=.---===============~===
... -·----.. ····-----------·------------- - ----~

S11r nuictaUve de la. « JcuucsHo Arloui1also o, Arlon a, é1'1gé ,111 momrnwnt. n ux morts glorh, ux do .1 0l•l, tn1x .," 1't\t1rats
qut reposent en terJ'e luxcmhout·geoiRe . Notro l)llolo J'l' J>rCtï('l nto la <'él'lmoz1 lo d'h111.11gura11ou 1h1 mr,m1nu nt 1\\1
m om ent ou 10 général do CnKtclnnu pronouco un l >&.t.rl oLl que dhwours. ,u,,,r," '"''"'}
LES FÊ TES FRANCO- B EL G ES D'ARLO N.

215
~·.1
1--~1,11
---- 1

Le 18 juillet 1920. la Nation rend un ultime hommage aux victimes de RossignL 1


massacrées par les Allemands six ans plus tôt. La manifestatio n a lieu sur J. ,
place Léopold à ù rlon. en présence du roi Albe1t 1'

216
VL PASSE Di\RMES ENTRE PAUL
REUTER ET CAMILLE HUYSMANS
(1926-1927)
Le 26 avril 1926. une circulaire du ministre belge des Sciences
et des Arts (265l, le socialiste Camille Huysmans, provoque un vé-
ritable coup de tonnerre parmi les dirigeants de l'administration
communale d'Arlon qui n'en croient pas leurs yeux et leurs
oreilles. Les instructions du ministre aux responsables de l'en-
seignement primaire d'un certain nombre de communes des ré-
gions de langue allemande et de langue flamande du pays pré-
voient notamment ceci :
1) Dans la commune de Beho (arrondissement de Bastogne), le
français qui était la langue d'enseignement dans les écoles pri-
maires. doit céder la place à la langue allemande. La mesure
concerne l'école communale du Centre. l'école communale de
la section de Deyfeld et celle de la section <l'Ourthe.
2) De la même manière. les écoles des villages de Tontelange et
de Wolkrange. dépendant de Hondelange (arrondissement
d'Arlon). doivent adopter l'allemand comme seule langue d'en-
seignement primaire alors que précédemment il y était ensei-
gné comme seconde langue. le français étant la langue véhicu-
laire à tous les niveaux.
3) Mêmes instructions aux communes de Heinsch, Nobressart et
Thiaumont (arrondissement d'Arlon) où existait un régime
mixte. accordant une importance égale aux deux langues.
4) Mêmes instructions aux communes de Guirsch, Habergy et
Hondelange (arrondissement d'Arlon) où l'allemand était la lan-
gue d'enseignement durant les premières années d'études et
le français durant les dernières années.

' 2651 Circulaire du 26 avril 1926. Ministère des Sciences et des Arts. Papiers Paul
Reuter (AE.A).
217
5) Mêmes instructions aux communes de Fauvillers, Hachy,
Nothomb, Sélange et Toernich (arrondissement d'Arlon). La si-
tuation antérieure n'est pas connue avec exactitude pour ces
communes mais il semble que l'allemand y était encore la lan-
gue d'enseignement au moins durant les premières années
d'études.
6) Mêmes instructions pour les sections d'Aix-sur-Cloie et de
Battincourt (commune de Halanzy, arrondissement d'Arlon),
où l'enseignement était exclusivement français, et Gemmenich
(arrondissement de Verviers).
Le ministre Huysmans annonce encore que des propositions
seront faites ultérieurement pour les communes d'Arlon, Athus,
Aubange, Attert, Autelbas. Bonnert et Martelange. Il ne précise
nullement en quoi consisteront ces propositions.
Pour le bourgmestre d'Arlon, Paul Reuter (266l, déporté en Alle-
magne moins de dix ans auparavant pour avoir résisté aux ten-
tatives de germanisation de l'occupant. il est impossible d'ac-
cepter de telles mesures. C'est à se demander comment on peut
en arriver à de telles aberrations.
«Monsieur le Ministre Huysmans ne fait que renouveler une
tentative antérieure, remontant à 1917, faite par ceux qui ont pour
devise : LA FORCE PRIME LE DROIT.
«La lutte que nous avons menée - victorieusement - contre
l'occupant boche, nous la recommencerons s'il le faut et avec le
même succès, croyez-le bien.» (267l
Effectivement. entre les mesures de Camille Huysmans et cel-
les des Allemands durant l'occupation, il n'y a aucune différence
si ce n'est qu'Arlon. Athus, Aubange ... ne sont pas encore concer-
nées. Pour ces communes, le ministre réserve sa décision tant
que l'inspection n'a pas procédé à une enquête approfondie.
Evidemment. malgré leurs similitudes. les deux attitudes se
situent dans des contextes tout à fait différents et les intentions
divergent totalement Le ministre n'est pas un envahisseur san-
guinaire qui germanise en vue du rattachement ultérieur du pays
d'Arlon à l'Allemagne, mais il mène une politique linguistique

' 266l Paul Reuter devient bourgmestre d'Arlon en 1921. à la suite de Numa Ensch-
Tesch. et le reste jusqu'à sa mort en 1949.
' 267 l Lettre de Paul Reuter à Joseph-Maurice Remouchamps. Arlon. le 12 avril
1927. Publiée in Un Foyer de Civilisadon Française. La Défense Wallonne.
dimanche 24 avril 1927. p. 1.
218
bien intentionnée, tant pour l'enseignement dans la région fla-
mande du pays. que pour l'enseignement dans la région alle-
mande. Il est directement dans le prolongement des revendica-
tions de Godefroid Kurth. auxquelles il répond. exactement
comme si la première guerre mondiale n'avait jamais eu lieu.
Pour la première fois, un membre du Gouvernement belge agit
comme Kurth l'avait tant souhaité. Les Belges de langue alle-
mande bénéficient d'une politique et de mesures identiques à
celles qui touchent les Flamands. Il y a au moins un responsable
flamand, comme Kurth l'a toujours espéré, pour ne pas refuser
aux germanophones belges. ce qu'il revendique pour les siens.
Hélas. Huysmans a vingt ans de retard Une effroyable guerre
est passée. Godefroid Kurth repose au cimetière de Frassem et
même ceux qui ont animé autrefois le Deutscher Verein ne veu-
lent plus rien qui puisse rappeler la politique de l'occupant dans
le Sud-Est de la Belgique. Par sa méconnaissance totale du senti-
ment des populations patoisantes, le ministre se fourvoie com-
plètement
La réaction est rapide et unanime. Toutes les communes con-
cernées refusent catégoriquement d'appliquer cette circulaire. Le
sentiment anti-allemand est tellement grand que des commu-
nes comme Heinsch déclarent que le français est la langue prin-
cipale. voire la seule langue que les habitants parlent alors qu'en
réalité la majorité des gens sont patoisants.
Personne ne veut qu'un étranger vienne imposer l'allemand
comme langue de base dans l'enseignement fondamental et tous
les conseils communaux votent le statu quo malgré la menace du
retrait des subsides. Les quelques villages qui ne sont pas touchés
par ce changement car la position de l'allemand dans leurs écoles
est celle requise par la circulaire, déclarent ne pas se soumettre au
ministre mais être conformes à ses propositions (ZMl. On peut dire
que la réaction provoquée est contraire à l'objectif que Camille
Huysmans s'est fixé.
Devant la persévérance et la ténacité du ministre des Scien-
ces et des Arts. et pour prévenir une nouvelle tentative de
germanisation des écoles de la ville d'Arlon, Paul Reuter monte
une nouvelle fois aux créneaux. Le bourgmestre en appelle à
l'Assemblée Wallonne. Plusieurs de ses connaissances dontYvan

1268l La guerre au français dans les écoles. Communiqué de presse de l'Assem-


blée Wallonne. Papiers Paul Reuter (A.E.A.).
2 19
Paul. directeur de la Défense Wallonne. et Joseph-Maurice
Remouchamps. ancien sénateur de Liège. siègent au bureau per-
manent de ce groupement de défense des intérêts wallons et de
la culture française.
Le 19 juillet 19 26. l'Assemblée Wallonne adresse une lettre au
Premier Ministre. demandant le retrait de la circulaire Huysmans.
Au même moment. une délégation de la Ligue pour l'Unité belge.
conduite par le professeur Jules Bordet. rencontre le Premier Mi-
nistre dans le même but '269 ).
Leurs préoccupations ne concernent pas seulement les éco-
les de la région d'Arlon mais aussi les écoles flamandes dispen-
sant un enseignement partiel ou total en français. auxquelles le
ministre impose comme seule langue le flamand. de même que
les écoles de langue française où le ministre crée des sections
flamandes ou allemandes suivant les régions. ou encore les éco-
les wallonnes où Camille Huysmans intensifie l'enseignement
du flamand comme seconde langue.
Malgré ces démarches. rien n'évolue. Le ministre des Scien-
ces et des Arts ne veut pas faire marche-arrière. Reuter, ulcéré. se
fâche. Avec l'appui de Remouchamps. il entame une vaste cam-
pagne d'information et attaque la circulaire ministérielle.
«Les prétendus Allemands de Belgique tout en aimant au point
de vue folklore et par atavisme. leur patois bas-allemand. esti-
ment cependant que l'intérêt de leur petite patrie. de même que
l'intérêt national. commandent le rattachement à la culture fran-
çaise. comme condition essentielle de progrès.» ,27o)
«Depuis de nombreuses années. l'enseignement se fait dans
les écoles d'Arlon en français. pour l'excellente raison que c'est
la langue de la plus grande partie de la population arlonaise.
Plus de 70 % des habitants parlent de préférence le français. Quant
aux autres. ils restent fidèles - non pas à l'allemand que presque
personne ne parle - mais au savoureux patois luxembourgeois.
ce qui est tout autre chose. D'ailleurs. la plupart des patoisants
savent parler le français. Sur cent Arlonais. il n y en a que cinq. de
jeunes enfants pour la plupart. qui ne connaissent pas le

(269l Adresse au Roi concemant les circulaires illégales de son ministre des Scien-
ces et des Arts. Bruxelles. le 16 novembre 1927. Papiers Paul Reuter (AE.A).
(27 ol Lettre de Paul Reuter à Joseph-Maurice Remouchamps. Arlon. le 16 avril 1927.
Publiée in Un Foyer de Civilisation Française. La Défense Wallonne. diman-
che 24 avril 1927. p. 1.
220
français. C'est encore moins qu'à Bruxelles, où la proportion est
de huit.»( 271 l
Pour le bourgmestre d'Arlon et son ami Remouchamps. les
fantaisies illégales du ministre flamand fanatique traduisent une
volonté de défrancisation de la région. Et la Défense Wallonne
pose la question suivante :
«Quel but poursuit-il en essayant de détacher certains Arlonais
de la communauté belge et de les forcer- fatalement - à regar-
der vers l'Allemagne ? ll est plus que temps que M Jaspar inter-
vienne et dise : Assez !» (ml
On peut objecter qu'il n'est nullement question de détache-
ment et d'orientation vers l'Allemagne. Apparemment le minis-
tre tient simplement à rétablir dans les écoles de certains villa-
ges du pays d'Arlon, le régime d'avant-guerre afin de permettre
un meilleur épanouissement des populations luxembourgeoi-
ses. il est probable qu'il s'interroge sur l'opportunité et la faisabi-
lité de restaurer la langue allemande comme langue véhiculaire
dans les autres localités fortement francisées comme Arlon, Athus,
Aubange. etc. nse refuse à prendre une décision générale et uni-
latérale pour toutes les communes de la région et recherche la
meilleure solution dans l'intérêt des populations. Mais à Arlon.
personne n'est capable de comprendre cela. car plus personne
ne fait de différence entre les menées pangermanistes de l'occu-
pant et celles d'un «flamingant fanatique». tout ministre qu'il soit.
Afin de soutenir les protestations de l'administration com-
munale d'Arlon, la Défense Wallonne édite une brochure rédi-
gée par Remouchamps, vraisemblablement grâce à des informa-
tions fournies par Reuter. Elle s'intitule «Arlon et la langue fran -
çaise. Ce qu'a produit en quarante ans le régime de la liberté
linguistique» (ml.
L'influence de Reuter s'y retrouve dès la première page car
Remouchamps signale que les Arlonais parlent un patois «bas-
allemand», faute classique commise sans cesse, volontairement
ou non, par le bourgmestre d'Arlon. Ce qui agace particulière-
ment les linguistes arlonais tel Alfred Bertrang, ancien secrétaire
du Deutscher Verein. qui ne manque pas Remouchamps lorsque

(271 l
M Huysmans sévit à Arlon. in La Défense Wallom1e. dimanche 27 mars
1927. p. l.
(ml Idem.

(ml Joseph-Maurice REMOUCHAMPS. Arlon et la langue fran çaise. Ce qu 'a pro-


duit en quarante ans le régime de la liberté linguistique, Bruxelles. 1927.
221
celui-ci répète cette grossière erreur dans un article intitulé «Carte
systématique de la Wallonie», publié en 1935 dans le bulletin de
la Commission Royale de Toponymie et de Dialectologie (z 74l,
«Wie kann eine philologische Zeitschrift einen solchen
irrtümlichten Ausdruck aufnehmen ?» (m l
Selon la thèse de Remouchamps. Arlon forme. tout comme
Bruxelles. un îlot français qu'une bande de huit kilomètres à peine
sépare de la Wallonie. n raconte notamment comment en 1920.
les fonctionnaires d'Arlon. consultés par la Commission sénato-
riale qui préparait la loi de flamandisation administrative. auraient
répondu : «Ne touchez pas à notre région : la question des lan-
gues ne sy pose pas: le français nous suffit» Naturellement l'auteur
se félicité de l'attitude des sénateurs qui eurent le bon esprit de
suivre ce conseil.
Comparant les données des recensements linguistiques de
l'agglomération bruxelloise et de l'agglomération arlonaise.
Remouchamps arrive à la conclusion suivante : à Arlon. comme
à Bruxelles. les progrès de l'unilinguisme français et du bilin-
guisme se sont accomplis au détriment des unilinguismes alle-
mand ou flamand. selon la ville. depuis 1880. Dans les deux cas.
le bilinguisme apparaît comme un phénomène de tradition con-
duisant à l'unilinguisme français. il se déplace par glissement au
détriment de l'unilinguisme allemand. et recule lui-même de-
vant l'unilinguisme français. La Belgique est donc appelée à de-
venir tôt ou tard un état unilingue français avec disparition totale
du flamand et de l'allemand. On sait ce qu'il est advenu.
En ce qui concerne l'emploi du français et de l'allemand
comme langues usuelles. c'est-à-dire les plus fréquemment par-
lées par les habitants. Remouchamps constate l'avance du fran-
çais qui s'affirme plus nettement encore à Arlon qu'à Bruxelles.
En 1910. Arlon pouvait être classée parmi les communes de lan-
gue allemande avec 68 % d'habitants parlant habituellement l'al-
lemand. Par contre. en 1920. avec 70 % des habitants parlant de
préférence le français. Arlon est devenue une ville française.
nest surprenant de constater à quel point Remouchamps con-
naît mal la population arlonaise car il commet les mêmes

(2741 Joseph-Maurice REMOUCHAMPS. Carte systématique de la Wallonie. précé-


dée d'une note sur la frontière linguistique et d'une double nomenclature
des communes belges de langue romane, d'après le recensement du 31-12-
1930. Bruxelles. Commission Royale de Toponymie et de Dialectologie. 1935.
(ml Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit, pp. 135-152.

222
erreurs que celui qu'il combat. Tout comme Huysmans. il évacue
la première guerre mondiale et additionne froidement les chif-
fres sans tenir compte de la réalité et sans se poser la moindre
question quant à l'évolution spectaculaire des déclarations en
faveur du français depuis la fin de l'occupation.
«En présence de cet élan spontané de toute une population
vers la clarté française, il n'est pas possible qu'un ministre belge
vienne dire: «Vous parlez l'allemand!» (276)
Le Bureau permanent de l'Assemblée Wallonne intente une
nouvelle action (ml. Le 16 novembre 19 27. il s· adresse au roi Albert
Ier en soulignant le caractère illégal et anticonstitutionnel des me-
sures Huysmans. S'appuyant sur le principe de la liberté des lan-
gues. proclamé en 1830 après une période de contrainte linguisti-
que, il rappelle l'arrêté du Gouvernement provisoire du 16 no-
vembre 1830 - jadis utilisé par Kurth - assurant à chaque citoyen
«la faculté de se servir de l'idiome qui convient le mieux à ses
intérêts et à ses habitudes». ce qui pour lui implique le droit d'en-
seigner ou de faire enseigner à son enfant la langue de son choix.
D'ailleurs. assure-t-il. la loi de 1914 va dans le même sens en affir-
mant que la langue maternelle des enfants doit être la langue d'en-
seignement. «détenninée par la déclaration du chef de famille».
Or. le ministre ayant l'Education nationale dans ses attribu-
tions refuse de prendre en considération la déclaration du père.
en chargeant l'inspecteur de dire quelle est la langue maternelle
de l'enfant. Violation flagrante de la loi car l'inspecteur ne peut
légalement intervenir que lorsque le chef d'école estime l'enfant
inapte à suivre avec fruit les cours dans la langue désignée par le
père. Dans ce cas. le chef de famille a encore la possibilité d'in-
troduire un recours auprès de l'inspecteur qui décide en dernier
ressort. non pas quelle est la langue de l'élève. mais si celui-ci est
en état de recevoir l'enseignement dans la langue désignée.
Il est évident aux 22 membres du Bureau permanent de l'As-
semblée Wallonne que lorsque Huysmans prétend que l'inspec-
teur a le droit d'intervenir de son propre chef ou qu'il a l'autorité
d'imposer l'enseignement en flamand ou en allemand. malgré la
volonté du père de famille et même si la direction de l'école
reconnaît l'enfant apte à recevoir l'enseignement en français. le
ministre se situe hors-la-loi.

1276l Joseph-Maurice REMOUCHAMPS. Arlon et la langue fran çaise. op. cit. p. 7.


!ml Adresse au Roi concernant les circulaires illégales de son ministre des Scien -
ces e t des Arts. Bruxelles. le 16 novembre 1927. Papiers Paul Reuter (AE.A).
223
«Dans les communes mixtes, situées à la limite de deux ré-
gions linguistiques, les enfants connaissent, comme le reste de
la population, deux langages: un français parfois rudimentaire,
un humble patois flamand ou bas-allemand. En quelle langue
ces enfants bilingues doivent-ils recevoir l'enseignement? En fran-
çais, répondent presque unanimement les parents, Non, riposte
le Ministre: si l'inspecteur affirme que le ménage parle habituel-
lement un idiome flamand ou bas-allemand, c'est en néerlan-
dais ou en allemand - langues que les enfants ne connaissent
pas mieux que le français - que se donnera l'enseignement
«Cette incroyable prétention, inspirée par la passion linguisti-
que, ressemble singulièrement aux vaines tentatives auxquelles
se livrèrent pendant l'occupation les Allemands, par haine de la
civilisation française. Comme alors, la guerre au français et à la
liberté du père de famille provoque aujourd'hui une résistance
indignée. «M le Ministre Huysmans, nous écrivait récemment M
Reuter, bourgmestre d'Arlon, ne fait que renouveler une tenta-
tive antérieure remontant à 1917.» (27 s)
Le problème est en fait beaucoup plus complexe et il est dif-
ficile aujourd'hui de répondre aux deux questions que se posent
les protagonistes de l'époque: que souhaitent réellement les
pères de famille? Quelle langue d'enseignement est-elle la plus
désirable pour les enfants ?
Pour le bourgmestre Reuter, le simple fait que les parents ac-
ceptent de mettre leurs enfants dans des écoles de langue fran-
çaise, équivaut à une déclaration selon laquelle le français est
leur langue maternelle. Or, à Arlon, à Athus et à Aubange. beau-
coup d'enfants ont pour langue maternelle le patois luxembour-
geois tandis que dans les autres villages, c'est le cas de la pres-
que totalité des écoliers. Les seules déclarations existantes des
chefs de famille datent de l'occupation et les circonstances dans
lesquelles elles ont été réalisées, ne garantissent pas leur séré-
nité et le reflet de la vérité.
Reuter a-t-il raison ou défend-t-il seulement les intérêts de la
culture française et des nombreux Wallons implantés à Arlon
pour les enfants desquels il n'est pas réaliste de songer à intro-
duire l'allemand dans l'enseignement primaire ? Ne sacrifie-t-il
pas l'intérêt des patoisants qui profiteraient davantage de l'alle-
mand alors qu'on leur impose l'étude d'une langue si éloignée

1278l Adresse au Roi concernant les cirrnlaires illégales... , op. cit


224
de leur dialecte? Reuter n'a-t-il pas beau jeu d'assimiler Huys-
mans à l'occupant tandis que la circulaire du ministre ne con-
cerne pas ou peu les localités dans lesquelles résident les fran-
cophones? L'attitude des conseils communaux ne traduit-elle
pas une réaction anti-allemande aveugle et inconsidérée ou une
crainte de se voir affublé du qualificatif «boche» ? Autant de ques-
tions insolubles que Camille Huysmans doit se poser dans son
bureau à Bruxelles.
Le germaniste Alfred Bertrang. défenseur de la langue mater-
nelle. apporte peut-être la réponse lorsqu'il déclare qu'à Arlon la
moitié de la population utilisant l'idiome local. ne veut sincère-
ment pas entendre parler de l'allemand comme langue de base
de l'enseignement.
«Man kann Emp.indung der Einwohner keine Gewalt antun.
Die Gerrnanisierung der Schulen waœ übrigens eher nachteilig
Die Beibehaltung des Franzôsischen ais Leitsprache in den
Arloner Primarschulen lasst sic also nicht mehr zurückdammen.
Es ware überdies verlorene Mühe, eine Anderung vorzuschlagen !
Nichtsdestoweniger ware es angebracht, passende Kurse in der
deutschen Sprache zu veranstalten , um der Jugend die
Môglichkeit zu verschaffen, so lange die Mundart lebt. sie zur
Aneignung einer zweiten Weltsprache zu benutzen. 11 (279l
Il semble bien que le comportement de la plupart des
patoisants des campagnes soit aligné sur celui des citadins. La
douloureuse occupation. déjà responsable de certains change-
ments au lendemain de la guerre. fait toujours sentir son effet en
19 27. Mais l'intérêt de connaître la langue française dans l'Etat
belge et la nécessité de la parler pour pouvoir entamer des étu-
des secondaires. sont sûrement les facteurs décisifs qui pous-
sent les conseils communaux à maintenir le statu quo. Beau-
coup d'entre eux n'ont d'ailleurs pas rejeté totalement l'allemand
mais ont préféré des solutions mixtes et intermédiaires s'adap-
tant à l'évolution. dans l'intérêt de leurs enfants. L'avenir s'an-
nonce favorable aux bilingues mais le français reste la langue
indispensable à ceux qui veulent faire leur chemin.
Camille Huysmans prend conscience de ses erreurs lorsqu'il
décide la seule chose qui peut lui permettre d'éclaircir la situa-
tion : se rendre sur place. Il entreprend un voyage à Arlon et tient
à la Maison du Peuple une conférence en faveur de la langue
allemande.

(279) Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit. p. 146.

225
«Aber da sah er gleich wo der Hase im PEeffer lag Eisige Kalte
berrscbte im Saal: waren seine Zubôrer keine Gesinnungs-
genossen gewesen, so ware ibm ein anderer Empfang zu teil
geworden ! » (zso)
Le socialiste anversois n'insiste pas avec ses projets en faveur
de la langue allemande dans la région d'Arlon. Le 22 novembre
1927. il quitte son poste de ministre des Sciences et des Arts.
Dans le pays d'Arlon. tout le monde est satisfait Les villages res-
tent seuls maîtres de l'enseignement des langues dans leurs éco-
les et l'administration communale d'Arlon est soulagée d'avoir
pu éviter une nouvelle tentative de germanisation de son ensei-
gnement primaire. Le bourgmestre Paul Reuter triomphe mais
son répit sera de courte durée.

tz 3olA1fred BERTRANG. Die Sterbende Mundart, op. dt.. p. 152.


226
Paul REUTER (1865-1949}

Paul Reuter. né à Clausen en 1865, est issu d'une fa-


mille d'hommes politiques arlonais. Son père. Auguste
Reuter (1830-1913). et son grand-père. Paul Reuter (1790-
1853). furent tous deux échevins de la ville d'Arlon.
Après des études en droit à l'université de Gand. Paul
Reuter prête serment d'avocat devant le tribunal d'Arlon
le 19 octobre 1886. Pour son stage, il choisit le bâtonnier
de l'ordre des avocats, Me VictorTedesco. celui-là même
qui, dans sa jeunesse. a fréquenté Karl Marx et a été con-
damné à mort pour avoir participé à l'affaire du Risquons-
Tout Reuter se révèle un excellent avocat dont les dos-
siers sont minutieusement préparés. les plaidoiries clai-
res et convaincantes. En 1895. il est candidat libéral aux
élections communales. Elu. il entre au conseil du chef-
lieu et ne le quitte qu'à sa mort 54 ans plus tard. Sa car-
rière politique est exceptionnelle. En 1900, il fait partie
du collège échevinal dont il devient rapidement l'homme
fort. Tous les dossiers de modernisation, d'agrandisse-
ment et d'embellissement d'Arlon passent entre ses
mains. Pendant un an. il sert le bourgmestre Joseph Netzer
puis, durant vingt ans. Numa Ensch-Tesch à qui il suc-
cède en 1921.
Le parcours de Paul Reuter se confond avec l'histoire
d'Arlon. L'époque est dure et la vie empreinte de souf-
frances. L'homme est de tous les combats. relève tous les
défis. Lors des troubles sociaux de 1902, il est blessé par
un jet de pierres en raisonnant les ouvriers grévistes dont
il partage pourtant les revendications en matière de suf-
frage universel et d'abolition du tirage au sort pour le
service militaire. En 1914, il conduit la délégation arlonaise
qui, munie d'un drapeau blanc. se porte au devant de
l'armée allemande pour éviter la destruction de la ville.
Pendant l'occupation. il mène la résistance aux tentati-
ves de germanisation de l'administration et de l'ensei-
gnement communal arlonais. Les Allemands ne s'y trom-
pent pas. l'arrêtent le 11 décembre 1917 et le déportent à

227
Celle-Schloss. Son retour le 1er décembre 1918 lui vaut un
triomphe de la population arlonaise.
Le domaine social est un autre terrain de prédilection
pour cet infatigable travailleur. Les oeuvres de la Soupe.
du Vêtement. du Trousseau, la Crèche Arlonaise, etc. sont
autant d'associations au sein desquelles il est actif. n ac-
corde une sollicitude constante au Bureau de bienfaisance
et à la Commission d'assistance publique. En 1922. il fonde
la société coopérative d'habitations à bon marché «La
Maison Arlonaise». n assumera aussi la présidence de la
Terrienne arlonaise.
Paul Reuter a bien d'autres centres d'intérêt Membre
passionné du Cercle Horticole d'Arlon, il cultive et entre-
tient lui-même le jardin de sa belle propriété située ave-
nue Tesch. Pour se déplacer, le sportif qu'il est préfère le
vélo à l'automobile. On le voit parfois gagner la Justice de
Paix de Florenville, les dossiers sur le porte-bagages. Avec
son épouse, Cécile Barré, il se passionne pour le folklore,
collectionne les meubles et les faïences luxembourgeoi-
ses. Membre de l'Institut archéologique depuis 1904, il
met à disposition le batiment qui deviendra le Musée
Luxembourgeois, débloque des crédits pour organiser l'ex-
position «La vie populaire luxembourgeoise» (1925} ou
acheverles fouilles au vieux cimetière (1938}. L'Académie
Luxembourgeoise le choisit comme vice-président Pas-
sionné de voyages, il est parmi les premiers membres du
Touring Club.
Patoisant luxembourgeois, il se montre réservé voire
hostile à tous les mouvements pro ou pangermanistes.
Grand amoureux de la culture française. il préside l'Asso-
ciation française d'Arlon. C'est lui qui est à la base des
cérémonies belgo-françaises organisées durant l'entre-
deux-guerres. Chaque année, le 14 juillet. il prononce un
discours devant le mémorial français, le Coq gaulois élevé
par la Jeunesse Arlonaise au cimetière.
En 1940, Paul Reuter a 75 ans. Au lendemain de la dé-
faite. l'occupant a la désagréable surprise de le retrouver
aux commandes de la ville, non plus comme échevin mais
comme bourgmestre. Pour mettre en place une politique

228
de germanisation à Arlon, il
lui faut s'en débarrasser à tout
prix. Le 13 mars 1941, Reuter
est informé qu'il n'est plus
autorisé à poursuivre ses
fonctions en raison de son
grand age. Devant les difficul-
tés à lui trouver un rempla-
çant. les nazis doivent cepen-
dant renoncer à l'écarter im-
médiatement Ce n'est que le
1er novembre 1941 qu'il est
«démissionné» au profit du
collaborateur Lucien
Eichhom. Dans une lettre de
protestation auprès du secré-
taire général du ministère de l'Intérieur, Reuter annonce
qu'il fait réserve expresse de ses droits pour le jour où la
légalité sera rétablie en Belgique. Le 10 septembre 1944,
jour de la libération, Paul Reuter est de retour à l'hôtel
de ville d'Arlon.
Au lendemain de la guerre, Paul Reuter est devenu un
mythe vivant n incarne Arlon plus qu'aucun de ses pré-
décesseurs. Toujours alerte malgré les années, il poursuit
ses activités tant politiques que professionnelles. n in-
carne la quiétude et l'incomparable ressource d'avoir à sa
portée l'homme expérimenté, sage et de bon conseil. Les
11 et 12 septembre 1948, la Ville d'Arlon organise de gran-
des festivités en son honneur. Des fêtes de quartier, un
cortège, une réception à l'hôtel de ville en présence de
ministres belge et luxembourgeois... trouvent leur apo-
théose lorsque Paul Reuter est invité à dévoiler son buste
élevé au pied de la montée de Saint-Donat Un hommage
mérité pour un homme qui n'a jamais accepté d'être ré-
tribué pour les fonctions communales auxquelles il a con-
sacré sa vie entière. Victime d'un malaise au palais de
justice, il s'éteint chez lui le 14 juillet 1949. Derniers ges-
tes post-mortem, il lègue sa maison à !'Assistance publi-
que, sa bibliothèque au Barreau d'Arlon, ses collections
de meubles et de faïences au Musée Luxembourgeois.

229
Le 24 août 1930. ont lieu à Arlon de grandes manifestations franco-belges. En
présence du général Derbeaux. représentant du gouvernement français. Lucien
Hubert. sénateur des Ardennes. remet à la Ville d'Arlon la Médaille de la Recon-
naissance française.

230
VII. LES ANNÉES TRENTE :
LES ANNÉES DIFFICILES

La situation linguistique vers 1930

Au début de la décennie qui voit le Parlement belge voter les


grandes lois linguistiques en matière administrative. scolaire et
judiciaire. il importe de faire le point précis sur l'état des langues
dans les communes de l'arrondissement d'Arlon et dans les com-
munes de Fauvillers et de Tintange appartenant à l'arrondisse-
ment de Bastogne.
Le premier tableau qui suit présente la population totale de
chaque commune lors du recensement de 1930 et le nombre
d'habitants ayant déclaré parler seulement le français. seulement
l'allemand ou ayant déclaré parler les deux langues.
Le second tableau présente pour les mêmes communes. les
habitants ayant déclaré parler le plus fréquemment ou unique-
ment soit le français. soit l'allemand.
Les données sont successivement exposées en chiffres abso-
lus et en pourcentages par rapport à la population totale '281l.
D'après les statistiques. on constate que la situation du patois
est extrêmement précaire à Arlon. En tenant compte des 21 4
personnes ayant déclaré parler les trois langues nationales ou le
flamand et l'allemand, on s'aperçoit qu'il n'y a plus que 34.25 %
de la population qui parle encore l'allemand.
Alfred Bertrang estime que cette statistique doit être considé-
rée comme nulle d'un point de vue scientifique. Pour lui. il ne fait
aucun doute que dans la ville. la moitié de la population au moins

(zs il D'après les données du Recensement Général du 31 décembre 1930. Insti-


tut National de la Statistique. Bruxelles.
231
Recensement de 1930

HABITANTS PARLANT
COMMUNES POPULATION SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LE FRANCAIS L'ALLEMAND ET L'Al.LEMAND

ARLON 11.387 6.831 60 % 320 3% 3.366 30%


ATHUS 5.403 2.933 54 % 211 4% 1.841 34%
ATIERT 961 116 12 % 109 11% 699 73 %
AUBANGE 2.493 1.671 67 % 26 1% 619 25 %

AUTELBAS 1.699 160 9 % 205 12 % 1.259 74%

BONNERT 1.550 156 10 % 331 21 % 962 62 %

FAUVILLERS 980 606 62 % 20 2% 318 32 %

GUIRSCH 305 31 10 % 111 36% 144 47%


HABERGY 599 13 2 % 206 34% 353 59 %
HACHY 1.645 117 7 % 352 21 % 1.096 67 %
HALANZY 2.638 1.687 64 % 109 4% 714 27%

HEINSCH 2.054 298 15 % 107 5% 1.537 75 %

HONDELANGE 576 25 4% 194 34 % 337 59 %

MARTELANGE 1.776 96 5% 934 53 % 691 39%

MEIX-LE-TIGE 471 441 94 % - - 22 5%

MESSANCY 2.385 237 10 % 974 41 % 1.030 43%


NOBRESSART 1.002 33 3% 193 19 % 732 73 %

NOTHOMB 458 2 0.4 % 51 Il % 389 85 %


RACHECOURT 714 679 95 % - - 18 3%

SELANGE 622 24 4% 180 29 % 390 63 %

THIAUMONT 654 24 4% 134 20 % 458 70%

TINTANGE 472 82 17 % 64 14 % 315 67 %

TOERNlCH 785 34 4% 374 48 % 337 43 %

TONTELANGE 523 15 3% 11 0 21 % 36 1 69%

WOLKRANGE 824 44 5% 247 30 % 490 59 %


TOTAL 42.976 16.355 38% 5.562 13 % 18.478 43%

232
Recensement de 1930
HABITANTS PARLANT UNIQUEMENT OU
LE PLUS FREQUEMMENT
COMMUNES POPULATION LE FRANCAIS L'ALLEMAND

ARLON 11.387 9.398 83 % 1.532 13 %

ATHUS 5.403 3.821 71 % 1.245 23 %

ATTERT 96 1 135 14 % 795 83%

AUBANGE 2.493 2.045 82 % 293 12 %

AUTELBAS 1.699 230 14 % 1.411 83 %

BONNERT 1.550 237 15 % 1.240 80 %

FAUVILLERS 980 716 73 % 231 24 %

GUIRSCH 305 38 12 % 251 82 %

HABERGY 599 21 4% 552 92 %

HACHY 1.645 150 9% 1.418 86 %

HALANZY 2.638 1.84 1 70 % 680 26 %

HEINSCH 2.054 1.742 85 % 219 11 %

HONDELANGE 576 28 5 % 529 92 %

MARTELANGE 1.776 178 10 % 1.548 878 %

MEIX-LE-TIGE 471 460 98 % 3 0.6%

MESSANCY 2.385 296 12 % 1.961 82 %

NOBRESSART 1.002 39 4% 924 92 %

NOTHOMB 458 5 1% 429 94 %

RACHECOURT 714 697 98 % - -


SELANGE 622 47 8% 549 88 %

THIAUMONT 654 27 4% 594 91 %

TINTANGE 472 97 21 % 365 77%

TOERNICH 785 65 8% 681 87%

TONTELANGE 523 19 4% 47 0 90%

WOLKRANGE 824 56 7 (% 729 88 %

TOTAL 42.976 22.388 52 % 18.649 43 %

233
parle encore le patois à cette même époque. Le germaniste re-
connaît toutefois que la situation est préoccupante (282l.
Uest effectivement possible qu'une partie non négligeable des
Arlonais préfère cacher sa connaissance du patois. Douze ans
après la guerre. la blessure n'est pas encore cicatrisée? Ne vou-
lant pas être considérés comme des Allemands. des patoisants
ont pu affirmer ne pas parler l'allemand quoique pratiquant le
luxembourgeois. Ce phénomène apparaît davantage lorsque 83 %
des habitants déclarent parler le plus fréquemment le français. Si
un sentiment anti-allemand a réellement existé, il est impossi-
ble de savoir dans quelle mesure il fausse les recensements lin-
guistiques de l'après-guerre.
En tout cas. Arlon apparaît comme très largement francisée. A
Aubange également la romanisation est fortement avancée, si les
chiffres du recensement correspondent plus ou moins à la réalité :
1.671 personnes ne parlent que le français, 625 connaissent encore
l'allemand et 26 ne parlent que l'allemand. De sorte qu'il n'y a plus
qu'un quart de la population qui est encore de langue allemande.
A Athus. sur une population de 5.403 habitants. 2.933 ne parlent
que le français. 1.860 connaissent encore l'allemand et 211 ne parlent
quel' allemand Ce phénomène peut s'expliquer par l'essor économi-
que de la région En 1870. Athus est une toute petite localité. En 1930.
elle est une agglomération relativement considérable, en raison du
développement qu'y a pris l'industrie sidérurgique (283l. Depuis un demi-
siède, on assiste à l'expansion des bassins industriels du Grand-Du-
ché de Luxembourg, de Longwy et d'Athus. ce qui a eu pour effet
d'attirer dans le sud de la province une population ouvrière très dense
qui est d'expression française. Beaucoup de domestiques de fermes
ardennais, attirés par de meilleurs salaires. sont descendus vers le
sud C'est ainsi qu'Athus et Aubange. d'expression allemande à l'ori-
gine. se sont francisés et sont devenus les deux localités les plus
peuplées du Luxembourg germanophone autour d'Arlon Heinsch et
Halanzy sont aussi fortement touchées par la romanisation. Quant à
Rachecourt et Meix-le-Tige. elles ne sont plus considérées comme
appartenant à la région germanophone.

(282 l Alfred Bertrang. Die Sterbende Mundart. op. cit. pp. 140-141.
283
( l En 1865. avec la découverte de la minette. la sidérurgie prend une allure
résolument moderne dans la région. En 1871. les barons d'Huart fondent la
Société Anonyme des Hauts Fourneaux d'Athus. La population s'accroît con-
sidérablement et. en 1878. Athus. qui était jusqu'alors une section d'Aubange.
est érigée en commune.
234
Par contre, dans les autres villages. le luxembourgeois demeure
la langue parlée le plus fréquemment par la grande majorité de
la population. La survie du dialecte apparaît liée à l'évolution des
campagnes.

Dans l'enseignement. les langues véhiculaires utilisées dans


les écoles primaires sont connues grace à une enquête de
l'administration communale d'Arlon.
COMMUNES ECOLES COMMUNALES ECOLES ADOl'I'EES ECOLES ADOPTABLES
OU SECTIONS Classes de régime Classes de régime Classes de régime
DE COMMUNES
franc. allem. biling. franc. allem. biling. franc. allem. biling.
CANTON D'ARLON
ARLON 24 17
ATIERT 4 1
AlffELBAS 7
BONNERT 4
GUIRSCH 1
HEINSCH 4 1
NOBRESSART 4
THIAUMONT 3
TOERNICH 3
TONTELANGE 2
NOTHOMB 2

CANTON DE MESSANCY
ATHUS 16
AUBANGE 9
HABERGY 3
HALANZY
Aix-si cloie
Battincourt 4
HONDELANGE 2
MESSANCY 1 1 1 3 1
SELANGE 2
WOLKRANGE 1 2

CANTON DE MARTELANGE
FAUVILLERS
Wisembach 1
MARTELANGE 2 3 1 2
TINTANGE 1 2

CANTON D'ETALLE
HACHY 1 4

TOTAUX 52 4 57 1 4 3 17 2

235
Remarquons qu'officiellement l'allemand est enseigné dans
toutes les classes, à titre de seconde langue. Dans les communes
rurales, le régime bilingue est très largement développé. Le jour-
naliste Camille Decker, qui connut ce système, raconte son fonc-
tionnement :
«Les toutes premières leçons nous furent données en patois.
Au bout d'une semaine environ. sans difB.culté, le patois avait
cédé la place à l'allemand. Dès la deuxième année scolaire, on
nous faisait faire la connaissance du français, par le moyen de
petites causeries et du livre de lecture. Au degré moyen, le fran-
çais occupait déjà une place importante. Enfin, au degré supé-
rieur. il dominait tout à fait Résultat: ceux qui n'étaient pas des
cancres possédaient en sortant de l'école primaire de solides
notions de grammaire française et un vocabulaire suffisant. Si
bien que beaucoup d'entre eux briguaient les premières places à
]'Athénée et au Collège où la langue véhiculaire était le français
et se permettaient même d'enlever le prix du français.» (284l
En résumé, sur 140 classes primaires, le français constitue la
langue véhiculaire dans 70 classes et l'allemand dans 10 classes.
Dans 62 classes. l'allemand est la langue véhiculaire au degré
inférieur mais il cède le pas au français aux degrés moyen et
supérieur.
Dans l'administration, on n'utilise plus que le français. A l'église.
les prêches dans la langue de Voltaire se font de plus en plus
nombreux. Les curés, les magistrats. les employés communaux.
les gendarmes ... parlant le patois avec leurs fidèles ou leurs ad-
ministrés ne sont cependant pas rares. Mais le français reste la
langue officielle automatiquement et tout naturellement utilisée.
Ce qui n'empêche pas deux patoisants se rencontrant d'employer
leur langue maternelle. C'est encore le cas aujourd'hui.
Le seul défenseur du patois. dans la mesure où il continue à le
parler. c'est le paysan.. Bertrang fait cependant remarquer que l'in-
cursion d'expressions ou de mots français devient très forte. Le
dialecte ne se maintient dans sa forme la plus pure que chez les
personnes âgées. Par contre. chez les jeunes. il apparaît considéra-
blement appauvri et ne cesse de régresser devant le français.
Ce phénomène s'explique par l'élargissement des relations
entre les différentes communautés. Les mariages entre Wallons

(
284
l Camille DECKER. Tribune IJbre, in L'Avenir du Luxembourg. 12 novembre
1931. p . 1.
236
CARTE LINGUISTIQUE DE L'ARRONDISSEMENT D'ARLON
d'après J.M.
REMOUCHAMPS

La francisation des
arrondissements de
Bruxelles, Arlon et
Verviers , au cours d'un
demi-siècle , 1880-1930,
Bruxelles-Liège, 1936.
.
1.__. .. , .•
Nothomb\•
. ·,

-
Frontière linguistique

C=:J
Communes où la
majorité des habitants
parlent le plus
fréquemment un
dialecte bas-allemand

C=:J
Communes où la majorité
des habitants parlent le
plus fréquemment le
français ou le wallon :
a) depuis au moins 1910 :
Meix-le-Tige
Rachecourt
Halanzy
Au bange
Athus
b) depuis 1920 : Arlon
c) depuis 1930 : Heinsch
237
et Arlonaises. ou l'inverse. se multiplient Les enfants choisissent
la meilleure langue, c'est-à-dire le français. Quant aux fils des
paysans, ils subissent de plus en plus l'influence française. Leur
séjour forcé à la caserne d'une grande ville. le fait de «monten> à
la ville ou d'aller à l'usine pour avoir un métier s'ils veulent se
livrer à des activités autres que le travail de la terre familiale,
l'obligation de poursuivre leurs études à }'Athénée s'ils veulent
une éducation plus approfondie, sont autant d'éléments justi-
fiant l'évolution.
En 19 30, le patois est malade. L'établissement incessant de
francophones dans les communes et la nécessité de connaître le
français pour vivre. provoquent un changement définitif dans le
rapport des langues du pays d'Arlon. S'il reste une majorité de 90
% de gens pratiquant habituellement le luxembourgeois dans
les villages. le nombre de ceux comprenant. parlant et écrivant le
français est en augmentation constante.
En résumé. on peut dire que le patois demeure la langue uti-
lisée dans la vie courante par beaucoup. Mais les habitants par-
lant uniquement le luxembourgeois sont condamnés à disparaî-
tre à court terme et le dialecte apparaît lui-même menacé à plus
longue échéance. Bertrang estime toutefois que l'on n 'est pas
autorisé à déclarer que la francisation atteint la majorité de la
population :
«Das wird zwar einst geschehen. Man warte jedoch das
Resultat ab, ehe man den Sieg des Romanischen triumphierend
in alle Welt hinausposaunt f » (zs5)
La francisation totale n'est sans doute pas pour demain mais
elle poursuit son avancée inexorable.
Au sein de la population. il n'existe pas de sentiment d'op-
pression linguistique et on ne trouve pas de trace de nationa-
lisme linguistique. De même la population n'a aucune sympa-
thie pour la culture ou la langue allemande. Elle est simplement
consciente qu'il est utile de maintenir dans les écoles des villa-
ges un régime basé sur l'allemand. au moins durant les premiè-
res années d'études.
Les accommodements afin de satisfaire les besoins des ger-
manophones comme ceux des francophones sont décidés au
niveau local. par les conseils communatDc Même si le français

(zs 5l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. cit. p. 141.


238
tranche à Arlon par rapport au patois dans les villages. et si l'on
continue à distinguer les Wallons des Arlonais, les populations
s'adaptent à cette situation linguistique particulière et prennent
elles-mêmes les décisions qui s'imposent Toute ingérence de
l'extérieur dans leurs affaires sera mal perçue.

Le réveil de Bischoff
Dès avant la création d'une section de philologie germanique
à l'Université de Liège en 1889-1890. on avait institué à la Faculté
de philosophie et lettres. des cours se rapportant à cette disci-
pline. C'est ainsi qu'en 1884, on confia l'enseignement de la lan-
gue et de la littérature allemandes au Grand-Ducal Jean Wagner
qui mourut prématurément en 1895. Son successeur fut un de
ses anciens élèves, le Belge de langue allemande Henri Bischoff,
né à Montzen en 1867 (286l.
Durant toute son existence, Bischoff porta un intérêt considé-
rable à la langue allemande en Belgique. En 1896. il est aux côtés
de Godefroid Kurth à Arlon lors de la première manifestation de
prestige du Deutscher Verein et y donne une brillante confé-
rence. En 1906, il fonde le Lütticher Verein dont Kurth et le bourg-
mestre de Liège. G. Kleyer, acceptent la présidence d'honneur.
Ses importantes publications connaissent autant de succès dans
les milieux littéraires belges qu'allemands. il consacre sa vie en-
tière à la langue allemande et ne ménage aucun effort pour aug-
menter et renforcer la culture allemande en Belgique.
«Bischoff était pleinement conscient du rôle que lui. Belge de
langue allemande et professeur de littérature allemande, avait à
jouer: être le truchement entre la Belgique et l'Allemagne.» (287l
il semble cependant que son attitude et ses activités littérai-
res durant l'occupation allemande de 1914-1918 aient été jugées
incompatibles avec la fonction qu'il occupait car il est admis à
l'éméritat le 15 mars 1920, à l'âge de 52 ans. Le Liber Memorialis
de l'Université de Liège se contente de mentionner
laconiquement :

(286l Liber Memorialis, l'Université de Liège de 1867 à 1935. tome I. 193 6. pp. 476-
479.
(zs 7l A.L. CORIN, Henri Bischoff. 1867- 1940, in Liber Memorialis, 1936-1966.
Université de Liège. tome II, 1967. p. 27.
239
«La Grande Guerre anéantit les efforts de Bischoff et mit fin à
sa carrière professorale.>> (288l
Henri Bischoff cesse pratiquement toute activité, ne publiant
que quelques articles littéraires dans les années vingt Mais en
juillet 19 30. profitant du centenaire de l'indépendance et de l'ap-
proche du vote par le Parlement belge des grandes lois linguisti-
ques. il rompt brusquement son silence et entame une vaste of-
fensive en faveur de la «troisième langue nationale».
Cette seconde jeunesse le conduit d'abord à la publication de
livres. constituant la première phase de son action. En 1930. pa-
raît sous sa signature à Bruxelles : «Notre Troisième Langue Na-
tionale» (289l. L'année suivante, il sort : «Die deutsche Sprache in
Belgien. Ihre Geschichte und ihre Rechte» (290l, publié dans les
cantons de l'Est à Eupen.
Bischoff reprend les revendications du Deutscher Verein qu'il
a jadis animé et dénonce les conditions de vie imposées aux
Allemands de Belgique :
«Comment expliquer. .. que les 10.000 Wallons de Malmédy
ont obtenu. dès le début. un athénée français, tandis que les
60.000 Allemands des deux cercles et du territoire neutre de
Moresnet n'ont pas d'athénée aflemand ?» (29 1l
Mais il regrette surtout que les quelques mesures prises en
faveur de la langue maternelle des nouveaux Belges n'aient pas
été étendues aux Allemands de l'ancienne Belgique. Bischoff exige
le même traitement pour le territoire neutre de Moresnet les
cantons d'Aubel et de Limbourg. dans la province de Liège. ceux
d'Arlon, Fauvillers. Messancy et Vielsalm dans la province de
Luxembourg. que celui qui est en vigueur dans les cantons
d'Eupen et de Saint-Vith. Ces régions comptent une population
compacte d'Allemands. placée dans une situation plus difficile
encore que celle de la nouvelle Belgique. Il déplore que le canton
de Malmédy. comprenant 40 % d'Allemands. soit considéré
comme français. l'allemand n'y étant admis judiciairement que
sur demande.

1288l AL. CORIN. op. cit p. 30.


289
i l Henri BISCHOFF. Notre Troisième Langue Nationale. Bruxelles. 1930.
1290l Henri BISCHOFF. Die Deutsche Sprache in Belgien. llrre Geschichte und ihre
Rechte. Eupen. 1931.
129 1i Henri BISCHOFF. Notre Troisième Langue Nationale. op. cit. p. 21.

240
«Il est si peu français, que 90 % des habitants comprennent
l'allemand et s'en servent comme seconde langue et que 10 %
seulement ont une connaissance plus ou moins approfondie de
la langue française. Il comprend, du reste, quatre communes sur
dix entièrement allemandes et une minorité allemande de près
de 2.000 dans la partie wallonne.» (292l
Le premier objectif de Bischoff est d'obtenir que les neuf can-
tons ayant une majorité ou une minorité allemande. soient re-
connus comme allemands et que les ge1manophones de l'an-
cienne Belgique soient placés sur pied d'égalité avec ceux de la
nouvelle Belgique.
Ensuite, il demande aux politiciens d'élever l'allemand au rang
de langue nationale au même titre que le français et le flamand,
ce qui suppose la fin de «la politique d 'autruche vis-à-vis de l'al-
lemand» (293 l, Sur ce point il rend hommage à Léon Troclet pour
avoir osé affirmer dans une interview que la seule minorité lin-
guistique réelle existant en Belgique est celle des Belges de lan-
gue allemande.
L'exemple de la Suisse inspire profondément l'ancien profes-
seur. ll admire le patriotisme exemplaire de ce pays et l'explique
par son respect des langues, des droits et des caractères particu-
liers de ses populations. Bref. tout ce qui manque en Belgique. A
ses yeux. tenter d'uniformiser et d'assimiler ne peut aboutir qu'à
la rupture et à une résistance locale. Et c'est plein d'incertitude
qu'il se lance à nouveau. corps et âme. dans ce combat en faveur
de la troisième langue nationale.
«Réussirai-je à attirer une petite partie de l'attention et de la
sympathie des Chambres et de l'opinion publique sur cette cause,
au moment où la Belgique s'apprête à donner une solution défi-
nitive à la question des langues ?Je ne le sais.» (294l

t292i Henri BISCHOFF. Notre Troisième Langue Nationale. op. cit, p . 24.
t29 iiIdem. p. 25.
t294l Idem. pp. 27-28.

241
La résistance du Luxembourg allemand au
projet de loi linguistique en matière
d'enseignement
Lors de sa séance du 8 juillet 1931. le Sénat discute le texte
d'un amendement. présenté sous l'impulsion de parlementaires
flamands. et portant modification de l'article 20 de la loi organi-
que sur l'enseignement primaire. Passé inaperçu à Arlon. ce texte
est voté le 14 du même mois. par 108 voix contre 11 et 8 absten-
tions.
L'article 20 modifié stipule le plus innocemment du monde
que:
«La langue véhiculaire de l'enseignement dans les écoles pri-
maires communales, adoptées ou adoptables. est le flamand dans
la région flamande du pays. le français dans la région wallonne et
l'allemand dans les communes d'expression allemande.» '295l

Le principe de cet article est tout à fait légitime. ndonne satis-


faction aux Flamands. et une bonne majorité de sénateurs. «sou-
cieux de faire disparaître de notre horizon social et politique l'un
des aspects les plus émouvants de la question linguistique qui
ronge le meilleur de nos énergies depuis l'armistice» '296l, s'y est
ralliée sans grande hésitation. Leur but n'est certainement pas
d'imposer la langue allemande à Arlon et dans sa région. Le nom
d'Arlon ne vient probablement même pas à l'esprit de la plupart
d'entre eux. «Communes d'expression allemande» désigne avant
tout la nouvelle Belgique. c'est-à-dire les cantons de l'Est dits
«rédimés». Cependant un problème non négligeable se pose :
traditionnellement la région d'Arlon ne fait pas partie de la Wal-
lonie mais est dénommée d'expression allemande. Et ce projet
que le Sénat vient de voter stipule clairement que l'allemand
doit être la langue véhiculaire et principale dans l'enseignement
primaire de la zone allemande. Arlon tombe logiquement et fa-
talement sous le coup de l'amendement.

' 295 l Jean GYSELINX. L'allemand va+il devenir langue véhiculaire et prindpale
dans la région arlonaise ?, in L'Avenir du Luxembourg. m ardi 21 et m ercredi
22 juillet 19 31. n ° 172. p. 1.
' 296l Idem.

242
Paul Reuter est horrifié lorsqu'il se rend compte de ce que le
Sénat a réellement voté dans l'indifférence générale. il faut quel-
ques jours pour réaliser à Arlon ce qui a été fait à Bruxelles. Le
bourgmestre mobilise aussitôt. Les groupes politiques arlonais -
libéraux, socialistes et catholiques - se réunissent d'urgence et
s'engagent à soutenir une action commune contre ce qui risque
de devenir une résurgence du «régime exécré de Von Standt» (297l.
L'Association commerciale et industrielle d'Arlon (ACIA) se réu-
nit en assemblée générale extraordinaire et dénonce «le côté
odieux et ridicule de la nouvelle loi» (298l. Son bureau est chargé
de rédiger une énergique protestation. Au nom de ses adminis-
trés, le bourgmestre Reuter exprime publiquement sa désappro-
bation et est «longuement applaudi par la foule qui l'écoute» (299l.
Le 20 juillet il s'adresse officiellement au ministre des Scien-
ces et des Arts, le libéral Petitjean. Comme Arlon n'a pas été visé
directement par l'amendement et qu'après tout il n'est pas im-
possible que le ministère modifie de son propre chefla délimita-
tion de la zone dite d'expression allemande. la protestation de
Reuter s'avère finalement prudente et surtout préventive :
«ll nous revient qu'un amendement déposé par le Gouverne-
ment au cours de la discussion au Sénat, du projet linguistique
en mati.ère d'enseignement primaire, tendrait à considérer comme
étant «d'expression allemande», la ville d'Arlon et les communes
des alentours, et leur imposer dès lors, ]'allemand comme lan-
gue véhiculaire dans leurs écoles.
«S'il en était ainsi, nous serions au regret de devoir consta ter
que la religion du Gouvernement a été surprise par des rensei-
gnements erronés et tendancieux...» (3ooJ
Le président du conseil communal d'Arlon extrapole et pré-
voit des problèmes qui ne se concrétiseront peut-être jamais mais
«l'expérience Camille Huysmans» lui a fait comprendre qu'Arlon
a tout à redouter del' évolution législative en faveur des Flamands.

1297 1 Jean GYSELlNX. L'allemand va-t-il devenir langue véhiculaire et principale


dans la région arlonaise ?. op.cit.
(298 1 Jean GYSELlNX. L'assemblée générale de l'AC.IA. in L'A venir du Luxem-
bourg. lundi 20 juillet 1931. n° 171. p. 1.
129 91 Jean GYSELlNX. L'allemand va-t-il devenir langue véhiculaire et principale
dan s la région arlonaise ?. op. cit.
13oo1 Lettre du bourgmestre Paul Reuter au ministre des Sciences et des Arts à
Bruxelles. Arlon. le 20 juillet 1931. Archives de l'Administration communale
d'Arlon.
243
Mieux vaut prévenir et engager la lutte immédiatement plutôt
que d'attendre et voir...
Reuter s'emploie donc une nouvelle fois à détailler la situa-
tion linguistique de la région au nouveau ministre des Sciences
et des Arts. nlui explique dans sa lettre que le vœu unanime des
Arlonais est d'apprendre et de parler le français. que le «patois
bas-allemand» n'a que de «très vagues af.inités» avec la langue
de Goethe, que, pendant l'occupation, l'envahisseur s'est vaine-
ment efforcé de germaniser l'enseignement primaire mais qu'il
s'est heurté à l'opposition unanime. irréductible et intransigeante
de la population refusant promesses et menaces, etc.
Mais Paul Reuter, avocat de profession. ne s'en tient pas seu-
lement à l'information. n avertit habilement le ministre des pro-
blèmes auxquels seront confrontés l'Etat belge et le Gouverne-
ment si ceux-ci créent une question linguistique de plus, là où il
n'y en a pas.
«On peut afB.rmer que dans un avenir assez peu éloigné. le
dialecte luxembourgeois ne constituera plus chez nous. qu'un
élément de folklore régional. sans utilité pratique réelle, parce
que la connaissance du français se sera imposée partout. par sa
seule force d'expansion. et par l'afB.ux incessant de populations
d 'origines wallonnes...
«Si le régime linguistique en préparation devait reprendre en
sous-main ]'œuvre néfaste de l'occupant. il n'est pas douteux
que la même unanimité se retrouverait. sans distinction d 'opi-
nions ou de classes sociales, pour réclamer le respect de la vo-
lonté des pères de famille.» (301l
Dès le lendemain, Jean Gyselinx, rédacteur en chef de !'Ave-
nir du Luxembourg. entame une campagne de presse afin de
soutenir les démarches du bourgmestre libéral.
«La manœuvre de l'occupant échoua piteusement et. à leur
espoir naïf de voir nos populations dialectales flattées du soin
qu'on prenait de leur formation culturelle. il leur fu.t répondu avec
le mot de Cambronne et en un français qui valait bien le langage
allemand: «Nous ne sommes pas des Boches !»
«Si le Gouvemement. poussé par cette mystique linguistique
qui nous a joué tant de mauvais tours depuis l'armistice, a donc
nourri l'intention d'introduire dans nos régions dites d'expres-
sion allemande. l'allemand comme langue principale. qu'il se hâte

uoii Lettre du bourgmestre Paul Reuter. le 20 juillet 1931. op. cit


244
de changer d'idée et de considérer que les seules régions sus-
ceptibles d'être considérées comme zone linguistique allemande
sont celles d'Eupen, Malmédy et Saint-Vith ...
«Quant à nous, nous n'en voulons pas!» (3ozi
L'émoi est grand dans les milieux arlonais et la réaction a
pour objectif de briser le manque d'élasticité et le caractère ab-
solu de l'amendement. On considère rationnel et judicieux de
prévoir un régime spécial pour les communes de la région
d'Eupen et de Saint-Vith mais soumettre à ce régime les poptÙa-
tions luxembourgeoises de la région d'Arlon. dont la situation
linguistique est totalement différente. constitue une grave erreur
et une injustice de la part des dirigeants belges. D'une manière
générale. toute forme d'assimilation ou de rapprochement des
cantons rédimés et du Luxembourg allemand est très mal res-
sentie par la popttlation patoisante elle-même. qui estime ne
rien avoir de commun avec ces nouveaux Belges. Il faut mainte-
nant obtenir de la Chambre, devant laquelle le projet de loi
amendé doit passer. qu'elle adapte cette article 20 ou que tous
ses membres précisent bien qu'Arlon et ses villages ne sont pas
concernés par l'application du texte.
Dès le début de l'affaire. Reuter prend soin d'écrire à son ami
Joseph-Maurice Remouchamps au Bureau permanent de l'As-
semblée Wallonne. De retour de vacances. ce dernier lui répond
et conseille le bourgmestre d'Arlon sur la stratégie à adopter :
«A mon avis la meilleure politique consisterait pour les com-
munes dites d'expression allemande d'ancienne Belgique, de de-
mander que la loi ne leur soit pas appliquée, la question linguis-
tique n'existant pas dans cette région et l'emploi des langues n y
soulevant aucune espèce de difficulté. Comme c'est la même carte
que les Wallons vont jouer pour échapper aux mesures de con-
trainte dont on les menace, l'argument serait particulièrement
fort s'il était défendu à la fois par les Wallons et les Luxembour-
geois dits d'expression allemande. Nous nous renforcerions mu-
tuellement.» ,3o3i
Il faut savoir que la Chambre devait également aborder la dis-
cussion relative au projet de loi sur l'emploi des langues en ma-
tière administrative. L'Assemblée Wallonne et l'Union Nationale

(3oz) Jean GYSELINX, L'allemand va-t-il devenir. .. , op. cit.


(3o3l Lettre de Joseph-Maurice Remoucharnps au bourgmestre Paul Reuter à Ar-
lon. Liège, bureau permanent de l'Assemblée Wallonne et de l'Union Natio-
nale Wallonne, le 11 août 1931. Papiers Paul Reuter (AE.A.).
245
Wallonne se préparaient donc à livrer une dure bataille contre
les Flamands. Pour Remouchamps, il ne faut pas exclure que «l'im-
périalisme germanophile qui inspire les chefs flamingants, maî-
tres du Gouvemement» (3o4) tente à cette occasion d'imposer l'al-
lemand comme langue administrative dans l'arrondissement
d'Arlon, afin d'affaiblir la position de la langue française dans le
sud du pays et de créer des problèmes en Wallonie même.
La réponse du ministre Petitjean à la lettre du bourgmestre
Reuter parvient à Arlon vers le 12 août. Le chef de cabinet qui la
signe. est vague dans ses considérations et semble plutôt éluder
le problème.
«Les enfants dont la langue matemelle ou usuelle n'est pas la
langue régionale pourront recevoir l'enseignement dans leur lan-
gue matemelle si les autorités scolaires jugent opportun de leur
donner satisfaction: mais dans ce cas, ils seront tenus d'appren-
dre la langue de la région à partir du deuxième degré de façon à
pouvoir suivre après le quatrième degré les cours de l'enseigne-
ment professionnel ou de l'enseignement moyen.
«Des tempéraments à la règle sont prévus notamment pour les
communes de la frontière linguistique: ils peuvent être autorisés par
décision ministérielle selon les besoins pédagogiques des élèves et
les contingences locales, mais, bien entendu, ils ne sauraient avoir
pour effet de nuire à l'étude approfondie de la langue matemelle.11 (305 l
Le ministre des Sciences et des Arts semble ignorer que l'en-
seignement moyen dispensé à !'Athénée royal d'Arlon. à l'Ecole
moyenne des filles ... de même que l'enseignement technique et
professionnel. tant dans le réseau libre que dans le réseau offi-
ciel. se donnent en français et non en allemand. Dans de telles
conditions, la réponse du ministre implique l'obligation de don-
ner l'enseignement professionnel ou moyen en allemand uni-
quement parce que cette langue est considérée à Bruxelles comme
étant la «langue régionale».
A Arlon, tout le monde s'énerve devant cette réponse visible-
ment rédigée par quelqu'un qui n'y connaît rien. L'assimilation
d'Arlon aux cantons rédimés persiste. Or, elle repose sur une
double confusion :

(304 l Lettre de J.-M. Remouchamps ... le 11 août 1931. op. cit


(3o5l Lettre du chef de cabinet (signature illisible) du ministre des Sciences et des
Arts aux bourgmestre et échevins de la Ville d'Arlon. Bruxelles. le 11 août
1931. Archives de l'Administration communale d'Arlon.
246
- l'allemand n'est pas la langue maternelle des enfants d'Arlon
et des communes voisines;
- la région d'Arlon ne peut pas et ne veut pas être considérée
comme étant d'expression allemande.
Face aux ignorances ou à la mauvaise foi du ministre, une
réponse musclée de Reuter ne tarde pas l306). il y précise une fois
de plus la situation et l'unanimité régnant à Arlon, et se demande
s'il s'agit d'une «tentative de désintégration de la région». Le pro-
jet ne peut en aucune manière s'appliquer à Arlon.
Dans les bureaux des quotidiens locaux, on n'apprécie pas
particulièrement l'attitude du ministre. Jean Gyselinx écrit dans
l'Avenir :
«M Petitjean a l'air d'en prendre trop à son aise et de nous
traiter par-dessus la jambe.» (3o7)
Le rédacteur en chef affiche l'intention de ne pas cesser sa
campagne tant que la certitude de la non-application de l'amen-
dement pour la région d'Arlon, ne sera pas définitivement ac-
quise.
Si la réponse du ministre à l'Administration communale s'était
fait attendre plus de vingt jours, la seconde ne vint jamais.
Alors que tous les esprits arlonais, patoisants ou wallons. ca-
tholiques ou libéraux, redoutent une nouvelle tentative de
germanisation de leur enseignement primaire due à l'ignorance
du pouvoir central, dans la cure du village de Tintange, un an-
cien professeur d'allemand et le vicaire de l'endroit mettent au
point un plan d'action destiné à faire de l'allemand la troisième
langue nationale belge.
Henri Bischoff et l'abbé Frédéric Schaul. originaire de
Martelange. sont convaincus que l'heure d'agir a sonné. Lors d'une
soirée de septembre 1931. les deux hommes et probablement
quelques-uns de leurs disciples dont les noms ne sont pas con-
nus, donnent naissance au Bund der Deutsch-Belgier. c'est-à-dire
la Ligue des Belges de Langue Allemande. Cette création se fait
dans le plus grand secret (3os).

' 3061 Lettre du bourgmestre Paul Reuter au ministre des Sciences et des Arts à
Bruxelles. Arlon, le 13 août 1931. Archives de l'Administration communale
d'Arlon.
' 3071 Jean GYSELlNX. La langue allemande dans la région arlonaise. in L '.A venir du
Luxembourg, vendredi 21 août 1931. n° 197, p. 1.
0081 De Bund der Deutsch-Belgier. Abteilung Provinz Luxemburg. in Fliegende
Taube, samedi 4 août 1934. n° 62, p. 1.
247
Pendant ce temps. la campagne contre l'allemand bat son
plein. L'hebdomadaire publicitaire Les Annonces du Luxembourg
titre «Les Arlonais ne sont pas des Boches» 009l, «Arlon n 'est pas
allemand» '310l, etc. Le journaliste Omer Habaru envisage la grève
générale scolaire et cite un extrait du nouveau livre «Une Femme
s'en alla ... ». publié par le Liégeois Justin Sauvenier :
«Le patriotisme se manifeste partout par des plaques com-
mémoratives aux inscriptions cinglantes et brutales.... On décou-
vre les racines profondes du loyalisme et de la francophilie des
Arlonais.» '311 )
Omer Habaru s'en prend particulièrement à Bischoff dont il rap-
pelle les récentes publications. Pressentant le danger, il dit encore :
«Les fronti.stes vont sans doute s'attacher à démontrer qu'Ar-
lon se rattache à la zone allemande... Mais ils auront tous beau
faire: on ne voudra jamais la langue allemande obligatoire. L'al-
lemand. .. on sort d 'en prendre... !» (312)
Le Journal du Luxembourg. organe de la démocratie libérale
d'Arlon et de la province. soutient pleinement Paul Reuter et
scande: «Arlon ne veut pas être germanisé.» ,3, 3l
De son côté le bourgmestre Reuter accorde des interviews à la
presse nationale. Par exemple, la Dernière Heure écrit : «La
Germanisation du Luxembourg - L'œuvre de l'occupant reprise par
des Belges. Nous ne tolérerons pas cela, nous dit M Reuter. » '314l
Le bulletin des annales mensuelles des «Amitiés françaises»
et de la «Ligue nad.anale pour la Défense de la Langue française»
s'interroge : «Arlon, ville d'expression allemande ?». Aucune am-
biguïté dans la réponse :
«Le bourgmestre d'Arlon a mille fois raison de protester con-
tre le régime de séparatisme... et d'émiettement que l'on est en

' 3091 Les Annonces du Luxembourg. dimanche 26 juillet 1931. n° 30. p. 3.


Cet hebdomadaire officiel de la publicité notariale de la province de Luxem-
bourg paraît de 1927 à 1940. Omer Habaru est responsable de sa partie ré-
dactionnelle.
(3 JOI Les Annonces du Luxembourg. dimanche 2 août 1931. n° 31. p. 4.

' 3111 Omer HABARU. Les Arlonais ne sont pas des Boches. in Les Annonces du
Luxembourg. dimanche 26 juillet 1931. n° 30. p. 3.
' 3121 Omer HABARU. La guerre des langues. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 9 août 1931. n° 32. p. 4.
' 3131 Jaumal du Luxembourg. dimanche l " novembre 1931. n° 44. p. 1.

' 3141 La Dernière Heure. mardi 13 octobre 1931. p. 1.

248
train d'établir en Belgique, sous prétexte de mettre fin aux hurle-
ments frontistes.
«Tous les Flamands et les Wallons qui voient un peu plus
haut que la pointe de leur clocher le comprennent aisément
Mais s'ils s'avisent de le dire. on les traite de ... Bruxellois, ce qui
est devenu lïnjure suprême.» (315l
Remouchamps n'hésite pas non plus dans la Défense Wal-
lonne : «La ville d'Arlon résiste à la politique de gennanisation
du Gouvernement et du Parlement belges». Pour lui. les flamin-
gants cherchent à réduire par tous les moyens l'usage du fran-
çais en Flandre et ailleurs si possible. L'ancien sénateur liégeois
imagine le dénouement le plus extrême :
«Cette œuvre de défrancisation. limitée jusqu'ici à la Flandre.
a déjà provoqué un mécontentement qui ne contribue guère à la
consolidation de l'unité nationale belge. En essayant d'imposer
ces mesures de défrancisation dans les provinces du sud. le Par-
lement et le Gouvernement belges exciteront des ressentiments
qui. comme un ancien ministre, M le vicomte Berryer, le prédi-
sait il y a quelques années déjà. pousseront les populations à
demander la liberté à la France.» (316l
L'Avenir du Luxembourg attaque au passage Bischoff. «ger-
manophile bien connu». dont un récent ouvrage «cachant très
mal une sympathie plutôt équivoque pour la Kultun1 (3i 7J, a dû
influencer des sénateurs mal informés. Mais le quotidien catho-
lique ne s'en tient pas à la polémique classique sur l'amende-
ment. il ouvre ses colonnes au débat.
Pour Jean Gyselinx. le meilleur système est l'enseignement
mixte là où le patois germanique est encore la langue usuelle.
Les conseils communaux des villages concernés s'y sont ralliés
ou ont adopté des méthodes s'en rapprochant. Le journaliste
justifie et défend ce choix (318l.
Un tel enseignement s'inspire uniquement de l'intérêt de l'en-
fant. Son but est de voir celui-ci. à la fin de ses études primaires,

13 151Annales mensuelles des Amitiés Françaises et de la Ligue Nationale Fran -


çaise. septembre 1931. n° 37. pp. 583-584.
13161 La Défen se Wallonn e. dimanche 20 septembre 1931. n° 10. p. 1.

13171 Jean GYSELINX. L'allemand va-t-il devenir. ... op. cit

13181 Jean GYSELINX. La langue allemande dans la région arlonaise. in LA venir du


Luxem bourg: dimanche 26 et lundi 27 juillet 1931. n° 176. p. 1 ; samedi 1er
août 1931. n° 181. p. 1 ; vendredi 21 août 1931. n° 197. p. 1; mardi 29 septem-
bre 1931. n° 230. p. 1.
249
s'exprimer le plus correctement possible tant en allemand qu'en
français. A une époque où la connaissance des langues s'avère
tellement importante. il serait maladroit de ne pas tenir compte
de la facilité avec laquelle. grâce au dialecte, l'enfant peut assimi-
ler l'allemand et. par le canal de celui-ci, toutes les langues ger-
maniques. De tous les Belges, c'est parmi les habitants des ré-
gions dites allemandes que l'on recrute les meilleurs polyglottes
et les services qu'ils ont rendus à la cause de l'espionnage inte-
rallié durant la guerre ou qu'ils rendent encore dans l'enseigne-
ment moyen. sont inappréciables.
Certes. le dialecte en usage chez les campagnards de
Tontelange. de Battincourt ou d'Attert, est aussi éloigné du bon
allemand, que ne peut l'être un dialecte wallon du français. Mais
les racines communes. la construction de la phrase rendent sa
connaissance plus aisée qu'une langue de génie toute différente.
Cela explique la grande facilité pour les Wallons d'assimiler le
français qui n'est pas leur langue maternelle mais une langue
adoptée, au même titre que l'allemand pour les patoisants
d'Arlon.
Par cette démonstration. Gyselinx montre clairement qu'il n'ac-
cepte pas l'attitude extrême de Reuter tendant à dissocier le plus
possible le dialecte luxembourgeois de la langue allemande comme
s'ils n'avaient pratiquement rien de commun.
Poursuivant. le rédacteur en chef insiste sur le préjudice grave
qui serait causé à l'enfant si. de but en blanc, dès son entrée à
l'école. on le forçait à abandonner son patois et à suivre des cours
exclusivement en français. Commencer l'instruction primaire
d'une façon aussi anti-pédagogique mettrait les enfants dans la
même situation que celle où se trouveraient des petits Wallons
que l'on obligerait à lire, écrire et calculer en flamand. D'où la
nécessité d'inculquer les rudiments de la langue allemande aux
enfants des villages utilisant le patois. Toutefois, ces enfants de-
venus des hommes. sont en contact intime avec des popula-
tions de langue française. Celle-ci est absolument nécessaire pour
réussir la carrière qu'ils embrassent. il faut donc la leur enseigner
le plus tôt possible.
Après toutes ces considérations pleines de bon sens. Gyselinx
conclut qu'un enseignement primaire exclusivement en allemand,
devenant progressivement mixte pour finir par la prédominance
du français, est la meilleure solution. La plupart des conseils com-
munaux l'ont choisie. Tout le monde s'en trouve bien et on peut
250
constater que les jeunes de 16 et 18 ans savent s'exprimer claire-
ment aussi bien en français qu'en allemand. Hélas, il est évident
aux yeux de Gyselinx que l'amendement à l'article 20, peut-être
excellent pour les régions flamandes, mais «grotesque et odieux»
pour Arlon, risque de faire disparaître ce système.
D'autre part fait-il remarquer, le Gouvernement semble ne
pas savoir que nombre de communes comme Arlon. Athus.
Aubange. dispensent depuis de nombreuses années à la grande
satisfaction de tous, un enseignement primaire exclusivement
en français. Système logique et légitime car trop d'éléments wal-
lons ou trop d'habitants autochtones se servent couramment du
français. Tenter d'imposer à leurs habitants un régime qu'ils ont
renié spontanément parce qu'il allait à l'encontre de leurs senti-
ments patriotiques et à l'encontre de leurs intérêts. est par trop
insensé.
La conclusion de Jean Gyselinx va pleinement dans le sens
de l'action soutenue par Paul Reuter. Tous les responsables
arlonais, quel que soit leur bord, sont bien d'accord et ne veulent
pas de l'article 20 amendé par le Sénat Cette position reflète
sûrement l'opinion de la population, tant urbaine que rurale.
«Quoi qu'en pensent peut-être certains bureaucrates de mi-
nistères ou certains de nos gouvernants qui, trouvant Arlon trop
loin, ne daignent jamais savoir ce qui sy passe, les habitants de
la zone patoisante ont trop le sang latin dans les veines, ont une
culture qui se rapproche trop de celle de leurs frères wallons
pour admettre un seul instant l'idée que la langue allemande
poun'ait devenir chez eux la langue véhiculaire. lls répondraient
à cette mesure par un formidable éclat de rire, et si cela ne suffi-
sait pas, par des arguments devant lesquels on serait bien forcé
de baisser pavillon. Attachés profondément à leur dialecte mais
repoussant toute mysticaille racique ou linguistique, ils veulent
que le français reste la langue officielle et véhiculaire de l'ensei-
gnement. Ils ont appris eux aussi, à leurs dépens, ce qu'était la
Kultur et à choisir entre celle-ci et l'influence culturelle française,
ils n'hésiteraient pas un instant. ..
«Les Arlonais et les habitants des communes environnantes
sont Belges, ils aiment la liberté et ne veulent pas d 'un régime
incompatible avec leurs intérêts et leurs sentiments !» (3i 9i

' 319l Jean GYSELINX. L'allemand va-t-il devenir. ... op. cit
251
Un son de cloche un peu différent mais probablement isolé.
se fait entendre. Un lecteur préférant rester dans l'anonymat ma-
nifeste à plusieurs reprises son désaccord avec l'A venir qui. pour
convaincre et par souci du dialogue. lui ouvre ses colonnes '320l.
Prenant comme exemple Martelange. ce lecteur constate que
l'enseignement mixte n'est pas appliqué dans bon nombre de
communes. De plus. là où il est en vigueur, les résultats ne sont
pas brillants. A 14 ans. les enfants ne comprennent plus un mot
d'allemand et ils accusent un retard considérable parce que leur
instruction s'est faite en français qui n'est pas leur langue mater-
nelle. L'application de l'article 20 dans le pays d'Arlon est néces-
saire pour sauver la situation et ce. même à Arlon. Athus et
Aubange où les enfants sont empêchés d'apprendre l'allemand.
Gyselinx réplique que ces trois communes ne pourront ja-
mais s'accoutumer à un changement de régime. Quant au bilin-
guisme. s'il n'est pas appliqué là où il doit l'être et comme il doit
l'être. c'est une autre affaire. S'interroger pour savoir si le système
mixte ne mérite pas certaines améliorations est une question
différente n'affaiblissant en rien la «manière de voir de l'immense
majorité de la population» (ml. Mais à supposer que ce régime ne
permette pas à l'enfant de connaître aussi bien la langue alle-
mande que le français, une fois ses classes terminées. cette si-
tuation est toujours moins grave que celle lui retirant la faculté
de connaître suffisamment le français. Quant à la possibilité pour
les écoliers d'Arlon. Athus et Aubange d'apprendre l'allemand.
elle existe car des cours d'allemand sont donnés dans plusieurs
écoles.
L'A venir signale encore à son contradicteur deux faits signifi-
catifs ayant leur valeur :
- la section allemande de l'Ecole normale de l'Etat pour jeunes
filles à Arlon vient d'être supprimée. Au cours de l'année sco-
laire écoulée. elle n'a compté qu'une seule élève.
- tous les soldats du 10e régiment de Ligne originaires de la ré-
gion d'expression allemande, comprennent le français et sa-
vent s'exprimer en cette langue mieux qu'ils ne peuvent le faire
en allemand.

!32oi Lettres d'un «honorable conespondant>> à Jean Gyselinx. in L'A venir du


Lux embourg. dimanche 26 et lundi 27 juillet 1931. n° 176. p. 1 : samedi 1er
août 1931. n ° 181. p. 1: mardi 25 août 1931. n° 200, p. 1.
!32 ,i Jean GYSELINX. La langue allemande dans la région arlonaise. in L'A venir du
Luxembourg. dimanche 26 et lundi 27 juillet 1931. n° 176. p. l.
252
Le lecteur contestataire interprète ces situations d'une toute
autre manière. Le manque d'élèves dans la section allemande de
l'Ecole normale est dû à la «défaveur momentanée» dont jouit
l'allemand. Cela ne durera pas éternellement. Quant aux con-
naissances en langue française des soldats du 10e de Ligne. l'ano-
nyme s'en réjouit mais remarque que bien peu d'entre eux se-
raient capables d'entrer en 6e année. tandis qu'avant-guerre, les
élèves d'intelligence moyenne ayant fréquenté régulièrement
l'école primaire. ne devaient pas faire de préparatoire en entrant
au collège et n'avaient rien à envier à leurs camarades wallons.
ce qui n'est plus le cas.
Pour finir. il se pose la question : en quelle langue le maître
belge doit-il enseigner ? Réponse : d'après la loi et la justice, dans
la langue maternelle de l'enfant. Or, tous les Belges sont égaux
devant la loi et de fait. Wallons. Flamands et Congolais sont ins-
truits dans leur langue maternelle. Par contre les Belges de lan-
gue allemande qui revendiquent ce droit - qu'on se souvienne
de Kurth - ne l'obtiennent pas. Certains. reniant leur langue ma-
ternelle, les en frustrent. Des Arlonais croyant avoir le monopole
du patriotisme imposent leur dictature aux populations de la
région. Sa conclusion s'exprime sous la forme d'un vieux pro-
verbe allemand destiné à l'Administration communale : «Schuster.
bleib bei deinem Leisten» (m l, ce qui peut se traduire par «A cha-
cun son métier, et les vaches seront bien gardées».
Alors que l'Avenirpoursuit le débat et que tous les journaux
locaux continuent à dénoncer une odieuse volonté de germani-
ser la région. l'hebdomadaire de langue allemande d'Aubel. Die
Fliegende Taube, se signale en apportant tout son soutien à la
réhabilitation de la langue allemande en Belgique. A la fin du
mois d'octobre. il se met à vouloir défendre les intérêts du Luxem-
bourg allemand et s'en prend particulièrement au bourgmestre
Paul Reuter. responsable selon lui des maux de tous les patoisants
arlonais. C'est ainsi qu'il publie une chansonnette satirique alle-
mande dont la traduction nous est donnée par le Jaumal du
Luxembourg:
1. Je suis Français dans l'âme.
Qui sait quel est mon pays
Paul Reuter. tel est mon nom
Mon orgueil. c'est la Légion d'Honneur.

,iii) L'emploi de la langue allemande dans nos écoles. in L'Avenir du LLIXem-


bourg. mardi 25 août 1931. n° 200. p. 1.
253
2. Je suis souvent allé en France
Et n'ai jamais parlé allemand.
Je me suis beaucoup battu contre les Prussiens
Et n'ai jamais perdu courage.
3. Près de Petitjean je proteste :
«Fais disparaître l'article 20»
Je ne suis point Français pour rire
Mon cri favori : c'est vive la France !
4. Quelle douleur quand je mourrai
Marianne sera tout éplorée.
Le «Trou aux Loups» sera mon logis
Et le coq gaulois ma pierre tombale.
5. Je puis mourir, même à l'instant.
J'irai au diable sans peur.
Et Satan commandera : Allons vous tous.
Place à la Légion d'Honneur. (3 23l
Quelques jours plus tard. le quotidien La Libre Belgique reçoit
à sa rédaction à Bruxelles le texte d'une résolution votée par une
«Association des Belges de langue allemande fondée dans la pro-
vince de Luxembourg» et dont personne n'a jamais entendu par-
ler. Le manifeste se présente sur du beau papier à lettre avec
comme en-tête : «Bund der Deutsch-Belgier». La presse natio-
nale s'en émeut et le publie. En voici le texte:
«Le Bund der Deutsch-Belgier. institué en dehors de toute con-
sidération de parti pour la défense des intérêts culturels des 150.000
Belges d'expression allemande. ayant pris connaissance du projet
arrêté par la Commission du Sénat. se réjouit de l'accord unanime
réalisé entre les mandataires des quatre partis représentés au Par-
lement belge, exprime sa satisfaction de voir la langue maternelle
des 150.000 Belges d'expression allemande reconnue comme lan-
gue véhiculaire de l'enseignement. pour la région allemande: re-
grette toutefois que la Commission, après avoir admis l'existence
d'une région flamande et d'une région wallonne. ait hésité à re-
connaître l'existence, tout aussi indiscutable d'une «région alle-
mande»: prie respectueusement le Sénat de consacrer formelle-
ment le principe de l'égalité entre les trois langues nationales en
substituant à cette formule imprécise la notion daire de «région
allemande», proteste avec énergie contre l'attitude de M le minis-
tre d'Etat Devèze qui insista vivement pour qu'il ne soit pas

(ml Jaumal du Luxembourg. dimanche 1er novembre 1931. n° 44. p. 1.


254
question dans le projet de la troisième langue nationale: fait appel
au bloc compact des 150.000 Belges de langue allemande, a.in
que sans distinction de partis, ils appuient de toutes leurs forces
l'action du Bund, en vue de faire triompher le principe de l'égalité
linguistique au sein de l'Etat belge.» (324l
En titrant «Des Farceurs». le Jaumal du Luxembourg s'inter-
roge sur l'identité de «ces martyrs qui ne peuvent parler libre-
ment leur langue» (325 l. Dans les Annonces du Luxembourg, le
journaliste Omer Habaru lève le voile sur ces «asticots» sans les
citer nommément :
«Voulez-vous que je vous dise? Hé bien ! les joumaux ont été
roulés par un type qui constitue à lui tout seul le fameux Bund.
C'est de la farce, cette associa tian des Belges de langue allemande,
elle n'existe pas.
«Un professeur révoqué qui, de tout temps, afBcha des sym-
pathies plates pour l'Allemagne, s'est juré de se venger. nne peut
se résigner au silence de la retraite forcée. Pour que l'on parle de
lui, pour parvenir à ses .in orgueilleuses, il exploite la corde lin-
guistique et se fait le défenseur de la malheureuse langue alle-
mande odieusement opprimée.
«Notre président-secrétaire-trésorier-porte-drapeau et mem-
bre unique a inondé la presse de sa prose ampoulée. Et qui l'em-
pêche de dire qu'il parle au nom de ses 150.000 membres ! C'est
encore heureux qu'il se soit montré si modeste. n pouvait tout
aussi bien ajouter un zéro de plus à l'amère. C'était le même prix
et cela faisait beaucoup mieux dans le paysage !
«Et voyez comme son plan a réussi à merveille ! Toute la presse
en parle. j'en parle à mon tour. ce qui est bien, n'est-ce pas, le
summum de la gloire !
«Notre révoqué n'est d'ailleurs pas aussi bête que nous nous
plaisons à le croire. N'est jamais bête celui qui réussit à faire mar-
cher les autres. Et nous avons vu avec quel ensemble la Presse
belge vole. ..
«Faire naître le Bund en question dans la région arlonaise, c'était
lui donner une authentique nationalité belge. C'est ce qu'a com-
pris notre gaillard qui a rédigé lui-même l'acte de naissance.» (326l

(324 lLa Libre Belgique. mardi 3 novembre 1931. p. 3.


025 l Jaumal du Luxembourg. dimanche 8 novembre 1931. n° 45. p. 1.
(326l Omer HABARU. La presse belge mystifiée. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 8 novembre 1931. n° 45. p. 4.
255
Habaru ne fait pas preuve de beaucoup de délicatesse en par-
lant de «révocation» pour un professeur admis à l'éméritat et
promu au rang d'officier de l'Ordre de Léopold. Dans les jours
qui suivent la parution de cet article sans signature, Bischoff atta-
que la société anonyme Les Annonces du Luxembourg pour ca-
lomnie et réclame 20.000 F de dommages et intérêts.
A l'A venir du Luxembourg. on se montre plus modéré et
nuancé. Aucune allusion déplacée quant à la situation et au passé
de Bischoff. Un peu comme Camille Huysmans, l'ancien profes-
seur apparaît comme un étranger non pas mal intentionné mais
ignorant la volonté réelle des populations luxembourgeoises. On
lui reproche de confondre Arlon avec la nouvelle Belgique et d'em-
prunter des voies extrêmes qu'aucun indigène n'est prêt à sui-
vre. Aussi Camille Decker. journaliste à !'Avenir. lui demande-t-il
fermement de laisser les Luxembourgeois tranquilles.
«Nous prions le Bund de croire que nos «intérêts culturels» à
nous, qui pratiquons le patois grand-ducal, ne sont pas du tout
du côté où il pense ?Nous n'avons que faire d'un «Bund» ni d 'un
«Deutscher Verein11 !...
«Sans doute le Bund préférerait-il qu'avec lui nous n'ayons
d 'yeux et de cœur que pour l'allemand! Libre à lui d 'exiger un
enseignement moyen et supérieur en langue allemande, des
sections allemandes à l'armée, des fonctionnaires allemands chez
nous! Mais qu'il décompte les voix luxembourgeoises des 150.000
Belges qu'il essaye d'entraîner dans l'extrémisme!» (m)
La condamnation du Bund est donc unanime dans le Luxem-
bourg allemand dès sa première manifestation. Toute la diffé-
rence entre libéraux et catholiques réside dans la nuance. Les
premiers disent non à la germanisation et oui à la langue fran-
çaise et aux avantages du bilinguisme. Ils n'envisagent cepen-
dant rien de concret pour soutenir le dialecte régional et déve-
lopper la connaissance de la langue allemande. Au fond, sans
combattre le patois, ils ne se sentent pas concernés par son dé-
clin et attendent les dernières progressions définitives de la lan-
gue et de la culture françaises.
Les catholiques adoptent une attitude identique face à toutes
les tentatives de germanisation, d'autant plus qu'elles sont tou-
jours l'œuvre d'étrangers: soit un envahisseur, soit un ministre
flamand, soit un professeur liégeois jugé proche des cantons

(ml Camille DECKER. A propos du Bund der Deutsch -Belgier. in L'Avenir du


Luxembourg. mardi 12 novembre 1931. n° 274. p. l.
256
rédimés et de l'ancien occupant. Par contre, il n'est pas question
de laisser la langue maternelle s'asphyxier et les premières an-
nées d'étude en allemand apparaissent indispensables pour les
patoisants. avant la transition progressive vers le français.
«Est-ce à dire que nous souhaitons l'extermination de la lan-
gue allemande chez nous ? Non pas ! Pour nous. le système en
vigueur avant-guerre nous contente. Cherchons uniquement à
l'améliorer./) (3isJ

L'affaire des amendements


Alors qu'on attend patiemment l'examen par la Chambre du
projet de loi linguistique en matière d'enseignement primaire.
1931 s'efface doucement pour céder la place à une nouvelle an-
née qui se révélera la plus dure de toutes pour Paul Reuter.
En effet. quelques mois plus tôt. le gouvernement Jaspar a
déposé un projet de loi afin de régler l'emploi des langues en
matière administrative. Après avoir longuement et minutieuse-
ment examiné le texte, la section centrale de la Chambre des
Représentants y a apporté quelques modifications à la fin de
l'année. L'Assemblée Wallonne s'agite devant le projet qui doit
être bientôt examiné et débattu par la Chambre au cours des
premiers mois de 1932. Le rapporteur de la section centrale, Frans
Van Cauwelaert. bourgmestre d'Anvers. suscite la plus grande
méfiance:
«ll est certain que M Van Cauwelaert - Ulysse modeme -
s'est avant tout préoccupé de satisfaire la boulimie des Flamands
et qu'il ne s'intéresse au sort pitoyable des Bruxellois et des Wal-
lons que pour mieux assurer plus tard leur colonisation inté-
grale... Ce projet constitue pour la Wallonie un bloc enfariné qui
ne dit rien qui vaille.li 029l
Dans le Luxembourg aux aguets. c'est le calme plat et la plus
grande satisfaction règne car Van Cauwelaert n'envisage dans
son rapport que deux langues nationales et pas trois.
«Et cela correspond bien à la réalité. Il n y a que deux langues
nationales en Belgique : le flamand et le français. L'allemand

Camille DECKER. A propos du Bund der Deutsch-Belgier. op. cit


(izs)

(ml L'emploi des langues dans l'administration. in Le Bloc Wallon. décembre


19 31. Papiers Paul Reuter (A.E.A.).
257
n'existe pas. ll subsiste un dialecte dérivé de l'allemand mais
ceux qui le parlent sont généralement incapables de s'exprimer
ou même de comprendre l'allemand.» (330)
La discussion générale du projet débute à la Chambre dans
un climat de confiance totale des Arlonais. Après plusieurs mois
de campagne de presse pour expliquer et sensibiliser les res-
ponsables politiques à l'absence de toute question linguistique
dans le Luxembourg et au refus de la population de toute ingé-
rence du pouvoir central dans les affaires des conseils commu-
naux, il est légitime de s'imaginer ne plus rien avoir à redouter.
Pourtant la quiétude existante ne va pas durer longtemps. Tel le
calme précédant la tempête, elle va être submergée par ce que
l'on pourrait appeler «l'affaire des amendements».

L'amendement David-Merget-Van den Corput


Alors que la discussion générale des premiers articles se dé-
roule normalement on assiste à un véritable coup de théâtre
quand la Chambre arrive à l'examen de l'article 3. Celui-ci stipule
notamment que sous certaines réserves pour l'agglomération
bruxelloise, les communes dont la majorité des habitants par-
lent le plus fréquemment d'après le dernier recensement dé-
cennal. une langue différente de celle du groupe linguistique
auquel on les a rattachées, adopteront pour leurs services intéri-
eurs et pour la correspondance la langue de cette majorité. De
même toutes les administrations et autorités publiques supé-
rieures soumises à la présente loi se conformeront à cette situa-
tion quant au régime linguistique de leurs services locaux et pour
la correspondance administrative (331 ).
Cet article, tel qu'il est présenté. ne doit rien modifier à la
réalité arlonaise. C'est alors que deux députés luxembourgeois
proposent avec un collègue verviétois un amendement complé-
tant cet article par les dispositions suivantes :

«Dans les communes des arrondissements de Verviers et d'Ar-


lon, dans lesquelles 50 % des habitants parlent habituellement

Omer HABARU, Deux Zones, in Les Annonces du Luxembourg, dimanche 17


(l3Dl
janvier 1932, n° 3, p. 3.
(ml Annales Parlementaires, Chambre des Représentants. Séance du jeudi 4 fé-
vrier 1932, p. 668.
258
une langue autre que le français, d'après le dernier recensement
décennal, les avis que les autorités adressent au public sont rédi-
gés en langues aflemande et française et éventuellement en lan-
gue flamande. Dans ces mêmes communes, les services locaux de
l'Etat et de la Province correspondront avec les particuliers dans la
langue que ceux-ci auront employée ou demanderont» (33 2)
Les trois auteurs de cet amendement sont les députés catho-
liques Fernand Van den Cotput originaire de Bruxelles et futur
gouverneur du Luxembourg, Jean Merget originaire de Beho mais
résidant à Bomal, tous deux représentants de l'arrondissement
d'Arlon-Marche-Bastogne. et Pierre David. représentant de l'ar-
rondissement de Verviers.
Van den Cotput explique aussitôt à la Chambre leurs inten-
tions o33l, L'adoption sans aucune modification du projet pré-
senté par la commission risque de créer des problèmes impor-
tants si un jour on en arrive à la division absolue de l'échelle
administrative en unilinguisme flamand d'une part, et en
unilinguisme français d'autre part. U faudrait alors prendre des
dispositions compliquées pour assurer jusqu'au haut de l'échelle.
l'unilinguisme administratif allemand, parallèlement aux deux
autres. A ce moment les charges financières que comporterait
cette mesure. s'avéreraient extrêmement lourdes. Afin d'éviter le
triplement des services administratifs et de ne causer aucun dom-
mage. du chef de l'ignorance des langues. aux fonctionnaires qui
seraient en fonction au moment du vote de la loi, il est souhaita-
ble de trouver dès maintenant une formule qui assure l'étude
suffisante des dossiers dans la langue où ils ont été constitués et
qui fournisse à tous les Belges. dans les conditions les plus pra-
tiques et les moins onéreuses, les satisfactions linguistiques aux-
quelles ils ont droit en matière administrative :
«Que désire le public au point de vue linguistique ?
«Effacer les injustices, les inégalités de traitement dont la
grande masse du peuple flamand a souffert trop longtemps. Don-
ner à tout Belge, qu'il soit seulement d'expression française ou
flamande, mais encore d'expression aflemande, le droit de s'ex-
primer et d'être compris dans sa langue. sur son territoire

!ml Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du jeudi 4 fé-


vrier 1932. p. 668.
!333 l Annales Parlementaires, Chambre des Représentants. Séance du jeudi 28
janvier 1932. p. 578.
259
linguistique, par les fonctionnaires des diverses administrations.
Lui donner Je droit aussi de s'adresser à tous les degrés de la
hiérarchie administrative, provinciale ou centrale, d'y être com-
pris et d'y obtenir réponse dans la langue qu'il parle...
«Le Belge de bon sens... estime que le fonctionnaire est fait
pour servir la chose publique; que nul n'est contraint de choisir
la carrière administrative et que si quelqu'un la choisit, il doit
savoir se plier à cette exigence élémentaire de connaître, s'il veut
atteindre aux grades supérieurs de la direction, les langues dont
il est appelé à faire usage au service de ceux dont il reçoit le
traitement qui Je fait vivre.» '334l
Godefroid Kurth n'aurait pu qu'applaudir de tels propos al-
lant tout à fait dans le sens de l'action qu'il avait entamée. Mais
la limite entre la tentative de germanisation mal intentionnée et
la volonté juste et légitime de légaliser la langue allemande. com-
mence à être floue et difficile à distinguer.
A la rédaction de l'Avenir du Luxembourg. on est manifeste-
ment embarrassé par cette action inattendue. Aucun commen-
taire ne paraît dans les jours qui suivent et on se contente de
rapporter les faits et les discours. Dans les rangs libéraux. c'est
l'explosion de colère. Pour la première fois depuis l'avant-guerre.
le fossé entre libéraux et catholiques marque à nouveau la divi-
sion entre opposants et défenseurs de la langue allemande.
«Van den Corput et Merget Fourriers de ]'Activisme» titre le
Journal du Luxembourg le dimanche 31 janvier m5l tandis que le
même jour. les Nouvelles sortent leurs caractères les plus gras et
les plus épais pour afficher en manchette : «Non, jamais, pas l'al-
lemand chez nous» (336l.

Le ton du côté libéral est unanime pour condamner l'amen-


dement des trois cléricaux et le discours de Van den Corput
Tous remarquent que jusque là. les populations vivaient en paix.
On patoisait paisiblement dans les villages alors qu'à Arlon. de-
puis belle lurette. le français était la langue administrative sans
que la moindre difficulté ait jamais surgi. Pendant l'occupation,
tous s'étaient serrés les coudes pour résister énergiquement aux

13341 Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du jeudi 28


janvier 1932. p. 578.
1335! Jaumal du Luxembourg. dimanche 31 janvier 1932. n° 5. p. 3.

m 6l Les Nouvelles. dimanche 31 janvier 1932. n° 26, p. 1.

260
DIMANCHE, LE S1 JÀNVIER 1932 AUJOURD'HU( SIX tACES 20 CENTIMES (E NUMER~ 18e ANNEE N. 26

______ ___________
't'élopbone ua.
Compte chèquea pootau:,: 1348811
....;
oavelles
QooUdlen Lùxembourgeols d'bdormauon.s
Rédaction et Administration : Place Didier,· 24 et . 25, Arlon
~~-~
Abonnements. Belgique et Uni- postale •
1 ans, 47 fn ; 6 mois, 26 fn; s ·moi., 13,50.

L e e . . . - aoat reçuea au bureau clea «N~ellu», 24 et 25, Place Didier, Arlon; à . l'Aa'ence HAVAS: 13, Bd Ad. Mu, Bnn:elle1 et à toute, lei Aa'ences de Publicité.
·-- ·-- --

ChrQnique Financière
Bourse de Bruxelles
1•. ~~~~~~~~~~~~~~:/Non,I'jamais,
1 ••• la Il d a..

pas a eman
p_o lilique était c,,pabl• pire, cho-
.su ... ma~ Wttt. de mime ;e 11e m'attc11.dai1 pas ·

I
Les milieux boursier.s continuent à r iser se~ moyens d'act:ons alors que !a si- 1 à 5:U,:~~ù qu. l, .,Bu,u! deo o.,,Lsch B elg;er"
smvre attentivemen t les efforts tenti'S en tuat ion économique et finan cière de la Be\ fero.iJ. de, pied.! t:t <ka mat'l1• - et. de la. po-
vue de rêsoudre le problème des répa ra - giquc demeure relativeme nt ,solide si l'on chef - pou.1· s'implanter dm11t r.otro r égW'11,
tion s et, cette se maine encore. les tendan- tient comp te de la crise actuc!~e.
C'es des. marQ~~s financie rs - .cl~,·enues 1 _Cette situation a été m ise en rel ief tout
pou.r 'JI erü1· Wlt! agitatio" c!ttonomis tC", ,Bpa--

I'°".'"''· A_ta;, i• "'' a;,a;., 0 11• ,ios pop,dntùn" 1 ehez n Ous


t ou tefo:is fon~ic reme nt pl ps 1Jpt11n1stcs -
ont été <'Ontingcntét'S' p;ir les nouv elles

entrevue La\·ql- ).!a c Do:ia1d a. tout ,cfa-


bord. fait l'objet de commentaires 1a,·o ra-
l
I
- •0
l
recemment par M. C. Van Ovcrbcrgh. rap n•mtc1atci1t au:i: U'1//~1tive/!I r'Eupc,, , comme
porteur <le la Commis sion Sénatoriale des elle résistèrc-a t rw .e r iour.iR nl.',,m,rnd~ d1mrn t.
intéressant t.:etle question .L'annonce d'une ï-'inanccs s u1· le s budget de 1932. l'or:et~patfon , C'en es t fait , n ous l'avions pré\'u, .0:1 lrc province qu 'on ne vienne p as n o us
J' étai.s do nc eonfi11.11t et h.:1!1cux dr m" dire vçul nous gcrmcmiser. Oh! peut·rlrc p ~1s imposer u n e l angue d éte s tée ,; cc qui
Bien que les marchés cornmerci:rn x n"en que fo /lê<m de l'actiril1J1(' érn•gncra.it 1tor. ,-an- tont d\111 coup, la piluJc serait qu:rnd µeut èt rc la libertë ,·ers Je nord, p eu t ne
b!es. A Pa.ris et à. L'Ond rcs sur tout, on fon tretiennent toujours qu'un courant cl':1ffai tous.
da.it de' s~~ireùx e~poirs _s ur les ré:sul!ats de I1
ml!me trop d iflicile à faire avaler an hon pas l't'tre c h ez nous,
rcs peu i:npor~ant, les prfx c??t!nuc~t cc- 1 ., A iu~i ctJ fut pa,· 1m cou.p ~ 111a1S1~ que pc~ple ar.l onais «; l cn dronnnnt ; mais Puis . on nous dit quïJ fa ut que, :,o ¼
cet entretien qui de\'a1t, en tout etat de pe ndant a offrir ph.T's de stab1htc q,l{1l y a ~ avpMs qtu: deu..c de 11ns dé-pHtes t.·cnai<:at de pe tit à p~l1I, ~no rcc:a~1 p:ir mo.rcc:.n1, on d('s habi tants pnrlcnt hahitueJlement
I
c;:iu_sc 't:dta.ircir !'_horizon politique ~nter - quelqne's temps i peine., Cett~ cons:at~tion clépo;e 1: à. la C~n.m brc un an1cndc-mcnt qui iu1J- Y_C Ut nrn_\' cr a 11ou~ un poser I allemnnd . une autre lang ue que le français pour
nat1 011:il et pcut-etre marqacr unr- et.ipc
JlOU\'Clle cl.i.ns le s relations ent re l:t F ran -
C'<' et la Grande -Bretagne. plt1s con~cnti r de noU\·cfles réduct ions sur
I
permet de supp~se r qu en reglc gtncra~e. culait u. n?B 1·e{J 1tn1 s calme,, - hem·euse8 lin- 1·.t ce q111 nous pr111 e pc ul-èlre Ir plus , tp;r rall emnud soil mis ;\ éga lité nvec le
les pr.:icluctcurs scmhlen't ci,~1cid,és de ne uui.diqu.em.ent. - le vfr11, ,ipa,·ati.stc, c'es t_que l'initi nli\'c pa1:t d (' deux man- 1 français . Croyez \"Otis donc q ue dans
Oh! cela n'a l'ai,· CU t-ien, l'ame11deme11t cat dntnires luxembour_qeo1s. crrt:.iins \'illages, on ne pourr:1 pas les
Mercredi, alors que les place s 111ondia- 1 k:, cours aC"tueilcmcnt pratiqués. Cc,1x-c; t·édig~ Mut wu fo-r11w beno ite, ù prc1n1ë1·c lec- On comm ence pnr \'Ouloir faire insl~- réunir, ces 50 °,·..,? Que si, et dans J.>je n
ks l'\'ùluaient dans un sens nettement fo- St. so nt raffermis au :\f.eta-Exchange où le h cn, il •cmbl~ qu'il fn.iUc i trc vraime-nt de ma1(- rer le petit text e suinrn t d:rns la loi : ùes villages; mais 50 ···/0 cle patois alle-
.vcrabk, snn";nt la no m-e lle ,l'un ajourne- l· uinc se trai·te en tendance s soutenues. T1aU/c com.~ition pour 11 t·oir du mal. Ma.U, d urnnd Uien entendu, car s'il s'agissait de
ment de l'entretien r-ntr,- lC" P:-ésicfent du T.'t>t:'l=n sr m:iintient assez aisément. Ir, rr{f.{le'J!1b71. ,o n' déct>141Jr(i a,'t'!c horreur qwn « Dans l,•s co m11w11c.'t des an·o11- ho n alle m a nd, 0;1 n e trouverait méme
clissemen ls de \'erviers el d'Arlon, 1 pas 0 ,1 ¼, car il !1~ f~_ut pas oublier q ue,
1
Consci·l 'r,anc;:a.is et le Prcm i,er itinfstre . L"s tc,.,-tiJes:. ·font prcu\'c clc ferme s ~dis- c'ut la oermauUmt ûm totale q1{ on 11am impou.
a ~glais . 11 n'en fatlut pas plus· peur pro- 1 pe,sitions. Le coton, le (it'.an'vrc et la hlinc L'aetfoiMn~ fiama,u.J. a eom1,1e,rcé, l'Omme ee- dans lesquelles 50 •;. des habitunls ù part dans les grands ce ntres comme
l
voquer un a lo urclis scmcut c.Jc rilmbiance. J peignée notamment ,son t b:cn tenus. I.e la , par d!!tt riens, :,na,· &,3 v,etilc, sat~faction,
qui s~os't traduit, en règle g,;néra le-. par ur.. ca outchouc ne s'est guère mod ifi é.
r étrécisseincnt <l<·s tra. ns.1c t ions.
1ctmciiiantu. Puis l'appétit a. granà·i ... tl '1111-
. P:ir :Üllc:'~u:s ~le blé est. ir:égulier su; le s jour<l'h 11 i c'"~t I.e part·i /fnma 11d qui dfri{lfl 1,.
I
parlent habi/11,llemenl une autre Arlon : Alhus, un pa rl e , le long de l_a
la ngue que le français, d'apres le der- [ronlterc grand-d ucale, nulnn t le pnlo1s
. . que Je frarn·a1s.
m er recensemen t décennal, les GVlS 1 ·
manœuvres des «Teutons». Le souvenir de cette résistance pa-
triotique était vivace dans toutes les mémoires ...
«Et voilà que deux Zèbres, l'un venant de Bruxelles, l'autre
d 'un patelin de l'Ardenne wallonne, les sieurs Van den Corput et
Merget députés cléricaux, ont décidé d'illustrer leurs noms bien
falots en politique par une proposition; oui ! un projet renver-
sant déconcertant (à moi, mémoire de Madame de Sévigné pour
qualifier l'événement!), ahurissant. .. et surtout révoltant» (337l
«Nous voilà revenus au temps des Loeb et Cie de sinistre mé-
m oire: ce qu'ils doivent rigoler, tous nos soi-disant ex-ennemis,
en suivant la querelle des langues en Belgique, ce qu'ils doivent
se dire : «Les Belges ? Quel peuple girouette, bien la peine de
faire tant de résistance quand nous avons voulu lui imposer l'al-
lemand! Voilà qu'il s'impose notre langue lui-même !!!» (338l
Les vieilles rivalités entre, d'une part langue française, esprit
libéral, laïcisme. et d'autre part langue allemande, patois. reli-
gion et influence du clergé. reprennent le dessus.
«Vous devinez le parti que vont pouvoir tirer de ce bout de loi
tous ceux qui, par haine de la France aux idées claires, généreu-
ses, libérales, vont dans les campagnes mener la danse.» (339l
Mais au-delà des critiques traditionnelles. les milieux libé-
raux redoutent que la mesure anodine des députés catholiques.
mieux la reconnaissance d'un droit ne devienne une redoutable
arme de combat pour des éléments extrémistes. Ces derniers
existent-ils réellement? On en doute sérieusement du côté ca-
tholique mais pour la gauche libérale, la récente création d'un
mystérieux Bund der Deutsch-Belgier, disparu de la circulation
depuis son manifeste, ne laisse rien présager de bon.
«Ce petit bout d 'article sera pour demain le texte sur lequel
tous les troublions de ]'activisme vont s'appuyer pour mener la
campagne de germanisation.» (34 ol
A première vue, l'amendement de l'article 3 semble inoffensif
mais «réfléchissez un moment et lisez bien», écrit Omer Habaru
dans les Nouvelles. En effet la phrase «une autre langue que le

337
( l Jaumal du Luxembourg. dimanche 31 janvier 1932. n° 5. p. 3.
338
( l Les Nouvelles. dimanche 31 janvier 1932. n° 26. p. 1.
(339i Jaumal du Luxembourg. dimanche 31 janvier 1932. n° 5. p. 3.

(34oi Idem.

262
français» ne spécifie pas s'il s'agit de l'allemand ou du patois.
Dès lors il :µ'y a plus pour lui que deux solutions : ou bien il ne
s'agit pas du patois allemand et dans ce cas on doit carrément
supprimer de l'amendement les mots «communes de l'arrondis-
sement d'Arlon» car tout le monde. dit-il. sait bien que dans no-
tre province. on ne parle pas l'allemand; ou bien le patois alle-
mand est considéré comme une autre langue et dans ce cas les
intentions des représentants qui ont déposé l'amendement sont
claires: imposer l'allemand et germaniser. Il ne fait pas l'ombre
d'un doute, selon lui, que le patois allemand entrera en ligne de
compte dans le calcul du pourcentage de l'utilisation des lan-
gues. Aux sceptiques. Habaru explique :
«On nous dit qu'il faut que 50 % des habitants parlent habi-
tuellement une autre langue que le français pour que ]'allemand
soit mis à égalité avec le français. Croyez-vous donc que dans
certains villages. on ne pourra pas les réunir ces 50 % ? Que si. et
dans bien des villages; mais 50 % de patois allemand bien en-
tendu. car s'il s'agissait de bon allemand, on ne trouverait même
pas 0,1 %.» (34 1l
L'.A venir du Luxembourg tente désespérément de minimiser
l'incident. En titrant «Beaucoup de bruit pour riem (342l, il expli-
que que l'amendement est inspiré par un grand désir de servir la
cause des populations luxembourgeoises et qu'il n'est nullement
équivoque. Au contraire, il laisse la pleine liberté au point de vue
linguistique et permet même aux populations de témoigner leur
attachement à la langue française. On sent malgré tout dans le
quotidien catholique une grande gêne et il est vrai que le statu
quo défendu peu auparavant par Camille Decker en matière d'en-
seignement primaire semble très lointain.
Les Nouvelles n'effacent pas l'embarras de leur confrère ca-
tholique en répliquant :
«Sans blââââgue... laissez-moi rire. On nous chante sur tous
les tons : «Dormez bel ange», et en sous main, on nous germa-
nise.» (343)

(341 l Omer HABARU, Non jamais. pas ]'allemand chez nous, in Les Nouvelles,
dimanche 31 janvier 1932. n° 26, p. 1.
' 342 l L'Avenirdu Luxembourg, mardi 2 février 1932. n ° 27, p. 1.

, 3431Omer HABARU, L'allemand chez nous : inconscience ?. in Les Nouvelles,


mercredi 3 février 1932, n ° 28, p. 1.
263
On commence à se demander comment deux parlementai-
res luxembourgeois ont pu rompre si brutalement l'unanimité
régnant encore quelques jours auparavant en matière linguisti-
que dans le Luxembourg allemand.
La seule explication ne peut résider que dans l'origine de Van
den Corput et de Merget. Les deux hommes ne sont pas du Sud-
Est luxembourgeois et ils ont dû se laisser persuader par quel-
qu'un.
«Quand la population arlonaise apprit l'acte. mettons irréflé-
chi de nos deux députés. la colère gronda dans toutes les gor-
ges : - Mais ce n ·est pas possible. jamais, non jamais des Luxem-
bourgeois n'ont proposé chose semblable. Il y a erreur sans
doute ...» (344l
On tente de faire appel aux sentiments d'équité des deux po-
liticiens. On les flatte. rappelant que même des feuilles libérales
rendaient hommage à leur courage dans la défense des intérêts
luxembourgeois jusqu'à une époque récente. Puis on les met en
garde sur le geste qu'ils viennent de poser. Dans un communi-
qué, le secrétaire de l'Association commerciale et industrielle d'Ar-
lon, l'hôtelier Jules Feider écrit :
«Attention, vous allez introduire dans notre province 11nfâme
querelle linguistique: il se trouvera toujours bien quelqu'activiste
allemand pour brandir triomphalement. tel un drapeau, votre
amendement. Nous voulons la liberté mais elle ne se trouve pas
dans le cadre du changement que vous voulez apporter à la loi.
Elle se trouve dans la considération pure et simple de l'état de
choses actuel. » (345 l
Le comité de l'Association libérale d'Arlon ne lésine pas sur
les moyens. U fait imprimer et coller sur les murs de tous les
villages de la région des affiches appelant les Luxembourgeois à
réagir contre la germanisation camouflée dont ils sont victimes.
Le texte de l'affiche débute par:
«CONCITOYENS!
«VANDENCORPUTETMERGETFOURRIERSDEL'ACTTVISME.
«Les deux députés cléricaux de notre arrondissement amor-
cent la germanisation d~lon. d'Athus, d'Aubange et des locali-
tés environnantes. Par leur faute. notre contrée sera bientôt

!344l Omer
HABARU. L'allemand chez nous: au nom de qui parlez-vous ?, in Les
Nouvelles, lundi 1er et mardi 2 février 1932. n° 27. p. 1.
!345l Archives de l"Association Commerciale et Industrielle d'Arlon (AC.LA).
264
livrée aux excès des activistes allemands. Nous vivions en paix,
demain ce sera la bagarre. Le projet de loi de ces messieurs per-
mettra aux activistes d 'exiger l'emploi de l'allemand comme lan-
gue véhiculaire dans les écoles comme dans toutes les adminis-
trations... 11 (346)
De son côté. Paul Reuter contacte les autres parlementaires
luxembourgeois. notamment son ami Camille Ozeray. représen-
tant libéral de l'arrondissement d'Arlon-Marche-Bastogne. et le
gaumais Edmond Jacques. représentant socialiste de l'arrondis-
sement de Neufchâteau-Virton. Ce dernier se révèle le plus com-
batif et dépose le 4 février le sous-amendement suivant :
«Dans les communes de l'arrondissement de Verviers, dans
lesquelles... (supprimer simplement les mots «et d'Arlom), le reste
comme le texte des auteurs de l'amendement11 (347)
En s'efforçant d'enlever «tout effet de nocivité» o4s) à l'amende-
ment catholique. le député socialiste est acclamé par la presse
libérale d'Arlon car il est à l'origine de la première bonne nou-
velle des huit derniers jours. Elle n'est d'ailleurs pas la seule. Im-
médiatement après son intervention à la Chambre. Van den
Corput demande la parole au président
Le député catholique commence son intervention en expli-
quant que ce sont les nombreuses plaintes d'habitants de la ré-
gion de Bastogne et d'Arlon qui l'ont poussé à adhérer à l'amen-
dement incriminé. U cite l'exemple d'une affaire d'expropriation
dans le village de Turpange (349l, L'Etat a réglé des expropriations
à l'amiable avec les propriétaires mais les travaux projetés n'ayant
pas été exécutés. un droit à rétrocession s'ouvre en faveur des
propriétaires expropriés. L'ayant réclamé, ceux-ci sont étonnés
d'apprendre qu'ils y ont renoncé. Au moment de la signature de
la convention, ils ont reçu communication d'un imprimé, qu'on
leur a mis sous les yeux, mais auquel. parce que rédigé dans la
seule langue française. ils n'ont rien compris, ne parlant eux-
mêmes que leur idiome maternel.

(346l La tentative de germanisation de deux députés catholiques, in Journal du


Luxem bourg. dimanche 7 février 1932. n° 6, p. 1.
(3471 Annales Parlementaires, Chambre des Représentants. Séance du jeudi 4 fé-
vrier 1932. p. 668.
(3481 L'allemand chez nous. Une bonne nouvelle. in Les Nouvelles. samedi 6 fé-
vrier 1932. n° 31. p. 1.
( l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du jeudi 4 fé-
349

vrier 1932. p. 669.


265
Camille Ozeray (Arlon. 1855 - Schaerbeek.
1938). député libéral de l'arronclissement
d'Arlon. lutte à la Chambre des Représen-
tants contre l'initiative du premier ministre
visant à créer un régime linguistique spécial
pour la région arlonaise.

Fernand Van den Corput (Bruxelles. 1872 - Uccle.


1948). député catholique du Luxembourg de 19 21
à 1932 avant de devenir gouverneur de la pro-
vince. tente d'obtenir que l'administration com-
munique en français et en allemand avec la po-
pulation dans la région arlonaise.

OmerHabaru (Saint-Mard. 1893 -Arlon. 1977).


journaliste libéral aux Nouvelles. aux Annon-
ces du Luxembourg et au Jaumal du Luxem-
bourg. est le plus farouche adversaire du pro-
fesseur Bischoff et du Bund der Deutsch-Belgier
durant les années 30. Arrêté par les nazis en
1942. il est déporté en camp de concentration
pour ses activités jugées subversives.

266
L'amendement préparé par son collègue David propose tout
simplement l'adjonction d'une traduction en allemand, à tous les
documents obligatoirement rédigés en français dans la régi.on d'ex-
pression allemande, ce qui est de nature à empêcher le retour de
semblables malentendus. C'est avec la meilleure intention du
monde qu'il y a adhéré mais rapidement de nombreuses voix se
sont fait entendre dans le Luxembourg allemand pour lui faire
comprendre que cette démarche n'est pas nécessaire.
Soucieux de respecter la volonté de leurs concitoyens, les deux
représentants d'Arlon-Marche-Bastogne ont aussitôt procédé à une
enquête dont Van den Corput livre les résultats à la Chambre :
«Mon enquête m 'a amené à con dure que dans ces demières
années la connaissance de la langue française s'est beaucoup éten-
due dans la région luxembourgeoise d'expression allemande et que
les inconvénients signalés ont tendance à s'atténuer beaucoup.
«ll faut aussi rendre hommage à tous les fonctionnaires de la
région qui s'emploient avec toute la bonne volonté possible à
comprendre ceux de leurs administrés qui ne connaissent pas
sufBsamment le français et à se faire comprendre d'eux soit di-
rectement. soit à l'aide d'interprètes.
«ll faut ajouter qu'au gouvemement provincial d'Arlon la tra-
duction des documents se fait régulièrement en idiome de la
région, chaque fois que l'utilité s'en fait sentir.
«ll y a lieu de constater ensuite que dans toutes les commu-
nes d 'expression allemande les secrétaires communaux connais-
sent les deux langues et que, par conséquent, sur le terrain com-
munal il ne se produit plus d'inconvénients.
«En présence des efforts réalisés. nous renonçons à appuyer
l'amendement présenté par M David. Je suis heureux d'avoir ac-
quis la conviction que les inconvénients constatés diminueront
de plus en plus, en raison de la bonne volonté des fonctionnai-
res et de la population.» (35oJ
Malgré son isolement. David maintient son amendement dont
la discussion et le vote sont cependant reportés à l'article 12 de
la même loi. Le premier round de «l'affaire des amendements»
est terminé.
Le lendemain, Omer Habaru prend sa plume et écrit :
«L'erreur est humaine. nny a que celui qui ne fait rien qui ne

1350l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du jeudi 4 fé-


vrier 1932. p. 669.
267
se trompe pas. MM. Van den Corput et Merget se sont trompés;
ils viennent de le reconnaître : ce sont des gentilshommes.» (351 )
il est évident que si les deux mandataires luxembourgeois
ont rapidement cessé de soutenir leur amendement. c· est parce
que leur malheureuse initiative. décidée sans aucune consulta-
tion des intéressés, a provoqué le désaveu général de la popula-
tion. L'Avenir. plongé dans l'embarras. ose à peine essayer de
justifier leur comportement et ne répond pas aux multiples atta-
ques libérales. Enfin. l'Association catholique d'Arlon a demandé
à ses élus de faire marche-arrière à toute vapeur et de ne plus
souscrire à cet amendement (352l.
«En ville comme dans les campagnes. on ne parlait plus que
de cet amendement. L'indignation était générale. C'est en vain
que certains amis des députés esquissaient un semblant de dé-
fense. ce n 'était pas le cœur qui parlait.
«L'A venir offrait un pitoyable spectacle. il courbait peureuse-
ment la tête sous l'orage, écoutant de toutes ses oreilles les pro-
testations de ses amis et de ses ennemis. Ballotté dans tous les
sens il ne savait où donner tête. Et pomtant il ne pouvait se
permettre un mot de réprobation.
«Stances de Rodrigue, où êtes-vous ?» (353l

L'action du Bund der Deutsch-Belgier


Alors que quelques jours de répit sont accordés aux Luxem-
bourgeois avant la discussion à la Chambre de l'article 12. une
question demeure sans réponse : qui a convaincu les deux dé-
putés à agir de la sorte ?
Pour Omer Habaru et Paul Reuter. comme pour le quotidien
bruxellois L'Indépendance belge, le professeur Bischoff et son
Bund se trouvent derrière cette habile manœuvre. ils ont suggéré
l'amendement à David et ont poussé Van den Corput et Merget
à y adhérer. Tout cela fait partie d'un plan minutieusement pré-
paré car on peut remarquer que :

(35 ' 1 Omer HABARU. L'allemand chez nous : M Van den Corput retire son amen-
dement. in Les Nouvelles. samedi 6 février 1932. n° 31. p. l.
(3521 Pour germaniser le Luxembourg. in L'indépendance Belge. mercredi 17 fé-
vrier 1932. p. l.
' 3531 La tentative de germanisation de deux députés catholiques. in Jaumal du
Luxembourg. dimanche 7 février 1932. n° 6. p. l.
268
-le Bund a été fondé en septembre 1931. à l'approche du vote
par le Parlement des grandes lois linguistiques :
- quinze jours avant le début de la discussion par la Chambre du
projet de loi linguistique en matière administrative. le Luxem-
bourg allemand a été inondé de prospectus et de brochures
appelées «Flugschriften» dans lesquelles il est fait appel à la
population pour rendre aux 22 communes leur «vrai visage» et
restaurer dans ses droits la langue allemande :
- depuis plusieurs jours. le journal Fliegende Taube d'Aubel con-
sacrait des articles aux populations «opprimées» du Luxem-
bourg belge.
Devant ces constatations. il est possible que les événements
relatifs à la langue allemande dont le Parlement est le théâtre.
résultent d'une action souterraine du Bund der Deutsch-Belgier
et de son président Henri Bischoff.
Quand on étudie les statuts du Bund et les articles qui lui
sont consacrés dès sa naissance à la fin de 1931. on se rend
compte qu· en réalité cette association des Belges de langue alle-
mande. jugée si maléfique dans les milieux arlonais. ressemble
énormément au Deutscher Verein de Godefroid Kurth. D'ailleurs
certains. mal informés. comme !'Indépendance Belge. ne font
aucune différence entre les deux comme si de 1914 à 19 31 . il n 'y
avait eu aucune interruption.
A la direction du Bund. apparaissent trois personnages : le pro-
fesseur Bischoff. déjà cité. dont «l'amour pour la langue allemande
était celui d'un fils pour sa mère» (354l; un ecclésiastique. l'abbé Fré-
déric Schaul de Tintange. défenseur de la langue maternelle. mais
également réputé pour ses sympathies envers l'Allemagne et con-
sidéré comme proche de l'évêque de Namur. Mgr Heylen: l'avocat
et député socialiste Marc Somerhausen. représentant l'arrondis-
sement de Verviers de 1925 à 1929 et de 1932 à 1936. futur prési-
dent du Conseil d'Etat en 1963. Ce dernier s'est fait connaître
comme défenseur des droits des germanophones dans les régions
d'Eupen et de Saint-Vith. notamment par la publication d'articles
en faveur de la langue allemande dans le mensuel socialiste l'A venir
Social '355 l, dont la direction est assurée par le ministre Camille

(354 l AL. CORIN, Henri Bischoff, 1867-1940. in Liber Memorialis. 1936-1966. Uni-
versité de Liège. tome II, 196 7, p. 30.
, 355 l Marc SOMERHAUSEN. La langue allemande en Belgique, in L'Avenir Social.
avril 1924, n ° 4.
269
Huysmans. nsemble toutefois qu'il se désintéresse de l'action de
Bischoff dans les régions luxembourgeoises '356l.
Paul Lespineux, avocat près la Cour d'Appel de Bruxelles, est
le premier à présenter officiellement le Bund dans le cadre d'un
article intitulé «La Belgique alémanique», paru le 5 février 1932,
dans la Revue Catholique des Idées et des Faits '357l.
Après la présentation de la situation linguistique des cantons
de l'Est Lespineux en arrive à «notre Cendrillon linguistique»
comme il les a baptisées. c'est-à-dire les 22 communes de lan-
gue allemande du Luxembourg belge. Il y répond clairement à
ceux qui prétendent que le pays d'Arlon n'est pas de langue alle-
mande:
«Un patois, ricanent certains? L'argument se retoume contre
ses auteurs : car si l'on prétend que les Arlonais de patois alle-
mand, ne sont pas de langue allemande parce qu'en raison de
certaines circonstances, leur langue de culture est le français, il
est alors aussi vrai de dire que les Malmédiens wallons ont
comme langue de culture non le français, mais l'allemand qui
leur était imposé avant la rétrocession.» '358l
Paul Lespineux se trompe totalement en affirmant en 1932
que le Luxembourg allemand réclame justice. En imaginant la
population opprimée par l'imposition du français, il fait fausse
route sur toute la ligne. projetant peut-être certaines caractéristi-
ques des cantons de l'Est dans le pays d'Arlon. Lui aussi a qua-
rante ans de retard et ne tient aucun compte de la volonté pré-
sente et de l'évolution du sentiment des populations:
«Ces populations demandent justice; sera-t-il dit que la Belgi-
que, fière de ses libertés centenaires, et de l'hommage des na-
tions, refuse à certains de ses enfants, ce que l'Etat Bolchevik
accorde aux Tartares du Turkestan ... Est-il défendu d'espérer et
de prévoir un compromis qui sera le signe du relèvement d'une
population et le gage de la pacification définitive.
«Et ainsi sera réalisé le vœu d'un grand Belge, de cet homme
courageux qui lui, n'hésita pas à soutenir le mouvement flamand
à l'époque héroïque, et qui, il y a quarante ans, poussa le premier

!356l Selon la version du journal Mir welle jo keng Preisen sin, dimanche 19 août
1934, p. 1. le député Somerhausen se désintéresse du Luxembourg car il n'y
a pas d'électeurs.
!,57l Paul LESPINEUX. La Belgique alémanique, in Revue Catholique des Idées et
des Faits. vendredi 5 février 1932, n° 46, pp. 23-25 :
!3581 Idem.
270
cri d'alarme pour sa petite patrie arlonaise. .. j'ai dit Godefroid
Kurth.» (359l

Pour Lespineux, la création du Bund der Deutsch-Belgier est


une réaction contre les injustices de l'Etat belge envers les ger-
manophones. Les objectifs du nouveau mouvement qu'il pré-
sente, peuvent se résumer de la manière suivante:
- que le législateur admette enfin qu'il y a en Belgique des popu-
lations de langue allemande ailleurs que dans les cantons de
l'Est;
- que le législateur reconnaisse l'existence d'une région de lan-
gue allemande et ne se contente pas de parler de communes
d'expression allemande, car il suffit d'une simple décision d'un
conseil communal, prise à la majorité des voix, pour donner
une nouvelle figure linguistique à une agglomération;
- que dans cette région, l'allemand soit la langue véhiculaire de
l'école primaire. Bien entendu, ici comme ailleurs, des tempéra-
ments seront prévus pour les enfants dont la langue usuelle est
le français:
- que conséquemment aux athénées d'Arlon et de Verviers, une
section allemande soit créée;
- que la question de l'enseignement normal en allemand soit
mise à l'étude, afin de faire cesser le scandale actuel d'institu-
teurs wallons ne connaissant que quelques bribes d'allemand
et enseignant la langue maternelle:
- que l'allemand soit la langue véhiculaire des administrations
locales:
- que tout fonctionnaire appelé à exercer sa fonction dans la ré-
gion allemande passe avec fruit un examen d'allemand;
- qu'en matière judiciaire, il soit enfin tenu compte du caractère
spécial des régions allemandes d'ancienne Belgique et que les
magistrats appelés à y exercer sachent la langue de leurs justi-
ciables;
- qu'aux universités de Liège et de Louvain, soit créée une sec-
tion allemande avec des cours de pratique notariale et de pro-
cédure:
- que toutes facilités soient données pour l'étude de la seconde
langue.

(359l Paul LESPINEUX. La Belgique alémanique. op. cit. p. 25.


271
En gros. ce vaste programme rejoint celui du Deutscher Verein
mais on remarque que Kurth n'a jamais exposé en une seule fois
et aussi brutalement toutes ces exigences. C'est par petits pas et
avec infiniment de prudence qu'il avait pendant des années aug-
menté ses revendications. D'autre part Kurth était Arlonais et s'ap-
puyait sur une partie importante des personnalités locales. no-
tamment sur l'ensemble du clergé. Ici. malgré la présence du curé
Schaul de Tintange. le Bund fait figure d'étranger. De plus. après
une occupation particulièrement éprouvante pour les Luxem-
bourgeois et des tentatives de germanisation que les habitants
ont unanimement combattues. le programme de Bischoff appa-
raît aux Arlonais de tous bords comme une véritable provoca-
tion et nul ne doute plus de son caractère révolutionnaire et ac-
tiviste allemand.
Désormais le mouvement va trouver beaucoup de monde en
travers de son chemin. dont deux journalistes : Camille Decker
pour l'A venir du Luxembourg et Omer Habaru pour les Nouvel-
les.
D'après ses statuts (360l, le Bund est divisé en quatre districts :
ceux du Luxembourg allemand. du Limbourg allemand. de la
nouvelle Belgique et de Bruxelles pour tous les isolés d'expres-
sion allemande dispersés en Belgique. Chaque district a à sa tête
un comité avec un président. un secrétaire et différents adminis-
trateurs élus par une assemblée générale. L'ensemble des prési-
dents des districts forment le comité général. instance suprême
du Bund.
Afin de permettre «la réalisation de toutes les aspirations cul-
turelles de tous les Belges d'expression allemande, l'essor et ]'en-
tretien de leur langue maternelle et la reconnaissance légale de
sa complète égalité avec les deux autres langues du pays» (36 1). le
Bund prévoit l'organisation de spectacles et de distractions po-
pulaires. la création de bibliothèques. la publication de brochu-
res et d'ouvrages. des requêtes au Gouvernement et aux Cham-
bres législatives et le rassemblement des Belges de langue alle-
mande.
Si le programme des activités ressemble étrangement à celui
du Deutscher Verein. une différence essentielle est à relever dans

(360) Der Bund der Deutsch-Belgier. Abteilung Provinz Luxemburg. in Fliegende


Taube. samedi 4 août 1934. n° 62. p. 1.
Flugschriften herausgegeben vom Bunde der Deutsch-Belgier. Aubel.
' 36 1) Pour germaniser Je Luxembourg. op. cit

272
sa réalisation. Jamais le Bund ne parviendra à organiser une acti-
vité quelconque dans le Luxembourg et on peut légitimement se
demander si le comité du district du Luxembourg allemand com-
prit jamais d'autres personnes que l'abbé Schaul. En tout cas.
leurs noms ne sont pas connus et ne furent jamais publiés. S'il y
en eut. le secret fut bien gardé.
Selon l'Indépendance Belge. la stratégie du Bund dans le
Luxembourg est mise au point lors d'un «congrès catholique à
Eupen». Sans préciser davantage. le quotidien bruxellois affirme
que l'objectif global est de soustraire les populations des campa-
gnes luxembourgeoises à l'emprise de la langue française par
l'extension au Luxembourg de la propagande germanophile déjà
entreprise dans les cantons de l'Est.
«Le but du Bund est d'y introduire un virus et une agitation
dont le germanisme espère bien réaliser quelque profi.t11 (362l
Malgré toutes ces critiques. il est possible que Bischoff se croit
un moment investi d'une mission : ressusciter le combat de
Godefroid Kurth en faveur de la langue allemande. Nous savons
par Alfred Bertrang (363l que Bischoff entreprend des démarches
dans la région auprès de toutes les personnalités influentes du
clergé, de l'administration et de la politique, pour qu'elles se joi-
gnent à son mouvement. Ces démarches échouent. surtout. ex-
plique Bertrang. parce que Bischoff n'est pas originaire de la ré-
gion et qu'il n'inspire aucune confiance.
Nicolas Warker. alors âgé de 70 ans. ne se manifeste pas non
plus. Sa retraite forcée depuis 1918 l'a définitivement éloigné de
toute action linguistique non culturelle. Le radicalisme et l'im-
portance du programme du Bund doivent également refroidir
les plus chauds défenseurs de la langue maternelle. Lespineux a
beau déclarer que la logique le dispute à la modération. c'est dur
à croire. Habaru l'exprime mieux que quiconque :
«Ne croyez pas que vous rêvez : vous avez bien lu. Modéré.
vous entendez, ce programme est modéré ! Le Bund met donc
carrément les pieds dans le plat nous saute à la gorge et veut
nous obliger à chanter le «Deutsch über alles».
«N'est-ce pas à devenir enragé, lorsque nous nous entendons
dire de pareilles choses. à nous. Luxembourgeois de la frontière.
qui savons comment nous vivons, ce que nous parlons, ce que
nous voulons ? N'est-ce pas à devenir enragé de voir des gens.
l362 l Pour germaniser le Luxembourg. op. cit.
' 3631 Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. d t., pp. 150-151.

273
qui ne connaissent certainement pas nos aspirations, prendre
d'un air apitoyé, notre défense ( !), défense dont nous n'avons
que faire, et revendiquer pour nous des choses qui vont à l'en-
contre de tous nos désirs et de notre culture ?
«Non, Messieurs, ce n'est pas vers l'Est que nous nous tourne-
rons ; c'est vers vous qu'iront nos regards courroucés, vous trou-
verez devant vous, dressés comme un obstacle infranchissable,
toutes les poitrines des Luxembourgeois.» <364 l
Ce qui effraie le plus les habitants d'Arlon. c'est la présence
parmi les 2 2 communes où le Bund veut voir la langue allemande
régner, d'agglomérations en grande partie francisées comme Ar-
lon, Athus et Aubange. il n'est plus question de défendre les vil-
lages. C'est la ville elle-même qui est mise en danger par ce pro-
gramme. La menace de germanisation apparaît plus grande en-
core que la tentative de l'occupant car elle se situe dans le cadre
institutionnel belge et dans la légalité. Et si les lois linguistiques
que le Parlement s'apprête à voter mettent en péril le statu quo,
que faut-il redouter d'autre pour le futur?
Dans de telles circonstances. on comprend pourquoi l'oppo-
sition au récent amendement est si vigoureuse alors que deux
députés naïfs croyant bien faire, ont seulement voulu que leurs
concitoyens patoisants puissent être compris dans leurs rela-
tions avec les agents des administrations publiques. L '.A venir a
beau affirmer à juste titre que «pour découvrir dans le texte de
cet amendement et dans la généreuse pensée qui l'inspire, une
tentative de germanisation, vraiment, il faut avoir la phobie des
moulins-à-vents !» <365 l, il est pleinement conscient du danger, de
même que l'Association catholique d'Arlon. Ce n'est pas pour
rien que les deux députés ont retiré leur appui à l'amendement
et que Van den Corput éprouve le besoin d'écrire à !'Etoile Belge
le 23 février 1932 :
«Nous réprouvons les tendances du Bund, de la façon la plus
énergique et la plus absolue.»

L'amendement Renkin
Le 17 février 1932. la Chambre aborde la discussion de l'article
13641 Omer HABARU. Révélations sensationnelles sur le Bund der Deutsch-Belgier.
in Les Nouvelles, lundi 8 février 1932. n ° 33. p. 1.
13651 A propos de l'emploi des langues dans l'administration, in L '.A venir du Luxem-
bourg. vendredi 12 février 1932, n ° 37, p. 1.
274
12 du projet de loi relatif à l'emploi des langues en matière admi-
nistrative. Cet article, auquel on a renvoyé l'amendement David
primitivement rattaché à l'article 3. stipule que la présente loi ne
s'applique pas aux cantons d'Eupen. de Malmédy et de Saint-Vith,
jouissant déjà de mesures spéciales en matière linguistique '366l.
A Arlon, tous les espoirs reposent maintenant en la personne
du député socialiste Jacques qui par son sous-amendement sup-
prime les mots «et d'Arlon» pour ne laisser l'amendement David
efficient que pour l'arrondissement de Verviers. Le député libéral
Camille Ozeray. bien qu'âgé de 77 ans, est également prêt à inter-
venir et à se battre jusqu'au bout pour obtenir satisfaction. il n'est
pas possible de compter sur Van den Corput et Merget qui peu-
vent difficilement combattre un jour ce qu'ils ont présenté la veille.
Le premier ministre Renkin prend tout le monde de court en
proposant dès le début du débat un nouvel amendement en
faveur des communes de langue allemande, amendement qu'il
dépose au nom du Gouvernement '367l.
Pour les communes de la frontière linguistique, la question
de savoir quelle langue elles adopteront est tranchée comme
suit: les communes qui, d'après le dernier recensement décen-
nal. ont une population de langue française supérieure à 50 %,
doivent être administrées en français tandis que les communes
ayant une population de langue flamande supérieure à 50 %,
doivent l'être en flamand. Pour ces communes, le régime fran-
çais ou le régime flamand, suivant le cas. devient obligatoire.
En outre, dans les communes où la minorité compte 30 % de
la population, d'après le dernier recensement. l'administration
est obligée de faire ses avis et communications dans les deux
langues. C'est exactement ce régime que le premier ministre pro-
pose d'appliquer aux communes de langue allemande «avec la
différence que pour celles-ci, il n y aurait pas d'obligation de choisir
comme langue de leur administration la langue allemande, mais
seulement la possibilité de le faire, selon ce qui conviendra aux
autorités communales et aussi l'obligation de publier les avis de
l'administration en langue allemande et dans la langue de la
région linguistique où ces communes se trouvent, dès l'instant
où le demier recensement révèle l'existence d'une minorité d'au

1366l Annales Parlementaires. Chambre des Représen tants. Séance du mercredi


17 février 1932, p. 843.
1367 l Idem.

275
moins 30 %. Je pense que cette solution donnera satisfaction aux
honorables membres intéressés à la question.» '368l
David se rallie immédiatement à l'amendement du premier
ministre et du Gouvernement. finalement peu éloigné de ce qu'il
a lui-même proposé. Il ajoute que les communications verbales
entre la population et les fonctionnaires locaux se fassent en
allemand, en français ou même en flamand, au gré des intéres-
sés. Pas en allemand littéraire bien sûr, mais en allemand du
pays, «c'est-à-dire dans une langue qui n'est pas tout fait la lan-
gue de Goethe» '369l.
Ozeray. à qui Reuter a expliqué qu'il faut obtenir à tout prix le
retrait de l'amendement David, demande si celui-ci est bien re-
tiré et paraît satisfait lorsqu'il en a la confirmation. Mais Jacques,
à l'esprit plus vivace, ne se laisse pas berner:
«Si M David a retiré son amendement, celui présenté par M
le premier ministre y correspond tout à fait. Cet amendement
n'est pas de nature à satisfaire les populations du Luxembourg
qui parlent le patois allemand. .. Là-bas, il ny a pas de question
linguistique, les gens de la région d'Arlon sont d'accord pour ac-
cepter le français comme langue ofB.cielle et personne ne de-
mande à remplacer le français par ]'allemand.
«L'amendement de M le premier ministre me paraît dange-
reux et je prie le Gouvemement de bien vouloir le retirer... Tout
le monde sera satisfait et la région d'Arlon sera sauve. La que-
relle linguistique ny aura pas de prise!» ,37ol
C'est un véritable dialogue de sourds qui s'engage ensuite.
D'un côté, Jacques et Ozeray s'efforcent de démontrer que per-
sonne ne parle l'allemand à Arlon et que l'existence d'un patois
germanique ne justifie en aucune manière une germanisation
de la région. Tous les Luxembourgeois ne désirant que le fran-
çais et pas l'allemand ! De l'autre côté, Merget et Van den Corput
se demandent où leurs deux confrères luxembourgeois voient
une germanisation là où le Gouvernement souhaite seulement
que la population comprenne les avis officiels et les fonctionnai-
res avec lesquels elle est en rapport Les deux mandataires ca-
tholiques soulignent que les conseils communaux conservent la

(3681 Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du mercredi


17 février 1932. p. 843.
(3691 Idem.
mo) Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du mercredi
17 février 1932. p. 844.
276
liberté d'agir au mieux des intérêts de leurs administrés, étant
entendu que la langue française reste évidemment la langue of-
ficielle des régions luxembourgeoises.
Le libéral et le socialiste ne veulent rien savoir. Il n'est pas
question pour eux de mêler Arlon à un problème ou à un statut
linguistique particulier quel qu'il soit. Cela reviendrait à mettre le
doigt dans un engrenage que tout le monde condamne. La ré-
gion d'Arlon veut bénéficier d'un régime identique à celui des
autres régions wallonnes. quitte à ce qu'ensuite les autorités com-
munales ou provinciales mettent en place certains accommode-
ments ou facilités. ce qui se fait déjà d'ailleurs.
La différence entre les deux parties réside dans le fait que Renkin,
Van den Corput Merget et d'autres ne voient pas plus loin que
l'amendement tandis que Jacques et Ozeray sont persuadés qu'après
ce premier pas, d'autres suivront inévitablement Et puis si l'amen-
dement du gouvernement passe, cela équivaut à une première vic-
toire pour Bischoff et ses extrémistes. Durant toute la journée du 17
février. l'ombre du Bund plane au-dessus des débats.
Le député Edmond Jacques :
«ll n y a que le Bund der Deutsch-Belgier qui voudrait que l'alle-
mand fût imposé comme langue véhiculaire dans la région.» Oï il
Le député Camille Ozeray :
«Je me demande comment on peut écrire... qu'il y a des victi-
mes de la langue allemande du côté d'Arlon et de Messancy. La
Ligue des Belges de langue allemande devrait réagir. C'est là une
singulière façon de s'occuper de nos populations... Ce qu'on re-
doute, c'est que les activistes allemands tirent parti de tout cela
en vue de leur propagande.» ,m i
Pressentant des dangers futurs. Ozeray va jusqu'à troquer son
siège de député contre celui de prophète. Il le fait avec une re-
marquable justesse mais, à cet instant. rares sont ceux qui le
prennent au sérieux. Le vieux député est mort en 1938 sans sa-
voir à quel point ses appréhensions étaient fondées et combien
son combat avait été important :
«Un écrivain autrichien. Ludwig Bauer, n'a-t-il pas écrit un li-
vre intitulé «La Guerre de Demain». ll parle dans son livre du

lintervention du député Jacques à la Chambre le 17 février 1932. Annales


01 1

Parlementaires. op. cit. p. 844.


!ml Intervention du député Ozeray à la Chambre le 17 février 1932. Annales
Parlementaires. op. cit.. p. 845.
277
danger de guerre qui pourrait nous menacer et il déclare que la
thèse allemande se manifeste, se révèle au grand jour dans la
phrase que voici : «Ce qui est allemand est à nous .» Cela se dis-
pense de commentaire. Une fois la domination linguistique ac-
quise, la domination politique est en route.» ,373)
Ne voyant pas se profiler d'issue favorable au problème, le dé-
puté socialiste de Saint-Mard redouble d'efforts pour convaincre le
premier ministre catholique. Merget et Van den Corput ne contes-
tent rien à sa description de la réalité linguistique du pays d'Arlon :
«Les gens, qui n'ont pas eu le bonheur d'aller à l'école, ne
comprennent pas plus un texte allemand qu'un texte français.
Cette portion de la population est très minime: dans chaque
localité, il n y a que quelques vieillards qui ne comprennent que
leur seul idiome. La généralité, pour ne pas dire l'unanimité des
habitants de la région d'Arlon, connaît et parle le français ... Comme
mes honorables collègues du Luxembourg, j'ai été en rapport
avec les populations intéressées : «Nous avons besoin de con-
naître le français» m'a-t-on dit, «cette langue nous est indispen-
sable: en fait d'allemand, celui de la rue nous suffit»...
«La population ouvrière de la région d'Arlon a le plus grand
intérêt à connaître le français, parce qu'elle est dans la même
situation frontalière que celle présentée ici par mon ami Vander-
velde. A Arlon et environs, il n y pas d'industries. Là, à moins de
20 kilomètres, se trouve le bassin industriel de Longwy: la popu-
lation ouvrière y est occupée et elle sent mieux que quiconque
que la connaissance de l'allemand ne lui est pas nécessaire.» 0 74l
Le discours d'Ozeray va dans le même sens bien que le dé-
puté apparaisse beaucoup moins à l'aise. Arlonais de naissance,
le député libéral a passé une grande partie de sa vie à Bruxelles.
Aussi. Paul Reuter lui envoie des lettres quotidiennes décrivant
précisément la situation linguistique arlonaise avec en annexe
des extraits de la presse locale. Cela ne peut empêcher Camille
Ozeray de battre le beurre à plusieurs reprises :
«ll est incontestable que la langue parlée par les habitants de 1'ar-
rondissement d'Arlon n'est pas ]'allemand, tout en étant une autre
langue que le français. C'est une sorte de composé d'allemand et de
français, dans lequel se sont même glissés des mots de wallon» ,375 )

' 3731 Intervention du député Ozeray à la Chambre le 17 février 19 32. Annales


Parlementaires. op cit.. p. 486
, 3741 Annales Parlementaires. op. cit.. p. 844.

, 3751 Annales Parlementaires, op. cit.. p. 845.

278
Enfin. le premier ministre Renkin est bien obligé de constater
que toute la presse locale d'Arlon est d'expression française. que
la langue véhiculaire dans presque toutes les écoles primaires
est le français et il croit sur parole les parlementaires luxembour-
geois lui assurant que tous les campagnards parlent le français
avec les fonctionnaires. que dans le commerce. les foires et les
marchés. le français facilite la communication. etc. En consé-
quence. le premier ministre lâche :
«MessieUIS, je demande à la Chambre de voter l'amendement
que j'ai proposé, mais je me réserve le droit de le modifier en se-
conde lecture parce que les observations qui ont été présentées au
sujet du Luxembourg ont attiré mon attention et je m'incline à limi-
ter l'application de cet amendement aux régions qui parlent réelle-
ment la langue allemande et non pas à des régions qui parleraient
un idiome qu'on ne peut appeler la langue allemande.» (376l
Après une nuit de réflexion, Jules Renkin ajoute encore sous
la pression expresse de Jacques :
«Le Luxembourg est classé dans la partie française du pays.
La langue du Luxembourg est le français.11 (m)
A l'opiniâtreté du député socialiste qui veut dissiper toutes
les craintes luxembourgeoises et lui demande encore de ma-
nière formelle s'il est bien entendu que le français est la langue
officielle dans toutes les communes de la province de Luxem-
bourg. le premier ministre, ministre de l'Intérieur et de !'Hygiène.
répond : «Parfaitement.11
Une seconde plus tard. l'amendement du Gouvernement est
adopté par la Chambre. Le deuxième épisode de «l'affaire des
amendements» se termine sur un article 12 ne faisant pas men-
tion du Luxembourg alors que l'article 2 de la même loi précise :
«Dans les provinces de Liège, de Luxembourg, de Namur et
du Hainaut et dans l'arrondissement de Nivelles. les administra-
tions de l'Etat font usage de la langue française.11 (37 s)
A Arlon. le quotidien Les Nouvelles affiche sa joie et titre «VIC-
TOIRE !li:
«La lutte a été chaude. violente même: mais nous étions

<376lAnnales Parlementaires. op. cit. p. 846.


<377lAnnales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du jeudi 18
février 1932. p. 858.
37
< sl Omer HABARU. Victoire!. in Les Nouvelles, samedi 20 février 1932. n ° 42. p. 1.

279
soutenus par la plupart des Luxembourgeois. On est fort quand
on défend une juste cause...
«Victoire! Les employés communaux, provinciaux et de l'Etat
peuvent être rassurés : ils ne verront pas leurs bureaux inondés
de fonctionnaires-traducteurs venant de la région d'Eupen.
«Victoire... la seconde offensive allemande a été repoussée!» <379l
Les Annonces du Luxembourg plus moralistes déclarent :
«Est-on convaincu maintenant qu'Arlon est une ville de cul-
ture française ? Se rend-on compte maintenant combien il est
pénible pour un Arlonais de s'entendre traiter de «Boche» ?» 0 80l
En effet il n'est pas inhabituel que des Arlonais en déplace-
ment à l'intérieur du pays soient affublés de ce qualificatif. Le
phénomène est encore d'actualité et il arrive parfois de nos jours
qu'un public sportif non luxembourgeois accueillant une équipe
de football arlonaise. traite les joueurs de «Boches». Cette atti-
tude est le vestige d'un sentiment plus répandu autrefois parmi
les Belges assimilant les Arlonais aux Allemands. Ce n'est sans
doute pas demain que les footballeurs en déplacement seront
délivrés de cette épithète car en 1931. Habaru écrivait déjà à pro-
pos de ce problème précis: «Voyons. criez «Bandits, Landru, tue-
le, à mort .. , hurlez si tel est votre caractère et si cela vous soulage,
mais ne criez plus jamais «Boches». ll y a des injures qui dépas-
sent toutes les limites.» '38 1l

Duel oratoire à la Chambre


Alors que la presse locale. les députés Jacques et Ozeray affi-
chent le plus grand optimisme. croyant l'affaire réglée. à l'admi-
nistration communale d'Arlon. le bourgmestre Reuter n'est nul-
lement satisfait. Le premier ministre peut déclarer tant qu'il veut
le Luxembourg de langue française. son amendement peut obli-
ger les services des communes où 30 % des habitants déclarent
ne pas parler le français. à rédiger les avis et communications
adressées au public dans les deux langues. La seule différence
fondamentale avec l'amendement David-Merget-Van den Corput

m9i Omer HABARU. Victoil"e !. in Les Nouvelles. samedi 20 février 1932, n° 42. p. 1.
Omer HABARU, Arlon. ville de culture française. in Les Annonces du Luxem-
(J 80l

bourg, dimanche 21 février 1932. n ° 8, p. 3.


80
n Omer HABARU. Ne criez plus Boches. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 1er novembre 1931. n ° 44. p. 4.
280
est qu'on passe du seuil de 50 % à celui de 30 %, c'est-à-dire
qu'en réalité le nouvel amendement est encore pire que le pré-
cédent. Même sil' expression «arrondissement d'Arlon» ne figure
plus dans l'amendement. il est évident qu'Arlon comme n'im-
porte quelle autre commune peut tomber sous le coup de son
application. Ozeray et Jacques se sont laissés tromper par Renkin
qui, consciemment ou non, va encore plus loin que Merget et
Van den Corput.
A ]'Avenir du Luxembourg. on a parfaitement compris la si-
tuation et on s'interroge sur les raisons pour lesquelles certains
crient victoire.
«Les Nouvelles annoncent que l'amendement Renkin ne con-
ceme pas le Luxembourg! Mais du désir à la réalité ! Hélas ! pour
elles, cet amendement. voté à une forte majorité... conceme les
communes d'expression dialectale allemande, qu'elles soient du
Luxembourg ou de la province de Liège.» (382l
La première réaction passée, on se met à réfléchir et à décou-
vrir avec surprise la réalité. Van den Corput la confirme par une
lettre au directeur des Nouvelles : la majorité de la Chambre vient
d'adopter un texte maintenant le français dans toutes les com-
munes indistinctement où l'on parle l'allemand mais donnant
satisfaction à tous les intérêts légitimes d'une minorité de 30 %,
tout en s'opposant à l'emploi exclusif et obligatoire de l'allemand.
Le député catholique s'exprime satisfait et regrette toute confu-
sion avec le Bund der Deutsch-Belgier. mouvement dont il ré-
prouve les tendances et avec lequel il affirme ne rien à voir.
Reuter, persuadé que la propagande récente du Bund est à
l'origine de ses ennuis et de l'attitude du Parlement. décide d'at-
taquer le mal à ses racines. n fonde la «Ligue Belge de Défense
luxembourgeoise», destinée à s'opposer aux menées des
bundistes et à veiller à ce que les intérêts des populations du
Luxembourg ne soient pas lésés.
Le bourgmestre prend lui-même la présidence du comité ras-
semblant en son sein tous les responsables locaux dont l'avocat
Xavier Michaëlis, neveu de Godefroid Kurth. sénateur suppléant
catholique et chef du groupe catholique au Conseil communal:
Albert Goffaux, conseiller communal socialiste et ancien député:
Jules Massonnet. conseiller communal et provincial libéral.

(3821 Toujours à propos de l'emploi des langues dans notre province. in L'A venir
du Luxembourg. dimanche 21 et lundi 22 février 1932. n° 46. p. 1.
281
L'Association commerciale et industrielle d'Arlon y adhère en
bloc.
D'autre part. Reuter multiplie lettres et télégrammes à Bruxel-
les auprès de Jacques et Ozeray afin qu'ils refusent l'amende-
ment du Gouvernement lorsque celui-ci passera en seconde lec-
ture une dizaine de jours plus tard. Ces derniers profitent du
répit pour se faire expliquer par le bourgmestre d'Arlon quelques
points nébuleux. Camille Ozeray dans une lettre adressée à Paul
Reuter:
«Van den Corput. quand on lui dit que notre patois n'est pas
de l'allemand, dit que le curé prêche en allemand à l'église ?
«Si l'on publie des avis en allemand, nos nationaux des envi-
rons d'Arlon les comprendront-ils ?
«L'amendement se sert toujours du mot langue allemande.
Que veut-il dire ?Allemand véritable ou patois ?» (383l
Le 1er mars. à l'approche de la seconde lecture. Xavier Michaëlis
fait parvenir à chaque député, au nom de la Ligue Belge de Dé-
fense Luxembourgeoise. une note les mettant en garde contre
les menées du Bund (3 84).
Le jour fatidique. le mercredi 2 mars. l'Association commer-
ciale d'Athus envoie à chaque représentant luxembourgeois, au
Palais de la Nation, le télégramme suivant :
«Notre association, vivement émue de la question linguisti-
que dans nos régions, demande le statu quo. Le comité : Martin,
Schiltz, Kinard, Johan, Lozet. Lepot. Dujeux, Bems, Mathieu.» (385)
C'est dans l'après-midi que la Chambre aborde la seconde
lecture de l'article 12. Quelques jours auparavant. Ozeray a écrit à
Reuter:
«Maintenant. nous aurons beaucoup de Flamands contre nous.
Huysmans surtout Enfin, je ferai de mon mieux. j'ai été heureux
de ta lettre, je ne savais pas ce qu'on pensait de l'amendement
Renkin à Arlon. .. » (386l

(333 l Lettre de Camille Ozeray à Paul Reuter. Bruxelles. le 23 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
(334l Lettre de Xavier Michaëlis à Paul Reuter. Arlon. le 29 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
(335 l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du mercredi 2
mars 1932. p. 1066.
386
( l Lettre de Camille Ozeray à Paul Reuter. Bruxelles. le 27 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
282
Le président de la Chambre annonce que le député Jacques a
déposé un nouvel amendement à l'article 12, ajoutant comme
paragraphe final :
«Les dispositions du présent article ne sont pas applicables
aux communes de la province de Luxembourg.>> (337 l
Camille Ozeray attaque aussitôt en affirmant qu'il ne votera
pas l'article avec l'amendement Renkin. Il entame alors un long
exposé historique débutant au x_ve siècle et consacré à l'utilisation
des langues dans la région d'Arlon. Ce qui fait dire à de méchan-
tes langues qu'il parle de son enfance (388l. A plusieurs reprises, le
président de la Chambre doit demander à l'assemblée un peu de
déférence vis-à-vis des collègues les plus anciens ...
Poursuivant sans sourciller. le député libéral rappelle une nou-
velle fois les atrocités commises par l'occupant et ses tentatives
de germanisation. Il cite de récents articles des Nouvelles et la
traduction d'un article du Fliegende Taube que Reuter vient de
lui expédier :
«Victoire! Après une grande bataille, le «Bund» est parvenu
grâce à son active propagande à faire remplacer l'article 12 du
projet de la loi linguistique par un amendement déposé par le
gouvemement lui-même. na vaincu, quoique tous les joumaux
lui aient prédit une défaite.» '389l
Cette citation fait sûrement impression sur la Chambre et
Ozeray, afin de culpabiliser davantage ses collègues, enchaîne
avec la réponse du Jaumal du Luxembourg:
«En lisant ces mots en allemand, amis lecteurs, ne croyez-
vous pas retoumés aux jours maudits d'août 1914, où les Alle-
mands dans des communiqués arrogants. annonçaient à nos
populations terrorisées des «victoires sur victoires». Cela n'a-t-il
pas une odeur germanique ?» (39oi
Edmond Jacques prend la relève lorsque son collègue a épuisé
ses batteries. Le Saint-Mardois s'efforce d'abord de rallier à lui
tous les parlementaires socialistes en soulignant qu'il parle au
nom de toutes les Unions communales socialistes de la région.
Il débouche ensuite sur l'unanimité régnant dans le Sud-Est du
Luxembourg, tant parmi les libéraux que les catholiques.

(387 lAnnales Parlementaires, op. cit, p. 1065.


(388l Camille Huysmans déclare notamment : « M Ozeray date de cette époque. »
0 89l Annales Parlementaires. op. cit. p. 1066.

(39ol Idem. p. 1067.

283
Paysans. ouvriers et commerçants luxembourgeois ont uni leurs
voix pour se faire entendre à Bruxelles. On ne peut pas ne pas
les écouter.
Enfin Jacques s'en prend longuement au Bund der Deutsch-
Belgier dont il critique le programme et les objectifs. Le Bund
veut. par exemple. le remplacement des noms français des loca-
lités par les noms allemands. Citant les formes allemandes de
plusieurs villages, il se tourne vers les deux mandataires catholi-
ques luxembourgeois et leur dit :
«Y a-t-il un de mes honorables collègues qui, à l'audition de
ces noms allemands, peut me situer l'une ou l'autre de ces loca-
lités ?» o91l
Aucune réponse ne vient. Evidemment il a pris soin de choi-
sir préalablement les formes allemandes les plus éloignées des
formes françaises. comme Diedenberg pour Thiaumont.
Il expose encore les résultats du dernier recensement de 19 30
et ne cesse jamais de soutenir la thèse selon laquelle ce sont
uniquement des germanophiles d'Aubel qui viennent semer la
discorde dans le Luxembourg. Avant de clôturer. Jacques lance
un ultime avertissement à tous les socialistes. Qu'ils prennent
garde car «ces populations ouvrières n'ont pour vivre que la France
et particulièrement le bassin de Longwy. A Arlon. il n y a point
d'industries: à Athus. il y en a un peu. Mais la généralité des
hommes du pays d'Arlon vont dans le bassin de Longwy. Prenez
garde que cette loi ne soit interprétée. en France. comme un vote
hostile à la culture française. ce que les ouvriers wallons et patoi-
sant l'allemand ne veulent à aucun prix. j'attire votre attention
sur la situation pendant qu'il est encore temps. Acceptez l'amen-
dement que j'ai déposé. si vous ne voulez rejeter celui voté lors
du premier vote, et nos populations seront tranquilles : la ques-
tion linguistique aura vécu chez elles !» '392l
Pour le premier ministre Renkin. silencieux jusqu'alors. les dé-
putés luxembourgeois agitent des mystères impénétrables :
«je ne comprends littéralement rien à cette discussion ... (hila-
rité). Je ne vois pas comment nous pouvons soulever l'émotion
en proposant pour les communes qui. d'après le dernier recen-
sement. sont en majorité de langue allemande. le droit. si les
administrations communales le désirent. d'user et d'organiser

(39 1l Annales Parlementaires. op. cit. p. 1067.


(3921 Idem. p. 1068.
284
leur administration en langue allemande ou en langue française.
n ny a pas d'obligation à ce propos. Les communes décideront
en toute liberté. Dès lors. à quoi riment les discours que nous
venons d'entendre ?
«Ce qui domine l'application de cette disposition. c'est je le
répète, la liberté. Les communes seront simplement astreintes à
faire les communications dans les deux langues si 30 % de la
population le désirent Dès lors. je ne comprends pas les obser-
vations qui ont été présentées... Jamais nous n ·avons envisagé la
gennanisation d'une partie du pays.11 (393l
C'est le Liégeois Emile Jennissen. député libéral. qui fait com-
prendre au premier ministre que personne ne doute de sa bonne
foi mais que le Bund exploitera cette disposition contre lui, grâce
à «de l'argent qui ne sera pas toujours de l'argent belge11 (394l.
La principale opposition vient du rapporteur Frans Van
Cauwelaert qui reprend avec habileté les arguments de Camille
Ozeray et d'Edmond Jacques :
«Les honorables préopi.nants affüment que le régime français
n'a jamais donné lieu à aucune difficulté dans la province de
Luxembourg Mais dès lors. de quoi s'inquiètent-ils ? Pourquoi.
s'émeuvent-ils ?...
«Vous prétendez, d'une part que la population est complète-
ment satisfaite du régime actuel et d'autre part. vous semblez vous
effrayer de l'action du Bund. Reconnaissez donc que c'est là une
contradiction évidente: ou bien ce Bund trouve écho dans la po-
pulation, et ce serait signe que cette population n'est pas aussi
indifférente à son sort linguistique que vous le prétendez. ou bien
la population est absolument indifférente à celui-ci. et alors vous
n'avez rien à craindre... ll y a une disproportion flagrante entre la
réalité et le senti.ment qu'elle inspire à MM. Jacques et Ozeray. Le
texte tel quïl est proposé, est modéré et prudent..11(395 i
L'amendement de Jacques est inacceptable pour Van
Cauwelaert car la province de Luxembourg présente des situa-
tions identiques à celles existant dans la province de Liège. On
ne peut pas faire un sort différent à ces populations. Les citoyens
de langue allemande de la province de Luxembourg ont les mê-
mes droits que ceux de la province de Liège. on ne peut donc

(393l Annales Parlem entaires. op. cit.. p. 1068.


,394 l Ide m .
(395l ide m .

285
pas les soustraire à la loi. Le rapporteur considère qu'une telle
solution constituerait une méconnaissance des droits de ces
populations et au lieu de prévenir l'agitation linguistique, on lui
fournirait la meilleure raison de se développer.
En définitive, c'est l'éloquence et la persuasion de trois autres
parlementaires qui font pencher la balance en faveur du statu
quo. Dans les rangs socialistes, l'appel de Jacques a été entendu.
Léon Troclet se met à évoquer ses souvenirs et raconte à ses
collègues dans quelles circonstances en 1896. il a pris la parole
devant les ouvriers grévistes des ardoisières de Martelange. n
avait parlé en français, lentement et tous l'avaient parfaitement
compris. Depuis cette époque, explique-t-il, la langue française
est encore plus répandue. Après cet exemple peu convaincant
dans un sens ou dans l'autre. Troclet insiste sur l'unanimité
luxembourgeoise contre l'amendement et le ridicule de chercher
à provoquer ou à animer des luttes linguistiques dans une ré-
gion où le conflit des langues est inexistant :
«Les commerçants d'Arlon et des régions avoisinantes sont
contre l'amendement de M le ministre. Les ouvriers aussi, puis-
que nous avons déjà reçu des lettres de plusieurs groupements
de travailleurs insistant dans le même sens. Eh bien, parce que
vous voyez les commerçants, les bourgeois et les ouvriers d'ac-
cord entre eux, allez-vous donc chercher à les tracasser?» '396l
Le député libéral Jennissen ajoute à ce discours que le retrait
de l'amendement s'appliquant au Luxembourg par Van den
Corput et Merget. le langage que ceux-ci ont tenu en reconnais-
sant les progrès du français et l'inutilité d'une telle mesure, doi-
vent être interprétés par la Chambre comme un désaveu et une
opposition à ce projet de tous les députés luxembourgeois.
Cela est pleinement exact et la discrétion dont font preuve
les deux catholiques le prouve. Partant de là. Jennissen conteste
au rapporteur de la commission tout pouvoir ou toute autorité
pour exiger que l'article 12 s'appliquât au Luxembourg. Allant
encore plus loin que Jacques. il demande le retour au texte pri-
mitif de la section centrale où il est dit que la loi ne s'applique
pas aux cantons d'Eupen, de Saint-Vith et de Malmédy, et la
suppression pure et simple des mesures relatives aux provinces
de Liège et de Luxembourg.
Emile Vandervelde parachève la discussion en constatant qu'il

(396l Annales Parlementaires. op. cit, p. 1068.

286
n'y a jamais eu de protestation dans le Luxembourg contre le
régime actuel. Dans ces conditions. il propose de rétablir le texte
original et de supprimer toute disposition en faveur des com-
munes du Luxembourg ou de la province de Liège.
Van Cauwelaert reconnaissant le silence ou l'émotion qui se
sont emparés des représentants du Luxembourg dit :
«ll n y a dans cette affaire aucune obstination de la part de qui
que ce soit: nous avons toujours estimé qu'il importait de faire
œuvre de conciliation. .. Dans ces conditions, je propose de re-
prendre le texte primitif..» (397l
Quelques instants plus tard. Ozeray télégraphie à Arlon. à son
ami Reuter : «Amendement Renkin retiré. Remerciements.
Ozeray.» (393l

Arlon contre le Bund der Deutsch-Belgier


On imagine le soulagement et la joie qui s'emparent de la po-
pulation et de la presse arlonaises. Toutefois. si l'affaire semble
dans le sac. le dernier acte doit encore se jouer quelques mois
plus tard lorsque le Sénat examine le texte à son tour. Quant à la
Chambre. elle s'apprête à discuter le projet de loi linguistique en
matière d'enseignement La tâche s'annonce moins difficile pour
les Arlonais puisque les députés viennent de reconnaître formel-
lement que tout le Luxembourg est de langue française et ont
parfaitement compris qu'en matière linguistique. la population
souhaite de tout cœur le statu quo. Mais la prudence s'impose car
un mouvement considéré comme pangermaniste. guette.
Mais quelles sont les relations du Bund avec l'Allemagne ?
Dès mars 1932, lors de la discussion à la Chambre. le député
liégeois Emile Jennissen aborde cette question et déclare que le
Bund exploitera la nouvelle loi «avec de l'argent qui ne sera pas
toujours de l'argent belge» '399l. De même. lors de son véritable
réquisitoire contre le Bund. le parlementaire libéral rappelle l' exis-
tence en Allemagne d'une importante association pour la dé-
fense du «Deutschtum» à l'étranger. largement subsidiée par le
gouvernement allemand :

(397l Annales Parlementaires. op. cit. p. 1070.


(39sJ Télégramme de Camille Ozeray à Paul Reuter. Bruxelles. le 2 mars 1932. Pa-
piers Paul Reuter (AE.A).
(39 l Annales Parlementaires. op. cit, p. 1068.
9

287
«Notre honorable collègue n'ignore sans doute pas les crédits
extraordinaires qui se trouvent au budget allemand en faveur de
cet organisme. Pourquoi ignorerions-nous que l'association
subsidie les groupements ayant les mêmes buts, qui se trouvent
à l'étranger?» (4oo)
Il s'agit là d'une pure hypothèse. introduite à point nommé
dans un discours partisan dont le but est d'obtenir le retrait d'un
amendement. Mais il est certain que le «Verein Eür das
Deutschtum im Ausland», association créée après 1919 pour la
promotion du caractère allemand à l'étranger, apporte son aide
aux divers organismes ou mouvements défendant la langue et
la culture allemandes à travers le monde. Peu après l'affaire des
amendements, Habaru consacre un article fort à propos à la pro-
pagande allemande dans les pays étrangers. Il s'attache spécia-
lement au «Deutsches Ausland Institut», complément du V.DA
mais entièrement distinct. Il décrit les relations constantes de
l'Institut avec ses milliers de correspondants à travers le monde
et les millions d'émigrés allemands des deux Amériques. Selon
Habaru, cet organisme s'intéresse davantage encore aux «frères
de race ou de langue allemande» résidant en Europe et plus par-
ticulièrement à ceux des régions citées par l'Allemagne dans les
traités de paix. Avec une régularité impressionnante. la revue
mensuelle de l'Institut consacre dans chacun de ses numéros.
un chapitre spécial au germanisme dans les «territoires séparés»
où l'Alsace arrive en tête. Habaru cite les paroles récentes d'un
sénateur du Bas-Rhin, Frédéric Eccard, dénonçant lui aussi ce
«foisonnement de propagande» :
«L'intervention du Reich le secours de la race mère. est de-
mandée contre les injustices des Etats étrangers à l'égard de leurs
citoyens d 'origine allemande, qui veulent conserver leur Volkstum
germanique.» (4o1l
Sans mettre directement en cause le Bund. Habaru conclut
que la propagande allemande en Belgique qui se limitait jus-
qu'alors aux cantons rédimés, s'efforce à présent «d'empoison-
ner l'opinion publique même en vieille Belgique. ll n 'est que temps
d'y mettre le holà.» (4oz)
La campagne des Arlonais pour sensibiliser les Belges à la

14001 Annales Parlementaires. op. cit. p. 1070.


14oi1 Omer HABARU, La Propagande allemande à l'étranger. in Les Nouvelles. lundi
7 mars 1932. p. 1.
14021 Idem.

288
situation linguistique existant dans leur région se poursuit. Paul
Reuter fait appel à une personnalité de choix : Charles Magnette.
le président du Sénat. Compte tenu des circonstances. on ne
pouvait trouver mieux. Originaire de Virton. l'homme politique
libéral dit bien connaître le pays d'Arlon. On le voit accorder des
interviews à différents journaux belges :
«M Magnette n'a pas hésité à nous dire que. de plus en plus,
l'usage du français se répandait dans tout l'arrondissement d'Ar-
lon. que le patois luxembourgeois. qu'il connaît et a beaucoup
pratiqué quand il était jeune avocat. n 'a avec l'allemand que de
très lointaines ressemblances. qu'il est mélangé à haute dose de
français et même d 'un peu de flamand. mais qu'il est tout à fait
inadmissible d'assimiler à une langue organisée, ou même de
l'en rapprocher. ce patois informe qui. d 'ailleurs, tend de jour en
jour à disparaître.
«C'est. nous a-t-il dit. une mauvaise action, d'ailleurs réprou-
vée par l'immense majorité des Luxembourgeois du Sud. de vou-
loir éveiller dans cette partie du pays, une nouvelle querelle lin-
guistique qui ne peut avoir qu'un résultat- comme ceux qui l'ont
suscité ne peuvent avoir qu'un but - nuire à la culture française
et tendre à la germanisation progressive de la Belgique.» (4o3J
A l'approche de l'examen par le Parlement des projets de lois
linguistiques. Paul Reuter propose aux différents responsables
politiques locaux que la Ville d'Arlon rappelle de manière offi-
cielle sa volonté en cette matière. On ne se répète jamais assez
et une surprise du Bund est toujours à redouter.
Alors que le bourgmestre préconise une protestation en ter-
mes généraux. le leader catholique du conseil communal. l'avo-
cat Michaëlis. fait remarquer qu'une protestation contre l'usage
de l'allemand serait beaucoup plus efficace si le Bund der Deutsch-
Belgiers·y trouvait flétri. il propose un texte plus sévère débutant
par les mots: «Vu le programme du Bund.... ». Le bourgmestre se
ralliant à cette suggestion. le texte est adopté à l'unanimité par le
Conseil communal (4o4J
il est remarquable de constater qu'à une époque où les séan-
ces du conseil communal sont célèbres par leur chahut par leur
surenchère réciproque de cris et de poings brandis. où des

14031 Le patois lux embourgeois et la loi linguistique. in L'Etoile Belge. samedi 5


mars 1932. p. 1.
14041 L'administration communale d'Arlon contre les m en ées du B.D.B.. in Mir

welle jo keng Preisen sin, dimanche 19 août 1934, p. 2.


289
bulletins blancs tombent régulièrement dans l'urne lorsque le
bourgmestre procède à un scrutin pour l'élection d'échevins. où
un anticléricalisme issu tout droit du XIXe siècle fleurit à mer-
veille. et où le cri de «à bas la calotte» est encore le cri de combat
et de ralliement des bleus et des rouges arlonais. sur un point
en quelques instants. tous les libéraux. les socialistes et les ca-
tholiques se trouvent d'accord. Partir en guerre contre le Bund
der Deutsch-Belgier et son programme en faveur de la langue
allemande devient un trait d'union entre les trois partis :
«Vu le programme du BUND DER DEUTSCH-BELGIER
«Attendu que la situation linguistique à Arlon ne prête à aucune
réclamation quelconque;
«Attendu que le français est la langue employée par l'immense
majorité de la population;
«Attendu qu'aucun grief n'a été élevé contre des fonctionnaires
quelconques, que ceux-ci s'acquittent de leur mission à la satis-
faction de tous;
«Attendu que le français est la seule langue véhiculaire de l'Ad-
ministration locale et que personne ne trouve à s 'en plaindre;
«Attendu qu'il est souverainement ridicule que des étrangers sans
qualité essaient de créer un mouvement qui va à l'encontre de
tous les désirs de la population arlonaise;
«DECLARE que le vœu de la population est de garder le statu
quo en matière linguistique,
«et PROTESTE contre les menées du BUND DER DEUTSCH-
BELGIER» (4o5)
La réponse du Fliegende Taube ne se fait pas attendre. Pour la
feuille d'Aubel. en guise de fumier d'où il lance son cri. le coq
gaulois a élu domicile à l'hôtel de ville d'Arlon. Quant aux Arlonais.
valant pour l'intelligence des enfants au sein. ils sont qualifiés d'in-
comparables gueulards venant au monde avec des poils aux dents.
Des délicatesses de ce type s'échangent chaque semaine pen-
dant des années entre le Bund via le Fliegende Taube et Paul Reu-
ter. via Omer Habaru dans Les Nouvelles. Ce dernier baptise le
pigeon volant «l'organe des Mouettards de l'Est» et a rapidement
transformé l'abréviation «B.D.B.» (de «Bund der Deutsch-Belgier,1)
en «Bande De Boches».

' 4051 Protestation votée par le Conseil communal d'Arlon réuni en séance ordi-
naire le 16 mars 1932. Archives de l'Administration communale d'Arlon.
290
Parmi toutes les polémiques qui suivent. relevons une prise
de position de la Fédération Nationale des Anciens Combattants,
section d'Arlon, qui lors de sa séance du 1e, mars 1932. la veille
de la discussion à la Chambre de l'amendement Renkin, lance
un appel à ses membres pour «qu'ils ne tolèrent jamais, ni de
personne, que leur patois familial et ancestral. devienne le pivot
- intéressé pour des indignes - d'une campagne tendant à une
division nouvelle de la Patrie sous le souffle à peine déguisé, du
Gennain férocement combattu et battu.» (406l
Naturellement le comité du B.D.B. répond comme à chaque
attaque (4o7l_ Mais les anciens combattants n'en restent pas là. Us
prennent contact avec Joseph Willems, l'éditeur du journal, afin
d'obtenir la publication des noms, titres et qualités des membres
du comité du BD.B. (4osl. En effet. à l'exception de l'article de
Lespineux paru en février dans la Revue Catholique des Idées et
des Faits, et renseignant Bischoff. Schaul et Somerhausen comme
dirigeants du mouvement. les noms des membres et autres diri-
geants ne sont mentionnés nulle part Personne ne sait qui en fait
partie. Par contre la lettre envoyée par les anciens combattants est
signée par les 13 membres du comité de la section d'Arlon parmi
lesquels figure en deuxième position l'inspecteur de l'enseigne-
ment Perbal. n n'y aura jamais de réponse à cette demande. Le
caractère fantomatique et secret du Bund persiste, ce qui encou-
rage la population dans son sentiment d'avoir affaire à un mouve-
ment subversif et malfaisant dont l'origine se situe à l'étranger.
Les esprits se troublent encore davantage lorsque l'abbé
Keufgens, révérend doyen d'Eupen, consacre un article au pro-
blème linguistique dans le doyenné de Montzen, qui paraît le 18
mars dans la Revue Catholique des Idées et des Faits, et se ter-
mine par : «que l'on me pennette une remarque pour Bnir : je
n'ai aucune accointance avec le Bund der Deutsch-Belgier dont
on a beaucoup parlé ces temps derniers. Ne le connaissant même
pas, je ne l'approuve, ni le désapprouve.» (4o9l

14061 Ordre du Jour de la Fédération Nationale des Combattants. section d'Arlon.


Séance du 1er mars 1932. Papiers Omer Habaru.
14071 Zur Sprachenfrage. Antwort auf den Sclachtmf der Areler Abteilung der Fé-

dération nationale des Combattants. in Fliegende Taube. samedi 19 mars


1932. n° 23, p. 1.
14081 Lettre du comité de la Fédération Nationale des Combattants à l'éditeur du

Fliegende Taube. Papiers Omer Habaru.


14091 Abbé KEUFGENS. Le problème linguistique dans le doyenné de Montzen. in

Revue Catholique des Idées et des Faits, vendredi 18 mars 1932. n° 52.
291
Si l'abbé Keufgens. originaire de Montzen. doyen d'Eupen. en
relation avec nombre d'intellectuels. de fonctionnaires. d'ouvriers ...
de la région. ne connaît pas le Bund sept mois après sa création.
il y a de quoi s'interroger quant à sa réelle existence. Tandis que
les anciens combattants d'Arlon refusent de «se battre contre un
fantôme» - suspect de vouloir détruire la patrie et donc de haute
trahison - le Bund se fâche devant toutes les accusations de pan-
germanisme dont il est victime dans la région et répond à ses
ennemis en leur posant huit questions. dont certaines doivent
embarrasser plus d'un Arlonais. C'est à n'en pas douter Bischoff
qui se trouve à l'origine de ces interrogations (4 ioi.
Le Bund rappelle en premier lieu que le mouvement en fa-
veur de la langue allemande a été déclenché par Godefroid Kurth
quarante ans auparavant. Il ne fait que continuer son œuvre. Dès
lors. il pose la question: Godefroid Kurth était-il pro-allemand?
Poursuivant. il se souvient qu'une trentaine d'années plus tôt.
Camille Ozeray a emboîté le pas au député Lorand et d'autres
encore pour demander à la Chambre la mise sur pied d'égalité
du français et de l'allemand dans la région. Et le Bund s'inter-
roge: Camille Ozeray et ces parlementaires étaient-ils pro-alle-
mands? Entre 1893 et 1914. de nombreuses requêtes et péti-
tions en faveur de la langue allemande ont été envoyées au Roi
et au Gouvernement par les instituteurs du pays d'Arlon et les
membres du Deutscher Verein. Le Bund se demande : ces insti-
tuteurs et ces membres du Verein étaient-ils pro-allemands?
Outre ces trois questions pertinentes. axées sur l'idée de con-
tinuité entre le Bund et le très respectable Verein de l'illustre
Godefroid Kurth. suivent cinq autres questions moins intéres-
santes. fondées parfois sur des inexactitudes ou des faits contes-
tables.
Lors de la discussion à la Chambre du projet de loi linguisti-
que en matière d'enseignement. en juin 1932. Camille Huysmans
reprend le reproche du Bund à Camille Ozeray quant à son chan-
gement d'attitude envers la langue allemande depuis une tren-
taine d'années (4 1Il.

l4 I0l Fliegende Taube. samedi 4 juin 1932. p. 1.


l4 1 o Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du vendredi
10 juin 1932. pp. 2037-2038.
292
Les faits remontent à novembre 1896. lorsque de Limburg-
Stirum et quelques autres parlementaires avaient sous l'impul-
sion du Deutscher Verein demandé au Parlement la reconnais-
sance de l'allemand comme langue administrative. Ozeray avait
à l'époque soutenu cette revendication qui n'avait cependant pas
abouti. Ce rappel un peu pénible pour Ozeray. compte tenu de
son attitude en 19 32. est à l'origine d'un léger incident avec Huys-
mans à la Chambre. Exhumant triomphalement cette vieille af-
faire, l'ancien ministre des Sciences et des Arts déclare: «j'étais
présent!» (4 12i
Ozeray. déconcerté par cette évocation, répliqua : «Vous n'étiez
pas encore au monde à cette époque. Je suis beaucoup plus vieux
que vous.» (Hilarité) (4 i 3i
Huysmans affirme qu'il était à la tribune de presse en 1896 et
qu'il peut aujourd'hui constater le changement total d'attitude
du député luxembourgeois.
Le socialiste a raison et Ozeray le sait. Aussi. il n'essaie pas de
nier ou de fuir la question. Calmement il explique à l'assemblée
l'évolution des 38 dernières années et le tournant de 1914:
,ife vous demande, messieurs, quelle contradiction il y a entre
mon attitude d'alors et celle que j'ai aujourd'hui. Nos popula-
tions ont connu l'invasion dans toute son horreur et notre
vaillante population, qui a tant souffert, n'est plus dans les mê-
mes sentiments qu'avant la guerre. Son esprit a changé, elle ne
veut plus de l'allemand.
,if'étais à Arlon, messieurs. pendant ces journées tragiques
d'août 1914. j'étais là lorsque nous avons entendu d'honibles
détonations retentir dans la ville,
<1'étais là lorsque nos frères, les martyrs de Rossignol et d'ailleurs,
sont tombés sous les balles ennemies. Si vous aviez été là aussi.
vous qui aujourd'hui m'attaquez, vos idées seraient peut-être autres
que celles que vous professez en ce moment» (4 14l
Par ces quelques mots. Ozeray exprime le sentiment de tous
les Luxembourgeois et la justification de leur comportement face
à la langue allemande. U rappelle également à Camille Huys-
mans ce que ce dernier a appris à Arlon en 19 27 mais qu'il a,
semble-t-il. oublié. Cette tragédie de 1914, omniprésente dans

(4 12iet (4 13l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du ven-


dredi 10 juin 1932. pp. 2037-2038.
(4141 Idem.

293
les pensées, sert également de réponse au Bund qui se présente
comme l'héritier de Kurth :
«ll y a eu la guerre. Et savez-vous comment il l'apprécie, la
guerre, votre champion Godefroid Kurth, votre porte-drapeau.
votre bouclier ?
«Ouvrons le Guet-Apens Prussien et lisons:
«La Belgique était jusqu'au 3 août 1914, le jardin de la civilisa-
tion européenne: elle n'en est plus aujourd'hui que le cimetière.
Ses villes sont détruites, ses villages brûlés, ses beaux monu-
ments réduits en cendres, ses bibliothèques anéanties, ses habi-
tants massacrés ou déportés en Allemagne ou réduits à la mi-
sère. .. Je cite l'Allemagne devant le tribunal de la conscience hu-
maine: qu'elle essaie de répondre à mon acte d'accusation !» (4 i 5J
Le Bund a beau clamer qu'il n'a rien à voir avec l'Allemagne et
la guerre mais qu'il est le descendant du Verein de Kurth et que
rien n'a changé depuis 1893. il se trompe totalement. En plus. la
presse libérale ne s'efforce jamais de le comprendre et le combat
ni plus ni moins comme un nouvel envahisseur teuton.
Le jugement le plus modéré et probablement le plus juste, car
dégagé de toute polémique facile et inutile. se retrouve dans }'Ave-
nir du Luxembourg. sous la plume de Camille Decker (41 6l. Ce
dernier se félicite que le Bund ne veuille pas voir disparaître de
la province le patois luxembourgeois et l'allemand littéraire «qui
malgré tout ce que l'on en a déjà dit. n y sont pas si inconnus ou
délaissés». Mais la prétention du Bund de faire de l'allemand la
langue véhiculaire des écoles et des administrations des com-
munes patoisantes et même d'Arlon. d'Athus et d'Aubange. est
«mauvaise».
Pour Decker, le bilinguisme administratif dans certaines com-
munes est à la limite défendable et ne mérite pas que l'on crie à
la germanisation. Par ce point de vue, le journaliste catholique
soutient l'attitude récente de Van den Corput et Merget. Mais
faire systématiquement ou sournoisement la guerre au français
devient suspect et Decker regrette le comportement du Bund

(415l Omer HABARU, Les huit questions du Bund. Réponse d'un ancien combat-
tant. in Jaumal du Luxembourg. dimanche 26 juin 1932. n° 26. p. 1 ; diman-
che 3 juillet 1932, n° 27. p. 1 : dimanche 10 juillet 1932. n° 28. p. 1.
(416l Camille DECKER. La réponse du Bund der Deutsch-Belgier. in L'A venir du
Luxembourg. jeudi 9 juin 1932, p. 1.
294
Le caractère étranger (non luxembourgeois) du mouvement
dérange profondément Même si le curé de Tintange est mem-
bre de la direction, il est évident que le Bund ne trouve aucune
assise dans la province. L'agacement atteint son comble chez
Decker chaque fois que le Bund dit «Notre Langue» ! Ce patois
est aux Luxembourgeois et à eux seuls. Ce n'est ni de l'allemand,
ni la langue parlée dans les cantons rédimés ou dans certaines
communes de la province de Liège. On n'a donc pas besoin que
des étrangers tentent de l'imposer aux Luxembourgeois. Quant
aux «calomnies» dont le Bund se plaint Camille Decker se mon-
tre très clair :
«Vous a-t-on calomnié? Si c'est exact reconnaissez qu'il y a
beaucoup de votre faute. On vous pardonnerait de défendre si
vigoureusement la pauvre langue allemande en Belgique, tout
en n'étant pas de votre avis, si tout d'abord vous ne donniez pas
l'impression de travailler suivant un mot d'ordre venu l'on n e
sait d'où: si vous étiez plus modéré dans vos revendications: si
vous teniez compte de l'évolution linguistique en nos régions: si.
surtout vous n 'attaquiez aussi inconsidérément la France, le fran -
çais, et quiconque admire et cultive la langue française. le génie
français: si. en.in, vous travailliez moins dans l'ombre, dévoiliez
votre but, vos moyens, les noms de vos dirigeants. Croyez-vous
que les articles comme celui qu'un des vôtres a publié dans la
Revue Catholique des Idées et des Faits, comme votre grossière
réponse aux anciens combattants soient de nature à faire du
bien à votre propre cause ?
«Pour preuve de votre civisme, vous répondez : «Nous n 'avons
jamais crié Vive l'Allemagne !». n ne manquerait plus que cela !
Mais ici encore vous faites une confusion lamentable, en repro-
chant à d'autres de crier: «Vive la France!». Vous n 'allez tout de
même pas mettre ces deux nations sur le même pied, je sup-
pose ! Avez-vous oublié que la France fut notre alliée et l'Allema-
gne notre ennemie mortelle, dont nous devons encore et plus
que jamais nous méBer? Ne prétendez-vous pas d'autre part
défendre la culture allemande en Belgique ?Et vous nous repro-
chez d'appeler la France notre patrie spirituelle, sans que d'ailleurs
cette appellation ne nous fasse d1llusion sur le caractère égoïste
de la politique économique française à notre égard! Vraiment
vous prenez plaisir à confondre et à créer de la confusion.
«Nous voulons bien que dans l'intention vous ne soyez pas
des pangermanistes, et cela, malgré vos exagérations si mala-
droites. Mais nous persistons à croire, que inconsciemment ou
295
non, vous faites en Belgique, le jeu des pangermanistes. ll y a
d'ailleurs chez vous des gens qui sont loin de nous donner à ce
sujet tous nos apaisements.» (41 7l
La voix de la sagesse n'est pas entendue du côté de Montzen
ou de Tintange. Le Bund continue sur sa lancée, avec les mêmes
méthodes et toujours dans le mystère. Les coups bas entre
Fliegende Taube et journaux libéraux se poursuivent. Les prises
de position contre le Bund se multiplient. Le conseil communal
d'Athus, dans la foulée de celui d'Arlon, vote à l'unanimité une
protestation contre le programme et la propagande du Bund. ll
demande le statu quo en matière linguistique.
Au Sénat. le vote de la loi linguistique en matière administra-
tive ne soulève pas de difficultés. Les sénateurs ne remettent pas
en cause la décision de la Chambre: «ll faudra que le Bund re-
passe une autre fois» (41 8l.
A la Chambre, l'ancien premier ministre Prosper Poullet dé-
pose son rapport sur les différents textes, propositions et projets
en matière de langue dans l'enseignement. Parmi eux. le projet
relatif à l'enseignement primaire amendé par le Sénat le 8 juillet
de l'année précédente. Le ministre propose au nom de la com-
mission un nouveau texte plus général et baptisé «Projet de loi
concemant le régime linguistique dans l'enseignement gardien,
primaire et moyen». Il sert de base au débat.
D'après les différents articles de ce nouveau projet. la langue
véhiculaire de l'enseignement dans les écoles gardiennes, pri-
maires et moyennes des communes d'expression allemande est
l'allemand. Il en va de même pour le français et le flamand dans
les régions wallonne et flamande du pays.
A Arlon. on est toujours inquiet et les journaux provoquent la
panique dans le corps enseignant en annonçant que le projet Poullet
suppose le remplacement des instituteurs. institutrices et profes-
seurs dont la connaissance de l'allemand n'est pas approfondie.
par des enseignants venus d'Eupen qui attendent avec impatience
des places et l'occasion de germaniser la jeunesse arlonaise (419l.
En réalité, il n'en est rien. Lors du vote de la dernière loi
linguistique. la Chambre a formellement reconnu que le Luxem-
bourg tout entier est de langue française. Aussi. à part quelques
14171 C. DECKER. La réponse du Bund.... op. cit
14 181 Omer HABARU, Pas d'allemand à l'hôtel de ville. in Les Annonces du Luxem-
bourg. dimanche 26 juin 1932. n ° 26, p. 3.
14 191 La troisième langue nationale, in L 'Etoile Belge. mercredi 20 avril 1932. p. 1.

296
heurts entre Camille Huysmans et Camille Ozeray, tout se passe
bien. Léon Troclet demande immédiatement des éclaircissements :
«Si je comprends bien lïntention du gouvernement, les com-
munes d'expression allemande sont celles qui sont devenues
belges d'après le traité de Versailles et où la langue habituelle de
la population est l'allemand. ll ne peut être question, je pense,
d'aucune des communes de l'ancienne Belgique.. » (4 zo)
La réponse du ministre des Sciences et des Arts. Robert Peti-
tjean. est définitive et sans équivoque possible :
«Comme je l'ai déclaré au Sénat, le législateur vise les com-
munes de la nouvelle Belgique où la langue maternelle des en-
fants est incontestablement l'allemand.» (421 l
Les communes de l'ancienne Belgique ne furent plus jamais
considérées par le Parlement belge comme d'expression alle-
mande. Elles n'étaient donc plus concernées par ces lois.
Cet événement peut être considéré comme une défaite pour
le responsable luxembourgeois du Bund, l'abbé Schaul. Quel-
ques mois auparavant le comité du Bund était intervenu direc-
tement auprès du vicomte Poullet en faveur des Belges de lan-
gue allemande. Le Fliegende Taube, véritable moniteur du Bund.
s'en vanta en déclarant que le projet Poullet portait les traces
visibles des entretiens les plus amicaux que le Bund avait eus
avec le vicomte. En fait même sans intervention de Bischoff, le
texte de loi aurait probablement été le même, la véritable ques-
tion étant de savoir s'il s'appliquerait ou non au Luxembourg. La
réponse fut négative.
A partir de juillet 1932. la pression du Bund dans le Luxem-
bourg décroît progressivement. Les articles relatifs à la neuvième
province se font de plus en plus rares dans la feuille d'Aube! et
les tracts disparaissent des boîtes aux lettres. La ligue des Belges
de langue allemande n'a rien obtenu pour la province. Pire. elle
n'y a rencontré qu'hostilité générale, protestations de conseils
communaux, d'associations diverses et création d'une ligue de
défense luxembourgeoise. La région d'Arlon n'obtient rien du
vote des grandes lois linguistiques. A regret Bischoff délaisse le
Luxembourg allemand. terre natale et terre de combat de son
maître, Godefroid Kurth. pour se consacrer davantage aux autres
régions de langue allemande en Belgique, moins difficiles.
'
420
l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 2 juin 1932,
p. 1900.
(42 1l Idem.
297
nest cependant une chose pour laquelle l'ancien professeur re-
nonce à baisser les bras : son procès pour calomnie intenté aux An-
nonces du Luxembourg et à travers elles. à Omer Habaru et à Paul
Reuter. L'article litigieux date du 8 novembre 1931 mais le procès a
été reporté tout au long de 1932. nva défrayer la chronique en 193 3.
L'affaire se plaide devant la deuxième chambre du Tribunal civil
de Bruxelles. L'avocat Marc Somerhausen représente les intérêts
d'Henri Bischoff tandis que Paul Reuter. avocat à Arlon, a demandé
à son ami bruxellois Albert Devèze de défendre Omer Habaru.
Alors que l'affaire s'annonce pour le mois de mars 19 33. Devèze
est appelé le 17 décembre 1932 aux fonctions de ministre de la
Défense nationale. il se fait remplacer par son fils Michel et par
l'avocat Mayer (4 22l.
Bischoff réclame 20.000 francs de dommages et intérêts, plus
dix insertions du jugement dans des journaux au choix. Son er-
reur est d'intenter l'action contre Habaru à Bruxelles. Se basant
sur la loi qui déclare que le préjudice résultant d'un article, peut
être porté devant le tribunal de tout lieu où un exemplaire du
journal a été distribué. il choisit la capitale car la société bruxel-
loise l'Awdliaire de la Presse fait la distribution des Annonces du
Luxembourg (423 l_ Evidemment. il n'aurait eu aucune chance de-
vant un tribunal arlonais.
Les avocats d'Habaru plaident aussitôt l'incompétence du tri-
bunal de Bruxelles. Le député socialiste Somerhausen s'efforce
de démontrer que des numéros incriminés ont été diffusés à
Bruxelles. y causant des dommages pour son client. Sans doute
n'est-il pas suffisamment convaincant car le tribunal de Bruxel-
les se déclare incompétent et condamne Bischoff aux dépens.
En effet. les avocats d'Habaru parviennent à démontrer que l'Awd-
liaire de la Presse n'a pas reçu le journal en question par les
Annonces du Luxembourg mais par les Annonces Liégeoises de
Liège. En conséquence, la distribution à Bruxelles est étrangère à
la société défenderesse et cette subtilité juridique l'emporte (424 )_
il reste toujours à Bischoff la possibilité d'intenter un procès
ailleurs, à Arlon par exemple. Il ne le fait pas.

(
422
l Télégramme d'Albert Devèze à Paul Reuter. Bruxelles. le 30 janvier 19 33. Pa-
piers Paul Reuter (AE.A.).
423
' l Exposé des faits. par Henri Bischoff. demandeur. contre la société anonyme
Les Annonces du Luxembourg. défenderesse. Papiers Omer Habaru (Arlon).
l Le procès du Bund devant le Tribunal de Bruxelles. in Les Nouvelles. mer-
424
'

credi 5 avril 1933. p. 1.


298
La presse est sans pitié pour Bischoff Le Soir écrit qu'il a trouvé
les défenseurs qu'il méritait pour son action contraire aux senti-
ments et aux intérêts des populations de la province de Luxem-
bourg. Mais les journaux belges remarquent surtout que la Deutsche
Allgemeine Zeitung de Berlin proteste énergiquement contre le
procès intenté à Bruxelles au président de l'Association des Bel-
ges de langue allemande. Visiblement le journal hitlérien n'a pas
bien saisi qui attaque qui. il affirme encore que l'association a pour
unique objet de conserver la langue allemande vivace dans cer-
tains cantons du Luxembourg belge et que ses membres ont tou-
jours fait preuve de loyalisme envers la Belgique.
L'occasion est trop belle pour Habaru qui ne la rate pas :
«A Dinant aussi, d'après les journaux allemands, c'étaient les
civils qui avaient tiré. Et, plus récemment encore, ce furent les Juifs
qui martyrisèrent les pauvres troupes hitlériennes. Si l'on en croit
les communiqués ofEciels. bien entendu. Est-ce que, par hasard.
les 121 fusillés de Rossignol ne se seraient pas suicidés ?>1 (425 J
Dès le mois d'avril 19 33. le nom d'Omer Habaru est connu et
peut-être déjà noté sur une fiche quelque part à Berlin.
Après ce terrible échec pourBischoff. l'activité luxembourgeoise
du Bundtombe totalement en veilleuse. Même les échanges épi-
sodiques d'indélicatesses entre les Nouvelles et le Fliegende
Taube cessent. On n'entend plus parler du Bund.
Fin 1933. alors que le Parlement examine le projet de loi sur
l'emploi des langues en matière judiciaire. le ministre de la Jus-
tice. Paul-Emile Janson. prend ses précautions afin d'éviter tout
problème concernant la région d'Arlon. L '.A venirrapporte ses pro-
pos en titrant «Pour l'heureuse solution des problèmes locaux11.
Le ministre libéral déclare au sujet du patois allemand utilisé par
la population luxembourgeoise :
«A mon avis. il faut tenir compte de cet état de choses dans le
choix des magistrats qui auraient éventuellement à juger les
différends ou les infractions que ces populations pourraient com-
mettre. Ainsi, par exemple, je sais qu'à Messancy et à Arlon, très
heureusement les deux juges de paix connaissent le patois en
usage dans la région. Dans le choix des candidats aux postes dans
la magistrature, je ne manquerai pas de tenir compte de leur con-
naissance, nécessaire, à mon sens, de la langue locale.11 (426l
1415 lLe Bund et nous. Bischoff est condamné aux dép ens. in Les Annonces d u
Luxembourg. dimanche 9 avril 1933. n° 15. p. 3.
1426! Camille DECKER. A propos de sages déclarations de M le ministre Janson.
Pour l'heureuse solution des problèmes locaw,. in L'A venir du Luxembourg.
mardi 19 décembre 1933. p. 1.
299
Camille Decker se félicite de ces propos :
«Quoi de plus souhaitable, en effet que la connaissance de no-
tre patois régional des magistrats de nos divers tribunaux. nne faut
pas être un assidu de nos justices de paix d'Arlon, Fauvillers et
Messancy pour savoir qu'il se traite bien plus de questions en pa-
tois local qu'en français: demandeurs, défenseurs et témoins usent
en grande majorité de cette langue qu'ils connaissent mieux ou
parfois exclusivement .. Evidemment cette solution ne saurait plaire
à certains meneurs du Bund, pour qui notre langue maternelle est
l'allemand! Nous n'avons cessé de nous défendre contre les me-
nées de cette assodation qui, par ses revendications plus ou moins
tapageuses voudrait créer chez nous une querelle des langues.»(4m
Cet exemple illustre parfaitement la différence de méthode.
d'attitude et de résultats obtenus entre le Bund der Deutsch-Belgier
et les défenseurs locaux du patois. Depuis 1914. ils ne revendi-
quent plus en faveur de la langue allemande mais uniquement du
patois. Au lieu de développer des théories et de dénoncer des
oppressions inexistantes. ils tiennent compte de la réalité et de
faits concrets. Rejetant les «criailleries bruyantes et toujours stéri-
les réclamant des mesures et des réglementations» (428l, ils s'en
remettent à la bonne volonté réciproque. à la sagesse des gouver-
nants et à la reconnaissance du droit de chacun.
«Tout peut se faire sans heurt. sans tapage, dans le plus grand
respect de la langue française que les villageois - n'en déplaise au
Bund - veulent de plus en plus, et sans léser les intérêts de qui que
ce soit ni faire de l'antipatriotisme ou pousser à la désunion.» (429l
Evidemment. il n'en fut pas toujours ainsi mais la guerre a
tout bouleversé. En un seul mois, celui d'août 1914. l'Allemagne
a définitivement tué la langue allemande.

Retour et disparition du Bund


Au nouvel an 1934. les dirigeants du Bund se réunissent chez
le doyen d'Eupen. l'abbé Keufgens. Apparemment ce dernier a
fait leur connaissance depuis juin 1932. Leur but est de transfor-
mer le mouvement et de relancer son action. notamment dans
le Luxembourg (43 ol.
427
, 1. ' 4281 et
'4291 Camille DECKER. in L'Avenirdu Luxembourg. mardi 19 décembre
1933.p. l.
(43o1 Der Bund der Deutsch-Belgier. Abteilung Provinz Luxemburg. in Fliegende
Taube. samedi 4 août 1934. n° 62.
300
A cette occasion. Henri Bischoff abandonne la présidence. of-
ficiellement pour raisons de santé. Mais on peut croire que le
Bund veut redorer son blason. Or le discrédit et la suspicion pe-
sant sur la personnalité de Bischoff compromettent son nouvel
envol. En décidant de quitter la partie visible du Bund. le profes-
seur facilite son renouveau. L'organisation interne du mouve-
ment est également modifiée. On n'en conserve que deux sec-
tions: celle de Liège et celle du Luxembourg. peut-être les deux
seules qui existèrent jamais avec au moins un affilié. Quant à la
présidence. elle est partagée entre les responsables des deux
comités : le professeur J. Langhor. de Gemmenich. et le curé F.
Schaul. de Tintange (43 1l.
D'importantes décisions sont également prises au point de
vue religieux. On inscrit dans les statuts que le Bund est catholi-
que et qu'il ne peut prendre position contre la foi et les tradi-
tions de l'Eglise. On ajoute encore qu'il est belge et uniquement
belge. Patriotisme et religion. les deux points forts de Kurth. de-
viennent les chevaux de bataille du Bund
A Arlon. on croit le mouvement dissous. enterré. Au mois de
février. la presse locale annonce que le Bund vient de publier un
manifeste laissant entendre qu'il compte bientôt reprendre son
activité. Le communiqué précise que l'abbé Balter. curé émérite à
Bodange. est aux côtés de l'abbé Schaul à la direction de l'asso-
ciation. On y fait à peine attention.
En ce début du mois d'août 1934. les Arlonais se préparent à
célébrer le 2oe anniversaire de l'invasion du pays et surtout du
massacre de nombreux civils. De grandes cérémonies commé-
moratives franco-belges sont prévues pour le 19 août à Arlon.
C'est ce moment que choisit le Bund der Deutsch-Belgier pour
contre-attaquer. Le samedi 4 août 1934. chaque foyer du pays
d'Arlon reçoit dans sa boîte aux lettres une édition spéciale du
Fliegende Taube consacrée exclusivement à la province de
Luxembourg et aux activités du Bund (432l. Le 4 août est le jour
anniversaire de l'invasion du territoire belge et c'est ce même
jour qu'un pigeon allemand pénètre dans chaque maison de la
région. Pour une provocation. il était difficile de faire mieux.
Le ton des articles est toutefois pondéré et constructif Le Bund
apparaît catholique. royaliste et kurthiste. Il rappelle de manière
élogieuse le combat de Kurth pour sa langue. soutient l'action du

1430 et 14321 Die Fliegende Taube. samedi 4 août 1934. n° 62.


301
roi Léopold III et appelle au maintien et à l'extension de la lan-
gue maternelle afin de préserver l'entité régionale tant au point
de vue religieux qu'au point de vue des traditions et du folklore.
Pour la première fois, il se montre au grand jour ou en tout cas
essaie de donner cette impression. Il cite les noms de ses diri-
geants (déjà dénoncés par la presse d'opposition depuis des
années). Il publie ses statuts et ses objectifs. Il reconnaît son ac-
tion souterraine depuis 19 31 et désigne ses ennemis : les libé-
raux et leur presse francophone. Il s'interroge quant aux meilleurs
moyens de développer l'allemand à l'école, dans les administra-
tions et dans la justice. Il affirme n'avoir aucun rapport avec le
ministère de la Propagande à Berlin, œuvre du Diable ! Des slo-
gans simples. en caractères gras, quadrille le journal :
«Ein Volk, das seine Muttersprache verleugnet. ist reif für die
Sklaverei » - « Ein Volk das seine eigene Sprache verliert.... wird
ein feiges Pack, aus dem man machen kann, was man will » -
«On est autant de fois homme que l'on connaît de langues» - «In
deutscher Sprache : ja ! Für die deutsche Sache : nein ! »
La riposte est foudroyante et fatale pour cet indésirable. Cette
première action dans le Luxembourg du nouveau Bund est aussi
sa toute dernière. Du côté catholique, on n'apprécie pas du tout.
Camille Decker s'en prend violemment au journal de Willems
qu'il traite de «vulgaire canard qui ferait mieux de ne pas s'aven-
turer aussi loin du pigeonnier natal» (433 l, Il rappelle que récem-
ment la feuille d'Aubel a fait la joie du Heimatbund en invitant
les jeunes gens de la nouvelle Belgique à s'incorporer dans des
compagnies allemandes pour éviter tout contact avec des Wal-
lons. Il souligne que Godefroid Kurth n'a jamais écrit qu'en fran-
çais, preuve incontestable que le grand historien appréciait la
supériorité de la langue française pour la diffusion de ses idées
et l'éducation des masses. Enfin, il ajoute cette phrase traduisant
tout : «Depuis la mort de Kurth il y a eu la guerre» (434l,
Pour Decker, le Bund se trompe. Il est inutile, inopportun, mal-
faisant et dangereux. Il repose sur une équivoque : le mythe de
l'allemand qui serait la langue maternelle des Arlonais. Il tente
de jeter l'émoi au sein de la population pour arriver à ses fins. Il
cherche à créer un mysticisme linguistique qui attirerait néces-
sairement des réalisations en sens inverse et serait générateur

!433l et !4 , 4 l Camille DECKER. Pigeon vole!, in L'Avenir du Luxembourg. mardi 7


août 1934. n ° 180. pp. 1-2.
302
11. J.IDGIU(Q IWIST&a 1. .wausr tsJ4

Der Bund der Deutsch-Belgier. H~teilun~ ~rniinz luxem~urn


---IO-.
.............
Dem Konige aller Belgier 1
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An unsere Leser 1 Unsere Vork!mpfer
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~ ~ bcnlu CRen ..toca Tod l'mlldel oder buidlle~ er Uq, hl dea leul,o
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- . 411: la Wei~ U Frldwatlirc. Prœt•
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DIMANCHE. 19 AOUT 1034

MIB WELLE JO
KEKG PBEISEl\T SIN Nous ne voulons pas être des Prussiens
1ouraal cré~ par IOUIICl'Îptioo publique pour. n!pondre au ·FLIEGENDE TAUBE

303
de disputes et de mésententes. Il donne l'occasion aux anticléri-
caux de jeter le discrédit sur certaines personnalités catholiques
et. par suite d'une généralisation fatale, sur tout ce qui est catho-
lique dans la région.
A l'Administration communale d'Arlon, on ouvre une sous-
cription publique pour pouvoir éditer un journal répondant au
Bund et qui sera distribué à chaque habitant du pays d'Arlon.
C'est le jour des manifestations patriotiques, le dimanche 19
août 19 34. que le journal sort de presse. Le titre de ce spécimen
unique est inscrit en énormes caractères gras très expressifs : «MIR
WELLE JO KENG PREISEN SIN», avec comme sous-titre : «Nous
ne voulons pas être des Pmssiens». L'éditeur responsable de cette
publication est Omer Habaru. Mais ce sont tous les Arlonais qui
serrent les rangs autour de lui. Jean et Xavier Michaëlis. neveux
de Godefroid Kurth, ont versé 50 francs à la souscription pour
«protester contre ]'accaparement de ce grand nom par les propa-
gandistes du Fliegende Taube». Le gouverneur. les responsables
communaux. les anciens combattants ...y condamnent le Bund
On rappelle ses défaites au Parlement. le procès intenté par
Bischoff, les atrocités de la guerre et on compare Bischoff à Loeb.
Le principal article de la première page s'intitule «Une infâme
provocation». Il décrit la surprise des patoisants découvrant chez
eux le Fliegende Taube:
«Quelle ne fut pas l'indignation de nos populations luxem-
bourgeoises en trouvant dans leur counier. au matin de ce jour
sinistre, un joumal rédigé en allemand qui nous incitait à retour-
ner totalement vers la culture allemande.
«Beaucoup crurent à première vue, qu'il s'agissait d'un joumal
hidérien payé par les fonds de propagande pour l'extension du ger-
manisme à l'étranger. Mais les quelques rares patoisants qui l'exa-
minèrent et qui furent capables de le déchiffrer. remarquèrent avec
stupéfaction qu'il était imprimé en Belgique, à Aubel, dans les envi-
rons de Vervier.s, et que c'était un habitant de notre province qui en
prenait la responsabilité : le curé Schaul de Tintange.» (435 l
Jusqu'en 1933. c'est le président Henri Bischoff qui s'est trouvé
au centre de tous les tirs. A partir du 4 août 19 34. le curé Schaul lui
succède en première ligne. Omer Habaru lui écrit une lettre ouverte :
«On vous l'a déjà dit: si vous vous ennuyez en Belgique, per-
sonne ne vous y retient Partez sans crainte, on ne versera pas

!435 i Une infâme provocation. in Mir welle jo keng Preisen sin, dimanche 19 août
1934, p. 1.
304
beaucoup de larmes. Surtout depuis votre dernier exploit, de-
puis que vous avez fait diffuser dans toute notre région un jour-
nal activiste allemand qui portait comme date: 4 août, anniver-
saire de la déclaration de guerre. C'est à se demander si vous
n'avez pas souvent mal à la tête ! Pourquoi avoir choisi cette date ?
Pour le plaisir de nous froisser? Pour nous faire enrager?
«Vous êtes désapprouvé et condamné par tous les dirigeants
catholiques de la province, vous ne rencontrez aucun encourage-
ment parmi vos collègues, vous ne réussissez pas à faire des adep-
tes.... et vous voyez au contraire, tout le monde se dresser contre
vous ! Cela vous amuse ?Mais vous finirez bien par vous aperce-
voir que tant va la cruche à l'eau qu'à la En elle se casse.» (436)
Et la cruche casse. Toute la presse s'y met : le curé Schaul à
Tintange ? Adhésion formelle à un groupement activiste, refus
d'arborer le drapeau national et de sonner le glas à l'occasion de
la mort du roi Albert. paroles regrettables prononcées en chaire,
propagande en faveur de livres et de journaux allemands, reçoit
fréquemment des visiteurs en voiture avec un grand «D». etc.
Autant d'informations invérifiables pour l'historien mais qui por-
tent leurs fruits. On n'entendit plus parler du Bund dans la pro-
vince de Luxembourg et il semble que le curé Schaul cessa toute
activité dans ce domaine. Peut-être que Mgr Heylen. évêque de
Namur, prit les mesures qui s'imposaient lorsqu'un membre de
son clergé commença à éclabousser l'Eglise. Mais la disparition
du Bund peut aussi s'expliquer d'une toute autre manière.
Dès la distribution gratuite du Fliengende Taube. le 4 août
Camille Decker pose à nouveau l'importante et éternelle question :
«D'où vient l'argent? Nous aurions beau faire si nous devions
poser cette question à propos d'un tas d'articles et de procès
dont l'inspiration vient d'un côté opposé de l'horizon.» (437)
Curieusement. il semble qu'à cette époque. Bischoff est reçu à
plusieurs reprises à Berlin dans le cadre de ses efforts en faveur
de la langue allemande en Belgique. Cela explique le soutien de
la presse allemande dont il bénéficie lors de son procès (43s).

14361 Camille DECKER. Pigeon vole!. in L'Avenir du Luxembourg. mardi 7 août


1934. n ° 180, pp. 1-2.
14371 C. DECKER. Pigeon vole..., op. cit
14381 Témoignage du journaliste Kurt Grünebaum (1910-1988). recueilli à Bruxel-
les le 9 mai 1985. Kurt Grünebaum fut rédacteur au journal Le Peuple. corres-
pondant au Grenz Echo et à la Neue Zürcher Zeitung. D'origine allemande. il
se spécialisa dans les problèmes des cantons de l'Est et dans les relations
entre la Belgique et l'Allemagne.
305
D'autre part. trois choses sont certaines :
- le Bund de Bischoff a très peu d'adhérents. En additionnant le
nombre de ses membres ou sympathisants connus. le total n'at-
teint pas dix personnes. A la différence du Verein de Kurth. il ne
publie jamais la liste de ses membres et n'envoie jamais de
pétitions signées par des milliers ou même des dizaines d'affi-
liés. Il maintient toujours le mystère sur ce point
- le Bundn'organise jamais d'activités lucratives comme des spec-
tacles. des conférences. des prêts ou des ventes de livres:
- les campagnes de propagande du Bund sont très importantes :
distributions gratuites de journaux. de tracts et de brochures à
des milliers de foyers de la région. sans parler de la campagne
de presse permanente dans les colonnes du Fliegende Taube.
On ne peut que constater la grande disproportion entre ses
éventuelles rentrées financières. même en supposant qu'il ait
des centaines de membres. et ses dépenses. En fait l'étude des
archives allemandes accessibles depuis la fin de la guerre a dé-
montré que le mouvement de Bischoff était subsidié par l'Alle-
magne '439l. Son financement fut interrompu en 1935 après que
l'ambassade d'Allemagne ait constaté que l'action du B.D.B. pro-
voquait une réaction négative parmi la population belge. Le
gestapiste arlonais Paul Lespagnard témoigne en 1946 :
«Je sais de source sûre du dénommé Zillicken Georges. diri-
geant du Verein für das Deutschtum im Ausland (v.D.A.) pour la
province du Rhin à Düsseldorf. que de 1932 à 1935, le mouve-
ment et son organe ont été .inancés par le VD.A. de Düsseldorf.
J'ignore toutefois l'importance des versements qui étaient effec-
tués par l'intermédiaire du Heimattreuenfront d'Eupen ... En 1935,
le professeur Bischoffs'étant trop avancé, l'ambassade allemande
a fait des remontrances à Zillicken qui les a transmises au pro-
fesseur Bischoft le mouvement ayant provoqué un mouvement
and-allemand. A la suite de cela, les fonds ont été coupés. Le
mouvement a végété jusqu'en 1936 pour disparaître ensuite.» (44ol

(439l Martin SCHÀRER. Deutsche Annexionspolitik im Westen. Bonn. 1978.


(
440
l Audition de Paul Lespagnard à Arlon. le 25 avril 1946. Sûreté de l'Etat P.V. n°
5498. Papiers Omer Habaru.
Arlonais d'origine grand-ducale. Paul Lespagnard fut un des principaux agents
de la Sipo et du S.D. dans la province de Luxembourg. Condamné à mort par
le Conseil de guerre d'Arlon. il fut fusillé en 1947.
306
VIII. RENFORCEMENT DES RELATIONS
FRANCO-BELGES A ARLON

Les fêtes commémoratives franco-belges


d'Arlon en 1934
L'événement de l'année 1934 dans le chef-lieu du Luxem-
bourg est «l'inoubliable fête franco-belge d'Arlon» du dimanche
19 août (44 1l. Depuis 1908, jamais pareille manifestation d'amitié
entre la région et la France ne s'était déroulée. Arlon se souvient
des milliers de soldats français tombés en août 1914 en se por-
tant au secours des Luxembourgeois. C'est également le zoean-
niversaire des massacres de civils et la Ville tient à prouver «sa
Bdélité à leur mémoire sacrée et sa volonté de garder les hautes
leçons de leur sacrifice» (442l.
Cette fête remarquablement réussie mobilise toute la popula-
tion et tout ce que le Luxembourg compte comme autorités.
Elle débute tôt le matin lorsque la foule accueille à la gare les
officiels français et la musique bleu-horizon du 168e régiment
d'infanterie de Thionville, aux cris de «Vive la France! Vive la
Belgique !». Une «Brabançonne» répond aussitôt à une «Mar-
seillaise» jouée par la musique du régiment des Chasseurs Ar-
dennais. Après une réception à la gare, un cortège réunissant
toutes les sociétés locales, les associations d'anciens combat-
tants ... défile en ville. Sous les drapeaux belges et français, on
ranime la flamme du souvenir sur la place Léopold. Tandis que
les Croix du Feu prennent position aux côtés des Mutilés de
Longwy, le gouverneur Van den Corput (443 ) prononce un discours
musclé contre l'Allemagne :

14411
L'Avenirdu Luxembourg. mardi 21 août 1934, n° 191. pp. 1-2-3.
14421 Idem. p. 1.
14431 Né en 1872, le député catholique Fernand Van den Corput devient gouver-

neur de la province de Luxembourg le 27 septembre 1932.


307
«Nous nous souvenons de l'inqualifiable agression dont nous
fûmes victimes et nous ne pouvons oublier les massacres d'hom-
mes, de femmes, d'enfants, de vieillards, de blessés achevés froi-
dement par les envahisseurs.... Du côté de l'Est on continue à par-
ler de paix mais nous préférerions des actes aux paroles. Tant que
la mentalité revancharde d'Outre-Rhin n'aura pas changé, nous
devrons rester sur nos gardes. Il faut que nous soyons forts.» (444l
Les allocutions se succèdent : celle du colonel français Causse.
du lieutenant-colonel Chardome... Le délégué du ministre de la
Santé, Barthélémy. s'attache particulièrement à décrire la situa-
tion tragique des Alsaciens et des Lorrains en 1914. Le président
du comité organisateur, l'Arlonais Fritz Barnich. exprime ensuite
son admiration pour la France :
«Quant au noble peuple de France, son courage est légen-
daire. En tombant sur notre sol, ses dix mille morts ont écrit la
première page d'une épopée nouvelle dont les batailles de Verdun
devaient constituer le chapitre le plus glorieux et qui comme
tout beau livre, devait se terminer par la victoire, une belle, une
grande, une très grande victoire. La France est notre plus belle,
notre plus sympathique voisine.» (445 l
Toute la journée. banquets. concerts. réceptions. toasts ... se sui-
vent Dans la région. tous les sportifs participent au Rallye interna-
tional pour autos. motos et vélos organisé par le Motor Club Luxem-
bourgeois et la Fédération Motocycliste de l'Est Tard dans la nuit.
en entend encore les airs de «Sambre et Meuse», de la «Marche
Lorraine» et les cris de «Vive la France! Vive la Belgique!».

Le 25e anniversaire de l'Association pour la


Culture et !'Extension de la Langue
française
Vingt-cinq années que le sourire de ce «bon Van Doorem (446l
illumine les conférences françaises à Arlon. cela devait se
fêter. Depuis 1910. la section luxembourgeoise de l'Association

l444l L'Avenirdu Luxembourg, mardi 21 août 1934. n° 191. p. 3.


t445 lArchives de l'Association Commerciale et Industrielle d'Arlon. Le pharma-
cien Fritz Barnich. président-fondateur de l'ACJ.A est mort au camp de
Neuengamme en 1945.
t446l Omer HABARU. Vive l'Ardenne Monsieur le Ministre!. in Les Annonces du
Luxembourg. dimanche 16 février 1936. p. 3.
308
diffuse la culture française en invitant des conférenciers de choix
dans le chef-lieu provincial.
En ce début d'année 1936. le comité d'Arlon prépare son an-
niversaire sous la présidence du bourgmestre Paul Reuter. n suc-
cède à Numa Ensch-Tesch qui s'est éteint en 1929. après avoir
présidé aux destinées de l'Extension de l'Université de Bruxelles
pendant près d'un quart de siècle puis à celles de l'Association
Française. D'autres encore ont disparu. comme le notaire Char-
les Hubert ou Camille Cerf. décédé à Paris en janvier 1936.
Depuis la guerre. il n'existe plus de rivalités à Arlon entre dé-
fenseurs de la langue allemande et de la langue française. Même
le clergé a évolué et ne rejette plus la culture du grand pays ami.
Fernand Van den Corput. gouverneur du Luxembourg. n'est autre
que le président d'honneur de l'Association et c'est sans diffi-
culté aucune qu'en vingt-cinq années. Arlon a accueilli toutes
«les personnalités les plus représentatives du génie français» (447 J,
de Jules Romains (1922) à Paul Séguy (1932). de Paul Doumer
(1911) à René Lalou (1927).
La manifestation a lieu le samedi 8 février 1936. Elle se dé-
roule en présence de l'ambassadeur de France à Bruxelles.
Laroche. du consul général de France à Liège. Sarrien. du maire
de Longwy et député de Meurthe-et-Moselle. Amidien du Clos.
du gouverneur Van den Corput. du bourgmestre Reuter. du di-
recteur des Beaux-Arts. Glésener. du fondateur de l'Association.
Maurice Wilmotte. et de nombreuses autres personnalités.
Après les cérémonies et les réceptions à l'hôtel du Gouverne-
ment provincial et à l'hôtel Beau-Site. après les dépôts de gerbes
au Mémorial franco-belge et au Coq gaulois. une soirée de gala
animée par Eva Reynal de l'Odéon et Piene Dux. de la Comédie
Française. clôture la fête à l'Auditorium (44 sJ.
Cette heureuse manifestation est financée par une souscrip-
tion publique à laquelle participent généreusement la Ville d'Ar-
lon. la Province et l'ambassade de France (449 J_

1447 l Association p our la culture et l'extension de la langue fran çaise. comité


d'Arlon. XXV' anniversaire. 1910-1935. Arlon. 1936. p. 21.
144 si Omer HABARU. Le XXV' anniversaire de l'Association Française. in Les
Nouvelles. lundi 10 février 1936. pp. 1-2.
l449 l Lettre de F. Sarrien. consul général de France. à André Mortehan, agent

consulaire de France à Arlon. Liège. le 7 décembre 1935. Papiers Association


Française (A E.A).
309
On profite du soeanniversaire de la disparition de Victor Hugo
pour rappeler son séjour à Arlon en août 1862. On conte la visite
de Voltaire à la dernière marquise du Pont d'Oye en 1745. les
journées difficiles que Chateaubriand, gravement malade, a con-
nues à Arlon en 1792 à son retour du siège de Thionville, et on
n'oublie pas Goethe qui, la même année, s'est arrêté à Arlon après
la débâcle de Valmy (450l.
Dans son discours, le président Reuter souligne les progrès
récents du français. espérant que d'ici peu la région d'Arlon ne
comportera plus d'habitants ne parlant pas ou ne comprenant
pas le français. nsouhaite de tout son cœur le maintien du Luxem-
bourgeois et salue ses défenseurs désintéressés, puisant dans le
répertoire des écrivains patoisants (Dicks, Lentz, Ménard ...) pour
organiser de temps à autre une représentation théâtrale. Mais
pour le bourgmestre d'Arlon. il est clair que le dialecte n'a plus
qu'un caractère folklorique :
«Ce patois savoureux, amalgame d'expressions allemandes
francisées et de mots français affublés d'une tournure germani-
que, reste au point de vue purement folklorique, un vestige inté-
ressant du langage de nos ancêtres.» (45 i i
Par contre, il est sans pitié pour ceux qui se sont servis du
patois pour combattre la langue et la culture françaises à des fins
politiques:
«D'aucuns ont cru déceler. dans cette survivance du dialecte
luxembourgeois. la trace d'un instinct ethnique, comme une
germanophilie latente, une parenté d'origine et d'aspirations avec
le Deutschtum débordant ses frontières.
«Certains même se sont bercés de l'illusion qu'une propagande
adroite eût pu exploiter avantageusement, pour des B.ns politi-
ques prudemment dissimulées, cette coexistence d'un patois al-
lemand avec le français, devenu depuis la séparation de 1839, la
langue administrative et judiciaire exclusivement usitée même
dans nos communes rurales.
«L'insuccès le plus absolu a... couronné leurs efforts.

t45 oi Paul REUTER. Quelques hôtes d'Arlon dans le passé. in Association pour la
culture et l'extension de la langue française. XXV' anniversaire. 1910-1935.
Arlon. 1936. pp. 22-26.
t45 ,i Paul REUTER. idem. p. 20.

310
«Le Deutscher Verein fondé en 1909, au lendemain de notre
Congrès d'Arlon (452 ), n'a fait que végéter lamentablement...
«Pendant l'occupation, l'envahisseur teuton s'est ingénié à ger-
maniser l'administration et ]'enseignement .. Le mouvement de
réaction a été spontané et unanime...
«ll y a quelques années, certains germanophiles impénitents
ont tenté de ressusciter la propagande pro-allemande dans nos
contrées, sous les espèces d'un Bund der Deutsch-Belgier. qui
n'a jamais compté comme membres que la trinité de ses fonda-
teurs... Les désaveux les plus cinglants sont venus tuer dans le
germe cette campagne malsaine...» (453l
Pour Paul Reuter. il ne pouvait en être autrement et l'Associa-
tion Française a fait œuvre utile et fructueuse au cours de ses
vingt-cinq années d'existence. Elle peut fêter son jubilé avec le
sentiment d'avoir largement rempli la mission qu'elle s'était fixée :
contribuer à l'extension de la langue et de la culture françaises.

(452l Contrairement à ce que Reuter déclare. le Verein ne fut pas fondé en 1909 en
réaction au succès du Congrès d'Arlon. il fut créé en 189 3 et c· est le Congrès
d'Arlon qui constitua une réaction aux menées des germanophones luxem-
bourgeois.
(453l Paul REUTER. Quelques hôtes d'Arlon dans le passé. op. cit. pp. 20-21.

311
IX. INTERLUDE
Cinq années de calme et de paix linguistique succèdent à cette
étonnante période de lutte et de combat dont peu se souvien-
nent aujourd'hui. Dans une situation internationale préoccupante,
face à une Allemagne nazie toujours plus agressive, ce sont les
problèmes de défense de la frontière qui animent désormais les
esprits et rassemblent les combattants de la veille dans de nou-
veaux comités pour de nouvelles polémiques. Le Luxembourg
est en alerte. Fort de la triste expérience de 1914. il exige une
armée capable d'arrêter l'invasion à sa frontière.
A la veille de la guerre, plus personne en Belgique ne se pré-
occupe de la question des langues dans la région si ce n'est un
journaliste bruxellois en quête de contrées touristiques incon-
nues:
«Des rares pays bilingues qui existent encore en Europe, on
rapporte un souvenir confus et dédaigneux. Jamais, je n'ai res-
senti si profondément la honte et le ridicule du bilinguisme qu'en
débarquant dans la gare d'une ville située au Sud-Est de la Belgi-
que. Toutes les indications étaient en plusieurs langues, mais les
trois ou quatre personnes auxquelles je m'adressais pour leur
demander un renseignement me répondirent dans un effroya-
ble charabia d'allemand et de français, dont on avait toutes les
peines à comprendre un traître mot Non ce n'est pas un bon
moyen pour attirer les touristes que de s'avilir au rang de bâtard,
bien au contraire...» (454l

(45 4l S. SIEBERECHTS. Pour les touristes. in L'Jndépendance Belge. dimanche 23


juillet 1939. n ° 204. p. 4.
312
X- L'OCCUPATION ALLEMANDE ET LE
SPECTRE DE L'ANNEXION (1939-1944)

Matthias Zender :
un spécialiste allemand à Arlon
Du côté allemand. on a parfaitement perçu les effets désas-
treux des campagnes menées dans la région arlonaise par le
mouvement du professeur Bischoff. L'effort en faveur de la lan-
gue allemande et de la germanisation de l'Arelerland, financé
indirectement par le «Verein für das Deutschtum im Ausland»
(V.DA) est un échec complet. Jamais les réactions anti-alleman-
des n'ont été aussi vives et aussi nombreuses à Arlon (455l,
La stratégie développée jusqu'alors est à repenser. Mais il faut
avant tout se documenter et s'informer sur la réalité du caractère
allemand du pays d'Arlon car le fourvoiement très grave des res-
ponsables du V.DA est dû à une méconnaissance quasi totale
de la situation linguistique de cette région.
Par le passé. on s'est peu intéressé au problème. Seules. les
publications du Deutscher Verein de Kurth et le petit ouvrage de
Loeb. vieux de plusieurs décennies, ont laissé supposer l'exis-
tence d'un germanisme arlonais et d'une oppression linguisti-
que de la population. S'appuyant sur des textes démodés et sur
une analyse superficielle. on a cru aisée la création rapide d'un
mouvement local revendicatif. desservant à moyen terme les in-
térêts et la politique du meReich. Mais on n'a pas pris en compte
le développement chez les patoisants de sentiments de culpabi-
lité et d'hostilité à l'Allemagne et à sa langue après la guerre 1914-
1918. Beaucoup de questions restent sans réponse. Quelle est
l'importance actuelle de la mentalité et du dialecte germaniques ?

(455 l Audition de Paul Lespagnard à Arlon, le 25 avril 1946. Sûreté de l'Etat P.V.
n° 5498. Papiers Omer Habaru.
313
Arlon peut-elle être considérée comme une ville allemande ?
Quelle est la situation dans l'enseignement? Où en est la franci-
sation? Est-elle irréversible? Comment modifier la tendance?
Où se situent les ennemis et les amis de la langue allemande ?
Qui sont-ils ?
Envoyer un spécialiste sur place est une nécessité pour savoir
à quoi s'en tenir. Dès 1935. un jeune assistant universitaire quitte
le «Geschichtliches Institut für die Kunde des Rheinlandes» de
l'université de Bonn pour le sud du Luxembourg belge. Issu d'une
famille de cultivateurs de Niederweis. dans l'arrondissement de
Bitburg. Matthias Zender a pour langue maternelle un dialecte
allemand qui n'est autre que le francique mosellan utilisé com-
munément depuis plus d'un millénaire de Thionville à Saint-
Vith, et d'Arlon à Sarrebrück.
Agé de 19 ans à sa sortie du Friedrich Wilhelmgymnasium de
Trèves, il s'est inscrit en 1926 à l'université de Bonn pour y suivre
des cours d'histoire. d'allemand. de latin et de folklore. En 1928.
il a suivi des cours identiques dans les universités d'Innsbruck et
de Vienne. Enfin, le 1er novembre 1929. il entre comme assistant
au bureau du « Rheinisches Wôrterbuch », dictionnaire du patois
utilisé dans la région rhénane, rédigé à Bonn sous la direction du
professeur d'université Joseph Muller. grâce à des subsides de
l'administration provinciale de Düsseldorf '456l. Poursuivant ses
cours à l'université de Bonn. Zender se spécialise dans l'histoire.
le folklore et la langue de l'Eifel. Il publie plusieurs articles à ce
sujet et obtient en 1938 le diplôme de docteur es-sciences folk-
loriques. Le 1er avril 1939. il est nommé à un poste d'assistant
permanent à l' «Institut für Geschichtliche Landeskunde» de l'uni-
versité de Bonn. sous la direction du professeur Franz Steinbach.
C'est Zender qui est choisi pour étudier sur place le problème
arlonais. Son premier voyage s'effectue en 1935 et dure plusieurs
semaines, le deuxième a lieu en août 1936. un troisième suit en
1937 et le dernier se termine au bout de deux jours au prin-
temps 19 38 car Zender tombe malade '457 l.
Officiellement. ces séjours décidés par le professeur Stein-
bach ont un but d'études folkloriques. Il s'agit de rédiger un
recueil de contes et de légendes de l'Eifel. du Grand-Duché de

1456l Justice Militaire Belge (J.M.B.). Procès Zender, P.V. n ° 8940. 18 novembre 1946.
!457l J.M.B. Procès Zender, P.V. n° 1067K. 12 février 1946.

314
Luxembourg et du pays d'Arlon. Le V.DA de Düsseldorf finance
les travaux (45 sl.
Profitant de sa bonne connaissance du français et du patois
local. Zender parcourt la contrée en tous sens. contactant les
personnalités locales. écoutant les vieux des villages. rencontrant
les paysans aux champs. fréquentant les cafés d'Attert et de
Weyler, dévalisant la bibliothèque communale d'Arlon et celle
de l'Institut archéologique du Luxembourg, logeant tantôt chez
l'habitant à Aubange ou à Habergy. tantôt à l'hôtel du Luxem-
bourg à Arlon. Cela lui permet d'observer précisément la situa-
tion et l'emploi de la langue allemande. Zen der rencontre le pro-
fesseur Alfred Bertrang. ainsi que le professeur Michel qui ensei-
gne également la philologie germanique à l'Athénée royal d'Ar-
lon. l'archiviste Marcel Bourguignon, le magistrat Jean Michaëlis.
l'abbé Feck de Metzert. etc. Naturellement. il s'entretient longue-
ment avec l'abbé Frédéric Schaul. de Tintange. qui lui conte l'his-
toire du Bund der Deutsch-Belgier. et avec le professeur Nicolas
Warker. pour qui il éprouve une grande admiration (459l_
Le résultat escompté est atteint. Non seulement Zender a bien
compris la position de l'allemand, du patois et du français dans
la région, mais il a repéré la plupart des personnalités importan-
tes. prenant contact avec une partie d'entre elles. n connaît les
différents groupes d'intérêt et d'influence qui règlent la vie de la
région et sait où trouver les ennemis de l'Allemagne.
Toute la documentation possible a été rassemblée : géogra-
phique, topographique. démographique. linguistique. politique,
littéraire. historique et folklorique. Même des livres scolaires et
des catéchismes sont envoyés à l'institut de Bonn et au siège du
V.DA à Berlin. Muni d'un Leica. il a photographié tous les villa-
ges.
En 19 38. avant de rentrer à Bonn. Matthias Zender donne une
conférence à l'université de Louvain dans une salle mise à la
disposition du mouvement «De Vlag». sur les problèmes linguis-
tiques de la Belgique vus par un Allemand (460l.

!45 slDéclarations de Zender et de Lespagnard à la Justice Militaire Belge. Selon


Lespagnard. en plus du V.D.A. de Düsseldorff. le Sicherheitsdienst(S.D.) par-
ticipait également aux frais.
!4591 J.M.B. Procès Zender. P.V. n°1067K. 12 février 1946.
!460l Zender était membre du N.S.D.A.P. depuis le 1er novembre 1937. Après la
guerre. lors de son procès à Arlon. il affirma s'être affilié au parti nazi unique-
ment par opportunité et n'avoir donné que des conférences à caractère
culturel.
315
En avril 1939. il publie dans la revue «Deutsches Archiv», de
l'université de Bonn. un article bien documenté consacré à la
région d'Arlon (461 l. Il y décrit le dur combat mené depuis plu-
sieurs siècles par les Arlonais pour défendre les positions de la
langue allemande à l'ouest contre la wallonisation. Sa conclu-
sion est que, par leur remarquable et silencieuse résistance. in-
connue en Allemagne. ces habitants de sang allemand ont réussi
leur mission. Mais depuis 1839. ils en paient durement le prix.
Dans le même ouvrage. le lecteur découvre d'autres articles pré-
sentant sous différents aspects plusieurs minorités germaniques
situées à l'extérieur du Reich: les Frisons de Russie, les Allemands
du Danube, les Lettons. etc.

Occupation et politique allemandes


à l'Ouest
Si l'on essaie d'analyser les projets nazis relatifs au sort des
pays situés sur la frontière occidentale de l'Allemagne, on est
toujours surpris par leur pauvreté. Aucun plan bien précis, aucune
politique cohérente. aucune planification préconçue n'existent.
Bien sûr les dirigeants du meReich veulent mettre en place un
ordre nouveau et rassembler la communauté ethnique allemande
en récupérant tout ce qui est de sol ou de langue germanique.
C'est à des objectifs de ce genre que des organismes comme
le V.DA travaillent depuis des années. Mais une fois ces pays
occupés. aucun programme homogène ou général n'est prêt à
être appliqué. Même les déclarations d'Hitler concernant les an-
nexions possibles ou plus simplement les types d'administra-
tion à installer dans les différents états. sont floues. voire contra-
dictoires (462 l.
Ceci explique qu'on assiste à une véritable improvisation
selon l'humeur du Führer. les conseils de son entourage. les pro-
positions des différents ministères, des administrations. du parti
et de tous les organismes concernés. les avis des militaires. les

46
( n Matthias ZENDER. Die deutsche Sprache in derGegend von Arel. in Deutsches
Archiv fur Landeskunde und Volksforschung. tome 3. 1939. pp. 1-40.
Zender a bien publié des recueils de contes et de légendes en 1935 et en 1936.
( l Martin SCHÀRER. Deutsche Annexionspolitik im Westen Die Wiedereingliederung
461

Eupen-Malmedys im Zweiten Weltkrieg, Bem-Frankfurt 1975.


Francis BERTIN. L'Europe de Hitler. Les décombres des démoaaties. Paris,
1976.
316
circonstances et les priorités stratégiques. On voit même se
développer des luttes d'influence qui dureront parfois jusqu'à
l'évacuation de ces territoires en 1944.
Le 29 mai 1940, Hitler place les Pays-Bas sous l'autorité d'une
administration civile d'occupation dirigée par un commissaire
du Reich, l'Autrichien Seyss-Inquart. En juin, aussitôt après la dé-
faite française, Hitler installe en Alsace et en Lorraine une admi-
nistration civile ayant à sa tête le Gauleiter Robert Wagner.
En Belgique, dans les premiers jours qui suivent l'invasion, les
territoires occupés sont gérés par des services administratifs at-
tachés aux états-majors des groupes d'armées et sur le plan
local par des commandements de places subordonnés aux gran-
des unités de l'armée allemande. L'état-major du groupe d'ar-
mée A du général von Rundstedt installé à Spa, exerce l'autorité
sur les provinces de Liège, Namur et Luxembourg.
Le 31 mai, la Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le
nord de la France sont rassemblés, pour des raisons essentielle-
ment militaires, en un seul territoire placé sous la juridiction d'une
administration militaire allemande, avec à sa tête un gouverneur,
le général d'infanterie baron Alexander von Falkenhausen. Ori-
ginaire de la noblesse terrienne et d'épée de Silésie, celui-ci s'en-
toure des plus grands noms de l'aristocratie allemande au sein
d'un état-major personnel pour exercer son commandement (463 l.
La Belgique comme d'autres pays aurait pu être divisée et cer-
taines de ses régions annexées dès le début de la guerre. La fron-
tière du Reich aurait pu immédiatement être portée plus à l'ouest
sur la frontière existante. n n'en est cependant rien. N'étant pas
prêt l'occupant préfère reporter toutes ces idées d'annexion à la
période qui succédera à la guerre et préparer entre-temps le ter-
rain, mais sans rien décider qui engage l'avenir de l'Etat belge.
Cependant dans les coulisses à Berlin, la lutte entre les mi-
lieux nationaux-socialistes et militaires fait rage. Himmler pro-
pose l'installation d'un commissaire civil en Belgique. Hitler

(463l Jules
GERARD-LIBOIS et José GOTOVITCH. L'an 40. La Belgique occupée.
Bruxelles. 1971.
Albert DE JONGHE. La lutte HinmJler-Reeder pour la nomination d 'un HSSPF
à Bruxelles. La Sicherheitspolizei en Belgique. Centre de Recherches et d'Etu-
des Historiques de la Seconde Guerre Mondiale. Cahiers n ° 3. Bruxelles. 1974.
pp. 110-112.
José GOTOVITCH et Francis BALACE. Militarverwalti.mg. in Jours de Guerre.
Jours de Chagrin. Bruxelles. 1991.
317
Vue d'Arlon. depuis la rue des Déportés. au début des années 40.
318
hésite. Une cinquantaine de communes belges sont néanmoins
directement ou partiellement annexées. dans les régions d'Eupen.
Malmédy. Saint-Vith. Moresnet. Montzen et Beho. dans les pro-
vinces de Liège et de Luxembourg (464l.
Le 29 juillet 1940. le Grand-Duché de Luxembourg est sous-
trait à l'autorité militaire. et c'est une administration civile con-
duite par le Gauleiter Gustav Simon. du Gau de Coblence-
Trèves. qui s'installe à Luxembourg. En sa qualité de «Chef der
Zivilverwaltung in Luxemburg», Simon dépend directement
d'Hitler. Dès sa prise de fonction. il entreprend sans ménage-
ment un vaste programme d'assimilation forcée du Grand-
Duché. Son effort porte sur deux plans: la germanisation de la
population et la destruction des structures de l'Etat luxembour-
geois. Le 6 août 1940. le Gauleiter publie une ordonnance lin-
guistique : l'usage du français tant oral qu'écrit est interdit (465l.
Simon a des ambitions qui l'emmènent au-delà de Steinfort.
Dès son installation dans la capitale grand-ducale. il manœuvre
en vue d'incorporer la région patoisante d'Arlon et d'Athus dans
le nouveau territoire placé sous sa juridiction. n estime absurde
que l'autorité de l'administration civile s'arrête à une frontière
politique purement artificielle. issue de négociations plus que
centenaires. Seule la frontière linguistique doit être respectée.
nulle autre.
L'administration militaire de Bruxelles ne l'entend pas de cette
oreille. Il n'est pas question de céder un pouce du pays d'Arlon à
Luxembourg (466l.
La Belgique et le nord de la France sont divisés en cinq
Oberfeldkommandanturen dirigées chacune par un général. Une
d'entre elle réunit les provinces de Liège et de Luxembourg. A
l'échelon inférieur. des Feldkommandanturen exercent leur auto-
rité sur une province elle-même subdivisée en Ortskom -
mandanturen qui constituent les commandements locaux.

1464 1 Martin SCHARER. Deutsche Annexionspolitik. op. cit.


Kurt FAGNOUL. Aspects de la seconde guerre mondiale au pays de Saint-
Vith Centre de Recherches et d'Etudes Historiques de la Seconde Guerre
Mondiale. Cahiers n° 7. Bruxelles. 1982.
14651 GilbertTRAUSCH. Le Luxembourg à l'époque contemporaine. Luxembourg. 1975.

Gilbert TRAUSCH. Histoire du Luxembourg. BnLxelles. 1992.


14661 Audition de Paul Lespagnard à Arlon. op. cit.
J.M.B. Procès Zender. P.V. du 30 avril 1946 et du 18 avril 1947.
Camille DECKER. Are] Deutsche Stadt !. in L '.A venir du Luxembourg. jeudi 28
et vendredi 29 septembre 1944.
319
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320
La première Feldkommandantur de la province de Luxem-
bourg siège à Bastogne. localité jugée moins excentrique qu'Ar-
lon et plus facile pour les communications. Elle est dirigée par le
colonel Freiherrvon Pechmann. Commandant militaire de la pro-
vince de Luxembourg jusqu'au 30 septembre 1941. il se com-
porte d'une façon correcte à l'égard de la population.
Le comte d'Aspremont Lynden. ancien chef de cabinet du gou-
verneur:
«Par son attitude générale et au cours de ses conversations. il
a toujours témoigné un manque absolu de sympathie à l'égard
du régime nazi et de ses méthodes. Sa correction, son indépen-
dance d'esprit ont vivement contrasté avec le comportement de
ses successeurs.» l467 l

Le Gauleiter Simon veut annexer Arlon


Dans le courant du mois d'août 1940. le siège de la
Feldkommandantur de la province de Luxembourg est transféré
de Bastogne à Arlon (468l. Les militaires ont vraisemblablement
compris que le chef-lieu. siège de toute l'administration provin-
ciale. ville plus agréable que Bastogne. offrant plus de ressources
tant en locaux pour bureaux et pour chambres. qu· en agréments
pour les officiers. convient mieux que la cité ardennaise. Néan-
moins il ne faut pas écarter totalement l'idée que Bruxelles veuille
signifier à Luxembourg qu'Arlon est et restera en Belgique sous
son autorité.
S'il s'agit là d'une pure hypothèse. il est toutefois établi que
les fonctionnaires de la Feldkommandantur d'Arlon ont reçu
comme instruction formelle. celle d'éviter tout contact avec l'ad-
ministration civile de Luxembourg (469l.
A partir de ce moment. une lutte d'influence sans merci et
sans répit se livre entre le mouvement annexionniste parti de
Luxembourg et l'administration militaire de Bruxelles qui se con-
tente d'appliquer à Arlon la politique générale propre à l'ensem-
ble du territoire.

' 46 7l Lettre du comte d'Aspremont Lynden à la Commission de dénazification.


février 1947. Justice Militaire Belge.
' 468l Camille DECKER. Intrigues nazies. in L'A venir du Luxembourg. dimanche 8
et lundi 9 octobre 1944.
' 469 l J.M.B. Procès Zender. P.V. n° 8940, 18 novembre 1946.

321
A Luxembourg. le Gauleiter Gustav Simon rêve de détacher le pays d'Arlon de la
Belgique pour une annexion immédiate mais il se heurte à l'Administration
militaire de Bruxelles qui ne l'entend pas de cette oreille.
322
Le point de vue de Bruxelles est simple. Le général Eggert
Reeder. chef de l'administration militaire. l'explicite le 18 avril
194 7 lors d'un interrogatoire mené par la Justice belge :
«Le Militarbefehlshaber ne désirait d 'aucune façon céder une
partie du territoire belge avant la .in des hostilités. En effet sa
politique visait à maintenir l'ordre dans les territoires sous sa
juridiction et il nïgnorait pas que les Arlonais et les habitants
des villages voisins ne voyaient pas d'un œil favorable une in-
corporation éventuelle au Grand-Duché. 11 ,47ol
De même le collaborateur grand-ducal Damien Kratzenberg.
qui fonde le 10 juin 1940, à Luxembourg, un petit groupe de sym-
pathisants nazis, la Volldsdeutsche Bewegung (V.D.B.), déclare
après la guerre :
«Il était notoirement dit que l'annexion n 'aurait pas lieu parce
que la Wehm1acht sy opposait et que la défense venait du
Militarbefehlshaber de Bruxelles.
«La Wehmlacht avait fait savoir quïl y avait lieu d'attendre la
Bn de la guerre avant de modifler les frontières et qu'en cas d 'an-
nexion, il y avait lieu de craindre des réactions populaires belges.
En un mot l'occupation deviendrait moins paisible et cela nui-
rait à la «Stimmung», c'est-à-dire à l'ambiance et à l'atmosphère
publiques.» (47 1l
A Luxembourg. le Gauleiter Gustav Simon décide de passer
outre à l'interdiction. A cette époque, les services allemands de
contre-espionnage et de renseignements dans la région d'Arlon
et dans le Luxembourg sont en pleine réorganisation. Le com-
merçant arlonais d'origine grand-ducale Jean-Pierre Majeres, dit
«Bistro». agent allemand dès avant la guerre. a reçu pour mission,
après son installation comme agent officiel de l'Abwehrstelle
(A.S.T.) de former à Arlon un réseau d'informateurs (472 l_
Afin de mieux camoufler cette organisation. Luxembourg pro-
pose de créer à Arlon une section de la Volksdeutsche Bewegung
(V.D.B.) (473 l qui comprendrait d'office tous les Grand-Ducaux

47
( ol J.M.B. Procès Reeder. P.V. du 18 avril 194 7.
47 1
( l J.M.B. Procès Lespagnard. Déclaration non datée de Damien Kratzenberg(l878-
1946).
(
472
l Service de sécurité et de renseignement allemand.
(473 l Les quelques Luxembourgeois gagnés aux idées nazies, appuyés par des
Allemands résidant au Grand-Duché. fondèrent la V.D.B. fin juin 1940. Le but
de cette association animée par Damien Kratzenberg. était de préparer l'an-
nexion du Luxembourg à l'Allemagne sous forme d'un « retour» à la m ère-
patrie. Son slogan était «Heim ins Reich».
323
habitant la région (474l, D'une part. cela permettrait de les ras-
sembler, de mieux les contrôler et de les forcer à donner des
informations. D'autre part. au travers de cette association dé-
pendant de Luxembourg, c'est le Gauleiter Simon qui prendrait
pied à Arlon. sur le territoire de l'administration militaire. Il es-
père pouvoir former le noyau d'un vaste mouvement populaire
allemand qui appuiera son action afin d'obtenir l'annexion du
pays d'Arlon.
A l'automne 1940. un membre de la Zivilveiwaltungde Luxem-
bourg. nommé Dietzler. chargé du développement de la V.D.B. et
futur responsable de l'Ausland Organisation de Paris. se rend à
Arlon pour mettre au point la création de la V.D.B. arlonaise. Il
est accompagné de son secrétaire Richards. du référendaire de
presse Edouard Gerlach et de l'adjoint de ce dernier Paul-Léon
Muller, chef de propagande à la V.D.B. de Luxembourg. Ils s'en-
tretiennent avec une poignée de collaborateurs rassemblés par
Majeres du sort de la région. Parmi eux, un sujet allemand ins-
tallé à Arlon et travaillant pour l'A.S.T. de Trèves. le libraire
Mathias Moritz, le tailleur arlonais Jules Knepper. le militaire René
Reichling de Habay et une personnalité locale. le docteur Nicolas
Muller. Tout cela se déroule dans le plus grand secret (475 l,
La campagne se poursuit à la même époque dans la presse
grand-ducale. Probablement suite à une intervention de Gerlach,
le Luxemburger Wort publie un grand article intitulé « Are] as
eng deitsch Stadt » (476l.
Basée sur les travaux de Zender. la thèse développée soutient
qu'Arlon a été arraché au Grand-Duché de Luxembourg en 1839.
Décision injuste puisqu'Arlon a toujours appartenu au Luxem-
bourg et que la frontière ne respecte pas la limite des langues.
L'auteur de l'article souligne la situation difficile dans laquelle
s'est trouvée cette minorité fondamentalement allemande. Il dé-
crit la lutte pour la langue maternelle menée depuis lors, particu-
lièrement sous l'action du grand patriote belge Godefroid Kurth.
Après avoir mentionné les pétitions du Deutscher Verein et les
multiples démarches du Bundluxembourgeois, il conclut qu'une
rectification de frontière s'impose maintenant qu'il est possible
de rendre justice à cette population.

474
( ) J.M.B. Procès Majeres. Exposé des faits.
475
( ) J.M.B. Procès Lespagnard, P.V. 21 avril 1946. n ° 5498.
476
' l Dr E. GLASS, Are] as eng deitsch Stadt. in Luxemburger Wort. samedi 21 et
dimanche 22 décembre 1940.
324
A Arlon, Majeres commence son action. Afin de gagner des
sympathies parmi la population belge, il se met à distribuer des
pommes de terre et des flocons d'avoine. Un important stock est
mis à disposition par le chef de la Zivilverwaltung de Luxem-
bourg sur réquisition du parti nazi. Environ 700 Arlonais profi-
tent de ces distributions. D'autre part, une librairie allemande est
fondée à Arlon par la Propagandaamt de Luxembourg. Simon
réussit secrètement à obtenir. en décembre 1940, que la
Propaganda Abteilung de Bruxelles défère à Luxembourg toutes
les affaires concernant Arlon et ses environs.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la direction de l'ad-
ministration militaire n 'est pas tenue au courant de toutes ces
dispositions. Lorsque la Feldkommandantur d'Arlon lui signale
que la population commence à s'agiter suite aux rumeurs d'an-
nexion imminente confirmée par une série de dispositions ré-
centes. c'est la surprise qui se transforme en colère quand les
précisions supplémentaires demandées parviennent à Bruxel-
les. Enfin. quand on apprend qu'un membre de la Zivilverwaltung,
Paul-Léon Muller. vient de réquisitionner l'imprimeur arlonais
Fasbender pour publier un journal en langue allemande à Arlon,
c'est l'explosion et l'incident (477 )_

Création du Deutscher Sprachverein in Arel


Devant l'oubli volontaire dans lequel les militaires ont été lais-
sés et devant les ingérences répétées de la Zivilverwaltung dans
les affaires de la Militarverwaltung. Bruxelles interdit purement
et simplement la section de la V.D.B. d'Arlon et reprend la propa-
gande en main '478l.
Cette décision ne fait évidemment pas l'affaire des menées
annexionnistes du Gauleiter Simon, ni du réseau de renseigne-
ment de Majeres. Cependant. ce dernier, inspiré par Luxembourg,
réussit à sauver la situation.
U existe à Arlon un groupe d'anciens rexistes. entrés en dissi-
dence avec leur parti. notamment depuis la querelle Vigneron-
Degrelle. Outre Majeres, on trouve parmi eux les deux frères
médecins, Eugène et Nicolas Muller, René Reichling, Charles
Roubens. exploitant un atelier de constructions métalliques. et
Léopold Maas.
(477 l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 18 mai 1946 et P.V. 28 avril 1946.
478
( l Idem et J.M.B. Procès Zen d er. P.V. 12 février 1946 n ° I 067K
325
Majeres leur propose de faire une démarche commune auprès
de l'administration militaire afin de pouvoir créer un nouveau
groupe politique et culturel pro-allemand à Arlon. Au mois de
mars 1941. ce groupe se rend à Bruxelles afin d'obtenir l'autori-
sation de Reeder. chef de l'administration militaire en Belgique.
Un de ses adjoints. le Dr Petri. les reçoit. Celui-ci leur dit que la
région d'Arlon n'est pas assez importante pour justifier la créa-
tion d'un parti politique mais il reconnaît que l'administration
militaire a une raison de s'intéresser à Arlon. il s'agit du pro-
blème linguistique (479l.
Ce changement d'attitude des militaires ne résulte pas seule-
ment de la démarche arlonaise. En réalité. faisant suite à l'inci-
dent qui a opposé les deux administrations. Reeder a reçu un
délégué de Simon. peut-être Gerlach. bien avant qu'on suggère à
Majeres de se rendre à Bruxelles (4sol.
Le Gauleiter de Luxembourg a compris qu'il n'obtiendra pas
l'annexion immédiate d'Arlon et qu'il vaut mieux pour le mo-
ment tenter de susciter un vaste mouvement populaire revendi-
catif qui permettra un rapprochement progressif des Arlonais avec
le Grand-Duché. lequel sera tôt ou tard couronné par la fusion.
De leur côté. les militaires se rendent compte que le mouve-
ment annexionniste parti de Luxembourg n'est pas prêt de se
décourager. Un compromis s'impose. Reeder se laisse-t-il per-
suader qu'Arlon appartient au Deutschtum et mérite à ce titre un
traitement spécial? C'est probable car les deux administrations
concluent un accord secret prévoyant la création d'un cercle lin-
guistique destiné à défendre la langue allemande et les intérêts
de la minorité linguistique germanophone du Luxembourg. Mais
il ne faut pas s'y tromper. Si l'administration militaire fait cette
concession à Luxembourg et aux collaborateurs arlonais. c· est
uniquement pour se débarrasser des visées de la V.D.B. sur la
région et pour court-circuiter l'action de l'administration civile.
Le nouveau cercle linguistique dépend uniquement de Bruxel-
les. Reeder a cependant dû donner à Luxembourg un droit de
regard sur l'entretien du Deutschtum à Arlon. en la personne du
référendaire de presse Gerlach. chargé de contrôler les activités
des défenseurs de la langue.
En autorisant la constitution de ce groupement et en assurant

1479 1 Idem et J.M.B. Procès Majeres. P.V. non daté.


14801
J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
326
sa direction, les militaires pensent écarter d'Arlon le parti nazi et
les SS. En effet. il leur est maintenant possible de surveiller de
très près leurs activités tandis qu'avec une section de la V.D.B., le
pire était à redouter (43 1i.
Ainsi Petri attend déjà Majeres et ses amis arlonais avant même
que ceux-ci ne sachent qu'ils vont faire une démarche à Bruxel-
les. Tandis que dans la capitale belge. on doit se féliciter de son
habileté, à Luxembourg on pense certainement que le cercle lin-
guistique signifie le début de la fin de la présence militaire alle-
mande dans le pays d'Arlon.
Lors de l'invasion de la Belgique. en mai 1940. Matthias Zender
était au camp d'instruction de la Wehrmacht de Neustrielitz. En
août et en novembre de la même année. on l'envoie à Arlon.
inspecter les lieux et examiner la situation (432i. Cela prouve qu'à
Berlin, tout le monde ne se désintéresse pas totalement d'Arlon.
Au mois de février 1941. il est appelé à l'administration militaire
de Bruxelles et informé de sa mission : se rendre à Arlon et voir
dans quelle mesure il est possible de former un cercle linguisti-
que pour promouvoir la langue et la culture allemandes.
Arrivé sur place, il prend contact avec Gerlach de Luxembourg.
Selon les affirmations de Zender, c'est ce dernier qui a l'idée de
donner au mouvement le nom de Sprachverein, de manière à
provoquer une certaine confusion dans les esprits avec le Deuts-
cher Verein de Godefroid Kurth (483l.
Les deux hommes rencontrent quelques personnalités loca-
les avant de faire rapport à leurs administrations respectives. Une
lettre datée du 12 février 1941, adressée par un fonctionnaire de
la Zivilverwaltung, le Dr Perizonius, à un destinataire non identi-
fié, résume la situation à cette époque :
«Dans le pays d'Arlon vivent actuellement 32.000 Volks-
deutschen qui parlent encore la langue maternelle allemande.
Après entretien avec le Gauleiter, membre du parti, Reckman, et,
en accord avec le ministère de la Propagande ainsi que le Com-
mandant militaire pour la Belgique, les besoins culturels de ces
Volksdeutschen seront couverts de la façon suivante.
«A Arlon, sera fondé le «Deutscher Sprachverein» comme orga-
nisation de combat, indépendante du point de vue de politique

148 11J.M.B. ProcèsLespagnard et Zender. op. cit


48 21
1 J.M.B. Procès Zender, P.V. 18 novembre 1946. ne 8940.
14831 Selon Lespagnard, c'est le Dr Petri qui aurait eu cette idée.

327
culturelle, et de Volkstum des Volksdeutschen de nationalité
belge.
«Le Sprachverein comprendra également les membres du
VD.B. de nationalité luxembourgeoise.
«La création et l'organisation du Sprachverein sont entre les
mains du chefde la succursale de l'OfB.ce de Propagande du Reich
Le chargé d'affaires est le préposé au Volkstum. membre du parti
Gerlach Comme collaborateur de la direction du VD.B .. on fera
appel au chargé d'affaires du Gauleiter. membre du parti, Dietzler.
ainsi qu'à monsieur le docteur Zender, de l'Institut d'Histoire Na-
tionale de Bonn. On fera appel à d 'autres collaborateurs suivant
les besoins.
«Le Sprachverein est formé d'après l'organisation politique du
Reich et comprendra un groupe local dans chaque localité de
langue allemande. C'est au Sprachverein qu'incombe l'organisa-
tion politique et culturelle du Volkstum, ainsi que la création de
bibliothèques et d'une organisation d'aides.
«Le professeur Michel d'Arlon sera nommé président du
Sprachverein. ll a déjà collaboré à l'ancien Sprachverein de Warker
et jouit d'une considération particulière dans toute la région d'Ar-
lon. ll aura à ses côtés un état-major composé de Volksdeutschen
arlonais de nationalité belge ou luxembourgeoise...
«En raison de la situation politique actuelle en Belgique, les
rapports entre Luxembourg et le Sprachverein ne peuvent en
aucun cas être connus. étant donné en outre que le Comman-
dant militaire pour les territoires occupés de la Belgique et du
Nord de la France. se charge du travail administratif et politique
en Belgique.
«Les mesures nécessaires à la fondation seront prises par
Bruxelles après entretien avec le chef du Service de Propagande
pour la Belgique, Sonderführer Brouwers, chefprovincial de pro-
pagande à Düsseldorf. Toutefois l'OfB.ce de Propagande du Reich.
succursale de Luxembourg. est chargé de l'action générale. » (4s4J
Le 4 avril 1941. à la suite d'une disposition del' Oberkommando
de l'Armée, Zender est nommé « Kriegsverwaltungsrat » à Arlon.
avec dans ses attributions : «Deutschsprachiger Unterricht, PEege

(
484
l Traduction d'un rapport émanant du Dr Perizonius. chef du Kunstkreis à
Luxembourg. en date du 12 février 1941. J.M.B. Procès Zender, P.V. n ° 12775.
l Matthias ZENDER. Rapport au sujet de mon activité à Arlon, février 1946.
485
(

J.M.B. Procès Zender.


328
der deutschen Sprache und Kultur » (4s5i, Sa mission est double.
Lors de leur démarche à Bruxelles. les collaborateurs arlonais se
sont plaints de l'hostilité de la Kommandantur d'Arlon. Zender
doit les aider et faire tout ce qui est en son pouvoir pour amélio-
rer les relations entre la région et l'administration militaire (486l.
D'autre part. sans s'éloigner de la politique menée par l'armée
allemande dans l'administration du territoire belge, il doit ger-
maniser le pays d'Arlon et relever le niveau de la langue alle-
mande par rapport à la langue française. Cela signifie qu'il ne
faut pas aller trop loin mais suffisamment pour donner satisfac-
tion à Luxembourg. Afin d'éviter la panique parmi la population
et la naissance de problèmes intérieurs belges. il ne faut surtout
pas parler d'annexion et lutter dans la mesure du possible con-
tre le parti nazi. les S.S .. la Zivilverwaltung et sa V.D.B. (487l.
Si les ordres de Zender sont très clairs quant au rejet de toute
forme d'annexion d'Arlon tant que la guerre n'est pas terminée,
ils signifient implicitement que l'annexion aura lieu ultérieure-
ment et qu'il faut s'y préparer dès maintenant en développant la
langue et la conscience allemandes au sein de la population.
Zender doit y employer toute son énergie et toute son intelli-
gence. il sait qu'il aura fort à faire et qu'il doit briser à la fois la
résistance française de l'administration communale et l'impa-
tience de l'administration civile mais telle est sa mission et il
vaut mieux la remplir que de se battre quelque part en Europe.
Zender fonde le «Deutscher Sprachverein in Arel» (D.S.V.) le
19 avril 1941 à la Maison du Peuple à Arlon. Officiellement. ce
sont des patoisants arlonais. soucieux de défendre leur langue
maternelle. qui en sont les initiateurs.
Une trentaine d'Arlonais assistent à la réunion. Le professeur
Michel. germaniste à !'Athénée royal. s'est désisté et ne désire
plus faire partie du mouvement. On a alors désigné comme futur
président. l'Habaysien René Reichling qui a signé la demande de
formation. Mais. à la dernière minute. il se désiste à son tour,
refroidi par les restrictions imposées par Petri. Furieux du ca-
mouflage culturel jugé trop important. l'ancien rexiste veut une
politique claire et radicale. La personne la plus compétente et la
plus efficace serait certainement le docteur Nicolas Muller, pro-
allemand dont le prestige est grand dans la région. Toutefois. par
prudence. il refuse. préférant rester dans l'ombre toute la guerre
aux côtés de Zender. Quant à son frère Eugène. sa nomination

!486l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.


14871J.M.B. Procès Zender, P.V. 17 février 1948.
329
Après s'èlre débanassé du bourgmestre Paul Reuter et des échevins légaux de la
Ville d'1\rlon. les Allemands mettent en place w1 collège d'ord re nouveau. Ci-
dessus, .1ux côtés du Felkommandant le bourgmestre Lucien Eic hhorn. les éche-
vins Ch.Hies Ro ubens. Alphonse Arnbroes et Léopold Maas. Derrière ce dernier.
le Krieg.•;1·cm·altungsrat Dr Matthias Zender.

Ci-dess ous : une pa1tie du comité du Deutscher Sprachverein devant les locaux
du mou vement. rue d'Aubange à Athus. Autour du président Léopold Maas, on
reconn;üt notamment Bernard Huss. Jean-Pierre Majeres. Re né Sand et Alphonse
Arnbroes.
serait malvenue car il a déjà des difficultés avec la Kommandan-
tur à la suite d'une affaire de devises.
Le Kriegsverwaltungsrat doit alors se rabattre sur « le moins
capable et le moins éclairé du groupe » (488l, le patoisant Léopold
Maas. Le Sprachverein est divisé en deux sections : l' Ortsgruppe
Are] et l' Ortsgruppe Athem. couvrant approximativement les can-
tons d'Arlon et de Messancy. La création officielle de la section
d'Athus a lieu le 12 juin 1941 .
Le comité du «Deutscher Sprachverein in Arel» se compose
comme suit :
- Président du Sprachverein : Léopold Maas;
- Président local à Arlon : Léopold Maas;
- Président local à Athus : Bernard Huss.
Les protecteurs à Arlon sont : Jean-Pierre Majeres. le futur
bourgmestre Lucien Eichhorn. les docteurs Eugène et Nicolas
Muller. Jules Knepper et Joseph Hiéronimus.
Les protecteurs à Athus : le pharmacien Sand. le docteur
Heyaert. etc.
Lors de la première réunion. Zender définit les objectifs du
mouvement:
1) réunir dans un groupement tous les Arlonais et les habitants
du cercle linguistique conscients de leur qualité allemande:
2) par tous les moyens. rétablir la langue allemande dans ses
droits de langue principale de la région d'Arlon;
3) soutenir matériellement les membres du groupe pendant la
guerre;
4) préparer par le travail du groupement la politique ultérieure
de l'Allemagne en ce qui concerne la région d'Arlon (4s9i.
Uest évident que par ce dernier point il faut comprendre l'an-
nexion territoriale d'Arlon au meReich sur le même modèle de
ce qui se fait au Grand-Duché de Luxembourg. Cependant Zender
ne prononce jamais le mot «annexion».
Les trente personnes assistant à cette naissance deviennent
les trente premiers membres. Parmi eux. aucun membre de l'an-
cien Verein de Kurth, aucun patoisant qui avant la guerre s'est
particulièrement préoccupé de la langue, rien que des

433
1 1 J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
1489l Idem.
331
pro-Allemands. des agents de renseignements. des collabora-
teurs, des opportunistes.
«Il était naturel que tous les arrivistes se rencontrent au
Sprachverein. Et qu'on ne nous parle pas de désintéressement.
d'intoxication idéologique chez des gens pour qui ]'adhésion à
Rex n'avait jamais été que l'expression d'une mauvaise humeur
ou l'impuissance d'un arrivisme impatient!» (49o,
Zender les assure de la compréhension et du soutien sans
réserve de l'administration militaire allemande, lui-même étant
désigné pour représenter le D.S.V. auprès d'elle. Le seul Allemand
présent. hormis Zender, est Edouard Gerlach. venu spécialement
de Luxembourg.

Arlon, avant-poste du gennanisme


à l'Ouest
«Vorposten des Deutschtum im Westen». tel s'intitule un article
consacré à Arlon en juillet 1941. occupant toute la première page
du journal «Volksdeutscher Rufii. l'organe officiel du V.DA (491 l.
Son auteur, Edouard Gerlach. présente le pays d'Arlon comme
le poste de l'ethnicité allemande le plus avancé à l'Ouest. mon-
tant fidèlement la garde et protégeant le sang et la langue depuis
plus de 1.000 ans.
De fondation celtique. habitée par les Germains dès le début
de l'ère chrétienne. insérée dans la ceinture de protection alle-
mande contre le romanisme par les Francs Ripuaires. renforcée
et promue par le rayonnement populaire et politique du grand
espace franc-mosellan autour de la métropole de Trèves. la ré-
gion d'Arlon a été arrachée au duché de Luxembourg par la Con-
férence de Londres après avoir appartenu pendant des siècles
au Reich.
En fait Gerlach s'efforce de prouver que la frontière politique
tirée entre Steinfort et Arlon n'est pas justifiable du point de vue
linguistique. ni historique. ni économique. ni hydrographique. ni
orographique. ni administratif car. sous tous ces aspects. il règne

(490l Camille DECKER. Du fanatisme à la trahison. in L'A venir du Luxembourg.


jeudi 8 mars 1945.
(49 ,1 Edouard GERLACH. Vorposten des Deutschtums im Westen. in
Volksdeutscher Ruf. Berlin. juillet. 1941 .
332
jusqu'au delà d'Arlon, du sud au nord, une homogénéité com-
plète.
Gerlach souligne que tous les paysans et ouvriers de la région
parlent encore le dialecte franc-mosellan et haut-allemand, et
comprennent parfaitement. selon les dires du référendaire de
presse, la langue littéraire allemande. il rappelle qu'en 1532. les
privilèges et les coutumes de la ville d'Arlon furent rédigés en
allemand tandis qu'aujourd'hui encore, les noms des lieux-dits
et les noms des familles témoignent de ce passé germain. Ger-
lach termine sa démonstration en constatant que jusqu'en 1839.
Arlon a rempli sa double mission allemande : d'une part, centre
de coordination pour les Wallons de la Confédération germani-
que, d'autre part, centre du germanisme le plus avancé et avant-
poste du Reich à l'Ouest.
Depuis l'injuste déchirure, les luttes contre le romanisme wal-
lon se sont révélées très dures. La région, entièrement coupée
des artères vitales de l'Etat belge, a été victime d'une épouvanta-
ble oppression linguistique. Selon le fonctionnaire de la
Zivilverwaltung de Luxembourg. le gouvernement belge a sans
cesse mené une politique germanophobe destinée à
«dégermanisen> la région. Les journaux et les revues en langue
allemande ont été interdits; la calomnie et la persécution des
habitants conscients de leur caractère allemand sont devenues
monnaie courante. En 1867, la neutralisation du Grand-Duché a
rompu les derniers liens avec le Reich. Dès lors, l'arbitraire de
l'Etat belge et ses efforts de wallonisation de la population alle-
mande, livrée sans aucun espoir de retour à la mère-patrie, se
sont pleinement développés.
Jusqu'à la première guerre mondiale, une «clique d'avocats
francs-maçons » a exécuté sans frein les mesures de
dégermanisation, «tyrannisant» les Arlonais. Avec le honteux
«Diktat» de Versailles, le chauvinisme français s'est rué sur le
courageux poste avancé. L'emploi de la langue allemande a été
mis au ban et des écoles françaises se sont multipliées dans les
localités allemandes comme des champignons au sol. Quant au
bourgmestre Reuter qualifié « dïnfâme», Gerlach lui attribue des
propos tenus pendant la campagne électorale de 19 38 selon les-
quels quiconque se servant encore de la langue allemande à Ar-
lon et dans la province de Luxembourg devait être exclu de la
communauté belge car l'allemand était la langue d'un peuple
brutal et sans culture.
Gerlach insiste sur le fait que tout cela ne s'est pas fait sans
333
une opiniâtre résistance des Volksdeutchen. L'illustre fils de sang
allemand de la ville d'Arlon. Gottfried Kürth, a magnifiquement
défendu sa culture grâce à la création d'un Deutscher Verein. De
même Heinrich Bischoff a créé un Deutscher Verein far Luxem-
burg et. aujourd'hui à nouveau, un Deutscher Sprachverein vient
de voir le jour.
Maintenant que les armes ont parlé à l'Ouest et qu'une fron-
tière figée jusqu'alors s'est mise en mouvement. un pays allemand
pratiquement inconnu des Allemands s· ouvre au Reich. Après avoir
lutté pendant des siècles pour la langue et réussi à stopper la ro-
manisation. sa liberté chaudement disputée. lui est rendue par le
Führer. Gerlach annonce aux Arlonais leur «libération de l'oppres-
sion», récompense pour leurs mille années de combat La ques-
tion linguistique va pouvoir être définitivement réglée dans l'en-
seignement. l'administration. à l'église et dans la vie publique.
D'autres articles destinés à faire connaître le germanisme
arlonais paraissent de tous côtés pendant la guerre. N'ayant pas
de frontière commune avec l'Allemagne. la plupart des Allemands
n'ont jamais entendu parler de ce pays. Il faut donc leur faire
découvrir. Il est également nécessaire de montrer aux Belges. et
surtout aux Wallons. qu'Arlon est une ville allemande. acciden-
tellement et injustement rattachée à une Wallonie avec laquelle
elle n'a rien de commun.
Signalons parmi d'autres. le chapitre consacré aux germano-
phones belges du Luxembourg dans l'ouvrage «Luxemburg», ré-
digé par une vingtaine de spécialistes sous la direction du Dr
Paul Hermann Ruth et publié en 1942 à Breslau. De même. l'arti-
cle du gestapiste arlonais Maurice Krier. «La question linguisti-
que dans la région d'Arlon». paru dans les Cahiers de la Commu-
nauté Culturelle Wallonne en mai 194 3 '492l.

La libération anticipée des prisonniers de


guerre arlonais
La première étape du traitement spécial dont va «profiter» le
pays d'Arlon est la libération anticipée des prisonniers de guerre
arlonais. Après la capitulation de l'armée belge. Hitler décide de
libérer les prisonniers de guerre appartenant aux provinces de
(492 l Paul Hermann RUTI-I. Luxembwg. Breslau. 1942.
Maurice KRIER. La question linguistique dans la région d'Arlon. in Cahiers de
la Communauté Culturelle Wallonne. n° 5. Liège. mai 1943.
334
Flandre orientale, Flandre occidentale, Llmbourg. Anvers, Brabant
(hormis Bruxelles et l'arrondissement de Nivelles). Les prison-
niers appartenant aux autres provinces. c'est-à-dire aux territoi-
res wallons. sont déportés en Allemagne. Dès le début de leur
internement certains Arlonais capables de parler luxembougeois
ou allemand, ont droit à un traitement identique à celui des pri-
sonniers flamands. L'exemple des officiers passant devant une
commission linguistique mixte séparant les Flamands des Wal-
lons est célèbre. Selon certains témoignages, les Arlonais qui at-
tirent l'attention sur leurs origines ou leur langue maternelle lors
de cette épreuve linguistique sont automatiquement séparés des
Wallons. A cette époque, la rumeur prétend que tous les Fla-
mands vont pouvoir rentrer chez eux. Si cela s'était réalisé, il en
aurait probablement été de même pour les germanophones
luxembourgeois. C'est pourquoi les Allemands les séparent et
ont parfois pour eux plus de considération que pour les Flamands.
Mais tous n'acceptent pas d'être traités différemment des Wal-
lons malgré la perspective d'une libération prochaine. Jeune offi-
cier d'origine arlonaise. Fernand Wagner fait partie de ceux-là.
En septembre 1940, il est interné au camp de Tibor. près de la
frontière polonaise. Il est convoqué devant la commission lin-
guistique composée d'officiers allemands et de civils flamands
émigrés en Allemagne, des inciviques du défunt «Raad van
Vlaanderen» ou leurs descendants, suivant les rumeurs de l'Oflag
III B. Ces derniers s'étonnent que le lieutenant Wagner se dé-
clare francophone. En effet il a commandé une compagnie d'ex-
pression flamande du zerégiment des Carabiniers et en plus. il
est domicilié à Schaerbeek. Mais laissons-lui la parole:
«Tout à coup, un ofB.der allemand de cette commission s'ex-
clama en allemand en montrant ma carte d'identité :
«Aber. das ist noch besser ! Sie sind in Are] geboren ! Sie sind
also Deutschsprechend und Grenz-deutsch !
<ife dus alors nier obstinément des vérités et des évidences
comme : avoir étudié l'allemand pendant mes études primaires
et secondaires à Arlon: que le dialecte local et régional allemand
y était encore pratiqué; qu'avec un nom comme le mien, je ne
pouvais avoir que des origines germaniques, etc., pour qu'enfin
le président de la commission, d'un coup de crayon rageur. barre
ma Eche d'un grand «W» rouge, me classant Wallon !» (493l

t493l Témoignage du général e.r. Fernand Wagner. recueilli à Brnxelles en mai


1985.
335
Finalement aucun officier de carrière. flamand ou luxembour-
geois. n'est libéré. Hitler reste intraitable sur ce point. En revan-
che. les officiers de réserve flamands peuvent rentrer en Belgi-
que. De la même manière, les réservistes arlonais qui acceptent
de signer l'engagement de ne pas reprendre les armes contre
l'Allemagne. sont également libérés et regagnent le Luxembourg
natal. Leur nombre est indéterminé et les conditions dans les-
quelles ils sont reconnus « Volksdeutsch » varient suivant les
cas. Certains ne parlant pas un mot de patois ni d'allemand.
mais portant un nom d'origine germanique. sont libérés sans
difficulté aucune quand on s'aperçoit qu'ils proviennent du pays
d'Arlon. D'autres doivent prouver leur connaissance de la lan-
gue maternelle ou à tout le moins justifier qu'ils possèdent de
bonnes notions d'allemand. Les Arlonais qui en sont incapa-
bles restent internés toute la guerre avec leurs compatriotes
wallons.
Selon une liste établie par l'administration communale d'Ar-
lon. 200 prisonniers de guerre résidant en ville sont libérés entre
octobre 1940 et mars 1941. S'il y a parmi eux des cultivateurs.
des artisans. des entrepreneurs et autres libérés anticipativement
vu leur importance dans la vie économique du pays. la plupart
doivent leur retour au bercail à des considérations ethniques.
Dès sa création. en avril 1941. le comité du Sprachverein s'af-
faire afin que tous les patoisants luxembourgeois soient relâ-
chés le plus rapidement possible. C'est son premier souci et sa
première action. U est vrai que réussir à faire libérer les pères ou
les fils des familles de l'Arelerland constitue une remarquable
entrée en scène et une excellente publicité. Le 30 avril 1941. le
bourgmestre de chaque commune reçoit une lettre du comité du
D.S.V. lui demandant communication des noms des prisonniers
de guerre patoisants.
Nous ne connaissons que les réaction de deux bourgmestres
mais dans chaque cas. elles sont négatives. La première. la plus
importante de toutes. est celle du bourgmestre d'Arlon. Paul Reu-
ter :
«Mon administration ignore l'identité des prisonniers de guerre
détenus en Allemagne, et a fortiori la langue ou lïdiome dont ils
se servent habituellement
<ife ne puis d'ailleurs concevoir qu'une différence de langue
puisse constituer une cause de faveur ou de défaveur, au point
de vue de leur libération. Je me plais à croire que tous indistinc-
tement ont fait leur devoir sous les armes. et dans ces conditions
336
il me paraît souverainement injuste d'établir entre eux. une clas-
sification que rien ne justifie.» (494l
A Hondelange. le bourgmestre Octave Reichling ne donne
aucune suite à la lettre l'informant que les prisonniers parlant
l'allemand peuvent être rapatriés dans les prochains mois par
les bons offices du Sprachverein :
«Cette lettre ne fut pas divulguée. Je prévins verbalement tou-
tes les familles concernées du danger que pouvait présenter toute
démarche du côté Sprachverein et je leur demandai d'être très
prudentes.
«Le 23 février 1943, une seconde lettre me fut envoyée tou-
jours dans le même but. mais combien plus doucereuse et plus
persuasive. Cette lettre. comme l'autre, fut remisée et resta sans
suite.11 (495 l
On peut supposer que ce type de réaction est général ou en
tout cas assez répandu parmi les bourgmestres de l'Arelerland.
Le Sprachverein, ayant échoué du côté des administrations com-
munales, s'adresse alors directement à la population. Il fait sa-
voir. notamment par la presse. que les familles de Luxembour-
geois désirant qu'un des leurs. prisonnier en Allemagne. rentre
au foyer. doivent se manifester auprès de Léopold Maas ou d'un
protecteur du D.S.V. Officieusement les gens savent qu'il est sou-
haitable qu'une affiliation au mouvement précède la demande.
Nous ignorons quel est le nombre de démarches et de libéra-
tions anticipées mais c'est par centaines qu'elles se comptent.
Les soldats arlonais sont relâchés par petits groupes. au fur et à
mesure de leur localisation. et durant toute la guerre. Chaque
mois, et parfois chaque semaine. le Sprachverein publie dans la
presse les noms des enfants du pays dont il a obtenu le retour.
Cette action lui vaut certainement beaucoup de sympathie parmi
la population.

La remise du prix Gorres 1940


Une des premières manifestations officielles du Sprachverein
est la remise solennelle du Prix Gërres 1940, attribué par la

t494l Lettre du bourgmestre Paul Reuter au président du Sprachverein Léopold


Maas. Arlon. le 7 mai 1941. J.M.B. Procès Eichhorn.
t495 l Déclaration du bourgmestre Octave Reichling. Hondelange. le 18 octobre
1945. J.M.B. Procès Eichhom.
337
Fondation Johann-Wolfgang Goethe, à un Arlonais, feu le pro-
fesseur Nicolas Warker. Le Sprachverein organise cette cérémo-
nie en collaboration avec l'université rhénane Friedrich Wilhelm
de Bonn. La séance académique à laquelle assistent diverses per-
sonnalités allemandes se déroule le 5 juillet 1941 à l'auditorium
du Musée, rue de Virton. Un voyage d'études à travers l'Arelerland
(Arlon-Athus-Martelange) est organisé le lendemain pour les
scientifiques allemands venus de Bonn, de Cologne et de Fri-
bourg, à l'invitation du Dr Zender.
Le Prix Gôrres a été fondé au début de la deuxième guerre
mondiale pour récompenser l'action menée en faveur du
Deutschtum hors des frontières du Reich \496l. Le premier lauréat
est un prêtre irrédentiste alsacien, fusillé en 1939 par les Fran-
çais, selon les affirmations des Allemands. Le second est l'auteur
du Wintergrün. décédé de mort naturelle le 2 décembre 1940, à
l'âge de 79 ans (497 l.
Pour le Dr Zender. qui l'a rencontré lors de ses voyages à Ar-
lon à la veille de la guerre. Warker est un héros du combat en
faveur de la langue et de la culture allemandes :
«Avec Henri Bischoff qui est mort en juin de la présente an-
née, Warker est le seul des dirigeants de la défense de la langue
allemande en Belgique, d'avant la première guerre mondiale, qui
a encore vécu le 10 mai et qui a vu, à cet instant, que les droits de
la langue matemelle allemande étaient en.in assurés et qu'il
n 'avait pas combattu en vain.» (498)
C'est pourquoi il est naturel que l'occupant honore Warker à
titre posthume. Cependant. la famille de l'intéressé se montre

!4961 Johann Jospeh von Gôrres, publiciste allemand, naquit à Coblence en 1776.
il devint l'animateur d'un groupe d'écrivains romantiques nationalistes. auquel
appartinrent Arnim et les &ères Grimm. il s'attacha avec eux à l'étude des
légendes allemandes. il mourut à Munich en 1848. Le prix Gôrres fut fondé
en 1940 pour récompenser un représentant de «la race franque-rhénane.
ayant contribt1é au maintien de l'essence et de la nature même de ce peu-
ple». il fut surtout attribué à des lauréats étrangers ayant milité en faveur du
Deutschtum. Son premier lauréat fut un prêtre irrédentiste alsacien fusillé
par les Français en 1939. Le second fut le professeur Nicolas Warker et le
troisième lauréat fut le professeur Henri Bischoff décédé le 24 juin 1940.
!497 l Alfred BERTRANG, Nicolas Warker. in Biographie Nationale. tome 32. sup-
plément. (tome IV. fasc. 2). Bruxelles. 1964. pp. 756-757.
!49sl Matthias ZENDER. Nikolaus Warker. ein deucscher Kampfer aus Arel. in
Rheinische Blatter. Deutsche Kultrnpolitische Zeitschrift im Westen. Kain.
avril 1941. heft nr 4, pp. 165-167.
338
Der Rektor
der Rheini sd,en Friedrid,. WiJhelms - Un iversitiil Donn , den 13. Juni 1941

~ m Samstag, den 5. und Sonntag, den 6. Juli 1941


findet in Are! die offentliche Feier anl~f;)lich der Verleihung des Gorrespreises
der Johann-Wolfgang-Goethe-Stiftung für d:ls Jahr 1940 an den verstorhenen Profe.,isor
l . ··-
0kQlau~~~~':'!f~"'!'.'~U- Die RheiniR1'· ;~--re~mîliélîïïs:tiiii"v~it~tin Bonu
in Verbindung mit dem deutschen Sprachve ein in Are! heehrt sicl1, Sie zu dieser Feier
ergehenst einzuladen.

Dun ltl er Anaug oJer Unifonn,


Oi e1e Kar1e gih •I• Au1weit,

Ca1ton d'invitation à la remise à titre posthume du prix Géirres au professeur


Nicolas Warker. La cérémonie se dérotùe à l'Auditmium d'Arlon en présence de
personnalités allemandes et des dirigeants du Sprachverein.

Le président du
Sprachverein .
Léopold Maas.
dépose une
gerbe sur la
tombe du pro-
fesseur Warker
au cimetière
d'Arlon.

339
réticente à l'organisation de cette manifestation et refuse d'y as-
sister. Les Allemands prennent soin de ne pas mentionner l'ab-
sence des proches de Warker à la cérémonie dans les nombreu-
ses relations de presse dont elle bénéficie. Un rapport confiden-
tiel de l'Oberfeldkommandanturen fait cependant état. Le jour-
nal Le Soir relate l'événement en ces termes :
«La cérémonie débuta par l'exécution du Trio en sol majeur
de J Haydn, interprété par des artistes arlonais, Ed. Perbal (vio-
lon), F Nickel (violoncelle) et Alfred Niemann (piano). On joua
ensuite la Sonate n °32 de Mozart,
«Le professeur Dr Neumann de Bonn prit alors la parole. Au
nom du recteur de l'université de Bonn, il souhaita la bienvenue
à tous les assistants, puis il donna un aperçu historique du Prix
Carres, fondé par une famille hanséatique pour être décemé cha-
que année à un représentant de la race franque-rhénane, qui
aura contribué au maintien de l'essence et de la nature même de
ce peuple.
«Dans une allocution empreinte d 'une haute élévation de
pensée, le professeur Dr Emst Bertram, de Cologne, parla de la
destinée de la région frontalière et du peuple rhénan.
«Puis, le Dr Matthias Zender. de Bonn, donna un aperçu de la
vie de Nikolaùs Warker qui. pendant 50 ans, combattit pour les
droits de la langue allemande dans la région arlonaise...
«Les orateurs furent très applaudis. Après ]'exécution d'œuvres
de Schubert et de Schumann, M Léo Maas, président de l'Asso-
ciation de la langue allemande à Arlon. prit la parole pour remer-
cier l'université de Bonn de son geste en faveur d'un Bls de la
ville d'Arlon. Il promit, au nom de l'Association. de continuer à
travailler dans le sens indiqué par Nikolaùs Warker. en vue du
maintien de la langue matemelle allemande.» (499J
Le supérieur de Zender. le Dr Petri. a fait le déplacement de
Bruxelles pour assister à cette manifestation. Le soir. une réu-
nion intime se tient chez Majeres afin de fixer l'organisation du
mouvement. Elle réunit Petri. Zender. Gerlach. le président Maas.
le Dr Nicolas Muller et le libraire Matthias Moritz (sooJ. Trois déci-
sions importantes sont prises :
1) La Deutsche Buchhandlung fondée peu auparavant à Arlon.
sera pleinement financée par le D.S.V. pour lequel elle doit

(499i Coupure du journal Le Soir. non datée. Papiers Omer Habaru.


15ooi J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
340
organiser deux bibliothèques populaires : une à Arlon et une à
Athus.
2) Le financement du Sprachverein sera assuré via Majeres : pour
50% par des fonds versés par le Propagandaamt(soi )et pour les
50% restants. par le V.DA de Luxembourg, celui-ci les recevant
du V.DA de Düsseldorf L'argent. sous forme de devises bel-
ges, sera remis directement par Gerlach à Majeres. Aucun pla-
fond n'est fixé pour les dépenses mais Majeres doit rendre des
comptes à la fin de chaque trimestre et présenter un budget
pour l'exercice trimestriel suivant. En outre, l'administration
militaire de Bruxelles met des fonds sans limite à la disposi-
tion de Zender pour les dépenses extraordinaires.
3) il est décidé de créer à Arlon un journal en langue allemande,
financé par l'administration militaire de Bruxelles avec des fonds
spéciaux et placé sous la direction de Zender. il sera d'abord
hebdomadaire puis. une fois son succès assuré. quotidien. On
se met aussi d'accord pour éditer un almanach destiné à pren-
dre la succession du «Strasburger Hinkende Bote» et du
«Marienkalendeni de Luxembourg.
Le lendemain. Zender pilote les universitaires allemands ve-
nus découvrir l'avant-poste du germanisme à l'Ouest.

Neutralisation et élimination des ennemis


de la langue allemande
Pour mettre en place à Arlon une politique de germanisation,
ou en tout cas une politique tendant à favoriser très nettement
l'élément allemand sur l'élément wallon et organiser un rappro-
chement progressif de la région avec le Grand-Duché de Luxem-
bourg et avec l'Allemagne. il est indispensable de neutraliser au
préalable les principaux ennemis de la langue allemande.
L'occupant estime avoir en face de lui une bourgeoisie fran-
cophone qui dirige l'administration communale. C'est elle, parti-
culièrement les libéraux arlonais. qui a mené la vie dure et qui a
contrecarré les actions du Deutscher Verein de Kurth entre 1893
et 1914. C'est encore elle qui, durant la première guerre mon-
diale, a tenu tête à l'administration civile d'occupation et à la

(50 11 Organisme de propagande dans le Reich, distinct de la Propaganda Abteilung


fonctionnant en Belgique occupée.
341
Kommandantur d'Arlon. Malgré la déportation de l'échevin de
l'instruction publique, Paul Reuter, la germanisation de l'ensei-
gnement primaire et de l'administration s'est avérée impossible.
C'est elle qui, dans les années 1920, a fait échouer la tentative du
ministre Camille Huysmans de rétablir l'allemand comme lan-
gue véhiculaire dans l'enseignement primaire de certaines com-
munes de la région. Etc' est elle qui, dans les années 19 30. a tenu
en échec le mouvement pangermaniste de Bischoff malgré les
moyens importants dont il était doté.
Si l'occupant veut éviter de se retrouver dans les mêmes si-
tuations d'échec. devant les mêmes obstacles, les mêmes diffi-
cultés, la même résistance et face aux mêmes personnes, des
mesures radicales s'imposent dès le départ.
Agé de 75 ans en 1940, Paul Reuter est toujours là et veille sur
ses concitoyens, non plus en tant qu'échevin, mais comme bourg-
mestre ! Le colonel von Pechmann, responsable de la
Feldkommandantur 598, conseillé par son Kriegsverwaltungsrat
Zender et par les dirigeants du Sprachverein, expose clairement
la situation à ses supérieurs :
«Depuis le début de la guerre, Reuter a géré ses affaires d'une
façon correcte. Cependant. étant donné les sentiments hostiles
qu'il portait à l'Allemagne et à la langue allemande avant la guerre,
il n'est pas supportable qu'il soit maintenu dans ses fonctions.
«Les trois échevins sont des politiciens de vieille souche et
appartiennent à des milieux manifestement germanophobes. Eux
non plus ne peuvent pas être maintenus.» (5o2J
En vertu de l'ordonnance allemande du 7 mars 1941 contre le
vieillissement des cadres de l'administration publique en Belgi-
que, les personnes exerçant certaines fonctions publiques et ayant
atteint l'âge de 60 ans, peuvent être remplacées par des éléments
capables et plus jeunes, conscients de leurs responsabilités et
prêts à se dévouer à ces tâches exceptionnelles. Les bourgmes-
tres et échevins tombent sous le coup de cette ordonnance.
Dès le 13 mars 1941, le bourgmestre Paul Reuter, le premier
échevin Jules Massonnet. âgé de 60 ans, le troisième échevin Os-
car Delasorte, âgé de 65 ans, sont informés qu'en raison de leur
grand âge, ils ne sont pas autorisés à continuer à exercer leurs
fonctions. Le deuxième échevin Albert Goffaux, âgé de 57 ans,

' 5021 Feldkommandantur 598 au Commandant Militaire pour la Belgique et le


nord de la France. Arlon. le 16 septembre 1941. J.M.B. Procès Eichhom.
342
démissionne de son poste peu après. Avec l'accord du secrétaire
général du ministère de l'Intérieur Romsée. le gouverneur Greindl
leur demande le 20 mars de continuer à exercer leurs fonctions
tant que leurs successeurs ne sont pas nommés. Quant au conseil
communal d'Arlon. il est suspendu par une dépêche du 18 avril
1941. le collège échevinal. seul. étant autorisé à fonctionner '503l.
L'administration communale est décapitée.
Matthias Zender et la direction du Sprachverein souhaitent
que ces personnalités arlonaises soient remplacées par de bons
patoisants. avec un profil d'ordre nouveau si possible (5o4J, Cela
ne se fait pas sans difficulté. notamment pour la succession de
Paul Reuter.
Le Feldkommandant se met en chasse :
«Je me suis attaché à découvrir dans les milieux de groupes
ethniques allemands une personnalité apte à remplir les fonc-
tions de bourgmestre» (5o5J
Le général contacte Alfred Bertrang et d'autres Arlonais :
Bestgen. Tempels. Toully... Parfois. il y a quelques hésitations mais
la réponse définitive est toujours négative.
«ll existe encore la possibilité déjà discutée antérieurement
de faire venir à Arlon une personne étrangère à la ville. Je ne
considère cependant pas cette solution comme appropriée parce
qu'un aspirant étranger aurait à combattre des diffi.cultés extra-
ordinaires et parce que la politique spéciale d'Arlon. nécessite
une connaissance exacte des conditions locales.» '506l
Le gouverneur baron René Greindl. nommé le 17 août 1940
en remplacement de Van den Corput mis à la pension, est con-
tacté par l'autorité militaire :
«Elle me charge d'entreprendre des démarches pour présen-
ter à son agrément un candidat remplissant les conditions sui-
vantes : être de souche arlonaise, connaître l'allemand ou le pa-
tois local et ne pas être connu comme germanophobe.» (5o7J

(5o3l Lettre du gouverneur Greindl à Romsée. secrétaire général du ministère de


l'Intérieur à Bruxelles. Arlon. le 15 septembre 1941. J.M.B. Procès Eichhom.
pièce 13 B.
(504 l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.

(5o5l Feldkommandantur 598 au Commandant Militaire pour la Belgique et le


nord de la France. op.dt.
(506l Idem

(5o7l Lettre du gouverneur Greindl à Romsée. op. cit.

343
Les différents dignitaires du Sprachverein se réunissent à plu-
sieurs reprises pour discuter de la succession de Paul Reuter mais
aucun d'entre eux ne veut accepter cette fonction. Le plus intelli-
gent et le plus capable d'entre eux, le Dr Nicolas Muller, refuse
d'accepter tout poste de ce genre tant que la guerre n'est pas
terminée et la victoire assurée. D'autres comme le président du
Sprachverein, Léopold Maas, ou le commerçant collaborateur
Pierre Ambroes, semblent prêts à accepter en dernier recours les
sièges d'échevins mais pas de celui de maïeur (5osJ.
De son côté, Greindl contacte tous les conseillers commu-
naux et toutes les personnalités locales en qui il a confiance. La
réponse est la même partout. Devant la volonté de toutes les
parties intéressées d'en finir et de voir un nouveau collège se
former, tous acceptent la proposition du Sprachverein. Un de ses
membres, inconnu jusqu'alors, s'est porté volontaire. Il s'appelle
Lucien Eichhom.
Ambitieux, partisan d'un régime fort, royaliste et admirateur
d'Adolf Hitler, Eichhom est un ancien affilié du Verdinaso. Son
maître à penser se nomme Joris Van Severen. Ancien secrétaire
de la Fédération provinciale du Tourisme, Eichhom correspond
au profil recherché: jeune, d'origine arlonaise, patoisant attaché
à sa langue maternelle, favorable à un ordre nouveau.
Le 1er novembre 1941, le Moniteur publie un arrêté du minis-
tre de l'Intérieur en date du 29 octobre, déclarant que démission
de ses fonctions est accordée au bourgmestre d'Arlon, Paul Reu-
ter. Celui-ci envoie aussitôt un recommandé au secrétaire géné-
ral du ministère de l'Intérieur :
«Cette mesure est contraire au droit public belge et constitue
en réalité une révocation déguisée, ou tout au moins un retrait
d'emploi absolument arbitraire. Ayant depuis près de 46 ans,
consacré le meilleur de mon temps et de mes forces à l'adminis-
tration de la ville d'Arlon, je ne puis que protester énergique-
ment contre l'abus de pouvoir dont je suis l'objet. tout en faisant
réserve expresse de mes droits pour le jour où la légalité sera
remise en honneur dans notre malheureux pays.» '509l
Pendant toute la durée de la guerre, Paul Reuter cesse toute
activité politique. Ecarté de la direction communale, le vieil

15oa1 J.M.B. Procès Zender, P.V. 18 novembre 1946. n " 8940.


(5091 Lettre recommandée du bourgmestre Paul Reuter à Romsée. secrétaire géné-
ral du ministère de l'lntérieur à Bruxelles. Arlon. le 3 novembre 1941. J.M.B.
Procès Eichhom.
344
homme choisit. tout comme les autres échevins, l'ombre et le
silence, mais fidèle à sa parole, il est à l'hôtel de ville d'Arlon le
10 septembre 1944 (510l.
Les principaux ennemis de la langue allemande à Arlon sont
ainsi définitivement neutralisés et écartés des prises de déci-
sion. Il n'y a plus de résistance à attendre de ce côté et les pro-
blèmes de 1916-1918 ne sont pas prêts à resurgir. Paul Hermann
Ruth peut écrire en 1942 dans son livre «Luxemburg» :
«Dans la vie communale de la ville d'Arlon. le concept« groupe
ethnique» s'est frayé une voie. LAdministration de la ville qui
était récemment encore aux mains germanophobes et tout à fait
étrangères ethniquement, est passée dans des mains
ethniquement allemandes. Le président du Deutscher
Sprachverein, Léopold Maas, est maintenant premier échevin de
la ville d'Arlon.» (51 1l
Si le principal ennemi est hors de combat. le second tout aussi
redoutable, est toujours là. Omer Habaru, le fossoyeur du Bund
et l'ennemi juré de l'abbé Schaul. a été forcé de ranger sa plume
après que Les Nouvelles aient été interdites par l'occupant en
1940. Le journaliste, mis à la retraite forcée, est l'un des premiers
soucis de Zender.
Le 10 décembre 1941. vers 21h15. une pierre est jetée dans la
vitrine du commerçant collaborateur et dirigeant du Sprachverein,
Pierre Ambroes, récemment nommé échevin. C'est la deuxième
fois en quinze jours qu'elle est brisée (512 l. Le lendemain, le
Kreiskommandantvon Schütz '513l ordonne l'arrestation de deux
otages : Omer Habaru et Hiacynthe Piton. Officiellement. on les a
choisis parce qu'ils sont tous deux officiers. Le commandant Pi-
ton est libéré trois jours plus tard car l'examen médical révèle
qu'il n'est pas apte à subir une détention. Par contre, le capitaine
de réserve Habaru est maintenu derrière les barreaux tandis qu'on
cherche un second otage. Des «Aufruf an die Bevôllœnzng» re-
couvrent les murs de la ville, précisant que si les coupables ne se
font pas connaître, les otages seront transférés en Allemagne le

(5 wl Gaston et Jean-Marie TRIFFAUX. La Libération d'Arlon. Arlon. 1984. p. 48.


(
5 11
lL'échevin Jules Massonnet était originaire de Chassepierre. Les échevins
Oscar Delasorte et Albert Goffaux étaient nés à Gand.
5 12
( l Areler Volkszeitung samedi 13 décembre 1941. n° 19. p. 1.
(ml Entre septembre et décembre 1941, la Feldkommandantur d'Arlon est trans-
formée en Kreiskommandantur et le général von Petchmann cède la place
au major von Schütz.
345
20 décembre. Cette arrestation n'est cependant pas la bonne,
Habaru est finalement relâché sans qu'aucun coupable n'ait été
arrêté.
Zender ne se décourage pas. Il ne cesse jamais de rappeler ce
dont Habaru est responsable. Il est vrai qu'il le connaît depuis
19 35 et que l'abbé Schaul. devenu membre d'honneur du
Sprachverein, est là pour veiller qu'on n'oublie pas le journaliste.
Lors du premier anniversaire de l'ArelerVolkszeitung. l'organe
du Sprachverein, Zender dresse dans les colonnes de l'hebdo-
madaire le bilan des douze premiers mois '514l. Il explique que
malgré son combat pour qu'Arlon reste une ville allemande. il
n'attaque jamais les francophones avec le ton haineux d'un
Habaru qui ne sait écrire que comme celui qui sent qu'il a tort
Dans le livre «Luxemburg» paru en 1942, aucun défenseur de
la langue française n'est oublié:
«In der Zeit, als dieser Würgegriff Seele und Leib des deutsch-
bewuszten Volkskorpers erdrosseln sollte und die «Association
Française» mit ihren freimaurerisch-liberalen Steigbügelhaltem.
dem Bürgermeister Reuter. den Massonnet. Habaru und Dr
Hollenfeltz, alles tat. um die Areler durch Zwang und Überredung
zu «Freunden Frankreichs» zu machen. trat der «Deutsch
Sprachverein» zum Gegenkampf auf den Plan.» '5 15)
A plusieurs reprises durant l'automne 1942. Zender s'en prend
encore à Habaru dans l'Areler Volkszeitung Le 21 septembre 1942.
quatre membres du Sicherheitsdienst de Liège se présentent au
domicile d'Habaru et l'arrêtent. Le premier interrogatoire à coups
de matraque porte sur trois chefs d'accusation :
1) faire partie d'un service de renseignements anglais;
2) faire partie des brigades blanches;
3) être en possession d'un dépôt d'armes.
Les camps tristement célèbres de Vucht. Ravensbrück et Bu-
chenwald sont les destinations suivantes d'Habaru. Il survit mi-
raculeusement et c'est un véritable triomphe que la population
arlonaise lui réserve lors de son retour en 1945.
Le Dr Jean-L. Hollenfeltz. petit-fils d'Emile Tandel. est une autre
personnalité locale influente et populaire. Les Arlonais le sur-
nomment volontiers «le bon docteur». Quoique patoisant. il est

1514l Areler Volkszeitung. samedi 8 août 1942. n ° 31. p. 1.


15 i 5J Paul Hermann RUTH. Luxemburg. Breslau, 1942. p. 28.
346
l'incarnation même de la culture française à Arlon. Membre actif
de l'Association Française, membre fondateur de l'Académie
Luxembourgeoise. il devient le président provincial de la Croix-
Rouge lors de la mobilisation. Dès juillet 1941. Zender le dénonce
comme un «violent adversaire de l'Allemagne», promoteur de
l'Alliance Française à Arlon (516l. Ses activités dans la Résistance
attirent très rapidement toute l'attention de Lespagnard qui ne
parvient pourtant jamais à prouver quoi que ce soit (5 i 7l, Le chef
de la Sipo d'Arlon. Heinz Boetcher. l'arrête à son domicile durant
la nuit tragique du 24 au 25 août 1944 et l'abat d'une rafale de
mitraillette en pleine rue (518l.

L'effort social du Sprachverein


Le Sprachverein s'efforce de mener une politique sociale en-
vers les habitants de la région qui sont dans le besoin. L'objectif
est d'attirer la sympathie des Arlonais et de recruter des mem-
bres. Tous sont les bienvenus. depuis !'Italien travaillant à Athus
dans l'industrie jusqu'au citadin arlonais d'origine wallonne ne
parlant pas un mot d'allemand. en passant bien entendu par le
brave paysan patoisant.
L'effort social et intéressé du « Deutscher Sprachverein in Are] »
se manifeste tout d'abord par la distribution de timbres allemands
et de laissez-passer permettant de se procurer à Luxembourg
des marchandises (pain, beurre. féculents ...). Les familles profi-
tant de ces avantages sont très pauvres et leur nombre se limite
à quelques dizaines. Vers novembre 1942. le Kriegsverwaltungsrat
Zender obtient de l'administration militaire l'assimilation des fa-
milles membres du Sprachverein aux familles des légionnaires.
La différence entre la ration allemande du Reich et la ration belge
leur est payée en timbres. Mais ce système ne dure pas.
Des bons de 100 ou de 200 RM du Secours d'Hiver allemand
sont également distribués aux familles les plus nécessiteuses.
Afin de ne pas avoir à exhiber ces bons en public. ceux-ci sont

<516l Note de Matthias Zender à la Geheime Feldpolizei. Arlon. le 14 juillet 1941.


J.M.B. Procès Zender. P.V. 24 juin 1946. n ° 6425 .
(5 i 7i Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. décembre 1942
à juillet 1943. Traduction du ministère de la Défense nationale. ze Direction.
J.M.B. Procès Lespagnard.
(518l Gaston et Jean-Marie TRIFFAUX. La Libération d'Arlon. Arlon. 1984. pp. 8-11.

347
acquittés par des membres du comité du Sprachverein et un
compte est ouvert à la famille chez un commerçant où elle effec-
tue des achats. Chaque famille reçoit un carnet à couverture en
toile cirée noire pour l'inscription du montant du crédit et des
achats effectués (5 19l.
La distribution la plus importante est celle des timbres belges
supplémentaires. Les ménages reçoivent environ chaque semaine
sept livres de pommes de terre par personne. De la même ma-
nière. ils ont droit à des quantités variables de beurre (environ
1/4 kg par personne et par mois); de la viande (environ 1/ 4 kg
par personne et par mois); du pain ou de la farine (environ 3 kg
par personne et par mois); des œufs (un à trois par personne et
par semaine): de la graisse (12 5 grammes par ménage); des gruaux
d'avoine et de la semoule (de 1 à 5 kg en quantité variable et non
proportionnée à la composition du ménage).
Dès la fin de l'hiver 1941, période de grande misère, ont lieu à
Arlon et à Athus les premières distributions spéciales de den-
rées alimentaires provenant du Secours d'Hiver allemand et de
saisies de douanes. Quiconque se présente peut en profiter. Au
départ. elles se font sans timbres et de manière occasionnelle
mais avec la création du Sprachverein. elles s'amplifient et se
régularisent.
Une certaine partie de la population se laisse tenter, surtout
dans les milieux ouvriers. petits bourgeois. employés. chômeurs
et nécessiteux (520l. Les organisateurs de ces distributions n'exi-
gent pas d'adhésion au Sprachverein. Ils demandent seulement
aux bénéficiaires la signature d'un formulaire en allemand afin
d'éviter qu'une même personne ne se présente à plusieurs repri-
ses, et pour justifier les quantités distribuées auprès du Secours
d'Hiver allemand (52 1J. Tout comme la libération anticipée des pri-
sonniers originaires de la région. ces distributions font partie de
la propagande du Sprachverein.
Certains réagissent énergiquement en faisant des reproches
aux bénéficiaires. Ils voient dans ces mesures le prélude d'une
propagande d'annexion à l'Allemagne. Ils se méfient particuliè-
rement de la collecte des signatures et traitent de «Preisse» ou de
«Boches» ceux qui se rendent aux distributions. A la suite de cette

(5 i 91 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
(5201 Rapport sur Je D.S.V. du sous-lieutenant Arend. commandant le district de
gendarmerie d'Arlon. Arlon. le 18 novembre 1944.
( 1J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
52 1

348
contre-propagande. de nombreuses personnes ne retournent plus
aux nouvelles distributions. D'autant qu'une fois les deux sec-
tions du Sprachverein organisées. l'adhésion au mouvement est
obligatoire pour bénéficier de ces avantages.
Les membres doivent verser une cotisation de deux francs
par mois. acquittée par des timbres adhésifs spéciaux. Au bout
de plusieurs mois. le Sprachverein compte quelques centaines
d'affiliations. Pendant près d'une année. leur nombre reste sta-
tionnaire entre 500 et 600. En janvier 1942. on dénombre 580
membres. il semble que le plafond soit atteint.
Le Sprachverein déploie alors toute son énergie afin de ras-
sembler encore davantage de membres. Le nombre de distribu-
tions augmente et de nouvelles facilités sont accordées. Un ouvrier
à la recherche de travail est casé sans difficulté à l'usine d'Athus
ou à celle de Rodange s'il se fait membre du Sprachverein. En
mai 1943. une quarantaine de paysans. pour échapper aux ré-
quisitions de chevaux. s'empressent de payer leur cotisation. Les
familles désirant envoyer leurs enfants en colonie de vacances
n'hésitent pas non plus. Les bourgmestres de la région reçoivent
l'interdiction de porter les membres du mouvement sur les listes
des réquisitions. corvées ou punitions.
Le chantage sévit aussi. surtout à Athus où les protecteurs du
Sprachverein utilisent la menace. Quiconque ne veut pas être
envoyé au travail obligatoire en Allemagne ou souhaite éviter
des ennuis avec la police allemande paie sa cotisation (522).
En septembre 1941. soit cinq mois après la fondation du cer-
cle. un rapport envoyé à Berlin par le général Reeder. adjoint de
von Falkenhausen. mentionne 400 affiliés (523). En septembre 1942.
il en renseigne 700. Et selon les informations fournies par le
gestapiste Paul Lespagnard. la progression est constante de dé-
cembre 1942 à juillet 1943: 783 membres en décembre 1942.
803 en janvier 1943. 820 en février. 831 en mars. 844 en avril. 880
en mai. 91 7 en juin. 95 2 en juillet.
Après la guerre. la presse locale publie les noms d'au moins
737 membres (463 pour Arlon et 274 pour Athus). et selon les

D'après les nombreuses déclarations d'anciens membres du Sprachverein.


(522 l
section d'Athus. lors de leur jugement à Arlon après guerre et rapportées par
] 'Avenir du Luxembourg
(ml Vemrdnungsblatt des Militarbefehlshabers in Belgien und Nordfrankreich
fiïr die besetzten Gebiet Belgiens und Nordfrankreichs. herausgegeben vom
Militarbefehlshaber (Militarverwaltungschef). juin-septembre 1941. B 24.
349
Le -; aoùt 1,,. 1 k· Spra chverein reçoit le thé::itre p opulaire clc l .uxembourg po ur
une rep r(·sc 11t.11 ion .:iu cinéma Palace d'Arlon. Le collaborateur fL' .m-Pierrc Majeres
acLucillc le· ~ rson nali tés.
rapports de la Sûreté et de la gendarmerie. il y eut plus d'un
millier d'affiliés.
D'autre part une liste incomplète des membres de la section
d'Arlon. dressée après la guerre et reprenant leur numéro d'affi-
liation. permet de supposer qu'il y eut au moins 1.003 personnes
qui payèrent leur cotisation. Si on ajoute encore environ 300
membres pour la section d'Athus. on obtient un total de 1.300
habitants du pays d'Arlon affiliés au Deutscher Sprachverein.
Dans un rapport daté du 8 novembre 1944. le commissaire de
la Sûreté de l'Etat Wirtz estime que la plupart des membres ap-
partiennent à la classe ouvrière '524l.
Selon un rapport anonyme allemand découvert dans les ar-
chives de la Kreiskommandantur. environ 60 % des membres en
font partie uniquement pour obtenir des avantages matériels.
20 % par diplomatie et par précaution. et 20 % par idéal et par
inclination vers la communauté germanique.

Organisations diverses du Sprachverein


Les organisations du Sprachverein vont de l'ouvroir
Frauenschaft. dont les membres confectionnent des colis pour
les volontaires combattant sur le front russe. au télégramme de
joyeux anniversaire envoyé chaque année à Adolf Hitler, en pas-
sant par : la création de la chorale Gesangverein. des projections
de films allemands dans les cinémas. des représentations théâ-
trales en patois. des spectacles de marionnettes pour enfants. la
présentation à Arlon de différentes réalisations allemandes. des
conférences par des universitaires allemands. des visites d'ex-
positions à Bruxelles et à Luxembourg (comme « Le Paradis So-
viétique ». exposition visitée à Luxembourg le 13 décembre 1942).
la suppression dans le centre de la ville de la plaque à la mé-
moire du « vantard juif» Camille Cerf etc. En voici quelques exem-
ples:
- la fête de Noël : chaque année, les enfants des membres du
Sprachverein sont réunis à l'approche des fêtes de Noël. à l'audi-
torium d'Arlon. autour d'un superbe arbre de Noël. au pied du-
quel s'amoncellent des colis pleins de promesses pour les pe-
tits invités.

Justin WIRTZ. Rapport sur le D.S. V. de M le Commissaire de la Sûreté de


<5241
l'Etat. chef de la B.T. du Luxembourg. Arlon. le 8 novembre 1944.
351
qui reprend l'idée de son prédécesseur à Arlon en 1916, Julius
Loeb. de créer une feuille locale de langue allemande. Dans la
plus pure tradition de l'Arloner Zeitung et de l'Areler Zeitung. il
la baptise «Areler Volkszeitung11.
Le premier numéro de cet hebdomadaire paraît le 9 août 1941
et il peut être considéré comme l'organe du Sprachverein. Même
si le nom de l'éditeur responsable figurant en première page est
celui de l'imprimeur arlonais René Walraevens. l'Areler Volkszeitung
est fabriqué à Bruxelles dans les locaux du journal Brüsseler Zeitung.
lui-même imprimé sur les presses de La Dernière Heure. La
Propaganda Abteilung supervise la réalisation '530l.
Le journal est pro-allemand et national-socialiste. La moitié
des pages au moins sont communes au Brüsseler Zeitunget pré-
sentent des informations générales. L'autre partie, dont la pre-
mière page. est formée d'articles régionaux. Cette matière locale
est rassemblée par Zender qui écrit la majorité des articles. Parmi
les collaborateurs du périodique, on trouve les gestapistes arlonais
Paul Lespagnard et Maurice Krier, l'abbé Hehlman. établi à Viville
puis aumônier à Overijse. qui rédige des articles sur l'histoire de
l'art Jean-Pierre Majeres qui récolte des nouvelles dans les villa-
ges auprès des affiliés du Sprachverein. le feldwebel Wunsch. le
bourgmestre Eichhom qui transmet le relevé de l'état civil. l'ar-
tiste-peintre Paul Breyer qui fournit des dessins, l'abbé Schaul de
Tintange. un douanier en poste à Martelange dont le nom est
inconnu, etc. (531 i.
L'Areler Volkszeitung constitue une belle et intéressante réa-
lisation. Evidemment il sert de vitrine au Sprachverein en an-
nonçant ses organisations et festivités. les noms des prisonniers
libérés. les avantages accordés à ses membres ... Zender.
Lespagnard et Krier y écrivent des articles de fond sur l'histoire,
la langue et le folklore de la région arlonaise.
Dans les colonnes du journal, le lecteur trouve aussi toutes
les informations locales depuis les communiqués de la Kom -
mandantur aux faits divers en passant par l'état civil d'Arlon.
Athus. Guirsch.... les palmarès des écoles. les célèbres bonnes
blagues arlonaises. la chronique de football de la Jeunesse
Arlonaise. les programmes de cinéma, les expositions. les comp-
tes rendus des procès et les décisions du collège échevinal, les

1530l R FALTER. Le Brüsseler Zeitung (1940-44). in Cahiers d'Histoire de la Se-


conde Guerre Mondiale. n° 7. Bruxelles. avril 1982.
153 ii J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
356
relations de certaines séances du Conseil de guerre. le tout illus-
tré par quelques photographies du vieil Arlon et des villages de
l'Arelerland.
L'Areler Volkszeitung est surtout une feuille d'informations
locales et Zender veille à ce qu'on n'y trouve pas trop de politi-
que. La plupart de ses lecteurs lisent avant tout l'état civil et les
faits divers mais l'objectif premier de l'hebdomadaire demeure
le maintien et l'amélioration de la langue allemande '532l. Dans
cette optique. il s'en prend aux défenseurs du français comme le
journaliste Omer Habaru et attaque les Wallons qu'il affuble du
sobriquet de « Denis ». La ligne directrice de l'hebdomadaire est :
les Arlonais parlent allemand parce qu'ils appartiennent à la com-
munauté germanique et parce qu'ils sont Allemands. non seule-
ment par leur langue mais par leur ethnie. leurs mœurs. leur pen-
sée et leurs sentiments '533l. A l'automne 1941. le journal répond
à sa manière en allemand à la question posée en français dans
son titre : « Arlon, ville romane ? ». (534)
Durant les premiers mois. le journal hebdomadaire est im-
primé à 500 exemplaires mais son tirage quadruple rapidement
et en janvier 1943. 1.700 exemplaires environ sont vendus cha-
que semaine en plus de 400 abonnés contre 320 en septembre
1942 '535 l. Tous les membres du Sprachverein sont théoriquement
obligés de s'abonner à l'organe du mouvement. mais beaucoup
font la sourde oreille.
Malgré ses ventes. l'Areler Volkszeitung enregistre un léger
déficit supporté par la Propaganda Abteilung Quoique destiné à
devenir quotidien une fois son succès assuré. il ne dépasse pas
le stade d'hebdomadaire. Selon Lespagnard. l'action du journal a
été faible car ses lecteurs lisent très peu les articles de fond.
Le dernier numéro connu du journal porte la date du 19 août
1944. On y voit une photo de V 1 et un appel au patriotisme des
Arlonais pour combattre les «bandits» qui se manifestent de plus
en plus fréquemment dans la région '536l.

t53 z) J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946 n ° 8940.


t533 l Areler Volkszeitung. samedi 31 janvier 1942. p. 1.
t534 l Areler Volkszeitung. samedi 11 octobre 1941. p . 1.

t535 l Paul LESPAGNARD, Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit, janvier
1943.
t536l Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la mobilisation à la répression.
op. cit. p. 229.
357
La librairie du Deutscher
Sprachverein dans la Grand-
Rue d'Arlon.

Edités à deux reptises par le '> prachverein. les almanachs du pays d'Arlon rem-
po1tent un large succès dan~ les milieux ruraux en reprenant la succession du
«Strasb urger Winkende Bote e t du «Ma1jenkalender».

AR _LER
Die Aufbauarbeil
des Chefs der Zivilverwaltuag
Arel - Vorposlen
des Deulsehlums im Weslen

Sous l'occupation, l'Administration civile de Luxembourg multiplie les publica-


tions démontrant qu'Arlon est un avant-poste du ge1manisme à l'ouest.
359
A partir de 19--11. l'Académie allemande organise des cours d'allemand à Arlon
et à Athus en collaboratio n avec le Sprachveœin.

Le 13 décem bre 1942. les düigeants du Sprachveœin d'Arlon et d'Athus visitent


l'exposition de propagande allemande «Le Paradis soviétiqueii à Luxembourg.
360
L' Areler Heimatkalender
Les almanachs ont toujours eu pour les gens du pays d'Arlon
une signification particulière. Dans beaucoup de fermes. ce sont
les seuls livres en langue allemande qui sont lus. il n'existe pra-
tiquement aucune maison dans un village patoisant où durant
les dernières semaines de l'année. on n'achète pas le nouveau
calendrier. Au fil des mois. on y note toutes les dates et tous les
événements importants pour la ferme et la famille.
Jusqu'en 1943. il n'y a jamais eu d'almanach du pays d'Arlon.
Cette année-là, le Sprachverein innove et publie le premier. Son
objectif est de pénétrer dans les milieux ruraux en reprenant la
succession du « Strasburger Winkende Bote » ou encore mieux,
du « Marienkalender » de Luxembourg.
L'Areler Heimatkalender est un succès complet. Ses 1.500
exemplaires sont rapidement épuisés. En 1944, un nouvel alma-
nach est tiré à 2.000 exemplaires et son succès est toujours aussi
grand. En trois semaines. 1.400 calendriers sont vendus.
Supérieur à ses concurrents. l'Areler Heimatkalenderoffre des
récits sur la vie et l'histoire du pays d'Arlon. Outre les prévisions
météorologiques et les blagues arlonaises en allemand ou en
luxembourgeois. c'est tout le folklore allemand de la région qui
ressort au travers des dictons. des dessins de Paul Breyer et
d'autres artistes arlonais. Le lecteur n'évite pas un article natio-
nal-socialiste et une photo du Führer mais les dizaines de pages
qui font découvrir les mois et les saisons de l'année, ou les por-
traits des paysans de l'Arelerland, enchantent plus d'un Arlonais.
Toutes les bibliothèques allemandes du V.DA en reçoivent un
exemplaire.
Cet Heimatkalenderest vendu au prix de 5 francs. son prix de
revient étant de 20 F. il est imprimé à Bruxelles chez Vromans
car aucun imprimeur arlonais n'est outillé pour assurer sa publi-
cation. Au moment de la libération, Vromans prépare encore une
réédition du « Wintergrün » de Warker ordonnée par Zender, et
l'impression d'un livre sur Arlon. écrit par Gerlach et Zender. En
raison des événements. ils ne verront jamais le jour.

L'Académie allemande d'Arlon


L'Académie allemande d'Arlon ouvre ses portes au lendemain
des vacances de l'été 1941. il existe déjà d'autres académies à
361
Bruxelles. Anvers. Gand et Liège qui, avec celle d'Arlon, totalisent
1.500 élèves.
Durant sa première année de fonctionnement. l'Académie
d'Arlon connaît peu de succès. Son « lektor » est un citoyen alle-
mand nommé Paul-Félix Hoffman, âgé de 38 ans, originaire d'An-
halt-Dessau. Egalement agent de renseignement. celui-ci se pré-
occupe davantage de marché noir que de cours de langue alle-
mande. A la suite de plaintes de la Kommandantur d'Arlon et du
S.D. de Liège. il est limogé. Son successeur n'est autre que
l'Arlonais Paul Lespagnard. né à Hollerich en 1918.
Après des études de philologie germanique inachevées qui
l'ont conduit à l'Université de Louvain (1936-37), à l'Université de
Liège (19 37-38) via le jury central à Bruxelles. un engagement de
trois mois en Espagne dans les rangs républicains, la fréquenta-
tion de mouvements universitaires socialistes et marxistes après
une inscription à De Vlag. Paul Lespagnard rentre chez lui, à Ar-
lon. au début de la guerre. C'est là qu'à la fin 1941. il rencontre
Zender et commence à collaborer à l'Areler Volkszeitungen four-
nissant un article par semaine à 50 centimes la ligne. Le folklore
et l'histoire sont ses domaines favoris. Découvrant l'intelligence
de ce garçon qui a connu des études perturbées de par sa pau-
vreté. Zender lui obtient grâce au V.DA. début 1942, une bourse
d'étude pour l'Université de Bonn. Muni de lettres de recom-
mandations pour ses professeurs et pour le dirigeant provincial
du V.DA à Düsseldorf, Lespagnard termine ses études en Alle-
magne et se voit proposer une place à l'administration centrale
du V.DA à Berlin comme référendaire pour la section ouest
(France. Belgique. Hollande). Il ne l'accepte cependant pas et
Zender le fait revenir à Arlon pour remplacer Hoffman. sur inter-
vention personnelle de Petri.
Peu avant son retour en août 1942. Lespagnard donne une
conférence sur le problème linguistique arlonais devant tous les
dirigeants du V.DA réunis '537l.
Malgré le mécontentement de la direction des académies al-
lemandes. par ce qu'un sujet non-allemand est nommé à ce poste.
Lespagnard est installé par Zender qui lie étroitement son action
à celle du Sprachverein. Sa mission étant d'essayer de gagner la
jeunesse d'Arlon et d'Athus à la langue et aux idées allemandes.

(5371 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946, n ° 8940.

362
Sur intervention de Zender, Maas fait envoyer à chaque membre
du D.S.V. une lettre l'invitant vivement à inscrire ses enfants à l'Aca-
démie allemande car le maintien de la langue du pays d'Arlon dé-
pend d'une excellente formation des jeunes en allemand '538l.
Comme cette opération de promotion ne donne pas les ré-
sultats escomptés. Majeres exerce une «pression économique»
sur les parents : si les enfants ne s'inscrivent pas à l'Académie.
les timbres allemands pour le ravitaillement et les précieux pas-
seports permettant de ramener des marchandises du Grand-Du-
ché sont supprimés (539l.
En décembre 1942. on recense 105 élèves pour les deux sec-
tions de la DA à Arlon et à Athus (54ol. Deux séries de cours sont
données : une à destination des enfants. une autre pour les adul-
tes. au rythme de trois heures par semaine. Grammaire. histoire
de l'Allemagne et d'Arlon. géographie et conversation allemande
sont au programme. Les adultes reçoivent des cours à domicile.
soit individuellement. soit par groupe. Les leçons d'histoire et de
géographie sont données en français car aucun enfant n'est capa-
ble de les suivre en allemand. Lespagnard y démontre que jusqu'à
la Révolution française. Arlon appartenait au Saint Empire de la
Nation germanique et que la région s'est toujours orientée vers
Trèves. Toutes les remarques ont lieu en luxembourgeois (54 1l.
Les cours sont considérablement restreints à partir de 194 3
car Lespagnard ne peut plus faire face à toutes ses attributions.
Depuis octobre 1942. il est au service de Graaf. responsable du
S.D. de Liège. et fournit des rapports détaillés sur ce qui se passe
dans les arrondissements d'Arlon et de Virton. A lui seul, il re-
présente le S.D. à Arlon car les gestapistes allemands n'y ouvrent
une succursale qu'en 1943. Par ailleurs. Lespagnard fonde les jeu-
nesses hitlériennes arlonaises.

L' Areler Volksjugend


En décembre 1942. Lespagnard constitue au sein du cercle lin-
guistique arlonais un groupement de jeunesse baptisé «Jeunesse
15381 Lettre non datée du président Maas aux m embres du Sprachverein. J.M.B.
Procès Maas.
1539i J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
15401 Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit. dé cem-

bre 1942.
541
1 1J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.

363
Août 1942 : sur le quai de la gare de Luxembourg. lU1 groupe d'enfants d'Arlon
et d'Ath us s'apprête à partir en vacances dans le Reich grâce à l'action sociale du
Sprachverein.

Lors d'W1 vernissage. le bourgmestre Lucien Eichhom présente une exposition


de peintres arlonais et luxembourgeois
des couches populaires arlonaises», composé de deux sections
pour garçons et de deux sections pour filles (deux à Arlon et deux
à Athus) (542l. A son origine, le groupement compte 74 membres.
Les enfants viennent principalement des sphères pauvres de la
population, malgré la présence de filles et de fils de fonctionnai-
res.
«La plupart des bourgeois sont très réservés et n 'envoient pas
leurs enfants de crainte de se compromettre. Depuis le premier
jour de son existence, le groupement de jeunesse est exposé
aux attaques très violentes de la population non germanophile,
surtout du personnel enseignant, de la bourgeoisie, des cléri-
caux, et des très fortes organisations d'éclaireurs. Ces attaques
n 'ont cependant eu aucun succès jusqu'à présent Les réunions
sont tenues régulièrement et presque chaque semaine quelques
nouveaux membres s'inscrivent, bien que les locaux ne soient
pourvus que d'une installation rudimentaire et que les enfants
n'aient pas encore d'uniforme.
«Cet uniforme consistera pour les garçons en une culotte de
ski, une veste de sport en tissu noir, une chemise couleur bleu
d'acier et un béret marin comme coiffure. Pour les Blles, une robe
noire, une blouse de sport noire et une chemise blanche.
«Lors des réunions, nous pratiquons surtout le chant, la lan-
gue allemande, le jeu et la gymnastique. La plus grosse difBculté
réside dans la façon d'être des enfants. Toute discipline leur est
antipathique. Rien ne les intéresse. ils n'ont aucune inspiration
personnelle. Ce qui semble les stimuler est la haine qu'ils res-
sentent à l'égard des enfants wallons et ceux de meilleure con-
dition qu'eux. Et cette haine grandit de jour en jour.» (543l
Deux fois par semaine. le jeudi et le dimanche, Lespagnard
réunit les enfants et leur propose des activités comparables à
celles des mouvements scouts : promenades. chansons. jeux ...
Bientôt Lespagnard passe le relais à Jean-Pierre Majeres. lui-même
secondé par de jeunes Arlonais et Athusiens. fils et filles de mem-
bres actifs du Sprachverein. Il est décidé de transformer la troupe
en une formation de jeunesse hitlérienne. en donnant aux en-
fants la formation adoptée par ce mouvement. surtout au point
de vue discipline.

t542J J.M.B.Procès Zender. Dossier Jeun esse Hitlérienne. Bureau de la Résistance.


Renseignem ents.
t543J Paul LESPAGNARD. Rapport SllI la province de Luxembowg. op. cit. décem -
bre 1942.
365
Athus. mai 1942 : les dirigeants du Sprachverein et les autorités allemandes
rendent hommage à deux légionnaires wallons. Désiré Grandjean et Roger
Wéber. tués sur le front de l'Est. Le président Léopold Maas évoque la m émoire
des deux combattants tombés dans les rangs de la Légion Wallonnie. « Ils sont
morts en héros pour leur idéal national-socialiste. Ils ont sacriEé leur vie pour la
renaissance de lew· patrie et pour la grandeur de l'Ew·ope ,,, dit la plaque com-
mémorative.
En juin 1943, la Jeunesse Hitlérienne de Bruxelles prend le
contrôle du groupe. Les enfants embrigadés et revêtus d'un uni-
forme sont envoyés en camp en Allemagne. les filles à Buchen-
Bayem et les garçons à Thal Lichtenberg où des moniteurs offi-
ciels allemands leur dispensent les bases d'une éducation natio-
nal-socialiste.
Cela ne se passe pas toujours très bien. Le Bannführer
Thiermann se plaint amèrement dans une lettre adressée à son
supérieur Ackermann à Coblence. Il y raconte que le petit A s'est
sauvé vers un prisonnier français. Ses camarades l'ont rattrapé et
ligoté à un arbre durant toute une soirée en guise de punition.
Certains de ses camarades ne savent ni lire ni écrire et ont une
piètre opinion du Führer et du combat mené par le Reich.
Thiermann s'interroge sur la Jeunesse Hitlérienne arlonaise et
sur ses dirigeants.
Au total. une centaine de petits Arlonais et une cinquantaine
d'Athusiens adhèrent à l'Areler Volksjugend alors qu'il est prévu
d'en recruter 1.200 à terme. Ils se manifestent surtout par des
défilés en ville, des représentations de pièces allemandes et des
récitals de poésie lors de fêtes diverses. Leur formation a pour
base l'éducation national-socialiste.
D'autre part les «Kindergruppen» et «l'Areler Jung Madeln»
organisent chaque année des colonies de vacances en Allema-
gne pour les enfants des sympathisants du Sprachverein (544l_

La gennanisation de l'enseignement
primaire
Dès le 30 octobre 1941, Zender fait passer une loi relative au
régime linguistique dans les écoles des communes de la pro-
vince de Luxembourg dont la population est en majorité d'ex-
pression allemande (545 l_ Pour l'occupant. il s'agit d'un jalon im-
portant dans l' œuvre de rétablissement de conditions saines au
point de vue linguistique et racique dans la région d'Arlon.
Cet arrêté prévoit que l'allemand est introduit comme langue

!544l Grâce au Sprach verein. 120 enfants du pays d 'Arlon en vacances dans le
Reich in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-1945. de la mobilisation à la ré-
pression. op. cit. p. 269.
!545 J Moniteur Belge des arrêtés ministériels et autres arrêtés des Secrétaires gé-
n éraux. Bruxelles. 13 nove mbre 1941. p. 7471.
367
principale d'enseignement dans les écoles primaires des villages
d'Attert. Autelbas, Bonnert, Guirsch, Habergy, Hachy, Hondelange.
Messancy. Nobressart. Nothomb. Sélange. Thiaumont. Toernich,
Tontelange et Wolkrange. Le français devient la seconde langue
avec six heures de cours par semaine en 1ère et 2e années, puis
passe de huit à dix heures de cours dès la 3e année. Une période
d'adaptation d'une demi-année est envisagée.
Un régime transitoire est prévu pour les écoles de Heinsch.
Tintange. Warnach, Fauvillers (sections de Bodange et
Wisembach), Halanzy (sections d'Aix-sur-Cloie et de Battincourt).
Pour la première fois, la langue véhiculaire est l'allemand. Elle
doit le rester pour ces enfants tout au long de leurs études. Pro-
gressivement l'allemand s'imposera comme langue véhiculaire
dans toutes les années. Quant aux enfants ayant déjà commencé
leurs études. ils suivront des cours d'orthographe et de lecture
allemandes en 2e année. Un tiers de leur horaire sera consacré à
l'allemand dès la 3e année.
Rien n'est prévu pour Arlon. Athus et Aubange. Zender leur
prépare une ordonnance pour la rentrée suivante.
En août 1942. un arrêté instaure un nouveau régime pour les
écoles du niveau primaire de ces trois communes situées au cen-
tre ou à proximité de communes d'expression allemande et comp-
tant elles-mêmes des minorités allemandes. L'allemand y devient
la seconde langue à raison de trois heures par semaine au pre-
mier degré. quatre au deuxième. cinq au troisième, six au qua-
trième. A partir de la 5e année, l'étude de la seconde langue devra
être renforcée par l'organisation de cours répétés d'allemand (546l.
L'entrée en vigueur de ce nouveau régime ne se fait pas sans
mal. Voici comment Lespagnard décrit la situation en décembre
1942. puis en février et en juillet 1943 :
«Lïnspecteur de l'enseignement Perbal s'est adressé aux ad-
ministrations communales pour l'application de la loi linguisti-
que. Les administrations, n'ayant aucune expérience dans ce
domaine, se sont adressées à leur tow· aux directeurs d'école,
lesquels ont déclaré ignorer encore tout de cette loi scolaire.» (547J
«Dans toutes les écoles de la région arlonaise, la langue alle-
mande est maintenant enseignée obligatoirement, toutefois avec
un succès minime, car la plupart des enseignants et des
546
( l Moniteur Belge des airêtés ministériels. op. cit.. 10 août 1942. p. 5010.
(
547
l Paw LESPAGNARD, Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit., décem-
bre 1942.
368
bourgeois de marque ont su présenter l'enseignement de l'alle-
mand comme une mesure arbitraire de l'occupant. Dans toutes
les écoles on cherche à ridiculiser la langue allemande et la plu-
part des professeurs déclarent aux élèves à toute occasion qu'ils
ont été contraints d'enseigner l'allemand. On n ·a pas songé non
plus à nommer un nouvel inspecteur des écoles chargé de veiller
à une application stricte de la nouvelle loi scolaire.» (54si
«Le niveau de l'enseignement a en général. fortement baissé
partout. D'après les constatations de l'inspection belge des éco-
les. 40 % des enfants assujettis à l'obligation scolaire, ne fréquen -
tent plus l'école.» (549l
En outre. devant l'incapacité de beaucoup de maîtres en fonc-
tion à enseigner l'allemand. Zender doit faire venir des profes-
seurs originaires des territoires d'Eupen-Malmédy. Les livres ap-
propriés font également défaut. Les écoles qui possédaient des
manuels allemands avant la guerre. en histoire notamment. ont
vu l'occupant les confisquer car la description des événements
de 1914 était jugée subjective et même subversive. C'est pour-
quoi on recourt à d'anciens manuels d'Eupen-Malmédy mais leur
nombre est insuffisant ,55 oi.
Lespagnard estime que ces arrêtés rédigés par Zender et ren-
dus obligatoires par l'instruction publique. sont généralement
mieux observés dans les écoles cléricales. Mais les résultats es-
comptés ne sont pas pour autant atteints :
«Chez les Frères Maristes à Arlon. la loi est théoriquement
appliquée: mais pratiquement cet enseignement est donné par
des professeurs incapables. de telle façon qu'aucun progrès n ·est
possible chez les élèves. On reste toujours aux premiers éléments
intentionnellement. on ne va pas au-delà.» ,55 ,i
Pour Edouard Gerlach. ces réglementations sont provisoires
et il faut envisager d'aller encore plus loin dans le futur :
«Um die Volkstumsarbeit in Belgien und besonders im Areler
Gebiet entscheidend zu beeinflussen. dürfte es über die oben
erwahnten Masznahmen hinaus notwendig sein. dasz fuszend
auf dem Gesetz von 1831. in dem die deutsche Sprache ofB.ziell

15431Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit. février


1943
15491Idem. juillet 1943.
155 o1 Idem. décembre 1942.
1ss11 Idem.
369
als 3. Staatssprache in belgien verkündet wurde, die staats - und
verwaltungsrechtliche Stellung der Volksdeutschen neu festgelegt
wird, da zur Zeit noch alle Volksdeutschen Belgiens staats - und
verwaltungrechtlich als Wallonen gelten. » (55 zl

La gennanisation de l'Athénée royal d'Arlon


Zender s'attaque également à ce qu'il considère comme l'un
des fiefs de la langue française à Arlon : !'Athénée royal. Mais
cela ne se fait pas sans difficulté car le Kriegsverwaltungsrattrouve
en travers de son chemin le préfet de !'Athénée. Ernest Gendebien.
Connu avant guerre pour ses sympathies rexistes. le préfet a
adopté depuis le début de l'occupation une grande réserve au
point de vue politique. Comme Zender prépare la première étape
de la germanisation de l'établissement. il convoque l'un après
l'autre Gendebien et les principaux professeurs d'allemand tels
Michel. Ertz et Dackweiler (553 l.
Son intention est de leur faire admettre à l'amiable l'instaura-
tion de la langue allemande comme langue principale dans l'éta-
blissement à long terme. Les trois germanistes ne lui font guère
de difficultés. Il est vrai que les deux premiers. originaires des
cantons de l'Est. sont tenus de porter l'uniforme allemand. Le
troisième est un ancien membre du Verein de Kurth. Par contre.
le préfet repousse poliment mais fermement les propositions de
Zender en lui expliquant que l'allemand a toujours eu une place
de choix dans l'enseignement à !'Athénée royal d'Arlon. A ce
moment. Zender veut simplement faire admettre le principe. Il
n'a pas encore de projet bien défini et il n'insiste pas (554l.
A la rentrée de septembre 1942, le ministère de l'instruction
publique transmet à Gendebien de nouvelles directives pour le
régime linguistique de l'école (555 l_ Les nouvelles mesures restent
vagues mais on précise que Zender est chargé de fixer les détails
et de veiller à leur application. Le préfet est à nouveau convoqué
à la Kreiskommandantur. Zender lui expose ses volontés et ses
projets. Dans l'immédiat le français demeure la langue princi-
pale d'enseignement Il est évidemment impossible de faire autre-
ment. Mais l'allemand devient la langue secondaire obligatoire
tandis que les classes préparatoires et les sixièmes années sont
!55 zi Edouard GERLACH. Arel. Vorposten des Deutschtum im Westen. Der Chef
der Zivilverwaltung in Ll1Xemburg (brochure de propagande non datée).
!55 ,l J.M.B. Procès Zender. P.V. 16 août 1946. n° 12775.
!554 l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n° 729 2.

370
dédoublées. Une section pour les enfants provenant des com-
munes à majorité de langue allemande et une autre pour les
enfants provenant de la partie wallonne du pays sont créées.
Quant aux enfants d'Athus, Aubange et Arlon. ils ont le droit de
choisir entre les deux. Dans la section allemande, il faut autant
d'heures de cours de langue allemande que de langue française.
En plus. les cours de géographie et d'histoire doivent être don-
nés en langue allemande exclusivement C'est un programme
de départ, le premier pas vers l'enseignement complet en lan-
gue allemande pour les élèves patoisants.
Gendebien déclare qu'il lui est impossible d'appliquer ces ins-
tructions à la lettre car il va bouleverser tout son horaire. Zender
réplique qu'il existe d'autres préfets que lui. Il s'incline '556l.
Si Zender croit l'affaire réglée à ce moment il se trompe lour-
dement Bouleversant les horaires, modifiant les prestations des
professeurs. Gendebien change tout sans rien changer. Il réduit
les volontés de son maître à néant maintenant à peu de choses
près le statu quo. Lespagnard, alerté, informe le S.D. de Liège :
« Au gymnase, les horaires ont été établis de telle façon qu'un
enseignement fondamental de la langue allemande est impossi-
ble. .. On continue à avoir le même nombre d'heures de cours... on a
placé au cours supérieur d'allemand les élèves les plus faibles. Le
directeur de l'école, Emest Gendebien, déjà connu avant la guerre
pour sa germanophobie, s'oppose par tous les moyens en son pou-
voir à l'application pratique de la loi linguistique et invente journel-
lement de nouvelles cliJiicultés. na déjà tenté d'éloigner les élèves
de l'académie allemande et cherche par tous les moyens à nuire au
groupement de la jeunesse. Vis-à-vis des autorités allemandes, il
est tout humble. Les professeurs Dony, Gouverneur. Anclries et
Verstraeten sont les adversaires les plus acharnés du cours d'alle-
mand. Un déplacement de Gendebien serait opportun. »'557l
Le préfet de !'Athénée poursuit son sabotage en soulevant cons-
tamment de nouveaux problèmes : les appellations de deuxième et
troisième langues sont ambiguës dans la loi relative à l'emploi des
langues; des contradictions apparaissent avec ses directives ... '558l

(555 l J.M.B.Procès Zender. P.V. 27 août 1946.


(556l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n ° 7292.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 16 août 1946. n ° 12775.
(557 l Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit., décem-
bre 1942.
(558l Idem. janvier 1943.

371
Furieux, Zender demande à Gendebien de dresser la liste des
élèves patoisants afin de vérifier lui-même s'ils fréquentent bien
une section allemande. Pour établir la liste, il donne comme cri-
tère. les enfants nés à Arlon ou dans la région, de parents nés
eux-mêmes à Arlon ou dans la région. L'officier allemand s'at-
tend à voir apparaître sur ces listes environ 70 % de la popula-
tion scolaire. En réalité les listes remises n'en comprennent que
35 à 40 % (559i. Gendebien n'y a repris que les élèves portant un
nom à consonance allemande et ayant manifesté le désir d'aller
dans la section allemande. Les résultat est édifiant. Même lape-
tite sœur de Lespagnard ou le fils du pharmacien Sand d'Athus.
un dirigeant du Sprachverein, ne figurent pas sur ces listes (560J.
Zender cherche par tous les moyens à faire partir Gendebien.
mais la situation n'est pas simple. Aucun professeur d'allemand
de !'Athénée ne veut prendre sa succession. Tous se souvien-
nent de ce qui est arrivé à Nicolas Warker trente ans plus tôt (561 l.
Devant les plaintes répétées de Zender. l'Administration mi-
litaire de Bruxelles décide d'envoyer sur place la Commission de
contrôle linguistique afin de voir ce qui se passe dans les écoles
primaires de la région et à !'Athénée d'Arlon. Gendebien. averti
de leur visite par la Kreiskommandantur. les reçoit fort aimable-
ment et leur montre la parfaite organisation des cours d'alle-
mand à !'Athénée. Il cache son jeu et à leur sortie de l'établisse-
ment. les membres de la Commission vont féliciter Zender du
bon fonctionnement de l'apprentissage de la langue allemande
à !'Athénée ! (562 l
En mars 1943. voici comment le gestapiste Paul Lespagnard
résume la situation à ses supérieurs :
«L'introduction de la langue aflemande comme branche obli-
gatoire dans les écoles de la région d'Arlon a réussi, du moins
sur le papier. Mais en général cette disposition est sabotée et ne
donne aucun résultat pratique.
«En outre, les enfants de descendance aflemande qui sont
dans les sections aflemandes, sont sursaturés de propagande
belgiciste. Ainsi le jour anniversaire de la mort du roi Albert, le
directeur du gymnase d'Arlon. Gendebien, a fait une conférence

(559l J.M.B. Procès Zender. P.V. 27 août 1946.


560
( l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n ° 7292.
56 1
( l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n ° 7292.
562
( l J.M.B. Procès Zender. Déclaration d'Ernest Gendebien.
372
d'une durée de deux heures aux élèves de ladite section alle-
mande, sur la politique belge de ce roi. Il leur a imposé ensuite
comme devoir de français une dissertation visant à la glorifica-
tion du Roi Albert
«L'inspecteur de l'enseignement Perbal d'Arlon a introduit dans
toutes les classes supérieures des écoles populaires un cours spé-
dal sur la constitution belge. Ce cours n'existait pas avant la guerre. ..
Selon ses instructions, les membres du personnel enseignant doi-
vent établir un parallèle entre la perfection de la forme de l'Etat
belge où la souveraineté appartient au peuple qui en dispose li-
brement et les pays totalitaires où elle appartient au dictateur qui
dispose de la vie du peuple sans aucun contrôle.» (563l
A la fin de l'année 1943. Zender s'arrange avec un membre du
bureau du S.D. récemment ouvert à Arlon. afin d'obtenir un chan-
gement d'attitude du préfet de l'Athénée. n le présente comme
le principal obstacle au développement de la langue allemande
dans l'enseignement supérieur à Arlon. En mars 1944. le gestapiste
Lacourt convoque Gendebien dans les locaux du S.D .. à la rue de
Virton, pour le mettre en garde.
Gendebien rétorque que la faute incombe à Zender qui ne
montre pas la moindre compréhension pour les nécessités de l'ho-
raire et l'organisation des cours. Le gestapiste l'avertit que s'il n'obéit
pas aux ordres. il en supportera les conséquences. L'affaire ne va
pas plus loin car peu après. Lacourt est muté ailleurs (564l. Trois
mois plus tard. l'année scolaire se termine et à la rentrée suivante.
c'est la libération.
S'il est indéniable que l'allemand a progressé à l'Athénée pen-
dant la guerre. ne fut-ce qu'en devenant la seconde langue de
tous les élèves. Zender ne parvient pas à appliquer son pro-
gramme de germanisation suite au sabotage systématique par le
préfet de l'établissement. Par chance, ce dernier n'est pas à Arlon
la nuit du 24 au 25 août 1944 et les Allemands le cherchent en
vain.

Résistance de la population
Les rapports de Reeder à Berlin prouvent que l'action du
Sprachverein ne se déroule pas sans mal. En décembre 1942. il

(563l Paul Lespagnard. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit.. mars 1943.
(564l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n ° 7292.
373
mentionne pour la première fois une action contraire croissante
de la part de cercles français opposés à l'Allemagne. Cependant.
le chef de l'administration militaire à Bruxelles s'empresse d'ajou-
ter que grâce aux conseils éclairés et continus des délégués de la
Kreiskommandantur d'Arlon auprès de la direction du
Sprachverein, la prise de conscience des Arlonais de leur appar-
tenance au peuple allemand porte ses fruits et continue à se
développer (565 l.
En mars 1943. Reeder fait remarquer que malgré une conjonc-
ture générale peu propice à l'Allemagne. à Arlon. les membres
du D.S.V. continuent à manifester fermement leur appartenance
à la nation germanique. preuve évidente qu'ils ne sont pas du
côté allemand pour profiter de la situation. Le travail se poursuit
sans encombre (566l.
Pourtant. à la même époque, Lespagnard informe le S.D. de
Liège que suite à l'influence grandissante de Gerlach et des nazis
de Luxembourg dans le cercle linguistique. toute l'affaire a perdu
sa vraie couleur locale et que la population le considère comme
une simple création de guerre sans grande importance. Au sein
même du mouvement. c'est le malaise. Le nombre de gens réel-
lement actifs est minime. la méfiance règne. Les uns sont irrités
que l'affaire soit dirigée par des Luxembourgeois: les autres sont
mécontents de l'attitude équivoque des autorités militaires. esti-
mant que l'administration militaire joue davantage le soutien des
germanophones contre celui des germanophiles.
Les attaques contre le président Léa Maas se multiplient. Son
employeur. la direction du service de Contrôle belge. a ouvert
contre lui une enquête disciplinaire et essaye de le déplacer en
Wallonie (567l.
En septembre 1943. Reeder informe Berlin que la situation se
gâte à Arlon. Récemment des résistants se sont procurés. soit par
le vol. soit par une interception du courrier postal. la liste des
membres du Sprachverein qu'ils ont imprimée en de nombreux
exemplaires et distribuée à travers toute la ville. Depuis. les mem-
bres du Spracbverein sont soumis à un boycott général dans les
domaines commercial. économique et social. Certains reçoivent

(565 l Verordnungsblatt des Militarbefehlshabers. op. cit. décembre 1942. A36.


(566lidem. mars 1943. A37.
(567 l Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit.. février
1943.
374
des lettres de menaces et d'autres sont attaqués et volés. Dans
les administrations, ils sont isolés et paifois suspendus.
En décembre 1943, Reeder est très pessimiste. Les difficultés
rencontrées par le Sprachverein sont considérables. Même les
milieux d'expression allemande font preuve de défiance vis-à-
vis du cercle linguistique. On assiste à une véritable campagne
de bouche à oreille mettant en exergue les rations supplémen-
taires de nourriture dont jouissent les collaborateurs. Les lettres
de menaces qui se multiplient et la diffusion de la liste des mem-
bres intimident la population et instaurent un climat de peur '568l.
En avril 1944. les nouvelles sont encore pires. Un des diri-
geants les plus importants du Sprachverein d'Athus, le docteur
Heyaert, qui tentait de recruter des ouvriers, a été assassiné '569l.
En quatre années, Reeder n'a cité dans ses rapports que le
nom d'un seul membre du D.S.V. : l'aitiste-peintre Paul Breyer
(57 oi. Même les noms du président du Sprachverein ou du

Kriegsverwaltungsrat d'Arlon n'ont pas leur place dans les com-


munications pour Berlin. Le fait qu'il rompe cette règle pour citer
le docteur Heyaert prouve l'importance de l'événement.
Reeder conclut que toute la population de la région et même
une partie des membres du Sprachverein, sont loin d'être libérés
de leurs attaches et de leur affection pour la Belgique. Il recom-
mande d'éviter à tout prix un geste qui pourrait être interprété
comme une volonté d'annexion car c'est sur cet argument que
repose toute la propagande adverse, propagande qui porte des
coups si durs au Sprachverein '571 l.

Le "Schutzgruppe»
Durant les derniers mois de l'année 1942. d'inquiétantes ru-
meurs se répandent à Arlon quant à l'organisation par la Résis-
tance d'un attentat contre le bourgmestre Eichhom, les échevins
collaborateurs et certaines personnalités du Sprachverein comme
les deux frères Muller, Majeres, Jules Knepper. Alphonse Theis,
Bernard Huss d'Athus, etc. La surveillance et la protection des

' 568l Verordmmgsblatt des Militarbefehlsbabers. op. cit. septembre 1943. A49. et
décembre 1943. A45.
(569l Idem. avril 1944. Al2 et A13.

(57ol Verordnungsblatt des Militarbefehlsbabers. op. cit. décembre 1942. A.36.

' 511 l Verordnungsblatt des Militarbefehlsbabers, op. cit. avril 1944. Al2 et A. 13.

375
intéressés sont considérablement renforcées. Des Feldgendannes
sont placés en faction devant leurs domiciles et leurs lieux de
travail. mais cela ne les rassure pas pour autant et contrecarre
l'activité du cercle linguistique (ml.
Afin de répondre à leurs inquiétudes. Zender décide la for-
mation au sein du mouvement d'un groupe de défense armé.
Plusieurs d'entre eux ont déjà demandé des permis de port d'ar-
mes. La Kommandantur décide non seulement de les armer mais
de les entraîner et de les organiser en une force susceptible d'ap-
porter un appui à la Wehrmacht en cas de coup dur contre l'Ar-
mée Blanche '573 l.
La première réunion du Scbutzgruppe a lieu en avril 1943 sous
la houlette de Zender. Vingt-trois personnes forment cette garde
armée du Spracbverein. La plupart d'entre elles sont des mem-
bres du comité déjà âgés; huit seulement sont aptes au service
militaire '574l. Zender désigne un comité de direction et décide
qu'une réunion les rassemblera tous les dimanches.
L'objectif est de constituer une petite milice d'une trentaine
de personnes comparable à une unité SS en Allemagne. Chaque
membre reçoit un parabellum 9 mm et un capitaine leur ensei-
gne son maniement. De même. on les entraîne au tir avec des
fusils de guerre au cas où la Kreiskommandanturdevrait recourir
à leur appui. Lorsque le Spracbverein s'établit la même année
dans ses nouveaux locaux à la place Didier à Arlon. Majeres ins-
talle un stand de tir dans la cave.
Différents plans sont mis au point L'un d'entre eux prévoit l' éva-
cuation des familles des dirigeants du cercle. en collaboration avec
l'armée allemande. Ce plan est appliqué le 1er septembre 1944 '575l.
D'autres prévoient des actions contre les Arlonais suspectés d'être
des ennemis. Un responsable du D.S.V. par quartier et parfois un
par rue sont désignés parmi les plus sûrs pour fournir des infor-
mations. Des signaux de transmission optique sont mis au point
Un courrier. un chauffeur, un téléphoniste sont formés. Bref. les
préoccupations de la langue maternelle sont bien loin.

573
' lJ.M.B. Procès Majeres. P.V. 1er octobre 1945. n ° 4367.
J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 18 avril 1946. n ° 5466.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946. n ° 8940.
t574 l Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit. avril 194 3.
t575 i Gaston et Jean-Marie TRIFFAUX. La Libération d'Arlon. Arlon. 1984. pp. 42-43.
La fuite des collaborateurs. in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la
mobilisation à la répression. op. cit. pp. 443-444.
376
Selon Lespagnard. Zender tente de former une unité d'élite
au sein du Sprachverein afin de satisfaire ses dirigeants. Mais
lorsqu'il se rend compte que le secret n'est pas gardé et que la
haine grandit encore plus parmi la population, il doit freiner son
action et se limiter à un groupe de défense (576l.
Selon Zen der, c'est Lespagnard qui propose de créer une unité
SS au sein du Sprachverein. Combattant cette idée et craignant
qu'il ne parvienne à ses fins. Zender aurait alors pris les devants
en créant le Schutzgruppe. plus modéré et placé sous son con-
trôle (ml.
Cette dernière version est tout à fait plausible car Lespagnard
est déjà à l'origine de la création de l'Areler Volksjugend sur le
modèle des jeunesses hitlériennes allemandes.
Quoiqu'il en soit. ces détails traduisent l'affolement des diri-
geants du Sprachverein et de la Kreiskommandanturface à l'hos-
tilité de la population et aux actions de la Résistance.
Ce Schutzgruppe ne se manifestera finalement jamais si ce
n'est lors de la fuite de ses membres et de leurs familles en Alle-
magne. huit jours avant l'arrivée des troupes américaines.

Le problème de l'annexion
Selon les rapports transmis par Reeder à Berlin. le cercle lin-
guistique a pour mission de faire prendre conscience aux Arlonais
qu'ils appartiennent à la nation germanique. On peut en déduire
que le but éloigné est leur rattachement à l'Allemagne.
Toutefois le chef de l'administration militaire à Bruxelles est
assez mal pris. D'une part il doit démontrer que le pays d'Arlon
ne peut pas être annexé dès maintenant. car il ne tient en aucune
manière à perdre une portion supplémentaire du territoire belge
au profit des SS. ce qui causerait certainement des troubles à
travers tout le pays; et d'autre part. il doit prouver que le
Sprachverein travaille bien et progresse s'il veut en conserver le
contrôle par l'entremise de Zender et éviter le retour de la V.D.B.
il y a, semble-t-il. un certain malentendu entre l'administra-
tion militaire et les dirigeants du Sprachverein lors de la fonda-
tion du mouvement. il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'à ce

!576l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 18 avril 1946, n ° 5466.


!577 l J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946. n° 8940.
377
moment. la plupart d'entre eux croient à une annexion du pays
d'Arlon imminente ou du moins à court terme. sur le modèle
que connaît le Grand-Duché de Luxembourg. Le Gauleiter Si-
mon y a pris tout un train de mesures de germanisation et le 9
février 1941. peu avant la fondation du Sprachverein. le Grand-
Duché est devenu une dépendance administrative du Gau de
Trèves. sous le nom de «Moselland». Et finalement le 30 août
1942, un décret décide que tout Luxembourgeois appartenant à
une organisation officielle est automatiquement citoyen du Reich
allemand. En conséquence. les Luxembourgeois en âge de servir
sont appelés dans la Wehrmacht, contre leur gré.
En avril 1941. à un moment où la victoire de l'Allemagne est
totale. où la Russie n'a pas encore été plongée dans la bataille et
où une annexion prochaine est hautement probable. il y a une
certaine précipitation chez d'anciens rexistes et d'autres collabo-
rateurs arlonais pour se faire une place à la tête du nouveau
mouvement. afin d'être récompensés lorsqu'Arlon deviendra par-
tie intégrante du Reich.
Quand Zender déclare le 19 avril 1941 que la tâche du
Sprachverein est de préparer la politique ultérieure de l'Allema-
gne envers Arlon. tous sont ravis. Us savent pertinemment que la
population ne se laissera pas germaniser sans broncher mais c'est
un mauvais moment à passer et c'est maintenant qu'il faut gagner
sa place au soleil. Envoyé par Luxembourg. Gerlach est là pour les
rassurer : le Gauleiter se fait fort de les accueillir bientôt «Are]
Deutsche Stadt». peut-on lire et entendre partout Seulement l'an-
nexion ne vient pas. La haine de la population grandit En juin. les
troupes d'Hitler envahissent l'URS.S. En décembre. après l'atta-
que japonaise à Pearl Harbor. l'Allemagne et l'Italie, à leur tour,
déclarent la guerre aux Etats-Unis. Le conflit devient mondial.
La première démarche de la direction du Sprachverein en vue
d'obtenir une annexion rapide du pays d'Arlon se situe à l'été
1942 (57sl. Elle se déroule contre la volonté de Zender et est orga-
nisée par Gerlach. Majeres et Huss. Une délégation d'une dou-
zaine de personnes parmi lesquelles les docteurs Heyaert. Mul-
ler, le président Maas ... se rend à Luxembourg où le Gauleiter
Simon les reçoit Après un discours sur le thème «Benn ins Reich»,
ce dernier annonce aux Arlonais qu'il se considère déjà comme
leur « Schutzherr », ou protecteur. et qu'il fera tout pour obtenir
leur rattachement.

(57 a1 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 26 février 1946. n ° 1088K

378
Eichhom. attaqué à tort par la presse clandestine comme ayant
pris part à cette réunion alors qu'il n'en est rien, proteste auprès
de Zender qui fait rapport à Bruxelles. Luxembourg reçoit des
remontrances (579l,
Selon différents bruits qui courent dans les milieux réputés
bien informés pendant la guerre. Simon effectue un voyage à
Berlin durant ce même été 1942. nplaide en personne auprès du
gouvernement du Reich pour obtenir le pays d'Arlon. terre de
langue et de sang allemands. Léon Haulot. directeur de la Ban-
que Nationale à Arlon raconte :
«ll lui aurait été répondu que cette annexion n 'était pas possi-
ble tout d'abord en raison de l'hostilité des hautes personnalités
militaires et en second lieu, parce que le dit Sprachverein appa-
raissait à Berlin comme n'étant pas sérieux.» '580)
Camille Decker écrit dans l'Avenir. en octobre 1944:
«Nos führers locaux se Brent violemment tirer les oreilles à
Coblence, où ils avaient été convoqués après le 1er septembre
1942, par le Gauleiter Simon. Celui-ci voulait à tout prix nous
annexer. mais il avait contre lui la majorité des ofB.ciers de la
Kommandantur d'Arlon et les services de von Falkenhausen à
Bruxelles, et la nonchalance ou l'incapacité des zèbres de
Volksdeutsche d'Arlon ... » (58 1)
C'est à partir de cette période que le Sprachverein intensifie
considérablement ses activités et ses efforts dans la région.
La seconde démarche des dirigeants du cercle linguistique se
déroule en avril 194 3 '582 l. Une vingtaine de personnalités
arlonaises se rendent en bus à Luxembourg à une réception chez
le Gauleiter Simon. organisée en l'honneur du ministre du Reich
Alfred Rosenberg. un des principaux idéologues du national-so-
cialisme. spécialiste des questions raciales et de la germanisation
de l'Ukraine. ils ne parviennent toutefois pas à exprimer leurs
desiderata car Rosenberg part aussitôt après sa conférence. Seul
Eichhom réussit à se faire présenter au ministre. grâce à ses amis
du Luxemburger Wort mais partisan du maintien de la région,

!579l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.


!580l Déposition d e Léon Haulot. op.dt
!581 l Camille DECKER. Les remontrances de Coblence, in L'A venir du Luxembourg.
m ercredi 4 et jeudi 5 octobre 1944. n° 13. p. l.
!582 l J.M.B. Procès Lespagnard, P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 26 février 1946, n ° 1088K
379
dans un cadre national belge uni. le bourgmestre d'Arlon évite
de parler d'annexion et se contente de se mettre en vedette.
La plus sérieuse tentative a lieu à la fin de l'année 1943. peu
avant Noël (533i_ A cette époque. Simon organise à Luxembourg
une réunion d'étude de hauts fonctionnaires du V.DA. du Parti
et des ministères allemands. Zender y prend la parole et donne
une conférence sur les problèmes arlonais. Maas. Majeres et Huss
sont présents.
Le lendemain. les participants à la journée d'étude, au nom-
bre d'une vingtaine. se rendent à Arlon et rencontrent au
«Soldatenheim» les membres du comité du cercle linguistique
local. Ils discutent de toutes les questions arlonaises dans le but
de faire un rapport à leurs départements respectifs en vue de
l'annexion. Les membres de la commission posent beaucoup de
questions sur les activités du Sprachverein. le pourcentage de la
population qui y est affilié. la répartition des classes sociales ...
Selon Lespagnard, les fonctionnaires allemands retirent une im-
pression mitigée en faveur de l'annexion.
Cet événement est peut-être à mettre en rapport avec une
déclaration de Reeder en date du 18 avril 1947:
«En 1943, le Reichsliïhrer SS Himmler avait souhaité la créa-
tion de trois «Gau» en Belgique à la suite de conversations qu'il
avait eues avec Léon Degrelle et Jef Van de Wiele: les «Gau» de
Flandre, de Wallonie et de Bmxelles auraient été fondés en même
temps que la région d'Arlon aurait été annexée.
«Le Roi est alors intervenu auprès du général von Falkenhausen
au cours d'une visite de celui-ci chez le roi Léopold, en vue d'éviter
l'exécution de telles mesures. Le général von Fallœnhausen, comme
je l'ai déjà dit, ne demandait qu'à partager les vues du Roi puisqu'il
désirait éviter tout incident» (584l
L'annexion n'a finalement pas lieu et l'inquiétude des diri-
geants du Sprachverein grandit au fur et à mesure du recul des
armées allemandes devant les Soviétiques.
Au printemps 1944. le Hauptstunnfuhrermajor SS Lakman, at-
taché au général SS Richard Jungclaus, le représentant en Belgique
d'Heinrich Himmler, se préoccupe de la région d'Arlon. Il discute
du problème avec le Gauleiter Simon, le Kriegsverwaltungsrat

(583 l J.M.B.
Procès Lespagnard, P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 26 février 1946. n ° 1088K
(584! J.M.B. Procès Reeder. P.V. 18 avril 1947.
380
Zender et un haut dirigeant du Sprachverein. L'affaire vient aux
oreilles de Lespagnard qui avertit le chef de la Sipo d'Arlon. Heinz
Boetcher. Ce dernier prend aussitôt ses dispositions :
«Là-dessus, je me suis rendu chez Zender et lui ai demandé
sans éveiller ses soupçons s'il avait été à Luxembourg avec
Lakman, ce qu'il avoua. Suite à cela, j'en informai Liège. Ce ser-
vice écrivit immédiatement à Bruxelles. Le jour après, vint du
quartier-général du Führer l'ordre que cette annexion n'aurait pas
lieu...
«je ne sais pas jusqu'à quel point cette affaire avait été prépa-
rée militairement à Luxembourg, mais à Arlon, on avait déjà pris
des dispositions pour changer les noms français des rues en al-
lemand.» (5s5i
L'occupant est divisé sur le problème de l'annexion du pays
d'Arlon. Trois grandes tendances se font jour :
- celle de la Zivilverwaltung de Luxembourg. du parti nazi. de la
V.D.B. et des SS qui veulent l'annexion du pays d'Arlon à tout
prix: ce point de vue est partagé par la majorité des membres
influents du Sprachverein:
- celle de la Militarverwaltung de Bruxelles, hostile aux manœu-
vres annexionnistes et favorable au statu quo. Mais à partir de
1943. on note que sa résistance devient plus faible car ce pro-
blème se révèle pesant et ennuyeux. Bruxelles a la main quel-
que peu forcée par Luxembourg et il ne faut pas exclure que
Zender se soit rallié à l'idée d'annexion et aux thèses du Gau-
leiter:
- celle de la section 3 du S.D. (Lespagnard. Nossent. Schaefer.
Humeitsch ...) qui. ayant reconnu le manque de viabilité du
Sprachverein et de ce type d'organismes pro-allemands en Bel-
gique. est d'avis qu'il faut les supprimer pour se contenter de
mouvements uniquement sociaux et de recrutement de sol-
dats pour lutter contre le communisme.
D'autre part, il faut encore tenir compte de l'opposition à tout
projet d'annexion du pays d'Arlon de la part des rexistes. Un de
leurs responsables. Yvan Demaret. fonctionnaire à Athus, témoi-
gne:
«Je savais que le Sprachverein était un mouvement annexion-
niste. La meilleure preuve, c'est que le nommé Gerlach de

15s51J.M.B. Procès Boetcher. P.V. 22 janvier 1947.


381
Luxembourg s'en occupait. Dès ce moment, on voyait de gran-
des inscriptions peintes sur le macadam des routes: «Heim ins
Reich». j'ai compris quelles étaient les intentions de ces gens-là.
«D'initiative personnelle, je me suis mis à lutter contre le D.S.V.
parce que j'étais opposé à l'annexion. j'ai fait des rapports nom-
breux à Bruxelles au parti rexiste. Vers juin 1941, j'ai appris qu'un
accord avait été pris entre Degrelle et le gouvernement d'avoir à
cesser toute activité politique dans l'Areler Gebiet qui était «ré-
servé». j'ai compris que c'était au Sprachverein.» '586)
Lorsqu'en 194 7. on donne connaissance à Reeder d'une note
du Dr Zender. rédigée après une réunion tenue à la
Militarverwaltung qui ordonne que Degrelle soit prié de mettre
fin à son activité politique dans la région d'Arlon. il déclare :
«C'est toujours en vue de maintenir la tranquillité dans le pays
que cette mesure a été édictée. Nous désirions éviter toute fric-
tion entre le D.S. V. et Rex.» (537 )

Léopold III a-t-il sauvé Arlon ?


Pour Camille Decker. rédacteur en chef de l'A venir du Luxem-
bourg puis député à la Chambre. cela ne fait aucun doute : seu-
les les pressions du souverain sur l'administration militaire et
ses protestations auprès de von Falkenhausen expliquent la ré-
sistance de Bruxelles quant à l'annexion du pays d'Arlon.
Le Roi avait juré de défendre l'intégrité du territoire belge. ex-
plique le journaliste. et il protesta. jusqu'à la dernière énergie
auprès du Commandant militaire pour la Belgique et le nord de
la France contre toute menace d'annexion de la région arlonaise.
«La menace d'annexion proférée par Simon parvint jusqu'au
Palais de Bruxelles. On comprendra notre discrétion, si nous ne
citons pas de noms ici. ..» (5 88l
«Le Roi était d'ailleurs prévenu par des personnalités d'Arlon,
de tout ce qui se tramait ici.» '589l

(586l J.M.B. Procès Eichhom. Déclaration dYvan Demaret le 20 septembre 1945 à


Arlon.
587
( l J.M.B. Procès Reeder. P.V. 18 avril 194 7.

(588l Camille DECKER. Les remontrances de Coblence. in L'Avenirdu Luxembourg.


mercredi 4 et jeudi 5 octobre 1944. n ° 13. p. 1.
(589l Camille DECKER. Camouflage percé. in L'A venir du Luxembourg. mardi 10
et mercredi 11 octobre 1944. n ° 16. p. 1.
382
Selon Decker. si Arlon avait été annexé, le Roi aurait déclenché
une vaste offensive contre l'administration militaire : les
secrétaires généraux démissionnaient le cardinal de Malines éle-
vait la voix, l'administration du pays se mettait en grève. de même
que les Cours et Tribunaux. D'un seul coup la Belgique était déca-
pitée de tous ses hauts fonctionnaires. Les Allemands peu nom-
breux en Belgique se retrouvaient dans une situation invivable 1590l.
Devant ces informations invérifiables. on peut faire quelques
remarques. D'abord, l'administration militaire fonctionne en Bel-
gique avec un personnel très réduit à peine 1.200 personnes à la
fin 1941 159 1l. En effet tous les fonctionnaires belges sont restés à
leur poste et la vie économique et administrative belge se pour-
suit. La machine de guerre allemande a besoin de la production
des charbonnages, des usines et du bon fonctionnement du che-
min de fer. Tout cela passe par la sécurité. l'ordre et la tranquil-
lité, principal souci des Allemands.
Or il est certain que l'annexion d'une ville belge. chef-lieu de
province, provoquerait des troubles dans le pays et compromet-
trait sérieusement le fragile équilibre qui y règne. Maintenir le
calme. continuer à faire vivre et travailler la population, sont les
préoccupations prioritaires de l'occupant. Tout événement sus-
ceptible de briser cette tranquillité intérieure doit être évité. C'est
pourquoi l'administration combat l'idée d'annexion de la région
arlonaise. D'autant plus que von Falkenhausen et Reeder savent
à quoi s'en tenir quant à « l'avant-poste du germanisme à l'ouest».
Dès le début de l'année 1941. peu avant l'annexion du Grand-
Duché, le général a envoyé le colonel Holtzinger en tournée dans
la région afin de constater si celle-ci avait un caractère germani-
que. Selon le gouverneur Greindl à qui il se confie. le résultat de
l'enquête est: «ll s'agit non pas d'une région germanique mais
simplement d'une région patoisante» (592l. D'après Decker. le co-
lonel va encore plus loin dans son rapport au Commandant mi-
litaire:
«Les discussions autour du recensement linguistique de 1930
en Belgique sont vaines. ll est évident que l'allemand est en cons-
tante régression depuis un siècle: plus évident encore que la

' 5901Camille DECKER. Camouflage percé, in L'A venir du Luxembourg, mardi 10 et


m ercredi 11 octobre 1944, n ° 16. p. 1.
,59 ,1Jules GERARD-LIBOIS et José GOTOVITCH, L'an 40, La Belgique occupée, op.
dt, p. 132.
(5921 Déposition de Léon Haulot. op.dt.

383
population arlonaise fortemen t « batardée » de sang germani-
que et de sang latin est violemment and-allemande. » (593l
Tout cela justifie l'attitude des militaires qui freinent la vo-
lonté annexionniste de Luxembourg et des SS. Dans cette sub-
tile mécanique, les protestations du Roi ont leur place. Elles ap-
puient et confortent celles de von Falkenhausen, surtout si le
souverain ne s'adresse pas seulement à l'administration mili-
taire de Bruxelles mais intervient également à Berlin (594l_
En fin de compte, Berlin s'en remet à l'avis de l'administration
militaire et repousse continuellement l'annexion. Les multiples
démarches de Simon n'y changent rien car son Sprachverein con-
naît peu de succès et est mal considéré dans la capitale du Reich.
Von Falkenhausen et Reeder l'emportent sur Simon et Himmler :
«A Berlin. la même double tendance existait. tendance Simon
et tendance Von Falkenhausen. Le Reichsführer SS Himmler était
partisan de l'annexion du sud du Luxembourg mais l'adminis-
tration militaire allemande a fini par accueillir les objections for-
mulées par Bruxelles qui présentaient que l'on mettrait le feu
aux poudres en agissant de la sorte.» (595 l
Si l'attitude du Roi n'est pas décisive dans cette affaire, ses
protestations jouent leur rôle et méritent d'être signalées. ll existe
à ce sujet un témoignage plus précis recueilli par Jean Gyselinx
et publié dans le Quotidien du 26 mai 1946. C'est celui de Daisy
Barnich. la fille du pharmacien Fritz Barnich. président de l'Asso-
ciation commerciale et industrielle d'Arlon.
Agée à l'époque d'une vingtaine d'années. elle se souvient très
bien dans quelles circonstances son père. personnalité locale et
membre de la Résistance. reçut la visite d'un patriote luxembour-
geois ayant dérobé dans le bureau du Gauleiter Simon des docu-
ments relatifs à une annexion imminente d'Arlon au Reich. L'ac-
tion se déroulait dans le courant de l'année 1941 (596l.

(59 ,lCamille DECKER. Intrigues nazis tes. in L '.A venir du Luxembourg. dimanche 8
et lundi 9 octobre 1944. p. 1.
(594l Selon le témoignage de Ferdinand Clesse. ancien sous-officier détaché à la
Sûreté. Camille Decker lui aurait confié durant l'occupation que l'annexion
de la région arlonaise au Reich avait pu être évitée en partie grâce à une
intervention personnelle de Léopold m auprès de sa sœur Marie-José et du
mari de celle-ci, Umberto. Ce dernier aurait alors fait une démarche directe à
Berlin auprès des plus hautes autorités. Déposition recueillie à Waltzing le 7
septembre 1984.
( i J.M.B. Procès Reeder, P.V. 18 avril 194 7.
595

(596l Daisy Barnich, ancienne fonctionnaire à ]'ONU, a confirmé et complété son


témoignage lors d'un séjour à Arlon le 17 août 1984.
384
Après avoir informé des faits le président provincial de la Croix-
Rouge. le docteur Hollenfeltz. Fritz Barnich se rendit chez le
baron Greindl qui. devant ces fâcheuses nouvelles. dépêcha aus-
sitôt au Palais de Bruxelles. son conseiller juridique, le comte
Harold d'Aspremont-Lynden. Quelques heures plus tard, après
un entretien avec une personnalité de la Cour. Léopold III était
au courant de la situation et en mesure d'entamer une démar-
che auprès de von Fall<enhausen.
Jean Gyselinx ajoute à ce témoignage :
«Von Falkenhausen se montra très impressionné. Froissé au
swplus de ce que Berlin ne l'avait pas averti du projet, et trop
heureux de jouer un bon tour à l'administration civile nazie qui
fut, pendant la guerre. la bête noire de l'élément militaire, il si-
gnifla aux annexionnistes qu'ils n'avaient pas à sïmmiscer dans
les affaires relevant de sa juridiction. Et cette fois, il obtint gain
de cause.» (597)
Par décision du 26 novembre 194 3. il est interdit au baron
Greindl de continuer à exercer ses fonctions de gouverneur du
Luxembourg. Peu après, il est arrêté et déporté au camp de Bu-
chenwald où il est assassiné.
Fritz Barnich est arrêté durant la nuit du 24 au 25 août 1944
par la Sipo d'Arlon. la même nuit de l'assassinat d'Hollenfeltz.
Le pharmacien est déporté au camp de Neuengamme et meurt
quelques mois plus tard (598l.

Conclusions sur le cercle linguistique


d'Arlon sous l'occupation
Officiellement les buts du Sprachverein étaient l'élévation et
l'entretien de la langue maternelle. la reconstruction de la com-
munauté germanique d'Arlon, la fortification dans leur conscience
allemande et dans leur germanisme des Volksdeutsche de la ré-
gion.
L'organisation du groupement était basée sur la formule de

(59 n Jean GYSELINX. Un point d'histoire : en 1941. la région d 'Arlon. à deux doigts
de l'annexion. fut sauvée grâce au Roi. in Le Quotidien . dimanche 26 mai
1946. p. 1.
(59sl Une tJ:agique fin d 'occupation. in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la
mobilisation à la répression. op. cit.. pp. 425 -440.
385
Juvénal «Panem et circenses ». Les membres recevaient des avan-
tages appréciés. La distribution gratuite de pommes de terre fut
particulièrement populaire. Tous les moyens de propagande fu-
rent utilisés, du spectacle de marionnettes en patois à la publi-
cation du Heimatkalender.
Le véritable inspirateur du Sprachverein. le «Deus ex machina»,
était le Dr Zender, Kriegsverwaltungsrat à la Kreiskommandantur.
C'est lui qui donnait toutes les directives sous forme de conseils
religieusement exécutés.
Le véritable objectif du cercle linguistique était de préparer le
pays d'Arlon à une annexion ultérieure. Toute la population en
était consciente. L'Allemagne se ménageait une zone inféodée à
son influence. qui pourrait un jour être absorbée totalement avec
ses habitants, son industrie et les produits de son sol. Au cas où
la guerre se terminerait par un compromis. l'Allemagne pouvait
éventuellement se réserver une satisfaction territoriale compen-
satoire en obtenant l'annexion au Grand Reich d'un territoire
peuplé d'individus utilisant en majorité un patois allemand et
qui avaient montré. par leur adhésion au Sprachverein. leur désir
d'être membres de la communauté germanique.
Au cas où la guerre se terminerait par une défaite de l'Allema-
gne. elle laissait dans certaines régions du pays des foyers de
discorde pouvant donner plus tard prétexte à de nouvelles in-
terventions. Enfin le cercle linguistique était un bon moyen pour
les collaborateurs et les traîtres de se noyer dans la masse des
flottants et des hésitants sous des prétextes d'ordre linguistique.
Cela n'évita pourtant pas le peloton d'exécution à Majeres.
Eichhom. Lespagnard et d'autres. de même que des condamna-
tions pour des centaines d'affiliés jugés en 1944 et au début de
1945.
Le Sprachverein fut un échec total car l'écrasante majorité de
ses membres y adhérèrent par intérêt ou par crainte. Mais pour
la seconde fois en trente ans, l'Allemagne avait tué la langue
maternelle dans la région arlonaise.

386
Attelages h étéroclites. véhicules en panne d'essence tirés par des chevaux ... Les
Allemands n'ont qu'une hâte : fuir au plus vite avant l'arrivée des Américains.
r 1··.,.--~ ,,_"T""...,._ _

Les Allemands évacuent les dirigeants du Sprachverein et les membres du col-


lège échevinal d'ordre nouveau. Devant l'ancien magasin «Vogue» devenu le
local du Sprachverein. les principaux collaborateurs arlonais et leurs familles
embarquent à bord d'un autocar qui les emmènera au cœur du Reich.
387
Personnalité arlonaise de premier rang.
le Dr Jean-L. Hollenfeltz. président pro-
vincial de la Croix-Rouge. est assassiné
par la Gestapo en pleine rue le 25 août
1944. Pendant plusieurs heures, il agonise
à la vue de tous sans qu'il soit permis de
lui porter secours. Cette exécution.
comme celle du procureur du Roi. André
Lucian. et des dizaines d'autres arresta-
tions. sont la réponse de l'occupant à
deux attentats contre des responsables
du Sprachverein.

Avant de quitter
Arlon. les nazis
exécutent discrè-
tement de nom-
breux suspects et
résistants dans les
bois entourant la
ville.

388
10 septembre 1944 : l'anivée des G.I.'s de la 28' division d'infanterie américaine
provoque une immense explosion de joie parmi la population.

Comme dans
tout le pays.
d e s « fai re-
part » ann on-
Herr Dok tor ZENDER. çant le décès
Mons ieur Lucien EICHORN, di t le Spirou, des d iri-
Mons ieur Léopol d MAAS, dit le Brômon t,
Monsie ur MAJER ES, dit le Bistrot, geants et des
Monsieur Dés iré LESPAGNARD, dit le Voleur, in s titution s
Les tueurs de lo Gestapo
e t les nomb re ux parents, ami s, inscrits e t sympath isa nts, du IIIe Reich
ont la profonde douleur de vous foi re part de la mor t crueHe et rap ide de sont distri-
bués à Arlon.
S prachverein mais c'est ce-
1ui con cer-
nant le
leur f ils et enfont bie n-aimé, décédé a p rès une longue frousse, le 1·• sep-
tembre dern ie r, malgré les so in s dévoués des deux docteurs Muller. Sprach verein
Le corps o é tê t ranspor té par auto-co r spéc ia l dons son pays d origine,
qui connaît le
au-delà de la Mose ll e; sa perte lai sse inconsolés tous ceux qui l'ovoient plus de suc-
f réquen té d'un peu près.
cès.
Dons l'impossibi lit é de répond re e ll es-mêm es, et pour couse, les fomi lles
éprouvées ô la suite de ce de ui l par l'a bsence de rotions supplémentaires,
vou s remercient des timbres de rav it a ill em e nt que vous avez bie., voulu leur
foire parvenir.
Le:s To ndues de le. Rue Castallum Le 11roc;l1ain n uniêro de l'~,1.reler
vou s recomma11denl tou t spéC1alen1en1 Volkz:eitung~ donnera u,1 ccmptt-ren:Iu
son :souvenir. de:s discou rs prononcés nu.r Ju néra 1Uu. 389
La Justice militaire entre en action. La foule assiste avec satisfaction à l'arresta-
tion des suspects. En l'espace de quelques semaines. plus de trois mille dos-
siers sont ouverts en province de Luxembourg.

Des résistants porteurs de brassards ont pris position devant le magasin de


l'échevin collaborateur Alphonse Ambroes qui vient d'être pillé.
390
XI. DE L'APRES-GUERRE A LA
RECONNAISSANCE DE LA MINORITE
LUXEMBOURGEOPHONE

Un bref aperçu de la répression


Dès la libération, l'arrestation des collaborateurs et des
inciviques commence. ils sont déférés à la Justice ordinaire qui
procède à l'internement de tous les suspects. L'Auditorat mili-
taire d'Arlon est créé par arrêté-loi le 18 septembre 1944. La tâ-
che du Parquet militaire est immense et délicate. L'opinion pu-
blique exacerbée par tous les outrages subis depuis plus de qua-
tre ans, et spécialement durant les derniers jours de l'occupa-
tion. réclame ardemment une justice rapide et ferme. Le Conseil
de guerre d'Arlon siège en permanence jusqu'au 31 mai 1947.
La plupart des dirigeants du Sprachverein sont sévèrement
condamnés. Le président Léopold Maas et le protecteur Jean-
Pierre Majeres sont condamnés à mort, tout comme les frères
Muller jugés par contumace. Seul Majeres est exécuté. D'autres
acteurs de l'occupation n'échappent pas au peloton d'exécution.
Retrouvé en Autriche par la Sûreté de l'Etat. le bourgmestre colla-
borateur Lucien Eichhom est fusillé à Arlon le 29 juin 1946. Quant
au lecteur de l'Académie allemande et gestapiste Paul Lespanard.
ce sont les services de renseignements américains qui le démas-
quent à Munich où il se cache sous une fausse identité. il est
fusillé à la citadelle de Namur en 1947. Le Kriegsverwaltungsrat
Zender passe plusieurs années en prison à Arlon avant de béné-
ficier d'un non-lieu le 30 avril 1949. il reprend alors sa carrière
professorale à l'université de Bonn (599l.
Et les simples membres du Sprachverein ? Les attendus fixant
la jurisprudence du Conseil de guerre à l'égard du Sprachverein
peuvent se résumer de la manière suivante : toute personne ayant

' 5991 Jean-Marie TRIFFAUX. La répression. in Arlon 1939-45. op. cit.. p. 490.
391
Le 3 mai 1945. un avion américain attenit srn le champ d'aviation d'Evere avec
à son bord 150 p1isonniers politiques en provenance de Buchenwald. Parmi
eux. plusieillS Arlonais : Nicolas Pettinger (à gauche) et le journaliste Omer Habaru
(au centre. portant un m anteau blanc).

Le 29 juin 1946. une foul e silencieuse assiste à l'exécution de Lucien Eichhom


dans la cour de la caserne Callemeyn.
adhéré au cercle linguistique après décembre 1942 tombe sous
l'application de l'article 118 bis du Code pénal. c'est-à-dire qu'elle
a sciemment servi la politique ennemie ou favorisé la propa-
gande ennemie dirigée contre la résistance à l'ennemi. La peine
minimum à appliquer en ce cas est un an d'emprisonnement et
la déchéance des droits civils et politiques pendant 20 ans (600l.
U n'y aura toutefois pas un millier de personnes condamnées
à un an de prison car une importante question qui suscite la
controverse, donne une marge d'appréciation au Conseil de
Guerre : quels sont les éléments qui permettent de qualifier une
personne membre d'un parti ?
Après maintes discussions. le Conseil se rallie aux thèses de
la défense et au traité de Joseph Dautricourt sur La Trahison,
disant qu'est membre d'un parti celui qui est inscrit comme mem-
bre du parti, paye sa cotisation. est membre d'une section spor-
tive ou culturelle. envoie ses enfants dans une organisation de
jeunesse. assiste aux réunions et manifestations du parti... En
réalité. le Conseil apprécie les cas d'espèce qui lui sont soumis
selon la gravité des faits reprochés. participation active au
Sprachverein ou non.
Malgré tout. la sévérité du Conseil de Guerre d'Arlon est grande
et les condamnations de plusieurs mois à un an de prison. très
nombreuses. Selon des statistiques établies par l'ancien audi-
teur général Jean Gilissen. le Luxembourg connaît 676 condam-
nations politiques. représentant le pourcentage le plus élevé dans
le sud du pays. avec 3.1 % contre 1.5 % dans le Hainaut. 1.9 % à
Liège. 1.4 % à Namur. 1.4 % à Nivelles et 1.9 % dans l'arrondisse-
ment de Bruxelles. La moyenne est de 3.7 % pour les arrondisse-
ments flamands. 2.9 % pour le royaume. On notera que. dans les
cantons de l'Est. 19.4 % des habitants sont condamnés pour des
raisons politiques (601 l.
La Justice ne fait pas de cadeau aux Arlonais qui ont payé les
deux francs de cotisation. reçut l'Areler Volkszeitung et participé
aux distributions de pommes de terre.
Devant le sort réservé aux membres de l'ancien cercle linguis-
tique d'Arlon. Camille Decker s'interroge :
«Quand on aura condamné le millier de membres du

(600l Les Nouvelles. 10 mars 1945. n° 13. p. 1.


(60i l J. GILISSEN. Histoire de la répression de la collaboration avec l'ennemi. 1944-
1951. compte rendu non publié. mars 1984. p. 16.
393
Sprachverein, justice sera sans doute faite. Mais les responsables
du manque d'éducation civique du peuple, les responsables de
la faim n'auront pas été punis. Et dans les mille condamnés, com-
bien y en aura-t-il qui, dans leur for intérieur, se sentiront vrai-
ment coupables «d'avoir sciemment aidé et favorisé une propa-
gande dirigée contre la résistance à l'ennemi» ? Ce refus du ver-
dict exagéré fera-t-il germer dans l'âme des mille familles tou-
chées, soit plus d'un dixième des familles patoisantes de l'arron-
dissement, ce sens civique rectifié, cet amour passionné de nos
institutions sans lesquels toute société se divise ? C'est une ques-
tion qui ne laisse pas d'être inquiétante !» '602 l

Le recensement de la population en 1947


Le recensement de la population au 31 décembre 194 7 est le
dernier recensement présentant une répartition de la popula-
tion selon les langues nationales parlées. Il n'y en a plus eu de-
puis. C'est la dernière estimation officielle du nombre de
patoisants dans le pays d'Arlon. Cela ne signifie pas pour autant
qu'elle soit exacte, loin de là.
Comme les tableaux qui suivent l'indiquent. il n'y aurait plus
que 5.8 % d'habitants se servant habituellement de l'allemand
alors que dix-sept ans auparavant. d'après le recensement de
1930 déjà contesté par Bertrang. il y en avait 43 %.
Quant à la proportion de gens parlant le plus fréquemment le
français. elle est passée de 52 % en 19 30 à 88. 9 % en 194 7.
C'est surtout dans les villages que les mentalités et les décla-
rations relatives à la langue parlée ont changé. En 1930. à Arlon.
83 % des habitants déclaraient se servir en général du français.
En 1947. ils sont 95 %. De même à Athus, la progression va de
71 % à 94 %, et à Aubange. de 82 à 96 %. Cela reste dans les
limites du possible. Par contre. dans des villages comme Habergy.
Hachy. Hondelange. Nobressart, Nothomb. Tontelange ... l'évolu-
tion est foudroyante.
A Habergy. de 4 % de gens parlant habituellement le français
en 1930. on passe à 40.5 % en 1947; à Hachy. de 9 % à 94.8 %; à
Hondelange. de 5 % à 69.7 %; à Nobressart, de 4 % à 91.9 %; à
Nothomb, de 1 % à 58.9 %; à Tontelange. de 4 % à 93.6 %; etc.

(60Zl Camille DECKER. Impressions d 'a udience. Coupure de L'Avenir du Luxem-


bourg Papiers Omer Habaru.
394
Recensement de la population de 1947: répartition des habitants
parlant l'allemand, le français et ces deux langues, dans
l'arrondissement d'Arlon et les communes de Fauvillers et de
Tintange de l'arrondissement de Bastogne

HABITANTS PARLANT
COMMUNES POPU- SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LATION LE FRANCAIS L'AILEMAND IT L'AILEMAND

ARLON 11.180 8.710 77.9 % 31 0,3% 1.268 11.3%

ATHUS 5.550 4.178 75.3 % 27 0.5 % 907 16.3 %

ATTERT 746 227 30.4 % 39 5.2 % 436 58.4 %

AUBANGE 2.363 2.014 85,2 % 1 0.04 % 219 9.2 %

AUTELBAS 1.567 845 53.9 % 94 6 % 507 32.4 %

BONNERT 1.630 1.076 66 % 23 1.4 % 383 23.5 %

FAUVIllERS 873 674 77,2 % 10 1.1 % 148 16.9 %

GUIRSCH 229 174 76 % 11 4.8 % 34 14,8%

HABERGY 504 90 17.9% 49 9.7 % 342 67.9%

HACHY 1.548 1.1 44 73.9 % 7 0.4 % 314 20.3 %

HALANZY 2.743 2.152 78.4 % 10 0.4 % 431 15.7 %

HEINSCH 2.064 906 43.9 % 39 1.9 % 963 46.7 %

HONDELANGE 571 185 32.4% 51 8.9% 287 50.3 %

MARTELANGE 1.604 1.1 97 74.6 % 22 1.4 % 133 8.3 %

MEIX-LE-TIGE 388 371 95 .6 % - - 10 2.6 %

MESSANCY 2.474 1.1 84 47.9 % 50 2 % 1.059 42.8 %

NOBRESSART 865 451 52, ! % 29 3.3 % 334 38.6 %

NOTHOMB 416 96 23 % 46 11 % 238 57,2 %

RACHECOURT 606 549 90.6% - - 33 5.4 %

SELANGE 614 298 48.5 % 37 6 % 219 35,7 %

TIIlAUMONT 576 153 26.6 % 23 4 % 350 60.7 %

TINTANGE 39 2 140 35.7 % 16 4 % 215 54,8 %

TOERNICH 717 346 48.3% 18 2.5 % 292 40,7 %

TONTELANGE 502 276 55 % 10 2 % 182 36.3 %

WOLKRANGE 718 169 23.5 % 80 11.1 % 432 60.2 %

TOTAL 41.440 27.605 66,6 % 723 1.7% 9.736 23.5 %

395
Recensement de la population
au 31 décembre 194 7

HABITANTS PARLANT UNIQUEMENT


OU LE PLUS FREQUEMMENT

COMMUNES POPULATION LE FRANCAIS L'ALLEMAND

ARLON 11.180 10.629 95 % 80 0. 7%

ATHUS 5.550 5.2 19 94 % 81 1.5 %

ATTERT 746 504 67.6% 211 28.3 %

AUBANGE 2.363 2.269 96 % 8 0.3 %

AUTELBAS 1.567 1.302 83 % 157 10 %

BONNERT 1.630 1.479 90.7 % 77 4.7%

FAUVILLERS 873 807 92.4 % 35 4 %

GUIRSCH 229 205 89.5 % 15 6.5 %

HABERGY 504 204 40.5 % 257 51 %

HACHY 1.548 1.468 94.8% 16 1 %

HALANZY 2.743 2.540 92.6% 66 2.4 %

HEINSCH 2.064 1.695 82.1 % 241 11.7 %

HONDELANGE 571 398 69.7 % 120 21 %

MARTELANGE 1.604 1.353 84.3 % 25 1.6 %

MEIX-LE-TIGE 388 381 98.2 % - -


MESSANCY 2.474 2. 135 86.3 % 220 8.9%

NOBRESSART 865 795 91.9 % 42 4.8%

NOTHOMB 4 16 245 58.9% 137 32.9 %

RACHECOURT 606 590 97.4% - -

SELANGE 614 446 72.6 % 87 14.2 %

THIAUMONT 576 4 11 71.4 % 126 21.9 %

TINTANGE 392 315 80.4 % 55 14 %

TOERNICH 717 645 90 % 46 6.4 %

TONTELANGE 502 470 93.6% 17 3.4 %

WOLKRANGE 718 343 47.8% 292 40.7 %

TOTAL 4 1.440 36.848 88.9% 2.411 5.8%

396
Quant aux personnes connaissant l'allemand. leur total s'élève
à 10.549 en 1947. contre 24.040 en 1930. soit une différence de
13.581 germanophones en dix-sept années, pour une diminu-
tion générale de la population de 1.5 36 personnes. En suppo-
sant un instant que ces derniers aient été 1.536 germanophones,
on constate que plus de 12.000 habitants du pays d'Arlon con-
naissant l'idiome germanique ont disparu entre les deux recen-
sements.
La seconde guerre mondiale a ébranlé les villageois. En masse,
ils ont préféré déclarer utiliser habituellement le français plutôt
que l'allemand pour ne pas être considérés comme des « bo-
ches». En outre. des milliers d'entre eux. probablement plus de
dix mille, ont déclaré ne pas connaître l'allemand alors qu'ils
pratiquaient le luxembourgeois. Si on leur avait donné la possi-
bilité d'indiquer cette langue. il n'est pas certain qu'ils l'auraient
fait... Les menaces d'annexion au Reich. qui ont plané pendant
toute l'occupation à cause du patois. la répression qui a sévi en-
suite contre les membres du Sprachverein. influencent les villa-
geois dans leurs réponses lors du recensement.
La répartition des habitants du pays d'Arlon en fonction de
leur langue. d'après le recensement de la population au 31 dé-
cembre 194 7. est certainement la plus inexacte de toutes celles
faites depuis 1846.

397
Evolution du rapport de forces entre l'idiome germanique et la
langue française dans l'arrondissement d'Arlon entre 1866 et
1947. exprimé en chiffres absolus

Années des Population Habitants Habitants Habitants


recensements totale parlant parlant parlant
seulement seulement le français
le français l'allemand et l'allemand

1866 28.020 3.185 18.675 5.862


1880 28.826 3.809 15.485 8.874
1890 32.5 71 4.777 14.467 12.806
1900 36.792 6.095 9.656 18.461
1910 41.259 7.798 10.681 19.9 15
1920 40.118 11.275 6.550 20.148
1930 41.524 15.667 5.478 17.845
1947 40. 175 26.791 697 9.373

Evolution du rapport de forces entre l'idiome germanique et la


langue française dans l'arrondissement d'Arlon entre 1866 et
194 7, exprimé en pourcentage de la population totale

Années des Population Habitants Habitants Habitants


recensements totale parlant parlant parlant
seulement seulement le français
le français l'allemand et l'allemand

1866 28.020 11.36 % 66,64 % 20.92 %


1880 28.826 13.21 % 53.71 % 30.78 %
1890 32.571 14.66 % 44.41 % 39.31 %
1900 36.792 16.56 % 26,24 % 50.17 %
1910 41.259 18.90 % 25.88 % 48,26 %
1920 40. 118 28.10 % 16.32 % 50,22 %
1930 41.524 37.72 % 13.19 % 42.97 %
1947 40.1 75 66.69 % 1.73 % 23.33 %

N.B. : contrairement aux tableaux précédents. les données des communes de


Fauvillers et de Tintange ne sont pas reprises dans les statistiques ci-dessus.
398
Pierre Nothomb tente de restaurer le patois
Il va sans dire qu'au lendemain de la seconde guerre mon-
diale. plus personne n'essaye de prôner ou de reprendre la dé-
fense du patois. Les Luxembourgeois vont plus loin. Ils tentent
de faire disparaître de la vie quotidienne leur langue maternelle.
une langue jugée subversive parce qu'utilisée par l'ennemi. Cette
attitude précipite le déclin du dialecte et le menace d'extinction
à court terme.
Le sénateur Pierre Nothomb, conscient de l'atout que repré-
sente le bilinguisme arlonais, va s'attacher à restaurer l'image de
l'idiome germanique. et aussi de la connaissance de plusieurs
langues dont l'allemand. Les années cinquante et le lancement
de la construction européenne sont propices à ce changement
d'attitude. Un nouveau vent souffle sur nos régions et le mo-
ment est venu de tourner la page sur ce passé linguistique si
douloureux pour le pays d'Arlon.
Au travers de ses «Dominicales» paraissant dans l'Avenir du
Luxembourg. Pierre Nothomb s'efforce de mettre un terme à tous
les malentendus et à l'invraisemblable appauvrissement auquel
conduit un tel ostracisme que l'on croit à tort patriotique. Dans
ses articles. le baron. qui curieusement ne connaît pas l'allemand,
ne cesse de vanter la grandeur du Luxembourg d'antan, rayon-
nant dans toute l'Europe française impériale et dans les Pays-
Bas, grâce à son bilinguisme. Article après article. il rappelle les
noms des diplomates. des hommes d'Etat et des humanistes
arlonais.
Pierre Nothomb veut mettre un terme à un problème qu'il
juge mal posé depuis plus de quarante années. Il s'attache uni-
quement à la chance pour l'enfant de trouver dans son patri-
moine familial une seconde langue, ou même une première lan-
gue que tous dans son pays ne parlent pas. C'est absurde de lui
ôter un tel instrument de travail et de culture. si riche et si pré-
cieux.
«Je me bats chaque jour pour des jeunes hommes de chez
nous qui désirent entrer dans les institutions européennes. y faire
carrière. Aux plus petits comme aux plus hauts postes. on de-
mande la connaissance de l'allemand. A combien de mes amis,
j'ai dû dire : vous l'aviez dès votre berceau, pourquoi vous l'a-t-
on laissé perdre ? N'ai-je pas au surplus, mon expérience per-
sonnelle :je suis le premier des miens, depuis des siècles, qui ne
parle pas l'allemand, ma langue patemelle. Je puis chaque jour.
399
mesurer les conséquences de cette erreur de ceux qui m'ont élevé
- et le regret - de cette perte de substance. » (603l

Le P,A,F, de Julien Bestgen


L'appel du baron Nothomb est entendu. Au sein de l'Associa-
tion générale des étudiants arlonais. quelques jeunes décident
de constituer un mouvement pour la défense du folklore et du
dialecte arlonais. Le «Parti Arlonais Folldorique» est constitué le
30 décembre 1955 à l'occasion d'une première réunion générale
qui a lieu au Peiffeschoff. Le 12 février 1956. les statuts sont pré-
sentés et acceptés. Son principal animateur est Julien Bestgen.
jeune universitaire originaire de Parette. A ses côtés. on trouve
Roger Brucher. J. Lulling. P. de Giorgi. d'Arlon : D. Wéber. de
Martelange: M. Jeanty. de Schockville; M. Claudy. de Heinsch; et
d'autres encore.
Le ton du mouvement est cordial et estudiantin. L'objectif est
de travailler à changer la psychologie locale à l'égard des tradi-
tions et du parler arlonais. Mais cela ne se fait pas sans mal. De
vives critiques et objections sont soulevées. Pour Omer Habaru.
toujours rédacteur en chef des Nouvelles. ce «parti arlonais» a un
arrière-goût de «Bund» et de Fliegende Taube. Ne voit-on pas
naître les héritiers de Bischoff et de Schaul ?
Afin d'apaiser les esprits. on supprime le mot «parti» et le
PAF. devient : «Pour Arlon et son Folklore». Malgré la prudence
et la délicatesse de son plaidoyer en faveur du dialecte arlonais.
le PAF. conserve l'étiquette de «pangermaniste>>.
La conjoncture est difficile. Trente ans plus tard. Julien Bestgen
l'évoque:
«Les défenseurs des dialectes wallons peuvent défendre leur
patois - à tort ou à raison. je ne discute pas ce point - sans être
pénalisés d'aucune arrière-pensée d'aucune sorte. On leur dira
peut-être qu'ils sont passéistes ou rétros mais personne ne leur
dira qu'ils sont de mauvais patriotes. au contraire. ils retournent
à la racine.
«Quand la même chose se passait dans le pays d'Arlon, cela
avait une connotation due à la guerre.Je lie cela à mes souvenirs
d 'enfance. Je suis né ici en 1935. Mon père était instituteur à

16031 Pierre NOTHOMB. Le Luxembowg de langue allemande. in les Dominicales


de L'Avenirdu Luxembourg. samedi 20 décembre 1958.
400
Parette et, pendant la guerre, il avait comme inspecteur le fa-
meux Matthias Zender devant lequel il tremblait, Cette homme
l'obligeait à faire de l'allemand. Je vois encore le tableau noir de
mon école avec des proverbes en gothique. j'ai eu le catéchiste
en allemand, j'ai prié en allemand. .. si bien que l'allemand et le
luxembourgeois étaient fortement liés au pangermanisme. Le
Sprachverein a évidemment fort desservi la cause.
«Dans les années cinquante, on m'a immédiatement dit: «Fais
gaffe!»; cela s'est retrouvé dans la presse... » (604l
Les jeunes Arlonais du P.A.F. ne se découragent pas pour
autant. Ils organisent surtout des conférences et des débats
n'ayant rien d'âprement revendicatifs. Il s'agit seulement de faire
sentir combien est absurde le complexe de culpabilité attaché
au dialecte luxembourgeois. Le baron Nothomb les soutient:
«Avec quel plaisir j'ai applaudi mon jeune ami Julien Bestgen
et ses camarades qui ont entrepris de recouvrer, pour le plus
grand bien de la Belgique, cette richesse perdue.» '605l
Le changement des esprits se fait attendre. La presse n'ose
pas se «mouiller» et les articles rendant compte des activités du
P.A.F. commencent par «On nous communique que ...». Mais
quand l'avocat Léo Kauten. ancien chef local du Mouvement
National Belge. lieutenant-colonel honoraire de la Résistance, et
le chanoine Poiré. un ancien des camps de concentration, accep-
tent de prendre la parole à la tribune du P.A.F. et de participer à
ses soirées. le mouvement est dédouané de l'accusation de pan-
germanisme. Il a gagné la première bataille.
Pendant des années. les activités culturelles et foll<loriques
du P.A.F. se poursuivent. Sa tribune est régulièrement occupée
par des personnalités comme Alfred Bertrang. président de l'Ins-
titut archéologique du Luxembourg et sénateur d'Arlon, le RP.
Hénusse. Jules Jungbluth. président de l'Association commerciale
et industrielle. l'écrivain Frédéric Kiesel. l'avoué Nicolas Kirsch, le
bâtonnier Xavier Michaëlis. le baron Pierre Nothomb. sénateur
et président de l'Académie luxembourgeoise. Raymond Reuter.
chef de cabinet du gouverneur. le Dr Marius Schandeler, Jean-
Baptiste Breyer, président de la Société foll<lorique du quartier
Saint-Donat. qui fait chanter en patois arlonais les anciens de la

!6041 Interview de Julien Bestgen recueillie à Viville le 12 octobre 1984.


!6051 Pierre NOTHOMB. Le Luxembourg de langue allemande, op. cit
401
Knippchen dans la grande salle de !'Athénée. etc. Le groupement
organise des soupers spécifiquement luxembourgeois avec des
mets locaux. Tout cela se fait joyeusement et dans l'amitié avec
les Wallons de la région. Le Cercle Wallon, présidé par l'avocat
Jean Goffinet. organise avec le mouvement de Julien Bestgen un
sympathique cabaret. De même, les étudiants des deux cercles
collaborent avec la Commission des Fêtes pour ressusciter le folk-
lore local, telle la Foire aux Amoureux (606l.
Le P.A.F. attire à lui des centaines de sympathisants franco-
phones et patoisants. Il fait bouger les partis politiques qui se
déclarent partisans de lutter contre l'appauvrissement linguisti-
que de la région '607l.
«Pour Arlon et son Folklore» disparaît progressivement du-
rant les « golden sixties». Julien Bestgen remarque tristement que
l'on ne peut rester éternellement étudiant. Le mythe du «ewiger
Student11 ne résiste pas à la réalité de la vie professionnelle, fa-
miliale et autre '608l et l'ancien animateur du P.A.F. ajoute:
«Vous savez, dans ma modeste vie, je suis Ber de cette affaire-
là. Je le dis carrément Pour différentes raisons :
1 ° Nous avions repris la balle au bond alors que nous traversions
un moment vraiment clifB.cile.
2° C'était avant toutes les tartes à la crème de «retour aux sour-
ces», «régionalisme», «droit des minorités»... Nous avons été des
précurseurs.
3° Nous avons eu le penchant naturel et l'habileté de le faire en
cordiale fraternité avec les Wallons.» (609l
D'autres défenseurs de la langue maternelle, ceux-là même
qui soulèveront bientôt la question du droit des minorités, sont
sans indulgence pour l'épisode du P.A.F. Nicolas Bach écrit à ce
propos :
«Assimilé au « boche », traqué dans les écoles, ignoré par l'ad-
ministration, exclu des médias et des hauts-lieux de l'animation

16061 GENMER. Pour préserver Je folklore et le dialecte luxembourgeois, in Le Soir.


mercredi 9 décembre 1959.
1607 1 Camille DECKER. Le bilinguisme du pays d'Arlon. in !"Avenir du Luxem-
bourg. mercredi 23 septembre 1959.
16081 Julien BESTGEN. Dialecte et langues au pays d'Arlon. in Pour une dialectologie

moderne. Beitrage zur luxemburgisch en Sprach-und Volkskunde. nr. XI. lns-


titut Grand-Ducal. p. 114.
1609 1 lnterview de Julien Bestgen. op. cit.

402
culturelle, le «vague jargon en voie de disparition» (comme disait
élégamment un bourgmestre du chef-lieu) dut subir l'ultime
outrage de la récupération folklorique, Un éphémère Parti Arlonais
Folklorique s'évertua pendant quelques années à sauver de l'oubli
la Bouneschlupp, brouet de haricots, la Kwetschentaart, tarte aux
prunes, et le maitrank (Pourquoi affubler d'une étiquette alle-
mande la potion magique que l'Arlonais appelle vulgairement
Meewain ou Meedrounk ?), Virtuose, peut-être inconscient de
l'autodérision, le PAF. contracta alliance avec un cercle gaumais
arlonais tout aussi inconsistant Ni l'un ni l'autre se remirent du
mariage contre nature,
«Pendant ce temps, comme la braise sous la cendre, la vraie
langue d'Arlon survécut dans les campagnes, Elle reste vivace
dans certaines familles et les derniers cafés populaires de la ban-
lieue - Moië Pletsch ! Le jeudi, grâce à l'afflux massif des Grand-
Ducaux, la flamme se ravive sporadiquement au Marché de la
Ville, dernier foyer de convivialité authentique entre Bürger et
Baueren, bourgeois et paysans,» '610l

Volksunie et annexionnisme linguistique


dans le pays d'Arlon
Un épisode qui ne manque pas de piquant se déroule lors de
la séance du Sénat le mercredi 25 juin 1969. Le sénateur anver-
sois Guillaume Jorissen dépose une proposition de loi créant
une dixième province belge de langue allemande, avec Eupen
comme chef-lieu!
La délimitation de cette «province de l'Est» suit la frontière
des dialectes. Elle englobe les cantons d'Eupen et de Saint-Vith,
toute la région dite « bas-thioise » de Montzen et une autre ré-
gion plus au sud en bordure de la frontière du Grand-Duché de
Luxembourg :
«Les communes d 'Attert, Beho, Bonnert, Thiaumont,
Nobressart, Guirsch Hachy, Habergy, Hondelange, Martelange,

16 101 Neckel
BACH. Hei Gëtt och Lëtzebuergesch geschwat. le parler luxembour-
geois dans l'Arelerland. in Qué walon po dmwin ?, Eradication et renais-
sance de la langue wallonne. ouvrage collectif sous la direction de Lucien
Mahin. Gerpinnes. 1999. p. 376.
403
Messancy, Autelbas, Nothomb, Sélange, Tintange, Tontelange,
Toemich et Wolkrange sont distraites de la province de Luxem-
bourg,» (6 1 ii
Le sénateur de la Volksunie a la délicatesse de ne pas repren-
dre les communes trop francisées dans sa proposition mais pour
la plupart des villages. il propose l'annexion pure et simple aux
cantons de l'Est Heureusement pour lui. le journal Les Nouvel-
les ne paraît plus depuis 1960 et Omer Habaru. âgé de 76 ans. a
pris une retraite bien méritée.
Les six sénateurs de la Volksunie qui signent cette proposi-
tion (W. Jorissen. H. Ballet. L. Claes, E. Bouwens. G. De Paep. M.
Vanhaegendoren) dénoncent le sectarisme de l'Etat belge qui
mène une politique de francisation à outrance et une intimida-
tion propre aux dictatures :
«Le génocide linguistique qui se pratique dans la région ger-
manophone de notre pays témoigne d'intolérance et de racisme
linguistique et constitue une honte pour un pays qui se dit civi-
lisé.» (6 i zi
Pour justifier le rattachement de dix-huit communes luxem-
bourgeoises si lointaines à cette province de l'Est dont l'allemand
doit devenir la langue exclusive d'enseignement et d'adminis-
tration (6 13l, Jorissen rappelle les propos de Nothomb au Sénat le
17 juillet 1962 :
«je suis l'élu de 40.000 habitants de la province de Luxem-
bourg qui parlent l'allemand» et« N'oubliez pas qu'on parle en-
core l'allemand aux environs de Bastogne et de Goury.» (61 4l
Or le baron Nothomb a prononcé ces paroles dans un sens
tout à fait différent. A l'époque, le Sénat discutait le projet de loi
modifiant les limites des provinces. arrondissements et com-
munes. et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l'emploi des lan-
gues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 con-
cernant le régime linguistique de l'enseignement primaire et
moyen. Pierre Nothomb avait dénoncé la logique absurde du
Parlement fixant le sort de Mouscron. Comines et Fourons. Alors

161 1
l Documents parlementaires. Sénat de Belgique. Session de 1968-1969. Pro-
position de loi créant une province de langue allemande. 25 juin 1969. n°
500. article 2.
16 12 l Documents parlementaires. Sénat de Belgique. op. cit, développements.

1613 l Article 4 de la proposition de loi.


614
( l Documents parlementaires. Sénat de Belgique. op. cit.

404
que certains allaient jusqu'à lancer l'idée d'inclure Eupen dans
le Limbourg (6 15l, il avait déclaré qu'avec des absurdités géogra-
phiques de ce genre. Arlon finirait tôt ou tard par se retrouver
dans le Limbourg car «pour ma part, je suis l'élu de 40.000 ci-
toyens belges qui parlent un patois germanique.» (6 16l
A Arlon. on n'apprécie pas la démarche de la Volksunie. Tan-
dis que la presse la tourne en dérision. l'Académie Luxembour-
geoise à laquelle appartient Omer Habaru. se rallie à une propo-
sition de Roger Brucher s· élevant contre « les tendances d'un parti
politique cantonné dans la région flamande» et proclamant «hau-
tement l'unité linguistique de la province de Luxembourg dont
le moyen d'expression est sans conteste le français.» (61 7l
L'Académie Luxembourgeoise émet une motion dans laquelle
elle s'insurge contre l'intrusion de l'activisme flamand dans la
mise en place de structures régionales propres dont l'élabora-
tion ne doit être faite que par les populations concernées elles-
mêmes; elle dénonce le caractère pernicieux et l'irréalisme dan-
gereux de projets qui. proposés ou imposés au Parlement en
dehors de toute information sociologique sérieuse et de toute
enquête statistique fondée. argueraient d'un prétendu droit de
sol ou de langue pour diviser la province de Luxembourg ; elle
lance un appel aux mandataires politiques du Luxembourg et à
la population pour qu'ils s'insurgent contre l'ingérence de tout
extrémisme; elle affirme l'unité linguistique francophone du
Luxembourg belge. au sein même de sa diversité dialectale (618l,
Toute la presse se fait l'écho de cette résolution qui met les
choses au point et qui vaut à ses auteurs les félicitations de l'Aca-
démie royale de langue et de littérature françaises.
Renvoyée en commission de la Justice. la proposition de
Jorissen et consorts n'aura jamais de suite.

6 15
' 'Annales Parlementaires. Sénat. Séance du mardi 17 juillet 1962, p. 1459.
6 16
' 'Académie Luxembourgeoise. Extrait du procès-verbal de la réunion du 10
août 1969. tenue en la salle des professeurs de !'Athénée royal d'Arlon.
617
' ' Motion de l'Académie Luxembourgeoise sur le projet de loi concernant la
création d'une province de langue allemande. in Cahiers de l'Académie
Luxembourgeoise, n° 4, 1970, pp. 7-8.
6 18
' ' Nicolas BACH. La langue luxembourgeoise. Etat de la question. in Con tre-
point bulletin d'information de la maison de la culture du sud-Luxembourg,
Arlon. mai-juin 1977. p. 2.
405
Chez nos cousins grand-ducaux
Dans le Grand-Duché voisin. le francique mosellan a entamé
un long cheminement qui le conduit. lentement mais sûrement.
à s'élever au rang de langue. rejoignant ainsi le français et l'alle-
mand. L'occupation nazie, durant laquelle on a pu voir ce cu-
rieux phénomène d'un dialecte germanique s'opposant à la lan-
gue allemande. n'est pas étrangère au déclenchement du pro-
cessus. Lors du recensement organisé sous l'impulsion des nazis
le 10 octobre 1941. on interrogeait les Luxembourgeois sur leur
nationalité, leur ethnie et leur langue maternelle. A chaque fois.
la population répondit à une écrasante majorité « luxembour-
geois ». cela malgré des pressions et une propagande inouïe en
faveur du Reich et de la langue allemande. Le dialecte narguait la
langue allemande de l'administration civile d'occupation et aurait
pu. par plébiscite. être élevé au rang de langue '619l. Avec la grève
générale du 31 août 1942. le résultat de cette «Personen-
bestandsaufnahme » marque une des plus grandes victoires psy-
chologiques de la résistance luxembourgeoise aux nazis. C'est
dans l'enfer de la seconde guerre mondiale que la langue luxem-
bourgeoise a acquis ses véritables titres de noblesse '620l.
En 1945. elle est inscrite au programme des deux premières an-
nées de l'enseignement secondaire comme cours obligatoire sous
la dénomination de «langue luxembourgeoise». Cependant. cette
décision prise sur le papier est peu appliquée à ses débuts. Malgré
la fixation de son orthographe. codifiée par décret officiel le 5 juin
1946, le francique mosellan reste avant tout une langue parlée. Il
faudra quelques décennies pour qu'il se hisse au rang d'une vérita-
ble langue officielle à usage interne au Grand-Duché. L'amorce d'un
changement général des mentalités se fait sentir dans les années
70. A son origine. on trouve peut-être l'intérêt manifesté par les ré-
sidents étrangers pour le luxembourgeois et les retombées des cours
du soir organisés à leur intention par quelques pionniers de l'Actioun
Letzebuergesch. La publication d'un dictionnaire en cinq volumes
(1975). puis de grammaires. se révèle décisive. L'arrêté ministériel
du 16 novembre 1976 fixe définitivement l'orthographe de la lan-
gue. En 1978. paraît un dictionnaire allemand-luxembourgeois puis.

l619lF. HOFFMANN. Geschichte der Luxemburger Mundartdichtung. Luxembourg.


1964. p. 23.
1620l Jean-Marie TRlFFAUX. La minorité germanophone de la province de
Luxemboug aux XIX et XX• siècles. mémoire de licence U.L.B .. 1985.
406
en 1980, un dictionnaire français-luxembourgeois et un autre por-
tugais-luxembourgeois. En 1982, c'est au tour du dictionnaire an-
glais-luxembourgeois à sortir de presse. Tandis que se multiplient
les articles en luxembourgeois dans les journaux, les disques. les
livres. les émissions à la radio et à la télévision, le luxembourgeois
atteint la consécration en 1984 lorsque le dialecte est élevé au ni-
veau de langue nationale par acte législatif Ne s'étant jamais aussi
bien porté. le« Lëtzebuerger Platt » voit s'ouvrir à lui une ère nou-
velle dans un petit pays en phase avec la construction européenne.
En 1989. le Grand-Duché de Luxembourg fête le 15oe anniversaire
des événements qui lui ont donné un statut d'Etat «ll n'est peut-
être pas excessif d 'en parler aussi comme d'une nation», note Gil-
bert Trausch (621 l.

Le "Kultuiverain Arelerland a Sprooch»


L'évolution linguistique et le développement économique du
Grand-Duché ne sont pas sans effet du côté belge. En 1973. le
Conseil provincial du Luxembourg émet un vote unanime en
faveur du maintien du dialecte arlonais (622l. La deuxième guerre
mondiale et son Sprachverein sont désormais bien lointains.
L'heure est à la construction européenne. A la CECA. a succédé la
Communauté Européenne. Depuis 1965. Luxembourg est l'un
de ses trois sièges et de nombreuses institutions européennes
s'implantent à une vingtaine de kilomètres de la frontière belge.
C'est aussi l'époque de la naissance de la place financière de
Luxembourg. Désormais, il y a de nombreux emplois accessibles
aux habitants du pays d'Arlon sur le territoire grand-ducal. La
nécessité de connaître plusieurs langues est devenue une évi-
dence. Plus que jamais, l'avenir appartient aux trilingues (fran-
çais. allemand, luxembourgeois).
En 197 3. le philologue Georges Peter crée à Thiaumont l'insti-
tut «Pro Linguis». On y enseigne le néerlandais, l'anglais. le luxem-
bourgeois et l'allemand au moyen de méthodes audiovisuelles
intensives. Les temps sont propices à la constitution d'un nou-
veau groupement manifestant la volonté de rendre à la popula-
tion cet atout supplémentaire que constitue la connaissance du
luxembourgeois.

' 621 l GilbertTRAUSCH. Histoire du Luxembourg. Hatier. 1992. p. 13.


' 622l Frédéric KIESEL. Un dialecte sauvé de l'agonie ?, in Pourquoi Pas ?. mercredi
12 septembre 1984.
407
Le 24 mars 197 6. à l'instigation de Gaston Mathey. instituteur
à Sampont. une vingtaine de personnes se réunissent à Fauches
pour mener une action en vue de la sauvegarde de la langue
maternelle d'une grande majorité des habitants du village (623l.
n est possible que l'accumulation de doléances provoquées
par l'écartèlement de l'ancienne commune de Hachy entre Arlon
et la commune wallonne de Habay. suite à l'application du plan
Michel sur la fusion des communes. amène des habitants à for-
mer un groupe de pression. mais il apparaît bien vite que leur
domaine de prédilection est la langue maternelle et la culture
luxembourgeoise. Après deux réunions. ils décident de ne pas
limiter leur action à Fauches mais de l'étendre à tout le pays
d'Arlon.
Une convocation publique pour une première assemblée gé-
nérale recueille un beau succès et rassemble une soixantaine de
personnes à Guirsch. La défense du patois est au cœur du débat
Le 9 décembre 197 6. les statuts d'une association sans but lucra-
tif paraissent aux annexes du Moniteur Belge. «Arelerland a
Sprooch» (Pays et parler d'Arlon) est né.
Sous la présidence de Gaston Mathey. plusieurs centaines de
personnes s'affilient au groupement afin de promouvoir la cul-
ture de l'Arelerland et contribuer au développement futur de la
région. Si certaines d'entre elles sont originaires d'Arlon. la plu-
part proviennent des villages de Tontelange. Sampont. Guirsch.
Freylange. Toernich. Fauches. Waltzing. Hachy. Wolkrange.
Sélange ...
Les localités du sud-est de la région. contiguës à la frontière
grand-ducale sont peu représentées. Selon Georges Médinger. la
population patoisante du sud ne se sent pas une minorité lin-
guistique et n'est pas concernée par une tentative pour la survie
du patois. Tournée en grande partie vers le Grand-Duché. elle
n'éprouve pas le besoin de mener une action en faveur de sa
langue. De plus. sa population est surtout ouvrière tandis que
dans les localités situées au nord d'Arlon. on trouve une popula-
tion agricole. plus conservatrice et davantage orientée vers la ville
d'Arlon largement francisée (624l.

1m1 Gaston MATI-IEY. Le mouvement Arelerland a Sprooch. ses objectifs et ses


réalisations. in Cahiers de l'Académie Luxembourgeoise. n ° 11-12. Virton.
1982. pp. 78-80.
16141 Georges MEDINGER. Zur gegenwartigen Volkssprache und Volkskultur im
Areler Land. in Peter H. NELDE. Deutsch ais Muttersprache in Belgien. Wies-
baden. 1979.pp. 256-25&
408
Les membres d'Arelerland a Sprooch (AL.AS.) sont originai-
res de différentes classes sociales et exercent des professions
allant de l'ouvrier à l'avocat en passant par l'horloger. l'agricul-
teur et l'employé. Toutefois ses principaux dirigeants sont des
enseignants. Citons parmi ses animateurs : Germain Schnock.
Stany Demecheleer. Albert Conter. Nicolas (Neckel) Bach. Guy
Schrobiltgen. Jean-Marie Differdange. Denise Weycker. Guy Brix.
Louis Stéphany. Paul Lamberty. Gaby Loutsch ... Plusieurs d'entre
eux sont auteurs d'ouvrages littéraires en langue allemande ou
luxembourgeoise. C'est le cas de Nicolas Bach. professeur à l'Ins-
titut Sainte-Marie d'Arlon et auteur de poèmes comme «Fir Meng
Sprooch» (625 l, de Jean-Claude Schroeder. auteur d'une remarqua-
ble plaquette d'inspiration contestataire «Eng Loch am
Tmdelsaak». de Georges Schweitzer. et du président Mathey qui
signe des poèmes sous le pseudonyme de M'Reie Lex.
Le catalyseur de cette littérature dialectale arlonaise est la re-
vue «Arelerland a Sprooch» qui publie les textes dans leur langue
d'origine et assure le contact avec un public de plusieurs centai-
nes de lecteurs :
«La naissance d'une revue, portant le même nom que l'asso-
ciation qui l'avait créée. fut une ouverture pour tous ceux qui
avaient. jusque là. écrit dans l'ombre: un appel aux autres qui
pour écrire en.in, n 'attendaient qu'une occasion de ce genre.» (626l
Les activités passées du PAF. sont considérées comme trop
timides par les nouveaux militants (627 l qui optent pour un ton
offensif. passant outre les insultes de «boches» : «Eis Sprooch as
eis Saach !» (Notre langue est notre affaire !). La propagande du
mouvement appelle chaque Arlonais de souche «adulte et res-
ponsable» à promouvoir l'usage du luxembourgeois en le par-
lant avec ses enfants. en exprimant avec force son désir de voir
ses enfants accueillis dans leur langue à l'école maternelle. à uti-
liser le luxembourgeois en famille. dans la rue. les magasins. les
banques. les administrations. à la radio. à exiger la mise en place
de plaques bilingues tant à l'entrée des localités que dans les

' 625 1 Roger BRUCHER. Poètes français du Luxembourg belge de 1930 à nos jours.
Albert YANDE. Poètes gaumais et wallons d'Ardenne. et Nicolas BACH. Poè-
tes luxembourgeois et allemands du pays d'Arlon. Arlon-Bruxelles. 1978.
' 6261 Michèle LEONARD. Littérature dialectale gem1anophone dans le pays d 'Ar-
lon. Académie Luxembourgeoise. Cahiers 11-12. Virton. 1982.
' 6271 Frédéric KIESEL, Un dialecte sauvé de l'agonie ?, op. cit.
409
rues. à soutenir tous les efforts entrepris pour étendre l'ensei-
gnement de l'allemand, notamment en choisissant l'allemand
comme deuxième langue dès la première année du secondaire.
Le mouvement ne dresse pas l'allemand et le luxembourgeois
contre le français. Au contraire, il joue la carte du bilinguisme.
L'objectif déclaré: «sauvegarder l'avenir économique de nos jeu-
nes et respecter leur identité arlonaise» (628l.
L'activité d'AL.A.S. est intense et ses réalisations sont multi-
ples. Ses plus beaux succès sont ses cours de langue luxembour-
geoise et la renaissance du théâtre dialectal. Entre 197 6 et 1982,
Arelerland a Sprooch organise ou encourage plus de 50 repré-
sentations théâtrales jouées par des troupes locales ou grand-
ducales. A Arlon ou dans les villages, les salles sont combles
chaque fois. alors que la région ne connaît plus de telles mani-
festations depuis l'entre-deux-guerres. Le summum est atteint
lorsque la RTBF enregistre une pièce jouée par la troupe de
Wolkrange et la diffuse le 6 avril 1984. C'est la première fois que
la télévision belge restransmet un spectacle en luxembourgeois,
au même titre qu'elle le fait régulièrement pour des oeuvres wal-
lonnes. Cette organisation dont le retentissement est grand dans
la région, est possible grâce à l'intervention du club des Arlonais
de Bruxelles.
Dès sa création, AL.AS. organise des cours du soir s'adressant
à toutes les personnes désireuses d'apprendre la langue luxem-
bourgeoise, en vue d'aider à la sauvegarder ou, surtout d'obtenir
un emploi au Grand-Duché. L'attraction grandissante de la place
financière de Luxembourg attire des centaines d'élèves à ces cours
et conduit bientôt des établissements subventionnés par la Com-
munauté Française, comme l'Ecole commerciale et industrielle
de la Ville d'Arlon. à ouvrir des sections d'apprentissage de la
langue luxembourgeoise.
Citons également la création à Messancy. le 5 juillet 1980, de
la Fondation Jean-Baptiste Nothomb pour le développement du
plurilinguisme dans le pays d'Arlon. Celle-ci favorise des échan-
ges entre jeunes Belges et Allemands. et suscite l'instauration
d'un cours d'allemand dans les écoles primaires d'une série de
communes du sud-Luxembourg où le régime bilingue n'existe
plus depuis 1948-49.
Arelerland a Sprooch ne limite pas son action à l'apprentis-
sage du luxembourgeois. Le mouvement constitue en son sein

1628l Tract d'Arelerland a Sprooch. groupe Latomus.


410
LËTZEBUURG

0 2 4 6 8 10 Km

La carte du pays d'Arlon, publiée par A.L.A.S.


En grisé, la partie francophone.
411
AREL
Arlon

A la fin des années 1970. des militants d'Arelerland a Sprooch manifestent leur
existence par le placement de panneaux en luxembourgeois aux entrées de la
ville. sur le palais de justice et dans la campagne arlonaise.
412
des commissions oeuvrant dans d'autres domaines comme la
toponymie. le patrimoine et l'environnement. Noms de rues.
lieux-dits. architecture. œuvres d'art, restauration ... sont autant
de centres d'intérêt. Le mouvement lance une action de sauve-
garde du patrimoine religieux propre à l'aire d'expression franci-
que mosellane et fait campagne pour la protection des 150 croix
et calvaires de l'Arelerland.
En février 1982, il envoie à tous les élus du pays d'Arlon un
dossier relatif aux noms des rues et des lieux. AL.AS. propose une
politique régionale en cette matière et donne en exemple des réa-
lisations récentes en Bretagne. en Occitanie, en Alsace, en Wallo-
nie et au Grand-Duché. Des dénominations en rapport avec le
passé arlonais sont réclamées : pourquoi pas des rues Alfred
Bertrang. Camille Joset ou Jean Van Dooren plutôt que des rues
Vercingétorix, Allende ou RP. Pire comme il en existe déjà ? Entre
outre, AL.AS. est favorable à des plaques bilingues '629l.
Dans un premier temps, les conseils communaux ne suivent
pas. A Arlon. les autorités communales se souviennent de l'ex-
périence de la rue des Faaschtebounen (manifestation foll<lori-
que annuelle où les mariés de l'année lancent des bonbons de
carême aux enfants) adoptée pour une rue du village de Waltzing
et de la pétition des habitants qui suivit. ceux-ci refusant cette
nouvelle dénomination. trop difficile à prononcer et à écrire se-
lon eux. Arelerland a Sprooch est réduit à poser d'initiative et
clandestinement deux plaques en dialecte au coin du Marché-
aux-Légumes (Krautmart) et de la Grand-Rue (Grousgaas). On voit
également apparaître pendant quelque temps sur les panneaux
situés à l'entrée de l'agglomération. l'inscription symétrique «Arel»
aux côtés de celle d' «Arlon».
«Quand j'ai vu un panneau à l'entrée d'Arlon, indiquant «Arel»
juste en-dessous d'Arlon. ma première réaction - parce que je
suis né en 1935 - a été d'avoir un choc. Cela faisait un peu
«Sprachverein». Je le déplorais parce que la cause est valable. entre
autre parce qu'européenne. Mes enfants sont unilingues français
car ma femme est francophone. Eh bien, ils ont un inconvénient
par rapport à moi. j'ai trouvé le bilinguisme dans mon berceau et
eux pas.» '630J

(629l Dossiers AL.AS. sur les noms de rues et de lieux dans le pays d'Arlon. Archi-
ves personnelles de l'auteur.
(630l Interview de Julien Bestgen, op. cit.

4 13
Quant au barbouillage des inscriptions françaises à la ma-
nière de Florimond Grammens et au vol systématique des dra-
peaux wallons, AL.AS. les condamne et dément toute participa-
tion. L'action de quelques extrémistes isolés ne dure pas. Bien
plus constructive est l'initiative de distribuer à une septantaine
de commerçants pratiquant la langue luxembourgeoise des auto-
collants aux couleurs bleu et blanc annonçant «Hel gëtt
Letzburgesch geschwât» (Ici, on parle luxembourgeois).
Arelerland a Sprooch est-il un mouvement séparatiste?
Précisons que le mouvement refuse de faire de la politique
même s'il a une tendance sociale-chrétienne assez marquée. Cette
clause est inscrite dans ses statuts : «L'association n'entend jouer
aucun rôle politique ni exercer aucun effet négatif à l'égard des
autres groupes sociaux et culturels.» (63 1)
Pendant le processus de fédéralisation de l'état belge,
AL.AS. se prononce résolument en faveur du maintien de la
région arlonaise en Belgique et dans la province de Luxem-
bourg. Il ne se sent pas concerné par les querelles Wallons-
Flamands :
«Vous n'êtes ni Flamands ni Wallons, et les querelles linguis-
tiques ne sont pas votre affaire car vous êtes des enfants des
frontières. Vous êtes Luxembourgeois comme vos cousins d'Ar-
denne et de Gaume. Demain, vous serez Européens et citoyens
du monde.» (632)
Arelerland a Sprooch demande un statut légal pour le luxem-
bourgeois. La Suisse reconnaît bien le rhéto-romanche aux côtés
de l'allemand. du français et de l'italien. L'Italie reconnaît l'alle-
mand dans le Tyrol du sud. L'Allemagne reconnaît le danois dans
le nord du Schleswig-Holstein. etc. En attendant une hypothéti-
que mise en place d'institutions et de moyens indispensables à
une politique culturelle cohérente et spécifique pour le pays d'Ar-
lon. il formule diverses propositions.
Un dissident d'AL.A.S., Pierre Schweitzer, exclu du mouvement
lors de l'assemblée générale de 1981. va plus loin. Ayant fondé ses

(630 Statuts d'Arelerland a Sprooch. Annexes au Moniteur belge. 9 décembre 1976.


p. 4657.
16321 Tract d'Arelerland a Sprooch. Appel un d'jugend. Groupe Latomus.

414
propres associations pour le développement de l'Arelerland (633l, il
commence par dénoncer l'oppression de la population:
«La désignation des noms de me et autres toponymes est un
acte politique, et la population de l'Arelerland s'estime suffisam-
ment bafouée (et depuis longtemps !) par le pouvoir politique,
qui refuse de donner droit de cité à la langue luxembourgeoise
dans l'Arelerland, avec la complicité active de politiciens qui sont
à ]'origine de l'unilinguisme forcé imposé à la population après
la dernière guerre, sous des prétextes fallacieux. Donner le nom
de ces politiciens à une Fondation pour le Plurilinguisme est une
véritable provocation !
«La Commission de Linguistique et de Toponymie de
l'Arelerland rappelle que, s'il y a des Luxembourgeois dans la
province dite de Luxembourg, ce sont bien des victimes NON
CONSENTANTES de l'Arelerland : Mar sin och Lëtzebuerger !
«La Commission de Linguistique et de Toponymie de
l'Arelerland demande enfin au Gouvemement belge l'autono-
mie complète de l'Arelerland, qui ne peut dépendre que du pou-
voir central, et rejette toute forme de fédéralisme provincial,
d'ailleurs utopique, les choses étant ce qu'elles sont.» (634l
A la veille des élections communales de 1982, Pierre Schweit-
zer envisage de créer un parti politique autonomiste «arelandais» :
le parti «Libération du Land Arel». il lance un «manifeste histori-
que» pour la libération d'Arlon. La missive se termine par « Prions
le Ciel que la décolonisation du Land Are] se fasse sans trop de
mines et de massacres ».
Œuvre d'un isolé, cette action farfelue ne débouche sur rien.
La presse régionale et AL.AS. la condamnent sans réserves (635 l.

(633 1 Il s'agit de la « Fondation Albert Schweitzer - Humanisme et Culture >>, qui a


pour objet toute activité à caractère culturel ou scientifique. régionale, natio-
nale ou internationale, susceptible de promouvoir le développement de l'hu-
manisme et de la culture universelle dans l'Arelerland, ainsi que la « Com -
mission de Linguistique et de Toponymie de l'Arelerland », ayant pour objet
l'étude scientifique relative à la langue et à la culture luxembourgeoises dans
l'Arelerland, de caractère historique. philologique. onomastique. toponymi-
que, etc. Pierre Schweitzer est l'administrateur-délégué des deux asbl. Il n'a
pas hésité à donner le nom du prix Nobel de la Paix. son homonyme, à l'une
des deux associations.
(6 , 41 Communiqué de presse de la Commission de Linguistique et de Topony -
mie de l'Arelerland, Temech, 25 janvier 1982.
' ' 1 Jo MOTTET. Le roi Ubu n 'est pas mort! Un manifeste pour la ... décolonisa -
6 5

tion du pays d'Arlon. in l'Avenir du Luxembourg. dimanche 20 juin 1982.


415
Avril 197 8: de s ger man op hones des ca nton s de l'Est et des
Luxem\Jourgeophones du pays d'Arlon se rencontrent pour un large échange
de vues sur les objectifs de leurs associations respectives : Ra t der Deutschen
Volksgmppe et ,lrelc1land a Sprooch. La photo-souveni r est ptise dans la com
du musée d'1\rlon. devant le buste de Godefroid Kurth.
Ci-desso us. en octobre l C/78. une septantaine de représenta nts des minorités
ethniques eu ropéennes sont reçus à Arlon après un congres international à
Luxembomg.
A l'extérieur du pays d'Arlon, des lettres à en-tête des deux asso-
ciations de Pierre Schweitzer continuent à semer la confusion
parmi les plus hautes personnalités belges et grand-ducales pen-
dant quelques années encore.
Pendant ce temps. Arelerland a Sprooch poursuit imperturba-
blement son chemin. En juin 1984, le mouvement envoie un
mémorandum au gouverneur Jacques Planchard afin de relancer
et d'animer la langue luxembourgeoise. ndemande à être épaulé
dans ses efforts afin d'enseigner et de diffuser le francique mo-
sellan. Il souhaite que les instances provinciales délimitent exac-
tement le territoire de l'Arelerland comme entité et qu'elles pré-
cisent le statut culturel à concéder à cette entité dans le contexte
de la province.
Sur base de la résolution du Parlement européen pour «une
charte communautaire des langues et cultures régionales et pour
une charte des minorités ethniques», il souhaite la mise en place
d'une politique s'inspirant de ces principes. AL.AS. voudrait que
le pays d'Arlon devienne une contrée pilote européenne dans
trois domaines : l'enseignement. les moyens de communication
de masse. la vie publique et la culture.
Pour l'enseignement. ce mémorandum préconise de recourir
à des maîtresses patoisantes et itinérantes à l'échelon maternel.
un centre de documentation pédagogique avec bibliothèque.
discothèque et ludothèque, et l'enseignement de trois heures
hebdomadaires d'allemand dans le primaire supérieur comme
cela se fait déjà à l'époque à titre expérimental à Attert et à
Messancy. Voire l'enseignement en allemand du cours d'éveil
(histoire et sciences). Par ailleurs. le texte prévoit des émissions
radios en luxembourgeois sur Fréquence 4 (RTBF Arlon), le relais
des émissions en langue allemande du Belgische Rundfunk
d'Eupen, ainsi que l'aide à l'édition dialectale.
Le projet propose enfin la création d'une « Chambre cultu-
relle provinciale » pour la promotion de la culture luxembour-
geoise. avec centre régional de documentation et animateurs.
Celle-ci aurait sous tutelle le développement de la langue. de
l'économie régionale (c'est-à-dire le tourisme culturel), l'organi-
sation des manifestations culturelles et la mise en valeur du pa-
trimoine (636l.

' 6361 La Meuse-Luxembourg. lundi 18 juin 1984. et L'A venir du Luxembourg. lundi
25 juin 1984.
417
Journée historiques les 15 et 16 mai 1984 au Palais de l'Europe à Strasbourg où
s'expriment pour la première fois dans l'histoire européenne des délégués de
quelque 45 cultures régionales. La délégation d'Arelerland a Sprooch compre-
nait Gaston Mathey (Sampont). Denise Martin-Weycker (Heinstert). Albert Con-
ter (Turpange). Stany Demecheleer (Freylange). Louis Stephany (Thiaumont).

Ci-dessous. présentation de livres en luxembourgeois à la Foire d'Arlon organi-


sée par l'Association commerciale et industrielle.
Si AL.AS. n'est pas favorable au séparatisme, il réclame une
certaine autonomie culturelle. Le mouvement est d'ailleurs par-
tisan du fédéralisme provincial :
«Manifeste :
Appel aux Luxembourgeois
Diversité: oui. Déchirement: non.
Devant la faillite du pouvoir central, miné par ses propres con-
tradictions et les querelles des politiciens,
Devant l'absurde déchirement du pays qui ruinera tous les
Belges de quelque région ou de quelque langue qu'ils soient
Devant le mépris des politiciens face à une volonté populaire
qui ne peut s'exprimer clairement et librement,
Il ne reste qu'une seule façon de sauver la famille belge: c'est
l'union dans la diversité par le Fédéralisme provincial. demandé
et contrôlé par le Référendum populaire !» (637 l
L'insuccès rencontré par ces revendications en matière d'auto-
nomie culturelle explique sans doute le rapprochement d'AL.AS.
avec le mouvement« Pour le Fédéralisme Provincial », créé par le
Dr Pierret de Bertrix.
En octobre 1984, AL.AS. interpelle le clergé local : «Prêtres
d'Arelerland, ne laissez pas mourir le luxembourgeois dans no-
tre région, parlez-le avec les jeunes, vous avez des moyens de
lutter contre le nivellement culturel qui nous menace.»
La lettre est également transmise au secrétariat privé du Pape
par un prélat belge résidant à Rome, ainsi qu'à la Conférence
épiscopale belge. Elle débute par une déclaration de Jean-Paul II
à l'UNESCO, «Défendez votre culture comme la prunelle de vos
yeux», puis elle poursuit :
«Vous êtes au contact de centaines de jeunes dont vous assu-
rez la formation religieuse. Vous pesez donc d'un poids certain,
non seulement sur le devenir spirituel de ces jeunes mais aussi
sur leur avenir culturel et linguistique. Car le message que vous
leur transmettez est véhiculé nécessairement par une langue :
or, vous servez-vous dans votre dialogue avec la jeunesse d'une
langue autre que le français ? Ne contribuez-vous pas . de ce fait
à la minorisation du luxembourgeois, donc aussi à sa disparition
progressive ?

(637l Pour le fédéralisme provincial ou la solution du bon sens, in Cahiers du Pays


d'Arlon. 1982. n° 2, p. 45 .
419
«Les habitudes linguistiques prises dans le jeune âge sont
déterminantes pour le comportement linguistique de ces jeunes
une fois qu'ils seront parents. La transmission familiale du luxem-
bourgeois peut ainsi être interrompue déEnitivement en une seule
génération.
«La langue régionale. déjà exdue de l'école et des activités socio-
culturelles, l'est donc aussi du dialogue catéchistique et liturgique.
Une langue ainsi réduite au silence dans les manifestations les
plus importantes de notre vie sociale, culturelle et spirituelle est
condamnée inévitablement à la disparition. Car comment pou-
vons-nous espérer que la famille «dialectophone» résiste longtemps
à cette fonnidable pression exercée sur son comportement lin-
guistique par tout l'environnement soda-culturel?
«Vous nous répondrez que la foi n'a pas à se préoccuper de
problèmes linguistiques. Vous nous direz encore que la langue
usuelle de la jeunesse d'aujourd'hui est essentiellement le fran-
çais. Vous ajouterez enfin que le mélange d'enfants et de jeunes
d'origine linguistique différente exige l'emploi exclusif d'un dé-
nominateur commun :le français. langue offi.cielle de nos régions.
«L'Eglise de l'Arelerland oublie-t-elle qu'en introduisant le fran-
çais comme langue unique de la catéchèse. à une époque où la
grande majorité de la jeunesse du pays d'Arlon pratiquait encore
couramment le luxembourgeois. elle a bel et bien pris position
dans le débat linguistique ? Ne cède-t-elle pas aujourd'hui à un
réflexe de commodité en imposant une langue unique dans son
dialogue avec la jeunesse ?Ne sait-elle pas que le pluralisme est
une excellente école de tolérance et de l'amour de l'autre ? Ces
propos ne visent pas à faire un procès d'intention à l'Eglise de
l'Arelerland ni à rechercher des coupables : nous sommes tous
plus ou moins coresponsables. consciemment ou inconsciem-
ment de la situation actuelle.
«Cherchons plutôt ensemble comment faire pour éviter la rup-
ture totale et irréversible entre notre présent et notre passé. com-
ment réenraciner notre jeunesse dans une continuité culturelle.
comment assurer dans notre région la convivialité des langues
et cultures. Car notre action n'est pas dirigée contre la langue
française : elle a pour but de garantir la survie et la dignité de
notre langue régionale, c'est-à-dire le luxembourgeois. véhicule
de notre vécu quotidien.
«Ne serait-il pas possible de transmettre aux jeunes certains
chants et prières qui ont marqué de leur sceau la foi du pays
d'Arlon?
420
«Ne serait-il pas possible d'introduire dans les célébrations
des jeunes quelques chants modernes en allemand ou en luxem-
bourgeois et de corriger ainsi une image de marque passéiste
accolée à ces langues par une politique du mépris ?
«Ne serait-il pas possible de puiser dans le répertoire lyrique
dialectal pour illustrer des ofE.ces ou des veillées de prières ? La
langue du peuple ne saurait-elle être comprise de Dieu ?
«ll n'est pas encore trop tard pour engager dans l'Arelerland,
dans l'esprit de Vatican II. un nouveau dialogue liturgique se ba-
sant sur les données historiques. culturelles et linguistiques de
notre région. ll y va de la dignité de l'homme de l'Arelerland.
Lorsqu'une population se trouve livrée à des forces qui la pous-
sent au déracinement et à l'aliénation culturelle, l'Eglise ne peut
se réfugier derrière une fausse neutralité et laisser faire. Elle per-
drait sa crédibilité précisément là où elle en a tant besoin pour
retrouver son élan vital.» '638l
Cette demande trouvera peu d'écho auprès d'un clergé lui-
même confronté à une crise sans précédent due à l'effondre-
ment des vocations.
C'est peut-être dans le domaine de ses relations extérieures
qu'Arelerland a Sprooch emegistre ses plus grandes sources de
satisfaction. Le mouvement est membre de la Federalistiche
Union der Eurapaïschen Volksgruppen (F.U.E.V.) qui rassemble
vingt-cinq minorités linguistiques européennes. Chaque année,
les dirigeants d'A.L.AS. se déplacent au congrès annuel de cette
association internationale qui tient ses assises dans un pays cha-
que fois différent. En 1982, c'est Strasbourg qui accueille les Fri-
sons de Hollande, les Frisons des îles (D), les Bretons, les Alsa-
ciens, les Corses, les Flamands de France, les Allemands du Da-
nemark. les danophones d'Allemagne, les Slovènes, les Kroates,
les Hongrois d'Autriche, les délégués du sud-Tyrol (1), les Kossovars
yougoslaves en exil et enfin, les représentants des Cornouailles
et ceux du pays d'Arlon.
C'est l'occasion pour Stany Demecheleer, au nom d'A.L.AS., de
mettre en garde le vice-président du Conseil de l'Europe qui ac-
cueille la F.U.E.V.. contre le « pseudo-fédéralisme des députés euro-
péens belges. Ceux-ci se disent régionalistes et fédéralistes ... se
font passer pour des Européens exemplaires mais se comportent

' 638l Gaston TRIFFAUX. Un appel du mouvement « Arelerland a Sprooch II aux


prêtres du pays d'Arlon pour la réintroduction du luxembourgeois dans les
célébrations liturgiques. in Arlon-Can·efour. mercredi 10 octobre 1984.
421
dans les faits aussi bien au nord comme au sud du pays comme
des nationalistes centralisateurs qui essayent d'étrangl.er, au lieu
de les placer sous la protection bienveillante et attentive des ré-
gions, les minorités linguistiques et les cultures régionales.» (639l
Cette politique extérieure du mouvement amène les Arlonais
à se faire connaître à l'étranger. Ainsi en 1982, le député euro-
péen italien Marco Panella propose de créer un « district euro-
péen » similaire à celui de Columbia aux Etats-Unis. il suggère
d'y inclure la ville de Strasbourg, une partie de l'Alsace. de la
Lorraine, de la Sarre. le Grand-Duché de Luxembourg et le pays
d'Arlon (640l. Cette suggestion n'a aucune suite mais AL.AS. se
félicite de la démarche :
«Si votre proposition n 'a que peu de chance d 'être suivie, elle
est de nature à faire progresser l'idée européenne. Elle rend hom-
mage aux grands Européens que furent aux XVe et XVIe siècles,
les humanistes arlonais Petrus Jacobi, Latomus, Jérôme Busleyden
et Mathias Held. Elle honore la mémoire de l'historien Godefroid
Kurth et du poète et homme politique Pierre Nothomb qui ont
mis en lumière notre spécificité culturelle, constituante du patri-
m oine européen.» '64 1l
A de nombreuses reprises. AL.AS. retourne au Palais de l'Eu-
rope à Strasbourg, notamment en mai 1984 lorsque les délégués
de 45 cultures régionales s'y expriment en vue de l'élaboration
d'une véritable charte internationale des cultures et langues mi-
noritaires. La délégation d'Arelerland a Sprooch. forte de cinq
membres. est conduite par le président Gaston Mathey. Une autre
délégation de la Fédération de Littérature wallonne comprend
deux Luxembourgeois :J.-M. Mottet de Barvaux, et l'abbé Mouzon,
de Neufchâteau.
En Europe, on dénombre 60 cultures régionales et minoritai-
res. Certaines comptent plusieurs millions de locuteurs de lan-
gue maternelle comme les Catalans et les Occitans. les Frioulans
et les Alsaciens, mais aussi des groupes beaucoup plus petits.
Pour la Belgique. les experts consultants du Conseil de l'Europe
ont recensé 600.000 Wallons. 200.000 Picards, 65.000 Allemands,
22.000 Luxembourgeois et 12.000 Gaumais.

' 639l Arlon-Caaefour, mercredi 12 mai 1982. p. 2.


' 640l Marco PANNELLA. Préparer l'Europe du XXI' siècle. Projet pour un district
européen. 1982.
' 64 1l Télégramme envoyé par AL.AS. au député européen Marco Pannella le 7
avril 1982. Archives d'Arelerland a Sprooch.
422
Lors de son intervention, Gaston Mathey souligne à quel point
la langue et la culture régionales font partie du patrimoine. Toute
la problématique de leur sauvegarde est une question de dignité
et de respect. Louis Stephany attire l'attention sur le mépris affi-
ché pour les langues régionales et minoritaires dans le système
éducatif de leur région.
Lors de la séance de clôture, le professeur Veiter de l'univer-
sité d'Innsbruck. expert-consultant, tire les premières conclusions.
Le droit à la vie et à l'épanouissement de toutes les langues et
cultures régionales et minoritaires doit être solennellement re-
connu par les états. Les droits collectifs et historiques de la po-
pulation autochtone doivent être reconnus. Ce droit historique
prime le droit individuel de ceux qui sont venus s'installer dans
la région. La zone d'implantation de la culture régionale doit être
délimitée officiellement. Les langues régionales doivent être en-
seignées dans des systèmes adaptés aux situations spécifiques ...
Un autre-expert consultant. le professer Verdoodt, citant Jean-
Baptiste Nothomb, remplit d'aise la délégation arlonaise en di-
sant : «Nos pays sont nos patries, l'Europe est notre patrie com-
mune» (64 2).
A plusieurs reprises, des délégués d'Arelerland a Sprooch ef-
fectuent des missions d'études à l'étranger pour le Bureau Euro-
péen des Langues de moindre diffusion. Cet organisme indé-
pendant. installé à Dublin. travaille en étroite collaboration avec
les institutions européennes. Son objectif est de sauvegarder et
de promouvoir les langues et les cultures minorisées des états
de l'Union Européenne. En mai 1986. Nicolas Bach. de retour du
Danemark. raconte son voyage : «Au Nordschleswig. parmi
250.000 Danois, vivent 20.000 Allemands. Tout est équilibré. Ce
qu'on donne aux uns, on le donne aux autres. Le système sco-
laire de la minorité est calqué sur celui de la majorité. S'il y a une
bibliothèque pour les Danois, il y en a une pour les Allemands.
N'importe qui peut déclarer appartenir à la minorité. n ny a pas
de référendum . Personne ne peut vérifier. C'est l'égalité parfaite.
Que donnerait ce modèle transposé dans le pays d'Arlon ? Une
Maison de la Culture de 300 millions pour les
Luxembourgeophones... Notre conception des choses est faus -
sée par la francophonie. C'est le nec plus ultra, le statut du monde.

(642) Gaston TRIFFAUX, Arelerland a Sprooch à Strasbourg .. Vers une charte


européenne des lang11es et des cultures régionales et minoritaires, in Arlon-
Carrefour. 30 mai 1984.
423
Le reste, c'est la langue des paysans. Un Danois ne raisonne pas
comme cela.» (643 )
De retour de Toulouse à la même époque. Stany Demecheleer
décrit ce qu'il a observé en Occitanie :
«j'ai découvert la face cachée d'un pays. Pendant des siècles,
on a répété aux gens que l'occitan n 'étais qu'un patois. De Fran-
çois Jer à l'école obligatoire laïque et républicaine, on a imposé le
français, souvent par la force. Pourtant quatre millions d'habi-
tants parlent l'occitan. lls ont leur littérature, des émissions ré-
gionales sur France 3, et une licence à l'université. Mais sïls en
font trop, on leur dit qu'ils mettent la France en danger. C'est
comme chez nous. On veut nous «folkloriser», nous réduire à un
amusement pour «3 x 20». Interdiction de toucher à l'école ma-
ternelle, il faut d'abord franciser. ..» (644 )
Deux ans plus tard. Stany Demecheleer et Albert Conter. tous
deux administrateurs d'A.LAS .. sont désignés comme membres
de la section belge du Bureau Européen des Langues de moin-
dre diffusion (Ms) _
En avril 1986, Arelerland a Sprooch tire un premier bilan de
son action après dix années d'existence. Le luxembourgeois se
porte-t-il mieux qu'en 1976? Le président Gaston Mathey répond:
«Sans aucun doute. ll y a dix ans, nous étions encore insultés
et traités de «Boches» ou de «Nazis» parce que nous pratiquions
le luxembourgeois. Aujourd'hui, cela ne se produit plus. Nous
avons relevé la tête. La spécificité linguistique du pays d'Arlon
est reconnue et respectée. Nous avons commencé par créer un
cours de luxembourgeois à Freylange. Actuellement. mêmes les
villes d'Arlon et d'Athus ont des cours du soir en luxembour-
geois. Ce qui était impensable hier est réalisé aujourd'hui.» !646 )
Mais il ne faut pas s'y tromper. le succès de certaines initiati-
ves d'Arelerland a Sprooch est étroitement lié à l'extraordinaire
développement de la place financière de Luxembourg et à ses
retombées en matière d'emploi pour les habitants de la région

1643l Jean-Marie TRIFFAUX. Deux délégués d'Arelerland a Sprooch en Occitanie


et au Danemark. in Arlon-Cairefour. mercredi 21 mai 1986.
1644l Idem.
1645 l Gaston TRIFFAUX. Deux Arlonais appelés à faire partie du Bureau européen
des langues de moindre diffusion. in Arlon-Can-efour. mercredi 1er juin 1988.
1646l Jean-Marie TRIFFAUX, Le point de 10 années. avec Gaston Mathey, prési-
dent d 'Arelerland a Sprooch in Arlon-Ca.J.Tefour. mercredi 2 avril 1986.
424
frontalière. «L'argent n'a pas d 'odeur. .. mais l'emploi a une lan-
gue.» (647)
150 sympathisants participent à la soirée du 10e anniversaire
d'A.L.A.S. à Fauches. au cours de laquelle on peut entendre la
chorale «Setzbaacherkouer». sous la direction de Simone Clesse.
de Sampont. dont le répertoire comprend de nombreuses chan-
sons populaires arlonaises : «Zu Are] op der Knippchem, «De
Paradais», «Bei Uodems Jenm, «l'Affener Weyen>, etc.
1987 reste l'année où l'univers de la bande dessinée s'ouvre à
la langue luxembourgeoise. Si les Grand-Ducaux sont les plus
concernés par cet événement. les Arlonais n'y sont pas totale-
ment étrangers. Début avril. le premier Astérix en langue luxem-
bourgeoise sort de presse. Imprimé en Belgique. «Dem Astérix
sai Jang» (Le Bls d'Astérix) est tiré à 10.000 exemplaires. Quatre
mois plus tard. «La tournée des Grands Ducs» ou «Ëmmer am
Jhumm» est présenté à la presse belge-luxembourgeoise au cours
d'une réception au Llngenthal. là où se touchent les communes
d'Arlon et d'Eischen. Signée par le duo belge Carpentier-Cauvin.
cette BD est adaptée en luxembourgeois par Gaston Mathey.
président d'A.L.A.S .. et Paul Mathieu. d'Aubange. Et l'aventure ne
fait que commencer. Après Astérix et les héros de la Tournée des
Grands Ducs. c· est au tour de Tintin. du capitaine Haddock et de
Tryphon Tournesol d'apprendre le luxembourgeois. «L'Affaire
Ditchem. alias «L'Affaire Tournesol» sort des éditions Saint-Paul
à la fin novembre 1987 (648' .
Face aux activités d'A.L.A.S .. les réactions des milieux officiels
sont mitigées. D'une part. on se félicite de la renaissance du théâ-
tre luxembourgeois et du sauvetage du dialecte arlonais. D'un
autre côté. on juge certaines revendications excessives. A Arlon.
c· est surtout l'indifférence générale due pour une grosse part à la
proximité du pouvoir provincial et à l'importance du rôle que
joue la ville comme chef-lieu provincial.
Au lendemain des élections communales d'octobre 1988. un
nouvel échevin arlonais. Ignacio Cornil. homme consciencieux
et méthodique. prend à bras le corps l'épineux dossier du

(647! Neckel BACH. Hei Gëtt och Lëtzebuergesch geschwat op. cit. p. 379.
(648' Jean-Marie TRIFFAUX. Astérix a appris le luxembourgeois. in Arlon-Carre-
four. mercredi 15 avril 1987; Ëmmer am ]hum. une nouvelle bande dessinée
en luxembourgeois. in Arlon-Carrefour. mercredi 26 août 1987: Tintin par-
lera bientôt luxembourgeois. in Arlon-Carrefour. mercredi 18 novembre 1987:
Astérix bei de Belsch. in Arlon-Canefour. mercredi 5 avril 1989.
425
L'album B.D. « La Tour-
née des Grands Ducs »
devient « Ëmmer am
Jhumm 11 pour les
luxembourgeophones,
grâce à une adaptation
de Gaston Mathey et
Paul Mathieu. En août
198 7, il existe au moins
deux bandes dessinées
en francique mosellan à
la disposition des
amoureux de la langue
maternelle.

Lors d'une petite céré-


monie devant le mo-
nument dédié au
«Hèlléchsman», Albert
Conter offre à Fernand
Schmit un spécimen
du premier Astérix en
langue luxembo ur-
geoise, édité en avril
198 7. Une manière
pour Arelerland a
Sprooch d'honorer ce-
1ui qu'on surnomme
« Den Dutz » au quar-
tier Saint-Donat pour
avoir toujours affirmé
joyeusement l'identité
populaire authentique
de l'Arelerland.

ct · B.D op LETZEBUERGER
R. GOSCINNY - A. UDERZO
changement des noms de rues, en souffrance depuis la fusion
des communes. Une commission locale de toponymie est créée.
Historiens, linguistes et politiques vont travailler pendant un an,
réfléchissant fouillant le passé, le folklore et la langue du pays
d'Arlon, recevant et écoutant les plaignants. Arelerland a Sprooch
est associé à cette longue et patiente démarche en la personne
de son président Gaston Mathey. L'opération, qui privilégie lar-
gement le patrimoine régional sous toutes ses formes, permet
de sauver ou de tirer de l'oubli plus d'un savoureux toponyme
luxembourgeois.
Le 7 septembre, puis le 15 décembre 1989, le conseil commu-
nal d'Arlon vote les changements de noms de rues après avis
positif de la section wallonne de la Commission royale de Topo-
nymie et de Dialectologie. Le 22 février 1990. quelque 400 noms
de rues sont officialisés et de nouvelles plaques installées dans
toutes les rues de la commune. AL.AS. regrettera ultérieurement
la place minoritaire accordée aux appellations luxembourgeoi-
ses, et la disparité entre la ville, aux appellations largement fran-
çaises, et les villages, où le luxembourgeois s'est mieux main-
tenu.
«Notre travail ne prétend pas à la perfection mais il a été fait
avec beaucoup de sérieux et de bonne volonté. ll vise à un com-
promis qui donne satisfaction au plus grand nombre», déclare
Ignacio Cornil (649l.
En 199 2. Arelerland a Sprooch décide d'honorer diverses per-
sonnalités qui oeuvrent à la défense de la langue. de la culture et
du patrimoine du pays d'Arlon. ou qui contribuent à son déve-
loppement socio-économique. Au mois de mai. deux cents sym-
pathisants assistent à Stockem à la séance académique de la
première remise de l'Ordre du mérite «De Sëlwere Fuuss» ou «Le
Renard d'Argent» (650l.
Le renard. animal mythique de nos régions est le personnage
principal de l'œuvre monumentale de l'écrivain luxembourgeois
Michel Rodange. La médaille, qui a été frappée pour la circons-
tance. représente un renard stylisé, fruit du travail d'un jeune
graphiste de Freylange. Luc Braconnier. Les quatre décorés sont

1649l Jean-Marie TRIFFAUX. Les nouveaux noms de mes à A11on. in Arlon -Carre-
four. mercredi 13 septembre 1989.
1650l Jean-Marie TRIFFAUX. Quatre personnalités honorées par le mouvement
Arelerland a Sprooch ont reçu la médaille du Sëlwere Fuuss. in Arlon-Carre-
fow: mercredi 20 mai 1992.
427
Quelque 200 personnes assistent en mai 199 .' à la séance J.cadémique de re-
mise de l'ordre du mérite« De Sëlwere Fuuss » 11.e Rl~narc! d'Argent). par le mou-
vement Arelerland a Sprooch. Diverses persornLllités belges. luxembourgeoises
et allemandes sont présentes à cette manifesL1Lion animée par la chorale« De
Setzbaacherkouer ».
Léopold Kruchten, originaire de Messancy. ancien responsable
commercial des chemins de fer belges à Paris, auteur de nom-
breux poèmes luxembourgeois, Louis Lefèbvre. un Ardennais
devenu conservateur du Musée Luxembourgeois à Arlon. Jean-
Claude Schroeder. professeur de langues germaniques. poète du
monde rural et auteur d'une monographie sur le village de
Toernich, Claude Berg. un logopède qui voue sa vie à l'intégra-
tion des personnes handicapées, d'abord au Centre Lorrain d'Hé-
bergement à Freylange. puis à la direction de !'Atelier Protégé «La
Lorraine», à Arlon. puis à Weyler.
Agrémentée de chants interprétés par la chorale « De
Setzbaacherkouer ». la séance se déroule en présence du séna-
teur Pierre Scharff. des bourgmestres de Rambrouch et d'Ell. de
plusieurs échevins et conseillers communaux d'Arlon et de
Martelange. ainsi que de délégations d'Allemagne et du Grand-
Duché de Luxembourg. Elle se clôture par un exposé de Georges
Calteux. directeur des Sites et Monuments à Luxembourg. un
des meilleurs ambassadeurs culturels du Grand-Duché. sur le
thème «Mœurs et culture par-delà la frontière». En français. Geor-
ges Calteux plaide pour la protection de l'héritage culturel. de la
mémoire collective et des minorités, et pour le maintien du plu-
ralisme culturel dans l'Europe de demain. En luxembourgeois. il
conte, au grand amusement de l'assemblée, des anecdotes de la
vie dans les villages au bon vieux temps.
La réussite de cette manifestation de prestige n'empêche pas
les dirigeants d'A.L.AS. d'étaler leur déception un an plus tard.
en présentant à la presse belge et grand-ducale. le bilan de 17
années de combat «contre la désertification linguistique et cultu-
relle de l'Arelerland.» (65 1)
Certes. il y a le succès rencontré par les cours de langue luxem-
bourgeoise. la multiplication des soirées théâtrales en Lëtze-
buergesch. l'édition d'une revue trimestrielle rebaptisée
«Geschwënn ... », de cartes postales. de calendriers avec proverbes
et éphémérides. de deux cassettes de chants luxembourgeois. l'or-
ganisation de quelque 800 réunions culturelles, une participation
à l'élaboration du décret sur les langues régionales endogènes de
la Communauté Française. etc.« Hélas, nous sommes forcés de
constater que nous sommes les seuls. dans la région, à nous
démener pour la langue et la culture. »
(651 l Gaston TRIFFAUX. Bilan en demi-teinte ou constat d'échec? Le Kulturverain
Arelerland a Sprooch fait le point de 17 années d'activités pour la sauve-
garde et la promotion du luxembourgeois. in Arlon-Canefour. mercredi 7
avril 1993.
429
Les quatre lauréats de l'ordre du méri te d'AL.AS.: Jean-Claude Schroeder. Claude
Berg. Léopold Kruchten et Louis Le fè bvre. La séance académique se termine
avec l'exposé de Georges Calteux. directeur de l'administration des Sites et
Monuments du Grand-Duché de Luxembourg. responsable des rénovations
rurale et urbaine du Grand-Duché. vi ce-président international de «Ruralité-En-
vironnement-Développement».
Du côté des autorités locales et régionales, civiles et religieu-
ses, le bilan est jugé bien maigre. «On n'est pas loin du point
zéro !», note avec une sévérité sans doute excessive. Gaston
Mathey entouré de Stany Demecheleer et de Nicolas Bach. avant
d'épingler tout particulièrement les «politiques», les médias et la
Maison de la Culture d'Arlon :
«Les instances politiques n ationales. régionales ou locales. se
soucient fort peu de notre richesse culturelle. (..) Rien n'a changé
au point de vue de l'enseignement du luxembourgeois dans les
écoles, au point de vue de l'utilisation de la langue dans les admi-
nistrations et les services publics. Pas de prise de position offi-
cielle de la part des instances politiques en faveur de la langue.
On évite soigneusement de parler de langue régionale et de cul-
ture spécifique. Sujet tabou !!! Quelle est la personnalité politique
ou religieuse qui a osé ou qui oserait en public. s'adresser en luxem-
bourgeois à son auditoire ? ( .. ) Combien d 'attaques de la part de
certains journaux régionaux ALAS. n 'a-t-il pas endurées? (. .) A
plusieurs reprises. nous avons demandé des émissions en luxem-
bourgeois à la radio nationale. Refusé! Les étrangers et les Wal-
lons y ont droit mais nous... rien ! Pourquoi ? Ne sommes-nous
pas des Belges ?Ne sommes-nous pas des gens comme les autres ?
A vans-nous moins de droits ? Serait-ce une épuration linguisti-
que?(..) Depuis sa création. la Maison de la Culture n'a présenté
qu'un seul spectacle en luxembourgeois. Une pièce d'Alain Atten :
« De Paerdsdeif». A part cela. aucune autre trace de culture régio-
nale. Promouvoir la culture n'est pas, à notre sens, engouffrer des
millions dans des spectacles étrangers de haute facture...
«Une langue, qu'elle soit intemationale, nationale ou régio-
nale est et doit être, autre chose qu'un argument politico-lin-
guistique de repli. mais un instrument d'ouverture et de rencon-
tre. Dans le contexte du plurilinguisme. une langue ne doit ja-
mais être ni devenir un motif d'intolérance.
«La seule solution pour éviter cela et pour vivre en bonne
entente est le plurilinguisme. Si nous en sommes bien conscients,
alors, oeuvrons ensemble pour changer le comportement des
individus, ainsi que le nôtre et nous aniverons à créer une gén é-
ration d1ndividus fiers d'appartenir à l'Arelerland.
«Si cela ne devait pas changer. Arelerland a Sprooch serait
amené à tirer les conclusions qui s1mposent» (652l

l65 zJ Déclaration de Gaston Mathey sur base d'un texte rédigé à Sampont le 1er
mars 1993.
431
«Voilà qui donnerait presqu'en vie d'entonner le Zu Are] op de
Knipchen .. .>>, note avec humour Jean-Luc Henquinet dans les co-
lonnes de l'Avenir du Luxembourg'653 l, tandis qu'Eric Burgraff s'in-
terroge dans le Soir: «Chantera-t-on le requiem en luxembour-
geois ?» '654l

Saint Polycarpe au secours de la minorité


luxembourgeophone
La dernière décennie du 2oe siècle est marquée par l'explo-
sion du nombre de frontaliers belges occupés au Grand-Duché
de Luxembourg. De 6.400 en 1980, ils passent à 12.300 en 1990.
22.200 en 1999 et 24.300 en 2000. Les frontaliers français sont
46.500, les Allemands 16.500. Les agents et fonctionnaires inter-
nationaux: 7.600 '655 l. Dans ces conditions. les classes belges où
sont organisés les cours de langue luxembourgeoise connais-
sent des records d'affluence.
Le 18 mars 1999. la visite à Arlon des souverains du Grand-
Duché de Luxembourg. accompagnés par Albert II et Paola. sou-
lève un enthousiasme exceptionnel parmi la population du pays
d'Arlon, sans commune mesure avec celui suscité par la joyeuse
entrée éclair de Philippe et Mathilde à Arlon. sept mois plus tard.
Le grand-duc Jean et la grande-duchesse Joséphine-Charlotte ont
souhaité ce voyage dans le Luxembourg belge avant d'annoncer
une prochaine abdication au profit de leur fils. le prince Henri '656l.
En se rendant à pied de l'hôtel de ville au palais provincial, à
travers la Grand-Rue d'Arlon, Jean et Joséphine-Charlotte pren-
nent un bain de foule au cours duquel les habitants leur témoi-
gnent toute leur sympathie tant en français qu'en luxembour-
geois. Arrivés dans les salons du gouverneur. le Grand-Duc et la
Grande-Duchesse ne cachent pas leur agréable surprise de ren-
contrer autant d'Arlonais qui parlent le luxembourgeois.

1653 ) Jean-Luc HENQUINET. Arelerland a Sprooch a des états d 'âme. in L'Avenir


du Luxembourg. vendredi 2 avril 1993.
1654 ) Eric BURGRAFF. Dernier combat pour sauvegarder l'Arelerland. in Le Soir.
jeudi 8 avril 199 3.
1655 ) Le Luxembourg en chiffres: 2001. Service central de la Statistique et des

Etudes économiques. STATEC. Luxembourg. septembre 2001.


1656 ) Jean-Marie TRIFFAUX. Le pays d'Arlon et la Gaume au fil du XX' siècle. Ar-

lon. 1999. p. 203.


432
y compris des mandataires nationaux et provinciaux. Cette jour-
née fait date dans les annales de la ville d'Arlon.
Deux événements vont ensuite marquer le passage au nou-
veau millénaire : l'apparition d'un parti qui se prononce claire-
ment pour le rattachement au Grand-Duché de Luxembourg et
les retombées inattendues des accords de la Saint-Polycarpe.
Lors des élections communales d'octobre 2000, le paysage
politique luxembourgeois s'enrichit d'une nouvelle formation. le
Rassemblement Luxembourgeois. qui présente une liste com-
munale à Arlon et une liste provinciale dans le district d'Arlon-
Messancy.
Ses principaux promoteurs sont issus de la mouvance
d'Arelerland a Sprooch. Citons Victor Hesse. de Freylange. tech-
nicien RTBF retraité. Gabriel Loutsch. de Fauches. fonctionnaire
provincial. Adrien Theismann. de Viville. entrepreneur. Louis
Stephany. de Thiaumont. chiropractor. etc.
Leur définition du Rassemblement Luxembourgeois ?
«C'est un groupe de citoyens responsables qui s'oppose au
rattachisme à la wallonne et qui n'attend pas d'être placé devant
le fait accompli pour donner son avis. Si d'aucuns en Wallonie
veulent être rattachés à la France et si par malheur cela devait se
réaliser, nous. habitants du pays d'Arlon, demandons notre re-
tour au Grand-Duché de Luxembourg. Et qu'on ne vienne pas
dire que cela n'anivera jamais, les trente dernières« belges» an-
nées sont truffées de choses qui ne devaient jamais aniver.»
Le Rassemblement Luxembourgeois estime encore que « le
pays d'Arlon se vide de sa substance au profi.t d'abord de l'Etat
belge, ensuite de l'Etat wallon quand ce n 'est pas du centre de la
province.» Sa conclusion : «nous n'avons plus notre place dans
l'espace Wallonie-Bruxelles.» (657l
Le rattachement au Grand-Duché de Luxembourg n'est cepen-
dant pas le thème majeur de la campagne électorale et le Rassem-
blement Luxembourgeois ne fait pas le poids face aux partis tradi-
tionnels qui axent leur campagne sur des préoccupations classi-
ques touchant davantage le public au niveau local (social, éduca-
tion. travaux. environnement. fiscalité ...). Le RL. ne décroche pas
un seul siège au conseil communal d'Arlon. ni au conseil provin-
cial. Ses résultats (4.2 % à Arlon. 3.8 % dans le district) ne consti-
tuent pas une percée significative. ce qui ne signifie pas que son

' 657l Tract électoral du Rassemblement Luxembourgeois. septembre-octobre 2000.


433
aventure sera sans lendemain. Force est de constater que laques-
tion d'un rapprochement entre l'Arelerland et le Grand-Duché de
Luxembourg est un sujet de plus en plus fréquemment abordé
dans les conversations à Arlon. Une fréquence qui est proportion-
nelle à celle du discours wallon en faveur d'un rapprochement
avec la France.
Le combat pour la défense de la spécificité luxembourgeoise
dans le pays d'Arlon n'est pas mort et il va même rebondir en
2001-2002, dans le sillage des accords dits de la Saint-Polycarpe.
Pour séduire l'opposition sociale-chrétienne et décrocher son
soutien lors du vote de nouveaux accords institutionnels. le gou-
vernement belge. issu de la majorité arc-en-ciel. s'engage à si-
gner à Strasbourg la convention-cadre pour la protection des
minorités nationales. Si la Belgique est à la traîne dans ce do-
maine. c'est tout simplement parce que la Flandre redoute que
cette convention européenne permette aux francophones de
mieux protéger leurs droits dans les communes de la périphérie
bruxelloise et dans les Fourons.
Au sein d'Arelerland a Sprooch. à la tête duquel Gaston Mathey
a cédé le flambeau à Albert Conter. on saisit immédiatement
l'intérêt des accords de la Saint-Polycarpe. Les germanophones
du pays d 'Arlon. élégamment rebaptisés « Communauté
luxembourgeophone de Belgique». constituent à n'en pas dou-
ter une minorité linguistique belge. La signature de la conven-
tion-cadre et surtout son application devraient théoriquement
conduire à la mise à disposition de moyens susceptibles d'ouvrir
une ère nouvelle pour la langue luxembourgeoise dans
l'Arelerland.
«Pas question pour nous de revendiquer l'envoi de documents
administratifs en luxembourgeois. Non. ce qui nous intéresse,
c'est une reconnaissance offlcielle. Notre priorité : recréer un en-
seignement bilingue.» (658l
L'objectif déclaré d'Albert Conter est d'introduire la langue
luxembourgeoise dans les écoles gardiennes et le bilinguisme
franco-allemand dans les écoles primaires. Mais la partie est loin
d'être gagnée. La convention-cadre a une faiblesse inhérente de
taille : elle ne définit pas la notion de minorité nationale. Et il ne
faut guère compter sur les francophones et les néerlandophones

1658l Déclaration d'Albert Conter. L'Arelerland. cette minorité oubliée. in Le Soir.


jeudi 31 janvier 2002.
434
belges pour apporter une réponse unanime à cette question hau-
tement sensible. D'ailleurs. c'est pour déminer le terrain que le
Conseil de l'Europe charge la Suissesse Lili Nabholz-Haidegger
de rédiger un rapport spécifique sur les minorités nationales en
Belgique. A plusieurs reprises, la chargée de mission helvétique
se rend à Bruxelles. dans les Fourons. et même à Comines et à
Mouscron où les Flamands établis en Wallonie peuvent aussi
revendiquer ce statut Mais elle ne visite pas le pays d'Arlon. ce
qui n'est évidemment pas de bon augure pour la suite.
Tandis que la frontière linguistique qui divise la Belgique fo-
calise toutes les attentions. les dirigeants d'AL.AS. tentent dé-
sespérément de se faire entendre. Par une campagne de presse
d'abord. Outre des reportages faisant écho à la direction
d'Arelerland a Sprooch. les militants du mouvement sont régu-
lièrement présents dans les courriers des lecteurs des grands
quotidiens. Secret espoir de révéler au monde qu'Astérix et Obélix
ne sont pas morts. «Aux confins du pays, dans la région d'Arlon,
un petit groupe résiste encore et toujours à l'envahisseur franco-
phone.» (659l
Au Parlement fédéral ensuite. où le mouvement a trouvé un
solide allié en la personne du député-bourgmestre d'Attert. le
social-chrétien Josy Arens. qui n'hésite pas à s· exprimer en luxem-
bourgeois à la tribune de la Chambre ou à interpeller le vice-
premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Louis Mi-
chel. pour qu'il organise une visite sur le terrain de Lili Nabholz-
Haidegger (660l. Mais jusqu'à présent. ces revendications ont des
allures de vœux pieux car sur l'échiquier fédéral belge. le pays
d'Arlon ne constitue pas un enjeu stratégique majeur.

(659l Olivier MOUTON. La minorité belge oubliée. in La Libre Belgique. mercredi 6


février 2002.
(660l Compte rendu analytique. Chambre des Représentants. Commission des
Relations Extérieures. séance du 19 février 2002.
435
XII. POUR CONCLURE ...
L'existence d'une minorité luxembourgeophone dans le sud-
est de la Belgique est un fait irréfutable, dû aux aléas de !'His-
toire, aux injustices nées de la défense des intérêts égoïstes des
grandes puissances.
En 1831. à Londres, le «G 5» de l'époque prend la lourde
décision de diviser le Luxembourg en deux : une partie pour la
jeune et bouillante Belgique, une autre (la plus petite mais la
plus riche) pour ne pas déposséder entièrement le roi des Pays-
Bas, Guillaume 1er. Ce jugement digne de Salomon n'arrange per-
sonne. Pendant sept ans. le souverain hollandais refuse de si-
gner le traité et la Belgique prie pour sauver son membre. Rien
n'y fait. Le 19 avril 1839. le couperet tombe. Suivant le côté de la
frontière où l'on habite aujourd'hui, on interprète l'événement à
sa manière: le Grand-Duché de Luxembourg perd «son» quar-
tier wallon ou la Belgique perd le quartier allemand de «son»
Luxembourg. Historiens des deux pays s'accordent sur le fait que
cette séparation est douloureuse pour la population. Et elle est
profondément injuste.
Pour diviser le Luxembourg, les Grands décident de coller la
nouvelle ligne de séparation sur la frontière linguistique qui vient
de la nuit des temps et dont l'origine demeure un sujet plus
controversé que jamais. C'est sans compter les préoccupations
stratégiques des Français qui exigent que la région d'Arlon soit
placée en Belgique, un pays dont le statut de neutralité les ar-
range, plutôt qu'au Grand-Duché, qui restera entre les mains d'un
ennemi potentiel. ns'agit de protéger la place forte de Longwy et
les liaisons entre la France et Liège. Un diplomate de premier
rang, Talleyrand, défend ce point de vue sans concession. On
frôle la guerre mais les Britanniques trouvent la solution lorsque
Palmerston propose que la Belgique cède aux Pays-Bas, en guise
de dédommagement une bande de terrain supplémentaire dans
le Limbourg. Les Hollandais finissent par accepter cet étrange
marchandage. L'intérêt du Roi des Pays-Bas l'emporte sur celui
de Grand-Duc de Luxembourg. Prussiens, Autrichiens et Russes
436
leur emboîtent le pas. La région d'Arlon ne sera pas l'enjeu d'un
nouveau conflit européen.
Voilà comment le pays d'Arlon, bien que situé aux premières
tranchées du quartier allemand du Luxembourg, se retrouve fi-
nalement en Belgique et pas au Grand-Duché comme la logique
linguistique l'exigeait Nouvelle injustice. Une minorité germa-
nophone. ou plutôt luxembourgeophone. vient de naître dans
un état largement dominé par la langue française. Qu'il soit clair
dans tous les esprits qu'en 1831. les habitants de l'Arelerland se
félicitent de cet heureux dénouement Us sont soulagés d'être
Belges et non Hollandais. C'est une question de sentiment na-
tional, de culture, mais aussi d'intérêt : la fiscalité était accablante
sous le régime hollandais et le Grand-Duché va demeurer entre
les mains de Guillaume Ier.
Parce qu'Arlon est la ville la plus importante de la nouvelle
province belge qui n'a plus de Luxembourg que le nom, et parce
qu'elle constitue une intéressante fenêtre ouverte sur un Grand-
Duché qu'on espère récupérer tôt ou tard, la Belgique installe le
chef-lieu du Luxembourg belge à Arlon. n ne faut pas voir dans
cet acte une volonté quelconque de franciser Arlon et d'anéantir
la culture luxembourgeophone dans ce petit bout de quartier
allemand. Rien de tout cela. Mais l'arrivée de centaines, puis de
milliers de fonctionnaires , d'enseignants. de militaires et
d'ouvriers venus principalement de Wallonie, mais aussi de Flan-
dre, bouleverse la donne linguistique. Comment aurait-il pu en
être autrement dans un 19e siècle marqué par la révolution in-
dustrielle. en particulier le développement du chemin de fer et la
naissance de l'industrie sidérurgique luxembourgeoise ? On re-
marquera d'ailleurs que les grands capitaines d'industrie tel que
Victor Tesch développent leur activité industrielle indistinctement
des deux côtés de la frontière.
Cette émigration massive vers l'Arelerland touche principale-
ment la ville d'Arlon et la région d'Athus, beaucoup moins ou
pas du tout la campagne. N'en déplaise à certains. elle n'est pas
vécue comme une invasion par la population locale. encore moins
comme une colonisation étrangère. mais bien comme une chance
inespérée et une source de développement à l'origine d'un âge
d'or sans précédent pour la région depuis l'antiquité. Tout le
monde y trouve son compte et la concorde règne entre les diffé-
rentes communautés appelées à se mélanger rapidement Les
mariages entre nouveaux venus et anciens (ne sommes-nous
pas tous des enfants d'immigrés ?) ne font pas exception et n'ont
437
rien de choquant dans la société arlonaise du XIXe et du :xxe
siècles. Ici. la fille d'un cheminot patoisant de la Hètchegaass
épouse un milicien louvaniste venu remplir son devoir au 10e de
Ligne. Là, le fils d'un fermier de Waltzing prend union avec une
jeune Gaumaise de Meix-devant-Virton rencontrée au bal. Où
est la «domination de l'ethnie wallonne sur l'ethnie
luxembourgeophone», encore récemment évoquée pour expli-
quer l'évolution linguistique de l'Arelerland?
Mais il y a bien un phénomène de mode et de snobisme qui
vient se greffer sur tout cela. Pour les petites gens. patoisants
arlonais. gaumais. wallons. flamands. juifs. italiens. allemands et
autres. qui forment cette société cosmopolite, apprendre à maî-
triser la langue française. est signe d'éducation. d'intégration. d' élé-
vation sociale. de progrès. de réussite. Les exemples sont nom-
breux mais celui des jeunes filles en promenade dans la Grand-
Rue. qui conversent en patois entre elles, mais échangent des
formules de politesse en français lorsqu'elles croisent un autre
groupe. est significatif:
Si des sources de tension existent bien. on les trouve à un
tout autre niveau : entre les notables d'une part. la classe ouvrière
et paysanne d'autre part. celle-ci aspirant à l'amélioration de ses
conditions de vie et de travail. à plus de justice et de liberté.
Luttes pour le suffrage universel. pour le service militaire général
et obligatoire, pour la réduction du temps de travail sont ses
préoccupations principales à la Belle Epoque.
En 1893. le premier mouvement de défense de la langue alle-
mande est lancé par Godefroid Kurth. Mais l'allemand n'est pas
le luxembourgeois et le Deutscher Verein ne rassemblera jamais
l'Arelerland profond. Paysans et ouvriers ne s'y retrouvent pas.
Nous avons démontré que le Verein a une finalité politique ina-
vouée. L'objectif secret de Kurth est la création «d'une citadelle
catholique pour l'arrondissement d'Arlon», qui «défiera libéraux
et socialistes». Le Verein est aussi un instrument de combat pour
l'élite catholique qui veut renverser la gauche libérale au pouvoir
à Arlon. C'est un échec: les nombreux cheminots. mineurs.
ouvriers sidérurgistes luxembourgeophones ont bien plus de
reconnaissance envers Victor Tesch et ses amis. qu'envers
Godefroid Kurth.
La situation reste figée à la campagne où la société agricole
est toujours sous l'emprise d'un clergé conservateur qui veut évi-
ter à ses ouailles la contamination des idées de Voltaire et autres
plaies progressistes. Catéchisme et prières sont en allemand. mais
438
le petit peuple qui cultive sa terre ne comprend pas toujours ce
qu'on lui fait réciter par cœur. Sa véritable langue est le luxem-
bourgeois.
La première guerre mondiale va bouleverser la position du
clergé. Devant les atrocités commises par l'envahisseur allemand
dans la région. il n'est plus question de défendre la langue alle-
mande. Précisons au passage que la souffrance des Arlonais est
aussi intense que celle des Gaumais. tout comme leur patrio-
tisme est aussi grand. même si le sang coule plus abondamment
dans le pays de Virton en raison du choc entre armées allemande
et française et ses conséquences sur la population civile. Le Verein
disparaît dans la tourmente et Kurth meurt de tristesse et de
colère après avoir signé un violent réquisitoire contre un pays
qu'il a tant adoré et où il a emprunté les séminaires de critique
historique. Pendant l'occupation. l'Allemagne s'intéresse pour la
première fois au caractère germanique du pays d'Arlon. Ses ten-
tatives de germanisation de l'administration. de l'enseignement.
de la vie publique sont des échecs complets mais valent la dé-
portation à de nombreux Arlonais de toutes tendances politi-
ques ou philosophiques.
Au lendemain de la guerre. le clergé redécouvre que la langue
de Voltaire est aussi celle de Bossuet et renonce en grande partie
à l'allemand. La francisation de la région s'accroît encore avec le
formidable sentiment de gratitude de la population arlonaise
envers la France pour son rôle joué dans la première guerre
mondiale. La France le lui rend bien. Un enfant du Haut de la
Ville. le patoisant Camille Cerf. devenu le secrétaire de
Clémenceau, obtient la Légion d'honneur et la Ville d'Arlon re-
çoit la médaille de la Reconnaissance française pour tous les ser-
vices rendus par la population à l'armée française et à ses nom-
breux blessés.
L'entre-deux-guerres est une période agitée pour les respon-
sables arlonais confrontés à des tentatives inopportunes de po-
liticiens flamands. peu au courant de la situation locale. et dési-
reux de faire le bonheur des Arlonais malgré eux. En 1926-27. le
libéral arlonais Paul Reuter stoppe net les tentatives du socialiste
anversois Camille Huysmans. Puis ce sont les menées d'un mou-
vement pangermaniste d'Aubel qu'il faut combattre. Le Bund der
Deutsch-Belgier est animé par un ancien disciple de Kurth. qui
n'a pas l'intelligence de faire la différence entre les objectifs du
défunt Verein et les ambitions territoriales d'autre-Rhin. Quel-
ques députés catholiques égarés dans cet affrontement réintègrent
439
bien vite l'union sacrée qui rassemble libéraux. socialistes et ca-
tholiques. qu'il soient francophones ou luxembourgeophones.
L'affrontement atteint son paroxysme en août 1934 avec la dis-
tribution toutes-boîtes dans le pays d'Arlon d'un numéro spécial
du journal « Die Fliegende Taube». Cette provocation. réalisée
grâce à des financements nazis en pleine période de commé-
moration franco-belge des combats d'août 1914. provoque une
réaction populaire sans équivoque d'une ampleur exceptionnelle.
Les Arlonais veulent qu'on les laisse en paix. parler la langue de
leur choix. Us ne se sentent pas opprimés et ne revendiquent
rien dans cette Belgique qui met en place les grandes lois assu-
rant la flamandisation du nord du pays et un statut particulier
pour Bruxelles.
Déboussolée par la réaction de la population. l'Allemagne
envoie sur place un universitaire afin d'étudier la situation dans
l'Arelerland. C'est à lui qu'on confie la tâche d'appliquer une po-
litique spéciale dans le pays d'Arlon à partir de 1941. lors de la
deuxième occupation allemande. La neutralisation des respon-
sables arlonais est possible grâce à la collaboration de jeunes
éléments d'extrême-droite qui croient le temps propice pour se
faire une place au soleil. D'importantes sommes d'argent sont
utilisées pour appâter les personnes de conditions modestes et
obtenir leur affiliation à un Deutscher Sprachverein dont l'objec-
tif secret est de germaniser au maximum la région en vue de son
annexion future au Grand-Duché de Luxembourg. Un rêve que
le Gauleiter Gustav Simon souhaite exaucer sans attendre. de-
puis son bureau de Luxembourg. mais il se heurte à la résistance
de l'Administration militaire de Bruxelles qui ne l'entend pas de
cette oreille pour des questions de lutte d'influence entre armée
allemande et parti nazi. Ironie de l'histoire. c'est grâce à deux
officiers supérieurs de la Wehrmacht. les généraux Von
Falkenhausen et Reeder. que les jeunes Arlonais ne connaissent
pas le sort des jeunes Luxembourgeois du Grand-Duché. emô-
lés de force et expédiés sur le front de l'Est Et paradoxe suprême :
les nazis traquent la langue luxembourgeoise au profit de l'alle-
mand au Grand-Duché tandis que de l'autre côté de la frontière.
l'occupant encourage le Lëtzebuergesch pour lutter contre la fran-
cisation du pays d'Arlon.
Pour la deuxième fois en 26 ans. la libération par l'armée amé-
ricaine sauve Arlon d'un durcissement de la politique de
germanisation. De nombreux Arlonais ont payé de leur vie la ré-
sistance opiniâtre de la population. Aussi. ceux qui ont collaboré
440
avec l'ennemi sont châtiés sans indulgence. Mais la vague ré-
pressive touche aussi le millier de personnes modestes qui
ont simplement cotisé au Sprachverein pour obtenir des avan-
tages matériels ou le rapatriement d'un militaire captif en Al-
lemagne.
La politique menée par l'occupant provoque chez de nom-
breux patoisants des sentiments de culpabilité et de décourage-
ment face à leur langue maternelle et au danger d'annexion au
Reich qu'elle leur a fait courir. Dans ce contexte d'après-guerre.
les résultats du recensement linguistique de 194 7 ne peuvent
pas être pris au sérieux. Une nouvelle progression du français au
détriment du luxembourgeois n'est pas surprenante.
il faut quelques années pour cicatriser les plaies de l'occupa-
tion. Le baron Pierre Nothomb est le premier à rompre la loi du
silence qui règne autour de la langue maternelle. il n'hésite pas à
vanter les avantages du bilinguisme, voire du trilinguisme, au
moment où sont lancées les bases de l'Union européenne. Le
mouvement plus folklorique de Julien Bestgen contribue à dé-
tendre l'atmosphère et met à l'honneur le patrimoine local sous
ses diverses facettes. Malgré un recul ininterrompu, le patois de-
meure vivace dans la campagne arlonaise et dans certains quar-
tiers du chef-lieu. Le marché hebdomadaire du jeudi est un bon
baromètre pour s'en assurer, à la condition de pouvoir faire la
différence entre Arlonais et Luxembourgeois venus du Grand-
Duché. Notons qu'en élevant le luxembourgeois au rang de lan-
gue. le Grand-Duché de Luxembourg est peut-être le véritable
sauveur du patois de l'Arelerland.
En 1976, la fusion des communes. catalyseur de nombreuses
sources de mécontentement dans le monde rural. n'est certaine-
ment pas étrangère à la naissance du premier mouvement de
défense du Lëtzebuergesch dans la région arlonaise, Arelerland
a Sprooch. qui se réclame l'héritier spirituel de Godefroid Kurth.
Chaque année, AL.AS. rend hommage au grand historien par un
dépôt de gerbe au pied de son buste. dans la cour du Musée
d'Arlon. Tiraillé entre différentes tendances plus ou moins du-
res. le mouvement exige le respect de la langue et de l'identité
culturelle de la minorité patoisante. il assure ne pas chercher à
envenimer les querelles linguistiques de Belgique mais défendre
l'originalité culturelle de l'Arelerland. Son action diversifiée con-
naît des résultats inégaux et suscite une indifférence relative parmi
les pouvoirs publics et même parmi la population. On peut
d'ailleurs s'interroger sur la représentativité de ce mouvement.
441
Une bonne indication est donnée en octobre 2000 lorsque plu-
sieurs militants. déçus par les résultats engrangés en 24 ans. dé-
cident d'empoigner le taureau par les cornes et présentent une
liste aux élections communales et provinciales. A Arlon. le Ras-
semblement Luxembourgeois obtient 635 voix. soit 4.2 % du corps
électoral. Dans l'ensemble du district d'Arlon-Messancy. il dé-
croche 1.135 voix. soit un score de 3.8 %. Bien qu'il n'existe aucun
chiffre officiel. le nombre de luxembourgeophones est habituel-
lement évalué entre 15.000 et 22.000 dans l'Arelerland.
Les habitants du pays d'Arlon ne sont donc pas prêts à ouvrir
la boîte de Pandore que constitue la question du retour au Grand-
Duché voisin. Mais si d'autres en Wallonie le faisaient posant
officiellement la question d'un rapprochement voire d'un ratta-
chement à la France, francophones et luxembourgeophones du
pays d'Arlon souhaiteraient à n'en pas douter. pouvoir se déter-
miner. Quel serait alors leur choix ? Ce ne sont sûrement pas les
arguments historiques ou linguistiques qui les influenceraient le
plus mais bien le formidable développement du Grand-Duché
de Luxembourg. devenu une place financière et un pôle euro-
péen de premier rang. où est employée près de la moitié de la
population active de la ville d'Arlon et des communes belges
environnantes. Une autre question ne doit pas être oubliée : le
Grand-Duché de Luxembourg. devenu Nation. souhaite-t-il ré-
cupérer l'Arelerland perdu en 1839? Dans une Europe des ré-
gions qui se construit un peu plus chaque jour. ces interroga-
tions pourraient être rapidement obsolètes.

442
A Martelange comme dans les villages du val d'Attert. les plaques de rues sont
bilingues.


~ o
ATTERT
Heinstert
N
'J/ Chemin des Ecoliers Il
U.
c7,'
Kannerwee j
'~

444
r

Les toponymes luxembourgeois sont largement présents sur les plaques des
noms de rues. surtout dans les villages de l'Arelerland. La « Knippchen » (de
Knupp: butte). sur laquelle est bâtie la ville, fait quant à elle entièrement partie
du patrimoine local. tout comme le « Maitrank 11, la boisson locale. le « Judd mat
Gaardebounen 11, plat typique de cuisine familiale. le " Hellechsman 11. person-
nage mythique du folklore arlonais, la « Hètchegaass 11, le vieux quartier au cen-
tre-ville, le « Bock 11, ancien hospice, et bien d'autres aux noms savoureux.
Bien que située sur le territoire de la commune d'Arlon. en Belgique. la chapelle
de la Rentertkapell (1671) dépend de la paroisse voisine d'Eischen. au Grand-
Duché de Luxembourg.

446
il ne faut plus que quelques minutes de voiture ou de train pour relier Arlon à
Luxembourg. La distance n'est que de 23 km et des voies de communication
rapide comme l'autoroute E 411 sont empruntées quotidiennement par des
milliers de travailleurs frontaliers.
Le pays d'Arlon devient peu à peu le faubourg de la capitale luxembourgeoise.
place financière internationale et pôle européen de premier rang.
Le 18 mars 1999. la visite des souverains du Grand-Duché de Luxembourg et de
Belgique fait date dans les annales d'Arlon. Les deux familles royales, unies par
les liens du sang, ne pouvaient pas trouver meilleur lieu de rencontre que celui
de cette ville, si proche et étroitement liée à ses voisins.
En se rendant à pied de l'hôtel de ville au palais provincial. à travers la Grand-
Rue d'Arlon. Jean et Joséphine-Charlotte prennent un bain de foule au cours
duquel les habitants leur témoignent leur sympathie tant en français qu· en luxem-
bourgeois. Arrivés dans les salons du gouverneur. le Grand-Duc et la Grande-
Duchesse ne cachent pas leur surprise de rencontrer autant d'Arlonais qui par-
lent le luxembourgeois.
00

1B KM MAKTRANK

-2- Refrain :
0a lé1sst de Guckuck schallen duurch Blerg an Dan sài Udd. 0 Mâitrank wou s du pierels
Waldmeeschter an de Bëscher mat Stralekranze blitt. Vol/ Dofl a Poésie
Mir huele vun deem Krâltchen sou mannech, mannech Strauss, Do feelt Freed a Frou sin
Agi seng Kraaft vermësche mat Wain an d'Summerhaus. Bai brawe Mënschen ni.

450
DE PARADAIS

-2- -3-

Ech wees en Haus wou lëschteg Bridder, An eisem Land wou mir frâi liewen;
Soprani, Tenor a Basse Wéi de Villchen op dem Rees,
Monter sangen hîr lëschteg Lidder Soll mâin Dank sech zum Hargott hiéwen,
Wa si sêtze bâi Glas a Spaass. Wëll Aret as e Paradâis.

Arelerland a Sprooch et sa chorale « De Setzbaacherkouer » s'efforcent de re-


mettre en honneur les vieux chants populaires luxembourgeois du pays d'Ar-
lon. Des cartes illustrées ont été éditées notamment avec « Are] », « Zu Are] op
der Knippchen », « Baim Maitrank » et le célèbre « De Paradais ». harmonisé par
Emile Binet en 1976.

451
U ARltL OP DER NIPPCHEN
*"
VI
N 1
Zi, ,.. "' 1111' - .,. -. do .. • •• hu; $

llllln- M p q .,...._ dWlq


-... - .._

,.. ,. ...,.._ ,. ,.. • • - dWI.,. 1r on, s

•••Si ••1-1,A ..,_lldlllt'Sd!OiN.

·2- -3-
Wann d'Fraen ze viU gedronk hun, Hei d'Mânner wëlle bleiwen
Da geet alles zu Wee, Laang sëtze bâi dem Glas,
Da gi si gare mam Krunn An och fir ze verdreiwen
Sech wanselen op d'Hee. Hir Zâit mat lauter Spaass
Mumm Aneleis, Mumm Aneleis, Mumm Aneleis, Mumm Aneleis,
W,e kacht dann hinnen d'Zopp ? Wat maachen dann dêi Honn
Si hun eng Mad, Da spi/le se,
Déi félert de Stol Da bille se,
A waart. en och schéin op. A reiwe sech de Kênn.
Un village typique de l'Arelerland : Wisembach, dans le pays de Fauvillers.

453
454
Udange est sans doute le village aux maisons les plus fleuries de l'Arelerland.

455
Le drapeau de la province de Luxembourg, qui est aussi celui du pays d'Arlon,
flotte allègrement sur la butte de Saint-Donat

456
BILIBIOGRAPHIE

I. Sources inédites :

- Papiers de Jean-Baptiste Nothomb. Archives Générales du Royaume


Bruxelles. Acquisitions de la 4e section, n ° 6. Recueil de documenta-
tion. Interim du Ministère de la Justice (4 février au 8 juin 1839). Ap-
pels et mémoires relatifs à la réorganisation de la province de Luxem-
bourg dont une partie est détachée de la Belgique.
- Registre des rapports annuels des inspecteurs provinciaux pour les
provinces de Limbourg, Luxembourg et Namur, appartenant aux Ar-
chives Générales du Royaume. Rapports sur l'état de l'instruction pri-
maire dans le Luxembourg pendant les années 1846 et 1848.
- Archives de !'Evêché de Namur. Rapports des curés du Luxembourg,
suite à la visite décanale (XIXe siècle) : lettres pastorales et mande-
ments en langue allemande des évêques de Namur au Pays d'Arlon,
de 1837 à 1950.
- Papiers de l'Association pour la culture et l'extension de la langue
française. 1908-1933. Archives de l'Etat Arlon.
- Papiers Fernand Neuray. Archives Générales du Royaume Bruxelles.
Lettre de Godefroid Kurth à Fernand Neuray. Liège. le 17 mai 1897.
- Rapports d'activité de la Section politique près le Gouverneur général
en Belgique, 1915-1918. Ministère des Affaires Etrangères à Bruxelles.
Traduction des documents prêtés par Jacques Willequet.
- Archives de l'Administration communale d'Arlon.
Registre aux résolutions du Conseil communal d'Arlon.
Enquête de l'Administration communale sur les langues véhiculaires
utilisées dans les écoles primaires de la région vers 19 30.
Correspondance entre le bourgmestre Reuter et le ministre des Scien-
ces et des Arts en 1931 et en 1932.
- Papiers Paul Reuter, avocat et bourgmestre de la Ville d'Arlon, 1865-
1949. Archives de l'Etat Arlon.
457
- Papiers Omer Habaru. journaliste et écrivain. 1893-1977. conservés par
sa famille.
Ordres du jour de la Fédération nationale des Combattants. section
d'Arlon.
Exposé des faits par Henri Bischoff. demandeur contre la société ano-
nyme Les Annonces du Luxembourg. défenderesse.
Audition de Paul Lespagnard à Arlon. Sûreté de l'Etat
- Archives de l'Association Commerciale et Industrielle d'Arlon.
Communiqué du secrétaire Jules Feider. Arlon, 1932.
Discours prononcé par le président Fritz Barnich à Arlon le 19 août
1934.
- Archives de la Juridiction Militaire Belge. Palais de Justice de Bruxelles.
Procès Boetcher. Eichhom. Majeres. Maas. Lespagnard. Zender.
- Archives de l'Académie Luxembourgeoise. Archives de l'Etat Arlon.
Extrait du procès-verbal de la réunion du 10 août 1969.

II. Principaux journaux et périodiques


consultés:
Les Annonces du Luxembourg. Areler Volkszeitung. Arlon-Carrefour,
Arloner Zeitung, L'Avenir du Luxembourg. La Défense Wallonne. La
Dernière Heure. L'Echo du Luxembourg. L'Etoile Belge. Die Fliegende
Taube. Frankfürter Zeitung, L'Indépendance Belge. Journal de Liège. Jour-
nal des Débats. Journal du Luxembourg. Der Katholik. La Libre Belgi-
que. Luxemburger Wort. La Meuse-Luxembourg. Les Nouvelles. Le Pa-
triote. La Province, Pro Gallia. Le Soir. La Vie Arlonaise. Le Vingtième
Siècle. Die Wahrheit.

III. Ouvrages, articles et publications


officielles :
Actes du Colloque intemational de Habay-la-Neuve, 5 juillet 1980, Jean-
Baptiste Nothomb et les débuts de la Belgique indépendante. AG.R.
Bruxelles. 1982.
Annales Parlementaires. Chambre des Représentants, Bruxelles.
ANONYME. Les Belges de langue allemande, réponse à M Godefroid
Kurth. Arlon. 1906.
458
ANONYME, Les Belges de langue allemande, Deuxième réponse à M
Godefroid Kurth. Virton. 1906.
Arelerland a Sprooch. Geschwënn .... revue trimestrielle, 1976-2002.
AREND (J.). Rapport sur le Deutscher Sprachverein in Arel. par le com-
mandant le district de gendarmerie d'Arlon. Arlon, le 18 novembre
1944.

ARLO, Jean-Jacques Ménard, in La Vie Arlonaise. n ° 12. 1er avril 1913.

Association pour la culture et l'extension de la langue française, comité


d'Arlon. XXVe anniversaire, 1910-1935, Bruxelles. 1936.
AUBERTIN (J.-J.). Sozio-linguistische Untersuchung der Stadt Arlon. Lou-
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que pendant l'occupation. Bruxelles. Brian-Hill.
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naissance de la langue wallonne, ouvrage collectif sous la direction
de Lucien Mahin. Gerpinnes. 1999.

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WIIMOTTE (M.). Mes Mémoires. Bruxelles, 1948.

WlRTZ (J.), Rapport sur le D.S. V. de M le Commissaire de la Sûreté de


l'Etat chef de la B.T du Luxembourg. Arlon. le 8 novembre 1944.
ZACHARY (D.), Villages gaumais choqués. in L'Avenir du Luxembourg.
vendredi 11 mai 2001.
ZEND ER (M.), Die deutsche Sprache in der Gegend von Are]. in Deutsch es
Archiv für Landeskunde und Volksforschung. tome 3. 1939.
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Rheinische Blatter, Deutsche Kulturpolitische Zeitschrift im Westen,
Koln, avril 1941. heft nr 4, pp. 165 -167.
ZENDER (M.), Rapport au sujet de mon activité à Arlon, février 1946.
J.M.B. Procès Zender.

473
TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION

La frontière linguistique : une origine plus controversée


que jamais 5
Le duché de Luxembourg : un quartier allemand et
un quartier wallon 11
Arlon, carrefour des civilisations latine et germanique 14

II. LA SEPARATION DE 1839


La fin d'une époque 25
Arlon, chef-lieu provisoire du Grand-Duché de Luxembourg 28
Fixation de la frontière entre les deux Luxembourg et séparation 31
Quel chef-lieu pour la province de Luxembourg? 57

III. EVOLUTION DU PAYS D'ARLON ENTRE


1839 ET 1890
Transformation d'une petite ville campagnarde en chef-lieu
de province, difficultés y afférentes et arrivée des Wallons 69
Evolution de la situation linguistique et isolement
de la population germanique au 19e siècle 75
Premières données linguistiques du recensement de 1846 75
Evolution de la langue dans l'enseignement 77
Le déclin du patois germanique 89
La langue utilisée par le clergé 92
Les langues dans la presse 95
Localisation des groupes linguistiques dans la ville d'Arlon 101
Comparaison entre les recensements de 1866 et de 1890 102
Une littérature populaire au pays d'Arlon :
Jean-Jacques Ménard et Nicolas Warker 105
475
IV. 1890-1910: PREMIERS DEFENSEURS DE
LA LANGUE ALLEMANDE ET RIPOSTE
FRANCAISE A ARLON

Godefroid Kurth et le Deutscher Verein 111


Godefroid Kurth (1847-1916) 120
Les principales revendications du Deutscher Verein 125
Dans l'enseignement 125
Donnez-nous des fonctionnaires de langue allemande ! 129
La traduction des actes officiels 131
La campagne de 1906 et les réponses des partisans
de la langue française 13 3
La riposte: l'Association Française d'Arlon 142
Impact et répercussions du Congrès d'Arlon 157
Jean Van Dooren (1861-1945) 161
Conclusions sur l'action du Deutscher Verein 162
Les rapports du Deutscher Verein avec l'Allemagne 165

V. LA GRANDE GUERRE ET LES PREMIERES


TENTATIVF.S DE GERMANISAllON (1914-1918)
Août 1914 : horreur dans le Luxembourg 169
Les tentatives de germanisation de l'enseignement
primaire à Arlon 171
Nicolas Warker (1861-1940) 185
Les tentatives de germanisation de l'administration arlonaise 186
Julius Loeb à Arlon: un Prussien prépare l'annexion 188
La mort de Godefroid Kurth 199
Godefroid Kurth et le guet-apens prussien 201
Conséquences de l'occupation et réactions de la
population envers le patois luxembourgeois 203
Comparaison entre les recensements de 1910 et de 1920 212

VI. PASSE D'ARMES ENTRE PAUL REUTER


ET CAMILLE HUYSMANS (1926-1921)
Paul Reuter (1865-1949) 227
476
VII. LES ANNEES TRENTE : LES ANNEES
DIFFICILES
La situation linguistique vers 19 30 231
Le recensement de 1930 232
Le réveil de Bischoff 239
La résistance du Luxembourg allemand au projet de
loi linguistique en matière d'enseignement 242
L'affaire des amendements 257
L'amendement David-Merget-Van den Corput 258
L'action du Bund der Deutsch-Belgier 268
L'amendement Renkin 274
Duel oratoire à la Chambre 280
Arlon contre le Bund der Deutsch-Belgier 287
Retour et disparition du Bund 300

VIII. RENFORCEMENT DES RELATIONS


FRANCO-BELGES A ARLON

Les fêtes commémoratives franco-belges d'Arlon en 1934 307

Le 25e anniversaire de l'Association pour la Culture


et l'Extension de la Langue française 308

IX. INTERLUDE 312

X. L'OCCUPATION ALLEMANDE ET LE
SPECTRE DE L'ANNEXION (1939-1944)

Matthias Zender : un spécialiste allemand à Arlon 313


Occupation et politique allemandes à l'Ouest 316
Le Gauleiter Simon veut annexer Arlon 321
Création du Deutscher Sprachverein in Are] 325
477
Arlon. avant-poste du germanisme à l'Ouest 332
La libération anticipée des prisonniers de guerre arlonais 334
La remise du prix Gërres 1940 337
Neutralisation et élimination des ennemis
de la langue allemande 341
L'effort social du Sprachverein 347
Organisations diverses du Sprachverein 351
L'Areler Volkszeitung 35 2
L'Areler Heimatkalender 361
L'Académie allemande d'Arlon 361
L'Areler Volksjugend 363
La germanisation de l'enseignement primaire 367
La germanisation de l'Athénée royal d'Arlon 370
Résistance de la population 373
Le « Schutzgmppe » 375
Le problème de l'annexion 377
Léopold ID a-t-il sauvé Arlon ? 382
Conclusions sur le cercle linguistique d'Arlon sous l'occupation 385

XI. DE L'APRES-GUERRE A LA
RECONNAISSANCE DE LA MINORITE
LUXEMBOURGEOPHONE
Un bref aperçu de la répression 391
Le recensement de la population en 1947 394
Pierre Nothomb tente de restaurer le patois 399
Le PAF de Julien Bestgen 400
Volksunie et annexionnisme linguistique dans le pays d'Arlon 403
Chez nos cousins grand-ducaux 406
Le « Kulturverain Arelerland a Sprooch » 407
Saint Polycarpe au secours de la minorité luxembourgeophone 4 32

XII. POUR CONCLURE 436

BIBLIOGRAPHIE 457

478
4608 Dalhem - Belgique
Tél.: 04-376.64.53 - 087-68.18.98

479

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