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SH10EM30

DEVOIR SEMESTRIEL L3 S1 - 2019

Humanisme et pouvoir monarchique en


France au XVIe siècle

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Chambord_Castle_Northwest_facade.jpg (consulté le 22/10/2019).

Nicolas MATANO
(étudiant étranger)

Université de Strasbourg
Faculté des Sciences Historiques

Professeur responsable : Anne-Valérie SOLIGNAT

____________mots et ____________ signes espaces compris

15 pages (page de garde et sommaire exclus)


SOMMAIRE

Introduction

I – L’arrivée de l’humanisme et les supports pour son développement en France

Les influences italiennes sur la France et les Guerres d’Italie

Les relais de l’humanisme en France

Les humanistes français et le renforcement de la langue française

II – La monarchie française face aux humanistes

François Ier : le roi humaniste par excellence

Le Collège des lecteurs royaux, l’aboutissement de l’alliance entre


monarchie et humanisme

Humanisme et monarchie après François Ier

III – La France après l’humanisme

Une transformation culturelle des Français ?

Les élites humanistes du royaume

Conclusion

Bibliographie

(Engagement contre plagiat signé en version papier)


Introduction
À la fin du Moyen-Âge, des idées nouvelles commencent à se développer en
Italie et se propager en Europe. L’héritage antique, pendant longtemps oublié, est mis
en valeur par des savants dès le XIVe siècle avec Pétrarque et Boccace, précurseurs
des humanistes qui ensuite entrent en scène et s’imposent, surtout avec l’imprimerie
de Gutenberg et la Réforme de Luther. L’humanisme est un phénomène européen qui
touche fortement la France et développe des liens étroits avec la monarchie française
au cours du XVIe siècle.
Dans la France de la Renaissance, le pouvoir monarchique continue à se
renforcer et le royaume s’impose comme puissance militaire, économique,
démographique mais aussi humaniste, avec la volonté royale de soutenir et mettre à
son service les grands personnages de ce courant.
L’humanisme français connaît son apogée avec François Ier, le monarque à la
tête du royaume le plus puissant d’Europe, qui côtoie les grands foyers de la
Renaissance italienne lors des nombreuses campagnes qu’il entreprend dans la
péninsule et qui cherche activement à développer les lettres et les arts dans son
royaume. Le souverain français est responsable d’un mécénat généreux qui a abouti à
un réseau solide d’humanistes réputés comme Guillaume Budé, Rabelais et Étienne
Dolet, qui ont placé la France au premier rang des puissances culturelles.
Face à ce contexte, on peut se demander quel est le rôle du pouvoir royal dans
le développement de l’humanisme en France au XVIe siècle.
Pour répondre à cette question, nous nous intéressons d’abord aux débuts de
l’humanisme en France, dès la réception des nouvelles idées venues d’Italie jusqu’à la
consolidation d’une Renaissance bien ancrée dans le royaume de François Ier.
Ensuite nous abordons la monarchie et le roi face à l’humanisme qui se
propage à travers le royaume, notamment François Ier qui est fortement engagé pour
les lettres et les arts et qui s’avère un mécène important, mais aussi ses successeurs
qui poursuivent son œuvre.
Finalement, nous analysons la France d’après les efforts communs des
souverains et des humanistes qui ont finalement transformé le royaume en puissance
culturelle au sein de l’Europe de la Renaissance.
I – L’arrivée de l’humanisme et les supports pour son développement en
France
A) Les influences italiennes sur la France et les Guerres d’Italie
L’Italie, berceau précoce de la Renaissance, voit apparaître l’humanisme au
sein de ses riches cités dès le XIVe siècle. Si des nombreux contacts et influences
dans le plan culturel ont lieu entre les États italiens et la France aux XIVe et XVe, ce
n’est qu’à la fin de ce XVe siècle justement qu’une véritable Renaissance à la
française se consolide dans le royaume. Il s’agit effectivement de l’époque des
premières Guerres d’Italie, entamées dès 1494 par Charles VIII et poursuivies par ses
successeurs.1 Ces conflits sont l’occasion pour le souverain et plusieurs grands
personnages du royaume de côtoyer la Florence des Médicis, la Rome pontificale,
Milan des Sforza et bien d’autres cités où la Renaissance est déjà bien établie et où les
humanistes foisonnent dans les cours citadines. 2
La découverte de cette Italie urbaine de cités et États en concurrence constante
pour le leadership de la Renaissance n’a pas eu des effets importants sur Charles VIII
ni sur son successeur Louis XII, qui restent peu sensibles et peu engagés dans une
démarche de développement d’un mouvement semblable au sein de leur royaume,
pourtant dès ces deux règnes l’humanisme commence à se propager timidement en
France. C’est François Ier qui s’engage activement pour la transformation de son
royaume en puissance culturelle et artistique, après sa première découverte de l’Italie
avec Marignan en 1515. 3
Lors de cette campagne victorieuse dans le Milanais, où les ducs Sforza
s’avéraient des mécènes actifs, le roi a découvert des humanistes qui ont réveillé ses
passions pour les arts et les lettres qui datent de son enfance. Cette première
campagne dans la péninsule est également l’occasion pour le roi de France de
rencontrer Léonard de Vinci, l’un des plus célèbres humanistes en Europe, et entamer
une amitié qui a mené l’italien à passer les dernières années de sa vie à Amboise, ce
que l’on peut voir en deuxième partie de ce travail.

[1] : Jean-Louis FOURNEL, Jean-Claude ZACARINI, Les guerres d’Italie : des batailles
pour l’Europe (1494-1559), Paris, Gallimard, 2015 : p. 12-27.
[2] : Pierre MARI, Humanisme et Renaissance, Paris, Ellipses, 2000 : p. 8-9.
[3] : FOURNEL, ZACARINI, Les guerres d’Italie…,: p. 67-73.
Si les Français ont conquis militairement certains États de la péninsule, les
Italiens se sont emparés de leurs conquérants pour diffuser leur art et leur culture, et
ont planté les germes d’une Renaissance à la française. 4
Pour les Français, les guerres d’Italie sont l’occasion de côtoyer le berceau de
la Renaissance qui avait amorcé son entrée dans le royaume avant même ces conflits
et même si toutes ces années de combat ont épuisé les finances du royaume et ses
sujets, les capacités royales de mécénat n’ont pas été sensiblement réduites comme on
pouvait le supposer. François Ier avait des pourvoir fiscaux très importants et en plus
son royaume était le plus riche et peuplé en Europe, ce qui a permis à la monarchie de
financer le développement d’un réseau d’humanistes français et étrangers au service
de la France. Malgré ces guerres dévastatrices en Italie, la Renaissance reste très
active et commence à séduire le roi de France qui traverse la péninsule. L’intérêt du
pouvoir royal pour l’humanisme ne fait que commencer, mais pour comprendre la
suite, il faut s’intéresser aux lieux et aux supports utilisés pour le développement de
ce phénomène en France.

B) Les relais de l’humanisme en France 

Si certaines caractéristiques de la Renaissance sont perceptibles un peu partout


dans le royaume, quelques centres rassemblent tous les aspects de ce phénomène
européen, comme Paris, la vallée de la Loire et Lyon. Effectivement, les lettres, la
peinture, l’architecture et surtout l’humanisme sont très vivants dans ces régions.
L’une des plus importantes innovations qui a permis le développement de
5
l’humanisme arrive à Paris en 1470 : l’imprimerie. Les centres d’impression s’y
multiplient rapidement dans la capitale du royaume qui devient une usine à idées,
avec un réseau important d’humanistes qui se font publier et surveillent les
publications de leurs pairs. Les ouvrages religieux qui dominaient la production dans
un premier temps laissent la place à une plus grande diversité de publications de
contemporains et de textes antiques. Au-delà de Paris, partout où l’on trouve des
ateliers d’imprimerie les humanistes se font présents. Par exemple, Lyon est un grand
centre d’imprimerie où les publications humanistes foisonnent dès le début du XVIe
siècle.
[4] : BURKE, La Renaissance européenne, Paris, Éditions du Seuil, 2000 : p. 101-102.
[5] : MARI, Humanisme…, p. 27.
Dans la vallée de la Loire, l’essor de l’humanisme n’est pas moindre avec la
cour à Blois ou Amboise qui rassemble des humanistes comme Léonard de Vinci.
Cette cour qui accueille les humanistes et les artistes qui font vivre la Renaissance est
encore itinérante comme au Moyen Âge, et chaque château où elle séjourne devient
6
un foyer humaniste. Le roi n’est pas le seul à rassembler autour de soi des
personnages liés à l’humanisme, mais plusieurs grands nobles l’imitaient, comme la
sœur de François Ier, Marguerite de Navarre, qui accueille dans son entourage des
savants ecclésiastiques sensibles aux nouveautés. Le royaume compte donc plusieurs
pôles d’épanouissement de ce mouvement, autour de nobles cultivés dans des villes et
des châteaux qui s’avèrent des relais du grand réseau humaniste européen qui est la
République des Lettres.
La raison de cette proximité entre nobles et savants est surtout économique :
les activités des humanistes n’étant pas spécialement rentables, ils ont besoin de
financement. Effectivement, la recherche d’un mécène est le principal intérêt de
l’humaniste qui se rapproche de la cour et du roi, mais ces derniers peuvent également
être à l’origine de ce rapprochement, comme François Ier qui attire De Vinci.

C) Les humanistes français et le renforcement de la langue française

Le terme « humanisme » est extrêmement vaste et peut désigner toute une


série d’hommes, de pensées, de mouvements variables à travers les époques. Le mot
était connu et utilisé à l’époque de la Renaissance, et souvent utilisé dans les échanges
entre humanistes. 7 Dans ce travail, il s’agit de l’humanisme français du XVIe siècle.
Vers 1520, les Italiens perdent leur suprématie dans le monde humaniste et
c’est le tour des autres foyers de Renaissance de voir apparaître des grands
représentants du mouvement. 8 L’humaniste français le plus important de l’époque est
Guillaume Budé. Après une carrière officielle sous Charles VIII et Louis XII, il
trouve en François Ier un souverain qui partage ses passions pour les arts et les lettres
et qui est engagé pour l’épanouissement de l’humanisme.

[6] : Sylvie LE CLECH, « 1519, La France renaît », Histoire et civilisations, 50, 2019, p. 33.
[7] : MARI, Humanisme…, p. 3-5.
[8] : BURKE, La Renaissance…, p. 109.
L’alliance entre le roi et Budé, qui s’impose comme grand humaniste
européen, a abouti à la création du Collège des lecteurs royaux, comme l’on peut voir
en deuxième partie de ce travail. Avec le Collège et aussi avec la multiplication des
centres d’impression depuis 1470, le lieu de travail de nombreux humanistes français
qui est Paris, devient un foyer important de ce mouvement.
L’hellénisme est au cœur des efforts des humanistes français qui cherchent à
revenir aux textes classiques originaux en se débarrassant des modifications
maladroites issues du Moyen Âge. On peut citer Budé qui a traduit des œuvres de
Plutarque ou encore Lefèvre d’Étaples qui a traduit Aristote. 9 Ces hellénistes français
sont réputés dans les réseaux humanistes et s’inscrivent dans une démarche
européenne de retour aux sources antiques originelles qui devient une science, la
philologie.
Parallèlement, les langues nationales s’imposent face au latin, et les
humanistes français s’engagent à leur tour pour mettre en valeur la langue vulgaire.
Depuis Claude de Seyssel, qui en 1510 appelle à « magnifier » la langue française,
Étienne Dolet publie un recueil de règles grammaticales et de traduction et Joachim
du Bellay, à son tour, nous laisse le chef d’œuvre de cet effort avec sa Défense et
10
illustration de la langue française, de 1549. Dix ans avant la parution de cet
ouvrage, François Ier imposa l’usage du français à tous les actes légaux et notariés
avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts, ce qui montre le volet politique de cette
démarche en faveur de la langue vulgaire qui dépasse l’humanisme. Effectivement, le
roi a tout intérêt à unifier l’administration du royaume autour de la langue française
pour renforcer la centralisation du pouvoir qui est en cours.

[9] : MARI, Humanisme…, p. 28.


[10] : Ibidem, p. 35-38.
II – La monarchie française face à l’humanisme

A) François Ier : le roi humaniste par excellence

Tandis que Charles VIII s’aventurait en Italie, François d’Angoulême, qui


allait prendre le flambeau des ambitions italiennes de la monarchie dix-neuf ans plus
tard, naissait dans le château de Cognac en 1494. Bien né, il n’était pourtant pas fils
de roi et n’est entré dans la ligne de succession qu’après la mort des deux rois qui ont
essayé sans succès d’avoir un héritier avec Anne de Bretagne. Toujours très proche de
sa mère Louise de Savoie et aussi de sa sœur Marguerite de Navarre, qui s’est
également avérée une être une mécène, François est un homme charismatique et
souvent décrit comme fort et grand. Son enfance, qui s’est déroulée au château
d’Amboise, est peu connue, par contre nous sont parvenus des textes qui circulaient
dans le royaume sur l’éducation des jeunes princes qui ont constitué un modèle de
formation, très imprégné d’idées humanistes et qui ont vraisemblablement influencé
l’éducation du futur roi.
Pour Alain Chartier, savant français du début du XVe siècle, « un Roy sans
11
lettres est un asne couronné ». À cette époque, l’humanisme est bien ancré dans les
esprits et l’on constate que la formation intellectuelle des nobles en général se fait
nécessaire en plus de la traditionnelle formation guerrière. Les quatre grands axes de
ce modèle sont d’abord et surtout la religion, mais aussi la morale, l’intellect et la
12
pratique. Le jeune François d’Angoulême développait des qualités incontournables
d’un souverain comme l’équitation, l’escrime, la chasse, mais aussi, pour mieux
connaître sa religion, il a appris les basiques de la lecture et écriture en latin, langue
qu’il n’a pourtant jamais arrivé à maîtriser. Pourtant ce n’est pas en lisant que le roi a
acquis sa culture, mais en discutant avec des savants.

[11] : Gilbert GADOFFRE, La révolution culturelle dans la France des humanistes,


Genève, Droz, 1997, p. 22.
[12] : Didier LE FUR, François Ier, Paris, Perrin, 2015, p.32-34.
François prenait grand plaisir d’être en compagnie d’humanistes et de discuter
avec eux sur les plus divers sujets pendant les repas, et il aurait constitué sa culture à
13
travers cette pratique. Plusieurs participants à ces débats, ou jeux de cour,
s’étonnent des interventions intelligentes du roi, pourtant toujours gêné par ses
faiblesses dans le latin. Cette facette du roi nous est présentée par Guillaume Budé, le
plus grand humaniste français, personnage incontournable de la République de Lettres
et proche d’Érasme, qui a également participé à certains de ces débats intellectuels.
En 1520, conscient de la réputation européenne de Budé, le roi le convoque
auprès de soi et les deux hommes sont tout de suite fascinés l’un par l’autre, à l’image
d’Henri VIII et Thomas More outre-Manche. Séduit par la bienveillance royale, Budé
entre dans la cour espérant y faire aboutir son projet de Collège royal, le principal
accomplissement du règne pour l’humanisme et même plus largement pour la
Renaissance en France, et qui est traité en XXX partie de ce travail. 14
Mais François ne se contenta pas d’attirer des humanistes français auprès de
lui : durant ses aventures en Italie, il a rencontré Léonard de Vinci à Bologne en 1516
et l’a invité auprès de lui en France. 15 Le vieil humaniste italien a reçu le manoir du
Cloux (actuel Clos Lucé), près d’Amboise, ainsi qu’une rente annuelle de cinq cents
livres, et en retour le roi n’attendait rien d’autre que le plaisir de sa conversation
et d’avoir un grand humaniste de plus dans son entourage. Le projet du château de
Chambord a été souvent attribué, sans aucune preuve, à De Vinci, mais finalement la
production l’humaniste italien en France a été anodine, d’autant plus qu’il décéda
seulement trois ans après son installation à Amboise, étant déjà très âgé lors de son
16
installation au manoir du Cloux. Mais l’italien a ramené avec lui un certain nombre
de ses œuvres, dont la Joconde, qui ont intégré par la suite la très riche et diverse
collection de François Ier.

[13] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 192-198.


[14] : Ibidem, p. 65-71.
[15] : Jean-Joël BRÉGEON, « Léonard de Vinci au Clos Lucé », Histoire et civilisations, 50,
2019, p. 37.
[16] : KNECHT, Un prince…, p. 437-438.
Le goût du jeune François pour les arts et les lettres remonte à l’enfance,
comme l’a constaté un noble italien à la cour de Blois en 1504 : « […] il m’a dit qu’il
aimerait que je lui fisse venir quelques tableaux de ces maîtres excellents d’Italie,
17
parce qu’il y prend grand plaisir. […] ». C’est ce goût prématuré qui a plus tard
abouti a la constitution d’une respectable collection d’œuvres d’art à Fontainebleau,
s’ajoutant à celle de Blois constituée par ses prédécesseurs. Le roi constitua même une
bibliothèque secondaire pour l’accompagner dans ses déplacements, puisqu’il aimait
18
les lire ou se faire donner lecture même loin de ses châteaux. On sait que dans cette
bibliothèque itinérante se trouvaient un grand nombre d’ouvrages d’auteurs antiques,
qui sont spécialement valorisés par les humanistes.
Alors que les bibliothèques étaient un facteur de prestige, en France elles sont
devenues une tradition royale dès Charles V. En 1518, la bibliothèque du roi, qui se
19
trouvait alors à Blois, comptait 1626 volumes, en plusieurs langues. Sous François
Ier, des « chasseurs de livres » au service de la France sont partout en Europe à la
recherche d’ouvrages destinés à enrichir sa future collection de Fontainebleau,
composée également de peintures et statues soigneusement reparties à travers le
château par le roi dès la fin des travaux. Cette démarche royale ne relève pas
uniquement de la volonté de posséder une collection riche pour la gloire du royaume,
mais aussi d’un goût personnel des œuvres humanistes dont le roi fit preuve à
plusieurs reprises dès son enfance, comme l’on a pu voir. Ce goût a mené le roi à
soutenir officiellement des humanistes à travers le mécénat, qui est l’aide financière
versée aux savants et artistes, souvent sous forme de pension comme dans le cas de
De Vinci et de Budé.

[17] : Robert J. KNECHT, Un prince de la Renaissance, François Ier et son royaume, Paris,
Fayard, 1998, p. 471.
[18] : Ibidem, p. 435-436.
[19] : KNECHT, Un prince…, p. 470.
B) Le Collège des lecteurs royaux et l’aboutissement de l’alliance entre
monarchie et humanisme

La plus importante réalisation française dans l’humanisme est la fondation du


20
Collège des lecteurs royaux de Paris en 1530. Dès le début de son règne, François
Ier adhéra à cette idée soutenue par les humanistes français et même quelques
étrangers, et s’engagea en 1517 à fonder une institution humaniste modèle pour
l’Europe. Il a pourtant fallu treize ans pour que le Collège voie le jour.
Les mésaventures des premières années du règne comme la coûteuse
campagne au trône impérial, le désastre de Pavie et l’état inquiétant des finances après
ces mésaventures ont rejeté le projet des humanistes au deuxième plan des priorités
royales. Érasme, qui ferait partie de l’institution à l’invitation de Budé, reporte
constamment son adhésion définitive sans jamais avoir donné une réponse claire à son
collègue français. 21 L’engagement de François Ier auprès des humanistes du royaume
est pourtant un fait, et Budé rappelle fréquemment au roi l’importance de d’une
entreprise française face aux voisins concurrents.
Effectivement, le retard de la France en matière culturelle est un constat
évident dans les années 1520. Le Saint-Siège avec le Collège des Grecs, l’Empire
avec le Collège trilingue de Louvain, l’Espagne avec l’Université d’Alcalá et même
l’Angleterre avec l’Oxford humaniste, sont autant de puissances européennes qui
laissent la France à la traîne. Ce contexte de concurrence est indissociable de la
fondation du Collège de France, et le roi était bien conscient de la nécessité de créer à
son tour un établissement humaniste.
Partout les humanistes louent à l’unanimité François Ier et la France pour cet
accomplissement remarquable qui place le royaume au premier rang des puissances
culturelles en Europe, alors que d’autres institutions réputées sont déjà en déclin
comme Alcalá et Louvain. Le même Érasme sévère à l’égard du retard français en
matière d’humanisme félicite le roi et son ami Budé. Le roi a pris soin de fonder une
institution indépendante de l’Université, restée attachée aux pratiques médiévales,
pour éviter ses interférences nuisibles.

[20] : MARI, Humanisme…, p. 34.


[21] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 205-206.
Les membres du Collège, les lecteurs royaux, sont nommés directement par le
roi conseillé par son entourage humaniste, payés directement sur la cassette royale et
22
soustraits des juridictions ordinaires, un statut très favorable. Sont passés par le
Collège notamment Ignace de Loyola, François Rabelais, Jean Calvin ou encore Jean
Sturm, fondateur d’un gymnase à Strasbourg qui est à l’origine de notre université.
Or, si François Ier est sans doute le roi de la Renaissance et de l’humanisme,
un travail sur le XVIe siècle ne saurait pas ignorer ses successeurs.

C) Humanisme et monarchie après François Ier

La continuité du développement de l’humanisme en France s’opère


naturellement après 1547, toujours en lien étroit avec le pouvoir royal.
Le Collège des lecteurs royaux, toujours sous l’égide du pouvoir royal et avec
des nouvelles chaires qui voient le jour sous Henri II, continue à stimuler l’activité
humaniste en France. Effectivement, les savants français sont de plus en plus
nombreux à s’imposer dans tous les domaines. Henri Estienne pour la philologie,
Pierre Belon pour le naturalisme, Montaigne pour la philosophie et Ronsard pour les
lettres, pour n’en citer que quelques uns. Ils ont tous bénéficié d’un soutien royal
d’une manière ou d’une autre, comme les pensions royales versées à Belon et
Estienne ou même l’accès à l’entourage du roi pour Ronsard, poète au sein de la cour.
23
Ce dernier, avec son collègue Du Bellay, évoqué en première partie, est à la tête de
la Pléiade, un courant littéraire imprégné d’humanisme qui est au cœur de l’effort
royal d’unification du royaume à travers la langue française. En plus, ainsi que sous
François Ier, la France de ses successeurs continue d’attirer des grands humanistes
étrangers, comme André Vésale, principal personnage de la médecine et de
l’anatomie du XVIe siècle.

[22] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 232.


[23] : Ivan CLOULAS, Henri II, Paris, Fayard, 1992, p. 543-544.
Les successeurs de François Ier ont grandi dans une cour très sensible aux arts
et aux lettres de la Renaissance et ils ont également reçu l’éducation humaniste qui
était alors en vogue.
Par exemple, les similitudes entre quelques pratiques de François Ier et celles
d’Henri III sont même étonnantes. Dans le plan personnel, Henri aime la lecture,
24
pratique l’éloquence et prend plaisir à discuter des idées. Effectivement, il
rassemblait au Louvre une Académie de savants, de philosophes et d’érudits pour
25
entendre les discussions et pour intervenir lui-même. Cependant, comme de
François Ier qui ne maîtrisait pas le latin, Henri III demandait à ses proches
humanistes des traductions d’auteurs latins. En deuxième partie de ce travail, nous
nous sommes intéressés au goût personnel de François Ier pour l’activité intellectuelle
et l’on ne peut pas s’empêcher de constater qu’Henri III est un roi humaniste à
l’image du vainqueur de Marignan.
Cette Académie qui se réunissait autour de Henri III au Louvre est l’héritière
d’une réunion régulière de savants crée sous le règne précédent par Jean-Antoine de
Baïf, humaniste et helléniste français. En 1570, Charles IX officialise l’Académie et
26
se nomme « Protecteur et premier auditeur » de l’institution. Le roi était
effectivement un protecteur de l’Académie contre les attaques du Parlement et de la
Sorbonne, mais aussi un auditeur, puisqu’il assiste à plusieurs séances sur divers
sujets. 27
À travers les exemples des successeurs de François Ier, on peut dire que vers
la fin du XVIe siècle, l’humanisme est bien consolidé au sein de la monarchie
française. Les souverains français ont compris l’importance de se cultiver en
s’entourant de savants et de soutenir les humanistes dans une Europe transformée par
la Renaissance.

[24] : Pierre CHEVALIER, Henri III, roi shakespearien, Paris, Fayard, 1985, p. 56-57.
[25] : Ibidem, p. 489-490.
[26] : Michel SIMONIN, Charles IX, Paris, Fayard, 1995, p. 227-228.
[27] : Ibidem, p. 248.
III – La France après l’humanisme

A) Une transformation culturelle des Français ?

La France et l’Italie du début du XVIe siècles sont différentes en plusieurs


aspects : la première est unifiée sous le pouvoir d’un souverain puissant tandis que la
deuxième est une mosaïque de principautés gouvernées depuis des grandes villes.
Mais l’écart entre les deux est flagrant surtout dans le progrès de l’humanisme et des
lettres. La Italiens de l’époque vantent le remarquable développement intellectuel de
leurs élites tandis que les Français sont réputés être en retard dans ces questions même
par rapport à l’Empire et à l’Espagne, et les humanistes français et étrangers en sont
conscients et critiques.
Sous François Ier, tout a changé : selon Étienne Dolet, grand humaniste
français, « les lettres ont commencé en France en telle sorte que la Grèce ne nous
surmonte » 28 depuis le début du règne. Même Érasme, francophobe avoué, loue dans
sa correspondance l’excellence du Collège des lecteurs royaux peu après la fondation
en 1530 de cette institution qui place Paris dans les rangs des grands foyers de
l’humanisme en comblant les faiblesses de l’université, restée attachée aux pratiques
médiévales. La reconnaissance des progrès exceptionnels du règne de François Ier est
donc générale parmi les humanistes, parfois les mêmes qui constataient au début du
siècle le retard de la France par rapport à ses voisins.
Quelques humanistes français ont même porté l’ampleur de cette
transformation culturelle à des classes sociales qui en traditionnellement exclues.
Dans le Pantagruel, paru en 1532, Rabelais nous raconte qu’il voit « les brigans, les
boureaulx, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs
et prescheurs de mon temps ». 29

[28] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 44.


[29] : François RABELAIS, Gargantua et Pantagruel, chap. VIII.
Il faut évidemment nuancer ce constat exagéré d’une société extensivement
cultivée et lettrée en plein XVIe siècle, mais si Rabelais a été frappé par cela, c’est
parce que l’intérêt général pour les arts et les lettres a été largement développé sous
François Ier. Même pour les classes populaires, l’accès aux savoirs est possible dans
le cadre de la vie paroissiale, les curés urbains et ruraux étant de plus en plus sensibles
à l’humanisme. Effectivement, ces derniers jouent un rôle extrêmement important
dans la vie quotidienne locale, et dans la grande majorité des cas, ils constituent pour
la masse de Français illettrés l’unique contact avec l’humanisme.

B) Les élites humanistes du royaume

Les efforts entrepris par François Ier pour l’humanisme ont également
transformé l’élite de son royaume. Effectivement, les capacités intellectuelles sont de
plus en plus valorisées à la cour, et une formation humaniste est souvent un moyen
d’ascension sociale prisé par la noblesse et même par la haute bourgeoisie. Le niveau
culturel est même un critère de discrimination et de sélection pour les postes
importants. Les qualités guerrières si valorisées autrefois avaient moins d’importance,
et le manque de culture souvent bloque carrément les progrès de certaines carrières.
Un exemple expressif est le cas des neuf ambassadeurs de François Ier à
30
Venise. Tous parlaient le grec et entretenaient des réseaux de contacts humanistes,
et six se sont même lancés dans l’écriture et la traduction. Les capacités intellectuelles
ont été le critère de sélection décisif pour ce poste diplomatique important, seul
élément commun aux neuf ambassadeurs dont un seul est issu de la grande noblesse,
le reste étant des juristes ou des petits nobles de province qui ont misé sur une
formation humaniste.
Des personnes de différentes origines ont donc tout intérêt à s’éduquer pour
espérer accéder un jour à un statut plus confortable. Même la haute noblesse qui au
début du règne restait à l’écart des savoirs et attachée aux vertus guerrières qui ont fait
sa puissance s’est progressivement sensibilisée et adaptée aux nouvelles contraintes
d’un royaume dominé par l’humanisme.

[30] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 94-104.


Anne de Montmorency est un bon exemple de cette noblesse récemment
sensibilisée à la culture et aux lettres: tout en accordant la priorité à la guerre et la
chasse, il constitue une bibliothèque respectable, fait bâtir ses châteaux de Chantilly et
Écouen dans le meilleur style Renaissance et fait graver sur son épée une devise en
31
grec. L’humanisme s’est donc imposé aux élites du royaume et l’activité
intellectuelle est de plus en plus valorisée dans tous les milieux de la société, et
surtout au sommet de celle-ci.

Conclusion

François Ier prend en main le développement de l’humanisme en France, après


plusieurs échanges avec l’Italie pionnière du mouvement qui ont eu lieu sous les
règnes précédents dès la fin du XVe siècle. Les liens entre le pouvoir royal et les
humanistes et ses institutions dépasse la figure emblématique de François Ier et
s’étend à l’institution monarchique en soi, qui est désormais un socle et le moteur de
l’activité humanisme dans le royaume. À la fin du XVIe siècle, on constate que la
France est une puissance humaniste dans cette Europe transformée par la Renaissance.

[31] : GADOFFRE, La révolution culturelle…, p. 122-123

BIBLIOGRAPHIE
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Articles
- BRÉGEON (Jean-Joël), « Léonard de Vinci au Clos Lucé », Histoire et civilisations,
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En ligne
- Paris au XVIe siècle, La Renaissance [En ligne : 22 avril 2019 ; URL :
http://www.carnavalet.paris.fr/sites/default/files/editeur/paris_au_xvie_siecle_la_renai
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