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Aikido et légitime défense

Cependant il faut opérer une dissociation entre le message et les actes ; en effet
l'aïkido est pratiqué par des individus et lorsque ceux ci se retrouvent hors du
dojo ils peuvent se trouver confrontés à une violence extérieure .Ainsi l'aikidoka
quand il se trouve dans une situation d'affrontement peut utiliser l'aïkido pour
désamorcer le conflit en calmant la personne animée d'intentions belliqueuses
mais il arrive parfois que l'on ne puisse éviter le combat .Dans ce dernier cas les
concepts de paix ou de non violence disparaissent au profit d'une réponse
physique. C'est ici que se situe l'aspect que je souhaite à présent développer
puisque la pratique d'un art martial implique nécessairement un apprentissage
de techniques et de réflexes nous permettant de réagir efficacement en cas
d'agression.
Nous vivons dans un Etat de droit ; dès lors l'utilisation de mouvements appris à
l'intérieur d'un dojo est réglementé .Ainsi il est utile de s'interroger sur les-
conditions qui permettent de répondre par un art martial, l'aïkido en l'occurrence,
à une violence (morale ou physique).
Le principe est l'interdiction de se servir des techniques dérivées de la
pratique d'un art martial .Cependant il existe un tempérament à cette
interdiction.
Le Droit Français connaît le concept de LEGITIME Défense qui peut justifier le
recours à la violence et par la même l'utilisation d'un art martial.
L'article 122-5 al 1 Nouveau du Code Pénal dispose,
n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée
envers elle même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé
par la nécessité de la légitime défense d'elle même ou d'autrui, sauf s'il y a
disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte
Cette justification de la violence est très ancienne puisque déjà Cicéron
s'inspirant d'une tradition grecque y voyait un principe de Droit Naturel. L'Ancien
Droit (avant la révolution Française) limitait le recours à la légitime défense
puisque celui qui s'était défendu devait solliciter des lettres de Grace ou de
rémission pour ne pas être condamné à une peine.
La révolution a renoué avec la conception romaine de la légitime défense; depuis
lors il n'y a pas eu de remise en cause fondamentale de ce principe. Le nouveau
Code pénal de 1994 voit dans la légitime défense une cause d'irresponsabilité
pénale en cela il ne s'écarte pas de la conception révolutionnaire .Ainsi
l'infraction n'est pas effacée mais elle n'est pas punie. Dès lors se posent
plusieurs questions l'une tenant au domaine d'application de la légitime défense,
l'autre aux conditions et enfin se pose un problème concernant la preuve.
Les effets présentant moins de difficultés même si l'on devra s'y attarder. Je
tiens à préciser que l'on se limitera à la légitime défense en réaction contre une
agression touchant une personne physique; puisque même si la légitime défense
des biens a été expressément consacrée dans l'article 112-5 al 2 (Nouveau du
Code Pénal) les problèmes que pose cet alinéa nous entraîneraient dans des
développements qu'il faudra traiter séparément dans un souci de clarté.
1 - DOMAINE D'APPLICATION
La légitime défense s'applique à toutes les agressions contre la vie ou l'intégrité
corporelle. Ce fait justificatif s'applique aussi pour des atteintes à la vertu, la
pudeur (le viol par exemple) et même à l'honneur (la légitime défense en
matière de diffamation a été admise : tribunal de Paris le 25 octobre 1972).
2 - CONDITIONS D'APPLICATION
Il existe des conditions relatives à l'attaque et d'autres relatives à la défense.
2.1 - CARACTERES DE L'AGRESSION
L'agression doit être actuelle : elle doit consister dans la menace d'un mal
imminent qui n'a pu être écarté qu'en commettant le délit .Ce mal imminent doit
être objectivement vraisemblable et ne pas exister seulement dans
l'imagination de l'auteur.
Ici se pose le cas de l'aikidoka confirmé car il risque de se mettre en garde,
attitude que les juges pourront estimer être l'acte déclenchant l'attaque de
l'agresseur. Dès lors il faudra s'interroger sur la réaction qu'emploie l'aikidoka
pour réagir à cette situation conflictuelle .En effet s'il attend que l'attaque de son
agresseur se développe et qu'il se contente de reprendre une distance de
sécurité il ne pourrait être condamné. Il n'aura eu aucune action physique sur
l’agresseur.
Une difficulté se pose si l'aikidoka après avoir effectué ce retrait exécute une
technique. Dans ce cas il devra prouver que cette esquive et la technique qui en
découle forme une seule et même action et que le facteur déclenchant de
cette réaction est l'attaque de l'agresseur.
Or il semble difficile d'unir attaque et réponse; cette dernière finalité n'étant
réservée qu'à quelques experts. Pour ces derniers, une telle action ne doit pas
être chose aisée dès lors que l'on n'est plus en situation de violence contrôlée à
savoir dans un dojo ou les attaques sont codifiées, mais dans un cadre ou la
violence de l'attaquant n'est pas canalisée.
Et pourtant ce n'est que lorsque l'esquive et la défense physique ne constituent
qu'une seule et même réponse à une attaque que la légitime défense pourra être
invoquée.
Une question se pose si l'aïkidoka alors qu'il est en garde avance sur son
adversaire Dans ce cas on peut voir dans cette action une provocation .En effet
celui qui allait attaquer peut se sentir menacé et affirmer que sa propre attaque
a été provoquée par l'attitude de l'aikidoka .Dès lors ce dernier aura beaucoup de
mal à prouver qu'il avait une attitude défensive puisque le fait d'avancer fait
peser de très lourdes présomptions en faveur de l'attitude offensive de l'aïkidoka
.
Ici se pose le problème de l'intention; en effet pour qu'il y ait une infraction, il
faut un texte réprimant un acte pouvant être soit une action positive soit une
abstention c'est ce qu'on appelle le principe de légalité tel qu'il et affirmé par
l'article 111-3 du nouveau Code pénal :
"Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont
pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas
définis par le règlement.
Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est
un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention."

De plus, il faut que cet acte (positif ou négatif) soit consommé (réalisé) ou du
moins tenté lorsque la loi a retenu la tentative qui est définie aux articles 121-4
et 121-5 du nouveau Code pénal (= élément matériel). Enfin, cet acte matériel
doit avoir été l'œuvré et la volonté de son auteur ( = élément intentionnel).
Or, dans la légitime défense la personne est autorisée à commettre un acte
délictueux qu'à la condition que cet acte était nécessaire à sa défense et
qu'elle avait donc l'intention de se défendre. Mais si par l'attitude entourant l'acte
de l'aïkidoka, le juge déduit qu'il n'avait pas l'intention de se défendre, mais
au contraire celle d'attaquer, la légitime défense ne pourra s'appliquer, sauf à
prouver que l'adversaire allait attaquer, dans ce cas l'aïkidoka devra apporter
des éléments objectifs, pour justifier son acte.
Or la plupart du temps, la perception d'une attaque future est
plussubjective qu'objective. D'où, de grandes difficultés à prouver que l'attitude
de l'aïkidoka ne constituait pas une attaque mais une défense à une attaque que
son adversaire allait vraisemblablement déclencher. Ici un des moyens pour
l'aïkidoka de montrer son attitude défensive est de juste se protéger sans
toucher son "agresseur". Par contre, en cas de contact avec ce dernier, tout
dépendra de l'intensité et des conséquences de ce contact.
En effet, si "l'agresseur" n'a pas été blessé alors la légitime défense a de grandes
chances de s'appliquer; mais si il y a blessure(s) alors que le prétendu
agresseur ne menaçait pas objectivement l'aïkidoka les chancespour que la
légitime défense soit retenue sont extrêmement réduites.

Par contre il n'est pas nécessaire que celui qui s'est défendu se soit trouvé en
péril de mort : l'appréciation du caractère actuel de la défense appartient au juge
.Il faut préciser qu'en cas de réaction contre une attaque déjà passée il n'y a pas
légitime défense mais vengeance, acte qui est réprimé par les tribunaux.
De même il n'y a pas légitime défense en cas de menace d'un mal futur; dans ce
cas il faut s'en remettre aux tribunaux (articles 222-17 et 222-18 nouveau code
pénal) :
On ne peut faire justice soi-même. L'agression doit être injuste : cela suppose
qu'elle ne soit pas fondée en droit, et n'est ni autorisée, ni ordonnée par la loi .Si
tel est le cas on ne peut se défendre, ainsi une personne régulièrement
interpellée ne pourra invoquer la légitime défense si les policiers ont du user de
violences pour parvenir à leurs fins et si la personne interpellée s'est défendue.
Si la personne a été illégalement arrêtée ou frappée, et s'est défendue il semble
qu'elle ne puisse pas invoquer la légitime défense cependant cela n'exclue pas la
responsabilité des auteurs qui ont agi illégalement. Le caractère juste de
l'attaque se pose aussi à propos de l'agression commise par un irresponsable
(enfant ou dément ).Il semblerait que l'on puisse invoquer la légitime défense si
la fuite a été impossible cependant il apparaît plus judicieux d'invoquer un autre
fait justificatif : l'état de nécessité.
2.1 - CARACTERES DE LA DEFENSE
La défense doit être nécessaire : cela suppose que l'acte accompli constitue le
seul moyen de se défendre contre l'agression. Dès lors s'il y avait une autre
possibilité que la réponse violente donnée à l'agression il n'y aura pas de légitime
défense.
Par exemple si un aïkidoka après s'être déplacé utilise une technique alors qu'il
aurait pu éviter l'agression uniquement par un déplacement sans recourir à une
technique voire le cas échéant par la fuite il ne pourra invoquer la légitime
défense. La défense doit être mesurée : c'est ici qu'intervient le critère de la
proportionnalité.
En effet il ne faut pas que le mal infligé à l'agresseur soit sans proportion avec le
mal auquel on a été exposé, et qu'on a voulu éviter. Ainsi on ne peut pas
répondre à une gifle par le meurtre .Dès lors pour le pratiquant d'aïkido comme
pour celui de tout autre art martial le problème de la proportionnalité se pose de
manière aiguë .En effet il faut choisir une technique qui corresponde à la gravité
de l'attaque; si on reprend l'exemple de la gifle et que l'on utilise comme réponse
une technique telle qu'"irimi nage" et que la personne tombe mal et se tue on ne
pourra invoquer la légitime défense pourtant la même technique peut neutraliser
une personne tout en préservant son intégrité physique si on la contrôle durant
l'accomplissement de la technique .
Mais peut on véritablement contrôler toutes les réactions d'une personne qui a
un comportement violent qui amène une réponse rapide. De plus il n'est pas
évident que nous, pratiquants, nous fassions le bon choix c'est à dire que l'on
utilise une technique qui permette de neutraliser l'agresseur tout en évitant que
ses effets ne soient pas trop disproportionnés par rapport à l'intensité de
l’attaque.
En effet le premier réflexe est d'utiliser une technique radicale mais alors, elle
aura de fortes chances de ne pas satisfaire au critère de la proportionnalité et la
légitime défense ne pourra être retenue. Ainsi l'usage d'un art martial pour se
défendre est compliqué et le pratiquant se trouve dans une position bien
inconfortable puisqu'il doit non seulement avoir le souci de préserver sa propre
intégrité physique mais il doit aussi veiller à ce que sa réaction soit
proportionnelle à l'agression alors qu'il connaît un arsenal de techniques lui
permettant de conclure radicalement l'affrontement .
Ici se pose un problème d'attitude face à la violence ainsi que de l'utilisation
d'une technique qui porte toujours en elle un germe de violence, vastes
questions qu'il faudra traiter à part vu l'ampleur et la complexité des
développements qu'elles recouvrent.
3 - LA PREUVE DE LA LEGITIME DEFENSE
Lorsque l'on veut faire la preuve de la légitime défense; il faut montrer que les
conditions d'application que nous avons mises en lumière sont réunies
.Cependant cela ne concerne pas les développements sur lesquels je voudrais à
présent m'attarder.
En effet il existe en Droit Français l'expression : la charge de la preuveincombe
à telle personne . Cette expression signifie que l'individu devra apporter la
preuve que les conditions d'application du texte qu'elle invoque sont réunies. Si
elle n'y parvient pas son adversaire n'aura rien à faire puisque le texte ne
s'appliquera pas. Ainsi si on revient au problème qui nous intéresse en
l'occurrence la légitime défense. Se pos r la question de savoir à qui incombe la
charge de la preuve, revient à se demander si c'est à l'aïkidoka de prouver que
les conditions d'application de la légitime défense sont réunies ou si c'est à
l'autre partie (ministère public ou l'agresseur) de prouver que les conditions
d'application de la légitime défense ne le sont pas.
Les tribunaux semblent imposer à celui qui s'est défendu (l'aïkidoka) la charge de
la preuve (ch criminelle 22 mai 1959; ch criminelle 6 janvier 1966). Cependant il
existe des situations dans lesquelles on suppose que celui qui s'est défendu a agi
en état de légitime défense c'est ce que l'on appelle des présomptions. C'est
l'article 122-6 Nouveau du Code Pénal qui édicte ces présomptions en effet cet
article dispose :
est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte :
1- Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu
habité;
2- Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec
violence
Ainsi si l'un de ces deux cas se présente la charge de la preuve se trouve
renversée cela signifie que l'aïkidoka n'aura pas à prouver qu'il se trouvait en
état de légitime défense. Dès lors se pose la question du caractère de la
présomption en effet si elle est irréfragable la preuve contraire est irrecevable,
tandis que si elle est simple une telle preuve est admise .
La Chambre Criminelle a opté pour le caractère simple de la présomption (Crim,
19 février 1959). Donc dans ces deux hypothèses la position de l'aïkidoka est
plus confortable même si elle demeure incertaine du fait ...
4 - EFFETS DE LA LEGITIME DEFENSE
S'il y a légitime défense l'aïkidoka n'est pas pénalement responsable et aucun
crime ou délit ne pourra être retenu contre lui .Ainsi il n'y aura aucune sanction
pénale; si des poursuites avaient été intentées elles devront prendre fin dès que
l'existence de la légitime défense a été établie .Il y aura donc selon le cas
classement de l'affaire sans suite, ordonnance de non-lieu, ou décision de relaxe
ou d'acquittement.
La légitime défense s'oppose à toute responsabilité civile .En effet l'aïkidoka n'a
ici commis aucune faute puisque la légitime défense était pour lui un droit et si la
riposte a causé un dommage à l'agresseur ,ce dommage est exclusivement la
conséquence de ses agissements .Dès lors l'agresseur ne saurait percevoir une
quelconque indemnité suite aux dommages subis.
Que penser de la légitime défense par l'aïkido? Ces quelques développements
avaient pour but principal de mettre en lumière la difficulté d'invoquer la légitime
défense. En effet ce fait justificatif obéit à des règles précises qu'il n'est pas aisé
de mettre en œuvre .
La difficulté est encore plus grande lorsque celui qui se défend pratique un art
martial, l'aïkido en l'occurrence. Dès lors on ne peut faire l'économie d'une
réflexion sur la défense par l'aïkido .En effet il est évident que tout aïkidoka
expérimenté a les moyens de répondre efficacement à une agression physique
.Cependant le problème n'est pas tant dans la réponse mais dans la manière de
répondre; c'est là que réside toute la complexité de la légitime défense puisque
la réponse est autorisée mais si cette réponse est mauvaise ou mal appropriée
celui qui s'est défendu sera sanctionné et ne pourra avoir recours à la légitime
défense pour éviter d'être sanctionné .
Ainsi celui qui utilise l'aïkido pour se défendre devra être très prudent car il a de
très fortes chances de ne pas rentrer dans le cadre de la légitime défense .Alors
comment utiliser l'aïkido pour sa défense? En premier lieu l'aïkido comme tout
art martial permet d'éviter l'affrontement physique sans pour autant fuir face au
conflit.
En effet on peut répondre à la violence latente par une attitude qui permettra
de désamorcer le conflit .Il est évident que si l'on reste calme mais déterminé
face à un individu agressif il est fort probable que la tension retombera. Mais si
cette action est inefficace et que l'aïkidoka doit réagir physiquement il doit
d'abord se déplacer en évitant au maximum d'utiliser une technique si cet emploi
est inévitable il devra faire très attention à ne pas avoir une réaction
disproportionnée face à l'attaque .Sa vigilance sera d'autant plus grande que les
juristes ne sont pas d'accord sur la notion même de légitime défense.
En effet les magistrats sont plus ou moins bienveillants pour retenir la légitime
défense .Donc pour un même fait la légitime défense pourra être retenu par un
juge alors qu'un autre aurait refusé de la retenir .En fait la légitime défense fait
appel à des considérations morales pour certains c'est un droit, pour d'autres
c'est un devoir, et enfin pour d'autres c'est une pratique dangereuse :
Voir en ce sens l'article du Monde du 29 juin 1978 et celui d'Ouest-France du 27
juin 1978 qui expriment deux positions opposées sur un même fait, Le Monde
voyant une certaine dangerosité dans l'acceptation trop large de la légitime
défense tandis qu'Ouest France y voyait la mise en œuvre tout à fait naturelle
d'un droit. C'est donc que la légitime défense pose des problèmes qui dépassent
largement le cadre juridique car elle fait appel à la conscience de chacun. Ainsi
même s'il existe un cadre juridique il y a une grande part de subjectivité qui
rentre en jeu ce qui introduit une part de chance; donc on ne peut par avance
être sur que la légitime défense sera retenue.
Est-ce à dire que l'on ne puisse concilier aïkido et légitime défense? La
conciliation est possible si on a aucune action physique mais si on utilise l'aïkido
il faut bien avoir à l'esprit la difficulté quant à la preuve de la légitime défense
s'ajoute l'impossibilité d'être certain que ce fait justificatif soit retenu car la
plupart du temps il s'agit de cas de conscience dont la résolution est par
définition incertaine.

IBBEA Poincarré, Juriste - Responsable Juridique et


Administratif

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