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Journal de la Société des

Américanistes

Sandweiss, D. H. — The Archaeology of Chincha Fishermen :


Specialization and Status in Inka Peru
Patrice Lecoq

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Lecoq Patrice. Sandweiss, D. H. — The Archaeology of Chincha Fishermen : Specialization and Status in Inka Peru. In:
Journal de la Société des Américanistes. Tome 80, 1994. pp. 340-346;

https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1994_num_80_1_1562

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des illustrations, une carte de localisation des sites les plus importants de la
paléoécologie sud-américaine fait défaut. L'analyse des diagrammes polliniques des
tourbières du Páramo del Palacio entre 3 200 et 3 900 m et leur comparaison avec
celle de la savane de Bogota permettent à l'auteur de mettre en parallèle les
oscillations climatiques de l'Holocène de l'Ancien et du Nouveau Monde (les
correspondances avec les glaciations nord-américaines auraient pu être indiquées
dans le tableau de synthèse). Le deuxième article est centré sur la période du
Pleniglacial moyen, il montre que les variations climatiques n'ont pas provoqué
seulement de simples oscillations altitudinales des bandes de végétation mais ont
entraîné des réarrangements plus profonds des éléments floristiques et des
formations végétales.
Enfin, la dernière partie de l'ouvrage traite, en deux contributions, des fouilles
archéologiques des sites de la Sabana de Bogota, El Abra et Tequendama. Une
synthèse de l'archéologie du nord de la Colombie de la fin du Pleistocene à environ
3 000 A.P. accompagne les deux articles.
Il s'agit d'un ouvrage de référence tant pour ceux qui s'intéressent à l'histoire
de la végétation et de la flore sud-américaine que pour ceux qui s'attachent à
reconstituer les milieux auxquels les premiers américains ont été confrontés.

[Laure Emperaire (ORSTOM), Laboratoire d'Ethnobiologie, Museum National


d'Histoire Naturelle, Paris]

Sandweiss Daniel. H. — The Archaeology of Chincha Fishermen : Specialization


and29,
n° Status
Carnegie
in Inka
Institute,
Peru. Pittsburgh,
Bulletin of 1992,
Carnegie
X +Museum
161 p., 60
of fig.,
Natural
60 tab.,
History,
bibl.

Cet ouvrage, adapté de la thèse de M. Sandweiss, est consacré à l'organisation


économique des pêcheurs Chinchas occupant la côte méridionale du Pérou à la
veille de la conquête espagnole. La confrontation d'un corpus de données
ethnohistoriques et des témoignages archéologiques d'un site tardif, Lo Demas,
apporte un éclairage original sur la spécialisation des sociétés côtières peu avant et
durant la période de domination inca. Trois sections, comprenant douze chapitres,
permettent d'appréhender la réalité historique : l'introduction, les objectifs et la
présentation des sources écrites (chap. 1 à 4), l'exposé et l'analyse des témoignages
matériels (chap. 5 à 10), et une synthèse retraçant les principales activités des
pêcheurs chinchas et des différents groupes spécialisés de la côte péruvienne à la
période précolombienne (chap. 11 et 12). Malheureusement, l'ensemble de
l'ouvrage, en dépit de la richesse et de la densité des informations qu'il contient,
manque parfois de clarté et de cohérence, et le report des notes en fin de volume
rend sa lecture quelquefois difficile. Il faut attendre, par exemple, le chapitre 4,
pour apprendre que ce travail s'inscrit dans le cadre du projet archéologique et
ethnohistorique « Chincha-Pisco », entrepris, depuis 1983, sous la direction
conjointe de Craig Morris, Heather Lechtman, Luis Lumbreras et Maria Rostwo-
rowski, et comprendre réellement les mobiles qui en sont à l'origine. Les chapitres
exposant les témoignages archéologiques, souvent trop descriptifs, mettent peu en
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relief les informations les plus significatives et seule la synthèse finale des données,
présentée de façon très systématique, fait réellement preuve d'une réflexion et d'un
sens à la fois critique et interprétatif. Toutefois, il est dommage que l'auteur n'ait
pas jugé utile de joindre des tableaux de synthèse portant sur l'ensemble du travail
et la chronologie du site et qu'aucun résumé en espagnol n'accompagne ce
mémoire, ne serait-ce que pour rendre hommage aux chercheurs péruviens qui ont
collaboré au projet. La césure des mots anglais, sans aucune norme spécifique, reste
aussi assez surprenante pour un lecteur français respectueux des règles
typographiques.
Après avoir présenté brièvement le contenu de l'ouvrage et les principaux
objectifs recherchés, M. Sandweiss expose les données historiques sur lesquelles il
s'appuie, sans toutefois les resituer dans leur contexte géographique et historico-
culturel. Une seule carte, très générale, sert à la localisation de la région et du site
étudiés, mais la description du milieu ambiant ne figure qu'au chapitre 4, et aucune
information n'aide le lecteur à localiser les principales chefferies et les sites
préhispaniques mentionnés dans le texte. D'autre part, M. Sandweiss, pour mieux
esquisser le panorama des groupes de pêcheurs spécialisés sur l'ensemble de la côte
péruvienne, utilise les données historiques émanant de deux régions voisines mal
définies : une Relation (datée de 1558) et un Aviso (non daté) portent sur la zone
Chincha, mais plusieurs visites se rappportent à l'aire culturelle Chimu, localisée
plus au nord. Les sources régionales décrivent un royaume prospère, avec une
importante activité commerciale, qui comprend une population de 30 000
tributaires, divisée en plusieurs communautés. Il s'agit surtout d'agriculteurs, de
pêcheurs (établis dans leur propre village, Lo Demas, et constituant le tiers de la
population) et de marchands. D'autres groupes ď artisans (potiers, charpentiers,
tisserands, mineurs, orfèvres, bergers) et des mitimaes originaires des régions
limitrophes, effectuent les différentes tâches de la vie quotidienne. Chaque
communauté est organisée de façon dualiste (selon le système ďayllu ), possède ses
propres terres et ses propres huacas . Elle est dirigée par un seigneur local, lui-même
soumis aux ordres d'un dignitaire régional, qui partage le pouvoir avec un
administrateur inca ; ces personnages de haut rang ont leurs propres serviteurs :
cuisiniers, tisserands, fabricants de chicha... Des relations commerciales,
entretenues, par voie maritime ou caravanière, avec les hautes terres de Cuzco, les régions
côtières adjacentes (oasis d'Ica, de Canete ou sanctuaire de Pachacamac) ou les
aires septentrionales plus éloignées (Puerto Viejo et Quito), permettent d'obtenir,
par le troc, mais aussi par achat (grâce à des pièces de cuivre qui avaient un taux
fixe d'argent), les biens non produits localement (pépites d'or et émeraudes de
l'Equateur, spondyles de la région du Golfe équatorien), et destinés à la
redistribution au sein du royaume. On peut regretter ici que l'auteur n'ait pas
détaillé le rôle joué par Vayllu durant la période inca, ni les techniques de
redistribution des denrées à travers les différentes communautés andines, en
consultant, par exemple, les ouvrages de Salomon (1978), Stern (1986) ou de Nuňez
Atencio et Dillehay (1978) sur la « mobilité giratoire ».
Les aspects archéologiques sont ensuite exposés, avec, tout d'abord, une
présentation des principaux paramètres et des indices archéologiques permettant de
déterminer l'existence de groupes véritablement spécialisés sur des aires d'activités
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spécifiques (Chap. 3). Elle est suivie d'une description générale de la vallée de
Chincha, (assez confuse, et fort incomplète pour tout ce qui se rapporte à son
climat, sa flore et sa faune), et d'un résumé des antécédents archéologiques et
historiques. Mais pour plus de clarté, ces informations, et les données figurant au
chapitre 2, auraient dû être placées au début de l'ouvrage, car elles situent
l'ensemble du projet et facilitent sa compréhension. Le site de pêcheurs type, Lo
Demas, est ensuite décrit en détail ; localisé près du rivage, aux abords d'une
ancienne citadelle Inca, la Sentinela, il a été identifié grâce aux sources ethnohis-
toriques et aux vestiges encore apparents. Pourtant, en voulant donner un aperçu
de son environnement durant la période préhispanique, M. Sandweiss fait à
nouveau preuve d'illogisme, puisqu'il utilise les témoignages provenant de fouilles
qu'il n'a pas encore abordées. Pour faciliter sa reconnaissance archéologique, ce site
a été divisé en quatre secteurs, dont trois ont été partiellement fouillés selon des
modalités définies à la fois dans les chapitres 5 et 11. L'ensemble comporte
4 complexes stratigraphiques (numérotés A à D, datés par radiocarbone, de 1300
à 1500 apr. J.-C, et fidèlement reproduits dans plusieurs graphiques) dont le
contenu détaillé est analysé dans les chapitres suivants. Le premier secteur, au sud,
présentait des vestiges de murs ; la fouille a permis de dégager de petites salles
rectangulaires, un sol d'argile, de nombreux trous (certains de poteaux, d'autres
destinés au stockage de jarres à fonds coniques), des canaux circulaires, avec
d'abondants vestiges de poissons associés à des cristaux de sel, des restes d'oiseaux
marins et de cochons d'Inde. Les second et troisième secteurs, au centre, peu
documentés par l'auteur, montraient des inhumations. Le quatrième secteur,
localisé au nord, a permis de découvrir les soubassements d'édifices monumentaux,
avec des fragments de fresques murales. D'après la forme de ces structures, le type
de matériaux employés (mortier de terre et blocs rectangulaires d'adobe de
tradition inca), il s'agirait d'un palais abritant une élite locale, ce que viendront
confirmer plusieurs autres indices.
Le chapitre 7 décrit la vaisselle céramique recueillie dans les fouilles. Peu
importante, elle est exposée selon une classification originale, qui adopte des
critères d'utilisation plutôt que de formes, mais crée aussi quelques confusions
quant à la présentation du reste du matériel ; les manuels de référence généralement
employés par les archéologues (Balfet,1968 ; Shephard,1971 ; ou Morris, 1971 qui
dirigeait le projet) n'ont apparemment pas été consultés par l'auteur. Celui-ci
présente tout d'abord les récipients à utilisation variée, et destinés à la cuisine et à
la conservation des produits à court terme : bols ouverts à lèvres angulaires, carénés
ou non, et bols fermés, ceux employés pour la préparation des aliments ou leur
stockage à court ou à long terme, telles que les jarres à petit ou à long col, puis les
bouteilles réservées à la conservation des liquides, et la vaisselle d'utilisation
courante : bols largement évasés et assiettes. Toutefois, peu ď informations sont
apportées sur les types de pâtes utilisés (si ce n'est la couleur extérieure), sur les
motifs décoratifs et le traitement de surface ou la quantité des fragments de bord
recensés par rapport à l'ensemble du matériel recueilli ; les éléments diagnostiques,
les fragments de panses, les fonds ou les éléments de préhension ne figurent nulle
part. Deux tableaux résument le nombre de bords recueillis dans chaque niveau
stratigraphique et dans chaque secteur, mais on ignore la proportion de matériel
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ramassé en surface sur l'ensemble du site. Les fragments décorés, peints, modelés
ou incisés, illustrés succinctement, sont traités par la suite, et, seule, la comparaison
stylistique avec des objets provenant d'autres sites étudiés par Uhle au début du
siècle ou Menzel dans les années soixante permet à l'auteur d'esquisser une ébauche
de chronologie. Ainsi, plusieurs fragments sont de style inca polychrome, liés aux
styles tardifs d'Ica, au sud, et de Pachacamac, au nord, et de style spécifiquement
chincha : une tradition plus ancienne qui aurait perduré tout au long de l'horizon
tardif.
Les objets autres que la vaisselle céramique sont ensuite présentés et rendent
compte des croyances et des principales activités des anciens occupants du site.
Après avoir décrit trois figurines anthropomorphes en argile et énuméré les objets
en métal (des ornements en argent, pouvant provenir d'un atelier d'orfèvre et un
hameçon de cuivre), l'auteur aborde les objets de bois et les calebasses. Des navettes
ou malleros, similaires à celles encore utilisées de nos jours par les pêcheurs de la
région pour réparer les filets ainsi que de possibles flotteurs de forme conique
témoignent d'activités en accord avec la pêche. Ces interprétations sont confortées
par la découverte, lors des fouilles, de nombreux vestiges de filets. Soulignons que
M. Sandweiss s'est attaché à recenser chaque catégorie, en effectuant une analyse
exhaustive des différents types de nœuds et des principaux maillages utilisés. En les
comparant avec des filets encore en usage dans les communautés de pêcheurs
voisines, il a pu déterminer les principales espèces de poissons auxquelles chaque
filet pouvait être destiné. Ces hypothèses sont appuyées par la mise au jour, dans
le secteur I, de vestiges de petits poissons, sardines et petits anchois (décrits au
Chap. 9). La présentation du reste de l'équipement domestique nous renseigne sur
les us et coutumes des pêcheurs de cette région. C'est le cas, tout d'abord, du
matériel de tissage : les poinçons de tisserands en bois ou en os, les nombreuses
aiguilles et fuseaux, les fusaïoles, (de tradition locale antérieure à et contemporaine
de la présence inca), et les nombreux vestiges de coton, brut ou filé. Cette section
est complétée par la description de l'outillage lithique (surtout exposé sous forme
de tableaux récapitulatifs), éclats d'obsidienne, éléments de râpe en corail, poids de
filets, et par celle des objets d'os, poinçons ou aiguilles de tisserand ou de coquillage
(boutons, perles de spondyle, et coquillages peints).
La présentation, particulièrement détaillée, des restes organiques (Chap. 9) de
mollusques, de poissons et de crustacés (le plus souvent, sous forme de tableaux et
de diagrammes statistiques) est très intéressante, car elle permet de reconstituer le
paléo-environnement régional à l'époque considérée, tout en précisant la nature des
coutumes alimentaires des occupants des différents secteurs. Ces données nous
renseignent aussi sur les techniques de pêche alors en usage, et les espèces de
poissons qui étaient capturées. On apprend ainsi que les mollusques constituaient
une importante source alimentaire, alors que certaines espèces, essentiellement les
Spondyles et les Choromytilus , avaient une fonction plutôt rituelle. La répartition
des diverses espèces de mollusques et de poissons dans les différents niveaux
stratigraphiques paraît témoigner de préférences alimentaires, parfois liées à des
changements climatiques qui ont favorisé la prolifération et la pêche d'espèces
spécifiques. La grande diversité des espèces répertoriées dans le secteur IV, attribué
à une élite dirigeante, laisse envisager un meilleur accès aux produits de la mer que
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dans le secteur I, plutôt consacré à la préparation du poisson. La présence, dans


ce dernier lieu, de nombreux restes de filets à petites mailles, associés à des poissons
de petites tailles, mais de peu d'hameçons (généralement employés pour la capture
de grandes espèces), laisse supposer que le poisson était péché au filet, et en grand
nombre, à des fins aussi bien alimentaires que commerciales. C'est ce que semblent
encore suggérer les restes de poissons sans tête, retrouvés dans les fouilles, en
association avec des cristaux de sel ; vidés de leurs entrailles, salés et séchés, ils
auraient été ainsi préparés pour l'exportation. Or, ce type de poisson figure parmi
les tribus payés par les Chinchas aux Incas. Par ailleurs, la forte proportion, dans
les fouilles, d'espèces poissonnières originaires de la haute mer, suggère qu'un
ponton d'embarquement avait été construit aux abords du site, face à la mer, pour
faciliter le chargement et le déchargement des petites embarcations utilisées pour la
pêche.
Les restes organiques d'autres espèces animales (crustacés, oiseaux, mammifères
marins, tortues), sont ensuite analysés en détail, par secteur et par complexe. Le
cochon d'Inde, (dont les squelettes sont présents dans les deux secteurs les mieux
connus), semble avoir servi à l'alimentation de toute la communauté. Au contraire,
la consommation de camélidés et de cervidés (dont les ossements ne se trouvent que
dans le secteur IV) était plutôt réservée à l'élite dirigeante. La découverte, dans le
secteur I (complexe C), d'un cochon d'Inde parfaitement momifié, aux entrailles
largement ouvertes, prouverait aussi l'existence de pratiques rituelles, (lecture des
viscères par un devin) similaires à celles décrites par les chroniqueurs du xvie siècle
ou à celles encore en usage aujourd'hui à travers les Andes (Girault, 1984 : 508).
Les restes de coprolyhtes de camélidés, répertoriés dans le secteur IV, sans autres
vestiges apparents, sembleraient aussi indiquer la présence temporaire de camélidés,
appartenant vraisemblablement aux caravanes assurant le transport des
marchandises vers d'autres régions, comme le décrivent les sources historiques.
Les vestiges de la flore (analysés au Chap. 10, et présentés sous forme de
tableaux) font état d'une grande diversité d'espèces employées dans quatre
domaines complémentaires : l'alimentation (cacahuète et maïs), l'artisanat, (coton,
pour le tissage et la confection des filets et des vêtements ; roseau, pour la
construction des maisons et la fabrication des bateaux ; calebasse, exploitée comme
récipient ou comme flotteur pour les filets), les pratiques médicinales et rituelles
(plantes odoriférantes et coca) ou le fourrage (pour les animaux de bât).
La synthèse des données archéologiques (présentée au chap. 11) décrit le site tel
qu'il apparaissait à la période précolombienne. D'un point de vue chronologique,
il s'agit d'un établissement de tradition locale pré-inca, dont l'occupation semble
s'accentuer sous la domination Inca et jusqu'aux premières années de la conquête
espagnole, entre 1480 et 1540-1550 apr. J.-C. Le matériel céramique montre des
affinités avec les styles régionaux : Inca de Cuzco, d'Ica et de Pachacamac, preuves
de contacts soutenus entres ces différentes régions plus ou moins éloignées. Deux
secteurs, bien différenciés, témoignent d'activités spécifiques. Au sud, le secteur I,
avec ses vestiges d'architecture villageoise, ses restes de filets et de poissons
apparemment préparés pour le troc, semble correspondre à un village de pêcheurs
spécialisés dans la pêche à grande échelle, dans un but à la fois alimentaire et
commercial. D'autres activités, telles que l'élevage de cochons d'Inde, la culture de
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la cacahuète, du maïs ou de plants de coton, permettaient d'assurer la vie


quotidienne de toute la communauté. Des artisans s'occupaient vraisemblablement
des travaux plus spécialisés, tels que la fabrication de la poterie (pour cuisiner,
servir, manger, stocker les denrées) ou le découpage du bois, employé pour la
construction des maisons, des bateaux ou des outils. Les tâches liées au culte ou à
la médecine incombaient plutôt à des guérisseurs ou des devins. En revanche, le
secteur IV, avec ses vestiges d'architecture monumentale, (qui impliquent une
importante main d'œuvre, des bâtisseurs et des artistes), serait le lieu de résidence
d'un seigneur-pêcheur et de sa famille, de tradition locale, apparemment soumis au
pouvoir Inca, comme l'attestent les données ethnohistoriques. La nature et la
diversité des vestiges alimentaires recueillis en ces lieux montrent qu'il disposait de
ressources variées, d'origine aussi bien maritime que terrestre. Il est probable que
des serviteurs et des artisans spécialisés (tisserands, charpentiers, orfèvres) étaient
aussi attachés à son service comme semblent l'indiquer les vestiges d'éléments de
parures en argent retrouvés dans les fouilles.
Cette analyse d'un site de pêcheur régional, appuyée par une synthèse
comparative de toutes les données archéologiques et historiques disponibles,
permet à M. Sandweiss de supposer l'existence de groupes de pêcheurs spécialisés
sur l'ensemble de la côte péruvienne bien avant la conquête Inca. Selon lui, cette
tradition remonterait à la période initiale (vers 1000 av. J.-C), mais il s'interroge
sur la présence, à cette époque, de groupes d'artisans spécialisés attachés aux
seigneurs des pêcheurs, comme ce sera le cas plus tard. Les Incas n'auraient fait que
restructurer l'organisation socio-politique des anciens royaumes conquis, afin de
mieux les diriger, selon un modèle appliqué dans d'autres parties des Andes ; étant
originaires des hautes terres, peu familiarisés avec le commerce maritime à longue
distance, ils auraient laissé cette activité aux groupes dont c'était déjà la
particularité tels que les Chinchas. Ceux-ci en auraient alors profité pour accaparer
le monopole du commerce des spondyles jusque là détenu par les Chimus.
En résumé, et en dépit des quelques défauts que nous avons mentionnées, ce travail
est une excellente contribution à la connaissance de l'histoire précolombienne des
sociétés côtières du Pérou méridional, encore peu étudiées.

[Patrice Lecocq, IFEA, Lima]

TRAVAUXCITES

Balfet, 1978 — « Terminologie de la céramique », in : La Préhistoire, Nouvelle Clio, Presses


Universitaires de France, Paris, pp. 272-278.
Girault L., 1984 — Kallawaya, guérisseurs itinérants des Andes, Editions de l'ORSTOM,
Col. Mémoires, n° 107, Paris.
Morris C, 1971 — «The identification of function in inca architecture and ceramic»,
Revista del Museo Nacionál, T. XXXVII, Lima, pp. 135-144.
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Nunez A. et Dillehay. T., 1978 — « Movilidad giratoria, armonia social, desarrollo en los
Andes Méridionales». In : Patrones de tráfico e interaction económica (ensayo),
Universidad del Norte, Facultad de Ciencias Sociales, Dpto. de Arqueologia, Antofa-
gasta, Chile.
Salomon F., 1978 — «Systèmes politiques verticaux aux marches de l'empire inca».
Annales. Economie, Société et Civilisation, Numéro spécial « Anthropologie Historique
des Sociétés Andines », № 5, septembre-décembre, 33e année, Paris, pp. 967-989.
Shephard
7e edition,
A. O.,
Washington
1971 — Ceramics
D.C. for the Archaeologist. Carnegie Insitution of Washington,

Stern S.J., 1986 — Los pueblos indígenas del Peru y el desafio a la conquista espanola.
Huamanga hasta 1640. Madrid, Alianza Editorial.

D'Altroy, Terence N. — Provincial Power in the Inka Empire. Smithsonian


Institution Press, Washington, 1992, 272 p., 103 fig. et pi., 23 tabl., bibl., index.

La façon dont le titre de ce luxueux ouvrage savant est composé sur la jaquette
en dit long : les termes « Provincial Power » disparaissent presque, tant la valeur
des caractères utilisés pour les mots « Inka Empire » est supérieure. On serait tenté
a priori d'attribuer ce déséquilibre à la seule nécessité d'attirer l'œil des acheteurs
et des lecteurs potentiels avec les mots magiques «d'empire inca» qui font
évidemment plus rêver que ceux de « pouvoir provincial », même s'il s'agit de
régions du Pérou préhispanique. Mais le parti pris typographique n'est pas ici que
commercial, puisque le volume combine une très fine analyse de la région Wanka,
dans la sierra centrale du Pérou et toute une série de données supposées valables
pour l'ensemble de l'empire.
Saluons d'abord cet ouvrage pour ses nombreuses qualités, qualités somme
toute assez rares dans bien des livres, pourtant importants, consacrés aux Incas.
Reconnaissons en premier lieu que l'enquête sur le terrain et dans la littérature a
été menée avec tout le sérieux d'un vrai projet scientifique, archéologique et
ethnohistorique. Les travaux de référence consultés sont abondamment cités, au
point même de rendre parfois la lecture ardue à cause d'un trop grand nombre de
citations et d'appels de références bibliographiques ou de notes. On constate aussi
avec plaisir que la bibliographie ne se limite pas, comme c'est parfois la coutume
outre-Atlantique, aux seules publications éditées sur le continent américain.
L'abondance et la qualité des illustrations sont également à souligner : toutes les
photographies (en noir et blanc) sont d'une exceptionnelle qualité de prise de vue
et surtout de reproduction ; les dessins sont pareillement excellents, bien que
quelques plans de sites soient peu lisibles pour avoir été trop réduits ; condensés sur
un quart de page, ils rendent mal compte parfois de l'étendue des établissements.
Le choix de la région Wanka pour cette étude a le mérite de concerner une
portion des Andes péruviennes assez proche de Cuzco pour être entrée relativement
tôt dans l'empire et en avoir fait partie durant toute sa durée chronologique et
historique, ou presque. On peut toutefois se demander si cette région Wanka
(c'est-à-dire le « Wanka Wamani ») n'a pas été unifiée par les Incas pour les besoins
de l'administration impériale plus qu'elle ne l'était avant son intégration à l'empire.

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