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Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres

De l'édition des ostraca de la collection Charles Clermont-Ganneau


(information)
Hélène Lozachmeur

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Lozachmeur Hélène. De l'édition des ostraca de la collection Charles Clermont-Ganneau (information). In: Comptes rendus
des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 140ᵉ année, N. 1, 1996. pp. 427-434;

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1996_num_140_1_15597

Document généré le 23/02/2018


NOTE D'INFORMATION

de l'édition des ostraca


de la collection charles clermont-ganneau,
par m™ hélène lozachmeur

Des épigraphistes aramaïsants, biblistes et historiens du


Proche-Orient ancien attendent avec une fébrilité, qu'ils
dissimulent de moins en moins, la publication princeps de documents
conservés au Cabinet du Corpus Inscriptionum Semiticarum de votre
Académie, la collection Charles Clermont-Ganneau.

L'enthousiasme puis la déception de Charles


Clermont-Ganneau s'expriment tour à tour dans son carnet, lors de la première
campagne de fouilles1, et dans une lettre adressée à Melchior de
Vogué, le 5 mars 19082, au terme de la deuxième campagne qu'il
dirige à Éléphantine, en Haute-Egypte :

« Décidément la journée est bonne pour l'archéologie, bonne


surtout parce que c'est une vraie journée araméenne... »
« Le moindre grain d'araméen ferait mieux notre affaire [...] la Tyché
nous tient rigueur... »

Chargé d'une mission scientifique en Egypte par le


gouvernement français3, Charles Clermont-Ganneau, alors membre de votre
Académie et professeur au Collège de France, conduit la première
campagne de fouilles sur l'île d'Éléphantine durant l'hiver 1906-
1907, ainsi que la deuxième campagne, hiver 1907-1908. La
troisième campagne, hiver 1908-1909, s'effectue, Clermont-Ganneau

1. Les résultats de la première campagne sont présentés sommairement par Ch.


Clermont-Ganneau lui-même devant l'Académie en sa séance du 19 avril 1907, cf. CRAI, 1907,
p. 201-203 ; voir, en outre, p. 132 et 171.
2. La lettre du 5 mars 1908 n'a pas été lue par M. de Vogué devant l'Académie, cf. CRAI,
1908, séances du 28 février, p. 100, du 13 mars, p. 127, mais elle fut classée au Cabinet du
CIS et ultérieurement publiée par l'abbé J.-B. Chabot, « Variétés : Les fouilles de Clermont-
Ganneau à Éléphantine », Journal des Savants, avril-juin 1944, p. 87-92 ; $«/., juillet-septembre
1944, p. 136-142.
3. Par arrêté en date du 5 novembre 1906 du ministre de l'Instruction publique, des
Beaux- Arts et des Cultes, Aristide Briand, avec ampliation du directeur de l'Enseignement
supérieur en date du 7 novembre 1906.
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étant retenu à Paris, sous la conduite de Joseph -Etienne Gautier


et la quatrième, hiver 1910-1911, sous celle de Jean Clédat, qui
avait déjà participé aux premiers travaux. Ultérieurement,
l'Institut biblique pontifical entreprend de nouveau une campagne de
janvier à mars 19184. Signalons que les Allemands, qui avaient
fouillé avec bonheur en même temps, ont repris activement, dès
1969, leurs travaux sur l'île et les poursuivent encore
actuellement5.
Les résultats des fouilles menées par Clermont-Ganneau ont été
exploités ponctuellement mais n'ont jamais été publiés in extenso6.
À côté de trouvailles sensationnelles, notamment du point de vue
égyptologique, le fruit, certes plus modeste, de ces travaux consiste
en une collection d'ostraca, recueillis sur le site entre 1906 et 1911
et auxquels Clermont-Ganneau porta, non sans une certaine
émotion parfois, beaucoup d'intérêt7. « Ce n'est pas naturellement sur
le terrain, au milieu des mille soucis des travaux manuels, dans le
feu de l'action, qu'on peut s'attarder à faire du déchiffrement... »8.
A Paris, Clermont-Ganneau prend livraison des documents9; il
s'empresse d'en établir un relevé, commande à l'excellente
maison Dujardin l'exécution de planches photographiques en hélio-

4. Un bref rapport de fouilles a été publié par les RR. PP. A. Strazzulli, P. Bovier-Lapierre
et S. Ronzevalle, dans Annales du Service des Antiquités de l'Egypte (- ASAE), t. XVIII, 1918,
5. Les rapports se succèdent régulièrement dans Mitteilungen des Deutschen Archaologi-
schen Instituts, Abteilung Kairo (= MDAIK), à partir du n° 26, 1970, p. 87 sq.
6. Ceux-ci, consignés dans cinq carnets de fouilles, dans la correspondance de J. Clédat
et celle de J.-É. Gautier, sont conservés dans les archives de l'Académie des Inscriptions et
Belles -Lettres, G6. Quelques spécialistes ont eu accès aux documents. Ce sont,
notamment, Herbert Ricke, par l'intermédiaire de Ch. Virolleaud et d'A. Merlin, ainsi que de
P. Barguet, pour sa présentation « Die Tempel Nektanebos' II. in Elephantine »,Beitrâgezur
Agyptischen Bauforschung und Altertumskunde, Heft 6, Le Caire, 1960, p. 2 et
particulièrement, n. 10 et 18 ; le Dr Gunter Dreyer, pour étude, lors de la reprise des travaux sur le
terrain en 1969 ; M1"" D. Valbelle pour ses recherches et sa publication sur Satis et Anoukis,
Mayence, 1981 (pub. Deutsches Archâologisches Institut, Abt. Kairo; ; Mme É. Delange,
conservateur au musée du Louvre, pour ses recherches dans le but d'identifier les objets
en provenance d'Éléphantine et conservés au Louvre. Grâce à la précision des descriptions
et la justesse des dessins conservés dans ces archives, de nombreuses identifications et à
plusieurs raccords d'objets ont pu être réalisés ; cf. plus particulièrement le catalogue
d'exposition Un siècle de fouilles françaises en Egypte, 1880-1980, Paris, 1981. Récemment encore,
M. Zoltân Bartos, collaborant avec l'équipe allemande, pour ses recherches sur le cimetière
des béliers.
7. «t Parmi ces ostraca, il en est de vraiment intéressants, autant que j'ai pu en juger par
le coup d'œil rapide que je peux leur donner avant de les mettre en boîte », Journal des
Savants, avril-juin 1944, p. 92. Se reporter également à l'information que donne R. Engel-
bach dans son édition « A coptic Ostrakon mentionning IEB (Elephantine) », ASAE 38,
1938, p. 47, au sujet de divers ostraca retrouvés au musée du Caire.
8. [but., p. 92. Il nous reste, cependant, dans ses carnets nombre de « premiers
déchiffrements » ou remarques sur le vif de l'inventeur.
9. Ceux-ci lui ont été, dans leur totalité, donnés par G. Maspero, directeur général du
Service des Antiquités.
de l'édition des ostraca 429

gravure10 et projette l'édition du lot d'ostraca dans le Corpus Ins-


criptionum Semiûcarum (- CIS), pars II, aramaican. Celle-ci est
retardée jusqu'à sa mort en 1923. L'ouvrage en préparation est,
cependant, signalé par Noël Aimé- Giron qui, en mai 1926, précise qu'il
sera mis au point par M. l'abbé Chabot12. Or, Sir Arthur Cowley,
directeur de la Bodléienne et collaborateur du CIS, est invité par
votre Académie à publier les ostraca arameens en liaison avec
Jean-Baptiste Chabot ; mais, à son tour, Cowley meurt en 193113 en
laissant le brouillon, déjà effacé, d'un déchiffrement très partiel
exécuté à partir des seules photographies de Dujardin.
En 1942, J.-B. Chabot, président de la Commission du CIS,
invite .André Dupont-Sommer, alors directeur d'études à l'Ecole
pratique des Hautes Études, à éditer quelques-uns des ostraca de
la collection, puis le charge officiellement, en octobre 1943, de
l'édition de la collection entière14. A. Dupont-Sommer publie
entre 1944 et 1962, parmi les documents les mieux conservés de
la collection, les exemplaires les plus importants. Après le décès
de J.-B. Chabot, en janvier 1948, il convient de rassembler tous les
documents et de retrouver ceux qui avaient été empruntés pour
étude15. La collection, dorénavant complète, est remise en ordre
suivant le relevé de Clermont-Ganneau, et, plus tard,
photographiée à l'infra-rouge au Laboratoire des Musées de France16.
Dès 1945, A. Dupont-Sommer conçoit, à son tour, la
publication du Corpus des ostraca arameens d'Eléphantine, réunissant les
ostraca antérieurement connus et publiés à ceux de la collection
Clermont-Ganneau encore inédits, à l'exclusion des inscriptions
sur jarre1". Il en publie encore quelques-uns et me confie, pour le
publier, l'un des documents en 197 118. L'ouvrage n'est pas aban-

10. Il exécuta les planches du Corpus Inscriptionwn Semiticarum.


11. Nous ne disposons d'aucun document relatif à cette publication, en dehors des
planches photographiques de Dujardin.
12. Dans son édition de « Trois ostraca arameens d'Eléphantine », ASAE 26, 1926, p. 23.
13. Cf. le discours d'A. Puech, dans CRAI, 1931, séance du 23 octobre, p. 332-333.
14. Cf. CRAI, 1944, séance du 26 mai, p. 258-261.
15. A. Dupont-Sommer, en 1961, charge M. M. Sznycer de rassembler les documents
de la collection et de les inventorier.
16. La préparation des planches des nouvelles photographies, ainsi que le classement
des documents relatifs aux fouilles d'Eléphantine, sont réalisés en 1967 par MM. B. Dela-
vault et M. Sznycer.
17. A côté de quelques notes manuscrites conservées dans les archives de l'Académie,
voir A. Dupont-Sommer, « Les dieux et les hommes en l'île d'Eléphantine, près d'Assouan,
au temps de l'empire des Perses », ('RAI, 1978, séance publique annuelle du 24 novembre,
p. 759, n. 8. et plaquette de l'Institut. 1978, n' 27, p. 2, ri. 8.
18. H. Lozachmeur, « Un ostracon araméen inédit d'Eléphantine (Collection Clermont-
Ganneau n 228) ». Semitica 21. 1971, p. 81-93. A. Dupont-Sommer m'entretint souvent de
ce projet en m'y associant. Je comptais moi-même, en 1976, terminer l'étude renouvelée
des ostraca arameens d'Eléphantine déjà publiés que j'avais entreprise. Je dus y renoncer.
1996 28
430 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

donné, mais de nombreuses charges et d'autres publications


empêchent votre Secrétaire perpétuel de s'y consacrer. Il nous
quitte le 14 mai 1983, en laissant le déchiffrement des documents
de la collection, lorsque celui-ci était possible, mais sans avoir pu
mener à bien ce projet d'édition si longtemps porté. Peu de temps
après le décès d'A. Dupont- Sommer, a été constituée une équipe
chargée de la responsabilité de cette publication, sous la
direction de M. Maurice Sznycer, directeur d'études à l'École pratique
des Hautes Études (IVe section, Sciences historiques et
philologiques)19, comprenant M. Bernard Delavault, bibliothécaire de
l'Institut d'Études sémitiques du Collège de France, et moi-même.
Le travail d'édition est loin d'être aisé et j'en comprends mieux
désormais les retards et les vicissitudes. J'aimerais, dans cette très
brève note d'information, donner un aperçu précis de l'ensemble
des documents recueillis par Ch. Glermont-Ganneau sur le site
d'Éléphantine, restés jusqu'ici inédits, si ce n'est une douzaine
d'entre eux, et annoncer enfin leur prochaine publication.
La collection Clermont-Ganneau se décompose ainsi : la
collection proprement dite qui compte deux cent quatre-vingts
numéros, en signalant que le n° 67 est absent, que le n° 104 est en
miettes pulvérisées, qu'il y a un n° 121 bis et un document sans
référence auquel j'ai proposé de donner le n° 125 qui n'existe pas
dans la collection20, la collection dite X, qui présente trente-trois
numéros et la collection Y formée de trois documents seulement21,
soit au total trois cent seize documents. Mais ceux-ci ne sont pas
tous des ostraca ni des ostraca araméens. Parmi ces trois cent seize
pièces, sont à dénombrer quelque dix- huit épigraphes sur jarre
(Krugaufschriften), un jeton et deux cent quatre -vingt dix- sept
ostraca. Dans le lot des ostraca, dont certains sont illisibles, la
majeure partie est araméenne, mais on y compte aussi quatre
ostraca phéniciens, un ostracon grec22, un ostracon copte, ainsi
que six ostraca démotiques. Une telle collection d'ostraca
araméens est considérable si l'on rappelle que le nombre d'ostraca
araméens recueillis jusque-là en Egypte s'élève à une soixantaine
seulement, quelque quarante-cinq provenant déjà d'Éléphantine,
une douzaine d'autres d'Edfou, de Saqqarah et d'autres régions.

19. Les déchiffrements d'A. Dupont-Sommer furent remis ultérieurement à M. M.


Sznycer, à l'Académie, par M"" A. Dupont-Sommer.
20. H. Lozachmeur, « Un ostracon araméen inédit d'Éléphantine (Collection Clermont-
Ganneau, n° 125 ?) », dans Hommages à M. Sznycer, \\,Semitica XXXIX, 1991, p. 29-36.
21. On pourrait être conduit à penser que ces deux collections supplémentaires
contiennent des documents ne provenant pas du site d'Éléphantine. Il n'en est rien,
puisqu'un document fragmentaire de la collection X est venu compléter un fragment de la
« grande collection ».
22. Il est dit « ostracon Euripide ».
de l'édition des ostraca 431

Elle constitue, en outre, un apport non négligeable à notre


connaissance de l'araméen courant à l'époque perse et à celle de
la colonie judéo-araméenne d'Éléphantine, vers la fin du VIe siècle
et au Ve siècle avant J.-C.
La plupart de ces documents sont malheureusement mutilés.
Une quinzaine seulement sont entiers. C'est réellement fort peu.
Il s'agit le plus souvent de fragments, parfois très minimes, ne
présentant qu'une ou deux lettres. Pour certains, trop nombreux,
l'écriture est effacée ou évanescente et leur déchiffrement se
révèle souvent très difficile, voire impossible en dépit de l'aide des
photographies et d'autres techniques nouvelles spécialisées. Pour
l'édition princeps, présentement envisagée, aucune information,
ébauche de déchiffrement ou même photographie de 1909, que
nous venons d'évoquer, ne sera négligée. Toutes sont précieuses,
car elles révèlent certains détails qui, aujourd'hui, sont effacés sur
les documents eux-mêmes. Ainsi, les travaux de nos
prédécesseurs, il va de soi, trouveront place dans l'ouvrage en préparation.
Le commerce régulier, ingrat, rebutant aussi, avec ces
nombreux tessons m'a convaincue d'envisager une édition
pluridisciplinaire de ceux-ci. Je veux faire parler ces témoins, du support
céramique parfois calciné aux restes collés de graminées et autres
larves microscopiques desséchées. Confrontée sans cesse à
l'énigme, à l'indigence du document en raison de son ancienne ou
plus récente mutilation, je n'eus plus qu'une curiosité au fil des
mois, en un travail toujours interrompu, celle de découvrir enfin
un «joint», un «raccord», de posséder enfin un message, sinon
complet au moins signifiant. J'ai, ainsi, patiemment réuni une
vingtaine de fragments et décidé d'ajouter aux études habituelles
de paléographie et de philologie une étude entomologique due à
M. Jean Menier, sous -directeur au Muséum, et à M. Leonidas Tsa-
cas, directeur de recherche au C.N.R.S., une étude carpologique
due au Dr Christian de Vartavan, ainsi qu'une enquête céramolo-
gique, confiée au Dr Pascale Ballet, de l'Université de Rennes II23.
Celle-ci répond à urudouble objectif: confronter les groupes d'os-
traca qui présentent des affinités sur le plan paléographique aux
ensembles céramiques offrant une cohérence morphologique et
technique ; définir l'origine des céramiques utilisées comme
support d'écriture au sein de la communauté araméenne de l'île
d'Éléphantine, au Ve siècle av. J.-C. Le premier point livre déjà des
informations précises. On s'emploie à rechercher les similitudes
d'écriture et à les mettre à l'épreuve des données céramiques et il

23. Je la remercie sincèrement d'avoir bien voulu me faire part des premiers résultats
de son étude.
432 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

est apparu possible, dans certains cas, de pouvoir attribuer deux


fragments au même vase, malgré l'absence de raccord. L'unité de
temps et de lieu est donc cernée avec plus de précision. Le second
point concerne la répartition et l'origine des céramiques, utilisées
comme support d'écriture. La majorité des fragments (deux tiers
environ) provient de jarres à panse côtelée, de couleur assez claire
et de type calcaire : il s'agit d'un groupe de formes, très homogène,
que l'on pourrait attribuer à un même atelier. Selon les données
dont on dispose actuellement, on peut rattacher ce groupe de
jarres à la région thébaine, grand producteur de ce type de
récipient de la fin de la Basse Epoque jusqu'au début de la période
hellénistique. A l'une des aires de diffusion déjà identifiées (le
Wadi Hammamat : zone des carriers ; documentation inédite
étudiée par P. Ballet lors d'une mission épigraphique de l'IFAO en
1987 et 1988), on peut désormais ajouter la région assouannaise.
L'ensemble des formes égyptiennes, jarres, plats et pots de
cuisson, que l'on aurait daté globalement de la fin de la Basse Époque,
peut, grâce au contexte et aux données épigraphiques, être daté
plus précisément. On signalera la présence d'un fragment
d'amphore importée, vraisemblablement d'origine palestinienne, ce
qui est tout -à fait conforme au panorama des importations en
Egypte sous la première domination perse.
Le catalogue des documents proprement dit suivra la
numérotation de l'inventaire de Clermont-Ganneau lui-même. Il n'est, de
notre point de vue, plus question de publier à part les épigraphes
sur jarre référencées en continu à l'intérieur dudit relevé. Il
comprendra pour chacun des documents : les données matérielles et
techniques, le fac-similé, recto et verso, en regard de sa lecture
transcrite en caractères romains diacrités et de sa traduction
suivie, s'il y a lieu, de remarques philologiques. La plupart des
ostraca sont de brefs messages, d'ordre pratique et familial, non
datés, quelque peu répétitifs. Parmi les ostraca, on dénombre une
vingtaine de listes de noms et quatre listes comptables peut-être.
S'agit-il de noms de soldats, d'ouvriers, de témoins (pour les actes
notariés), de distribution de soldes, de répartition de salaires, de
lopins de terre à cultiver ?
En laissant de côté nombre de dubia et de noms diminutifs
difficiles, y est attestée une petite centaine de noms propres dont
environ 65 % sont des noms sémitiques (dont certains sont juifs et
yahvistes), 23 % des noms égyptiens, 3 % des noms perses, le
restant étant peut-être d'origine anatolienne. Ces noms de personnes
apparaissent le plus souvent sans généalogie, ce qui rend leur
identification hasardeuse et pourtant si recherchée avec les
personnages que nous font connaître les archives papyrologiques ara-
de l'édition des ostraca 433

méennes contemporaines d'Éléphantine connues et publiées.


L'étude paléographique en cours nous le permet dans certains cas.
Les documents araméens lisibles nous révèlent les
préoccupations de ces colons qui sont surtout, ainsi que le signalait déjà
A. Dupont-Sommer24, des problèmes de ravitaillement, de
nourriture, de vêtements, d'outils, d'ustensiles, de matériaux (bois et
métaux). On le comprend aisément dans la mesure où ces
messages familiaux circulaient entre l'île et l'autre rive du Nil, Assouan,
où séjournaient d'autres colons. S'y trouvent également des
allusions à différents événements de la vie cultuelle sur l'île qu'A. Dupont-
Sommer s'est efforcé de souligner. En ce qui concerne la langue,
de l'araméen courant exclusivement, le vocabulaire, celui des rea-
lia, n'est pas sans poser certains problèmes parfois, puisque bon
nombre de termes ne se trouvent pas encore attestés dans le
lexique de l'araméen ancien ni d'Empire ; et l'on est obligé d'en
chercher la signification, avec la prudence qui s'impose, dans
d'autres documents plus tardifs. C'est incontestablement du point
de vue linguistique un enrichissement. De l'ensemble de ces
messages écrits en araméen peut se dégager une esquisse de la vie
quotidienne des colons d'Éléphantine. Il ne faut cependant pas en
attendre des révélations d'importance, comme certains se sont plu
et se plaisent encore à l'imaginer.
L'étude de l'ostracon copte et des six ostraca démotiques, enfin,
a été confiée à M. Michel Pezin, du C.N.R.S.25 Seuls, deux
documents démotiques sont assez complets pour présenter un certain
intérêt qu'on soulignera ici. Le premier date environ du VIe siècle,
compte tenu de l'écriture démotique archaïque. Cinq lignes nous
donnent des noms de substances aromatiques et l'ensemble
pourrait bien être une recette (de kyphi ?). Le second date du début de
l'ère ptolémaïque. Ce fragment, sur deux colonnes, présente le
reste d'un exercice scolaire de mathématiques et paraît être le seul
exemple connu de division par tiers.
Pour conclure, l'ouvrage, qui pourrait être accueilli dans la
collection des Mémoires de VAcadémie, comprendra deux volumes,
l'un de textes (I), l'autre de planches (II).

• *

24. Dans sa présentation intitulée « La collection des ostraca araméens recueillis par
Clermont-Ganneau à Eléphantine », dans Actes du XXI' Congrès international des
Orientalistes, Paris, 23-31 juillet 1948, Paris, 1949, p. 109-111.
25. Je le remercie vivement de m'avoir communiqué si aimablement les résultats de ses
déchiffrements et ses conclusions que je résume ici.
434 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

M. Pierre TOUBERT intervient après cette note d'information.

M. André CAQUOT présente les observations suivantes :

« Je n'ai aucune connaissance personnelle et directe des ostraca


de la collection Clermont-Ganneau. J'ai cependant cru devoir
demander à Mme H. Lozachmeur d'exposer l'état présent du travail
de publication entrepris par A. Dupont- Sommer pour la raison
que voici. Le numéro de mai/juin 1995 du périodique américain
Biblical Archaeology Review a publié sous la plume d'un excellent
journaliste spécialisé, M. H. Shanks, un article d'intérêt général
consacré à Éléphantine dans lequel un encart typographique
relate de façon sommaire les mésaventures de l'édition des
ostraca. M. Shanks n'a pu s'empêcher d'établir un parallèle entre
le retard pris par cette édition et les quelque 40 ans d'attente
imposés au monde savant pour obtenir une vue d'ensemble sur les
manuscrits de la grotte 4 de Qumrân. On sait que la campagne de
presse lancée il y a environ dix ans par M. H. Shanks a abouti à ce
qu'il appelle leur libération, puisque chacun peut avoir
maintenant accès aux photographies de ces manuscrits. Mais c'est une
autre histoire... M. Shanks se garde de mettre sur le même plan les
documents qumrâniens attendus par tant de curieux et les ostraca
araméens d'Eléphantine dont l'intérêt historique paraît être plus
modeste. Mais, même s'il est énoncé de manière plus objective
que malveillante, le propos de M. H. Shanks imposait que notre
Académie ne tardât point à entendre et à publier le rapport de
Mme Lozachmeur.
Collaboratrice pendant de longues années du regretté André
Dupont- Sommer, ayant elle-même donné plus d'une preuve de
son talent d'épigraphiste, chargée d'un cours d'épigraphie de
l'Orient ancien à l'Institut catholique de Paris, cheville ouvrière de
l'équipe de recherche associée qu'avait fondée André Dupont-
Sommer, accablée par les tâches improductives que
l'administration impose aux organes de ce genre, rédactrice d'une revue, bien
souvent sollicitée par les autres, Mme Lozachmeur n'a pas eu la
possibilité de mener plus rapidement son édition des ostraca. Sa
modestie l'empêchait d'entrer dans ces détails. Je crois devoir les
ajouter à son exposé qui me semble donner une idée du sérieux
avec lequel sera poursuivie et achevée par Mme Lozachmeur cette
œuvre d'André Dupont- Sommer. »

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