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1895, revue d'histoire du cinéma

Ferdinand Zecca chez Gaumont


Maurice Gianati

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Gianati Maurice. Ferdinand Zecca chez Gaumont. In: 1895, revue d'histoire du cinéma, n°30, 2000. pp. 27-41;

doi : https://doi.org/10.3406/1895.2000.1465

https://www.persee.fr/doc/1895_0769-0959_2000_num_30_1_1465

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FERDINAND ZECCA CHEZ GAUMONT

par Maurice Gianati

Quand?

La plupart des historiens qui ont écrit sur les débuts du cinéma¬
tographe laissent entendre, à propos de Ferdinand Zecca, que celui-
ci a fait un court séjour, au début du siècle, chez Léon Gaumont, et
ceci à la suite d'une brouille passagère avec Charles Pathé, le concur¬
rent. Cette information, peu développée, est reprise en cascade par
ces auteurs sans que l'on sache vraiment qui est le premier porteur
du bâton témoin. L'origine semble pourtant se trouver dans un rap¬
port écrit par Alice Guy en 1939, à la demande de L. Gaumont, pour
servir à l'historique des Ets. Gaumont. Publié pour la première fois
par le bulletin de l'AFITEC1, on y lit: «Zecca qui fit ses débuts de
cinéaste à la maison, et qu'il quitta après un séjour de quelques
semaines, y prit les Méfaits d'une tête de veau , un film dans le genre de
ceux de Méliès. » La formule est lapidaire, et semble fourrer dans un
même sac, Zecca, Méliès et la tête de veau.
Dans son autobiographie publiée en 19762, A. Guy apporte
quelques précisions pro domo :

Zecca le seul collaborateur qui resta environ deux semaines avec


moi avant de joindre Pathé, tourna les Méfaits d'une tête de veau (film
qui me fût faussement attribué par la suite). Intéressant parce qu'il
illustrait la méthode des arrêts pendant lesquels on déplaçait l'objet
comme dans la Momie. Il me conta qu'avant de venir nous voir, il
vendait des savons de porte en porte et les mouillait pour en aug¬
menter le poids.

A. Guy n'aime pas les trafiquants de savonnettes.

p.
1. Alice
cinéma),
2. 66
Bulletin
et 75.
Guy,
numéro
deAutobiographie
l'AFITEC
hors série
(Association
«Cinquantenaire
d'une pionnière
française
dudu
cinéma,
cinéma
des ingénieurs
Paris,
sonore»,
Gonthier-Denoël,
1952.
et techniciens
1976,
du

27
Lors des réunions de la commission de recherches historiques de
la Cinémathèque française, organisées à partir de 1944 par Henri
Langlois, on interroge les pionniers du cinématographe. Georges
Hatot parlant de Zecca se souvient: «Lorsque Zecca s'est fâché avec
Pathé, c'est en 1905. [...] Zecca est parti en claquant les portes, et
moins
teur d'abord
de 15 de
jours
Montreuil3».
après, il revenait
Zecca lui-même
comme un
- ilgrand
a alorsmaître,
82 ansdirec¬
- est

interviewé par Musidora et Menessier4 ; on lui pose la question :

Il y a un film qui a été tourné en 1902 chez Pathé, Sombre Drame


[....]. A un moment donné, vous êtes parti de chez Pathé, vous avez
fait un passage chez Gaumont. . . je me demande si ce film n'a pas été
tourné pendant que vous étiez chez Gaumont?...

F. Zecca ne répond pas. Pour en terminer avec les témoignages: ni


Zecca ni Pathé ne feront jamais une quelconque allusion à ce départ.
datation5
Dans son
: ouvrage de référence, Georges Sadoul avance une autre

Pendant longtemps les mises en scène de Gaumont avaient été


réalisées en plein air et dirigées par MKt Alice Guy. Lorsqu'elle engage
de nouveaux metteurs en scène, ce fut des transfuges de Pathé et en
premier lieu Zecca, dont le mauvais caractère était proverbial à Vin-
cennes. Il se brouilla avec Pathé et alla travailler quelques mois de
1903 chez Gaumont avant de rejoindre son ancien patron.

Dans la seconde édition de son ouvrage, G. Sadoul donne l'année


«1904» au lieu de «1903». Ce revirement sans explications a pour
origine le fait que A. Guy, qui a entre-temps lu la première édition,

3. Il s'agit de la réunion du 13 mars 1948 (communication de Laurent Le Forestier,


transcription conservée à la BiFi). Georges Hatot commença sa carrière d'opéra¬
teur/metteur en scène chez Lumière, puis travailla vers 1905 chez Pathé. D'autre part,
une lettre de L. Gaumont, datée du4 juin 1898, adressée à MM. Comy, Hatot et
Breteaux [s/c], parle d'un contrat pour produire des films dont Gaumont serait
l'éditeur/ distributeur (Marie-Sophie Corcy, Jacques Malthête, Laurent Mannoni et
Jean-Jacques Meusy, Les premières années de la société L. Gaumont et Cie. Correspon¬
dance commerciale de L. Gaumont 1895-1899, Paris, AFRHC, 1998). Bretteau est opé¬
rateur
1901-1902.
chez Pathé en 1900; il collabore comme acteur aux premiers films de Zecca en

4. Réunion non datée (communication de L. Le Forestier, transcription conservée à


la BiFi).
5. Georges Sadoul. Histoire générale du cinéma. 2. Les pionniers du cinéma ( DeMéliès à
Pathé 1897-1909 ), Paris, Denoël, 1947.

28
demande à l'auteur de modifier dans l'édition suivante les chapitres
qui la concernent («Il dit lui-même qu'il ignore tout de cette époque
et ne parle que par ouï-dire», écrit A. Guy6). Jean Mitry7 reprend
grosso-modo la première option de G. Sadoul; Jacques Deslandes et
Jacques Richard n'en parlent pas8.
Ce bref survol des avis de pionniers et historiens donne un cré¬
neau temporel de 1899 à 1905 pour le passage de F. Zecca chez
Gaumont.

En effet, l'année 1899 est implicite dans les affirmations d'A. Guy
puisque le film les Méfaits d'une tête de veau figure dans le catalogue
Gaumont de 1900 au numéro 244, et a sûrement été tourné en 1899
ou au tout début de 1900. Les registres d'embauche de la maison
Pathé indiquent que Zecca y entre en 1898 dans la branche
« phono»9. La première rencontre Zecca-Pathé est située par ce der¬
nier
de 1900:
quelques semaines avant l'ouverture de l'Exposition universelle

Je m'adressai à M. Prévost, qui dirigeait le personnel alors plus


nombreux, du phonographe dont mon frère Emile assurait la direc¬
tion générale. Je lui demandai de me choisir quelqu'un qui, selon lui,
pouvait répondre à mes desiderata. Il me désigna M. Zecca qui depuis
2 ou 3 années - aux appointements de 200 francs par mois - était
tour à tour, selon les besoins du service, musicien, enregistreur de
cylindres phonographiques, chef du service fabrication, etc...10

Comment Zecca aurait-il pu s'échapper de chez Pathé durant une


quinzaine de jours en 1899, tourner un film techniquement assez
complexe pour un néophyte (arrêts sur image, substitutions, etc.) et
revenir ?tranquillement installer le stand Pathé à l'Exposition uni¬
verselle

Dans sa réédition des catalogues des films Pathé, Henri Bousquet,


chaque fois qu'il le peut, indique pour certains films les noms des
acteurs, décorateurs, metteurs en scène. Ses sources sont variées et
souvent recoupées par la vision du film, lorsque cela est possible.

6. Jean
7.
1967.
Alice Mitry.
Guy, op.
Histoire
cit., p. du
72 cinéma
et 73. muet. 1. 1895-1914, Paris, Editions universitaires,

8. Jacques Deslandes et Jacques Richard. Histoire comparée du cinéma, Tome il Du


cinématographe au cinéma, 1896-1916, Paris, Casterman, 1968.
9. Michel Rémond, sous la direction de François Sauteron, Histoire d'une aventure.
Kodak Pathé - Vincennes, 1896-1927-1986, Kodak, 1986, p. 14.
10. Charles Pathé, Souvenirs et conseils d'un parvenu, Paris, 1926.

29
Pour la période 1900-1905, on relève - même si tous les films ne sont
pas renseignés - l'absence du nom de Zecca entre la Vie d'un joueur
(n° 935, sorti en avril 1903) et la Grève (n° 1096, sorti en 1904).
Ceci est à prendre à titre purement indicatif et ne pourrait en aucun
cas servir à une démonstration rigoureuse. Mais on peut imaginer en
reprenant «l'hypothèse Sadoul» proposée en 1947 que F. Zecca est
parti de chez Pathé au début de l'année 1903.

Quels films?

Nous publions dans cet article trois photos de films, issues du


fonds Zecca d'une collection privée. Ce fonds est constitué, pour l'es¬
de
sentiel,
Zecca.de photographies relatives aux débuts cinématographiques

— La photo 1 représente F. Zecca lui-même, jouant le rôle d'un


prestidigitateur tenant dans sa main gauche un gros ballon sur lequel
figure le sigle «ELGE». Ce ballon reflète la verrière d'un studio. Sur
la table sont disposées des balles, deux statuettes de femmes et deux
bouquets
l'encontre de
de fleurs.
la société
S'agit-il
Gaumont?
d'un gag moqueur de la firme Pathé à

— On voit sur la photo 2 deux hommes, à demi cachés par des


rideaux, et qui observent une jeune femme portant un seau à char¬
bon.
«Cambrioleurs
On peut lire
bafoués»
au dos de
et «coffre-fort
cette photo les
= mentions
coffre à charbon».
manuscrites
On:

devine aisément le scénario et la chute.


— La photo 3 montre un homme en caleçon long rapiécé, ayant
apparemment des ennuis pour se vêtir. En observant de plus près, on
distingue,n.sur le sol à gauche, une sorte de sac portant les lettres
«ELGE»

Outre leur origine, un lien supplémentaire unit ces trois photos :


c'est un décor blanc de style rococo, qui semble être le décor passe¬
partout des films Gaumont d'intérieur ; on le retrouve par exemple
dans les Petits Coupeurs de bois vert, au catalogue Gaumont en 1904
(n° 830). Nous avons donc quelques arguments pour supposer que
Zecca a pu tourner chez Gaumont les trois films correspondants à
ces photos.

11. Une
ainsi qu'une
copiecopie
de ce
dufilm
film aComment
récemment
monsieur
été découverte
prend son par
bain.la société Lobster-Films,

30
2. Les cambrioleurs sont « floués», car le coffre-fort n'est qu'un coffre à charbon !

Apaches pas veinards (n° 658 au catalogue Gaumont de septembre 1903).


Quels titres ?

Dans un catalogue Gaumont espagnol daté de septembre 190312,


nous trouvons au n° 656, le titre Ilusionismo extranô qui figure tou¬
jours au catalogue français de janvier 1908 sous le titre Illusionniste
renversant (le scénario13 est conforme à la photo 1 ).
Nous trouvons sous le n° 658, le titre Dos Ladrones disgraciados,
en français Apaches pas veinards. Le scénario14 explicite la photo 2 et
confirme les notations manuscrites portées au dos.
On attribue à la photo 3 le titre: Desventuras de un viajero
(n° 659), Mésaventures d'un voyageur trop pressé dans les catalogues
français. Là encore, le scénario15 est conforme à la photo.
Ces films se suivent dans les catalogues et datent d'avant sep¬
tembre 1903. Dans sa filmographie partielle de l'œuvre d'A.Guy16,
F. Lacassin place ces films en février-mars 1903. Une précision sup¬
plémentaire est apportée par Victor Bachy17, qui classe les films
d'A.Guy de février à juillet 1903 sous la rubrique «vogue des tru¬
cages», comme si brutalement étaient apparus chez Gaumont des
films faisant la part belle au trucage, genre qui aurait été peu prati¬
qué jusqu'alors dans cette maison n'ayant pas parmi son personnel

de prestidigitateurs
Si nous attribuonsou de
à Zecca
truqueurs
chez attitrés.
Gaumont ces trois films tests

dont les numéros se suivent, on peut aussi mettre à son crédit, sans
trop dériver dans notre approche du problème, les titres voisins du
même catalogue. On établit alors la liste type présentée dans le
tableau ci-après en conservant, pour une meilleure analyse, le titre
espagnol et français de chaque film.
En comparant les titres de la liste Gaumont (1903) à ceux de
films édités par la firme Pathé autour de l'année 1903, et dont on
peut dire qu'ils ont été fabriqués par un Zecca acteur ou metteur en
scène, on constate certaines similitudes dans les titres, scenarii et
trucages. Par exemple :

représentatif
monde,
12. Victor
13.
14.
15.
16.
17. Nous
Alice
Victor
Perpignan,
utilisons
Guy,
Bachy,
Bachy,
duop.scénario
op.
cit.
ce
Institut
Alice
cit.
catalogue
Guy-Blaché
que
Jean
le car
titreil du
Vigo, arrive
( 1873-1968
1993.
catalogue
souvent
équivalent
). que
La Première
le titre
français.
enfemme
espagnol
cinéaste
soit plus
du

33
- N° 656 (catalogue Gaumont/cG), Illusionniste renversant et
Magnétisme
mai 1902. renversant, n° 687 (catalogue Pathé/cP) sorti en

- N° 659 (cG), Mésaventures d'un voyageur trop pressé est un


condensé - transformations, substitutions de vêtements - des numé¬
ros 673, Un déshabillage impossible, et 682, Réveil précipité, du cata¬
logue Pathé de 1901.
- N° 660 (cG), En Casa del photographo/ Ne Bougeons plus! est la
reprise du n° 622 (cP), Chez le photographe, joué par Zecca et
Bretteau, et daté de mai 1902. Une cliente remplace un client.
— N° 661 (cG), El Banô imposible/Comment monsieur prend son
bain, est un tournage en intérieur au scénario identique à celui de
Baignade
Zecca. impossible, n° 601 (cP), filmé en extérieur en 1902 par

- Le Cake-walk de la pendule, n° 712 (cG), utilise le même tru¬


cage relatif à la taille des personnages que Cake-walk chez les nains,
n° 715
films est (cP),
antérieur
sans àque
l'autre.
l'on puisse déterminer lequel de ces deux

Ceci montre que Zecca arrivant chez Gaumont utilise tout son
savoir faire (trucages, substitutions, transformations, etc.) sans
scrupules envers son ancien employeur, allant jusqu'à la copie pure
et simple des scenarii de films qu'il a déjà produits. Cette attitude est
très répandue dans le microcosme des pionniers du cinématographe :
tout le monde imite tout le monde, tout en essayant de se protéger
des copieurs en glissant subrepticement dans le décor l'emblème de
la société (logo, coq, tournesol, etc.).
Il ne nous est pas possible actuellement, de connaître la date
exacte du retour de Zecca chez Pathé. En revanche on est quasiment
certain qu'il y tourne en 1904 une de ses grandes productions
sociales - la Grève, n° 1096 (cP), et qu'il prend probablement en
charge la direction du studio de Montreuil, achevé à la fin de la
même année. Dans les Archives Pathé consultables actuellement, le
nom de Zecca n'apparaît pas dans le Grand Livre de Comptes n° 3
(rr mars 1904 au 31 août 1905) au titre d'opérateur, ce terme cou¬
vrant largement le métier de metteur en scène; de plus le Grand
Livre de Comptes n° 2 (1" mars 1901 au 28 février 1904) n'a pas
encore chez
travail été retrouvé18.
Gaumont Sans
à la fin
autres
de l'année
informations,
1903. nous limiterons son

L.
18.LeRapports
Forestier).
des conseils d'administration de la société Pathé (communication de

34
FILMS ET CINEMATOGRAPHES PATHE 11
CODE N« TITKE DES SUKTS LONG. PHIX
télégraphique

Automne. . 1 196 Le roi des dollars ............................. 35 70

Le roi des dollars fait successivement apparaître


et disparaître de sa main des pièces de monnaie
en quantités innombrables, puis saisissant son
aide par le bout du nez, il lui fait sortir de la
en
bouche
cascades
une rutilantes
pluie de pièces d'or qui tombent
Cette bande reproduit la main seule du magicien
au premier plan, ce qui lui donne un cachet
tout particulier d'originalité.
Elle n'est vendue qu'en couleurs.
Augmentation : 26 fr. net.

4. Chez Gaumont comme chez Pathé, Zecca le magicien apporte richesse


et prospérité. Le Roi des dollars (catalogue Pathé, avril 1905).

35
FILMS ET CINEMATOGRAPHES PATHE 7
CODE
N°* TITRE DES SUJETS LONG. PRIX
télégraphique

Autopsie. . 1197 Pas veinards ! .......


. .............. 25 50

Deux cambrioleurs se sont introduits dans une


maison et ont jeté leur dévolu sur le coffre-fort.
Tandis qu'ils se multiplient en vains efforts
pourleletemps
que forcer,
de seilsdissimuler
entendentderrière
du bruit
une ettenture.
n'ont
Mais où leur stupéfaction arrive à son comble,
c'est autre
n'est que laque personne
la bonne,qui laquelle
vient lesmunie
déranger
d'un
en retirer
seau, ouvre
du charbon
tranquillement
et du bois:
le coffre-fort pour
Nos malfaiteurs, déçus, n'ont d autre ressource
que de s'en retourner par où ils sont venus.

5. Pas veinards (catalogue Pathé, avril 1905).


A comparer à la photo n° 2 dont la mise en scène est identique.

36
Avis. Créations renversantes 30

tJkÉu»JUV JteÊmëUïiïi i-Timà

Curieux effet de reconstitution d'objets.


Cette bande ne se vend
qu'en couleurs avec une augmentation de 30 fr. net.

Le métrage indiqué à côté de chaque vue est approximatif.

6. Créations renversantes (catalogue Pathé, mai 1905). À comparer à la photo n° 1 ;


Zecca reproduit chez Pathé le film qu'il a tourné chez Gaumont.

37
On a vu que Zecca copie, sans états d'âme, les films Pathé au
profit de Gaumont, mais la surprise est encore plus grande, lorsque
dans le tableau précédent, on s'intéresse à quelques films faits par
Zecca chez Pathé en 1904-1905, donc après avoir quitté Gaumont:
- Amoureux ensorcelé , n° 1177 (cP), daté du début de l'année
1905, est une copie conforme du n° 657 (cG), Fiancé ensorcelé que
nous attribuons à Zecca en 1903 ;
- Le Roi des dollars, n° 1196 (cP), d'avril 1905 (photo 4) est une
légère
roi des variante
dollars. du n° 664 (cG) intitulé la Main duPr. Hamilton ou le

- Pas veinards, n° 1197 (cP), daté d'avril 1905, reprend intégra¬


lement le scénario et la mise en scène d 'Apaches pas veinards, n° 658
(cG). La photo 5, extraite du catalogue Pathé d'avril 1905, présente
la même scène que la photo 2. Les cambrioleurs à droite, essaient de
se dissimuler
charbon dans derrière
le coffre-fort.
des rideaux, pendant que la bonne prend du

- le n° 1212 (cP), Créations renversantes, de mai 1905 est encore


plus «renversant» puisqu'on y voit (photo 6) comme dans Illusion¬
niste renversant , n° 656 (cG) photo 1, le même Zecca faisant des
tours de magie derrière une table sur laquelle se trouvent deux sta¬
tuettes de femmes, deux bouquets de fleurs, un grand bocal reflétant
le studio; il brandit dans sa main gauche un gros ballon et n'a pas
éprouvé, deux ans plus tard, le besoin de changer de costume.

Pourquoi copier?

Ainsi F. Zecca est à nouveau pris en flagrant délit de plagiat, mais


cette fois, en faveur de Ch. Pathé. Ce type de comportement sera for¬
tement décrié quelques années plus tard, lorsqu'un autre metteur en
scène de la maison Pathé, Gaston Velle, ira en 1906 travailler à la
Cinès en Italie, puis retournera chez Pathé en 1910 ; à l'aller comme
au retour, il sera accusé de trahison par ses deux employeurs succes¬
sifs.

Sans être encore nommé officiellement patron de la production


Pathé, Zecca, en 1905, en supervise une grande partie19. D'où lui
vient cette idée saugrenue de reproduire des films déjà tournés pour
Gaumont en 1903? Certes, il a laissé s'écouler un délai de décence de
deux ans. Cependant on peut comprendre qu'il y ait eut quelques

L.
19.LeRapports
Forestier).
des conseils d'administration de la société Pathé (communication de

38
tiraillements entre les deux sociétés, bien que les protestations
n'aient émané que de quelques créateurs qui, comme A. Guy, se sen¬
taient pillés20. Quant à Zecca la notion de copyright lui paraît assez
floue ; il pense sans doute que l'œuvre lui appartient et qu'il peut la
produire et la reproduire où et quand bon lui semble. L'époque des
grands procès à propos des droits d'auteur n'est pas encore arrivée.
Le goût de la magie, du trucage, du bon tour à jouer et, peut-être
aussi, une certaine paresse intellectuelle ont suscité la fabrication de
ces petits films bouche-trous.

Pourquoi l'aller-retour?

Nous pensons avec un certain degré de confiance, que F. Zecca a


bien travaillé chez Gaumont en 1903, sans que l'on puisse fixer avec
précision les bornes du séjour. La date butoir d'entrée peut se situer
en février-mars ; le retour, très discret, chez Pathé à la fin de 1903 ou
en 1904.
Pourquoi le premier départ? On nous parle d'une dispute et du
mauvais caractère de Zecca, sans doute. De plus la société Pathé est,
au début de 1903, en pleine restructuration avec la construction du
nouveau studio de la rue du Bois, terminé au mois de mai 1903, puis
rehaussé l'année suivante à cause de problèmes d'ensoleillement, et
le projet d'installer un studio de secours à Montreuil21 ; les sujets de
frictions ne doivent pas manquer. Maud Pathé, fille adoptive de
Charles, nous donne une version plausible des causes de la dispute :

[...] En 1904 il gagnait 300 F par mois et devant le refus de mon


père de le changer de statut il partit chez GAUMONT. Déçu il gagna
sa vie en vendant du savon dans les rues de Belleville, mais revint
rapidement à Vincennes avec le titre de producteur22.

Connaissant la complicité légendaire qui existait entre F. Zecca et


Ch. Pathé, on peut aussi envisager l'hypothèse, peu plausible, d'un

20.
21.
L.
22.Le
seignement
Pathé
tagonistes,
tionAlice
Rapports
Extrait
de
Forestier).
enF. Guy,
1908,
Sauteron)
d'une
ou,
nedes
op.
peut
de
Maud
lettre
conseils
cit..être
façon n'a
envoyée
encore
que
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d'administration
de plus
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connaissance
Maud
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Pathé
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société
une
ce en
fait
tierce
1906,
Pathé
que
Sauteron
personne
par
adoptée
(communication
l'un
en des
par
(communica¬
1994.
deux
la Ce
famille
ren¬
pro¬
de

39
Zecca se faisant embaucher par Gaumont sous un prétexte quel¬
conque afin de connaître les méthodes de production du concurrent :
une sorte d'espionnage industriel. Mais de toute façon la cohabita¬
tion d'un Zecca jovial et remuant et d'un Gaumont austère et rigo¬
riste - sans compter la présence d'A. Guy - n'a sans doute pas permis
que le séjour excède quelques mois.
Si l'on accorde quelque crédit à notre démonstration, alors l'ap¬
port de F. Zecca à la société Gaumont ne se serait pas limité, comme
l'affirme A. Guy, aux seuls Méfaits d'une tête de veau , mais consiste¬
rait plutôt en une douzaine de films homogènes par les sujets choisis
et les techniques employées.
Nous terminons par un constat à méditer. Sur les 720 premiers
numéros du catalogue Gaumont relatifs aux films produits avant
septembre 1903, il ne reste plus que 50 titres proposés à la clientèle
au catalogue de janvier 1908. Ces 50 titres concernent des sujets
d'actualité, sauf:
- Les Méfaits d'une tête de veau (comique), n° 244 (1899).
- La Fée aux choux, n° 379 (1900).
- Sage-femme de première classe (très grand succès), n° 626
(1903).
- 9 films sur la douzaine que nous pouvons attribuer à Zecca.
Ces titres ont-ils perduré au catalogue Gaumont grâce à un succès
de vente dû à leur qualité intrinsèque ? Quelle autre raison pourrait-
on envisager? Le débat est ouvert et nous laissons au lecteur la
liberté de faire travailler son imagination. Mais, en tout état de
cause, il était possible en 1908 d'acheter, aussi bien chez Gaumont
que chez Pathé, un film dans lequel F. Zecca faisait, pour chacune
des deux maisons, des tours de magie identiques dans une situation
identique.

Catalogue GAUMONT espagnol


Catalogues
de 1901 à 1905
PATHE
de septembre 1903
(avec titres des catalogues français)
Nws Titres NHS Titres
655 Sopa indicjesta ( Soupe indigeste )
656 Husionisto extranô 687 Magnétisme renversant
( Illusionniste renversant ) (mai 1902)
1212 Créations renversantes
(mai 1905)

40
657 El Novio Echizado 11 77 Amoureux ensorcelé
( Fiancé ensorcelé) (19051
658 Dos ladrones disgraciados 1197 Pas veinards
( Apaches pas veinards) (avril 1905)
659 Desventuras de un viajero 682 Réveil précipité
[Mésaventures d'un voyageur 673 Un déshabillage
trop pressé) impossible (1901)
660 En casa del photographo 622 Chez le photographe
(Ne bougeons plus) (mai 1902)
661 El Banô imposïble 601 Baignade impossible
( Comment Monsieur prend (1902)
son bain)
664 La Mano del Pr Hamilton 1196 Le Roi des dollars
( La Main du Pr Hamilton (avril 1905)
ou Le Roi des dollars)
699 Servicio precipitado
( Service précipité)
700 Gallina fantastica 381 La Poule merveilleuse
(Poule fantaisiste) (1902)
1239 La Poule phénomène
(iuin 1905)
706 Esperanza encanâda de unajoven
alderna (Perette et le pot à lait)
707 Modelaçion rapidissima
(Modelage express)
708 Faust g Satanas
(Faust et Méphistophèles)
709 Luchadores
(Lutteurs américains)
710 La Balija encantada
( Valise enchantée)
711 Viajeros molestos
( Compagnons de vogage
encombrants)
712 Cake-walk 715 Cake-walk chez les
(Cake-walk de la pendule) nains (octobre 1903)

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