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Saskia Cousin
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Saskia Cousin
Université François-Rabelais (IUT de Tours) / LAIOS – CNRS
RÉSUMÉ
À partir d’une enquête de thèse réalisée dans le cadre d’une activité professionnelle, l’auteure propose une étude synthétique
des salons du tourisme culturel en France. Les échanges se caractérisent par l’absence de transactions monétaires ; l’objectif
affirmé des participants (visiteurs et exposants) est de nouer des contacts. Le salon est aussi un lieu privilégié de constitution
d’une communauté professionnelle et représente un enjeu de politique locale. L’espace du salon est saturé d’images évoquant
les lieux de tourisme. L’auteure analyse le salon du tourisme culturel comme un idiome qui soutient une « utopie perfor-
mative ». Observé du point de vue des visiteurs, le salon appartient à la famille des « non-lieux » ; analysé du côté des
exposants, il est un espace, un lieu pratiqué.
Mots-clefs : Nantes. Salon. Tourisme culturel. Identité locale.
Saskia Cousin et LAIOS / MSH
Univ. François-Rabelais (IUT de Tours) 54, bd Raspail
29, rue du Pont-Volant 75006 Paris
37082 Tours cedex 2 saskia.cousin@wanadoo.fr
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ou visiteur, il faut avoir l’air occupé. Les colloques, tous car il n’y a pas de prototype à copier, il n’y a rien
ateliers ou séminaires intégrés au salon sont, pour leurs à cacher : ce qui est exposé – des brochures, des pros-
participants, un autre moyen d’« exposer » des discours. pectus, des affiches, parfois des vidéos – montre des sites
On fait également intervenir les « experts » et les consul- et des lieux accessibles, et pour le moment inaliénables 8.
tants qui vont expliquer aux nouveaux arrivés dans le La décoration des stands se réduit parfois au simple
monde du tourisme ce qu’il faut faire pour devenir une accrochage de posters, et/ou à la mise en place d’un
« destination ». Il s’agit souvent d’une offre de service. stand parapluie, transporté de salon en salon. Certains
Si l’on excepte les services de restauration et, pour les exposants investissent en revanche dans des scénogra-
salons ouverts au public, le billet d’entrée et les « pro- phies très élaborées, qui ont pour objectif de faire entrer
duits locaux », l’échange marchand, c’est-à-dire l’achat le visiteur dans un « univers » spécifique et de donner à
et la vente de marchandises, n’a pas lieu 7. Dans le salon connaître ou à reconnaître l’exposant grâce à une « iden-
réservé aux professionnels, c’est le nombre de contacts tité visuelle », par exemple les imprimés provençaux
qui est comptabilisé et détermine l’évaluation de sa réus- pour le comité régional du tourisme de la Région Pro-
site ou de son échec. Dans le salon public, on compte vence-Alpes-Côte-d’Azur, ou un stand « paquebot »
les dépliants distribués, dans le salon professionnel, on pour la ville de Saint-Nazaire. Dans les salons publics,
dénombre les cartes de visite reçues. les stands sont ouverts sur l’espace commun ; ils peuvent
parfois être traversés de part en part par les visiteurs. La
personnalisation de l’emplacement et l’ouverture la plus
grande possible sont recherchées : avoir un « angle »,
■ Rien à voir ? Visiter le salon c’est-à-dire deux faces ouvertes, se paie plus cher qu’un
stand « normal ». Les espaces privatisés qui servent à
Les grands salons ont lieu dans les cités des congrès ranger ou à se changer sont réduits au strict minimum.
ou les parcs d’exposition ; les petits ou moyens salons Dans les salons uniquement professionnels, l’espace des
– en termes d’étendue – se déroulent dans des lieux stands est organisé de façon à créer une intimité jugée
dont ce n’est généralement pas la vocation première – propice aux discussions ; on offre un verre de champa-
le cirque d’Hiver à Paris, des salles de conférences, des gne ou une « spécialité locale », on invite au salon.
monuments, des hôtels, des entreprises. Le salon peut Le salon du tourisme se visite. Les déplacements pour
être décrit comme la création d’un espace urbain arti- se rendre à un congrès ou un salon sont considérés
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circulation et des relations entre les représentants des la profession, on se sent solidaire » (discussions avec des
Régions, villes ou départements. Il représente virtuel- exposants du salon Tourissima en 1998).
lement des territoires, mais la forme prise par ce virtuel Ce sentiment d’identification collective est favorisé,
adopte la morphologie et les propriétés d’un territoire : en partie mais en partie seulement, par le fait que les
on peut se déplacer dedans, il se parcourt à pied, avec participants au salon du tourisme culturel sont dans leur
des arrêts et des retours, et peut devenir une promesse majorité des fonctionnaires, des élus et des chargés de
de rencontre. Le salon semble reproduire de manière mission de la sphère publique. Des personnes qui se
exacerbée la posture touristique : une visite rapide per- retrouvent de salons en séminaires, de colloques en ate-
çue à travers l’écran des images attendues et déjà connues liers, de cocktails en hôtels tissent des liens personnels
et, parfois, l’achat de « spécialités locales » qui consti- et partagent leurs expériences. L’échange entraîne la
tuent la preuve de la visite. Il réunit à la fois la prome- production de discours et d’images communs qui créent
nade dans les images et la réalité d’une visite dans un ou renforcent le sentiment d’existence d’une commu-
lieu qui n’a d’intérêt que parce qu’il représente un nauté professionnelle. De plus, la préparation du salon
« ailleurs ». et la location d’un stand sont coûteuses et exigent une
collaboration entre des collectivités, leurs organismes de
tourisme et des sites : pour louer un stand, il faut trouver
■ Le monde des coulisses des partenaires, inventer des « produits », établir une
image « cohérente » de sa ville ou de son territoire.
Commencé bien avant le jour de son inauguration, L’observation des petites communautés de « salonnards »
le salon ne se terminera pas le soir de sa fermeture au permet de mettre à jour la constitution de réseaux pro-
public. Il signifie des procédures d’inscription, avec par- ducteurs de valeurs qui existent à une autre échelle, dans
fois de longues négociations pour faire baisser le prix les réseaux de villes ou de collectivités locales et dans la
du stand ; une coordination entre différents services ou production d’un discours homogène sur les bienfaits du
structures pour l’achat d’un espace commun ; l’envoi tourisme culturel.
d’invitations aux clients potentiels ; la préparation et le
transport des documents ; le montage et le démontage
des stands ; l’attente du client pendant la journée ; ■ Atopie égalitaire, utopie performative
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réserve) » permet d’affirmer l’importance que l’organi- à Nantes en 1997 participait de sa politique d’accession
sateur entend donner à sa manifestation : locale, régio- au rang de « métropole touristique de seconde catégorie » 18, en
nale, nationale ou internationale, alors même que vue de la Coupe du monde 1998, puisqu’une partie des
chacun sait que les personnalités politiques conviées ne matchs s’y déroulait. C’était également un moyen de
seront pas effectivement présentes. Ce n’est pas le spé- solliciter et de structurer la profession touristique régio-
cialiste de la profession qui est attendu, mais la caution nale au prétexte de l’événement sportif.
politique. Ce positionnement peut se faire par défaut. Au salon du tourisme culturel de Nantes, le commis-
C’est ainsi que le commissaire général du salon profes- saire général annonçait, pour l’inauguration, la venue du
sionnel Top Résa de Deauville annonça publiquement, ministre de la Culture « (sous réserve) » et du maire de
en 1997, « qu’il n’invitait pas » Mme Demessine à venir Nantes, toujours « (sous réserve) ». Les élus effective-
inaugurer sa manifestation. Il exprimait ainsi le mécon- ment présents – le maire de Saint-Nazaire, l’adjoint à la
tentement des professionnels privés devant la nomina- culture de la ville de Nantes, le président du comité
tion d’un ministre du Tourisme femme, communiste, et départemental du tourisme et le président du comité
de surcroît originaire du Nord, région considérée régional du tourisme – parlèrent des bienfaits du « tou-
comme peu touristique. Cette non-invitation était aussi risme urbain et industriel », « cette locomotive de l’économie
un moyen d’apparaître sur la scène médiatique, puis- régionale ». Les discours se tinrent à l’intersection des
qu’elle fut relatée par la presse professionnelle et abon- stands de la Région, du département et du « pôle
damment commentée. Nantes-Saint-Nazaire » : il fallait que la presse et la télé-
Pour se présenter comme un marché, le salon du vision locales puissent prendre des images associant cha-
tourisme organise la fiction d’un espace déterritorialisé que élu au stand qui représentait « son » territoire.
et apolitique, toutefois l’inauguration montre qu’il est Espace commercial et lieu d’échanges presque exclu-
aussi fortement lié aux collectivités locales 16. Le choix sivement non marchands, non-lieu et espace de prati-
du lieu d’exposition – la ville et l’espace loué – dépend, ques et de constitution communautaire, représentation
pour l’organisateur, des relations qu’il aura nouées préa- du monde et atopie, lieu apolitique et politisé. Comment
lablement avec les élus locaux. L’organisateur va leur comprendre les paradoxes du salon ?
réclamer un soutien – économique, politique, commu- Si l’on observe les images exposées et les pratiques
nicationnel – pour choisir « leur » centre de congrès dans des visiteurs, le salon constitue ce que Marc Augé
« leur » ville. Ainsi, l’installation à Nantes du Salon du nomme un non-lieu : « L’espace des autres sans les autres »
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et en porte les valeurs et les images. La diffusion de ce touristique de l’identité, notamment urbaine. Dans une
discours s’opère de manière relativement indépendante perspective plus globale [Appaduraï, 1997], on pourrait
de la réalité des réussites commerciales pourtant mises donc analyser le salon comme l’un des éléments de
en avant pour justifier ce que nous proposons de nom- coproduction, de mise en scène et en circulation
mer la doctrine du tourisme culturel. Dans la tension d’« images identifiantes » [Augé, 1992] : salons, colloques,
entre non-lieu touristique et espace de pratiques poli- brochures touristiques, sites Internet, reportages télévi-
tiques et professionnelles, le salon représente finalement
les lieux qu’il expose. suels, littérature grise nationale et internationale, réseaux
Toutefois, l’efficacité du salon, ses finalités médiates touristiques, labels, guides touristiques, restauration et
et immédiates et ses effets divers ne pourront réellement illumination du patrimoine, discours sur les traditions
se mesurer que si l’on parvient à comprendre sa place locales, réinvention des fêtes folkloriques, tenue de fes-
dans un dispositif beaucoup plus large : la mise en image tivals, invention du « petit patrimoine » touristique 21. ■
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ABSTRACT
Exhibiting cultural tourism on trade fairs
On the basis of a survey carried out within the framework of a thesis work the author proposes a synthetic study of the Cultural
Tourism Fair in France. The trade activity is remarkable first of all for the scarcity of monetary transactions. By contrast, the participants
(visitors and exhibitors) aim at getting a maximum number of relational contacts. The fair is also a privileged place for the constitution
of a professional community and of great importance for local politics, too. Lastly the fair space is saturated with pictures of touristic
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ZUSAMMENFASSUNG
Ausstellung für kulturellen Tourismus
Auf der Basis einer im Rahmen einer Dissertationsarbeit durchgeführte Erhebung macht die Autorin eine synthetische Studie der
Ausstellung für kulturellen Tourismus in Frankreich. Die Handelsaktivität kennzeichnet sich zuerst durch seltene Geldtransaktionen.
Dagegen zielen die Teilnehmer (Besucher und Aussteller) dazu, möglichst viele Handelsbeziehungen zu gewinnen. Die Ausstellung
ist auch ein besonders günstiger Ort für die Schöpfung einer Berufsgemeinschaft und von grosser Bedeutung für die lokale Politik.
Schliesslich wird der Ausstellungsraum mit Bildern touristischer Orte überschwemmt. Die Autorin analysiert diese Bilder als ein
Idiom, das eine « performative Utopie » trägt. Aus dem Gesichtspunkt des Besuchers ist die Ausstellung ein « Nichtort », aus dem
der Aussteller ist sie ein Ort von Handelspraktiken.
Stichwörter : Nantes. Messe. Kultureller Tourismus. Patrimonium.