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Éric Todan

Les Aventures de Yogbo


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Yogbo et la Sorcière

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Il était une fois, dans un royaume, du temps où
les hommes, les animaux et même les plantes se
parlaient, un être bizarre appelé YOGBO. YOGBO
dans la langue fon signifie gourmand, insatiable. C’est
donc ainsi qu’on appelle tous ceux qui sont incapables
de s’arrêter de manger comme si un cheval, par un
coup de sabot leur avait creusé un grand trou dans le
ventre. YOGBO avait deux principaux défauts : il était
incapable de résister à la nourriture et n’était jamais
rassasié.
Ce jour – là, très tôt le matin, on entendit la voix
tonitruante du gongonneur qui ponctuait chaque
portion de phrase par deux coups de bâton nettement
assenés au gong géminé, de façon à obtenir kingo.
« A tooo… … kingo. Notre roi… … kingo. Celui
qui a mérité l’existence avant le monde kingo, celui
qui a mérité l’existence avant les arbres et les lianes de
la forêt kingo, celui qui a mérité l’existence avant les
animaux et les hommes kingo, celui qui ne mourra
point avant le soleil et la lune kingo, m’a chargé de

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vous dire que les premiers débris de vos cure-dents
kingo devront être crachés sous le grand baobab sacré
kingo. Si par malheur kingo, l’un quelconque d’entre
vous poussait son outrecuidance kingo à venir en
retard kingo, il donnerait du travail au Migan le
bourreau kingo. Que l’oreille qui a entendu kingo en
informe l’autre kingo gogogogo kingo).
Alors tout le monde se dépêcha d’être à l’heure
car à l’époque, tout retard à une réunion dirigée par
Dadasêgbo en personne était puni de mort.
Dadasêgbo, après seulement deux heures de
retard sur son programme à cause de l’urgence de la
question, arriva enfin et tout le monde se coucha par
terre par marque de déférence au roi. Ce dernier prit
la parole et s’exprima en ces termes : « Bien – aimés
sujets, asseyez-vous parce que l’heure est grave.
Ecoutez-moi bien. Au cours de la nuit, mes fétiches
m’ont prévenu d’un danger grave qui plane sur notre
royaume. Pendant trois nuits, un génie sous la forme
d’une femme circulera et invitera tout le monde à un
festin gratuit. Il s’agit d’un génie très maléfique doté
de pouvoirs immenses. Sa seule voix est capable
d’envoûter les grands sorciers. Alors, que chacun se
bouche correctement les oreilles et ferme portes et
fenêtres à double-tour avant de se coucher ».
Dadasêgbo répéta trois fois son discours pour la
première fois si tendre avant d’autoriser chacun de ses
sujets à renter chez soi. Arrivé à la maison, que ce soit
au niveau des animaux ou des hommes, chaque chef

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de famille fit une réunion spéciale pour mettre
l’accent sur la nécessité de se boucher les oreilles et de
fermer portes et fenêtres à double tour avant de se
coucher. Après cette réunion, les mères de famille le
répétèrent plusieurs fois aux enfants, les grands frères
aux plus petits et ainsi de suite. Il fallait résister juste
trois nuits.
Mais YOGBO ne l’entendait pas de cette oreille.
Comment peut-on refuser à quelqu’un d’accepter de
la nourriture ? Comment résister à de la nourriture
quand on s’appelle YOGBO et qu’on a le ventre
constamment creux ? Et le sien se creuse davantage
lorsqu’il entend parler de nourriture. En plus, il s’agit
certainement d’une nourriture bien faite, bien
assaisonnée !
Trois nuits de supplice ! Trois nuits à se laisser
martyriser les tripes à l’idée de savoir qu’il y a tout
près de soi de la nourriture non accessible.
Dadasêgbo exagérait certainement se dit-il. Ça ne
doit pas être si grave que ça. Mais alors pourquoi
Dadasêgbo aurait-il prévenu tout le monde ? « Ah ! Je
comprends, c’est pour pouvoir tout garder à lui tout
seul. Il n’y en a certainement pas assez pour tout le
monde. Ah il s’imagine que moi, je vais tomber dans
son piège ! C’est ce qu’on va voir ».
Bien que toutes ces idées déferlassent dans sa tête
à un rythme effréné, YOGBO ne put s’empêcher de
penser aux avertissements du roi dont la solennité
faisait peur. Alors il trouva la solution du juste

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milieu : « je vais, se dit-il, me boucher une oreille et
laisser l’autre ouverte ; fermer les portes et laisser les
fenêtres entrouvertes. Ainsi le son envoûtant entendu
à moitié consolerait mes tripes enflammés ». Ainsi dit,
ainsi fut fait. La nuit, Yogbo boucha une oreille et
laissa l’autre ouverte et attentive. Il ferma sa porte
mais laissa sa fenêtre entrouverte. Alors, il entendit
une belle voix qui chantait : « abobo é min dé mon
non du é dié min nan yi lé min nan yi lé ».
Au départ, bien qu’il eût envie de manger, Yogbo
essaya de résister. Il ne répondit donc pas à cette
provocation. Mais la voix reprit une nouvelle fois la
chanson : « abobo e min dé mo non du e die. min na
yi lé min na yi lé ».
“Ah non ! Mais ça c’est un défi !” se dit-il. Et si
c’est un défi, ça change tout. La chanson dit bien :
« voici le niébé dont personne n’est venu à bout. Qui
en voudrait ? » En plus il s’agit du niébé. Du bon
haricot chaud dont la seule odeur fait souffrir les
narines et les papilles gustatives.
« Et on dit qu’en manger va causer la mort ? C’est
ce qu’on va voir. Et puis d’ailleurs, il avait faim et
mieux vaut mourir d’avoir mangé quelque chose que
mourir de n’avoir rien mangé ». Alors YOGBO
entreprit de lui répondre en chantant : « a na yo bo yo
gbè wè a » ce qui signifie : « YOGBO aurait-il décliné
ton offre ? » Décliner une offre aussi alléchante n’est
pas YOGBO. Quelle est cette nourriture dont
YOGBO ne viendrait pas à bout ? Oui ! YOGBO qui

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avait déjà mangé des boyaux d’éléphant vivant, ce
n’est pas une marmite de Niébé qui va lui résister !
Il sortit en trombe et se jeta sur la marmite qui
martyrisait depuis longtemps sa cervelle, ses narines et
ses viscères car ces dernières, rien qu’à l’idée de savoir
qu’il y avait de la nourriture à côté, s’étaient mis au
travail à vide. Maintenant elles étaient satisfaites.
YOGBO s’empiffrait en bon goinfre. Tout en lui
mangeait : sa bouche, ses mains, sa tête, son ventre,
tout. Et à une allure vertigineuse. Il se demandait si
cette petite marmite qui pouvait nourrir à peine une
soixantaine d’hommes pouvait lui suffire. Il mangeait,
mangeait et mangeait. Mais à sa grande surprise, la
marmite qui était presque vide se remplit aussitôt et la
vieille fit d’une voix caverneuse : « Tu n’as même pas
commencé depuis ? » Elle se mit à le taper à l’aide
d’une chicotte ensorcelée. Inutile de vous dire que cela
faisait mal, très mal au point où YOGBO se roulait par
terre et se tordait de douleur. La vieille lui mit alors du
bon zomi, cette huile qui sentait très bon et qui en
ajoute au goût du abobo, et disparut. Et YOGBO se
remit à manger avec plus d’énergie. Cette fois il était
bien sûr de tout finir quand, … rebelote ; la marmite se
remplit à nouveau et, même scénario, il eut droit à une
correction hors normes. Et cela se passa ainsi, une fois,
deux fois, trois fois, plusieurs fois encore. YOGBO n’en
pouvait plus. Et il avait mal partout. Il profita de la
disparition de la vieille pour aller poser son problème à
un de ses amis très fort.

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Ce dernier lui proposa un gris-gris. Grâce à ce
gris-gris, YOGBO se transforma en maïs. Aussitôt le
grain de maïs fut avalé par une poule. La poule à son
tour fut avalée par un épervier et l’épervier par un
crocodile qui entra aussitôt dans le fleuve.
A son arrivée, la vieille s’énerva de ne pas voir
YOGBO à côté de la marmite. Elle consulta
rapidement ses esprits et se rendit au bord du fleuve.
“Crocodile, je t’ordonne de sortir de l’eau et de
me rendre ce que tu m’as pris”. Aussitôt dit aussitôt
fait. Le crocodile sortit de l’eau et vomit l’épervier,
l’épervier cracha la poule, la poule cracha le maïs et le
maïs redevint YOGBO.
Une fois encore, YOGBO fut battu et rebattu. Et
cette fois-ci c’était plus rude que les autres fois car il
perdit connaissance. La vieille lui remit de l’huile sur
le haricot et disparut de nouveau.
Au cours de sa petite léthargie YOGBO se souvint
d’un forgeron très ami à lui. Il se souvint aussi d’une
technique qu’il utilisait quant il se trouvait en face
d’un mets très grand qu’on ne peut pas manger par
morceau. Plusieurs fois déjà il avait eu recours à cette
méthode qui consiste à avaler tout simplement le mets
d’un seul trait. Il alla donc chez son ami le forgeron et
lui demanda de mettre dans la forge et de chauffer à
blanc deux barres de fer. Le forgeron s’exécuta et les
barres de fer devinrent très rouges.
Entre temps, la vieille l’ayant manqué auprès de la
marmite, consulta ses esprits et se retrouva à la forge.

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Les deux se retrouvent face à face et cette fois-ci
YOGBO était décidé à ne pas se laisser faire. Il regarda
fixement la vieille sorcière et l’imagina être un grand
méchoui de mouton. Aussitôt, ses facultés hyper
dégustatrices se mirent en branle et du coup, il avala
la vieille. Cette dernière étant dotée de pouvoirs
immenses se tourna, se retourna dans son ventre,
sortit par son anus et l’avala à son tour. YOGBO aussi
fit de même : il sortit par l’anus de la vieille et la
ravala. Et pour l’empêcher de ressortir, il s’enfonça
une barre de fer rouge dans l’anus et l’autre dans la
bouche. La vieille essayant de sortir fut cuite par le fer
rouge et ensuite digérée par le puissant estomac de
YOGBO.
Une fois encore, Yogbo s’en tire à bon compte car
il s’agit d’un être phénoménal qui ne meurt jamais.

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Yogbo et Tchoukou

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Il était une fois du temps où les hommes, les
animaux et même les plantes se parlaient, un être bizarre
appelé Yogbo. Yogbo était la personnification de la
gourmandise : oui, la gourmandise s’est fait chaire et a
habité parmi nous. Yogbo n’avait qu’un programme
pour meubler toute son existence : manger. Manger du
matin au soir et du soir au matin. Il s’agit pour lui d’une
règle qui ne souffre pas d’exception.
Ce jour-là, il était allé rendre visite à son ami
Tchoukou le chien. Il le vit en train de ranger
quelques affaires dans un sac. visiblement il
s’apprêtait à effectuer un voyage.
« Mon ami sincère, lui dit Yogbo d’une douce
voix, serais-tu en train de programmer un voyage
pour bientôt ? ».
« Oui, lui répondit Tchoukou, j’ai un ami qui fête
la mort de sa mère et qui m’a invité ».
« Ah ! fit Yogbo, comme c’est loin, je pourrais te
suivre ; comme cela, je t’aiderai à porter ton sac de
temps en temps ».

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Tchoukou accepta la requête sachant que, même
s’il s’y opposait Yogbo userait d’autres subterfuges
pour pouvoir s’y rendre, car rien ne l’empêche
d’atteindre son but quand la nourriture est en jeu.
Seulement, le départ est pour le lendemain et donc,
Yogbo décida de passer la nuit sur place. Il était
tellement pressé d’être à la fête qu’avant le lever du
jour il avait déjà réveillé 3 fois de suite Tchoukou lui
disant :
« Tchoukou, réveille-toi, on va être en retard et
ton ami va se fâcher ».
« Mais non Yogbo, il ne fait pas encore jour,
attends que le soleil se lève », lui répondait Tchoukou,
sachant très bien que Yogbo était pressé par
gourmandise.
« Maudit soleil, pensait Yogbo, pourquoi tarde-t-
il tant à se lever aujourd’hui ? Lui qui d’habitude se
lève si vite… on dirait qu’il fait exprès ». Le soleil se
leva enfin et les deux se rendirent à la fête. Enfin le
moment tant attendu. Pour commencer, Yogbo s’était
jeté sur le plat de Tchoukou et l’avait rapidement
avalé avant de manger le sien. Comme il n’était pas
rassasié, il se leva et alla s’asseoir ailleurs. Il fut servi
de nouveau et ainsi, mangea et remangea 2, 3, 4, 5, 6
fois de plus. Tchoukou quant à lui, resta affamé ce
jour-là parce que Yobo avait continué à avaler
systématiquement tous les plats qu’on avait mis
devant lui jusqu’au coucher du soleil. « Maudit soleil,
non seulement il tarde à se lever, il se couche très tôt

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et déjà nous devons quitter » murmura-t-il. Avant
leur départ, ils allèrent dire au revoir à l’ami de
Tchoukou leur hôte qui leur dit : « je suis très content
que vous ayez répondu présents à mon invitation et je
voudrais vous en remercier. Il y a dans la case d’en
face deux animaux différents. Chacun de vous devra
donc tirer au sort l’animal qu’il emportera ». Du
dehors on ne voit qu’une corde et une ficelle qui sont
chacune attachées à l’un des animaux enfermés dans
la case. « Mais le jeu est clair, se dit Yobo ! Une corde
aussi grosse ne peut être attachée qu’à un gros
animal ». Alors il se décida très vite de tirer au sort le
premier. Il tira donc sur la grosse corde. A sa grande
surprise, il découvrit qu’au bout de cette grosse et
rugueuse corde, il n’y avait qu’un minuscule cabri.
« Ah quelle idée d’attacher un cabri avec une si grosse
corde ? pensa-t-il. De toutes les façons, j’ai bien fait
d’avoir tiré le premier ; notre avare d’hôte a
certainement attaché la ficelle à la patte d’un écureuil
minuscule ou d’une chétive poule ». Tchoukou à
contrecœur et surtout parc qu’il n’avait pas le choix
tira sur la ficelle et une grosse vache sortit de la case.
Yogbo faillit en tomber à la renverse mais fut obligé
de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Sur le
chemin du retour, il se dépêcha de tuer son cabri et de
le manger car pour lui, « il ne faut jamais attendre et
manger plus tard mais plutôt manger et attendre
plus tard ». Comme tout cadeau, il offrit à Tchoukou
la langue du cabri. Au début, Tchoukou refusa, mais il

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le mit tellement en confiance qu’il finit par accepter.
Au fur et à mesure qu’ils avançaient Yogbo mangeait.
Quand il eut avalé le dernier morceau, il dit à
Tchoukou :
« Mon cher ami Tchoukou, je crois que j’aurai
besoin de ce que je t’ai confié ; rends-moi le morceau
de langue. »
« Mais, répondit Tchoukou, tu m’as dit de le
manger ! »
Ah bon ? Depuis quand ? Je veux mon morceau
de viande et tout de suite.
A sa grande surprise Tchoukou sortit de sa
bouche le morceau de langue. Connaissant bien son
ami Yobo, il avait pris soin de garder le morceau sous
sa langue au lieu de la manger.
« Mais non ! s’écria Yogbo, comment peux-tu
faire ça ? Mange-le ! Moi je blaguais ».
Et ils continuèrent leur chemin. Après quelques
kilomètres, Yobo s’arrête et dit : « A présent, j’ai
vraiment faim. Rends-moi le morceau de viande que
je t’ai confié ».
Une deuxième fois, Tchoukou lui sortit le
morceau de langue qu’il avait maintenu sous sa
langue. Cette fois-ci encore Yogbo refusa et lui
demanda de tout manger sans aucune inquiétude. A
présent, ils arrivèrent près d’une rivière. Comme tous
les deux avaient soif ils se désaltérèrent et, au moment
d’avaler la dernière gorgée d’eau, par mégarde,
Tchoukou avala le morceau de langue.

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« Mon cher ami Tchoukou, cette fois-ci, je n’en
peux plus ; donne-moi ce que je t’ai confié et que j’en
finisse ».
« Euh… c’est que… bégaya Tchoukou, au
moment où je buvais l’eau. je l’ai avalé »
« Tu l’as quoi ? » grogna Yogbo qui changea
aussitôt de mine. Comment peux-tu faire ça ? Avaler
ma viande, le seul morceau de viande qu’il me reste.
Ah, ça, tu sais ce qu’il te reste à faire ! »
Tchoukou connaissait bien Yogbo, c’est pourquoi
depuis le début, il évitait de tomber dans son piège. A
présent, que faire ? Il lui proposa d’attendre d’arriver
au village pour lui rembourser sa langue de cabri.
Mais comme je vous l’avais dit, attendre avant de
manger n’est pas Yogbo. Mieux vaut manger tout de
suite et attendre après. « Non, dit-il, je veux ma
langue de cabri et tout de suite. Sinon, je prends ta
vache à sa place ».
Ainsi dit, ainsi fut fait. Il tua la grosse vache de
Tchoukou et la prépara sur le champ. Très fâché,
Tchoukou quitta les lieux, la hargne au cœur à la
grande satisfaction de Yogbo qui s’empiffra
correctement. Ensuite, il prit le chemin du retour avec
le reste de la vache de Tchoukou. Il mangeait au fur et
à mesure qu’il marchait. Après quelques kilomètres il
vit au beau milieu de la voie deux yeux collés à la terre
qui le regardaient fixement. Il s’agit d’yeux tout ronds
enfouis dans la terre qui le dévisageaient, le scrutaient
à tel point qu’il prit peur. Il en avait déjà vu des choses

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dans sa vie, vaincu des obstacles, mais ça là, la terre
qui toise une pauvre créature inoffensive comme lui
Yogbo, il n’avait jamais vu ça encore. Il se mit à
trembler de tout son corps car la terre est une
avaleuse. Elle avale tout et même toutes les
générations. La mort se trouve en son sein. Alors que
faire ? Il valait mieux prendre par la voie de la
négociation. Alors Yogbo s’adressa à la terre en ces
termes :
« Chère aimée et adorable terre, je suis le pauvre
petit innocent Yogbo qui ne fait du mal à personne.
J’étais à une invitation avec mon ami Tchoukou qui
m’a abandonné. Il a fui avec toute la nourriture
pendant que je dormais. Pauvre de moi. A présent, je
rentre chez moi tout fatigué. Est-ce que je peux
passer ? »
« Yogbo, lui répondit une grosse et caverneuse
voix, penses-tu que je ne te connais pas ? Je suis au
courant de tout se qui se passe sur la terre. Toutes les
larmes que tu fais verser sans pitié tombent sur moi.
Dépose devant mes yeux le reste de la vache que tu as
arrachée à Tchoukou ».
Comment a-t-elle fait pour connaître tout ça ? se
demanda-t-il. Il se dépêcha de déposer une grosse
patte de vache devant les yeux de la terre mais ces
derniers continuèrent de la dévisager avec haine et
mépris.
« Ça y est, fit Yogbo, puis-je partir à présent » ?
« Tu n’as pas tout déposé, fit la voix caverneuse.

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Où est la tête sans langue de la vache ? » « Ah, la tête
sans langue de la vache ? se dit Yobo. Comment a-t-
elle fait pour savoir que la tête n’avait plus de
langue » ?
En effet, la terre sait tout ce qui se passe sur elle. Il
vaut que je remette tout si je ne veux pas qu’elle
m’avale. Il se dépêcha donc de rendre à la terre tout ce
qui restait de la vache de Tchoukou. En ce moment la
biche qui passait par là fut surprise de voir Yogbo
parler à la terre.
« Mais que se passe-t-il » ? demanda-t-elle.
« Je ne sais pas ce que j’ai fait à la terre et elle a
ouvert sur moi ses grands yeux au beau milieu de la
route. »
Aussitôt, la biche continua son chemin en
chantant : « Yo man so nan xo hwé dé tcho ku nin,
Yo man so nan xo hwé dé tcho ku nin. Gbé tè gbé
ayikoungban non houn nounkoun do yo. Gbé tè gbé
ayikoungban non houn nounkoun do yo ». Yogbo
fut pris de frayeur à l’écoute de cette chanson. « Ainsi
mes jours sont comptés parce que la terre écarquille
les yeux sur moi ».
Après la biche, l’éléphant passa. Mis au courant
de la situation, il fit la même chose que la biche. Il
continua son chemin en chantant. Que faire ?
Beaucoup d’animaux de la forêt passèrent. Aucun
d’eux ne comprit la situation et tous continuèrent leur
chemin en fredonnant la même chanson. « Pauvre de
moi se dit Yogbo, mourir si subitement. Les anges

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protecteurs de Tchoukou seraient-ils en train de se
venger sur moi ? Si seulement je pouvais le revoir, je
lui demanderais de tout me pardonner. Oui, pensa-t-
il, peut-être que demander pardon règlerait le
problème ». Alors il s’agenouilla et dit : « terre très
aimée et vénérée, je te demande pardon pour toutes
les larmes que j’ai fait tomber sur toi. A partir
d’aujourd’hui j’ai changé. Je jure de ne plus jamais
recommencer. Je jure de ne plus profiter d’une
nourriture mal acquise ». A cet instant, il entendit
une voix derrière lui. C’était Ohou l’os qui s’était
arrêté parce qu’il voyait pour la première fois Yogbo à
genou parlant tout seul. « Mais que se passe-t-il » ? lui
demanda-t-il. Yogbo lui raconta sa mésaventure et
aussitôt Ohou l’os pouffa de rire ; un rire à la fois
moqueur et énervant. « Donc toi Yogbo,
effectivement tu n’as rien dans la tête et tu ne
réfléchis qu’avec ton ventre. Comment la terre peut-
elle regarder quelqu’un ? Ah ! Tu es bête et tu n’es
même pas physionomiste. Regarde bien. Ces yeux-là
sont ceux de ton ami Tchoukou qui » … A peine
eut-il prononcé son nom que Tchoukou le chien
bondit de terre et se mit à la poursuite de l’os pour le
broyer.
Il continue d’assouvir sa vengeance à ce jour
n’importe où, en occurrence sur les tas d’ordures.
Quant à Yogbo, toute cette histoire lui a donné
faim. Il s’est aussitôt mis à manger le reste de la vache
de Tchoukou en attendant la prochaine aventure.

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Le groin du porc

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Il était une fois, Yogbo. Telle la houe est faite pour
cultiver la terre, yogbo est créé pour manger. Celui-là
dont je vous parle, est prêt à tout pour manger. Avant
de démarrer son programme de la journée, yogbo
mange ; après l’avoir fini, il mange. Et son programme
de la journée s’articule autour de trois points à savoir :
manger, manger et manger.
Ce jour-là, DADASSEGBO le Roi donnait une
fête, et qui dit fête dit bonne ambiance et nourriture
n’est-ce pas ? Yogbo était surtout intéressé par la
deuxième partie. Et pour être sûr de pouvoir profiter
de tous les mets comme cela se doit, il calcula bien la
trajectoire des repas, et alla se placer lui-même juste
après DADASSEGBO, car s’était-il dit, tous les mets
doivent prendre par là. Les choses se passèrent
effectivement ainsi et yogbo put dédouaner tous les
repas de moitié avant qu’ils n’atteignent les convives.
A la fin, une tête de mouton passa ; et comme ce n’est
pas sérieux de laisser passer la moitié d’une tête de
mouton, yogbo décida de la garder entièrement. Il la

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confisqua donc rapidement, et très habilement. Mais
le roi qui avait le coup d’œil facile, remarqua cela et
lui dit en se levant : « toi, tu me garderas cette tête de
mouton, et tu me la présenteras à mon palais, pour le
repas du soir ». Ah ! Quelle mission ! Garder de la
nourriture sans la manger ? En plus une tête de
mouton. Ohhhh ! Quel supplice que de garder de la
nourriture accompagnée de mort. Oui la mort, car
toute désobéissance à une injonction de
DADASSEGBO, qui a droit de vie et de mort sur tous
ses sujets, yogbo compris, était puni de mort. Et dans
un cas comme celui-ci, yogbo ne pouvait que
désobéir. Il lui fallait manger cette tête de mouton
pour ne pas avoir de remords à se faire plus tard. Oui,
il lui fallait être fidèle à ses principes et advienne que
pourra. Et puis d’ailleurs, puisque toutes ces
réflexions lui faisaient perdre du temps, et il avait
faim, yogbo décida de manger la tête du mouton et de
réfléchir après. Dès qu’il eut avalé la dernière
bouchée, ses soucis revinrent, mais pas pour
longtemps, car les gardes du Roi étaient déjà là.
Comme il ne se présentait pas au palais de lui-même,
le roi avait envoyé ses gardes le chercher. Du coup,
incapable de remettre la tête du mouton, Yogbo fut
ligoté, bien bastonné, et emporté devant
DADASSEGBO. Ainsi, s’énerva ce dernier, tu as une
fois encore désobéi à mes ordres. Cette fois-ci, ce sont
les dieux de la forêt sacrée, qui décideront de ton sort.
Qu’on l’emmène dans la forêt sacrée, et qu’il ne

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remette les pieds ici qu’après avoir donné trois coups
de hache au grand iroko sacré. Les gardes du roi
prirent donc Yogbo et le déposèrent à l’entrée de la
foret sacrée. Dès qu’il fit le premier pas, des lianes
entremêlées sortirent de nulle part et bouchèrent
toute issue de sortie derrière lui. Elles étaient si
épaisses et si étroitement enchevêtrées qu’elles
dissuadaient de toutes tentatives d’évasion. Au fur et à
mesure qu’il avançait, le chemin se fermait derrière
lui, comme si il n’allait plus jamais revenir. Le retour
ne lui serait possible, qu’après les trois coups de hache
au grand iroko sacré. Yogbo savait très bien que
personne n’était jamais revenu vivant de cette
épreuve-là. C’était donc une façon de le condamner à
mort, car, il s’agissait d’un arbre qui ne devrait pas
être coupé. Une fois à côté de l’arbre Yogbo, réfléchit
ainsi : si je donne un grand coup de hache à l’arbre,
j’aurai une grande punition, tandis que si je lui donne
juste un tout petit coup, les dieux pourraient me
trouver une circonstance atténuante. Yogbo donna
donc un tout petit coup de hache à l’arbre. Aussitôt
un aigle apparut miraculeusement de nulle part,
déploya ses grandes ailes, fonça sur lui et l’emmena
loin dans les airs puis le lâcha. Yogbo vint s’écraser
sur le sol et perdit connaissance. Quand il se réveilla
quelques heures plus tard, il avait tellement mal, qu’il
comprit qu’avec un second coup de hache, si petit
soit-il, il ne se réveillerait jamais. Et pourtant, il est
très résistant. Quelqu’un de moins résistant que lui

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serait mort sur le champ. Mais pourquoi pas ? Se dit-
il. Une idée lumineuse venait de lui traverser l’esprit.
Une idée qui allait lui permettre une fois encore de se
tirer d’affaire, et d’assouvir son éternelle faim. Yogbo
alla chercher un canari, y mit de l’eau puis le plaça sur
trois pierres disposées en triangle et fit un feu en
dessous qu’il se mit à attiser. Quelques instants plus
tard, un lièvre passa par là. Yogbo lui dit : je voyage, et
comme j’ai subitement faim, je me suis arrêté un
instant pour faire la cuisine. Voudrais-tu partager ce
repas avec moi ? Très volontiers, lui dit le lièvre, qui,
justement, cherchait quelque chose à se mettre sous la
dent. Après quelques minutes passées à bavarder à
propos de tout et de rien, yogbo lui demanda :
Pourrais-tu aller me chercher des feuilles d’iroko pour
assaisonner cette sauce ? Il suffit pour cela de donner
un grand coup de hache à l’arbre et les feuilles
tombent. Il faut que le coup soit assez fort, si tu veux
qu’il y ait beaucoup de feuilles. Hum hum la sauce
sera douce tout à l’heure. Le lièvre, qui ne pouvait
refuser un si petit service après une aussi généreuse
invitation, se leva, et donna un grand coup de hache à
l’arbre. Aussitôt, l’aigle apparut, l’emmena loin dans
les airs puis le lâcha. Le pauvre lièvre vint s’écraser sur
le sol et mourut aussitôt. Yogbo le prit, le prépara, et
le mangea. C’était le deuxième coup de hache. Après
le lièvre, ce fut le tour de la biche. Après le coup de
hache, l’aigle l’emmena loin dans les airs puis la lâcha.
Elle connut le même sort que le lièvre. Yogbo la prit,

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la prépara, et la mangea. C’était le troisième coup de
hache. Aussitôt tous les sentiers devinrent visibles. Les
lianes entremêlées qui obstruaient tout passage se
redressèrent le long des arbres, et à présent, Yogbo
était libre de rentrer chez lui. Mais rentrer ? Pourquoi
rentrer ? Ah non. Pas maintenant qu’il vient de
trouver une nouvelle méthode pour manger a satiété.
Et en plus, il venait à peine de commencer. Ce serait
assez bête de ne pas pouvoir en profiter au maximum.
Yogbo décida donc d’attendre un peu et quelques
instants plus tard, il vit passer une panthère, une
grande et majestueuse panthère. Du coup yogbo
hésita et faillit y renoncer. Mais pourquoi ne pas
essayer ? Et puis, sa viande doit être succulente En
plus, comme il n’avait jamais mangé de viande de
panthère avant, il décida d’essayer. Il usa donc de la
même stratégie avec la panthère. Seulement, la
panthère était beaucoup plus robuste que les autres et
donc l’ascension fut plus difficile surtout parce qu’elle
se débattait. Pour stimuler l’aigle Yogbo criait : plus
loin, plus haut, encore plus loin. Arrivé à une certaine
hauteur, l’aigle lâcha sa proie qui vint s’écraser de tout
son poids sur le sol. Était-elle vraiment morte ? A
cette hauteur, et vu sa robustesse, rien de moins sûr.
Yogbo s’arrêta donc à une distance respectable et
lança : chère panthère, si tu es vraiment morte, bouge
la queue. La panthère n’est pas bête, comme elle
voulait prouver à yogbo qu’elle était morte, elle
bougea la queue. Yogbo comprit ce que vous avez

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compris, et fit un pas en arrière avant de lancer à
nouveau : moi, je n’ai jamais vu une panthère morte
qui ne soulève pas sa patte gauche. Comme la
panthère tenait vraiment à convaincre yogbo de sa
mort, elle souleva sa patte gauche. Aussitôt, yogbo se
mit à fuir à toute vitesse pour prendre de l’avance.
Pendant quelques secondes encore la panthère garda
les yeux fermés, espérant que yogbo s’approche pour
qu’elle lui saute dessus. Mais yogbo était déjà très loin.
Dans sa course, il rencontra la tante de la panthère qui
vendait des beignets à cote d’un trou : mais ce trou est
une cachette idéale, se dit-il. « Mais, mon fils,
pourquoi coures tu autant »? lui demanda la
vendeuse. « J’ai faim, donne moi un beignet, je ne
pourrai bien parler qu’après ». Apres le premier
beignet, il avait toujours faim, et sa faim s’aggravait au
fur et a mesure qu’il avalait les beignets. Quand il eut
tout avalé, il poussa la tante dans l’huile et la mangea à
son tour puis prit un couteau et alla se cacher dans le
trou.
Quant à la panthère, elle s’était déjà réveillée
depuis, et, s’étant rendue compte de l’absence de
yogbo, l’avait cherché en vain. Elle sollicita donc l’aide
de AGLOUZA le porc. AGLOUZA avait un très long
groin qui fonctionnait à la manière d’une pendule et
donc, AGLOUZA était capable de tout retrouver. La
panthère se lança donc dans les recherches aux cotés
du porc qui enfonçait son long groin dans les coins et
recoins même les moins enviables. Arrivé à côté du

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trou, il y enfonça son long groin, et aussitôt yogbo le
coupa en deux. La douleur fut si forte que AGLOUZA
poussa un cri strident et s’enfuit suivi de la panthère.
A ce jour, il continue ses recherches avec son groin
devenu plus court.
Quant à yogbo, il est déjà sorti de son trou depuis
et à présent est à la recherche de quoi manger.

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ISBN papier : 978-2-332-92027-0


ISBN pdf : 978-2-332-92028-7
ISBN epub : 978-2-332-92026-3
Dépôt légal : juin 2015

© Edilivre, 2015

Imprimé en France, 2015

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