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Khaldoun »
1
L’identité en devenir
Manel Aloulou
Assistante à l‟ISMAG
Nihel Lehyani
Assistante à l‟ISMAK
Nouba Saguer
Assitante à l‟ISAMS
Moufida Ghodbane
Maître-assistante à l‟ISBAN
Zouhé Chaibi
Assistante à l‟UIK
Meriam Ferchichi
2
Captation de performances et mise en espace des images P 100
Tharouet Saadi
Assitante à l‟UIK
Assistante à l‟UIK
Assistante à l‟ESSTED
Fatma Derouiche
Maître-assistante à l‟ISBAS
Hanène Mathlouthi
3
Assistante à l‟UIK
Kmar Kallel
Assistante à l‟UIK
Ferdaws Belkadhi
Maître-assistante à l‟ENAU
Assistante à l‟ISMAG
Anis Allouche
Assistant à l‟ISAMS
4
Le design événementiel dans le lieu patrimonial pour une trace P 238
durable
Ahlem Bouhlel
Designer chercheur
5
L’identité en devenir
6
L’installation fractale à l’épreuve du temps
Manel Aloulou
Assistante à l‟ISMAG
7
l‟élaboration de l‟abstraction fractale en matière d‟art, où l‟art fractal
présente une nouvelle idée de l‟espace : aussi bien tridimensionnel que
bidimensionnel. Le champ de ces deux pratiques s‟est développé et a connu
plusieurs ouvertures et dimensions plastiques. Il était frappant que le
phénomène de l‟abstraction fractale traverse la création des artistes et le
travail continue, évolue clairement, surtout dans l‟espace extérieur, naturel
où l‟inspiration fractale est appliquée à la sculpture, aux dispositifs
tridimensionnels et aux installations. Ces pratiques s‟expliquent par une
grande diversité de méthodes de réalisation et d‟hybridation. Ceci nous a
vivement interpellées, c‟est la raison pour laquelle nous avons orienté notre
recherche vers l‟œuvre fractale, comme principe générateur d‟espaces
tridimensionnels. Cette nouvelle science de la théorie des chaos étudie le
désordre du monde invisible de la vie cellulaire et des formes fragmentées
qui semblent être partout : C‟est la puissance qui porte en elle, de façon
originairement indistincte, l‟ordre, le désordre et l‟organisation. En effet,
les structures fractales envahissent le monde, elles sont très variées. Une
fractalité géante qui concerne les chaos, les êtres humains et qui dépasse
toute régularité et toute symétrie. C‟est dans le cas de contemplation où
s‟inscrit une relation intellectuelle et affective au monde dans lequel nous
vivons.
L‟un des champs propices à l‟étude de cette dernière analyse, est les
formes biomorphiques que je considère, tout le long de cette recherche,
comme origine à l‟œuvre. Ces derniers ont pris en charge l‟idée de la
création par l‟écriture biomorphique tout en se désignant à travers une
adaptation de la cellule biomorphiques, et une nouvelle perception de
l‟espace cellulaire. Le fait de présenter un nouveau caractère d‟œuvre, tout
en impliquant une intervention et un regard plastique à la profondeur de
l‟espace cellulaire de notre corps, celle-ci suppose un changement et un jeu
esthétique avec l‟espace qu‟il occupe. Quand on parle de l‟espace, il est
nécessaire de l‟analyser d‟un point de vue poïétique et phénoménologique.
Dans ce sens, Merleau Ponty annonce que penser, c‟est établir un chemin
dans l‟espace. Aussi, a-t-il affirmé aussi que « l’’espace n’est pas le milieu
(réel ou logique) dans lequel sont disposées les choses, mais le moyen par
lequel la position des choses ou de le concevoir abstraitement, comme
caractère qui leur soit commun, nous devons le penser comme la puissance
universelle de leurs connexions »2. Grace à ce pouvoir, nous pouvons
exercer la diversification du regard porté au monde cellulaire. Ce monde
2
Maurice MERLEAU PONTY, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, France, 1945, p
281.
8
entretient une relation perceptuelle indéterminée, flottante les fragments et
les formes constituants de ce monde.
Ce pouvoir suggère le dynamisme de la complexité perceptuelle des
formes biomorphiques du monde cellulaire. Faisant mien ce trait d‟esprit,
je me suis engagée vers une logique amnésique qui s‟impose dans ma
recherche, comme une force de l‟inconscient. Ce dernier cède souvent pour
le réfléchir. Mon retour aux champs biomorphiques est un retour qui tient
compte des règles de la raison et des logiques gérant mon travail. Mon
regard plasticien de la vie cellulaire s‟avère comme une transition qui fait
interférer un monde intérieur et un monde extérieur.
La recherche dans l‟espace biomorphique se définit comme un voyage
dans le temps. Il s‟agit d‟une expérience qui renvoie vers une autre, latente,
pour que je parle d‟un retour au monde invisible de la vie cellulaire. La
marche au sein de ce monde invisible se présente, à moi, comme une
source de rêve et comme un fantasme. Ces derniers semblent être, dans ma
démarche, comme une force de création. L‟engagement de tout mon corps
dans le travail me fait entrer dans une relation très intime avec le monde
biomorphique. Il ne s‟agit pas d‟une simple relation physique, il s‟agit
d‟une relation qui touche à mon inconscient, à mon coté psychique pour
développer un espace biomorphique qui traite les modalités de l‟art de
l‟installation, de ses enjeux communicationnels et de sa mise en place, tel
qu‟un lieu de création, d‟accueil et de rencontre.
Depuis la fin des années 1960, l‟attitude envers le spectateur est
considérée comme le fruit de l‟introduction de modèles conceptuels, issus
notamment de la psychanalyse, dans la création artistique et dans la
réflexion sur l‟art. Ce type d‟art transgresse la fatalité de la
bidimensionnalité en la transformant en une installation pénétrable qui
inaugure une nouvelle esthétique de la réception.
- Si la multidisciplinarité et la pluralité de l‟art renvoient à
l‟installation, à quelle œuvre peut-on attribuer ce terme
d‟installation ?
L’installation comme forme de représentation de l’espace biomorphique
est « une discipline inépuisable, souvent héroïque par ses dimensions,
parfois spirituelles et subversives »3. Elle constitue l‟un des modes
d‟expression les plus fertiles de la création contemporaine, qui aboutit à
une théorie esthétique de l‟œuvre. Regarder la vie des cellules c‟est à mon
sens, l‟appréhender comme un espace de la réalité, renvoyant vers un
3
- ARCHER Michael, Installation de l’art en situation, Thomas and Hudson, 2000, p.13.
9
monde de l‟imaginaire. Mes observations me font entrer dans une relation
fort intime avec la morphologie du monde cellulaire. Je m‟approche d‟elle
et c‟est elle, parfois, qui me contraint à encore m‟approcher. Ces
observations m‟invitent à m‟engager corps et âme avec elle.
Bref, la problématique présentée pour participer à ce colloque aura pour
objectif d‟exploiter la démarche de ma recherche. S‟articulant autour de la
poïétique de l‟installation, ma pensée profitera des interprétations et des
analyses mettant en rapport le corps, la paroi et le pénétrable. Il s‟agit d‟une
recherche qui aborde d‟extraire les significations d‟un projet d‟écriture
biomorphique et sa réalisation visuelle qui a posé un problème
d‟identification esthétique. C‟est l‟espace biomorphique qui apparait
comme composante essentielle. Celle-ci est pratiquée par le spectateur-
visiteur qui a ignoré un nouveau type de poésie selon l‟espace visuel d‟une
complexité fractale. Dans se sens, il me semble fondamental de développer
une pratique qui se réalise avec et dans l‟espace : un espace qui donne une
occasion visuelle au spectateur, une modulation espace-temps, tout en
créant plusieurs espace fluides à circulation libre. La réflexion engagée
dans cette recherche me permet de créer des contacts renouvelés avec le
public en vue de modifier le lieu de réflexion sur les conditions de
réception de l‟œuvre. L‟essentiel a été présenté par le développement des
enjeux de l‟espace pénétrable de l‟installation, faisant du spectateur une
composante essentielle.
Cependant l‟idée de la création m‟a lancée au sein d‟une recherche
pratique. Celle-ci m‟a permis de montrer les surgissements d‟une œuvre
parfaitement nouvelle pour qu‟une installation éphémère en extension
spatiale prenne forme, engendrant une trace visuelle et une nouvelle
expérience du corps
- Comment la matière participe-t-elle à la construction de la
poïétique de l‟installation à travers la plasticité de l‟espace
biomorphique ?
- Dansquelle mesure la structure cellulaire du monde biomorphique
présente-elle la métamorphose d‟un espace pénétrable ?
A ce niveau, je commence à vous présenter mon expérience pratique à
travers ma recherche plastique
10
L’installation Pénétrable I et Pénétrable II 2014
4/4m - H : 2m
Techniques mixtes
Socle en fer, peinture, vitrail et matière transparente
11
indéfinissable, elle change selon la luminosité, tantôt pleine, tantôt forme
ou opalescente. Les seules sensations que nous pouvons déchiffrer, ce sont
des sensations tactiles. Cette pratique propose une nouvelle expérience du
corps. A partir des déplacements fournis par le corps, ce dernier découvre
le principe de révocabilité entre extérieur et intérieur. Ainsi, le potentiel de
la transformation et de la transfiguration qu‟offrent les formes de la
réalisation, se présentent sous forme d‟une constante mutation, une
mutation qui est à la fois imposante et fragile.
Il s‟agit réellement d‟un ensemble de tiges de collant remplies de matière,
qui sont accrochées et suspendues au plafond, descendent vers le sol. Ces
tiges ont formé de deux constructions que j‟ai appelées « Pénétrable I » et
« Pénétrable II ». Chaque construction est haute de plus de deux mètres et
large de quatre mètres. Les deux constructions «Pénétrable I » et
«Pénétrable II » sont situées l‟une à coté de l‟autre. Toutes les deux
construisent un travail continu de deux mètres de hauteur et huit mètres de
largeur. Ainsi, la lecture de ces deux constructions peut être continue. Ces
formes ou ces pendules en matière donnent le plaisir de regarder à
l‟intérieur malgré qu‟elles se soient des formes fermées que notre regard
pénètre pour voir de près autre chose au-delà. Les tiges de la construction
de ce travail, sont installées au milieu de la palais Abdellya, incitant les
visiteurs à la traverser.
C‟est une installation suspendue du toit et composée des formes de tissu
transparent et souple. Ces formes qui sont remplies de matières
transparentes confèrent à l‟œuvre une dimension multi-sensorielle. Ce que
je veux montrer, c‟est, par les moyens de la peinture, la force énergétique
de l‟espace ; il s‟agit pour moi, en quelque sorte, de l‟apprivoiser. Si ma
peinture est devenue pluridimensionnelle, c‟est parce que le mouvement
n‟existe pas en deux dimensions. L‟idée de volume virtuel, qui me
préoccupe beaucoup, est aussi en soi quelque chose de philosophique,
comme tout ce qui est virtuel, puisqu‟elle supprime le lien direct à l‟objet.
En ce sens, il s‟agit de quelque chose d‟irréel et non seulement d‟une
nouvelle réalité. Celle-ci participe à créer une relation entre le lieu
d‟exposition et l‟œuvre. En d‟autres termes, cette pratique crée une tension
entre deux éléments qui se trouvent au sein même de l‟œuvre : c‟est la
matière souple et la gravité qui s‟opposent : à la transparence de cette
matière, à la taille imposante à cette pratique et à la fragilité de la matière
utilisée. La façon de disposer des éléments qui constituent cette réalisation
permet au spectateur de pénétrer et d‟appréhender l‟œuvre sous tous les
angles.
12
Fragment de l’installation
Pénétrable I
2014
4/4m - H : 2m
Techniques mixtes
Socle en fer, peinture vitrail et matière transparente
Il s‟agit d‟un espace où toutes les connexions sont possibles, réelles comme
virtuelles, dans un mécanisme d‟arrangement transparente des formes qui
laissent tous les temps, tous les événements visibles. Le but principal de ce
genre de pratique, reste toujours de faire entrer et participer l‟individu et le
spectateur en interaction avec mes formes biomorphiques. « Les unes et les
autres habitent l’espace d’une manière analogue et sans doute, pourrons-
nous, en les interrogeant, voir de quelle manière elles sont une manière de
pénétrer la réalité, c’est-à-dire de mieux comprendre notre situation de
conscience-corps dans l’espace»4. Ainsi, le spectateur participant peut les
toucher et les déplacer. L‟objectif principal est donc d‟investir l‟espace,
tout en lui donnant un sens grâce bien sur, à la forme de son installation.
Le spectateur-visiteur peut s‟approprier l‟espace et par conséquent donner
un autre sens à l‟œuvre, tout en donnant sa propre interprétation. Par la
suite, nous pouvons dire que cette pratique est le fruit d‟une démarche qui
donne sens à différentes interprétations. Nous pouvons percevoir ce genre
de réalisation dans la retranscription minimaliste et abstraite du lieu, malgré
qu‟elle soit : d‟une part remplie de sens et de symbole et d‟autre part,
4
Eugénie de Keyser, Art et mesure de l’espace, Ed Charles Dessart, 1970, p.11.
13
l‟interaction entre visiteur et œuvre n‟est pas seulement physique mais
aussi spirituelle.
Fragment de l’installation
Pénétrable I
2014
4/4m - H : 2m
Technique mixte
Socle en fer, peinture vitrail et matière transparente
5
Ariel Jiménez, Conversaciones con Jesús Soto/Conversations with Jesús Soto, Caracas, Fundación
Cisneros, 2005, p. 174. [Notre traduction].
14
à la fois le monde intérieur du corps et la peau qui immobilise ses
frontières. De cette manière la pratique réalisée incite à une nouvelle
lecture de l‟espace.
Fragment de l’installation
Pénétrable I
2014
4/4m - H : 2m
Techniques mixtes
Socle en fer, peinture vitrail et matière transparente
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notions d‟espace et de corps. En fait, la forme et le contour se présentent
définis lorsque la matière est étirée dans l‟espace pour montrer la légèreté
de la masse. Cette matière translucide, flexible et épidermique privilégie
l‟immersion sensorielle du visiteur pour donner à penser le passage du
temps et la fragilité des mondes. C‟est une réalisation qui peut être habitée,
traversée, ressentie et même sentie, et permet au spectateur de pénétrer
l‟œuvre pour expérimenter, par son propre corps, ses sens et son esprit.
En se voyant émergé entre les formes de matières suspendues, le visiteur
interagit avec les autres spectateurs qui pénètrent l‟œuvre. Nous pouvons
dire par la suite que cette pratique appelle à la sensualité, à la corporalité et
à la réflexion. Il s‟agit réellement d‟une expérience de couleur, d‟émotion,
d‟événements sensoriels et de langage. Cette pratique évocatrice constitue
des formes biomorphiques ou organiques qui nous enveloppent, le temps
que nous y pénétrons dans un univers de sensations. Elle est organique
parce qu‟elle désigne le point de vue de la vie.
Cette participation utile est d‟ailleurs l‟un des refrains de l‟art
contemporain. « Il est vrai que l’art vivant nous intéresse directement, car
il est étroitement lié à nos rapports personnels avec les choses, à notre
manière actuelle de vivre dans l’espace »6. C‟est l‟art de la participation
qui évoque des installations pénétrables et qui présente au public des
réalisations, comme véritables expériences. La relation de base aux choses,
c‟est de toucher autant qu‟à sentir. La réalisation est en soit quelque chose
qui a beaucoup à regarder avec le tactile. « Il fallait rendre accessible la
cohérence des choses, révéler la valeur véritable des corps, des objets,
leurs rapports entre eux, et cela de la manière la plus immédiate, par le
regard»7. Celle-ci participe à développer d‟une part un espace qui engendre
un état de réflexion silencieuse, et d‟autre part, d‟entrer en contact avec son
propre corps. Cela nous permet d‟accéder à une certaine libération sociale
qui nait par la surprise qui prouve cette expérience.
Tout cela permet de voir les éléments qui constituent l‟œuvre comme
corps spatial, le sol comme espace, lieu où l‟environnement devient un
environnement qui met en évidence l‟espace biomorphique, la gravité se
présente comme pensée physique qui crée une relation avec la puissance de
la matière transparente. Cette dernière donne un équilibre de tension des
pouvoirs et donne aussi une relation des énergies. De cette manière, la
gravité reste toujours le pont d‟évanouissement de notre conception de
l‟espace.
6
Eugénie de Keyser, op cit, p.10.
7
Eugénie de Keyser, op cit, p.11.
16
Notre regard est tendu dans une réalisation qui pendrait place dans
l‟espace vide : les éléments qui constituent cette réalisation se développent
comme un organisme de contact. Tout cela est intéressant pour l‟étude une
relation complémentaire ou une combinaison de relation entre deux
éléments qui sont : le corps et ses harnachements. Ceci «fait allusion à un
vivant, généralement à un être humain, et cette vocation est si forte en
pleine période d’abstraction»8.
Voila comment nous pouvons déchiffrer la base de ce travail. Toutes les
pièces seront suspendues et ne trouveront l‟identité de leur forme que dans
l‟équilibre, résultant d‟un combat entre gravité et matière. Un organisme
cellulaire et vivant nait de la tension exercée par la masse de matière
vibrante, transparente et fluide sur le collant-peau. Un frémissement et un
chuchotement de vie sur une peau qui reste l‟ultime limite entre le
spectateur et toute autre chose. « Des volumes asymétriques dont
l’équilibre fait naitre de multiples tensions. La masse reste compacte mais
le lieu n’est pas simplement occupé par la statue. Le dynamisme de celle-ci
exige, pour déployer toutes ses virtualités, un espace qui peut être
considérable»9.
L‟installation réalisée représente le monde invisible et cellulaire de notre
corps et elle le rendre visible. Devant cette opposition entre le visible et
l‟invisible, passion et raison, l‟être s‟expose au monde. Notre corps
représente le désir et l‟énergie en mouvement qui s‟attache à toutes formes
possibles de la vie humaine. Celle-ci crée un conflit entre matière et
culture.
Cette réflexion nous a conduits à déchiffrer notre perception de
l‟écoulement du temps, tout en le présentant comme signe de la conscience
rationnelle que nous avons déjà constituée à base d‟une ultime installation
pénétrable. Ce dispositif aux multiples facettes, invite le spectateur à une
expérience sensorielle intense. Une installation de pièces suspendues,
fragiles et imposantes qui nourrissent une œuvre poétique riche et
inclassable. Une œuvre au sein de laquelle l‟organique à l‟œuvre, montre le
sens, au cœur de l‟expérience artistique. Ces pièces organiques qui sont en
apesanteur, à l‟échelle des lieux, amènent les spectateurs vers un voyage
intérieur.
8
Eugénie de Keyser, op cit, p.29.
9
Eugénie de Keyser, op cit, p.125.
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Fragments de l’installation
Pénétrable II
2014
4/4m - H : 2m
Technique mixte
Socle en fer, peinture vitrail et matière transparente
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se produisent entre le visiteur et la sensibilité, inhérente au lieu
d‟exposition. Cette relation fonctionne alors comme une frontière, elle
admet aux visiteurs de percevoir son processus d‟installation et de création.
Les modèles et les formes organiques de cette pratique, dégagent et
proposent une impression de fragilité et de sensibilité. Ces derniers flottent
au-dessus du visiteur qui se trouve complètement englobé par l‟installation.
Cette dernière le sollicite physiquement (toucher, utilisation) et
psychologiquement pour qu‟elle devienne par la suite un espace interactif
et contemplatif. Celui-ci pose des questions complexes d‟équilibre, de
gravité et de tension afin de rester bien sur debout. Pour cela, je peux dire
que mes espaces pénétrable I et pénétrable II se construit à base de
formes et de volumes biomorphiques souples et mi-corporels qui
emplissent l‟espace de la réalisation. Les visiteurs savent les toucher, les
traverser, d‟appuyer et même de marcher à l‟intérieur de l‟œuvre. La
matière déterminante de ma recherche enveloppe les collants. Ces formes
enveloppés ont participé à créer des volumes translucides qui transforment
le lieu et l‟espace de l‟exposition. Cette forme de travail peut être
considérée comme une expression de l‟art abstrait, puisque leur interaction
avec le spectateur, leur confère un autre niveau d‟interprétation.
Ce travail se manifeste dans un lieu comme un espace organique
pénétrable, il s‟agit d‟un travail crée pour être appréhendé physiquement,
tout en traversant des volumes à éprouver pleinement. L‟espace de l‟œuvre
appelle à la sensualité et à la corporalité. Cet espace offre une ample
représentation de ses créations. De cette façon le spectateur peut s‟évader
du quotidien, arrêté de respirer et de penser directement à la vie. Par la
suite, notre regard passe à percevoir le monde avec notre corps dans sa
spatialité plus que dans la limite du champ visuel.
En utilisant un mélange de matériaux passant de l‟état liquide à l‟état
solide, j‟ai essaye de figer des gestes et des moments dans un espace temps
donné. La matière utilisée renferme son propre existentiel, ainsi que sa
propre temporalité au delà de son champ de présence. De cette façon, la
perception humaine s‟oriente, non seulement dans sa façon et manière
d‟être au monde, mais aussi de ses mutations internes.
Généralement mes questions sont d‟ordre esthétique. Je pense à la
matière, à l‟espace et parfois à sa forme, mais réellement c‟est la matière
qui pense et impose ses qualités externes. Mon langage pratique de la
biomorphique m‟a amenée à réfléchir à des idées et à des questions de
forme et d‟espace. Je peux parler de la continuité de mon travail et du
développement de mon vocabulaire plastique, tout en observant la
19
morphologie cellulaire de notre corps, et tout en analysant mon processus
de travail.
Le mélange de couleur-vitrail, qui se nuance à l‟impression de la lumière,
fait ressortir les effets de la matière, qui rappelle, tantôt un microcosme, et
tantôt un macrocosme. Un jeu d‟échelle et de couleur se présente dans
lequel le regard du visiteur peut chercher, se poser et même transcender
l‟espace. La fluidité des couleurs emplit la surface et le vide d‟un espace
vierge et transparent. Cette fluidité vient se figer et se fixer selon un arrêt
du temps physique dans la fixation de la matière.
C‟est au sein de ce genre de pratique que se présente le rôle du spectateur
pour faire créer un lieu visuel entre la matière et les formes réalisées.
Celles-ci lui permet par la suite de comprendre les enjeux perceptifs de ma
réalisation pratique. Ce type de réalisation présente une sorte de relation
entre l‟art et le vivant. Le visiteur est invité à trouver son propre rythme. Il
est censé circuler dans l‟espace entre les formes. Ces dernières jouent sur
l‟alternance du plein et du vide, sur la surface et la profondeur, sur des
lignes et des courbes, et aussi sur les oppositions des couleurs vives. Une
certaine énergie optique, vibrante et linéaire, émanent de ces formes
tendues dans l‟espace. Cette pratique tente de faire un rapprochement
formel avec l‟Optical. Venant de l‟univers biomorphique, et se trouvant
dans les arts plastiques, ce parcours de passage participe à intégrer
totalement le corps du spectateur et ses déplacement dans l‟espace. Tout
cela, c‟est pour jouer avec des modulations infinies de la lumière qui joue
sur la sensibilité du spectateur.
- Dans quelle mesure l‟interactivité entre l‟œuvre et le public
bouleverse-t-elle les statuts de l‟œuvre, du spectateur et de
l‟artiste ?
Par le principe de l‟interactivité, nous pouvons constater que l‟œuvre
interactive peut toucher le spectateur et le bouleverser. Par la suite, nous
pouvons constater que le spectateur est responsable de faire évoluer
l‟œuvre. Il est même partie intégrante de l‟œuvre, car c‟est lorsqu‟il se voit
dans le viseur, que le sens extrême est dévoilé. Le spectateur fait évoluer
l‟œuvre. Celle-ci fait établir un dialogue entre les éléments constitutifs de
la réalisation et des spectateurs. Cette communication présente le centre de
l‟œuvre. C‟est une communication qui se produit entre le spectateur,
l‟œuvre et l‟espace. Une communication entre le monde réel et le monde
virtuel. Cette dernière présente la relation extérieure au travail, elle est
toute en relations, intérieures et extérieures.
20
Par ce type d‟interactivité communicative entre les éléments qui
constituent le travail et le spectateur, nous pouvons prouver un nouveau
type de spectateurs, c‟est le spectateurs-acteur. Par la suite, cette
communication interactive demande, non seulement la présence du
spectateur, mais essentiellement son action. Cette interactivité participative
de l‟œuvre fait du spectateur-acteur, l‟auteur de l‟œuvre. Pour cela, le
spectateur fait partie de l‟œuvre, il n‟est plus passif mais au contraire il est
actif. Il est l‟auteur, et parfois il devient même le producteur de l‟œuvre.
L‟œuvre n‟est plus une réalisation finie, elle se présente d‟une manière
différente avec chaque type de spectateur. Un spectateur-acteur et une
œuvre-expérience sont la base d‟une représentation contemporaine. Par
cette démarche, nous pouvons dire que cette recherche est passée de la
représentation du vivant à la représentation des comportements du vivant.
Dans mes installations Pénétrables I et Pénétrable II, les collants
enveloppés par la matière sont suspendus dans l‟espace à hauteur de la
vision pour que le spectateur puisse vraiment plonger le regard dans la
matière. J‟ai utilisé les collants comme support pour la matière, d‟une part,
parce que c‟est une matière déformable, souple qui permet d‟avoir des
effets de transparence, et d‟autre part, parce que je vois que le collant
comme matière qui renvoie à la paroi, au corps et même à la peau, la peau
dans son aspect matériel et même tactile. Le fait d‟avoir utilisé « les
collants » pour suspendre la matière, celle-ci renferme également l‟idée de
corps et de la peau qui sont comme la fonction entre l‟objet et l‟espace. La
rigidité des formes de matières obtenues est le résultat d‟une idée de jeu
entre le fluide et le rigide. Cette tendance de la matière suspendue a
débordé l‟espace et son rapport au corps avec ses forces de gravité. Une
gravité sans notion d‟équilibre, sans idée d‟espace-temps et aussi sans
matière et sans corps. Tout serait fluide et mouvant. Dans ce sens, je
m‟engage dans ma recherche à parler de la pesanteur de la matière dans
l‟espace. Ce type d‟installation qui est utilisée par la plus part des artistes
contemporains, produit directement un lieu de réflexion sur les conditions
de réception de l‟œuvre et fait du spectateur une composante essentielle.
Lorsque l‟art devient situationniste, transactionnel, relationnel et vivant,
plusieurs types de questionnement s‟émergent. Ce genre de questions
apparaît quand le public est en situation, une situation qui lui permet d‟une
part, de se manipuler à travers de son corps et d‟autre part de s‟investir et
même de faire intervenir sa subjectivité.
Dans ce sens, du point de vue méthodologique, il me semble fondamental
de parler du Pénétrable de Jésus Rafael Soto qui est installé au Musée d‟Art
Moderne de Paris en 1969. En fait, les Pénétrable de cet artiste représentent
21
le meilleur exemple pour parler, d‟une part, du temps qui fait l‟œuvre et,
d‟autre part, des espaces et lieu déterminés.
La réalisation est formée à base de structures métalliques, où nous
trouvons divers fils de Nylon qui sont accrochés .En peignant les fils de
nylon, l‟artiste réussit à déchiffrer plusieurs formes en volumes. Le plus
important de ce type de réalisation c‟est que les gens sont capables de
pénétrer à l‟intérieur, de se frotter contre les fils, et de faire l‟expérience
d‟un espace formellement englobant et vibrant. D‟une manière tactile et
visuelle l‟artiste participe à la perception d‟un espace éphémère et
multidimensionnel.
Pour parler de la multi-dimensionnalité de l‟espace, il suffit de pénétrer à
l‟intérieur de la réalisation et de se laisser accommoder par des sensations
vibratoires et tactiles. Par la, nous pouvons constater que l‟implication
participative et corporelle du public exhibe un certain réconfort aux
problématiques art-public. Quand l‟art évolue vers l‟absolument
conceptuel, il se fonde sur des théories difficilement saisissables comme
par exemple : les règles de la participation visuelle, et les notions d‟espace-
temps humain… . De cette façon, seul le corps et la participation, peuvent
apporter l‟additif nécessaire à l‟art. Au niveau de cette dimension, nous
pouvons dire que le statut de l‟œuvre change, conjointement avec la
participation du public.
Réellement, cette vigilance, cette attention qui nous mène à l‟expérience
incarnée, représente des moments éphémères. Des moments qui vont de la
découverte à la maitrise. Ceci nous permet de découvrir des moyens
d‟action.
22
piégés et mis en défaut pour chercher l‟instabilité visuelle du spectateur.
Développant la pensée de Merleau-Ponty à partir laquelle « le monde est
autour de moi pas devant moi » l‟artiste montre que dans le pénétrable, le
spectateur fait vraiment partie de l‟œuvre. (…) le pénétrable est la
matérialisation de l‟idée qui a nourri ma pensée sur l‟état du plein total de
l‟univers par les relations. C‟est la révélation de l‟espace sensible éventuel,
tels que l‟énergie, le temps et le mouvement (…) l‟homme n‟est plus ici et
le monde là. Il est dans du plein, et c‟est ce plein que je voudrais faire
sentir avec des œuvres enveloppantes, il s‟agit de faire comprendre que
nous baignons dans la trinité espace-temps-énergie»10. Selon l‟échelle
d‟agrandissement de ce genre de réalisation pénétrable, nous pouvons dire
que ce travail s‟adapte essentiellement à l‟espace.
Dans ce sens, nous trouvons l‟exemple de l‟œuvre Richard Serra. Cette
dernière joue essentiellement sur la déambulation et l‟expérimentation des
limites du corps et de l‟espace. Ceci montre le mouvement physique et la
variété du spectateur qui animent les formes immobiles qu‟il crée.
23
essentielle de l’émergence d’un sentiment d’inquiétante étrangeté dans
l’incertitude intellectuelle… Mieux, un homme (…) sera sujet à recevoir
des choses ou des événements qui s’y produisent une impression
d’inquiétante étrangeté»11. Par ce genre de travail, nous sommes allés à
une réelle ouverture des formes invisibles du monde biomorphique. Ce type
de pratique permet l‟accès réel du spectateur à l‟intérieur de la réalisation.
Ce qui a pour but de faire céder la place pour l‟ouvrir et l‟interpréter à sa
manière dans un contact direct et intime. Celle-là offre au spectateur
l‟occasion de vivre cette ouverture des formes invisibles à partir de ces
différents niveaux. Cette ouverture que peut vivre le récepteur à l‟œuvre
présente une ouverture qui est « basée sur une collaboration théorique
mentale du lecteur, qui doit interpréter librement un fait esthétique déjà
organisé et doué d’une structure donnée, même si cette structure doit
permettre une infinité d’interprétation »12.Il apparait donc important de
donner à la même œuvre l‟occasion de se renouveler, non pas en fonction
du renouvellement de ses constituants et de ses éléments, mais plutôt en
fonction de son déplacement dans l‟environnement. Ce qui peut arriver aux
formes biomorphiques du monde cellulaire pour déménager, de l‟espace
fermé vers l‟environnement ouvert. Par la suite, nous pouvons s‟insérer
dans l‟espace ouvert. Ces formes constituent une création plastique que le
spectateur doit traverser pour s‟introduire à l‟intérieur des constituants de
l‟espace ouvert.
La présentation et l‟exposition de ma pratique doit être dans un lieu où il
y a l‟existence des gens qui passent pour remarquer cette œuvre imposante.
Dans cette perspective, nous pouvons parler des enjeux du pénétrable vue
l‟installation, puisque les divers éléments de l‟œuvre constituent un
environnement. Un environnement qui sollicite une participation et une
pénétration plus active du spectateur. Un spectateur qui s‟approprie l‟œuvre
à base de ses sens, et aussi par la capacité à créer du sens dans ce qu‟il voit.
Dans ce cas, nous pouvons aussi parler d‟installation, puisqu‟il s‟agit d‟un
travail réalisé dans et avec un espace temps. Par ce type de réalisation, j‟ai
voulu donner aux spectateurs une occupation visuelle, une modulation
espace-temps et un espace fluide à circulation libre. Le spectateur pendra
l‟œuvre, comme s‟il la visitait de l‟intérieur. Celle-ci se considère comme
environnement. On est dedans, à l‟intérieur et on n‟est pas en face, il n‟y a
plus de spectateur, il n‟y a que des participants.
Ce genre de recherche pratique nous mène à l‟Art cinétique. Cette
recherche tente de rendre sensible au sein d‟une abstraction perceptive, la
11
SIGMUND Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Folio essais, Gallimard, P216
12
UMBERTO ECO, L’œuvre ouverte, Paris, Editions du Seuil, 1965, p25.
24
présence du mouvement, du temps et de l‟espace. Cette construction
plastique, riche d‟effets optiques, explore la question de l‟implication du
spectateur dans l‟œuvre. Celle-ci, nous montre l‟expérience d‟une œuvre
lieu intégré et approprié dans un environnement que nous pouvons visiter.
C‟est un environnement dans lequel nous pouvons courir et déambuler pour
apprécier l‟expérience de la contemplation virtuelle de l‟œuvre. C‟est pour
cela que le spectateur peut jouer avec son monde environnant. La matière,
le temps et l‟espace, constituent une trinité indissociable. Par ailleurs, le
problème d‟intégration du spectateur face à l‟œuvre d‟art, met en avant
plusieurs processus. Parmi lesquels nous trouvons : l‟appel aux sens, l‟acte
sensoriel c'est-à-dire entendre, voir... et aussi un autre processus qui joint
l‟attention de libérer face à l‟œuvre. En fait, l‟art contemporain montre
également ce rapport œuvre/spectateur, tout en s‟interrogeant sur
l‟intervention possible du spectateur dans l‟œuvre. En s‟appuyant sur la
présence du spectateur face à l‟œuvre comme fonction de la force de
l‟œuvre, plusieurs problématiques se posent par la suite. Nous pouvons
trouver la performance qui met en avant l‟action de l‟artiste ou l‟action de
la moderne substance utilisée.
Tout cela, il est intéressant de parler d‟une œuvre éphémère qui
s‟accomplit dans une durée qui nécessite non seulement l‟attention et la
présence du spectateur, mais aussi la participation du spectateur dans la
construction de l‟œuvre. De cette façon ce type de pratique plastique doit
faire appel, d‟une part à la sensibilité du spectateur, et d‟autre, part à sa
mémoire sensorielle. Le but principal de ce genre de pratique, c‟est de
présenter une telle association biologique, une symbiose entre l‟homme et
l‟œuvre d‟art. L‟homme devient partie intégrante de l‟œuvre. Cette
symbiose s‟effectue réellement entre le non-moi et le moi, entre le dehors
et le dedans. C‟est une sorte de symbiose qui pourrait être la répétition,
l‟écho. C‟est en fait la symbiose qui s‟effectue entre le moi et l‟objet.
Celle-ci, nous fait ré expérimenter notre regard vers le monde à partir de
notre propre corps.
Voila comment un organisme cellulaire et vivant a pu naitre de la tension
exercée par la masse de la matière vibrante, transparente et fluide sur les
collants- peaux. Un frémissement et un chuchotement de vie sur peau qui
est resté l‟ultime limite entre le spectateur et toute autre chose. Cette
réflexion nous a conduits à déchiffrer notre perception de l‟écoulement du
temps, tout en le présentant comme signe de la conscience rationnelle que
nous avons déjà constitué à base d‟une ultime installation pénétrable.
25
Bibliographie
1- ARCHER Michael, Installation de l’art en situation, Thomas and Hudson, 2000.
2- Ariel Jiménez, Conversaciones con Jesús Soto/Conversations with Jesús Soto,
Caracas, Fundación Cisneros, 2005.
3- CONDE Susan, La Fractalité dans l’art contemporain, Edition La Différence,
Paris, 2001.
4- Eugénie de Keyser, Art et mesure de l‟espace, Ed Charles Dessart, 1970.
5- GUILLOT Agnès et MEYER Jean-Arcady, La Bionique, quand la science imite
la nature, Edition DUNOD, 2008.
6- Maurice MERLEAU PONTY, Phénoménoogie de la perception, Editions
Gallimard, France, 1945.
7- Soto « Réflexion sur l‟art » 1964, in Jésus Rafael Soto, rétrospective, Meymac,
abbaye Saint-André, 1992.
8- SIGMUND Freud, L‟inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Folio essais,
Gallimard, P216
9- UMBERTO ECO, L‟œuvre ouverte, Paris, Editions du Seuil, 1965, p25.
26
Le lieu, contrainte et engagement d’une pratique
artistique personnelle
Nihel Lehyeni
Assistante à l‟ISAMK
Depuis l‟apparition de l'installation, et surtout depuis la délivrance de l'art
crée en dehors des murs du musée, la question de l'idée du lieu est devenue
une problématique pour les artistes. A présent, le discours qui entoure le
thème du lieu est en réévaluation approfondie alimenté par des analyses
critiques. Donc, l'environnement devient une composante à part entière de
l'œuvre, conçue en fonction d'un lieu particulier avec lequel elle entre en
relation.
Daniel BUREN qui interroge l'espace public et urbain, avec ses bandes de
couleur, est un exemple éclairant de l'art in situ. Ainsi que Richard LONG,
Robert SMITHSON, Walter DE MARIA, CHRISTO, qui effectuent de
vastes opérations sur le paysage, souvent éphémères sont les principaux
représentants du Land art et l'art in situ. Ces interventions mettent en
valeur, soulignent ou critiquent le lieu en question pour nous inviter à le
voir autrement, ouvrir l'horizon à la pratique artistique, modifier le paysage
urbain et stimuler les spectateurs. Ce qui nous amène à poser la question
sur l‟essence même de l'œuvre d‟art :
- Est-ce une pratique classique destinée à la contemplation dans des
lieux clos ou une provocation par l‟acte qui constitue lui-même une
prise de position tout autour de l‟art ?
- Et si la pratique se dégage de tout ce qui est conventionnel, quels
sont les moyens adéquats pour répondre aux enjeux proposés ?
Alors, dans une sorte de réévaluation, l'apport majeur de ma pratique
artistique est de prendre comme point de départ la ville de Sfax et ses
remparts comme un champ d'investigation puisque la mémoire du passé est
une base pour une pratique contemporaine pour construire mon propre
espace plastique, par des prises de position et des choix précis. Une
pluralité de questions se pose face à moi, dont je peux citer :
- Quels sont les choix structurels, chromatiques et stylistiques qui vont
me permettre d'écrire dans cet espace historique et quels sont les
enjeux poétiques qui vont permettre la coexistence entre l'interaction
de l'intervention et l'espace public dans lequel l‟intervention prend
place dans un souffle créateur, inventeur et audacieux ?
27
- Le lieu est-il seulement un prétexte ou un support à la création ou
une résultante de l‟intervention artistique dans l‟espace public ?
- Faut-il chercher d‟autres modes pour traiter ce phénomène physique
comme élément plastique ?
- A quoi répond l‟appel à un lieu de mémoire émanant de différentes
sphères ?
Pour réussir à trouver les réponses je dois m'engager directement dans
une pratique picturale qui sera une recherche de probabilités, de possibilités
et de combinaison de mes éléments pour essayer de saisir les lois effectifs
de l'équilibre et du déséquilibre, du mouvement et de l'inertie de
construction et de déconstruction pour créer un jeu dynamique qui exprime
la rythmicité de l'œuvre et propose une nouvelle lecture de la ville. Il s'agit
d'un passage d‟un espace matériel, ou nous pouvons considérer des
éléments mesurables et qualifiables à un espace mental, caractérisé par la
subjectivité et le sens propre que chacun accorde. Aussi, l‟installation
transforme t-elle le lieu qu'elle investi et sa lecture est-t-elle possible par
tout regard suffisamment attentif. Bien plus, le champ artistique s‟élargit
dès lors vraiment à l'espace public dont il interroge pour éventuellement la
remettre en cause.
I- La ville contrainte et engagement d’une pratique artistique
personnelle :
La ville est une construction humaine en devenir continu. Chaque
génération réinterprète l‟espace-temps de la ville d‟une autre perspective, le
vit d‟une façon différente, y rajoute ses propres constructions et parfois la
reconstruit selon ses besoins, mais aussi ses orientations artistiques ou son
regard idéologique. Cette tension non-résolue entre la continuité et le
changement est, en effet, la condition de la vitalité de la ville. Toute lecture
de la ville est en effet une réinterprétation de l‟ensemble des éléments qui
appartiennent à l‟espace et aux temps de la ville.
Penser la ville artistiquement, car il s‟agit bien ici de parler d‟une création
personnelle dont le travail est basé sur l‟expérimentation de la photo-
peinture. Mais quel rapport entre moi-même et la ville, l‟urbain me diriez-
vous ? Je puise, m‟inspire de ce qui m‟entoure et notamment des remparts
de la ville pour créer, déployant toute une esthétique d‟un art en action, me
réinventant, bousculant l‟ordre établi des évidences et opérant une forme de
résistance artistique en même temps que j‟œuvre à la reconstruction d‟un
espace social.
Mon travail plastique s‟inscrit dans un parcours de recherche personnelle
et expérimentale. C‟est depuis 2011 que j‟ai décidé d‟abandonner toutes les
28
pistes de recherche entamées pour me concentrer seulement sur un thème
qui est le lieu. Au début, je ne pensais pas travailler sur un sujet à la fois
aussi vaste et en même temps si personnel.
Ma première ébauche de recherche sur le lieu a commencé par une photo.
Je me suis servie de mon appareil photographique pour faire naitre les traits
d‟une autre ville. Il s‟agit d‟une photographie de format 30/45 dans laquelle
j‟ai modifié les traits de la ville en utilisant du cadrage et du recadrage pour
me brider le contour de la ville et transformer petit à petit mon regard. Dans
ce travail, je décide de renaitre la ville. En me servant de la photographie
comme moyen plastique plus que comme fin, je parviens à jouer sur une
nouvelle identité. Il s‟agit de parler d‟un certain destin qu‟on tenterait de
bouleverser.
Ensuite, j‟ai décidé de travailler autour d‟une représentation d‟une image.
On peut dire que ce travail est la deuxième étape dans mes ébauches de
recherche sur la ville. Cette fois-ci je me suis servie de la peinture. Ici je me
projette dans une image que je la fais de manière expérimentale et iconique.
Nous vivons dans une aire de l‟image. Il s‟agit de transcender l‟espace et le
temps. Ces photos-peintures inventent un nouveau terrain où prend forme
une réalité transcendée, ce qui laisse le public perplexe. On glisse ici vers la
notion d‟hétérotopie, définit par Michel FOUCAUT comme un lieu concret
de l‟utopie. Un lieu imaginaire prend forme. Un besoin de dépasser tout ce
qu‟on connaît, pour pouvoir plus loin et accepter les autres modèles
culturels. Un besoin de voir au-delà de simple regard.
Dans une exploration des rituels du quotidien, je réinvente mes habitudes.
Lorsqu‟on est face à une œuvre, on en fait l‟expérience. On se retrouve
projeté dans un monde rempli d‟étrangeté, d‟éléments qui nous sont
étrangers, dont on ne connaît pas les codes. Ces photos-peintures se
confrontent à nous dans le souci d‟une certaine esthétique propre à moi.
Le spectateur fait l‟expérience du souffle de la vie qui réside dans l‟œuvre
d‟art. Il pénètre sa mythologie personnelle. En présence de certains objets
empreints de forte symbolique, on est plongé dans une mémoire
sensorielle, parfois collective ou individuelle. J‟invoque cette mémoire par
le geste. Tout commence par un geste, une trace, un élan du corps.
L‟espace et la mémoire dans leur dimension esthétique ont une grande
relation avec les Installations artistiques dans l‟art contemporain, étant
donné que la proposition de ce type d‟œuvres implique l‟intervention
plastique sur des espaces extérieurs comme la ville. Et il s‟avère que si je
choisi les remparts pour reconstruire sa forme et couleur d‟origine de façon
29
poïétique, c‟est que je montre de nouveau le lieu sous un autre point de
vue, transformant l‟espace, en créant un nouvel espace dans celui-ci. Une
série d‟interventions plastiques au moyen des jeux de lumières, du
débordement de l‟outil, de la couleur, du geste, de l‟effacement et de
l‟oblitération… Dans ce cas, le fait de montrer quelque chose en dehors de
son lieu habituel implique un changement et un jeu esthétique avec l‟espace
qu‟il occupe. Quant au concept de perception, il est important dans ce cas
de l‟analyser du point de vue de la phénoménologie. Selon le philosophe
français Merleau PONTY, dans son œuvre Phénoménologie de la
perception (1976), il affirme également que « vivre, c‟est habiter un espace
que nous interprétons »13.
Stimulant la mémoire du spectateur par des photos-peintures transportées
sur des bandes transparentes, j‟établis un dialogue de formes, de lumière et
de couleur entre l‟espace et les matériaux que j‟utilise. De cette façon le
spectateur doit parcourir cet espace et le réinterpréter pour obtenir sa propre
idée sur ce que je montre, acquérant une nouvelle expérience à travers ces
pans suspendus, faisant que chaque expérience aille s‟incorporer aux
souvenirs antérieurs. Le contact expérimenté dans l‟espace réel fait que la
mémoire du lieu revienne à nous. Travailler avec l‟espace de façon
pluridimensionnel suppose comme une espèce de glissement de l‟œuvre
vers le spectateur. Donc l‟intérêt de la stimulation de sens à travers les
installations artistiques reste toujours la ligne directrice de mon travail sur
le plan plastique et visuel.
Réinventer le patrimoine : trompe-l‟œil, effet de réel, sorties du cadre de
la représentation, tous ces phénomènes, qui visent à créer un espace de
contact entre le sujet de l‟observation et le discours, relèvent d‟une
problématique de la présence. Il s‟agit d‟une certaine manière de
s‟interroger sur les formes de la continuité entre le monde de la
représentation et le monde réel. Mon propos est d‟étudier les régimes de
liaison de passage, de contact, de figuration de la jonction entre l‟image et
le spectateur. Il s‟agit en quelque sorte de s‟interroger sur la façon dont
l‟image sort du cadre, sur les stratégies d‟interpellation du récepteur, mieux
sur les stratégies de partage des sensations.
Un cas particulier où les frontières entre l‟espace du vécu et l‟espace du
représenté se brouillent quoique de manière inverse est celui du « discours
indirect libre ». Dans certaine mesure, le discours indirect libre construit,
lui aussi, une zone de passage, un espace de transition, entre le monde de
l‟expérience et le monde du discours ou du récit. La ville patrimoniale un
13
Merleau PONTY, Phénoménologie de la perception, 1976.
30
espace d‟expression et de création artistiques, un espace de jeu et d‟enjeu.
Quand l‟artiste se nourrit de la ville, il a une approche intime de la ville, il a
une capacité à créer des œuvres spécifiques à chaque territoire, dans un
rapport au lieu, à sa mémoire et au public qui ouvre toute une série
d‟espace-temps nous incitant à revisiter la ville.
En effet, La ville reconstruit est la conséquence d‟une évolution de ma
démarche. Cette œuvre marque chez moi le passage du spectaculaire vers
un travail plus axé sur l‟intime. Cette recherche m‟a amené à explorer des
endroits de ma ville, et d‟en donner une lecture personnelle, imaginaire.
C‟est la ville que je voulais mettre en scène par le biais de l‟intimité.
J‟avais envie de rencontrer un public sur son lieu de vie, dans un rapport
direct et avec cette règle très simple d‟injecter de la fiction dans le réel.
Comment l‟espace peut devenir moteur, source d‟idées pour créer
l‟imaginaire ?
Mon goût pour la scénographie n‟est pas pour rien non plus dans cette
volonté de travailler au cœur même de la ville. J‟ai eu beaucoup d‟intérêt à
aller chercher des lieux qui pouvaient être intéressant sur un plan purement
scénographique en termes d‟espace, mais aussi par rapport à ce qu‟ils
pouvaient raconter dans la ville. Tout était en train de changer, les
remparts étaient en pleine mutation. En franchissant les arcades, on
plongeait un siècle en arrière. C‟est ça qui m‟a intéressé. Comment un
espace raconte aussi le temps, comment tout cela a un rapport avec la
mémoire : je reviens toujours à ces thématiques. Ce qui est passionnant
dans une ville, ce sont les différentes strates de la vie que l‟on peut
déceler… le témoignage du temps est constant.
J‟avais vraiment envie de faire un spectacle à l‟échelle de la ville, mais
qui soit en même temps intime. L‟espace privé et l‟espace public sont
devenus les axes autour desquels je travaille désormais. Comment l‟espace
public est marqué par l‟espace privé, et inversement, c‟est ce
questionnement qui nourrit mon travail et ma démarche. Il y a la ville que
l‟on voit et que l‟on regarde, et il y a une autre ville en chacun d‟entre
nous. J‟entends de plus en plus amener les gens à regarder ce qu‟ils voient
tous les jours, à redécouvrir un lieu qu‟ils fréquentent tous les jours. Les
spectateurs deviennent acteurs d‟une situation. Il s‟agit toujours pour moi
de faire travailler l‟imaginaire. L‟installation, c‟est le symbole d‟un
isolement, lequel permet en même temps une écoute intérieure. Que reste-il
du rapport collectif d‟un espace public lorsque l‟on est dans cet isolement ?
L‟exposition ne parle que de la ville. J‟injecte une fiction dans la fiction.
Il s‟agit de permettre aux spectateurs de visiter le musée de leur journée
31
quotidienne. C‟est tout l‟espace public qui est investi : tout est possible,
tout est lieu de représentation. J‟ai besoin de trouver dans la ville un
espace où l‟on va un peu sortir du flot urbain traditionnel, où l‟on se
rapproche de l‟intimité, de l‟invisible. C‟est l‟intime de la ville qui est en
jeu, cette ville qui raconte l‟invisible. J‟ai découvert deux choses :
comment pouvait-on à la fois investir un lieu de vie, et comment ce lieu de
vie pouvait devenir un espace poïétique. Par conséquent donc, comment la
ville peut-elle devenir un espace plastique, une scénographie porteuse
d‟histoires, source aussi d‟imaginaire et d‟écritures. C‟est une approche
intime de la ville qui est proposée, une approche faite de sensations, faite
de bribes, faite de souvenirs… ce n‟est pas au fond La Ville qui importe,
mais c‟est Ma ville, Ta ville, Sa ville, la ville que chacun peut s‟approprier
et faire sienne. Ce qui m‟intéresse, c‟est la ville qui nous habite. Quand on
habite une ville, on est habité par cette ville et chacun en porte une
scénographie personnelle, la géographie intérieure qui est son approche,
son rapport individuel à cette ville-là, à sa ville.
Après avoir, d‟une façon presque volontariste, imposé une fiction
spectaculaire aux espaces urbains, j‟ai renversé un petit peu la vapeur, c'est-
à-dire que je suis allé chercher ce rapport intime à la ville.je dis souvent
que dans une ville, il y a deux villes : il y a celle qui se donne à voir, et puis
il y a celle qui est portée par les gens. J‟aime bien déstabiliser le rapport
traditionnel à l‟œuvre, j‟aime bien qu‟il se passe quelque chose qui ne soit
pas ce que l‟on attendait. Pourquoi ? Pour changer la posture ? Pour
changer le regard ? Pour inscrire le spectateur non plus dans une position
frontale. Tout ce que je fais repose sur la question du rapport de la photo-
peinture au public et à l‟espace urbain, à la ville, aux lieux de vie, donc au
quotidien, donc la vie. Ce qui m‟intéresse vraiment, c‟est que chacun vive
une expérience personnelle dans une histoire, pendant l‟exposition. C‟est
vraiment cet aspect là qui m‟intéresse : comment les choses sont elles là,
c‟est notre cadre de vie, c‟est là où tout se joue ; et comment peut-on
regarder cela autrement, comment peut-on amener ces gens à regarder cela
autrement, alors que c‟est ce qu‟ils pourraient voir tous les jours. C‟est
vraiment comme cela que la ville m‟intéresse.
- Comment la vision et l‟imaginaire peuvent-ils être mis à profit pour
penser la ville ?
- Comment la production artistique peut-elle permettre de redessiner
l‟espace urbain, et le temps d‟un spectacle ?
En partant du palais d‟El Abdellya, qui est un patrimoine didactique,
transformé de génération en génération, mes photos-peinture vont être
32
installées dans cet espace. Une représentation qui entraine un changement :
concevoir un espace à vivre à une échelle de proximité nous amène vers la
question des aménagements de l‟espace intérieur, où le souci du détail, du
geste, du toucher et de l‟usage sont essentiels. La création offre la
possibilité de rendre le quotidien étrangement différent. Pour les visiteurs,
cela donne aussi l‟occasion de découvrir ou de revoir un lieu. Ainsi la ville
prend, le temps de la création et de l‟exposition, la figure d‟un espace, d‟un
espace à voir, à entendre, à ressentir, à vivre dans cette dimension là. Elle
génère une esthétique urbaine nouvelle.
Dans le palais d‟El Abdellya à la Marsa, se crée un champ de travail
d‟une expérience pratique. C‟est un espace d‟art et de création. L‟espace
est ici le point de départ de la mise en œuvre de ce travail
multidisciplinaire. Le palais est considéré comme espace à investir. Le
travail est à la fois, dans le lieu et opté pour le lieu en interaction avec lui.
Mon expérience va mener à une transformation visuelle et mémorielle,
permettant une symbiose avec le lieu, le public, qui se prête volontiers à un
partage de l‟expérience vécue. Ce qui aura permis à ce lieu (le palais) de
subir des transformations radicales, de devenir le temps d‟un événement,
un espace de rêve d‟exploration et de liberté où l‟œuvre s‟est construite
pendant le jour de l‟exposition. Il s‟agit d‟une installation sur deux espaces
mitoyens et communicants.
Reposer une réflexion sur l‟espace présuppose, d‟entrée de jeu une
composition de la spatialité où celle-ci ne se donne pas comme catégorie a
priori de l‟expérience, mais se constitue à partir de / et dans l‟expérience
qu‟elle soit sensible, cognitive et / ou esthétique. L‟espace de l‟œuvre
devient un espace de rêve partagé avec d‟autres14.
Le regardeur, dans son expérience esthétique et en pénétrant l‟ontologie
de l‟objet de son regard, vit sa propre médiation et réveille son propre moi.
Celui-ci est impérativement différent du moi du créateur de cet objet. Les
deux individus, le créateur ainsi que le regardeur, rentrent chacun dans un
état de déformation et de re-formation d‟un autre moi. C‟est un moi qui ne
se manifeste que lorsqu‟on l‟appelle plus particulièrement pendant un
processus de création.
Dans son action, l‟artiste se transforme en un autre. Il subit des moments
alternés de tension et de relâchement qui permettent à son autre moi, son
moi mythique de fonctionner. SOURIAU explique que le terme
« mythique » n‟indique pas qu‟il s‟agit d‟un individu fictif et irréel et que
14
Sierge TISSERON, Psychanalyse de l’image, p.170
33
ce double, simultanément ami et ennemi de l‟artiste, peut fonctionner soit
en parfaite harmonie, soit en conflit. Il pense aussi que ce moi mythique
n‟est pas une force surnaturelle qui déposséderait l‟individu de tous ses
pouvoirs. Bien au contraire, elle exigerait de lui lucidité volonté et savoir-
faire technique.
Il ne s‟agit pas pour le plasticien de s‟exposer et d‟étaler son être. C‟est la
plasticité du contemplateur qui rentre en jeu. Par son regard, ce
contemplateur agit sur l‟œuvre et en même temps il la subit. Il la recrée en
quelque sorte et elle de son coté mobilise en lui un sentiment. Ici, l‟œuvre
devient un corps indépendant et autonome et n‟a pas forcément besoin de
son auteur pour vivre ou mieux, pour faire vivre. Cependant, et dans un
autre contexte, le plasticien, par sa présence et par sa volonté, peut parler
de son attitude et de sa propre plasticité. Cette plasticité n‟est jamais figée,
elle ne se présente pas comme un acquis définitif et un savoir objectif fixe.
Elle est, de par sa définition, en activité continue.
Mon travail introduit une brèche dans la routine perceptive, enrichit
l‟imaginaire des lieux, dévoile la face cachée des sites qu‟ils investissent.
Le rôle de l‟artiste, enfin et surtout, est de donner à un lieu, un espace ou
territoire, le « génie » dont il est parfois dénué, c'est-à-dire la capacité
d‟émouvoir, d‟évoquer et de signifier. Créer de la surprise, introduire de la
pensée, de l‟imaginaire, autant d‟intentions qui prennent souvent des
formes subtiles, sans chercher à s‟imposer autoritairement dans le paysage
urbain.
Ma pratique vise la déstructuration de l‟image perçue et à déstabiliser la
structure rythmique de l‟espace d‟exposition celui du palais d‟El Abdellya.
De ce fait je viens d‟interroger les limites de deux espaces. D‟où l‟idée du
dedans et dehors et cette destruction se fait par des pans suspendus pour
construire mon univers poétique basé sur des combinaisons, des
enchevêtrements et des renversements de l‟ordre établit. Il s‟agit d‟un
passage entre un espace physique, ou nous pouvons considérer des
éléments mesurables et qualifiables à un espace mental caractérisé par la
subjectivité et le sens propre que chacun accorde.
La question de l'œuvre et du lieu, dès lors, devient celle du temps, de notre
temps en paroi au vertige de la mondialisation et des technologies, c'est
cette alliance du patrimoine et de l'art contemporain. C'est un débat
essentiel entre l'art comme chose à voir et l'art comme manière de voir
entre l'art comme représentation et l'art comme manifestation, c'est en
quelque sorte traduit en actes et en gestes artistiques en levant le privilège
et le monopole de ce débat. L'insertion de l'œuvre dans l'espace public ou
34
dans l'environnement déplace la question si difficile d'un accès du public à
l'art contemporain c'est l'œuvre qui vient au devant des spectateurs, donc
c'est un dialogue plus ou moins tendu entre une œuvre d'art contemporaine
et un site historique.
La question qui se pose : qu'est ce qu'un lieu de mémoire aujourd'hui ?
C'est un contexte marqué par un brouillage de frontières entre le réel et
l'imaginaire, entre la fiction et la réalité. Donc, l'installation réécrit l'histoire
d'un lieu, où le spectateur devant cette réécriture de l'espace, est appelé à
réfléchir lui même sur la vision qu'il porte sur le lieu. Il peut ainsi découvrir
ce que renferme son propre imaginaire.
Le palais d‟El Abdellya n‟est pas seulement un lieu de spectacle et
d‟exposition mais c‟est également un lieu d‟un aspect ordonné, il est
rythmique, labyrinthique et colossale. Son aspect formel, avec une
dominante chromatique qui annonce la couleur des matériaux utilisés.
Ainsi cette intervention va détruire la rythmicité et l‟ordre établit par des
chevauchements entre l‟intérieur et l‟extérieur permis par la photo-peinture
qui superpose à l‟espace réel une image abstraite. L‟intervention
chromatique par la projection et l‟interaction de la lumière sur les murs du
palais le déstructure et nous amène à une image de synthèse.
35
Ces bandes déstabilisent la structure de ce monument par une verticalité
affirmée et des graphismes qui flottent à la surface des bandes et qui
s‟intègrent aux divers niveaux de ce monument ou cassent sa rythmicité par
des obliques ou des lignes lyriques ainsi que la simulation des arcs dans des
dimensions différentes de celui de l‟édifice. Alors je me suis trouvé devant
une peinture géante qui sera accroché sur le monument où on pourrait donc
penser que à des traces qui nous fait entrer dans un monde pour une durée
précise et permet au spectateur de constater les minuscules changements
qui s‟opèrent. Je me suis engagé alors dans une expérience artistique qui
n‟est pas contemplative mais au contraire inscrite dans une temporalité
complexe. Elle m‟oblige à retracer mentalement le processus d‟exécution et
donc à se restituer la pensé habituellement invisible dans un travail qui se
dévoile dés le premier contact. C‟est une mise en scène qui vise la
déstructuration de ce monument néanmoins elle reste partielle puisque les
bandes de différents largeurs s‟y intègrent parfaitement touchant
profondément la contrainte du dedans et dehors.
Dans une première approche, j‟ai essayé de trouver des liaisons entre ces
images de l‟intérieur et de l‟extérieur, puisque mes images sont
indépendantes, chacune a sa structure, son ensemble de couleurs et sa
facture. Cette approche propose des solutions variées à une même question
.C‟est la poétique qui entre en jeu pour marquer des transformations et des
différences au sein de ce travail, tout en cherchant des adéquations entre les
couleurs de terre et les couleurs lumières, pour créer des harmonies et des
mariages qui sont le fruit de cette lutte parfois douce et parfois violente.
Dans une deuxième approche l‟installation m‟a permis de construire un
environnement tridimensionnel à base d‟images traitées qui vise à
déstabiliser mes images, à créer un dialogue au sein d‟un même travail et
des interactions avec l‟ensemble.
36
Le discours s‟approfondit progressivement avec la multitude de solutions
que je propose : la mutation, la juxtaposition, l‟emboitement et les voilages
imposent un caractère à un autre. C‟est une méthode constructive qui vise à
atteindre un certain dynamisme, c‟est la structure interne des formes qui est
à la base de la composition.
Est-ce que mes images vont garder leur autonomie ? Est-ce mon espace
va avoir la même identité ?
Mon intention est de perpétuer la tradition de la représentation : les rôles
s‟inversent, les images s‟enchevêtrent, elles bougent et se bousculent. Il se
crée un environnement complexe, agité, face à un mouvement. C‟est un
montage de plans successifs par l‟effet de transparence, dans une nouvelle
temporalité où le palais et l‟image deviennent complices. Je recherche les
fils de la mémoire culturelle à la fois à partir de mes propres
expérimentations ainsi que ma sensibilité et ma subjectivité. Mon but est
d‟utiliser l‟espace d‟exposition afin d‟abolir les frontières entre l‟intérieur
et l‟extérieur. C‟est de rafraîchir notre perception, de re-sensibiliser les
spectateurs que nous sommes dans le flot de la vie à travers l‟espace et le
temps.
Le mur subit une métamorphose perpétuelle, il se transforme et devient un
lieu qui accueille le geste d‟appropriation, le geste plastique. Ce lieu
s‟approprie une nouvelle vie, il est relativisé et offert à la contemplation et
à l‟investigation, laissant éclater la force à l‟idée. Le lieu est donc
questionné et s‟ouvre sur un nouveau rapport à l‟espace et au temps : la
ville est calquée sur différents supports, afin de témoigner de mon parcours,
de ma vision du lieu. L‟ensemble représente un monde, où le montage des
images nous amène à un rêve et à une réalité, à une nouvelle signification
et à une nouvelle identité.
Cette aventure constitue une polémique à propos de ce lieu, où nous
intensifions l‟historicité vis-à-vis de la pensée réflexive. On se trouve
confronté à cette réalité qui change tout, pour créer un choc esthétique. Il
s‟agit d‟un système de balançoire qui tisse des liens entre le réel vécu et le
nouveau inventé, en induisant une charge d‟interactivité. C‟est un
environnement pictural qui dénigre un dedans de sujet et un dehors du
monde. Mon objectif est de transmettre au spectateur le processus de
création et d‟établir une certaine pluridisciplinarité dans cette intervention,
puisque ce processus est séquencé dans l‟espace. C‟est un aller-retour
continuel entre l‟individuel et le collectif.
37
Actuellement le mur n‟a aucun rapport avec ce qui est fait, avant. Face à
l‟installation, l‟espace participe à son réaménagement intentionnellement
voulu. Le lieu a été « re-privatisé ». Le lieu contenant est devenu
maintenant contenu de la création artistique. Il y a une confrontation entre
l‟existant et le nouveau. Cette opération de transformation des lieux, est un
travail sur la mémoire. Ensuite, l‟espace provoqué, énonce la présence
d‟une connaissance antérieure qui va chercher à extérioriser sa mémoire, et
dévoiler les traces et les empreintes vécues. La relation entre le lieu et
l‟image est réveillée, à travers la dynamique de leur récupération. On parle
d‟une intégration des images et d‟un dialogue avec l‟espace qui l‟entoure.
Il s‟agit de renouveler la perception du public dans un lieu qu‟il connaît. Il
s‟agit d‟une manipulation dans une conduite picturale qui va prendre en
considération l‟espace dans toutes ses dimensions, pour le poéitiser. Le
palais est considéré comme un moyen d‟action pour le changement du
territoire. La création est, dans ce cas là, échangeable par la réappropriation
de l‟œuvre par le spectateur.
Ce processus considère le lieu comme un cadre spécifique, puisque les
caractéristiques du lieu d‟exposition sont insérées d‟une manière
révélatrice. Cette insertion est en rapport avec l‟architecture du palais et
l‟historique des expositions précédentes. Le lieu de l‟intervention est fixe et
ne change pas de position, il s‟entretient avec l‟espace architectural et il en
dépend. Ce concept de l‟espace ouvert perd échos. L‟espace de mon travail
se situe entre la matière de la peinture et de la photographie. Cette matière
apporte une richesse visuelle pour se joindre aux champs des matériaux
d‟expression plastique. L‟investissement du mur d‟exposition, pour la
création d‟un discours visuel sur la base de l‟assemblage de photographies
peintes, scrute le statut fragmentaire de ce médium, et le sens à donner à
son intégration. Il y lieu de comprendre, comment je suis venue à
recomposer l‟espace, afin de soutenir le sens à donner à mes photos-
peintures qui sont ajustées sur des bandes transparentes.
Mon exposition se présente dans un discours qui relate l‟histoire du lieu,
comme une pensée articulée en trois visions distinctes. Je porte un regard
transversal sur le lieu, qui devient une œuvre. Je présente un ensemble
d‟images conçues en lieu, avec la spécificité architecturale et historique de
l‟espace. Jouant de la lumière, j‟interpelle les références, les pensées, les
souvenirs, les absences et je pousse l‟autre à l‟introspection.
Ces photos-peintures prennent ainsi, en compte et à la fois, l‟architecture
et le vécu d‟une traversée. Ces images rencontrent l‟esprit du regardeur et il
en résulte quelque chose d‟exclusif pour chacun, où se combinent jeux de
38
matières, textures, reflets, illusions et détournements. Je fais exploser la
matérialité et fais surgir des figures subtiles et éphémères, par les formes
qui les entourent. De l‟ensemble émerge la construction d‟un lieu empreint
de raffinement. Ce travail instruit une réflexion sur le temps et les
déformations subies par la mémoire. Le visiteur est porté par la vision de
l‟écoulement du temps. Je reconstruis des images éparses, issues du réel,
que notre mémoire visuelle a collectées. Ces images sont ensuite
recomposées, afin de renoncer aux originaux dont elles sont issues, et ainsi
nous placer face à une représentation illusoire, créée de toute pièce.
Les photos-peintures offrent des regards ambigus, questionnant la
perception. J‟amène l‟Autre à douter par le questionnement constant de
notre habilité, à observer et à comprendre. Je saisis les espaces, les plans
fuyants, je reconstitue les strates observées, et je les recompose, en leur
offrant une autre forme. Je bouscule les perspectives et incite à rentrer dans
l‟image en profondeur, comme dans un rêve instantané. Les traces du passé
se fixent dans le présent, et offrent un parcours de voyage dans plusieurs
dimensions. Les images sont interprétées librement au fil du regard de
chacun.
Je m‟intéresse ici à la mémoire visible des lieux et des personnes. J‟attire
notamment l‟attention sur des objets, dont les qualités esthétiques sont bien
considérées. Ces remparts de la ville de Sfax, hétéroclites, font référence à
des souvenirs que chacun s‟approprie. Il s‟agit en réalité d‟objets du
quotidien, abandonnés sur place. L‟image a rafraichi cet ensemble d‟objets
à la frontière de l‟art. Ils deviennent vivants par le fait d‟avoir extraits du
lieu surchargé auquel ils appartiennent. Aucune mise en scène n‟a été
nécessaire. Ils changent de statut, sinon de nature, puisqu‟ils sont détachés
de leur contexte, et ils apparaissent alors comme des installations
artistiques. Entre documentaire et imaginaire, ces photos placent la réalité
et la fiction dans une sorte d‟incertitude. Le regard posé devient point de
départ d‟un cheminement historique vers une vérité revisitée.
La prise de photo de la ville sous forme d‟images fugitives n‟est pas aussi
innocente qu‟on pense car ma pratique vise certains aspects à dévoiler et ne
peut être efficace que par la convivialité avec l‟espace. Elles dénigrent
l‟image cliché et scrute le fond du lieu pour le voir autrement. Ainsi se
39
déclenche un nouvel instant de création ponctué par des interrogations
autour de l‟essence du lieu et de l‟enjeu de ma pratique.
Les premières images sont déjà des fragments du temps. Elles offrent à
ma subjectivité l‟occasion de déconstruire et reconstruire, non pas
arbitrairement, mais selon les spécificités du lieu. Les brèches ouvertes
permettent de dévoiler certains détails de l‟intérieur tout en étant à
l‟extérieur. La forme elliptique de ce dernier permet à l‟œil une navigation
libre dans des détails qui peuvent se ressembler et constituer une sorte de
labyrinthe ou différer pour marquer des repères dans l‟espace géré dans le
temps. C‟est le fait de faire dialoguer le dehors, l‟espace de l‟existence,
avec le dedans.
L‟installation m‟a permis de confronter des nouvelles représentations de
l‟espace qui dématérialisent le monde physique, le ré-agencent et le
conduisent à établir de nouvelles relations au réel. Donc on remarque dans
mon espace des surgissements de la lumière, des émergences de la ligne,
des flottements de la surface accentués par des directions obliques faisant
allusion, à un mouvement perpétuelle et à une bataille continuelle entre les
zones éclairées et non-éclairées.
Dans l‟espace de mon travail, les images, les formes et les couleurs sont
en gestation. Elles subissent une métamorphose continuelle car les
ouvertures de lumières envahissent les surfaces sombres, il se fait un
discours de face à face entre le proche et le lointain, le net et le flou, le
précis ou l‟effacé, le caché ou le dévoilé pour dégager une image de
synthèse, une expression artistique éphémère qui exprime la fragilité de
l‟instant et engendre une relation entre la couleur lumière et la couleur
naturelle.
Ce sont les diverses apparitions captées au fil du temps et dans l‟espace.
C‟est une image panoramique de la réalité du moment où le regard se
focalise sur tel ou tel point et le contemple avec une extrême concentration
et selon une subjectivité qui laisse le regard répondre à l‟appel de l‟image,
à l‟endroit où il peut l‟entendre. Donc on peut accorder un temps infini à un
fragment spatial.
Mes réalisations exposées, qui prennent l‟espace du palais comme partie
prenante à l‟ensemble de l‟espace, crée dans son contenu plastique à
structure bi et tridimensionnelle. Trois niveaux d‟espaces apparaissent,
mettant en évidence aussi bien la portée dimensionnelle que la portée
fonctionnelle.
40
- Le premier niveau est celui de l‟espace médinal, faisant fonction de
support limité au lieu, dans son contexte architectural
- Le deuxième, est celui de l‟espace plastique, se limitant aux
applications de modulation des remparts, en d‟autres termes, à
l‟intervention plastique sur la photo
- Le troisième, est celui de l‟espace, du stade matériel à celui de
l‟immatériel.
La question qui se pose consiste à savoir si on est piégé dans un circuit, ou
dans une conduite ? On est dans un espace de vertige, sans début ni fin. Le
spectateur est en train de naviguer librement, de confronter de nouvelles
représentations de l‟espace qui dématérialisent le monde physique, le ré-
agencent et le conduisent à édifier de nouvelles relations au réel.
41
Par cette approche, qui vise à réincarner le lieu réel chargé de
significations dans une image virtuelle éphémère, j‟annonce ma prise de
position par apport à l‟activité artistique, je dévoile une nouvelle esthétique
qui porte un œil critique sur l‟œuvre d‟art considéré non pas comme un
objet de contemplation mais comme un prétexte de méditation qui touche
divers territoires.
Tout d‟abord, c‟est une émotion envers cette métamorphose du lieu entre
les limites de l‟aventure, du rêvé, du possible et du faisable avec des
moyens du présent qui permettent l‟innovation du lieu appartenant au passé
et au présent par le remuménage effectué.
C‟est une sorte de reconsidération de l‟acte pictural ainsi que du
patrimoine, l‟artiste a les pieds sur terre, il est à la fois dans les airs.
Néanmoins ce travail dépend aussi d‟un élément très important dans sa
lecture, c‟est le spectateur qui entre en jeu puisque l‟œuvre va vers lui et le
pousse à une certaine interactivité stimulée par l‟opposition entre l‟image
cliché et figé de la ville et à la nouvelle image dans laquelle il se trouve
induit.
Il entre en jeux malgré lui. L‟œuvre d‟art marque ici un temps fort et se
met aux pieds du spectateur et cherche sa complicité, de ce fait elle
s‟enrichit par les interprétations et les appréciations, elle est contemporaine
elle provoque une nouvelle image qui restera toujours gravé dans la
mémoire collective malgré son côté fragile et éphémère.
J‟expose mon expérience et je la mets à la disposition du spectateur qui
déambule d‟une photo-peinture à l‟autre, sans perdre le fil d‟une
composition qui veut être méthodique, homogène et je dis presque
chronologique, pour pouvoir reconstituer le parcours de la ville et la
reconstruire à sa guise et naviguer de l‟intérieur des ruelles étroites de la
ville et voltiger d‟un rempart à un autre et d‟une tour à une autre à bord de
ce vaisseau chimérique et purement imaginaire de la peinture, ce véhicule
fictif…
En exposant mes photos-peintures, j‟ai remarqué que ce voyage est une
ouverture plastique qui a interpellé beaucoup de gens. Ils vont l‟effectuer
avec leurs esprits à travers un regard à la fois pensif et contemplatif. La
photo-peinture n‟est qu‟un moyen inabordable par l‟esprit qui l‟adopte pour
réaliser un pénible rêve qui le transporte vers un univers réel, un espace
tangible : la ville de Sfax telle qu‟elle est. La photo-peinture est
certainement une représentation, mais elle est aussi une image-objet qui lie
le spectateur et la photo-représentation.
42
Enfin toute création exposée au public est une forêt vierge qui attend
d‟être déchiffrée, décryptée, élucidée. Mais peut être vaut-il mieux qu‟elle
demeure en l‟état : un vaste territoire inexploré, enchevêtré, secret, une
réserve de rêves ?
Bibliographie
- DIDI-HUBERMAN Georges, La Demeure, la souche, Ed. Minuit, Paris, 1999.
- DURAND Régis, Le regard pensif. Lieux et objets de la photographie
aujourd‟hui, Skira, 2002.
- MONS Alain, L‟ombre de la ville, essai sur la photographie contemporaine, Ed.
De la Villette, 1994.
- MASBOUNGI Ariella, Penser la ville par l‟art contemporain, Ed. De la Villette,
Paris, 2004.
- MERLEAU PONTY Maurice, Phénoménologie de la perception, Ed. Gallimard,
1976.
- TISSERON Sierge, Psychanalyse de l‟image : des premiers traits au virtuel, Ed.
Dunod, 2005.
43
Le lieu à travers la pratique de Rachid Koraichi
« Chemin des Roses » hommage à
Djalal Eddine El Rumi
Nouba Saguer
Assistante à l‟ISAMS
Dans une œuvre qui monte plusieurs dispositifs, où l‟œuvre elle même fait
dispositif, le « pourquoi », le « comment », le « où » et le «Avec quoi »
jouent désormais un rôle aussi important dans l‟aura, la reconnaissance et
la signification d‟une œuvre que les simples «quoi » et « par qui ».
44
identité à travers les déplacements dont elle fait l‟objet ? L‟exposition
n‟est-elle pas le site de l‟art, le lieu où l‟art a lieu ?
Chaque œuvre se réfère à quelque chose et elle investit un lieu. L‟œuvre
se lit alors comme une couche de traces actives, lieu de mémoire qui
semble vivre des présences mythiques. Le lieu et la référence se donnent
rendez-vous, sollicitant le spectateur à pénétrer les profondeurs du
dispositif.
Qu‟est ce que la question du lieu dans l‟art contemporain ? Comment le
lieu est il réfléchi par Rachid Koraichi ? Qu‟est-ce qui fait ici l‟œuvre, son
« aura » ? Qu‟est-ce la présence singulière qui se dégage du lieu ?
Des réflexions autour de la question de l'inscription de l'œuvre dans un
environnement. Quel est l'impact d'une œuvre dans un lieu qui existe déjà ?
Une œuvre d‟art est-elle immuable au cours des différentes expositions ?
Comment l'art contemporain investit-il l'espace public ? Quelles lectures a-
t-on de l'œuvre in situ, pensée et conçue par l'artiste en dialogue avec le
lieu ?
Rachid Koraichi propose, une installation « chemin des roses » en
intervenant dans l‟enceinte de la vieille
citadelle d‟Alger. Car, comme il l‟explique,
une telle exposition ne peut avoir lieu dans une
galerie moderne. En effet en choisissant la
Citadelle d‟Alger, qui est en cours de
restauration, Rachid Koraichi a eu le mérite
d‟ajouter l‟esprit de ce lieu à son travail. Il a
choisis un lieu chargé d‟histoire, où on peut
sentir l‟accumulation des siècles et des
événements dans un même espace. Un lieu
chargé de
significations, personnalisé.
Fig.1
Un lieu de dialogue entre deux entités opposées, la foule qui prie et celui
qui est Prié (Dieu), séparées par le chemin des roses, un podium filant sur
lequel sont posés les grands personnages de Koraichi et des assiettes
remplies d‟eau et de pétales de roses. L‟éclairage joue ici un rôle
45
primordial de toute cette mise en scène et fait corps avec les œuvres :
contrastes, jeu d‟ombres portées, lumière révélatrice…
Fig.2 Fig.3
„Le chemin des roses‟, un dispositif qui renferme plusieurs œuvres, qui
immerge ses visiteurs dans un puissant champ magnétique, dans lequel ils
peuvent contempler à l‟extrémité de chacun de ses pôles la plus magnifique
des interactions de l‟artiste : le « Prié » source de lumière dans une voûte
noire à un bout de la composition et les priants capteurs de lumière dans
une voûte blanche à l‟autre extrémité. Entre les deux, un parcours parsemé
de vasques de porcelaine et gardé par des silhouettes d‟acier sur un chemin
de la lumière.
Fig.4 Fig.5
46
Fig.6 Fig.7
47
la totalité d‟un lieu, d‟un art et d‟un moment.
Cette installation regroupe des sculptures métalliques de signes
étrangement anthropomorphes, des broderies de fil doré sur soie bleue (une
référence au coran sur parchemin bleu du Musée d'Arts Islamiques de
Kairouan, Tunisie) et des vasques en céramique remplies d'un fond d'eau
parsemé de pétales de roses Où Koraichi reprend des textes d'al-Rûmî
Rachid Koraichi a été très inspiré par la configuration des lieux. Les neuf
grandes alcôves, disposées de part et d‟autres de la salle centrale, ont été
recouvertes de tissages légers et transparents à travers lesquels se laissent
percevoir les tissages rectangulaires bleus, brodés d‟or et éclairés.
L‟interposition de ce rideau translucide est l‟occasion pour Koraichi de
mettre en scène le rapport entre voilement et dévoilement, ou encore
apparence et essence, qui est au cœur de la tradition soufie et des textes qui
l‟ont établie.
Sur un plan artistique, le procédé introduit une dimension théâtrale
indiscutable, que l‟on soit ou non transporté par la spiritualité voulue.
Les murs de fond de l‟exposition donnent lieu à un jeu d‟ombres. Ainsi, sur
le mur de droite, un assemblage de personnages (4 fois 99) plantés à
l‟horizontale sur la paroi, se projettent dans un enchevêtrement qui peut
surprendre les spectateurs.
L'histoire d‟une rencontre entre un artiste contemporain et Rûmî,
mystique du XIIIe siècle, fondateur de l'ordre des derviches tourneurs, est
l'aboutissement d'un long cheminement, riche en détours et en compagnons
de route, qui a donné naissance à une exposition « chemin des roses ».
Dans l'œuvre de Rûmî, une place essentielle est accordée aux diverses
formes artistiques que sont la poésie, la musique et la danse. Ce dernier
considère que les arts sont l'objet d'une admiration constante, pour lui c‟est
un moyen d‟accéder au divin. Il considère Dieu comme l'Artiste Créateur
par excellence. La création du monde est l'œuvre vivante du plus grand
artiste, mais Dieu, en créant le monde ne fait rien d'autre que créer un
miroir.
48
Il considère que l'acte du Créateur est dans la volonté de communiquer sa
transcendance.
16
Rûmî, Le livre du dedans, 1994, ch. 5, p 46-47.
17
Rûmî, Mathnawî,op. cit.,L. VI,v. 3138,p. 1572.
18
Rûmî, Odes mystiques, 1984, p. 322.
49
Rachid Koraichi à sûrement été sensible à cette pensée ; l‟eau dans les
vasques, qui charment l‟oreille de l‟artiste n‟était pas là par hasard. Une
symphonie qui se laisse s‟élever à l‟écho de la voix divine, à un chant qui
s'élève jusqu'à la perfection de l'homme ; d‟où le rôle principale que le
minérale joue dans cette exposition à une dimension, ou une penser qui font
référence à celle de Rûmî.
Une autre forme artistique est célébrée: La dance. Rûmî, été le fondateur
de l'ordre des Mawlavîs ; ces derviches tourneurs qui par leurs dance fêtent
symboliquement l'ensemble de la Création, du macrocosme au
microcosme. Leurs mouvements décrivent le système solaire dans une
ronde cosmique à l'intérieur de laquelle chacun, semblable à une planète,
tourne sur soi ; mais la danse décrit également l'ascension réalisée par
l'Être.
Cette apologie de la danse mystique est reprise par l‟artiste :
Elle apparaît quand il a fixé le mouvement des derviches tourneurs dans
l'acier et à l'intérieur des vasques, faire de la danse une suite d'immobilités
successives qui créent un rythme, ceci est le tour de force qu'il réalise. Une
animation circulaire qu‟on voit dans ces dessins : le point, symbole de
l'Unité de l'Être, en tournant très vite, va donner naissance à des lignes
concentriques.
Toute l'exposition reprend le point et les cercles comme un refrain,
rappelant que le monde et l'homme, en leurs mouvements le long du cercle
de l'existence, doivent leur apparition à la manifestation de l'Essence
divine. Les lignes des dessins s'inscrivent sur un fond pour lequel Rachid
Koraichi a choisi le bleu, évoquant ainsi les voûtes du ciel décrites par
Rûmî. Le bleu indigo est repris pour le tissage des bandes de lin brodées
d'or. De même la représentation d‟une multitude de sourates du Coran bleu
qui sont calligraphiées en lettres d'or: Des fils d'or qui s'entrecroisent en des
lettres brodées afin de souligner la beauté du message transmis par Rûmî.
La position centrale de l'homme est figurée par la présence des Mawlavîs
découpés dans l'acier et qui, grâce à la virtuosité de l'artiste, s'animent du
mouvement cosmique qu'ils célèbrent.
Par ailleurs les formes elles mêmes ne sont pas considérée dans leurs
contexte mystique. Elles sont prises dans le sens où on l‟entend : mystère.
Il se donne dans la pulsation d‟un événement toujours singulier, toujours
fulgurante.
50
Or il est plus intéressent de retrouver dans ces formes quelque chose de
mystique d‟un aspect soufi devant une simple forme, comme le cercle par
exemple. Qui est le point étendu, il participe de sa perfection. Les cercles
concentriques représentent des degrés de l‟être, les hiérarchies créées. Le
mouvement circulaire est parfait, immuable, sans variation, ni
commencement, ni fin.
Le cercle symbolise le ciel et le mouvement circulaire et inaltérable,
symbole du monde spirituel, invisible et transcendant. Koraichi et Rûmî
sont liés par une semblable vision mystique.
51
les arts en sont le reflet le plus fidèle et l'artiste devient alors l'intercesseur
privilégié entre Dieu et la beauté du monde. Jeu de miroirs infini qui ne
pouvait que séduire un artiste comme Rachid Koraichi pour qui la vie et
l'art sont une seule et même entité.
Rachid Koraichi s‟immobilise devant ses objets et tente de les saisir de
part sa sensibilité de plasticien, en suggérant d‟une manière sous-jacente
des œuvres en rapport avec le concept mystique et celui du lieu de
l‟exposition.
Bibliographie
OUVRAGEE
LINGS Martin, Qu‟est-ce que le soufisme ? ; Edition : du seuil
52
RUMI Mawlânâ Djalâl al-dîn
- Odes mystiques, Dîvân-Echms-ETABRîZî, Trad. Eva de Vitray
Meyerovitch et Mohammad Mokri. Edition Klinckseck
- Le livre du dedans, 1994
- Mathnawî, 1992
Mohamed JENDOUBI :
- Exposé: Le Soufisme et Jalel Ed Din Roumi ; El Watan, le quotidien
indépendant ; vendredi 16 octobre 2009; 144 N° 5765
Maryline Lostia :
DICTIONNAIRES, ENSYCLOPÉDIES
Dictionnaire des symboles ; Jean Chevalier, Alain Ghreerbrant, Robert Laffont /Jupiter,
Paris; 2005.
INDEX ICONOGRAPHIQUE
53
Figure 5 : photo de l‟exposition chemin des roses à la 49ème Bienal de Venecia;
http://www.universes-in-univers.....4
Figure 6: photo de l‟exposition chemin des roses à la citadelle d‟Alger;
http://www.founoune.com/articles…….......5
Figure 7 : photo de l‟exposition chemin des roses à la 49ème Bienal de Venecia;
http://www.universes-in-univers..5
54
Appropriation et marquage du lieu
‘’ Djerbahood, le village transfiguré ’’
Moufida Ghodhbane
Maitre assistante à
l‟ISBAN
55
1. ‘’Djerbahood ‘’: Recoupements et écarts.
Le village „‟Erriadh‟‟, était choisit comme meilleur territoire pour le
projet „‟Djerbahood‟‟, avec son ancienne architecture, ses étroites ruelles,
ses parcours et ses ruines. Et c‟est à ce village que se trouve l‟une des plus
vieilles synagogues , „‟ la ghriba‟‟, qui a été construite a peu près en 586
av JC, et qui était aussi à l‟origine de ce choix.
„‟ The Hood‟‟ : est une appellation qui est venue d‟une installation de
Rodolphe Cintorino qui l‟à expliqué au groupe d‟artistes participants,
comme « le quartier d’où émerge la création ‘’ underground’’ » en
anglais. L‟organisateur du projet, Mehdi Ben Cheick, écrit dans son livre
Djerbahood : « ce nom m’a tellement plu que je l’ai adopté pour
l’ensemble du projet, ‘’Djerbahood ‘’. (…)’’El Hara’’ ancien nom de ce
même village a en arabe dialectal la même signification. »19 Les sites
choisis sont donc variés : une place centrale composée de trente porte
bleues, les ruelles autour de la place, le marché, the Hood, le hors- piste : le
palais Ben Ayed et l‟ancienne prison.
« Faire de ce projet un laboratoire de créativité contemporaine et
internationale »20 a écrit Mehdi Ben Cheick, mais quels étaient donc, les
soucis de ces artistes participants ? Ont-ils respecté le lien qu‟a le site
avec son milieu historique ? Ou sont-ils à la recherche d‟un nouveau
contexte territorial qui leur permet appropriation et marquage des lieux
abordés ? Djerba s‟ouvre comme « musée à ciel ouvert », dont les murs
seront animés selon différentes factures par cent cinquante artistes (trente
nationalités) : créer dans ce sens, c‟est comme a dit René
21
Passeron : « l’exercice d’une liberté d’esprit » , un exercice d‟accès à la
culture, au patrimoine, au métissage référentiel et surtout « à la conscience
planétaire » encore selon l‟expression de Passeron. La rencontre des lands
artistes à l‟Ile de Djerba, permettrait-elle ou non de re-concevoir l‟habitus
esthétique ? Reste à prouver et à vérifier. Mais la réaffectation d‟un
ensemble de symboles, d‟images et de factures est certaine.
La relation entre l‟image et le lieu est problématique car l‟image
représentée, appartient à un registre connotatif bien déterminé, il n‟est pas
forcement adéquat. On a l‟impression que le lieu n‟accueille pas
réellement ces images, il reste indifférent, il ne trahit pas son authenticité.
19
Mehdi Ben Cheick : « Djerbahood, le musée de Street art à ciel ouvert», Galerie Itinérance, Edition
française originale : Éditions Albin Michel, Paris, Édition Tunisienne : Lalla Hadria, Tunis.2015, p9.
20
Op cit p10.
21
René Passeron, « La naissance D‟Icare », éléments de poétique générale, ae2 cg éditions, 1996, presses
Universitaires de Valenciennes, p 93.
56
L‟œuvre de « Inti » (chili), pose la question indispensable de l‟identité et
de l‟altérité qui émerge de la non coïncidence lieu/image. Une sorte de
dissemblance qui interpelle les regardants (les habitants, les visiteurs, les
artistes, ...). La proximité géographique n‟est plus un facteur déterminant
de l‟œuvre, le lieu n‟est qu‟espace véritable selon la décision de l‟artiste,
pour supporter l‟image peinte. L‟aménagement du territoire est neutre,
passif, il accentue la rupture entre l‟image et son support architectural.
Rupture que Daniel Buren décrit comme « tension-crise » entre l‟œuvre et
le lieu d‟exposition, invitant les artistes a repenser cette relation en écrivant
dans son livre : « Notes sur le travail », « il ne s’agit pas de créer son
propre musée ni architecturalement ni culturellement sous prétexte
d’échapper aux musées, ce qui reviendrait une fois encore à tenter de
s’isoler, s’extraire de la réalité, en fait de faire à une autre échelle et de
nouveau son ‘’ petit tableau .’’ ».22 Cette crise liée à la non coïncidence :
événement / société, image / lieu ou expression / contexte ; provoque la
naissance des écarts entre l‟image et son référent et l‟œuvre et son mi- lieu.
De ce fait, la relation reste suspendue : Image qui renvoie à un temps autre,
différent de celui de son instauration. Un temps dont la conjugaison
plastique de ses instants obéit à d‟autres critères esthétiques.
L‟œuvre de l‟artiste Alexis Diaz (Puerto Rico), ne passe pas inaperçue,
elle a quelque chose de particulier, non pas seulement au niveau de sa
forme, mais aussi et surtout au niveau de son contenu. Cette représentation
d‟une main géante permet de penser à un ensemble d‟images conformes à
des traditions picturales et à un registre précis.
Une main géante avec un œil ouvert, représentée sur un vieux mur d‟un
habitat détruit, où avait poussé une végétation qui suggère au moins une
certaine vie dans ce lieu. La forme globale de la main ressemble à un
arbre, avec sa position verticale et surtout accentuée par des racines
représentées en bas du mur, comme continuité de la végétation qui
tourbillonne autour de la main qui représente l‟axe de la forme. Quant à la
couleur verte, elle est symbole de vie dans ce territoire ocre, délaissé.
Image qui suggère un certain sens allégorique, symbolique et même
iconique : reflétant tout un héritage historique de la représentation selon
des lois et des modes qui distinguent la culture chrétienne. Tenant compte
du cadrage, du modèle, du clair-obscur, suivant le modèle de la
Renaissance ; un choix esthétique qui s‟harmonise avec le signe iconique.
Un recoupement de peinture suggérant l‟allégorique avec un espace réel,
22
Daniel Buren,‟ livre. Daniel Buren, Notes sur le travail : les écrits 1965-2012‟‟.
57
qui interpelle le public, mais qui satisfait ou non l‟attente culturelle, c‟est à
discuter.
L‟image ouvre le lieu sur une dimension patrimoniale : (l‟œil Ŕ la main)
symboles de protection, de vigilance, de pouvoir, image, qui nourrit de
nombreuses significations et interprétations. Cette relation, lieu / image,
accentue la complexité des sens connotatifs suggérés et que seul le
registre historique permet la compréhension de ces éléments.
L‟œuvre implique une dimension sémiotique qui nécessite que le public
soit averti ; une sorte d‟acceptation collective de l‟interprétation liée à la
démarche, ou une sorte de consensus permettant de rendre explicite le
message communiqué. Sauf que le public de cette image n‟est pas tout
averti, il est multiple, composé de plusieurs cultures : juive, chrétienne,
musulmane, occidentale et maghrébine. Alexis Diaz a-t-il pensé à tous ces
éléments complexes, en représentant cette main ? A-t-il cherché a repérer
son espace de peinture par des signes accessibles par tout le monde, ou
était Ŕil préoccupé par la production du sens qui appartenait à sa culture,
marquant par le même geste son lieu approprié ?
Sommes-nous vraiment face à une œuvre à connotation idéologique ? Ou
est-ce juste l‟aspect formel de l‟œuvre qui renvoie à ce référentiel ?
Sommes nous donc devant une représentation d‟un mythe contemporain
qui célèbre la relation : homme / environnement, rendue lisible, dans cette
œuvre à travers la main qui renvoie à la vie humaine et la végétation qui
symbolise la nature et la vie saine. Cette complexité sémantique s‟ouvre
sur d‟autres possibilités interprétatives illimitées, accueillant ses reliefs
symboliques à travers la superposition de lectures.
L‟histoire de l‟image est aussi une histoire du regard ; comme manières de
faire voir ; situation qui nécessite la construction du regard à travers
l‟exercice et le vécu du visible singulièrement, afin d‟atteindre un stade
avancé du regard, où ce dernier devient requalifié et ouvert au partage de
l‟affect comme accord entre les regards, suivant la leçon de Deleuze qui a
écrit dans „‟ qu‟est ce que la philosophie‟‟ dans son dernier chapitre
« percept, affect et concept » : « les accords sont des affects »23, qui
‘ « débordent la force de ceux qui passent par eux »24un débordement
nécessaire à l‟extension des affects, au partage ; nécessaire aux images
visibles et à la culture visuelle.
Le regard est cultivé, aiguisé non seulement, selon le regardant et ce qui
est regardé, mais aussi selon le cadre du regard. ‘’Le regard (…), est à coup
23
Gilles Deleuze et Félix Guattari,‟‟qu‟est ce que la philosophie‟‟ éditions originale 1991 by les éditions
de Minuit, Paris ŔCérès Edition, Tunis, p183.
24
Op cit
58
sur, le produit d’une création culturelle ‘’25, nous a dit René Passeron ;
Que signifie donc, cette main verte ? Quel registre symbolique et plastique
révèle-t-elle ?
Venant de l‟Amérique du Sud, de Puerto Rico, pour représenter des
images à Djerba, à ciel ouvert, Alexis Diaz cherche-t-il a promouvoir ce
lieu oublié, ou plutôt a contextualiser sa peinture ? Cette peinture surréelle
qui vient habiter un mur d‟une architecture détruite, une vieille demeure,
négligeant son histoire et son ancienne fonctionnalité, pour s‟afficher
comme nouveau visage du mur. Cherchant à diffuser sa marque, sa
peinture, Alexis Diaz donne à voir des formes simples mais qui renvoient à
une riche culture, créant d‟un même choix une situation de partage du
sensible : œuvrant dans un sens de mise en scène de ces dessins dans un
environnement singulier, à mémoire précise. Une forme de proximité, à
cette nouvelle culture de partage, devenue possible à travers les nouveaux
moyens de communication et les nouveaux médias.
Et c‟est justement dans ce sens que nous sommes entrain de lire les
œuvres des Street artistes dans le cadre de Djerbahood, comme œuvres
liées aux regards pluriels, aux cultures différentes mais partagées dans un
même lieu.
25
René Passeron, „‟ regard critique et regard poïétique‟‟, recherches poïétiques, dossier n ° 7,
printemps1998, p6.
59
sociétés. »26 Un devenir de la mondialisation et de la décentralisation de la
culture. C‟est peut-être dans cette perspective que la galerie Itinérance,
programme l‟évènement „‟ Djerbahood „‟ pour faire de ce lieu de mémoire
« lieux de vie ouverts sur le présent, le vivant et même le festif »27, comme
a écrit Norbert Hillaire, dans « l‟expérience esthétique des lieux ». C‟est
peut-être de la sorte que fonctionnent aujourd‟hui les artistes plasticiens qui
visent un marché mondial à travers des images types comme celles du
tunisien El Seed.
26
René Passeron, « La naissance d‟Icare », ae 2 cg Éditions, Presses Universitaires de Valenciennes,
1996, p 93.
27
Norbert Hillaire, « l‟expérience esthétique des lieux », ouverture philosophique, l‟Harmattan, 2008, p
245.
28
https://frwikipedia.org/wiki/El_Seed
29
El Seed-art.com/el-seed/
30
El seed-art.com/sculpture/
60
Cette calligraphie de grande taille peinte sur des murs, implique la remise
en cause de la relation identité / lieu : la diversité des lieux, la mobilité de
l‟artiste renvoie à la question de l‟appropriation. Dans son œuvre „‟les murs
perdus „‟ :‟‟Lost walls‟‟, El Seed s‟identifie à un héritage singulier (la
calligraphie arabe), sans se limiter au territoire.
Pour cet artiste, le marquage d‟un lieu, est une forme de légitimation de
l‟œuvre et de sa présence ; il matérialise son identité par des expressions et
slogans ou même par des versets coranique comme celle réalisée à Gabes
au sud tunisien sur un mur de la grande mosquée Jara. La calligraphie arabe
renvoie à une expression artistique patrimonialisée et à la création d‟une
marque plastique qui révèle les racines identitaires. Tout le résultat
plastique obtenu dans cette calligraphie murale, s‟inscrit dans ce que la
géographe Pernette Grandjean appelle „‟ la projection de soi dans un
lieu’’31. Une projection qui témoigne du processus historique de l‟identité :
mémoire individualisée par l‟artiste et marquée par une vitalité
contemporaine assurée à travers la facture et les sujets choisis :
'' افتح قلبك،‘‘ '' على الطريق إلى دمشق،‘‘ '' اتفق العرب على أن ال يتفقوا،‘‘ '' إسمي فلسطيه
'' احترموا الكبار،''
Des contenus sémantiques qui stigmatisent l‟artiste et l‟inscrivent dans un
cadre esthétique précis celui de la proximité et de la communication.
Toutes les phrases écrites dans les compositions murales citées reflètent des
situations sociales et politiques actuelles, reflètent aussi l‟intention
esthétique de l‟expérience artistique qui se veut pragmatiste. La conduite
créatrice définit son appartenance culturelle et ses affinités
communautaires ; c‟est une forme de signature artistique qui met en avant
les éléments de l‟ancrage identitaire. Dans ce sens Marie-Christine Poirée
dit dans son livre „‟ l‟empreinte au XXème siècle : « le graphe retrouvant
le mur comme un second épiderme, garde la trace et la mémoire de
l’homme. Comme l’inscription d’une pierre tombale il commémore ceux
que sans cela on pourrait oublier. »32
Dans ce sens, le Street art est l‟expression des artistes qui se sentent
défavorisés, cherchant à marquer leurs territoires, « a renaitre à la vie,
renaitre des ruines de leur passé et rebâtir l’édifice de leurs êtres. »33
La question de la renaissance était fondamentale, non seulement avec El
Seed, mais aussi avec la majorité des participants à « Djerbahood ».
31
Pernette Grandjean , „‟construction identitaire et espace‟‟ ;L‟harmattan, Paris p 13
32
Marie- Christine Poirée, « L‟empreinte au XXème siècle de la Véronique au « Verre ironique »,
Éditions L‟harmattan, Paris, 1997, pp104, 105.
33
Op.cit, p 105.
61
Et si El Seed a gardé la même inscription graphique qui est devenue
presque une marque stéréotypée, c‟est par ce que pour lui, la marque est
indépendante et inchangée quel que soit le lieu qui la reçoit. La
Calligraphie est pour cet artiste, mémoire d‟une identité, et l‟art pour lui,
c‟est donner forme à la mémoire, pour permettre d‟accéder à l‟espace
contemporain. Norbert Hillaire précise qu‟ « avec la question de l’œuvre et
du lieu, c’est donc la question de la mémoire qui surgit, et elle se pose en
particulier à propos du patrimoine et du monument.»34
Une expression qui révèle un certain besoin de retour au patrimoine,
recherche d‟une identification à une culture et à un espace. C‟est en fait un
repère gardé en mémoire et exploité comme la boussole qui détermine la
construction de la relation aux territoires. L‟œuvre de l‟artiste belge Roa
en est l‟exemple ; œuvre qui propose une configuration singulière basée sur
des sujets simples comme : le caméléon, le poulpe, l‟œuf et le crâne… ;
compositions réduites le maximum à une seule forme fabuleuse.
34
Norbert Hillaire, « expérience esthétique des lieux », L‟Harmattan, 2008, p 109.
62
par là. « Les artistes, (…) ont pris une autre voie : ils ont fait œuvre pour
nous faire vivre, sentir et penser autrement le paysage urbain ».35
Un lieu urbain comme lieu de circulation, lieux de modes d‟expression
autres et d‟appropriation ; lieux transformés en sites artistiques selon ce
qu‟on appelle aujourd‟hui „‟démocratie culturelle „‟. Des sites réanimés par
des artistes qui s‟inscrivent dans une interaction socio-esthétique,
participants, qui s‟engagent volontairement ayant l‟intention de mêler „‟in
socius „‟ avec „‟ l‟in situ‟‟ dans des espaces patrimoniaux.
L‟idée de cette transfiguration du site provient d‟une idée adoptée par les
Streets artistes qui convient les publics au partage de l‟espace : qu‟ils
ouvrent entre eux et ceux qui veulent participer à sa transformation
momentanée. Une expérience qui implique tous les autres espace-temps, à
travers un travail d‟adaptation plastique, d‟une forme dans un lieu pour
faire interagir ce qui est représenté et l‟espace de représentation : créant
une symbiose bizarre entre le site détruit et la grande forme bleue qui
s‟impose et anime le lieu, rappelant un „’temps fabuleux’’ comme disait
Mircea Eliade, temps des „‟commencements„‟, à travers ce poulpe géant qui
s‟installe dans ce monde de ruines, suggérant la vie et la renaissance. Un
animal marin, objet d‟un culte peut être, selon la croyance grecque, choisi
par l‟artiste belge Roa comme l‟une de ses principales formes dans ce
projet ; animal qui révèle un ailleurs perdu, ramène à l‟histoire de cette île
„‟Djerba‟‟, à son passé, à son appartenance à la méditerranée.
Sur cette terre mythique, Roa, peint ses animaux géants, imposant leur
présence sur des architectures regardant les passagers et se baignant dans
les rayons jaunes du soleil du sud. Cette forme d‟expression invite à
l‟interrogation sur la relation entre l‟œuvre et son espace ; ce mi- lieu qui
évoque des références locales et d‟autres appartenant aux autres
cultures. „’Pour qu’une croisée des regards, permette de constituer la
subjectivité dans le monde „‟36, comme a écrit Marie Ŕ José Mondzain.
Étant séparés et unis, les artistes participant au projet „‟Djerbahood‟‟, ont
vécu le lieu universellement, puisqu‟ils ont rendu des récits et des formes
qui ne coïncident pas forcément avec le patrimoine local. Il est
remarquable que les représentations sont l‟écho d‟une culture planétaire,
devenue mondialisée : expression libre, graffiti, Street art…, d‟ailleurs en
vogue dans le monde entier, envahit toutes les villes et ayant public partout
et nombre de participant toujours en augmentation. Ces évènements
artistiques à caractère participatif impliquent la singularité des lieux
(anciennes villes, ruines, maisons traditionnelles, sites archéologiques,
35
François Soulages, « La ville et les arts à partir de Philippe Cardinali », l‟Harmattan, 2011, p 195.
36
Marie- José Mondzain, « Esthétiques et sociétés », Editions L‟Harmattan, Paris, 2009, p 81.
63
quartiers populaires (…) sans contraintes d‟harmonie universelle, bien au
contraire, les critères esthétiques varient selon les artistes, qui se sont fixés
des styles indifférents aux lieux et aux territoires choisis. Le choix de
l‟artiste Roa, de représenter des animaux, n‟est pas déterminé en fonction
du site puisqu‟il a opté pour le même sujet dans toutes les villes visitées :
Panamá City, Albany (NY)- Living Walls 2011, Nässjö-Suède, San Juan -
Puerto Rico, Mexico...
Une peinture qui devient marque d‟un artiste, tout comme la calligraphie
d‟El Seed, l‟animal de Roa peuple l‟architecture qu‟il occupe : ruine ou
neuve, classique ou moderne, palais ou prison ; il est devenu signature
déterminant l‟identité plastique de l‟artiste.
4. Le marquage du lieu : L’expérience déterritorialisée
De manière symptomatique, les Street artistes interviennent de la même
manière dans leurs pays que dans d‟autres, aussi bien dans un lieu rural que
dans un lieu urbain, ils veulent créer des recoupements culturels et
civilisationels, en marquant les lieux par leurs traces qui témoignent de
leurs passages et qui représentent surtout une forme d‟unification des
territoires. L‟artiste espagnol David De La Mano, a représenté ses mêmes
silhouettes noires à Djerba, à Paris, à Londres, à Israël et dans plusieurs
villes et villages.
L‟œuvre représente des formes stylisées sombres, d‟un aspect minimaliste
et expressif. Œuvre qui se donne comme foule noire, personnage seul, un
couple ou un groupe ayant presque la même allure, l‟anonymat est suggéré
par la couleur noire qui accentue la dimension surréelle des formes. Mais
face à cette peinture, le public de Djerba n‟a pas senti la même chose que
le public français ou espagnol, ils n‟ont pas les mêmes références et donc
ne peuvent pas consommer de la même manière et avoir la même
sensibilité à cette foule noire, qui vient de partout, rappelant des mises en
scène du jugement dernier selon la tradition chrétienne, devant cette œuvre
un public averti, trouve vite ses repères sémantiques et plastiques, mais un
public non averti ne peut consommer les œuvres que comme éléments
décoratifs, chose qu‟on a vite détectée en regardant la vidéo présentée par
(Hamideddine Bouali www. Djerbahood.com) et (www.lamula.fr), qui
montre l‟attitude du public djerbien, à travers ses commentaires et ses
interprétations de l‟évènement « Djerbahood‟‟ et des œuvres en particulier
qui, sont selon les intervenants dans la vidéo : „‟ images qui embellissent le
quartier ».
Le discours véhiculé et la position des citoyens renvoient à la relation
avec un touriste parce que le statut de l‟artiste n‟a pas changé chez la
majorité des habitants des lieux, de leur attitude folklorique ; Même les
64
déclarations des artistes n‟étaient pas directes et franches, ils avaient un
discours flatteur pour ne pas choquer les habitants et les présents en
général. Cette attitude n‟a pas trop valorisé les œuvres et n‟étaient surtout
pas au service des artistes eux mêmes. Discours flottant, qui déroutait les
critiques et les spécialistes amenant la situation de la rencontre, œuvre/ lieu
et public/artiste, à un niveau économique et touristique standardisé. Même
si dans toute cette situation floue, certains artistes ont su transformer le lieu
de communication en un lieu de création et de partage du sensible,
évoquant une dimension esthétique singulière ; le Street art et l’in situ,
restent dans certaines sociétés, dépendants de validation par le biais d‟un
texte écrit ou d‟un discours explicatif, chose qui n‟est pas forcément
nécessaire dans le monde occidental où le land art et le Street art ont vu le
jour. Dans ce sens Daniel Buren a dit : « il ne s’agit pas d’ornementer
(enlaidir ou embellir) le lieu (l’architecture) dans lequel le travail s’inscrit,
mais d’indiquer aussi précisément que possible l’appartenance du travail
au lieu et inversement, aussitôt que celui-ci s’y ‘’affiche’’. »37 Cette vision
artistique de l‟in situ, qui consiste à mettre en place des dispositifs et des
matériaux qui s‟intègrent dans des environnements précis, choisis par
l‟artiste ; implique une nouvelle dimension esthétique de l‟urbain, de
l‟éphémère et du partage.
Le territoire est donc le principal élément, non seulement de la
construction d‟une œuvre, mais aussi de la construction d‟une identité
plastique, qui semble être basée sur le concept de la réduction des moyens
au profit de l‟attitude et de la mise en œuvre du lieu. Des expériences qui
suscitent une relation nouvelle avec la nature, faisant grande impression
chez le public ; mais démontre surtout, que l‟activité artistique ne se
résume pas à la production d‟œuvres d‟art, mais implique la singularité de
l‟acte créateur, de la signification et de l‟exploitation de l‟environnement
naturel ou urbain dans le cadre général de l‟art contemporain. C‟est d‟être
aussi dans son propre rituel artistique, vivre le lieu et vivre la performance
de l‟animation de ce dernier, comme a fait l‟artiste Pantonio Tinho, qui a
voulu ré-identifier son lieu par une représentation de figures sur plusieurs
murs, composant un labyrinthe, avec l‟image discontinue d‟un lapin qui
court d‟un mur à l‟autre accentuant la multiplication des angles de vue et
l‟aspect fictif de la composition. Quant à la jeune fille, elle est stable, elle
regardait le petit animal se déplacer, tout comme Alice au pays de
merveilles, elle est éblouie par ce monde bizarre. En fait, les formes
ponctuent le lieu, brisent la linéarité du temps et se mettent en situation
dans l‟espace, selon l‟organisation de la scène suggérée. Quant à B-Toy, il
37
Daniel Buren, „‟livre. Daniel Buren ; notes sur le travail‟‟, les écrits 1965 -2012
65
marque son lieu par des visages anonymes qui le ponctuent, l‟éclairent et
l‟habitent.
Les œuvres de B-Toy nous rappellent les images paléochrétiennes peintes
dans les catacombes là où les peintres composaient avec les murs et
l‟architecture. Par une palette spécifique, des ocres jaunes et des ocres
rouges qui se détachaient bien du mur détruit, comme renaissant de ruine,
B-Toy crée sa peinture, l‟impose, défiant le cadre urbain et créant son écart
esthétique.
Une image à la recherche d‟un lieu qui l‟abrite, que B-Toy installe ici,
dans cet habitat détruit, pour lui redonner vie, à travers la vivacité de ce
visage épanoui comme celui d‟une vierge d‟un Raphaël ou d‟un Caravage.
Le lieu semble accueillant de l‟image malgré son statut d‟intruse, il
l‟encadre bien, lui sert comme champ de renaissance qui s‟ouvre aux
différentes figures afin d‟en créer un nouveau monde qui tolère les
contrastes et les écarts sémantiques et esthétiques.
Dans cette même logique s‟inscrivent l‟œuvre de l‟artiste libanais Yazan
Halwani et de l‟artiste Kenyan WiseTwo qui obéissent tous deux à leurs
registres sémantiques : l‟image du poète palestinien Mahmoud Darwich
comme figure emblématique dans le monde arabe, image tellement
sémiotisée que sa présence devient message et sens connotatif de la
révolution et la résistance. Cet agencement lieu / image, est révélateur de
dimension subversive : „‟Elhara‟‟ un lieu habité par des juifs tunisiens qui
se trouve habité par l‟image du grand poète palestinien Mahmoud Darwich,
ouvre les champs de l‟interprétation et des écarts . L‟image de Yazan
Halwani crée un compromis entre le réel et le fictif, un message sans bruit à
travers cette référence singulière, invitant le monde entier à partager cette
rencontre géographique dans un lieu autre, un „‟ailleurs‟‟ qui transforme le
réel et l‟inscrit dans un nouveau cadre. Quant au portrait géométrique de
WiseTwo qui s‟inscrit dans la facture africaine par excellence avec ses
formes géométriques, ses couleurs contrastées, ses proportions décalées et
son aspect irréel, c‟est un visage qui ressemble plus à un masque ou à une
sculpture. En fait les deux artistes sont restés fidèles à leurs références,
choix qui n‟a pas été fait par le portugais ADD Fuel, qui a opté pour un
travail qui restitue le caractère identitaire du lieu : à travers des formes
géométriques bleues rappelant l‟arabesque et les ornementations arabo-
musulmanes. C‟est probablement une manière de composer avec la
mémoire du lieu, qui survécut même à travers des signes et des bâtiments
fragmentaires ; une sorte de résistance à l‟oubli que les artistes récupèrent
comme énergie interne à leurs œuvres. ADD Fuel a donc restitué ce
caractère identitaire tardif de Djerba : style, couleur, forme et architecture.
66
Le bleu de la composition révèle bien le bleu de la porte et l‟éclat des
murs blancs ; un retour au standard esthétique attribué à la Tunisie surtout
(Sidi Bou Saïd), une forme de légitimité recherchée par certains artistes à
travers le respect de la facture et du style local. L‟expérience du lieu
implique surtout l‟expérience de la réception, comme vécu sensoriel de
l‟œuvre en tant que condition et forme.
La réception se joue en fonction du territoire et de son histoire comme
élément problématisant du faire artistique et déterminant de la situation de
réception. Dans ce sens, le travail artistique environnemental se situe dans
des contextes d‟adaptation aux lieux choisis, selon des stratégies de faire et
de communication indéterminées d‟avance, mais qui prennent forme au fur
et à mesure de l‟évolution de leur processus d‟instauration.
Par exemple certaines œuvres qui sont réalisées à Djerbahood, comme
celles de Kan et Logan Hicks, ont été adaptées à l‟esthétique locale à
travers le choix du contenu plastique : points colorés agencés dans un
ordre régulier, rappelant les compositions des arabesques avec des couleurs
vives et un aspect décoratif. C‟est une forme de requalification d‟un
contenu et d‟une forme locale dans son territoire : comme pour mettre
l‟accent sur l‟ancrage identitaire de l‟élément plastique. Mais s‟agit-il,
dans ce cadre artistique et esthétique, de respecter les éléments
symboliques attachés aux lieux ? Ou au contraire, de proposer de
nouveaux moyens d‟expression qui transformeront les lieux par leur
imaginaire ?
Certaines œuvres du projet Djerbahood proposent des réponses à cet
enjeu, en combinant deux contenus : un figuratif et un abstrait, (l‟œuvre de
Brusk), comme adaptation entre la calligraphie et la représentation. Une
forme d‟entre deux, qui n‟a pas de caractère clair, mais qui se veut dans
l‟un et dans l‟autre, comme un hommage rendu à la calligraphie arabe et à
l‟architecture traditionnelle.
Dans cette visée plastique, l‟artiste marocain Abdellatif Moustad, réalise
son œuvre qui se veut formes en harmonie avec le cadre spatial à travers les
losanges alignés sur la façade de l‟habitat et la calligraphie, ornant en
graphismes, ces formes régulières. Il met sa composition géométrique à
l‟épreuve du site patrimonial, il s‟inscrit dans un autre temps, celui de son
imaginaire. Un temps mémorial de l‟ancien rapport entre peinture et
architecture et entre calligraphie et architecture ; héritage mis en forme
comme dialogue avec la tradition.
67
C‟est comme si la situation de la création est inscrite dans la récupération,
le retour aux racines pour pouvoir s‟en détacher, s‟écarter et se recréer dans
ce lieu- même.
Les œuvres qui ont été créées dans les sites d‟Erriadh sont surtout ponts
de rencontres et versions d‟échange artistique et espaces d‟interactivité ;
mais certaines œuvres n‟ont pas pu atteindre ce statut, elles sont restées
nostalgiques aux traditions et aux formes déjà connotées. C‟est pourquoi
leurs moyens d‟expressions ont été vus comme ajoutés au lieu et non pas
comme ouverture et extension du patrimoine.
C‟est à partir de ce même patrimoine que l‟approche de la délocalisation
du lieu a vu son développement et sa pluralité dans les différentes
problématiques de l‟art contemporain qui interroge la ville, les territoires et
les sites à mémoire.
Bibliographie
Daniel Buren,‟ livre. Daniel Buren, Notes sur le travail : les écrits 1965-2012.
François Soulages, „‟la ville et les arts à partir de Philippe Cardinali, l‟Harmattan, 2011.
Gilles Deleuze et Félix Guattari,‟‟qu‟est ce que la philosophie‟‟ éditions originale 1991
by les éditions de Minuit, Paris ŔCérès Edition, Tunis.
Marie- Christine Poirée, « L‟empreinte au XXème siècle de la Véronique au « Verre
ironique », Éditions L‟harmattan, Paris, 1997.
Marie- José Mondzain,‟‟ esthétiques et sociétés‟‟, éditions L‟Harmattan, Paris, 2009.
Martine Joly, „‟L‟image et les signes‟‟, Approche sémiotique de l‟image fixe. Éditions
Nathan 1994.
Mehdi Ben Cheick : « Djerbahood, le musée de Street art à ciel ouvert», Galerie
Itinérance, Edition française originale : Éditions Albin Michel, Paris, Édition
Tunisienne : Lalla Hadria, Tunis.2015.
Norbert Hillaire, „‟ l‟expérience esthétique des lieux „‟, ouverture philosophique,
l‟Harmattan, 2008.
Pernette Grandjean, „‟construction identitaire et espace‟‟ ; L‟harmattan, Paris p 13.
René Passeron, « la naissance D‟Icare », éléments de poétique générale, ae2 cg éditions,
presses Universitaires de valenciennes, 1996.
René Passeron, „‟ regard critique et regard poïétique‟‟, recherches poïétiques, dossier n °
7, printemps1998.
René Passeron, la naissance d‟Icare, ae 2 cg Éditions, Presses Universitaires de
Valenciennes, 1996.
68
https://frwikipedia.org/wiki/El_Seed
www.El Seed-art.com/el-seed/
www. El seed-art.com/sculpture/
www.djerbahood.com.
69
Buren ou les rayures révélatrices
Zouhè Chaibi Bouden
Assistante à l‟UIK
Buren utilise les bandes alternées non pas comme support à l‟invention
d‟une toile abstraite, mais comme un "outil visuel", c'est-à-dire comme un
motif capable de révéler le lieu dans lequel l‟œuvre s‟inscrit ; en rapport
avec…, en conflit avec…, en harmonie avec…, perturbées par…, définies
par…, construites sur…, définissant un message…
70
Les outils de travail de Daniel Buren
Travail in situ
La notion de travail in situ, telle que Daniel Buren l‟emploie pour définir
son activité artistique dès 1965, signifie que l‟œuvre naît de l‟espace dans
lequel elle s‟inscrit ; elle ne saurait être envisagée sans considération de son
lieu de présentation, dans et pour lequel elle est conçue. L‟artiste mène des
expériences picturales ; il constate rapidement que « l‟environnement de la
peinture [...] semble toujours plus important et plus riche que la peinture
elle-même.» Or ce caractère déterminant du contexte est bien souvent
oublié, ignoré ou accepté sans discussion, au nom de la « soi-disant
autonomie de l‟œuvre d‟art » (une œuvre aurait un contenu intrinsèque qui
agirait de la même manière en toutes circonstances). Une idée contre
laquelle lutte Daniel Buren, affirmant que le lieu agit sur l‟œuvre, de façon
extrêmement forte et toujours non-dite, que le musée notamment soumet
les œuvres à ses contraintes et à ses implications sous-jacentes, presque
toujours en contradiction profonde avec les œuvres exposées.
Chaque œuvre de Daniel Buren est donc indissociable de son site, qu‟elle
soit en osmose avec lui ou érigée contre lui.
71
Travail situé
Ce ne sont pas pour autant des œuvres qui peuvent s‟accrocher « n‟importe
où », insiste Buren, et on retrouve là sa lutte contre la « soi-disant
autonomie de l‟œuvre d‟art » ; il y a bien une règle du jeu à suivre et un
type d‟espace à adopter, ce sont des travaux mobiles dont on peut voir
différentes combinaisons, différentes versions.
L‟outil visuel
72
Cet outil, disposé judicieusement dans un lieu donné, peut attirer
l‟attention et en même temps s‟intégrer au site : c‟est cet équilibre qui a
permis à Daniel Buren de le conserver, son efficacité ne s‟étant jamais
démentie. À la manière de ponctuations, les bandes verticales révèlent les
spécificités, les dimensions d‟un lieu (elles fonctionnent comme un
instrument de mesure), elles incitent aussi le spectateur à porter un regard
nouveau sur un endroit familier, elles sont un appel, un signe, le seul
élément invariant d‟un vocabulaire qui s‟est renouvelé de lieu en lieu, au fil
des ans.
La couleur
73
La lumière
Le reflet
Le reflet est l‟un des éléments auxquels Daniel Buren a pu avoir recours
dans ses dispositifs, au travers de miroirs, de matériaux réfléchissants ou de
jeux d‟eau. Sa première des propriétés est l‟inéluctable inclusion de
l‟espace autour de l‟œuvre appuyant la position de l‟artiste sur
l‟interrelation fondamentale entre l‟objet et son contexte. En outre, un reflet
n‟est jamais fixe, il est toujours dépendant de la position du regardeur : on
retrouve là une autre idée défendue par Daniel Buren : aucun point de vue
unique ne saurait être privilégié. Le miroir « contextualise » donc l‟objet en
fonction de la mobilité du spectateur : il y a une infinité de points de vue
possibles, et ceux-ci sont toujours fragmentaires. Dans certains cas enfin,
l‟usage du reflet offre un « effet spécial»: l‟impression d‟infini lorsque
deux miroirs sont placés face à face, la multiplication du reflet dans les
angles, l‟annulation des frontières, ou encore la vision périscopique, qui
offre un spectacle inédit et surprenant.
Au-delà de ces effets, Daniel Buren confie au miroir un vrai rôle, celui
d‟un « troisième œil », qui permet de voir en même temps ce qu‟on a
devant les yeux et derrière la tête. Ainsi le miroir « n‟a pas forcément
l‟ambition de réfléchir quoi que ce soit, mais a plutôt l‟intention de montrer
des choses bien particulières, que seuls des miroirs peuvent montrer. De
plus, il transforme l‟espace et permet de voir « plus et différemment. »
74
Ainsi, refléter, c‟est donner une façon de voir, dynamique, c‟est aussi
renvoyer l‟œuvre à autre chose, à l‟extérieur, à son regardeur.
Points de vue
Révéler
75
la vérité absolue, mais d‟une révélation critique et sensée. Une révélation
en quelque sorte similaire à celle que procurent les instruments optiques :
on voit d‟une autre manière, on perçoit ce que l‟on ne percevait pas
forcément, on nous dévoile l‟invisible. L‟art de Daniel Buren pourrait être
considéré dans son ensemble comme un « outil pour voir », un outil à la
disposition du spectateur.
Dès les premiers affichages sauvages dans la rue, à la fin des années 1960,
il s‟agit de révéler les règles implicites et/ou inconscientes qui régissent le
domaine de la vision, les conditions de visibilité de l‟art et les faux
présupposés sur l‟artiste, ce que Daniel Buren développera continuellement
ensuite, lorsque des institutions l‟inviteront.
Mouvement
Pour Daniel Buren, le spectateur doit être actif et explorer une œuvre sous
différents points de vue ; l‟œuvre elle-même doit prendre en compte cette
dimension : certains de ses éléments ne s‟apprécient qu‟avec le
mouvement, et elle peut elle-même être mobile
76
et du mouvement. Ces démarches nous rappellent combien son œuvre est à
rapprocher des modalités du théâtre ou même du cirque.
L‟œuvre d‟art ne tient plus figée dans son cadre, accrochée au mur du
musée, elle passe par la fenêtre et vagabonde. Le mouvement devient son
moteur : le vent gonfle les drapeaux, les bannières, comme les voiles de
bateau, les bus et les trains emmènent l‟art sur leurs chemins, les escalators
deviennent cascades, les couleurs et les formes fuient et s‟adaptent sans
cesse, rien n‟est établi. Au regard et au corps de se mettre en mouvement, à
leur tour.
Le son
La sonorité est une question qui a beaucoup hanté les arts visuels du XXe
siècle ; bien que les dispositifs d‟enregistrement, de diffusion et de création
sonore soient en plein essor, ces outils restent encore inexplorés par de
nombreux artistes.
Finalement, Daniel Buren, est l‟un des créateurs français les plus reconnus
et honorés dans le monde. Il a réalisé près de deux mille expositions dans le
monde entier. Originaire de Boulogne-Billancourt, il déclare vivre et
travailler in situ, mettant l‟accent sur l‟importance fondamentale des sites
dans lesquels et pour lesquels il crée: l‟essentiel est à faire, à voir, à
77
expérimenter, dans le lieu même. À chaque fois les dispositifs sont uniques
et détruits à la fin de l‟exposition puisqu‟ils ne peuvent être installés
ailleurs. Chaque œuvre de Daniel Buren est donc indissociable de son site.
La force évidente de l‟œuvre de Daniel Buren serait-elle l‟offre sans
relâche, d‟un terrain fécond, mettant en place la démocratisation de l‟accès
à l‟art contemporain ?
BIBLIOGRAPHIE :
-Daniel Buren, « Au sujet de… », Entretien avec Jérôme Sans. Flammarion, Paris, 1998,
p.24.
78
Installation-performance :
« Corps-à-corps»
Lieu d’une œuvre sculpturale en éclat
Meriam Ferchichi
Plasticienne chercheur
Introduction :
Depuis la modernité, la création artistique peut être assimilée à
l'exploration des productions hybrides, ou radicalement nouvelles,
inclassables dans les anciennes catégories. Ainsi, divers terminologies
apparaissent sous le nom de ("performance", "body art", "land art", "art
conceptuel», «installation",...).
L'un des points à remarquer dans l'art du XXe siècle, est la diversité
des productions, qui est une ouverture des catégories artistiques
traditionnelles telles qu'elles étaient représentées par les arts plastiques
:(Peinture, Sculpture, Architecture...).
79
Danser, sculpter, peindre, dessiner sont des pratiques qui composent,
mes recherches, mon travail, ma vie et plus particulièrement la vie des
arts plastiques et de la danse, des disciplines en perpétuels mouvements,
en controverse ou en symbiose caractérisent ma façon de faire, de
toucher, de caresser les choses, de voir, de regarder, d‟observer, de
reculer, de contourner la matière comme un partenaire de danse, de
parcours.
« Ce que j’ai fait, c’est que j’ai donné à la danse autant d’importance
plastique que cinétique (mouvement physique).Voyez-vous, le danseur
pense toujours d’une façon cinétique, tandis que je pense plastiquement
aussi »38
En effet, cette mixité artistique est ancrée en moi, je me reconnais dans
cette transdisciplinarité qui orchestre la recherche artistique, qu‟elle soit
issue de la scène ou des arts plastiques.
Ma pratique plastique dans le monde de l‟art de la scène est
probablement fort enrichissante dans mon travail de plasticienne, et
réciproquement.
38
POPPER Frank, Art, Action et Participation l’artiste et la créativité, Editons Klincksieck, Paris, 2007,
Page 105.
80
1-Corps comme lieu de l'activité créatrice :
39
Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, Editions Gallimard, 1976, page 349.
81
Le but aussi est de faire sentir aux spectateurs le mouvement,
l‟impression d‟une confusion entre le mouvement réel et irréel d‟un
corps sculptural, diriger ses pas, contrôler ses gestes, la direction de son
regard, de son toucher, le guider vers un circuit qui lui est réservé,
mettre en scène son corps avec celui du lieu.
De nos jours, chaque artiste dans son champ disciplinaire propre, et par
son interaction avec les autres champs, peut avoir une vision commune
avec les autres artistes issus d‟autres disciplines en s‟exprimant par
d‟autres moyens.
Cette situation qui fait que les arts ont suffisamment la possibilité de
voir ce qui les unit par-delà leurs différences est totalement original
dans notre histoire et s‟enracine dans la création contemporaine.
Je propose de situer ma pratique au sein de l‟ensemble
transdisciplinaire, immergeant la recherche à l‟intérieur d‟un espace-
temps d‟une expérimentation.
Intégrer la méthode de la danse, la notion d‟improvisation et de
chorégraphie dans les arts plastiques, suscite mon intérêt pour la
transdisciplinarité, là où les disciplines sont complémentaires dans la
création artistique. Cela n‟est pas sans enrichir la vision des arts
plastiques et les arts de la scène, sur la vision du corps du danseur, du
corps de la sculpture, du corps du spectateur, tout cela à travers leur
complexité et leur unité.
Les arts plastiques et les arts de la scène travaillent tous deux sur les
limites de l‟invisible et du visible, tous deux traitent du corps par leur
langage. Au-delà de leurs spécialisations, ils peuvent tisser des liens,
une nouvelle peau vers une nouvelle vision du corps.
82
Est-ce que c‟est l‟œuvre qui fait l‟espace ? Ou est-ce que c‟est l‟espace
qui fait l‟œuvre ?
2-Laboratoire du geste :
C‟est par l‟expérimentation de l‟installation et la performance dans
plusieurs espaces, à différents moments, que je pose l‟hypothèse que
l‟instauration de la mise en scène du corps dans un champ
transdisciplinaire ne peut être à la proportion de l‟œuvre qu‟une fois
présentée, exposée et mise en connexion avec le spectateur dans un
espace-temps défini.
83
Faire danser la sculpture revient à faire vivre, donnant la vie aux
nouvelles sensations et perceptions inattendues, d‟où la nécessité d‟une
création chorégraphique qui libère la sculpture de son immobilisme.
Cette production présente plusieurs situations objectives et subjectives
qui communiquent les unes avec les autres au sein d'une présentation
éclatée d‟une sculpture en mouvement grâce aux gestes des danseurs,
des ombres et des lumières.
Fig-1
84
Il s‟agit de sculpter des lignes et des plans plus que des volumes et des
masses, comme le démontre la figure-1 ci-dessus, de s‟inspirer de
l‟objet banal tel que ce tissu collant, cette matière qui ressemble à notre
peau et le réinventer en lui donnant un corps, celui de la sculpture,
« L’essence de la peinture est une toile blanche, l’essence de la
musique, le silence, et l’essence de la sculpture, l’objet trouvé. »40
Car dans cette étude, ce tissu exige une attention, une méthode, pour le
comprendre, nous analysons la matière de plus près et de loin, nous
l‟observons, nous décortiquons, chaque limite.
40
Norbert Hillaire, « L’expérience esthétique des lieux », Editions L‟Harmattan, Paris, 2008, Page180.
41
MANCO Tristan, Matériaux +Arts = œuvre, Quand les artistes contemporains font appel à des
matériaux naturels ou recyclés, Editions Pyramyd, 2010, Page24.
85
-La relation corps-espace ;
-Les attitudes et les aptitudes du corps ;
-Son rapport au toucher.
Fig-2
Installation du cube de 1.70/1.70m avec extension de collant, au milieu mon
corps - Salle de danse du centre chorégraphique Santa en Italie, 2012
Photo prise par Marco Brugiafreddo
86
Fig-3
Rudolph Laban , Space Modules of the Arms and Legs I , Kirstein, 1953.
87
est menée une étude des mouvements préparatoires à l‟espace de
l‟installation performance qui tient compte de la gestuelle, des
déplacements dans l‟espace, des rythmes, des postures, des
enchaînements des mouvements dans un circuit prédéfini.
Les procédés se divisent en expérimentations théoriques et pratiques.
J‟analyse la disposition du corps sculpturale et des spots de lumières qui
se font par rapport à l‟espace et les corps des danseurs, afin de les
mettre tous en situation comme dans la figure ci-dessous
Fig-4
88
Fig-5- INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS », « Une esthétique du banal »
Palais la Abdeleya à la Marsa , Tunis, 2015
Photo prise par Hakim El Ahmoudi
Fig-6- INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS »
« Corps 360° », Centre Russe des sciences et de la culture, Tunis, 2015.
Photo prise par Lokmen Trabelsi
89
b-Chorégraphie des corps :
Dans la seconde étape de l‟itinéraire, les danseurs sont éparpillés dans
la salle de l‟exposition, dans le même lieu où se trouvent les spectateurs,
vêtus identiquement de noir.
Les parois du cube sont répandues sur quatre danseurs dans quatre coins
de l‟espace et placées parallèlement comme les diagonales d‟un carré
laissant la place aux spectateurs pour circuler au milieu et observer ce
qui se passe devant les paravents. Derrière chaque danseur, se trouve un
spot de lumière éloigné à 5 cm de son corps de manière à ce qu‟il joue
sur l‟étirement de son ombre en épousant la sensation de la tension du
collant en extension.
Fig-7
INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS »
« Corps 360° », Centre Russe des sciences et de la culture, Tunis, 2015
Photo prise par Lokmen Trabelsi
90
performance, devient une source d'imagination, en se servant d‟un corps
pour en inventer un autre.
Fig-8
INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS »,
« Corps 360° », Centre Russe des sciences et de la culture, Tunis, 2015.
Photo prise par Lokmen Trabelsi
91
Comme le formule Didi-Huberman:" La peau est comme un oignon,
chaque corps dans la nature se trouve composé de multiples séries de
spectres, en couches superposées. Chacun est donc un feuilleté de
pellicules imperceptibles. Ce qui nous amène à dire que la peau est une
infinité de plis."42
En effet à travers la perception des ombres projetées dans l‟espace une
sorte de peau dévoile des enveloppes cachées dans ses profondeurs,
comme un passage d'un lieu à un autre, d'une peau à une autre, à la fois
une apparition et une disparition.
c-L’espace dansant :
La participation du spectateur à l'œuvre d'art n'est pas chose nouvelle.
Depuis longtemps, le travail de l'artiste ne trouve son accomplissement
que dans la manière dont le visiteur ou le contemplateur de l'œuvre va
l'investir. C‟est ce qui caractérise, toutefois, ce que l'on appelle
'l'interactivité' l'intervention directe du spectateur dans le déroulement
et le fonctionnement de l'œuvre. Ce lien ne s‟effectue qu‟au niveau
même de sa mise à la disposition du public.
Cet élément à connotation sculpturale perd une partie de son sens
traditionnel. Sa situation symbolise la déconstruction du cube de façon
qu‟il perde sa fonction habituelle et que l‟espace du cube se trouve
éparpillée dans tous les sens dans l‟espace. L‟image du cube projetée
sur les murs à travers l‟ombre est pour ainsi dire éclatée de tous côtés
par une transgression et un renouvellement du code sculptural.
42
Didi Huberman Georges, « Etre crane, lieu, contact, pensée, sculpture », Ed, Les éditions de minuit,
Page 20.
92
Ces ombres intriguent et en même temps impressionnent de partout dans
la pièce, l‟espace devenu la matrice des jeux d‟ombres, qui se dégagent
comme des strates, dans tout l‟espace.
« L’architecture n’est-elle pas elle aussi, à travers et en elle-même, un
équilibre invisible entre la dynamique des espaces réels et tangibles et
le sens des lieux qu’elle construit et prolonge ?»43 La création
chorégraphique se joint à la perception esthétique là où le mouvement
devient lui- même objet esthétique, corps esthétique.
Les catégories de l‟espace et de la durée s‟entrecroisent en effet, en
prenant compte de la durée de la musique comme un point fixe et le
parcours des danseurs dans tout l‟espace.
Chacun des spectateurs dans cette mise en scène possède un temps et
un espace de déplacement différent, il y a un temps de contemplation et
de mouvement, où la forme des figures des ombres, restent toujours
improbables. Il y a aussi un temps d'oubli et un temps d'imagination, un
temps de création et un temps d‟errance, marquant l'espace avec son
corps et son ombre, il s'agit ici d'une re-création continue.
Fig-9
INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS », « Corps 360° »
Centre Russe des sciences et de la culture, Tunis, 2015
Photo prise par Lokmen Trabelsi
93
danseurs avec le corps de la sculpture, soudés par une nouvelle
séquence de la chorégraphie.
L‟espace prend corps à travers le corps de l‟installation-performance et
celui des spectateurs. Non seulement nous laissons au début aux
spectateurs la liberté de trouver la pose qui leur convient dans l‟espace,
mais aussi de leur faire croire que le lieu de l‟observation est celui du
milieu qui est le plus intéressant, les guidant vers le milieu de
l‟installation-performance, sans les inviter ils se dirigent par eux-
mêmes.
Fig-10
INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS »
« Une esthétique du banal », Palais la Abdeleya à la Marsa , Tunis, 2015
Photos prise par Hakim El Ahmoudi
94
Une nouvelle perception s‟installe, une nouvelle étape de la mise en
scène, une autre organisation performative qui se produit, celle de la
prise au piège du spectateur par le cube et les danseurs. Ici se
présente le moment le plus improvisé de la performance car on ne
peut jamais prévoir la réaction d‟un spectateur, c‟est pourquoi, nous
avons tenté au début, de l‟attirer comme une proie, où le corps du
spectateur doit jouer le rôle du corps acteur involontairement mis en
scène différemment de celui des danseurs et celui de la sculpture.
Son corps est pris au piège, il est obligé par le mouvement des parois
de se déplacer là où le portera la vague de la danse.
L‟espace, de la salle n'est donc plus un vide mais constitue un corps, je
me dois d‟opérer un passage, une liaison spatiale et temporelle, ce qui
procurerait au regardeur un pouvoir d‟action, de devenir un élément de
la sculpture, l‟espace est donc voyant et mobile, un corps en
mouvement, ouvert vers des transformations dans un chaque instant
ayant des rapports changeant entre forme et espace.
95
Fig-11
INSTALLATION-PERFORMANCE
« CORPS A CORPS »
« Corps 360° »
Centre Russe des sciences et de la culture, Tunis, 2015.
Photos prises par Heithem Chebbi
96
de la même installation-performance, la mise en scène des deux était
totalement différente et cela est dû aux réactions subjectives et
imprévisibles émises par les spectateurs, dû au lieu, à l‟architecture
même de l‟espace.
Comme une boucle qui doit se fermer mais qui reste entrouverte pour
la continuité d‟une nouvelle conduite créatrice, pour une re-création
infinie, une vidéo synthèse s‟ajoutent pour laisser la trace de la
démarche de cette Installation-performance : « Corps à corps »,
C‟est une projection vidéo de 4.21 minutes, les images sont extraites
de l‟installation-performance au musée Abdeleya à l‟occasion d‟une
exposition d‟arts plastiques « Une esthétique du banal » et la deuxième
exposition au Centre russe des sciences et de la culture « Corps 360° ».
Le montage en soi est aussi une mise en scène d‟évènements
importants superposés, juxtaposés, filtrés, dans le but de mieux
comprendre, d‟avoir une vision d‟ensemble, une approche différente, de
différents espace-temps, comme à la recherche d‟une autre perception,
sensation, où la mise en scène du corps devient virtuelle. C‟est pour
nous comme « Rechercher une réalité nouvelle et différente »44
Ce montage présente d‟une certaine manière une mémoire de la réalité,
ce qui fuit, ce qui se désintègre avec le passage du temps.
Conclusion :
44
Hanna SEGAL, « Délire et créativité », Editions Des Femmes, Paris 1987, Page 313.
97
artistique. Même si aucun langage n'est facile à acquérir et plus
précisément le langage transdisciplinaire, il faut le conquérir, le
ressentir, trouver ce qui traverse, au-delà de la culture, ce qui fait sens,
lien, ouverture, se procurer une conduite créatrice qui déplace les
frontières.
BIBLIOGRAPHIE
GALOTTA Jean ŔClaude, les yeux qui dansent, Edition Acte Sud, Paris 1993.
GROSENICK Ed. Uta, Women artists, Femmes artistes du XXème et XXI ème
siècle, Editions Taschen, 2001.
HUBERMAN Didi, Etre crane, lieu, contact, pensée, sculpture, Ed, Les éditions de
minuit.
98
HEINICH Nathalie, Le triple jeu de l’art contemporain, Sociologie des arts
plastiques, Editions De Minuit, Paris, 1998.
MANCO Tristan, Matériaux +Arts = œuvre, Quand les artistes contemporains font
appel à des matériaux naturels ou recyclés, Editions Pyramyd, 2010.
VAN LIER Henri, Les arts de l’espace, Editions Casterman, Paris, 1971.
99
Captation de performances et mise en espace des
images
Sana Jemmali Ammari
Maître de conférences à l‟ISBAS
Introduction:
Cette communication porte sur l‟analyse de photographies et de séquences
vidéo d‟une performance déroulée dans un lieu spécifique et des
circonstances particulières. Nous avons tenté d‟exploiter les éléments
plastiques, sémantiques et symboliques les images et leurs rapports aux
lieux. L‟agencement des images interroge la corrélation à l‟espace temps de
l‟œuvre et au réalisme des sensations et des émotions. Ainsi, nous
associons le visuel et le numérique et ses divers effets pour créer des lieux
autres. Les images défilent et font écran avec une réorganisation de
l‟espace, ce qui bouleverse la perception, immerge le spectateur dans une
incertaine hétérotopie et lui propose une relation différente.
1-La captation photographique ou vidéographique serait une captation
de lieu :
Tout d‟abord capter une photo ou une vidéo veut dire créer des images par
l‟action de la lumière. Cela consiste à utiliser la lumière pour enregistrer la
performance. Prenons un exemple précis, un éclairage va créer des zones
d‟ombre et de lumière afin de représenter notre corps en mouvement.
Dans ce cas l‟élément essentiel de la captation est le cadre qui établit
avant tout une limite spatiale dans le parking45 entre ce qui sera reproduit
sur la photo ou sur l‟écran et ce qui, au contraire, devra en être exclu.
45
La performance s‟est déroulée dans un parking souterrain.
100
Limiter la place de parking, 11 m2, dans l‟espace souterrain par le film en
plastique.
Ce cadre va définir l'espace dans lequel le sujet sera mis en scène et celui
qui capte cherche à harmoniser cette composition. Le soin apporté à cet
espace est particulièrement important ; Cela rejoint ce qu‟a dit Edouard
Boubat« La photo est une fenêtre sur l‟espace et le temps, c‟est une croisée.
Croisée des rayons à travers l‟objectif, croisée d‟un regard avec le vôtre,
croisée d‟un instant avec un geste. Le reportage est devant nous. »46 dans le
sens que l‟image est une ouverture.
L'élément principal ; le sujet est souvent en avant plan par rapport au reste
qui est l‟arrière-plan. L‟espace du cadre nous donne à voir l‟espace de la
prise de vue. Cette idée rejoint la pensée de Susan Sontag qui disait que
« La photo est une mince tranche d‟espace autant que de temps »47
46
Edouard Boubat, La photographie L’art et technique du noir et de la couleur, ed. Librairie Général
Française, Paris, 1989, p. 128.
47
Susan Sontag, Sur la photographie, ed. Christian Bourgeois, Angleterre, 1993. P.36.
101
La captation numérique se fait à travers une lentille optique convergente
qui conduit à une formule optique complexe qui a pour fonction
d‟enregistrer l‟image formée. De plus, plus le capteur est sensible, plus il
est possible de prendre des images rapidement ce qui donne lieu à un
ensemble de photos et un ensemble de séquences vidéo. Plus cette
définition est grande, plus l'image sera riche en détails et pourra notamment
faire l'objet d'un agrandissement. Chaque captation à part ne porte que sur
un instant défini et une distance de mise au point. Cette dernière étant fixée
quand le sujet situé sur le plan conjugué du capteur, c'est-à-dire situés à la
distance de mise au point et apparaîtra net dans le cadre. Le fait de rappeler
ces procédures techniques, cela va nous permettre de porter un regard
nouveau de cette image numérique face au lieu.
48
Ibid, p. 19.
102
Assez vite les photographes et les vidéastes explorèrent diverses voies
pour mettre à profit les nouvelles techniques qui s'offraient à eux. Les
applications se multiplièrent avec les progrès scientifiques et la facilité
d'utilisation. L‟image inaugure une nouvelle ère dans la représentation et le
reportage en général. Toutefois, cette représentation avait ses limites au
départ. Mais avec l'avènement du numérique, les trucages deviennent
presque à la portée de tous.
Un lieu peut être rendu dramatique par certaines techniques, par exemple,
en augmentant la densité des formes alors que la réalité ne l'était pas autant.
49
Edmond Couchot ; Norbert, Hillaire, L’art numérique Comment la technologie vient au monde de l’art,
ed. Flammarion, 2002, p. 22.
103
Le simple fait change le lieu et attire l'œil du spectateur. En photographiant
et en filmant, on modifie la perception à une ou plusieurs images. Chacun
peut déformer les objets et créer des aberrations. Aujourd'hui, les appareils
numériques offrent une haute définition de l'image se mesurant en millions
de pixels. Ces appareils sont munis de petites cartes mémoires pouvant
contenir des centaines voire des milliers d'images (espace) dont on peut
faire le tirage chez soi à l'aide de l‟ordinateur.
104
approchée globalement. Dans la densité de la forme, on ne peut pas dire
qu‟elle est là et précise dans un point car elle est partout. On peut localiser
un lieu par la fréquence des objets qui l‟occupent. Ce qui explique le
principe d‟incertitude50, de la fonction et de sa détermination dans l‟espace.
Donc, nous avons l‟impression que le lieu est exact et inchangeable or
non ; tout se joue entre le micro et le macro, entre le visible et l‟invisible.
Le lieu est variable si on dépasse l‟espace matériel, car un lieu peut être un
espace temps car il dépend du temps et de l‟espace.
50
Le Principe d‟incertitude découvert par Werner Heisenberg en 1925.
51
Gaston, Bachelard, La terre est les rêveries du repos, ed. Cérès, Tunis, 1996, p. 14.
52
Ibid, p.15
105
Donc, il y a des points fixes et des points qui bougent et c‟est pour cela
nous photographions des lieux. Le relookage au moment du montage
montre que nous perdons des détails. Ce lieu cadre rectangulaire dépend de
plusieurs éléments qui sont définis par certaines opérations devient une
matrice. Il devient un contenant qui renferme. Le lieu photomonté a la
capacité de tenir encore des milliers de spectateurs. Ce dernier va contenir à
l‟infini sans limites et bornes du parking souterrain. Nous allons contenir
des foules de spectateurs visiteurs sur You tube. Et là un troisième lieu qui
se présente qui est celui du réseau internet. Donc, d‟un temps précis et d‟un
espace précis qui représente un lieu particulier de la performance
éphémère, ces photos montées sont désormais comme une sorte de
remodelage et d‟une réécriture. Il ne s‟agit plus de performance car avec le
montage et la diffusion sur le réseau la notion d‟éphémère n‟y est plus.
Nous arrivons à plusieurs lieux dont le sens que chacun devant son poste
peut voir des lieux au pluriel, des lieux autres et des lieux collectifs que
l‟œuvre vient de le reformuler et rejoigne le sens de « l‟œuvre inventant le
lieu »53 comme le disait Edmont couchot. Ce nouveau lieu sur le réseau
« comme s‟il s‟agissait de s‟assurer encore de la réalité et de la présence du
monde et de l‟autre, de sa proximité, même sous forme d‟une présence à
distance, d‟une téléprésence. L‟art numérique apparaîtrait alors comme un
moyen paradoxal de recontextualiser l‟œuvre, de la relocaliser »54. Nous
serons comme dans les utopies et les univers sont sans lieux. « L‟Internet
apparaît en tout cas comme le lieu de cette mémoire à venir, comme musée
virtuel global »55. Ce nouveau lieu de diffusion va permettre d‟appréhender
des lieux individuels et collectifs qui se caractérisent par des hétérotopies
qui auront des interprétations différentes. Quand nous avions l‟envie de
passer la performance sur la corniche et en public nous avons eu un refus
de la part de la mairie par peur d‟une mauvaise réaction des autres qui
voyait que le corps est un péché il ne doit pas s‟exposer dans le l‟espace
public. Ce large public qu‟on a choisit au départ sera rattrapé sur le réseau
internet.
53
Op. cite, Edmond, Couchot ; Norbert, Hillaire, L’art numérique Comment la technologie vient au
monde de l’art, p. 237.
54
Ibid, p. 237.
55
Ibid, p. 231.
106
Bibliographie
- Le Petit Robert
- Bachelard, Gaston, La terre est les rêveries du repos, ed. Cérès, Tunis, 1996
- Boubat, Edouard, La photographie L’art et technique du noir et de la couleur,
ed. Librairie Général Française, Paris, 1989.
- Couchot , Edmond; Hillaire, Norbert, L’art numérique Comment la technologie
vient au monde de l’art, ed. Flammarion, 2002.
- Sontag, Susan, Sur la photographie, ed. Christian Bourgeois, Angleterre, 1993.
107
Lieux d’être
Tharouet Saadi
Assistante à l‟UIK
Nous sommes tous spectateurs, quelle que soit la scène qui nous anime.
Et donc, en tant que spectatrice, mais aussi, en tant que chercheur et
plasticienne, je m‟intéresse aux véritables enjeux de l‟Art contemporain en
Occident, dans le monde Arabe et essentiellement en Tunisie. Ces
préoccupations nous amènent à nous interroger sur plusieurs
réflexions concernant le phénomène d‟appartenance et d‟exclusion et les
problèmes d‟identités culturelles.
L‟intitulé nous renvoie nécessairement à la notion de l‟espace en tant
qu‟espace référentiel, du pays, de la culture et de l‟identité. Le langage
pictural est une expérience essentielle de l‟identité distinctive, car il nous
permet non seulement de nous situer par rapport à nous-mêmes, mais aussi
par rapport au monde qui nous entoure.
La question identitaire se situe au cœur des interrogations sur les sociétés
contemporaines. Quel rôle l'espace joue-t-il dans l'articulation des
processus identitaires?
Comment l‟évolution du monde contemporain influe-t-elle sur le rapport
identité/espace ? Quel est le rôle de l‟artiste dans ce processus ?
L'identité d'un individu se décline sur des répertoires multiples,
culturels, familiaux, professionnels et principalement spatiaux. Un grand
nombre de lieux entrent en compte tout au long du chemin de vie, depuis le
lieu de naissance, les lieux de résidence, les lieux d‟exister.
Réfléchir les liens étroits qui peuvent se tisser entre l‟être, le spectateur et
l‟espace identitaire constitue la problématique fondamentale. Il est
généralement admis que tout art est une forme de recherche. L‟art
contemporain suscite passion, perplexité, intérêt et mépris. Ce va-et-vient
entre l‟œuvre et l‟idée renforce la relation que le lecteur peut entretenir
avec l’œuvre : c’est un rapport de communication et d’interactivité.
L’artiste qui produit une œuvre véhicule et structure un message à travers
son objet : il ne peut ignorer qu'il travaille pour un récepteur. C'est ainsi
que l'artiste va exploiter son espace, pour établir une relation privilégiée
avec son spectateur. Dans cette essentielle relation entre l‟artiste et les
lieux se forge le sentiment d‟identité. Le lieu devient ainsi un voyage, une
108
expérience chargée de sens et de rite qui s‟accomplit au cours de messages
codifiés.
Les véritables enjeux de l‟art contemporain sont de donner à voir, à
ressentir, à s‟exprimer et à expérimenter par tous les procédés et méthodes
possibles. Cet art sollicite notre intellect, notre conscience et nos émotions.
De ce fait, l‟objet est détourné favorisant le concept et l‟idée dans le but de
pousser le spectateur à établir des liens intimes avec l‟œuvre. Et donc l‟art
devient un lieu pour intervenir physiquement et intellectuellement, ce qui
pousse l‟artiste à prendre conscience de son rôle et à être plus responsable
vis-à-vis de son œuvre. Celle-ci devient ainsi une ouverture, un message
essentiellement perplexe, une multiplicité de signifiés qui coexistent en un
seul signifiant.
Toute œuvre d'art, même si elle a une allure achevée et fermée dans son
achèvement de corps ou d‟objet, est ouverte. Elle peut être interprétée de
différentes manières, sans que son invincible étrangeté soit altérée.
Apprécier une œuvre d'art revient à en transmettre une interprétation, un
accomplissement, à la faire renaître dans une vision originale. C’est un
rapport d’interactivité et d’échange qui se forme et se maintient.
Une œuvre contemporaine permet de maintenir des gestes d’autonomie
consciente et pénétrante chez le regardeur, ce dernier apprête sa forme
personnelle qui n'est pas attachée nécessairement à l'œuvre. La recherche
du mouvement renvoie à l‟image privilégiée, transparente et incite le
spectateur à bouger, à se déplacer perpétuellement pour apercevoir et
distinguer l'œuvre sous des aspects continuellement différents, comme si
l‟objet présenté est en perpétuelle renouvellement.
À la recherche souveraine d‟une innovation, d‟un changement et d‟une
originalité, les artistes tunisiens ont suivi une succession de voies de
recherches esthétiques originales, dont les plus radicales, sont de l‟ordre
de l‟art conceptuel, du minimalisme, de la performance et de l‟art corporel.
Ils ont essayé de modifier fortement la signification et la perception de
l'œuvre, qui s'oriente parfois dans des voies occultes aux profanes et
novices. L’œuvre devient ainsi entrouverte, communicative. Il y a toujours
un débat, une contestation, et donc un aboutissement. L'ouverture devient
ainsi un outil de savoir révolutionnaire.
C‟est dans le contexte d'une nouvelle approche d‟art qu‟apparaît ce qu'on
peut désigner un mouvement d'art contemporain tunisien. Éventuellement,
cette démarche récente se traduit par une diversité d‟expériences. Cette
nouvelle génération a en commun un désir d'affranchir toute limite selon
109
des styles formellement nouveaux. Pour revivifier ce patrimoine et cet
héritage, un nouveau langage et une nouvelle réflexion s‟impose.
Situé au croisement d'une civilisation des signes et d'une civilisation de
l'image, l'art contemporain tunisien porte en lui les traces avérées d'une
phase de transition. Mais les artistes tunisiens d'aujourd'hui ont orienté leur
quête pour se reprendre, ressaisir et renouer avec les sources multiples
héritées du passé en les récréant avec toutes les formes de la
contemporanéité.
En se penchant sur les différentes expériences d‟art contemporain en
Tunisie, il est frappant d‟observer la grande diversité des
ouvrages. Plusieurs d‟entre eux ont abordé la question de l‟identité.
Certains artistes sont eux-mêmes tiraillés entre deux cultures. Ils usent
alors, pour matériau artistique leur propre expérience et révèlent la difficile
élaboration d‟une sensation à la fois personnelle et collective.
Les artistes tunisiens se sont engagés dans le champ de la création
contemporaine, en renouvelant les langages artistiques, en libérant l‟œuvre
de son statut de produit fini et extérieur à un acte qui l‟engendre.
Plusieurs artistes se sont adaptés aux nouveaux langages d‟art
contemporain. Mais c‟est Abderrazak Sahli qui est le premier artiste
tunisien à s‟attarder sur la création contemporaine, en exploitant, dans ses
expositions, d‟autres interventions telles que la poésie sonore et la
conception du lieu.
Abderrazak Sahli aborde la question de l‟identité, de l‟actualité et de
l‟histoire au croisement de son expérience et de son pays. A travers son
œuvre, il développe le concept de l‟identité, du signe. En disposant ses
œuvres selon un mouvement moutonnant, en circulant entre ces formes
rondes, l‟artiste se compare au berger au milieu de ses troupeaux. A
travers la multiplication, la répétition, l‟agencement dans l‟espace, le
« sakhane » fait valoir une synergie entre l‟air, la lumière et la couleur
Avec l'œuvre « sakhane », un nouveau type de rapport entre l'artiste et
son public s‟établit, un nouveau fonctionnement de la perception
esthétique, une place nouvelle assurée au produit artistique dans la société,
un rapport inédit entre la contemplation et l'utilisation de l'œuvre d'art.
Son œuvre est principalement basée sur la multitude des objets et des
formes ; elle en traduit la diversité. L‟encombrement des objets dans ses
toiles et ses installations n‟est en fait que l‟image de la population, de la
foule qui est en bataille et mouvement. Son ouvrage dégage sans cesse
110
un dialogue fondé principalement sur la communication l‟ouverture et la
liberté.
Autour de cet élément central qui est « sakhane », plusieurs composantes
véhiculent sa pratique et sa démarche : des éléments muraux découpés et
peints sur « papier boucher », des motifs et des signes insérés pour
rappeler son vécu et donc son identité.
En multipliant les focus du regard, en zoomant sur la lumière, la
sonorisation, la couleur et la structuration de l‟espace en incorporant le
corps en transformant ainsi le lieu en une scène imprévue et spectaculaire,
le rapport à l‟œuvre évolue vers une autre démarche.
Il aurait, toutefois, suffi de jeter un œil vigilant sur les œuvres de
Abderrazak Sahli pour distinguer la révolte et l‟agitation. En contemplant
certaines œuvres il y a une réalité sociale mystérieuse, codifiée qui s‟ouvre
et se familiarise avec le spectateur.
111
en tant qu‟objet-support, me sert de structure-armature que j‟habille de jute,
sur laquelle je peins mes motifs à l‟acrylique »56.
« Ainsi, la vision de l‟ensemble permettra de saisir la composition d‟un
espace délimité par des œuvres aérées, filtrant la lumière. Le tout crée une
transparence de laquelle l‟œil et les différents sens du visiteur pourront
jouer. »57
Etre artiste, c‟est inscrire sa singularité dans des formes et des dispositifs
actuels, tout en préservant l‟empreinte culturelle. La démarche conceptuelle
d‟Abderrazak Sahli traduit le souci de se positionner dans un espace de vie
parcouru de contradictions. Avoir une conscience engagée dans un présent
où l'identité de l'artiste ou du citoyen est en mutation constante, face aux
problèmes que connaît la société tunisienne et face aux nouvelles exigences
de la vie quotidienne.
La richesse souvent biculturelle de certains artistes se manifeste surtout
par l'ouverture à l'altérité dans l'expérience de sa propre subjectivité. Les
œuvres de Fatma Charfi restent sans doute l‟exemple qui traduit ces
notions. On peut dire que la plupart de ses créations dégagent des
contraintes d'appartenance elle défend ses concepts et exige une pratique
et une forme de recherche singulière. Elle insère des signes ou des
symboles qui en seraient caractéristiques. Cette manière de créer, de
concevoir est une sorte de souci de soi et de contrariété.
L‟expérience de Fatma Charfi dévoile une démarche nouvelle. En effet, à
travers sa créature singulière « Abrouc » révélé au public tunisien en
1993, et dont la naissance et l’évolution constituent un vrai cycle
mythologique moderne.
56
http://www.galeriehelenelamarque.com/catalogue_sahli.pdf
57
http://www.galeriehelenelamarque.com/catalogue_sahli.pdf
112
Fatma charfi, Rouge, Blanc, Noir
détail, 2002.
58
http://tunisartcontemporain.com/artiste/index.htm
113
En effet, l‟artiste réfléchit le lieu, le concept, l‟espace et le temps. Tout est
calculé, tout est fondamental. Son souci essentiel c‟est comment
transmettre sa contrariété, son émotion à travers son œuvre.
114
Feriel Lakhdar, Sans titre, technique mixte sur toile, 80*80 cm, 2008
115
Feriel Lakhdar, Sans titre, technique mixte sur toile, 200*150cm, 2008
59
http://www.tunisartcontemporain.com/artiste/triksaa/saada/saada1.htm
116
t-elle un passé, une trace ? Évoquer très justement la problématique du
passé et de la trace comme concept essentiel. Prendre conscience que la
trace est un défi porté à l‟identité. A l‟intérieur de l‟espace, le spectateur se
trouve face à un espace hallucinant, saturé de symboles, de formes,
d‟objets, de matériaux, encombrant la vision qui se perd devant tant de
signes entremêlés, ambigus, à travers des symboles, remplissant
l‟atmosphère sous un éclairage agencé.
L‟artiste est passionnée des cénacles mystiques, des cercles sacrés et des
rondes magiques. Dans cette expérience rebelle, tout tourne autour du
cercle. Un monde spirituel, imprévisible, tournant et roulant là où on
l'attend le moins, se fondant dans les matières les plus diverses, résine,
métal découpé, se tissant d‟exagérations lumineuses, s‟ornant d'ors en
fusion. Sur des fonds noirs, elle trace avec son empreinte un territoire
distinctif, Insaf Saada se plaît à exposer cette multitude de cercles
fantastiques.
Le mouvement artistique tunisien s‟est amplifié et diversifié, grâce aux
conceptions des nouvelles tendances. L‟apport de la nouvelle génération a
été déterminant pour le renouvellement du langage plastique en Tunisie. La
consommation de la rupture avec l‟art miroir du monde et l‟avènement de
la subjectivité comme ressort essentiel de la création, offrent de nouvelles
possibilités à l‟imagination, et favorisent une multitude d‟expressions
qu‟un attachement excessif aux procédés et aux thématiques de la
génération précédente n‟aurait pas permises.
117
L‟histoire des arts plastiques en Tunisie, est habitée de nombreuses
expériences, de questionnements, de compositions et recompositions
diverses d'un patrimoine ouvert à la différence. La pratique artistique en
Tunisie reste, sans doute, un foyer riche de l'histoire pluricivilisationnelle
du pays et de l'apport culturel du patrimoine arabe.
118
Espaces, spatialité et création
119
L’architecture de la période de la Reconstruction :
entre mimétisme traditionnel et transposition
moderniste
Salma Gharbi Koubaa
Assistante à l‟UIK
Cet article se propose de caractériser l‟œuvre architecturale et urbaine de
la période de la reconstruction, un legs qu‟a connu la Tunisie à une période
donnée et dans un contexte spécifique, celui de l‟Après guerre. En effet,
cette architecture est distinctive vu son émergence dans un contexte
historique, économique et social caractéristique d‟une époque déterminante
dans l‟histoire de l‟architecture tunisienne, allant dans une première phase
de 1943 jusqu‟à 1947 puis poursuivie jusqu‟à l‟Indépendance en 1956. Il
fallait impérativement, suite aux bombardements et à l‟état critique auquel
était confronté le pays, reconstruire les villes tunisiennes, reloger la
population sinistrée et créer de nouvelles zones, qu‟elles soient
commerciales, industrielles, d‟éducation ou de plaisance. Dans cette
optique, l‟Etat fait appel à l‟architecte Bernard Zehrfuss pour établir un état
des lieux de la situation du pays et pour mettre en route un plan d‟action,
visant la mise en place d‟études urbaines et architecturales pour
reconstruire le pays. Zehrfuss rassembla, pour cela, plusieurs architectes
dont Jason Kyriacopoulos, Jacques Marmey, Jean Le Couteur et plusieurs
autres. L‟intérêt de l‟équipe d‟architectes reconstructeurs à offrir une
architecture consciencieuse de son environnement et de son usager, est très
explicite dans leurs discours. En effet, l‟équipe de Zehrfuss, même si issue
d‟une formation académique à l‟école des Beaux-arts de Paris, prônait
parfaitement les idéaux du mouvement moderne, notamment ceux de Le
Corbusier, en essayant d‟appliquer dans plusieurs cas, les recommandations
de la Chartes d‟Athènes et en s‟intéressant aux éléments générateurs de
l‟ambiance, tels que la lumière, l‟air et le son. Ainsi, nous remarquons dans
l‟œuvre de la Reconstruction, en plus de cette vague de modernité, un
mimétisme, né du paysage architectural présent sur le territoire qu‟il soit au
nord ou sud du pays. Certains parlent d‟une architecture « tunisienne », qui
porte l‟identité ou les caractéristiques propres aux éléments architecturaux
locaux. Il s‟agit d‟une architecture blanche, pure, sans ornementation,
exécutée avec les matériaux disponibles comme les moellons, les briques
creuses, le plâtre, la chaux hydraulique ou grasse, et la main d‟œuvre
tunisienne, experte dans les techniques de constructions locales qui sont
rapides et peu coûteuses dans leur mise en œuvre. Quelles sont les
caractéristiques ainsi de cette architecture née dans un contexte
120
spatiotemporel spécifique ? Et d‟ou tire-t-elle son cadre référentiel faisant
d‟elle une œuvre particulière?
121
L’équipe « reconstructrice » : Genèse, formation et influences
Roger Gromand60 était convaincu que les villes ne pouvaient plus être
dessinées par les ingénieurs. En effet, l‟urbanisme tunisois était laissé entre les
mains des ingénieurs des travaux publics coloniaux, chargés jusqu‟à la Seconde
Guerre Mondiale de dessiner les plans d‟aménagement qui étaient établis sans
précision en offrant ainsi « un urbanisme de laisser-faire, sans imagination et
sans idées »61 (Culot & Thiveaud, 1995). De ce fait, il commença par embaucher
une équipe de jeunes architectes faisant partie de l‟administration municipale et
de l‟urbanisme créé par le décret du 15 juillet 1943 qui devient le 3 février 1944
une sous direction de l‟administration municipale et de l‟urbanisme. L‟équipe
était constituée de six architectes, il fallait vu l‟ampleur du travail à faire,
organiser et coordonner tous les services appelés à participer à la construction et
la Reconstruction. Ainsi fut crée au sein du même département, le commissariat
à l‟urbanisme, à l‟habitat et au tourisme le 22 mars 1945 qui aboutit le 21
novembre 1946, à la création d‟un nouveau commissariat, celui de la
reconstruction et du logement qui deviendra après le Ministère de l‟Urbanisme
et de l‟Habitat. Ainsi commença, le travail de cette jeune équipe d‟architectes,
une équipe enthousiaste qui a su faire de cette production architecturale une
œuvre à part entière.
Ces architectes reconstructeurs, sous l‟égide du secrétaire général Gromand,
jouirent d‟une grande liberté ayant influencé le processus de production
architecturale pendant ces quatre années. Ainsi le premier maillon de l‟équipe de
la Reconstruction est l‟architecte Bernard Zehrfuss, Grand Prix de Rome en
1939, qui fut sollicité par René Mayer, ministre des travaux publics, une fois
arrivé à Alger pour une mission auprès de la Résidence pour étudier les
problèmes de la reconstruction tunisienne. «René Mayer, secrétaire aux
communications au commandement en chef civil et militaire de l’Afrique du
Nord, constatant l’arrivée de Bernard Zehrfuss à Alger, lui confia une mission
d’enquête générale sur les questions d’urbanisme en Tunisie entre le 28 mai et
le 27 août 1943, qui devait se terminer par la remise d’un rapport dans un délai
de trois mois» (Dhouib Morabito, 2010). La mission donnée à Zehrfuss était de
préparer un rapport se composant de deux volets, le premier est un volet de
diagnostic relatif à l‟évolution des tracés des agglomérations tunisiennes
commentés avec des aperçus et des schémas de données essentielles, historiques,
géologiques, climatologiques, démographiques, sanitaires et économiques. Le
deuxième est un volet de réflexion où il expliquait les solutions qu‟il proposait
face aux problèmes rencontrés en se basant sur des croquis explicatifs. Le
rapport devait être remis à la direction des travaux publics. C‟est ainsi que
Bernard Zehrfuss atterrit en Tunisie en mai 1943 et y resta pour quelques
60
Roger Gromand était le secrétaire général au gouvernement tunisien et l‟ancien contrôleur civil au Maroc
122
années. Après la réalisation de cette étude et l‟imprégnation du pays, « le
général Mast, résident général à Tunis, lui confiera la direction d’un atelier
d’architecture et d’urbanisme chargé d’établir les plans des principales villes
du pays, parmi lesquelles Bizerte, Tunis et Sfax et de surveiller leur réalisation»
(Desmoulins, 2008). La première tâche de Zehrfuss, vu l‟ampleur du travail à
faire, était de constituer une équipe d‟architectes ayant le sens du travail en
groupe et capable d‟assurer toutes les missions auxquelles ils seront amenés à y
répondre. Ainsi, la convention du 1er septembre 1943 signée entre Bernard
Zehrfuss et Roger Gromand concerne les architectes suivant : Jean Drieu La
Rochelle, Jacques Marmey, Roger Dianoux, Michel Deloge et Jean-Pierre
Ventre. En octobre 1944, deux architectes intégraient l‟équipe : Lu Van Nhieu,
seul recruté parmi ceux exerçant en Tunisie, et Jason Kyriacopoulos. En mai
1945, François Jerrold signa un contrat avec l‟administration se chargeant d‟une
mission d‟urbanisme de 4 mois avec le titre d‟urbaniste conseil de la région de
Tunis. Son recrutement était lié aux problèmes soulevés par l‟établissement du
plan de Tunis dont l‟étude était confiée en février 1944 à Michel Deloge. Le 19
mai 1945 furent recrutés, Etienne Laingui et Jean Le Couteur comme architectes
régionaux de Sfax et de Bizerte.
123
aimé Beaudouin, il vous ouvrait des fenêtres, il vous racontait des histoires, il ne
nous imposait pas son architecture… quand on fait un relevé, on le dessinait de
suite et ça, c’est formidable, cela a été un enseignement intéressant » (Couteur,
2003). Même si la formation académique reçue s‟intégra dans du pur
classicisme, on leur enseignait « la liberté, liberté de penser, liberté de
développer leur propre personnalité » (Folliasson, 1999). Ces élèves retinrent de
cette formation trois grands principes :
- « L’enseignement du dessin d’architecture et celui de la composition
- La possibilité de se familiariser avec la maîtrise d’œuvre et de savoir
orienter et diriger une équipe
- la liberté du choix d’expression » (Folliasson, 1999)
Une fois la formation académique terminée, Bernard Zehrfuss fut rattaché à
l‟armée, où on l‟envoya au Liban puis démobilisé et renvoyé par la suite à
Marseille où il retrouva sa famille et son ancienne famille de l‟école des Beaux
Arts à savoir Eugène Beaudouin, qui le prenais comme assistant au sein de son
atelier, et d‟autres comme Auproux, Brodovitch, Chauffeney, Le Couteur,
Margaritis. Ces derniers l‟invitèrent à les rejoindre dans un village abandonné
pour former ainsi une communauté d‟artistes, connus sous le nom de « groupe
d’Oppède ». Zehrfuss passe deux années dans cette communauté « comme le
chef reconnu et incontesté » (Hir, 2001), une équipe, constituée en 1942, par une
quarantaine de membres, « architectes, peintres, sculpteurs, célibataires ou
familles avec enfants. S'installeront aussi à Oppède des musiciens, et même un
facteur d'orgue » (Hir, 2001). Loin des tumultes de la guerre et de l‟occupation,
cette équipe œuvrait à la réalisation de projets d'aménagement de zones de
loisirs, de rénovation de maisons, et des projets artistiques portés par la
communauté. Elle devient en quelque sorte une annexe de l‟école régionale des
Beaux-arts de Marseille où les étudiants déposaient leurs travaux. Oppède est
considéré comme le « lieu où s'expriment tous les possibles, dans des ébauches
qui témoignent d'une très grande liberté, telle que peut se la permettre une
architecture pensée comme dessin, quand ne viennent pas la brider les
contraintes d'une réalisation concrète » (Hir, 2001). Mais la plupart de cette
production ne restera malheureusement que sur les papiers et dans les cartons,
« Les créations artistiques qui voient le jour restent des œuvres individuelles,
aux styles variés ». Cette expérience reste fructueuse au niveau des rencontres
faites et du travail d‟équipe multidisciplinaire. Parmi ces rencontres, nous citons
celle faite avec les artistes du surréalisme, à savoir le dramaturge Arthur
Adamov, le peintre Marcel Duchamp ou l‟écrivain René Char. Le Surréalisme
étant un mouvement littéraire, culturel et artistique développé au 20e siècle
défini par André Breton comme un « automatisme psychique pur, par lequel on
se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre
manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence
124
de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation
esthétique ou morale » (Breton, 1988). Cette rencontre avec les artistes
surréalistes marqua forcément l‟équipe des architectes d‟Oppède, de cette part
de sensibilité62 que doit à la fois, éprouver un architecte et concevoir avec dans
son œuvre.
Plusieurs recherches sur l‟architecture de la période de la Reconstruction
tunisienne étaient fondées sur un aspect spécifique de cette œuvre, celle alliant
tradition et modernité. Sous cette apparence, la production de l‟équipe était
guidée par une volonté de produire une image architecturale qui s‟inscrit dans
l‟environnement existant pour créer une homogénéité avec le style local. Ainsi
les influences dans cette production, étaient des influences locales imprégnées
de visites faites sur le territoire tunisien allant du nord vers le sud. Une partie du
paysage architectural, fut ainsi une alliance équilibrée entre le moderne à travers
les volumes et les formes pures, déniant toute ornementation, et le traditionnel,
mettant en œuvre des éléments architectoniques allant de la voûte, à la coupole
et en passant par l‟arc.63
Bien que leur formation à l‟Ecole des Beaux Arts fût une formation
académique, cette équipe d‟architectes n‟était pas insensible aux courants
révolutionnaires de la scène architecturale en France à savoir le Mouvement
Moderne et ses idées directrices de la Chartes d‟Athènes. « Ces architectes ont
des idéaux de l’architecture moderne. Ils croient à l’influence du climat sur
l’architecture, à l’authenticité de l’expression constructive, à la sincérité des
volumes simples et dépourvus d’ornement, à l’organisation régulière et
rationnelle des ensembles. » (Dhouib Morabito, 2010).
63
Parmi les recherches faites dans ce sens, nous citons le mémoire de mastère de Narjess Abdelghani, « La place
de l’arc, de la voûte et du claustra dans l’architecture de la reconstruction », l‟article de Charlotte JELIDI,
« hybridités architecturales en Tunisie et au Maroc au temps des protectorats : orientalisme, régionalisme et
méditerranéisme » , « Rationalisme et tradition » de Marc Breitman, « The architects of the « Perchoir » and the
Modernism of Postwar Reconstruction in Tunisia » de Béchir Kenzari
125
l‟architecture arabo-musulmane à travers les arcades, les coupoles, la
« guennaria »…
126
ministères…du résidentiel : comme les habitations individuelles et les logements
collectifs.
Le mimétisme traditionnel
Bernard Zehrfuss avait comme mission, dès le début de sa mise en place sur le
sol tunisien, d‟établir un rapport sur un état des lieux de tout ce qui caractérise
l‟architecture et l‟urbanisme de la Tunisie. De ce fait, cette mission lui a permit
de parcourir tout le territoire, du nord au sud et de découvrir les spécificités
locales qui caractérisent l‟architecture vernaculaire tunisienne. Il cite « il suffit
d’entrer dans la Grande Mosquée de Kairouan pour atteindre le sommet de cet
art dont l’Islam a doté le monde méditerranéen. Mais, si ce monument est l’un
des plus purs, combien d’autres séduisent par leurs proportions harmonieuses.
Gabès et son architecture sur pilotis de troncs de palmiers ; Hergla, ville des
pêcheries avec son marabout et son cimetière qui descend vers la mer, les
mosquées de Djerba au volume simple, aux dimensions exactes. Toute cette
architecture est vivante, humaine et son échelle exacte» (Zehrfuss, Annales de
l'Iinstitut Technique du Bâtiment et des Travaux Publics: la construction en
Tunisie, 1950). Ainsi cette identité dans l‟architecture locale tunisienne était
pour Zehrfuss, un point essentiel à mettre en valeur et à surtout explorer dans les
futures conceptions de l‟équipe.
Ainsi fut créée une architecture « tunisienne » qui porte l‟identité ou les
caractéristiques propres aux éléments architecturaux locaux, mais souvent
décrite comme « absolument pas régionale » (Jelidi), « dans la mesure où la
127
plupart des édifices construits au nord, ressemblent sensiblement à ceux du
sud ». Il s‟agit d‟une architecture pure, sans ornementation, exécutée par les
matériaux disponibles comme les moellons, les briques creuses, le plâtre, la
chaux hydraulique ou grasse, et la main d‟œuvre tunisienne, experte dans les
techniques de constructions locales qui sont rapides et peu couteuses dans leur
mise en œuvre. Plusieurs bâtiments témoignent de cette part de tradition. Nous
citons dans ce qui suit les plus significatifs :
La maison minima
Dans le style traditionnel, la principale conceptualisation réalisée par Zehrfuss
et Kyriacopoulos, reste la Maison Minima. Il s‟agit d‟une maison constituée de
cellule-type (cuisine-séjour-alcôve), qui peut être composée pour former : une,
deux, trois ou quatre pièces disposées à la fin autour d‟un patio. Cette même
cellule peut servir de base à des compositions telles que des marchés, des écoles,
des dispensaires… C‟est une habitation réduite à sa simple expression et
exécutée par les matériaux disponibles comme le pisé, toub, pierres tufeuses,
pierres calcaires, briques grossièrement cuites ou séchées au soleil, pierres plates
pour la couverture et les branches d‟oliviers et de palmiers. Cette conception
prend comme repère référentiel l‟architecture du « Dar » et du « Menzel »
Djerbien. Claudius-Petit affirme : « C’est à Djerba qu’il faut aller chercher la
leçon d’architecture ; des volumes simples, de dimensions humaines, une
fantaisie qui ne se désarme pas font des menzels comme des mosquées- si
proches des hommes- les témoins de ce que vaut une tradition qui ne perd pas la
mesure » (Petit, 1948).
Figure 7: Présentation de la maison Minima par Maxime Rolland dans la revue Architecture d'Aujourd'hui n°20 de
1948
128
Les écoles
Dont les principales furent : l‟école type 2 classes à Nakta (architectes : Zehrfuss, Drieu et
Kyriacopoulos), édifiée aussi en 25 petits centres ruraux différents.
129
Les marchés et les boutiques
Les marchés édifiés était traités dans une configuration en souks, comprenant
des boutiques. Ils étaient construits en maçonnerie et couverts de voutes en
berceaux, voutes d‟arêtes et coupoles suivant la technique traditionnelle. Les
principaux marchés édifiés sont :
- Le marché aux poissons à Bizerte, par Jean Pierre-ventre
- Le marché couvert de Sidi Bouzid, par Bernard Zehrfuss, Jean Drieu et
Jason Kyriacopoulos
- Le marché couvert à Bou-Arada par J. Cohen et Assous
- Le marché couvert de Bizerte Zarzouna par Bernard Zehrfuss, Drieu La
Rochelle et Jason Kyriacopoulos
130
déroulement des activités de cet hôpital un sentiment de naturel et de logique » (Herbé, 1948).
Les architectes de la Reconstruction accordaient de l‟importance au choix des terrains sur
lesquels ils allaient édifier leur projets selon la fonction. Ils étudiaient la manière avec laquelle
ils allaient l‟implanter en tenant compte du relief, de l‟orientation, des vents dominants…
Figure 14: 1951-1954. Cité Hospitalière Habib
Thameur et Centre ophtalmologique, Tunis, Source
: Fonds Zehrfuss, disponible sur :
http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_
ZEHRF
A part les projets de la Santé publique, plusieurs autres projets s‟intégraient dans le Style
Moderne et Fonctionnaliste, nous citons :
Figure 15 : Collège Sadiki, B. Zehrfuss, Source : Architecture Figure 16 : Plan d'ensemble du collège,
d'Aujourd'hui n°60 Source : Architecture d’Aujourd’hui n°60
131
Figure 17: Immeuble de la Direction des Services
de Sécurité à Tunis, Zehrfuss, Glorieux-Monfred
et Kyriacopoulos, Source : Architecture
d’Aujourd’hui n°60
Les architectes voulaient explorer les visées de l‟architecture moderne. Ils concevaient
des bâtiments dont l‟expression était bien prononcée avec des lignes verticales et horizontales
bien prononcées, des volumes distincts avec un jeu de hauteur entre les blocs, un dégagement
de la circulation verticale sur les façades. Ceci était faisable surtout dans le cas où il y avait la
possibilité d‟utiliser les matériaux adéquats comme le béton, l‟acier ou les éléments
préfabriqués à partir de détails dessinés par les architectes et qui donnaient à la façade un
certain rythme et une certaine linéarité. Dans le cas contraire, ils privilégiaient l‟utilisation des
techniques traditionnelles qui s‟appuyaient sur l‟utilisation d‟une main d‟œuvre experte dans
l‟exécution des voutes, des arcs ou des coupoles. La contrainte économique, le paysage
architectural traditionnel mais aussi l‟idéalisme et le savoir faire de cette équipe de la
Reconstruction a offert pendant cette période, une diversité incontestable dans la production
architecturale et ce sur tout le territoire tunisien.
Conclusion
La production architecturale de la période de la Reconstruction d‟Après-guerre tunisienne est
une alliance entre modernisme et tradition : un modernisme transposé depuis l‟architecture
internationale avec un langage usant des idéaux du mouvement moderne, alternant lignes et
volumes épurés et une tradition « tunisienne » prenant comme référence l‟environnement et le
climat, les traditions et les usages, les matériaux et les techniques de construction locaux.
Cette œuvre « hybride », « métisse » ou « croisée » a donné lieu à une architecture
« tunisienne » qui s‟inscrit parfaitement dans le paysage méditerranéen unissant la couleur
blanche à l‟épuration des volumes et au mouvement du à l‟utilisation de l‟arc, de la voute ou
de la coupole, au jeu d‟ombre et de lumière naissant du claustra et à l‟échelle humaine de tout
le bâti et qui a su trouver son équilibre dans un lieu et un contexte spécifique, celui de la
Tunisie d‟Après-guerre. Cette production architecturale peut être, de nos jours, référentielle,
dans le sens où elle propose un équilibre et une belle alliance entre l‟architecture arabo-
musulmane locale et l‟architecture contemporaine du paysage international.
132
Bibliographie
"l'Avenir". (5 janvier 1946). Extrême détresse des populations sinistrées de Tunis. Dans les quartiers
de la mort. L'avenir de la Tunisie .
Desmoulins, C. (2008). Bernard Zehrfuss. Paris: éditions du patrimoine, centre des monuments
nationaux.
Dhouib Morabito, H. (2010, janvier 29). La reconstruction en Tunisie de 1943 à 1947. Paris: thèse de
doctorat Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Folliasson, M. (1999). Notice sur la vie et les travaux de m. bernard zehrfuss (1911-1996). Dans I. D.
-ARTS (Éd.).
Hir, G. L. (2001). À propos d’Oppède de Consuelo de Saint-Exupéry. Études littéraires , 33 (2), pp.
125-144.
Zehrfuss, B. (1950, Juin). Annales de l'institut technique du bâtiment et des travaux publics: la
construction en Tunisie. Architecture et Urbanisme (5)
133
Figure 9: Ecole type 8 classes à Ferryville, Zehrfuss et kyriacopoulos, Source: Architecture
d'Aujourd'hui n°20 ______________________________________________________________ 129
Figure 10: Ecole De Porto Farina, architecte : Paul Herbé _______________________________ 129
Figure 11: École de formation professionnelle, place du Mouton, Tunis, architectes : Zehrfuss
Kyriacopoulos __________________________________________________________________ 129
Figure 12: Marché couvert Sidi Bouzid, architectes: Zehrfuss, Drieu et Kyriacopoulos, source : Fonds
Zehrfuss, disponible sur: http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_ZEHRF __________ 130
Figure 13: Plan du marché couvert de Sidi Bouzid, source : l'Architecture d'Aujourd'hui n°20 ___ 130
Figure 14: 1951-1954. Cité Hospitalière Habib Thameur et Centre ophtalmologique, Tunis, Source :
Fonds Zehrfuss, disponible sur : http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_ZEHRF ____ 131
Figure 15 : Collège Sadiki, B. Zehrfuss, Source : Architecture d'Aujourd'hui n°60 _____________ 131
Figure 16 : Plan d'ensemble du collège, Source : Architecture d‟Aujourd‟hui n°60 ____________ 131
Figure 17: Immeuble de la Direction des Services de Sécurité à Tunis, Zehrfuss, Glorieux-Monfred et
Kyriacopoulos, Source : Architecture d‟Aujourd‟hui n°60 ________________________________ 132
134
P[e/a]nser le traumatique à travers ses lieux
JACQUES DERRIDA
On soutient souvent que l‟architecture est un langage et que toute architecture raconte une
histoire, parfois sensée, parfois « absurde », parfois aussi n‟est lisible qu‟à travers le discours
de son créateur qui tente de lui injecter un sens qu‟elle contredit, ou même s‟en indispose. Ces
architectures tentent souvent de se rendre visibles, distinctes, refléter dans leur seules
présence la signature de leur créateur, indépendamment de toute autre considération ; car,
certains pensent que si le pari technique est réussi, si le parti esthétique est rehaussé, si cette
signature est reconnaissable, vendable, exportable et, paradoxalement, imitable, alors, peu
importe si elle s‟implante au Brésil, en Afrique du Sud, à Chicago, New York, Montréal,
Berlin ou Dubaï ! Plus encore, ces architectures, pour qu‟elles puissent devenir exportables,
s‟implanter facilement dans un paysage urbain qui ne leur est pas destiné de prime abord et
seoir aux particularités géographiques et culturelles des milles-lieux qui les accueillent, sont
ces mêmes architectures qui doivent se proclamer apatrides, dégagées de toute connotation
géographique ou culturelle. Des architectures sans dieu ni lieu, en somme, qui vont se
concevoir et se perpétrer à partir de caractéristiques stylistiques et formelles codées, unanimes
et unifiées et présentées comme traits d‟un mouvement architectural reconnaissable,
reproductible et internationalisé.
Ce qui est arrivé après la Deuxième Guerre mondiale est l‟exemple le plus saillant de ladite
diffusion architecturale64, dans le sens où l‟Architecture Moderne qui voit son apogée avec
l‟expansion du Style International, est devenue par ce dernier ubiquitaire, reléguant au second
plan et les particularités géographiques et les spécificités culturelles.
Malgré tout, et dans un certain sens c‟est compréhensible, si l‟on considère qu‟après le chaos
de cet-après-guerre, l‟urgence de reconstruire les cités détruites s‟imposait dans une prise en
compte immédiate des nouveaux projets sociaux et des conditions économiques auxquelles
cette architecture répondaient efficacement. Vu d‟un autre angle, c‟est également légitime si
l‟on voit qu‟à la réalité bouleversée, aux conflits qui ont secoué le monde entier Ŕ et qui ont
fait voir à quel point les intérêts des uns et des autres, les cultures des uns et des autres, les
individualismes des uns et des autres, ont pu générer des conflits aussi dévastateurs Ŕ à ce réel
insensé, obscur, confus et décousu, s‟imposait un ordre unificateur : Au projet social et face
64
Non que ça ne s‟est jamais produit auparavant, mais le développement fulgurant de l‟industrie et les larges
mouvements d‟urbanisation qui se sont entamés dès la fin du XIXe siècle, ont activement participé à la diffusion
du mouvement moderne partout dans le monde.
135
aux problèmes posés par l‟intense transformation urbaine, s‟ajointe un projet esthétique
précis : Purifier, uniformiser, standardiser pour instaurer l‟ordre et le système, le paradigme
universel où l‟axialité, la centralité et l‟orthogonalité seront le dogme et une pensée, traduiront
dans un langage à elle, l‟exacerbation de l‟architecture et le « déni » d‟une réalité, une réalité
refoulée, en quelque sorte.
Néanmoins, et malgré l‟acceptation qui fait d‟elle une application rigoureuse et totalisante des
principes constructifs de l‟ingénierie chez Le Corbusier par exemple, ou ceux relevant d‟un
géométrisme austère comme chez le Bauhaus, ou conceptualisant des valeurs réductives de
l‟utilitarisme ou du fonctionnalisme, l‟Architecture Moderne et dans l‟aboutissement du style
International, est une réaffirmation de la dimension symbolique de l‟architecture. Car en un
sens qui n‟est toujours pas lisible (reconnu mais ignoré) ou qui n‟est pas toujours lisible
(littéralement), l‟architecture est toujours cette « chambre d‟écho » à la fois gigantesque et
finement articulée où l‟essentiel de ce qui nous arrive trouve ses résonances. »65.
Elle est « aussi l‟activité qui a résisté le plus farouchement à la reconnaissance de cette
dispersion première, ontologique, en édifiant des forteresses contre le dehors, des monuments
à la tyrannie et des temples aux dieux. »66. A cette dispersion première, s‟ajoute celle
qu‟installa la guerre où des cités entières furent rasées, oblitérant du même coup toute
confiance dans les valeurs des Lumières. Face au tableau sombre que peignèrent deux guerres
finissantes, l‟omniprésence du style unique dans le parachèvement de ses formes et sa
consécration, peut donc être lue comme une riposte au désordre, aux discordances qui ont
secoué le monde en ce XXe siècle. Cette réalité aseptisée reproduite dans des formes pures,
des volumes simples et lisses, sans ornement, sans référence culturelle ou historique, sans
connotation à l‟espace géographique, à une appartenance quelconque, ethnique, religieuse ou
autre67…etc. est cette même réalité niée car inassimilée. Comme elle a trouvé sa traduction Ŕ
ou devrions-nous dire sa négation dans l‟objectivation de son idéal Ŕ dans cet art,
apparemment silencieux, qu‟est l‟architecture, elle a maintenu au cachot Ŕ ou si l‟on suit les
leçons freudiennes, au seuil de l‟antichambre Ŕ un événement qui est passé pendant trop
longtemps par des médiums autres que l‟architectural. Nous dirions même, qu‟après une sur-
médiatisation qui a suivi l‟après deuxième Guerre Mondiale, (avec principalement le procès
de Nuremberg qui fit découvrir au monde une réalité d‟une atrocité inégalable, avec la
littérature et les témoignages qui fusèrent dans tous les sens, avec cet « on savait pas » qui
laissa place à « on en sait trop… »), nous dirions que suite à cette profusion médiatique,
s‟installa un silence qui coupa très précipitamment, ou trop tard peut-être, un cordon trop
visible, trop dur pour qu‟il soit coupé en tout cas!
L‟on s‟est questionné dès lors, et dans un contexte où la pluralité des approches disqualifiait
celle totalisante d‟un style souvent critiqué pour son puritanisme, sur ce que pourrait, encore,
dire l‟architecture, et comment le dirait-elle quand elle ne peut plus cacher un mal-être
derrière des façades lisses et des volumes purs, quand elle re-prend à nouveaux frais la
problématique du lieu, éprouve la mémoire des lieux et délinée les lieux de mémoire à l‟aune
d‟une pensée qui déconstruit les idéaux et impose une critique sévère aux fondements de la
métaphysique et à leur représentation suprême, éminemment architecturale et
architectonique !
65
Benoît Goetz, La dislocation : Architecture et philosophie, Les Editions de la Passion, 2001, p. 16
66
Ibid., p. 30
67
Mais se référant à présent aux nouveaux Dieux du capital.
136
Dans cette veine, et gorgés de la philosophie déconstructive de Derrida, Peter Eisenman,
architecte américain, et Daniel Libeskind, architecte polonais68 tous deux juifs (et l‟on se
demande si c‟est un hasard ?) n‟omettent pas de questionner d‟abord la neutralité
moderniste et un refus de l‟architecture à prendre position où Libeskind, le plus engagé d‟eux
deux, nous dit, réfutant le retranchement de l‟architecture, que « Mies Van Der Rohe, Walter
Gropius et les autres grands maîtres du modernisme soutiennent qu‟un édifice devrait
présenter au monde un visage neutre. Une telle philosophie est un peu surannée à mon goût.
De la neutralité ? Après les cataclysmes politiques, culturels et spirituels qui ont marqué le
XXe siècle, peut-on vraiment aspirer à une réalité aseptisée ? A-t-on sincèrement envie de
s‟entourer de bâtiments ternes et sans âme ? Ou préférons-nous affronter nos histoires, les
complexités et les désordres de la réalité qui est la nôtre, nos émotions les plus pures, afin
d‟inventer une architecture pour le XXIe siècle ? »69
Mais que construire après Auschwitz ? Quel monument saurait rendre compte de l‟indicible,
quelle architecture pourrait figurer l‟ineffable ? À ce degré zéro de conscience,
d‟intelligibilité, de tolérance, mais aussi d‟histoire et de mémoire, où une nation s‟ampute et
ampute ses homologues de plus de six millions de leurs populations, effaçant de la mémoire
du monde toute trace de leur existence, que saurait être un monument à cette absence ?
137
réconciliation et a permis au « fleuve du récit de couler » devant une opinion publique
incrédule. La réalité de la Shoah, le paradigme Auschwitz, ne pouvaient passer sans une
reconnaissance de leur dimension traumatisante. Ce qu‟entama l‟Allemagne donc au XXème
siècle ne peut être lu que dans l‟envie de colmater une blessure et de remédier à un tort qui a
tâché pour longtemps son histoire et qui se répercute sur son présent. L‟approche ne fut pas
anodine et s‟arma d‟une stratégie bien rodée ; elle s‟est inscrite dans la perspective de
reconstruction du pays et a mis l‟accent sur l‟instauration et la mise en œuvre d‟une
architecture expérimentale qui fit de la capitale le haut-lieu d‟une approche innovante et
audacieuse qui ne se limitait pas à réitérer des formes mais travaillait surtout à édifier une
nouvelle identité à la ville, loin de son passé accablant. Le défi consistait aussi à allier
l‟ancien et le nouveau, en sauvegardant le tissu historique de la ville. Pour ce, et dès les
années 1980, plus de huit cents architectes prirent part à la reconstruction de la capitale. Des
projets révolutionnaires et des noms notoires. Mais le révolutionnaire d‟un architecte
déconstructiviste n‟est pas le même que celui d‟un moderniste ou postmoderniste. « Ainsi,
nous dit Libeskind, parler d‟architecture (ou parler de Berlin et de la situation contemporaine),
c‟est parler du paradigme de l‟irrationnel. […] les travaux les plus représentatifs de l‟esprit
contemporain proviennent de l‟irrationnel, alors que ce qui prédomine dans le monde, ce qui
domine et souvent tue, se fait toujours au nom de la Raison. L‟irrationnel en tant que non-
commencement de ce projet [le Musée Juif de Berlin (désormais MJB)] a été mon point de
départ. »71
Cet irrationnel est jusqu‟aux bouts manifeste dans les œuvres de Peter Eisenman Ŕ l‟architecte
du Mémorial des Juifs Assassinés d‟Europe, Berlin (désormais MJAEB) Ŕ aussi. Mais c‟est
dans son antonymie même que se manifeste l‟exacerbation de l‟architecte : la pureté
moderniste, l‟ordonnance, la fonctionnalité, le rationalisme excessif, l‟idéal unitaire et
anthropocentrique,…etc. des notions qui ne peuvent plus enclore ni figurer le « sujet post-
nucléaire » ; un sujet fragmenté, décentré, multiple et tourmenté que les formes architecturales
traditionnelles ne peuvent plus représenter.
Au final donc, et quand quelques années plutôt le débat portait sur la légitimité d‟une
représentation de l‟expérience traumatique des survivants, les préoccupations depuis quelque
temps se sont tournées, étrangement, vers l‟étude de l‟intensité et des moyens pour
l‟utilisation du traumatique dans la transmission de la mémoire de l‟holocauste aux
générations futures. Paradoxalement, l‟Etat Allemand travaille hardiment à propulser sa
capitale au rang du « plus grand centre de recherche et de formation sur l‟histoire et la culture
du judaïsme germanophone. »72
71
Daniel Libeskind in, Jacques Derrida, Les Arts de l‟Espace : écrits et interventions sur l‟architecture, Editions
de la Différence, Paris, 2015, p. 141
72
Clemens Beek, Daniel Libeskind et le musée juif de Berlin, Jaron Verlag, 2011, p. 59
73
Jacques Derrida, « Déconstruction Ŕ architecture. Table ronde de Madrid », 1977, in Les Arts de l’Espace.
138
philosophe, pour la réalisation d‟un projet architectural74, est aussi celui qui manifesta un
intérêt inconditionnel pour cette discipline.
L‟architecture des années 80/90 s‟ajuste donc à la déconstruction en philosophie, non dans
une approche parallèle et mimique mais plutôt sous la forme d‟une complémentarité et une
étendue de l‟acte. En se proclamant comme courant détracteur du modernisme et du
postmodernisme, le déconstructivisme, qui revendique ses origines philosophiques, remet les
fondements de l‟architecture en question. Bannière d‟une avant-garde, la déconstruction se
décline sous des expressions ambiguës de fragmentations, de superpositions en couches, de
décortication et de mise en place d‟une réquisition des présupposés métaphysiques et de tous
genres de centrismes. Ce questionnement ébranlant des fondements philosophiques, seyait
également à une pensée architecturale révolutionnaire qui s‟asphyxiait sous des mastodontes
de verre et d‟acier qui formaient système en s‟internationalisant de plus en plus et en
homogénéisant davantage que l‟architectonique.
Partant, et face à l‟urgence de repenser l‟architecture et de re-problématiser son telos, re-
considérer son topos, les mêmes soucis des fondements se transposèrent d‟un contexte, à
priori purement linguistique, fond-amentalement philosophique, pour le fond-démantèlement
des systèmes qui dans l‟unicité doctrinale qu‟ils prophétisent et prolifèrent, estompent bien les
singularités. Ainsi, les architectures expérimentales de ces mêmes années sont sensiblement
en dé-phasage par rapport à un canon esthétique bien installé depuis les premières décennies
du XXe siècle. Elles le sont encore plus avec toute forme « rationnelle » de représentation.
Elles problématisent l‟approche architecturale à la lumière des enseignements
déconstructionnistes et découvrent dans l‟approche derridienne un autrement du faire. Eu
égard de ce glissement de champ, Derrida stipule que malgré la négativité du mot, « la
déconstruction, […] est une critique non pas de ce que la construction construit mais de ce qui
rassemble ; il ne s‟agissait pas de détruire la construction, mais de mettre en question le motif
totalisateur, la synchronie atemporelle de la structure, du système. »75.
Il ajoute qu‟« une des choses qui [l‟]‟intéressait le plus dans ces architectures différentes
qu‟on rassemble abusivement sous le nom de « déconstructivisme », c‟était, d‟une part, un
nouveau rapport au langage, même au langage parlé ; habituellement, on conçoit
l‟architecture comme un art silencieux, un monument ne parle pas, c‟est de la pierre, du
verre…, monument étranger à la discursivité langagière. Or ces architectes-là se sont
beaucoup intéressés au langage, à la parole, à la littérature, et ont essayé d‟inscrire cette
référence au langage dans les constructions. »76
Suivant une méthode propre à elle, donc, mais adjacente, l‟architecture déconstructiviste
explore les aspects refoulés ou explicitement celés par une subversion des paramètres de
conception du projet et une décristallisation du vocabulaire de l‟architecture traditionnelle. Le
questionnement des formes est semblable à celui effectué par la déconstruction se prenant à
un texte littéraire. Largement inspiré des travaux de S. Freud sur le langage (faire remonter en
surface les troubles cachés de l‟inconscient de la personne interrogée pour pouvoir analyser
son mal-être), J. Derrida fait parler le texte littéraire pour que ce dernier puisse aussi dévoiler
les sujets éludés et livrer les idées refoulées par l‟auteur pour aboutir, par le biais d‟une
argumentation convaincante et bâtie, à déjouer la logique et la cohérence du texte en question.
Pour Derrida, en effet, aucune théorie n‟est absolument vraie, logique ou incontestable. Son
74
Il s‟agit du Parc de La Villette avec Bernard Tschumi et Peter Eisenman. 1985
75
, Derrida, op.cit. p. 347
76
Ibid.
139
travail fait amplement interpeller le lecteur en l‟impliquant dans son jeu déconstructif par la
juxtaposition ( dans certains de ses écrits) de deux textes différents sur deux pages accolées,
où le jeu de comparaison effectué par le lecteur fait germer chez ce dernier des mécanismes
de reconstitution d‟une pensée autre que celle à laquelle aboutirait la lecture simple de ce
même texte.
En architecture, l‟architecte procède de la même façon que tout concepteur, tout créateur.
Mais rarement comme un philosophe. Quand le philosophe est pénétré par ce flux de pensée
universelle qui agit en lui tel « une espèce de monologue intérieur », et qu‟il prélève de ce
flux qui le traverse et qu‟il traverse ce que sera considéré comme apte à fonder le concept,
l‟artiste, fils de son époque et son produit, s‟imbibe de l‟essaim d‟idées, de pensées, de
préoccupations, de maux, d‟appréhensions, de philosophies, de systèmes qui vont agir comme
un levier à la création artistique. Pour le philosophe, c‟est la prédisposition au discernement, à
l‟analyse, à la critique qui va contribuer à la formation de sa vision synthétique et plus tard à
la formation d‟une pensée conceptuelle. Quand l‟artiste, doté d‟une réceptivité particulière et
d‟une vision sensible du monde qui l‟entoure, ou d‟un aveuglement77 nécessaire, va agir
comme une peau perméable, spongieuse, ajourée qui va humer l‟atmosphère particulière qui
l‟enveloppe, les faits saillants de son époque, les événements décisifs, pour les laisser macérer
en lui et se retranscrire dans l‟œuvre. Dans ces conditions, nous affirmons à la suite de
Derrida que « ce qui caractérise notre époque architecturale ne peut pas ne pas avoir
enregistré l‟événement de la Deuxième Guerre mondiale. Cela se marque […] chez des gens
comme Libeskind ; […] on ne va pas construire un Musée Juif de Berlin comme on
construirait un autre monument, avec les normes d‟un temple harmonieux, habitable. Il faut
construire un lieu inhabitable […]. Il s‟agissait donc, pour Libeskind, d‟accorder une
architecture à cet événement destiné à effacer les noms, et naturellement, une architecture qui
ne soit pas une injure à cet événement ne pouvait pas ressembler à une architecture gréco-
chrétienne, ce n‟était pas possible. Je pense donc qu‟il y a, dans l‟architecture
déconstructiviste, quelque chose qui n‟était pas possible avant la Deuxième Guerre
mondiale. »78
Par ailleurs, Jacques Derrida, vers qui se réfèrent nombre d‟artistes et d‟architectes
déconstructivistes, a remarqué que beaucoup d‟entre eux étaient juifs, notamment Libeskind
et Eisenman. Il se dit lui-même incapable de pouvoir « interpréter ce phénomène » car il y a
plusieurs voies d‟interprétation qui éclaireraient le recours à ce mouvement dans l‟expression
d‟une pensée architecturale. Derrida propose donc, que l‟une de ces voies « serait de se référer
à une tradition judaïque qui privilégie l‟écriture, la trace, la surimpression, la
surindétermination des couches graphiques, etc., le motif de l‟écriture comme motif juif,
talmudique, cabalistique, et, bien sûr, il y a chez Eisenman des références de type théologique
de l‟absence, de Dieu qui se cache la face comme Dieu juste, etc. »79 si cette voie
d‟interprétation est possible, elle est aussi problématique, car elle restreindrait la pensée
déconstructiviste à une pensée juive de l‟architecture, à une architecture juive en somme.
Derrida en vient qu‟on « peut suivre cette voie-là et se demander si une architecture juive,
comme architecture non représentative, n‟est pas en conflit avec une tradition grecque ou
chrétienne de l‟architecture »80.
77
Selon l‟idée développée par Derrida dans, Jacques Derrida, Musée du Louvre, Mémoires d’aveugle :
l’autoportrait et autres ruines, Réunion des musées nationaux, 1990
78
Jacques Derrida, Les Arts de l‟Espace, p.p. 357.358
79
Ibid.
80
Ibid.
140
S‟il serait difficile à ce moment-là de concevoir un mémorial de la Shoah comme on
concevrait une cathédrale, comment le sera-t-il alors ?
Pour le MJAEB, le choix du site fut d‟une importance particulière dans l‟aboutissement à
cette représentation de l‟Holocauste. Eisenman a voulu que son mémorial soit le lieu de cette
transcendance, un lieu qui inciterait à la réflexion, un lieu de silence, aussi silencieux qu‟un
prisonnier à Auschwitz, disait-il. Le défi consistait à créer cette sculpture géante, au centre de
Berlin, surplombée par la porte de Brandebourg et le Reichstag, emblèmes de la ville. Un lieu
où le visiteur, déambulant seul, entre en conflit avec la mémoire et subit l‟épreuve du souvenir
dans une abstraction déconcertante de l‟événement. Le silence forcé qu‟il subit le place face à
l‟interrogation ; d‟abord de l‟intention de l‟architecte : qu‟a voulu dire l‟architecte de ce
mémorial ? Ensuite face à l‟événement : est-ce ceci ce que ressentirait un prisonnier dans un
camp d‟extermination ? L‟isolement ? L‟angoisse, le traumatisme ? La recherche et l‟attente
de la sortie dans ce décor froid et patibulaire ?
Plus de 26 millions d‟euros pour une mer de ciment, donc, et presque 17 ans pour que ce
projet voie le jour. S‟étendant sur un terrain de plus de 19 000 m2, 2711 stèles gisent au cœur
de Berlin, diablement égales, 95 centimètres de largeur, 2,38 mètres de longueur chacune,
81
Palimpseste: (du latin palimpsestus, du grec palimpsêston) ; Parchemin dont la première écriture, grattée ou
lavée, a fait place à un nouveau texte. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/palimpseste/57417
« Dans la critique littéraire moderne (cf. Genette, Palimpsestes), ce terme désigne la transtextualité, c‟est-à-dire
tout ce qui met un texte en relation avec d‟autres textes. L‟idée est que les couches inférieures du texte
transparaissent en filigrane. » http://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/palimpseste.php
82
Genette Gérard, Palimpsestes, La littérature au second degré, Editions du Seuil, 1982, p. I
141
espacées d‟exactement 95 centimètres les unes des autres, juste ce qu‟il faut pour laisser
passer une seule personne à la fois. Néanmoins, les hauteurs attribuées aux stèles varient, elles
(de 20 centimètres à 4 mètres). L‟enjeu technique consistait à concevoir un champ de stèles
sur une surface ondulée, visuellement mouvante, permettant de loin une perception de la
totalité du champ. N‟ayant pas d‟entrée principale, pas de point de départ, ni point d‟arrivée,
le visiteur déambule ainsi à sa guise entre les stèles grises, froides, habité par une impression
de vide. L‟enjeu architectural lui, consistait à créer à travers l‟orthogonalité des stèles, une
sensation d‟isolement et d‟aliénation semblables à ce qu‟avaient ressenti les Juifs dans les
camps de déportation. La parfaite organisation du champ, d‟après Eisenman, est une allusion
au crime parfaitement organisé et industrialisé qu‟a mis en place Hitler pour venir à bout de
plus de 40 % de la population juive mondiale.
Sous ce vide d‟un gris anthracite, se loge un centre d‟information, quatre salles en tout, aux
noms évocateurs, dont la réalisation fut confiée à Dagmar Von Wilcken.
Partant, si la proposition de l‟architecte juif Peter Eisenman a été retenue parmi les centaines
de projets, c‟est entre autres à cause du fait que son monument n‟endosserait pas le costume
du monument national ; il proposerait en fait, une interrogation et inciterait le visiteur à la
réflexion sur ce crime perpétré par l‟Etat. L‟emplacement de ce mémorial a fait, de ce fait,
l‟objet de beaucoup de controverses : placé sur les ruines de bâtiments dépendant de la
chancellerie hitlérienne et surplombant le bunker de Joseph Goebbels, les stèles de ciment se
dressent comme des pierres tombales, colmatant à jamais une triste page de l‟histoire de
l‟Allemagne. Elles rappellent dans leur alignement les baraquements des camps, les trains de
déportation, les rails du sens unique, du point de non-retour vers les portes d‟Auschwitz, elles
ressemblent à ces wagons, sinistres, inquiétants, aux files interminables, rangées et entassées
des déportés. Des stèles au nombre qui semble vouloir chiffrer celui des valises, les piles de
valises, ...on est loin du compte ! Elles évoquent des masses, des masses de tout, de semblants
de couches dans un dortoir de chimère, des masses de corps empilés…
L‟iniquité des stèles retrace la ségrégation et l‟injustice vécues au sein de ce régime despote,
elles s‟élèvent, inégales, telles des notes muettes, certaines plus soutenues que d‟autres,
soufflant leur malheur… La lourdeur des masses, matérielle et visuelle dégage une charge
sémantique qui contraste avec la simplicité apparente de l‟œuvre. L‟organisation spatiale et
volumétrique reconstitue allégoriquement le monde des camps sans en être une
représentation. L‟image qui nous est donnée à voir est plutôt celle d‟une errance…
Au demeurant, la déambulation dans l‟œuvre d‟Eisenman pourrait nous révéler que pour
« lire » les constructions de l‟architecte, il faut au préalable les situer dans un cadre théorique,
dans un monde textocentrique - éclairé par les théories philosophiques de Derrida - avant de
les consigner à un site réel. L‟expérimentation du cube par cet architecte lui a fait comprendre
que cette forme a toujours traversé l‟architecture de la plus classique à la plus moderniste,
fortement commandée par un souci d‟élévation qui constitua pour longtemps un des
principaux fondements de l‟architecture. Le cube d‟Eisenman lui, n‟aspirait pas à ces idéaux,
l‟architecte voulait au contraire, creuser le site, le dénuder et l‟aborder autrement que pour y
faire empiler un cube sur l‟autre, s‟enfonçant sciemment dans une approche anti-idéaliste qui
vient contrer cette course vers le ciel prônée par le modernisme.
142
L‟approche d‟Eisenman s‟enchaina autour d‟un jeu subtil de dénivellations dans le dessein de
tracer une histoire et de relater une mémoire. Le cube excavé, le « el » d‟Eisenman invoque le
vide, une forme fragmentée, à moitié présente, ou plutôt, à moitié absente. Dépassant les
fondements de l‟humanisme, de l‟origine et de la présence, Eisenman propose une
architecture de l‟absence et ce à plus d‟un niveau. Outre son abord anticonformiste du site et
du cube, le cursus de l‟architecte pointe du doigt la notion classique du projet en architecture
en mettant en exergue un espace de transposition et de fantasme par la conception de projets
virtuels ou non réalisés où la maquette et le dessin renvoient à l‟alternative d‟un monde
imaginé, partiellement ouvert à la réalisation.
Pas étonnant que les œuvres de Libeskind soient aussi parlantes de leur époque et si pénétrées
de l‟histoire et de la mémoire des lieux si l‟on sait qu‟en amont ou en aval, il était toujours au
cœur des événements qui ont bouleversé le cours de l‟histoire de ces dernières décennies. Il
est d‟abord fils de rescapés de l‟Holocauste et comme il dit « nous sommes tous les enfants de
nos parents, et mon histoire de fils de rescapé de l‟Holocauste, rejaillit indéniablement sur
mon travail. De par ce que je suis, j‟ai été amené à réfléchir longuement à des notions telles
que le traumatisme et la mémoire. Non pas le traumatisme lié à une catastrophe individuelle,
que l‟on peut surmonter et guérir, mais celui qui implique l‟anéantissement d‟une
communauté entière et sa présence à la fois réelle et virtuelle. »84. Encore qu‟il vivait à Berlin
pour suivre la réalisation de son musée, lorsqu‟en novembre 1989, le Mur tombait, l‟amenant
à prendre part aux événements. Douze ans plus tard, le jour de l‟inauguration du Musée Juif,
un certain 11 septembre 2001, les deux tours jumelles furent réduites en cendre, l‟amenant
encore, à reconstruire, là où tout a été détruit. Abreuvé de la pensée déconstructiviste et des
théories avant-gardistes auxquelles il a consacré sa timide carrière de l‟avant MJB, Daniel
Libeskind s‟est mis un point d‟honneur à transcrire dans la pierre les maux de l‟humanité.
Ainsi, un projet comme le MJB, rencontra beaucoup plus de critiques que d‟acquiescements,
vu la prise de position franche et infléchie à laquelle tiendra Libeskind avant sa construction,
mais surtout tout au long de sa réalisation qui dura 12 ans. « Un projet comme celui-ci est
provocateur non seulement parce qu‟il comporte des angles étranges mais aussi parce qu‟il
enfreint plusieurs règles de construction » explique Libeskind à Derrida lors d‟une
discussion85 (1992) qui fait suite à leurs correspondances. Il ajoute qu‟il recherche
explicitement cette transgression « dans une ville qui va jusqu‟au bout de la transgression,
alors, seule la transgression offrirait l‟exemplarité… »86
83
Définie comme une « inscription sur un tombeau pour rappeler le souvenir d‟une personne morte… »,
L‟épitaphe est employée par nous pour rappeler la valeur mémorielle inhérente à l‟approche de Libeskind dans
une grande partie de ses travaux, où la symbolique de l‟acte architectural rejoint une symbolique de l‟inscription
d‟une mémoire en transmission, un geste qui relie constamment le passé à un avenir. L‟inscription est également
à regarder de la constatation qu‟ait faite l‟architecte lors de sa visite aux cimetières juifs d‟Allemagne, dont les
tombes sont restées à jamais vides, anonymes car inoccupées. Mais c‟est également à lire à la lumière de la
tradition talmudique, où l‟écriture prend une dimension particulière dans la perpétuation du souvenir.
84
Daniel Libeskind, Construire le Futur, p.21
85
Daniel Libeskind in Jacques Derrida, les Arts de l’Espace, p. 161
86
Ibid.
143
Dès son abord, cachée dans une ruelle et par la végétation, la parataxe87 forcée d‟un
Kollegienhaus, -fief de la Cour suprême prussienne de 1735- et d‟une zinguerie88
contemporaine, interpelle quiconque qui se tiendrait devant ce tandem improbable et défie sa
compréhension et sa conception du modèle muséal, du canon architectural et du sens de ce
geste rédempteur dans l‟âtre d‟un antisémitisme jusqu‟au-boutiste.
Dans sa biographie, Libeskind raconte sa rencontre avec le lieu, « un modeste terrain
poussiéreux, dit-il, qui accueillait à l‟occasion des cirques ambulants. Mes collègues, [cent
soixante cinq architectes de renommée internationale], photographiaient frénétiquement les
lieux, les cadrant sous tous les angles possibles ; moi par contre, je n‟ai pas pris un seul cliché,
car ce que j‟éprouvais à ce moment-là, aucune pellicule ne serait parvenue à le fixer. Tandis
que j‟arpentais le site, mes réflexions se portaient vers tout autre chose. Comment faire, me
demandais-je, pour saisir un passé si vital et si créateur, mais chargé en même temps de
laideur et de souffrance ? Comment étreindre d‟un seul geste les turbulences du passé et le
futur imprévisible, quand on n‟a à sa disposition que du verre et de l‟acier ? »89. C‟est sans
doute cette conscience de la gravité et l‟importance de la tâche, l‟impossibilité de traiter d‟un
espace aussi connoté, dans un lieu aussi emblématique, lourd d‟histoire, qui fut la scène de
violences et de destructions ineffables, ce lieu-même qui ne saurait être simplement un terrain
à bâtir, pense Libeskind, et surtout à Berlin, car pour lui, l‟histoire juive berlinoise, est un peu
en dessous du niveau du sol. Un projet qui ne nécessitait pas pour lui une documentation
particulière ni des prises de vues acharnées comme l‟ont fait les dizaines d‟architectes autour
de lui.
Nous ne sommes pas sans savoir qu‟« architecturer un espace, c‟est d‟abord bâtir une unité de
sens. Or cet acte de partage, de précision, ne devient véritablement architectural qu‟avec
l‟existence de la porte»90.
Dès lors, questionnons-nous : que serait un espace, et un espace muséal, sans porte, sans la
solennité de la porte et l‟immersion qu‟elle opère dans un espace aussi particulier que le
musée ? La réponse de Libeskind à ce propos est peu anodine :
Tout visiteur qui veut comprendre l‟histoire juive berlinoise, vieille de deux mille ans, devrait
traverser, pour accéder au MJB, l‟enceinte du bâtiment baroque. Ceci fait, ce n‟est pas des
escaliers qui le font monter noblement aux étages, mais un puits de béton brut qui transperce
sans aucune raison fonctionnelle, tous les étages du vieux bâtiment, et qui fait descendre le
visiteur vers les fondations du Kollegienhaus, par des escaliers sombres et étroits.
La neutralité d‟un geste architectural qui fait fonctionner un musée sur la présence d‟espaces
dont la fonctionnalité est absente, dont l‟accès est interdit, dont les escaliers qui font monter
aux espaces d‟exposition butent sur un mur blanc, dont les axes qui articulent toute la
circulation au sous-sol déstabilisent cette circulation-même en l‟entrecoupant et en la faisant
aboutir dans des tours sombres ou des jardins penchés et encerclés….etc. tous ces gestes sont
une transgression de cette neutralité ; d‟abord de celle que toute œuvre architecturale devrait
s‟en défaire pour signifier, ensuite celle plus symbolique : de sociétés qui se sont trop peu
battues pour s‟unir contre la dictature !
87
Procédé syntaxique consistant à juxtaposer des phrases (ou des mots) sans expliciter par un mot subordonnant
ou coordonnant le rapport de dépendance qui existe entre elles.
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/parataxe/58040
88
Ensemble des éléments en zinc (ou revêtus de zinc) d'un bâtiment. (Dict. xxes.).
http://www.cnrtl.fr/definition/zinguerie
89
Daniel Libeskind, Construire le Futur, p. 13
90
Benoit Goetz, La Dislocation, p. 51
144
La neutralité des matériaux, devient aussi désuète car ils deviennent, autant que les formes, un
médium puissant de transmission et un actant discursif qui construit le récit de l‟œuvre. Dans
les deux œuvres, le MJB de Daniel Libeskind et le MJAEB de Peter Eisenman, les matériaux
utilisés sont aussi polémiques que le parti architectural.
Si Eisenman peint ses stèles avec un produit confectionné par la même société qui a pourvu
les chambres à gaz du Zyklon B, Libeskind lui, choisit de couvrir son musée d‟une peau de
zinc. Un matériau pauvre auquel les musées substituent ordinairement la noblesse des
marbres, la robustesse des pierres, le verbiage du verre ou, depuis quelques décennies, les
ressources du béton…etc., ce n‟est pas seulement pour résoudre une contrainte économique.
Libeskind s‟en explique : « en construisant le Musée Juif, je décidai de rendre hommage à ces
toits [les toits de Berlin sont recouverts d‟une couche de zinc], et j‟habillai le bâtiment de
minces couches de zinc. […] il se trouve beaucoup de gens pour dire que je commettais une
terrible erreur. C‟est trop fragile, prévinrent-ils ; ça bleuit. Justement ! Répondis-je. C‟est ce
que je veux : c‟est pour sa modestie que j‟aime ce matériau ; j‟aime la façon dont il s‟oxyde
lentement et semble disparaître. Je ne cherche pas un acier inoxydable qui conserve à jamais
son éclat. Je veux que le bâtiment se fonde dans la ville. Je veux que les fenêtres avec leurs
angles vifs et leurs formes nerveuses, ressortent de plus en plus à mesure que le bâtiment se
fera plus effacé. »…. « je tiens à ce que mes constructions aient une relation organique avec
l‟espace dans lequel elles vivent, qu‟elles se rattachent aux rues et aux bâtiments qui les
entourent Ŕ par les matériaux, l‟échelle, la couleur. »91
Les fenêtres dont parle l‟architecte, n‟en sont pas unes. Elles résultent du couplage des
adresses de personnes anonymes et célèbres, juives et non-juives, comme Paul Celan, Mies
van der Rohe, et d‟autres. Les motifs qui ont résulté de ces croisements sur la carte de Berlin,
sont aussi ceux qui ont donné cet aspect de zigzag à ce musée, une sorte d‟étoile de David,
déchiquetée, mais ont donné aussi ces stigmates sur la peau du bâtiment ! Ces fenêtres toutes
différentes et bizarres n‟offrent pas de vue concrète ou panoptique, comme tout le bâtiment
d‟ailleurs: elles sont l‟expression de l‟arrachement au dehors, elles se font plaies, entailles et
lésions. Des minces perçages qui zèbrent les parois, coupant de la sorte le paysage et nous
arrachant par moments, au récit de l‟espace intérieur, la vue qui s‟en émane se fait éloquente :
Loin de décrire des histoires mêlées où la réconciliation et le pardon semblent gagner du
terrain et estomper, ne serait-ce que peu, ce passé lourd en blessures, la vue donnée à voir et à
penser par ces encoches dresserait plutôt le paysage d‟une contradiction, d‟un tête-à-tête
sinistre et mystérieux entre ces deux bâtiments.
Concrètement, Libeskind ne puise pas ses références dans le répertoire des classiques. Les
représentations mentales qui habitent son œuvre dénotent la sensibilité singulière de
l‟architecte dont les connaissances musicales pourvoient les constructions d‟une dimension
poétique qui contraste avec le caractère habituellement rigide du bâti. S‟il a choisi de nommer
son œuvre Between the lines, et de le présenter sur les portées d‟un papier à musique, c‟est en
référence à l‟œuvre du célèbre compositeur Arnold Schönberg et plus exactement à son
livret inachevé « Moïse et Aron »92.
91
Daniel Libeskind, Construire le Futur, p. 258
92
Opéra en trois actes d'Arnold Schönberg (1954 [version concert] ; 1957 [version scénique], Hambourg,
Zurich). Livret d'Arnold Schönberg.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/ehm/Mo%C3%AFse_et_Aaron/183439
145
Telle une note muette traduisant une partition inachevée, le cadre conceptuel dans lequel
Libeskind nous introduit, annonce d‟emblée les ruptures mélodiques, les changements de
tonalités, où des sons stridents, des échos, des dissonances ponctuent l‟espace et ce n‟est pas
une métaphore : le seul vide accessible, le vide de la mémoire est jonché de milliers de
visages en fer, dont les sons d‟entrechoquement interpellent déjà un visiteur par ces sonorités
angoissantes avant même qu‟il n‟y accède.
Du reste, tout le parcours se fait dans une narration fragmentaire affermie par les vides, des
blancs qui se font souvent obscurs. Ces vides inaccessibles donnent sens à l‟espace tout en
affirmant sa négation. Les transitions se font labyrinthiques et font perdre à celui qui les
arpente le fil du récit, un fil qui se contracte, se relâche et se déroule au fil du parcours. Les
« voids », comme les appelle notre architecte, sombres, froids, préservent la rupture et
instaurent le non-sens par la mise en avant d‟un dessein de confusion et de la préméditation
par l‟ouverture de l‟espace à l‟interprétation. Cette même interprétation doit se faire dans
l‟expérience de la confusion, de l’errance « le labyrinthe, c’est l’errance provoquée par une
multitude de choix à faire qui enfoncent le sujet toujours plus profondément dans la
confusion. »93. L‟espace du musée se fait équivoque, plus on tente de le saisir, plus il
s‟éloigne de l‟intellection ; il poinçonne inlassablement une présence d‟une hantise et d‟une
spectralité qui s‟imprègnent à même les murs de la bâtisse. D‟abord par une mise-en-corps
réelle des couplages d‟adresses, dont certaines furent relevées des archives des nazis, ensuite
de la spectralité effrayante des tombes vides dans les cimetières juifs de Berlin, des plaques
restées sans inscription, sans noms.
Ce projet est emblématique à plus d‟un niveau. L‟approche singulière de l‟architecte a fait
qu‟il soit visité vide, par plus de 350 000 personnes.
Pareilles approches se retrouvent dans toutes ses constructions, quoique moins traumatisantes
que l‟expérience du MJB. Du musée des Beaux-arts de Denver, au musée de la Guerre de
Manchester, également au musée de l‟Histoire Militaire à Dresde…etc., où chacune de ces
constructions nait d‟une réflexion pointue sur le site et tente de s‟y incorporer par une
compréhension aigue de ses caractéristiques et sa dimension symbolique. Si pour le MJB le
choix conceptuel s‟imposait de façon patente à Libeskind, compte tenu de la symbolique du
lieu et de la nature de l‟œuvre à réaliser ; une attention particulière au site reste intacte si l‟on
considère son approche dans les différentes œuvres qu‟il eut à réaliser. Sa villa « 18.36.54 » à
Connecticut, USA, (et pour citer une catégorie architecturale autre) est un exemple de son
architecture peu conventionnelle et « un tour-de-force » architectural comme il dit. Ce que
l‟on sait moins, c‟est qu‟elle a été conçue en s‟imprégnant de « l‟esprit du lieu » comme on
dit, en faisant parler l‟esprit des ancêtres de l‟Américain d‟aujourd‟hui, les Amérindiens qui
habitaient cette terre et dont les formes pointues de la construction de Libeskind et sa
conception en ruban, rappellent étrangement le tipi amérindien.
Avant son MJB, il proposait déjà deux projets à Berlin dont celui de City Edge (1987) et
l‟Oranienburg Competition for Sachsenhausen (1993). Les dialogues que ces projets
établissent avec les lieux sont si intenses, qu‟il propose pour le premier un pont qui enjambe
le Mur, quant au deuxième, destiné à le rendre habitable après avoir été un camp de
concentration, Libeskind propose de le noyer sous un lac.
93
Bertrand Gervais, La Ligne Brisée. Logiques de l’imaginaire. Tome II. Montréal, Le
Quartanier, Collection Erres Essais, 2008. P. 33
146
Pour Eisenman comme pour Libeskind, la notion de projet reste éminemment celle qui se
rapporte à sa conceptualisation, à la dimension théorique qui permet d‟abord de bâtir ses axes
symboliques, et même si ça aboutit la plupart du temps à une architecture de papier, « paper
architecture », où les négociations entre le commanditaire et l‟architecte se trouvent dans des
impasses, ceci n‟altère en rien leur philosophie du projet architectural. Car cela confirme que
les notions et concepts qui font maintenir ensemble leurs formes déchiquetées, qui font tenir
une architecture qui ne jure que par les dé-, les dis-, est une architecture dont la violence et la
force conceptuelle qui l‟animent lui sont supérieures et inhérentes en même temps, dans la
mesure où elle tente continuellement de réconcilier ces tensions par et à travers une pensée
concrète et non seulement dans l‟application de schèmes discursifs.
Jacques Derrida le dit clairement à l‟aune d‟une propension aux décalquages, un phénomène
qui participe plus à la cristallisation d‟une mode qu‟à l‟établissement de nouvelles traditions
conceptuelles : « je crois qu‟en effet, une erreur que feraient les architectes qui se disent
déconstructionnistes consisterait à croire qu‟ils vont appliquer un discours philosophique à
l‟architecture. Une architecture qui serait simplement l‟application d‟un discours serait sans
intérêt et partout où les architectes s‟emploieraient à appliquer des schèmes théoriques ou
discursifs, c‟est sans intérêt. »94 Et Derrida d‟ajouter : « partout où ça prend cette forme
d‟application mécanique, de répétition stéréotypée d‟un discours déconstructiviste [ou autre],
ça sert de couverture idéologique »95 et qu‟il faut par conséquent être attentif aux enjeux de
tout acte architectural, aux enjeux économiques mais aussi politiques et idéologiques.
Car, et une fois engagé dans une voie quelconque, l‟architecte, aussi avant-gardiste soit-il,
aussi inventif et anticonformiste, aussi insoumis aux « injonctions politiques », c‟est aussi un
architecte qui va frayer la voie à une nouvelle conception et surtout à une nouvelle
conceptualisation du discours architectural, et cette voie a toujours un « inconscient politique,
[une] idéologie » qui appellent à une veille constante et à une vigilance qui questionneraient
en permanence et les motifs de ce discours et son telos.
94
Jacques Derrida, Les Arts de l’espace, p. 353
95
Ibid. p. p. 353.354
147
Bibliographie :
/Clemens Beek, Daniel Libeskind et le musée juif de Berlin, Jaron Verlag, 2011
/Jacques Derrida, Les Arts de l’Espace : écrits et interventions sur l’architecture, Editions de
la Différence, Paris, 2015
/Daniel Libeskind, Construire le Futur : d’une enfance polonaise à la Freedom Tower, Editions
Albin Michel, 2005
148
L’interpellation du lieu de l’exposé dans et à travers
l’architecture muséale
Fatma Deouiche
Maître-assistante à l‟ISBAS
Introduction :
Aujourd‟hui la mission du musée ne se limite pas à conserver et protéger les
objets, il est censé aussi les diffuser, les rendre accessibles et les transmettre au
public. Il est un médiateur entre les générations, entre les diverses cultures et
entre les différents espaces-temps, et c‟est d‟ailleurs ce qui fait de la visite du
musée un voyage dans le temps et dans l‟espace. En fait, de part son
accumulation d‟objets de temps différents, le visiteur de ce lieu hétérotopique96
se trouve hors du temps réel en s‟appropriant les objets du passé sous l‟effet de
la visualisation et de la contemplation, et accédait ainsi dans des lieux lointains
dans le temps et dans l‟espace.
Avec le musée-objet, le lieu originel des collections est souvent interpellé dans
des tentatives de contextualisation de la thématique de l‟exposition. Cette
contextualisation dépasse dans certain projet muséographique les aires de
l‟exposition pour englober tout le cadre spatial du musée dans une approche qui
met en exergue le rapport contenant/contenu, et ce pour la création du sens à
travers le développement du concept du lieu de l‟exposé. Cette approche prend
effet avec l‟épanouissement de l‟architecture muséale dont la naissance se veut
une alternative au recyclage muséographique des monuments historiques. En
effet, dénigrant le remploi des anciennes bâtisses historiques avec leurs charges
morphologique et esthétique propres qui pèsent lourd dans la programmation de
l‟établissement muséal et surtout qui entrave la conservation de l‟héritage
patrimonial et son exposition, le musée moderne a réclamé une conception
architecturale qui lui soit propre en émanant des missions qui lui sont acquittées
en tant qu‟institution culturelle de haut niveau au service de la société. De ce
fait, l‟architecture muséale s‟est imposée en tant que Art qui cherche à
transmettre la complexe réalité des valeurs sociales et culturelles actuelles.
Désormais la conception et la construction d‟un musée est une forme
d'expression architecturale particulière qui porte les traces des styles, des
tendances et des écoles de son époque, mais qui peut aussi véhiculer des
concepts et des messages en rapport avec le lieu de son exposé.
D‟après Umberto Eco il est possible de jouir de l‟architecture comme d‟un fait
de communication, puisque les objets architecturaux communiquent non
96
Michel Foucault, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14
mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. M. Foucault n'autorisa la
publication de ce texte écrit en Tunisie en 1967 qu'au printemps 1984.
149
seulement leurs fonctions constructives d‟abris, mais aussi des signifiés comme
des sentiments ou des « atmosphères », exactement comme la musique ou la
peinture97. De ce fait, la déambulation du visiteur dans l‟espace du musée de
l‟extérieur vers l‟intérieur induit une exploration et une consommation du lieu
aussi bien physique que mentale. Ainsi ce lieu architectural avec sa vocation
muséographique sera un médium de sens et de sensation qui renvoie d‟une
manière ou d‟une autre au lieu de l‟exposé selon une interprétation qui stimule
l‟imaginaire collectif du public. Il est considéré comme un dispositif assurant
l‟initiation au rituel de la visite muséographique qui prépare le visiteur à se
détacher du lieu traditionnel pour passer dans le lieu autre du musée et accéder
même au lieu de l‟objet.
Comment se traduit architecturalement le rapport qu’établit le bâtiment
du musée avec le lieu de l’exposé ? Et quels effets il opère sur l’expérience
de visite du musée ?
La création d‟une enveloppe architecturale pour un musée-objet qui soit
perméable au sens et porteuse de signes de l‟exposé dépond à la fois du contexte
du projet, des réalités physique et intellectuelle références au lieu de l‟objet et de
l‟ingéniosité du créateur pour les traduire et les interpréter dans une œuvre
architecturale.
Ce triple rapport au lieu dans la création architecturale est repérable dans les
exemples du musée de la Nubie d‟Assouan en Egypte (1997) et du musée des
Arts Premiers du quai Branly à Paris (2006), deux projets contemporains qu‟on
estime intéressant dans ce sens à l‟étude du fait de leur exploitation du concept
du lieu comme repère à leur création architecturale. La fondation de ces deux
projets de musée était marquée par un contexte géopolitique donnant lieu à une
controverse sociale qui a été considérée lors de la définition aussi bien des
objectifs de la fondation de l‟établissement que des choix architectural et
muséographique.
La muséification de l‟héritage patrimonial déplacé dans un nouveau lieu
d‟implantation était un sujet de discussion pour le premier projet et de
contestation pour le second. Pour le cas du musée de la Nubie, le projet
muséographique devait impérativement assurer à la population déplacée des
villages inondés d‟Assouan lors de l‟édification du grand Barrage, un lieu
propice à la sauvegarde du patrimoine culturel de la région qui se trouve menacé
de disparition par l‟action de déracinement. Ce musée d‟archéologie au départ
sera aussi spécialisé en ethnographie et aura une double mission qui se veut
scientifique et sociale: la conservation et l‟exposition des collections
archéologiques dégagées lors des opérations de sauvetage sous le label de
l‟UNESCO, et la préservation d‟un patrimoine culturel matériel et immatériel du
peuple de la Nubie. Or, la valorisation de l‟héritage culturel nubien ne se limite
97
Groupe U, Traité du signe visuel, édition du seuil, France 1992, pages 407 et 408.
150
pas à une partie des aires de l‟exposition permanente mais sera considérée
comme l‟identité même du lieu du musée.
Dans le cas du musée du quai Branly, les critiques étaient plus féroces envers
le futur projet98 mais celles qui prennent une forme de contestation se rapportent
à l‟éthique même de cet établissement dédié à la présentation des collections
ethnographiques relatives aux cultures d‟Afrique, d‟Asie, d‟Océanie et des
Amériques faisant auparavant partie d‟anciens musées français. Ce projet était
alors considéré comme un musée des cultures de l‟autre et non de Soi, selon un
point de vue nationaliste ou perçu encore comme un musée de l‟héritage
déshonorant de la politique coloniale de la France, de point de vue
décolonialiste, ou encore comme un musée pour la démarcation de la culture du
Notre pour l‟exclusion de l‟Autre, de point de vue égalitaire. Pour contourner
ces contestations, les responsables du projet avec l‟appui du président français
Jacques Chirac, parrain du musée, on porté le drapeau de la préservation de la
diversité des cultures en procédant par un changement profond dans le statut des
collections ethnographiques qui seront désormais considérées comme des
collections des Arts Premiers : L‟objet exotique devient œuvre d‟art, et le choix
de l‟esthétisme sera le vecteur de cette création muséale.
Subséquemment chaque musée prône son propre rapport au lieu référentiel de
son exposé. Il s‟agit d‟un rapport direct pour le musée de la Nubie où la
conception du continuum muséal part d‟un héritage architectural spécifique à la
région et qui est ancré dans l‟imaginaire collectif de la société nubienne ; et d‟un
rapport indirect pour le musée du Quai Branly traduisant une création
architecturale qui s‟appuie sur la réalité intellectuelle du lieu originel des
collections avec sa charge symbolique relative à un imaginaire collectif
universel.
98
Ces critiques portent essentiellement sur : le cout colossal d’un tel projet en plus de l’attribution du terrain
au pied de la tour Effel qui est d’une grande valeur immobilière ; la nécessité réelle d’ouvrir un nouveau musée
au cœur de Paris, une ville qui compte déjà beaucoup d’attraits touristiques. Voir LAUNAY Stéphanie, Le musée
du Quai Branly, construction et représentation des identités par la médiation muséale, Mémoire de fin
d’études, Section « Politique et Communication », Université Lumière Lyon 2, Institut d’Etudes Politiques, 2007.
Page 13.
99
La conception du musée de la Nubie était assurée par l‟architecte égyptien Mahmoud El-Hakim, également
architecte du musée de Louxor (1973). L‟aménagement paysager a été confié à Werkmeister & Heimer
Landscape Architects (Allemagne) et Leila Masri de Sites International. Les expositions ont été réalisées par
l‟architecte mexicain Pedro Ramerez Vázquez.
151
La réalisation architecturale de
Mahmoud El Hakim, qui lui a valu le prix
Aga Khan d‟Architecture en 2001, est une
interprétation contemporaine du savoir
faire architectural significatif de la culture
nubienne avec ses proportions humaines,
ses formes simples et ses matériaux
locaux. Le défi de la conception
architecturale était à double contrainte : le
premier consiste à préserver le caractère
originel des constructions traditionnelles
pour assurer la restitution d‟un lieu de repli identitaire cependant, le deuxième
incite à la modernisation de cette même architecture pour répondre au besoin des
fonctions muséales. De ce fait, le bâtiment édifié conjugue l‟épuration
volumétrique des formes simples de l‟architecture traditionnelle à la matérialité
de la pierre locale (grès) sublimée par les hautes techniques de la construction,
ce que lui y procure la force et la
robustesse des monuments
pharaoniques. Ces caractères Façade d’entée du musée de la Nubie
s‟affirment avec l‟aspect introverti du
bâtiment aux façades aveugles
ponctuées de registres décoratifs de
l‟ornementation architecturale populaire
faisant office de fenêtres. Ce traitement
de parois extérieures accentue la
sobriété des lieux et donne à La grande salle d’exposition, sous-sol,
l‟aménagement intérieur plusieurs Musée de la Nubie
possibilités dans l‟utilisation de grandes
surfaces pour créer les sous-espaces du musée. Dans sa conception de l‟espace
intérieur, Mahmoud El Hakim se réfère à l‟architecture pharaonique, en adoptant
l‟aspect sacral que dégage la configuration des temples de la région d‟Assouan
tels que ceux de l‟ile de Philae ou du site d‟Edfou, pour créer une grande zone
centrale au cœur du bâtiment réservée à l‟exposition permanente100. La
conception architecturale de ce musée fait de l‟édifice un monument qui reflète
l‟esprit de deux architectures locales de différents temps dans une interprétation
contemporaine.
100
L‟architecte a profité de la typologie du site sur lequel il a édifié le bâtiment, et qui était une carrière
pharaonique de granite, pour créer ce grand espace central dans le creux de la crête. Cet espace est accessible par
un système de rampes qui part de l‟entrée principale au RDC pour arriver au sous-sol en desservant les
différentes galeries d‟exposition tout autour et en donnant au visiteur une vue plongeante sur le plateau du fond
où est exposé la fameuse statut de Ramsès II sous un puits de lumière naturelle. Voir : Nubian Museum Project
Brief (PDF) dans http://www.akdn.org/architecture/awards.asp?tri=2001
152
Avec le complexe du Quai Branly101,
qui occupe un parc de 25000m2 au bord
de la Seine dans un site de prédilection
au pied de la tour Effel, la conception
du musée centrée sur les œuvres profite
aussi de l‟environnement et de ses
paysages. Elle est développée dans trois
projets en architecture, en
muséographie et en paysagisme et qui
sont intimement liés en tant
qu‟éléments de la mise en Vue extérieure, musée Quai Branly
représentation. Le musée développé par
Jean Nouvel dans ses deux phases architecturale et muséographique veut
traduire le nouveau statut accordé à ses œuvres par une architecture moderne
mais modeste. L‟architecte conçoit un bâtiment extraverti qui s‟ouvre sur la ville
de Paris avec des façades transparentes qui intriguent avec leurs bardage en bois
et dérangent avec la série de cubes colorés en sailli. Les nouvelles technologies
de la construction et du bâtiment fusionnent avec l‟âme du lieu des œuvres. La
forêt, le fleuve, et les obsessions de la vie et de la mort sont interpellés via leurs
charges symboliques et spirituelles102. Ces dernières sont interprétées par
l‟architecte en usant des signes qui habitent les éléments architectoniques
stylisés dans leurs formes et leurs proportions et la matière dématérialisé dans sa
couleur et sa texture. En évoquant son œuvre, Jean Nouvel dit «les poteaux
aléatoires dans leur positionnement et leur taille, se prennent pour des arbres
ou des totems, […] la matière par moment semble disparaitre, on a l’impression
que le musée est un simple abri sans façade, dans un bois. ». Il s‟agit ici d‟une
démarche poïétique qui réinvente la poétique du lieu de l‟exposé au moyen
d‟une réalisation qui accorde dans son expression esthétique plus d‟importance
au signifiant qu‟au signifié.
Cette même approche se confirme avec
l‟aménagement intérieur des aires
d‟exposition où le concepteur propose un
parcours guidé par une rampe
« reptilienne » qui se faufile entre les
plateformes permettant au visiteur de
découvrir au détour d‟une courbe un
nouvel espace et des nouvelles œuvres.
Tous les dispositifs de la mise en
exposition, présentoir, éclairage et
Espaces de l’exposition permanente,
101
musée Quai Branly
Le complexe est composé du musée et de trois autres établissements scientifiques et culturels consacrés aux
arts premiers.
102
Jean Nouvel, lettre d‟intention au concours international d‟architecture, site officiel du musée des Arts
premiers du Quai Branly.
153
décors, sont orchestrés pour la mise en évidence de la qualité artistique des
œuvres.
Dans ces deux projets les collections ainsi que le choix de leur mise en
exposition étaient une partie prenante de la conception architecturale. En
conséquence, le public est pris en charge lors de la visite par le dispositif
architectural qui l‟initie à la découverte des collections. Un dispositif qui
participe à la communication de l‟exposé en évoquant ses lieux. En fait, ce sont
deux œuvres architecturales qui proposent chacune un discours chargé de sens et
de symboles propre à son projet muséal. Un discours qui veut confirmer une
identité pour l‟une et un discours qui espère changer une vision d‟Autrui pour
l‟autre.
Finalement, il semble que grâce à son discours architectural et son parcours
mental, chaque création muséale invente son propre lieu de visite, un lieu de
tous les lieux.
Bibliographie
₋ GROUPE U, Traité du signe visuel, édition du seuil, France 1992.
₋ LAUNAY Stéphanie, Le musée du Quai Branly, construction et représentation des
identités par la médiation muséale, Mémoire de fin d‟études, Section « Politique et
Communication », Université Lumière Lyon 2, Institut d‟Etudes Politiques, 2007
₋ Michel Foucault, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle
d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5,
octobre 1984, pp. 46-49.
₋ Museum Vol IX, n° 2, 1956, L‟architecture contemporaine et les musées.
₋ Museum No 164 (Vol XLI, n° 4, 1989) Architecture muséale : au-delà du temple » et
…au-delà
₋ PELLEGRINO, Pierre, Le sens de l‟espace, Livre III, Anthropos, Paris, 2003.
Site web
₋ Nubian Museum Project Brief (PDF) dans
http://www.akdn.org/architecture/awards.asp?tri=2001
154
La reconversion des espaces vernaculaires domestiques en
maisons d’hôtes
Hanène Mathlouthi
Assistante à l‟UIK
155
second souffle pour la promotion des différentes régions d‟une part, et assurera
un déroulement meilleur de cette réhabilitation d‟autre part. L‟idée est aussi de
faire vivre tous les lieux historiques de la Tunisie, de créer des circuits de
découverte et de proposer une vraie immersion de culture locale. Cette notion
tient nécessairement à respecter les spécificités de la région ciblée.
L‟objectif fondamental est d‟obéir aux besoins et aux attentes de ses usagers.
Ce principe va incontestablement contribuer à la valorisation du patrimoine qui
traduit parfaitement aussi bien l‟identité du territoire que sa particularité. Il est
important aussi de réutiliser les éléments existants plutôt que de les remplacer
par d'autres nouveaux. Il est tout aussi conseillé de faire en sorte que le
patrimoine conjugue des utilités. Il est évitable qu‟un élément du patrimoine ne
soit plus fonctionnel en termes d‟usage. Celui-ci doit avoir la possibilité
d‟évoluer grâce à la reconversion en prenant garde que sa pérennité soit garantie
dans le long terme. Parmi les rôles de l‟architecte dans ce travail de
reconversion est de revitaliser les caractéristiques spatiales architecturales de
l‟endroit et l'aménagement de l‟espace.
Enjeux de la reconversion
Les espaces reconvertis sont menacés par les différentes « mises en tourisme »
dans les territoires délaissés, principalement dans le Sud tunisien. Leur enjeu
premier est de fournir une solution alternative à un tourisme dit de masse. Il est
hors doute qu‟elles se traduisent comme étant des marqueurs d‟identité et
qu‟elles contribuent même à la protection des ressources, à la fois naturelles et
patrimoniales, sans oublier, qu‟elles participent également à un échange
interculturel entre les usagers. Ces notions de reconversion des maisons d‟hôtes
posent néanmoins plusieurs problématiques: la gouvernance impliquant les
citoyens et les attentes et satisfactions des touristes, dans un marché qui est de
plus en plus concurrentiel. Ceci dit, on aboutit à une réflexion qui se base
essentiellement sur ce qui est représenté dans ces zones de caractère.
D‟ailleurs, plusieurs études ont été ainsi présentées pour faire le lien avec le
passé de certaines régions et le développement des lieux spécifiques. Les projets
de réhabilitation et surtout la contribution dans la notion du développement
local, qu'il soit privé ou public, affirment la diversité des acteurs. Leurs
équipements et leurs dispositifs sont impliqués dans une dynamique de
développement territorial et touristique. La tâche des décideurs politiques, ou
encore celle des acteurs économiques et de la population dans ce genre de projet,
sera déterminante pour définir ce que les uns et les autres entendent par la
reconversion, relevant essentiellement de ce qu'on appelle communément
« l'écotourisme ».
156
« La question des retombées de cette nouvelle ou potentielle “manne” pour les
populations reste posée avec même une possible aggravation des déséquilibres
régionaux. »2
Perspectives de la réhabilitation
La reconversion est inéluctable à l‟occasion d‟un dysfonctionnement, d‟une
panne, d‟un désordre technique un peu contraint, pour pallier un désagrément,
une gêne. On peut dire que la conversion est motivée à l‟occasion, par exemple,
d‟une acquisition ou de l‟arrivée d‟un nouvel occupant, pour remettre en état le
logement, satisfaire de nouvelles exigences et couvrir de nouveaux besoins. Elle
peut aussi être encouragée par des campagnes d‟incitation, de promotion ou
d‟aide ou des mesures fiscales. Mais aussi est-elle incitée, à l‟occasion de la
mise en place de nouvelles dispositions réglementaires, de cession du logement
dans de bonnes conditions, ou simplement d‟un engagement citoyen en faveur
des économies.
La reconversion est éminemment contextuelle. Elle s‟inscrit dans un cadre
urbain et architectural donné. Sa spécificité dépend de l‟édifice ciblé .Il s‟agit
avant tout d‟une décision prise par le propriétaire sur son bien, tout en notant
que cette action répond essentiellement aux exigences du propriétaire, ses
attentes et ses moyens. Donc, pas de conditions rigides, mais quelques
recommandations doivent être prises en considération. Le respect du patrimoine
architectural et urbain est primordial. En effet, l‟ancien bâti porte des valeurs
patrimoniales, traduisant non seulement les modes de construction, mais aussi
les modes d‟expression architecturale bien spécifiques. On note aussi la pensée
globale et le croisement des points de vue, qui stimulent l‟ensemble des
réflexions architecturales, spatiales voire même techniques thermiques,
acoustiques, sanitaire, hygiène, éclairage, confort d‟hiver, confort d‟été et
encore, des travaux respectueux de la qualité patrimoniale. Les fiches qui
suivent présentent une gamme de travaux possibles permettant d‟économiser
l‟énergie et d‟améliorer le confort des habitants.
Habiter dans le patrimoine ancien reste un mode de vie particulier, qui profite
d‟un environnement riche et complexe auquel il doit s‟adapter. Les travaux
réalisés doivent se montrer respectueux des qualités et des variations du
patrimoine existant. Il faut donc se méfier de la solution standard et chercher les
solutions les plus adaptées. Il faut aussi savoir faire en sorte de privilégier la
préservation des qualités spécifiques du bâtiment.
Les maisons d'hôtes : formules et conventions en usage
Une nouvelle vague d‟hébergement touristique permet de découvrir les
ambiances traditionnelles et locales. Elle répond aussi à une sorte de
dépaysement, fortement recherché. Une demeure domestique de source
157
ancestrale sera réactualisée en tant qu‟image porteuse de nouveaux produits
touristiques. C‟est un bilais qui assure la sauvegarde du patrimoine qui obéisse à
des normes d‟hygiènes aux standards internationaux.»3 Dans ce genre
d‟hébergement, on note une sorte de confort, exigé par l‟authenticité que dégage
ce patrimoine vivant reconverti.
La reconversion des maisons d‟hôtes nécessite un cadre juridique spécifique
de la Tunisie (selon les cas d‟étude choisis), réalisé par le ministre du tourisme.
« Il concerne en premier lieu : les dispositions générales qui conjuguent que
chaque demeure est soumise en une partie de la disposition des clients (touriste)
tout en leur offrant un hébergement et le petit déjeuner. Ce type de gestion est en
quelque sorte familiale. Les conditions prévues au présent arrêté s‟appliquent
aux opérations de création et de mise en exploitation de chambre d‟hôte. »4
Il faut mentionner que le nombre maximum des sous-espaces (chambre d‟hôte)
se limite à cinq chambres, dont la capacité maximale est une quinzaine de
personnes. La demeure oblige l‟hôte, qui est le propriétaire de l‟espace, et le
client, à devoir tous deux partagé la demeure réhabilitée. Son implantation
oblige un site sain, bien placé tout en respectant un ensemble de spécificités
propres à chaque région. Elles reposent sur des objectifs bien précis.
Les meilleures conditions d‟accueil et de confort doivent être appliquées aux
séjours touristiques, puis il est essentiel d‟obéir aux besoins et aux attentes des
clients, comme il faut aussi contribuer à la mise en valeur et à la réhabilitation
du patrimoine et l‟environnement qui l‟entoure. Et enfin, il faut faire appel aux
ressources complémentaires pour participer au développement local.
Dans une demeure touristique, le séjour constitue un segment fondamental,
celui où peut séjourner le groupe entier. Il est donc un espace d‟échange et de
communication entre les usagers. Il faut qu‟il soit convivial et toujours
disponible pour le client durant toute sa période d‟habitation et surtout à son
arrivée et à son départ. La notion d‟échange et de partage on trouve aussi des
devoirs, voire même des obligations à respecter. L‟hôte est redevable d‟informer
son client sur toutes informations dont il en aura besoin pour qu‟il puisse
découvrir le charme et les traditions de la région. Comme il est aussi redevable
de signer une assurance civile qui contient tous les risques qui englobent tant
l‟hébergement que les activités des clients. Concernant les chambres d‟hôtes, il
est indispensable qu‟elles soient confortables et que la construction soit en bon
état.
Il faut que la personne qui opte pour la création d'une maison d‟hôte, ait un
accord légal de l‟administration du tourisme, tout en respectant toutes les
conditions pour pouvoir lancer son projet. Ces principes de reconversion vont
être étudiés par la commission nationale du tourisme tunisien, qui va donner son
avis concernant les principes de création de la maison d‟hôte. Au-delà de la date
158
de partition, l‟hôte aura une année pour
régulariser la situation de sa demeure,
dont l'implantation est extrêmement liée
à l‟autorisation d‟exploitation.
DAR BIBINE Ŕ DJERBA
Dar Bibine est un « houch » (une
habitation typique de Djerba), situé
au cœur de la médina d‟Erriadh. Une
vielle demeure que les propriétaires
décident de reconvertir en maison
d'hôtes. Ils la baptiseront, Dar
Bibine. L'ancienne demeure a été
restaurée avec audace par ses
propriétaires, passionnés et
passionnants.
Le projet de reconversion s‟est
inscrit naturellement et avant tout,
dans la volonté de sauver cette
ancienne bâtisse d‟une ruine
annoncée et de préserver l‟âme du
quartier. La démarche de l‟architecte
a été guidée par la simplicité des
lignes de la « dar ». De l‟apparente
pauvreté des matériaux mis en œuvre
(bois de palmier, terre battue,
chaux…) dégage une vraie richesse
architecturale faite de coupoles,
dômes, voûtes, arches, niches…Ces
formes architecturales constituent les
entités fondatrices de cette
construction vernaculaire.
En se gardant d'en dénaturer
l'architecture originelle, cette architecture
djerbienne a été revisitée avec beaucoup de délicatesse et de goût, étant fondée
sur un mariage heureux entre le traditionnel et le moderne. Les quatre chambres
que compte cette maison d'hôtes, tout en gardant leur aspect monacal, sont
admirablement agencées. Pour la décoration, en dehors de quelques „mergoum‟
ou de „foutas‟, l'espace a été dépourvue de vieux clichés de l'artisanat tunisien.
Grâce au raffinement de son accueil et à l'art de vivre de ses hôtes, "Dar Bibine"
a bien rencontré le succès qui découle indéniablement de la convivialité qui y
règne, propre à l'idée originelle des maisons d'hôte.
159
160
Etat avant la reconversion
161
La maison est blanche et bleue. L‟architecte s‟est principalement concentré sur
la typologie de la bâtisse : espace ouvert long et étroit, "doukana" existante, peu
d‟ouvertures. Un espace dans lequel doit s‟intégrer un coin couchage, un bureau,
des rangements et une salle d‟eau. Dans ce projet, chaque détail a eu son
importance. Chaque pièce a donc été pensée « individuellement ». Linge de
maison signé, pièces uniques revisitées par un artisanat tunisien, œuvres d‟art
contemporain, complètent le décor raffiné de chaque chambre. Sur le toit, la
terrasse chauffée en hiver surplombe une piscine. Bien-être, discrétion et partage
sont les maîtres mots de cette maison où les petites attentions des hôtes sont
nombreuses. Une cuisine délicate et créative, servie avec générosité dans une
vaisselle sans cesse renouvelée, parfait ce tableau déjà idyllique.
Méditer une architecture vernaculaire, c‟est méditer les projets futurs tout en se
basant sur un savoir alternatif d‟une pratique conséquente. D‟ailleurs, en se
référant aux valeurs de notre patrimoine architectural, il est bien clair que cette
approche doit être investie avec le moindre coût possible. Il est obligé que
chaque segment du patrimoine traduise sa valeur traditionnelle, issue d‟une
région bien spécifique. C'est à la fois un savoir-faire et un moyen de
réactualisation, dont l'objectif est de toujours regarder l'avenir.
Dans ce sens, la région ciblée traduit en quelque sorte une longue tradition
pétrie de valeurs culturelles et authentiques. Celles-ci sont exprimées
spontanément par des gens, qui d‟une génération à une autre, se sont transmis
leur art et leurs manières de résoudre intelligemment leurs problèmes quotidiens,
à partir de leurs besoins et de leurs possibilités. Ces architectures sans titres, loin
des influences étrangères, ont produit bien évidemment une architecture
humaine, fonctionnelle et esthétique en dégageant les lignes préférentielles qui
sont aussi spécifiques que leur langue, leur climat et leurs coutumes. Une
édification définie par son identité culturelle insolite et qui a eu lieu suite à un
ensemble de paramètres, étant extrêmement liés aussi bien au milieu purement
environnemental physique qu‟à l‟environnement social.
Cette nouvelle formule touristique veille à ne pas dénaturer le patrimoine. Elle
tend à transformer les noyaux d‟habitations des sources ancestrales en une
formule d‟hébergement, fondée primordialement sur la notion de partage, du
chez soi. Cette activité participe sans aucun doute à la restauration du tissu
urbain. Elle contribue à la valorisation du patrimoine et surtout de
l‟environnement. L‟architecte opte pour une revitalisation des caractéristiques
spatiales architecturales de l‟endroit. Ces principes traduisent la source
d‟exploitation des maisons d‟hôtes, qui vont essentiellement perturber le moins
possible le système social et économique du pays d‟accueil et respecter les
communautés locales toutes s‟inscrivant dans une perspective de développement
162
durable. Le fonctionnement des maisons d‟hôtes repose fondamentalement sur la
particularité, les prestations, et les services. Tout y est différent par rapport à un
tourisme de masse dont la répartition est éminemment équitable. C‟est une
forme d‟hébergement touristique en meilleure adéquation avec la population et
l‟environnement. Il faut tenir compte aussi du fait que ce patrimoine vivant
reconverti va certainement engendrer des bienfaits purement économiques tels
que « l‟augmentation des investissements, surtout les étrangers d‟entre eux. Ces
capitaux sont réinjectés directement dans l‟économie locale. »5 Un
développement qui va cibler le secteur du travail. En fait, « n‟exigeant pas un
niveau d‟instruction élevé ou spécialisé dans l‟hôtellerie, les maisons d‟hôtes
recrutent leur personnel parfois parmi les habitants du quartier, surtout les jeunes
d‟entre eux. »6
La consommation touristique qui devient de plus en plus directe, est fortement
liée à l‟amélioration des maisons d‟hôtes. En somme, ce qu‟on vient de citer,
peut participer à l‟amélioration du niveau de vie de la population. Il est
prépondérant de mentionner les conséquences que peut entraîner cette nouvelle
formule dans le secteur touristique. D‟abord, ceci a eu lieu grâce au contact
direct entre l‟hôte et sa clientèle « Les gens sont contents de ce style de
vacances. Ils en parlent une fois chez eux et reviennent accompagnés de leurs
familles ou de leurs amis. »7 Ensuite c‟est un moyen qui est absolument
enrichissant vis-à-vis du produit culturel local. L‟alliance entre l‟architecture
traditionnelle et l‟architecture contemporaine, par le principe de la reconversion
donne une nouvelle expression du concept d‟architecture vernaculaire, en lui
assignant un objectif sans soucis environnementaux. En effet, une appropriation
perspective stimule, ainsi, avantageusement le développement durable au niveau
des sites sur lesquels une analyse profonde de l‟architecture domestique
traditionnelle fonde une base pour assurer cette intervention plus ou moins
minutieuse.
Bibliographie
[1] Mouna ZERTI BENDIF, « Mise en valeur du patrimoine pour la promotion du tourisme
dans le cadre d’un développement durable », Archi_Mag magazine en ligne. Disponible sur :
http://archi-mag.com/wp/
[6] M.Degrencourt et A.Duboy, « Découvrir les raids », magazine médina, mi-juin 2001.
163
[4] Salma BELHADJ SOUEMI, « Maisons d’hôtes, naissance et développement », mémoire
en ligne, publié en 2008.
[2] Revues des régions Arides, « Développement territorial, patrimoine et tourisme en zones
fragiles et menacées : entre dynamiques économiques, démocratie participative et
communication », Tunisie, 2012.
164
Le modulaire et le modulable : Vers la création d’un
établissement scolaire flexible
Kmar Kallel
Assistante à l‟UIK
165
idéale ; elle permet, en revanche, de mettre en évidence ses avantages et
contraintes propres.
Au cours de cet article, nous allons essayer tout d‟abord de détecter les
différents types de construction de ce concept tout en nous appuyant sur des
exemples concrets d‟établissements scolaires. Ensuite, nous essayerons de
dégager les enjeux de cette innovation technologique en démontrant sa plasticité
sur l‟environnement pédagogique, social et physique des apprenants.
167
Afin de mieux comprendre les enjeux de ce type de construction, nous avons
choisi de traiter l‟exemple de d‟ « Hyperion School » : un établissement
scolaire (archdaily.com) situé à Amsterdam.
Il s‟agit d‟un bâtiment modulaire temporaire conçu en 2012 par Burton
Hamfelt Architectuur (voir figures1 et 2) après la démolition de l‟ancienne école
en 2011. Afin d‟aboutir à un projet rapide et efficace et permettre aux jeunes
élèves d‟accéder à l‟éducation de base dans les délais réglementaires, la
commission s‟est mise d‟accord pour fournir un système de conception et
d‟architecture tournant autour d‟une stratégie modulaire dans un endroit bien en
vue à Overhoeks au Nord d'Amsterdam. La conception du système de
l'immeuble a été choisie pour permettre la flexibilité et la rapidité de montage.
L‟objectif était de convier le maximum d‟élèves dans un minimum de temps
grâce à l‟emploi des moyens de construction modernes. Après cinq ans, l‟école
modulaire sera démantelée et réutilisée pour d‟autres fins et emménagera, par la
suite, dans un bâtiment permanent.
168
centralité, dans le but de s‟adapter à toutes les exigences de l‟environnement
pédagogique pour assurer des espaces d‟apprentissage multifonctionnels.
Figure 20: Montage des modules, Figure 21: Disposition des modules sur plan,
Hyperion School Hyperion School
169
Figure 23 : Façade prise 2, Gandra Figure 22 : Façade prise 1, Gandra
School School
Le plan a été conçu selon des formes géométriques simples (le carré et le
rectangle) autrement dit « des modules » se basant essentiellement sur la
centralité. Cet établissement a été conçu avec divers programmes, diverses
formes et dans divers contextes. Les salles de classes sont configurées en
modules simples, juxtaposées et clairement perceptibles, où les variations de
l'orientation, de la mise en œuvre et les pentes de la toiture déterminent la
conception formelle du centre scolaire.
Le système constructif mixte en béton et acier, permet de répondre aux
objectifs de conception bioclimatique. L‟organisation simple et régulière des
modules sur un seul niveau a réduit l‟impact de la construction sur
l‟environnement et a permis de faire profiter tous les occupants du bâtiment des
paysages naturels sur tous les angles grâce aux différentes orientations des
modules.
L‟irrégularité formelle, illustrée par la figure 9, est visible en élévation, au
niveau des différentes façades des modules (façades des modules en rectangles
brisés) et en plan au niveau de la disposition des modules. Le choix architectural
porte sur l‟adaptation discrète, voire «invisible» des différents modules au site.
Disposées les unes après les autres, les cellules suivent une trajectoire
170
irrégulière, le projet échappe ainsi à toute vue lointaine pour laisser intacte la
perspective naturelle du site.
La toiture de l‟établissement scolaire présente une silhouette démunie d‟une
forme précise (informalité relative). Les différentes orientations et les pentes du
toit accordent un aspect ludique qui correspond au thème de l‟édifice et son
environnement (voir figure 8).
172
Espace scolaire modulable ou magistral ? Enjeux
Dans l‟Antiquité, l‟objectif était d‟instruire de manière fonctionnelle un grand
nombre d‟élèves qui ne pouvaient plus accéder à l‟enseignement
individuellement. De là est née la « méthode frontale ou magistrale » (Marquez,
2011). En effet, cette méthode consiste à ordonner les élèves par âge, les
soumettre à plan d‟étude rigoureux, donner des cours au sein d‟une salle de
classe de forme rectangulaire avec des fenêtres sur le levant pour faciliter la
prise de note et elaborer une organisation spatiale bien déterminée : série de
tables alignées et dirigées vers le tableau formant des rangées entre lesquelles
l‟enseignant circule.
Puisque les contraintes et exigences qui pèsent sur les bâtiments ne cessent
d‟évoluer, les infrastructures scolaires ont évolué aussi afin d‟être adaptables et
flexibles, pour pouvoir à la fois suivre le progrès technologique et répondre aux
besoins et impératifs changeants des groupes d‟utilisateurs et de la communauté
dans son ensemble.
En effet, l‟école est considérée comme une construction affective qui joue un
rôle important dans la vie des jeunes élèves. Selon Christian BERGER,
secrétaire général de la Conférence Intercontinentale de l'Instruction Publique de
la Suisse romande et du Tessin (CIIP) en 2004, les critères communs d‟un
espace d‟apprentissage moderne favorisant le confort des apprenants sont
(Berger, 2004) :
La modularité et flexibilité : que ce soit des espaces appropriés à l‟usage
des TICS, aux pédagogies socioconstructivistes et aux nouveaux
curricula ;
la réversibilité ou la défonctionnalisation : les espaces seront conçus pour
servir à de multiples usages au service des apprenants. La
défonctionnalisation consiste à concevoir la réversibilité du lieu, c‟est-à-
dire que le changement de fonction ne doit en aucun cas affecter
l‟ensemble, les espaces doivent demeurer souples afin de s‟adapter à
n‟importe quel usage futur.
La transparence des espaces d‟apprentissages communiquant ;
Les formes d‟enseignement changent régulièrement. Il faut donc des espaces
qui permettent une grande souplesse d‟utilisation. Un espace travaillé pour un
usage pédagogique précis risque de ne pas convenir à long terme. Les classes
rectangulaires ou carrées ne sont pas une mauvaise solution car elles sont
propices à de multiples utilisations. Mazalto Maurice et Paltrinieri Luca
démontrent l‟importance de la flexibilité et la transparence des nouveaux
espaces scolaires à travers cette citation : « Au lieu de chercher à fixer, dresser,
assigner, comme c’était le cas au XIXe siècle et encore souvent aujourd’hui,
l’architecture doit désormais favoriser la circulation et la socialisation des
173
élèves, en variant continuellement les dimensions des espaces qu’ils sont
amenés à traverser. Pour que l’utilisateur puisse investir de différentes
manières le même espace, il doit faire preuve « d’agilité spatiale », c’est-à-dire
qu’il doit être capable de modifier rapidement l’organisation des espaces
d’apprentissage, par exemple à travers le mobilier ou les cloisons » (Mazalto,
Paltrinieri, 2013)
En résumé, selon de nombreux auteurs, l‟avenir des espaces scolaires est
toujours à la transparence et à la flexibilité ce qui a permis à l‟architecture
modulaire de s‟imposer rapidement dans les sociétés.
174
Volumétrie modulaire souple : Une disposition ordonnée ou dynamique
Dans le cas d‟ « Hyperion School », la disposition des modules les uns auprès
des autres, les juxtaposer et les emboîter les uns sur les autres selon une
trajectoire rectiligne et uniforme, favorise une organisation autour d‟un espace
central destiné au rassemblement ou aux locaux communs. Il s‟agit d‟un espace
public au sein de l‟école favorisant les rencontres, les interactions entre les
groupes, les relations sociales et l‟appropriation par les enfants d‟une identité
publique.
En disposant les cellules d‟une façon dynamique et désordonnée comme le
montre « Gandra School » et « Gerardo Molina School », cela a permis d‟avoir
des orientations différentes afin de profiter d‟une luminosité ambiante et adaptée
pour chaque cour et période de la journée. Dans le cas de « Gandra School » et
« Gerardo Molina School », la configuration dynamique permet aux utilisateurs
de choisir un module orienté vers le soleil si le cours exige une plus forte
luminosité. Par contre, les cours qui ne requièrent pas beaucoup de lumière (i.e.
salle d‟informatique, de projection etc.) sont pris en charge dans un module
orienté de l‟autre côté et ainsi de suite. C‟est aussi valable pour les saisons, en
été comme en hiver, cette disposition dynamique permet de profiter des
performances énergétiques au maximum en choisissant les modules les plus
adaptés selon l‟exposition du soleil et la chaleur.
Des modules préfabriqués ou sur pilotis ?
Le cas d‟une préfabrication industrielle modulaire illustré par le schéma de la
figure 13, apparaît au niveau de la construction de l‟établissement scolaire
temporaire « Hypérion School ». La flexibilité se manifeste surtout au niveau de
la production des modules en série, de la rapidité d‟assemblage, du montage et
des matériaux de construction qui sont adaptables à long terme. La durée de la
construction d‟un bâtiment modulaire préfabriqué varie entre 6 et 12 mois, c‟est
pour cela qu‟il faut réfléchir sur la notion de la souplesse après la construction
même du bâtiment vu que la taille des modules est imposée par l‟entreprise qui
les préfabrique en raison du transport et de l‟avancement technologique qui est
encore assez limité.
Le cas d‟une construction modulaire sur pilotis, illustré par le schéma de la
figure 14, apparait au niveau de la réalisation des établissements scolaires «
Gandra School » et « Gerardo Molina School ». La flexibilité se manifeste
surtout au niveau du choix infini de possibilités en termes de dimension et de
morphologie. En effet, un système de pilotis en acier et béton armé permet de
construire une structure fixe, c‟est-à-dire un squelette en béton sur lequel on
dispose les modules sans contraintes, tout en ayant la possibilité d‟ajouter,
éliminer ou modifier n‟importe quelle unité selon les besoins sans toucher à la
structure de base du bâtiment. Cette technique permet aussi de personnaliser,
d‟intervenir ou de faire des travaux de rénovation en cas de besoin sur chaque
175
module indépendamment des autres. La durée de la construction d‟un bâtiment
modulaire sur pilotis prend plus de temps que celui d‟une construction
préfabriquée et requiert un budget plus
élevé. C‟est pour cette raison qu‟il faut
réfléchir sur la manière d‟intervenir au
sein des modules et de les rendre aussi
souples que possible vu que la structure
du bâtiment est fixe. En effet, dans ce
type de construction, la disposition
modulaire est imposée par un nombre
précis de configurations prédéfinies à
l‟avance.
176
En utilisant du mobilier flexible, des légers murs de séparations
(démontables et déplaçables). En effet, dans « Gerardo Molina School »,
chaque module comporte deux salles de cours séparées par une cloison
légère afin de profiter de tout l‟espace modulaire en cas de besoin ;
La présence du mur rideau, dans le cas de « Gandra School », a fait du
bâtiment un excellent scénario de flexibilité en matière de performance
énergique et transparence. Ce type de vitrage a aussi délimité l‟effet
couloir ayant pour rôle de connecter les modules entre eux.
177
Eviter les bâtiments monumentaux. En effet, l‟enfant est le sujet et non
l‟objet de l‟éducation. L‟architecture doit être donc à son échelle ;
Permettre à une seule salle d‟apprentissage des utilisations différentes
au profit des projets de groupes et d‟équipes car l‟enseignement frontal
classique est considéré actuellement comme non pédagogique. Dans le
cas de l‟ « Hyperion School », les deux parois qui séparent les salles
sont vitrées ; en cas de besoin, il est possible de tirer des rideaux pour
séparer les classes au niveau visuel et de basculer les parois pour avoir
deux salles communicantes.
Afin de mieux rattacher les expériences éducatives des apprenants au monde
tel qu‟il est, il est préférable que l‟établissement scolaire soit associé à
l‟apprentissage de la vie et des valeurs. Dans ce contexte, Marie Musset et Mark
Dudek affirment aussi dans leurs écrits qu‟il est toujours essentiel de tenir
compte de deux considérations primordiales (Musset, 2012) (Dudek, 2007) :
Le développement du programme scolaire convenable à l‟apprentissage
ne doit pas s‟arrêter aux limites du domaine de l‟école, mais englobe
tous les alentours ;
Un bâtiment scolaire doit tenir compte de la collectivité considérée
comme un tout et pas seulement du bien-être scolaire des élèves ;
Tous les espaces communs sont accessibles à la communauté c‟est pour
cela qu‟il faut les placer au centre ou sur la bordure du bâtiment.
Le dernier exemple de « Gerardo Molina School » montre une organisation
spatiale dans laquelle la cour centrale, le terrain de jeu et la bibliothèque sont
situés de telle manière qu‟ils puissent être utilisés pendant les heures d‟école par
les enfants du quartier sans gêner le cursus scolaire. Tous les espaces communs
sont accessibles à la communauté même lorsque l‟école est fermée.
L‟architecte de « Gerardo Molina School » a voulu offrir aux habitants d‟un
quartier défavorisé de multiples possibilités d‟enrichir leur vie communautaire et
individuelle. En fait l‟idée majeure de ce concept est partie d‟une architecture
modulaire mise au service de la collectivité. En effet l‟école est située au cœur
d‟un quartier urbain dont les équipements sont accessibles aux gens qui désirent
les utiliser même en dehors des heures d‟école. Ce concept illustre en quoi les
écoles peuvent contribuer à une renaissance de la vie des lieux publics.
Effectivement, grâce aux modules disposés dynamiquement les uns après les
autre, ces derniers ont permis de décomposer l‟espace en espace privé et espace
public accessible à toute la collectivité. Cette approche encourage les élèves à se
tourner vers l‟extérieur et les rendent attentifs à la relation qui les lie à la
collectivité qui est à leur service. L‟architecte, dans ce cas, donne une grande
importance autant à l‟éducation sociale qu‟à l‟éducation scolaire.
178
Les tendances de renouvellement spatial d’un environnement scolaire
modulaire
L‟analyse des trois établissements scolaires, l‟appropriation du concept de
« modularité » et l‟ouvrage de DUDEK Mark « Projet et réalisations, Ecoles et
jardin d‟enfants » (Dudek, 2007), nous ont permis de distinguer cinq tendances
qui ont participé à la création d‟une architecture scolaire moderne. En les
prenant individuellement, elles peuvent agir comme des accélérateurs pour la
planification du programme architectural des écoles primaires ; considérées
ensembles, elles peuvent être arrangées comme étant les éléments d‟une
transformation plus riche au service de l‟architecture modulaire.
- L'accès à l'information : l‟école à l‟ère des nouvelles technologies
Etant désormais omniprésentes, les nouvelles technologies ont une importance
de plus en plus forte dans notre quotidien ; les élèves de la génération actuelle
ont grandi avec les technologies numériques. Grâce à Google, les jeunes peuvent
désormais accéder à une multitude d'informations, de contenus et de ressources.
Mais la technologie à elle seule ne peut pas être le seul outil de l‟apprentissage,
il est fondamental de concevoir un bâtiment scolaire sur la base de plan avec une
infrastructure adaptée et flexible. En réponse à cette transformation de la
pédagogie, on constate l‟apparition d‟une grande variété de dispositions
spatiales de locaux, variété qui tend à devenir la norme. Le cas d‟ « Hyperion
School » et « Gerardo Molina School » englobe parfaitement ces
caractéristiques. En effet, ces établissements comportent plusieurs salles de
projection de haute technologie, permettant à l‟enfant d‟accéder au maximum de
ressources.
- Des environnements d‟apprentissage spécialisés ou multifonctionnels
Les environnements d‟apprentissage spécialisés les plus habituels dans les
écoles primaires sont les médiathèques, les salles de sport et les locaux destinés
aux activités artistiques et musicales. Cependant, il y a des écoles qui préfèrent
rendre ces espaces non seulement publics mais aussi multifonctionnels comme
c‟est le cas de « Gerardo Molina School » pour la médiathèque et la cafétéria
mais aussi de« Gandra School » pour le gymnase.
Le plan de « Gandra School » est muni de « breaks out spaces » intégrés dans
un corridor élargi avec des salles de classe d‟un seul côté (voir la figure 17).
Situés entre l‟environnement naturel extérieur et les espaces de circulation
intérieurs, ces espaces de détente entrent en relation directe avec les salles de
classes. Cette configuration, plus centrée sur l‟apprenant, permet aux élèves de
progresser depuis le contexte extérieur vers la salle de classe.
181
du système dépend de la profondeur du puits de lumière et des dimensions de
l‟ouverture du lanterneau.
Enfin, on trouve dans quelques modules de « Gandra School » et « Gerardo
Molina School » des claires-voies. Ce sont des ouvertures situées dans la partie
haute des façades. Elles laissent pénétrer la lumière du jour vers le fond du local
et permettant une répartition lumineuse et plus homogène s‟il y‟a une fenêtre
latérale.
Conclusion
Depuis le début du XXe siècle, des pédagogues novateurs ont pointé
l‟importance des espaces scolaires et la nécessité de les faire évoluer, en
proposant des solutions innovantes, en matière d‟organisation spatiales et
fonctionnalité, capables d‟offrir des constructions laissant la place à
l‟appropriation et à la transformation, parmi elles on cite : la modularité. A partir
de là, notre travail préliminaire de recherche avait pour premier défi de définir
l‟architecture modulaire considérée, à travers l‟ensemble des composantes
matérielles et immatérielles, comme étant :
Une technique moderne de production modulaire se basant sur la
préfabrication industrielle qu‟on a démontrée à travers l‟exemple
d‟ « Hyperion School ».
Un concept de construction sur pilotis se basant sur une structure fixe
comportant plusieurs modules évolutifs disposés de diverses manières
qu‟on a illustré à travers les deux études de cas « Gandra School » et
« Gerardo Molina School ».
Il y a donc émergence d‟un nouveau type de construction décomplexifiant
l‟école en plusieurs cellules connectées par des espaces de liaisons destinés à la
circulation et aux « breaks out spaces ». L‟investigation des trois établissements
scolaires nous a permis de retenir des critères communs d‟une école modulaire,
ont pu être retenus :
La flexibilité : que ce soit des espaces appropriés à l‟usage des TICS,
aux pédagogies socioconstructivistes et aux nouveaux curricula ;
La réversibilité ou la défonctionnalisation : conception de bâtiments
pour multiple usages, c‟est-à-dire, changer leurs fonctions sans toucher
à l‟ensemble ;
La transparence : permettant de concevoir des espaces d‟apprentissages
communiquant ;
La participation de la communauté à la gestion du projet et son libre
accès à l‟établissement tout au long de l‟année ;
Les impératifs de développement durable (i.e. matériaux, énergie, eau
etc.) et de la sécurité (i.e. santé, acoustiques, lumière etc.).
182
Les formes d‟enseignement changent régulièrement. Il faut donc des espaces qui
permettent une grande souplesse d‟utilisation. A travers ces propos et les
exemples étudiés, nous pouvons présumer que les deux types de dispositions
modulaires, dynamiques et ordonnées, ont contribué à faire évoluer les
bâtiments selon les techniques de construction utilisés (préfabrication
industrielle ou construction sur pilotis). Une disposition dynamique des modules
a prouvé son efficacité à faire participer les communautés locales durant toute
l‟année.
Enfin, cette étude nous a aidé à démontrer que la modularité a renforcé la
complémentarité entre architecture et pédagogie dans les établissements
scolaires sur plusieurs niveaux grâce à la plasticité des éléments architecturaux.
Ces derniers ont assuré la conception des espaces scolaires multifonctionnels et
polyvalents capables de s‟adapter à n‟importe quelle situation.
Ribliographie
183
MAZALTO Maurice et PALTRINIERI Luca (2013). Introduction : Espaces scolaires et
projets éducatifs, Revue internationale d‟éducation de Sèvres, 31-40 Pp31.
RESENDIZ-VAZQUEZ Aleyda (2010). L'industrialisation du bâtiment : le cas de la
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VERNANT Aurélien, BOSCA Emmanuel (2013). Architecture expérimentale, Dossier
pédagogique, Collection Frac Centre, Galerie permanente Page 31, Ligne 16-20
184
L’IDEE ARCHITECTURALE ET LE LIEU
Ferdaws BELCADHI
Maître assistante, E.N.A. U
INTRODUCTION
Cette citation d‟Alvaro Siza, extraite d‟un entretien sur les rapports de
l‟architecture et du lieu 103exprime l‟idée d‟une subjectivité de l‟architecture ; ou
plus précisément d‟une subjectivité des rapports de l‟Homme et de
l‟architecture. C‟est bien parce qu‟elle est sujette à interprétation que
l‟architecture échappe à l‟architecte et devient la propriété physique,
intellectuelle, mémorielle, pérenne ou temporelle d‟un individu et/ou d‟une
collectivité. Nous allons nous intéresser ici à cette dimension subjective. En
s‟interrogeant sur la poétique architecturale, sur les conditions de la création, il
s‟agit d‟essayer d‟apporter une pierre à la connaissance des principes qui
fondent l‟acte de conception architecturale.
103
Alvaro Siza, in Lieux contemporains, sous la direction de Michel Mangematin et Chris Younès, Editions
Descartes et Cie, Paris 1997, p.203
104
Sachant que le dessin génère peut être autant les concepts qu‟il les traduit. On pense ici particulièrement à
Carlo Scarpa qui associe pleinement la pensée et le dessin, et pour qui « dessiner, c„est penser »
105
Hegel, Esthétique, Le livre de Poche, LGF, Paris, 1997, p. 334
185
Alvaro Siza exprime donc l‟idée que l‟architecture est porteuse de sens. C‟est
bien l‟architecte qui, par son action donne du sens à son architecture
La perception du lieu dépend de la nature du regard porté sur lui. Le lieu est
lu et décrypté par l‟architecte. Cette lecture fait appel à des savoirs et des
connaissances professionnelles, mais également culturelles et sociales. Le lieu
du projet est l‟objet d‟une interprétation. Il est ainsi objet de lectures différentes.
Cela est perceptible dans le cas du projet de Bucarest où l‟architecte/individu a
fait preuve d‟une faible capacité à lire et interpréter le territoire, mais également
chez Koolhas, qui semble tenir compte de certaines spécificités du lieu pour
déterminer la nature de son intervention architecturale. Avant d‟aller plus loin
sur l‟analyse de cette rencontre potentielle de la démarche de conception
architecturale et du lieu, il semble nécessaire de développer la notion de lieu,
notamment au regard de ce qui vient d‟être relevé, à savoir la possibilité de
lectures différentes de ce qu‟est le lieu.
106
Maurice Merleau-Ponty, L‟œil et l‟esprit (1964) Gallimard collection Folio essais, Paris, 2007, P.81
186
Quand je me promène dans la campagne, que je me laisse m’enfoncer
progressivement dans le paysage qui est devant moi et à mes côtés, je sais que je
peux tout à coup me retourner et regarder en sens inverse l’espace que je viens
de franchir. L’ici d’où je suis parti pour en arriver là peut être transformé par
moi en un là que je regarde depuis ce nouvel ici auquel je suis arrivé »107
Confronté à un même lieu, le regard porté sur ce lieu diffère donc dès lors que
ce regard est novice ou déjà construit. Gély insiste notamment sur la distinction
des perceptions chez Merleau-Ponty, ce que ce dernier nomme la transcendance
horizontale et la transcendance verticale. La transcendance horizontale se
caractérise par la perception physique qui transite notamment par le regard. La
transcendance verticale implique les perceptions culturelles, historiques,
professionnelles, etc. : « Ce qui apparait dans cette (...) transcendance
horizontale, c’est l’importance de la réversibilité des différents parcours
perceptifs dans le processus de constitution de l’apparaître phénoménologique.
Cette possibilité de faire du lieu où je me trouve un lieu que je pourrais
percevoir d’ailleurs modifie à la fois la perception que j’ai de ma situation
présente et la perception du lieu vers lequel je me dirige. »108. Selon Merleau-
Ponty et l‟analyse qu‟en fait Raphaël Gély, la perception d‟un lieu dépend donc
bien des références personnelles et culturelles d‟un lieu dépend donc bien des
références personnelles et culturelles qui construisent en amont de toute
perception cette capacité de percevoir : « La thèse selon laquelle c’est à
l’expérience qu’appartient le pouvoir ontologique ultime et non à l’essence
signifie dans ce cadre interprétatif que la perception d’une réalité donnée est
travaillée par l’épreuve de la relativité de nos visées intentionnelles. Se vivre
comme expérience, pour la perception, c’est faire l’épreuve de la contingence
des déterminations à partir desquelles celle-ci vise le donné. »109.
Raphaël Gély prend sur ce point l‟exemple précis d‟une église : « On pourrait
analyser la perception que j‟ai de cette église romane qui est là au loin en
étageant différents niveaux d‟appréhension, du plus élémentaire au plus
complexe. Ainsi, cette église romane est perçue comme une réalité matérielle
qui occupe tel endroit de l‟espace. Cette église peut être visée encore, selon nos
différents intérêts, comme appartenant à un type de système de pouvoirs, comme
une œuvre architecturale, etc. Autrement dit, l‟expérience perceptive de cette
107
Raphaeël Gély, Les usages de la perception, réflexions merleau-pontienne, éditions Peeters, Louvain, 2006,
P.99
108
Ibid.
109
Ibid. pp.99-100
187
église ne se réduit pas à l‟expérience sensorielle que je peux en faire. Percevoir
cette église comme une habitation ou même comme un lieu sacré relevé bien des
compétences possibles de l‟acte de percevoir, si bien que l‟activité perceptive est
toujours déjà inscrite dans une historicité fondamentale ».110. Cette analyse de
Merleau-Ponty rejoint la problématique évoquée un peu plus tôt au sujet de la
cathédrale Saint-Joseph de Bucarest. Il est intéressant de relever que le choix de
l‟église en tant qu‟exemple n‟est pas anodin. Il est un choix plus pertinent
qu‟une crèche, un grand magasin ou une usine, car le regard porté sur un lieu à
forte connotation symbolique, ici plus spécifiquement un lieu culturel, parait à la
fois exacerber la sensibilité du regard et élargir le champ des interprétations.
C‟est ce que montre le projet de Bucarest ; la polémique n‟a lieu que parce
qu‟elle se focalise sur les rapports de l‟église et de la tour de bureaux. Elle
n‟aurait pas eu lieu si à la place de l‟église s‟était trouvé un centre commercial
ou une banque. C'est-à-dire que l‟église en tant que lieu représente bien plus que
ce qu‟elle est en tant qu‟architecture. Elle est une médiation qui permet
l‟émergence et l‟existence d‟une forme de pensée initialement religieuse, mais
qui devient symbolique par l‟histoire en acquérant d‟autres valeurs. Pour
Merleau-Ponty, la lecture et la compréhension du lieu dépendent strictement des
conditionnements culturels, religieux, familial, géographique, historique,
professionnel, etc. de l‟individu qui se projette physiquement dans le lieu, et
dont la perception modèle également l‟idée du monde.
Heidegger et le lieu
110
Ibid. p.106
111
Pierre Dulau, Martin Heidegger, la parole et la terre, in Le territoire des philosophes, Lieu et espace dans la
pensée au XXème siècle, sous la direction de Thierry Paquot et Chris Younès, Editions de la Découverte, Paris,
2009, p. 182
188
Quadriprti. L‟être de l‟home se manifeste dans cette localisation précise, et donc
distincte d‟une autre localisation, à laquelle tout participe, le climat, la
topographie, la matière, le langage…Selon Heidegger, un lieu n‟est donc un lieu
dans l‟espace que par la médiation de l‟esprit humain. La perception du lieu est
donc une perception singulière et personnelle. Mais, parce qu‟elle s‟inscrit dans
le registre perceptif de paramètres communs à une assemblée plus ou moins
importante d‟individus, cette singularité de la perception n‟empêche nullement
l‟existence d‟une perception collective du lieu. Prenons ici l‟exemple du pont tel
qu‟il est donné par Martin Heidegger dans son célèbre texte Bâtir, habiter,
penser : « Le pont est à vrai dire une chose d’une espèce particulière ; car il
rassemble le Quadriparti de telle façon qu’il lui accorde une place. Car seul ce
qui est lui-même un lieu peut accorder une place. Le lieu n’existe pas avant le
pont. Sans doute, avant que le pont soit là, y a-t-il le long du fleuve beaucoup
d’endroits qui peuvent être occupés par une chose ou une autre. Finalement l’un
d’entre eux devient un lieu et cela grâce au pont. »112. On imagine aisément
qu‟après la construction du pont, constituant alors un lieu par sa simple présence
(E. Souriau), le pont lui-même va exister en tant que lieu spécifique, sujet de
perceptions différentes pour tous ceux qui vont être confrontés à cet endroit
désormais singulier.
LA PERCEPTION DU LIEU
112
Martin Heidegger, Essais et conférences (1958), traduit de l‟allemand par André Préau, Gallimard, Paris,
2003, pp.182-183
189
autre qu‟une synthèse du topos aristotélicien avec l‟idéal platonicienne. L‟autre
conception possible relève de la chôra. C‟est la plus problématique, car elle est
essentiellement relationnelle. Le lieu y dépend des choses en dépendent, et ce
rapport est en devenir : il échappe au principe d‟identité. La dimension plus
strictement topologique du lieu (le topos d‟Augustin Berque) ne nécessite pas la
présence physique du cops : la position de l‟arbre peut être définie en termes
cartographiques et mesurables, ou par une position relative à d‟autres lieux
(l‟arbre est situé au sommet de la colline qui domine le village), mais elle ne
peut cependant se passer d‟une conscience du lieu car ce sont l‟esprit et la
mémoire qui confèrent une existence au lieu. Pour prendre un exemple du côté
de la mythologie, le paradis n‟a pas d‟existence réelle connue, il est localisé par
la plupart des cultures quelque part dans les cieux, en un point inaccessible à
l‟homme. Il est un pourtant un lieu référencé, auquel l‟esprit humain est capable
de donner une existence et une forme. L‟esprit humain se fabrique une
conscience de l‟existence du lieu. Il en génère une matérialisation possible, qui
ne nécessite pas une expérience réelle et physique du lieu pour exister. La
valeur accordée au lieu, qu‟il soit vécu ou rêvé, a une existence et du sens pour
une partie plus ou moins importante de l‟humanité. Un lieu ne semble donc être
un lieu dans l‟espace que par la volonté de l‟esprit humain. Il est le fruit d‟un
processus intellectuel et non seulement visuel. Ainsi, pour Etienne Souriau dans
son Vocabulaire d‟esthétique, une portion donnée de l‟espace peut être un lieu, à
condition d‟être objet de connaissance. E. Souriau donne l‟exemple d‟une œuvre
d‟art qui par sa simple présence génère un lieu. Mais ceci peut être extrapolé,
au-delà de l‟œuvre, à tout objet qui marque un espace en un point singulier.
Cette marque peut ainsi être un objet physique, géographique, un événement,
etc. Le Mont Everest n‟a été physiquement expérimenté que par un petit nombre
d‟individus. Il est pourtant un lieu commun, reconnu, topologique situable par
une bonne partie de l‟humanité, et sensible du fait des signes dont on l‟a pourvu
et dont il est porteur : cette montagne suscite tout d‟abord une reconnaissance
géographique (topologique), elle est physiquement le plus haut sommet du
monde, elle génère chez certains êtres humains l‟envie physique et sportive de la
conquérir : elle est donc pour eux le lieu de la confrontation, du danger et de
l‟exploit. Elle est d‟abord un espace topographique, des suites de murs de glace
et de roches à franchir. Elle est chez d‟autres, et plus particulièrement pour les
cultures locales, le lieu d‟une sacralisation extrême qui empêche pratiquement
toute profanation113.
113
« Toutes les cultures sacralisent leur montagne ». Citation de Michel Serres in Variations sur le corps,
190
Le Thoronet ou la Tour Eiffel ne sont pas des lieux naturels ; en tant
qu‟espaces construits, ils sont les fruits d‟une volonté humaine. Mais ils
bénéficient d‟une dimension similaire à l‟Everest en tant que lieux portés à la
fois par le réel et par l‟imaginaire. La Tour Eiffel en tant que lieu existe, y
compris pour un grand nombre d‟habitants de la planète qui ne s‟en sont fait
pourtant qu‟une image, fabriquée par les restitutions de voyages, les histoires,
les cartes postales, les images télévisées, etc. La valeur accordée au lieu, qu‟il
soit vécu ou rêvé, a une existence et du sens pour une partie plus au moins
importante de l‟humanité ; on peut ainsi aisément imaginer que la tour Eiffel
représente un lieu pour une plus grande communauté d‟individus que le
Thoronet. Dans ce rapport du réel et de l‟imaginaire d‟un lieu, E. Souriau, de
son côté, donne dans son vocabulaire d‟esthétique, l‟exemple du poète William
Wordsworth : « On peut (…) remarquer que certains lieux se sont chargés (…)
de tout un investissement affectif valorisant, et sont devenus des lieux
imaginaires plus vrais que ce qu’ils sont comme lieux réels. Voir par exemple,
chez Wordsworth, l’opposition de « Yarrow unvisited », le site de Yarrow que le
poète refuse d’aller voir pour lui garder son halo poétique, et de « Yarrow
visited », ce lieu de poème et légendes tel qu’il se montre quand on va le voir
dans la réalité. Outre ces espèces de sacralisation par l’accumulation des
traditions poétiques, on peut signaler la fréquence des prédilections pour
certains types de lieux chez des écrivains, des artistes, et pour certaines
situations géographiques »114. Un lieu ne semble donc être un lieu dans l‟espace
que par la volonté de l‟esprit humain. Il est le fruit d‟un processus intellectuel et
non seulement visuel. Le lieu existe par l‟humain. Il peut ainsi posséder une
valeur individuelle ou collective. Le lieu qu‟il soit, génère son identité à partir
des rencontres physiques, matérielles, intellectuelles, immatérielles avec une
architecture, un espace géographique singulier, une œuvre d‟art, un roman, un
poème, un récit, un film…Le lieu est une projection réelle ou virtuelle du corps
humain dans un espace concret, topologique et/ou intellectuel et sensible.
191
LE LIEU ET L’ARCHITECTURE
Vitruve, au premier siècle avant J.C., associe le lieu aux questions de santé et
de salubrité publique. Pour Vitruve, le lieu du projet est d‟abord un espace
naturel, déterminé et reconnu par sa salubrité. Ainsi, qu‟il s‟agisse d‟une ville ou
d‟un bâtiment, le lieu se détermine en amont de l‟édification du projet.
L‟objectif est d‟établir des bâtiments sains et des villes saines, et la condition
initiale pour cela est que les lieux d‟édification soient des lieux sains. Le projet,
en s‟établissant en un lieu, se soumet aux conditions climatiques de ce lieu, à
savoir le soleil, l‟air et le vent : « Quand on veut bâtir une ville, la première
chose qu’il faut faire est de choisir un lieu sain. Pour cela il doit être en un lieu
élevé, qui ne soit point sujet aux brouillards et aux bruines, et qui ait une bonne
température d’air, n’étant exposé ni au grand chaud, ni au grand froid. De plus,
il doit être éloigné des marécages : car il y aurait à craindre qu’un lieu, dans
lequel au matin le vent pousserait sur les habitants les vapeurs que le soleil en
se levant aurait attirées de l’haleine infecte et vénéneuse des animaux qui
s’engendrent dans les marécages, ne fut malsain et dangereux…. » 115. Cette
question du lieu d‟accueil du projet est considérée de manière très précise par
Vitruve. Loin des a priori radicaux, les lieux sont étudiés et à étudier de manière
quasi-scientifique, au besoin en s‟appuyant sur une expérimentation biologique
(3…j‟approuve fort la manière dont usaient les Anciens, qui étaient de
considérer le Foie des animaux qui paissaient dans les lieux où ils voulaient
115
Vitruve, Les dix livres d’architectures, corrigés et traduits en 1684 par Claude Perrault, Pierre Mardaga
éditeur, Liège, 1996, Livre I, Chapitre IV, p.16-17
192
bâtir… »)116. Bien que la définition du lieu chez Vitruve, parce qu‟elle semble
issue d‟une stricte analyse paraisse éloignée de l‟approche culturelle et
expérimentale qu‟en fait Heidegger, la conscience d‟un renforcement de la
nature du lieu par le projet existe bien dans sa pensée. Cette conscience se
détermine encore une fois en vertu de questions de salubrité : « La Bienséance
que requiert la Nature des lieux, consiste à choisir les endroits où l’air et les
eaux sont les plus saints pour y placer les Temples, principalement ceux qu’on
bâtit au Dieu Esculape, à la Déesse Santé, et aux autres Divinités par qui l’on
croit que les maladies sont guéries. Car les malades par le changement d’un air
malsain en un salutaire, et par l’usage des meilleures eaux, pourront plus
aisément se guérir : ce qui augmentera beaucoup la dévotion du peuple qui
attribuera à ces Divinités la guérison qu’il doit à la nature salutaire du lieu. »117
Vitruve rejoint par cet exemple la définition du lieu telle qu‟elle sera
envisagée par Heidegger dix-neuf siècles plus tard. Le lieu ne devient lieu, ou
devient un lieu autre par la présence du projet. Il est également intéressant de
noter la distance que Vitruve prend vis-à-vis de la religion (les Divinités par qui
l’on croit que les maladies sont guéries) en même temps qu‟il instaure le lieu
comme un lieu de renforcement du pouvoir religieux (ce qui augmentera
beaucoup la dévotion du peuple qui attribuera à ces Divinités la guérison qu’il
doit à la nature salutaire du lieu). Ce faisant, Vitruve attribue ici au lieu de
l‟édification de l‟architecture un rôle qui dépasse du cadre strict de l‟harmonie
des formes, des matières et des volumes, à laquelle il consacre cependant
l‟essentiel de ces Dix livres d’architecture. Mais, par cet exemple, il s‟établit
que Vitruve envisage bien l‟architecture comme le lieu d‟une représentation et
d‟une valorisation d‟un pouvoir en place (en l‟occurrence dans ce cas,
religieux). L‟idée de l‟architecture chez Vitruve dépasse la triade Solidité-
Utilité-Beauté. Elle interpelle ce qui concerne la Cité entière, pour laquelle la
salubrité publique, est un paramètre essentiel de la cohésion d‟un groupe
humain. Vitruve projette dans l‟espace de la Cité une idée ordonnée du monde.
La cité vitruvienne se construit sous la tutelle des dieux. Elle est la
représentation d‟un monde ordonnée. Les dieux dominent physiquement la ville,
ils affirment leurs caractères protecteurs (il s‟agit ainsi de découvrir les
murailles de la ville depuis le temple, et donc sous la protection des dieux).
Vitruve propose donc un modèle de cité qui cherche à se déterminer comme un
lieu de sérénité. L‟immanence de la moralité de la cité vitruvienne se perçoit
116
Ibid. p.18
117
Ibid. Chapitre VII, p.27
193
également à travers la façon dont Vitruve décrit l‟architecte comme un être
pourvu d‟une absolue moralité. Ces questionnements sont toujours actuels. Ils
accompagnent entre autres les polémiques au sujet des attitudes de Rem
Koolhass et de Westfourth Architecture…
194
position dominante de la villa sur le territoire, notamment sur tout le territoire
agricole qui s‟étend aux pieds de la propriété, qui permet d‟en apprécier
l‟ampleur en même temps que ce dispositif constitue un moyen de surveillance
efficace des métayers et des ouvriers. La villa Foscari se trouve dans un contexte
similaire par rapport à Venise, mais à l‟ouest de la cité lacustre et sur une
parcelle plane ; elle se présente comme une entité composée, compacte et
proportionnée, mais la présence du fleuve (la Brenta) a incité Palladio à
organiser la composition de la villa en fonction de ce cours d‟eau ; tant pour
profiter de la sérénité de la présence de l‟eau depuis la villa, que pour en
magnifier la découverte visuelle depuis le cours d‟eau. Ce petit fleuve constitue,
étant donnée la proximité de Venise et sa navigabilité, le principal moyen
d‟accès à la villa. La façade principale s‟offre ainsi au nord, tournée vers l‟eau.
195
Figure 1 : L’idéalité paysagère chez Palladio, La Rotonda
118
Andrea Palladio, Les quatre livres de l’architecture (Titre original, I Quattro Libri dell’Architecttura, publié
en 1571), traduit par Roland Fréart de Chambray, Flammarion, Paris, 1998, Livre II, p. 18
196
constituer un point d‟entrée pour tenter de comprendre la nature de ce rapport
dans l‟architecture corbuséenne. Pour C. Norberg-Schulz pourtant, le
Mouvement moderne se situe hors de toute approche spirituelle. Il considère en
effet qu‟au-delà de l‟habiter comme fin (« l’architecture moderne comme
manifestation des interactions qui appartiennent au monde de la vie »). Le
Corbusier, quand il conçoit La Cité Radieuse ou les Immeubles-villas (pour
rester sur ces symboles du Mouvement moderne), parce qu‟il s‟inspire tant du
couvent que du paquebot, cherche ainsi à établir des liens étroits entre le projet
et le paysage.
119
Le Corbusier, Urbanisme, Flammarion, Paris,2003, p.194
197
couvent, conforme en tout point, et peut être avant tout dans l‟idéalité paysagère.
Elle est une horizontale au cœur du paysage. Elle est un monolithe en lévitation
entre ciel et terre. L‟être humain, est au dessus du monde et au cœur du monde.
199
CONCLUSION
Tous ces projets présentés se définissent comme des utopies réalisées, des
hétérotopies, pour reprendre le néologisme de Michel Foucault. Ces hétérotopies
sont des lieux concrets qui permettent la réalisation d‟un imaginaire, ou des
lieux qui trouvent une place spécifique à l‟intérieur d‟une société. Ces schèmes
montrent que les œuvres ne sauraient être dissociées d‟un fondement idéel. La
citation de Saint Thomas d‟Aquin en est représentative quand il dit : « La
doctrine sacrée se sert de la raison humaine non pour prouver la foi, mais pour
rendre clair tout ce qui est avancée dans cette doctrine », que l‟on pourrait
d‟ailleurs très bien la transposer à l‟architecture traditionnelle. L‟architecture
n‟est adéquate qu‟à la condition d‟un dialogue avec le lieu. C‟est le lieu qui
guide et dicte à chaque fois ses règles. Il nécessite donc une appropriation, un
regard aiguisé et conscient. Au-delà des paramètres topologiques, l‟architecte
doit comprendre le lieu, y déceler sa part d‟invisible, ses histoires, ses forces, ses
faiblesses, sa poésie…L‟architecte doit ainsi se soumettre au lieu pour mieux
être en mesure de le révéler. C‟est bien dans cet entre-deux humble et
égocentrique de la perception du monde et des lieux du monde que l‟architecte
doit se situer et situer son architecture.
200
Le design, appropriation et interaction
201
Le design social:
une nouvelle approche de la création du lieu
Imen Ben Youssef Zorgati
Maître de conférences à l‟ISBAT
INTRODUCTION
Face au développement des besoins, des attentes et des intérêts des êtres
humains et de ce qu'il a engendré sur leurs relations au lieu, le design, considéré
comme activité créatrice, s'est développé en mode de pensée mettant en œuvre
non seulement la création de produit, d'espace ou d'image, mais aussi la création
de tout un système relationnel permettant l'échange, le partage et le vécu. Le
design devient par conséquent le processus mettant en œuvre un système
d'activités et d'expériences composant un lieu, un espace, un territoire ou une
société.
Joël GAUVIN annonce que "le design est tout à la fois, une méthode pour
penser, une méthode pour agir, une méthode pour faire et produire, une méthode
de résolution des problèmes. Mais quel que soit le contexte dans lequel il est
employé, le design est toujours tributaire des techniques et des technologies tout
autant que de l'évolution des outils de conception et de représentation qui
permettent de le générer"121. Dans cette perspective et face à cette évolution,
nous suggérons que le design, qui inclut un système de méthodes ne peut en
aucun cas faire abstraction de la méthode participative qui fait participer
différents acteurs de la conception et en particulier l'usager qui est l'acteur
principal dans la conception de tout projet architectural.
121
- Joël Gauvin, (1999), Design & nouvelles technologies, Eïdês, éditions de l’Abbaye des Prémontrés, Nancy,
p. 35.
202
vécu propre à ses besoins afin de retrouver sa bulle,122 au sens de E.Hall, son
espace personnel123 au sens de Sommer.
122
- Edward, T. Hall. (1971). La dimension cachée. Paris : Éditions du Seuil, p79.
123
- Robert Sommer, (2003). Milieux et modes de vie, à propos des relations entre environnement et
comportement. France : Infolio éditions, p. 68.
124
- Tuan, Yi-Fu. (2006). Espace et lieu. La perspective de l'expérience. Paris: Infolio éditions, p.7.
125
- Alexandra Midal, (2009), Design : Introduction à l’histoire d’une discipline, Paris, Pocket, p. 137.
126
- Gustave-Nicolas Fischer, (1997), La psychologie sociale, France, Editions du Seuil, p. 46.
127
- Les disciplines du projet relève de l‟architecture, l‟urbanisme, paysage, arts, etc., in, Alain Findeli, (2007).
Les ateliers de la recherche en Design 2, Introduction, Nancy : Les Ateliers de la Recherche en Design, ARD 2.
P.4
203
Cette corrélation entre les différentes disciplines du projet s'avère utile à la
recherche d'idées. Architecte, ingénieur, designer d'espace, paysagiste,
sociologue peuvent se retrouver autour d'un même projet, celui de la conception
d'un lieu, et de partager les idées à la recherche d'une meilleure méthode de
conception du lieu. Le designer est responsable de gérer, cerner, étudier,
représenter, évaluer et analyser les méthodes en fonction des besoins de l'usager.
Par ailleurs, l‟usager, en tant qu'acteur principal du lieu est lui aussi actif dans
la démarche créative afin de garantir une conception adaptée non seulement à
ses besoins et ses attentes mais aussi aux besoins de son environnement social.
C'est dans ce contexte que nous abordons le design social qui "fonctionne avec
les gens plutôt que pour eux. Il fait participer les individus à la planification et à
la gestion des espaces qui les entourent, leur apprenant à utiliser
l‟environnement avec sagesse et créativité afin de parvenir à un équilibre
harmonieux entre l‟environnement social, physique et naturel" 129. De ce fait,
L'usager a sa part de responsabilité dans la conception d'un lieu.
128
-Vilém Flusser (2002), Petite philosophie du design, France, Ciré, p. 10.
129
-Robert Sommer, (2003). Milieux et modes de vie, à propos des relations entre environnement et
comportement. France : Infolio éditions, p. 208.
204
C‟est dans cette optique que Flusser écrit « le processus du design est donc
organisé sur le mode d‟une division du travail très poussée ; il n‟est plus
possible d‟imputer à un individu particulier la responsabilité d‟un produit »130.
La conception devient par conséquent une responsabilité partagée à travers la
démarche collaborative et participative issue d'un système de pensée. Ce
système basé sur un cheminement de pensée entre les acteurs de la conception et
les acteurs d'usage et de consommation (les usagers) permet de construire un
modèle adapté au lieu.
Quel est donc ce discours ? Comment s‟organise t-il et s‟articule t-il pour une
meilleure création ? Et quel processus conceptuel faut-il entreprendre pour
mieux adapter la création aux besoins de l‟usager du lieu ?
205
conséquent une source d'inspiration pour la recherche d'idées. C'est dans ce
cadre que Pierre Von Meiss déclare que "l'idée de lieu naît d'agissements et de
comportements conventionnels liés à des schémas conceptuels, de situations
spatiales, de lumière, de forme et de texture mémorables"132.
Par ailleurs, c'est à travers un échange d'idées et un contact direct avec les
usagers du lieu que le designer et les différents acteurs de la conception du
projet prennent conscience des attentes des usagers. Cette phase d'immersion
permet de comprendre le processus d'activités au sein du lieu. Comportement,
action et réaction de l'usager sont des facteurs décisifs à prendre en compte dans
le processus conceptuel.
Grâce aux partages et échanges d'idées entre les différentes compétences le
designer peut garantir la réponse aux attentes des usagers. Chaque concepteur
apporte sa part de compétence, son savoir faire, son idée, sa perception, son
regard projectif et une nouvelle vision des choses sur le fonctionnement du lieu.
Cet échange et dialogue entre les différents acteurs de conception constitue une
base dans la conception du projet. Ce travail en concertation permet une
meilleure réflexion et par conséquent un moyen efficace dans la conception d'un
lieu. Comme l'annonçait Herbert Simon, "quiconque imagine quelques
dispositions visant à changer une situation existante en situation préférée est
concepteur"133
132
Pierre Von Meiss, (2003), De la forme au lieu. Une introduction à l'étude de l'architecture, Lausanne, Presses
polytechniques et universitaires romandes, p151.
133
- Herbert Simon, (2004), Les sciences de l’artificiel, France, Gallimard, p.139.
134
- Imen Ben Youssef Zorgati, (2011), Matériau et vécu spatial en architecture d'intérieur, CPU, Tunis, p. 157.
206
Dans le cadre d‟un projet de recherche en mastère en Design, la démarche
participative avait été employée dans un projet de réaménagement d'une école
primaire à Tunis. Pendant la phase d‟observation et d‟immersion sur le terrain,
le designer (architecte d‟intérieur-chercheur) a impliqué des usagers (élèves,
enseignants et agents de l'administration) dans le processus de conception afin
de créer un programme de fonctionnement du lieu pensé par et pour les usagers
de l'école. Des propositions d‟aménagement spatial, de création de produits et de
services, ont été étudiées en fonction des besoins et attentes.
De fait, le design prend différentes expressions du discours créatif qui se base
sur la compétence du designer oscillant entre les différentes pensées. Chercheur,
ingénieur, sociologue, psychologue, architecte, designer constituent chacun une
compétence à part mais regroupés autour d'un même projet forment un
"système" de compétence mettant en œuvre une conception plus adaptée au vécu
de l'individu, du groupe social et de la société.
207
les pratiques créatives liées à la production de l'environnement" 135. Il permet de
mettre en lumière une nouvelle vision de la conception spatiale.
"De ce fait, une nouvelle méthode d‟intégrer le design dans la société s‟impose
pour améliorer les pratiques dans la société. "C‟est dans cette perspective que le
design en tant que pratique créatrice s‟allie aux sciences du comportement pour
donner lieu au design social. Ce processus collaboratif de conception s‟appuie
sur la participation de plusieurs acteurs pour redéfinir les besoins" 136et revoir la
méthode de repenser la conception du lieu par rapport au vécu de l'usager et de
la société.
135
- Françoise Jollant Kneebone, (2003), Design état des lieux, in, La critique en design. Contribution à une
anthologie, Éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, p.204.
136
- Imen Ben Youssef Zorgati, (2014), Le design social: un levier du développement territorial, in web Institut
Charles le Cros. eu. P.4.
137
-Victor Papanek, (1974), Design pour un monde réel- Ecologie humaine et changement social, Poitiers,
Mercure de France, p.126.
208
conception, la production ainsi que le vécu du lieu. La co-conception se révèle
dans ce cadre une méthode collective efficace à la gestion, organisation et
développement d'un lieu. Elle permet ainsi au designer de prendre en
considération plusieurs facteurs afin d'adapter le lieu aux besoins de la société.
Toutefois, l‟usager passe de l‟état passif à l‟état actif et utile et devient le Co-
concepteur du lieu. Le lieu n'aura de sens et de valeur d'usage qu'à travers
l'identité de l'usager projetée dans le lieu en question. La participation de
l'usager comme acteur principal dans ce processus permet d'innover en fonctions
de ses attentes. "C‟est dans ce sens que la méthode de conception participative,
appelée aussi co-conception, permet de mieux innover et d‟apporter par le
« regard projectif »138 du designer et le regard participatif de l‟utilisateur un
développement du langage créatif permettant l‟innovation au sein de la société.
C‟est à travers ce rôle de co-concepteur, que l‟usager devient la matrice de la
conception et de la création pour améliorer le vécu de la production"139.
CONCLUSION
Considéré selon Flamand comme un « enjeu de société »140, le design se base
sur le discours de compétence organisé, structuré, conceptualisé, modélisé par le
designer pour, non seulement répondre aux besoins de l'individu dans son
environnement immédiat (le lieu), mais aussi pour participer aux
développements et à l'innovation des besoins de la société. Cette démarche de
l'innovation sociale ne peut avoir lieu sans la collaboration et l‟implication des
différents intervenants de la création et de la production.
Le design social, qui permet un décloisonnement entre les différents acteurs de
la conception, apporte une nouvelle approche dans la conception d'un projet en
design. Ce dernier, qui jouit d'une participation active des usagers, fondé sur une
démarche participative et ancré sur l'environnement du lieu génère une
conception adaptée aux besoins de la société.
Un croisement des pensées, des idées, des méthodes, des stratégies et des
visions permet d'innover dans la conception du lieu. Allier les compétences est
un objectif capital du designer pour réussir la conception et comprendre le
dialogue avec son environnement social et culturel à travers une diversité
138
-Alain Findeli, (2006), Le design, discipline scientifique ? Une esquisse programmatique, Nîmes, Les Ateliers
de la recherche en Design, ARD, p.21.
139
- Imen Ben Youssef Zorgati, (2015), La co-conception en design: une créativité en devenir, in, Sylvie Dallet,
Kmar Bendana & Fadhila Laouani (dir.), Ressources de la créativité, l'Harmattan, Paris, p. 137.
140
-Brigitte Flamand, (2006), Le design ou du bon usage de la pensée, in, Flamand Brigitte (dir.), Le design.
Essais sur des théories et des pratiques. Paris : Institut français de la mode & Editions du Regard, p.112.
209
régionale et locale. Le design social qui incite au développement local permet
d'innover et d'expérimenter des pratiques créatives afin d'apporter un nouveau
regard sur l'environnement. Cette stratégie globale allie le contexte social et le
cadre spatial pour viser le relationnel. Le contexte social renvoie à une analyse
des activités et des pratiques des usagers. Le cadre spatial relève du
fonctionnement d'un lieu, d'un espace ou d'un territoire quelconque. Le designer
se base sur une approche collective et participative pour combiner entre les
besoins sociaux et les besoins spatiaux pour une meilleure interaction entre
l‟usager et son lieu.
À travers un discours de compétences issu du croisement de la pensée des
différents acteurs de la conception et en particulier du designer et de l‟usager, la
conception du lieu peut avoir non seulement du sens mais surtout de la valeur
sur le lieu et son environnement. C'est dans ce contexte que le design social- qui
crée de la valeur ajoutée au lieu - permet en tant que nouvelle approche de
conception tournée vers l‟homme de concevoir des lieux en harmonie avec le
vécu des usagers.
Dans le cadre de cet article, nous avons présenté le design social comme une
approche participative articulant un discours de compétence entre les différents
acteurs de la conception. L'objectif de cette démarche collective est d'apporter à
chaque acte conceptuel un nouveau regard et une nouvelle pensée adaptés à une
réalité ancrée dans la société. Ceci permet de garantir une conception de lieu
adapté aux vrais besoins de l'usager et donc à une réalité sociale ancrée dans un
vécu propre à chaque situation. Papanek qualifie le design comme « un outil
novateur, hautement créateur et pluridisciplinaire, adapté aux vrais besoins des
hommes »141.
Nous pouvons ainsi, prétendre que le design social, comme approche
participative centrée sur l‟usager et engagée par lui, évolue en fonction de
l‟articulation entre la pensée individuelle et la pensée collective formant ainsi un
discours de compétence. Cette méthode collaborative fait évoluer le lieu et par
conséquent l'espace, le territoire et la société.
BIBLIOGRAPHIE
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Ben Youssef Zorgati, Imen. (2015), La co-conception en design: une créativité en devenir,
in, Sylvie Dallet, Kmar Bendana & Fadhila Laouani (dir.), Ressources de la créativité. Paris:
l'Harmattan.
141
- Papanek, Victor. (1974). Design pour un monde réel, Écologie urbaine et changement social. Paris :
Mercure de France, p34.
210
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Von Meiss, Pierre, (2003), De la forme au lieu. Une introduction à l'étude de l'architecture,
Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes.
211
De la domotique vers une dialectique des lieux
Hend Rahma ELLOUMI
Assistante à l‟ISMAG
Introduction
212
aménage en lieux physiques. Ainsi, au sein de l‟habitat, les objets sont des
scènes d‟interactions et des stations de valeurs, définies à travers leurs lieux
d‟usages.
213
Partager le repas autour d‟une table réclame une mise en scène des aliments, une
mise en appétit des convives et une mise en signe des comportements.
Selon Ivan ILLICH J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne
est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un
corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil
(1973:13). Pour ILLICH la convivialité doit s‟opposer aux limites d‟utilisation
de l‟outil (l‟outil représente ici pour ILLICH aussi bien l‟objet matériel que les
institutions sociales) qui nous maîtrise et qui prédéfinit la finalité de son usage.
Donc pour lui la convivialité s‟articule à travers l‟outil. Paradoxalement, elle se
maintient en laissant libre champs à son utilisateur de produire et de donner sens
à son action vis-à-vis de la société.
- Une dimension symbolique qui donne à chaque convive une position par
rapport au dispositif d‟échange.
- Une dimension esthétique, où la convivialité donne forme à l‟échange.
- Une troisième dimension relationnelle selon laquelle se cultive le plaisir
et la liberté de broder des liens.
Selon ces notions, il y a réinvention ou glissement sémiotique de la convivialité
au fil de ses déplacements dans des contextes de vies sociales différents.
214
concept de création assurant la facilité d‟utilisation d‟un objet, d‟un dispositif
informatique et des interfaces numériques.
L‟intérêt de cette recherche, se porte aux enjeux d‟un design d‟interface mis à
l‟épreuve de l‟espace domestique. Car pour assurer l‟intuitivité et la familiarité
des interfaces au sein de cet espace, le design a misé sur la matérialisation de la
notion de convivialité en œuvrant sur la conjonction de quatre paramètres :
- la facilité du geste pendant l‟interactivité qui revient à la translation d‟un
répertoire visuel et gestuel déjà préétabli chez l‟habitant usager, de l‟extérieur de
la domotique vers son intérieur.
-l‟assurance de l‟expérience renouvelée en temps réel, le design d‟interface a fait
en sorte de façonner l‟acte d‟usage en une expérience mémorable et palpable en
focalisant l‟attention de l‟usager plutôt sur l‟expérience d‟usage que sur
l‟utilisation, et en l‟invitant par les scénarios d‟usages, la perception et le
toucher.
- le dialogue et le plaisir d‟entretien, qui sont forcément liés à l‟expérience
d‟usage. Le design d‟interface doit solliciter, au bout de l‟acte d‟interaction, un
certain attachement émotionnel chez l‟usager, qui transite à travers l‟aspect
dialogique de l‟interaction et se définit par des sensations de plaisir.
- la désirabilité, se créé chez l‟usager habitant quand il y a coexistence de tous
les paramètres cités, Créer de la désirabilité à travers l‟usage d‟un lieu interactif
marque le succès de sa mise en œuvre.
Toutes ces valeurs agréent à l‟utilisation conviviale des interfaces numériques
les identifiant ainsi en tant que lieux domestiques.
215
La domotique : l’habitat intelligent
De part son origine, le terme habitat a été, depuis bien longtemps, utilisé en
géographie, désigné par Larousse par l’ensemble de faits géographiques relatifs
à la résidence de l’homme (forme, emplacement, groupement des maisons, etc.).
Ensuite, l‟habitat a été accordé à l‟intérieur du logement révélé par STASZAK
par la géographie de l’intérieur(2001). Cette désignation de STASZAK prend
tout son sens quand elle est adressée à la domotique, puisque la géographie de
celle-ci prend une dimension figurative à travers l‟écran d‟une tablette ou d‟un
téléphone, où l‟habitant visualise la structuration détaillée de son milieu via une
représentation iconique, élémentaire de ses différentes pièces et installations
(Lumière, musique, chauffage, radio, télé, volets…). Il détient le contrôle de
modeler ses lieux suite à des maniements gestuels des icônes affichées.
216
dans l‟objet et puis installée au cœur de notre foyer. Un passage fulgurant qui
remet en question les indicateurs perceptuels des lieux, dont l‟usage déploie une
nouvelle manière d‟habiter un environnement matériel.
De part sa nature, le lieu physique, occupé par l‟homme, a été depuis toujours
une marque qui sert à reconstituer l‟évolution de l‟histoire culturelle. Cela n‟a
pas manqué de définir le lieu de par ses dimensions fonctionnelles et utilitaires.
Le lieu est ainsi le médiateur de plusieurs indices de vies : la sécurité, le repos,
l‟approvisionnement, l‟alimentation, la reproduction…
217
Dans sa détermination d‟être un emplacement, une localisation et une station,
le lieu dans la domestique réclame un repérage et une délimitation de matières,
d‟actions et de temps. Il s‟agit d‟un cadre interactionnel incluant non seulement
la contigüité mais aussi l‟interférence de trois lieux : le lieu physique
d‟interaction : porte, miroir, sol, bain, garde robe, table…le lieu virtuel
d‟interaction: l‟interface numérique dans le dispositif d‟échange et le lieu
psychologique d‟interaction : l‟esprit de l‟habitant. Dans le milieu de la
domotique, le lieu, en tant que générateur de valeur, devance le caractère
physique de la matière qui encadre l‟action de l‟interaction et nous incite à saisir
les autres lieux qui sont eux-mêmes acteurs à la dialectique de la valeur.
Fig1
Fig3
Fig2
Toutes ces figures montrent des interactions liées à des objets divers : un
miroir, une vitre et un écran d‟un téléphone, permettant tous l‟exécution d‟une
ou de plusieurs tâches dans un endroit précis de l‟espace domestique. Donc,
l‟objet physique désigné est un porteur d‟interaction, consiste alors en un lieu
physique de l‟interaction, qui ne peut être dissocié de l‟endroit où se déroulera
l‟interaction (salle de bain, entrée....). Ainsi, le lieu physique de l‟interaction
commence par le lieu dans lequel se situe l‟objet ou le dispositif interactif se
complémentant avec l‟objet lui-même. D‟un autre côté, celui-ci se présente en
143
Capture vidéo, La Domotique.
218
tant qu‟objet interface affichant des formes graphiques : Icônes, graphiques,
textes, couleurs, boutons virtuels… permettant à son abord tactile de solliciter
l‟action interactionnelle en vue de la tâche prévue. Il est question d‟interface
graphique bidimensionnelle reflétée de par l‟objet physique et qui n‟est, en
aucun cas, substantielle ou matérielle. C‟est la représentation analogique des
offices des lieux physiques qui aménagent la domotique, une géographie
rudimentaire de celles-ci. Il s‟agit bel est bien d‟un lieu dans un autre lieu, c‟est
le lieu virtuel de l‟interaction. Ce lieu procède comme une hétérotopie du fait
qu‟il occupe un lieu réel dans tout l‟espace qui l‟entoure et en même temps
absolument immatériel puisqu‟il est perçu en tant que représentation virtuelle de
l‟espace. Selon ROSSET il y a en effet deux grandes possibilités de contact avec
le réel : le contact rigoureux, qui bute sur les choses et n’en tire rien d’autre
que le sentiment de leur présence silencieuse, et le contact lisse, poli, en miroir,
qui remplace la présence des choses par leur apparition en images. (2004 : 43)
219
conduit à la mise à exécution de l‟interaction dont la finalité connote le
processus d‟une expérience d‟usage marqué par un temps calculable.
Dans la domotique, l‟habitant est pris d‟une interaction à une autre, dans une
sorte de gestion de laps de temps non liés, mais plutôt dissociés les uns des
autres, et aussi et surtout, des temps futiles passés dans d‟autres lieux ordinaires.
Ainsi la domotique pourrait finalement être considérée en tant que lieu
hétérotopique, un espace autre, un contre espace, en ce que celle-ci marque, d‟un
coté, une rupture aux temps traditionnels et stigmatisant, d‟un autre, des
structures temporelles définies par des expériences d‟usages et calculables selon
des interactions.
Bibliographie
BECKETT.S, Cap au pire, les éditions de Minuit, trad de l‟anglais par Edith FAURUIERP,
1991, p.8.
220
MISSO.P, PANTHOU.L et SEUILLET.E, Fabriquer le futur 2 l’imaginaire au service de
l’innovation, Village mondial, 2007, Paris, p.13.
Netographie :
La convivialité en entreprise. Topique et topographie en figure sensible, BONESCU.M et
BOUTAUD.J-J, 2008, http://www.mei-info.com/wp-content/uploads/revue29/11MEI-29.pdf.
Webographie :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/habitat/38777.
http://www.linternaute.com/citation/16480/l-espace-est-l-ordre-des-choses-qui-coexistent-----
-gottfried-wilhelm-leibniz/.
https://www.youtube.com/watch?v=5gBAruvmCWU.
221
L'événementiel et l'espace public : pour une nouvelle
identité du lieu
Anis Allouche
Assistant à l‟ISAMS
224
maniable et irrégulier qui permet de se séparer de la situation constante. Le
temps conçu est "capable de s‟étirer, de se condenser, de s‟accélérer comme
de se ralentir" tout en jouant sur la superposition des tempos , des cadences
ou des périodes aléatoires. Le temps événementiel, dans sa valeur concrète se
définit en 'chronos', tandis que sa valeur façonnée lui admet de se détaler des
achèvements matériels, des desseins spatiaux inertes pour faire vivre une
mutation radicale et immuable de son rapport avec l'expérience socio-spatiale
et se transcrire dans une vision qui ravisse la perception de l‟individu au-delà
du perçu habituel. Cette dimension préconise l'événementiel comme chemin
primordial de lecture et d‟identification collective normée et articulée par
l‟immatérialité des créations , la matérialité du cadre spatiale et la pertinence
de l'expérience recherchée .
Dans cette mesure, on peut parler d'un temps de référencement qui marque
le discours des individus, par la nature et le type de leurs présence ainsi que
leurs mode d'appréhension. Selon Jilian Boyer144 „Le temps et l’événement
sont deux concepts complexes, fondamentalement liés, qui sont aux origines
d’une définition d’un cadre spatial de référence. Ces concepts, qui
nourrissent parfaitement la réflexion menée autour d’une caractérisation
spatiale, sont, dans le cadre de cette interrelation, opérationnalisés sous la
forme d’une action d’identification et de lecture social stratégique’. Cela
signifie qu‟il convient alors de situer le temps dans le paysage événementiel
comme étant un parcours référentiel qui guide comme des objectifs
intermédiaires et participe progressivement à l‟atteinte d‟une lisibilité
territoriale durable et évolutive. Il désigne notamment de nouvelles
configurations qui porteront le nouveau discours émergé à partir d‟une
multitude d‟instruments et de codes organisationnels spécifiques.
L‟événement est un intervalle de confrontation de temporalités ; de lieux et
d‟acteurs dont les intérêts et les spécificités sont souvent divergents. De
simple lieu géographique, l‟événement se mue en territoire grâce à l‟impact
des temporalités.
144
Jilian Boyer , « Sur l‟appropriation de l‟espace » publié dans le dossier d‟urbanisme pour le développement
de l‟agglomération Lyonnaise .
225
poésie, de l'imaginaire, autant d'intentions qui prennent souvent des formes
subtiles, sans chercher à s'imposer autoritairement dans le paysage
urbain ‘’145’ .Le temps projette une réorganisation du système spatial, ses
représentations, ses lieux ses moments de côtoiement et d‟usage. C‟est une
capacité de détournement des pensées et de remise en question des attitudes
qui adhérent des pensées de transfiguration éphémère des espace-temps de la
société.
145
Jean Dominique Secondi et all, Penser la ville part l’art contemporain, Projet Urbain, Éd. de la Villette, 2004,
p 103.
146
Ibid , p 352.
147
Gourdon Jean Loup, La rue, essai sur l‟économie de la forme urbaine, Paris, éd. de l‟Aube, 2001.
226
2. La mise en résonnance de l'espace pour établir un temps collectif
148
Paul Virilio urbaniste et essayiste français, né en 1932 à Paris. Il est principalement connu pour ses écrits sur
la technologie et la vitesse dont l'alliance constitue à ses yeux une « dromosphère ».
227
dynamique de revendication progressive , d‟interaction et de partage mutuel
avec l‟histoire et la mémoire. Cela trace les traits de la prise de conscience
environnementale en accordant à la sphère sociale le statut « du spectateur
consommateur de la cité » et permettent aussi de poser la question de la
conscience citoyenne et sa valeur dans l‟ensemble de l‟histoire et le territoire.
Différents historiens indiquent que l‟événement dans sa dimension
expressive traduit un exercice de consommation de masse mettant en cause la
force et la complexité du lien qui s‟établit entre le sublime, le sentiment
social et mystique , les sensations forgées par la dynamique ritualiste et
patrimoniale. Or l‟événementiel dans son concept holistique est tenu par la
déambulation d'un potentiel identitaire à l'autre pour s‟assurer que la foule
sera l‟épicentre du spectacle, traductrice d‟elle-même dans une atmosphère
d‟appartenance et de collectivité.
Le social et l'espace sont deux concepts complexes fondamentalement liés,
qui sont aux origines d‟une définition „managériale‟ de l‟évènementiel. Ils
alimentent la réflexion conceptuelle dans un cadre opérationnel sous la forme
de l‟action architecturale locale et de la spécificité du cachet culturel et
social. Cela signifie qu‟il convient alors de placer l‟évènement dans son
paysage socioculturel et de convoquer le territoire comme sujet et objet d‟un
procédé global. La création événementielle se projette comme un objectif
synonyme d‟attractivité territoriale qui participe à une vision de durabilité,
d‟interactivité et de partage .La gestion du territoire par l‟événementiel
répond alors aux transmutations de la sphère publique et de son
environnement, c‟est-à-dire à „l‟évolution radicale des dispositifs de mise en
cohérence des politiques publiques et de coordination de stratégies des
partenaires publics‟. Cela tend à signaler une autre directive de configuration
de l‟action sociale, culturelle et architecturale par ses diversités structurelles
et fonctionnelles. „Ces mutations seraient d‟ailleurs la conséquence de
l‟émergence du territoire comme acteur collectif, doté d‟instruments
organisationnels et décisionnels spécifiques‟ . Dans cette mesure , il s'agit
d'un lieu de confrontation et de rencontre des perspectives d‟action dont les
intérêts et les intentions sont généralement différents. A partir d‟un simple
lieu géographique l‟espace se forge en territoire significatif grâce aux acteurs
qui sont au service d‟une intention collective, qui vise la mobilisation des
ressources locales et à l‟hybridation des savoirs locaux avec ceux apparus de
l‟extérieur à travers la vision créatrice [Filippi et Torre, 2002 p.20].
„Architectures, histoires, usages, force évocatrice sont sélectionnés, prélevés
sur l'espace retenu pour l'événement. Ils feront l'objet d'un jeu de
condensation, parfois d'amplification, voire de transposition permettant
d'enclencher un processus de correspondance conduisant à un agencement de
sens qui se cristallisera dans l'événement.‟ Alors toute l‟opération
228
d‟aménagement d‟un espace à travers l‟événementiel s‟inscrit dans une
manœuvre de réactivation qui lui donne une opportunité de construire, de
prendre sens, de faire naitre des relations durables entre les parties prenantes.
Cela se conquiert à travers la prise en considération de son pouvoir interactif
dans le traitement des cadres socio-spatiaux. Il est important alors d‟étaler ces
systèmes de signes en des significations visibles en terme culturels, sociaux et
urbains. Le lieu est assiégé de valeurs à la fois fonctionnelles (sa valeur
d'usage) et affectives qui saisissent d‟avantage une figure „poly sensorielle‟.
De ce fait, la pratique d‟un espace „‟est par essence multimodale, c'est-à-dire
qu'elle est une expérience synthétique qui convoque, au-delà de l'empreinte
sensorielle, un univers de consommation affectif et socialisé‟‟ . Dans ce
contexte de mise en interaction ,Nicolas Minvielle 149 dans son livre « Design
des lieux d‟accueil » développe l‟idée que l‟espace envisage plusieurs
niveaux d'acquisition lors de son expérimentation .C‟est donc une évaluation
et une valorisation progressive qui présente les éléments de l'espace exposés .
Il s'agit d'un trilogie opérationnelle qui articule les différentes fonctions des
lieux , le milieu situationnel qui met en exergue l‟expérience de
consommation du lieu ainsi que le niveau interactionnel qui met en évidence
les relations humaines impliquées dans le processus de fréquentation du lieu à
travers une attitude transactionnelle et relationnelle. Cette modalité de
fréquentation s‟apparente à la quête d‟un concept de valeur qui se concrétise
sous la forme d‟une expérience qui réunit à la fois une dimension d‟usage et
une dimension hédonique .La visite de l‟événementiel au lieu public évoque
une approche individuelle qui agit sur la prolifération du sens de la
collectivité afin de projeter un motif de pratique de vie sociale temporaire.
Partant de là, l‟interaction du territoire et du social dans le travail de
l‟événement envisage d‟enregistrer une expérience qui porte la glorification
du lieu par „une rhétorique emphatique liée au registre de l'extraordinaire ou
du féérique ‟C‟est un mode de valorisation de l‟espace qui souligne l‟idée de
contact, de réassurance, d‟appréhension, de reproduction du passé et réutiliser
ses codes dans un contexte de modalité dynamique. Cette mission incite la
perspective événementielle à prospecter des procédés variés pour faire
connaître leurs objectifs face au lieu, et à atteindre une prise de conscience
sociale aussi large que possible. Il s‟agit d‟une tâche compliquée, puisque
cette société, malgré une corrélative cohérence, va exposer des dissemblances
dans leurs aspects d‟apprentissage, leurs goûts, leurs commodes culturelles, et
leurs intentions. L‟événementiel est alors un acte de mise en présence du
territoire, son intention „étant de favoriser, provoquer, rendre possible la
rencontre entre l‟objet original et le public‟ . C‟est aussi une approche qui
préconise des médiateurs sociaux, architecturaux et urbains dont le rôle
comporte à éveiller des confrontations et des rencontres fructueuses sur le
149
Nicolas Minvielle, Design des lieux d‟accueil, créer de la valeur par la décoration, Collection les métiers du
tourisme, Edition De boeck, Bruxelles ,pp 23-28,2008.
229
plan interactif et créatif. Grâce à une médiation bien articulée, le citoyen peut
vivre une véritable retrouvaille de l‟espace qui donne à son tour sens à la
visite, à la création et à la perception, et de nourrir son rapport avec la
communauté. Citons les exemples des Nuits blanches (Rome, Madrid, Paris,
Bruxelles, Riga...), Nuit des arts (Helsinki...) ou nuit des musées (Munich...)
qui articulent les actes événementiels en permettant d‟inhaler un angle de vue
distinct de l'accessibilité à l'espace public urbain et en comportant
l‟arrangement de l‟environnement sensible propice pour l‟échange au niveau
perceptif, expressif et spatio-temporel . En effet, il est conçu comme une
nouvelle propriété de l‟environnement, une nouvelle forme d'urbanité bornée
socialement afin d‟engager un sujet à travers des qualités physiques et
sensibles. Du point de vue perceptif, Rachel Thomas 150 le souligne dans son
article « Le piéton dans l‟espace public Figures de l‟accessibilité » en
proposant que la création d‟un événement participe comme étant „‟une
activité de configuration‟‟ en fonction de son contexte spatio-temporel à
offrir aux individus un cadre d‟évolution, de sélection et de structuration afin
d‟approprier les ressources que lui offre l‟espace public urbain. Ce processus
de configuration lui permet de se conduire dans l'espace, de prévoir l'action et
de réaliser des séquences d‟interaction. C‟est un travail de "mise en forme
sensible" de l'espace qui en résulte et accorde à son tour la sollicitation de la
perception du cadre environnemental dans lequel l‟événement agit. D'un point
de vue conceptuel, l‟événement amorce des éléments de réponse à la fusion
de la sociologie entre conscience et maturité publique. Cela révèle une
nouvelle procédure d‟émergence d'une „mise en forme contextualité et
temporalisée de l'environnement‟‟
150
Rachel. Thomas, « Le piéton dans l'espace public Figures de l‟accessibilité »,publié dans "Ambiances en
débats, 2004, p2.
230
L‟événement est une expression sociale éphémère, engendrée comme une
rupture par rapport à l‟activité habituelle d‟un territoire dans laquelle il
s‟inscrit. Dans cette optique, sa propagation, sa portée, sa visibilité,
impliquent une délimitation spatio-temporel comme le souligne Maria
Gravari-Barbas 151 à travers „‟un temps fort, paroxysmique, bien démarqué par
rapport à un «avant» et un «après»’. Un événement traduit prioritairement
le bilan de son déroulement en termes d’effets chronologiques, économiques,
sociales, etc. sur la base de ce qu’il a proposé et généré durant la période de
son déroulement’’. Il s‟altère sur des temporalités différentes, de différents
acteurs qui gravitent autour de lui et qui ont tendance à vouloir le pérenniser
par la prévention d‟un soutien immuable du cadre territorial d‟accueil. En
s‟inscrivant durablement dans un espace, un événement transforme à des
degrés divers, des intervalles inertes en espaces dynamiques et évolutifs. Il
occupe l‟espace, il consomme le territoire, il produit de nouveaux lieux, il
crée ses propres repères et laisse des traces matérielles et immatérielles
[Willems-Braun, 1994 ; Gravari-Barbas, 1999]. Les événements pilotent des
éléments d‟organisation sociétale de manière constante à travers une
inscription spatiale qui peut devenir le point d‟appui pour un nouveau
contrôle, [Ripoll, Veschambre, 2002-2004] un nouveau code interactif
constituant des dimensions structurantes une genèse successive.
231
horizons de référence’. Sous cet angle l'événement évolueen discours et se
comprennent par les figures et les logiques de représentation de la
communication ainsi que de l‟information. De ce fait, le lien qui tend à
joindre le symbolique événementiel à sa la dimension réelle de la vie consiste
à articuler un système de messages véhiculant en quelques sortes, une
inscription avec le temps d‟usage dans un champ de prise de conscience du
cadre spatial. Ce message convient d‟introduire une dimension pragmatique
au perturbant événementiel pour qu‟il soit témoin d‟une appropriation
singulière de l‟espace. En ce sens, l‟événement est une réflexion qui tend à
cultiver une fusion sociale et une dynamique environnementale qui renvoient
à l‟importance connotative de chaque élément figurant dans son système de
développement. Ainsi, cette démarche interactive nourrit la vie, la réflexion et
la conscience qui traduisent d‟avantage l‟expérience et la connaissance d‟une
nouvelle perception territoriale. La force et la complexité du message
événementiel se pense sous forme du changement du réel, de la projection
d‟une perspective imaginaire qui confère la conversation dans l‟espace, le
social et la mémoire [Hertrich, 2008].C‟est une double médiation qui donne à
l‟irréel de l‟envergure, de la durée et de la pérennisation.
232
même scénographie sociale , un même temps et une même histoire qui
donne à la vie une portée fondatrice d‟une bonne amplification des scenarios
collectifs. Par conséquent, cela représente une perspective de repérage des
besoins et des intensions de la société aux moments de la vie de sorte à
évoluer les équilibres temporaires.
233
villes méditerranéennes et orientales. Selon Mandleur 154 le fondouk
représente un lieu d‟abri pour les gens et d‟étable pour les bêtes, mais en
réalité ces constructions traditionnelles qui représentent un patrimoine
architectural et urbain considérable jouent plusieurs fonctions : il était au
départ un dépôt pour les marchandises et un endroit pour garder les bêtes en
tant que moyens de transport indispensables. Parallèlement à cette vocation,
les fondouks étaient toujours un centre de résidence pour les artisans
traditionnels. Constituant un lieu d‟hébergement privilégié provisoire ou
permanent que ce soit pour les commerçants ou pour les immigrés provenant
du monde rural avoisinant. Ce cadre présente une organisation spatiale
formée de quatre éléments essentiels : l‟entrée, la cour, les galeries et les
cellules. La relation entre ces entités spatiales engendre un cheminement clair
dans l‟édifice aussi bien entre extérieur et intérieur qu‟entre niveaux.
'Fondouk El Haddadine' est une expression, une traduction d'une réflexion,
d'un vécu, voir même une image qui projette la spécificité d'une civilisation.
C'est le reflet de ses diverses composantes sociales, économiques, culturelles
et ethniques. Cette œuvre émane d‟une dimension qui s‟inspire des cyclones
de l'histoire, d‟une transmission de valeurs et de messages d‟une génération à
une autre. Elle se limite pas d'être une simple demeure architecturale,
tangible, mais elle se projette pour qu‟elle soit le monument témoin, symbole
d'un vécu, d'une pensé, d'une aspiration d‟une société précise, relative à une
institution précise, et une époque précise .Depuis la nuit des temps, cet édifice
était l‟image d‟une origine spécifique, d‟une mesure territoriale, et d‟un
développement d‟une multitude de codes, de legs et de coutumes
communautaires. C‟est l‟expression d‟une société, de la création authentique,
de l'échange et de la collectivité servant de pont menant l‟homme vers une
convergence identitaire, d‟appartenance multi sociogéographique. Au-delà de
sa simple mesure spatiale, ce 'Fondouk' n‟a pas encore marqué de point final,
il ne cesse de s‟imposer et de protéger ses capacités pour fortifier
l‟appartenance sociale dans un moment même où les liaisons sociétales
s‟éclatent, se fragmentent, le regard à l‟histoire semble porter moins sur
l‟ensemble que sur le détail. A cette mesure, ce cadre architectural est
considéré comme un patrimoine en péril et c‟est suite à des constatations et
des travaux d‟inventaires, actuellement, la majeure partie des fondouks sont
en état de dégradation, quand aux attributions auxquelles les fondouks ont été
affectés, elles ont soit disparues. Ce vécu préconise la mise en question de
l‟ensemble des facteurs qui ont mené à la convenance de cette situation. Ainsi
, il étale des pistes de réajustement capables d‟instaurer les démarches
propices de multiplication d‟usage de cet espace dans une atmosphère
créative travaillant sur la mutation des codes d'usage habituels. Cette
154
Mandleur (A) : « Croissance et Urbanisation de Marrakech », R.G.M. n° 22, 1972, in, BEN TALEB, Hassan,
la problématique de la lutte contre l‟habitat insalubre dans la ville de Marrakech, Thèse Professionnelle, dir,
Lahcen HANNAOUI, 2004 .
234
réflexion consiste à faire évoluer un espace existant en intégrant des
contraintes fonctionnelles et artistiques, des contraintes d'attractivité sociales
tout en misant sur ses potentialités historiques et patrimoniales. Cette
démarche de création tend de changer de manière significative la relation de
la société face à cet espace par la mise en résonnance des méthodes et
médiums d'aménagement, de structuration et de formalisation d‟un nouvelle
figure spatiale . Cette approche événementielle s'appuie sur le détournement
du cadre spatio-temporel dans la définition du schème conceptuel afin de
créer une lecture expérientielle capable de revaloriser le patrimoine matériel
de la médina de Sfax et d‟inviter la sphère sociale à réinvestir leur médina.
Cette approche pratique qui s‟articule tend à travailler sur le bouleversement
du mode d'organisation traditionnel des espaces et des temps de ce Fondouk.
Elle estime incarner une nouvelle planification des rencontres physiques, des
communications de proximité tout en fidélisant la mémoire du public. Cela se
conquiert à travers l‟établissement d‟une vision expérientielle sous un angle
d‟aspect sensoriel et affectif afin d‟étaler une prise conscience par rapport aux
données socioculturelles et assurer un impact relationnelle avec l‟espace en
dépit de la contrainte de temporalité. C‟est une démarche qui compte amener
l‟espace public à devenir une dynamique spatio-temporelle inductible aux
perpétuelles mutations du paysage sociétale et culturelles à travers
l‟impulsion du mouvement, l‟aiguisement de la curiosité et l‟émergence de
nouveaux usages qui estiment s‟établir entre le processus événementiel et le
cadre socio-spatio-temporel. Cela favorise des pistes propices et récursives
pour gérer et reconstruire de nouvelles perceptions, sensations et émotions
d‟interactivité et d‟échange face à l‟espace de „Fondouk El Haddadine'. Ce
travail compte offrir une palette d‟approches variées et diverses dans une
direction de recouvrement d‟un large champ de problématiques
socioculturelles qui ont fait de l‟espace une perpétuelle déambulation
relative à sa gestion et sa prise de conscience. Au regard de cette perspective,
l‟outil directif de la réflexion se projette à travers la mise en œuvre d‟une
création événementielle personnelle portant sur le détournement du patio de
la demeure qui tend à se projeter dans une vision de transfiguration spatio-
temporaire en vue de désynchroniser son état existant et engendrer un
bouleversement de l‟identité du lieu.
De ce fait, notre travail de création événementielle émane d‟une stratégie de
provocation multi sensorielle qui invite l‟espace d‟être remodelé à travers une
nouvelle temporalité, de nouvelles configurations fonctionnelles là où elles ne
figurent pas en temps normal .D‟où l‟espace événementiel devient un élément
crucial pour vanter une attraction et une remise en forme de la perception de
l‟espace dans une démarche de révélation des caractères architecturaux,
sociaux et culturels en laissant une marge et un jeu favorisant l‟intégration du
public , son accessibilité et sa propre interprétation du paysage émergeant.
235
Dans cette optique, le processus de création tente à projeter l‟espace comme
étant une trame scénographique serrée croisant l‟éphémère avec l‟existant
dans un pouvoir fusionnel traduit par le tissage d‟une trame de fils pluri
linéaires modulable, des plans lumineux tridimensionnelles, une installation
éphémère émergeant sur une plateforme musicale s‟inspirant de la
multiplicité du potentiel socio-architectural , patrimonial et culturel de
„Fondouk El Haddadine‟ .On cherche aussi à travers cette approche à
travailler sur le mode d'organisation traditionnel des espaces et des temps en
intervenant par le biais des matériaux lumineux incarnant une vision
expérientielle sous un angle d‟aspect sensoriel à partir d‟un jeu de projection
de scénarios d'usage en vue d‟emmener une nouvelle perception de l‟espace
investi. Ce travail compte offrir une palette d‟approches variées et diverses
dans une direction de recouvrement d‟un large champ de problématiques
plastiques, esthétiques et sensorielles.
En effet, l'établissement du processus de création présente un mouvement
constructiviste composé qui apparait des entrailles des mouvements de
l‟espace, un mouvement qui a influencé le sujet de la production
événementielle venant sous la nomination de 'L'invisible perçu'. L'ampleur
patrimoniale de l'espace exprime, aussitôt, cette appellation, elle a joué un
rôle primordial pour soutenir son émergence et même ses concepts clés
d'existence. L‟ensemble de la réflexion s‟établi sur l'idée de l'extraction d‟un
potentiel immatériel séquestré dans les reliefs d'une toile architecturale. Il
s‟agit d‟un ébranlement d'un esprit enterré d'un espace d'une vie oubliée.
C'est une marche de libération, de délivrance qui tend à confronter l'identité
à un temps de persécution. Ainsi, l'approche de création projette la
présentation du degré connotatif de l'espace tout en affirmant qu‟il était le
témoin d‟un changement vidé de toute préservation d‟authenticité. Un
potentiel taciturne qui désigne l'oppression d‟une nonchalance sociale. Il
s‟agit d‟une extorsion, rayée en alternant l'oublie et l‟insouciance, attachée à
l'abondance du territoire, dont cet espace est désigné par l'histoire et la
mémoire.
S‟inscrivant dans cette démarche, le travail événementiel tente de s‟intégrer
dans le tissu de l‟exposition en prévoyant une sorte de signalétique qui guide
les visiteurs à repérer le potentiel sortant des entrailles de l‟espace. Cela
projette la segmentation des cibles de la visite et leurs références artistiques
afin de les réinsérer dans une nouvelle trame relationnelle qui prend en
compte la capacité architecturale à travers le pouvoir créateur. Avec un tel
espace aussi riche de valeurs voire de symboles, la création poursuit son
développement au niveau des idées d‟aménagement. Elle a mis en ouvre des
approches diverses lors du dialogue avec ce cadre en associant des qualités de
réflexion contraires : patrimoine et innovation, histoire et modernité,
pérennité et temporalité, mouvement et stabilité.
236
Bibliographie
237
Le Design évènementiel dans le lieu patrimonial pour une
trace durable
Ahlem Bouhlel
Designer chercheur
155
Laurier Turgeon est professeur d'histoire et d'ethnologie, titulaire de la chaire de recherche du Canada en
patrimoine, CELAT, Université Laval, Canada.
156
Laurier Turgeon, Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux, in Ethnologie française
(Vol. 40), Ed. Presses Universitaires de France, Paris, 2010, p.390.
238
Le design évènementiel dans le lieu patrimonial est l‟une des manières qui
tente de communiquer et sensibiliser les citoyens aux vraies valeurs du
patrimoine matériel et immatériel. Il questionne l‟individu dans son
environnement dans un souci de mémoriser le patrimoine pour l‟histoire et le
symbolisme qu‟il transmet pour préserver l‟identité locale.
Le design évènementiel : éloge du transitoire, de l’expérimental et du
collectif.
L‟événementiel est généralement de caractère éphémère. Il est représenté sous
formes d‟aménagements éphémères, des installations opérées à des fins
symboliques sous forme d‟impressions numériques, de la conception lumière, de
la signalétique, des projections…etc. Mais quels qu‟ils soient, ces objets ont une
relation organique au lieu, ils sont posés dans un souci de dialogue avec leur
environnement. Le design explore de plus en plus le domaine contextuel dans
toutes ses manifestations (sociales, culturelles, philosophiques, etc.). En effet,
Richard Ladwein prône cette idée en disant : « la culture et les valeurs sont
actualisées par les styles de vie. L’individu ne peut être appréhendé
indépendamment de l’histoire dans laquelle il s’est construit. La culture, les
valeurs voire les motivations se structurent dans le temps. Elles conditionnent
des styles de vie » 157. Le design évènementiel joue le rôle non seulement d‟un
révélateur de la qualité spatiale mais aussi il joue un rôle rassembleur qui invite
à la participation citoyenne. Il questionne le rôle du design dans l‟espace par des
interventions en architecture temporaire, en design d'exposition, en scénographie
et en design d'événements urbains.
Le design évènementiel tente de questionner le passant, enrichir sa perception
et modifier sa façon d‟appréhender et d‟occuper l‟espace. De ce fait, ce design
ne prend sens qu‟en rapport avec le point de vue du citoyen qui peut décrypter
les signes de la représentation. Comme le précise l‟architecte Constantin
Spyridonidis158 « la création de l’espace architectural urbain est toujours
dépendante de « l’Autre ». « L’Autre » est le point de référence de toute
intervention spatiale ; il est la source d’inspiration de l’architecte, la force du
projet, son matériau primaire, sa motivation intellectuelle, son principal
objectif. « L’Autre » est le désir, l’utopie ou « l’hétérotopie », l’attente, le
157
Richard Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, Editions Economica, Paris, 2003,
p.5.
158
Prof. Constantin Spiridonidis est un Architecte (Univ. de Thessaloniki) et Designer Urbain (Univ. Paris VIII).
Il enseigne les théories et les pratiques de l‟architecture et du design urbain au « School of Architecture of
Aristotle University of Thessaloniki » en Grèce.
239
souhait, l’espoir, mais dans le même temps la règle, l’ordre, le principe, la loi, «
l’archè »… 159». (Voir Fig.1).
L‟esprit ou le génie du lieu est une dynamique relationnelle entre des éléments
matériels, physiques et spirituels, qui produisent du sens, de la valeur, de
l‟émotion et du mystère. Guy Lecerf161 parle de la « topoétique » qui greffe deux
159
Constantin Spyridonidis, Concepts et valeurs actuels pour le design des espaces publics, in Etudes
balkaniques, 2007, p. 3, disponible sur : etudesbalkaniques.revues.org (consulté le 7/9/2015).
160
Aline Brochot et Martin de La Soudière, Pourquoi le lieu ?, in Autour du Lieu, Editions Le Seuil,
Communications n°87, Paris, 2010, p.10.
161
Guy LECERF : artiste, professeur et directeur du groupe de recherche SEPPIA (Savoirs, praxis et poïétique
en Art), université de Toulouse 2.
240
notions anciennes, celle de topos et celle de poétique162 : celle de topos, lieu
commun, qui peut se comprendre comme la matérialité du bâti urbain et celle de
poétique qui envisage le rôle du lieu lors de l‟invention du quotidien en se
réappropriant l‟espace et l‟usage. En effet, le lieu est constitué de forces
physiques, sociales et historiques constituant une dynamique relationnelle entre
des éléments matériels et immatériels, physiques et spirituels, qui produisent du
sens, de la valeur et de l‟émotion. De ce fait, la relecture du lieu par l‟utilisateur
transforme son statut d‟un simple observateur à un acteur qui interagit avec son
milieu. Comme le précise Patrick Hetzel : « certaines formes de lien social
admettent une forte composante émotionnelle…Le lien social, quelle que soit sa
forme, donne lieu à des interactions. Par définition, l'interaction sociale se situe
dans le domaine de l'expérience. Par ses relations avec d'autres, l'individu se
situe et se positionne dans un réseau social plus ou moins bien formalisé163 ». La
magie d'un espace se révèle par la dynamique relationnelle entre le
consommateur - l‟environnement et les messages véhiculés qui influencent le
comportement des individus.
Le design évènementiel participatif
Les lieux patrimoniaux dans un contexte urbain sont des lieux de passage, de
rencontre entre des acteurs très divers. Cette situation de coprésence doit être
exploitée pour mettre en évidence notre relation perceptive et sensible au
patrimoine et dans le lieu patrimonial. On observe une prise en conscience de la
position de l‟utilisateur qui est considéré désormais comme une composante
essentielle du projet où il est considéré comme partie prenante du processus du
design. A l‟aide des observations et des entrevues faites sur le terrain on arrive à
révéler de nouveaux enjeux qui influencent les pratiques et la perception que
peut susciter une action design dans un espace patrimonial. C‟est un processus
basé sur les interprétations des besoins et des attentes des citoyens qui côtoient
ou ignorent le lieu pour essayer d‟adapter l‟environnement à sa cible et afficher
une harmonie entre les dimensions spatiales communicationnelles et les
dimensions relationnelles du lieu (Voir Fig.2).
162
Guy Lecerf, Coloration urbaine : essai de topoétique chromatique dans le bâti collectif, in Actes du
Colloque international Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistique ACCRA,
Strasbourg, 2013.
163
Patrick Hetzel, Planète conso : marketing expérientiel et nouveaux univers de consommation, Editions
d'Organisation, Paris, 2002, pp. 92-93.
241
Figure 37: Le design centré sur l‟utilisateur
164
Imen Ben Youssef Zorgati , Le design social : un levier du développement territorial, in Culture Patrimoine
et Savoir, 50ème colloque de l‟ASRDLF, 2013, Louvain, p.3.
242
toujours dans un territoire165 ». L‟événementiel culturel peut être un moyen
d‟engager une dynamique nouvelle. Outre l‟élargissement de la notoriété du
lieu, l‟objectif assigné au design évènementiel est bien souvent un objectif
d‟élargissement et de démocratisation du public pour devenir un rendez-vous
populaire. Le caractère expérimental des aménagements éphémères joue un rôle
crucial pour mettre en valeur ou créer un nouvel attachement au lieu. Les
aménagements éphémères sont une façon d‟impliquer les citadins dans des
formes de participation différentes où les configurations spatiales proposées
représentent autant de nouvelles possibilités de vivre l‟espace patrimonial (Voir
Fig.3).
165
Claude Vauclare, Les événements culturels : essai de typologie, in Culture études, 2009, Paris, p2.
243
pourra sauver la mémoire du lieu en faisant appel aux émotions qui stimulent les
affects et les imaginaires.
Le design évènementiel avec des installations éphémères, s‟avère de nos jours,
un catalyseur de valeur ajoutée à travers la valorisation du savoir-faire
traditionnel. Son aspect temporaire perturbe le réel et le quotidien en modifiant
le rythme, les pratiques, pour rompre avec la routine et stimuler la curiosité du
passant ce qui peut l‟emmener à changer sa perception et son comportement
envers son patrimoine. L‟architecte Anne Canosa et Marina Trayser affirment le
rôle des installations dans l‟espace publique, pour eux ; « ils soulignent des
endroits inusités ou inconnus, ou invitent à poser un autre regard sur
l’environnement quotidien. La pratique des aménagements éphémères donne
ainsi un nouveau sens à l’espace public, en valorisant ses nombreuses
composantes166 ». Il combine la transmission des techniques et des valeurs et
l‟innovation pour allier esthétique et fonctionnalité dans le respect de
l'environnement. L‟artisanat de ce fait, n‟est pas seulement porteur de l‟héritage
mais aussi la base des innovations dans le design de demain (Voir Fig.4).
Le design évènementiel et le savoir faire artisanal est une approche qui a pour
objectif de mettre l‟ancienne tradition en contact avec le monde contemporain et
de sensibiliser le public à leur patrimoine matériel et immatériel. Il s‟agit de
mettre en valeur le patrimoine bâti avec des environnements conçus en
166
Anne Canosa et Marina Trayser, Aménagements éphémères et durabilité Ŕ Le cas de l’opération « Les yeux
de la ville » à Genève, in Colloque Développement urbain durable, Université de Lausanne, 2005 disponible
sur : www.unil.ch (consulté le 6/02/2015), p.5.
244
collaboration avec les artisans et en faisant usage de matériaux et d‟objets
locaux. Il convient des hybridations qui se font, au travers le mariage des
matériaux légers et pas chers comme le carton, l‟adhésif ou le vinyle avec des
matériaux plus nobles comme le fer forgé, le cuir, la laine ou le bois, mêlant des
objets neufs et anciens, de qualité ou jetables.
Le but est de créer des petites mises en scène afin de réaliser des ambiances
contemporaines qui vont donner un autre regard sur la possibilité de repenser le
lieu. À travers une alliance des ressources disponibles en matériaux locaux,
l‟héritage d‟un lointain passé devient un témoignage du présent tous en ayant
comme référents notre propre milieux et en se ressourçant de notre culture et nos
spécificités locales. Les hybridations se font aussi, au grès des projets, au travers
de la rencontre du patrimoine avec d‟autres techniques contemporaines comme
l‟impression numérique, la conception lumière, la signalétique, les projections…
C‟est une forme de conciliation du traditionnel avec l‟innovation
contemporaine en hybridant savoirs faires manuels et numériques, matières
naturelles et technologiques, productions artisanales et techniques émergentes...
Il s‟agit d‟établir un dialogue entre le local et l‟universel dont l‟objectif est en
quelque sorte de mettre l‟ancienne tradition en contact avec le monde
contemporain grâce au dialogue avec les nouvelles technologies.
167
Johanne Brochu, La conservation du patrimoine urbain, catalyseur du renouvellement des pratiques
urbanistiques? Thèse de la faculté de l‟aménagement, Université de Montréal, 2011, p.14.
245
enseigne les spécificités d‟une époque, il est aussi le point de départ vers
l‟avenir. C‟est un témoin d‟une mémoire collective qui associe le bien matériel
avec les souvenirs qu‟il sollicite et devient de ce fait, une racine maîtresse du
sentiment d‟identité et d‟appartenance.
Pour Brochu le lieu patrimonial représente une mémoire vivante tant « par sa
valeur commémorative, il interpelle l’affect et la souvenance qu’il nourrit est
empreinte d’émotions et partagée collectivement168 ». Lorsqu‟on évoque
« l‟éphémère », il est important de prendre compte de l‟importance de la
mémoire. L‟éphémère même s‟il ne dure pas longtemps dans le temps, les
souvenirs et les émotions demeurent. L‟espace a la capacité d‟émouvoir, de
véhiculer du plaisir et de générer une valeur communicationnelle. Il développe
de ce fait une sensibilité et des imaginaires comme le précise l‟architecte
Catherine Aventin en énonçant le rôle de l‟évènementiel : « provoquer des
réactions des citadins, leur redonner éventuellement par là une légitimité à
manifester un avis et s’exprimer à propos des «affaires de la cité », à jouer sur
le sens des espaces investis, travaillant l’imaginaire et le symbolisme des
lieux169 ». De ce fait, l‟émotionnel donne un caractère durable à l‟éphémère.
L‟éphémère possède donc une notion de durabilité et peut participer à la
construction de nouvelles images et représentations ou à la transformation et la
façon de penser celles-ci. La mémoire collective persiste même si l‟état du lieu
se dégrade ou s‟il disparaît et la durabilité de cet héritage est une préoccupation
au cœur des intérêts collectifs.
L‟éphémère peut provoquer une certaine prise de conscience et de démontrer
un nouveau mode d‟appropriation à certains lieux voués à l‟abandon. Une action
éphémère peut provoquer des changements matériels concrets et laisser des
traces pour une meilleure utilisation de l‟espace public pour devenir un
instrument de communication permettant de toucher l‟ensemble de la
population. Il s‟agit d‟une installation relationnelle qui vise à transformer
temporairement le quotidien du quartier et à susciter des échanges avec la
communauté en réalisant des œuvres éphémères qui revalorisent et alimentent
nos villes et nos communautés. Ce que nous appelons l‟éphémère durable, c‟est
donc le fait que quelque chose de court terme puisse avoir un effet et de
l‟influence sur la manière de voire les choses à long terme.
168
Johanne Brochu, Idem, p.17.
169
Catherine Aventin, Les espaces publics urbains à l’épreuve des actions artistiques, Thèse de doctorat, Ecole
polytechnique de l‟Université de Nantes, Nantes, 2005, p21.
246
Conclusion
Le design évènementiel tente avec des aménagements éphémères de laisser des
traces durables en donnant l‟occasion de se réapproprier le lieu en lui attribuant
de nouvelles valeurs et de nouveaux usages. Les gestes et les postures sont
comme produits qui s‟organisent selon les configurations spatiales et selon les
circonstances. La durabilité en ce sens est considérée comme un processus
d‟apprentissage social, dont les principaux leviers relèvent de la transformation
des mentalités et des valeurs qui guident les pratiques sociales. Les
aménagements éphémères transmettent ainsi certaines valeurs symboles de lien
social et de convivialité en sensibilisant les citoyens à redécouvrir et préserver
leur patrimoine. Le design évènementiel permet de vivre le lieu patrimonial
autrement ce qui peut susciter le développement de nouvelles formes de
citoyenneté et de réappropriation du lieu.
On peut dire que c‟est une «création d‟impact», soit le fait de créer un retour et
un impact social sur les lieux. La perception du lieu, est liée à la qualité de la
lumière, aux couleurs, aux bruits ou au silence, aux odeurs, à la répartition des
masses, des plans, des contrastes, à l‟organisation de l‟espace, au confort, au
plaisir ressenti de l‟émotion esthétique, de l‟image, et de tout ce qui contribue à
l‟esprit du lieu. Elle se définit donc comme une alchimie complexe de
matérialités diverses et de regards multiples.
Liste des figures
Figure 1: Interactions Design évènementiel-Lieu-Citoyens.............................................. 240
Figure 2: Le design centré sur l‟utilisateur ........................................................................ 242
Figure 3: Impact du design évènementiel sur la participation citoyenne .......................... 243
Figure 4: conciliation du patrimoine avec l‟innovation .................................................... 244
Bibliographie
Ouvrage
BARRIERE C. & al. (2005), Réinventer le patrimoine : de la culture à l’économie, une
nouvelle pensée du patrimoine ?, Ed. L‟Harmattan, Paris, 338p.
BAWIN J. et FOULON P. (2010), Art actuel & installation, Ed. Presses universitaires de
Namur, Belgique, 86p.
HETZEL P. (2002), Planète conso ; marketing expérientiel et nouveaux univers de
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LADWEIN R. (2003), Le comportement du consommateur et de l’acheteur, Editions
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248
La création à l’épreuve du lieu
Table des Matières
L’identité en devenir
Manel Aloulou
Assistante à l‟ISMAG
Nihel Lehyani
Assistante à l‟ISMAK
Nouba Saguer
Assitante à l‟ISAMS
Moufida Ghodbane
Maître-assistante à l‟ISBAN
Zouhé Chaibi
Assistante à l‟UIK
249
Installation-performance : « corps à corps » P 79
Meriam Ferchichi
Plasticienne chercheur
Tharouet Saadi
Assitante à l‟UIK
Assistante à l‟UIK
Assistante à l‟ESSTED
Fatma Derouiche
Maître-assistante à l‟ISBAS
250
La reconversion des espaces domestiques vernaculaires en maisons P 155
d’hôtes
Hanène Mathlouthi
Assistante à l‟UIK
Kmar Kallel
Assistante à l‟UIK
Ferdaws Belkadhi
Maître-assistante à l‟ENAU
Assistante à l‟ISMAG
Anis Allouche
Assistant à l‟ISAMS
251
Le design événementiel dans le lieu patrimonial pour une trace durable P 238
Ahlem Bouhlel
Designer chercheur
252