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« La description ethnographique »

François Laplantine , 2015 , Ed. Armand Colin, Coll. 128 Tout savoir ( Ed. originale Nathan 1996 )

NOTE DE LECTURE
Raphaël Ferret Ricou

Présentations générales
L'auteur considéré ici peut être appréhendé
comme un chercheur « intégral ». Autant
philosophe qu'anthropologue, ce que le lecteur
sentira avec bonheur dans les nombreuses
Problématique et pertinence au regard de références littéraires et artistiques qu'il mobilise
L'enquête école au service de son propos scientifique, François
Laplantine s'est entre autre spécialisé au cours de
Au fil de son ouvrage, l'auteur dresse un
tableau quasi exhaustif de la description sa longue carrière dans l'Ethnopsychanalyse fondée par Georges
ethnographique, à la fois comme activité Devereux. De l'Afrique à l'Asie, en passant par l'Amérique du sud et le
connaissant de multiples déclinaisons, Brésil, ses terrains sont nombreux et nourrissent une importante
mais aussi comme système de pensée qui bibliographie. Au sein de celle-ci, nous nous pencherons ici sur des
connaît une profondeur historique et morceaux choisis de « La description ethnographique », publié chez
scientifique par delà les disciplines avec ce Nathan en 1996.
que cela suppose comme perspectives et Né en 1943, François Laplatine est aujourd'hui professeur émérite à
évolutions variées. Si l'ensemble de
l'université Lyon 2 Lumière.
l'ouvrage s'avère riche en enseignements,
nous avons choisi, dans le cadre de cette
note de lecture, de nous concentrer sur Le modèle de la photographie dans la description ethnographique : quels
les pages 77 à 88 ( Ed. Armand Colin , apports ?
2015 ) qui couvrent les thèmes de la Photo : Colette Piault, antropologue-cineaste, fondatrice de la société française
photographie comme l'un des modèles de d'anthropologie visuelle en 1985
la description ethnologique, ainsi que celui
de la description des espaces.

Ces deux champs nous ont paru les plus


immédiatement utiles au regard de
l'enquête en cours, pour laquelle nous
mobilisons de manière importante la
technique photographique et dont le
propos, à travers l’étude des jeunesses
dans la ville, nous enjoint par nature à
considérer des comportements au sein
d'espaces particuliers.

Sur chacun de ces points, François


Laplantine reste traversé de sa
problématique générale, qui est fondatrice
de bien des questionnements en
Sociologie et Ethnologie, à savoir
comment appréhender la transition entre
observation du réel et description de En se référant aux grands noms de l’Ethnologie que sont Marcel Mauss,
celui-ci par la médiation complexe du Margareth Mead, ou encore Bronislaw Malinowski, l'auteur aborde la
langage et de l'écriture, question de
photographie ethnographique et l'anthropologie visuelle par les
première importance lorsqu'il s'agit de se
spécificités inhérentes à la technique de la photographie. En effet, au delà
mettre en position de construire et de
produire des savoirs scientifiques. des autres modèles picturaux, la photographie fixe une scène dans le
temps, et par là, plus que la peinture, en atteste. → 1
→ Par ce processus précis de redoublement, elle « C'est à tout ces titres que la photographie
montre sans démontrer ». Ici, le principe de ethnographique s'inscrit utilement dans le travail de
référentialité expose que l'image photographique est description ( qui englobe, rappelons-le, et l'observation,
indissociable de ce qu'elle donne à voir, et de son et la restitution de celle ci par le langage ) : face à
existence, à un instant T. quand les autres arts picturaux l'image fixée, rigide, muette, il est d'autant plus
offrent plus de possibilités de suggestion et nécessaire de « décrire avant de comprendre » , ce qui
d'interprétation. C'est dans cette preuve d'une est la vocation première des sciences humaines et, au
existence passé que réside la singularité de chaque delà, une succession ordonnée des temps de la
photographie, elle est productrice d'instantanés méthode indispensable à la validité scientifique des
uniques et déjà révolus. savoirs produits.

Par là, elle se prête facilement à une confusion Dans cette même idée d’évitement des biais, la
dangereuse : celle de la substitution de l'objet réel par photographie, nous l'avons vu, est toujours construite
son image, voir son essentialisation par ce biais, qui sur une perspective particulière, comme tout regard
serait in fine préjudiciable à la description. C'est à ce subjectif d'ailleurs. Elle rappelle en continu qu'il en
titre que le professeur Laplantine, en se référant à existe une infinité d'autres ( de perspectives ) possibles.
Georges Devereux, ne considère pas la photographie Et ici, l’évidence de ce paramètre matérialisée par le
comme un outil, mais plus comme une « opération » : support permet, pour l'auteur, « d'éviter les pièges et
par le choix d'un champ, rendu impératif par la les illusions de la pensée dogmatique, dont le propre est
segmentation du réel qu'impose l'objectif, la d'être affirmative, univoque, et en quelque sorte
photographie n'est pas dissociable d'un regard monofocalisante. » (p.82)
particulière. A l'intérieur de ce champ, la multiplicité de
variables à ajuster, de la profondeur à la luminosité en Alors, comment décrire les espaces et le temps ?
passant par le flou et le net, le proche et le lointain,
rends encore compte d'un acte plus ou moins conscient Ces considérations sur la photographie ethnographique,
qui n'est pas réductible à l'usage mécanique et rationnel nous les retrouverons immanquablement en filigrane
d'une technique ( mais cela existe-t-il ? ). Ainsi la dans le déroulé de l'auteur autour de la description des
photographie dit de ce qu'elle montre mais aussi de ce espace ; en ce qu'elles constituent le fil rouge du travail
qu'elle ne montre pas ; de ce que se laisse à voir et de et des compétences de l'Ethnologue.
ceux qui cherchent à voir. Ainsi le chercheur débute son propos par
l'évocation de l'Epokhe, la doctrine des Stoïciens
traduite comme «suspension du jugement », en tant
que préalable à l'approche de l'espace. Il y a ici deux
temps du travail scientifique à ne pas entremêler : celui
de la perception des apparences et celui de la
recherche du caché. Partant, la description de l'espace
doit pour F. Laplantine participer d'une « naïveté »
volontaire qui approche le réel en surface et non en
profondeur. Citant « l'état d'entière disponibilité
visuelle » (p.84) de Paul Klee et se situant dans la
continuité d'historiens antiques comme Hérodote ou
Thucydide par une démarche de récit descriptif assis sur
un regard particulier, le chercheur commence par là à
connecter une approche empirique avec une restitution
littéraire ( au sens large, de « par la Lettre » NDLR ) et
le résume ainsi : « exprimer le réel dans la totalité de
Crédit photo : R. Ferret , Montauban, 2014. ses apparences » (p.85).

A la question qui se pose donc maintenant – ce préalable acquis – de comment décrire, donc de comment
observer les espaces, l'anthropologue avance les concepts de « proxémie » et de « présentation synoptique »
( Wittgenstein ), c'est à dire la description par la continuité spatiale. En guise d'explication, ici, nous pourrions dire
que regarder, au sens du regard neutre et nu auquel nous aspirons en la matière, c'est d'abord situer. Situer les
objets observés, c'est d'abord les situer par leur position dans le champ du regard, mais aussi et surtout, les situer
les uns par rapport aux autres et rendre compte du tableau ainsi visualisé. 2
L'espace prend ainsi la forme d'un ensemble de proximités et de distances qui font relation, en gardant à l'esprit le
caractère mobile et dynamique du regard.

La première approche de ces continuités spatiales requiert donc, nous l'avons dit, une sorte de mise hors du
temps éphémère, et c'est précisément celle ci, par la description qu'elle rend possible, qui permet par la suite
l'observation de continuités temporelles. En effet, la reproduction de l'observation, fondée, plus que sur
l’historicité, sur la quotidienneté, amène par nature à repérer dans ce cadre la « répétition du tableau » ou encore
l’événement. Ainsi, si l'observation ethnographique de l'espace s'affranchit volontairement de la recherche du
caché, elle ne se dissocie pas du temps : « la description doit moduler dans le successif la représentation d'objets
simultanés et juxtaposés dans l'espace. » ( cit. G. Genette, p. 87)

Que retenir de cet ouvrage ?

L'apport de cet ouvrage est pour nous intéressant à plus d'un


titre : La dualité de notre objet en termes de proximités et
d'éloignements par rapport aux vécus particuliers, présents et
passés, des enquêteur.rices enjoint – en ce qu'elle comporte,
dans un sens comme dans l'autre, nombre de possibilités de sur
interprétations et autres biais – à la plus grande rigueur
scientifique.
Ainsi, les techniques de la description ethnographique
permettent de juguler ce risque. L'auteur de ces ligne se
permettra ici de citer les premiers mots entendus en licence
énoncé par Mr. Roger Renaud, enseignant chercheur à
l'université Paris 5 Descartes : « La démarche ethnographique,
c'est d'abord apprendre à désapprendre. » Dans cette optique,
et parmi ces techniques, celle de la photographie, nous l'avons
vu, permet justement plus facilement la posture descriptive. Elle
est en outre indissociable de regards, de perspectives
particulières, ce qui fait écho au dispositif du Guide Photo à
destination des jeunes et témoigne de sa pertinence.

Enfin, l'approche des espaces par la description de continuités


spatiales et temporelles renvoie très fortement à notre terrain :
proximité et distance comme modes de mise en relation des
éléments d'apparence du réel sont des concepts fondamentaux
en ce qui concerne les usages entre individus et environnement,
entre individus dans des environnements qui sont à la base,
d'une ou de quotidienneté(s) vécue(s) et d’événements
particpants de celle(s)-ci. Rappelons ici que l'un des propos de
notre enquête est justement d'identifier « des usages de
l'espace et du temps. »

Document rédigé par : RFERRET – 23 Février 2022 – Enquête Ecole Semestre 2 – Dir. N.Golovtchenko

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