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Le livre de chasse/Gaston Phébus http://classes.bnf.fr/phebus/cles/foucault.

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Miroir du monde ou théâtre de la vie : les règles de la représentation

L'image à livre ouvert

En analysant une image il est toujours possible d'en dire plus que ce qu'elle
montre. Ainsi, au lieu de décrire ce qui est vu, est-il souvent fait appel à ce qui est
su par avance et connu par ailleurs.
A l'époque médiévale, l'interprétation est de règle. Le copiste est un premier
interprète du texte; l'enlumineur y ajoute sa voix; la glose surajoute l'interprétation
des lecteurs et copistes successifs; la réthorique organise le jeux des
interprétations.
L'interprétation de l'image n'apparaît dès lors, ni facultative ni superflue. L'image se
propose tel un livre ouvert que l'on fait parler. L'interprétation répond à la nécessité
de décrypter des signes qu'il s'agisse d'éléments plastiques ou de mots, dans le
but de les commenter.
Le Livre de chasse manifeste cet appel au commentaire dans sa fabrication même.
Le manuscrit initial rédigé par Gaston Phébus a été illustré à plusieurs reprises
avant de l'être à nouveau dans la version présente. À chaque fois, des nuances,
des techniques, des couleurs comme autant d'interprétations du texte, mais aussi
des omissions ou des ajouts ont transformé ces différentes versions en
commentaire de l'œuvre, plutôt qu'en une fidèle reproduction. Celui qui regarde
aujourd'hui cette image participe à son tour à ce travail de commentaire. Il ouvre le
Livre de chasse à une page et sur une illustration qu'il fait parler, à la manière d'un
livre ouvert.

La répétition base de la représentation

Au chapitre deux des Mots et des Choses, Michel Foucault explique comment
jusqu'au XVIe siècle la connaissance du monde visible et invisible, l'art de le
représenter et de l'interpréter, se constituent sur la ressemblance et la répétition: la
terre reflète le ciel, l'art est miroir du monde.
Tout ici semble se dédoubler : le cavalier, les chiens, les valets à pieds, les pattes
des bêtes, les bois du cerf, les libellules ou bien les plantes et les arbres. Hormis le
cerf, chacun possède son homologue, son jumeau ou son reflet.
Les deux valets dont les jambes s'entrecroisent se présentent telles les deux faces
d'un même être ou plutôt comme deux états de son existence puisque l'un
occupera, sans doute un jour, la place de l'autre dans la hiérarchie si spécifique à
l'art de la chasse. A moins que, nous invitant à pivoter selon l'axe de ce jeu de
miroir, le valet qui nous regarde nous invite à entrer dans cette leçon de chasse et
à suivre son double lancé à la poursuite du cerf.

Les règles de l'interprétation

Les grandes figures de la représentation présentées par Michel Foucault dans ce


même chapitre des Mots et des Choses peuvent servir de guide à l'interprétation.
Selon lui les jeux de miroir de la représentation s'articulent autour de quatre
concepts fondamentaux.
En premier lieu, la "convenentia": sont "convenantes" des choses qui se jouxtent.
Ce voisinage crée des parentés. "Dans la vaste syntaxe du monde, dit Foucault,
les êtres différents s'ajustent les uns aux autres; la plante communique avec la
bête, la terre avec la mer, ; l'homme avec tout ce qui l'entoure." De proche en
proche "le monde forme chaîne avec lui même."
Le second concept est celui de "l'aemulatio". Jeu de miroir et de résonances entre
les choses qui ne se touchent plus mais se répondent à travers l'espace.
"L'émulation, dit Foucault, est une sorte de gémellité naturelle des choses. Elle naît
d'une pliure de l'être dont les deux moitiés se font face. " " …et tout comme
l'intellect de l'homme reflète, imparfaitement, la sagesse de dieu, de même les
deux yeux avec leur clarté bornée, réfléchissent la grande illumination que
répandent, dans le ciel, le soleil et la lune;"

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Le livre de chasse/Gaston Phébus http://classes.bnf.fr/phebus/cles/foucault.htm

La troisième figure est l'analogie : cette vieille figure de la science grecque reste
très présente dans la pensée médiévale. Elle fait voire les sept ouvertures du
visage comme les sept planètes dans le ciel ou le corps d'un animal comme la
terre qu'il habite : ses os sont les rochers, ses veines les fleuves…
La quatrième figure est la sympathie (et son opposé, l'antipathie). Par sympathie,
les choses proches s'attirent, s'assimilent… Seuls les phénomènes d'antipathie
permettent de préserver des singularités.
Ces notions de convenance, d'émulation, d'analogie et de sympathie permettent de
conduire l'interprétation et le commentaire.

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