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org/vrin/21738
Vrin
Alchimie et philosophie à la Renaissance | Jean-
Claude Margolin, Sylvain Matton
Deux hypothèses
concernant
l’interprétation
stoïcienne de l’art
tinctorial :
Alexandre
d’Aphrodise et la
villa des Vettii
Jean-Paul Dumont
p. 327-340
Texte intégral
1 Ce propos est à la fois un et double. Il est double parce qu’il
se propose d’examiner successivement deux objets : un texte,
celui d’Alexandre d’Aphrodise dans le Traité du Mélange, et
une peinture, la fresque priapique placée à l’entrée de la villa
des Vettii à Pompéi, et dont l’audace scabreuse paraît défier
le visiteur. Faut-il se montrer étonné de ce rapprochement
entre l’écrit et la peinture ? L’étymologie du verbe graphein
ne réunit-elle pas écriture et peinture ? Si, pour Platon1,
Hermès est l’inventeur de l’écriture, il l’est aussi de la
peinture2. Et des liens évidents rapprochent aussi alchimie et
peinture : plus tardivement, le traité de Zosime Sur les
divisions de l’art alchimique fait état de la division en quatre
de la philosophie alchimique qui comprend le noircissement,
le blanchiment, le jaunissement et enfin l’iôsis, qui est
davantage la teinture en rouge3 que la teinture en violet4.
Comment ces quatre étapes de l’œuvre ne feraient-elles pas
dans nos mémoires écho à l’émerveillement de Pline l’Ancien
devant la tétrachromie propre aux premiers peintres ?
« C’est avec quatre couleurs seulement, pour les blancs, celui
de Mélos, pour les jaunes le sil attique, pour les rouges la
sinopis du Pont, pour les noirs l’atrament, qu’Apelle, Aétion,
Mélanthios, Nikomachos ont exécuté leurs œuvres
immortelles [...] »5.
2 Que les peintres soient chimistes, cela est évident. Que l’on
puisse établir un rapprochement entre les quatre couleurs
fondamentales de la palette antique et les quatre teintures de
l’œuvre, cela est plus surprenant, mais cela donne aussi à la
peinture une dimension hermétique nouvelle et inattendue :
nous y reviendrons à propos de la peinture pompéienne.
3 Disons encore, avant même d’ouvrir ce dossier, que si les
deux hypothèses que nous osons formuler devaient s’avérer
crédibles, il faudrait faire reculer dans le temps la naissance
coagulation.
8 C’est ici qu’intervient un autre concept qui va jouer un rôle
décisif : la notion de hexis, que l’on traduit généralement,
faute de mieux, par qualité déterminante, et qui paraît venir
presque en droite ligne duperiechein d’Anaximène : « De
même que notre âme, qui est d’air, nous soutient (sugkratei
hèmas), de même le souffle et l’air enveloppent (periechei) la
totalité du monde »19.
9 Plutarque conserve une citation du Péri hexeôn de
Chrysippe : « Les hexeis ne sont pas autre chose que des gaz
(aera). C’est par eux que les corps sont contenus
(sunechetai) – c’est à dire sont fixés – par l’effet de la hexis.
Que chacun des corps ainsi fixé par la hexis possède une
qualité, la cause en est l’air (ou le gaz) fixateur qu’on appelle
dureté dans le fer, consistance dans la pierre et blancheur
dans l’argent »20. Il faut noter alors que la hexis qui
caractérise le règne minéral fournit un modèle de contenant
qualifiant, transposable aux règnes supérieurs. Chez les
végétaux ou les plantes, la qualité s’appelle alors phusis, chez
les animaux psuchè, chez les hommes nous ou dianoètikè
dunamis21. Pour expliquer la génération de l’animal dans la
matrice, Chrysippe estime que le sperme attire à lui la
matière et lui donne configuration en la remplissant des
logoi qui lui sont propres22. Pour interpréter la naissance de
l’animal en termes de passage de la phusis ou puissance
végétative (car l’embryon est une plante), à la puissance
animée qu’est la psuchè, Chrysippe explique que le nouveau-
né plongé dans l’air froid environnant se trouve, par l’effet de
ce bain réfrigérant qui évoque la trempe du fer, refroidi et
animé23, ce qu’illustre l’étymologie de psuchè qui est
rapportée à psuchron (le froid). Que la teinture par
immersion, ou baphè, s’applique aussi bien à la modification
hectique du mélange (et une fois ainsi baptisée l’épée reçoit
un nouveau nom) qu’à la transformation profonde que
suppose le passage d’un règne à l’autre, manifeste le pouvoir
Notes
1. Voir sur ce point, entre autres sources, Platon, Phèdre, 274c.
2. Ibid. 275d.
3. A.-J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, I, Paris, 1944,
p. 234.
4. M. Berthelot, Collection des anciens alchimistes grecs, Paris,
1887-1888, (abr. C.A.A.G.), II, 219, 16-17 et III, 212, §5.
5. Pline, Histoire naturelle, XXXV, 32 (trad. Ph. Heuzé, Pompéi ou le
bonheur de peindre, Paris, 1990, p. 53). De la même façon, dans son
commentaire du fragment B XXIII d’Empédocle, E. Bignone, Empedocle,
Torino, 1916, p. 417, rapproche les quatre couleurs de la théorie des
quatre éléments et de la quadruple racine. Voir encore Zosime, Sur les
illusions de l’art alchimique, M. Berthelot, C.A.A.G., II 219, 13 et sv.
6. Voir par ex. E.O. von Lippmann, Entstehung und Ausbreitung der
Alchemie, I, 1919, II, 1931.
7. Diels – Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, 78, trad. J.-P.
Dumont, Les Présocratiques, Paris, 1988, p. 978, et A.-J. Festugière, op.
cit., pp. 225 et sv.
8. Une première éruption se produit en 63 ; la catastrophe définitive
survient en 79 : c’est de ces quinze dernières années que l’on peut dater la
peinture qui nous intéresse.
9. Les références sont données, pour faire plus court, au texte de l’édition
Bruns reproduit par I. von Arnim dans Stoicorum veterum fragmenta
(abr. S.V.F.), Vienne, 1902, t. II, p. 154. Comme pour les autres traités
stoïciens, les références comportent trois indications : le tome, la page et
la ligne. L’édition récente de R.B. Todd, Alexander of Aphrodisias on
stoïc physics, Leiden, 1976, renvoie à l’édition de Bruns, p. 217, 13 et sv.
10. La Magie et ses langages, textes réunis par Margaret Jones-Davies,
Université de Lille III, P.U.L., ENS Fontenay, 1980, pp. 1-23.
11. Les deux traités sont lisibles au commencement et à la fin de l’édition
des Œuvres de Sénèque par M.N. Bouillet, Paris, 1830, dans la Collection
Lemaire. Voir encore L. Zanta, La Renaissance du stoïcisme au XVIe s.,
Slatkine reprints, 1975.
12. Aristote, Métaphysique, Z XI. 1037a 21 et sv.
13. Diogène Laërce, Vies VII, 134 ; S.V. F. II, 300, 8.
14. Alexandre d’Aphrodise, De Mixtione, 224, 32 ; S.V. F. II, 112, 26.
15. Origène, De Oratione II, 368 ; S.V. F. II, 115, 5.
16. S.V. F. II, 115, 32 ; à rapprocher de Galien, S.V. F. II, 144, 26 et
Plutarque, Ibid. II, 146, 32.
17. Empédocle B XXXIV, cité au livre IV des Météorologiques d’Aristote.
Et si l’on se réfère à la lecture théophrastienne d’Empédocle (A LXXXVI,
36. S.V. F. II, 155, 4-24. Curieusement, ce passage n’a pas été traduit par
P. Duhem, Op. cit., p. 307.
37. De la même façon, le mélange du principe séminal avec un
pharmakon définit la semence animale ou humaine : « La semence de
l’homme, émise par l’homme avec une humeur, se mélange avec les
parties de l’âme selon la même proportion que ces parties présentaient
chez des ancêtres. Chrysippe, au livre II de la Physique, dit que, quant à
sa substance, la semence est un pneuma ». Diogène Laërce, VII, S. V. F.
II, 211, 21.
38. L’interprétation minimale serait celle d’une chrusou katabaphè :
« teinture en or superficielle et opérée par voie humide » (Berthelot,
C.A.A.G. I, 23), mentionnée par le Papyrus X de Leyde.
39. M. Berthelot, C.A.A. G. II, 43,10.
40. Op. cit. I, 254-255.
41. On l’intitulait : “La pesée du priape”.
42. M. Berthelot, C.A.A.G. I, 164.
43. fol. 33 verso.
44. M. Berthelot, C.A.A.G. I, 164.
45. En. III, 6, 19, 25.
46. Rév. Herm. Trism., op.cit. I, 243 et M. Berthelot, C.A.A. G. II, 150, II.
47. Ibid. II, 250.
48. Dom Pernety, Dictionnaire mytho-hermétique, Paris, 1758, pp. 98 et
sv.
49. Dupuis, Origine de tous les cultes, Paris, An III, VI, 2e Part.,
pp. 165 et sv.
50. « De toute façon, au début de l’ère chrétienne, Hermès “porteur de la
parole” est une notion populaire : il est à peine besoin de rappeler la
scène des Actes (XIV, 12) où les habitants de Lystres prennent S. Paul
pour Hermès parce qu’il est le maître de la parole [...]. Jamblique, dans le
De mysteriis (I, 1), emploie une expression analogue : “Hermès est le
seigneur du langage” [...], et le 28e hymne orphique loue en Hermès le
messager de Zeus [...], le prophète du logos chez les mortels [...]. Rien
n’est plus connu, d’autre part, que les spéculations des stoïciens sur le
Logos, qui non seulement est la parole articulée ou le verbe par lequel
nous exprimons au dehors (logos prophorikos) le “verbe mental” conçu
au dedans (logos endiathetos), non seulement est la raison et, en ce sens
la faculté maîtresse qui distingue l’homme des autres animaux, mais qui
Auteur
Jean-Paul Dumont
TROPHOS ou la gouvernante de
Platon in Les signes et leur
interprétation, , 1972
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DOI: 10.1017/CHOL9780521572446.022
Llasera, Margaret. (1999) Représentations scientifiques et images
poétiques en Angleterre au XVIIe siècle. DOI: 10.4000/
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