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Université Hassan II de Casablanca

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ain Chock

Département de Langue et de Littérature Françaises

Filière : Études françaises - S. 6

Pr. Adil TAMIM

Filière : Études Françaises

Didactique de la littérature
Année universitaire 2019-2020 – S. 6

Éléments de cours

Année universitaire : 2019 - 2020

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La description : modes de progression et fonctions

Support 1

Tout à coup devant moi se leva une digue. C’était un haut remblai de terre couronné de
peupliers. Je le gravis et je découvris la rivière.

Elle était large et coulait vers l’ouest. Gonflées par la fonte des neiges, ses eaux puissantes
descendaient en entraînant des arbres. Elles étaient lourdes et grises et parfois sans raison de
grands tourbillons s’y formaient qui engloutissaient une épave, arrachée en amont. Quand elles
rencontraient un obstacle à leur course, elles grondaient. Sur cinq cents mètres de largeur, leur
masse énorme, d’un seul bloc, s’avançait vers la rive. Au milieu, un courant plus sauvage
glissait, visible à une crête sombre qui tranchait le limon des eaux. Et il me parut si terrible que
je frissonnai.

Henri Bosco, L’enfant et la rivière

Support 2

La première porte donne sir le salon, dont le plancher en bois clair est recouvert de tapis aux
couleurs vives. Un canapé en cuir beige occupe le mur de droite. Au fond de chaque côté de la
fenêtre, deux grandes étagères sont recouvertes de livres et de disques. A gauche, se trouve un
buffet en bois foncé, massif couvert d’objets en étain.

Jules Verne, Michek Srogoff


Support 3

Michel Strogoff était haut de taille, vigoureux, épaules larges, poitrine vaste. Sa tête puissante
présentait les beaux caractères de la race caucasique. Ses membres, bien attachés, étaient autant
de leviers, disposés mécaniquement pour le meilleur accomplissement des ouvrages de force.
Ce beau et solide garçon, bien campé, bien planté, n’eût pas été facile à déplacer malgré lui,
car, lorsqu’il avait posé ses deux pieds sur le sol, il semblait qu’ils s’y fussent enracinés. (…)
Michel Strogoff avait le tempérament de l’homme décidé, qui prend rapidement son parti, qui
ne se ronge pas les ongles dans l’incertitude, qui ne se gratte pas l’oreille dans le doute, qui ne
piétine pas dans l’indécision.

Jules Verne, Michek Srogoff

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1. Quelques pistes du commentaire

Le passage énumère et détaille un certain nombre d’éléments « une digue, couronné de


peupliers, la rivière, gonflées, eaux puissantes (…), lourde et grise, une épave, tourbillons, un
courant etc. ». Ce texte, rédigé à l’imparfait, recourant à de nombreux adjectifs pour installer
une description d’un paysage. Les étapes de cette description suivent la découverte progressive
du paysage par le narrateur -un enfant- dont le point de vue interne « tout à coup devant moi, je
le gravis et je découvris » et le les émotions « il me parut si terrible que je frissonnais »
organisent l’évocation du paysage. Il s’agit donc d’une description subjective.

Cependant, le second texte met au devant de la scène une description objective d’un
appartement dont l’agencement est présenté à travers un point de vue externe, dans un ordre
précis « la première porte, mur de droite, de chaque côté de, à gauche ».

Enfin, le troisième texte brosse le portrait du personnage principal. Il s’agit notamment d’une
description physique puis morale, établie selon un point de vue omniscient.

La description

Une description permet d’évoquer par l’énumération de ses caractéristiques physiques (qui
peuvent être visuelles mais aussi auditives, olfactives, tactiles).

Le point de vue adopté permet de mêler à la description des éléments subjectifs révélant la
conscience et la position de celui qui décrit.

Le portrait est la description d’un personnage et ne se borne pas donc nécessairement à ses traits
physiques, il peut décrire aussi ses traits moraux, son comportement social, ses origines
familiales, etc.

Les passages descriptifs s'organisent souvent selon un ordre spatial : le regard suit par exemple
un déplacement du plus proche vers le lointain ou inversement ; pour un portrait, après une vue
d'ensemble, le texte procède de la tête aux pieds etc. On peut noter des organisateurs textuels,
des indicateurs de lieu qui structurent le texte très manifestement : à mes pieds, au loin, en haut,
en bas, plus loin, à droite, sur la gauche ; ... Parfois, l'organisation se fait de manière logique en
procédant plutôt d'une vue d'ensemble à l'observation de détails.

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Quelquefois dans le cadre d'un récit littéraire au passé, on relève l’usage d’un présent ; par
exemple, chez Balzac, la description de la pension Vauquer est ainsi conduite dans Le Père
Goriot :

"Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il
faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ;
elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements..."

Ce présent de description met en place le décor ; on peut constater qu'il ne s'agit pas d'un présent
de vérité générale. La description ne semble pas inscrite dans le temps ; il est beaucoup plus
proche d'un présent de narration, même si l'effet rhétorique recherché n'est pas celui de la
dramatisation. Il s'agit plutôt de donner au lecteur l'impression qu'il voit les pièces de la pension.

Modes de progression

Si la progression à thème constant se prête bien à la conduite du récit, la progression à


thème dérivé ou éclaté (où le thème de la phrase initiale est décliné par la suite en
différents sous-thèmes) est souvent utilisée dans le discours descriptif. L'objet décrit est ainsi
détaillé à travers divers composants et sous-composants éventuels : on pourrait comparer à un
effet de travelling ou de zoom dans l'écriture cinématographique (divers plans s'enchaînent à
partir d'un plan d'ensemble).

Pour les portraits, on peut trouver une progression à thème constant : on attribue diverses
caractéristiques au personnage qu'on caractérise (silhouette, visage, bouche, nez...).

On peut trouver aussi une progression linéaire : « Dans une pièce, il y avait une table. Sur cette
table étaient disposées des fleurs. A côté de ces fleurs dormait un chat.».

Fonctions de la description

Le rôle diégétique de la description est généralement le reflet de sa fonction dans l'économie


générale du récit.
Parfois la description sert aussi de pause dans le récit ; elle permet de jouer avec l'attente, le
suspense... Elle contribue ainsi au rythme. Pour promouvoir la réflexion à ce niveau ; voici un
tableau faisant état des fonctions essentielles de la description, souvent entremêlées dans les
textes littéraires.

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Effets recherchés / Procédés d'écriture
Fonction Exemples
Enjeu mobilisés

Situer le contexte ou
cadre de l’action,
ancrer dans un
Repères spatiaux et ancrages
espace-temps
temporels précis ; utilisation Textes issus du Réalisme, du
historique et social,
Référentielle ou de toponymes en vue d'un Naturalisme au XIXème... La
provoquer une
dénotative effet de réel. Nombreux maison Vauquer avec son
illusion de réalité...
détails sur les composantes, quartier dans le Père Goriot.
Il s'agit
la structure d'un objet...
de représenter,
de faire voir, donner
à voir avec des mots.
Apporter au récit une
dimension
informative, Abondance des vocables
historique par techniques et des noms
exemple, un aspect propres ; énumérations, souci Bien des textes de Balzac ou
Encyclopédique ou
encyclopédique ou d'exhaustivité ; fréquentes dans les romans historiques...
documentaire
didactique digressions et discours Jules Verne...
quelconque. explicatifs, gloses et
Il s'agit parenthèses...
d'apprendre au
lecteur.
Donner une valeur
littéraire, artistique
ou poétique au texte
La mer vue par J.M.G. Le
en regardant de façon
Jeux sur le vocabulaire, le Clézio dans le Déluge...
esthète un objet, en
rythme, les images, Passages sur la nature, les
Poétique ou représentant l’espace,
couleurs... Usage de prose jardins dans Sido de Colette ;
esthétique le sujet à la manière
poétique même. Préciosité. les descriptions
d’un tableau...
Registre lyrique... impressionnistes de Zola
Il s'agit
dans L'Oeuvre, La Terre.
d'émouvoir, de faire
sentir, de faire voir
autrement...
Traduire des
impressions, des états
d’âme, créer une Vocabulaire des sentiments,
atmosphère, véhiculer connotations, usage de
L'alambic dans l'Assommoir de
des valeurs morales, symboles, références
Zola, le Paris médiéval
Symbolique transmettre une mythologiques, figures
dans Notre Dame de Paris de
vision spirituelle... d'animation ou
V. Hugo...
Il s'agit de personnification
donner des clés correspondances verticales...
pour faire
comprendre.
Manifester un
Connotations des termes,
jugement de valeur
mots à sèmes évaluatifs ou
plus ou moins
affectifs ; termes valorisants/ Portrait valorisant de Michel
directement,
Appréciative ou dévalorisants, comparaisons, Strogoff par Jules
explicitement. Le
évaluative métaphores ; modalités Verne... Portrait satirique de
point de vue est
appréciatives ; sélection Mme Vauquer par Balzac.
axiologique.
laudative / critique des
Il s'agit bien alors
informations ...
de juger, d'apprécier.

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Applications
Consigne : Commentez le texte ci-après en vous appuyant, à titre indicatif, sur les
questions suivantes :
Que décrit le texte suivant qui constitue le début d’un récit ? Quel est l’effet recherché ?
Quelles caractéristiques physiques et sociales sont évoquées ?

Texte 1:
Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l'Evêque envièrent à Madame Aubain sa
servante Félicité.
Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage, cousait, lavait, repassait, savait
brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle à sa maîtresse qui n'était
pas cependant une personne agréable.
Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au commencement de 1809, en lui
laissant deux enfants très jeunes avec une quantité de dettes. Alors, elle vendit ses immeubles,
sauf la ferme de Toucques et la ferme de Geffosses dont les rentes montaient à cinq mille francs
tout au plus, et elle quitta sa maison de Saint-Melaine pour en habiter une autre moins
dispendieuse ayant appartenu à ses ancêtres et placée derrière les Halles.
Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passage et une ruelle aboutissant à la
rivière. Elle avait intérieurement des différences de niveau qui faisaient trébucher. Un vestibule
étroit séparait la cuisine de la salle où Madame Aubain se tenait tout le long du jour, assise près
de la croisée dans un fauteuil de paille. Contre le lambris peint en blanc, s'alignaient huit chaises
d'acajou. Un vieux piano supportait sous un baromètre un tas pyramidal de boîtes et de cartons,
Deux bergères de tapisserie flanquaient la cheminée en marbre jaune et de style Louis XV. La
pendule, au milieu, représentait un temple de Vesta ; et tout l'appartement sentait un peu le
moisi, car le plancher était plus bas que le jardin.
Gustave Flaubert, un cœur simple

Même exercice :

Texte 2 :

Nous habitions Dar Chouafa, la maison de la voyante. Effectivement, au rez-de-chaussée,


habitait une voyante de grande réputation. Des quartiers les plus éloignés, des femmes de toutes
les conditions venaient la consulter. Elle était voyante et quelque peu sorcière. Adepte de la
confrérie des Gnaouas (gens de Guinée) elle s’offrait, une fois par mois, une séance de musique

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et de danses nègres. Des nuages de benjoin emplissaient la maison et les crotales et les guimbris
nous empêchaient de dormir, toute la nuit.

Je ne comprenais rien au rituel compliqué qui se déroulait au rez-de-chaussée. De notre fenêtre


du deuxième étage, je distinguais à travers la fumée des aromates les silhouettes gesticuler.
Elles faisaient tinter leurs instruments bizarres. J’entendais des you-you. Les robes étaient tantôt
bleu-ciel, tantôt rouge sang, parfois d’un jaune flamboyant. Les lendemains de ces fêtes étaient
des jours mornes, plus tristes et plus gris que les jours ordinaires. Je me levais de bonne heure
pour aller au Msid, école Coranique située à deux pas de la maison. Les bruits de la nuit
roulaient encore dans ma tête, l’odeur du benjoin et de l’encens m’enivrait. Autour de moi,
rôdaient les jnouns, les démons noirs évoqués par la sorcière et ses amis avec une frénésie qui
touchait au délire. Je sentais les jnouns me frôler de leurs doigts brûlants ; j’entendais leurs rires
comme par les nuits d’orage. Mes index dans les oreilles, je criais les versets tracés sur ma
planchette avec un accent de désespoir.

Les deux pièces du rez-de-chaussée étaient occupées par la Chouafa principale locataire. Au
premier étage habitaient Driss El Aouad, sa femme Rahma et leur fille d'un an plus âgée que
moi. Elle s'appelait Zineb et je ne l'aimais pas. Toute cette famille disposait d'une seule pièce,
Rahma faisait la cuisine sur le palier. Nous partagions avec Fatma Bziouya le deuxième étage.
Nos deux fenêtres faisaient vis-à-vis et donnaient sur le patio, un vieux patio dont les carreaux
avaient depuis longtemps perdu leurs émaux de couleur et qui paraissait pavé de briques. Il était
tous les jours lavé à grande eau et frotté au balai de doum. Les jnouns aimaient la propreté. Les
clientes de la Chouafa avaient dès l'entrée une bonne impression, impression de netteté et de
paix qui invitait à l'abandon, aux confidences - autant d'éléments qui aidaient la voyante à
dévoiler plus sûrement l'avenir.
Ahmed Sefrioui, La boite à merveilles - Ch. 1

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