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En cuisine, il est un paradoxe: s'attacher aux recettes est la meilleure manière de ne pas savoir les faire
car elles disent tout et son contraire. Les principes qui les sous-tendent, eux, sont par contre bien plus
fiables. Ils donnent accès au "pourquoi" des choses; seule manière de pouvoir, un tant soit peu, les
maîtriser.
Or, jusqu'à présent, tous les traités ont en commun d'aborder la cuisine par les recettes et par le
"comment faire". Les choses se résumant, dès lors, à l'approche classique et rassurante du "faites ainsi".
Cette vision – au fond très directive – limite les connaissances ainsi que l'autonomie, et passe en réalité
à côté des principes universels que le "pourquoi" met, lui, à découvert en en faisant saisir les
fonctionnements.
Certes, la très incertaine littérature culinaire – celle-ci compris – fera toujours paraître le pari aux
bandits manchots comme une science exacte. Mais ce traité, qui ne cherche nullement à résoudre tous
les mystères que la cuisine propose sans répit, explore cette approche rafraichissante et inédite du
"pourquoi" en entrainant l'amateur, le curieux, et le professionnel à travers les 3 fondamentaux de cet
art: découper, assaisonner et cuire.
La Miamologie est donc un peu une science, un peu un art, mais surtout un état d'esprit, une curiosité,
un appétit, une ouverture dont le principe agissant n'est autre que la convergence. Seul principe
capable d'associer les bons gestes, les bonnes cuissons avec les bons produits. Et au bon moment!
Sommaire
DECOUPER 3
ASSAISONNER 8
CUIRE 13
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DECOUPER
Les découpes sont souvent vues comme les tâches primitives de la cuisine; un B.A.-BA, une initiation,
un commencement puis un sésame pouvant donner droit d'aborder tous les autres gestes de la cuisine
réputés plus complexes... plus nobles. Est-ce parce que ce sont les premières tâches à devoir être
accomplies?
Toujours est-il que si l'action elle-même est élémentaire, ses conséquences dans la recette et sa saveur
finale sont tout simplement décisives! Sans se tromper, on pourrait considérer que couper une carotte
est bien le geste le plus déterminant, le plus subtil de la cuisine à n'aborder qu'au terme d'années de
pratique, que seuls les plus aguerris pourraient exécuter en toute connaissance de cause.
Source de toute la cuisine, les découpes, souvent survolées, en sont bien la pierre angulaire, le
fondement.
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II. Principe de surface d'échange
A masse égale et en cuisson, une carotte (par exemple) développe
plus d'arômes et de goût coupée qu'entière car plus sa surface
sera grande, développée, plus facilement ses arômes seront
diffusés, accessibles, extractibles, perceptifs. En clair, les gros
morceaux sont égoïstes, les petits sont généreux!
Dés lors, plus besoin de se demander quelle découpe employer à
chaque recette. On applique ce principe élémentaire de surface
d'échange; et au plus on veut le goût, au plus on coupe petit.
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IV. Découpe des viandes
Evoquer la découpe de la viande n'a pas de sens si on ne met pas en avant la relation qui existe avec
la cuisson et la nature des viandes.
Boeufs, veaux, vaches, cochons et agneaux sont soumis à une règle commune: posséder des morceaux
dits "tendres" et d'autres "durs" qui coexistent et doivent être découpés avec des égards adaptés car
leurs cuissons sont complètement différentes.
Les morceaux "durs" sont en fait ceux qui contiennent plus de collagène et de nerfs que les morceaux
"tendres"; le collagène étant très présent dans les muscles qui travaillent le plus (jarret, collier,...). Cette
grande différence les rend presqu'inconsommables sans une cuisson très prolongée en régime faible et
humide qui transformera les nerfs en une gélatine moelleuse par simple hydrolyse.
Le fait qu'on les découpe souvent en cubes s'explique par le fragile équilibre recherché entre temps de
cuisson et surface d'échange, pour garder le maximum de goût dans la viande.
Avec les morceaux "tendres", c'est l'inverse: peu, ou en tout cas, beaucoup moins de collagène ou de
nerf. Mais souvent plus de gras pour (jusqu'à un certain point) plus de saveurs et de moelleux. Les
cuissons sont alors quasi instantanées et évitent ainsi ces morceaux – presque toujours découpés en
tranche – de devenir "durs" (on ne parle pas des découpes anatomiques en grosses pièces comme le
rôti ou l'épaule). Par ailleurs, cette découpe développant beaucoup de surface, la pièce absorbe
rapidement la chaleur donnée par la poêle avec le risque de faire chuter brutalement la température,
entrainant un relargage d'eau en cours de cuisson. D'où l'importance d'un feu très vif.
L'aile (poulet, canard, caille, pintade, dinde, chapon, ou encore le râble de lièvre), quand elle est
découpée et cuisinée à part, appelle une cuisson limite sinon sa chair riche en eau se dessèche. Il vaut
d'ailleurs toujours mieux couper l'aile après cuisson pour qu'elle conserve (un peu) mieux l'eau et donc
son moelleux.
Quant à la cuisse, plus riche en collagène, quelle soit cuisinée entière ou découpée, elle demande des
cuissons plus prolongées pour être parfaitement moelleuse.
Les découpes fines de poissons aiment les cuissons brusques et très chaudes alors que les grosses
pièces préfèrent un traitement plus doux et plus long. Ces notions globales étant dites, découper les
poissons c'est bien mais les déguster entier, cuits sur l'arête, ça c'est imbattable!
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Le filet cuit sans ses arêtes perd beaucoup de sa saveur naturelle, de son authenticité souvent
masquée par les arômes de cuisson. Aussi, la cuisson à la vapeur, plus neutre, lui convient alors bien.
La darne a l'intérêt suprême de comporter des arêtes qui, à la cuisson, donneront le goût. On les
prépare en coupant perpendiculairement les poissons longs et on les cuit très très rapidement en friture
plate le plus souvent.
Le pavé est la section perpendiculaire du filet d'un long poisson. Assez épais, il cuit plus lentement à
température plus basse, en friture plate, à la vapeur, au four.
L'escalope se coupe en biais sur des filets de poissons longs dont la peau est retirée. Elle cuit quelques
secondes à peine et se délite d'elle-même.
Le dos est la partie supérieure du filet débarrassé de sa peau et de toute la partie ventrale. Le filet
(ou le coeur) du filet en somme que l'on cuit comme le pavé dont il est le rejeton en plus cher.
Le steak est un pavé honteux qu'on cuit souvent en friture plate comme pour du boeuf.
La rouelle, c'est-à-dire une darne géante, que l'on marine parfois est soit cuite rosée au barbecue soit
mijotée en sauce pour en atténuer alors la sécheresse de la plus longue cuisson.
Les cubes, les morceaux sont une découpe pour cuisiner un ragoût, avec les parties grasses souvent.
Les scarifications sont une coupe en entailles du haut vers le bas des deux côtés du poisson pour
permettre un assaisonnement en profondeur et un cuisson bien plus rapide.
Les découpes fines permettent de préparer le poisson en carpaccio cru et plus ou moins mariné.
Les poissons désarêtés entiers le sont, par un professionnel, car ainsi évidés on peut les farcir.
VI. Hacher
Le répertoire français fourmille de chefs-d'oeuvres où le hachage est la clef même du succès. Il faut se
déloger de l'esprit si étroit l'idée de recettes hachées dévolues aux cacochymes ou édentés.
Attention à nuancer le coupé finement du haché. Couper, c'est toujours faire des découpes de
géométriques qui divisent un aliment mais sans en changer, au fond, la nature.
Tandis qu'avec le hachage, le produit subit un cisaillement extrêmement brutal qui en modifie
complètement et la saveur et la texture; on fait décompartimente plus de petite particules et on
change la nature du produit de départ.
Selon les outils, la technique et le temps passé, on peut obtenir des hachages assez différents mais
toujours avec 4 conséquences:
- déclencher les réactions enzymatiques
- libérer des arômes et des pigments (le but même du hachage)
- modifier complètement la texture du produit qui devient autre chose
- produire des petits morceaux (de particules) dont l'hétérogénéité est relative au temps
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Pour savoir comment hacher, une seule règle de base est à retenir: les hachages grossiers sont plus
décoratifs alors que les hachages fins donnent plus de texture et de parfums.
Lorsqu'on hache les viandes, que ce soit au hachoir ou au couteau, on obtient plusieurs conséquences:
- un attendrissement de la viande par la fragmentation des nerfs
- une oxydation très rapide qui justifie qu'on doive manger très rapidement cuit ou surgelé
- un raccourcissement de la conservation, d'où une préparation dans la minute
- un développement de nouvelles saveurs rendues accessibles (goût steak entier><haché)
Les légumes, eux, sont le plus souvent hachés grossiers avant cuisson afin de raccourcir celle-ci. Mais
autrement, on les mixe.
Par contre, cette découpe prend tout son sens avec les aromates qui, en vertu du principe d'échange,
vont démultiplier leur puissance aromatique. Pour autant, les enzymes agissant, il faut vite les utiliser.
VII. Mixer
Malgré les apparences à nouveau trompeuses, hacher et mixer sont des gestes culinaires sans grands
rapports; le hachage paraissant pour une caresse comparé aux furies destructrices du mixage.
Dans le premier cas, on découpe très petit, dans l'autre on fait disparaître, dilacérer, disperser,
pulvériser les cellules-mêmes du produit mixé. C'est alors de la réduction de taille des particules dont il
s'agit qui va s'accompagner de modifications structurales profondes; faisant apparaître toute une
gamme de textures (fine, moelleuse, soyeuse) et de saveurs uniques qu'aucun autre moyen n'autorise.
On mixe très finement des viandes pour préparer ce qu'on appelle des "pâtes fines" (boudin blanc,
gâteau de foie, mousse de foie, farce fine, mousse de jambon, terrines diverses,...) qui contiennent des
protéines, des lipides, de l'eau et de l'assaisonnement. Les cellules une fois "cassées" au mixage libèrent
des phospholipides. Emulsifiants naturels, ils vont alors lier l'eau au gras et à la viande en une émulsion
stable.
En mixant finement la chair des poissons blancs de mer ou d'eau douce à de l'eau, de la crème, des
assaisonnements, de la panade (sorte de pâte à choux sans oeufs), et parfois des oeufs; on obtient
également une émulsion à l'image d'une mayonnaise. C'est en fait l'énergie du mixage qui, brisant les
cellules et libérant les phospholipides, permet la stabilisation "naturelle" de la recette, impossible sinon.
Dans la quasi-totalité des cas, les légumes sont mixés après cuisson. Leurs cellules ne contenant pas
(toujours) de phospholipides, leur dilacération entraine une dispersion très fine de la cellulose et des
amidons qui donne cette texture si particulière des soupes et veloutés. Dans les cas plus rares où les
végétaux sont crus, le but est de récupérer leurs pigments pour colorer sauces et farces, ou exacerber
leurs saveurs qu'on incorpore alors en cours ou en fin de cuisson; s'altérant du coup très vite, on les
consomme ou les cuit sans délais..
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ASSAISONNER
"Dieu a fait l'aliment. Le diable, l'assaisonnement". On n'aurait pas pu mieux résumer les faits...
En effet, si l'aliment est indispensable; l'assaisonnement est – à l'image du plaisir à la vie – un sortilège
essentielle et inutile à la nourriture.
Pour autant, le charme et la magie des épices et aromates se situent moins dans les ingrédients eux-
mêmes que dans les mystères qui jalonnent leur fusion dans les recettes. Mystères qui, une fois
dévoilés, feront percevoir toutes les potentialités, subtilités et avantages de l'assaisonnement.
Certaines épices et aromates sont très violentes et gagnent presque toujours les compétitions, alors que
d'autres sont plus doux. De même, certains ingrédients sont "forts" et d'autres très discrets. Quant aux
cuissons, certaines donnent beaucoup de goûts et d'autres bien moins.
Reste alors – à force de pratiques et de dégustations – à savoir assembler épices et aromates,
ingrédients, et cuissons afin de créer les compétitions que l'on préfère.
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- L'assaisonnement: dans ce cas très répandu, on cherche à ce que l'assaisonnement soit
clairement mis en valeur; l'ingrédient ne devenant plus qu'un support, un faire-valoir tels le
beurre de la sauce beurre blanc ou encore l'huile de l'aïoli
- L'ingrédient principal: l'assaisonnement "disparaît" pour devenir à son tour un faire-valoir, un
écrin dans lequel le ou les ingrédients principaux seront soulignés, magnifiés. Ce cas représente
peut-être bien l'esprit-même de la cuisine française avec des plats comme le civet, le foie gras,
ou encore les quenelles de poissons
- La fusion: dans ce dernier cas, les hiérarchies précédentes sont abolies; assaisonnement et
ingrédients principaux dansent sur un pied d'égalité et toutes leurs saveurs sont distinctement
perçues; comme pour le gratin dauphinois ou la bouillabaisse
En fait, et pour ramener cette éternelle question de l'assaisonnement à peu de choses, il n'existe qu'une
interrogation réelle; celle du résultat visé. De quoi la recette doit-elle parler? Pourquoi tourne-t-on le
moulin à poivre? Pour la saveur du poivre, celle de la splendide côte de boeuf, ou les deux?
Une fois la décision prise, ne se pose plus que la question de la délicate réalisation.
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IV. Méthodes d'incorporation
Ici encore, il faut bien se poser la question du résultat attendu pour choisir une méthode plutôt qu'une
autre. Pour autant, ce choix dépend plus de la nature du produit, de ses contraintes de cuisson que de
la manière dont on voudrait vraiment incorporer. Toujours est-il qu'on recense en cuisine 6 modes
d'incorporation des assaisonnements:
- L'infusion: pas très souvent employée malgré tous ces mérites; elle consiste à faire chauffer un
liquide auquel on a ajouté épices et aromates, surtout sans faire bouillir, puis de laisser aller les
saveurs du plus vers le moins concentré pendant un temps. En ne dépassant pas – en principe
– les 90°C, on ne dénature pas trop les saveurs (crème pâtissière/anglaise, béchamel, jus au
thym)
- La décoction: malgré les apparences, cette vedette de la cuisine ne ressemble pas à l'infusion
car, ici, le liquide est en ébullition. Ce qui entraine 3 choses: une dénaturation des saveurs, une
homogénéisation des saveurs par l'évaporation/concentration, et une plus grande compétitions
aromatique par la création de saveurs de cuisson (tous les plats en sauce mijotés, les soupes)
- La distillation: on place des épices et aromates dans de l'eau qu'on porte à ébullition et dont les
arômes – entrainés par l'évaporation – vont subtilement parfumer le produit qui est exposé
(pavé de bar cuit dans les algues, poisson vapeur au thym)
- Le saupoudrage: technique la plus simple et la plus naturelle, elle n'altère pas les épices. Selon
que la cuisson intervienne aussitôt ou non après saupoudrage, les saveurs de l'assaisonnement
auront ou non le temps de pénétrer de quelques millimètres le produit; créant ainsi des "zones
de contraste" avec une surface très assaisonnée voire saturée, alors que l'intérieur reste neutre
et ne développe que les saveurs propres au produit (poivre sur le steak, curry sur le poulet)
- La macération: réalisée avec ou sans liquide, elle revient au fond au saupoudrage sauf que le
produit est laissé un long moment en contact avec les aromates avant cuisson. Selon la
composition de l'assaisonnement, la macération entraine une pénétration plus ou moins
profonde des saveurs; mais surtout une modification de la surface du produit qui, en cuisant,
développera des saveurs impossible à obtenir autrement (saumon mariné, râble de lièvre)
- L'incorporation directe: elle concerne toutes les recettes dites 'texturées" (coupées fin, hachées,
mixées) dans lesquelles ont incorpore une variété donnée d'épices et aromates. On le fera
avant cuisson pour faciliter la diffusion, ou après pour éviter les déperditions. Leur usage
dépendant essentiellement de la manière dont les saveurs vont se diffuser, mettre les épices et
aromates dans l'eau de cuisson les diluera, risquera de les affaiblir et les dénaturera (purée,
mousse, terrine)
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V. Synergies et antagonismes
Quel assaisonnement choisir sans se tromper, pourquoi telle épice et pas celle-ci, pourquoi cet aromates
et pas un autre? Nul ne sait élucider tous les mystères ni édicter des règles définitives. Au plus peut-on
tracer quelques pistes pour éclairer cette délicate question.
Il importe surtout de savoir que plusieurs étapes se sont
succédées, que ce que nous connaissons aujourd'hui de la cuisine
française est assez récent et nous vient de grands chefs qui ont,
à leur façon, codifiés l'usage des épices et aromates. C'est
d'ailleurs toujours autour de ces canons que nous nous
déterminons pour choisir et apprécier tel ou tel assaisonnement.
En fait, personne ne sait pourquoi certaines associations sont
récurrentes et pourquoi d'autres rarissimes dans le répertoire des
recettes. Il semble que le goût français se soient constitués, sur les
150 dernières années, en mettant en avant certains associations
et en en éliminant d'autres; créant ainsi la marque même d'un
style culinaire donné, son ADN en quelque sorte. Sur cette base,
tout choix d'un assaisonnement sera jugé comme orthodoxe ou
original, iconoclaste.
Dès lors, la question du "bon" ou "pas bon" à laquelle on associe
naturellement les assaisonnements en fait une "fausse" bonne
question pour la simple raison qu'elle est pestrsonnelle. Alors que
les règles qui structurent l'assaisonnement, elles, forment un
patrimoine commun, une boussole par rapport à laquelle nous
pouvons nous orienter. Et donc décider pour créer de vrais effets
de surprises... ou de conformismes!
Bref, la question du "bon" sera toujours relative alors que celle de
l'originalité (ou du conformisme) bien réelle.
Si l'on cuisine majoritairement des recettes françaises et que l'on se conforme à leur esprit, on
remarque rapidement que la cuisine française est ainsi faite: peu d'épices utilisées en combinaisons, et
ne dépassant que rarement le chiffre 4 alors qu'on en dénombre (hors combinaisons) plus d'une
centaine. Cela vient du génie même de la cuisine française d'avoir su "inventer" des saveurs par le
geste (découpes et cuissons) sans avoir à ajouter moult épices et aromates. Une certitude toutefois:
rien ne l'est...
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Bien que le sujet soit littéralement sans fin, il y a quelques principes de base quant à son dosage:
- Les préparations servies en faible quantité et qui accompagne sont dans la pratique sur-salées
(sauces). A l'inverse, celles consommées en mode répétitifs (soupe, velouté) doivent être sous-
salées car sinon elles seront vite jugées "trop salées".
- Le sel, pour être bien perçu en cuisine, doit être dans un milieu "aqueux" (riche en eau). Ainsi,
les aliments gras (sauces, foie gras) salés "normalement" sont souvent perçus comme fades car
leurs lipides emprisonnent le sel qui devient moins perceptible au palais. Tandis que les légumes
cuisinés (sauté, bouillis, braisé) favorisent une dissolution du sel et donc sa "disponibilité" pour
être perçu; c'est pourquoi ils gagnent à être salés avec modération.
- Déposé sur du poisson cru ou de la viande, le sel assèche doucement le produit qui peut après
coup paraître très salé. D'où la recommandation de ne pas saler trop à l'avance ces produits;
même s'il existe des exceptions à ce principe comme avec les poissons à chair blanche plongés
en saumure.
- Et que dire encore des pâtes à tarte, des blancs d'oeufs, de l'eau des pâtes,...
A côté du fait qu'il y a sel et sel (gris, blanc, de mer,...), la subtilité de la granulométrie (taille des
grains) est très importante car elle va conditionner, dans de nombreux cas, la manière dont la saveur
"salée" se diffusera dans la recette et sera finalement perçue:
- Fleur: elle offre l'avantage de fondre très vite mais aussi de rester croquante juste avant. On
les utilise donc plus en finition pour profiter des contrastes de saveurs et de texture
- Gros: même avantage que la fleur mais de manière beaucoup plus rustique et caricaturale, il
s'utilise pour saler des eaux de cuisson en raison de la facilité de dosage
- Fin et principe d'isosaveur salée: c'est le bien nommé sel de "table" qui, du fait de sa fonde
rapide, se retrouve très équitablement réparti sur les produits. C'est ce qu'on appelle
l'isosaveur salée de surface.
Alors faut-il saler avant ou après cuisson? Eternelle question insondable. Mais disons que si l'on aime
l'isosaveur salée (salé partout), on sale avant cuisson; si l'on préfère les contrastes zones salées/neutres,
on sale après.
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CUIRE
Si les découpes sont ardues et les arcanes de l'assaisonnement infinis, les mystères de la cuisson
éclipseront tous les autres! Féru géomètre avec les découpes puis alchimiste dès qu'il assaisonne; le
cuisinier se métamorphose en magicien quand vient le moment des cuissons, véritable Graal de la
cuisine, si délicates et capricieuses...
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et tissus conjonctifs, plus nombreux), protéine qui demande pour se dénaturer (hydrolyser est le bon
terme) beaucoup plus de temps et surtout à température bien plus élevée (min 90°C).
Le cas des poissons est assez comparable avec toutefois des subtilités, à commencer par la plus
grande présence d'eau qui induit une cuisson plus rapide. Puis des collagènes plus "tendres" qui se
ramollissent bien plus vite. Enfin, la cuisson entraine une coagulation – dans l'idéal partielle pour ne pas
rendre le produit sec – qui s'accompagne d'un changement naturel de couleur de la chair, d'ailleurs
indicateur fidèle de sa cuisson.
Tout légume subit à la cuisson deux effets – plus ou moins
perceptibles selon les cas – distincts et qui justement des signes
de la bonne cuisson (ou non). La perte de volume due au
"déballonnement" des cellules végétales vivantes qui sont
comme gonflées de l'intérieur; cela s'obtient par cuisson brève,
c'est-à-dire le blanchiment. Et ensuite le ramollissement produit
par une cuisson plus prolongée car c'est la chaleur qui va
dénaturer la cellulose et les pectines des parois du légume.
En ce qui concerne les légumes secs, certains doivent être
réhydratés avant cuisson tant leur péricarpe est dur et sans
quoi il resteraient secs; ce qui, en plus, favorise leur digestibilité.
D'autres comme les lentilles, n'en ont pas besoin car l'eau les
pénètre par de minuscules capillaires (cuisson/hydratation
synchrones). Il est important de ne pas ajouter de sel et de
prévoir beaucoup d'eau tout en démarrant la cuisson à froid
pour que certaines protéines indésirables dans l'eau et forment cette mousse en surface. Durant la
cuisson, on observe donc une dénaturation des protéines, un ramollissement (cellulose), un gonflement
de l'amidon, et bien sûr une réhydratation.
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IV. La réaction de Maillard
Le chimiste Louis-Camille Maillard donna ce nom à la succession de réactions chimiques
particulièrement complexes et non encore complétement élucidées qu'il découvrit.
Résultat de l'association et de la dégradation par la chaleur, dans des conditions précises, de sucres
réducteurs et d'acides aminés, la réaction de Maillard produit, in fine, un brunissement "non
enzymatique" et des arômes spécifiques dits de cuisson.
Aussi ardue à appréhender que banale – mais essentielle – en cuisine, on la pratique au quotidien; des
tartines grillées à l'entrecôte sur la poêle. Prenons d'ailleurs cette entrecôte en exemple:
On la pose sur la poêle brûlante (de préférence sans revêtement antiadhésif), aussitôt la couche en
contact direct avec la chaleur se transforme. Les acides aminés et les sucres se combinent en perdant
de l'eau pour former (selon des principes d'une stupéfiante complexité) une "base de Schiff".
Les pertes en eau se poursuivant, les sucres et acides aminés se dégradant de plus en plus à la
chaleur, se forment alors des "précurseurs aromatiques" ou encore "composés de Heynes et Amadori".
Ces composés, toujours soumis au feu intense, donnent naissance à des composés d'arômes d'entrecôte
poêlée à faire saliver un mort ainsi qu'à une superbe couleur typique.
Toutefois, la bonne conduite de cette réaction (et sa réussite) est très dépendante des conditions dans
lesquelles la réaction se produit (ou non) dont voici les secrets:
- Couple temps/température: un chauffage trop court et/ou pas assez vif, la réaction ne peut
s'enclencher; le produit cuit, "coagule", mais ne dore pas. D'ailleurs un feu vif (130°C) est
indispensable au démarrage
- Remuer ou pas: il faut du temps pour que la réaction s'enclenche; on ne remue donc pas
frénétiquement le produit. On laisse les choses se faire et on ne commence à intervenir, remuer,
retourner que lorsque la surface est colorée; sinon elle coagulera avant
- Humidité: viandes et poissons contiennent suffisamment d'eau pour déclencher une réaction.
Mais cela devient très compliqué si la surface s'est desséchée (mal emballé dans le frigo) ou s'il
a trop d'eau (eau dans la poêle, jus rejeté par la viande trop peu saisie) ou trop de produits en
même temps qui cuisent
- Sucres: indispensables à la réaction, on n'en a aucune prise. Ils doivent se trouver naturellement
dans le produit même (c'est heureusement le cas) et ne peuvent être ajoutés.
- Acides aminés: tout comme les sucres, on n'a aucun effet dessus car ce sont ceux de la viande
ou du poisson traité
- Acidité, PH: elle joue comme un frein aux réarrangements sucres/acides aminés en dénaturant
la surface du produit (typiquement le cas d'une marinade)
- Etat des protéines: si, pour une quelconque raison (coagulées par cuisson, dénaturée par
marinade acide), elles ont été dénaturées, elles ne pourront plus se combiner aux sucres
- Fraicheur et qualité des produits: condition indispensable sans quoi on aurait un produit plein
d'eau, dont la dégradation a déjà commencé sous l'action des micro-organismes et des
réactions enzymatiques, rendant le délicat équilibre sucres/acides aminés caduque
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V. Cuisson par conduction
Cette cuisson est des plus fréquentes en cuisine et concerne tout ce qui est solide. Son principe enfantin
est qu'un flux de chaleur (très doux, moyen ou élevé) est généré (un feu, une plaque, un four),
transmis au récipient de cuisson (casserole, poêle, cocote, etc), puis – après avoir traversé le métal –
traverse les aliments mis à cuire grâce à l'eau qu'ils contiennent.
Tout l'art du cuisinier aguerri est ensuite de savoir gérer la notion de gradient thermique selon qu'il
souhaite obtenir une isocuisson ou un contraste. Un gradient thermique est en fait la différence de
température entre le point le plus chaud et le point le plus froid. Il en existe 2 types en cuisine:
- Entre la surface de cuisson et l'aliment mis à cuire
- Entre la périphérie de l'aliment et son coeur (en dehors de la surface ou du mode de cuisson)
Plus ces gradients seront élevés, plus les différences de cuisson ente périphérie et intérieur d'un aliment
donné seront fortes; soit l'exact contraire de l'isocuisson.
On n'assiste pas, ici, à des "mouvements de matières" au sein du produit mis en cuisson, comme c'est
le cas en cuisson par convection. La chaleur traverse l'aliment solide, le cuit, entraine des pertes
éventuelles (jus) mais lui conserve son intégrité.
Le choix du matériel de cuisson est très important car – au-delà de l'effet relatif de l'intensité du flux
de chaleur – c'est le matériau utilisé, sa conductivité, son inertie, son épaisseur qui ne donnera vraiment
pas le même résultat qu'un autre.
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Ce constat fréquemment rencontré est dû à un gradient de température surface/aliment trop fort, une
viscosité trop élevée, une absence d'inertie thermique du fond de la casserole (trop fin), et surtout à
l'usage d'une convection naturelle (inadaptée, impuissante à brasser suffisamment).
VIII. L'ébullition
Si simple en apparence qu'on en arrive même à l'oublier, cette cuisson bouillie – régie par la
convection et la conduction – s'accompagne de quelques subtilités qui en font tout l'attrait.
L'eau bouillant change d'état (liquide-gaz-vapeur), ce qui implique 3 grandes conséquences:
- Les aliments atteignant progressivement les 100°C, leur propre eau va se vaporiser et les
déstructurer au passage, ce qui est souhaitable dans certains cas (viandes et légumes "durs")
et pas dans d'autres; d'où l'invention de la cuisson pochée pour ces derniers
- Sauf l'eau pure ou l'huile, porté à ébullition, un liquide se concentre toujours; cette
concentration qui donnera plus d'extraits secs, de goût – alors que cuire transforme le produit
pour le rendre comestible – ne doit jamais être subie mais désirée
- L'ébullition est comme une distillation car, avec sa vapeur, de nombreux arômes s'échappent.
Limiter l'ébullition c'est alors limiter la distillation et la perte aromatique. D'ailleurs le couvercle,
utilisé à bon escient, limite aussi ces effets de manière très efficace
Cette cuisson cuit vite et n'évite pas – malgré aux idées reçues – le dessèchement de ses ingrédients,
au contraire, car elle est la seule pratiquement (avec la cuisson poché et la friture profonde) à être
isotherme: toute la surface du produit est exposée à la même température, sans points chauds ou
froids qui pourraient ralentir ce rythme de cuisson qui dissipe beaucoup de chaleur dans l'eau.
L'eau bout ou ne bout pas, elle est à 100°C ou non; du coup, bouillir "plus fort" ne réchauffe pas une
eau déjà en ébullition!
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Une forte ébullition peut toutefois être utile car elle créera du tumulte, du mouvement dans l'eau (qui
va agiter naturellement les aliments qui cuiront tous de la même manière) et/ou accélèrera la vitesse
d'évaporation (donc la concentration des arômes). Alors, oui, en théorie, une eau salée bout plus
chaud mais, avec les ingrédients en plus, le gain en devient négligeable et ne change alors rien à la
cuisson qui devient moins bonne pour la santé car trop salée.
Les fonds et bouillons: traditionnellement à ébullition "douce" et sans couvercle. Le premier point est
avisé pour permettre un maximum d'extraction et donc une cuisson (du moins au début) la moins
concentrée possible, tout en donnant suffisamment de turbulences qui brassent et libèrent les arômes.
Mais du coup, il faut aussi limiter le plus possible l'évaporation qui entraine, de facto, une
concentration; d'où l'intérêt du couvercle posé aux trois quarts qui laisse un exutoire à un peu de
vapeur mais piège l'essentiel qui se condense et retombe.
Les soupes: on fait revenir préalablement les légumes dans du beurre (ou non) puis on lance un
départ à froid pour laisser le temps aux composés d'arômes de se solubiliser dans l'eau en évitant une
évaporation rapide et donc une concentration inutile. Le couvercle ayant, ici aussi, tout sa place.
Les viandes à bouillir: une ébullition "faible" les cuira gentiment (mais pas moins vite; 100°C c'est
100°C) et en extraira les saveurs qui, mises en solution, formeront un superbe bouillon. Alors qu'à une
"forte" ébullition, le gras ne stagnera plus sagement dans un coin mais formera une fausse émulsion
avec les mouvements produits, donnant une vilaine couleur blanchâtre et privant la recette des
bénéfices de la "petite" ébullition.
X. Friture plate
Concernant les cuisons à la poêle, sur plancha ou dans un wok, la friture "plate" est le nom savant de
la cuisson "sautée" dont la légitimité du mot s'explique par le fait que c'est bien une friture puisqu'un
corps gras est (presque) toujours employé, et (pour le terme plat) elle ne concerne que des aliments
d'épaisseur limitée (entre quelques millimètres et 7-8 cm environ).
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Réalisée très souvent à une très forte température (min 180°C), avec un peu de matière grasse, sur
des durées très courtes et en mode "sec", sans liquide, vapeur ni couvercle; c'est une cuisson "par
contact" pendant laquelle 2 phénomènes s'imbriquent:
- Au contact (de la poêle ou de la matière grasse) l'aliment se déshydrate très rapidement et
dégage de la vapeur, ce qui enclenche la réaction de Maillard et toutes ses saveurs de cuissons
- Le film de matière grasse surchauffé n'est pas continu, et – la surface de cuisson n'étant alors
pas parfaitement chauffée de la manière partout (soit par le film, soit par la poêle), pas
isotherme – des parties de l'aliment colorent donc plus vite que d'autres
Cela crée un contraste de saveurs d'une succulence à se rouler par terre: tout le génie de cette friture!
On réalisera des cuissons de "haute intensité" et rapide pour des produits assez fins ou suffisamment
petits. Tandis que, pour des produits plus imposants ou ne supportant pas de trop fortes chaleurs, on
sera sur des fritures plates "de basse intensité" et plus longues.
En terme de choix pour la matière grasse, tout dépend des contraintes: 125/130°C est la chaleur
maximale supportée par le beurre ou le mélange huile/beurre; alors que les huiles à base d'olive ou
d'arachide atteignent les 200°C, tout comme le beurre clarifié (écumé des sucres, protéines, eau, etc).
Pour des produits fins, petits, l'huile est recommandée vu les très hautes températures utilisées; pour les
produits épais ou à basse intensité, le beurre est alors bienvenu.
Par ailleurs, la matière grasse utilisée a aussi un rôle aromatique car, durant la cuisson, elle capte de
nombreux arômes qu'elle restitue par simple contact avec la pièce mise à cuire.
L'arrosage n'est pas nécessaire pour les fritures plates de haute intensité vu leur cuisson rapide. Par
contre, il est tout justifié pour des pièces imposantes car il va en homogénéiser la cuisson et surtout y
redistribuer les arômes qui se sont fondus dans la graisse de cuisson: c'est le principe de "l'auto-
aromatisation".
Encore une fois, cuire et colorer ne sont pas choses identiques: le premier coagule (plus ou moins) des
protéines, alors que l'autre déclenche la réaction de Maillard. Pour autant, et c'est bien là tout son
génie, la friture plate associe les deux concepts pour créer des gradients de cuisson qui donneront, sur
un même produit, des zones très cuites et d'autres moins, des zones caramélisées et d'autres crues,...
La friture de base intensité (pour des produits épais) tendant en gros vers l'isocuisson, alors que celle
de haute intensité (pour des produits fins) s'en éloigne.
En friture plate, les aliments développent un ratio poids/surface spécifique dont la particularité est
d'absorber très vite la chaleur dissipée par la poêle. Tout le danger de cette cuisson est que le produit
absorbe plus de chaleur que la poêle n'en dissipe car alors sa température chute brutalement, les
aliments cessent de grésiller, ne colorent plus, et se mettent à bouillir!
Deux causes à cela: soit la puissance dissipée est insuffisante (on corrige en augmentant le feu), soit la
puissance est absorbée trop vite (trop de produits dans la poêle). La dernière est plus délicate à
percevoir mais retenons qu'il faut, en friture plate, voir le fond de la casserole afin que la puissance
absorbée ne dépasse (en principe) pas celle dissipée. Idéalement, entre 35 et 40% de la surface de
chauffe doit rester libre.
Quant aux sucs de cuisson, le déglaçage (l'ajout soudain d'un liquide en faible quantité) va les
solubiliser et ainsi apporter leurs saveurs à un jus ou une sauce "courte" (si on l'épaissit) qui
deviennent alors l'accompagnement presque obligé.
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pièce qui jouera là-dessus) mais, pour un jus très corsé et sombre, on ira sur un mouillement court à
très court, alors qu'on ira vers un long pour une sauce ou un jus plus dilué. Dans tout les cas, mouiller
a pour effet de passer en régime humide (donc de rabaisser la température à 100°C), le produit ne
risque alors plus de brûler et un jus se forme tout seul, mais par contre la surface dorée se dissout et
disparaît en partie en donnant son goût justement à ce jus.
Quant à la cuisson braisée, elle peut être "à brun" ou "à blanc" selon le degré de coloration du produit
(pas, peu, bien).
Jamais faite dans une poêle (mais en sautoir ou en cocote), la cuisson "poêlée" reprend nombres
d'éléments de la cuisson braisée, avec quelques subtiles différences. D'abord, ce sont souvent les
viandes blanches que l'on poêle. Ainsi, on dore le produit (mais avec retenue), on ajoute des légumes,
puis on enlève la viande pour "pincer" (càd brunir) les sucs de cuisson qu'on va ensuite déglacer avec
un alcool, on fait un mouillement court, puis on replace la pièce de viande, avant de refermer le
récipient d'un couvercle et de cuire à feu doux ou au four.
La cuisson "en ragoût" ressemble aussi à celle braisée mais à la grande différence que les morceaux
sont coupés et que le mouillement est long. Ce fractionnement réduit le temps de cuisson et –
permettant une surface de développement plus grande – favorise les échanges aromatiques entre
viande et jus de cuisson. Ici aussi il existe des ragoûts "bruns" et "blancs".
Définitivement un outil de choix pour les recettes braisées, la cocote (la vraie), fabriquée en fonte, a
une capacité de stockage et de diffusion de la chaleur parfaite car permet des températures soutenues
et très régulières, sans à-coup.
Couvercle ou pas? Si l'on veut un produit très doré avec peu de jus: sans couvercle car les vapeurs
vont s'échapper, le produit colorer et cuire comme en friture plate. Moins doré avec plus de jus:
couvercle car alors la vapeur, piégée, va s'accumuler et faire passer d'une cuisson sec à humide; d'où
température plus basse, produits de la réaction de Maillard "transformés" en jus, passage d'une
cuisson en friture plate sèche à braisée humide.
Four ou feu? Le four permet de chauffer de tous côtés ce qui donne une cuisson très homogène et ne
risque pas d'encalminer le fond du récipient. Un feu très doux est évidemment possible mais il faut
remuer de temps en temps pour créer la convection forcée.
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XII. Rôtir
Cuisson hybride déjà évoquée dans le chapitre rayonnement, voici ici les détails et secrets de cet art
seul à même de sublimer le cru en une succulence dorée dehors, moelleuse dedans et parfumée à s'en
damner...
- La température: 180°C est la température assez haute pour dorer les aliments et suffisamment
basse pour ne pas les martyriser. Enfin, cela reste relatif car, en fonction du type de four (plus
sensible dans un four à chaleur tournante) et de l'humidité dans le four (légumes et autres qui
amènent de la vapeur), il faudra ajuster (mais avec prudence) cette valeur.
- L'assaisonnement: si on souhaite que les saveurs de l'assaisonnement se fondent avec celles de
la pièce rôtie, on assaisonne avant cuisson. Sinon on fait l'inverse, voire même les deux dans les
proportions que l'on choisit.
- Huiler: à l'interface "air chaud du four/surface du produit" se produit une fine couche de
vapeur d'eau qui limite la coloration. Aussi, huiler avant cuisson (avec tact) d'un léger film est
donc vivement recommandé et ce pour deux raisons même: ce léger film va chauffer bien plus
vite et fort que la vapeur d'eau, et – l'huile étant un merveilleux "solvant" – une foule de
composés d'arômes vont s'y fixer pour se retrouver dans les bouchées que nous mangerons.
- En friture plate: une pratique courante des chefs est de colorer le produit par une courte
cuisson en friture plate de haute intensité avant de l'enfourner, ni vu, ni connu, pour un résultat
garanti.
- L'arrosage: à faire et plutôt deux fois qu'une! Non pas que cela "nourrisse" la pièce rôtie
(fausse idée reçue car la vapeur sortant, la graisse fondue ne sait y pénétrer), mais ça en
favorise la coloration et redistribue sur la viande tous les composés aromatiques solubilisés dans
la matière grasse et le jus.
- Le ficelage: il permet de donner au rôti un diamètre plus régulier qui facilite forcément sa
cuisson. Dans le cas du poulet, s'il n'est pas bridé (c'est le terme), l'air chaud rentre dans la
volaille par l'abdomen et le cuit ainsi plus vite (de ¼ de temps) mais sa présentation est moins
académique et un rien indécente.
- La barde: dans les faits, la barde de porc employée ne peut en rien "nourrir" le rôti ni le
"protéger" de la cuisson, et encore moins éviter son dessèchement. C'est en réalité pour faire
beau et faire tenir un rôti constitué de plusieurs morceaux.
- Le repos: sans conteste, c'est mieux, inutile d'en dire plus. Sauf peut-être que ce principe peut
être détourner: c'est la cuisson par inertie où l'on fait rôtir une viande en insistant sur sa
coloration en stoppant la cuisson aux ¾ de sa valeur! Aussitôt, on emballe la pièce dans du
papier cuisson, puis 2-3 essuies, et on l'oublie 20 bonnes minutes. La chaleur emmagasinée va
terminer la cuisson en lui donnant une jutosité unique. Le hic: la difficulté d'exécution est élevée!
- Le jus: ce terme regroupe différentes choses: le jus endogène et le jus exogène/cuisiné. Le
premier de couleur souvent rouge (improprement nommé sang) est celui qui s'échappe
naturellement de la viande rôtie et n'est pas vraiment cuisiné. Le second, lui, est la délicate
préparation réalisée, après rôtissage, à même la plaque de cuisson en solubilisant les sucs par
déglaçage puis en les concentrant par courte ébullition. On peut aussi obtenir ce jus de cuisiné
avec des os et parures de viande classiquement par une réaction de Maillard, déglaçage,
extraction par cuisson mouillement, puis concentration par ébullition.
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XIII. Le matériel de cuisson
Quelques matériels de cuisson – dont on peut avoir la faiblesse de croire qu'ils ont quelque utilité en
cuisine – sont présentés page 87. Il faudra sans doute hériter, hypothéquer la maison ou dilapider tout
l'argent du ménage, mais qu'importe, le (ré)confort de cuisiner sans entraves paiera en retour.
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- Sauces cuites: beaucoup sont réalisées en cuisant et colorant des légumes aromates parfois
additionnés d'os/arêtes. On y verse ensuite un vin dont l'eau solubilise les sucs de cuisson,
avant d'ajouter (une fois l'alcool évaporé) le "corps de sauce" (fond, fumet, bouillon, eau). Suit
une cuisson en ébullition lente, puis une filtration, une concentration (plus ou moins poussée),
pour finir par un épaississement en ajoutant de l'amidon ou de la farine. Enfin des finitions très
diverses (apportant longueur et suavité) sont réalisées soit sur la saveur (alcool fort, épices,
aromates, vinaigre), soit la texture et collatéralement le goût (beurre).
- Sauces émulsionnées chaudes: typiquement une sauce béarnaise où l'on chauffe (au bain-
marie ou à feu très, très doux) des jaunes d'oeufs tout en les battant très fortement (afin
d'emprisonner de l'air) pour former une mousse. Battage qui crée alors des mouvements de
convection permettant à la mousse de cuire de façon homogène. Ensuite et toujours sous
agitation, on ajoute du beurre fondu ou clarifié qui va former, s'il ne dépasse pas les 50°C, une
émulsion grâce aux phospholipides cédés par les jaunes d'oeufs. Toute la difficulté réside dans
le fait que 2 processus presque simultanés sont à l'oeuvre: foisonnement et semi-coagulation; si
la chaleur est trop élevée, le jaune coagule sans foisonner; si elle est trop basse, la mousse reste
crue. On assaisonne au début par une réduction acide à base d'échalote, poivre et vinaigre;
ainsi qu'à la fin avec du sel (en surdosage car sa perception est freinée par la richesse et
l'aération de la sauce) ou d'autres aromates encore selon les variantes.
- Viandes en sauce: mis à part les produits mixés, les viandes en sauce représente sans doute un
des milieux les plus complexe. Préparées comme les sauces cuites, on coupe en morceaux la
viande (et les légumes), on fait revenir et colorer, on déglace et recouvre d'eau ou de fond.
Suit une longue cuisson en ébullition lente et à niveau constant. Puis viennent liaison et finitions
diverses. On aura aussi éviter le sel au début pour favoriser la diffusion aromatique.
- Viandes braisées et poêlées: ici, la viande est assaisonnée, colorée à découvert puis mise à cuire
(avec ou sans liquide qui, quand c'est le cas, doit être utilisé en faible quantité) accompagnée
de garnitures aromatiques. Le couvercle (obturant ou semi-obturant) est mis en place afin de
passer en régime humide, et suit une longue cuisson en conduction à basse intensité où les sucs
de cuisson vont se fondre dans le jus de cuisson.
- Viandes et poissons au four: on est dans une cuisson hybride où l'assaisonnement avant
cuisson se fond avec les saveurs du produit mis à cuire (iso-assaisonnement); tandis qu'ajouté
après il apporte plus de relief. Sur la plaque ou le plat de cuisson se trouvent des sucs qui
peuvent être déglacés et concentrés en un jus. Un temps de repos avant découpe est
bénéfique, et il est possible d'effectuer une cuisson par inertie.
- Viandes et poissons en friture plate: on recherche souvent, pour ces pièces à la fois petite et de
faible épaisseur, de forts gradients de température (sauf pour les poissons en général) obtenus
par une intensité de chauffe élevée (mais pas toujours) qui opère sur une surface non
complètement recouverte. Pour une mise en relief, on assaisonne après cuisson, sinon, fait
avant, un obtient une fusion aromatique.
- Pâtes "fines": ces recettes sont mixées très finement (mousselines) avant d'être cuit par pochage
ou après moulage. La matière première doit être glacée (dans un congélateur un temps limité)
avant l'élaboration car le mixage échauffe vite la masse, ce qui dénature les protéines (d'où
rattage de la recette). Le sel est mis au début puisqu'il solubilise une partie des protéines
rendant ainsi l'incorporation de la crème sans risque d'échec (étant une émulsion, la matière
grasse doit être stabilisée dans le milieu). Les assaisonnements suivants n'ayant qu'un rôle
aromatique, on les met au début ou à la fin, sans importance technique. Quant à la cuisson,
elle se fait souvent en moule fermé, à température faible (isocuisson lente) afin d'éviter tout
changement de phase de l'eau retenue dans la mousse qui transformerait la mousseline en une
masse grumeleuse.
En conclusion, le savoir théorique – ce quelque chose qui peut faire basculer la préparation quelconque
à la réussite – ne doit pas prendre le pas sur l'inspiration, l'improvisation et l'imagination.
Ne succombons donc pas au syndrome du mille-pattes qui, après des années d'une vie normale, se
met à trébucher parce qu'on vient de lui apprendre comment c'est difficile de se déplacer avec mille
pattes et d'en coordonner tous les mouvements.
Les cuissons, en cuisine, se pensent, se réfléchissent mûrement mais aussi, et surtout, se ressentent et se
vivent...
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