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Annales de Géographie

L'Islam dans l'Afrique occidentale d'après l'ouvrage de Mr. le


Chatelier
Henri Busson

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Busson Henri. L'Islam dans l'Afrique occidentale d'après l'ouvrage de Mr. le Chatelier. In: Annales de Géographie, t. 9,
n°45, 1900. pp. 269-273;

doi : https://doi.org/10.3406/geo.1900.6249

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1900_num_9_45_6249

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ISLAM DANS AFRIQUE OCCIDENTALE 269
dans ces régions Les derniers télégrammes re us du Nil Blanc annoncent
une baisse eau sans précédent dans ce cours eau Au gué Abou-Zeid
190 milles au Sud de Khartoum eau était la nn de décembre si peu pro
fonde que les barques ne pouvaient passer grande difficulté Dans les
premiers jours de janvier une autre interruption de la navigation était
signalée Gabalain environ 40 milles plus au II faut remarquer que
ces renseignements sont extraits un document officiel émanant du Service
des Irrigations qui ne saurait être taxé exagération pessimiste Au reste
ledit Service en conséquence de ces faits vient de prendre des décisions
une extrême gravité Comme les eaux sont insuffisantes pour satisfaire
aux besoins de toutes les cultures toutes les eaux irrigation seront réser
vées pour le coton les cultures alimentaires des indigènes riz et maïs sont
tout simplement et radicalement sacrifiées Quel que soit intérêt écono
mique de la culture du coton et quelle que soit importance des capitaux
européens ou des fonds tat dont le sort est lié cette culture il est per
mis de se demander si au début de la crise très grave que va traverser
Egypte et qui aboutira la famine il eût pas été plus sage de se rap
peler que le coton ne suffira pas nourrir les fellahs

ISLAM DANS AFRIQUE OCCIDENTALE

APR OUVRAGE DE Mr LE CHATELIERl

Maitresse la fin du xixe siècle de la Berberle du Sahara et du Soudan


musulmans la France devait se préoccuper sérieusement des dangers que
pouvait faire courir sa domination Islam dépouillé de la puissance
politique mais resté inattaquable sur le terrain religieux La connaissance
des doctrines des tendances et de organisation musulmanes était de pre
mière nécessité pour orientation de notre politique africaine Aussi bien
les officiers et les arabisants Algérie se mettaient-ils promptement uvre
En 184& le capitaine de Neveu publiait ses Khouan en 1884 Mr le Comman
dant Rinn reprenait la question dans Marabouts et Khouan en 1897 le Gou
vernement Général de Algérie faisait composer par MM Depont et Coppolani
un grand ouvrage sur les Confréries Religieuses Musulmanes
Mr Le Chatelier qui avait déjà publié en 1887 un travail fort remar
quable sur les Confréries musulmanes du Hedjazs vient par son Islam dans

LE CHATELIER Islam dans Afrique occidentale Paris Steinheil 1899 In-8 tv --


376 p. pl cartes 10
DE NEVEU Les Khouan ordre religieux dies les Musulmanide Algérie Paris G-uyot 1846
RINN Marabouts et Khoiian Alger Jourdan 188-1 DEPONT et COPPOLANI Les Con
fréries religieuses musulmanes Alger Jourdan 1897 II taut citer aussi BROSSELARD Les
Khouan er 1859 EBNEST MERCIER Studes sur la confrérie dra Khouan de Sidi Abd-el-
Kader-el-Djilani 1871 RENK BASSET Mélanges iiistoire et de littérature orientales Louvaia
1888 Beaucoup de renseignements intéressants se trouvent naturellement encore dans les
récits de BARTH de BIN6ER dans le livre HANOTEAU et LETOURNEUX sur La Kahyliii etc
LE CHATELIEB Les Confréries musulmanes du Hedjas Paris Leroux 1887
270 NOTES ET CORRESPONDANCE
Afrique occidentale de fournir encore une importante contribution ces
études histoire et de politique religieuses Plusieurs voyages dans Afrique
occidentale ainsi que des rapports fréquents avec les officiers du corps oc
cupation1 permettaient Mr Le Chatelier de appuyer sur de nombreux
documents inédits et de faire uvre véritablement nouvelle ce est pas un
mince mérite que avoir su apporter un peu ordre et de clarté dans cette
extraordinaire complexité des races et des religions soudaniennes il
lieu seulement de regretter que auteur ait cru devoir reléguer la un du
volume une bibliographie par trop sommaire en abstenant de toute cita
tion précise dans le cours de ouvrage
histoire de Islam africain se trouve intimement liée histoire des
races africaines la marche de leurs migrations et de leurs conquêtes Le
Chatelier commence par étudier le pays et le sol où évoluèrent ces races
19-32 Il distingue dans Afrique occidentale un certain nombre de
régions que on jugera peut-être assez mal dénommées et individualisées
région saharienne région côtière région des hauts plateaux région du haut
fleuve région soudanienne région méridionale Mr Camille Guy2 que au
teur cite comme source unique avec Mr Elisée Reclus avait donné une
description beaucoup plus claire et beaucoup plus scientifique le rôle de la
forêt equatoriale dont le fouillis inextricable servi de refuge aux nègres
fétichistes et qui se présente si souvent comme la limite de la pénétration
musulmane pas été suffisamment mis en lumière par Mr Le Chatelier
Cette esquisse de géographie physique est ailleurs une sorte de
préambule au long chapitre ethnographique 33-126) préface lui-même
de étude religieuse 127-340 auteur en abordant les délicats problèmes
que soulève étude des races africaines pas oublié combien il était
malaisé de trop préciser en cette matière travers les vastes étendues
sahariennes et soudaniennes où nulle barrière montagneuse ne se dresse en
obstacle aux envahisseurs les peuples se sont heurtés dispersés mêlés
confondus la linguistique apporte un faible secours aux ethnographes
la recherche des noms de famille paraît souvent de médiocre utilité Barth
Rohlfs Faidherbe Vincent Pietri Bayol Quintin3 et bien autres ont
raconté leurs hésitations et leurs incertitudes Mr Le Chatelier tient compte
de ces difficultés et insiste 06 61 74-7;) sur le métissage général des
peuplades sahariennes comme soudaniennes
Au Sahara est le mélange des sangs berbère et arabe qui se trouve
origine des populations actuelles Les Arabes ne pénétrèrent abord au désert
que par infiltration lente notre xie siècle ils restèrent les mission
naires souvent pacifiques de Islam Interrompu un instant par le réveil de
la nationalité berbère leur mouvement reprit avec une intensité plus grande

Mr LE CH-VTELIER cite deux ïî dans son Avant-Propos celai du capitaine AUDEOUD


qui lo premier assura la jonction du Soudan et de la Guinée et celui du commandant DES-
TBNAVB un des liommes qui connaissent le mieux les langues les races et les sectes du Niger
Moyen
C.GUY Les résultats /éographiques et économiques des explorations du Niger Bull Comité
Afrique fr. IX 1899 Suppi. 1-48)
BA.RTH Reisen und Entdeckungen Nord-und Central-Africa IV 145 RoubFS Quer
durch Africa II 155 FAIDHBRBE Notice surla colonie du Sénégal 57 VINCENT üull
Soc Géog Paris Ge série 18ül PI TKI Les Fran ais au Niger Bull
Soc GéoiJ Paris 7e série II 1881 125 QUINT Ibid. 178)
ISLAM DANS AFRIQUE OCCIDENTALE 71
lorsque les califes Fatimites du Caire lancèrent de nouvelles tribus la
conquête de Afrique du Nord au xnie siècle se trouvaient déjà installées
dans le Sahara la plupart des peuplades arabes qui occupent hui
élément arabe sans détruire la race berbère lui imposait dès lors sa
suprématie ethnique et politique Seules conservaient leur unité ethnique les
tribus Touareg dans le sein desquelles se glissait un autre rameau de la
même famille les Kounta venus du Touat Touareg et Ko unta guerroyaient
àia limite du Sahara et du Soudan To mbo ctou dans le cours des derniers
siècles était plusieurs reprises enlevée par eux aux peuples soudaniens
Au Soudan la confusion des races paraît encore plus accentuée au
Sahara ce mot de race ne peut signifier là un ensemble de peuplades
qui forment un groupe naturel par leurs affinités historiques dont les langues
offrent au moins quelque analogie chez lesquelles il existe une certaine
ressemblance du type humain 75 Depuis les travaux remarquables de
Barth et de Binger1 deux grandes races nous apparaissent comme étant
substituées aux aborigènes soudaniens aux Sonrhaï notamment les Mandé
et les Peuls Les Mandé dont la présence est fort ancienne au Soudan
subirent dans la suite des âges des mouvements allernatifs de groupement et
de désagrégation qui rendirent extrêmement nombreuses les subdivisions de
la race primitive Restés idolâtres au xie siècle les Mandé se convertis
saient partiellement cette époque et devenaient les propagateurs de Islam
au Soudan Depuis lors les progrès etles reculs de Islam coïncident avec la
naissance et la mort des grands empires soudaniens est abord pen
dant cent cinquante ans hégémonie des Mandé de Mali qui succombent au
xve siècle sous les coups des Sonrhaï de Gogo puis les Marocains refoulent
les Sonrhaï et établissent la fin du xvie siècle sur les rives du Niger saha
rien
partir du xviie siècle le fait capital des annales soudaniennes est in
vasion des Peuls race dont les origines et les caractères ont fait objet de
tant hypothèses aussi peu fondées les unes que les autres tablis solide
ment dans le Fouta-Toro le Fouta-Djallon et le Haoussa les Peuls deviennent
au xvine siècle conquérants et apôtres apôtres de ces croyances mystiques
ou hagiologiques venues de Egypte et de Orient qui ont provoqué dans le
monde musulman une véritable renaissance religieuse
La partie peut-être la plus neuve de Islam dans Afrique occidentale est
celle dans laquelle auteur étend sur les progrès de cet Islam mystique
dont les principaux représentants soudaniens se rattachent deux puissantes
écoles école des Kadriya et celle des Tidjaniya2 Les Kadriya dans évo
lution moderne de Islam personnifient la fois un groupe ethnique celui
des peuplades arabo-berbères et une tendance politique celle de la paix
de rares exceptions près ils agissent plutôt par la persuasion par la diffu
sion de enseignement que par la conquête fp 158 il suffit de rappeler
un de leurs chefs Sid Ahmed el Bekkay de la tribu des Kounta fut le
protecteur de Barth Sans doute Samory affilia aux Kadriya et confia prin-
Voir aussi MIZON Les royaumes Foulbé du Soudan central Ann de Géog. IV. 1894-
1895
MM DEPO et COPPOLANI écrivent Qadrïa et Tidjanïa Il est regrettable que les arabi
sants ne puissent entendre pour adopter une orthographe commune
27-2 NOTES ET CORRESPONDANCE
cipaleiïient aux marabouts kadriya le soin affermir la religion des nouveaux
convertis que faisaient ses atroces victoires sans doute les Kadriya Oualata
jouent vis-à-vis da Senegal le rôle que les gens du Touat jouèrent si long
temps vis-à-vis de Algérie mais ce sont là des exceptions il est incon
testable que enseignement des Kadriya ne nous est pas hostile 287)
Le Tidj anis rne au contraire qui introduisit au Soudan parElhadj Omar
devint avec les Peuls une doctrine intolérance et de guerre longuement
Mr Le Chatelier raconte les luttes du prophète et de son fils Ahmadou contre
les Mandé fétichistes contre les Bekkay Kadriya de Tombouctou contre les
Fran ais enfin
hui Islam se trouve en présence un facteur désormais
immuable de son évolution occupation européenne 255 Mais partout
vaincu le musulman perdu nulle part espoir de la revanche affranchi
des castes guerrières qui ont pas su lui donner la victoire il est jeté
corps et âme dans ces trouq confréries mystiques dont les ramifications
étendent de Atlantique au Gange
Quelle est exactement organisation de ces Khouan frères) Quelle poli
tique la France doit-elle adopter leur égard Mr Le Chatelier ne fait pas
ces questions la même réponse que école algérienne MM Depont et Cop
polani attribuent aux confréries musulmanes un caractère associations
fortement constituées ils nous disent les liens étroits qui unissent le cheikh
chef de confrérie son lieutenant le khalifa ou naib ses émissaires les
moqaddim ases adeptes les Khouan derouich faqir ashab etc ils nous
montrent groupés autour de la zaouïa tout la fois tombeau un saint
marabout chapelle couvent école et auberge) Voukil intendant le naqib
directeur des prières et les tolba abord néophytes plus tard instituteurs
sorciers et médecins ils nous dénombrent les ressources financières la
sadaqa dîme régulière les ziara offrandes occasionnelles etc et les con
fréries nous apparaissent ainsi comme de véritables tats dans tat comme
des sociétés secrètes toujours prêtes la lutte contre infidèle Mr Le Chate
lier rectifiant les idées que lui-même avait développées dans ses Confréries
du Hedjaz estime que les théories de école algérienne peu près exactes
en Algérie non comme énoncé mais comme résultante ne doivent pas
ailleurs être prises au pied de la lettre;. les Kiiouan un ordre quelconque
ne sont pas plus nécessairement les affiliés une conjuration permanente
que les dévots de saint Antoine dePadoue;. immense majorité des Kadriya
soudaniensJ ne mérite le titre de-K/iouan que par une simple filiation ensei
gnement exclusive de tout lien hiérarchique défini 333 16 12)
De là des conclusions opposées du moins en apparence Tandis que
MM Depont et Coppolani veulent placer toutes les confréries musulmanes
sous la tutelle fran aise et canaliser notre profit leur influence politique
Mr Le Chatelier demande que on adopte égard de Islam soudanien une
attitude extrême réserve Il est vrai au Soudan le Christ et Mahomet ne
se trouvent pas seuls en présence impuissants un et autre empiéter sur
leurs domaines respectifs dans cette partie quise joue entre islamisme
et le christianisme il un enjeu de valeur est le nègre fétichiste Mr Le
est intéressant de comparer les cartes des religions soudanienncs de Mr BINGER Ili
399 et do Mr Lu CllA.TELHiR VaGj
L'ISLAM DANS L'AFRIQUE OCCIDENTALE. 273
Chatelier reconnaît que la lutte n'est pas égale ; « partout où il y a action
simultanée de la force chrétienne et de la force musulmane, celle-ci
l'emportera; cela tient à une grande cause, générale, absolue : entre ce qui
convient à l'àme nègre, ce qui lui est assimilable, et ce qui répond aux
aspirations de l'àme européenne, il existe un abîme de cinquante, cent siècles
peut-être; l'Islam est plus près de l'animalité des nègres, et l'emporte »
(p. 350-351) *. Ne'anmoins, taut que le fétichisme et le christianisme auront
encore leur mot à dire dans ce Dav el harb (terre infidèle) soudanien,
l'auteur proteste contre tout encouragement tacite donné à l'islamisme; il
consent, d'autre part, qu'au Dar el Islam saharien, qui prolonge en réalité le
Dar el Islam algérien 2, la France s'attache à « bien connaître les rouages
politiques et religieux dont relèvent les çofs, pour les contenir les uns par les
autres ». Et de même que M1' Le Ghatelier admet ainsi l'application de la
politique algérienne, sinon au Soudan, ^du moins au Sahara, de même
Algériens et Français ne peuvent qu'applaudir unanimement aux conclusions
propres que l'auteur formule dans les dernières pages : ce qui constitue la
grande force de l'Islam, ce qui assure sa pénétration, c'est la puissance
commerciale que lui donne sa langue; substituer la langue française à la langue
arabe, comme langue officielle, commerciale et internationale, voilà l'œuvre
qui s'impose en Algérie comme au Soudan.
Mais cette œuvre excellente de propagande scolaire, œuvre de longue
haleine et de lointains résultats, ne doit pas faire oublier que le musulman
fataliste obéit à la crainte plutôt qu'à la persuasion. Quelques coups de force
habilement préparés, comme l'occupation récente d'In Salah, par notre
collaborateur, Mr G.-B.-M. Flamand, qu'accompagnait le naïb des Kadri}ra d'Ouar-
gla, simplifieront singulièrement la politique française à l'égard de l'Islam.
L'Islam est un voisin que l'on ne peut supprimer; il faut donc s'arranger
pour que ce voisin soit le moins gênant possible. Tout en tenant compte des
nuances qui distinguent l'Islam algérien de l'Islam soudanien, l'on ne doit
pas oublier qu'à travers le désert les Musulmans du Niger et du Tell ont des
aspirations communes et des craintes communes. Il eût été déplorable que
la France continuât à avoir deux politiques musulmanes, l'une algérienne,
l'autre soudanienne. L'unité de vues indispensable vient heureusement d'être
établie par la constitution d'une Mauritanie occidentale qu'organisera MrCop-
polani, et par la création, au ministère des Colonies, d'une Section de l'Islam,
que dirigera l'un des officiers qui connaissent le mieux les questions
algériennes, l'auteur, avec Mr de la Marlinière, des Documents sur le Nord-Ouest
africain, Mr le capitaine Lacroix.

Henri Busson,
Professeur au 1згсео de Clermont-Ferrand.

1. MM. Dkpont et Coppolani écrivent, (p. хш; : « Entre la foi musulmane, si simple, si
parfaitement en rapport avec l'existence des noirs, et notre civilisation européenne, le succès de
la partie à engager n'est rien moins que douteux pour nous. »
2. Une fetoua des quatre mufti de La Mecque, rendue ou 1893 à la demande de Mr Jules
Cam bon, a déclaré l'Algérie Bar el Islam, malgré la conquête des infidèles.

.\NN. DE GIÍ0G. — TXC .ANNÉE. !8


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