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Les documents d’urbanisme à l’épreuve de la gestion des risques d’inondations,

étude de cas du Grand Kénitra au Maroc


Karibi Khadija1, Messous Ouafa2
kkaribi@yahoo.fr & messous.ouafa@gmail.com
1
Architecte-urbaniste, Professeure Habilitée, Ecole Nationale d’Architecture, Rabat, Maroc
2
Architecte-urbaniste, Architecte du patrimoine, Ecole Nationale d’Architecture, Rabat, Maroc

Résumé
Les villes marocaines ont eu durant des siècles une histoire sereine avec les cours d’eau, et pourtant
les inondations durant les années 2000 ont mis en exergue une nouvelle situation conflictuelle avec
le milieu naturel. Le concours de plusieurs facteurs naturels et anthropiques avait certes contribué à
l’enclenchement des inondations ; cependant c’est l’urbanisation qu’elle soit réglementaire ou non
qui est incriminée. Nous abordons dans cet article cette problématique au travers le cas de la ville de
Kénitra, ville bâtie sur un site marécageux et demeurant toujours en contact avec l’eau. Nous
essayerons de voir en quoi les documents d’urbanisme anticipent ou non la gestion des risques
d’inondation au niveau de cette ville, et également de montrer comment celle-ci a pu ou non composer
avec l’eau pour se prémunir de ses risques.

Mots clés : Inondations, urbanisation, documents d’urbanisme, gestion du risque

Introduction

Depuis des siècles, les villes marocaines ont eu des rapports privilégiés avec l’eau (fleuves, Merjas
(étangs), cours d’eau, Talweg,…). Les cours d’eau étaient déterminants dans les modes
d’implantation des établissements humains1 et la population composait avec cet élément pour en tirer
profit, le préserver et s’en protéger également.

Toutefois, les inondations survenues dans plusieurs villes marocaines dans les années 2000 ont révélé
que celles-ci n’étaient plus préparées à ces aléas naturels. En effet, la croissance des villes s’est
effectuée, dans de nombreux cas, sans tenir compte des spécificités hydriques du site. Même avec la
généralisation progressive de la planification urbaine, à partir des années 1970 2 , la lecture des
documents d’urbanisme, réalisés jusqu’aux années 2000, montre que la gestion des risques naturels
et des inondations en particulier fut quasiment absente aussi bien dans la réflexion que dans les
projections spatiales des documents d’urbanisme. Ces projections se programmaient indifféremment
dans des zones inondables, de rétention des eaux ou de passage des cours d’eau. Les incidents
d’inondation se sont ainsi multipliés dans plusieurs villes (Settat, Mohammedia, Kénitra,…) générant
par la même des surcoûts matériel et social.

Chaline et Dubois-Maury (Dubois-Maury et Chaline 2002) soulignent que les sociétés


contemporaines semblent particulièrement vulnérables alors même qu’elles cherchent depuis
longtemps à gérer les risques auxquels elles sont exposées, notamment au niveau des villes qui
concentrent, plus que tout autre territoire, ces risques.

Partant du postulat que les documents d’urbanisme sont l’entrée de base pour la gestion des risques
d’inondation dans le sens où ils enclenchent l’acte d’urbaniser et définissent la localisation des
établissements humains et orientent leur développement spatial, cet article propose d’étudier

1 Fédération des Agences Urbaines du Maroc- Majal, Sur les traces des pratiques et de savoir-faire éco-responsables,
Architecture et Urbanisme traditionnels au Maroc, 2016.
2 Les premiers schémas directeurs d’aménagement urbain sont apparus avec l’élaboration du SDAU de Rabat-Salé en
1971, puis celui de Fès en 1978.
48
comment les documents d’urbanisme abordent la gestion des risques d’inondation ? Et en quoi l’acte
d’urbaniser peut être un facteur amplificateur de ces risques ?

Nous abordons cette problématique à travers le cas du Grand Kénitra, un territoire bâti sur un site
marécageux et au demeurant toujours en contact avec l’eau. Nous essayerons de voir en quoi les
documents d’urbanisme anticipent ou non la gestion des risques d’inondation au niveau de ce
territoire ? Et de montrer comment celui-ci a pu ou non composer avec l’eau pour se prémunir de ses
risques ?

1- Le Grand Kénitra, un territoire marécageux et inondable récemment urbanisé

Le Grand Kénitra est un territoire qui a été défini


par le dernier schéma directeur d’aménagement
urbain dont le périmètre couvre les villes de
Kénitra, de Mehdya, de Sidi Yahia du Gharb et
de neuf communes rurales périphériques. Il
s’étend sur une superficie globale de 1752 km²
avec un linéaire littoral de 60 km.
Ce territoire appartient à l’aire géographique
communément connue sous le nom de la plaine
du Gharb qui couvre la plaine du bas, les collines
prérifaines nord et la lisière septentrionale de la
forêt de la Maâmora. Elle s’étend sur une aire
d’environ 7000 km²

A l’exception de la Kasbah de Mehdiya,


l’histoire urbaine du Grand Kénitra est
relativement récente3. Elle remonte au début du
Fig. 1 : Carte de délimitation de l’aire du Grand Kénitra
XXe siècle avec la création de la ville de Kénitra
Source : SDAU du Grand Kénitra, rapport diagnostic et
à partir de 1912 et de Sidi Yahia du Gharb en orientations, 2018.
1920.

Le Gharb, plaine marécageuse, ne comptait durant l’antiquité aucun établissement citadin, seuls
quelques comptoirs commerciaux existaient le long du Sebou (Camps (dir) 1998). Les principales
villes sont apparues sous l’époque coloniale suite à un concours de plusieurs circonstances, dont la
réalisation d’un port (Port Lyautey) sur Sebou annonçant la fondation d’une ville nouvelle : Kenitra.
C’est ainsi que cette ville champignon a vu sa population passer de 11000 habitants en 1912 à 112 000
en 1966 (Camps (dir) 1998). S’en suivit la création d’autres villes ex-nihilo, en l’occurrence Sidi
Yahia, Sidi Slimane, Souk Larbâa et Mecherâa Belkesiri.

L’assèchement des marécages a permis la relance économique de la zone à travers le développement


de l’agriculture. En effet, l’introduction de méthodes modernes a contribué grandement à
l’augmentation de la production agricole. Les boisements destinés à assécher les sols fournissaient la
matière première de la pâte à papier dans l’usine de la cellulose de Sidi Yahia.
Une nouvelle dynamique sociale et économique a été ainsi introduite sur un territoire gorgé d’eau
aussi bien en surface qu’en sous-sol. Les jalons d’un perpétuel combat entre la vocation naturelle du
site et celle économiquement décrétée ont ainsi été posés. Les manifestations de ce conflit
s’exprimeront essentiellement lors des inondations.

3 Comparée à l’histoire urbaine de l’ensemble des médinas marocaines dont Fès remonte à plus de douze siècles.
49
2- Les inondations au Gharb, un phénomène naturel récurrent

2.1- Une géomorphologie favorable aux inondations

La plaine du Gharb est un collecteur naturel des eaux de


surface en raison de sa morphologie qui défavorise
l’évacuation des eaux de crue et ce, en raison de l’élévation
des berges par rapport à la plaine (la majorité de la plaine
ayant une côte inférieure à 12 m). Cela explique la faiblesse
de l’écoulement des eaux lors de débordements depuis la
rivière. La levée alluviale qui cadre la rivière ne permet pas
la constitution d'un exutoire naturel vers l'océan pour les
cours d'eau en provenance de la Maâmora. Du coup, ces
eaux ainsi que celles des débordements hivernaux du Sebou
et de ses affluents, favorisent la formation des "merjas"
(étangs), qui occupent en hiver les bas-fonds de la plaine
du Gharb. Cet état de fait engendre le dépôt d’éléments
grossiers en suspension, s’opérant rapidement dès la sortie
du lit de la rivière alors que les éléments plus fins sont
emportés vers les parties basses de la plaine.

Le territoire est traversé par un réseau hydrique dense taillé


dans d’étroites vallées.

Ce réseau hydrique se compose de la rivière de Sebou4et


Fig. 2 : Carte des ressources hydriques
d’autres oueds (rivières) relativement importants tels qu’oued Source : SDAU du Grand Kénitra, rapport
Tifelt, oued Smento, oued Ouergha, oued Beht et oued diagnostic et orientations, 2018.
Fouarat. Le Grand Kénitra compte en outre plusieurs dayas
(lacs) temporaires s’asséchant dès le début de l’été.

Par ailleurs, l’aire du Grand Kénitra est marquée par avec une pluviométrie importante qui atteint une
moyenne de 500 mm. Le territoire du Grand Kénitra a la fonction originelle d’être un réservoir naturel
d’eau.

2.2- Les inondations de 2010, une alerte

Les inondations survenues en 2010 dans la plaine du Gharb ont marqué les esprits. Elles se sont
déroulées en sept actes (hors décrue) sur 12 jours, endommageant 135000 ha. Malgré l’ampleur de la
catastrophe, cela aurait pu être beaucoup plus grave s’il n’y avait pas eu de barrages sur l’Oued Sebou.
Les cartes suivantes récapitulent le déroulement de ces inondations.

Le concours de plusieurs facteurs naturels et anthropiques avait contribué à l’enclenchement de ces


inondations :

4 Avec ses 614 km de longueur, l’oued Sebou se considère comme l’un des plus importants oueds (rivières) du Maroc, il
draine les eaux de la façade sud de la chaine rifaine (Oueds Inaouène et Ouergha) et nord-ouest du moyen Atlas (Oueds
Guigou, Zloul, Mikkès, Beht et R’dom). Il prend sa source dans le moyen Atlas, chaîne abondamment arrosée, et traverse
le moyen atlas tabulaire puis la zone des collines pré-rifaines et enfin la plaine du Gharb avant d’atteindre l’atlantique.
Le bassin de Sebou est l’un des bassins versants des plus importants du Royaume et également l’un des plus riches en
eaux avec une superficie globale d’environ 40.000 km 2. Il comprend le 1/3 des ressources en eau de surface du Maroc
avec un apport moyen de surface de 5.560 Mm 3/an, soit 887 m³/hab en moyenne, un des niveaux les plus élevés du Maroc
(moyenne nationale 604 m³/hab).
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- L’augmentation des fréquences des précipitations exceptionnelles (orages et pluies
diluviennes)5 ;
- La forte érosion dans certains bassins (à cause de leurs formations géologiques friables) ;
- L’envasement des cours d’eau ;
- La réponse brutale des bassins des cours d’eau traversant les agglomérations, liée aux
caractéristiques géomorphologiques et topographiques de ces bassins ;
- Le développement urbain extrêmement rapide et parfois non contrôlé (constructions en
bordure des lits mineurs) ;
- L’absence de systèmes d’assainissement pluvial adéquats en milieu urbain, tenant compte des
apports des bassins exogènes ;
- Le sous-dimensionnement de certains ouvrages hydrauliques (ouvrages de franchissement,
canalisation, etc.) ;
- Le manque d’opérations systématiques d’entretien des cours d’eau et des ouvrages
hydrauliques. Il n’est pas rare en effet de constater des dépôts de déchets aussi bien ménagers
que de chantiers au niveau des lits majeurs, souvent avec empiètement croissant sur le lit
mineur ;
- La déforestation et l’absence d’aménagement des bassins versants (traitements biologique et
mécanique).

Fig. 3 : Carte de reconstitution des actes des inondations fluviales de la plaine du Gharb 2010
Source : Recomposition d’après le fond cartographique de l’Agence du Bassin Hydraulique du Sebou.

5 Les précipitations moyennes enregistrées entre septembre 2009 et la première décade du mois de mars 2010 avaient
atteint environ 745mm constituant ainsi un record inégalé depuis les années 1990. Lors des précipitations de septembre
1995 à mars 1996 c’est quelques 868,8mm de précipitations cumulées qui ont été enregistrés. Ils ont ainsi engendré 68
points de débordements sur les principaux Oueds ou émissaires, causant d’importants dégâts.

51
Fig. 4 : Dégâts des eaux suite aux inondations dans la plaine du Gharb en 2010
Source : Direction de l’Habitat Social et des Affaires Foncières – Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme - 2010

L’analyse des inondations survenues dans la plaine du Gharb montre que celles-ci sont récurrentes,
elles surviennent pratiquement tous les sept à 10 ans, et baissent durant les périodes de sécheresse
(Zone indiquée en jaune).

Fig. 5 : Récurrence des inondations dans le Gharb


Source : Agence du Bassin Hydraulique de Sebou

Fréquence des innondations dans le bassin de Sebou


7
6
5
4
3
2
1
0
Plaine du Plaine et Ville de Ville de Ville d’El Ville de Ville de Moulay
Gharb centre de Taza Timahdite Hajeb Sefrou Fès Yacoub
Guigou

Fig. 6 : Fréquence des inondations dans le bassin de Sebou


Source : Agence du Bassin Hydraulique de Sebou

3- La planification urbaine à l’épreuve de la gestion des risques

Si l’on s’intéresse autant aux inondations, c’est qu’elles touchent des espaces de plus en plus
délibérément occupés. En effet, l’urbanisation se fait, désormais, au détriment des zones naturelles et
des zones à risques.
52
3.1- Conflits d’usage des territoires entre l’Homme et la nature

Dans le Gharb, les inondations ne sont devenues préoccupantes que lorsqu'elles ont commencé à
causer d’importants dommages. Généralement ce sont les territoires urbanisés qui sont les plus
concernés, d'où l’intérêt de les questionner en premier dans leur rapport à l'eau. L’urbanisation
modifie, assurément le risque en multipliant le nombre et la valeur des enjeux exposés et en
anthropisant l’hydro-système fluvial.

Fig. 7 : Risques aux rives de l’hydro-système fluvial


Source : Direction de l’Habitat Social et des Affaires Foncières – Ministère de l’Habitat et de
l’Urbanisme - 2010

Le développement agricole du Grand Kénitra, particulièrement la création du périmètre irrigué a


engendré une urbanisation soutenue.
Le territoire attractif est devenu au centre d’une forte pression urbaine. L’espace bâti a augmenté de
25% en l’espace d’une décennie. En effet, selon les données officielles des recensements généraux
de la population et de l’habitat, la population a été multipliée par 1,23 entre 1994 et 2004 avec un
taux d’urbanisation de 70% en 2004 contre 67% en 1994. En 2014, le taux d’urbanisation de l’aire de
l’étude a été estimé à 72,6 %.
L’urbanisation se déploie sur des territoires ouverts à l’urbanisation par les documents d’urbanisme,
mais avec toutefois une tendance lourde de l’habitat non règlementaire. L’habitat sommaire
représente 16%6 du parc au niveau du Grand Kénitra.
Les zones urbanisées occupent aussi bien les centres urbains que des sites sensibles agricoles et
inondables, faisant de l’empiétement sur ces zones sensibles, la problématique principale de du Grand
Kénitra.

3.2- Documents d’urbanisme et gestion des risques d’inondations

S’il semble qu’il est facile d’enclencher une dynamique économique, l’ampleur de l’urbanisation, qui
en découle, est imprévisible dans la mesure où elle s’opère selon trois niveaux non contrôlables dans
leurs totalités : règlementaires, non règlementaires et en dérogation.
En effet, Kénitra et les premiers noyaux coloniaux du Gharb se sont trouvés implantés dans des zones
marécageuses à proximité de cours d’eau et de zones humides avec lesquelles ils entretenaient des
rapports complexes. Pour règlementer cette urbanisation, le recours aux documents d’urbanisme fut
incontournable7. Ce qui devait être un noyau contrôlé a cependant induit une urbanisation des zones
à risques pas totalement maitrisée.

6 Agence Urbaine de Kénitra-Sidi Kacem, Schéma Directeur du Grand Kénitra, « rapport diagnostic et orientations »,
2014.
7 Parmi les premiers plans d’aménagement du Maroc moderne figure celui du Port Lyautey (actuelle Kénitra), réalisé
sous le protectorat.
53
Pourtant, les textes de loi, notamment la loi 12-90 relative à l’urbanisme et instituant les documents
d’urbanisme en l’occurrence le schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU) et le plan
d’aménagement (PA) ont été mis en œuvre. Cependant, la question de la gestion des risques n’y est
pas assez développée. En effet, la loi préconise uniquement une « servitude de sécurité ». Ainsi
l’article 4 de la même loi souligne que le SDAU a pour objet « de fixer la destination générale des
sols en déterminant la localisation, entre autres « des zones grevées de servitudes telles que les
servitudes non aedificandi, non altiustollendi et les servitudes de protection des ressources en eau ».
Le plan d’aménagement, quant à lui, a pour objet, selon l’article 19 de définir « - Les zones dans
lesquelles toute construction est interdite. - Les servitudes établies dans l’intérêt de l’hygiène, de la
circulation, de l’esthétique, de la sécurité, de la salubrité publique et éventuellement les servitudes
découlant des législations particulières ».

Ce faisant, la conception des documents d’urbanisme s’opère avec une logique d’interdiction au lieu
de composition. Ce qui se traduit par la formation de zones de conflits entre territoires naturels
sensibles et ceux urbanisables. Ces conséquences sont parfaitement visibles au niveau de notre terrain
d’étude. Ce dernier est couvert par un nombre considérable de documents d’urbanisme : sept schémas
directeurs d’aménagement urbain (SDAU) et environ une trentaine de plan d’aménagement (PA).

Fig. 8 : Couverture du territoire en schémas directeurs d’aménagement urbains


Source : Auteurs à partir du SDAU de Sidi Slimane, Sidi Kacem, rapport diagnostic et orientation, 2018

L’analyse de l’impact de ces documents d’urbanisme met en exergue une constatation


paradoxale avec une emprise anthropique faible, mais dont l’incidence environnementale est très
importante.

La lecture des surfaces urbanisées dans le Grand Kénitra montre, en effet, que les espaces bâtis ne
représentent que 7,2% de la surface totale contre 92% pour les espaces ouverts.
Malgré la croissance urbaine soutenue, les zones urbanisées sont limitées et pratiquement
insignifiantes. Pourtant, c’est le mode et la forme de déploiement du bâti qui interpellent.

Celui-ci se développe de manière horizontale et dispersée sur un large territoire, créant ainsi des
interstices qui appellent à l’urbanisation et favorisent l’empiètement sur les zones inondables et le
long des berges des cours d’eau.

54
Espace agricole et forestier
Espace hydrologique
Cadre bâti
Autres

Fig. 9 : Principales occupations du sol du Grand Kénitra


Source : SDAU du Grand Kénitra, Rapport diagnostic et orientations

Tableau. 1 : Couverture du territoire en schémas directeurs d’aménagement urbains


Source : Auteurs à partir du SDAU de Sidi Slimane, Sidi Kacem, rapport diagnostic et orientation,
2018.

Type d’occupation au sol Pourcentage


(%)
Espace agricole et forestier 74
Espace hydrologique 4
Cadre bâti 8
Autres occupations 14
Total 100

Fig. 10 : Localisation des noyaux d’urbanisation sur fond de Carte


Source : Google Earth

L’ouverture de zones à l’urbanisation, par les documents d’urbanisme, même si en superficie


demeurent restreintes, elles finissent par générer un bouleversement de l’ensemble du territoire. Au-
delà des zones couvertes par les documents d’urbanisme, il n’est pas rare de relever d’importantes
modifications au-delà des zones concernées, pour s’étendre aux extensions du domaine urbain,
55
notamment en périphérie, en zones riveraines et le long des axes de liaisons. L’impact
environnemental des activités anthropiques est sans appel (déboisement intensif, occupation
progressive des rives, etc.). Les surfaces urbanisées affectent le système hydrologique en raison de la
minéralisation des sols, qui deviennent imperméables aux précipitations et favorisent l’augmentation
du ruissellement superficiel, ce qui a pour effet d’alimenter plus rapidement les niveaux des rivières
et d’augmenter plus rapidement l’ampleur des phénomènes d’inondations.

Qu’ils soient règlementaires ou non, les espaces urbanisés finissent par rentrer en concurrence avec
les territoires inondables limitrophes (La merja de Sidi Boughaba est sous pression et convoitée par
l’immobilier).

Fig. 11 : Lac de Sidi Boughaba perçu de loin en descendant vers Mehdiya plage
Source : Auteurs

Fig. 12 : Merja de Fouarate au centre-ville à l’Est de Saknia


Source : Auteurs

Ce faisant, on finit par adopter une démarche inversée pour légitimer l’urbanisation des zones
inondables à travers des études d’impact. Ce qu’il faudrait reconnaitre c’est que jusqu’à présent, les
documents d’urbanisme n’ont pas encore trouvé la formule appropriée pour intégrer les zones
naturelles sensibles dans l’aménagement urbain. Les seules formules consacrées pour les espaces
fragiles et sensibles consistent dans les faits à les « scléroser » par des servitudes de protection ou
d’interdiction de construire. Pourtant, les établissements humains au Maroc aussi bien en milieu
urbain que rural, ont été toujours fondés et gérés selon le bon sens8. Dans les médinas, la topographie
a été mise au service de la protection des risques, et dans les oasis une implantation étagée organisait
un espace pour chaque élément qu’il soit naturel ou anthropique.

8 Fédération des Agences Urbaines du Maroc- Majal, Sur les traces des pratiques et de savoir-faire éco-responsables,
Architecture et Urbanisme traditionnels au Maroc, 2016.
56
4- Surcoût de l’urbanisation des zones inondables

Les inondations de 2009 ont touché 2725 ménages sinistrés ayant perdu totalement leurs logements
ou dont les logements sont devenus inhabitables du fait des inondations. Le nombre de sinistrés à
l’époque représentait l’équivalent de 84% de la population de la municipalité de Mehdia, 43% de
celle de Sidi Yahia ou encore 18,4% de la population de la ville de Sidi Kacem.

Cette population soudainement propulsée dans la précarité comptait un grand nombre d’enfants et de
personnes âgées. Une mobilisation générale des départements ministériels concernés a été décrétée,
dans le cadre du plan Orsec9. Des réunions marathoniennes ont dû être tenues aussi bien au niveau
local que central par l’ensemble des départements concernés, pour faire face à ce qui aurait pu se
transformer en catastrophe humaine.

L’une des contraintes qui s’étaient posées était d’ordre budgétaire. Les lignes de crédits budgétaires
étaient déjà arrêtées et celles prévues pour les catastrophes naturelles sur le budget général de l’Etat,
ventilées par province n’auraient pas permis de faire face à une catastrophe d’une telle ampleur qui a
touché également d’autres régions du pays.

La seconde contrainte d’intervention était relative au scénario de mise en œuvre de l’aide aux
ménages sinistrés. Cette situation était d’une part due au système de dépense étatique devant
impérativement suivre les procédures en vigueur et d’autre part au mode d’intervention lui-même.
Dans une opération classique, les fonds auraient pu être débloqués pour financer l’intervention d’un
opérateur public ou semi-public pour la réfection des logements sinistrés. Dans le cas qui s’était posé,
l’éparpillement des constructions sinistrées et la diversité des cas et des degrés des désordres
supposaient, en cas d’intervention d’un opérateur mandaté, des délais pouvant s’étaler deux années,
voire davantage. Cette option était inadmissible en raison de l’urgence sociale et humanitaire
engendrée par le sinistre.

Le montage retenu a été finalement d’octroyer de manière exceptionnelle une aide frontale directe.
Cette dernière s’élevait à 15000 dirhams (Dh) pour chaque ménage dans le rural et 30000 Dh dans
l’urbain. L’enveloppe budgétaire s’était ainsi élevée à 44 Millions de Dh. Il ne s’agit là que de l’aide
frontale, à cette dernière, d’autres montants ont dû être engagés pour la réalisation d’ouvrages d’art
et la protection contre les inondations.

Pour la simple aide frontale aux ménages sinistrés, le surcoût engendré représentait dans ce cas de
figure un manque à gagner pour la restructuration d’un quartier d’habitat insalubre de 1760 ménages
ou à l’aide au relogement de 1100 ménages préalablement programmés.

Conclusion

▪ Ménager avant d’aménager


L’histoire des établissements humains au Maroc et particulièrement en lisières de zones sensibles
ou à risque telles que les cours d’eau, est vecteur d’un précieux enseignement favorisant le bon
sens à la recherche de solutions coûteuses. Il est entendu que faire des choix d’aménagements
problématiques ou entrant en conflit avec les données naturelles du site et d’œuvrer par la suite
de manière démesurée à leur trouver des solutions qui finiront tôt ou tard par démontrer leurs
limites est à l’encontre de toute logique. Le bon sens reste un indicateur majeur dans toute
démarche d’aménagement. La règle serait de manière synthétique de ménager le site naturel

9 "Le Plan d'organisation des secours ou ""plan ORSEC"" est un document établi à l'échelon de chaque préfecture et
province sous la responsabilité du gouverneur en vue de fixer, à l'avance, la ligne de conduite à tenir dans l'organisation
des secours et du sauvetage de la population et des biens en cas de catastrophes."
57
avant même de penser à l’aménager.
▪ Concevoir et adopter une démarche cohérente qui prend en compte le plein et le vide
Au moment de penser l’aménagement d’un territoire ou le plus infime espace urbain, par
habitude, la réflexion est automatiquement portée sur la manière « de remplir » l’espace : le plein
est généralement le vecteur de la pensée conceptuelle. Les vides urbains sont généralement les
espaces négatifs générés par les pleins, pensés et conceptualisés.
L’aménagement d’un espace devrait en revanche être réfléchi simultanément aussi bien par le
plein que par le vide. Ce dernier devrait aussi bien, sur le plan conceptuel que fonctionnel avoir
une vocation urbaine et un rôle bien définit socialement et économiquement.

Fig. 13 : Travaux de protection contre les inondations


Source : Direction de l’Habitat Social et des Affaires Foncières – Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme.

▪ Penser aux dynamiques du développement en y intégrant des dispositifs d’anticipation.


D’une manière générale et nonobstant de toutes les études prévisionnelles et les scénarios
d’aménagement, l’expérience a démontré que tout acte de planification urbaine comporte une
part d’imprévu. Une fois les options d’aménagement arrêtées et programmées, des dynamiques
propres sont générées et la part de l’imprévu est souvent occultée.
- Cette approche pourrait sembler facultative, mais il importe lors des études de
programmations des aménagements et de planifications urbaines d’intégrer des dispositifs
d’anticipation aussi bien pour les étalements urbains non souhaités, notamment sur les
zones à risques que les effets induits par la programmation d’infrastructures ou
d’équipements à forte polarité. L’expérience a démontré que des affectations telles que
« zone non aedificandi », ou « zone naturelle à protéger » n’étaient pas suffisantes
puisque reposant sur des dispositifs de contrôle à postériori. C’est au niveau des
propositions d’aménagement de l’espace que les mécanismes de protection dans une
approche anticipative devraient être intégrés.

58
- D’une manière synthétique, s’il ne fallait retenir qu’un seul principe d’aménagement et
de planification des espaces urbanisés, notamment à proximité des zones à risque cela
serait l’importance du retour vers le bon sens. Dans cette optique, la réflexion commence
par la préservation du site et ses éléments naturels, ne devant pas être contrariée. En fin
la démarche de planification devrait aboutir à un espace résilient, adapté aux besoins
socialement et économiquement exprimés et devrait être interactive et adaptable aux
besoins à venir.

Références bibliographiques :
- AGENCE URBAINE de Kénitra Sidi Kacem. «Schéma directeur du Grand Kénitra rapport
diacgnostic et orientations.» 2014.
- CAMPS (dir), Gabriel. Encyclopédie berbère. 1917. Edisud. 1998.
- DUBOIS-MAURY, J, et Cl Chaline. Les risques urbains. Armand Colin. Paris: U, Collection,
2002.
- FEDERATION DES AGENCES URBAINES du Maroc Majal. Sur les traces des pratiques
et de savoir-faire éco-responsables, Architecture et Urbanisme traditionnel au Maroc.
Edition Majal. Rabat, 2016.
- LE COZ, J. Le Rharb, fellas et colons; étude de géographie régionale. Rabat, 1964.
- LEROUX. Villes et tribus du Maroc, Rabat et sa région. Vol. T. IV. 1918.
- SAINT LAURENT, Diane. «Inondations en milieux urbains et périurbains.» Environnement
Urbain / Urban Environnement 2 (septembre 2008).
- SAINT LAURENT, Diane, et Marlies Hähni. Crues et innondations majeures des villes de
l'Estrie : variations climatiques et modifications anthropiques. Environnement Urbain /
Urban Environnement 2 (septembre 2008).

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