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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 67

figuré dans ses rythmes comme une chose est figurée dans ses limites
spatiales.
Après avoir pris ainsi une sorte de mesure relative de l'efficacité
temporelle des diverses causes d'un phénomène, on est en droit de re-
constituer le devenir complexe sans s'appuyer sur un temps absolu,
extérieur au système, soi-disant valable pour toutes les parties du sys-
tème. À chaque partie d'un système convient un rythme temporel ca-
ractéristique des variables en évolution. Si nous ne le voyons pas, c'est
que le plus souvent nous faisons une expérience à un point de vue par-
ticulier, en ne touchant qu'une variable particulière. Et nous croyons
laisser tout le reste « en état ». Les corrélations temporelles sont ce-
pendant évidentes dans bien des cas et elles préparent une doctrine
pluraliste du temps.
D'autres fois, nous allons à l'extrême opposé, nous introduisons
alors la continuité d'une évolution pour relier deux états différents.
Cette continuité d'évolution devrait faire comprendre l'hétérogénéité
des durées touchant différents traits du phénomène. En effet, on pos-
tule la continuité entre deux aspects lentement modifiés d'un phéno-
mène parce qu'il n'est pas difficile de voir, à d'autres points de vue,
des modifications rapides. Ces modifications rapides font office de
transition ; elles sont des exemples d'états transitifs. Mais l'évolution
hétérogène n'est pas un véritable lien. Il est très instructif de voir que
l'évolution est la rançon d'une complexité non analysée. Ainsi, il suffi-
rait de compliquer le kaléidoscope, en ajoutant aux fragments gros-
siers des fragments légers et nombreux, pour qu'il paraisse évoluer
avec continuité. Le caractère saccadé des [62] événements serait alors
fondu et amorti par leur nombre.
Dès lors, en quoi une expérience fine serait-elle aidée ou éclaircie
par le postulat de continuité temporelle ? Une durée que rien n'analyse
pourra toujours être taxée de ne valoir que comme « durée en soi ».
Elle ne sera pas la durée du phénomène. La microphénoménologie ne
doit pas tenter de dépasser la description de l'ordre de succession, ou
plus simplement encore l'énumération des cas possibles. Cette énumé-
ration réclamera ensuite un temps purement et simplement statistique
qui n'a plus d'efficacité causale. On atteint ici à un des principes fon-
damentaux les plus curieux de la science contemporaine : la statisti-
que des différents états d'un seul atome, dans la durée, est exactement
la même que la statistique d'un ensemble d'atomes, à un instant parti-

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