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Quaderni

Communication, technologies, pouvoir 


72 | Printemps 2010
Propagandes en démocratie

La propagande revisitée
Emmanuel Taïeb

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/quaderni/475
DOI : 10.4000/quaderni.475
ISSN : 2105-2956

Éditeur
Les éditions de la Maison des sciences de l’Homme

Édition imprimée
Date de publication : 5 avril 2010
Pagination : 5-18
 

Référence électronique
Emmanuel Taïeb, « La propagande revisitée », Quaderni [En ligne], 72 | Printemps 2010, mis en ligne le
05 avril 2012, consulté le 21 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/quaderni/475  ;
DOI : https://doi.org/10.4000/quaderni.475

Tous droits réservés


Dossier

avant-propos : Comment expliquer l’engouement éditorial et


public autour de la propagande ces dernières

la propagande
années ? S’appuie-t-il sur des transformations
particulières des structures de l’espace public,
ou de la communication politique ? Ou bien ne

revisitée faut-il y voir que le dernier avatar d’une banale


critique de l’idéologie ? Nombre de parutions
récentes ont en effet entrepris de reprendre l’étude
de la propagande en repartant de l’état de la
question tel qu’il était dans la première moitié du
XXe siècle, tout en reconduisant d’ailleurs expli-
citement la péjoration du terme. La réactivation
de la notion de propagande est utilisée comme

Emmanuel une voie d’entrée vers une critique renouvelée


des médias, des mises en scène politiques, et au
Taïeb fond de la communication. La richesse termino-
logique susceptible de permettre une distinction
fine entre « propagande », « désinformation »,
Maître de conférences
« intoxication », « persuasion », « communi-
en Science politique
cation » ou encore « information », est, dans
Institut d’Études Politiques
ces travaux, tantôt récusée au profit de leur
de Grenoble (PACTE)
confusion, tantôt simplifiée au profit de la seule
« propagande », qui subsumerait sous son nom
tous les travers d’une communication politique
manipulatoire des gouvernants vers les masses.
Performativement, le « retour de la propagande »
paraît alors construit par les études mêmes qui lui
sont consacrées. Sans qu’il soit tenu compte à la
fois des critiques historiques de la propagande,
des études fines relatives à la communication
politique et à ses modes de réception, et finale-
ment du relatif épuisement en démocratie d’une
propagande dont les méthodes seraient à ce point
éculées et visibles qu’elle ne ferait que se donner
à voir comme telle1.

La déconstruction de la propagande, opérée aussi


bien en leur temps par des propagandistes comme

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Serge Tchakhotine ou Edward Bernays, qu’en- tardive, car, aussi bien chez Tchakhotine que
suite par les sciences sociales, qu’aujourd’hui chez Jacques Ellul, la propagande n’est pas que
concomitante de sa diffusion, rend difficilement l’apanage inacceptable des totalitarismes mais
pensable son efficacité sans entraves. Contraire- peut être une technique dont l’usage est ouvert.
ment pourtant à un certain optimisme propre à Tchakhotine rappelle ainsi dans son célèbre livre
l’après-guerre qui a pu faire penser que le plu- Le viol des foules par la propagande politique,
ralisme de l’information en démocratie rendait qu’il a lui-même été responsable de la propagande
inopérante la propagande suite à un début de du « Front d’airain » social-démocrate allemand,
« mithridisation » des populations2, on constate chargé d’organiser une contre-propagande à celle
qu’elle n’a pas entièrement disparu. Car les am- du nazisme. Ses écrits fustigent dès lors moins
bitions d’imposition de sens des gouvernements le principe du recours à cette technique jugée
ou d’autres acteurs publics, comme les moyens moderne et efficace, que la lâcheté des sociaux-
techniques renouvelés, restent prégnants. Mais démocrates de la République de Weimar, qui ne
ils mutent, et ne ressortent plus aux mêmes ana- tiendront pas compte des premiers succès politi-
lyses. Il s’agit alors ici de travailler les formes de ques enregistrés par l’imagination propagandiste
ces messages unilatéraux, sans nécessairement de Tchakhotine et refuseront de combattre Hitler
chercher à les labelliser, et de penser justement ce sur ce terrain. Non seulement le recours à la pro-
que la communication moderne ne doit plus à la pagande ne rebute pas Tchakhotine, mais encore,
propagande. Faute d’avoir adopté cette perspec- dans ses dernières pages, il prône l’invention
tive analytique, les ouvrages dénonçant le retour d’une propagande vertueuse, ne violant aucun
de la propagande s’exposent aussi bien à une principe moral, capable de générer des contre-
écriture normative (sur le mode : « il faut proté- réflexes de résistance à l’agression psychique
ger les masses des ravages de la propagande »), de la propagande totalitaire4. Ellul évoque, lui,
à une contradiction constitutive (ils démontent la nécessité démocratique de « faire de la propa-
et dévoilent une propagande qui pourtant serait gande », afin de réguler les intérêts privés, et de
toujours aussi invisible et efficace), qu’à une donner une matérialité, et un moyen de diffusion,
critique d’ordre idéologique, où « propagande » à une vérité autrement inaccessible5. Encore dans
est essentiellement le mot utilisé pour désigner le les années 1960, le principe d’une « agit-prop »
positionnement d’un adversaire politique. ne rebute pas l’extrême gauche, tandis que
nombre de partis politiques organisent explicite-
La propagande épuisée ment leur propagande sur un modèle hérité des
années 19306. Sous cet aspect, la propagande
De son origine religieuse – la fondation par la n’apparaît pas fatalement comme véhiculant un
papauté en 1622 d’une Congregatio de propa- message trompeur ou faux. Elle peut tout aussi
ganda fide comme instrument de la contre-ré- bien être la vérité de son émetteur, ou tout au
forme –, à son utilisation massive par les régimes moins sa croyance sincère, qu’il entreprend de
totalitaires, le processus de péjoration du terme diffuser pour convaincre7. Le « conseiller en re-
« propagande » est connu3. C’est une péjoration lations publiques » Edward Bernays promouvait

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6 LA PROPAGANDE REVISITEE QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010
déjà dans les années 1920 une communication désigne comme une forme de « nominalisme
dont la sincérité serait la règle d’or, et une action simpliste »13. Aujourd’hui, la communication
politique soucieuse de « présenter un programme gouvernementale est partie prenante de l’action
honnête »8. Il est intéressant de noter que pour son politique du gouvernement. Et l’on peut la com-
préfacier contemporain, Normand Baillargeon, prendre comme un « outil démocratiquement
la mention de cette sincérité est nécessairement légitime de régulation du social », une forme de
pur cynisme de la part de Bernays9, tant l’idée gestion de la « violence symbolique », et une
d’une propagande démocratique lui semble un forme de substitution de la coercition visant
oxymore. Plus près de nous, Guy Durandin, dans explicitement à modifier le comportement et les
son effort définitionnel, rappelle que si la propa- pratiques des récepteurs de messages14. La péjo-
gande recourt parfois au mensonge, il ne lui est ration qui a touché le mot propagande pourrait
pas constitutif ; contrairement à la désinformation dès lors toucher la communication politique15,
qui est par essence mensongère et vise à implanter tant c’est la chose plus que le mot qui reste objet
chez l’adversaire des informations fausses, dont il de critiques, s’il était besoin de le rappeler.
ne connaîtrait pas la source10. Et l’on notera que
le Code électoral français possède toujours une Pour autant, l’insistance sur une homologie
rubrique « Propagande », et une entrée d’index historique des formes entre propagande et com-
pour ce terme, pour désigner l’action persuasive munication interdit de mesurer l’épuisement de
des partis politiques11. la propagande en démocratie. Épuisement visible
d’une part dans la faible évolution définitionnelle
C’est donc surtout rétrospectivement que l’usage de la notion de propagande, et dans la reconduc-
de la propagande sera attribué exclusivement tion d’une définition passablement insatisfaisante
aux régimes totalitaires, et que l’existence d’une et peu opératoire. Visible d’autre part dans l’his-
propagande propre aux démocraties sera occultée toricisation même de la propagande, et sa critique
au profit d’une distinction promise à devenir clas- renouvelée, qui ont rendu délicat son emploi, y
sique : aux totalitarismes la « propagande », aux compris sous des formes modernisées, dans les
démocraties la « communication politique », sans démocraties pluralistes.
qu’il soit possible de savoir si les deux termes se
recouvrent absolument. Le même Guy Durandin La stabilité des définitions données à la propa-
réintroduit le flottement terminologique lorsqu’il gande est notable, tant elles ne paraissent pas
écrit qu’il « se développe actuellement ainsi, sous acter les évolutions formelles subies par l’ob-
le terme générique de “communication”, une né- jet16. De plus, il s’agit généralement de ce qu’on
buleuse formée par la communauté de méthodes pourrait appeler des « définitions par l’effet »,
entre la publicité, la propagande et les relations qui caractérisent l’acte de propagande par l’effet
publiques »12. Il ne faut alors pas en rester à qu’il est censé produire, sans toujours vérifier
une opposition absolue entre « propagande » et l’existence de cet effet, et surtout sans considérer
« communication gouvernementale », sauf à la contradiction interne d’une telle définition, qui
faire preuve de ce que Caroline Ollivier-Yaniv verrait son objet se dissoudre à partir du moment

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où il n’aurait pas atteint ses objectifs. Dans ce admises pour évoquer la propagande restent à
sens, une définition récente de la propagande la fois relativement fixes au cours du temps,
est donnée par Étienne Augé : « la propagande et persistent surtout à conditionner leur objet à
est une stratégie de communication de masse ses effets. Ces définitions par l’effet paraissent
ayant pour objectifs l’influence de l’opinion et alors très fragiles, puisque l’échec de l’action
des actions d’individus ou de groupes au moyen propagandiste ne leur permettrait plus de
d’informations partiales »17. Si Augé inclut l’idée qualifier le moyen employé, sauf à fragiliser
centrale, sur laquelle on reviendra, d’informations encore davantage l’approche en parlant de
partiales, il reste prisonnier d’une définition où « propagande ayant échoué », ou autres
la propagande est réduite à ses « objectifs d’in- formules. Bernays avait bien saisi les limites
fluence » éventuels. C’était déjà l’approche de d’une définition partant en quelque sorte de la
Bernays, qui affirmait que la propagande était fin, et il insiste à plusieurs reprises sur les succès
« un effort cohérent et de longue haleine pour qu’il a rencontrés en tant que publiciste au
susciter ou infléchir des événements dans l’ob- service d’entreprises. Au fond, ici, le meilleur
jectif d’influencer les rapports du grand public moyen de dire que la propagande existe, c’est
avec une entreprise, une idée ou un groupe »18. de dire qu’elle marche. Mais en se contentant de
Alors que la définition moderne d’Augé limite déduire la présence d’une action de propagande
la propagande aux moyens de communication, de ses effets – si tant est qu’ils soient absolument
sous-entendu purement discursifs, l’approche observables, et rapportés sûrement à l’action
de Bernays n’en donne pas de liste limitative, originelle –, on s’interdit de saisir la propagande
préférant se concentrer sur les formes qu’ils peu- à sa source, pour ne la voir « qu’après ».
vent adopter (« cohérent et de longue haleine »).
C’est là une idée propre à la première moitié du Jacques Ellul a pointé cette difficulté de carac-
XXe siècle, et que l’expérience totalitaire viendra térisation de l’objet, en faisant même une règle :
renforcer, que la propagande peut rapidement « une propagande inefficace n’est pas une pro-
prendre l’aspect d’une « propagande totale », pagande »20. Ainsi, le fait de propagande vient
comme il y a une « guerre totale », au sens où se contredire lui-même s’il échoue à influencer
tous les moyens à disposition de groupes, et en l’opinion ou à peser sur une pratique. Au-delà
fait le plus souvent de l’État, peuvent être mis au des problèmes vertigineux que pose l’identifi-
service de la propagande. Tchakhotine insistait cation au sein de la complexité du monde social
par exemple sur une propagande utilisant des de comportements ou de discours qui seraient
formes cérémonielles (rassemblement de masses, le fruit d’une propagande originelle précise, ces
défilés), sonores (via une musique dédiée), ou approches empêchent de penser la propagande
encore militaires, le bombardement de Hiroshima hors de ses buts affichés. Or, il est aussi possible
étant apparenté selon lui à un « “viol psychique” de caractériser la propagande sans référence à ses
à échelle mondiale »19. effets voulus ou supposés. C’est notamment ce
que fait Philippe Breton, qui rappelle au passage
Quoiqu’il en soit, les définitions communément la paradoxale consubstantialité entre propagande

.
8 LA PROPAGANDE REVISITEE QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010
et régime ouvert, parce que la diffusion de mes- optique, la conjonction d’un contenu jugé mani-
sages particuliers à destination de la population pulatoire et d’un canal jugé désireux de manipuler
n’a de sens que dans un système où le compor- témoignerait d’une action de propagande. C’est
tement des individus, électoral par exemple, classiquement la perspective propre au début du
produit des effets sur le pouvoir politique – ce XXe siècle, où la propagande des régimes totali-
qui n’interdit pas la propagande des régimes taires était d’abord comprise comme une action
totalitaires, qui ne fait que forcer l’adhésion des exclusivement étatique pour la domination des
masses à un système autrement illégitime. Ainsi, masses, puis l’idée fut étendue à l’action des
pour Breton, la propagande est une « méthode entreprises, ou encore aux relais implicites du
de présentation et de diffusion d’une opinion pouvoir (ou jugés tels), notamment les médias.
de telle manière que son récepteur croit être Mais cette perspective conduit ses tenants à voir
en accord avec elle et en même temps se trouve cette conjonction médium-message à peu près
dans l’incapacité de faire un autre choix à son partout, et à poser une multiplication des canaux
sujet »21. La propagande apparaît là comme un de propagande, dessinant un paysage politique
message possédant un caractère spécial, qui force et médiatique ontologiquement clos et manipu-
puis naturalise l’adhésion psychologique de son latoire où finalement tout est propagande22. Y
récepteur, éventuellement par la manipulation, compris au prix d’une confusion entre medium
le mensonge, ou plus prosaïquement par une et message, dans des perspectives qui posent
présentation favorable du contenu. Breton est qu’un support potentiel de propagande l’est en
moins explicite sur ce qui rend le destinataire du fait nécessairement23. C’est ce que fait Étienne
message incapable de s’affranchir du contenu de Augé, qui catalogue les supports qui ont pu
la propagande, mais l’on peut penser que cette être utilisés historiquement pour diffuser de la
faiblesse résulte à la fois de la force propre du propagande (journaux, cinéma, télévision, etc.),
message et de l’absence d’autres messages venant auxquels il ajoute des médias modernes (blogs,
le contredire, comme cela peut être le cas dans les magazines de communication institutionnelle),
régimes fermés où règne une propagande d’État. pour prouver qu’ils sont par essence des moyens
Si Breton n’exclut pas les effets attendus de la de propagande24.
propagande, il insiste aussi sur la mise en forme
propre aux contenus propagandistes qui incluent Il reste néanmoins possible de sortir de l’al-
des éléments de persuasion, de manipulation ou ternative définitionnelle entre une propagande
de mensonge pour arriver à leurs fins. déduite de ses effets supposés, et une propagande
permanente entretenue par un système médiatique
Les définitions par l’effet incorporent donc qui s’en ferait le relais. Par exemple, en rabattant
l’idée que c’est le contenu même du message l’identification du message propagandiste sur sa
qui cherche l’obtention d’une adhésion ou la source et sur l’intérêt – partisan, politique, idéolo-
fabrication d’un comportement. D’autres appro- gique – qu’elle a à diffuser un tel message. Il faut
ches affirment que le message propagandiste est donc comprendre la propagande en configuration
inséparable du médium qui le diffuse. Dans cette avec le champ de communication ou médiatique

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dans lequel elle prend place, et en relation avec appelait de ses vœux soient à ce point présents
le champ politique (s’il s’agit d’une propagande en démocratie, mais, comme le note Hannah
politique). Dans cette dimension, une définition Arendt, une tentative étatique ou isolée de re-
de la propagande pourrait être : un message, de cours à la propagande ou à la désinformation,
forme discursive ou factuel, mensonger ou vrai du se heurterait nécessairement à la présence d’in-
point de vue de son émetteur, dont l’identification formations contradictoires qui en diminueraient
de la source, conjuguée à l’analyse propre du ou en annuleraient l’impact26. Dans l’analyse de
contenu, laisse supposer qu’il est partial, orienté, la propagande, il faut donc tenir compte du fait
et qu’il n’inclut pas de contrepoint à ce qu’il con- que les messages circulant dans l’espace public,
tient. Avec cette définition, il devient possible de y compris les messages étatiques, montrent leur
ne plus conditionner la présence d’un message de source, sont siglés et signés, à la fois pour mettre
propagande à son effet d’influence, mais seule- en scène les rapports de force politiques dont
ment à sa partialité, et au fait qu’il ne délivre que ils procèdent27, mais également parce que, pour
le point de vue de celui qui l’émet. La propagande ceux qui en sont à l’origine, la naturalisation de
apparaît alors comme une forme de diffusion leur point de vue passe paradoxalement par la
des informations qui n’admet pas le pluralisme mention de leur identité. Dès lors que la propa-
et n’entend propager que sa propre production. gande s’épuise en démocratie, dès lors qu’elle se
C’est typiquement ce qu’évoque Jean-Marie montre comme propagande, au milieu d’autres
Domenach à propos d’une brochure qu’on ne propagandes, ou d’autres informations, quelle
lirait pas parce « qu’elle sent la propagande »25. validité possèdent les classiques dénonciations
Cette intuition, qui s’appuie sur l’identification, de la propagande ?
même grossière, du diffuseur et de la teneur du
message, caractérise bien le rapport critique qui La propagande dénoncée
peut se nouer avec une production propagan-
diste. La propagande y apparaît moins comme un Il s’agit ici de pointer les limites des travaux
mensonge ou une manipulation que comme une récents critiques récents sur la propagande, et
présentation tendancieuse et orientée du réel, qui d’indiquer les pistes alternatives fécondes qui
correspond à la position de l’émetteur. entérinent l’épuisement de la propagande et s’in-
téressent à la communication politique.
Demeure la question de l’identification de la
source. Précisément, l’épuisement de la propa- Une première limite tient à la visée normative de
gande en démocratie est aussi redevable du plura- plusieurs de ces travaux, et à l’ambiguïté qu’elle
lisme de l’information, et des critiques historiques leur confère. C’est ainsi que certains ouvrages
portées à la propagande, dont on peut penser qui ambitionnent de dénoncer la propagande se
qu’elles permettent d’identifier la propagande présentent en fait comme de véritables « modes
comme telle, et de rattacher systématiquement un d’emploi » de la propagande, qui rappellent les
message à une source. Il n’est pas certain que les préceptes et les lois du genre pour mieux les
contre-réflexes à la propagande que Tchakhotine dénoncer. Au point que l’on puisse se deman-

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10 LA PROPAGANDE REVISITEE QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010
der si ces écrits ne s’adressent pas tout autant à propagandiste lui-même. C’est par exemple bien
l’apprenti-propagandiste qu’au citoyen désireux un « traité » de propagande que propose Étienne
de résister à la propagande. C’était déjà visible Augé, qui liste dix-huit principes élémentaires ou
chez Tchakhotine qui, propagandiste lui-même, « commandements » tactiques de propagande32,
indiquait les méthodes qu’il avait utilisées contre qui à la limite pourraient aussi s’adresser au
le nazisme, mais ambitionnait également de don- propagandiste en herbe. Ceux-là ne sont pas ana-
ner aux citoyens les moyens psychologiques de lysés en tant que tels, mais présentés comme les
« barrer la route » à la « propagande néfaste »28. éléments classiques de l’arsenal propagandiste.
Et cette ambition est visible chez des auteurs Conscient d’ailleurs peut-être de l’ambiguïté
contemporains – jusque dans la quasi identité qui s’attache à ce catalogue de mesures, Augé
des termes. C’est ainsi qu’Étienne Augé indique se fait plus prudent deux chapitres plus bas :
que « savoir reconnaître la propagande devrait « Ces techniques, connues des spécialistes en
faire partie de l’arsenal du citoyen, qui saura propagande, sont présentées ici afin que le public
se prémunir des effets de la communication en puisse se prémunir de leurs effets, et non afin
général, et sera en position de mieux effectuer d’encourager les vocations de manipulateur »33.
ses choix en connaissance de cause »29. Élargis- Un dévoilement utile, en quelque sorte, mais que
sant sa déconstruction à l’ensemble des discours l’auteur persiste à conjuguer à nouveau avec des
informationnels circulant dans l’espace public, il propositions normatives en indiquant, à propos
affirme également que son ouvrage s’adresse « à de ces « commandements », qu’« il convient de
ceux qui souhaitent développer à l’égard de l’in- les combiner afin de développer une propagande
formation une attitude de vigilance citoyenne »30. efficace »34.
Christian Salmon ne conclut pas autrement à
propos de son travail sur le storytelling qui doit Ce dévoilement – et c’est une autre limite du
contribuer à « enrayer la machine à fabriquer genre – prend souvent des accents conspiration-
des histoires »31. Malgré le temps long qui sépare nistes. Une conspiration qui serait moins dans les
ces écrits, l’ambition d’intervention publique et messages visibles qui, après tout, sont décodables
critique est toujours présente, et conduit à ne via les manuels proposés, qu’à la fois dans les
plus savoir si l’on est absolument en présence de émetteurs des messages, toujours cachés, et dans
travaux analytiques ou de préconisations situées les effets des messages, enfermant leurs récep-
qui entendent alerter le bon citoyen plutôt que de teurs dans des comportements qui ne sont pas les
lui livrer des analyses de l’objet. leurs. On sait que le discours conspirationniste
postule que le cours de l’histoire, ou plus loca-
Non seulement le caractère normatif de certaines lement des décisions politiques particulières, est
de ces approches menace de les transformer en de déterminé par l’action secrète d’un petit groupe
véritables « manuels » de résistance citoyenne à d’hommes désireux de voir la réalisation de leur
la propagande, mais il est parfois doublé par une projet de domination. Leur action toute-puis-
présentation de l’objet propagande sous la forme sante déposséderait les individus formellement
d’un véritable « traité » que ne renierait pas le libres du cours de leur vie35. La dénonciation

QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010 LA PROPAGANDE REVISITEE .11


conspirationniste de la propagande repose sur le Chomsky, un « système », qui semble contenir
même principe d’une manipulation généralisée médias et politiques tout entiers, et dont la pro-
qu’il faudrait mettre au jour pour conformer à pagande avale toute dissidence36. La profusion
nouveau la liberté proclamée de décision et la du social, les concurrences entre acteurs, les
liberté réelle. Car tant que la propagande existe, logiques des champs, sont ensemble niées au
elle nie tout libre-arbitre individuel, le subvertit profit de l’existence d’un message unique et
même en lui donnant toutes les apparences de contraignant. Le début de l’ouvrage de Bernays
son libre exercice. sonne ainsi très conspirationniste, pour décrire et
sans doute romancer une réalité dont il était lui-
Si un Tchakhotine considérait que la propagande même partie prenante : « Nous sommes pour une
était nécessairement signée, donnait à voir son large part gouvernés par des hommes dont nous
auteur pour obtenir l’adhésion à une idéologie, ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent
une cause ou un parti précis, les approches nos goûts, nous soufflent nos idées. (...) Le plus
contemporaines postulent que la source est désor- souvent nos chefs invisibles ne connaissent pas
mais invisible. Certes, il demeure toujours, selon l’identité des autres membres du cabinet très
elles, une propagande dont la source est connue, fermé auquel ils appartiennent »37. Les sources
comme la propagande gouvernementale ou celle de la propagande s’apparentent là à une sorte de
d’entreprises. Mais la propagande dans son sens franc-maçonnerie, dont Bernays se réclame tout
le plus large et le plus tentaculaire serait contenue en feignant d’en ignorer les véritables maîtres.
dans les médias de masse eux-mêmes, dans un Tandis que le champ d’action de la propagande est
discours dominant et unique émanant de multi- là absolument étendu, qui ne concerne plus seu-
ples canaux, et finalement dans un système éclaté lement la communication des entreprises ou des
et capillarisé. Cette montée en généralité de divers hommes politiques, mais le gouvernement même
travaux sur la propagande, comme d’ailleurs sur des conduites et des esprits. À propos cette fois
les médias ou la communication politique, trouve des récepteurs tremblants des messages, Chris-
précisément son origine dans leur refus de distin- tian Salmon décrit ainsi ce que la propagande
guer analytiquement entre ce qui relèverait d’une leur fait : « la violence symbolique qui pèse sur
propagande dûment orchestrée et revendiquée, et l’action des hommes, influence leurs opinions,
ce qui serait un effet du champ médiatique ou de transforme et instrumentalise leurs émotions, les
l’existence de positions politiques dominantes à privant ainsi des moyens intellectuels et symbo-
un moment, sans qu’il y ait matière à en déduire lique de penser leur vie »38.
l’existence d’un système complet d’aliénation
des masses. Sous cet aspect, si un discours paraît Précisément, la dernière limite des approches
dominant à un moment pour ses critiques, ce sur la propagande est d’ordre méthodologique,
ne peut qu’être lié à une action de promoteurs qui affirme un effet mécanique absolu de la pro-
cachés, au service d’intérêts supérieurs. Dès lors, pagande et de la réception du message. Ce qui a
il n’y aurait plus une propagande localisée et pour conséquence de proposer des analyses qui
relevant d’un acteur isolé mais, comme le pose dépolitisent les comportements politiques, au

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12 LA PROPAGANDE REVISITEE QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010
profit de visions macroscopiques improuvables. qu’elle peut être tout aussi efficace sans moyens
Sur cette question centrale de l’effet de la pro- de masse et, qu’au contraire, son efficacité tien-
pagande, Tchakhotine était très prudent. De son drait dans son caractère diffus et insidieux, et non
ouvrage, on a essentiellement retenu l’idée d’un pas dans son caractère ostensible. La propagande
viol psychique généralisé opéré par les régimes possèderait ainsi une efficacité intrinsèque et
totalitaires, et on a conféré une force évidente à obtiendrait des résultats immédiats et certains.
toute propagande. Sauf que Tchakhotine insiste Pour Augé, la propagande « modèle nos vies en
à plusieurs reprises sur la nécessité de recours permanence et nous pousse parfois à agir dans
à des moyens massifs pour qu’une propagande la plus grande irrationalité apparente »40. Pour
soit efficace. Il ne s’agit pas simplement pour Christian Salmon, l’action cherchée n’est pas
lui qu’un État envoie un message habilement irrationnelle, mais vise l’adhésion aux décisions
rédigé pour que la population y souscrive, il faut politiques ou économiques des dominants. Il est
au contraire déployer un arsenal complexe, car il l’auteur qui pousse le plus loin les effets de cette
faut passer outre les résistances individuelles à la propagande moderne qu’est selon lui le storytel-
violence psychique. La propagande de masse est ling, puisque, passant outre toute la sociologie
bien celle que Tchakhotine a en tête, et sous les électorale et les analyses sur les déterminants
yeux, lorsqu’il publie son ouvrage sur le sujet. Et sociaux du vote qui ont pu être produits ces
il s’agit de la propagande nazie, qui s’invente en dernières décennies, il n’hésite pas à faire de la
marchant à l’époque, et qui utilise justement des propagande le seul moteur des choix politiques
moyens inédits et lourds, des moyens guerriers : individuels. Dans le chapitre qu’il consacre au
musique wagnérienne, roulements de tambours, storytelling en politique, il accrédite l’idée que
cérémonies de masses, ou « défilés à grands la propagande et la communication font ou dé-
fracas »39. Ce que décrit Tchakhotine ressemble, font les élections. À l’appui de cette thèse, il cite
on l’a dit, à une propagande totale, qui prend la simplement – sans proposer d’analyses conduites
forme non seulement d’une propagande continue, par lui sur le terrain – des spin doctors politiques,
mais de toute une politique visant à façonner qui pensent que John Kerry a perdu les élections
idéologiquement la société dans le sens même de de 2004 sur des erreurs de communication, en
la propagande, par la diffusion des thèmes nazis, demeurant notamment au plan de l’intellect,
par la place accordée au sport comme fabrique des contre un George W. Bush bon narrateur41. Il
guerriers, et par tout un appareil de production reconduit là surtout la croyance des acteurs de
d’images et de symboles au service du régime. la communication, qui en font le levier central
Pour Tchakhotine, la propagande hitlérienne n’a de l’élection, au mépris de ce que des analyses
pu fonctionner que dans ce contexte particulier, microsociologiques pourraient révéler. Tout son
et non pas par sa seule force de conviction. ouvrage d’ailleurs indique que Christian Salmon
a incorporé le discours de croyance des acteurs
Or, ces conditions historiques rappelées par quant à la puissance de l’objet, confondant alors
Tchakhotine ont été tenues pour négligeables, et leurs catégories pratiques avec des catégories
plusieurs travaux sur la propagande considèrent analytiques.

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Mais, outre cette perspective mécaniciste, l’autre D’autre part, le dossier s’inscrira dans la lignée
écueil dominant des travaux sur la propagande est des approches universitaires qui ont renouvelé la
qu’ils ne livrent pas toujours de grille analytique question. C’est-à-dire d’approches qui n’adoptent
permettant de savoir pourquoi un message sera pas de postures généralisantes, mais au contraire
jugé manipulatoire ou propagandiste. C’est visi- s’attachent aux outils de la publicité, aux organis-
ble encore chez Christian Salmon qui, au fil des mes chargés de la propagande, ou à leurs formes
pages, affirme que tel mode de communication et supports les plus concrets42. Les développe-
est trompeur, tel slogan manipulatoire, ou au ments autour des médias et de la communication
contraire vertueux, mais sans jamais indiquer politique n’en font pas de simples prolongements
sur quels critères il se fonde pour l’affirmer. de la propagande propre aux démocraties, mais
Cette lacune analytique a pour effet – mais c’était s’efforcent d’en travailler les contraintes de
sans doute son objectif – de dépeindre une pro- fabrication, d’émission et de réception dans les
pagande omniprésente, qui est moins dans les sociétés pluralistes43. Ici, les médias n’apparais-
messages que dans les médias eux-mêmes, et sent pas comme une instance collective capable
dans la communication des hommes politiques de guider les comportements, de sanctionner les
et des entreprises. écarts à une norme implicite ou de manipuler
d’indéfinissables masses44. Les expressions ou
À l’opposé de ces approches générales, norma- les accusations lancées dans la presse, comme par
tives, problématiques d’un point de vue scien- exemple l’incompétence supposée de Ségolène
tifique, et parfois militantes, l’ambition de ce Royal lors de la campagne présidentielle de 2007,
dossier des Quaderni est de poursuivre dans les proviennent de sources diverses et font l’objet
voies nouvelles qui se sont ouvertes récemment d’usages très différenciés (Aurélie Olivesi). De
dans l’étude des phénomènes de propagande, de même, l’intérêt médiatique pour la vie privée des
communication ou d’information – sans revendi- acteurs politiques apparaît tantôt comme une me-
quer d’ailleurs une quelconque synonymie de ces nace sur leur légitimité politique, tantôt comme
termes. D’une part, plusieurs articles reviendront une contrainte qu’ils s’efforcent de dépolitiser
sur les perceptions qu’ont de la propagande les (Fabrice d’Almeida). Quant à la communication
auteurs qui la travaillent. Croyance en sa toute- publique, elle relève désormais davantage d’une
puissance au service d’acteurs-grands narrateurs véritable « politique du discours » que d’une
cachés (Benjamin Berut) ou contestation de la propagande unilatérale explicitement refusée
publicité commerciale jugée envahissante, dans (Caroline Ollivier-Yaniv).
un jeu d’actions et de contre-actions de ceux
qu’on avait surnommé les anti-pubs (Clara Lami- Ce dossier s’attache peut-être finalement à mon-
reau). Clairement orientées, un certain nombre de trer que nos sociétés de communication, et les
dénonciations idéologiques font en fait de la pro- écrits de leurs contempteurs, reposent davantage
pagande un autre mot pour « néolibéralisme », ou sur la croyance en une efficacité brute de la pro-
pour « pensée unique », nouvelles représentations pagande, que sur la mesure de son poids réel. Dès
d’un pouvoir insaisissable (Geoffrey Geuens). lors, la propagande existe-t-elle ?

.
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transformation démocratiquement correcte (France
N .
O .
T .
E .
S et Grande-Bretagne) », in Denis Rolland, Didier
Georgakakis, Yves Déloye (coord.), Les Républiques
1. L’auteur tient à remercier les relecteurs des articles en propagande. Pluralisme politique et propagande :
du dossier pour leur disponibilité et leurs remarques entre déni et institutionnalisation. XXe-XXIe siècles,
éclairantes. Paris, L’Harmattan, coll. « Inter-national », 2006,
2. Jean-Marie Domenach, La propagande politique, p. 393.
PUF, coll. « Que sais-je ? », 1973 [1950], pp. 9 & 14. Ibid., pp. 392-393.
97. 15. Table-ronde, avec Yves Déloye, Christian
3. Fabrice d’Almeida, « Propagande, histoire d’un Delporte, Robert Frank, Didier Georgakakis, Marc
mot disgracié », Mots, 69, juillet 2002. Lazar, Denis Rolland et Jean-François Sirinelli, in
4. Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la Ibid., p. 28.
propagande politique, Paris, Gallimard, coll. « tel », 16. On trouve cependant des définitions s’attachant
1992 [1939], pp. 375, 395, 399 & 559. davantage aux volitions de l’émetteur, comme
5. Jacques Ellul, « Propagande et démocratie », aux rapports de force. Par exemple, une définition
Revue française de science politique, vol. 2, 3, 1952, donnée par F.-B. Huyghe : « Moyens de faire croire
p. 475. une communauté en un contenu idéologique dans
6. Fabrice d’Almeida, « L’américanisation de la le cadre d’un conflit avec une autre communauté et
propagande en Europe de l’Ouest (1945-2003) », d’autres croyances ». Mais cela reste vague tant sur la
Vingtième siècle, « Propagande et communication nature des moyens que sur celle du conflit. François-
politique dans les démocraties européennes (1945- Bernard Huyghe, Maîtres du faire croire. De la
2003) », 80, 2003. propagande à l’influence, Paris, Vuibert, CLEMI-INA,
7. Philippe Breton, La parole manipulée, Paris, coll. « Comprendre les médias », 2008, p. 159.
La Découverte, coll. « Essais », 2002 [2000], p. 25. 17. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande à
8. Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’usage de ceux qui la subissent, Bruxelles, de Boeck,
l’opinion en démocratie, Paris, Zones, 2007 [1928], coll. « Culture & communication », 2007, p. 12.
pp. 59 & 95. 18. Edward Bernays, Propaganda, op. cit., p. 43.
9. Normand Baillargeon, « Edward Bernays et 19. Serge Tchakhotine, Le viol des foules, op. cit.,
l’invention du “gouvernement invisible” », in Ibid., p. 481.
p. 22. 20. Jacques Ellul, Propagandes, Paris, Economica,
10. Guy Durandin, L’information, la désinformation coll. « Classique des sciences sociales », 1990 [1962],
et la réalité, Paris, PUF, coll. « Le psychologue », p. 6.
1993, pp. 132, 141 & 147. 21. Philippe Breton, La parole manipulée, op. cit.,
11. Code électoral, Dalloz, 15e éd. 2009 (chapitre V, p. 73.
art. L.47). 22. La simple consultation de l’occurrence
12. Guy Durandin, L’information…, op. cit., p. 146. « propagande » sur un site autoproclamé d’observation
13. Caroline Ollivier-Yaniv, « “Propagande” et des médias comme Acrimed (Action-Critique-Médias)
“communication gouvernementale” : les enjeux d’une montre à quel point le mot est utilisé pour désigner

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essentiellement la position politique, idéologique p. 213. On lira à profit un compte rendu critique de
ou partisane d’un certain nombre d’adversaires cet ouvrage à succès, par Frédéric Martel, « Une
politiques. Consécutivement, cette dénonciation de la storytelling à la française », 28/12/2007, sur le site
« propagande » de l’autre dessine en creux ce qu’est Nonfiction.fr :
le propre positionnement politique d’Acrimed, mais h t t p : / / w w w. n o n f i c t i o n . f r / a r t i c l e - 3 0 8 - u n e _
ne fait qu’incorporer la notion de propagande dans storytelling_a_la_francaise.htm
des rapports de force plus vastes où elle perd toute 32. Les guillemets sont de l’auteur.
pertinence et se dilue d’un point de vue analytique. 33. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande,
23. Ellul proposait d’ailleurs de « passer rapidement op. cit., p. 100.
sur le fait aisément constatable que les moyens de 34. Ibid., p. 99.
propagande sont les mêmes que ceux d’information ». 35. Pierre-André Taguieff, La Foire aux Illuminés.
Jacques Ellul, « Information et propagande » Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris,
(première parution Diogène, 18, avril 1957), in Mille et une nuits, 2005 ; Marcel Gauchet, « Le démon
Patrick Troude-Chastenet (dir.), La propagande. du soupçon » (entretien), L’Histoire, « Complots,
Communication et propagande, Cahiers Jacques Ellul secrets et rumeurs », 33, 2006.
n°4, Paris, L’Esprit du Temps, 2006, p. 27. 36. Cette dérive conspirationniste a été notamment
24. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande, pointée chez Chomsky par Philippe Corcuff. Cf. « “Le
op. cit., tout son chapitre 2. complot” ou les mésaventures tragi-comiques de “la
25. Jean-Marie Domenach, La propagande politique, critique” », avril 2005. Republié en juin 2009 sous
op. cit., p. 97. le lien : http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-
26. Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essai corcuff/190609/le-complot-ou-les-mesaventures-
de politique contemporaine, Paris, Calmann-Lévy, tragi-comiques-de-la-critique ; Id., « Chomsky et le
coll. « Pocket Agora », 1994 [1969], p. 35 ; Christian “complot médiatique”. Des simplifications actuelles
Delporte, « Pour une histoire de la propagande et de la critique sociale », septembre 2006. Republié
de la communication politique », Vingtième siècle, en juin 2009 sous le lien : http://www.mediapart.
op. cit., p. 3. fr/club/blog/philippe-corcuff/120609/chomsky-et-le-
27. Marcel Gauchet, La Révolution des pouvoirs : la complot-mediatique-des-simplifications-actuelles-
souveraineté, le peuple et la représentation, 1789- de-.
1799, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 37. Edward Bernays, Propaganda, op. cit., p. 31.
1995. 38. Christian Salmon, Storytelling, op. cit., p. 212.
28. Serge Tchakhotine, Le viol des foules, op. cit., 39. Serge Tchakhotine, Le viol des foules, op. cit.,
p. 17. pp. 239 & 349.
29. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande, 40. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande,
op. cit., p. 13. op. cit., p. 13.
30. Ibid., p. 14. 41. Christian Salmon, Storytelling, op. cit., p. 118.
31. Christian Salmon, Storytelling, la machine à 42. Par exemple en travaillant l’affiche politique ou
fabriquer des histoires et à formater des esprits, les cartes postales. Sur tous ces points, on verra les
Paris, La Découverte, coll. « Poche », 2008 [2007], articles de C. Delporte, D. Georgakakis, S. Lemaire

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16 LA PROPAGANDE REVISITEE QUADERNI N°72 - PRINTEMPS 2010
ou B. de Perthuis, dans D. Rolland, D. Georgakakis,
Y. Déloye (coord.), Les Républiques en propagande,
R .
É .
S .
U .
M .
É
op. cit.
43. Karine Berthelot-Guiet , Caroline Ollivier-Yaniv, Nombre de parutions récentes ont entrepris d’étudier la
« “Tu t’es vu quand t’écoutes l’État ?” Réception propagande en repartant de l’état de la question tel qu’il
des campagnes de communication gouvernementale. était dans la première moitié du XXe siècle, tout en
Appropriation et détournement linguistiques des reconduisant la péjoration du terme. La réactivation de
messages », Réseaux, vol. 19, 108, 2001 ; Stéphane la notion de propagande y est utilisée comme une voie
Calbo, « La réception comme activité collective », d’entrée vers une critique idéologique renouvelée des
in Michel de Fornel, Louis Quéré (dir.), La logique médias, de la communication, et au fond du libéralisme
des situations. Nouveaux regards sur l’écologie économique. Mais ce « retour de la propagande » paraît
des activités sociales, Paris, Éditions de l’EHESS, surtout construit par les études mêmes qui lui sont
coll. « Raisons pratiques », 1999 ; Pascal Froissart, consacrées. L’analyse de ce phénomène peut cepen-
« Penser les médias sans notion de masse », Actes du dant sortir de cette labellisation pour constater d’une
XIIe Congrès des sciences de l’information et de la part un épuisement de la propagande en démocratie,
communication. UNESCO, 10-13 janvier 2001, Paris, et d’autre part les limites de ces travaux normatifs et
SFSIC, 2001 ; Rodolphe Ghiglione, « La réception mécanicistes. À côté de la classique étude de contenu,
des messages. Approches psychosociologiques », l’article plaide pour une meilleure prise en compte
Hermès, 11-12, 1993 ; Caroline Ollivier-Yaniv (dir.), analytique des émetteurs de messages, des institutions
Quaderni, « Secret et pouvoir. Les faux-semblants de qui en sont chargées, des politiques qui les fondent, et
la transparence », 52, automne 2003. de la configuration entre formes de communication,
44. Patrick Charaudeau, Les médias et l’information. champ médiatique et destinataires de ces messages,
L’impossible transparence du discours, Bruxelles, dans les sociétés pluralistes.
De Boeck-INA, coll. « Médias recherches », 2005,
pp. 11, 218 & 220. Pour un éloge, à contre-courant, Abstract
de la manipulation, cf. Fabrice d’Almeida, La Most of the recent publications on propaganda go back
manipulation, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », to the level of knowledge of the first half of the XXth
2005. Comp. Philippe Breton, « Réfutation de century, and emphasise the pejorative nature of the
quelques objections concernant la pertinence du term. This reactivation of the notion of propaganda
concept de manipulation », in P. Troude-Chastenet is used as a path towards a renewed ideological criti-
(dir.), La propagande, op. cit. cism of the media, of communication, and of economic
liberalism. But this « return of propaganda » seems
above all constructed by these analyses themselves.
However, the study of this phenomenon can leave this
« labeling » behind to establish on the one hand the
exhaustion of propaganda in democracies, and on the
other hand the limits of these normative and mecha-
nistic studies. This paper argues in favour of analyses

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which take into account the sources of messages, the
institutions in charge of their broadcasting, their
founding policies, and the inter-linking of forms of
communication, media-related fields and beneficiaries
of those messages in open societies.

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