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Les lettres de Kanaouenn


Echappée belle

Madères - Açores

Bernard MARTIN
Avertissement

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Crédit photos © Bernard Martin sauf mentions spécifiques
A Loïc.
Les lettres de Kanaouenn

Lettre 1 : La Rochelle - Camariñas ........................................................ 1


Lettre 2 : Porto Santo et Madère ......................................................... 14
Lettre 3 : De Funchal à Horta................................................................ 33
Lettre 4 : Açores, Escale sur Faial ......................................................... 47
Lettre 5 : Horta La Rochelle .................................................................. 67
Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020
Mardi 23 Juin.
Je préfère ne pas insister sur la période qui, soit disant, s’achève. Kanaouenn a bénéficié de plus de deux mois
de travaux à plein temps supplémentaires. Le dimanche juste avant que la cloche de plomb tombe, on a pu
sortir in extremis de Marans. Le trop d’eau dans les marais, interdisait l’ouverture de l’écluse du Brault. Ou
plutôt, les agriculteurs qui voulaient que l’eau s’échappe le plus vite possible faisaient pression pour
l’ouverture permanente de l’écluse au mépris de toute autre utilisation de la voie d’eau. Heureusement, le
service qui gère le bassin de la Sèvre a tout de même fait deux ouvertures exceptionnelles durant le week-end
du quinze Mars. Départ de nuit de Marans avec une brume à couper au couteau. Heureusement, je connais
bien le canal car on ne voyait les berges que vaguement sur le côté. La nouvelle hélice est déconcertante et je
ne maitrise absolument plus le bateau en marche arrière. Il y a un fort courant poussant dans l’écluse. Un
bateau léger s’arrête quand même bien à l’aussière même si la manœuvre ai été, pour le moins, un peu
« ferme ». Ce n’était pas le moment de faire une boulette. Le gars de service ne peut pas faire la manœuvre
avec cette brume. Pour me faire patienter, il m’offre un café dans son local de service et la discussion
s’engage. Les vrais échanges sont toujours enrichissants. Le bateau ne peut pas rester dans le sas ouvert
encore longtemps car, avec la marée qui va redescendre, le courant va encore monter, interdisant toute
manœuvre. Il est évident que cette brume n’est que matinale et qu’elle préfigure une belle journée. Elle ne
peut donc que se lever prochainement. Avec Patrick1, on décide pour une sortie « vers le bas ». Kanaouenn
fera des ronds entre l’écluse et le pont routier le temps que la visibilité permette l’ouverture du pont. La
brume se lève effectivement assez rapidement, mais … pas le pont. Il est en panne ! Une bonne heure à
attendre que l’équipe d’astreinte arrive sur les lieux puis enfin le pont se lève et Kanaouenn redevient libre.
Un grand merci au passage. Les gars n’ont pas l’air mécontents de leur partie de campagne. Finalement, c’est
peut-être plus sympa que de tuer le temps dans un local de service. D’autant plus que cette brume
évanescente laisse progressivement place à un soleil inondeur. La lumière cristalline sur la campagne est
exceptionnelle. Je profite des qualités manœuvrières de l’Arcadia sous grand-voile seule pour suivre les
berges de la Sèvre dans un calme magique. Le dégagement de la baie de l’aiguillon se fait au louvoyage, le
contraire aurait été tellement dommage ! Et, passé le pont, grâce à ces téléphones qu’on maudits parfois, on
se retrouve avec les deux frères Contal.

Pierrick avec son vaillant, fidèle et solide voilier de et Gaël, qui, si je ne me trompe pas, fait la première
sept mètres et quelque, sortie avec son Sun Rise récemment acheté.
Question photos, j’y gagne au change ! Des deux frères l’un est photographe semi-pro, et l’autre n’est pas de
reste. Merci à vous deux pour ces magnifiques clichés. Je ne résiste pas au plaisir de les remontrer bien qu’ils
soient déjà sur le blog et/ou sur Facebook :
Les deux photos de gauche sont de Gaël et les des deux de droite de Pierrick.

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Je ne sais plus comment il s’appelle, mais si cela ne vous dérange pas, pour la circonstance je l’appellerais Patrick.
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

Crédit : intothewaves.com
Grand moment de plaisirs après toutes ces séances de travaux à Marans … dans la totale insouciance de ce
qui, pas plus tard que le lendemain même, nous attendait !
Pendant cette période tourmentée, le morceau de bravoure du bord1 a été la capote de descente : toute à la
main ! Plus de cinquante mètres de couture et tout en matériaux de récupération mis à part les quatre
embouts d’angle à quatre-vingt-dix degrés. Du quasi Low-Tech, et donc, de la quasi vraie écologie.

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La liste des travaux réalisés est sur le blog :
http://lettreskanaouenn.canalblog.com/pages/travaux-de-restauration/38363517.html
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020
Au moment de la sortie du tunnel, pour ne pas me faire ronger par l’incertitude ambiante, je me suis
concentré sur la préparation des trois éventualités imaginables en m’en remettant à Dame Providence qui,
mine de rien, n’a pas fait si mal les choses jusqu’à maintenant. Le onze Juin, la nouvelle tombe. Jeff a pourtant
tout essayé. Mais là il faut bien se résigner. Des trois c’est certainement lui le plus déçu. Bien sûr, il en faudrait
bien plus pour renoncer réellement : le projet est juste repoussé à après le prochain hiver, croix de bois, croix
de fer ! Le plan A étant à l’eau, reste à espérer que le plan B tienne même si le plan C n’a rien de désagréable.
Je m’active donc pour que Kanaouenn soit prêt à cette éventualité.
Les nouvelles ne sont toujours pas idylliques, mais, à propos des frontières proches, elles s’améliorent. Si on
attendait que tous les feux soient au vert pour entreprendre quelque chose, les choix seraient bien restreints.
Par ailleurs, Kanaouenn, à trente-cinq ans, a bien enfin droit à une vraie navigation. Les cinq balades côtières
entre La Rochelle, la Bretagne Sud et Les Scilly ont démontrées qu’il le mérite. Cap sur l’Atlantique donc. Et ce
matin, le départ a été à la hauteur de son skipper-gaffeur. Levé très tôt pour finir les quelques dernières
bricoles de dernières minutes - il y en a parfois – et, surtout, pour aller chercher un peu de gaz Oïl. Kanaouenn
quitte le ponton sous les yeux attentionnés de ses voisins. Un petit détour vers Medralinch pour dire au revoir
car je n’avais pas eu le temps hier et cap sur la sortie du port. Mais : « Où est le bidon de gaz oïl ? » Bon sang,
en faisant le tour de la voiture pour la fermer, je l’ai oublié sur le parking ! Demi-tour, re-accostage, puis, re-
départ un peu plus tard sous le regard évidement un peu amusé, cette fois-ci, du même voisin !

Dans le pertuis : c’est parti !

Premiers pêcheurs. Premier coucher de soleil dans un ciel immaculé.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020
Mercredi.
Le petit temps se transforme en calmasse. Il faut souvent enrouler partiellement le génois pour ne pas raguer.
Le vent est très instable en direction aussi. La capote fait de l’ombre, mais elle fait aussi écope et le moindre
souffle d’air indique que le vent est redevenu portant : il faut changer le réglage des voiles. Suivre les
moindres changements pour avancer quand même : Empanner, installer le tangon pour mettre les voiles en
ciseaux. Essayer de gagner au mieux. Puis tout défaire pour revenir comme avant. Pour ensuite recommencer
plus tard ! Et que font toutes ces petites vagues de rien du tout qui viennent de n’importe où en même
temps ? Elles secouent le bateau, font claquer les voiles en les dégonflant, de la sorte que le bateau ne peut
pas avancer correctement. Cela use le matériel pour rien… et parfois un peu les nerfs aussi !

Pas de chance, je ne suis pas seul sur ce trajet. L’AIS reste bien actif à propos de cargos qui sont sur la même
route. De jour comme de nuit (alarme-alarme), La Rochelle a la cote !

Jeudi.

Petit matin très très calme.


Le vent revient. Contraire. C’est parti pour du près. La météo n’en est pas à son premier changement.
L’anticyclone, depuis le début de la semaine, est en train de bien reprendre possession de l’Atlantique Nord,
mais sa dorsale sur le golfe ne sait pas bien ce qu’elle veut. En route moussaillon !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

Très difficile, en plus avec les temps de latence des


appareils photos ordinaires, de prendre assez vite
pour avoir la bestiole au complet. Il faut, soit
anticiper si l’eau est assez transparente ou avoir
Petite visite, entre voisins. beaucoup de chance ! Ce qui arrive parfois.
Le coulisseau de la latte forcée fait encore des siennes. Ce n’est pas trop grave
car c’est le seul maintenant. Mais, du coup, la ferrure de bout de latte frotte sur
le mat en abimant l’anodisation. En plus cette ferrure a l’art de se coincer dans
les supports de barre de flèche pendant les manœuvres de ris. En prévision du
temps plus fort qui est annoncé et pour ne pas avoir d’ennui dans ces moments-
là, le mieux est de démonter la ferrure. Par petit temps, il reste facile d’affaler la
grand-voile pour ce bricolage.
Dans l’après-midi, l’écran de l’AIS noirci. Une nuée de pêcheurs !

Là, il n’y en a pas beaucoup !


Ce sont des ligneurs, les Espagnols ont donc l’air de bien s’être remis à une pêche plus raisonnée. Les grandes
antennes se balancent doucement dans la houle comme du temps des Thoniers Dundee de Yeux ou des
Gazelles des Sables. Comment se rapprocher en même temps des contraintes de la Planète et de sa propre
histoire.
Vendredi 26.
Après deux virements pour vérifier, le bord favorable est
sans aucun doute celui cap au Sud-Ouest, vers la côte. En
plus, j’y serais plus abrité car plus au large le vent sera
assez soutenu. Le long bord me mène, au petit matin,
tout proche de la côte Espagnole, du côté du Cabo Busto
et Luarca.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

Le plan d’eau derrière les Cap Ortegal et Estaca de Bares est effectivement parfaitement abrité mais l’objectif
n’est pas là ! Consultation de l’équipe à terre1 et de la météo prise en direct car, si près de côte je reçois
Internet, et après quelques copies d’écran pour en garder la mémoire, il faut bien ressortir de là maintenant.
Il n’est, d’une façon très générale, pas très bon de s’approcher des côtes Espagnoles lors d’une entrée ou
sortie de Golfe, et là je me suis laissé prendre. Il ne reste plus qu’à se remettre en route. C’est-à-dire, avec ce
vent d’Ouest-Nord-Ouest contraire, faire du Nord. Ce qui correspond à tourner parfaitement le dos à Madère.
Facéties du vent et de la voile ! Le vent devrait progressivement adonner. Le plus facile et le plus efficace est
de confier cette tache de bien suivre l’évolution au régulateur d’allure. C’est son Job de maintenir le même
cap par rapport au vent. Au sortir de la protection des caps, le vent monte et la mer se creuse. Au près serré,
Kanaouenn gagne lentement du terrain comme il peut. Si on n’avance pas trop mal, on pourrait sortir de cette
zone demain dans l’après-midi.

Derrière la capote, bien à l’abri du vent et des embruns, je ne regrette pas les heures de couture !
Dimanche.
La nuit a encore été un long bord de près serré par vent
soutenu où toute la difficulté est de faire avancer le bateau au
mieux tout en le faisant souffrir le moins possible. Le faire
taper à minima et ménager le gréement. Le régulateur se
charge du cap qu’il tient à merveille. A moi de régler les voiles
pour trouver le compromis le plus supportable. Dans cette mer
formée, on avance quand même à quasiment quatre nœuds.
Trois ris et le génois enroulé en équivalent foc trois. Ce n’est
pas le Melody qui s’y exprimerait avec le brio et la puissance
qui a fait sa réputation, mais pour un bateau de huit mètres
cinquante et de trois tonnes, l’Arcadia fait courageusement le
boulot et s’en sort très honorablement. Quand il tape, il ne
stop pas, il bouchonne très sainement et prend les claques
avec une sérénité presque indifférente.

1 ème
Sébastien assure le suivi météo par SMS via l’Iridium. Après ce grand pas dans le 21 siècle, qu’on de me dise plus que
je navigue à l’ancienne maintenant !
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020
En milieu de matinée, suite à ce qui devait être une sorte de front chaud qui ne voulait pas dire son nom, le
vent refuse franchement. Il est temps de virer et d’être enfin à un cap en accord avec
l’objectif. Le vent a bien baissé mais la mer, courte et désordonnée, secoue le bateau
et fait sèchement claquer les voiles. Pour l’épargner le ragage contre les haubans, le
génois est enroulé d’un tiers. Ce qui ne change pas grand-chose à la vitesse car, ainsi
déventées sans arrêt par les vagues, on avance que très lentement. Les pennons sont
tellement secoués qu’il est impossible se savoir si on est grand largue ou vent arrière.
Un tangonnage en ciseaux lève le doute : on est bien grand largue. Il y a juste à tout
remettre comme avant ! Dans l’après-midi, enfin, la mer s’apaise et Kanaouenn re glisse nonchalamment.
Quand les vagues ne sont plus là pour empêche l’avancement, je serais toujours étonné de la marche d’un
voilier sur mer lisse. Là, il y a à peine force deux et on est à quatre nœuds dans un silence et un calme un peu
sur réaliste après ces heures de cavalcade. Au loin sur Tribord passent des Panamax, ils sont au vent et cela se
sent bien ! Les bienfaits de la propulsion au fuel lourd sont merveilleux. A Bâbord les lignes de crête des
montagnes de Galice dessinent l’horizon. Le soleil s’installe. Je rempli un seau d’eau pour la laisser chauffer.
Dans le seau noir, c’est très efficace. Eh oui, un peu de confort est bien sympa ! La douche tant attendue est
suivie, sans transition par … La première lessive de la croisière !

Lessive : Première !
La route « Cap Finisterre-Entrée de la Manche » des cargos n’est pas loin. Pour la couper le plus
perpendiculairement possible, je la longe et vise l’angle intérieur du rail devant La Corogne. A cette allure, on
va y arriver de nuit.
Mardi 30.
Deux heures du matin, la bonne heure pour commencer à traverser un rail de cargos !
C’est la première fois que je le traverse si bas, en gros, au niveau du Cap Finisterre. Là
où il est le plus règlementé et le plus étroit. Les couloirs ne font guère plus de deux
milles de large et croyez-moi, les cargos sont bien dé
confinés. Le premier client fait quatre cent mètres de long et
presque soixante mètres de large. Un joli bébé. Je le suis de
près à l’AIS car il doit passer à moins de un mille devant. A
deux mille, toujours rien en vue. La visibilité est encore pire
que je le pensais. La ligne de lumières glauques éclaire son
immense pont et fait comme une ligne de réverbères sur un
front de mer. Il n’apparait qu’à un mille et demi. Sans l’AIS
traverser ce genre d’autoroute dans ces conditions aurait été
bien stressant. Il a fallu ralentir trois fois pour laisser passer
ces gros messieurs et je me suis dérouté une fois. Toute la nuit à surveiller et les

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
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suivre d’autant plus qu’il fallait anticiper les virages des descendants. Bref, sauf nécessité, jamais je ne
repasserais par-là, et comme les autres fois, je traverserais bien plus au Nord - ce qui est, en général, plus sur
la route - là où, sans couloirs imposés, le trafic est plus espacé.

Au petit matin, Kanaouenn est enfin dégagé. Après cette nuit blanche et la précédente qui était bien agitée, je
dors jusqu’à midi, en respectant bien sûr les tranches de veille car on n’est pas devenus tous seuls pour
autant. En début d’après-midi, le ciel se dégage. Première prise de ris dans le style « Grand large ». Tout va
bien. Le plan de pont devient vraiment de plus en plus familier et les mains commencent à trouver toutes
seules les bouts, les manœuvres et les prises. L’Arcadia est d’une facilité de maniement assez
impressionnante.
Mercredi 1er Juillet.
J’espérais les Alizés Portugais, soleil et vent portant ! On a été au près bon plein toute la nuit ! A cette allure
un peu débridée, le bateau ne tape quasiment plus mais il a quand même fallu prendre le deuxième ris. Ce
matin le vent baisse très rapidement en adonnant. Le petit temps s’installe sous un ciel uniformément gris
parfois entrecoupé d’un léger crachin. Le régulateur garde le cap malgré ce temps mou. Journée un peu
tristounette. J’en profite pour avancer la lettre. Avec le régulateur et malgré l’absence de soleil, la batterie est
archi pleine. A la tombée de la nuit le ciel se dégage d’un seul coup et la nuit est féérique.

Le soleil joue avec les nuages, De l’autre côté, la lune est là depuis un bout de temps.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

La magie des nuits en mer.

Jeudi
Ce matin, repasse un petit Oceanite, comme hier en fin d’après-midi. Un peu plus tard un puffin remonte les
vagues dans de longs vols planés. Il y a peu d’oiseaux depuis le départ. On approche doucement de la latitude
de Lisbonne. Le vent adonne encore à nous retrouver tangonnés en ciseaux. Le vent est assez soutenu et le
régulateur est un peu limite. Je le connais bien depuis le temps, c’est le même depuis plus de quinze ans ! Est-
ce parce que j’ai changé la colonne ? Je le trouve un peu brutal et un peu trop réactif. Peut-être en limitant le
débattement de l’aérien et/ou en enlevant encore un peu plus de plomb au contre poids cela le calmerait ? A
étudier mais il fait parfaitement l’affaire. Et quel plaisir d’avancer sans les bruits du pilote électrique, sans à
surveiller la batterie et avec la sensation d’avancer grâce au vent, de se diriger grâce au vent, avec des
moyens simples. Si loin des sirènes technologiques soit disant tellement indispensables à notre bonheur. Le
dosage du mou dans les drosses est également fondamental. Progressivement, les nuages deviennent
cotonneux. Cela sent furieusement les Alizés Portugais.

La belle vie sur l’eau !

Vendredi.
La moyenne s’améliore. Il faut avouer que depuis le départ, ce n’est pas fantastique de ce côté-là. Mais bon,
est-on vraiment pressé quand on est en mer ? A quoi bon. De toute façon, c’est la règle du jeu : Prendre le
temps comme il est et accepter qu’on ne maitrise pas tout, ce qui n’est pas toujours facile pour un être
occidental. Sinon, il faut prendre le train ou l’avion ou je ne sais quoi. A chacun de choisir, mais le cockpit de
Kanaouenn vaut bien un hall de gare et les alentours valent bien mieux qu’un tarmac !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

Ambiance de ce matin : lever du jour, puis lever du soleil... En « CinémascoopLive ™ » à entrées permanentes.
J’ai réduit pour le petit déjeuner car cela bougeait quand même pas mal. Puis le
vent a un peu baissé, donc j’ai redéroulé un peu, puis un peu plus. Quelques
tours sur l’enrouleur en plus ou en moins. Reprendre l’écoute en conséquence.
Et voilà à quoi se résument les manœuvres en ce moment. Intendance, lecture,
accordéon. A terre, il y a toujours quelque chose à faire, il faut gérer le temps et
ceci et cela. En mer, le calme s’installe et la vie coule. Paisible. La pêche
redémarre d’elle-même. Cela commence fort. Si cela continue, le mieux sera
peut-être de faire des conserves. On approche de l’ouvert du Détroit de Gibraltar, autre route classique des
cargos. Le premier qui se présente va en Italie. L’après-midi le vent s’installe et Kanaouenn allonge la foulée.

En soirée, un vraquier se présente, presque de face. On est sur la même route. Encore un qui va à La Palice !
Décidément c’est le spot à la mode en ce moment. J’ai failli l’appeler à la VHF pour lui souhaiter bon séjour à
La Rochelle. J’y ai renoncé en constatant que c’était un navire Chinois. Je ne me suis pas encore tout à fait
débarrassé, dans ma tête, de l’ombre des commissaires politiques, de la place Tian’anmen, …

Samedi.
Le vent a continué à monter et on est à force six maintenant. Cette nuit
la prise du troisième ris a été nécessaire pour calmer les embardées
dans des pointes à plus de sept nœuds. Ce matin au pointage, cent
vingt-huit milles en vingt-quatre heures. Sous régulateur, ce n’est pas
mal. Il est évident que sous pilote qui ferait avancer le bateau plus
droit, on irait plus vite. Et en barrant, il ne serait pas étonnant qu’on
enchaine surfs sur surfs. Visiblement, caracoler sur les vagues,
Kanaouenn donne l’air de n’attendre que cela… mais, on est en Avec le roulis : revoici la « table »
croisière ! Et plus on va vite et plus le bateau bouge, à l’intérieur aussi, du petit déjeuner dressée.
hélas !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020
L’atelier de changement de la suspension avant de la trottinette avance
peu. Le score est encore 1-0 pour la trottinette. La corrosion soude tout.
Un peu de confort – on s’y habitue vite en fait ! – sur les pavés Portugais
serait sympa. A priori, je n’ai plus que deux jours pour tenter d’y arriver …

Dimanche.
Dans la nuit, vers cinq heures du matin, le vent passe au Nord-Est. Le cap,
pile au vent arrière, était déjà trop Est. Un coup à couper l’île en deux.
Maintenant c’est encore pire : il est temps d’empanner. Le vent a bien tourné car on est maintenant grand
largue avec le génois qui porte bien tout seul. Pendant la manœuvre, le régulateur de fonctionne plus. Je tâte
rapidement les biellettes du bas, tout à l’air correct. Je branche le pilote électrique et laisse le chantier pour
quand il fera jour, bien que la pleine lune éclaire à merveille. Le vent a un peu baissé. Je déroule du génois
sans larguer le troisième ris. Pour arriver de jour, on n’a pas besoin de dépasser les cinq nœuds. En général,
j’évite d’arriver de nuit, à l’étranger ; et là, avec ces histoires sanitaires, il vaut peut-être mieux arriver quand
les bureaux sont ouverts. A suivre de ce côté-là.
Côté trottinette, le chantier va comment ? Bien, Merci pour lui. Je ne suis
pas arrivé à changer la fourche avant : impossible de la démonter. Il me
manque une grosse clé et en plus j’ai un doute sur la technique de
resserrage de l’ensemble au remontage. Pour une fourche avant, c’est un
peu gênant. Mais à force de coups de marteaux, de bombe de dégrippant,
etc. La suspension avant est redevenue opérationnelle. Suivi d’une bonne
vérification-huilage-graissage de l’ensemble, et voici une trottinette prête
à assurer sur les routes Portugaises ! N’étant pas arrivé au résultat
souhaité au départ, certain arbitrerait par un match nul. Mais grâce à des
complicités avec l’équipe qui a fait le job (corruption ?), le jury donne comme verdict 1-0 pour moi. En toute
objectivité, je pense que c’est très honnête et parfaitement justifié !
La loi des séries étant ce qu’elle est et les outils étant chauds, au tour du
régulateur. En fait c’est la tête de la grande biellette du haut qui est grippée.
Quand la tourelle tourne trop - lors du changement l’amure cette nuit – elle
se décroche. Lors du montage du régulateur à La Rochelle, elle était un peu
grippée. Je l’avais juste dégrippée rapidement pensant que ce serait suffisant
… Et bien non. Cette fois-ci, le mieux est de démonter la tête de biellette
complètement et de tout décaper-graisser au mieux. Sur la photo, vous
constaterez que j’ai bien assuré la petite pièce magique ! Ce n’est pas le
moment qu’elle s’échappe à l’eau. Pas ou plus de brosse métallique dans la
caisse à outil ( ?). Ma brosse à dent est décrétée « avoir fait son temps » à
l’unanimité et la voilà sacrifiée sur le temple la navigation sous régulateur. Le
motif étant le même que pour la trottinette, la solution est elle-même
identique : Nettoyage au mieux du pas de vis et huilage graissage. Et le
régulateur redevient opérationnel. C’est mieux ainsi. On ne sait jamais.
J’étais bien content, cette nuit, d’avoir tout de suite le pilote sous la main.
Verdict du jury ? Le premier prix était justement une brosse à dent neuve. !
Le hasard fait sacrément bien les choses tout de même. Non ?
On doit arriver demain matin. Presque « déjà ». Le vent ayant baissé d’un cran et le ciel s’étant dégagé (ces
derniers jours, il se couvre dans la nuit jusqu’en milieu de matinée), Kanaouenn glisse tranquillement sur la
longue houle qui s’est formée sur une mer au bleu profond, style mer du Sud. Une accélération parfois sur
une vague un peu plus haute que les autres. Un petit couinement par-ci, un petit grincement par-là, et le
sillage s’allonge.

- 11 -
Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

De vague en vague, la notion du temps s’estompe …


Lundi 6 Juillet.
Nuit se passe à petite allure pour arriver au lever jour. Le vent pousse toujours bien. J’ai enroulé
complètement le génois pour ralentir et malgré les trois ris, on dépasse encore les six-sept nœuds dans les
pointes. Je me résous donc à prendre le quatrième ris : on est encore entre cinq nœuds cinq et six nœuds. Ce
n’est pas la première fois que je constate qu’en réduisant, on ne ralenti pas autant qu’on l’imaginerait. A trois
heures du matin : Trois éclats, période quinze secondes, légèrement à droite de l’étrave, visible à vingt milles.
Tout est conforme. C’est comme cela que les atterrages nocturnes commencent. Puis la masse sombre
apparait progressivement dans la nuit.

La pointe Est de Porto Santo au petit matin.


Pour trouver une place dans le mouillage, il faut faire attention car, derrière les montagnes, le vent virevolte
beaucoup et les bateaux tournent un peu dans tous les sens. Il ne faut pas mouiller trop près des autres, je me
suis fait piéger déjà une fois. Il y a déjà quatre bateaux au mouillage, Kanaouenn n’est pas le seul à être sorti
rapidement du confinement.
Appel à la Marina, qui dit d’appeler la Police Maritime, qui dit qu’il faut appeler les Services Sanitaires, qui
disent qu’il faut qu’ils appellent d’abord la Police Maritime et qu’il faudra ensuite rappeler. Ils n’arrivent pas à
avoir la Police Maritime. Puis ne répondent plus. Et finalement, ce n’est plus la peine de téléphoner, il faut
envoyer un mail. A la police Maritime, au Service Sanitaire … ? Les derniers deux cents mètres pour atteindre
le rivage sont, visiblement, les plus difficiles à faire !
Mais ceci sera, une autre histoire !
En attendant voilà ce qui est visible du cockpit de Kanaouenn, désolé, mais c’est tout ce que je peux vous
montrer pour l’instant !
- 12 -
Kanaouenn Saison 5, Lettre n°1 – En route pour Madère.
Juin-Juillet 2020

Les voisins et la marina au fond. La voile hissée, c’est


Au fond de la grande baie ouverte au Sud : L’estacade Macif Centre de Voile qui vient d’arriver.
de Vila Baleira, la ville de l’île. Certainement de La Rochelle lui aussi !

De l’autre côté du port. Le ferry qui fait la liaison avec Funchal, tout beau.

Voilà !
Je vous souhaite plein de belles journées inondées du bleu des mers du Sud, et bien plus si possible !
Et …Bises aux filles !
A Bientôt,
Bernard.

- 13 -
Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
Juillet 2020
Lundi 6 Juillet.
Il a fallu pas mal tournicoter dans le port pour trouver une place. Déjà, je suis bien surpris d’y trouvé là quatre
autres voiliers et il n’y a, contrairement aux fois précédentes, plus de coffres. Il faut donc mouiller. Mes
prédécesseurs ont pris, bien évidemment, les bonnes places, là où il y a moins d’eau et pas loin du
débarquement. Mouiller parmi eux serait scabreux car les rabattants de la montagne font tourner les bateaux
un peu dans tous les sens et il faut rester assez éloigné les uns des autres. Je me suis fait avoir une fois ici avec
cela, ce qui m’avait forcé à changer deux fois de place. Je vais donc un peu plus à l’écart. Le bateau posé, reste
à savoir ce qu’il faut faire pour débarquer en cette période encore troublée. A la marina, l’accueil
téléphonique est très aimable mais elle me dit quand même que le port est fermé, qu’il faut aller mouiller
dehors et appeler la police maritime. J’essaye de lui dire que je ne peux pas mouiller dehors pour des raisons
de sécurité, la réponse est carrée : Il faut sortir et appeler la police maritime, point. Cela commence bien ! Le
policier ne relève pas lorsqu’il apprend que je suis dans le port, il me demande de lui envoyer par mail les
documents officiels et me donne le téléphone du service de santé pour savoir comment faire le test Covid. En
me disant que je peux le rappeler en cas de problème. La matinée se passe en appels téléphoniques et mails
pour avoir ce fichu rendez-vous. Au final, avec le voisin Suisse, Ben, qui est arrivé ce week-end et qui est dans
la même situation, à deux et en se passant les informations, on avance quand même. Résultat en fin de
journée, il a un rendez-vous pour demain quatorze heures. Pas moi … Allez savoir pourquoi ! Ce n’est pas très
grave car l’essentiel est de savoir que, malgré la procédure plutôt floue, il sera possible de débarquer. L’avenir
finira bien par dire quand.

Confiné à bord, voici la seule photo que je puisse


vous montrer de Porto Santo pour l’instant. C’est la Un cadeau de Ben. Après treize jours de mer, il faut
même que cette de la fin de la lettre précédente, croire qu’un Suisse ne peut pas imaginer un Français
mais sous le soleil. C’est quand même plus lumineux ! sans pain ! Il vient de le faire ce matin. Vraiment
Au premier plan à gauche, le bateau de Ben. excellent !
Le reste de la journée passe en conversations avec la tribu et en repos car j’ai quand même une petite fatigue
qui traine, une nuit d’atterrage est toujours courte.
Mardi.
Une bonne nuit rend d’attaque. Quitte à être bloqué à bord, autant en profiter
pour faire les travaux dont Kanaouenn a besoin. D’abord le régulateur. Je voulais
simplement re régler l’orientation des poulies de renvois des drosses qui ne
frottaient pourtant qu’à peine, mais le moindre ragage est destructeur. En fait un
écrou est fendu, incroyable, d’autant que là, il n’y a pas vraiment d’efforts. Une
bricole en entrainant une autre, le régulateur après les services rendus, méritait
bien une petite séance de cocooning. Les coulisseaux de la grand-voile sont
quasiment tous changés. En adaptant les coulisseaux bien plus solides récupérés de
l’ancienne grand-voile de Sébastien, cette fois-ci, ils devraient résister. Il ne
manque à l’inventaire que les deux du bas, les moins
importants. J’ai préféré en garder quand même deux de
rechange, disponibles dans la boite à voilerie. On ne sait
jamais ! Le palan de hale bas de bôme est renforcé pour être

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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plus puissant et qu’il se bloque mieux dans le clam. C’est du montage provisoire le temps de valider en mer
cette modification.
Bilan côté test, la Police Maritime est passé ce matin en Zodiac. Petite visite de courtoisie de l’interlocuteur
d’hier au téléphone. On est à Madère. Même les policiers sont d’une gentillesse étonnante1. Je lui propose
bien que j’aille avec Ben pour le test tout à l’heure, mais surtout pas : il faut respecter la procédure !
Maintenant que je suis dans le tuyau, force est d’y rester. Pourtant les voisins lituaniens, hier, tout
tranquillement et en ne demandant, à priori, rien à personne, sont allé à l’hôpital, ils ont demandé à faire le
test … et ils ont été tout simplement testés ! On n’imagine pas à quel point la vie peut être simple parfois !
Bref, en fin de matinée, le mail de convocation pour demain est arrivé. Quatorze heures zéro cinq, c’est
précis !
Il ne faut surtout pas le dire, j’ai fait une petite escapade en annexe dans le mouillage pour passer voir Ben au
passage et pour aller saluer le voilier Macif Centre de Voile2 qui est au ponton. Il vient d’être remis à l’eau
après son confinement à terre et ils partent demain pour Brest, refaire de l’école de voile.
J’en ai profité, bien évidemment, pour immortaliser Kanaouenn :

Mercredi.
La dernière ligne sur la liste des travaux est de scier les pattes du réchaud qui limitaient le débattement. Cela
c’est fini en un décrassage complet de la grille, au papier à l’eau grammage quatre cents pour qui le détail
intéresse. C’est cela d’avoir du temps à ne pas perdre ! Un remontage en optimisant aussi le passage du tuyau
et le réchaud balance au mieux possible. Puis, c’est donc la grande aventure du débarquement. Je vais au
centre de santé en trottinette, Ben, qui va chercher son résultat est en vélo. Le macadam de la route est tout
neuf et tout lisse. Idéal pour une bonne glisse ! Ben est négatif et peut donc circuler. Le test ? Il n’y en a pas
pour plus de deux minutes. « Vous revenez demain à la même heure pour le résultat ». Surtout, ne le dites à
personne mais je suis quand même un peu rentré par le chemin des écoliers. Plus précisément, je me suis
perdu. C’est bête, j’ai, à un moment, du prendre, très malencontreusement, mon téléphone un peu à l’envers.
Qu’est-ce que je peux être étourdi parfois ! Voici donc un petit reportage un peu volé.

1
Difficile de pas faire de comparaison avec chez nous … Où ils tabassent même les filles qui réclament juste des mesures
et des soutiens pour être, par certains conjoints, …. justement, moins tabassées ! Cherchez l’erreur.
2
Les bateaux sont normalement basés à La Rochelle, c’est donc une visite presque de voisinage.
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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Deux grands classiques : L’église et l’ancienne mairie !

Des pavés partout, on est au Portugal. Vue imprenable sur la mer.

Où on retrouve l’incontournable Colombus. Le cône parfait du Pico do Castelo.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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La grande plage. Puis retour bien vite au bateau !


Il n’y a pas d’urgence pour les courses, et bien que je lui ai dit que cela peut attendre
demain, Ben passe me déposer de la fraicheur. A la grignoter petit à petit à chaque passage,
la salade n’a pas fait l’après-midi ! Après plus de deux semaines, une telle verdure est l’un
des plus beaux plats du monde. Le plaisir des choses simples.
Jeudi.
Grand jour !
Une petite finition sur le réchaud et il est temps de
débarquer.
Sur le quai, un homme en chemise bleu scrute le
mouillage avec ses jumelles. C’est un GNR1, corps de
police qui ne rigole pas toujours. Il m’attend au
débarquement. A vingt mètres du rivage, il me Avant. Après.
demande si j’ai un test négatif. Je lui dis que je vais le chercher. Il me dit que sans un test négatif je ne peux
pas débarquer. Je lui dis que la Police Maritime m’a autorisé à aller le chercher et que les autorités sanitaires
m’ont dit de venir le chercher maintenant. Il me dit que non, je ne peux pas débarquer sans le test négatif. Je
lui répète que j’ai l’autorisation de la Police Maritime et du Service de santé et lui demande ce que je dois
faire s’il ne veut pas que je débarque. Il me dit que ce n’est pas lui qui m’interdit de débarquer mais les textes.
La situation devient ubuesque. J’ai beau lui dire que treize jours de mer et l’attente d’ici correspondent à la
quatorzaine (demandée par les même textes en cas d’absence de test négatif), rien n’y fait. Je commence à
sortir mon téléphone pour appeler la Police Maritime car il m’avait dit que je pouvais l’appeler en cas de
problème, tout en lui disant qu’il y en avait pour dix minutes pour aller au centre de santé. Il me dit alors
d’accord mais vous revenez tout de suite me présenter le résultat. Ouf !
A peine dans le hall du Centre de soins, la secrétaire, toujours aussi gentille, me tend l’enveloppe en me
disant, visiblement très contente, que tout va bien. Je peux donc circuler à ma guise. J’en profite donc pour
passer tout de même à l’office du tourisme. Mon ami à la chemise bleu, qui n’a pas grand-chose à faire de ses
journées que de surveiller cinq bateaux au mouillage, peut bien attendre un peu. De retour au poste, mon
nouvel ami fait toutes les formalités en me déclarant sur un air de victoire que j’étais maintenant un homme
libre. Quatre jours tout de même pour en arriver là. Il faut dire que la procédure est un peu lourde car c’est,
en fait, la Police maritime qui la gère entièrement et que le poste de santé, seul service de soin pour toute
l’île, est parfois bien occupé par des cas médicaux plus sérieux. Puisqu’une bonne nouvelle arrive rarement
seule, le port vient de ré-ouvrir. Cela lève l’ambigüité de la présence des bateaux et nous donne le privilège
d’avoir aussi le droit de payer ! Toutes ces formalités enfin terminées, il reste quand même du temps pour
une balade sur l’île. Miss Trottinette et les Papattes trépignent un peu : c’est parti.

1
Garde Nationale Républicaine. Un peu l’équivalent de la Guardia Civil Espagnole, la sinistre ancienne réputation en
moins.
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Toujours cette grandiose plage, splendide, quasi vide. On dirait le Sud !

Si même Sainte Rita perd son toit,


Alors, qu’allons-nous devenir ? On the Portugal Road Again (Autoportrait n°6).
Et c’est comme cela que je me retrouve en route pour le Pico do Castelo. Il s’appelle ainsi car, du temps des
pirates, la population s’y refugiait en cas d’attaque.

Au fond, la Capela do Graca. Le sentier suit le bord des terrasses.


L’île est très désertique (Chèvres ?). Il y a eu toute une campagne de reboisement partiel qui a réimplanté des
espèces pas forcement endémiques mais qui étaient capables de s’acclimater aux rudes conditions locales.

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Presque en haut. Et tout en haut.

Vue imprenable sur Porto Santo. Puis retour à la route.


Je rentre par la ville pour faire quelques courses, un peu de frais et une bouteille de Madère, il faut bien
arroser dignement les résultats du test. Ce n’est pas le Bac, mais ce n’est pas une raison. Un examen reste un
examen ! Je ne sais pas ce qui s’est passé mais la bouteille n’a pas tenu le coup longtemps. L’évaporation sans
doute. Ben me montre l’installation toute récente du moteur électrique du bord de Knut1. Le parc à batteries
high-tech n’est pas accessible mais doit être spectaculaire. Il me semble qu’il m’a parlé de cinquante
kilowatts. La nouvelle hélice doit trainer un peu mais permet de recharger les batteries en mode hydro
générateur. Tout cela est géré par une armoire électronique impressionnante. Ben n’a aucune idée de
combien cela peu coûter car tout cela est le cadeau d’un mécène. Je reste convaincu que l’énergie ayant le
moins d’impact sur la planète reste celle qu’on ne consomme pas. L’intérieur est de type Arctique avec poêle
à bois au pied de la descente. Le plus étonnant est le carré : entièrement tapissé de livres sur les deux côté de
haut en bas ! Du jamais vu à ce point dans un voilier ! Ben est un grand liseur.
Vendredi.
En débarquant, je passe saluer le nouveau voisin de Kanaouenn. Il bat pavillon français. Il est arrivé hier. La
petite famille de deux enfants vient de Cadix après un confinement à Gibraltar et sont en route pour
l’Australie sans grande pression de timing. On papote un peu. Ils sont, bien évidemment, en cour de
procédure pour le débarquement. En attendant, ils sont intéressés pour que je leur fasse des courses en fin
d’après-midi. Sur le quai, une chemise bleu est là. Je le vois demandant son résultat à Ben. Puis il m’accoste en
me disant « Vous avez parlé au bateau d’à côté », « Ben oui », « Il faut faire attention » patati patata, « Ben
oui ». Je vous passe les détails de la palabre. La belle leçon de morale est bien gentille mais je ne pense pas
être un inconscient, et la prudence de mise n’interdira jamais la plus élémentaire solidarité des gens de mer,

1
Knut est un ULDB (Ultra Léger Déplacement Boat) à bouchains vifs en aluminium de quinze mètres environ. Avec
l’association Marémotrice, il propose des sessions de résidences d’artistes au Groenland. www.maremotrice.ch. Sur les
deux livres que m’a donnés Ben, il y a des photos totalement époustouflantes.
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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qui pour les marins est totalement sacrée. N’en déplaise aux Z’autorités. Cette fois-ci, l’idée est d’aller faire la
balade qui mène à la pointe Nord-Est de l’île. Et, si tout va bien, de rentrer en faisant le tour par le Nord.

La route monte vite et raide. Et passe par l’évocation des anciens moulins.

Puis, une vue plongeante sur le port,


(Au centre, vous devinez bien qui c’est !). Le phare qui garde la pointe Sud-Est.
En chemin, dans une ancienne ferme, il y a un petit musé qui évoque la vie traditionnelle de l’ile. Porto Santo
était, et récemment encore, très active : agriculture céréalière, Conserverie de poisson, etc.

Labourage. Battage. Moulin à farine.


Un des gros problèmes était bien sûr l’eau. Il y a maintenant une station de désalinisation en ville.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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L’aéroport date de mille neuf cent soixante. Par contre le port ne date que de
mille neuf cent quatre-vingt-trois. La photo du centre, qui est une scène de
débarquement de gens, date de quatre-vingt-un ou quatre-vingt-deux. Le mont
Castelo, à ce moment-là, n’était pas reboisé. L’île produisait un peu de vin et
même de l’eau en bouteille !
Je passe discrètement sur le fait que la route montant fortement et étant toute
Les abeilles butinent à
pavée, j’ai tout fait à pied en poussant la trottinette, pour arriver, sans transition,
cœur joie
au point de départ de la randonnée.

A la pointe de Terra Chã, la brume survient. Ce n’est pas bon pour les photos. Le retour se fait par le Nord, la
route monte encore un peu, puis, la descente sur macadam en excellent état, tout en roue libre, jusqu’en
ville, est d’anthologie !
En fin de journée, j’aide Ben à mettre son bateau au ponton. Pendant cette opération au moteur, aucun bruit,
aucune vibration. Spectaculaire. Et même assez déroutant car, pendant les manœuvres, en général, on gère le
moteur à l’oreille.
Samedi 11.
Le kayak est plié et rangé, l’heure du départ approche. Hier, j’ai, bien sûr, prévenu Funchal1 qui m’attend. Ils
m’ont dit de prévenir la Police Maritime, qui m’a dit qu’il faudra contacter les autorités sanitaires, … Pour
finalement, au bout de une heure et cinq coups de téléphone, m’entendre dire qu’il suffira de les prévenir
quand je serais arrivé à la marina, et pas plus. Bien. Pendant une période calme, l’ancre remonte rapidement
à la main, juste un peu de guindeau au moment du décrochage et je hisse la grand-voile dans le port. J’ai
gardé les deux ris. Je vais pour empanner vers la sortie, une bonne rafale nous salut. Le bateau démarre

1
La secrétaire m’a bluffé. Quand je lui donne le nom du bateau, elle me répond : « Vous êtes déjà venu ? ». Quatre ans
après elle se rappelait de Kanaouenn. Le nom est peut-être un peu original mais quand même. Quelle mémoire
d’éléphant.
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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comme un fou en étant hyper ardent. La seule solution est de virer vent devant. La manœuvre est rapide et le
bateau nerveux. Puis, quelques instants plus tard, tout aussi rapidement, presque plus rien, et, malgré le
génois, on barbotte mollement vers la sortie !

Pendant tout le dégagement de la baie et jusqu’à la pointe sud de Porto Santo, le vent est changeant
obligeant à de fréquents empannages. Puis, bien dans le flux, le grand
largue par force cinq jusqu’à la pointe Nord-Est de Madère est un régal. Je
m’attendais à y trouver un effet de cap, j’ai été servi. Passée la pointe,
heureusement qu’elle nous protégeait de la houle et de la mer, car le
vent, redescendant de la montagne couvrait le plan d’eau de moutons
ramassés. Sous presque rien devant, juste ce qu’il faut pour équilibrer le
bateau, et le deuxième ris qui appelait souvent le troisième, le paysage
connu défile à Tribord. Quinta do Lorde, Caniçal, Machico et le
spectaculaire aéroport. A la pointe Sud-Est, encore une fois d’un seul
coup, plus rien. Kanaouenn est immobile alors que les moutons nerveux sont à cinquante mètres derrières et
à cent mètres sur Babord. Moteur, en espérant qu’à la pointe suivante le vent revienne.
La côte défile au son du moteur, le vent n’est pas revenu mais Funchal n’est pas loin.

Une des plus grandes plages de madère (galet noir


garanti !), au pied d’un Christ façon Rio. Ma copine la Sirène !
L’accueil à la marina, par la sirène de service, est toujours le même. Décidément, elle n’est pas de marbre ! Il
en est tout autre du cerbère de permanence. Après avoir vu mon test, il appelle la police maritime puis se
déride un peu quand elle lui dit qu’elle est au courant et que tout est fait. Il me trouve une place et fait les
paperasseries d’usage. De retour au bateau, un voisin proche m’offre une bière, « Bien fraiche », « Pour
l’arrivée !». On est à Madère. Il est l’heureux propriétaire d’un Grand Soleil dans un état impeccable, presque
plus que neuf. Pour ne rien vous cacher, une bonne douche à l’eau douce et chaude, après deux semaines et
demie à l’eau de mer, eh bien, c’est très agréable en fait ! La terre bouge franchement, est-ce seulement le
trajet un peu mouvementé, ou la Coral locale ? Ce qui n’empêche pas de faire une première petite incursion à
terre.
A l’office du tourisme, l’accueil est bizarre. Il est vrai que, maintenant que tout est sur Internet, leur rôle est
souvent de dire que c’est sur Internet, mais cela n’empêche de dire où et comment y accéder, bref. Sur la
grande croisette habituellement si animée, on est pourtant un samedi en fin de journée ensoleillée, il n’y a
quasiment personne …

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Les grands boulevards de Funcal vides. Qui l’eut cru ?

Funchal by Night. Un amphithéâtre de lumière sur les


L’ancien palais résidentiel. montagnes environnantes.
Dimanche.
L’idée est d’aller vers Camara do Lobos. Je vais essayer de faire un maximum de déplacements en transport en
commun. Il faut vivre avec son temps et ménager la caisse de bord. Dans cette île, pourtant
pas si grande que cela, il n’y a pas moins de cinq compagnies d’autocars interurbains. Il faut
déjà trouver la bonne compagnie, puis trouver la bonne ligne et enfin trouver les horaires sur
Internet. Ensuite, et peut-être le plus délicat, est de trouver l’arrêt de la dite ligne de la dite
compagnie. Je ne sais si même un boy scout expérimenté s’en sortirait ! Finalement, je
trouve le bus assez rapidement et en demandant relativement assez peu. Le chauffeur roule,
comme tous ces congénères, c’est-à-dire très vite et brutalement. Il faut vraiment se
cramponner ! En montant un peu sur la colline, à s’amuser à se perdre à moitié, les points de
vue valent les raidillons.

Vue du petit port de pêche. La colline est couverte de bananeraies.


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Pour le plaisir des yeux.

Vers l’Ouest, le début de la zone des falaises. Vue d’ensemble du site.


Lundi.
Le bureau de la marina est ouvert. Je fini les formalités avec la dame qui se rappelle si bien de Kanaouenn. Un
tour au GNR voisin et l’idée est d’aller marcher vers Ribeira de Machico. Il faut juste prendre le bus. Je pars en
avance en me donnant une demi-heure pour trouver l’arrêt, une marge bien confortable. Il me semblait
l’avoir repéré. Au bout d’un moment, il faut bien se rendre compte que ce n’est pas le bon. Des chauffeurs de
bus me disent que l’arrêt est un peu plus loin sur le boulevard. Il faut dire qu’avec tous les arrêts des
différentes compagnies et donc des différentes lignes, il y a aussi, tous les arrêts de lignes urbaines de la
compagnie publique. Sinon, ce ne serait pas rigolo. De proche en proche, je me retrouve au pied du départ du
funiculaire. Il y a là comme une mini-gare routière. Il y a un kiosque de vente de billets. « Oui, c’est bien là.
Mais il vient de partir ». Il est effectivement treize heures trente et une minute… La minute de trop ! Pour un
diplôme de guide scout, je repasserais. Il est encore temps de trouver un plan B. Et c’est comme cela qu’un
autre bus, après avoir caracolé à toute vitesse dans la montagne sur des routes pentues et tournantes à
souhait, après avoir monté puis redescendu, me dépose dans le fond de la vallée de Curral das Freiras.

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Le sentier choisi monte presque droit face à la pente et mène à des champs de maïs sur de toutes petites
terrasses.

Une molaire de diplodocus géant pétrifiée ? Pause en haut, aux chants des oiseaux.
L’autre sentier choisi est en fait l’ancien chemin qui monte au dernier village de la vallée et monte tout de
même moins.

Pour le plaisir des yeux et pour la sérénité.


Au retour, passé le col, le bus redescend sur Funchal. Les virages, direction bloquée à fond et le parechoc qui
frôle le parapet extérieur des virages face à la pente ne peuvent pas être pris plus vite ! Coups de freins, coups
de volant, le chauffeur connait la route par cœur, sans aucun doute ! Et heureusement.
La ville est, aujourd’hui, bien plus animée, avec du monde dans les rues et aux pâtisseries-salon de thé où les
gens prennent à toute heure un gâteau avec leur café, à moins que ce soit un café avec leur gâteaux ! Au
début du ponton, j’avais repéré un très beau Muscadet, qui visiblement était bichonné avec grand soin. Cette
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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fois-ci le propriétaire est à bord. En passant, je lui fais un petit signe pour lui dire que son bateau est beau, il
me fait signe d’approcher.

Il me dit que l’idée lui est venue en Angola : « Après la guerre, je me construit un voilier. ». Il me montre des
photos. Il a mis trois ans et demi pour tout faire, la coque, le mat, la quille, etc. Il parait qu’à l’époque on ne
trouvait rien sur l’île. Je veux bien le croire car actuellement on ne trouve toujours pas tout, et de loin. Pour la
coque, je lui demande comment il a fait pour le brion qui est réputé difficile à faire sur ce bateau. Il me dit que
Harlé1 lui avait préconisé de le faire en deux épaisseurs de cinq millimètres. Il n’a pas voulu et a ployé du
contreplaqué de dix au serre-joints en humectant avec des chiffons d’eau brulante. Il y a passé un temps fou
mais y est arrivé. Le mat est en bois collé et creux. Ne pouvant obtenir ici une quille d’origine, Harlé lui en a
dessiné une en tôle avec lest en plomb. Le bateau à trente-cinq ans et est en état magnifique. Même, la table
à cartes est parquetée des plans du bateau !
Mardi.
Le bus est à huit heures. Mais là, tout a été repéré hier, donc aucun bug d’organisation. Il me dépose à Ribeiro
Frio, au centre de l’île et point de départ de la randonnée qui descend jusqu’à Portela. Le chemin suit une
levada, la pente est donc douce et les cinq heures de marche sont très faciles.

1
Philippe Harlé, le célèbre architecte naval connu, entre autres, pour toutes les séries de voiliers en contreplaqué.
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Mon voisin de pique-nique, pas farouche (et très


intéressé !). A Portela, vue sur Porto da Cruz, sur la côte Nord.
Un bus pour le retour ne devrait pas tarder. Il faut être hyper attentif ici. Comme il y avait plusieurs personnes
qui attendaient en voiture, j’ai regrettablement pensé que c’étaient des conducteurs qui venaient chercher
des gens qui arriveraient par le bus. Que nenni, et le bus passe en trombe ! Certains doivent prendre les
routes de Madère pour des pistes de karting ! Un Monsieur me dit qu’il y a un autre bus sur la route d’à côté
dans une heure. Tout n’est pas perdu !
Ne rentrant pas tard, je vais me renseigner pour réserver un scooter pour demain. Les bonnes résolutions ont
leurs limites et pour bien profiter de la côte Nord et des montagnes du centre, c’est tellement plus pratique.
Je retourne là où je suis déjà allé. Ils sont aussi spécialistes en location avec chauffeur de vieilles voitures,
activité So British ! Le garage est un vrai petit musée miniature.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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L’affaire est tellement rondement menée que, finalement, je repars avec le scooter. Pour cette fin de journée,
je file juste rapidement du côté Est de l’île. En repassant par Porto da Cruz. Désolé mais j’adore cet endroit !
En plus, la route pour y aller est superbe, dans la montagne et les forêts, et est tellement sympa à y conduire
en deux roues.

Funchal, vu d’en haut.

Porto da Cruz, deuxième ! Le port de Caniçal.


Une chose assez caractéristique d’ici, les maisons sont disposées sur les lignes de crête.
Mercredi.
Contrairement à hier, je me suis équipé contre la fraicheur et surtout contre le vent car hier soir je suis rentré
littéralement congelé de la première escapade en deux roues. C’est bien de partir à l’heure qu’on veut, sur
l’itinéraire qu’on choisit au fur et à mesure de l’inspiration du moment, sans lignes, sans horaires, ni arrêts,
etc. ! En route donc. Encore une fois, juste pour le plaisir des yeux.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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Traversée de l’île, Par une vallée très encaissée,

Pour arriver sur la côte Nord, à São Vicente.

Sur la côte Nord.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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A Ribeira do Janela. Piscines naturelle près de Seixal.


La petite route monte raide dans la montagne, de virages en virages, on se retrouve dans les nuages dans
toute la partie centrale, puis, à l’abri sur l’autre versant, le soleil revient.

Nid d’aigle imprenable ! Viendrait-elle dire Bonjour au scooter ? Non merci !


Passé le Pico de Hurze, je délaisse le scooter pour une marche dans la montagne.

Traversée à pieds secs !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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La vallée de Ribeira Grande, effectivement grandiose. Et au fond, la cascade do Risco.

Retour par la côte Sud :


Décidément, les routes sont bien gardées, par ici ! L’ancienne route serpente dans le canyon.

Près du cap Girao,


Une des plus grandes falaises d’Europe. Nuages du vent qui passent par-dessus les crêtes

Après avoir rendu le scooter, en plus c’est presque sur la route, ce serait tellement dommage de ne pas
retourner par le marché !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°2 – Porto Santo et Madère.
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Une variété de fruits et de fleurs éclatante. Petit détail, l’ananas n’est pas de l’île, mais les papayes, oui.
Madère est la porte du Grand Sud. Ci-dessous : Piments et paniers à gogo.

Et pour finir, des Azuleros.


Après quelques autres dernières courses, je suis rentré assez tard à bord. Trop tard pour dire au revoir à mon
voisin au Grand Soleil qui est pourtant là très régulièrement. Il ne me reste qu’à déposer dans son cockpit la
bouteille de vin (Français bien sûr) qui lui était destinée. Car demain ce sera l’appareillage.
Mais ceci sera une autre histoire !
Voilà, je ne suis pas retourné dans les musées, certains le méritaient vraiment, mais, après ces trois mois,
j’avais surtout eu envie d’extérieurs, de bouger, de marcher … au grand air frais !
Je vous souhaite tout plein de gentillesse et de douceur, comme celles qu’on trouve ici, sur cette terre de
Madère, et bien plus si possible ?
Et …Bises aux filles !
A Bientôt,
Bernard.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°3 – De Funchal à Horta.
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Jeudi 16 Juillet.

A Funchal, comme à Porto Santo, le soleil se couche derrière les montagnes. Donc impossible, malgré les
multiples commandes que vous imaginez aisément, de photographier le
moindre coucher de soleil. A défaut, voilà le levé de ce matin, derrière la
montagne lui aussi. Mais il présage tout de même une belle journée.
Je prépare la navigation avant de partir, et là, surprise. Le GPS et
Navionics ne sont pas d’accord. Trois degrés d’écart, ce n’est pas rien. Je
vérifie bien mes points et mes saisies. C’est bien cela. Sur Navionics, je
pose le relèvement correspondant au GPS, il y a bien vingt milles d’écart.
Pour départager les deux protagonistes, je fais de même avec OpenCPN
sur l’ordinateur. Ce dernier indique comme Navionics. Cela doit être une
histoire d’’Orthodromie et de Loxodromie. J’éclaircirais l’affaire plus tard. Pas de problème, on ne loupera pas
les Açores malgré cela !
A la Marina, la dame se lamente : « Vous partez tous ! ». Les deux autres que j’ai vus ensuite dehors allaient
vers le Nord. Pas étonnant qu’ils profitent de cette diminution du flux de Nord qui arrive enfin et qui n’est pas
pour me déplaire non plus car même au bon plein, un
force six musclé, avec la mer qui va avec, serait loin
d’être paisible. Au poste de la GNR1, l’homme de
service note mon départ sur je ne sais quoi puis me dit
simplement et très aimablement, « C’est tout pour
moi, vous pouvez partir ! ».
Je sors prudemment de la darse car un remorqueur
est dans l’avant-port, toutes lances à incendie en
action. En général c’est pour accueillir une arrivée
importante… Personne d’autre en vue. En fait c’est
juste pour nettoyer le quai. La méthode doit être
extrêmement efficace !

Pas très loin dehors, un catamaran tourne en rond près de moi. En fait, pour ses clients, il suit un petit groupe
de dauphins qui est juste à côté. Heureusement que ces gentilles bestioles n’ont pas idée de venir jouer avec
Kanaouenn, sinon de catamaran me tournerait autour ! Au milieu, vous avez une vue imprenable sur la

1
On a beau être dans l’espace Schengen, en bateau, on ne circule pas comme cela. Surtout au Portugal.
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grande falaise. Sur la photo de droite, ils sont bien nombreux sur le bateau de pêche. Ce qui ne les empêche
pas de me faire de très grands signes. Chez nous, c’est plutôt rare ! Comme attendu, le vent tournant derrière
l’île, il est de face, par contre il y en a. le louvoyage nous a fait gagner dix milles sur la route directe en sept
heures. Il fait beau et on est en mode « Belle plaisance » mais tout de même, cela ne fait pas beaucoup ! Pour
sûr, j’ai tout le temps pour admirer toute la côte ! Puis le vent tombe alors qu’un clapot court et nerveux
empêche d’avancer même au moteur. En fait le trou d’air ne dure pas, le clapot était l’avant-garde du vent
synoptique qui s’installe. Un poisson volant énorme fait une longue envolée à l’avant sur Tribord. Au début je
n’y crois pas mais la forme du corps, les vibrations des ailes et le style de trajectoire de laissent aucun doute.
Ben m’a dit en avoir vu quelques-uns au Nord de Porto Santo quand il est arrivé. On est pourtant bien Nord.
Vendredi.
Dans la nuit, une ligne de lampes flash barre la route. J’essaye de passer au vent mais je ne peux pas lofer
suffisamment. J’abats donc et, contrairement à ce que je pensais, cela passe bien de ce côté-là. Au grand
largue, ce qui doit être un immense filet dérivant s’éloigne sur tribord.
La longue houle dévente les voiles. Principalement quand le bateau bascule sur les sommets des ondulations.
Le près serré n’est pas tenable : au bon plein donc. Le repère est très simple : les penons à presque frotter les
haubans, pas besoin d’électronique sophistiquée pour garder un cap. Il faut parfois prendre 4-5 tours dans le
génois pour qu’il ne frotte pas contre les haubans. En fin de journée quasi plus rien et les voiles claquent
durement. J’ai mal pour le bateau. Encore une fois, mais comment fait le pilote pour tenir le cap quand
même, il fait très fort car le bateau n’avance quasiment pas. Surtout, je ne touche à rien. Ne pas détruire cet
équilibre qui relève presque du magique.
Hier soir et ce matin le ciel était couvert, mais ce soir, enfin, après tant de jours sans !

Il y a mieux, mais ce n’est peut-être qu’un début ?


Samedi.
Dans la nuit une forte lueur sur la gauche, probablement un grand bateau de pêche. Il n’est pas sur l’AIS. Je
reprends donc la vielle aux traditionnelles vingt minutes, j’étais passé à trente. A notre vitesse fabuleuse de
deux nœuds et demi, on le passe lentement. On a tout de même fait quatre-vingt milles en vingt-quatre
heures. Ce n’est quand même pas si mal. Il y a des poissons juste à côté du bateau, ils doivent venir chercher
l’ombre.

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Je ne voudrais pas dire de bêtises mais on dirait un thon et comme un petit requin…
Les pêcheurs seraient fous. Derrière, longues et avec des couleurs aussi vives, cela ne peut être que trois
dorades coryphènes. Elles ne risquent rien, je n’ai pas le moindre matériel à bord. Un cargo passe, il va au
Salvador, belle destination. A la suite du petit vent de ce matin, la calmasse et les claquements de voiles
reprennent. Le vent revient dans l’après-midi … de face. Les bords sont catastrophiques, quitte à ne pas
avancer autant faire du Nord pour se repositionner. On ne gagne quasiment rien sur la route.

Dimanche.

Voilà une journée qui commence bien ! Le temps est calme. Kanaouenn est très tranquille sous génois et un
ris dans un petit force trois. Pour ne rien vous cacher, après cette séance photos, j’étais en train de me
brosser les dents. Ce qui, avouez-le, est une activité assez banale pour un dimanche matin. « Clac – Boum ».

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Ce bruit sec et métallique sur le pont est très caractéristique. Je regarde dehors, je pensais au halebas. Non.
Les haubans latéraux n’ont rien non plus. C’est le bas étai.
C’est du matériel tout neuf que j’ai installé en tout début Mars. Il n’a
moins de mille cinq cents milles à son actif avec une grande majorité
d’allures portantes. Comment est-ce possible ? Et en quel état sont
ses copains de promotion ? Il va falloir une sérieuse explication.
L’objectif principal, maintenant, est d’avancer doucement pour que
le bateau secoue le moins possible le mat. Malgré l’étarquage de la
balancine de tangon sur le
guindeau, il fait comme une lente
On voit bien la section complètement danse du ventre. Mais là,
écrouie. En bas, les bords brillants qui franchement, l’ambiance n’est pas
tenaient encore un peu. La trace de à l’exotisme. Le vent oscille et
corrosion du haut est vraiment louche. quand il monte un peu, le bateau à
tendance à taper. Les secousses sont retransmises évidement au mat. Il
faut impérativement arriver avec le mat debout et entier, quitte à ralentir
ce qu’il faut. Pas d’inquiétude, Il y a à bord de l’eau et à manger pour plus Aller Kanaouenn :
d’un mois ! On The Road Again, malgré Tout …
Lundi.
Cette nuit, comme la nuit précédente, les étoiles brillent d’une intensité extraordinaire. Devant, pas très haut
dans le ciel, il me semble bien distinguer la comète, bien que pâle. A quelle vitesse va-t-elle ? A quelle
distance est-elle pour, malgré sa vitesse, paraitre immobile ? Le bateau est très sous-toilé et on est au près. La
dérive est énorme, au moins quinze degrés, c’est sûr, et même peut être vingt. Je soupçonne en plus un
courant traversier, ce qui ne serait pas étonnant. Je regarderais les Pilot-Charts à l’occasion. Au compas on est
bien au cap mais pas du tout au GPS. On est presque à quarante degré de décalage. Il ne reste qu’à espérer
que le vent finisse par tourner … sinon la route pour les Açores risque d’être bien tortueuse ! Je passe une
grosse partie de la journée dans le cockpit à suivre les irrégularités du vent pour faire quand même avancer le
bateau pas trop catastrophiquement. Remettre un peu de Génois quand le vent baisse un peu et vite le ré
enrouler un peu dès que le bateau bouge plus.
Mardi.
Dans la nuit, le vent a tourné et le régulateur, comme un Grand qu’il est, a bien suivi : on est sur le bon cap.
Cela change la vie et surtout le moral qui n’était pas bien haut hier. Le sourd sentiment qu’on ne sait pas où
on va et qu’on ne maitrise plus sa destinée est plutôt morose. Mais cette bonne nouvelle n’est pas seule car la
mer s’est aplatie et le bateau n’est plus secoué, le mat non plus donc. Le vent reste quand même très
irrégulier en force et comme je ne suis pas du genre à vivre en mer l’écoute et le bout d’enrouleur à la main à
longueur de journée, force est de trouver un réglage médian qui n’est pas optimum pour la moyenne. Mais,
sauf nécessité, je préfère rester tranquille.
La gestion du frais est permanente depuis le début. Les bananes et autres fruits et légumes de Madère sont
absolument excellents mais je les ai pris trop avancés. Depuis trois jours, je suis au « régime-banane » intensif
pour ne rien jeter. Une fourbe tomate qui s’était bien cachée dans un coin a échappé à ma vigilance et a fini à
l’eau. Le pain aussi à l’air d’avoir une légère tendance à virer un peu au vert. Une petite séance de séchage lui
fait du bien. Séchage partiel car il faut « en même temps » garder le moelleux ! C’est très technique.

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La dernière banane.
Remarquez : Bien que ses minutes soient comptées,
elle a toujours la banane !
Mercredi 22 Juillet.
La grande nouvelle du jour est que Santa maria est en vue depuis ce matin. A plus de cinquante milles, ce
n’est pas mal !

Trouvé sur la plage avant. Un modèle à ailes delta.


C’est nouveau, probablement un grand sportif.
Sur la gauche et un peu derrière l’horizon, seuls son château et ses grues dépassent, un grand cargo va vers
l’Ouest. Rien sur l’AIS … Une panne ? Une étourderie ? Matelot : N’oublie jamais cela. Pour cette arrivée
nocturne, je me suis fait un vrai café. Il m’en reste encore du Guatémala, cela aide et c’est tellement bon pour
le moral ! Le vent est faible depuis la soirée et derrière l’ile encore plus. Si
près du but et pour ne pas arriver trop tard dans la nuit, je fini au moteur.
J’aborde l’étroite entrée de la marina à petite vitesse, elle se dévoile au
dernier moment. Amarrage au ponton où je n’ai que l’embarras du choix.
Le silence est immense, juste bercé par quelques brefs grincements de
catway. Fini la bannette sous le vent du carré et le duvet, vive la couette et
la cabine avant ! Il est onze heures trente et je veux démarrer les travaux
de bonne heure demain.
Jeudi.
Dès sept heures, les travaux commencent. Petit déjeuner en préparant les affaires. J’ai eu tout le temps ces
derniers jours pour préparer mentalement ce qu’il y a à faire.

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Les pêcheurs sont, comme partout, très matinaux. Le fortin qui surplombe le port.

La passe d’entrée et l’étrave du premier voisin. L’autre voisin(Beaufort 14), pavillon Français lui aussi.
Je suis sur le pont en train de mettre le chantier en place. Mon voisin direct passe, c’est un Français. La
conversation s’engage : « Tu es arrivé cette nuit. « Oui », Etc. « C’est un Swan ? », « Non, un Baltic ». C’est
presque la même chose. Il m’explique la différence. Mais l’un comme l’autre, quels jolis bateaux. De vrais
coques de près. Le mat est immense, très impressionnant. Je lui montre mon éclopé. Il saute en l’air en
s’exclamant « Mais, c’est du Chinois ! ». Je crains que sa réflexion si spontanée reste dans les annales ! Vers
huit heures trente, je suis sur le point de monter au mat. Un homme de la marina approche. « Vous êtes
arrivé cette nuit ? », « Vous avez un test négatif ? », « Vous venez de Funchal ? » « On vous appelé à la VHF
hier soir ». Je ré explique encore que, tout seul, je ne peux pas être sur le pont à m’occuper de l’arrivée et à
l’intérieur à m’occuper de la VHF, mais l’homme est visiblement un peu contrarié1. Comme il préfère qu’on
fasse les papiers tout de suite, autant me débarrasser des formalités. En fait il n’y a que cela à faire, pas
besoin d’aller voir la Police Maritime, le GNR etc. Mais j’ai la sensation qu’ils étaient au courant de mon
arrivée. Funchal a probablement prévenu. A Portugal, il y a déjà une dizaine d’année, tous les ports et les
autorités avaient un logiciel commun et connecté et ils savaient tout avant même l’arrivée dans un autre
port ! Clé des douches, plan de la ville et de l’île. L’accueil est comme toujours.

1
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un passionné de VHF. Cet accessoire peut être plus que très utile
parfois, mais il ne fait pas partie de mon quotidien.
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Au bureau de la Marina, l’Association des Amis du


Musée Maritime de La Rochelle (AAMMLR), est
représentée ici aussi. J’ai déposé le même (mais avec
ma dédicace !) chez Peter il y a quelques années. Au
passage suivant le fanion était enseveli sous les Le bateau de Feu Jean-Charles, qui, aux bons soins du
nombreux autres. Ici c’est plus calme. chantier local, attend des jours meilleurs.

Une heure et demie plus tard, le brêlage autour des supports des premières
barres de flèche est posé et deux drisses maintiennent le mat vers l’avant. L’un
à la cadène de bas étai et l’autre au guindeau. C’est du textile donc un peu
souple mais c’est du solide. Il est temps d’aller faire un petit tour en ville, déjà
pour le plaisir, mais aussi pour quelques courses. J’ai fini le pain et le frais hier.

Kanaouenn, gréement 2.0

L’ancienne route qui mène en ville, et qui grimpe fort. Du fortin, la côte devant de port.

La seule église visitable sur la route. La cathédrale est en réfection et il y a un enterrement dans l’autre.

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Fontaine et pavés en pierre de lave.


L’ile, discrètement, devient plus touristiques, il y a quelques
boutiques caractéristiques et sur le port, là où il y avait un
centre de plongée, il y en a maintenant quatre ou cinq côte à
côte. Tant mieux pour Vila do Porto qui était vraiment plus que
calme. Au retour, après les courses donc, je m’arrête au petit
musée tout neuf. Il n’y a pas encore d’exposition permanente
mais une exposition temporaire évoque la chasse à la baleine à
Santa Maria.

Phare de Punta do Castelo, qui m’a accueilli hier soir. Au pied, l’installation rustique de traitement.

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J’avais, à l’origine, prévu, sans rester longtemps à Santa Maria, de faire une belle balade qui est maintenant
bien indiquée, mais il est temps d’avancer. Il faudra que je revienne. J’aime bien partir d’un lieu avec cette
idée en tête. Que cela doit triste d’avoir l’impression d’avoir « fait », comme tant disent. Je remplace tous les
coulisseaux blancs, c’est à dire les trois quart, qui ne vont toujours pas par ce que j’ai de très
approximativement mieux pour l’instant. Tout étant relatif, les problèmes de coulisseaux sont passés au rang
de détails presque insignifiants. J’allais démarrer le moteur lorsque je
vois des gens sur « l’autre voisin ». Je passe leur dire bonjour et leur Juste pour le plaisir des yeux !
demande, histoire d’engager la conversation « C’est bien un
Beaufort ». Ils l’ont acheté aux Antilles et le ramène en
Méditerranée. Ils me disent que quand ils sont arrivés, après dix-sept
heures, on leur a interdit l’entrée du port. Ils ont dû mouiller un peu
plus loin et revenir le lendemain matin. Ils étaient un peu ébahi de
voir « les autres » (dont moi) arriver tranquillement de nuit. C’est
peut-être pour cela qu’ils ont cherché à me contacter par VHF hier …
Leur bateau est un des plus beau qui soit. La douceur des lignes
classiques et parfaitement équilibrées sont extraordinaires. Encore une magistrale réussite du père Herbulot1.
Pitcairn2 était un Beaufort. Mais bon, les conversations de pontons ne font pas la route. Moteur, Action !

Au revoir Vila do Porto !

1
Jean-Jacques Herbulot. Grand précurseur des voiliers en contreplaqué. Soutien des débuts de la base des Glénans et un
des pères de la démocratisation de la plaisance. Il est l’auteur de séries fameuses : Vaurien, Corsaire, Cavale, Caravelle,
Mousquetaire, etc.
2
Le bateau de Olivier Stern-Veyrin. Célèbre pour ses navigations et ses livres qui restent des références.
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Qui a mis un souk pareil dans le bateau ? Appelez-moi le Bosco. D’urgence !

Et Santa Maria s’éloigne dans le sillage.


On sort vite du dévent de la pointe de l’île qui est toute proche et on avance sur mer plate, avec un tranquille
force deux, au travers (et avec un cockpit bien rangé !). La météo n’a pas annoncé beaucoup de vent. Le petit
temps est devant.

Fin de journée.

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Vendredi
La nuit a été très calme, pour preuve, vent de travers on a fait trente milles les douze dernières heures. Après
le traditionnel point de huit heures, le pilote ne peut plus barrer, on n’avance plus assez. Deux heures de
moteur et le vent revient, tout doux. Que voulez-vous, l’Anticyclone des Açores a bien le droit de venir chez
lui de temps en temps. Il vient d’arriver et, à priori, il doit s’y plaire car la météo l’annonce dans les parages
pour plusieurs jours. Je ne peux rien dire, je fais exactement la même chose.
L’avantage du petit temps est qu’on voit bien ce qu’il y a dans l’eau. Dans la période de moteur matinal, je
vois défiler contre le bord une grosse tortue. Elle est à l’envers et à l’air en difficulté. J’espère que Kanaouenn
ne lui a pas fait mal. Pour en avoir le cœur net, je fais demi-tour. Elle a, entre temps, réussi à se remettre
d’aplomb. Arrêté à côté d’elle, la Miss n’est pas rancunière car elle vient vers le bateau, juste curieuse elle
aussi peut-être ? Elle devait dormir et a dû être réveillée un peu brutalement !

La météo annonçait que le Maitre des lieux


avait l’intention de descendre un peu vers le
sud de son domaine. On va donc se croiser.
Les premières méduses à voile apparaissent.
Ce sera un défilé pendant toute la journée, un
peu comme quand on marche dans un champ
de pâquerettes.
Cela commence à faire beaucoup. Déjà les Balistes dans les Pertuis
Rochelais, les poissons volants à Madère, et maintenant ces
animaux très tropicaux, ici aux Açores. Il y a des signes de plus en
plus caractéristiques qui ne trompent pas. Les régatiers appellent cela "La pétole" !
Cette journée devait être la pire, elle l’est sans aucun doute. Je suis bien dans l’œil de l’Anticyclone et le
moteur ronronne depuis le milieu de l’après-midi. L’autre solution dans ces cas-là est de tout affaler, de
bloquer la barre et d’attendre. Mais si près de terre, avec en tête les balades et les autres activités espérées, il
est bien tentant d’avancer quand même.
Vous avez une chance inouïe : j’ai plein de temps pour prendre des photos !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°3 – De Funchal à Horta.
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De jour, Comme de nuit.


La nuit venue et la lune couchée, les étoiles scintillent toujours autant, comme les autres jours, dans un ciel,
cette fois-ci, d’une pureté totalement immaculée. Au-dessus, la sensation de voute est parfaite. L’eau sans la
moindre ride fait miroir et reflète le ciel à l’identique en dessous, tout autour du bateau. Kanaouenn avance
au milieu des étoiles, comme s’il était, lui aussi, dans le ciel, dans une sorte d’irréalité. Sensation magique et
quand même un peu bizarre.
Samedi.
Le vent est revenu en fin de nuit. Dans quel sens ? De face bien sûr. Mais bon, c’est déjà cela. En route donc.
Le bateau n’avance pas mal au près. J’étais clairement décidé à rester au sud de
Pico. Le vent y sera sans aucun doute plus stable car il doit y avoir un effet de
couloir entre Pico et Sao Jorge. Je serais mieux au large, surtout qu’il est
annoncé du vent d’Ouest à peut-être un peu Sud-Ouest. En plus, dégagé des îles,
je pourrais plus facilement dormir. Donc la stratégie était logique, pleinement
justifiée, simple et claire. Il fait un temps magnifique, le ciel est bleu, la mer est
belle. Sao Jorge grossi devant l’étrave et ses pentes vertes commencent à se
dessiner dans une ambiance très Normande. Je fais un essai d’amélioration de la
partition des poids qui a l’air intéressant. Et pendant ce temps-là, l’imbécile
heureux ne se rend pas compte à quel point il est en train de se fourvoyer. Mais
qu’est-ce que je suis venu faire là alors que je savais bien qu’il ne fallait pas le
faire ? Le virement de bord révèle l’étendue de l’erreur. On fait, tout
simplement, un parfait demi-tour ! A force d’optimisation je gagne quand même
dix degré, mais cela ne change pas grand-chose à l’affaire. Je n’ai pas de points
courants sur la carte, mais sans aucun doute il doit être contraire et en pleine
forme. En regardant mieux la carte, je peux admirer un magnifique couloir sous-
marin. Les fonds sont aussi abrupts que les montagnes qui sont alentour. Il n’y a

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°3 – De Funchal à Horta.
Juillet 2020
absolument rien à faire que de sortir de là. Toute cette route a été faite pour absolument rien. Seize heures
plus tard, on passera à vingt-cinq milles au vent du point de huit heures ! Ce grand détour à fait perdre peut
être six heures, ou plus. Les heures de près, pourtant, cela ne se gâche pas.

Sao Jorge, avant le virement révélateur. Le lendemain matin : Pico sortant des nuages.
Dimanche.
Le jour se lève sous un force quatre, au près. Il manque une bonne quinzaine de degrés pour passer au vent
de Pico. Puis, la chance venant contredire la météo, le vent adonne franchement. Au bon plein, Kanaouenn
sent l’écurie sans aucun doute. Est-ce la nouvelle répartition des poids ou la longueur des vagues qui va bien
(ou les deux) ? Kanaouenn glisse sur l’eau sans heurs et on avance à un nœud et demi de plus que d’habitude
dans ces conditions. Un magnifique sprint final à longer la longue ile de Pico. Puis, en abattant entre Pico
Faial, Horta apparait.

Voilà, lors d’une arrivée, comment les détails de la côte se dessinent progressivement.
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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°3 – De Funchal à Horta.
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Je vous propose de ne pas parler ni de nombre de jours de trajet, ni de vitesse, ni de moyenne, etc.
On oublie tout cela, Merci !
Kanaouenn Junior arrive (enfin) à Horta, face au célèbre volcan de Pico, majestueuse sentinelle, dans ce port
tant chargé d’histoires nautiques, un des endroits les plus mythiques de l’Atlantique.

Mais ceci sera une autre histoire.

Que Dame Providence veille sur vous et qu’elle vous apporte « Tout le bonheur du Monde »,
et bien plus si possible !

Et …Bises aux filles !


A Bientôt,
Bernard.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020
Dimanche 26, 13 heures, Horta.
Kanaouenn pointe son étrave dans l’avant-port. Il y a pas mal de bateaux au mouillage. Rangement de la
grand-voile et j’approche du quai d’accueil au moteur. Il n’y a pas de place. J’avise un bateau français et lui
demande - par simple politesse d’usage - si je peux venir à couple. « Vous venez d’où ? », « Vous êtes négatif
? » etc. Voici des navigateurs bien soupçonneux. Il faut montrer patte blanche ici ? Après justifications et
déclinaison de mon pédigrée Covid , Monsieur accepte donc, finalement, que je vienne à couple. Fort des
accueils à Porto Santo, Madère et Santa Maria, où, malgré les procédures et sauf l’exception du GNR de
Porto Santo, l’ambiance restait sereine, je ne me doutais pas ce qui m’attendais. Benoitement et comme les
fois précédentes, je vais au bureau de la marina pour faire mon entrée. Quand le gars découvre que je suis à
quai, il devient à moitié fou. J’ai beau lui dire que je suis négatif de Madère, et que je suis quasiment en mer
depuis, rien n’y fait. Il ne comprend pas qu’à Santa Maria ils m’aient accepté. Qu’y puis-je. Il faut dire aussi
que c’est, visiblement, un remplacent du dimanche, et qu’il ne donne pas l’air de bien maitriser sa situation.
Il n’en revient pas que je sois passé en bateau devant sa fenêtre et qu’il m’ait rien vu. Il doit en être
probablement un peu vexé. Situation de crise dans le bureau : je dois, sans le moindre délai, aller au ponton
des confinés et ne pas sortir du bateau tant que je n’ai pas été testé négatif ici. Il faut que je reste en veille
sur le canal dix de la VHF pour attendre les consignes. Et seulement après, je pourrais faire mon entrée à
Horta. Bon. Je déplace donc Kanaouenn, et accoste le ponton des pestiférés sous les regards de voisins d’en
face qui ne bouge surtout pas pour m’aider. Quelle ambiance. Si tout va bien, j’en ai pour deux jours. Un peu
plus tard, les voisins se renseignent sur mon pédigrée, puis, quitus accordé, me propose un café avec eux. Si,
avant de parler à quelqu’un, il faut prouver son état sanitaire, l’avenir promet de devenir grandiose. Ils sont
du même rallye que les précédents et visiblement ne comprennent pas bien que je me balade avec un
bateau « si petit ». S’ils avaient trois sous de culture maritime ils devraient avoir eu des échos de tous les
voiliers bien plus petits qui ont fait des navigations bien plus grandes et bien plus engagées. Ils devraient
savoir aussi que la qualité d’un voilier ne dépend pas de sa taille. Ici, en fait, il faut deux tests. Il en faut un
deuxième six jours après pour confirmer le premier. Je passe les détails des deux jours où les consignes et
contre-ordres se succèdent comme c’est la mode en ce moment un peu partout. Peter assure la livraison à
bord des courses. Mais comme personne ne sait à quel prix, je me débrouille avec ce que j’ai. Voici la seule
vue intéressante pour l’instant :

Pico totalement dégagé dans l’air brumeux du matin, ce qui est assez rare.
Et passons directement au :

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020
Mardi.
Le bout de quai où on m’a fait déménager hier soir est là où était Bagatelle. Un
échange avec Greg me fait, finalement, retrouver leur peinture que je savais
dans le coin. C’était, effectivement, un peu trop compliqué pour moi : elle était
quasiment sous mes pieds ! Je ne sais pas où est celle de Zanzibar. Il est à
peine neuf heures quand le capitaine du port passe en zodiac : « J’ai une
bonne nouvelle pour vous, le test est négatif », « Vous pouvez circuler à votre
guise », « Vous pouvez venir au bureau vers dix heures trente» : sac à dos
Bagatelle et ses "Petites Pattes".
donc, et en route pour quelques courses.

Le fortin, transformé en hôtel de luxe, Chez Peter.


et la collection d’ancres. Institution mondialement connue des navigateurs !
Peter ouvre tout juste, la serveuse qui embauche accepte gentiment de me tirer le portait au passage, juste
devant l’illustre façade, il faut bien respecter les traditions. Et je file d’urgence faire quelques courses car
j’étais même à la limite d’attaquer le réserve stratégique de pain, c’est pour dire !
J’ai encore le temps de passer au Shipchandler. Dès l’entrée nos chers amis Anglais annoncent la couleur
sans honte. Bien en vue, sur le comptoir, ils proposent des
masques, le modèle tout à fait ordinaire à …. Juste un euros
cinquante pièce. Le message est clair : Ici on vous arnaque
et on en est fier. Le prix du Dynelight n’est pas beaucoup
plus que deux fois et demie du prix normal. Je vous le redis,
ce sont juste des Anglais. Reste à me débrouiller pour en
prendre le moins possible.
Puis je vais fouiner du côté du quai, car - pour ceux qui ne le
savent pas - Horta est la capitale de la peinture murale. La
mode se repend un peu partout mais le point d’origine et le
spot principal est là. Il y a de tout, mais beaucoup de Ils sont présentés dans une belle pochette.
splendides œuvres d’art. Tout l’ensemble est un poignant Mais quand même !
témoignage, une fantastique mosaïque du bonheur des voyages et de la vie maritime.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020

Le béton frais est passé par là. Oui, vous pouvez le dire : Ce n’est pas très artistique !
Après avoir refait, ce que je suppose être des canalisations, ce qui l’avait bien entamé, ils ont refait toutes les
dalles. Ce qui restait de la première peinture de Kanaouenn a dû y passer. Par contre, au bout de la digue,
celle d’il y a deux ans reste fidèle au poste.
Après les formalités à la marina, il faut passer à l’immigration, le bureau est juste en face. Après
l’immigration, il faut passer aux Douanes, le bureau est juste à côté. Là, le Douanier, bien que très aimable et
soignant son français, me reproche clairement de ne pas être allé aux Douanes de Vila do Porto. Je lui dis que
j’ai demandé à la marina si je devais voir des autorités, et qu’il m’avait dit que ce n’était pas la peine. Il en
reste là. Puis, étant négatif, je dois de toute urgence, vous l’imaginez bien, quitter la zone des pestiférés. Ils
m’ont donné, cette fois-ci, une place au ponton.

A quelques places : un Cognac. Un des bateaux les


plus fantastiques sur lequel j’ai eu la chance de
En route pour le poste d’amarrage, ce trismus a un naviguer. A l’époque je l’ai qualifié de perle posée
autocollant bien connu sur l’étrave ! (VSF). sur l’eau. Je ne retire rien.
Sur le Trismus, Daniel est en grande conversation, il est dans un problème de moteur bien sérieux. On se
verra plus tard. Ah oui, au fait, il faut aller chercher le papier du test à quinze heures. C’est, bien sûr, à l’autre
bout de la ville et les côtes valent bien celles de Santa Maria.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
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Chapelle en hommage à la tragédie de 167214. Point Pico derrière la façade et le clocher de l’université.
de départ de l’immigration au Brésil.
Bon, le document n’est pas prêt. Il faudra revenir demain. Au passage, je passe chez Escrocs and Co LTD,
prendre juste ce qu’il faut pour le bas étai. Pour les bas haubans je me débrouillerais avec le matériel et un
Dynema que j’ai à bord. Sans le couper, il pourra faire les deux. Et puisque je suis libre et qu’il n’y a pas que
l’intendance dans la vie, cap sur Porto Pim.

Une des plus belles plages des Açores. La pente de l’usine de traitement des baleines.
A l’autre bout de la plage, l’ancienne usine de traitement des baleines est un musée que j’avais visité trop
rapidement l’autre fois. A mon avis, avec celui de Santa Cruz das Flores, ce sont les deux les
plus intéressants. Après un joyeux jeu de piste pour retrouver l’entrée, la dame me dit
qu’on ne peut plus visiter librement, il faut qu’il y ait un groupe, qu’elle ne sait pas quand
c’est possible, peut-être demain, que l’après-midi c’est en général mieux, qu’il faut appeler
avant. Tout est simple actuellement ! Au retour, je cherche à atteindre la digue de ce qui
est devenu le port de commerce. Il faut passer maintenant par une porte gardée par un
vigile. Pour entrer, il faut une autorisation, il faut aller la chercher au bureau d’en bas. Bon.
Au bureau d’en bas, non, ce n’est pas possible en ce moment, il y a trop de trafic, etc. Puis,
finalement, l’homme me dit, ok, on y va vite fait, je vous accompagne :

14
Pour en savoir plus : https://pt.wikipedia.org/wiki/Vulc%C3%A3o_do_Cabe%C3%A7o_do_Fogo
En fait ce volcan n’est pas très loin de l’actuel site de la pointe Ouest de l’île.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020

Une canalisation est passée par là entre temps.


C’était juste pour rendre visite à l’honorable ancêtre. Qui mériterait bien une deuxième restauration. A
l’époque, la marina n’existait pas et les voiliers de passages (moins nombreux qu’actuellement) s’amarraient
le long de ce grand quai.
Au passage, encore lui, mais son vedettariat n’est pas usurpé :

Il reste du temps et tout le matériel est là. Mon compagnon de route a besoin de mes soins. C’est le moment
de ressortir l’« Escaladeur » pour installer le bazar aux barres de flèches.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020

Et voilà comment Kanaouenn se retrouve affublé de


deux belles cravates. Vue imprenable sur le pont.
Mercredi.
Debout de bonne heure pour partir en sac à dos, avec l’équipement, pour bivouaquer je ne sais où. L’objectif
est de traverser l’ile jusqu’au Phare et le volcan qui sont à l’Ouest, en passant par la Caldeira, le cratère au
centre de l’ile.

Horta, vue d’en haut


Après Madère et ses agapanthes, voici les Açores et ses hortensias. C’est un défilé permanent.

Vous avez peut-être remarqué que depuis l’arrivée, le ciel était toujours parfaitement dégagé. Enfin, était !
A la sortie du petit tunnel qui mène au belvédère sur la Caldeira, il faut bien se rendre à l’évidence : c’est un
jour sans. C’est l’heure de la pause déjeuner. On échange nos impressions avec deux parisiens en séjour dans
l’archipel quand un miracle survient : Une troué dans les nuages.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
Juillet-Aout 2020

Le cratère est une réserve où on ne peut aller qu’avec un guide. Le belvédère est idéalement placé pour
pouvoir admirer la forme parfaitement ronde du cratère. C’est un des plus beaux points de vue que je
connaisse.
La séance de cinéma ne dure pas très longtemps. Le sentier commence par suivre le bord du cratère.

C’est ce qui s’appelle être sur la ligne de crête !


Le chemin est en plein vent. De brusques rafales sont presque à déséquilibrer. Dans certains passages, où le
terrain est plus accidenté, il faut même faire attention à ne pas trébucher. Puis le sentier devient une route
forestière bien plus praticable qui descend mais qui reste en plein vent et en pleine pluie. L’ambiance n’est
pas à la flânerie, au moins pour ne pas prendre froid.

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Dans le brouillard, les chevaux ne m’ont pas vu venir et c’est l’affolement général.

Ancien poste de guet des baleines.


Au bout, ce n’est qu’un vaste champ de scories à l’ambiance lunaire.

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La photo de droite a été prise par Marcel Bardiaux,


du pont de son « Quatre Vents » lors de son retour
de tour du Monde, en 1958, vers la fin de l’éruption.
La légende est : « Tout autour du bateau l’eau était
chaude ». Impressionnant.
J’aurais bien tenté de rentrer en stop, mais il n’y a quasiment personne ! Je marche donc sur la route jusqu’à
Capela, un bus doit y passer demain matin de bonne heure. A l’entrée du village, je me renseigne sur l’arrêt
de bus. Il faut vraiment savoir où il se trouve et car il n’y a aucune marque, panneau ou quoi que ce soit !
C’est vraiment un bus local. « En village », il y a encore quelques vieilles maisons en pierres de lave et même
un abribus. Le temps n’étant pas sûr, j’en fais mon camping.

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Jeudi.
La nuit a été très pluvieuse. C’est fou comme un simple abribus peut devenir si sympathique dans ces cas-là.
Ce matin, les jambes sont bien raides. Hier, j’ai parcouru trente-cinq kilomètres avec la monté et redescente
à plus de mille mètres. L’entrainement de Madère n’était pas suffisant. Le bus est à l’heure et le retour à
Horta est rapide et matinal. Un café à bord du « Nomades » de Daniel. Pour ceux qui connaissent, il a acheté
son Trismus, ni plus ni moins qu’à Michel Huchet (Volo) et c’est comme cela que Daniel a découvert VSF. Son
problème de moteur est impressionnant. Cela fait un mois qu’il est là. Il est confronté aussi à un gros
problème de réactivité de son « Réparateur »15. Bref. Rendez-vous est pris pour aller manger ensemble ce
soir.
La fille du musée m’a dit que je pouvais venir à deux heures, ce sera impeccable car cela fera un groupe de
cinq personnes et ce sera parfait. Arrivé sur place, pas de groupe, elle me dit qu’elle une visite à trois heures
et qu’il va falloir faire vite ! Tout change vite ici. La visite est donc une deuxième fois au pas de course, par
contre la jeune m’accompagne - c’est obligatoire, sécurité, sécurité ! - et répond à toutes mes questions lors
de cette visite guidée individuelle.

Gros plan sur la rampe. Un sourire de cachalot (un peu contraint).

15
Dont je tairais le nom. Il a juste deux camions verts qui sont garés régulièrement au fond de la marina.

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Pour faire fondre la graisse. Pour faire sécher la viande.

Pour faire cuire la viande ou réduire les os en


poudre, je ne sais plus. Vue d’ensemble.
Les baleiniers Américains, qui erraient plusieurs années en mer, ne gardaient que l’huile de la graisse qu’ils
faisaient fondre à bord. Tout le reste des prises était jeté. Ici, tout est utilisé : La graisse pour l’huile, la chair
pour faire de la farine d’alimentation animale, et les os, réduits en poudre, pour servir d’engrais.
Il y a une belle exposition de photos dont voici un échantillon.

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Juillet-Aout 2020
Il y a aussi un film sur une scène complète de chasse, de l’appel des hommes via un traditionnel pétard au
dépeçage. Elle m’a dit qu’il était sur Internet mais je ne l’ai pas trouvé. Si vous avez plus de chance :
BarbedWaterCondensed.mp4. L’usine a été créée en mille neuf cent trente-huit à l’’aide de capitaux
d’immigrés aux Etats-Unis, comme la compagnie de Santa Maria. Son apogée fut en mille neuf cent
cinquante et un (Deux cent soixante-quatorze prises) et ferma en mille neuf cent soixante-quinze. Ma guide,
par une grande véranda prévue pour, me fait admirer la vue parfaitement
dégagée sur la baie et l’ile derrière. Je lui dis que j’étais là-haut hier et
que c’était le seul jour de grisaille de la semaine. Elle me dit, avec – il m’a
semblé - un soupçon de malice, que le temps ici est imprévisible et qu’un
dicton dit que parfois, on a droit aux quatre saisons dans la même
journée. Merveilleux pays, tous n’ont pas cette chance ! Elle me dit aussi
que la Madone ou Patronne des Baleiniers, Nossa Senhora das Angustias,
se trouve dans l’église qui est juste en bas de l’avenue Albert de Monaco.
J’y suis retourné. Elle est en fait très petite, au maximum soixante-dix
centimètres, pour la trouver, elle est sur la droite de l’autel au pied d’une autre grande statue.
Au retour, je cherche à revisiter le musée des dents de cachalots gravées, au premier étage de chez Peter. Il y
en a plus de cinq cents et c’est époustouflant de beauté et de finesse. Ah, non, il faut venir le matin. A dix
heures, c’est bien.

Le mur du fond de la photo de gauche a dû être refait. Il n’y a plus toutes les épaisseurs de fanions parmi
laquelle se trouvait celui déposé il y a six ans. Cela me fait un peu drôle. Traiter ainsi un cadeau est un peu
cavalier à mon gout. Et dans le fait que tous ces fanions, venus d’un peu partout, soient réunis ensemble, il y
avait pour moi une image de la communauté des marins et des voyageurs qui doit échapper au maitre des
lieux qui , lui, doit avoir l’esprit plus pratique. Tant pis pour les symboles.
Le soir, je ne vous dit pas où on est allé, j’ai bien de droit de ne pas publier tout ! Mais l’ambiance y est bien
plus bon enfant et populaire que chez Peter qui devient vraiment une Institution (il a même une rue à son
nom !), le Vino Verde à la pression y est excellent et la vue est magnifique le soir, surtout quand l’ambiance
s’échauffe un peu.

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Vendredi.
C’est un grand jour. Réaliser une des motivations à venir
aux Açores : Aller bivouaquer sur Pico pour y voir le coucher Le sentier, un peu encombré !
et le lever du soleil. Et accessoirement, monter sur le
Piconinho, la petite pointe toute en haut. Mes jambes ne
sont encore pas bien remise de la randonnée d’avant-hier
mais battons le fer tant qu’il est chaud. J’arrive à la gare
maritime pourtant vingt minutes en avance. Mais là,
procédure-procédure, il n’y a qu’un seul guichet à
l’extérieur et la queue est donc conséquente. Un miracle
que je ne rate pas le ferry, ce qui aurait remis en cause
toute l’organisation. Du port d’entrée sur l’ile de Pico16,
Madalena, au point de départ de l’ascension du Pico à mille
deux cents mètres et quelques, il y a quinze kilomètres. Le chemin indiqué fait sortir de la ville et attaque la
pente du volcan de face, on est au Portugal.

Partie de campagne. Attention, ne pas oublier la signalisation.


Le sentier fini entre des champs en devenant très étroits. D’évidence, ce vieux chemin n’est plus utilisé par
les locaux. Les fougères l’ont envahi, et en dessous quelques ronces. Il devient difficile de progresser et les
ronces ne sont pas très accueillantes pour les jambes. Le plus confortable est de passer la murette de pierres
sèches et de marcher dans le champ d’à côté. Il y a bien quelques vaches mais ces animaux sont du genre
placide. Le sol, dans le champ, est défoncé pas les sabots. Arrivé sur un méplat, je me retrouve entouré d’une
douzaine de bestioles dont trois ou quatre taureaux de belles tailles. Totalement immobile, tout ce beau
monde me fixe du regard bien connu. Euh …, et bien ce n’est quand même pas très engageant d’avancer vers
ce petit groupe. Sagement, je repasse la murette et me contente de mes fougères et de mes ronces !
Au croisement d’une route, je quitte ce chemin un peu trop de type « commando » pour rester sur
l’asphalte. J’y gagne quelque kilomètres en plus mais la marche y est autrement plus aisée. D’autant plus que
je commence à bien sentir mes jambes.
Tout allait bien lorsqu’après un virage, visiblement, la route est un peu encombrée !

16
Eh oui, vous avez dû vous en rendre compte à force : L’île et le volcan ont le même nom. Cela peut créer quelques fois
des confusions.

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Juillet-Aout 2020

Il faut quand même passer ! J’approche, bien évidemment très doucement, pour ne pas énerver Monsieur. Et
voilà qu’il se lève et marche lentement et négligemment sur la route juste devant moi, comme s’il voulait
bien me faire comprendre qu’il était chez lui ! Pas évident pour le doubler et de m’en débarrasser. Je ne vais
pas non plus passer la soirée là-dessus. Puis, Monsieur trouve un trou dans le mur et retourne dans son
champ. Merci ! A cinq kilomètres du but, un couple de jeunes Portugais en vacances me prend en stop. Ils
vont au départ du Pico pour prendre des renseignements. Ils me feront gagner un temps qui s’avèrera
précieux par la suite. La montée est très organisée, ils fournissent même des balises GPS pour nous suivre et
qui peut être utilisée pour un appel de secours. La dame, en voyant mes sandales me dit qu’il est interdit de
monter avec des chaussures ouvertes. J’insiste et la négociation s’engage quelque peu fermement. J’ai beau
lui dire que je porte ce type de chaussure depuis cinq ans et que je suis monté à des volcans bien plus hauts
au Guatemala avec ces chaussures, elle continue à me refuser l’entrée. Puis elle finit par me menacer, que je
ne serais pas assuré, que si j’ai le moindre problème, que j’aurais à payer mille deux cents Euros, etc. Je lui
dis que ce n’est pas un problème, je reste partant pour monter. Puis par hasard, je lui dis que je suis déjà
monté, il y a quatre ou six ans et que je connais l’endroit. Cela la calme et nous finirions presque bons amis !
Dès qu’on sort un peu de ce que les gens s’imaginent être un standard, on est pris pour un fou. Notre monde
moderne devient de plus en plus normatif. Il s’avèrera que, l’autre fois, je suis monté avec des chaussures
effectivement fermées. Mais c’étaient des chaussures de bateau. Les semelles étaient très souples pour
accrocher sur les ponts mais très lisses en fait. Ces sandales qu’elle a prises de très haut sont des sandales de
marche, aux semelles très crantées. Cette fois-ci, je n’ai quasiment pas glissé sur les gravillons de scories,
contrairement à l’autre fois.
L’ascension commence. Mise à part un peu au début, il n’y a pas, à proprement parler de chemin. A des
moments, il n’y a même pas de traces. On avance de balise en balise. La règle est qu’il vaut impérativement
voir la prochaine balise, des poteaux en général blancs, avant de quitter la précédente. Surtout quand on doit
traverser une zone nuageuse, ce qui arrive presque toujours à un moment ou à un autre.

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Juillet-Aout 2020

La lave pétrifiée laisse des formes et des couleurs surprenantes.


Le graal : la prochaine balise, est en vue. Il n’y a plus qu’à y aller !

Comme l’a dit un premier ministre en poste : « La pente est raide mais la route est droite » !
Voilà le « chemin ». Il y a quarante-sept balises. Et là, la galère commence. J’ai déjà huit heures de marche et
plus de mille mètres de montée derrière moi. Mes jambes, déjà fatiguées ce matin, n’en peuvent plus. Il n’y a
que trois kilomètres à faire, pour un dénivelé d’un peu plus de mille mètres encore. Maps.me indique deux
heures et dix-sept minutes. Au départ, la dame m’a parlée de trois heures en général. Le « en général » est
compté large pour qu’il convienne un peu à tout le monde, même à des marcheurs peu aguerris. Pour
résumer la situation, j’ai mis quatre heures et demie ! A des moments, je m’arrêtais tous les cinquante
mètres pour reprendre un peu de force dans les jambes qui n’en pouvaient vraiment plus. Mais quel
spectacle grandiose.

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Au-dessus des nuages. Au fond, une de ces satanées


balises ! L’ombre du Pico et du Piconinho.

Dans le cratère.
Il était temps d’arriver en haut, le jour commence à décliner. Je trouve un des aménagements pour bivouac
dont m’avait parlé la dame de l’accueil. Un espace rond d’environ trois mètres de diamètre, damé de terre
de lave et entouré d’une murette pour abriter du vent. J’y pose rapidement le sac à dos et vais visiter les
lieux, appareil photo en main, pour trouver un bon endroit. J’avoue que j’ai un peu mitraillé et du coup, ce
n’est pas facile de choisir. Voici juste un échantillon.

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Le Piconinho, vu de près.
Dès le soleil couché, le froid tombe immédiatement. Vif, piquant. Je « dine » très rapidement et, bien
installer dans le duvet, complètement enfermé devant, il faut bon à l’intérieur. Dans la nuit, j’entends des
voix. Un groupe arrive sur la crête du cratère. C’est un goupe. Quasiment sans transition, après être monté ici
de nuit, ils attaquent le Piconinho. Ils y vont pour le lever du jour. Ils sont en mode « Trekking » avec les
bâtons, la lampe frontale et tout l’équipement. Un deuxième groupe, sortie de je ne sais où, monte aussi le
Piconinho. Dans la nuit, les lampes fond des lignes de lucioles, comme une grande chenille fluorescente. Dès
l’aurore, il ne faut pas trainer. Là aussi, il faut trouver un bon endroit.

Une trouée dans les nuages : Ce qui doit être São


Le jour se lève, très lentement. João, à plus de deux milles mètres juste en dessous.

Au loin, l’île voisine émerge. Probablement Sao Jorge


et derrière Terceira.

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Et le spectacle commence.

A l’inverse d’hier soir, le soleil réchauffe vite l’atmosphère. Le petit déjeuner est encore plus rapide que le
diner d’hier et je range le campement. Pendant ce temps, les gens redescendent du Piconinho. Pour
économiser mes jambes, j’avais finalement décidé de ne pas y aller, et je m’y étais engagé auprès de la
cerbère de l’entrée. Elle m’avait bien dit, des éclairs dans les yeux, qu’il n’était pas question d’y aller quand
même ! Mais, de toutes façons, à voir de la manière qu’ils descendent, il est probable que ce soit trop engagé
pour moi. Je ne suis pas un montagnard et il vaut mieux rester lucide sur ses limites.
Le téléphone n’a pas supporté le froid. Il est complètement déchargé. La prochaine fois, il faudra le faire
dormir dans le duvet. Heureusement, l’appareil photo a bien résisté. Ayant quand même pas mal de route à
faire je ne traine pas pour redescendre.

La descente, trop facile ? Je n’irais peut être pas jusque-là mais par rapport à l’autre fois et malgré ce qu’en

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
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disent certains, elle a été très agréable. En restant sur la roche pour éviter au maximum les gravillons très
glissants, on fait, certes, un peu la chèvre, mais en y allant doucement, ce n’est que du plaisir. La vue
plongeante sur Pico et Faial est particulièrement grandiose.

Dimanche.
Journée d’intendance. Il faut faire les dernières courses et
préparer le bateau pour le départ de demain. Je passe donc
comme prévu à dix heures chez Peter pour admirer des dents
de cachalots gravées. Euh, ben, non… Il n’y a personne pour
vous y accompagner, revenez demain ! Bon.
Quelques cotons tiges immolés plus tard et grâce au pot de
peinture emprunté à Daniel, voilà l’immortel chef d’œuvre
Intergalactique revisité avec brio. Vous en doutez ? Moi non, la
preuve : je m’en suis mis plein les mains
mais pas une tache sur les habits. Pas mal, non ? Au retour de cet acte de bravoure, tout à
fait par hasard, je tombe sur la relique que j’avais cherchée bien trop au bout du quai
l’autre jour. La famille est donc au complet. Chez les Kanaouenn-Chouchen la quantité
remplace la qualité… on fait parfois ce qu’on peut !
Je passe à la capitainerie pour voir s’il est possible de faire la sortie aujourd’hui, ce qui me permettrait de
partir tôt demain. La jeune dame de la police des frontières me dit qu’il n’y a pas de problème. Il faut juste
revenir car le bureau de la marina est fermé actuellement. Revenant un peu plus tard, l’alerte capitaine du
port me dit qu’il a cherché à me contacter toute la matinée à la VHF. Je dois aller faire un test demain … Au
centre de santé ils m’avaient bien dit que le test de lundi dernier, au vu de celui de Madère, était pour eux le
deuxième. Mais bon, force est de faire le test demain. « Vous verrez, c’est juste à côté, allez y dès huit heures
et vous pourrez partir ensuite ». Bon, on fait les formalités et je passe en face, rapidement. Puis je passe à
côté, le même douanier me dit clairement que je dois aller aux douanes à chaque île, c’est impératif. Oui
Monsieur. Bien Monsieur. J’allais sortir du bâtiment quand le Capitaine du port me rappelle. « La marina de
Flores est fermée suite au cyclone Lorenzo d’octobre dernier ». Il a téléphoné là-bas pour vérifier. On peut y
faire de l’eau et du gaz oïl, mais on ne peut pas stationner et me montre des photos des dégâts sur la toile.
Cela remet mon projet en cause. Le mouillage dans l’avant-port est profond et j’y allais dans l’idée de laisser
le bateau deux jours pour aller bivouaquer aux lacs. Mon mouillage actuel n’est pas suffisant et la météo peu
fiable. De toutes façons, laisser un bateau seul si longtemps dans cet espace grand ouvert sur l’Est n’est, à
mon avis, pas prudent du tout. J’irais donc voir Graciosa que je ne connais pas et j’ai gagné une raison de plus
pour revenir dans l’archipel. Elle n’est pas belle la vie ?

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°4 – Açores, Escale sur Faial.
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Les poids sont recentrés à bord et Kanaouenn (où le


Une rue toute en couleurs. linge sèche) est mieux dans ses lignes maintenant.
Un dernier resto local avec Daniel, pendant lequel la lune joue les vedettes à l’aller et même au retour.

Lundi.
Le Test ? Je n’étais pas sur la liste … sans commentaires. L’opérateur était aussi délicat que l’opératrice de la
semaine dernière. Cette fois-ci, je lui ai demandé d’épargner ma narine gauche qui n’est toujours pas remise
de Porto Santo. Je ne m’étends pas sur le bazar qui, bien que passant le premier, se termine à presque dix
heure. Il est plus que temps de filer chez Peter où Daniel m’attend. On espérait qu’avec deux clients d’un
coup, ils seraient plus réactif … Et bien Non. Décidément, côté musées, la malchance persiste ! Il est donc
temps de partir.
Mais ceci sera une autre histoire !

Je vous souhaite que votre soleil brille et irradie malgré, au-delà, et au-dessus des nuages environnants,
… et, si possible, bien plus encore.

A bientôt,
Et bises aux filles !
Bernard.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
Aout 2020
Lundi 3.
L’appareillage était prévu, à l’origine, de bonne heure,
et, avec ces histoires, Kanaouenn largue les amarres
finalement à midi et demi. L’idée de base était d’aller à
Flores et la destination est maintenant juste en face ! Le
vent, entre les îles, nous pousse et la belle navigation
nous amène rapidement dans le dévent de Pico où,
comme il se doit, la navigation devient plus compliquée.
Mais à force de changements de réglages pour suivre
ceux, incessants, du vent, Velas grossi devant l’étrave.
Toute la côte de Sao Jorge est en falaises assez
spectaculaires. La petite ville est nichée au pied d’un
tombant, dans le creux de la montagne. L’endroit est
d’un calme et d’un silence prodigieux, y arrivant en fin
d’après-midi, le bureau du port est donc fermé.
Le lendemain matin, cap sur les formalités. A l’entrée du bureau, je découvre que j’ai oublié mon masque. Du
bout de la pièce l’homme de service me dit que je peux rentrer quand même. Chacun à l’opposé du colossal
bureau, les formalités sont classiques, simples, rapides et dans une ambiance très détendue. Son collègue de
Horta devrait venir faire un petit stage ici. A la fin, il me donne, comme partout ailleurs, le plan de l’ile et de
la ville. Il y est indiqué, hélas, et en plus, tout à l’autre bout, le bureau des douanes. Mon chromosome
gaulois ne comprend pas trop pourquoi il faudrait aller jusque là-bas, juste pour dire que je n’ai rien à leur
dire. Il n’est dit nul part que savoir lire un plan ést un impératif, donc si on me demande quelque chose, le
plus simple sera de dire que je n’ai pas trouvé. Affaire réglée n’en déplaise à mon autre ami de Horta.
L’endroit est tellement calme que je décide d’y rester un jour de plus, histoire de me reposer. Je n’ai pas
encore récupéré de Pico. Journée calme donc, mais voici quand même un petit tour en ville et au-dessus.

La place de l’église. La place de la République, toute fleurie.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
Aout 2020

Le port vu du dessus. Un volcan parfaitement plat.


Jeudi 5.
Puisque le projet d’aller à Flores est enterré, pour remplacer, l’idée est d’aller découvrir Graciosa. La marina
n’est pas terminée mais il parait qu’on peut y aller quand même.

Sao Jorge, une ile de 50 Km toute en longueur, et en


falaises, vue de face. Un banc de Petrels, dérangé en pleine sieste.

Arrivée sur Graciosa. Le chaos basaltique de Ponta da Barca

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
Aout 2020

La nouvelle marina, vue de loin, parait comme un vaste chantier. Deux grandes grues trônent dans un univers
bien minéral. Je tente d’aller au port de pêche plus au Sud. Il n’est pas déclaré ouvert à la plaisance mais il y
aura peut-être une petite place pour les huit mètres cinquante de Kanaouenn ? Sur les trois bouées qui
balisent l’entrée indiquées sur la carte, Il n’y a qu’une seule, mais l’arrivée est très simple. Un voilier est déjà
amarré dans le petit port. Je lui demande si je peux me glisser sur le bout de quai restant libre devant lui. Il
me conseil d’aller en face. Bon. Il faut dire qu’il fait partie de ceux qui mettent soigneusement leur annexe
sur le côté de leur bateau pour qu’aucun n’ait l’idée de venir à couple. Il y a assez d’eau au pied de l’escalier.
En plein amarrage, une voiture arrive un peu rapidement et deux hommes en descendent. C’est juste pour
me demander d’avancer un peu pour laisser libre l’escalier. Ce qui veut dire que je peux rester là. Peu après,
un homme du GNR passe, il m’indique l’emplacement du bureau qui, en fait, est juste devant, en me disant
très courtoisement de passer quand je serais disponible. Comme accueil, il y a pire. Plus le port est petit, et
plus les formalités sont simples. Photocopie de la carte d’identité et de l’acte de francisation du bateau, un
point, c’est tout. Mister Covid ? Pas un mot.
Vendredi.
São Mateus, nommée aussi Praia, est une petite ville qui sent bon la campagne. Les îles des Açores sont
calmes et paisibles d’une façon générale. Mais là, on est un peu dans un autre monde. Par contre, avis aux
navigateurs, ce n’est pas l’endroit idéal pour faire la cambuse pour une grande étape car les commerces sont
bien petits, mais Kanaouenn est pourvu depuis Horta.

Le réseau de fontaines publiques est dense et


parfaitement entretenu. Les deux bouées ne sont pas perdues, les voilà !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
Aout 2020

Juste en face, l’ile Da Praia, réserve mondiale, qui héberge des espèces très rares.

La voisine de Kanaouenn a décidé de garder le bateau avec obstination.

Au-dessus de la ville, il y a un volcan, donc une bonne destination ! Il n’est pas loin, la randonnée est donnée
pour moins de deux heures. Une occasion aussi facile comme celle-ci ne se rate pas !

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
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Où réapparait Guadelupe. C’est là-haut.

Il suffit de passer le tunnel aussi parfois !

Tunnel qui mène directement dans la caldeira.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
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On peut entrer dans le cratère où l’ambiance est de type caverne mystérieuse.

Dans un coin, la boue bouillonne et sent le soufre. Lac souterrain.

Les Açores, c’est aussi cela.

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Kanaouenn Saison 5, Lettre n°5 – Horta La Rochelle.
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Vue générale, en redescendant. Et partout, des fontaines publiques en état.

Dimanche 9 Aout.
La cambuse est bien fournie pour la base, le frais a été difficile à trouver tout de même. Kanaouenn est prêt,
comme toujours et la météo est « bonne », c’est-à-dire qu’elle est calme, très calme même.

Le problème sera d’éviter, si possible, les zones de calme. Au petit jeu de monter pour avoir du portant, il ne
faudra pas abuser, l’idée n’est pas d’arriver en Irlande !
Départ pile vent arrière et voiles en ciseaux dans un vent qui nous pousse tout juste. La journée et la soirée
sont vraiment très calmes. Et Graciosa disparait que très lentement sur l’horizon. Le soir, un petit groupe de
dauphins viennent quelques instants autour du bateau, pour me souhaiter bonne nuit ? Le vent refuse, ce
qui permet de mettre en activité le régulateur.

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Lundi.
Le vent vient et la journée est superbe. Le bateau est heureux de retrouver son élément. Le rythme s’installe.

Kanaouenn taille sa route au bon plein par mer belle. La sérénité de la mer reprend place progressivement,
comme une respiration synchrone entre le bateau et les vagues.
Mardi.
Tout est si paisible à bord … Jusqu’à ce que le message de météo arrive. Contre toute attente, Sébastien
annonce qu’une dépression va passer, suivie vaguement d’une éventuelle deuxième. Si je continue ainsi,
vendredi, il faudrait faire du plein sud pour éviter le gros du mauvais temps. Je décide de mettre tout de suite
le cap sur le point pressenti, ce qui nous fait faire presque du plein Est. L’après-midi, je demande à Sébastien
une description globale de la situation pour comprendre ce qui ce passe. Il y a deux jours tout était tellement
archi calme sur les 9 jours de visibilité.
Mercredi.
Le matin, je reçois donc la description de la situation générale selon la méthode qui commence à être bien au
point. Je reporte tout sur l’ordinateur grâce à OpenCPN et tout apparait clairement. Malgré le joli trait de
Lundi, la vitesse générale étant plutôt lente, pour ne pas dire pire. A ce rythme, la dépression devrait passer
devant. Je préviens Sébastien que je reprends le cap au Soixante. Il me répond que la situation s’est
dégradée. La deuxième dépression se forme et prend une route très Sud, ce qui barrerait la route, et une
troisième, très Nord, mais énorme qui balayerait toute la zone. Suit, une très longue description que je
positionne sur l’ordinateur.

Une page compète de petite écriture ! Et sa transcription graphique.

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La deuxième est supportable, il faudra peut-être faire un peu de Sud pour ne pas dépasser le force sept, la
limite au portant que je me suis fixé … si possible bien sûr. C’est d’ailleurs le principal objectif du suivi météo.
La troisième passe Mardi, avec des effets jusqu’à Lisbonne. C’est un coup à se faire coincer au Sud, très Sud
et pour longtemps, ce qui n’était pas l’objectif. Au pire, j’ai la chance d’avoir du temps devant moi et de ne
pas avoir de contraintes impératives. Mais quand même. Pour le moment, force est de faire cap sur Lisbonne
pour ne pas se faire matraquer par celle qui a reçu le doux nom de D3.

Avec un achat bien différencié, les bananes


Cap à l’Est, avec le soleil qui se lève donc dans murissent bien les unes après les autres cette fois-ci !
l’étrave. Le luxe tient à peu de chose parfois.
L’après-midi, je fais une énorme séance d’accordéon. Je risque de ne pas beaucoup jouer les jours prochains
et il faut garder la distance nécessaire à une réflexion lucide. Le soir, le ciel se voile légèrement avec
quelques nuages filaires. Je commence à préparer le bateau.
Jeudi.
La météo du matin est presque aussi longue qu’hier car la situation a encore beaucoup changée C’est dingue
et Sébastien a l’air un peu dépité. On en est à quatre dépressions maintenant. Mais une voudrait faiblir et
une autre passerait plus Nord. C’est reparti sur le cap, enfin presque. Dans cette ambiance, il y a comme un
doute qui plane, et une pincée de Sud est difficile à ne pas mettre dans la route. Il sera encore possible de
refaire du Sud demain, voire peut-être après-demain s’il le fallait, après il faudra se décider. En route donc,
mais tout de même sous un ris dans la grand-voile et trois tours dans le génois, pour honorer le prochain
rendez-vous avec D2 qui avance bien. Pour l’instant il fait beau, temps idéal pour une bonne douche !
Vendredi.
La dépression se libère sur la pointe Espagnole, ce qui donne de la marge et Jeudi devrait être moins
méchant même si cela reste fort. Le ciel a été superbement étoilée toute la nuit ... mais Kanaouenn est en
deuil aujourd’hui : Ginette a cassé sa pipe. Ou plutôt, sa poignée.
Ginette est presque l’aïeul du bord. A la réflexion, elle était peut-
être déjà à bord de Mostacero. Pendant presque quarante ans elle
a joyeusement sifflé dès que l’eau était à température. Elle
annonçait les petits déjeuners matinaux, les cafés et thés qui
ponctuent les journées. Il fallait parfois calmer ses ardeurs la nuit
pour qu’elle ne réveille pas tout le bord. Au risque de paraitre
vulgaire, force est de constater des dégâts
à l’emplanture de la poignée, rien d’autre
qu’à son arrière train. Ces deux trous sont
autant de fuites qui l’empêchent
dorénavant de siffler. Et une Ginette qui ne siffle plus n’est plus vraiment une
Ginette. La violence du coup fatal a été terrible. Depuis quelques jours, elle avait des
Portait d'un assassin.
faiblesses à l’arrière train, mais pour une deuxième fois, elle a reçu le couvercle de la

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cuisine sur la tête. Au-delà de la douleur du deuil, une cellule de crise s’attache à trouver une solution pour
que Ginette puisse garder du service.
La houle s’est levée et le bateau est secoué d’autan, les voiles aussi. Les ris est toujours là pour équilibrer le
bateau et soulager Georges, le pilote.
Samedi.
En fin de nuit, un clac-blig bizarre se fait entendre. Du genre désagréable et qui n’annonce pas toujours de
bonnes nouvelles : c’est n’est que le halebas. Un peu la routine en fait et pas vraiment une surprise. La
ferrure me paraissait bien légère et j’ai toujours cassé les halebas de tous mes bateaux. Toutes les pièces
métalliques du halebas du Melody ont toutes cassé les unes après les autres. A chaque fois, elles étaient
remplacées par du textiles et après que toutes les pièces aient été remplacées, plus rien n’a cassé. La ferrure,
faute de mieux est remplacée par une boucle simple en Dynalight de quatre … Elle a beau paraitre bien frêle,
elle tiendra pourtant jusqu’au bout, jusqu’à La Rochelle ! Au matin, le bilan électrique devient négatif,
l’ensoleillement est faible depuis quelques temps. Le régulateur d’allure17 est donc appelé à la rescousse et je
prends le deuxième ris pour équilibrer un peu plus le bateau et soulager dans la tâche Gégé, le bon vieil
Atoms.

Nouveau fil à linge ?


Non, la commande à distance du régulateur ! Le ciel est sous surveillance.
La météo annonce brutalement du force sept pour cette nuit. Comment cette dépression, qui ne fait que
faiblir depuis trois jours et qui est déclarée inexistante demain, comme dans un héroïque sursaut pathétique
à la Victor Hugo, d’un seul coup, monterait ainsi, brutalement. Franchement, je n’y crois pas. Mais, ces
impressions personnelles ne dispensent pas de préparer le bateau afin de pouvoir affaler la grand-voile de
nuit et au plus vite, au cas où.
Dimanche 16 Aout.
La nuit ? Du vent de Sud, pas bien fort mais avec beaucoup de pluie. Au matin un très fort et long grain passe,
probablement une trace de front froid. Puis un ciel typique de traine s’installe. D2 est donc définitivement du
passé maintenant, tout comme D1 qui vit actuellement sa vie dans le golfe de Gascogne. D3 a fusionné avec
D4. C’est elle qu’il faut garder à l’œil. Elle est vraiment grosse et forte, et doit arriver sur les côtes Espagnole
mardi en journée. D’ici là, la météo est bonne et le bateau est capable d’arriver avant. Les dés sont jetés. Il
faut avancer maintenant et tenir le rythme. Kanaouenn taille la route. Proprement et joyeusement.

17
Pour comprendre les termes techniques, un glossaire se trouve en fin du livre de la Saison Un.

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Mais sans faire le fou, le gréement est quand même en convalescence. En lâchant du génois et en barrant il
est évident que l’Arcadia ne demanderait qu’à partir au surf. En croisière au large, ce n’est pas le moment, et
pourtant ! C’est, sans aucun doute, la plus belle journée de navigation de toute cette croisière. Je reste de
longs moments à admirer la calme aisance du bateau qui accélère doucement sur les vagues. Les
célébrissimes textes magiques de Moitessier et de Le Toumelin me reviennent à l’unisson.

En bas, Ginette fait la fière. L’arrière train meurtri mais la tête haute, elle signale
que l’eau bout en crachant négligemment le bouchon-siffleur, qui
ne tient pas très bien à cause des fils de fer, d’un air franchement
hautain et dédaigneux. Le bouchon fait un morne « Ploc » en
retombant sur le réchaud. Ce n’est pas la grande classe, mais le
job est fait.
Une vis dans le derrière et un bout de fil de fer, il n’en faut pas plus pour que Ginette reprenne du service.

Mardi 28.
Kanaouenn a bien marché toute la journée d’hier. Cette nuit on a traversé le rail à moins de dix milles de la
route de l’aller. Cette fois-ci la traversée a été bien plus tranquille, il a fallu ralentir juste une fois, pour laisser
passer le dernier montant. Comme quoi les traversées de rail se suivent mais ne se ressemblent pas. Je
pensais que le plus dur était fait et que la dernière ligne droite serait une formalité. On est dans les temps,

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on devrait arriver avant midi alors que Sébastien annonce le début du coup de vent pour le milieu de l’après-
midi. Mais la brume tombe, d’un seul coup. Dense, sombre. Il y a beaucoup de pêcheurs, de vingt à trente
mètres. De ces tailles-là, ils devraient avoir l’AIS, mais rien n’est sûr. La veille archi permanente est tendue
car certains sont passé à moins de quatre cents mètres sans voir le moindre halo de lumière. Quand on
connait la puissance de leurs projecteurs, cela en dit long sur
l’épaisseur de la brume. A un moment, j’en surveille deux
quasiment à l’arrêt, sur tribord, devant lesquels Kanaouenn
est en train de passer à zéro quatre mille. D’un seul coup,
l’un deux redémarre, cap droit sur nous. Il répond
immédiatement à la VHF et me dit tout de suite qu’il stoppe.
Il est rassurant de pouvoir compter sur des pros. En
approchant de la côte, le plafond se lève et en entrant dans
la grande baie de Camariñas, seul reste un ciel bas et gris. Le
vent est monté d’un cran et je prends le deuxième ris. Au fur
et à mesure qu’on entre dans ce qui fait comme un immense
entonnoir, la mer se calme et il n’y a plus de houle.

La passe est suffisamment large pour entrer facilement, même au louvoyage, et suffisamment étroite pour
bien protéger la baie intérieure qui fait un peu comme un lagon. Cette baie, à l’entrée, me paraitra vraiment
parfaite et tout temps, la sortie me fera relativiser. Je prépare lentement le bateau pour l’accostage. Comme
à l’arrivée de toute étape un peu longue, on n’est jamais vraiment pressé, au final, de toucher cette terre qui
est pourtant notre destination. Gagner encore quelques minutes. Comment arriver sans casser l’harmonie
présente ? La transition du retour contient toujours une dose de brutalité. De loin, je reconnais la silhouette
du Marinero, un signe pour lui dire bonjour, le sien m’indique où m’amarrer. La place est pile face au vent,
l’arrivée est donc facile. « Buenos dias Señor ». Il me prend l’avant du bateau accompagné d’un « Buenos
dias Amigo ». Il m’a bien sûr reconnu lui aussi, cela fait peut-être quinze ans qu’on se connait ! Les premiers
pas sur le quai sont titubants. Ce qui a l’air de bien faire sourire un couple à la terrasse du bar. C’est
finalement à l’arrivée que je réalise à quel point le bateau gigote !
Camariñas
Ceux qui ne connaissent pas peuvent lire les pages 10-13 de la première saison. J’y étais resté coincé une
semaine par le mauvais temps et j’avais eu donc le temps de découvrir ! Ici les masques sont obligatoires
absolument partout, cela fait bizarre. L’ambiance est tout autre que sur les iles Portugaises. A Madère et aux
Açores, les gens étaient très strictes et sérieux, mais détendus (mis à part mon ami de la marina de Horta !),
ici il y a comme une sorte de nervosité. L’ambiance dans les rues, le fait que je connaisse, la fatigue et le
mauvais temps me poussent à aller en ville au minimum. Le vent monte franchement dans l’après-midi et la
nuit est très agitée. Dans ces moments-là, on est tellement bien au port ! En fait, le vrai nom de D4 est Alex.
Elle fera parler d’elle sur les côtes Bretonnes et ailleurs. Le lendemain, après un abat d’eau caractéristique, le
ciel de dégage d’un coup et le traditionnel arc en ciel surplombe brutalement toute la baie, majestueux.

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Cette pause forcée me fait penser, vous l’imaginez bien, aux deux jumelles18 dont vous êtes sans nouvelles
depuis si longtemps. L’impatience vous ronge ? Force est de constater qu’elles continuent vaillamment leur
mission. Bravo les Filles !

La première, larguée à 60 milles de la Guadeloupe, a Après avoir suivi les côtes de Colombie, d’un coup,
longtemps trainé derrière l’ile. Je la croyais accro au cap au Nord. Puis, alors que je l’imaginais
rhum. Mais non, elle a fini par faire route sur la embouquer le Winward Passage, voilà qu’elle
Colombie en explorant bien au Nord de Curaçao. Y a- bifurque encore brutalement vers le Nord. Une
t-elle fait de louches trafics ? Ensuite, l’artiste fait un subite passion pour Cuba ? Et la voilà à tourner en
joli arc de cercle dans les profondeurs de la Mer des rond devant la Baie des Cochons. Elle aurait dû se
caraïbes. Va-t-elle aller jusqu’à Bayahibe ? Ou passer renseigner, ici, on ne passe pas. Les Ricains en
entre la Dominique et Haïti ? A Suivre. savent quelque chose.

Je ne peux décemment pas quitter Camariñas sans aller


retourner admirer le travail de dentelle au fuseau qui est
une spécialité locale. Le musée est fermé, vous devinez
pourquoi, mais les boutiques alentour sont toujours là.

18
Deux balises Argo, larguées pour Ifremer en association avec Voiles Sans Frontières, lors de la Saison Deux.
Pour en savoir plus : https://wwz.ifremer.fr/Recherche/Infrastructures-de-recherche/Infrastructures-d-observation-des-
oceans/Euro-Argo

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Vendredi 21.
Il faut partir tout de suite derrière la dépression, sans attendre que la mer se calme, pour profiter du vent de
sud qui ne va pas durer. L’anticyclone à l’intention de revenir très vite, avec son lot de vent contraire. Au
revoir les voisins et les voisines. Merci pour les sourires, les risettes du nourrisson, les tomates et les pinces à
linge ! La sortie de la baie est sportive. Dans la passe la houle monte de façon impressionnante sur les hauts
fonds. De vraies petites montagnes. Au loin, je vois du blanc et crains que cela déferle mais ce ne sont que
d’énormes bancs d’écume. Pendant que Kanaouenn grimpe les côtes, je me demande comment cela se passe
quand c’est plus fort … Mieux vaut ne pas le savoir ?

En se dégageant de la côte, la houle, annoncée à cinq-six mètres, s’allonge et voile en ciseaux, Kanaouenn
avance tranquillement en se dandinant. Il faut être en haut de la houle pour voir au loin, il faut aussi que
l’autre bateau soit, lui aussi, sur le haut de la houle pour être vu. Pour voir l’autre, il faut donc que les deux
soit en haut de la vague en même temps. C’est comme cela qu’on voit parfois un pêcheur qu’à deux cent
mètres, finalement comme dans la brume. La vigilance est impérative et la veille sera permanente toute la
journée et la nuit suivante car il y a toujours autant de pêcheurs sur cette côte, et pas mal de petits cargos
côtiers qui ne se voient pas mieux.
Dans l’après-midi, les dauphins font un long festival de sauts en tous genres comme jamais !

Depuis un mois, il y a une petite fuite d’eau douce qui persiste. Pas grand-chose, environ un verre ou un bol
par jour, probablement la pompe de l’évier. Cette nuit, il y a un peu plus, que j’écope rapidement. Puis l’eau
revient, et ainsi de suite trois-quatre fois. Pas de doute, il y a autre chose. Ce n’est pas le moment de
m’occuper de cela et je ne vais pas vider le réservoir d’eau à coup d’éponge. Je vide donc toute l’eau restante
avec la pompe de l’évier et le problème est résolu, provisoirement mais efficacement. Il me reste trente litres
en jerrican, largement plus qu’il me faut jusqu’à La Rochelle.

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Samedi
Deuxième belle journée de portant, voiles en ciseaux, dans un force cinq régulier. La houle ne se calme que
très progressivement. La visibilité est encore réduite et la veille encore un peu difficile.

L’occupation principale, en dehors de la veille, est de récupérer de la nuit. Il faut au plus vite compenser le
déficit de sommeil car la nuit d’atterrage, qui n’est pas loin, est elle aussi, en général, blanche. La fatigue, qui
est très mauvaise conseillère, est peut-être la pire ennemie du navigateur.
Dimanche

Au petit jour, le vent commence sa rotation en passant à l’Ouest-


Nord-Ouest, ce qui nous fait avancer au travers. Il y a pas mal de
cargos en vue pendant la journée, en route pour les ports Espagnols
de Bilbao et Santander. Le soir, le passage sur le plateau continental
apporte son traditionnel lot de pêcheurs.

lundi 24
Le bateau est bien positionné, presque à la latitude de La Rochelle. Il est temps maintenant de faire route à
l’Est, directement sur la destination. Mais voilà que le bon vent en a profité pour partir ailleurs. Il faut
démarrer le moteur pour rester manœuvrant. Il n’a pas l’air au mieux de sa forme et il y a un problème de
charge sur la batterie de servitude. Le fusible est claqué, heureusement j’en ai trois de rechange. Après
quelques essais il s’avère que c’est au démarrage du moteur qu’il claque. Il suffit donc de l’enlever le temps
de démarrer puis de le remettre ensuite. Du coup, il ne m’en reste plus qu’un, il ne faudra se louper ! Puis le
problème électrique devient secondaire, car à force de toussoter le moteur fini par abandonner la partie. Les
vérifications de premier niveau sur le circuit de gaz oïl ne révèle rien. Il va falloir faire sans lui. On avance très
peu. C’est dans ces cas-là que les courants se font le plus sentir. Et pour le moment, malgré toutes les
tentatives, il nous porte sur le plateau de Rochebonne. On en est encore loin mais la perspective n’est pas
joyeuse. Comme tous les jours depuis le départ, il y a souvent des dauphins aux alentours. Cette fois-ci, c’est
une énorme chasse de thon qui anime la calmasse. Ils sont tellement gros, que de loin, je les avais pris au
début pour des dauphins tellement ils sautent haut également. Les pêcheurs seraient fous de voir cela !

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Profitez-en, c’est le dernier !


Mardi 25
Le vent revient en début de nuit et Kanaouenn redémarre, enfin. Au lever du jour, un voilier d’une douzaine
de mètres apparait sur le côté, il est cap au Nord, je ne l’avais pas vu. Il passe devant et je me retrouve dans
le secteur blanc de son feu de tête de mât. Sa loupiote asthmatique était invisible dans secteur rouge… Ce
n’est pas la première fois que cela se produit. Le vent vient de la côte, même si cette dernière est encore
loin, la mer est remarquablement moins forte et le bateau en profite pour accélérer. Il se joue des vagues en
souplesse, presque au travers sous deux ris, il sent l’écurie, c’est évident. Puis Kanaouenn remonte le pertuis,
bien équilibré sous sa voilure réduite. On croise les voiliers locaux toutes voiles dehors. Puis c’est l’arrivée à
la voile. Le ponton d’accueil est dégagé et quasiment face au vent, il n’est guère possible de faire plus facile.
Les deux saisonniers, leur surprise passée, réagissent au quart de tour et la manœuvre est ainsi impeccable.
Top les D’jeuns !

Voilà comment la première grande croisière de l’Arcadia se termine si vite. Pour l’instant Kanaouenn a besoin
de quelques travaux, mais il a prouvé qu’il était un vrai voilier du large. Et il est capable de bien plus.

Ceci sera une autre histoire !

Je vous souhaite d’avoir le virus, le vôtre, celui de votre vie et de vos projets, toujours très actif,
Et bien plus encore si possible !

A bientôt,
Et bises aux filles !
Bernard.

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Kanaouenn

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays.


Crédit photos © Bernard Martin sauf mentions spécifiques.

ISBN : 978-2-9554939-8-4
Dépôt légal Mars 2020

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