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énéralement dévolu aux experts, aux juristes et aux
praticiens, le rapport entre la comptabilité et la fiscalité
est peu souvent apprécié en sciences de gestion. Certes,
l’appréhension de cette question dans les recherches scientifiques
revêt une importance cruciale du fait des multitudes de choix
qu’offre cette relation au niveau de la gestion des organisations,
outre les implications potentielles que peut avoir ce rapport pour
les investisseurs lors de la valorisation de la firme.
La comptabilité et la fiscalité sont deux disciplines autonomes
qui répondent à des objectifs différents. La comptabilité permet
de mesurer les résultats de l’entreprise à travers le recensement
des flux économiques. Elle a pour objectif la description de sa
situation financière, l’état de son patrimoine ainsi que de ses
performances. La comptabilité financière a pour but aussi de
Ines BOUAZIZ DAOUD satisfaire les besoins des investisseurs à risque, les actionnaires
Docteur en Sciences Comptables et les bailleurs de fonds. La fiscalité a pour but de déterminer
les principes et règles d’évaluation du bénéfice imposable et les
Assistante de l’enseignement supérieur modalités de taxation de celui-ci. En l’occurrence, des divergences
à l’Université de Gabès au niveau des résultats, le résultat comptable et le résultat fiscal
Institut Supérieur de Gestion de Gabès, Tunisie sont très concevables (D. Shaviro, 2007).
Dans les pays anglo-saxons, la comptabilité est indépendante de
la fiscalité. Le bénéfice imposable est déterminé en appliquant
des règles spécifiques, indépendantes de celles utilisées en
comptabilité. Ainsi, et au moment où la littérature anglo-saxonne
a largement parlé de divergences comptabilité – fiscalité (M.
A. Desai, 2002, 2003 ; G. Z. Manzon et G. Plesko, 2002 ; M. Desai
et D. Dharmapala, 2006, 2009a), la littérature française parlait
de “liens théoriques impérieux” unissant comptabilité et fiscalité
(H. Culmann, 1980 ; E. Carré, 1969). Selon J.L. Rossignol (1999),
les entreprises françaises ont la possibilité de prévoir l’impôt
et d’user au maximum des moyens fournis par le droit fiscal qui
offre une multitude de choix, leur permettant la pratique de la
Mohamed Ali OMRI gestion fiscale qui est fortement liée à la gestion financière de
Professeur en Méthodes comptables et financières l’entreprise.
à l’Université de Tunis El Manar En Chine, la fiscalité et la comptabilité entretenaient des liens
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion étroits ; cependant, avec la rénovation de son système légal, fiscal
de Tunis, Tunisie et juridique, le débat concernant le rapport comptabilité – fiscalité
reprend de la vigueur (T.Y. Tang, 2005, 2006 ; T. Y. Tang et M.
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Firth, 2008, 2010). Cependant, et au moment où ce domaine a discrétionnaires des dirigeants, qui inspirés d’opportunisme,
fait l’objet de nombreux débats théoriques et empiriques dans optent pour les choix comptables et fiscaux qui leur permettent
différents contextes, rares sont ceux qui ont abordé et examiné de s’approprier de la richesse et de réduire au maximum le
ce domaine dans le contexte tunisien à l’heure actuelle. fardeau fiscal.
Un trait caractéristique du contexte tunisien est la dichotomie au Ainsi, l’étude s’interroge sur les facteurs explicatifs des diver-
niveau de la nature de la relation entre la fiscalité et la comptabilité gences discrétionnaires en se posant la question principale
qui, malgré la forte influence du modèle anglo-saxon, demeure suivante : Quels sont les facteurs explicatifs des divergences
influée par le modèle continental. En effet, en Tunisie, le système comptabilité – fiscalité, notamment les divergences discrétion-
légal emprunte au système anglo-américain du fait de l’indépen- naires ? En d’autres termes, comment est-ce que les divergences
dance du cadre règlementaire régissant les pratiques comptables discrétionnaires peuvent-elles s’expliquer par les pratiques
et du cadre régissant les pratiques fiscales. Cependant, et en discrétionnaires de gestion des résultats et de gestion fiscale,
dépit de la promulgation d’une loi comptable, la comptabilité ainsi que par des facteurs liés à la combinaison de ces deux
demeure rattachée à la fiscalité en Tunisie, témoignant ainsi de pratiques à la fois ?
l’influence notable et continue du système continental. En effet, Pour répondre à la question de la recherche, ce papier sera
les règles comptables sont nécessaires à la détermination du organisé de façon à souligner et à examiner les facteurs expli-
bénéfice imposable et les pratiques comptables dans les entre- catifs des divergences comptabilité – fiscalité. Nous proposons,
prises tunisiennes demeurent rattachées aux règles fiscales : une à travers une revue des études théoriques et empiriques, le
charge n’est fiscalement déductible que si elle est correctement débat concernant les divergences comptabilité – fiscalité dans
enregistrée. En outre, le résultat fiscal est déterminé à partir différents contextes ainsi que les propos théoriques avancés au
du résultat comptable tout en procédant à des ajustements. En titre de ce sujet (1). Ensuite, nous examinons le cadre règlemen-
l’occurrence, en Tunisie, des divergences entre comptabilité et taire ainsi que les caractéristiques contextuelles régissant les
fiscalité sont très concevables. Ces divergences s’articulent au pratiques comptables et fiscales en Tunisie ; puis, nous exposons
niveau des objectifs de chaque discipline, et notamment au niveau les hypothèses de la recherche (2). Par la suite, nous relatons
des résultats, à savoir le résultat comptable et le résultat fiscal. les aspects méthodologiques de la recherche, les résultats et
Les divergences comptabilité – fiscalité ont été largement débat- les discussions empiriques (3). Enfin, nous concluons avec les
tues. Elles constituent un domaine de recherche émergent et principaux résultats.
évolutif. Dans la littérature, la majorité des recherches a accordé
les divergences entre le résultat comptable et le résultat fiscal
aux pratiques discrétionnaires de gestion fiscale et/ou de 1. Divergences comptabilité –
gestion des résultats (L. Mills et K. Newberry, 2001 ; J. Philips fiscalité, gestion fiscale et gestion
et al. 2003, 2004 ; P. Joos et al. 2003 ; A. Dunbar et al. 2004 ;
M. Desai et D. Dharmapala, 2006 ; 2009a ; M. Frank et al. 2009 ; des résultats : cadre théorique
R. Wilson, 2009). Cependant, T.Y. Tang et M. Firth (2010) et et revue de la littérature
D.A. Shackelford et al. (2007) suggèrent que les divergences
comptabilité – fiscalité sont dues aux différences de traite- Certaines recherches ont accordé le problème posé par les
ment entre les règles comptables et les règles fiscales, ainsi divergences comptabilité – fiscalité1 aux divergences entre le
qu’aux pratiques discrétionnaires de gestion des résultats et droit fiscal et les règles comptables en vigueur (T.M. Porcano
de gestion fiscale. En revanche, en Tunisie, les experts et les et A.V. Tran, 1998 ; M. Lamb, 1996). D’autres chercheurs,
juristes parlaient uniquement de divergences techniques entre l’expliquent par les pratiques discrétionnaires des dirigeants
un traitement fiscal et un traitement comptable d’une donnée opportunistes et l’accordent ainsi à une gestion agressive des
particulière (A. Yaich, 2004a). résultats pour majorer ou minorer le résultat comptable, selon
Dans ce cadre d’analyse, la présente recherche essaie d’apprécier leurs aspirations, ou pour échapper au fardeau fiscal (L. Mills
les divergences constatées au niveau des résultats, notamment et K. Newberry, 2001 ; J. Philips et al. 2003, 2004 ; P. Joos et
le résultat comptable avant impôts et le résultat fiscal imposable, al. 2003 ; A. Dunbar et al. 2004). L. Mills et K. Newberry (2001)
et d’explorer l’origine de ces divergences, en distinguant entre constatent que les firmes, dans les quelles les dirigeants sont
les divergences dites non discrétionnaires, qui sont dues aux plus incités à gérer le résultat, ont des divergences comptabilité
différences de traitement entre le droit comptable et le droit fiscal, – fiscalité plus élevées que les autres firmes.
et les divergences discrétionnaires, expliquées par les pratiques D’autres chercheurs accordent les divergences comptabilité –
discrétionnaires de gestion des résultats et de gestion fiscale. fiscalité aux pratiques discrétionnaires de gestion fiscale (G.J.
Particulièrement, nous examinons si les divergences entre le
1. Les divergences comptabilité – fiscalité renseignent sur les divergences
résultat comptable et le résultat fiscal en Tunisie s’expliquent entre le résultat comptable avant impôts et le résultat fiscal imposable. En fait,
par des facteurs autres que les différences règlementaires. À lorsque la réglementation comptable diffère de la législation fiscale, notam-
cet égard, nous testons les hypothèses selon lesquelles les ment lorsque chaque droit a ses objectifs qui se distinguent de ceux de l’autre
droit, comme le cas des Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Chine, la Tunisie…
divergences dites discrétionnaires sont dues aux pratiques des divergences entre le résultat comptable et le résultat fiscal se présentent.
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2. Divergences discrétionnaires,
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passe obligatoirement par la connaissance de ses pratiques et le résultat comptable et le résultat fiscal. Subséquemment,
usages (A. Yaïch, 2004b). l’investissement en immobilisations peut affecter négativement
Pour les sociétés, la législation fiscale tunisienne en vigueur est les divergences comptabilité – fiscalité (T.Y. Tang et M. Firth,
basée sur des prélèvements au niveau de la réalisation du revenu 2010 ; G.J. Manzon et G. Plesko, 2002 ; M. Frank et al. 2009).
et des bénéfices. L’impôt sur les sociétés (IS) est institué par En outre, la croissance du chiffre d’affaires peut entraîner des
le code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de créances irrécouvrables énormes (T.Y. Tang et M. Firth, 2010).
l’impôt sur les sociétés (code de l’IRPP et de 1’IS) promulgué par Ces créances sont immédiatement passées en pertes de l’exer-
la loi n° 89-114 du 30 décembre 1989. En Tunisie, la fiscalité cice. En fait, elles sont appréciées avec une certaine subjectivité
exige la tenue d’une comptabilité conforme au système comptable permettant de réduire le résultat de l’exercice et par la suite la
des entreprises. charge d’impôts. Fiscalement, ces créances ne sont déductibles
de la base imposable que si certaines conditions, sur lesquelles
les dirigeants peuvent agir, sont vérifiées. Ces différences de
2.2. Lien comptabilité – fiscalité et sources traitement peuvent créer des divergences négatives entre le
des divergences entre le résultat comptable résultat comptable et le résultat fiscal.
D’autre part, les firmes bénéficiaires peuvent chercher à investir
et le résultat fiscal davantage dans les activités pour lesquelles la législation fiscale
offre des mesures fiscales avantageuses pour inciter les investis-
En Tunisie, la réglementation comptable est indépendante de seurs. Particulièrement, dans ces firmes, les dirigeants cherchent
la réglementation fiscale, cependant, la relation entre les deux à investir dans les activités les plus avantageuses fiscalement
disciplines est nécessaire pour la détermination de la charge afin de réduire la base imposable, et de profiter de l’économie
fiscale. En effet, le bénéfice imposable soumis à l’impôt sur les d’impôts qui découle de leurs choix. Dans leur étude menée sur
sociétés est établi à partir du résultat comptable4 qui est corrigé un échantillon de firmes américaines, G.J. Manzon et G. Plesko
de certains ajustements prévus par la loi fiscale5. La prise en (2002) trouvent une relation positive entre le résultat comptable
compte de ces ajustements ne conduit pas à établir un bilan de signe positif et les divergences comptabilité – fiscalité.
fiscal distinct du bilan comptable mais à établir un tableau de Par ailleurs, les spécificités du contexte tunisien, caractérisé par
détermination du résultat fiscal qui regroupe les différentes un système comptable offrant plusieurs marges de manœuvre
réintégrations et déductions fiscales. pour le dirigeant au niveau du choix des politiques comptables
En Tunisie, les divergences non discrétionnaires entre le résultat et par une législation fiscale flexible offrant une panoplie de
comptable et le résultat fiscal peuvent être dues aux différences choix et un arsenal de mesures fiscales avantageuses, créent
de traitement entre la réglementation comptable et la loi fiscale un terrain favorable aux pratiques discrétionnaires de gestion
liées à certains éléments tels que l’amortissement du fonds des résultats et de gestion fiscale et entraînent par la suite des
commercial, la dépréciation des actifs et la croissance du chiffre divergences au niveau des résultats comptable et fiscal. En outre,
d’affaires entraînant des créances irrécouvrables. Ces divergences la nature de la relation entre le résultat comptable et le résultat
peuvent être dues aussi aux mesures fiscales avantageuses fiscal prépare le champ aux dirigeants pour pratiquer la gestion
offertes par la législation fiscale. des résultats ayant pour effet d’agir sur le résultat fiscal via le
En effet, en comptabilité, le fonds commercial est amorti sur résultat comptable selon les objectifs visés par ces derniers.
une période de 20 ans. Les dotations d’amortissement sont Dès lors, nous nous intéressons, dans le cadre de la présente
constatées parmi les charges de l’exercice et par la suite, elles recherche, à explorer les facteurs explicatifs des divergences
sont déduites du résultat comptable. Cependant, et selon la discrétionnaires en examinant les différentes options fiscales
législation fiscale, ces charges ne sont pas déductibles du et comptables qui, dans la limite des règles et des principes
bénéfice imposable. La non déductibilité des charges d’amor- prévus par le législateur, permettent la pratique de la gestion
tissement en fiscalité peut entraîner des divergences négatives des résultats ainsi que la pratique de la gestion fiscale ayant
entre le résultat comptable et le résultat fiscal. D’ailleurs, en pour but la minimisation de l’impôt sur les bénéfices et pour
comptabilité, et alors que la constatation d’une dépréciation effet, l’amplification des divergences entre le résultat comptable
au titre des immobilisations est obligatoire selon les normes et le résultat fiscal.
comptables tunisiennes, aucune dépréciation autre que celles
constatées par le biais des amortissements fiscaux n’est admise
en fiscalité, ce qui entraîne des divergences permanentes entre 2.3. Les facteurs explicatifs des divergences
discrétionnaires en Tunisie : hypothèses
4. Ce résultat est déterminé selon les principes et règles institués au niveau
du système comptable des entreprises 1997. de la recherche
5. Les principales réintégrations portent sur certaines charges ou l’excès par
rapport à une limite de déduction, et certaines provisions (comme la provision
pour risques et charges). Les déductions portent sur certains produits tels Nous essayons de tester les hypothèses selon lesquelles les diver-
que les dividendes. Ils sont exonérés par la loi et par suite ils sont déduits de
la base imposable. gences discrétionnaires sont dues aux pratiques discrétionnaires
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autre société, elle bénéficie d’une part, de l’économie d’impôt d’impôts qui en découle. Dès lors, nous constatons que les
réalisée, qui constitue une liquidité de plus et d’autre part, de firmes qui recourent au financement par réinvestissement des
l’opération d’investissement elle-même par les propres moyens bénéfices, réalisant ainsi des économies d’impôts, enregistrent
de l’entreprise. des divergences importantes entre le résultat comptable et le
Dans la littérature, certains chercheurs considèrent l’autofinan- résultat fiscal imposable, résultant du fait que l’amplification
cement comme étant une source de création de la valeur. En du bénéfice ne coïncide pas avec l’amplification parallèle de la
effet, selon la théorie du financement hiérarchique (S.C. Myers charge d’impôts due.
et N. Majluf, 1984), la firme peut renoncer à des sources de
financement coûteuses. En fait, l’autofinancement est caractérisé Hypothèse 1b : Dans les firmes qui recourent au financement
par son moindre coût ainsi que par sa flexibilité, dans le sens par réinvestissement des bénéfices, il existe une relation
où il n’exige pas de délai pour l’obtention des fonds tels les positive et significative entre les bénéfices réinvestis et les
autres sources de financement. En outre, plus la firme finance divergences discrétionnaires.
ses investissements par autofinancement, moins elle sera
contrainte par la distribution des dividendes supplémentaires, Les incitations à la gestion fiscale moyennant
eu égard aux nouveaux investisseurs. Par ailleurs, les économies
d’impôts résultant de la politique d’autofinancement constituent la gestion des résultats vers la baisse
des effets secondaires. M. Frank et al. (2009) constatent que les pratiques de gestion
fiscale sont accompagnées des pratiques de gestion des résul-
À contre-courant, d’autres chercheurs considèrent l’autofinan- tats dans les firmes américaines. Ces firmes, incitées à gérer le
cement comme étant une source de destruction de la valeur. En résultat comptable vers la hausse, sont en même temps incitées
effet, la séparation entre agent chargé de la direction et agent à gérer le résultat fiscal vers la baisse. À ce titre, M. Frank et al.
propriétaire renforce le souci des dirigeants de gérer la firme selon suggèrent que la gestion des résultats telle que mesurée par
leurs aspirations aux dépens des intérêts des actionnaires. En les accruals discrétionnaires affecte positivement la gestion
outre, la faible demande de capitaux auprès du marché financier fiscale telle que mesurée par les divergences discrétionnaires
de la part des dirigeants permet à ces derniers de se soustraire permanentes entre le résultat comptable et le résultat fiscal.
du contrôle du marché financier (A. Galesne, 2004). À cet égard, D.A. Guenther (1994), Q.J. Yin et A. Cheng (2004) et K.Z. Lin
en se substituant à toute autre source de financement externe, (2006) constatent une relation positive et significative entre les
l’autofinancement permet aux dirigeants d’échapper au contrôle accruals discrétionnaires courants et le résultat imposable une
des actionnaires, des banquiers, etc. L’autofinancement permet année précédant l’adoption de la nouvelle mesure fiscale rédui-
ainsi aux dirigeants de jouir de la liberté d’action sur la gestion sant le taux d’imposition effectif. Les auteurs prouvent que les
de ces fonds. D’autre part, et selon A. Galesne (2004), l’auto- dirigeants choisissent les méthodes comptables qui répondent
financement permet la maximisation du bien-être social des à leur objectif fiscal, celui de la réduction du résultat imposable
dirigeants au détriment des autres parties liées à la firme, dont afin de minimiser la charge d’impôts.
les consommateurs, les salariés et les actionnaires. En outre,
l’autofinancement pose la question de l’efficacité économique Pour examiner l’aptitude des dirigeants à altérer le résultat
des investissements entrepris par les dirigeants. En effet, comptable, le résultat fiscal et apprécier l’impact de la gestion
ces fonds risquent d’être mauvaisement alloués, voire même des résultats sur les divergences discrétionnaires entre le
gaspillés. La théorie des free cash-flows8 avancée par M.C. résultat comptable et le résultat fiscal, nous suggérons une
Jensen (1986) stipule que les cash-flows excédentaires sont relation positive entre la gestion des résultats telle que mesurée
inefficacement utilisés. Selon M.C. Jensen (1986), au moment par les accruals discrétionnaires courants et ces divergences.
où les actionnaires souhaitent la distribution du cash en excès En effet, il a été démontré que les accruals discrétionnaires
(sous forme de dividendes ou de rachat d’actions), permettant courants sont vulnérables aux pratiques discrétionnaires des
ainsi la maximisation de la valeur de la firme, les dirigeants dirigeants, plutôt que les accruals non courants (Q.J. Yin et A.
tentent d’abuser de ces fonds excédentaires en les investissant Cheng, 2004). Dans le contexte tunisien, I. El Aissi (2010) étudie
dans des projets non rentables. la gestion des résultats motivée fiscalement. L’auteur constate
que les dirigeants tendent à réduire le bénéfice imposable en
En l’occurrence, dans le but de disposer du maximum des fonds agissant sur les accruals discrétionnaires courants. Une telle
pour répondre à leurs aspirations, les dirigeants, soucieux de stratégie, à savoir la minimisation du bénéfice imposable peut
payer moins d’impôts cherchent à améliorer le résultat actuel pour affecter largement les divergences discrétionnaires entre le
bénéficier, en premier lieu, de l’avantage lié au réinvestissement résultat comptable et le résultat fiscal.
des bénéfices exonérés, et en deuxième lieu, de l’économie
Hypothèse 1c : Il existe une relation positive et significative
8. H.G. Jensen (1986) définit les free cash-flows comme étant ‘l’excédent des entre les accruals discrétionnaires courants et les divergences
fonds disponibles après financement de tous les projets à valeur actuelle nette
positive à un taux d’actualisation égal au coût du capital’. discrétionnaires.
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taux d’imposition pour bénéficier de l’économie d’impôts qui sont incités à choisir les méthodes comptables qui réduisent le
découle de la variation des taux d’imposition. résultat comptable, ce qui entraîne des divergences discrétion-
Récemment, en Tunisie, les taux d’imposition variaient selon le naires entre le résultat comptable et le résultat fiscal.
secteur d’activité, la cotation en Bourse… En effet, les entreprises Hypothèse 3 : Il existe une relation positive et significative
bénéficient de deux avantages réduisant le taux d’imposition. entre la taille de la firme et les divergences discrétionnaires.
La première réduction est liée au taux du droit commun qui est
réduit de 35 % à 30 %. Ce taux est applicable à partir de l’exer-
cice 2006. La deuxième concerne les sociétés qui procèdent à 3. Méthodologie et résultats
l’admission de leurs actions ordinaires à la cote de la Bourse à de la recherche
un taux d’ouverture du capital au public au moins égal à 30 %
et les sociétés dont les actions ordinaires sont inscrites à la 3.1. Présentation de l’échantillon
cote de la bourse dont le taux d’ouverture au public est inférieur
à 30 % et qui procèdent à l’ouverture de leur capital à un taux
et Collecte des données
additionnel au moins égal à 20 % et ce, pendant cinq ans ; elles L’étude empirique porte sur 39 entreprises, dont 24 sont cotées
bénéficient d’un taux d’impôt sur les sociétés de 20 % pendant à la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT) et opèrent
cinq ans à partir de leur admission. D’ailleurs, le taux de l’impôt dans différents secteurs d’activité et 15 non cotées, sur une
sur les sociétés est fixé à 10 % pour certaines entreprises dont période de 7 ans allant de l’année 2003 à l’année 2009. De la
celles exerçant une activité artisanale, agricole, de pêche ou population initiale des sociétés cotées, nous avons exclu les
d’armement de bateaux de pêche… En outre, ce taux est fixé à entreprises relevant du secteur financier (telles que les banques,
35 % pour d’autres entreprises dont les opérateurs de réseaux les compagnies d’assurance, les sociétés d’investissement…)
des télécommunications, les sociétés de services dans le secteur du fait de leurs spécificités comptables et fiscales9. Nous avons
des hydrocarbures, les entreprises exerçant dans le secteur de également exclu les entreprises totalement exportatrices étant
production et de transport des hydrocarbures et soumises à un donné qu’elles sont soumises à un régime particulier d’exonération
régime fiscal dans le cadre de conventions particulières et les des bénéfices. D’ailleurs, et faute de disponibilité des données
entreprises de transport des produits pétroliers par pipe-line… pour certaines entreprises sur toute la période de l’étude, nous
Dès lors, eu égard à la variation du taux d’imposition, nous suggé- avons éliminé les entreprises qui ont été radiées de la cote les
rons que les entreprises tunisiennes, ayant un taux d’imposition premières années de l’étude, et celles qui sont nouvellement
élevé, paient davantage d’impôts que les firmes à taux d’imposition introduites en Bourse. De ce fait, notre échantillon est un panel
moins élevé. En conséquence, dans ces firmes, les dirigeants non cylindré, dont le nombre total d’observations est de 234
choisissent les méthodes qui permettent d’altérer le bénéfice observations firmes – année.
imposable et d’amoindrir le fardeau fiscal ce qui entraîne des Pour la collecte des données, pour les sociétés cotées, les
divergences discrétionnaires importantes au niveau des résultats données sont extraites des états financiers et des informations
comptable et fiscal. annexes publiées par la BVMT, ainsi que des notes annexes
Hypothèse 2c : Il existe une relation positive et significative publiées dans la documentation (bulletins officiels et rapports
entre le taux d’imposition sur les bénéfices et les divergences annuels) fournie par le Conseil du Marché Financier (CMF) tunisien.
discrétionnaires. Concernant les sociétés non cotées, nous avons obtenu les
informations relatives à celles retenues du conseil du marché
financier de la documentation (bulletins officiels et rapports
2.3.3. Les facteurs liés aux incitations à la gestion annuels) fournies par ce dernier. Pour le reste des entreprises
des résultats non cotées, nous avons sollicité l’information auprès des cabinets
des experts comptables des firmes en question.
La taille de la firme
L’hypothèse de la visibilité politique stipule que la taille de la
firme est généralement utilisée comme un indicateur de visibilité 3.2. Définition et mesure des variables
politique de la firme. En effet, l’hypothèse avance que les firmes
de grande taille sont plus vulnérables à des pressions politiques Variable à expliquer : les divergences discrétionnaires (DIV _DIS)
que celles de petite taille, dans la mesure ou une grande taille La variable à expliquer correspond aux divergences discré-
indique que la firme génère plus de profits et est donc plus apte tionnaires entre le résultat comptable et le résultat fiscal. Ce
à financer le budget de l’Etat par les prélèvements effectués par phénomène est représenté par une variable continue obtenue à
ce dernier (R.L. Watts et J.L. Zimmerman, 1978 ; B. Raffournier, partir de l’estimation de l’équation (1) relative aux divergences
1990). En l’occurrence, les dirigeants, cherchant à réduire leur totales et de l’équation (2) relative aux divergences discrétion-
visibilité politique et par la suite les coûts politiques et fiscaux,
se voient incités à réduire le bénéfice diffusé au public. Nous 9. En fait, ces entreprises sont soumises à des normes sectorielles où les
techniques de la comptabilité financière diffèrent de celles des autres entre-
suggérons donc que les dirigeants des entreprises de grande taille prises industrielles, commerciales et de services.
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gestion fiscale à travers le réinvestissement des bénéfices, et combinée avec celle de l’amortissement linéaire, et ‘0’ si la
‘0’ sinon (I. El Aissi, 2010). méthode adoptée est celle du linéaire.
Mesure de la gestion fiscale moyennant la gestion Mesure de la gestion fiscale à travers le choix de
des résultats (AC-DISC) la méthode de valorisation des stocks (STOCK)
Le calcul des accruals courants passe par trois étapes (D.A. La variable STOCK est une variable dichotomique égale à ‘1’ si
Guenther, 1994). La première étape réside dans le calcul des l’entreprise adopte la méthode CMP, et ‘0’ si la méthode appli-
accruals courants. La deuxième étape consiste en l’estimation quée est celle du FIFO.
du modèle des accruals courants en fonction de la variation
du chiffre d’affaires, pour enfin, et dans une troisième étape Mesure de la gestion fiscale liée à la variation du
déterminer les accruals discrétionnaires.
Le modèle relatif aux accruals courants (AC_C) s’écrit comme suit : taux d’imposition (TAUX)
AC_Cit = D ACit – D LIQit – (D PCit – D DLTit – D IPit) La variable taux d’imposition (TAUX) est égale au taux de l’impôt
Avec, sur les bénéfices (T.Y. Tang et M. Firth, 2010).
D ACit = variation de l’actif courant
D LIQit = variation de la liquidité (caisse et banque) Mesure de la taille de la firme (TAILLE)
D PCit = variation du passif courant
D DLTit = variation des dettes à long terme figurant parmi le La taille est mesurée par le logarithme naturel du total de l’actif.
passif courant
D IPit = variation de l’impôt à payer
D.A. Guenther (1994) considère qu’en absence de gestion des 3.3. Définition du modèle d’analyse
résultats, les actifs courants et les passifs courants à la date
t sont chacun fonction du chiffre d’affaires total (D CHA) à la Dans la présente recherche, le phénomène à expliquer correspond
date t. Dès lors, et en se penchant sur la démarche adoptée aux divergences discrétionnaires. Nous présentons le modèle qui
par D.A. Guenther (1994), le modèle relatif aux accruals non va servir de base pour tester les hypothèses de notre recherche
discrétionnaires s’écrit comme suit : sous la forme de la régression suivante :
AC_Cit = bi D CHAit + eit DIV_DISit = b0 + b1 REP-DEFit + b2 REIN-BENit + b3 AC_DISCit
Ensuite, et dans une deuxième étape, nous estimons le modèle + b4 AMOTit + b5 STOCKit + b6 TAUXit + b7 TAILLEit + eit
de régression linéaire concernant les accruals courants par la (équation 4)
méthode des moindres carrés ordinaires pour chaque entreprise
de l’échantillon. Avant l’estimation du modèle de régression,
toutes les mesures sont divisées par la valeur de l’actif total de 3.4. Résultats de la recherche
début de période pour réduire les problèmes d’hétéroscédasticité.
AC_Cit/TAit-1 = bi (D CHAit/TAit-1) + eit 3.4.1. Statistiques descriptives et analyse univariée
Avec, Le tableau 1 ci-dessus montre qu’en moyenne les firmes de
AC_Cit = accruals courants à l’instant t l’échantillon enregistrent des divergences discrétionnaires pour
TAit-1 = actif total à l’instant t-1 0,19 % du total actif. Elles gèrent le résultat vers la hausse, en
D CHAit = variation du chiffre d’affaires moyenne, pour 0,24 % du total actif, au moment où elles pratiquent
eit = terme d’erreur la gestion fiscale des résultats vers la baisse avec un plafond de
bi est le coefficient estimé de l’équation pour chaque firme. 42 % du total actif. Leur taille moyenne, telle que mesurée par
Enfin, la dernière étape consiste à déterminer les accruals discré- le logarithme naturel du total des actifs, est de 16,87. Le taux
tionnaires (AC_DISC). Ces derniers sont obtenus en retranchant d’imposition est en moyenne de 22 %, et plus que la moyenne
des accruals courants les accruals non discrétionnaires (D.A. de l’échantillon a un taux d’imposition de 30 %.
Guenther, 1994). Les variables du modèle sont également divisées Les résultats du tableau 2 révèlent qu’une minorité des entre-
par l’actif total pour réduire les problèmes d’hétéroscédasticité. prises de l’échantillon adopte les pratiques de gestion fiscale les
Les accruals discrétionnaires sont égaux donc à : plus avantageuses. En fait, seulement 35 % des entreprises de
AC_DISCit = AC_Cit – bi (D CHAit/TAit-1) l’échantillon pratiquent la gestion fiscale par réinvestissement
des bénéfices. De même, seulement 18,4 % des entreprises
Mesure de la gestion fiscale à travers le choix de l’échantillon pratiquent la gestion fiscale par imputation des
reports déficitaires. D’ailleurs 8,5 % des entreprises de l’échan-
de la méthode d’amortissement (AMT) tillon adoptent la méthode de l’amortissement permettant une
La variable (AMT) est une variable binaire égale à ‘1’ si les économie d’impôts, contre 91,5 % qui optent pour le linéaire.
dirigeants optent pour la méthode de l’amortissement dégressif Cependant, les résultats concernant la méthode de valorisation
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 263-264 – Comptabilité 191
Tableau 3. Test de comparaison de la moyenne DIV-DISC à travers les variables REIN-BEN, REP-DEF, AMOT et STOCK
Test-t pour
Moyenne
Variable Modalité égalité des
DIV-DISC
moyennes
REIN-BEN Réinvestissement des bénéfices exonérés 0,01329232 4,350***
Pas de réinvestissement -0,01023842 (0,000)
REP-DEF reports déficitaires imputés -0,01015535 -1,449
Pas d’imputation de reports déficitaires -0,00015492 (0,149)
AMOT Dégressif combiné avec le linéaire -0,00172350 0,031
Linéaire -0,00201776 (0,976)
STOCK CMP -0,00707181 -2,521**
FIFO 0,00898946 (0,013)
*** Significatif au seuil de 1 % ** Significatif au seuil de 5 %
des stocks montrent que plus que la moitié des entreprises de tats illustrés dans le tableau, affichent une différence de 1 %,
l’échantillon adopte la méthode CMP permettant d’amoindrir la qui est significative au seuil de 5 %. Les résultats infirment nos
charge d’impôts. attentes concernant la cinquième hypothèse de la recherche.
Nous constatons, à partir des résultats du tableau ci-dessus, Pour tester l’intensité de la relation entre la variable à expliquer
que la moyenne de la variable DIV-DISC est moins élevée chez DIV-DISC et les variables explicatives AC-DISC, TAUX et TAILLE,
les firmes qui imputent des reports déficitaires, cependant nous dressons le tableau 5 ci-dessous qui affiche le coefficient
aucune différence significative n’est constatée. Ces résultats, de corrélation de Pearson.
non significatifs, révèlent une certaine ambiguïté concernant la Tableau 4. Corrélation paramétrique de Pearson entre les variables explicatives
validation de la première hypothèse de la recherche. Concernant AC-DISC, TAUX et TAILLE et la variable DIV-DISC
la deuxième hypothèse, l’examen des résultats indique que la
moyenne de la variable DIV-DISC est plus élevée chez les firmes DIV-DISC
qui pratiquent la gestion des résultats suivie par la gestion fiscale AC-DISC 0,154***
(0,009)
par réinvestissement des bénéfices exonérés. Les résultats du
TAUX 0,065
test-t permettent bien de confirmer la deuxième hypothèse de
(0,163)
la recherche. En ce qui concerne la variable AMOT, la différence
TAILLE 0,098*
de la moyenne des divergences discrétionnaires entre les deux (0,067)
groupes de firmes est presque de 0,03 %. Cependant aucune *** La corrélation est significative au seuil de 1 %
différence significative n’est affichée par le test t. Pour la diffé- * La corrélation est significative au seuil de 10 %
rence de la moyenne des divergences comptabilité – fiscalité
entre les firmes qui optent pour la méthode de valorisation des L’examen des résultats du test de corrélation s’affichant au
stocks CMP, et celles qui optent pour la méthode FIFO, les résul- tableau indique une relation positive et significative entre la
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192 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 263-264 – Comptabilité
Informations comptables et transparence
gestion fiscale des résultats (variable AC-DISC) et les divergences à 10, avec une moyenne égale à 3, ce qui fait qu’il n’existe pas
discrétionnaires. Ces résultats corroborent nos prédictions qui de problème de multicolinéarité entre les variables du modèle
font que les entreprises sont incitées à pratiquer la gestion des (Enders, 2004).
résultats vers la baisse, ce qui permet de réduire le bénéfice Nous présentons, dans le tableau 6, les résultats du modèle
imposable, moyennant les accruals courants. La corrélation de régression au sens des moindres carrés ordinaires, tel que
entre la variable TAUX et les divergences discrétionnaires est corrigé du problème d’hétéroscédasticité.
positive mais non significative. Ces résultats opposent la sixième Tableau 6. Estimation des paramètres relatifs au modèle explicatif des diver-
hypothèse de la recherche. La corrélation entre la variable TAILLE gences discrétionnaires
et les divergences discrétionnaires est positive et statistiquement
significative. Ces résultats convergent avec l’hypothèse de la Variables indépen- Signe
Coefficient t P>|t| VIF
visibilité politique et confirment nos prédictions concernant la dantes prévu
septième hypothèse de la recherche. REIN-BEN + -0.000318 0.04 0.969 1.91
REP-DEF + -0.0141019 1.49 0.137 1.47
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