Facteurs socioculturels et santé : l’exemple du Sahel
Yannick Jaffré Faire de la prévention ou et les conduites des personnels de santé —, à que dans le continuum de la « nuisance » per- Anthropologue, du soin dans les pays montrer la variété des données socioculturelles, met d’appréhender le sens vécu de certaines pra- Shadyc, École qu’il est indispensable de connaître si l’on sou- tiques ayant des implications sanitaires. Par exem- défavorisés nécessite de des hautes haite améliorer durablement l’offre de santé. ple, certains espaces religieux sont nettoyés avec s’intéresser aux pratiques, soin, puisque la présence d’ordures sur les voies études en comportements et Conduites sociales et prévention conduisant à la mosquée s’opposerait à l’indis- sciences représentations des Au Mali, selon l’annuaire statistique édité par la pensable pureté de l’orant. Par contre, en d’autres sociales lieux, le décor change, puisque certaines déjec- populations. division épidémiologique, 6 % des consultations ont pour motif une maladie de peau, et sur une tions animales peuvent être considérées comme
D ans le domaine sanitaire, et notamment
dans les pays les plus défavorisés, plu- sieurs raisons incitent, voire obligent, à s’intéresser grande partie du territoire, la gale semble endé- mique. Face à cette situation, à juste raison mé- dicale, la santé publique insiste sur l’importance des signes de richesse, attestant de la réussite d’un éleveur. De même, à l’intérieur des conces- sions, les selles des enfants, tant qu’elles ne sont aux conduites et aux représentations des popu- de respecter diverses normes d’hygiène, collec- pas « moulées », ne produisent pas de dégoût, lations. tive, familiale et individuelle. Elle relève par exem- et ne sont traitées que par un rapide balayage, Tout d’abord, dans ces pays où les principa- ple, dans la gestion communautaire, l’absence voire parfois utilisées pour enduire les dents et les causes de mortalité sont le paludisme, les de ramassage des ordures ménagères, de col- les gencives de personnes souffrant de caries. malnutritions, les diarrhées et le sida, globale- lecte des eaux usées, du péril fécal, et souligne Dans d’autres circonstances, il sera recommandé ment, les actions préventives « de base » repo- plus précisément encore, que « la promiscuité » aux hommes de ne pas trop se laver afin de ne sent sur une modification de divers comporte- (partage de la même literie, surpeuplement des pas amoindrir la « force » des produits supposés ments sociaux, allant de l’hygiène aux pratiques concessions) semble déterminante dans la trans- les protéger d’éventuelles attaques sorcières, etc. alimentaires et amoureuses. mission de la gale, mais également des pyoder- On comprend aisément que les représentations Par ailleurs, les modalités d’accès aux servi- mites, teignes et pédiculoses. On l’aura aisément sociales du propre et du sale correspondent ainsi ces de santé sont aussi très largement dépen- compris, l’action sanitaire est ici dépendante de à des formes précises d’organisation sociale, et dantes d’un ensemble de facteurs allant de l’éco- l’instauration d’un dialogue avec les populations jouent, très globalement, le rôle de cadres con- nomique à l’interprétation populaire de la maladie. concernées. Et, puisqu’on ne peut dialoguer avec ceptuels induisant et conférant un sens à diver- Plus encore, le choix des recours thérapeutiques un autre sans comprendre son point de vue et ses pratiques. — dispensaire, guérisseur, marabout, etc. — s’ef- les logiques comportementales qui expliquent ses Mais ces questions ne concernent pas que le fectue, en grande partie, selon diverses formes actes, dans ce domaine sanitaire, la réalisation domaine des actions préventives. Ce type d’in- d’évaluation profane de la qualité des structu- des objectifs préventifs implique d’analyser les terférences, entre de nécessaires mesures mé- res de soins et de leur supposée capacité à traiter conduites et les modes de vie des populations dicales et des habitudes sociales, est aussi par- les maladies, non telles qu’elles sont médicale- de compléter l’indispensable quantification ticulièrement important lorsque la prise en charge ment définies, mais selon la manière dont elles épidémiologique des pathologies et des compor- de ces affections dermatologiques (gale, impé- sont ressenties et interprétées. tements « à risque », par l’étude des significa- tigo, etc.) implique d’associer des traitements in- Enfin, les interactions entre les soignants et les tions que leur accordent leurs auteurs. Si l’autre dividuels et des mesures collectives. Pour nous soignés ne sont pas qu’une affaire de compéten- n’a pas toujours raison de faire ce qu’il fait, sans limiter à évoquer une seule de ces difficultés, sou- ces techniques. Elles ne peuvent être comprises doute ne le fait-il pas cependant sans raisons ? lignons l’écart entre l’apparente simplicité d’un et améliorées sans tenir compte des identités so- Mais poursuivons. S’attachant à des questions objectif comme « réduire la promiscuité » et ce ciales des acteurs qui y sont impliqués. Bref, pour d’hygiène individuelle et collective, les conseils que les pratiques de couchage et de résidence le dire fort banalement, on ne peut faire de santé sanitaires évoquent d’implicites distinctions entre engagent et reflètent comme liens sociaux, al- publique sans connaître les « publics » des actions ce qui relève du « souillé », du « sale » ou du « pro- lant de la socialisation de l’enfant à la définition de santé, sans comprendre leurs conduites, ou pre ». Or, chaque culture — voire parfois chaque de liens de parenté, définissant une place pour sans s’interroger sur leurs pratiques sanitaires. sous-groupe social — discrimine spécifiquement chacun en fonction de son sexe, de son âge, de L’anthropologie s’introduit ainsi dans la santé des notions susceptibles d’être traduites par les son statut. publique, par une lapalissade. Mais souligner une termes de pollution, souillure ou impureté. Il est Il ne s’agit là que d’un exemple. Mais, remar- évidence est bien insuffisant. C’est pourquoi nous donc indispensable, si l’on souhaite être com- quons seulement qu’en dehors de quelques « pro- illustrerons maintenant de manière précise, par pris par son interlocuteur, de circonscrire les si- positions techniques » comme les vaccinations, quelques exemples pris dans des pays sahéliens, gnifications de ces termes selon les sociétés et les objectifs des programmes de prévention, con- l’importance de ces aspects qualitatifs pour l’ana- leurs croyances. Par exemple, au Mali, en milieu sistent à modifier des pratiques sociales (alimen- lyse d’une situation socio-sanitaire et l’amélio- rural Bambara, les populations établissent une tation, hygiène, sexualité,…) qui, bien qu’ayant ration de l’offre de santé. Sans espérer être ex- distinction entre ce qui relève de la « saleté » : un impact sur la santé, sont vécues selon d’autres haustif dans le cadre d’un si bref article, nous nògò (saniya b’a la, lit. c’est une affaire de pro- finalités (gustatives, propitiatoires, ludiques,…) nous attacherons aussi, sur trois points précis — preté) et d’une certaine forme de « souillure », par tout un chacun. Autrement dit, les principaux la compréhension des conduites sociales ayant nyama (fen juguba b’a la, lit. c’est une affaire de déterminants de santé sont enchâssés dans des un impact sur la santé, l’accès au service de santé « chose » mauvaise). Cette distinction sémanti- représentations et des conduites sociales.
48 adsp n° 30 mars 2000
Les programmes de santé
fœtale liée à un long travail d’accouchement ou Interactions entre soignants et soignés