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L’organisation virtuelle :
un avenir qui se dessine
L’organisation virtuelle
L
a publication, en 1992, du livre The virtual cor-
apparaît comme une
poration, par deux auteurs considérés alors
réponse aux besoins de
flexibilité et de prompte
comme des futuristes, W. Davidow et
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un des plus adaptés aux exigences des orga- compréhension de ce modèle organisation-
nisations du nouveau millénaire. nel naissant.
« L’entreprise virtuelle est une solution très Devant la nébulosité du concept, nous nous
prometteuse pour le développement général proposons dans cet article de démêler ce
des organisations et de l’économie » affir- que l’on peut qualifier aujourd’hui comme
ment Ettighoffer et Van Benden (2000, le phénomène de l’organisation virtuelle.
p. 31). Weisenfeld et al. (2001) précisent Notre objectif étant de mieux comprendre
davantage l’apport du modèle de l’organi- ce modèle organisationnel émergeant et de
sation virtuelle et argumentent dans ce sens développer un cadre de référence permet-
qu’il permettra aux entreprises de faire face tant de mieux canaliser les recherches
à l’intensification de la concurrence en futures. Pour ce faire, nous essayerons
matière de coûts, de qualité et de pressions d’abord de caractériser, à partir d’une revue
temporelles et de supporter des conditions synthèse et d’une analyse de la littérature,
internes et un environnement incertains. Par des différentes formes organisationnelles
ailleurs, Gartner Group, une entreprise spé- que les auteurs qualifient d’organisations
cialisée dans les recherches et les études virtuelles. Nous procèderons ensuite à une
prévisionnelles, arrive dans l’une de ses comparaison des conceptions ainsi déga-
études à la conclusion que d’ici 2005, et gées afin de mieux comprendre les spéci-
avec une probabilité de 70 %, les organisa- ficités de chacune d’elles. Ceci nous per-
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1. Étude Vision 2002 menée en 1997 dans 16 pays d’Europe, 13 pays d’Amérique et 5 pays d’Asie Pacifique (citée
dans Ettighoffer et Van Beneden, 2000).
L’organisation virtuelle : un avenir qui se dessine 95
prendre le virage du virtuel. Plusieurs entre- tains auteurs (e.g. Ince, 2002 ; Skyrme,
prises, à l’instar de Nike, Amazon.com, 1998 ; Rayport et Sviokla, 1995), définis-
Airbus, Dell, etc., sont aussi présentées sent l’organisation virtuelle comme une
dans les recherches comme des exemples entreprise qui utilise intensivement les nou-
typiques de firmes (ré)organisées virtuelle- velles technologies d’information et de
ment. Pourtant, l’examen minutieux de ces communication (NTIC) ou la technologie
entreprises montre que des différences fon- de façon générale pour apporter efficacité et
damentales les séparent. efficience à sa chaîne de valeur. Porter
Notre revue des principales recherches (1985) résume la chaîne de valeur d’une
publiées sur l’organisation virtuelle permet entreprise en deux groupes d’activités : les
de constater que cette expression a été utili- activités principales (logistique interne,
sée pour désigner au moins cinq formes dif- production, logistique externe, ventes et
férentes d’organisation que nous examine- services) et les activités de support (ser-
rons dans ce qui suit. vices administratifs et de gestion, gestion
des ressources humaines, développement
1. L’organisation virtuelle comme technologique et approvisionnement). Une
une techno-entreprise techno-entreprise consiste donc en une
Le modèle de l’organisation virtuelle est organisation qui est capable d’intégrer,
apparu initialement suite aux développe- d’institutionnaliser et de rentabiliser l’utili-
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Figure 1
L’ORGANISATION VIRTUELLE COMME UNE TECHNO-ENTREPRISE
96 Revue française de gestion
pouvant être utilisées dans les organisations vaillant dans des locaux éloignés est assu-
pour y arriver. rée par les NTIC ; les courriels et les vidéo-
Wal-Mart, le géant américain du commerce conférences notamment. Ceci leur permet
de détail, représente un exemple de techno- d’échanger en temps réel des informations
entreprise. D’un simple et unique magasin sur le comportement du consommateur,
en 1962 à un réseau de plus de 3 000 points l’efficacité des promotions ainsi que
de vente aux États-Unis et 1 000 au-delà des d’autres points relatifs à la gestion de l’en-
frontières américaines, l’évolution de l’en- treprise (Stalk et al., 1992). Wal-Mart a éga-
treprise est remarquable. Wal-Mart doit lement attaqué le lucratif marché du com-
cette évolution essentiellement à une tech- merce électronique en ouvrant sa propre
nique logistique que les dirigeants de l’en- fenêtre sur le web (www.walmart.com).
treprise ont su exploiter avec succès : l’arri-
mage croisé2 (Stalk et al., 1992). Grâce à ce 2. L’organisation virtuelle
système logistique innovateur, la marchan- comme une télé-entreprise
dise reçue aux entrepôts de l’entreprise est Pour certains auteurs (e.g. Fulton 2002 ;
étiquetée et acheminée aux camions pour Shen, 2000, Wiesenfeld et al., 1998 ; Ahuja
être livrée aux magasins sans aucun séjour et Carley, 1998 ; Magretta, 1998), une orga-
en stock. Dans la moitié des cas, l’opération nisation virtuelle est avant tout une entre-
ne dure qu’une dizaine de minutes (Bérard, prise qui utilise intensivement le télétravail.
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Figure 2
L’ORGANISATION VIRTUELLE COMME UNE TÉLÉ-ENTREPRISE
producteurs et les utilisateurs finaux du pro- virtualité selon cette deuxième conception.
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vendeur six fois plus élevé qu’auparavant tion de ses biens ou services est accomplie
(Penzias, 1995). à l’extérieur de l’entreprise. Celle-ci jouera
alors le rôle de coordinateur de ces diffé-
3. L’organisation virtuelle comme rentes étapes (Kraut et al., 1998). Les fonc-
une entreprise externalisée tions externalisées sont souvent des fonc-
À la différence des conceptions précé- tions « périphériques ». Les fonctions-clés,
dentes, pour certains auteurs (e.g. Leach sur lesquelles repose l’avantage concurren-
2002 ; Keenan et Ante, 2002 ; Porter, 2000 ; tiel de l’entreprise, sont souvent gardées à
Kraut et al., 1998 ; Palmer et Speier, 1997), l’interne.
le degré de virtualité d’une organisation Le manufacturier d’articles de sport améri-
dépend essentiellement de la masse des cain Nike est un bon exemple d’entreprise
fonctions externalisées (i.e. confiées à des externalisée. Nike s’est engagée depuis
entreprises spécialisées). La virtualité est quelques années dans un mouvement d’ex-
ainsi perçue comme un continuum où les ternalisation sans précédent. Les fonctions
entreprises deviennent de plus en plus vir- de production, de distribution, de marketing
tuelles à mesure qu’elles sous-traitent des et de vente au détail sont actuellement
activités supplémentaires de leur chaîne de toutes sous-traitées. À l’interne, Nike se
création de valeur (figure 3). L’adoption de contente d’assurer la seule gestion de sa
ce mode d’organisation vise l’optimisation marque (Finance Week, 1998). Sun Micro-
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Figure 3
L’ORGANISATION VIRTUELLE COMME UNE ENTREPRISE EXTERNALISÉE
L’organisation virtuelle : un avenir qui se dessine 99
fonctions de collecte des commandes, de d’un univers virtuel auquel des millions
production, de distribution, de marketing et d’utilisateurs à travers le monde peuvent
de service à la clientèle sont réalisées par régulièrement, simultanément et à tout
des arrangements contractuels avec des par- moment être connectés.
tenaires à travers le monde (Boudreau et al., Ainsi définie, une cyberentreprise corres-
1998). pond à une situation quasi totalement imma-
térielle. À la limite, une cyberentreprise n’a
4. L’organisation virtuelle comme besoin ni d’immobilisations centralisées, ni
une cyberentreprise d’usines, et c’est ce qui la différencie des
Lipnack et Stamps (1997) définissent une organisations classiques (Hartman et Guss,
cyberentreprise comme une interconnexion 1996). Avec le modèle des cyberentreprises,
de personnes ou de groupes indépendants. les barrières à l’entrée se trouvent abaissées
La mission de l’entreprise se résume à la dans plusieurs industries (Loebbecke et
collecte des commandes et à la coordina- Troelsen, 2000). Ceci vient refaçonner les
tion de la livraison du produit/service au règles de la concurrence à l’échelle mon-
client. Tout ceci se faisant dans le cyberes- diale. Là où le marketing traditionnel favo-
pace (i.e. l’univers créé par l’internet) ; d’où rise les grandes entreprises, le marketing via
d’ailleurs son appellation de cyberentre- l’internet profite à toutes les firmes quelle
prise (figure 4). C’est, en définitive, une que soit leur taille. Les cyberentreprises
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Figure 4
L’ORGANISATION VIRTUELLE COMME UNE CYBERENTREPRISE
100 Revue française de gestion
entrepreneurs. Nous citerons, pour fin référés à une seule adresse, à un seul cybe-
d’illustration, l’entreprise eBay comme un rendroit : http://www.ebay.com
exemple typique de cyberentreprise. eBay a
ouvert ses portes « virtuelles » en sep- 5. L’organisation virtuelle comme
tembre 1995 avec pour mission d’aider les un réseau temporaire
gens à commercer, via l’internet, à peu près La dernière conception de l’organisation
tout ce qui peut être transigé. Le concept virtuelle identifiée dans la littérature est ce
était à la fois innovateur et attrayant ce qui que nous appellerons le réseau temporaire
lui a valu les intérêts de plusieurs millions (figure 5). Pour les adeptes de cette concep-
d’individus et d’un nombre élevé d’entre- tion, une organisation virtuelle consiste en
prises à travers le monde. un groupe d’entreprises formé autour d’un
En 2002, la communauté de eBay se chif- projet commun et qui, une fois le projet ter-
frait à 49,7 millions de membres enregistrés miné, sera dissout permettant à chaque
et son volume de transaction s’élevait à plu- membre de participer à d’autres projets
sieurs milliards de dollars, ce qui en fait (Morris et al., 2002 ; Franke et Hickmann,
l’un des plus importants marchés virtuels 1999 ; Bultje et Van Wijk, 1998 ; Amherdt et
au monde. Pourtant, eBay ne possède ni un Su, 1997 ; Wigand et al., 1997 ; Byrne et al.,
grand siège social au sens classique du 1993). Le réseau temporaire est un peu
terme, ni immobilisations, ni usines de pro- comme une molécule qui se fait et se défait
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Figure 5
L’ORGANISATION VIRTUELLE COMME UN RÉSEAU TEMPORAIRE
L’organisation virtuelle : un avenir qui se dessine 101
4. Pour les détails sur ces projets consulter l’adresse URL suivante : http://cic.vtt.fi/projects/
102 Revue française de gestion
riques soutenant les différentes formes de partagées avant ou après leur alliance vir-
ce nouveau modèle organisationnel. tuelle. Du côté des quatre autres concep-
Tout d’abord, la composition de l’entrepri- tions par contre, le fait que les membres de
se nous permet de séparer le réseau tempo- l’organisation virtuelle soient ses propres
raire des quatre autres conceptions (i.e. la employés laisse les chances de l’existence
techno-entreprise, la télé-entreprise, l’en- d’un passé et d’un avenir commun entre ces
treprise externalisée et la cyberentreprise) membres quasi identiques au cas des orga-
et ce, à deux niveaux : nisations classiques.
– les quatre premières conceptions, l’entre- Les cinq conceptions de l’organisation vir-
prise virtuelle est formée par des individus tuelle sont ensuite différentes en ce qui
(ses employés) alors que le réseau tempo- concerne les interactions interfirmes
raire est constitué par des entreprises ; qu’elles impliquent. Si les deux premières
– dans un réseau temporaire, le caractère conceptions définissent la virtualité par rap-
éphémère de la relation et la nature même port à une entreprise confinée, les trois
de l’association font qu’il n’est pas néces- autres ne l’envisagent qu’en considération
saire que les membres aient des expériences d’un réseau plus ou moins complexe de
Tableau 1
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relations interfirmes. De plus, dans le cas de courte puisqu’elle est limitée à la durée de
l’entreprise externalisée et de la cyberentre- réalisation du projet pour lequel il est formé.
prise, le réseau est toujours mené par un Pour les trois premières conceptions, la vir-
noyau qu’est l’entreprise virtuelle elle- tualité vient surtout revoir et redéfinir la
même. Ceci se traduit par des rapports de manière de faire les choses à l’intérieur de
forces asymétriques entre les entreprises l’entreprise mais la durée de vie de l’organi-
membres du réseau et ce, en faveur de l’en- sation reste similaire à celle des organisations
treprise noyau. À l’opposé, les membres classiques soit principalement le long terme
d’un réseau temporaire participent au projet ou, du moins, une durée de vie relativement
sur le même pied d’égalité. Par conséquent, plus longue que celle du réseau temporaire.
aucun noyau n’est distingué et les rapports Quant à la cyberentreprise, étant donnée la
de force entre les partenaires sont, en prin- nouveauté du modèle, nous ne pouvons nous
cipe, symétriques (Jägers et al., 1998). prononcer avec certitude quant à sa durée de
Par ailleurs, s’il est vrai que le modèle de vie moyenne. C’est donc un modèle organi-
l’organisation virtuelle vient changer fon- sationnel à suivre sur ce point.
damentalement les frontières traditionnelles Le support communicationnel représente
de la firme (à l’exception de la techno- enfin le dernier axe que nous distinguons
entreprise où les frontières traditionnelles pour discriminer les cinq conceptions de
demeurent), ce changement reste assez dif- l’organisation virtuelle. Par support com-
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Figure 6
LES CINQ « CS » DE LA VIRTUALITÉ
L’identification de ces trois niveaux d’inté- gration par excellence d’une organisation
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organisation doit donc veiller à développer La définition même du contrôle est sujette à
et à nourrir des compétences-clés. Mais, de des révisions lorsque appliquée aux organi-
l’autre côté, agir de la sorte implique néces- sations virtuelles. Les mécanismes tradi-
sairement d’autres problèmes notamment tionnels de coordination et de contrôle
au niveau de la gestion des ressources (supervision directe, renforcement des
humaines. En effet, la gestion des compé- règles et des procédures, etc.) sont difficile-
tences pose un sérieux problème quant à la ment applicables et souvent inefficaces
planification de carrière pour les employés. dans un contexte où les partenaires sont dis-
Alors que l’organisation traditionnelle, gui- persés (Blake et Suprenant, 1990).
dée souvent par le taylorisme, offrait la Désormais, le système « ordonne-contrôle »
sécurité d’emploi en contrepartie d’un ne fonctionne plus et l’autonomie de déci-
investissement limité dans ses ressources sion et la décentralisation s’imposent. Les
humaines, l’organisation virtuelle se situe, à organisations virtuelles auront donc besoin
ce niveau, aux antipodes de cette dernière. de mécanismes de contrôle informels, soft
et flexibles, faisant très peu appel aux pro-
4. Contrôle cédures et aux règles formelles.
La question de la coordination et du contrôle
devient particulièrement délicate quand elle 5. Changement
est rattachée au contexte des organisations Le changement a toujours été un problème
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assez novatrices par rapport aux organisa- d’une organisation virtuelle seront confron-
tions classiques mais aussi assez différentes tés. Comment relever ces défis ? C’est cer-
l’une de l’autre. Naturellement, ces concep- tainement la réponse à cette question qui
tions soulèvent, à des degrés différents, plu- déterminera le sort de ce nouveau modèle
sieurs défis auxquels les gestionnaires organisationnel.
BIBLIOGRAPHIE
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