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Consensus de Washington :
un bref historique et quelques suggestions
John Williamson
L
’HISTOIRE du Consensus de Washing- mulation plus générale en parlant de libéra-
ton remonte à 1989. À l’époque, la lisation financière, souligner que les avis
presse américaine continuait d’affir- divergeaient quant au rythme souhaitable et
mer que les pays d’Amérique latine reconnaître que le processus devrait s’accom-
n’étaient pas disposés à entreprendre les pagner d’un contrôle prudentiel.
réformes qui pouvaient les aider à surmonter Taux de change compétitif. Je crains d’avoir
la crise de la dette. L’idée me paraissait erro- pris mes désirs pour des réalités en affirmant
née, et il me semblait au contraire qu’une l’existence d’un consensus en faveur de l’appli-
modification profonde des attitudes était en cation de taux de change compétitifs, c’est-à-
cours. Pour le vérifier, l’Institut d’économie dire de régimes de change intermédiaires.
internationale décida d’organiser une confé- En réalité, Washington commençait déjà à
rence et d’y convier des spécialistes de dix privilégier la doctrine selon laquelle un taux
pays latino-américains à exposer ce qui se de change doit soit être fixe, soit flotter sans
passait dans leur pays respectif. Afin que tous soutien.
réfléchissent à la même série de questions, je Libéralisation du commerce. J’admettais que
préparai un document de référence énumé- les avis divergeaient quant au rythme de la
rant dix réformes qui, selon moi, étaient con- libéralisation, mais il était admis par tous qu’il
sidérées par tous à Washington, ou presque, fallait effectivement s’engager sur cette voie.
comme nécessaires à l’époque en Amérique Libéralisation des investissements directs
latine. Je baptisai ce programme de réformes en provenance de l’étranger. C’est sciem-
«Consensus de Washington», n’imaginant pas ment que je n’ai pas parlé de libéralisation
une seconde que ce terme deviendrait un cri complète des mouvements de capitaux, car
de guerre dans les débats idéologiques pen- je ne pensais pas qu’il existait un consensus à
dant plus d’une décennie. ce sujet.
Je pensais effectivement que les idées que Privatisation. C’était le seul domaine où
j’exposais étaient consensuelles, d’où le choix une idée initialement néolibérale avait fini
de cette appellation. Les dix réformes figu- par convaincre un très large public. Depuis,
rant sur ma liste étaient les suivantes : nous avons été forcés de reconnaître que
Discipline budgétaire. Dans presque tous les modalités de la privatisation sont très
les pays d’Amérique latine, les déficits bud- importantes : le processus peut être très cor-
gétaires étaient considérables, entraînant des rompu et conduire à brader des actifs à une
crises de la balance des paiements, et l’infla- élite privilégiée. Mais, à l’évidence, la priva-
tion élevée pénalisait surtout les pauvres, car tisation est bénéfique (notamment parce
les riches pouvaient transférer leur argent à qu’elle améliore les services) si elle est opérée
l’étranger. correctement et si l’entreprise privatisée est
Redéfinition des priorités en matière de soumise à la concurrence ou à une régle-
dépenses publiques. Il s’agissait de réorien- mentation appropriée.
ter les dépenses au profit de la croissance et Déréglementation. Il s’agissait en particu-
des pauvres, en abandonnant les aides dis- lier d’assouplir les barrières à l’entrée et à la
crétionnaires, par exemple, au profit des sortie des marchés, et non d’abolir les règles
soins de santé de base, de l’éducation et des de sécurité ou de protection de l’environne-
infrastructures. ment (ni le contrôle des prix dans les sec-
Réforme fiscale. L’objectif était d’établir teurs non concurrentiels).
un régime combinant une large assiette fis- Droits de propriété. L’objectif premier
cale et des taux d’imposition marginaux était de donner au secteur informel la possi-
modérés. bilité d’obtenir des droits de propriété à un
Libéralisation des taux d’intérêt. Rétros- coût acceptable (idée inspirée de l’analyse de
pectivement, j’aurais dû opter pour une for- Hernando de Soto).