MILAN KUNDERA
comme un quatuor
Milan Kundera : un des plus grands
romanciers de la fin de notre siécle.
Son dernier livre, L'insoutenable Ié-
gereté de I'étre, vient de paraitre
(traduit du tehéque par F. Kerel, éd.
Gallimard). Superbe. Inoubliable.
Composition
Le roman de Milan Kundera s‘ouvre par une
réflexion abstraite concernant eertains
themes de Nietwsche et de Parménide, sa
derniére partie, comme décelée per rapport
‘ux ections et aux situations des. person
‘nages principaux, conceme essentiellement
agonie c'un chien. indications d'une volonté
manifeste de ruiner Vidée classique de « dé
6
GUY SCARPETTA
Veloppement romanesqu » aves exposition,
Péripdies, robondinsements, rand de.
Kon," dénovorant En fa tout se paste
comme si ches Kundera’ leer. ig
Somposition musicals prewst Go pies of gis
sor autonome verbnc des melons
hieesoléa do Fintigue, on 6 wots ae
dans Uinsoutenable légéreté de I’étre, d'intri.
ave horn, ores, as nce
tment claule de lgnoedimiguer oe
indépendantes. Are de la variation ice «eve.
nomonts» efectant les personnages ert,
Blane dipendre dun wemo abenen sca
Instant, dot intervalemosaeet see
de rencontre de coe igres sumiseee oe
bonella fui) du copmopan sores
te roman privigge te dovcopranen fa
Zonial des dries narralves poral oar
art press
roman
rapport 8 leur condensation verticale), do la
reprise dévelonpée (un motif isolé ot app:
remment gratuit d'une sequence peut deve
nit, par expansion, le theme fondamental
dune autre Séquence : ainsi, par exemple, du
motif du chapeau melon de Sabina, ou des
Photographies prises par Tereza lors de
Finvasion de la Tehétoslovaquie par les
‘troupes sovigtiques). Un embléme, au coeur
du roman, signale ce part-pris composition-
fel celui du dernier quatuor opus 135 de
Beethoven, apparemment convoqué comme
tun élément thématique (celui de la rencontre
entre Tomas et Tereza, — celui du « muss es
‘s9in 7 86 muss sein »), mais qui fonctionne en
fait comme le référence implicit, métaphori-
que, du principe de structuration formelle,
Libertinage
Le roman oppose obsession romantique
(colle qui vise LA femme a travers chaque
femme, et ne peut que déboucher sur la
décoption) a obsession libertine (celle qui, &
travers le donjuanisme, vise la singularité de
chaque femme, voire’ sa_« formule ») (1)
Cotte ligne de_démarcation fondamentale
peut, dang le tissu narratif, répartir 1es per
Sonnages (ainsi, Teresa représente la parte
naire romantique, et Sabina le pertenaire
Iibortine ; Franz, ui, apparait comme la figure
méme de linaptitude au libertinage, — lui
Cont 'épouse 2 été «incarnation de sa
mere », et qui est percu par Sabina, dans le
colt, « comme un chiot gBant sallaitant 3 50s
seins »); mais elle peut aussi traverser un
personage, colui de Tomas, dont le destin
fest précisement d'échouer & partager sa vie
entre libertinage et amour-passion. Or ce
Tibertinage, posé dans le récit comme une
possibilité précaire, sans casse entravée (par
fout ce qui adhére, d'une fagon ou dune
autre) nest (pas seulement un theme j il
fonetionne aussi comme le ressort romanes-
‘que par excellence (celui du regard froid, de
Ia non-adhésion radicale ; celui, aussi, qui
refuse Iillusion d'une nature homogane et
innocente ou d'une « bonne communauté »
pour viser d’emblée les singulzrtés, les
Individualités — comme le suggére, dans le
roman, le personage de Tomas, fier, apres
tun episode libertin, « d'avoir découpé avec
‘son scalpel imaginaire une mince bande de
tissu dans Ia toile infinie de univers »
Autrement it, le libertinage est d’abord
affaire de découpage, done de langage : il
‘conjugue le principe de plaisir la pratique de
la nomination ; avant d'étre un contenu du
roman, il est fune des ressources de son
écriture méme,
Abstractions
Un préjugé courant, particuligrement répan:
du, se méfie par principe des idées ou des
‘abstractions @ intérieur du genre romanes:
le bon romancier, nous dit-on, se
davrait d'etre le moins « intellectuel » possi
ble {le plupart des « romanciers », il est vrai
ont aucun mal 8 répondre au critere... La
Question rest évidemment pas Ia. Disons
pplutdt que les vrais moyens'd'appréciation
Fésident : 1?) dans la valeur dos idées ou des
abstractions. proposées (selon un point deroman,
lus interne & la littérature) ; 2°) dans leur
mode d'apparition et de fonctionnement &
intérieur de ensemble romanesque. Dans
tte seconde perspective, il faut distinguer
ntre le roman « these» (personnages et
actions alficiellement subordonnés @ une
«idée > plus ou moins explicite) et I intégra
tion de abstraction dans le registre narratlf
Cette intégration, dailleurs, peut présenter
plusieurs medalités: montage ‘des sé
quences philosophiques dans un contoxte qui
ialectise (Sade), commentaire du narra-
teur (La Recherche du Temps perdu) ou du
personage principal (L’Homme sans Qua-
Iités) sur les actions ou les situations expo-
sées, combinaison des deux types de com-
meniaires (Dostoievski), inclusion de Fabs-
traction dans le dialogue (Faulkner), contre
point réflexif (Les Somnambules de Broch),
fusion du registre intellectual dans Ie lux
lyrique (La Mort de Virgile du méme Broch),
te. Le parti-pris de Kundera, sur cette ques:
tion, est extrémement singulier : par un tour
de son texte, il semble (de fagan provaca
trice 2) accepter les canons du «roman a
thase > il pose les w idées » avant de les
«cillustrer», passe du général au particulier,
de 'abstrait au concret. Mais, d'un autre c8té,
'l’ne cosse de pervertir ce’ procédé : en le
‘mélant au procédé inverse (le passage d'un
2s, fictif ou historique, @ la loi qui léctaire),
fen pluralisant et ramifiant les theses depuis
ne situation narrative unique, en entrelagant
les registres. (abstrait et concret) tout on
maintenant le maximum d'écart entre eux
(une siquence de fiction n'est jamais le pur
exemple d'une thése générale, une these
fest jamais la pure legon 2 tier d'un cas
particulier, — chacun ‘des deux registres
Conserve son autonomie de développement
dans la partition), En bref, tout se passe
comme st imaginaire romanesque (désigné
comme ‘tel, jusque dans exhibition dos
méthodes de construction des personages)
lui servait a expérimenter une pensée tou
jours ouverte, toujours susceptible d'etre
hhuaneée ou reianoée. Ce n’est plus de roman
a these » quil faudrait parler ici, mais d'un
roman 2 interrogations.
La sphére maternelle
Lun des sous-titres possibles du roman de
Kundera, par opposition & la formule célabre
de Kefka, pourrait etre: tentative d'évasion
hors dela sphére maternelie. Le cas des
‘quatre personnages principaux est significa:
tif, Coté masculin - Franz, le plus dépendant
de univers maternel, est tout la fois le plus
inapte au libertinage et le plus enclin &
Villusion lyrique, y compris sur le plan pol
‘que (il garde la nostalgie du « cortege », dela
«grande marche », de la participation au
‘sens de l'histoire ») ; Tomas, qui a rompu
‘de manire délibérée, voire volontariste, avec
univers des valeurs materelias (symptoma-
tiquement : dans la foulée de son divorce),
semble plut6t embarrassé par 1a fonction
paternelle (ses relations a son file sont
ondées sur ’équivoque), et n’Schappe guére
2'la position cediplenne classique, celle qui
vise a une séparation tranchée entra sexualité
et tendresse (Tomas réve de pouvoir aimer
Tereza «sans étre importuné par la bétise
roman
agressive de la sexualité »). C88 fen
Sabina ne cosse de réitéror symboligu:
sa sortie de univers maternel, selon =
principe de « trahison » littéralement =
minable, comme si cette sortie état
dre sans fin, jamais définitive ; Tere
dont le lien @ la mare est présente c:
panticuligrement traumatique (sa_™
fame le « naturalisme », Timpudeur. le 6
gation du péché, le volonté d assume:
rétendue innocence du corps jusque da!
50s aspects les moins ragodtants), croit se
sortir par un contre-investissement de va-
leurs nobles (la musique, la lecture), par
Famour-passion pour Tomas (x Elle était
‘nue vivre avec lui pour Schapper & l'univer
‘maternel od tous les corps étaient égaux »
mais reste prise au piége du narcissisme (ele
ne désire pas vraiment son partenaire, mais
plutot « son propre corps soudain révélé » &
travers li), —c’est-8-ire, au fond, de la prise
maternelle': jusque dans son idéalisme, son
besoin de dignit, tinue a n'8tre que ie
prolongementinversé du « grand geste de s3
‘mére, autodestrucieur et violent ».
Rien d'étonnant si, dans ce quatuor, los
apporis ne peuvent reposer que sur du
‘malentendu (Kundera va méme, a propos de
Franzet de Sabina, usqu'a élaborer le lexique
dde ce malentendu de fond) : chacun ne cess=
de demander a autre ce que précisément il
he peut pas donner, et de lui refuser ce qu'il
offre, Mais le plus saisissant est sans doute la
fagon dont le degré de dépendance envers
univers maternel, selon les personages,
coincide avec leur plus ou moins grande
Incapacité & résister & Vemorise idéologique
(ainsi Tereza, un moment exilée aprés I'inva-
sion sovidtique, finit par retourner en Tene
coslovaquie, ot Franz, le « fils-a-maman »,
Stobstine & adhérer 8 des causes communau-
taires ol il peut se fondre dans le nombre)
comme si Kundera suggérait négativemont
ue [a liberté par report aux illusions politi-
ues, ete non-conformisme qu’elle suppose,
étaient intrinséquement liés a aptitude sub-
jective 8 couper le cordon ombilical
Architectonique
Linsoutenable Légéreté de Etre comporte
‘sept grandes parties. Ces mouvements ne
correspondent ni & des changements de
registres (comme dans La Mort de Virgil), ni
8 des variations de point de vue et d’instance
d’énonciation (comme dans Le Bruit et ia
Fureur), mais & des différencos do focalisa-
tion: chaque partie est contrée sur un ou
deux personnages, saisis de I'intérieur et
‘commentés de Vextérieur, Ainsl, les pertioe 1
et sont focalisées sur Tomas, es parties 2, 4
et sur Tereza, les parties 3 et 6 sur Sabina ot
Franz (la formule architectonique serait
donc: A-B-C-B-A-C-B). Le procédé de
oly-focalisation permet tout ala fois de
décaler fo temps du discours par rapport au
temps de I'histoire (Ia _mort de Tomas et
‘Tereza, par exemple, qui achéve le livre, est
signalée dds la partie 3: ni suspense ni
intrigue, encore une fois, mais un jeu combi-
natoire dominant toute chronologie), ¢'exp0-
ser plusieurs perceptions d'un méme événe-
‘ment (une rencontre érotique, sinsi, peut étre
Toman
digjointo selon les « visions » différenciées
‘quien ont les partenaires), d‘autoriser, enfin,
Te jeu des variations et des contrepoints
thématiques. On peut noter, en outre, que le
Centre architectonique du roman correspond
@ une séquence onirique, fantasmatique (le
réve de Tereza concernant le Mont-de-Pierre
3 Prague, que rien dans énoncition ne
permet de distinguer d'une séquence rés
liste), comme pour indiquer le point do fuite
hors du reel » (vers Ia zone Ia plus légere)
‘qui organise la structuration (2)
Variations sur la merde
Lun des nombreux micro-récits du roman de
Kundera est consacré au fils de Staline cel
i, convaineu de son destin hors-pair (8a fois
{ils du Diou vivant et maudit pour cela) r’'a pu
supporter, lors qu'll avait été fait prisonnier
par les Ailemands, les railleries de ses co:
détenus (dee officiers anglais) & propos de la
merde qu'l lalssait dans las latrines ou camp
aprés les evoir utilisées : i préféra se suicider
fon se jetant sur les barbelés électrifiés. « Le
fils de. Stalime », comment. Kundera, «9
donné sa vie pour de fa merde» ce ut «la
seule mort métaphysique au milieu de I'uni-
verselle bétise de fa guerre ». Kunders nous
donne & voir que la merde est le signe méme
d'une question métaphysique (dont il ne
eraint pas d’explorer les implications dans les
‘traditions théologiques et gnostiques) | celle
du corps et de 'ame, du haut et du bas, celle
d'une humanité créée « 8'image de Dieu » et
ourtant quotidiennement obligée de chier.
Comment concilier la merde avec les Idéolo-
gies (religicuses ou laiques) pour lescuelies
Fhomme est essentiellement bon, innocent
{ces idéologies de''« accord catégorique avec
"etre » que Kundera évoque par ailleurs) ?Ce
‘que suggerent les « variations » de Kundera
sur ce theme, c’est que la merde ne peut étre
ensée qu’en liaison (métonymique ?) avec le
Béché original, la soullure inefogable de
‘espace.
Crest ailleurs en fonction de cela, aussi, que
les personnages se répartissent "il y a ceux
‘ul, conscients du lien entre la merde et Ia
souillure, refusent la merde pour ne tenit
compte que des valeurs « nobles », comme le
fils de Staline ou Tereza : ceuscla s'exposent
8tre démentis, humiliés, parle réel [le fils de
Staline recoit 'évocation de sa propre merde
comme un affront intolérable ; Tereza, lors de
sa ptemiére rencontre amoureuse avec To-
mas, est perturbée dans son illusion lyrique
ar un itrépressible gargouilis d’estomac).
Crest 3 que s'exerce Tironie, comme dé-
valorisation (scatologique & occasion) (3) de
Fidéalisme ou de obsession de pureté.Ily 2
‘coux, au contraire, qui, déniant toute idée de
péché originel, « réhaailitent » Ia merde, s'y
vvautrent, ceux qui croient & innocence fon
cidre du corps, de la nature, la normalité de
Ta nudite ; ceux-la (comme ia mére de Tereza,
‘que son «naturalisme » amene a roter et
péter en public) ne sont pas moins ridicules
que les précédents, — avec une nuance
d'abjection en plus. Mais ces deux positions,
‘au fond, sont symétriquement complices : les
luns acceptent! le péché mais refusent la
a7art press
roman
merde, les autres accoptent la merde mai
refusent le péché, — deux faces d'un meme
refoulement. La troisiéme attitude, elle, est
«libertine » : elle consiste 8 accepter ala fois,
la merde et idée du péché, & maintenit le
haut et le bas dans leur higrarchie, & admet-
te, en somme, que la conscience de la
souillure est nécessaire, ne serait-ce que pour
la transgresser ipar exemple dans éro-
tisme : celui de Tomas et de Sabina r’écarte
pas l'analité ; Tomas trouve que le cul des
femmes est Ia partie la plus « émouvante » de
leur corps, et il est intensément excité par
anus «protubéramt» d'une de ses parte:
naires ; Sabina, lors d'une scéne discrete
iment fétichiste — elle @ agrémenté sa nudité
de lincongrutté d'un chapeau melon —~ i=
‘magine en train de chier devant son amant, et
‘en jouit). Pour cewxla, éloignés aussi bien du
uritanisme que de 'obscénité, de 'idéalisme
‘que du naturalisme, la jouissance suppose le
sens du péch
Le regard sur e
Les personages de Linsoutenable fégereté
de ate traversent des s'tuations historiques
‘graves, tragiques (au promier chet : occupa.
tion soviétique en Tehécoslovaquie, la « nor.
‘malisation » policire). Mais le regerd pose
par le roman sur cos situations nest jamais
directement politique (le regard politique vise
les «masses», Ta commune ‘mesure, les
dénominateurscommuns ; le regard roma:
esque, lui, sonde la singularité des cas, et 3
travers elle précisément ca qui échappe & Ie
raison politique ; il reléve plutat, pour repren-
dre un mot de Musil, de art du « vivisee
feu»). Qu’est-ce que’ le roman de Kundera
fait apparaitre ? Que ta « rationalité», les
analyses » ou les « jugements » comptent
foman.
finalement assez peu dans les décisions
prises per les sujots face & une tolle situation :
Que histoire individuelle est d'abord un
champ de possibiités, de virtualités (on peut
penser, la encore, 8 « homme probable» de
Musil), o¥ les hasards, les postures subjec-
tives les plus irrationnelles jouent un role
parfois déterminant dans laccomplissement
des destine (ei Tomas, oxilé 8 Zurich, decide
de revenir & Prague, c'est par fiadlité & une
‘métephore..}. Comment le regard romanes-
‘que présenie-tiila Tehécostovaquie « norma-
lisée » ? Moins comme un univers oppressit,
suscitant indignation (oe que ferait une
Vision purement militante) que comme un
‘monde grotesque, ou régne le klsch fotali-
faire»; un monde truqué, aussi, ou Ia logi-
‘que courante vacille (un univers ou, par
‘exemple, ies millers de photographies prises
2 Prague en 68 pour tomoigner finissent par
étre utilisées pour identifier les opposants su
régime ; un univers oli il ne sert a rien
opposer Ia « verito» au « mensonge » off
Ciel, si la vérité elle-méme peut toujours étre
manipulée, détournée, et contribuer 8 la
repression ; un univers, en bret, ol) il n'y a
plus de lien logique entre les intentions des
actes et leurs effets)
Dissidence 7
Mais le plus important est peut-tre cect: te
‘regard froid du vrai libertin » (4) que Kunde-
a applique aussi sur les comportements
politiques ne supporte aucun tabou, pas
'méme ceux qu’exigerait la vision militante du
« bon combat » contre ordre totalitaire. Anti-
conformiste, sigu, clinique, cruel, ce « regard
froid» dégage aussi des verites ambigués,
dos vérités génantes pour tous les eamps, das
vorités qui ne peuvent pas « servirn. Mon
esprit centre-européen
LEurope centrale est, de plus en plus, au
coeur de nos préoccupations culturelles (en
témoigne, par exemple, le récent numéro
‘special qu’Art Press a consacré 4 Vienne).
Comment définiiez-vous le lien de Prague,
votre ville, cette culture viennoise ? Pavi-on
‘mieux comprendre Prague dans ce contexte ?
Je suis trés heureux que vous parliez d'Eu-
Tope centrale, que vous utlisiex ce terme,
(Crest un concept indispensable pour qui veut
comprendre la carte culturelle’de I Europe.
LEurope centrale, ce n’est pas Vienna avec
tune banlieue hongro-tchéco-polonaise, Bien
sor, la langue allomande est plus influente
ue, par exemple, Ie hongrois ; la force de
toutes les chaires universitaires d'études
germaniques dans le monde entier conduit
iatalement a une conception germanooen
‘iste de (Europe centrale. Mais Europe
centrale est un ensemble muitinationay. Toute
a spécificté réside ld. On ne peut compren-
dire Prague ou Cracovie comme de simples
prolongements de Vienne. Tous les pays
‘cantre-curopéens étaient trés jaloux de leur
‘riginalité nationale, ot se sont snobés mu-
tuellement. N’empéche qu'une unité contr
a
européenne a existé en dépit de cela, in-
intentionnellement. Elle existait parce que
toutes 185 nations y ont vécu les memes
tuations historiques, des situations « exis-
tentielles » collectives semblables.
Les « couples » de I'Europe centrale
Pouvez-vous préciser cotte « unité » ? Donner
quelques exomples de cette configuration
‘multtnationste ?
Uhistoire culturelle de "Europe centrale est
pleine de mariages involontaires. Des artistes
de différentes nationalités, sans se connaltre,
sans méme rien savoir de leurs existences
réciproques, se ressemblaient étonnemment,
‘se complétsient,formeient un « couple ». Par
exemple» Adelbert Stifter, fondateur de Ia
prose autrichienne, et Bozena Nemcova, fon
atrice de la prose tchéque ; le méme esprit
idyllique et didactique du ‘Biedermeier du
Xixéme siécle : le Biedermeier bourgeois de
Stifter, le Biedormeior plébéien de Nemeove,
Le méme décor: le chateau et lo village. Le
chateau comme le monde de I"harmonie
‘sociale (aristocrates-paysans), comme le pole
roman,
trant, par exemple, quily a une fagon ae
manifester contre Te totalitarisme, 8 TOuest,
{ul ropose aur la méme attitude subjective
Wenthausiasme de partciper 8 la « grande
marche » au sans Ge Fhstoire n) que calle
Gl instalia le fotaltarisme ou que invasion
Sovietique, en 6, suscita sui une veritable
ivresse. ‘dans. Ia’ population tchdque, une
Paradoxale euphorte (elle un comb
an combet queen powvatenin ivrersare
Srrgrepenséel ou quune situation de
tépression {eorime celle de Tomes, privé de
Son poste de chirurpien pour raisons poi
due, et devenu laveur Go. carreaux ‘peut
onire tute atente, fre plus ibre soxuclle:
‘ment qi'une etvaton « normale, plus pro-
pico au libertinage; ov encore - qu'il ys
Parfoi, parcontsie @ dinfimes signes (une
imple facon de tence index) une strange
complité dattiude entre les dissidents et
Tes reaponsables.communistes pouvoir
{disons une méme fagon de fare spel au
Surmoi politique). Vertes scandaleusen ext
Sie insubordannées, rreductbles 8 ue
ale conceation poltique du monde quo co
Sot, Non que Kundera ne sot un dissident
mais I fest andl de Ia sphere paitique,
Gomme tout €ervain authentaue : isa\dent
Snvore toute forme de conformisme, de
communauta, cesta-dire aussi & Poccasion,
Gssident envers ie Dissidence.
pre coe tre tt ene
ltr tatalnan cane ager Vslne oe par urls Set
Siete memnemen ny
Ecco seeomena ens
Sanatereneme eras
interview par GUY SCARPETTA
apes ce deteible modem reréson
{ee par les burenucrses, symbolise par
Fimoge a burenw Le chateau de. Kaka
pparat ans! somme une reponse 8 Nerneo-
vat 8 Sifter [Kaha lesaimatt¢aeuts tous
ies dour, et Max Brod tres bien démonté
Finfience aura excrct Nemcove sur Raft,
En effet, Ie chiteau, symbole du. monde
icylique'et humaim, est cher Katka précsé-
tment envahi pa lex bureaux, symbote site
Tion do la modernité inhumsine. Lo chateau
de Kafka est épllogue sareastique de él
ds Pharmonie bedermelereeque, Medea per
au 8 jamais.
Un‘atite couple: Franz Katka — Jaroslav
Hasek Deux outsiders ve Teur temps Tau
tour du Chateau, marginalsé po sa soltude,
parson hermétsme, parses exences erst
{ues Tautour du Brave soldat hve mag
nals parle meprs de a térstureséreuse
tt par fo manque total des exigences esthét-
{Ques Pourtant. tous lee doux Staion pobtes
Serle cepereonaiztion de Thomme cant
Munivorsbureoveratis. Pour tous es deve le
Bureau ‘vest pas. une notion socilogtaue
(objet dune description realist) mats une
notion ontologique Te fondement meme de=
condition hums
nate soupe ie feneqve Leos Janacok le
fongrts Bele Bortol, favs tes deur Tor
je de Vionno) proiongont
Ta vole de la musique fondee sur des
tn ot arden modes Toni, eeu
le souress malodquee et vinmiouse
Fristoe oe it
‘sigue europsenne « séreuse » = can lot
‘ouahes és schatgues du follore, dane le
butt (Barto on plorai) dans Ta aidour
Scoustque, dane la mdlodie u langage parle
ian,
Erencaro un coupla: Josep Roth tla plus
grand romania? coats, Mifostev. Kee
‘Fou es deux ont dent une néerologie
Tempe suse hongrs. Au chant rostlg
‘que de Roth repond le corvmentaresareast
{Que de Kleza. Voll par exemple ce tures
unde secrete do Is culture, multinationals
cone-curopsenne
nce qui concern Yart mademe, voyes-vous
line. diference ‘essentole entre’ esprit
‘Snncreuropten ot clu dla France?
Le madermiame d Apolinaite et calico Kafea
tnt sn commun ia wolants ds touver ee
‘te. ibsrer
our ear eataerent. Apo est
De a pods do fa tochniqu, pat las
horzons infine de evenie Pour Katka, Te
monde technigue [dare le sens haidaggerion
tte monde ou homme aettransforme en
Sent ao us Sesto monde dela non-pensee
de Foubl (erect Kafka pseu
‘Sune simension do souvent Ie posse a
petsonnage ainsi que du monde Y eat ques
sent) Cest enfin le monde qui ne « pro-
‘hd pas de homme ot I SehapDe totale.
trent Som sete ae ole» Wotdegge Ce
S'la moder cet un mademisme ant
esprit du kitsch
Dons votre roman vous évoquec le «ksh »
No s'agl pas aussi dun terme tas contre
eurepeen ?
Ce terme est tout & fat courant on Evrooe
Cantal, et a expicaton dane le roman est
feine orginal qu'on sourratt To. poneer
Cert iesunt done lauel jeFentndsicuiisor
‘Sepuis mon snfance Le meilour texts plo
Sophique sur leitch ect cerainement cou
Se Broch dana Litereture ef Conmeissance
Matheureuserent, fo treductour @ wad te
tret hitech par watt de pacoute ou « art
{ane boeis Mais fe ktach n'est pe seule
from Yer de pscouie Ipour Brosh meme
Wagner fat dutch le tsch eat isch,
En Allomagie ot en Europa conval, le ae
Peuvitme saci état besucoup plus roman:
fue que relist. Or, le btseh et la frare
Imesu cu omontma: Pout, it Broch,
iscneuviema sacle tata on ie cela t
‘emanteme, maselu u Ktseh tach en
{ant qu'embellssementtentimental et men
roman
onger lo vi, eo ret nas seulement un
Vision i monde, Brosh’ "une tos’ belle
Phiese we foreman’ moderne a. tents
héroiavement de sappaser de toutes ses
forces fa vague du hitch pour fron ou
ar sire trraeo par le isch»
FFeut ax dane cats phrase” la méiance &
gard de Tavens donation de Favonit
fave le kitsch fies mass media Qui ar
seen, vuln pia fut px ute
‘monde,’ parerpent. Ge ‘eu keh
tf. fatiacnerentpathetque au roman,
Voll run des malentendus entre lo mod
nism frangais et cantesutopeen epur
Breton on Franes, le roman est ena
mune un genre dépaese, meme el on gett
tin wnouveau roman, ext pour produ
tne clsureradoole ene esl et oman
{elgu'on'' conn jg’ ators Pour Sroch, te
oman est plus qu'un genre ; este dernier
fompart qu'on dalend avec. acharnemert
‘nimo si Cost sans beaucoup despot
Limpossible
auton paver une infuance de Broch, at
aires romances convener at
1 agit t mol, une parents
Involontsire, insntertionneli Je. me. sls
rendu plainament sompte de leur ifluenes
stata eat gaeitn eee
mi See aes
roman
‘rangaie. Cos malontendus concernolent pré
agent: TY une aut eppraciavon dela
‘modems (besucoup phy seaptique ch
fei). 2% une. aute 2p
cthenque' fon nest
vortistoment gl_me répugne, male Is
fautee peeut, fawn setux du iach): 3
Une ute appreciation du foman Ibesucoup
ol postit che mo) una ate ao
Xikbme sible
lustamen: pouver-vous nous évoquer ra
‘oman’ vere nterdt pour fo Xvlome site?
Le xvitime stele signe pour mo beau
ou pus le erinage que 'e ratonalisme
Sinsen’ Ou, june ostalgie cu Klos
‘Sécle‘et'on'méme temps une_slirgie ou
Fomarsisme du xixeme siecle, @ son sent
‘mentalsme monogame, 8 son puta
Mes grancs preduceareursconte-o
nt U, spontenément lt mbm
branes Vavereon de Boch pour Wagner
Eomoet de Gominowice conte esprit du
Fomaitisme polunaie netfarence surpre:
ante da" Kafkas Tégard du romantime
‘lemand
Mas ny ef! pee une contadtion ete
"ntsaion de Nbererhmaginaton flu! doe
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