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VOLTAIRE 1 PAR MICHEL FAVRE FELIS ~ *est parce qu’on est frivole que la plupart des gens ne se pendent pas », écrit Voltaire. Fort heureusement, le phi- f losophe le plus célébre du XVI‘ siécle savait rire. Ce qui Pa gardé en vie jusqu’a 84 ans. Sa meilleure arme, l'ironie, il n’a cessé de Tutiliser contre la bétise, 'intolérance, la tyrannie. [DOSSIER REALISE PAR ANNE URUNSWIC 165 1696 a7a7 a728 4734 4780 FRANQoIS MARIE A ronce oe auTEUR DE \ApunuieaTion ‘Avinaranion AROJETMAITLE 2 FAIRE RIE Le ‘TRAGEDIES A Destermes Duoibe NovENBREA TOULFARIS AUX su0ces, ik PamoscPniques RUSE, Parts SON rene DEPENS Ds DevieNT Le FAITSeANDALE NOuIARE EStun NOTA REGENT, LE POETE FAVOR! DE lstemeur Semgura Sats en we. “TPCT AROUET Uaseune cout rove Benin SON ETUDES TRES SERETROUNE De tous Div ans Acie, ‘nie SRILLANTES Dans INeARCERE UN wna's Sox EN CHAMPAGNE, CORAGEUSE AVEC TEMELLEUR SMALE INsougnCE wu Propeicte De te pesrore COLLEGE suite, BASTILE YAUTLA PRISON SAMAITRESSE CLAIRE FIT a Puls DEUXANS ntue ou vat fité a i ANGLETERRE, somure tY ~ La golité a la prison et ae Ae: ( frequenté la cour des rois. Le philosophe fustigeait les = injustices, l’intolérance, pendant que le financier faisait de juteuses affaires gréce au commerce colonial. AS2ans Voltaire, acadlémicien evhisioriographe officiel, estehoyé par lacour. Lous XV er Mone de Pompadour te recoivent Mais idylie sera brave. Voltaire collabore UEneyclopéahie de Diderot ef d'Alembert 166 SE EE: Malgré tes orages et tes brouiltes, une amit exceptiannelie fie Voliaine & Frédéric I, roi de Prusse, pendant pres de 30 ans De 1796-0 1763, la guerre de Sepr ans ravage! Berane. Voliaire, hhorrifé par cette « boucherie héroigue », pousse son héros Candide fir au pus ite fe champ de hataile 2785 760 2765 1778 794 INSTALLE ENSUIBSE, _DEPUIS SON REHABILITATION PRES 20 ANS Larévoution VOUTARE ‘CHATEAU De DECALAS.VOLIAIRE —_DABBENCE FORCE, FRANGAISE VENERE Cexcvovoseore RENE DEFENSELR DE APRRIS EN CON Ge Ses Pees TsecowsaceeA SUR U’EUROPE Des ‘TOUTES LES SRIOMPHATEUR. LA FouoaTeues. ss UHISTORE AVEC Le ——LUMIERES. ‘eTiMes OE COMEDIEFRANGAISE —_CEXDRES SON SIECUEDELOUSX¥ PUBLICATION UEARBITRAIRE TBE LECOURONNE. STRANSFEREES AU FTL rSSa/SuRieS —ANONYIE DE LEWvTOLERANGE AGCABLE PAKTHEON MGURS, ETCOWNE —_NOMBREUX CONTES, DDONNEURS. TOUNURS 80 DE'STE CONVAINCU TMcURT Ue 99 MAL, A THEATRE. Icowaar SANs 2 AGE bE 8a nis, rere "Sirensnmon Valtaire par Huber. L'esprit et Phumour sone tes mmeilleures armes deta raison volvarionee, Grave é sa maitrise des mes, Pangletere, que Voltaire admire tant, devient 1a premise pulssance mondiale, Les esclaves afrteains enassés dass les eales fore la richesse du grand commnerce ealomial. Voitere le fancier ex profite, mais Votiaire Je philosope s'en scandalise. Depuis la revocation de I Edit de Nanies (1685 ), les protestams cece sont conirainis par fa violence d se convert Le souverain des Lumiéres Sarivastique, chahuteur, le jeune Arouet prend le nom de Voltaire pour signer... une tragédie. Le mélange des genres n’effraie pas notre philosophe féru agriculture vest un vilain 7” vébé. Ml nait le dimanche 21 novembre 1694, , dans I'lle de la ~~ Cité, en plein cceur de Paris. Il est petit, fripé, maigrelet. La sage-femme Ie prédit: il ne passera pas la nuit. Ainsi commence Ia longue agonie de Frangois- Marie Arouet — qui durera quatre-vingt-quatre ans! © Je suis né tn >, dira plus tard ce malade incurable, ravi d’enterrer les uns aprés les autres ses innombrables, PARIS Janne de ses dix ans, son pére, notaire opulent, Tins- crit’ Louis-le-Grand, iMustre college jésuite. Ses ‘maitres sont Sblouis par son intelligence, par sa mémoire déléphant, par ses dons poétiques, en francais comme en latin: mais son inrévérence les agace, son scepticisme les avcable, Cet adolescent ne eraint ni Diew m diable! A quinze ans, Frangois-Marie est tel qu'il demeurera toute se vie :sar- castique, farceur, dontant de tout, Ses ricanements succe- dent & ses gloussememts et se terminent en pieds de nez Les uns Padorent, les autres redoutent ses piques meur- irires Pour V'instant, il découvce ta société d’Ancien Régime. La fortune de son pére lui permet de mener une vie de plaisirs en compagnie de jeunes aristocrates non conformistes. Mais il n'est pas Pégal de ses amis. L'ar- gent ne fait pas tout en ce début de XVIII" siécle, et mame Ie plus brillant des bourgeois reste inférieur aux nobles. Situation humiliante pour le jeune Arouet, qui n'a nul golit pour les seconds réles. Dés lors, son but sera effacer Ia tache d'une nais- 168 GEINCIS RHA BCRIT PAR VOLTAIRES sance roturigre en devenant eéiebre Par bonheur, il ne manque ni de talent mii de verve. Ses poeines satiriques qui ridicu- Ihsent des hommes en place | tui vatent de beaux suceds. | et de tenaces rancunes. A deux reprises, on tus fait | comprendre que Tair de la | province serait excellent | pour ses bronches. Comme | id reste sourd a ces saines recommandations, le Regent Fe met bien au chaud @ la Bastille. Onze mois plus turd, Festimamt guéri, il le libére et lui accorde tae pen- sion, Ce qui lui vaut de curieux remerciements : « Je trouve fort bien que Votre Altesse se charge de ma hnourriture, mais je la supple, de ne plus s‘occuper de mon logement. » Aprés ce Keger contretemps, Arouet triomphe avec Gidipe, ta tragésie qu'il a Gerite pendant ses. loisirs forcés. Son patroayme lui semblant bien terme désor- mais, il en adopte lana gramme: AROVET L(e) I (eune) = VOLTATRE. LONDRES Crest sous ce nom qu'il s'im- pose em quelques anné comme [un des. premicrs auteurs dramatiques et pocies de cour du royaume Les duchesses le eajolent, Jes ducs s'émerveillent de sa comversation, Ie jeune roi Louis XV le couvre «argent et Chonneurs. Jusgu’a ce que, de nouveau, il se montre imprudent. Au cours une dispute aves le cheva- lier de Rohan, dont la famille remonte au XI" sigele, il se serait exclamé : « Je commence mon nom, monsieur, vous finiswer le \Oire, » Quelgues jours plus tard, Tes laguais Gu chevalier Ie rossent en pileine rue devant des specta- {urs goguenards. Meurin, hhumilié, Voltaire erie ven: reance. En vain, Que peut un fils de notaire contre un atistocrate ? Non seulement ses amis le léchent, mais il csi gmbastle deve, pais exile en A En 1726, cest un plaisantin de génie qui debarque a Londres. En 1728, cest un philosophe qui revient en France. Avec des. trésors, dns ses bagages : le théétre de Shakespeare, Ja physique de Newton, la pensée de Locke, la ‘tolérance reli- sgiense, Ia monarchie parle mentaire, la protection des citoyens contre Tarbitraire policier (haheas corpus). Pas de jésuites outre-Manche, pus de perséeutions, pas de Bastille, pas de tyran. Toute Peeuvre de Voltaire reposera désormais sur une idée foree: faire de la France une seconde Angleterre cIREY Jusqu'en 1734, on le laisse a peu prés en paix. Ses trage: dies remplissent les theatres parisiens, les autorités tolé- rent ses pamphlets. Mais la publication des Leztres phi- Josophiques met le feu aux poucres. Cette défense bri lante du modéle bberal anglais heurte de front tous >> @@ Cunégonde laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa, elle lui prit innocemment Ja main, le jeune homme baisa innocemment la main dela jeune demoiselle, avec une vivacité, une sensibilité, une grace toute particuliére ; leurs bouches se reacontrérent, leurs yeux senflammérent, leurs genoux tremblérent, leurs mains s'égarérent. M. le baron de Thunder-ten-tronckh passa auprés du paravent, el, voyant ceite cause et cel effet, chassa Candide du chateau 4 grands coups de pied dans le derriére. 98 Candide ou Voptimisme PAR PAUL KLEE 59 1900 EDITION KURT NOLS. 169 LACOUTURE: « AUJOURD’HUI VOLTAIRE BCRIRAIT SUR LA CRISE DU GOLFE » en 1921 4 Bordeaux, Jean Lacouture est 'um des gcri- vains-journalistes les plus célébres de noite époque. En observa- teur engagé, il a « couvert » la plupart des guerres de libération du. tiers- monde. Ses grandes biographies, Malraux, Blum, Mauriac, Mendés France, de Gaulle, Champoilion, pro- posent des modéles de courage, de sénérosité, de vraie grandeur. Pas- sionné de’ justice et de vérité, Jean Lacouture est bien stir grand lecteur de Voltaire Lire. Comment vous étes-vous décou- vert voltatrien ? Jean Lacouture, Quand jfavais fans, je suis tombé un jour sur Pine table dissertation « Comparez Vi taire et Rousseau ». Pai traité ce sujet en faisant loge de Voltaire, ce qui, dans mon collége de jésuites, nallait pas de soi. Or, je n'ai reeu que des Touanges, et je me suis apercu pour la premitre fois, avec cette dissertation, que javais peul-éure un petit don. Ms «vocation » littéraire est partic de 14 vous fou Aujourd ii encore, préfe Jours Voltaire a Rousseau? J. L. Oui, Je n’ai pas le sentiment de la nature, je nherborise pas, je pré- {ere les promenades en couple, bref, je he suis pas viaiment rousseauiste Voltaire est plus de ma famille, Vol- taire est mon frére, Un frére mécbant, mais c'est mon frére. Conmment expliquez-vous youre serit- ment de parenté avee Voltaire? J. L, Voltaire, c'est d'abord le patron tes journalistes frangais. Bien qu'il ait + un rival fameux et considérable en la personne de Pascal dont Les lereres provinciales étaient deja des _pam- phlets. En fait, is sont fes deux péres, sinon du journalisme, du moins de la grande polémique irangaise et de la lutte Cidées. Voltaire a vraiment joué le role que joueront plus tard’ des ‘hommes come Frangois Maurie ou Jean-Paul Sartre, ou plus prés de nous des gens comme Jean Daniel, Louis Pauwels et Serge July. Aujour- Phui, Voltaire aurait un © bloc- notes » quelque part et ferait sonner son verbe aux quatre coins 4 propos de la crise du Gotfe, de la querelie de Pecole, des paysans Voltaire imervenait-il vraiment sur fous les sujets ? J. L. Sa Correspondance te prouve Voliaire donnait som avis sur tout. Je le vois bien, je travaille actuellement sur les jésuites, et je rencontre Vol- taire réguligrement, soit a propos de Fenseignement, seit 4 propos de la colonisation des jésuites on Amérique latine, sujet sur lequel Voltaire a d’ail- leurs pris position en faveur de la Compagnic. Il estimait quils Le 13 octobre 1761, 1 Toulouse, on trouve ‘Mare-Antoine Calas pendu son grenier. Hetil protestant, mais sur le point, pantie de se convert at catholicisme. Son pére, Jean Calas, est accuse du meurtre ef ment sur la rane le 9 mars 1762. Voltaire, quis cntendu parler du proces, Sinteresse & alfaite, Le mobile du meurtre lu inspire deux réflexions : un pére peut-il tuer son fils, pour 'empécher de se essayaient d'inventer un Etat respec- table, non violent et égalitaire Considéres-rous Voltaire vomme te premier intetlectuet engage ? JL, Je ne connais guére de grand Intellectuel qui n’ait pas ét¢ cneasé assez clairement, Je ne dis pas que Fengagement soit un devoir mais le degagement me parait une attitude dicen difficile @ supporter. Voyez Moliére, dont le Tartuffe est une des ‘weuvres les plus engagées qui soient Puis, il y a les Encyclopédistes, cest évident. Montesquieu, bien sir. Enfin, avec le XIX" sigele, Lamarting député, Hugo en exil, Cest Ia course fi Tengagement Voltaire a-ril pris plus de risques que les autres éerivains ? J. L. Oui, il s'est constamment placé sur la bréche avec le goat du déli qui Te caractérise. Voltaire est surtout le premier 4 avoir mené une campagne opinion modéte dans Paffaire Calas Test vraiment le premier grand intel- Jectucl qui ait traité une affaire en profondenr, sérieusement, et qui ait abouti, Voltaire a été sur Patfaire Calas ce que Zola et d'autres ont été sur Faffaire Dreyfus, un modéle de liberté desprit, Voltaire est wi de vas modétes ? J. L. Spomanément, je me serais plutst référé 4 Montesquieu comme pere de la pensée Tibérale, Je suis un peu chauvin, vous savez, je suis bor- delais, alors jaime bien nos maitres de Bordeaux, Montaigne, Moutes- quiew et Mauriac Propos recuvilts par Marianne Payot CALAS, UNE AFFAIRE EXEMPLAIRE convertir? oe serait un erime inspire par le fanatisme. Sur quelles preuves les juges se sontils fondés pour retenir ge mobile ? Voliaize interroge les autres enfants Calas ct se convaine que les autorités religieuses out pesé sur le procés. Tl engage de boas avocals et lace une immense campagne opinion, avec un livre-briilot: Le Traisé sur fa tolérance, lean Calas est rebabilié a ttre posthume le | 9mars 1765. les tenants de l'absolutisme. | Nouveau départ précipité. Tl s‘installe en Lorraine, au chateau de Cirey, chez sa maitresse, Mme du Chitelet. Une liaison plus cerebral que sensuelle: Emilie. sume pv cHareLer femme savante versée dans | @@ — Quoi | cest yous, lui dit Candide, vous vivez ! Je vous retrouve en Ies mathématiques, se plaint souvent de son «amant ia | Portugal! On ne vous a done pas viokée On ne vous a point fendu le ventre? Tee en a Si fait, dit la belle Cunégonde ; mais on ne meurt pas toujours aussi totale que productive, de ces deux accidents. & Ce couple de philosophes discute littérature ou astro- nomie 4 longueur de | continue 4 lui sourire, il | fiche, le roi se lasse. Aprés BERLIN journée, écrit ouvruge sur | serait devenu un flatteur | une liaison de dix-sept ouvrage, voyage a travers | professionnel, un poate offi- | années, sa maitresse, Mme | En 1750, Voltaire s‘établit PEurope. Grace & sa protec- | ciel que la postérité se serait | du Chatelet, le trompe avec | done a Berlin. Cest le début trice, Voltaire apprend la | empressée @oublier, Fort | un amant plus viril. Elle | d'un épisode légendaire: te prudence. Au terme de dix | heureusement, le destin bien- | meurt en couches 4 43 ans, | plus brillant esprit d'Europe ans de purgatoire, on le croit | veillant lui récerve une série | alors qu'elle venait d'achever | regu comme un égal par le assagi. Louis XV le rappelle | de catastrophes. Voltaire, | Ja traduction monumentale | fondateur de la Prusse pres de lui. sr de sa faveur, se déclare | de Newton, Il ae reste plus a | modeme. Les deux hommes blessé de la preference que la | Voltaire qu’a accepter 'hos- | se sont déjd rencontrés et VERSAILLES Cour accorde a son rival | pitalité de Fréderic I de | ont échangé des centaines de Crébillon. La Pompadour se | Prusse, lettres. Frédéric se pique de A cinquante ans, Phomme semble au faite de sa car- riere, il vit dans La gloire et k luxe. Tout en rimant des mil fiers dalexandrins, i a batt ine fortune eolossale par des moyens fort peu philosophi- ques: spéculation sur les fournitures aux armées, sur les importations de cereales et méme sur la traite des négres. Fortune moderne fondée non sur la pierre mais sur le commerce et la banque: 2 50 ans, Voltaire ne posséde pas meme Un toit En 1745, le voici a Versailles, oii il est nommé historio- graphe du roi. L’année sui- yante les honneurs pleuvent il devient académicien et gentithomme ordinaire de la chambre du roi. La Pompa- dour le protége, Louis XV le comble de richesses est exas- supporte, Il est au tournant péré de ces mauvaises de sa vie, Si la chance avait VOLTAIRE A FERVEY PEINT PAR HUBER maniéres. Un despote, fit-il 171 meépriser la Tangue alle- mande et ne s‘exprime qu’en francais. Il compte sur son hdte pour apporter un peu d'éclat parisien a sa capitale encore bien provinciale. Vol- taire admire le grand capi- taine. II espére qu'il Ini garantira une complete hiberté d’expression, Entre le roi poste ct le philosophe, Ventente est parfaite: ne combationt-ils pas tous deux pour la victoire des Lumiéres ? Mais Ja lune de miel est de courte durée, A Yabri de le protection royale, le philo- sophe se livre a des spécula- tions douteuses, Son associé est un escroc. Voltaire, srugé, porte Paffaire devant les tribunaux, Frédéric qui le KURT WOLEE BOITEUR, LEM « nOWAN) DOMAND DE CANDIDE DANS Pratt AC BCU @@ — llest démoniré, disait-il, que les choses ne peuvent étre autrement : car, tout étant fait our une fin, tout est névessaicement pour la meilleur fin, Remarquez bien gue les nez ont &t falts pour porter des lunetts, aussi avons-nous des lunettes Les jambes sont visiblement instituées pour étre chaussées, et nous avons des chausses. %% > Gelairé, ne peut tolérer qu'un roturier, fat-il génial, ridicu- lise ses protégés, bafoue son autorité et se comporte comme un « méchant fou » Quant a Voltaire, il Comprend, un peu tard, que Frédéric avait moins besoin Cun conseiller impertinent que (un correcteur pour ses vers frangais. Les deux compéres échangent des semargues acerhes, puis se délient par voie de pam- phlets. Un duel par trop snégal : « On waffrente pas un sabre avec une plume, » Crest le rupture. « On presse Vorange et on jette Pécoree >: ce mot eniel de Frédéric revient aux oreilles de Voltaire. Une fois de plus, la comédie se termine en prison, FERNEY Le « orange preside » en a assez des rois, auxquels il suifit d'un mot pour Ten- yoyer a lombre. Alors, pourquoi ne pas essuyer la Suisse? Aprés. cing années passées pres de Genéve, il achéte ex 1760 le magnifique domaine de Ferney, situé a cheval sur la frontiére franco-helvétique. Emplace ment idéal qui lui assure sun asile sur les terres de Genéve contre la persécu- tion des eatholiques et une retraite en France contre Vhumeur des réformés ». En compagnie de Mme Denis, ‘qui est tout 3 la fois sa niéce, sa maltresse et sa gouver nante, il regne sur un milier dames, Le philosophe se fait agriculteur, architecte, tanneur, Fabricant de mon tres et de bas de soie. Mais son petit royaume ne Vem- péche pas d'écrite Candide, son chef-d’ oeuvre. Aprés un attentat_manqué contre le roi, la répression se durcit, La grande Eneyclo- pédie dirigée par Diderot est condamnée, A Toulouse, les juges font exécuter Jean Calas, un protestant soup- gonné d'infanticide. A Abbeville, un jeune noble de 19 ans, le chevalier de La Barre, coupable de bla- sphéme, meutt supplicié sur la roue. Partout le fanatisme se déchaine. Naguére Vol- taire pourfendait presque en rant es inguisiteurs °Es- pagne et du Portugal CiSrbislise crmoctce Désormais l’ennemi se trouve la, cest_l'Eglise catholique tout entiére, sym bole d’intolérance et €injus- tice. Voltaire lance un mot ordre: « Eerasons lint- Pime. » Au bas de ses lettres, il signe de l'abreviation> ora LE TORCHON BRULE ENTRE VOLTAIRE ET ROUSSEAU prés plus de 800 représenta- tions parisiennnes, le spec- tacle comique Voltaire’ folies continuc une brillante carriere en pro- vince et 8 Pétranger (*). Fort de ce sueeés inattendu, son heureux auteur, Jean-Frangois Prévand, poursuit dans la veine voliairienne avec une nou- velle pice Foliaire-Rowsseau > wmne rencontre imaginaire entre les deux philosophes ennemis. ‘A Vorigine de ce spectacle, une anecdote authentique a inspite Jean- Francois Prévand. Il y a quelques années, un visiteur du muséc Jean- Jacques Rousseau d Chambéry fit une curieuse experience ; on lui refusa le billet de 10 francs qu’il tendait & la caissiére, Parce quill était a Feffigie de Voltaire! Le ton est donné: Jean- Frangois Prévand s congu sa piece comme une grandiose scéne de ménage en misant sur le burlesque avec Jean-Paul Farsé (Voltaire) et Jean-Lue Moreau (Roussesu). La soéne se passe di Feruey en 17 Depuis vingt ans, les chemins des deux philosophes se croisent réguliérement, Voltaize, P'abord aimable, s'est irvité des mauvaises maniéres du Genevois, La querelle s'est envenimée, Voltaire nia désormais plus que mépris poli pour ce paranofaque excentrique dont kes theories. fumeuses T'exasperent Quelle idGe saugronue a-til dexalter lo bon sauvage ct de nous proposer 174 comme idéal de « matcher & quatre | Voltaire. Rousseau vient se jeter dans patties »? Que signifient ces procama- tions contre la propriété privée ? Rousseau, quant lui, est partage depuis toujours entre Pidmiration et Ja haine, I admire chez Voltasre la rapidité, la fuidité du style, Pesprit de repartie, toutes choses qui Ini font absolument defiant. Mais il ne peut que hair Ia tranguille assurance de ce chatelain qui se divertit de toutes les querelles et méle sa plume & toutes les intrigues, ‘Un pamphlet anonyme iatitulé « Le sentiment des citoyens » vient de révéler que Jean-Jacques Rousseau a abandonné ses cing enfants. Lui qui est Pauteur du plus beau hyre sur Véducation, L’Emile! Privé de ses derniers soutiens, voild Rousseau une fois de phus seul et chassé de partout Lauteur de ce malveillant « Senti- ment des citoyens » nest autre que Gpressore aca: Ja gueule du toup en Tui demandant Phospitalité. Le pauvre Jean-Jacques, en costume arménien, accumule gailé sur galle, A bout’ d’explications contrudictoires, il finit par s‘allonger sur le divan de Voltaire pour lui donner la primeur de ses Confessions: ‘Quant au patriarche de Ferney, il fuit philosophiquement dans la pice voi- sine, pour préparer le café, Danis o¢ match cocasse, Rousseau parait fragile et fuyant face aux solides certitudes libérales de Vol taire Cest que, spontanément, Jean- Francois Prévand penche plutat pour Voltaire. « Comme tous les demo- crates, je partage les convictions de Voltaire, notamment quand il dit que seule la diffusion de ka culture peut nous faire échapper au fanatisme et & la barbaric. Mais Jean-Jacques me trouble, car il est Tinventeur d'une certaine conscience moderne, » Dans ce Voliaire-Rousseau, tout est rigou- reusement authentique. Pas un des arguments, si cocasse soit-il, qui n’ait | H@ Echangé. Un seul détail ost imagi- naire les ceux hommes ne se sont jamais rencontrés. (9) Votaive-Ronsseaw sora eréé au théétee La Bruyére en avtil prochain. Yoltane's flies a {quitté la Comédie de Paris et continue ca Tere en Suisse, en tale et en Belgique usa Cobore pe rants [> « Eeretinf ». Tracts, pam- phlets, tout est bon pour mobilise: opinion publique curopéenne, Aprés une cam- pagne de quatre années, la rehabilitation de Calas ‘est enfin obienue, mais le fama- lisme continue a inspirer Yaulres erreurs judiciaires, utres crimes. Le combat ne cessera plus. Jusqu’d sa mort. Voltaire n'est plus seulement Thomme Ie plus célebre de son époguue : il est devenu un mythe. De Saint-Péters- bourg ‘a Philadelphie, on attend ses publications comme des oracles. Artistes, savanis, princes, ambassa deurs ou simples curieus, ils sont Kgion ase rendre’ en pelerinage d Ferney. A tel point que I'« aubergiste de TBurope » doit recourir & ses habituels subterfuges pour trouver Ie temps de tra vailler: « Dites-leur que je suis mort!» PARIS En 1778, aprés_vingt-huit ans absence, il a encore la foree de retourner a Paris pour y connaitre une extraordinaire apothéose. On Je porte en triomphe 4 la Comédie-Francaise, devant un public en délire au il regoit une couronne de lautiers, on Facelame ans Jes rues, on le traite en diow vivant, ‘Lorsque, & 84 ans, il se décide & mourit pour de bon, peut-éire se doute-til que ses idées seront mises en pratique. La postérité, pourtant, hui aura reserve quelques sur prises. Ses contemporains yovaient en hui un hénitier du XVII sigele : un dramaturge dans la veine de Racine, La Révolution, en. transférant ses cendres au Panthéon, saluait Ie précurseur de la république. De nos. jours, son theatre est oublié el ses audaces politiques sont devenues des vidences. Mais il nous reste ses quinze mille letires et une trentaine de contes philosophiques intelligence, humour, ros- seric, générosité, fantaisic. Voltaire redoutait par- dessus tout ennui. Il lui a tordu Ie cou Didier Sénécat 176 La fureur de rire « Hideux sourire », diront les romantiques, qui ne Paimaient pas, ou géniale gaieté d’un philosophe assailli par le pessimisme ? Voltaire a fait rire ’Europe pendant un siécle. Aux éclats. DU MATIN AU SOIR a) By Fai aps EY que Mhomme aux quarante écus vint me trouver en se tenant les edtes de rire, et il tiait de si grand cnr que je me mis a rire aussi sans savoir de quoi il était question tant homme est né imitateur! » Cette phrase trée d'un de ses contes résume Ja vie de Voltaize. Ses contemporains sont nnanimes: il gloussait duv matin au soir, multipliant les jeux de mots, les mogucries ct les piques assassines, Hilarité si communicative que ! Europe entigre en fit des gorges ehaudes pen dant un sigele Aucune forme humour ne lui est Girangare, Ni Pabsurde + « Remarquez bien que les mez ont été faits pour porter des lunettes : aussi avons-nous es luneites. » Ni le loufoque, qui lui inspite cette définition de homme un tre 4 deux pieds sans plumes, qui a une ame». Quant aux lettres quil JOUR (CHEN) fansigue envoie a d'Alembert ct 4 ses autres amis, elles sont signées de divers sobri- quets: « Le vieux malingre », « Raton », « Votre viewx Suisse », « Frére Frangois Y... capucin indigne », voire « capucin ‘plus indigue que jamais ». RABELAIS EN PERRUQUE Par cette gaieté irréductible, Voltaire | Sinserit dans la lignée de Rabelais, I partage son goiit de la farce, affublant ses per- sonnages de noms grotesques, tels. le baron allemand Thunder-ten-Tronckh, emeurant non loin de la ville de Val berghoff-irarbk-Dikdorff, ou le gou- veraeur de Buenos Aires, don Fer- nando d'Tbaraa, y Figueora, y Masca- renes, y Lampourdos, y Souza. Rien n'est sacré pour Voltaire Comme le pare de Gargantua, il donne yolontiers dans la gauloiserie. Son opi inion sur le mariage ? « Si quelque apo: thicaire avait une fille bien faite qui stit donner proprement et agréablement des lavemenis, favoue que je scrais tenté...» Candide, conte philosophique, reworge Episodes salés, Dés le premict chapitre, on y voit Pangloss donner derriére les buissons une legan de phy- sique expérimentale 4 une femme de chambre, « petite brune trés jolie et 18s decile » La suite n’est pas moins. édifiante Candide regait tout Ie contenu dum pot de chambre sur la ‘Ble; des corsaires barbaresques fouil- Jent sans vergogne le fondement de leurs prisonnicrs dans Tespoir d'y découvrir des bijoux : le jeune baron fait carridre chez les fésuites grdce & ses ‘charms ; on eastre les jeunes chanteurs napolitains : des janissaizes affamés ampntent d'une fesse la fille d'un pape; de jeunes Indiennes s'ébattent tondrement avec des singes; et les compagnons du grand découvreur Christophe Colomb propagent la syphilis dans le monde entier, a commencer bien sir par la tr3s illustre Compagnie de Jésus — toujours et encore les jésuites, ELL AEVANCHE DES NalNss Pa & Seon 3 ea TOUTES LES PICELLES Tec main, site de Voltaire se fait plus gringant. Car le ‘monde souffre. L'hu- mour, Tironie deviennent des armes contre Ia folie meurtriére qui rend kes hommes partout malheuseux, Voltaire ‘mise sur le rire pour susciter 'indigna- tion ct tous les moyens lui sont bons. IL joue de Veuphéinisme en uansformant le cachot de Candide en « apparte- ments dune extréme fraicheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du sokeil » L’aceumulation est une recette éprouvée. Dans Candide, une ava- Janche de catastrophes épouvantables tombe sur le aéros. En bon disciple de Pangloss, le jeune homme examine ses malheurs a la lumiére de la philosophie optimiste et en tire des conclusions cocasses. Entrainé dans une bataille range, Candide se cache. Bien hui en prend, puisque « la monsqueterie Ota du meilleur des mondes environ neuf & dix mille coquins qui en infestaient Ia surface >. ‘Autre technique : la distance histg- Tigue ou géographique. Montesquie se servit de deux touristes persans pour passer au crible la société frangaise. Dans Micromégas, Voltaire s‘envole carrément dans Tespace, ott il met en seéne un habitant de Sisius haut de uente-deux kilométres ct un « main » de Vénus, qui n’en mesure que deux. En visitant la Terre, ils sont stupéfaits par la sottise des « animalcules en bonnet carre > (les théologiens) et par les guerves effroyables que se liveent ces jomes pensants ». Autre chef-d’ceuvre d’humour, la pseudo-letire dans laquelle Voltaire dénonce Thypoerisie et les mauvais traitements de Frédéric [T sous la forme d’« un petit dictionnaire a Pusage des rois» % Mon ami signifie mon eselave. Mon cher anat veut dire vous m'Gies plus uindifférent.... Bntendez par je vous a rendrai heurewx, Je vous souffriral want que j'aurai besoin de yous... Soupes vec ‘moi ce soir signifie je me moquerai de vous ce soir. >» LE RIRE QUI TUE of i / Tne fait pas bon avoir Voltaire pour ennemi. Méchant tenace, d'une verve inépuisable, il est capable de poursuivre ses tétes de Ture durant des décennies, Pas wn jour ne passe sas que les jésuites n’en pren- rent pour leur grade. Leurs partisans aussi, comme le fameux Fréron : autre jour, au fond Wun valton Un serpent morilit Jean Fréron Devinez ce qui arriva ? Ce fut le serpent gui ereva. Quant au marquis Le Prane de Pompignan, adversaire des Encyclope- distes et traducteur, entre autres textes hibliques, des Lamentations de Jérémie, il ne se releva jamais de cette épi- gramme : Savez-vous pourguot Férémie ‘A tant pleuré toute sa vie ? Crest qu’en prophite il prévoyalt Quin jour Le Franc te traduirait. Roussean n'est pas davantage 6pargné lorsqu'il porte aux nues la pre tendue bonté de homme primitif daas son Discours sur Corigine de U'égalite On se souvient de In réponse de Vol- faire: « On n'a jamais employé tant esprit A vouloir nous rendre betes: il prend envie de marcher 4 quatre pattes, quand on lit votre ouvrage Cependant, comme il y a plus de soixante ans que fen ai perdu Phabi- tude, je sens malheureusement qu’il mest impossible de la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle & ceux qui en sont plus dignes que vous et moi, » FARCEUR IMPENITENT “Reste une der- Pe f nize question (Go Gay” Voltaire erait-il sin 8 care? Ses combats lui ‘ont colié cher; bastonnades, prisons, censure ct exils) Mais certains le soup- connent davoir recherché avant tout des occasions de déployer son genie comique, Au fond, il aurait preféré Pi justice la justice, car il powvait en re Voltaire, incorrigible farceur ? C'est en tout cas ainsi qu'il se peint: « Je veux rire: je suis viewx, malade et je tiens a la gaieté, un reméde plus sir que les ordonnances de mon cher Tronchin (son médecin). Je me ‘moguerai tant que je pourrai des gens qui se sont moqués ce moi, Cela me réjouit et ne fait mul mal. Un Frangais qui n’est gai est un homme hors de son élément.» DS 177 Se i Poe ie % == CEST EN POCHE Oi Les Romans et contes (lettre n'est pas de Voltaire), diversement sélectionnés, sont proposés Gans toutes les collections de poche. Pas de notes chez Folio et GF Flammarion, ‘mais d'excellentes préfaces dues Roland Barthes ct & René Pomeau. Le Livre de Poche, en deux tomes, offre d'abondants commentaires, Deux tomes également chez Presses-Pocket, qui a choisi de préventer Zadig autres contes i, accompognés «Pune étude systématique de Forientalisme voltairien due a3. Goldzink. 1 Le Traité surla tolerance est disponible chez GF. On fe trouve également chez Folio mais sous le titre « L'affaire Calas », accompagné de tous les textes relatifs aux grandes affaires judiciaires (Calas, Sirven, chevalier de La Barre). Ci Les Lettres philosophiques (ou Lertres aglaises) sont chez. G F ou en Folio, accompagnées d'un copieux dossier di 4 F. Deloffre. U Le Dictionnaire philosophique est disponible en G F Flammarion. [1] La Correspondance (choisic, bien sir) est enfin accessible au Livre de Poche, 1500 pages ! PETITE BIBLIO POUR ETUDIER « CANDIDE » La collection ¢ Textes ct contextes », Magnard, pro- pose, en regard du conte, un ensemble de textes littéraires st philosophiques qui Péclai rent, Le texte intégeal est accom 178 pagné de questions dans les collections « Grands classi ques » par JJ. Robriewx, et 4 Intertextes » par Michel ‘Charpentier, Nathan. On le ‘rouve également dans. les 4 Classiques » Larousse qui Jancent tine nouvelle écition vee un guide de lecture tds ‘complet. Candide, par Pol Gaillard, collection « Profil litera: ture », aux éditions Hater, vow meas propose un couss complet Lamace sur Peeve Devouraine La collection « Balises. >, cnuisée Hatier, propose, chapitre povnes par chapitre, un résumé et pécrawe ne ies commentaires. carb SUR VOLTAIRE Voltaire ou la légende de saint Arouer, par J. Gold- Zink, « Découvertes » Galli- ‘mard, 192 p. Une petite bio- graphic _magnifiquement illustrée. erite d’ume plume DEUX ADRESSES VOLTAIRIENNES Cété francais, le chateau de Femey n'est ouvert au public Voliaire, par Jean Orieux, | que les samedis aprés-midi de juillet et aost (01210 Ferney- Flammarion, 827 p., repris | Voltaire). Coie suisse, fe domaine des Délices (1203 ‘en poche dans la collection | Genéve) transformé en’ Institut Voltaire accueille visiteurs «Champs ». Un réeit four- Inds vollairienne, el ehercheurs, Portraits, sculptures et immense bibliothéque millant d’anecdotes. «yoltairienne », VOLTAIRE A LA CARTE Dans Teuvre immense de Voltaire se oient tous les: genres (iragécke, roman, essai, philosophie, histoire, correspon: dance). Pas une grande querelle & laquelle le philosophe ne se soit mélé. Rites, larmes, coléres, attendrissements, Voltaire, en grand comédien, joue sur tous Ies registres. Mais tune constane traverse Feeuvre: « Pesprit » esprit des Lumigres, Vespnit de salon, Tes prit d’en rire. SI VOUS N'EN LISEZ QU'UN : © Candide ou Foptimisme. Et surtout, dans une version non expurgée. Vols, viols, mutilations, empalements et autres scenes Fortes ou épicées y abondent. Pour les besoins de la démonstration philosophique ? Peut-étre, Mais plus siirement encore pour le plaisir du conte, Un chef-

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