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Le commerce équitable au Mexique

Labels et stratégies

Pierre William Johnson

Rapport remis à la

Délégation Interministérielle à l'Innovation Sociale et à l’Economie Sociale

2004
Pierre Johnson – Yamana 2
Sommaire

Avant-Propos

Introduction

I. Contexte historique et expérience du commerce équitable au Mexique


1. Le Mexique, d'un Etat paternaliste au libéralisme d'Etat
2. La situation du monde agraire : exclusion et réactions
3. Le commerce équitable international - impacts et limites
4. La nécessité de développer un commerce équitable intérieur

II. La mise en place du "système mexicain de commerce équitable"


1. Genèse du label mexicain de commerce équitable
1.1. La stratégie d'un groupe de producteurs
1.2. La mise en place d'un système national de certification biologique
1.3. La définition des objectifs et le lancement du label mexicain
1.4. Un système à trois temps
2. L'élaboration d'un cadre normatif par Comercio Justo Mexico
2.1. Les normes du commerce équitable mexicain
2.2. Comparaison avec les cadres normatifs de FLO et de Yamana
2.3. Règlements de produits en développement ou envisagés
2.4. Norme pour l'entreprise mexicaine de commerce équitable
2.5. Norme pour les points de vente qualifiés du commerce équitable
3. L'inspection - Certimex
3.1. Certimex : de l'agriculture biologique au commerce équitable
3.2. Critiques des producteurs au système FLO
3.3. Les avantages d'une certification nationale
4. La certification : du "label mexicain de commerce équitable" à Certimex
5. Le développement commercial
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III. Avancées et limites


1. Une certification nationale
1.1. Associer l'équitable au biologique
1.2. Développer des normes adaptées au pays
1.3. Aspects financiers
2. La commercialisation
2.1. Le lancement du Café Fertil
2.2. Les premiers achats publics de commerce équitable
2.3. Les développements dans un futur proche
2.4. Les limites de la commercialisation dans le " système mexicain de commerce équitable "
3. La promotion - réalité et interrogations
4. L'intégration de Comercio Justo México à la labellisation internationale du commerce équitable
4.1. Les relations Comercio Justo México - FLO
4.2. Questions soulevées par l'intégration à FLO
4.3. Les limites de la certification de produit en commerce équitable

IV. Les autres aspects du commerce équitable au Mexique


1. Développement local durable intégré
1.1. L'impact du commerce équitable international
1.2. La diversification de la production
2. Commerce équitable et souveraineté alimentaire
2.1. La perte de la souveraineté alimentaire
2.2. Les produits de base : une nouvelle frontière pour le commerce équitable
2. La possibilité de travailler des produits de base
3. Conclusions

V. Produire et consommer autrement


1. Rapprocher producteurs et consommateurs
1.1. Réseaux d'économie solidaire et commerce équitable
1.2. Points de vente de produits équitables et solidaires
1.3. Structures de commercialisation de troisième niveau
2. Organisations de filière
2.1. Les fonctions régulatrices des marques collectives
2.2. Marques collectives et commerce équitable
3. Les stratégies de commercialisation équitable et l'Etat mexicain

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VI. Conclusions et recommandations

Conclusions
1. Un label pour les producteurs de café ?
2. D'autres stratégies nationales ou régionales de commerce équitable
3. La pertinence de l'expérience mexicaine pour d'autres pays du Sud
4. Le potentiel pour l'échange d'expériences

Recommandations
1. Pour les agences de certification du commerce équitable
2. Pour les réseaux commerciaux travaillant avec les petits producteurs
3. Pour les producteurs et les institutions d'appui
4. Pour les partenaires européens

Annexes
1. Chronologie de la recherche-action
2. Liste des entretiens réalisés
3. Ouvrages et articles consultés
4. Liste de présentations Powerpoint consultables
5. Liste des sigles utilisés

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Avant-Propos

Ce texte est une version grand public d’une étude faite pour la Délégation Interministérielle à
l'Innovation Sociale et à l'Economie Sociale (DIES), dont le projet a été reconnu comme « initiative de type
II » par le Comité Français pour le Sommet Mondial du Développement Durable (Sommet de
Johannesburg). L’étude était motivée par la conscience des limites du commerce équitable d’exportation
(principalement de produits agricoles), et par le désir de comprendre le fonctionnement et les objectifs du
premier label de commerce équitable destiné au marché intérieur d’un pays producteur. Au moment de
l’élaboration des termes de référence de l’étude, l’organisation française Yamana cherchait à développer un
label de commerce équitable basé sur la notion de filière. Il lui est apparut intéressant d’échanger méthodes
et questionnements avec les artisans du label mexicain.

Pour sa part, l’auteur de cette étude a travaillé avec des coopératives de producteurs de café du Sud-
Est du Mexique en 1997 et 1998, puis à l’animation d’un réseau facilitant le dialogue, l’échange
d’expériences et l’élaboration de propositions entre acteurs du commerce équitable. Le label mexicain de
commerce équitable semble alors apporter des réponses à certaines des interrogations des producteurs.
Un premier contact est établi avec Comercio Justo Mexico, l’association au centre du label mexicain, à
l’occasion de la préparation du sommet de Johannesburg en France, qui permet de financer la venue d’un
représentant de l’association mexicaine en France en juillet 2002, puis quelques jours plus tard à l’occasion
d’un séminaire à São Paulo (Brésil) organisé par le Forum d’Articulation du Commerce Ethique et Solidaire
du Brésil.

La conjoncture politico-institutionnelle en France retarde le financement de l’étude, qui commence


réellement en avril, et se prolonge jusqu’en décembre 2003. Trois mois d’enquête de terrain auprès d’une
centaine d’interlocuteurs permettent à l’auteur de proposer une présentation détaillée du système mis en
place par les organisations mexicaines dans le cadre du label « Comercio Justo México », mais aussi
d’autres stratégies développées par des groupes de producteurs, des boutiques de commerce équitable et
de produits biologiques, et des organisations de la société civile.

La mise en place du label mexicain de commerce équitable apparaît de façon générale comme
prudente et progressive, trop peut-être pour certains groupes de producteurs et organismes d’appui.
Jusqu’en 2002, les efforts étaient centrés sur la consultation des groupes de producteurs et l’élaboration des
normes. Le premier produit labellisé Comercio Justo México a été lancé en novembre 2002. La rencontre
d’autres groupes a permis de comparer les stratégies visant à rapprocher les petits producteurs et les
consommateurs au Mexique. Le label mexicain de commerce équitable offre finalement une base
d’expérimentation et d’échange permettant de confronter un modèle aujourd’hui géré en grande partie dans
les pays du Nord avec les réalités d’un pays du Sud pionnier du mouvement du commerce équitable.
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Introduction

Malgré un contexte idéologique et politique peu favorable, les campagnes mexicaines, comme celles de
toute la Méso-Amérique, préservent de riches traditions agricoles et artisanales. Berceau de la culture du
maïs, du haricot rouge, de la tomate et du cacao, le Mexique produit également la première céréale amenée
dans l’espace, l’amarante, du café, la fibre de henequen, encore recherchée par les artisans du nord, un
miel particulier aux qualités exceptionnelles, et une variété impressionnante de fruits, de légumes, d’herbes
médicinales et de champignons. Tout aussi riche, l’artisanat mexicain est mieux connu à l’étranger, grâce
aux efforts de promotion et de développement. Les produits de meilleure qualité gustative, écologique et
esthétique, sont souvent issus de villages parlant une des 56 langues indigènes recensées, qui préservent
des traditions agricoles et artisanales, tout en ayant appris à s’adapter au changement et aux marchés
intérieurs et d’exportation.

Le premier chapitre de cet ouvrage retrace le contexte historique des campagnes mexicaines, mettant
en évidence le glissement d’une politique agraire sociale et protectionniste au début du XXe siècle vers une
politique industrielle favorisant les cultures d’exportation, puis d’ouverture commerciale totale, trouvant son
apogée dans l’Accord de Libre-Echange Nord Américain (ALENA), qui peut fêter cette année ses dix ans
d’application. Triste anniversaire en vérité, puisque toutes les évaluations montrent son effet catastrophique
sur l’emploi tant au Mexique qu’aux Etats-Unis. Sur sa frontière Sud, il a donné le coup de grâce à la
souveraineté alimentaire des populations rurales, et à la perspective de pouvoir vivre décemment du travail
agricole.

Dans ce contexte, l’organisation des petits producteurs de café pour l’exportation est remarquable. Leur
contribution à la création du premier label international de commerce équitable, le label Max Havelaar
Hollande au milieu des années 1980, avec l’appui de l’organisation Solidaridad, a représenté une bulle
d’oxygène au moment où la rupture des accords internationaux du café produisait une crise des prix qui ne
s’est momentanément apaisée que pour donner place à l’ALENA.

Les petits producteurs mexicains ont donc été parmi les premiers initiateurs et bénéficiaires des labels
de commerce équitable qui, après la Hollande, se sont multipliés dans 17 pays d’Europe, d’Amérique du
Nord et au Japon. Ces labels ont permis à des milliers de petits paysans et d’ouvriers agricoles d’Amérique
latine, d’Afrique et d’Asie, confrontés à des situations similaires à celle des paysans mexicains, de vendre
leurs produits à des conditions plus respectueuses de leur travail.

Autrefois confiné dans des petites boutiques militantes vendant des « produits du monde », artisanaux
et agricoles (principalement du café), le commerce équitable tend à s’affirmer aujourd’hui non seulement
comme une « niche » commerciale, mais également comme un modèle alternatif de commerce, qui intègre
les coûts sociaux et environnementaux des producteurs. Le débat actuel sur l’agriculture biologique et la
réforme de la politique agricole commune en Europe illustre la pertinence de ce modèle, non seulement
pour les relations entre les régions les plus pauvres et les plus riches du monde, mais à l’intérieur même de
chacune d’entre elles.

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A partir des années 1980, les petits producteurs mexicains ont progressé dans l’adaptation de leurs
méthodes de production aux critères rigoureux de l’agriculture biologique. Leur objectif était non seulement
de toucher un marché en plein développement, celui des produits certifiés biologiques, mais également
d’adopter des techniques garantissant la pérennité de leur capital de travail, les sols et l’eau, et en accord
avec leurs traditions culturelles, qui insistent sur le respect dû à la Terre. Au milieu des années 1990, ils
contribuaient à nouveau à la création d’une agence de certification, en agriculture biologique cette fois,
basée au Mexique même, et mieux adaptée aux caractéristiques du secteur social de l’agriculture.

La mise au point d’un label de commerce équitable à destination du marché intérieur au tournant du
siècle à la fin des années 1990 – début du XXIe siècle répond quant à lui aux limitations ressenties par
certains groupes de petits producteurs concernant les labels destinés aux marchés d’exportation. Un label
national devait permettre aux consommateurs mexicains de privilégier concrètement les produits nationaux
des petits producteurs, souvent d’excellents produits. Cette expérience novatrice est en cours de
développement, cherchant à s’étendre à une plus grande diversité de produits. Cet ouvrage présente donc
aussi d’autres stratégies visant à rapprocher producteurs et consommateurs au Mexique, et à appuyer les
petits producteurs dans leurs efforts.

L’auteur est heureux d’offrir, par cet ouvrage, une première explication des situations auxquelles sont
confrontés les petits producteurs du Mexique, à l’origine d’un riche éventail de produits agricoles et
forestiers, ainsi que des stratégies qu’ils mettent au point pour pouvoir vivre dignement de leur travail. Il
espère qu’il parviendra également à intéresser un public assez large aux enjeux du commerce équitable, et
aux efforts pour lui donner un sens plus large.

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I. Contexte historique et expérience du commerce équitable au Mexique

L’association Comercio Justo México est née en 1999 sur l’initiative d’organisations de petits
producteurs agricoles - principalement de café - et de la société civile. Sa mission est de « promouvoir une
distribution massive de produits des petits producteurs mexicains, à travers des relations et des
systèmes de commercialisation qui récompensent le travail et reconnaissent la dignité de ces
producteurs, de leurs communautés et de leurs organisations, dans une relation solidaire avec les
consommateurs ».

Elle fait suite à un ensemble d’initiatives historiques menées par ou pour les organisations de petits
producteurs au Mexique. Les petits producteurs mexicains de café ont été une des principales parties
prenantes dans l’élaboration du premier label de commerce équitable, Max Havelaar Hollande.

Le label mexicain de commerce équitable surgit dans un contexte que l’on peut caractériser par au
moins trois dimensions :

1. La politique économique actuelle du Mexique, qui correspond simplement au moment actuel d’une
politique de libéralisation économique, commune à de nombreux pays en voie de développement.

2. La situation des campagnes mexicaines, dans le contexte particulier de sa géographie, de son


économie et de l’intégration de l’économie mexicaine à l’espace nord-américain par l’ALENA (Accord de
Libre Echange Nord Américain).

3. La situation conjoncturelle du mouvement international du commerce équitable, en plein


développement, mais confronté aussi à un certain nombre de questionnements sur la pertinence de sa
stratégie et sur son avenir.

Une prise en compte minimale de ce contexte est indispensable pour situer la mise en place du label
mexicain de commerce équitable et comprendre les questions et problèmes auxquels il tente de répondre1.
Nous avons développé plus en détail l’histoire du secteur de la production de café, qui occupe une place
particulière dans le paysage agraire contemporain du Mexique, par son importance sociale, et dans la
genèse des labels de commerce équitable2.

1
Nous nous sommes appuyés pour les deux premiers aspects sur des éléments connus, et sur la collaboration de
Gabriela Torres – Mazuera, qui a mis à notre disposition son mémoire « Développement rural et nouvelle ruralité au
Mexique: Une question encore incertaine, mémoire présenté pour le DEA en Sociologie du Développement, IEDES,
Université de Paris I par Gabriela Torres-Mazuera. Directeur: Maxime Haubert.
2
Sur la base de nos recherches antérieures. Voir notamment « Les producteurs de café dans la tourmente de la
libéralisation », Demain Le Monde, CNCD, Bruxelles, 1996.

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1. Le Mexique, d’un Etat paternaliste au libéralisme d’Etat

Situer le moment actuel de la politique économique du Mexique, c’est sans aucun doute se placer
après un tournant majeur dans l’histoire du pays, qui a vu sa trajectoire passer en moins d’un siècle d’une
politique de protection des secteurs industriels et agricoles à une ouverture presque totale de son économie
au reste du monde, et en particulier à ses voisins les plus développés.

On peut situer le début de l’histoire moderne du Mexique à la révolution commençant dans la


deuxième décennie du XXe siècle. A partir de 1910, l’Etat assume la direction de l’ensemble de la société
par une politique publique interventionniste et patrimoniale. Sous la présidence de Lázaro Cardenas (1934 -
1940), l’Etat promeut une réforme agraire d’ampleur, avec comme objectif une croissance rapide du marché
interne, remplaçant le modèle d’exportation de produits primaires, en vigueur depuis le XIXe siècle.
L’agriculture devenait un des secteurs prioritaires, devant fournir des aliments à des prix raisonnables pour
la croissante demande urbaine, tout en étant source de devises nécessaires à l’importation de biens
d’équipement pour l’industrie nationale. L’Etat coopte également les mouvements ouvriers et paysans.
Cette alliance entre le parti officiel et les paysans débouche sur la création de la Confédération Nationale
Paysanne (CNC) en 1938. Durant des décennies, les membres affiliés à cette organisation ont profité de
nombreuses prestations sociales.

Malgré la croissance de la production agricole jusqu’en 1965, l’économie agricole entre en crise, et
dès les années 50 des protestations paysannes ont lieu, sous la forme de « caravanes de faim » et de
guérillas rurales. En effet, après 1945, les politiques de développement font de l’industrialisation la première
priorité, et les distributions de terres diminuent fortement. Les investissements publics (infrastructures,
irrigation, crédit pour l’achat de semences, de fertilisants et de pesticides) privilégient le secteur agro-
exportateur du Nord-Ouest du pays aux dépens du secteur paysan (agriculture et élevage familial), situé
davantage dans le Centre et le Sud.

Déjà, l’agriculture est perçue principalement comme une source de devises pour l’importation des
biens intermédiaires et d’équipement destinés au développement industriel. La politique des prix agricoles
mise en œuvre favorise les centres urbains : elle ne cherche plus à garantir au paysan producteur
d’aliments de base un revenu suffisant, mais à stabiliser les prix des denrées alimentaires pour la population
urbaine. Des institutions comme le Comité Regulador del Mercado crée sous Cardenas et plus tard en
1961 la Companía Nacional de Subsistencia Populares (CONASUPO) ont pour fonction la régulation des
prix des aliments de base en milieu urbain.

La crise de représentativité de la CNC devient évidente dans les années 1960 lorsque des
mouvements de guérilla émergent dans le Sud du pays, fortement réprimés à plusieurs reprises. De la
critique du mouvement paysan « officiel » naissent des réseaux d’organisations paysannes régionales,
politiquement autonomes et décentralisées, dont vont naître, quelques années plus tard, la CNPA3 et
l’UNORCA4.

3
Coordinadora Nacional Plan de Ayala – 1979
4
Unión de Organizaciones Regionales Campesinas Autónomas. Organisation de quatrième niveau née en 1985.

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Le sexennat du président Luis Echeverria Alvarez (1970-1976) connaît un bref retour à une
politique visant l’autosuffisance alimentaire, favorisée par le boom des revenus pétroliers. Son
gouvernement met alors en place des institutions intermédiaires assurant des prix garantis, des
investissements d’infrastructure et une politique de crédit agricole pour certains secteurs, comme le tabac
(Tabamex) et le café (INMECAFE). Les prix garantis touchent douze produits agricoles jugés comme les
plus importants, parmi lesquels le blé, le maïs, le haricot, le sorgho et le soja. Les prix du café sont garantis
par le système des quotas d’exportation mis en place par l’Organisation Internationale du Café, qui durera
jusqu’en 1989.

Les années 80 marquent le début d’une nouvelle politique économique visant l’ouverture
commerciale du secteur agricole et son intégration au marché international, sous la pression notamment
des institutions financières internationales. La crise de la dette extérieure (1982) conduit à une série de
programmes d’ajustement structurel obligeant l’Etat à amorcer une libéralisation profonde du secteur
agricole et à réduire les barrières douanières. La participation du Mexique aux accords du GATT à partir de
1986 amorce l’accélération de l’ouverture commerciale. En 1989, les prix garantis de dix des douze
principaux produits agricoles sont supprimés, ne laissant que le maïs et le haricot sous le système de prix
garanti. Le crédit rural est profondément réformé suivant les préceptes néo-libéraux, retirant son service
aux producteurs ne pouvant donner suffisamment de garanties.

L’Accord de Libre-échange Nord-Américain (ALENA) signé entre les Etats-Unis, le Canada et le


Mexique accentue considérablement ce processus, puisqu’il prévoit l’intégration totale des économies des
trois pays. La circulation de l’ensemble des biens est libérée le jour de son entrée en vigueur, le 1er janvier
1994, sauf pour trois produits agricoles importants pour le Mexique, qui bénéficient seulement d’un délai
avec la libéralisation totale de leur marché. Or le poids économique des trois pays est profondément
différent. Les grands producteurs agricoles des Etats-Unis continuent à recevoir des aides directes, mais
l’ALENA oblige le Mexique à faire supprimer les subventions agricoles et à mettre fin à la politique de prix
garantis. En même temps, la réforme de l’article 27 de la Constitution ouvre la porte à la privatisation des
terres communales.

L’impact de cette nouvelle politique agricole peut être mesuré par la contraction générale de la
production agricole à l’exception du maïs. De 1994 à 2002, le PIB agricole décroît de 3% tandis alors que le
PIB national croît de 0,94%. De positive en 1989 (+ un milliard de dollars), la balance commerciale agricole
devient négative après l’ouverture commerciale (-3,1 milliards de dollars en 2001). Le nombre d’emploi
perdus entre 1993 et 2000 dans le secteur rural est de 1,7 millions, dont 600 000 liés à la production de
grains de base. De productrice de cultures vivrières, l’agriculture mexicaine devient exportatrice de cultures
de rente. Sa composition est significative : aujourd’hui, le café, les fruits, les légumes frais constituent la
majeure partie des exportations, tandis que la plus grande partie des importations est formée de produits de
base et de céréales pour la consommation animale.

L’ouverture commerciale n’a pas davantage favorisé les consommateurs. Depuis l’entrée en
vigueur de l’ALENA (1994-2003), les prix des aliments de base ont augmenté de 257 %. De plus, la qualité

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de ces aliments a pu se détériorer, parce qu’ils proviennent de plus en plus des excédents du système
agroalimentaire nord-américain.

Les réactions du milieu rural

L’abandon

Dans cette situation de crise profonde, de nombreux paysans diversifient leurs activités.
L’agriculture ne représente plus que 22,2% des revenus des familles rurales possédant jusqu’à deux
hectares de terre, et 34,8% des revenus de celles qui possèdent de 2 à 5 hectares. Pour ces familles, les
activités non agricoles représentent respectivement 57,8% et 49,6% de leurs revenus.

Mais la tendance la plus importante dans l’évolution du monde agraire est sans conteste
l’émigration vers les villes ou vers les Etats-Unis, qui représente 20% des revenus des familles avec moins
de 2 ha et 15,7% des revenus de celles qui ont de 2 à 5 ha5. 600 paysans abandonnent chaque jour leurs
terres pour émigrer vers les villes ou les Etats-Unis. L’hémorragie des ejidos6 est patente : 80% des
ménages y reconnaissent avoir un membre de leur famille hors du village, et 45% aux Etats-Unis. Les
revenus de l’émigration sont aujourd’hui une des principales sources de devises du pays (9.8 milliards de
dollars en 2002) .

L’immigration aux Etats-Unis provoque aussi une migration interne au Mexique ce qui a pour effet
de réduire la main d’œuvre dans les régions où la migration vers le Nord est la plus forte. La signification de
ces deux tendances est la même : l’abandon forcé par les paysans du monde rural mexicain, pour pouvoir
survivre.

De nouveaux mouvements contestataires

Le jour de l’entrée en vigueur de l’ALENA, un mouvement social d’une nature nouvelle et


insoupçonnée faisait son irruption dans la partie la plus reculée du Mexique, ouvrant une période de crise,
puis d’ouverture politiques. Le 1er janvier 1994, des centaines d’indigènes organisés dans l’Armée Zapatiste
de Libération Nationale (EZLN) prenaient sept villes du Chiapas, lançant leurs revendications depuis la forêt
lacandone, et appelant à un sursaut de la conscience nationale et internationale pour mettre fin aux
situations d’exclusions les plus criantes. Au même moment, le mouvement El Barzón regroupait des petits
et moyens entrepreneurs et des épargnants de classe moyenne urbaine et rurale endettés, autour d’une
dénonciation des effets des politiques de libéralisation.

Ces mouvements se différencient des mouvements antérieurs ou plus traditionnels par une profonde
remise en question du système politique, de la politique économique et un rejet profond du projet néo-libéral.
Ils ne s’attachent pas à telle demande particulière, interviennent simultanément à plusieurs échelles (locale,
régionale, nationale et internationale) et regroupent des groupes sociaux et des interlocuteurs multiples.
Certains voient d’ailleurs dans le soulèvement zapatiste de 1994 les prémisses du mouvement alter-
mondialisation.

5
Source: A.D. Jainvry. Et. A. , University of California, Berkeley, 1997.
6
Forme de propriété collective de la terre.

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2. La situation du monde agraire : exclusion et réactions

Les conséquences de l’ALENA

L’entrée en vigueur de l’ALENA, a joué un rôle indéniable dans l’évolution du commerce extérieur
mexicain. D’abord pour le choix des partenaires commerciaux, puisque la part des États-Unis dans le
commerce extérieur mexicain s’est accrue tout au cours des années 90, surtout au chapitre des
importations mexicaines, dominant les échanges commerciaux avec le Mexique. Dans le secteur des biens,
les Etats-Unis ont fourni 75 % des importations et ont acheté 85 % des exportations du Mexique en 2000.

Les autres partenaires importants du Mexique sont le Canada (2e destinataire des exportations
mexicaines), le Japon et l’Allemagne. Après cette dernière, les principaux partenaires européens du
Mexique sont l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume Uni. Aucun pays, à l’exception des États-Unis, n’a
une part du marché mexicain supérieure à 4 %.

La politique d’ouverture des marchés mise en avant par les autorités mexicaines depuis de nombreuses
années ainsi que le développement accéléré des maquiladoras, les zones franches mexicaines, sont les
deux raisons majeures de la croissance phénoménale des échanges commerciaux internationaux du
Mexique au cours des années 90.

Selon les données de l’OMC, le commerce extérieur mexicain de biens et services s’élève à 364
milliards de dollars américains pour l’année 2001, soit 171 milliards de dollars pour les exportations et 193
milliards pour les importations. C’est principalement un commerce de biens (qui représentent 92% des
échanges du pays – la moyenne mondiale étant de 81%).

Quels sont les bénéficiaires et les perdants de cet accord de « libre » – échange ?

Les principaux gagnants du point de vue de la production agricole font tous partie du secteur agro-
industriel au Mexique et aux Etats-Unis. Au Mexique, ce sont les entreprises ayant bénéficié des
importations à bas prix de blé ou de maïs des Etats-Unis : le Groupe Bimbo (entreprise mexicaine de pain),
avec des ventes de $3,47 milliards en 2001 ; le Groupe Gruma (Maseca), le plus grand producteur de
tortillas et farine de maïs au monde7 ; et les gros importateurs de grain pour la production de lait et de
viande : Grupo Bachoco, l’entreprise de lait Lala (ventes annuelles : $40 millions). Ce sont aussi Alfonso
Romo Garza (groupes Pulse et Savia), actif dans le développement, la production et la commercialisation
de semences pour fruits et autres produits, le Groupe Viz, principal producteur et distributeur de bœuf, et les
exportateurs de légumes, soit 20 000 des 100 000 producteurs de légumes dans le pays. La famille Ochoa
Labastida qui exporte 550 tonnes de légumes aux Etats-Unis joue un rôle important dans ce secteur.

Parmi les compagnies américaines, ce sont les entreprises du secteur des fruits exotiques, en
particulier les compagnies transnationales Chiquita et Del Monte, et les multinationales Pilgrim’s Pride,
Cargill (première entreprise mondiale dans le commerce des céréales), Dupont de Nemours.

Les bénéfices nets de l’ensemble de ces entreprises sont évalués à environ $25 milliards depuis
l’entrée en vigueur de l’ALENA.

7
Ses ventes ont atteint $1.25 milliards de dollars en 2001, soit une augmentation nette de bénéfices de l’ordre de 50%.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Pour la majorité de la population, l’impact de l’ALENA sur l’agriculture et le secteur alimentaire a été
négatif :

L’accord a entraîné une augmentation des importations agricoles. En 1995, le Mexique importait
$3,254 milliards de produits agricoles nord-américains, et exportait $3,8 milliards dollars de produits
agricoles aux Etats-Unis. En 2001 les importations des Etats-Unis ont dépassé $7,415 milliards et les
exportations aux Etats-Unis étaient de $5,267 milliards. Le surplus commercial agricole de $581
millions avec les Etats-Unis en 1995 est devenu un déficit de $2,148 milliards.

Depuis l'entrée en vigueur de l’ALENA, le Mexique a dépensé $78 milliards pour ses achats
alimentaires, plus que toute la dette publique. L’importation de produits de base (maïs, haricot, blé,
sorgho, riz, etc.) est passé de 8,7 millions de tonnes en 1990 à 18,5 millions de tonnes en l’an 2000.
Les chiffres pour le maïs sont vertigineux : d’une importation annuelle de 2,5 millions de tonnes on est
passé en 2001 à 6,148 millions de tonnes annuelles en 2001.

L’ALENA a fait perdre toute souveraineté alimentaire8 au Mexique. Ce pays importe 95% du soja
consommé; 58,5% de son riz; 49% du blé; 25% de son maïs et 40% de sa viande. A cause de la
concurrence déloyale des importations, la valeur réelle des produits agricoles s’est effondrée : entre 1985 et
1999 le maïs perdu 64% de sa valeur et le haricot 46%. Malgré cela le prix réel du "panier de base" au
consommateur a augmenté de 257% entre 1994 et 2002.

Tous ces facteurs ont naturellement aggravé la pauvreté rurale et l’émigration. 1,78 millions
d’emplois ont été perdus en milieu rural depuis le début de l'ALENA (1994). D'après le Ministère du
Développement Social (SEDESOL), la moitié des 8,2 millions de ruraux que compte le pays vivent dans la
pauvreté extrême9 (contre 35-36% en 1992) et les deux tiers sont indigents.

Cette situation est rendue possible par l’énorme disproportion entre les subventions agricoles aux
Etats-Unis et au Mexique : celles que le gouvernement américain donne à ses producteurs se montent à
une moyenne de $21 000 par producteur; au Mexique, la subvention moyenne par producteur est de $700.
Le Farm Bill doit encore augmenter les subventions aux producteurs américains de 80% dans les dix
prochaines années. L’ALENA est donc loin d’avoir inauguré une ère de libre concurrence en Amérique du
Nord.

Au 1er janvier 2003, toutes les taxes douanières sur les importations alimentaires, sauf le maïs, les
haricots et le lait en poudre en provenance des pays de l’ALENA ont été levées. Les taxes sur les produits
exemptées seront levées complètement en 2008.

8
Les organisations paysannes ont adopté au cours des dernières années la notion de souveraineté alimentaire, plutôt
que celle de sécurité alimentaire, donnée par les Etats et les organismes internationaux. Cette notion est développée
plus loin.
9
52,4% de la population rurale serait dans un état de " pobreza alimentaria," c’est-à-dire, gagnant moins que le montant
minimum pour se nourrir, et 50% dans un état de "pobreza de capacidades", ne pouvant couvrir leurs besoins en
alimentation de base, santé et éducation.

Pierre Johnson 15
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Cette situation a motivé les organisations paysannes et les ONGs à former fin 2002-début 2003 le
mouvement « El Campo no Aguanta Más » (« les campagnes ne peuvent pas supporter plus »), pour
demander un moratoire sur le chapitre agricole de l’ALENA.

Evolution du secteur social de l’agriculture

L’importance de la petite production agricole au Mexique peut être illustrée par quelques chiffres :

• La production de maïs pour le marché continue, malgré les conditions économiques défavorables, à
faire vivre 2,5 millions de familles mexicaines.

• 280.000 familles de petits producteurs de café possèdent en moyenne moins de deux hectares, mais
produisent environ 3 millions de sacs de café par an.

• 40.000 à 50.000 petits producteurs de miel (apiculteurs), produisent une grande partie des 50.000
tonnes de miel que le pays produit. La moitié de cette production est exportée.

• La production et la vente d’artisanat fait aussi vivre plus d’un million de mexicain(e)s, souvent de milieu
rural.

L’agriculture paysanne mexicaine comme créatrice d’emploi et garantie de souveraineté alimentaire


est fortement menacée par les politiques économiques et les conditions actuelles de l’intégration du pays
dans l’espace économique nord-américain. Le Mexique et l’Amérique centrale sont une des régions dont on
est originaire le maïs et possèdent des dizaines de variétés traditionnelles, adaptées aux conditions
particulières des différentes régions. Malgré cela, le pays importe du maïs de qualité inférieure des Etats-
Unis à des prix de dumping. Plus grave, du maïs transgénique d’origine américaine a été découvert en
1999 et 2000 dans les régions les plus traditionnelles de l’état d’Oaxaca, alors que la paysannerie et la
population ignorent tout des risques liés à cette technologie.

Les différents réseaux de commerce équitable s’efforcent de soutenir ces sources d’emploi rural :

Des dizaines de groupes d’artisans exportent leurs produits vers les magasins de commerce équitable
en Europe et en Amérique du Nord.

Une cinquantaine de groupes de petits producteurs mexicains de café, miel et jus d’orange bénéficient
actuellement du système du commerce équitable international, à travers les labels du système FLO10.

Le Mexique est le premier exportateur de café et de miel certifiés du commerce équitable et de


l’agriculture biologique dans le monde.

Ces réseaux s’appuient sur l’organisation des producteurs dans ces secteurs, en même temps qu’elle
cherche à la renforcer.

10
Fair Trade Labelling Organisation International, qui regroupe 17 initiatives nationales de commerce équitable dans un
système d’inspection, certification et labellisation.

Pierre Johnson 16
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Producteurs de café : la conquête de l’autonomie

Il nous semble utile de tracer les grandes lignes de l'organisation des petits producteurs de café
mexicain, dans la mesure où leurs coopératives ont été en grande partie à l'origine du lancement du label
mexicain de commerce équitable. De plus, l'histoire de cette filière illustre les hésitations de la politique
agricole mexicaine sous la pression de la crise économique et de l'ALENA, les rapports de l'Etat avec la
paysannerie, et la capacité que démontrent les petits producteurs à s'organiser malgré leur dispersion.

A la fin du XIXe siècle, le président Porfirio Diaz cède des surfaces considérables de terre à des
investisseurs allemands et américains pour qu'ils plantent du café. Depuis lors, l'Etat mexicain n'a cessé
d'intervenir dans cette filière agricole lucrative, dans des directions successives contradictoires, mais sans
modifier fondamentalement les structures agraires. La révolution mexicaine du début du siècle et la réforme
agraire qui la suit dans les années 1930 marque le début fragile de l'existence d'une petite paysannerie du
café. La commercialisation et la transformation du café étaient alors dominées par des intermédiaires ou de
grands producteurs disposant de capital. L'essentiel des revenus du café était accaparé par les
exportateurs et leurs intermédiaires (les coyotes), qui laissaient aux petits producteurs la portion congrue.

Pendant les années 1970 le gouvernement du président Luis Echeverria met en place dans ce
secteur, grâce aux prix élevés du pétrole et du café une politique étatiste dont le bilan, pour les petits
producteurs, est nuancé. L'Institut Mexicain du Café (INMECAFE, créé en 1958) prend peu à peu le
contrôle d'une part majoritaire de la commercialisation du café. Il fournit aux producteurs assistance
technique et crédit sous forme d'avances sur récolte, pénétrant dans des zones peu productives où l'arbuste
est cultivé selon des méthodes traditionnelles. Pour arriver directement aux paysans il les organise en
Unités de Production et de Commercialisation (UEPCs). Sous son impulsion, le total des surfaces plantées
en café augmente considérablement. Mais le modèle technique prôné par l'institut est celui du "paquet
technique" avec beaucoup d'intrants. Il favorise la monoculture du café aux dépens de la diversification
agricole, ce dont souffriront les petits producteurs lors de la chute des cours.

La crise économique frappe durement le Mexique au début des années 1980. Malgré la dénonciation
de la dette mexicaine en 1982, l'Etat opère un virage à 180° et s'oriente progressivement vers une politique
de libéralisation de l'économie. Il accuse de mauvaise gestion l'INMECAFE déficitaire. Celui-ci cesse
d'abord de fournir crédits et assistance technique aux producteurs, puis se désengage de la
commercialisation. A ce contexte difficile s'ajoute la fin de l'Accord International sur le Café en juillet 1989,
qui provoque une chute brutale des cours et l'abandon du système des quotas d'exportation, annonçant un
cycle de libéralisation, dans lequel la capacité financière et les projections des entreprises dominant le
marché sont déterminantes pour l’établissement du niveau des prix. La dérégulation de la filière café est
alors totale. La crise l'est aussi. L'Etat annonce qu'il désire laisser la place à des opérateurs privés, mais
ceux-ci sont peu motivés par des investissements dans ce secteur déstructuré. Rares sont les banques qui
prêtent aux petits producteurs. L'Etat doit donc continuer à accorder des prêts, mais le fait au compte-
gouttes et à travers de multiples institutions. Les intermédiaires font une nouvelle avancée dans la filière.

Pierre Johnson 17
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les prix chutent brutalement en 1989-1994, et restent spéculatifs. Pourtant, les institutions financières
internationales encouragent la mise en culture de caféiers dans des pays qui ne sont pas traditionnellement
producteurs, aggravant ainsi la situation. En 2002-2003, les prix internationaux représentent la moitié du
coût de la production, et sont à leur niveau le plus bas depuis 40 ans. Au cours des dernières années, les
producteurs de café ont perdu 70% de leur revenu.

Le café occupe cependant toujours un espace discontinu d'une longueur considérable au Sud du
pays, dans des régions de langue indigène et de climats différents. La production mexicaine est aujourd'hui
la quatrième du monde et fournit 2 à 3% des recettes d'exportation. Mais les deux tiers des producteurs ont
moins de 2 hectares et n'en retirent au mieux que l'équivalent d'un salaire minimum, insuffisant pour vivre.

Le café joue cependant une fonction sociale importante, procurant un revenu monétaire à près de 300
000 producteurs, la plupart indigènes. Avec leurs familles et celle des journaliers, ce sont plus de 3 millions
de personnes qui en dépendent. C'est pourquoi, malgré une politique globale de libéralisation de
l'économie, l'Etat ne peut se désintéresser de cette filière.

Zones de production de café. Source : FONAES Indices de pauvreté par Etat. Source : INEGI

La comparaison des cartes de source gouvernementale indiquant les zones de production de café et
les indices de pauvreté (du vert au marron foncé, les indices de pauvreté vont croissants) montre clairement
que le café est produit dans les régions les plus pauvres du pays, concentrées dans son arc Sud. La
production et la commercialisation du café sont une des rares options des populations rurales de ces
régions pour avoir un revenu monétaire.

Cependant, les contextes dans lesquels vivent les paysans produisant du café sont relativement divers
d’un point de vue culturel (indigènes de groupes différents, métis, etc.) et géographique (régime des pluies
diffèrent selon que ce soit la façade océanique atlantique ou pacifique), d’où une organisation différente de
la filière (transformation et commercialisation). Les luttes restent très localisées pendant les années 70. La
défense du prix du café fournit un thème et un interlocuteur/adversaire commun (INMECAFE) permettant
aux organisations de se structurer durant la décennie suivante au niveau régional, voire national.

Elles se rendent cependant compte après quelques cycles de production que les résultats obtenus
autour de cet objectif seront nécessairement limités, aussi se proposent-elles d'autres buts : le contrôle de la
commercialisation, puis de la transformation de la baie. Une dynamique de création de réseaux au niveau

Pierre Johnson 18
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

des principaux Etats producteurs (Veracruz, Chiapas, Oaxaca et Guerrero) se met en place, aboutissant fin
1988 à la création de la CNOC (Coordination Nationale d'Organisations Caféières). Cette coordination
regroupe actuellement 126 organisations régionales et locales des états de Chiapas, Guerrero, Hidalgo,
Oaxaca, Puebla, San Luis Potosí et Veracruz et 75 000 petits producteurs de café, à 80% indigènes, d’une
douzaine de groupes linguistiques. Ceux de Veracruz créent leur propre structure de commercialisation,
bientôt suivis par d'autres coordinations. La CEPCO (Coordination d'Oaxaca) connaît à partir de 1989 un
mouvement de consolidation et de structuration très rapide, provoqué par les prétentions du pouvoir à
mettre en place un Comité d'Etat du Café sans les petits producteurs. C’est actuellement un regroupement
composé d’une quarantaine d’organisations totalisant selon les périodes de 13 000 à 23 000 membres de
l’état de Oaxaca.

Le retrait de l'Etat de la filière oblige les organisations de producteurs à se substituer aux fonctions
autrefois remplies par INMECAFE. Après être intervenues dans la commercialisation, elles doivent
chercher elles-mêmes des crédits pour financer les "frais de campagne" des producteurs. Les taux du
marché étant alors très élevés, beaucoup s'endettent. Mais leur activité permet aux producteurs d'échapper
aux prix imposés par l'Etat ou par les "coyotes". Pendant la campagne 1991-92, la CEPCO obtient un prix à
la vente nettement supérieur à celui proposé par l'INMECAFE (3.200 pesos contre 2.764). Les
coordinations explorent les marchés nord-américain et européen. Elles établissent des contacts avec le
commerce équitable, principalement Max Havelaar, et se lancent sur le marché du café biologique, qui
permet d'obtenir de meilleurs prix. La CNOC crée sa propre marque aux Etats Unis, Aztec Harvests.

La CNOC impulse également un mouvement de liaison des petits producteurs de café latino-
américains avec la rencontre de juillet 1989 au Costa Rica et celle de septembre 1989 au Honduras pour
l'Amérique centrale, le Mexique et les Caraïbes, qui examinent l’impact sur les producteurs de la fin des
accords économiques de l’Organisation Internationale du Café en 1989, l’échange inégal Nord-Sud, et
l’importance sociale plus qu’économique de plantations mixtes de café avec des cultures vivrières pour la
consommation familiale. Deux ans plus tard, en avril 1991, cette rencontre débouche sur la création du
Frente Solidario (Front Solidaire) au Costa Rica, avec l’appui de la Fondations Max Havelaar Hollande, et de
la Consultoría Agro Económica (Bureau de Consultant Agro-Economique), projet de la Fondation allemande
Friedrich Ebert.

Note sur le taux de change peso mexicain – dollar

Si on compare la situation du peso mexicain avec celui du real brésilien, par exemple, on constate
que la monnaie mexicaine a connu des périodes de grande stabilité par rapport au dollar américain. Sur la
période qui nous occupe, le premier changement majeur du taux de change s’est fait au moment de
l’élection présidentielle de 1995, qui a connu une forte instabilité pour le peso, avec un dollar entre 5,6 et 7,7
pesos. En 1997 – 1998 la valeur du peso s’est lentement érodé, avec un dollar de 7,83 (janvier 1997) à
10,13 (janvier 1999). En l’an 2000, elle se stabilise à nouveau autour de 9,5 pesos pour un dollar, avant de
perdre à nouveau de la valeur entre mai 2002 et la période actuelle. En 2003, la valeur du dollar oscillait
entre 10,7 et 11,2 pesos.

Pierre Johnson 19
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

3. Le commerce équitable international – impact et limites

Le contexte décrit plus haut a influencé la forme qu’a pris le développement du mouvement
international du commerce équitable au cours des dernières décennies. L’intégration étroite de l’économie
mexicaine à l’espace nord-américain est spécifique à ce pays, mais beaucoup de pays du Sud ont fait
l’expérience du cycle dette - plan d’ajustement structurel – libéralisation. Le démantèlement des offices de
matières premières agricoles (café, cacao, etc.) offrant un prix relativement stable aux producteurs a été
général, suivant, et parfois anticipant, la disparition des accords internationaux mis en place dans les
années 60 et 70 pour la régulation des exportations et des prix de ces produits. Les producteurs, qui
avaient su s’organiser dans un contexte de marché régulé pour produire et commercialiser de façon
indépendante ces produits, avaient pu profiter d’un marché et de prix stables tout en affirmant une certaine
autonomie par rapport aux États, permettant ainsi à leurs organisations d’investir dans le développement de
la qualité et la transformation de la matière première.

Durant cette période, le paysage du commerce équitable en Europe est caractérisé essentiellement
par le mouvement des « magasins du monde », points de vente spécialisés proposant des produits
artisanaux ou alimentaires provenant de groupes de producteurs « marginalisés » ou de pays avec lesquels
ce mouvement voulait exprimer une solidarité particulière (café du Nicaragua par exemple). Défendre un
« nouvel ordre économique mondial » plus équitable pour les producteurs du Sud, selon le mot d’ordre
« Trade not Aid »11 semble encore possible. Les accords sur les matières premières et sur le textile sont
interprétés comme des premiers pas dans cette direction.

La conjoncture change radicalement au début des années 1980, alors que se met en place un
cadre idéologique et politique en faveur de la libéralisation de l’ensemble des économies, surtout pour les
pays en développement. Dans certains secteurs, des organisations de petits producteurs anticipent le
retrait de leur Etat, et cherchent à établir des relations directes avec des importateurs européens ou nord-
américains sur une base, non plus politique, mais de partenariat économique, respectant des principes
d’équité et de transparence. Les premières coopératives de petits producteurs à exporter directement leurs
produits sans passer par les organismes d’État sont les coopératives de producteurs de café du Sud-Est du
pays (états du Chiapas et de Oaxaca) : Majomut, ISMAM et UCIRI.

L’Union des Communautés Indigènes de la Région de l’Isthme (UCIRI) est sans conteste une
expérience pionnière dans l’organisation des petits producteurs de café, et pour sa relation avec le
mouvement du commerce équitable en Europe. Cette organisation de 2 300 producteurs indigènes de la
région de l’Isthme de Tehuantepec fut établie en 1983 sur une base indépendante, bien que d’inspiration
chrétienne. Bénéficiant d’un appui de la partie progressiste de l’Eglise catholique - dont le courant de la
théologie de la libération fut longtemps représenté dans la région par l’évêque Lona - elle se consacre dès
l’origine à la production de café biologique, et obtient son permis d’exportation quelques années plus tard.
Elle reçoit alors l’appui de « visiteurs » hollandais et allemands du mouvement du commerce équitable
désireux d’appuyer l’organisation. Dès 1986 elle examine avec Solidaridad, son partenaire associatif en

11
« Du Commerce (équitable), pas de l’Aide, mot d’ordre des pays du Sud à la réunion de la CNUCED en 1964, repris
par le pape et les églises.

Pierre Johnson 20
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Hollande, la possibilité de mettre en place un système permettant la distribution massive en Europe du


produit des coopératives de caféiculteurs tout en garantissant un prix rémunérateur minimum, indépendant
du marché, pour les producteurs.

De cette confrontation entre les besoins d’un secteur de petite production au Mexique, celui du café,
et de la prise en compte des réalités de la distribution en Europe naît en 1988 Max Havelaar Hollande, le
premier "label" du commerce équitable. Max Havelaar se positionne comme "garantie de commerce
équitable" permettant aux consommateurs d’identifier sur les étals des supermarchés les marques
respectant les conditions minimales de prix, de préfinancement et de contrat avec les producteurs. Elle
travaille en partenariat avec des "preneurs de licence", qui sont des importateurs de matière première ou
des torréfacteurs acceptant ces conditions, au moins pour une de leurs marques ou lignes de produits. Max
Havelaar assure également l’inspection et la certification des groupes de producteurs, qui doivent pour être
inscrits à son registre, répondre à des critères de démocratie, d’ouverture, de transparence, et de capacité
économique. C’est uniquement avec des groupes de producteurs de ce registre que les preneurs de
licence, qui représentent le pilier économique du système - puisqu’ils paient une redevance annuelle à Max
Havelaar - doivent établir leurs contrats de commerce équitable.

Selon Isaías Martinez, conseiller d’UCIRI, grâce à son travail propre et aux relations établies avec
l’Europe, UCIRI a acquis une crédibilité sur les marchés internationaux et sur le marché national, qui lui
permet de vendre pratiquement toute sa production au prix du commerce équitable, même lorsque les
contrats ne se négocient pas dans le cadre du commerce équitable international. C’est le cas du contrat
passé en 2002 avec Carrefour, qui prévoit la fourniture, au groupe de distribution, de café au prix de 141
dollars les cents livres (15 dollars au-dessus du prix du commerce équitable).

Victor Perez Grobas, conseiller de l’Unión Majomut, autre coopérative de petits producteurs de
café, nous a décrit l’importance qu’ont eues les relations de son organisation avec le mouvement du
commerce équitable. Il faut remarquer que Majomut est la première organisation du Chiapas à obtenir son
registre d’exportation, grâce à ses efforts propres, en 1983, c’est-à-dire avant UCIRI et ISMAM :

Au cours de ces années (1983-1989) la différence entre le prix local ou spot et le prix à l’exportation
était très grande. La moitié du café exporté par les membres se faisait sous le système des quotas, à un
prix très élevé. Le reste était vendu sur le marché national ou sur le marché spot, dont le prix était beaucoup
plus bas. Le prix de quota était de 160 dollars et le prix spot de 70-80 dollars. L’Unión de Ejidos Majomut
accroît de façon significative son capital durant cette période, ce qui lui permet d’acquérir une grande partie
de son infrastructure: camions, camionnettes, bureaux, construction d’entrepôts et d’ateliers.

Avec la fin du marché des quotas, et la chute très brutale des cours mondiaux du café, l’Union perd
beaucoup de son capital, parce que deux de ses clients en 1988-89 se déclarent en faillite et ne paient pas
le café qui leur a été livré. Cet argent n’a jamais été récupéré.

En 1992, l’organisation entre dans le registre de Max Havelaar, et exporte un container de café sur
le marché équitable (soit 10% de ses exportations de café), ce qui permet de payer une petite prime aux

Pierre Johnson 21
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

producteurs, qui obtiennent un meilleur prix que sur le marché local. Des programmes de développement
sont initiés :

1) Boutiques pour l’approvisionnement populaire

2) Auto-construction et amélioration de l’habitat

3) Amélioration de l’infrastructure productive

4) Achat de mules pour transporter le café

ISMAM12 exporte pour la première fois en 1988 vers la Hollande pour l'entreprise Simon Lewen.
Selon son président actuel, le gouvernement mexicain se méfiait alors des organisations de producteurs
commercialisant de façon indépendante leur café, et les assimilait à la guérilla. Cette méfiance faisait suite
à l'exportation en 1973 à travers les filières de commerce équitable de plusieurs containers de café par des
organisations guatémaltèques regroupées dans la Fedecocagua. Il se méfiait également d’ISMAM, liée à
l'Eglise catholique.

Mais grâce aux contacts pris avec UCIRI, ISMAM peut à son tour participer au mouvement du
commerce équitable, et exporter vers GEPA, la centrale d’achat allemande du commerce équitable.
L’organisation est bientôt certifiée par Max Havelaar Hollande. Elle exporte également aux USA, mais dans
une filière conventionnelle.

Fair Trade Labelling Organizations International (FLO)

Le premier café labellisé Max Havelaar est lancé en 1989. D’autres groupes en Europe suivent
l’exemple hollandais et mettent en place des labels nationaux de commerce équitable sur le café, puis sur
d’autres produits : thé, cacao, bananes, etc. La nécessité de coordonner les initiatives nationales de
labellisation du commerce équitable en Europe se fait rapidement évidente, donnant naissance en 1997 à
FLO (Fair Trade Labelling Organizations International), l’organisation internationale de labellisation du
commerce équitable. Les critères et les registres de producteurs sont alors harmonisés au niveau
européen. FLO regroupe aujourd’hui 17 agences nationales de certification (ou « initiatives nationales ») de
commerce équitable, en Europe, au Japon et en Amérique du Nord, travaillant ensemble à la normalisation
des processus de certification, à l’élaboration de critères spécifiques pour chaque produit, à l’inspection et à
la certification. Depuis 2002, elles ont adopté un logo commun, remplaçant peu à peu les logos nationaux.

FLO veut être plus qu’une agence d’inspection – certification du commerce équitable. Elle se
propose d’assumer les fonctions suivantes :

• L’élaboration de standards internationaux du commerce équitable

• La gestion de la certification

• La gestion des contrôles (inspection)

12
Indigenas de la Sierra Madre de Motozintla “San Isidro Labrador” S.S.S. organisation née en 1986 à Motozintla,
Chiapas. Actuellement, c’est l’une des plus importantes organisations de petits producteurs de café en volume de
production et nombre de producteurs. Voir plus loin ses relations actuelles avec FLO.

Pierre Johnson 22
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

• Le soutien aux producteurs

Depuis janvier 2002, la nouvelle structure de FLO sépare formellement l’inspection de l’appui aux
producteurs. Flocert (FLO Certification Unit) est une société commerciale supervisant les tâches
d’inspection et de certification. L’inspection est faite par des consultants free lance basés dans les
continents où vivent les producteurs. FLO, association sans but lucratif, fonctionne en deux unités : le
développement de produits (Product Management) et l’appui aux producteurs (Producer Support Network).
Il y a deux limites à cette séparation formelle : l’association FLO est le seul actionnaire de Flocert, et un flux
constant d’information et de personnes traverse les frontières entre FLO association et Flocert.

FLO’S NEW STRUCTURE: FLO


Meeting of Members

Regional
Producer FLO Board
Meetings

Markets &
marketing
1/3 Appeal cie meetings

Executive
1/3 Certif. cie board
⇒ FLO/NI staff
⇒ stakeholders
Director
⇒ deciding
Fin. & Adm. ⇒ consultative

Info system

Inspection Certification Standards + Prod. Support Product


Unit policy working group Facilitator.
regional/local Managers

Trade
Auditing Producer Liaison Officers

D’après FLO international

L’Unité de Certification a deux départements : la coordination d’inspection et l’audit commercial


(Trade Audit), qui vérifie les mouvements de produits et la gestion de la prime aux producteurs. Le Trade
Audit est nouveau dans le système. Avant 2002, FLO avait une gestion et un fonctionnement par produit.

Seuls les producteurs sont certifiés par FLO. Ils doivent être regroupés en organisations
démocratiques et ouvertes et avoir une capacité d’exporter. Les exportateurs, importateurs et
transformateurs signent des contrats avec FLO, qui lui permet de contrôler les modes de commercialisation,
les marges et la destination de la prime aux producteurs. Les preneurs de licence sont le nœud
économique du système, puisque jusqu'à fin 2003, ce sont eux qui paient pour l’usage de la marque. Les
données des exportateurs, des importateurs et des preneurs de licence parviennent à FLO à travers les

Pierre Johnson 23
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

initiatives nationales. Selon Ose Nelsen13, FLO aimerait que ce soit les groupes de producteurs qui puissent
contrôler l’exportateur, mais ce n’est pas toujours possible à cause de leur faible niveau d’éducation.

Un reproche souvent fait à ce système est qu’il repose sur la grande distribution, et que FLO ne
contrôle pas les marges du distributeur. C’est semble-t-il une question de droit, la loi autorisant les
distributeurs à fixer librement leurs marges. FLO ne peut donc pas contrôler ces marges, mais est souvent
à même de pouvoir les calculer, sans pouvoir les influencer. Les supermarchés ont d’ailleurs leur
argumentation pour fixer des marges plus grandes sur ces produits : leur rotation est moindre, il s’agit d’une
niche de marché qui leur coûte davantage, etc.

Le Comité de Certification est la pierre angulaire du système. Il se réunit 5 fois par an pour traiter
les demandes d’adhésion et décider du renouvellement de la certification des producteurs agréés. Il est
constitué d’un minimum de 6 personnes dont un représentant de producteurs, deux acteurs commerciaux et
des experts externes ainsi que des représentants des initiatives nationales. Parmi les acteurs commerciaux,
l’un représente le secteur commercial conventionnel (qui constitue seulement une petite partie de son
commerce en commerce équitable) et l’autre les organisations de commerce alternatif (ATO) à 100%
équitables.

Le système de soutien de FLO aux producteurs comprend trois catégories de personnel:

1. Des interlocuteurs pour les marchés et le développement par région (Producer Liaison Officers): FLO
en prévoit une dizaine dans le monde.

2. Des responsables de produits basés à Bonn (Product Managers), experts en tout ce qui concerne leur
produit. Actuellement, 4 personnes couvrent respectivement : le café ; le thé et le riz ; le cacao, le sucre
et le miel; les fruits tropicaux et les jus de fruits.

3. Un responsable du soutien aux producteurs (Producer Support Coordinator): il est responsable de


coordonner les actions d’ONGs de développement vis-à-vis des producteurs agréés par FLO. Son
champ d’activité couvre pour l’instant l’Amérique centrale et les Caraïbes, mais devrait s’élargir pour
couvrir l’Asie et l’Afrique en collaboration avec les nouveaux bureaux régionaux de FLO dans ces
régions.

Les organisations de producteurs ne sont pas membres de FLO, qui évite ainsi une situation de conflit
d'intérêts où elle aurait à certifier ses propres membres.

FLO-International certifie aujourd’hui 375 associations de producteurs provenant de 48 pays d’Amérique


latine, d’Asie et d’Afrique, représentant à peu près 800 000 familles. Parmi ces groupes, une centaine
bénéficie d’une certification provisoire et pourront éventuellement obtenir un statut permanent si elles
démontrent leur capacité à respecter leurs engagements durant au moins deux cycles agricoles. Elle a un
contrat avec 337 entreprises (exportateurs, importateurs, transformateurs) de 50 pays, et 509 preneurs de
licence dans les pays du Nord, autorisés par les initiatives nationales à utiliser leur label.

13
Ancienne responsable de Flocert pour le Mexique, actuellement responsable pour l’Afrique.

Pierre Johnson 24
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Pour être plus proche du terrain, FLO a créé avec l’appui de APSO (Irlande) et de Hivos (Hollande) un
bureau régional pour l’Amérique Centrale (Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica), dont la mission
couvre des tâches d’inspection et d’information aux producteurs. Si l’on y ajoute le Mexique, l’Amérique
Centrale représente plus de la moitié des organisations de producteurs de café certifiées par FLO. Des
bureaux régionaux doivent être ouverts en Afrique de l’Est et en Asie.

Le Bureau Régional doit également assurer « un flux constant d’informations sur FLO International et le
marché international vers les producteurs », un lien direct entre organisations de producteurs et acheteurs,
ainsi qu’un appui aux organisations pour améliorer les points faibles empêchant leur accès au marché, ceci
en lien avec le Réseau d’Appui de FLO International. Sa vision est « l’augmentation des volumes de vente
des différents produits de la région (sucre, banane, cacao, café, miel) aux conditions du commerce
équitable, par une meilleure intégration des partenaires impliqués : producteurs, initiatives nationales,
acheteurs, industrie et FLO International ».

Un Forum Mondial du Commerce Equitable intégrant les organisations de producteurs a également été
mis en place par l’organisation internationale. Il réunit tous les deux ans l’ensemble des acteurs des filières
équitables agréés par FLO (producteurs et entreprises). Il permet la rencontre entre producteurs et
entreprises. Y sont également traités des sujets d’actualité pour la certification équitable. Sous l’ancien
système, ce Forum était organisé par produit et servait surtout à l’échange d’information et au contact
commercial. Actuellement organisé par continent, il a désormais une fonction politique, puisque à travers lui
les organisations de producteurs élisent leurs 4 représentants au Conseil d’Administration de FLO. Forts de
leur poids numérique, les latino-américains disposent de deux représentants, un pour l’Afrique et un l’Asie.
Le dernier Forum Mondial du Commerce Equitable de FLO a eu lieu à Londres en septembre 2003, et a
réuni 270 délégués (150 en 2001). Il a donné lieu à de vives discussions, sur l’initiative des producteurs
latino-américains, que nous examineront plus loin.

Impact du système de labellisation FLO

La multiplication des initiatives de type Max Havelaar en Europe est contemporaine de la


consolidation d’organisations de petits producteurs au Mexique et dans d’autres pays d’Amérique latine. La
possibilité d’exporter à un prix avantageux favorise naturellement cette consolidation. La création des labels
de commerce équitable aide à la réalisation de cet objectif, particulièrement dans les années 1989-1994, qui
représentent le « creux de la vague », la période où les prix internationaux du café sont les plus bas. Le
projet constitutif de FLO, et celui d’un grand nombre d’organisations de producteurs qui y sont intégrés, sont
alors en phase: il s’agit pour les petits producteurs produisant des cultures de rente d’exporter des volumes
importants au prix le plus avantageux.

Les produits sur lesquels travaillent FLO en Amérique Centrale (incluant le Mexique), sont ceux qui
intéressent les marchés européens, tout en souffrant de prix très bas aux producteurs. Le café, puis le
cacao, la banane et le sucre sont parmi les principales matières premières échangées dans le monde, sans
que les prix internationaux conventionnels permettent réellement aux producteurs d’en vivre.

Pierre Johnson 25
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Depuis leur introduction sur le marché européen, la part des produits labellisés par FLO n’a cessé
de progresser sur les étals des supermarchés. Cette progression a cependant été lente et différentiée selon
les pays d’accueil du label. Si 15% des bananes sont labellisés FLO en Suisse, c’est là un résultat
exceptionnel. La proportion est plus généralement de 1% à 3% selon les pays et les produits.

Une autre caractéristique de la progression du marché équitable dans les pays du Nord est le fait
que les produits alimentaires du commerce équitable soient de plus en plus associés aux produits de
l’agriculture biologique. Les consommateurs du commerce équitable voient la production équitable et
biologique comme complémentaires. Les petits producteurs mexicains ont montré un dynamisme
remarquable dans ce domaine. Grâce à eux, le Mexique est le premier exportateur de café et de miel
certifiés du commerce équitable et de l’agriculture biologique dans le monde.

Selon FLO, 2002 a été à nouveau une excellente année pour les petits producteurs qui participent
au commerce équitable. Les ventes réalisées cette année représentent une augmentation de 21%. Au
total, 58 812 tonnes de café, thé, bananes, miel, cacao, sucre, jus d’orange, riz et fruits frais ont été vendus
dans les supermarchés de 17 pays dans lesquels travaillent FLO.

La croissance la plus importante a été obtenue par le jus d’orange et le sucre, avec respectivement
44 et 48%. Ces produits avaient connu une moindre augmentation les années antérieures. Les bananes
restent le produit le plus important en termes de volume, avec 36 612 tonnes vendues. Le café est le
produit principal de FLO pour la valeur sur le marché et le nombre de producteurs bénéficiaires. Il a connu
une augmentation de 9% par rapport à 2001. Les ventes des autres produits se sont également
développées : Cacao +14% (1.656 t), miel +3% (1.038 t) et thé +17% (1.266 t). Deux nouveaux produits
ont été introduits en 2002, le riz et les fruits frais, vendus en France (pour le riz) et en Suisse.14

Le modèle de certification FLO a donc prouvé une certaine efficacité pour l’exportation de produits agricoles
primaires (café, cacao, riz,…) de petits producteurs à des conditions plus équitables. Aujourd’hui, environ
1% du café mondial est du café de commerce équitable. C’est significatif ou peu, selon les points de vue.

Limites du commerce équitable international

Un lien incertain entre exportations et développement local

Le label de commerce équitable FLO a indéniablement contribué à la croissance des exportations


de petits producteurs aux conditions du commerce équitable. Cependant, l’effet de cette croissance sur le
développement local reste largement inconnu. Comme d’autres organisations de commerce équitable, les
organisations membres de FLO International semblent en effet avoir axé toute leur action en faveur du
développement des exportations des producteurs du Sud vers les pays du Nord, sans analyser le lien entre
celui-ci et les dynamiques de développement local dans les régions productrices. FLO affirme que sa
« vision » est le développement des exportations des petits producteurs, tout en s’accordant avec IFAT,
NEWS et EFTA sur une définition du commerce équitable qui place le développement durable comme
objectif final de ce type de commerce. Mais jusqu'à aujourd’hui, aucun effort n’a été tenté par les principaux

14
Source : Latin Trade, 1er mars 2003.

Pierre Johnson 26
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

acteurs du commerce équitable pour encourager des relations équitables aux niveaux locaux, régionaux et
nationaux ou pour articuler leur action avec ceux qui se proposent cet objectif. On sait pourtant que les
dynamiques locales sont essentielles pour atteindre les objectifs du développement durable.

Les limitations du système de labellisation développé au sein de FLO se situent autour de sa


perspective uniquement commerciale. L’appui de FLO aux producteurs est pensé en fonction du seul
développement des exportations. Dans le cas du Mexique, ce sont précisément les excès du commerce
extérieur qui ont causé l’abandon quotidien des activités agricoles et rurales par les familles de petits
producteurs. Dans de nombreux secteurs (céréales, lait, viande, légumes et fruits), la concurrence avec les
grands producteurs paraît simplement trop inégale pour que les petits producteurs puissent même rester
dans la course. Dans ces conditions, les stratégies actuelles de commerce équitable peuvent appuyer
seulement une partie du monde rural, celle produisant des produits d’exportation comme le café, voire le
cacao. Dans les autres secteurs, d’autres types d’actions sont nécessaires.

Les études d’impact

L’impact de la progression des produits labellisés du commerce équitable dans les marchés des
pays du Nord est donc difficile à évaluer. En 1999, FLO a commissionné une série d’études d’impact du
café équitable sur les groupes de producteurs au Mexique, en Tanzanie, en Bolivie, au Pérou et au
Nicaragua. Celles-ci font ressortir l’effet positif du commerce équitable sur l’organisation des producteurs.
Par contre, l’impact du commerce équitable sur le développement local n’est pas analysé, aucun indicateur
spécifique n’ayant été mis en place pour le mesurer.

Pour sa part, Oxfam UK a fait en 1999-2000 une étude d’impact de son action sur 20 groupes de
producteurs dans 8 pays, soit une des études d’impact du commerce équitable les plus ambitieuses. Celle-
ci conclut à un impact limité de son action, dû aux faibles volumes qu’Oxfam UK était capable d’importer en
commerce équitable.

La Fédération Artisans du Monde en France est une des premières organisations françaises de
commerce équitable à avoir tenté de mesurer l’impact de ses activités sur le plan du développement local.
L’étude qu’elle a menée avec le Centre International d’Etudes du Développement Local (CIEDEL) de
l’Université Catholique de Lyon aboutit aux conclusions suivantes :

Le commerce équitable permet à des artisans d’accéder à un revenu régulier, résultat plus apprécié
encore qu’un prix équitable. Il donne aux producteurs les plus pauvres l’opportunité d’accéder à un
métier et de recouvrer ainsi leur dignité, et aux producteurs professionnels la possibilité d’accéder à un
nouveau marché, de nouveaux revenus, et d’investir. L’action de la Fédération Artisans du Monde a
également contribué à développer des organisations exportatrices, interfaces entre les producteurs et
leurs groupements, et les centrales d’achat du Nord.

Cependant, les changements significatifs que l’action d’Artisans du Monde produit dans la vie des
producteurs ne semblent pas se traduire dans le développement de dynamiques locales au niveau des
villages et des quartiers des producteurs.

Pierre Johnson 27
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Sauf quelques rares exceptions, on constate un manque de connexion entre la filière du commerce
équitable et les dynamiques économiques, sociales et politiques locales. Les producteurs semblent
consacrer l’essentiel de leur énergie à la production et aux relations qu’ils développent au sein de la
filière du commerce équitable.

L’Université du Colorado a commandé une série d’études de « l’impact de la participation des


organisations de producteurs de café au commerce équitable sur la lutte contre la pauvreté ». Ces études,
écrites en août - septembre 200215, concluent à l’effet positif mais indirect du commerce équitable
international sur l’organisation des producteurs et l’obtention de prix rémunérateurs, principaux facteurs
pouvant favoriser la lutte contre la pauvreté dans les régions de production de café. Nous analyserons plus
en détail leurs conclusions dans la partie IV.

4. La nécessité de développer un commerce équitable intérieur

Principal secteur de la petite production ayant acquis une expérience significative des marchés
d’exportation, les producteurs de café sont parmi les premiers à en percevoir les limites. Depuis les années
1990, leurs organisations sont conscientes du caractère spéculatif du marché international du café. Elles
cherchent d’abord à se différencier sur ce marché, en mettant l’accent sur la qualité : qualité intrinsèque du
produit (café d’altitude), qualité environnementale (café sous couverture végétale, café biologique) et, par le
commerce équitable, reconnaissance de la qualité sociale de la petite production. Cependant, les
différentiels de prix sur le marché biologique et les contrats de commerce équitable ne suffisent pas à
garantir un revenu minimum à l’ensemble des producteurs organisés.

Prix du café à l'exportation


180,00

160,00

140,00

120,00
Dollars /100 livres

100,00

80,00

60,00

40,00

20,00

Années
0,00
1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2002

Le graphique ci-dessus représente les prix du café à l’exportation au Mexique de 1983 à 2002
(source : Organisation Internationale du Café, décembre 2002), sur la base d’une moyenne annuelle des
moyennes mensuelles. On observe une grande instabilité des cours sur 20 ans. Le prix garanti minimum

15
Elles sont disponibles sur le site de cette université, à la page
http://www.colostate.edu/Depts/Sociology/FairTradeResearchGroup/

Pierre Johnson 28
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

FLO est indiqué par une ligne horizontale (121 dollars les 100 livres). Lorsque les prix internationaux
passent au-dessus de ce prix minimum, le prix FLO suit le cours international, auquel s’ajoute une prime de
développement de 5 dollars les 100 livres. En ce qui concerne le café, la limite du système FLO tient au
nombre d’importateurs désirant s’engager dans l’achat de café équitable, plutôt qu’au prix minimum, lequel
assure au contraire un niveau globalement satisfaisant de rémunération des producteurs.

FLO reconnaît actuellement 185 groupes de producteurs de café dans 24 pays. Le commerce
équitable représente une bulle d’oxygène pour ces groupes de producteurs concernés, qui peuvent compter
sur des relations de longue durée et de confiance, à un prix garanti, alors que le contexte du marché
international reste très défavorable pour eux. Mais le marché du café équitable semble avoir atteint
certaines limites en Europe (au mieux 3% du marché national),

Après avoir placé une partie de leurs produits sur les marchés d’exportation, les principales
organisations de producteurs de café ont donc voulu développer le marché intérieur pour leur produit. Elles
ont mis en place dans les années 1980 et 1990 des entreprises de commercialisation et d’exportation, grâce
auxquelles quelques-unes d’entre elles sont parvenues à développer des marques pour le marché intérieur,
ou des réseaux de cafés. En 2003 par exemple, UCIRI a vendu 3 tonnes de café soluble par mois sur le
marché national, Majomut a exporté 80% de sa production, et commercialisé 20% sur le marché intérieur.

Les autres petits producteurs font face à des situations tout aussi critiques : la majorité des petits
producteurs de cacao (situés principalement dans les états de Tabasco et Chiapas) sont les proies des
intermédiaires, bien que le chocolat fournisse la base de nombreuses boissons traditionnelles dans le pays.
Les producteurs de miel sont en concurrence avec les producteurs européens sur les marchés
internationaux, et sont confrontés à des entreprises puissantes sur le marché intérieur (Miel Carlota).
Sachant mal différencier leurs produits, ils choisissent en majorité l’exportation en gros.

La situation des producteurs de produits vivriers est la plus critique : d’exportateur, le pays est
devenu importateur de maïs et de haricot de mauvaise qualité mais à bas prix des Etats-Unis. La
production alimentaire au Mexique a une tradition très riche, avec certaines plantes endogènes à fortes
qualités nutritives, comme l’amarante, une espèce de céréale voisine du quinoa. Cependant, ces cultures
ne sont plus valorisées à cause de la distorsion des marchés dans le contexte de l’ALENA. La seule
solution pour les producteurs de ces denrées est de tenter de développer des relations commerciales
intérieures basées sur la qualité, la confiance et l’équité.

Certains signes indiquent que le développement de ce marché équitable intérieur est possible :
Grand pays aux nombreuses ressources naturelles, le Mexique a une classe moyenne et supérieure
urbaine avec un fort revenu, contrastant avec les conditions de pauvreté extrême qui touche 10% de la
population. Concentrant 1/5 de la population (plus de 20 millions d’habitants) Mexico, mais aussi
Guadalajara, Monterrey, Puebla, et des villes comme Cuernavaca (où vivent de nombreux retraités et
étrangers de classe moyenne, à une heure de Mexico) sont des marchés de consommation de masse.

Pierre Johnson 29
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Le développement du marché intérieur de produits biologiques témoigne d’un changement dans les
modes de consommation de la population urbaine. La clientèle des restaurants de qualité, dits
« gourmets », cherche de plus en plus des produits sains, si possible issus de l’agriculture biologique.

Des réseaux de « commerce communautaire » sont mis en place depuis les années 1990. Ils
témoignent d’une recherche de relations plus directes et équitables au niveau local, régional et parfois
national. La Coalición Rural tente de suivre le modèle américain de la Rural Coalition, à laquelle elle
adhère, et qui regroupe des organisations de petits producteurs et de journaliers agricoles. Formée au
Mexique peu avant l’ALENA, elle regroupe une quinzaine d’organisations de producteurs, organise des
foires, propose certaines activités de formation, et commence à agir dans le domaine de la
commercialisation.

Des relations directes entre producteurs et consommateurs se mettent en place dans


certaines grandes villes, répondant à une demande en produits de qualité biologique et aux besoins des
petits producteurs de trouver un marché local pour leurs produits. A Guadalajara, par exemple, le Cercle de
Production et de Consommation Responsable organise depuis une dizaine d’années des relations solidaires
entre consommateurs urbains et producteurs ruraux de produits alimentaires.

Le succès des Cafés La Selva montre aussi qu’il est possible de commercialiser des produits
nationaux de qualité à des prix rémunérateurs. Fait nouveau, de nombreuses organisations de producteurs,
même celles qui ont déjà l’expérience de l’exportation, commencent à penser que le développement d’un
marché national équitable aurait des avantages que les marchés internationaux n’ont pas.

Le point de vue de la coopérative Tosepan Titataniske, de l’état de Puebla, organisation de 5 800


membres (dont 2 400 producteurs de café) avec 26 ans d’expérience, en est une illustration. Cette
coopérative avait demandé en 2002 une inspection à FLO, mais l’organisme international a répondu que le
marché équitable international pour le café était saturé. La coopérative Tosepan reste cependant très
intéressée par le commerce équitable, à cause des prix très bas du café sur le marché conventionnel, tout
en ayant conscience des limites de ce mouvement en termes de marché. Elle se propose de contribuer à la
constitution d’un marché équitable national.

Selon Tosepan, les avantages d'un marché national de commerce équitable seraient :

• De permettre aux produits de qualité de rester dans le pays. Au lieu d’exporter leurs produits de
meilleure qualité, les producteurs pourraient trouver un marché local, et les consommateurs profiter de
cette qualité.

• D’instaurer une culture de consommation consciente, laquelle est encore très réduite. Un commerce
équitable devrait aider à la formation de cette culture.

• De ne plus affronter les problèmes liés à l'exportation, notamment les exigences de volume, les délais
de livraison et de paiement, et le travail administratif nécessaire.

Pierre Johnson 30
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

II. La mise en place du "système mexicain de commerce équitable"

1. Genèse du label mexicain de commerce équitable

La mise en place du label mexicain de commerce équitable apparaît comme la convergence de deux
courants concernant principalement la petite production agricole mexicaine : la stratégie d’un groupe de
producteurs en direction du marché national, et la mise en place d’un système de certification national.

1.1. La stratégie d’un groupe de producteurs

Au cours des années 1980 et 1990, de nombreuses organisations de petits producteurs de café ont
acquis une expérience importante de la commercialisation à l’exportation. C’est le groupe le plus significatif
de producteurs participant au commerce équitable international. Malgré l’appui que représente ce
mouvement pour leurs exportations, ce débouché n’est plus suffisant pour couvrir les volumes de production
à des prix équitables, et les organisations établissent également des liens commerciaux sur le marché
national conventionnel. A la fin des années 1990, un groupe d’organisations prend conscience que le
développement de leurs ventes sur le marché national demande un effort conjoint. La notion de commerce
équitable mexicain émerge de l’exemple international et de la nécessité d’obtenir des prix comparables sur
le marché intérieur.

Plusieurs indices montrent que le développement d’un marché national équitable pour les produits des
petits producteurs mexicains est possible. Les consommateurs urbains de classe moyenne commencent à
apprécier les produits biologiques. Des restaurants et magasins de produits frais biologiques font leur
apparition. Fait nouveau dans un pays où la consommation de café de qualité était peu développée, des
« cafés gourmets », lieux proposant des sélections de café de qualité dans une ambiance agréable,
surgissent dans certaines villes.

En ouvrant des cafés sous le nom La Selva (« la forêt ») au Mexique, puis dans quelques villes des
Etats-Unis et d’Espagne, l’organisation Unión de Sociedades de La Selva16, qui regroupe 1368 familles de
petits producteurs de café du Chiapas, montre qu’une organisation du secteur social peut prendre pied sur
ce marché urbain en développement.

Le premier Café La Selva a ouvert ses portes en 1994 à San Cristobal de las Casas, et à Mexico en
mai 1995 à Coyoacan, rendez-vous des classes moyennes cultivées à Mexico. La Selva Café est
aujourd’hui un système de franchise gérant 21 cafés dont 14 dans le district fédéral. Sa principale activité
est de servir du café 100% biologique venant directement des producteurs de l’Unión de Ejidos de la Selva.
Elle compte actuellement 400 salariés et ses ventes annuelles sont de $360 000.

Ventes et clients de la Selva


1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Nb. de
magasins
1 4 5 7 9 12 14 18 21
Nb. de clients 100.000 400.000 550.000 750.000 1 million 1,4 M. 1,6 M. 2 M.

16
Ex Unión de Ejidos de la Selva

Pierre Johnson 31
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Selon Claudia Durán Miranda (La Selva Café Mexico), ce modèle permettrait d’offrir des prix aux
producteurs nettement plus élevés que sur le marché conventionnel (12 à 17 pesos le kilogramme, parfois
18, au lieu de 8 aux intermédiaires), et une publicité locale.

L’exemple de La Selva est suivi quelques années plus tard par CEPCO, qui ouvre son « Café
Café » dans la ville de Oaxaca, où elle a ses bureaux. Les organisations de petits producteurs de café se
rapprochent aussi de chercheurs et du Musée des Arts Populaires de Mexico pour valoriser la culture de ce
produit auprès du public mexicain, par l’organisation d’une grande exposition.

Mais le développement de points de vente sous franchise ne suffit pas à écouler l’ensemble du café
des petits producteurs, qui cherchent également de gros acheteurs. Un groupe d’organisations se propose
de trouver ensemble des clients importants dans le pays. L’Unión de la Selva ne fait pas partie de ce
groupe, peut-être parce qu’elle a été décertifiée en l’an 2000 par FLO pour l’opacité de sa gestion. La
multiplication de projets parallèles (près de 25), dont certains non rentables, avait mis en péril les activités de
collecte, empêchant la coopérative de remplir un contrat avec un importateur qui avait préfinancé la récolte à
hauteur de $250 000. Actuellement les Cafés La Selva et l’Union de la Selva sont deux entités séparées
dont seule la deuxième a été à nouveau certifiée par FLO en 2002, après qu’elle a réorganisé sa gestion
interne.

Certaines organisations travaillent plus étroitement ensemble pour le développement de solutions


permettant de mieux valoriser la production des petits producteurs de café. Ce sont : La Coordination de
Producteurs de Café de l’Etat de Oaxaca (CEPCO), l’Union des Communautés Indigènes de la Région de
l’Isthme (UCIRI) et l’Union Majomut, une organisation du Chiapas. Elles cultivent des relations anciennes au
sein de la Coordination Nationale des Organisations de Caféiculteurs (CNOC). Leurs conseillers reprennent
une argumentation de bon sens : « Pourquoi exporter le café de meilleure qualité, et consommer dans le
pays du café de mauvaise qualité ». Ils reprennent aussi une corrélation établie par les experts du secteur
du café, qui remarquent que la consommation de café dans le monde a suivi globalement le niveau du
Produit Intérieur Brut de ces pays, avant de marquer un léger déclin dans les pays les plus riches au cours
des dernières années, perdant des parts de marché au profit des boissons gazeuses. La consommation de
café aux Etats-Unis et en Europe du Nord serait équivalente à 4 kilogrammes par personne, et près de 6
fois moindre au Mexique (700 grammes17). Le PIB du Mexique étant un des 15 premiers au monde (devant
l’Espagne en 2002 mais 50 fois moindre que celui de son voisin du Nord), il existe selon ces conseillers une
marge importante pour le développement de la consommation de café de qualité, qui est produit sur place.
Il reste à démontrer la validité de cette approche théorique.

Les organisations de producteurs de café constatent également qu’au lieu de faire converger leurs
efforts de commercialisation interne, elles subissent la fragmentation des marchés et la mise en
concurrence par les acheteurs. Victor Perez Grobas, conseiller de l’Union Majomut, présente ainsi l’origine
de la création du label mexicain de commerce équitable :

17
Soit à peu près la production moyenne annuelle de deux caféiers

Pierre Johnson 32
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

« La réflexion a surgi d’une réunion où nous avons discuté le fait que tous nos efforts étaient portés
au Mexique sur des petits marchés. Certains de ces efforts importants étaient les suivants : UCIRI vendait
une bonne partie de son café de deuxième qualité dans la ville de Monterrey, Majomut sur Tampico, et
beaucoup d’entre nous sur Mexico. Mais les acheteurs nous mettaient en concurrence pour baisser les prix.
Nous avons donc vu la nécessité de travailler ensemble. Après avoir parlé avec d’autres personnes, nous
voyons l’absurdité de nous concurrencer, et la nécessité d’éclaircir ce qu’est le commerce équitable au
Mexique, car le concept y était inconnu.

Nous avons uni nos efforts individuels, et plus tard les avons dirigés vers la création d’un label
mexicain de commerce équitable. Les grands planteurs de café du Soconusco parlaient, eux, déjà, de
«café direct du producteur» et ont leurs cafés à San Cristobal. Il fallait expliquer que ce que nous faisions
était différent, que notre café venait d’organisations de producteurs. D’un autre côté, il y avait également à
Mexico des coopératives de consommateurs, avec lesquelles nous voulions unir nos efforts. Nous avons
donc lancé une initiative de commerce équitable regroupant non seulement les producteurs de café, qui
sont ceux qui ont le plus d’expériences, mais aussi d’autres groupes de producteurs, avec des produits qui
ne sont pas pris en compte par FLO, comme l’artisanat, des produits naturels de soin corporel, etc. »

En novembre 1998 se constitue un comité de travail, se proposant de poser les bases d’un
système mexicain de commerce équitable. D’autres groupes de producteurs sont associés à cette réflexion.
Parmi les plus importants de ces groupes, il faut signaler l’Association Nationale d’Entreprises de
Commercialisation de Producteurs Agricoles (ANEC), créée par et pour des organisations de petits
producteurs de céréales (maïs principalement) et de haricot totalisant 60 000 familles de producteurs,
l’Association Mexicaine pour l’Art et la Culture Populaire (AMACUP), active dans la commercialisation de
l’artisanat mexicain, et l’ Union des Petits Apiculteurs d’Amérique Latine (PAUAL), regroupant environ 2 100
familles d’apiculteurs au Mexique.

Le café, l’artisanat, le miel et le maïs semblent alors être les principaux produits vers lesquels vont
se tourner les efforts de développement d’un marché intérieur de commerce équitable au Mexique.

1.2. La mise en place d’un système national de certification biologique

Face à la situation difficile des principaux marchés agricoles depuis le début des années 1990,
beaucoup de petits producteurs au Mexique envisagent la production et la certification biologique comme
une alternative pour obtenir de meilleurs revenus. La certification biologique permet l’obtention d’une prime
ou différentiel, qui s’ajoute au prix courant payé au producteur. Le fait que de nombreux petits producteurs
n’aient pas appliqué de pesticides à leurs plants depuis le démantèlement des instituts d’état organisant les
filières du café, du tabac et d’autres produits, durant les années 1980, leur donne un avantage dans un
marché biologique en croissance soutenue dans les pays du Nord.

La production de café au Mexique se fait généralement sous couvert végétal, dans un système agricole
diversifié, la milpa, qui permet de préserver la couverture forestière secondaire tout en produisant du maïs,
du café, des haricots, des fruits, et d’autres espèces. L’ « agriculture naturelle » de ces régions est donc
proche de l’agriculture biologique, qui demande seulement une plus grande attention à la préservation des

Pierre Johnson 33
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

sols et à l’élaboration de compost. Le Mexique est le premier exportateur de café biologique, mais les petits
producteurs de cacao, de miel, de sésame, de fleurs d’hibiscus ou de pommes sont également incités à
produire selon les normes de l’agriculture biologique.

Les petits producteurs mexicains sont fortement intéressés et engagés dans la production biologique,
qui peut leur offrir un différentiel de prix représentant une alternative à des revenus ruraux extrêmement bas.
Mais la certification biologique, organisée pour les marchés des pays développés, leur était difficilement
accessible, sauf pour certains produits. Les producteurs de café de UCIRI produisent selon les techniques
de l’agriculture biologique depuis la formation de leur organisation (en 1983), par respect de la « Terre-
Mère ». Le problème principal que les producteurs mexicains rencontrent pour valoriser la qualité
biologique de leur production durant les années 1990 était les coûts élevés d'inspection et de certification.
Cette situation présentait un paradoxe, car la plupart de ces agences utilisaient déjà des inspecteurs locaux,
tout en maintenant des prix élevés parce que l'inspection devait être validée par l'agence étrangère.

Les agences de certification nord-américaines, telles qu'OCIA18, ont baissé leurs coûts de
certification après avoir commencé à employer des inspecteurs locaux, mais les agences européennes
étaient peu disposées à le faire. L’effort pour rendre accessible la certification biologique aux petits
producteurs commence véritablement en 1994, lorsqu’un groupe d’inspecteurs mexicains travaillant pour
des agences de certification internationale décide de créer sa propre structure d’inspection et de
certification, pour pouvoir à terme proposer des conditions mieux adaptées aux organisations de petits
producteurs du pays.

L’Association Mexicaine des Inspecteurs Biologiques (AMIO) est officiellement formée et reconnue
par les agences de certification internationales à partir en 1997. Regroupant des inspecteurs mexicains
(agronomes de terrain), AMIO est en mesure de proposer des coûts d’inspection inférieurs à ceux des
agences internationales, basées principalement en Europe et en Amérique du Nord. Elle a aussi des
activités de « promotion de l’agriculture biologique par la formation des inspecteurs et l’échange
d’expériences entre organisations », dirigées non seulement vers les cultures commerciales mais aussi vers
les cultures d’autosubsistance, en mettant notamment l’accent sur les alternatives à la culture sur brûlis.

L’inspection n’est que la première étape de la certification. Les principaux marchés pour
l’agriculture biologique se situant dans les pays développés, la certification locale est un processus plus
complexe, qui implique non seulement le développement de capacités locales pour l’inspection mais aussi
la reconnaissance du contrôle exercé par les agences locales.

Les inspecteurs de l’AMIO et les organisations de petits producteurs regroupés dans Ecomex
décident de poser les premiers jalons vers une certification nationale de l’agriculture biologique en invitant
Grobert Bustillos, président de Bolicert, à assurer une formation au Mexique en mai 1997. Certimex,
l’agence mexicaine de certification biologique est créée quelques mois plus tard, avec l’appui de l’Université
Chapingo, principal centre de recherche et d’enseignement agronomique du pays.

18
Organic Crop Improvement Association

Pierre Johnson 34
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Certimex obtient ses premières conventions avec le bureau mexicain de l’agence de certification
américaine OCIA, puis avec IMO Kontrol (Suisse) et Naturland (Allemagne). Une convention directe avec le
siège d’OCIA aux Etats-Unis est sur le point d’être signée. Actuellement, Certimex certifie une demi-
douzaine de produits biologiques d’organisations de petits producteurs ( 80% de son activité), par des
grandes propriétés (fincas) ou des unités de transformation (procesadoras).

Après la constitution de l’association Comercio Justo Mexico, et une fois l’option de la labellisation
par produit affirmée, Certimex va tout naturellement être choisie comme agence de certification pour le label
mexicain de commerce équitable.

1.3. La définition des objectifs et le lancement du label mexicain

L’année 1999 apparaît comme décisive dans la définition des objectifs et la structuration de ce que ses
fondateurs vont appeler le « système mexicain de commerce équitable ». Dans les six premiers mois de
son existence (novembre 1998-mai 1999), le Comité de Travail met au point un Document de Travail de
Base et définit la mission de l’association Comercio Justo Mexico. Cette mission est formulée ainsi :

«La mission principale de Comercio Justo México est de promouvoir une distribution massive
de produits des petits producteurs mexicains, à travers des relations et des systèmes de
commercialisation qui récompensent le travail et reconnaissent la dignité de ces producteurs, de
leurs communautés et de leurs organisations, dans une relation solidaire avec les
consommateurs.»

Des liens sont pris avec des organisations sociales, qui représentent des réseaux importants de la
société civile mexicaine, actifs dans la défense des droits humains politiques et sociaux : Alianza Cívica,
Centro de Estudios Ecuménicos (Centre d’Etudes Œcuméniques), Red Todos los Derechos para Todos
(« Réseau Tous les Droits pour Tous »), le Réseau d’Action devant le Libre Commerce (RMALC). S’y
ajoutent de petites organisations ou fondations engagées dans l’appui aux petits producteurs et au
développement régional : la Société Coopérative Impulsora de Alternativas Regionales, (IDEAR),
l’association INVERTIR, para el Desarrollo Sustentable (Investir pour le Développement Durable), Servicios
Informativos Procesados, (SIPRO), Fondation VAMOS pour le Développement Durable. Leur rôle est
d’appuyer par leur poids moral la promotion du commerce équitable et la consommation responsable au
Mexique.

Ces organisations de la société civile sont invitées à être parmi les membres fondateurs et les statuts
sont écrits avec eux. Ils apportent également une contribution financière. L’Assemblée Constituante de
l’Association a lieu en mai 1999, et est enregistrée officiellement en septembre. Un conseil directeur et le
directeur exécutif sont nommés pendant l’Assemblée. Ceux-ci préparent la Première Réunion Nationale de
Producteurs de Commerce Equitable mexicains, qui a lieu en août de la même année. Des comités par
produit sont mis en place durant cette réunion. Le Label de Garantie Comercio Justo México est mis au
point pendant cette période, et la marque est officiellement enregistrée.

Les axes de travail de Comercio Justo México sont définis de la façon suivante :

Pierre Johnson 35
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

• Mise en place d’un système de normes et de systèmes de certification régionaux pour le Commerce
Equitable

• Application du Label de Garantie Comercio Justo México sur des produits finis :

o Produits finis d’organisations de petits producteurs

o Produits finis du secteur privé élaborés à partir de la matière première des petits producteurs.

o Produits de l’Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable Agromercados

• Promotion d’une distribution appropriée des produits des petits producteurs mexicains

• Promotion du Commerce Equitable en direction des différents acteurs de la société à travers la diffusion
des concepts et des pratiques du Commerce Equitable et en particulier du Label de Garantie Comercio
Justo México.

• Mise en relation et échange avec des initiatives de Commerce Equitable et des axes de travail
analogues au Mexique et à l’extérieur.

La période suivante (Octobre 1999 – Mai 2001) est consacrée à la mise au point de la structure
stratégique du système mexicain de commerce équitable. L’analyse stratégique se fait en Comités et en
Assemblées de Produits (café, miel et grains de base). Les expériences d’autres instances de commerce
équitable et de certification biologique sont analysées en fonction de leur pertinence pour le système
mexicain. C’est dans cette période qu’est mis au point le système de certification mexicain du commerce
équitable, et ses premières normes.

L’aspect commercial et financier est également abordé durant cette période, avec la recherche de
financements nationaux et internationaux, et le développement d’une entreprise commerciale de troisième
niveau des petits producteurs, Agromercados, « Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable ». Ses
membres en sont une quinzaine d’organisations de petits producteurs.

Des relations sont établies au niveau national avec des ONG, des universités, d’autres organisations de
producteurs, et au niveau international avec des importateurs et boutiques du commerce équitable (ATO19)
et FLO.

Café Fertil, le premier café labellisé Comercio Justo Mexico, produit par l’entreprise de commerce
équitable Agromercados, est lancé en juillet 2001. Une étude de marché jusqu’au consommateur final est
menée. La période suivante est dédiée au lancement du label sur le marché. Simultanément, les relations
de Comercio Justo Mexico avec Certimex et Agromercados sont affinées, et l’association obtient
progressivement la reconnaissance et une collaboration internationale pour la certification.

19
Alternative Trade Organisations, organisations se dédiant à 100% au commerce de produits du commerce équitable,
par opposition aux acteurs commerciaux conventionnels qui distribuent aussi d’autres types de produits.

Pierre Johnson 36
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

1.4. Un système à trois temps

La stratégie choisie par les organisations membres de Comercio Justo México repose clairement
sur la mise en place d’un système de certification et de promotion de produits labellisés de petits
producteurs mexicains pour le marché intérieur. Son fonctionnement repose sur la synergie de trois acteurs
principaux, qui assument des fonctions complémentaires dans ce système. Ce sont :

Comercio Justo México A.C. (association civile) : promotion du commerce équitable au Mexique et
élaboration des normes

Certimex S.C. (société coopérative), agence de certification biologique et de commerce équitable :


inspection et certification d’organisations et de produits

Agromercados S.A. (société anonyme) : entreprise intégrée du commerce équitable unique en son genre
au niveau international : transformation et commercialisation

Les organisations de petits producteurs membres de Comercio Justo México et/ou d’Agromercados
forment la base du système, puisqu’elles participent dans ces deux instances, directement ou à travers des
fédérations de producteurs (café, miel, maïs). Les organisations membres de Comercio Justo México ne
participent pas au processus de certification. L’inspection et la certification sont assumées par Certimex et
restent totalement indépendantes.

Analysons maintenant les principales fonctions de ce « système à trois temps ». Il faut signaler que
l’activité de Comercio Justo México s’est beaucoup plus concentrée, dans un premier temps sur
l’élaboration d’un système de normes de commerce équitable, que sur ses activités de promotion.
L’examen détaillé de ces normes nous permettra de relever ses différences par rapport aux normes en
vigueur dans le système FLO. Nous comparerons également les procédures d’inspection et de certification
avec d’autres systèmes de certification connus, avant d’analyser la partie commerciale et les difficultés que
peuvent poser la faible représentation actuelle des membres d’honneur et des organisations pouvant
appuyer des campagnes de promotion du commerce équitable à différents niveaux.

Membres titulaires de Comercio Justo México


ANEC, Asociación Nacional de Empresas Comercializadoras de Productores del Campo, A.C.
Café de Nuestra Tierra, A.C.
CEPCO, Coordinadora Estatal de Productores de Café de Oaxaca, A.C.
INVERTIR, para el Desarrollo sustentable, A.C.
MAJOMUT, Unión de Ejidos y Comunidades de Cafeticultores del Beneficio Majomut
PAUAL, Pequeños Apicultores Unidos de América Latina, A.C.
SIPRO, Servicios Informativos Procesados, A.C.
UCIRI, Unión de Comunidades Indígenas de la Región del Istmo, de R.I.

Pierre Johnson 37
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Membres d’honneur (organisations de la société civile)


Alianza Cívica, A.C.
AMACUP, Asociación Mexicana de Arte y Cultura Popular, A.C.
CEE, Centro de Estudios Ecuménicos, A.C.
CNOC, Coordinadora Nacional de Organizaciones Cafetaleras, A.C.
IDEAR, Impulsora de Alternativas Regionales, S.C.
Red Todos los Derechos para Todos, A.C.
RMALC, Red Mexicana de Acción frente al Libre Comercio, A.C.
VAMOS, Fundación para el Desarrollo Sustentable, A.C.

Le label mexicain de commerce équitable

Pierre Johnson 38
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2. L’élaboration d’un cadre normatif par Comercio Justo México

Le cadre normatif pour le label mexicain est constitué de 3 normes principales et de règlements par
produit. Actuellement, seul le règlement pour le café et le miel ont été mis au point. Des règlements pour
les grains de base, le nopal, l’artisanat, le chocolat et d’autres produits sont envisagés20. Ce système de
normes de commerce équitable apparaît comme un des plus complets existant dans le mouvement du
commerce équitable. Il est un des seuls à conjuguer : une norme générale, une norme pour les points de
vente, une norme pour le(s) entreprise(s) de commerce équitable, et des règlements par produit (dont seul
le règlement pour le café est achevé). Les trois normes principales et le règlement pour le Café ont été
rédigés d’octobre 1999 à mai 2001, sur la base de propositions tenant compte à la fois de l’expérience des
labels de commerce équitable internationaux, et de celle des organisations de petits producteurs mexicains,
à travers un processus de discussion au sein des organisations membres.

2.1. Les normes du commerce équitable mexicain

Les normes générales

• La Norme Générale de Commerce Equitable reflète les principes et les règles générales du Commerce
Equitable des produits de petits producteurs pour le marché mexicain.

• La Norme pour l’Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable se réfère à la commercialisation


collective entre différents groupes de petits producteurs.

• La Norme pour les Points de Vente Certifiés de Commerce Equitable concerne les distributeurs qui
établissent un contact direct avec le consommateur dans le système de certification du Commerce
Equitable.

Règlements par produit

• Le Règlement pour le Café est le complément à la Norme Générale qui détermine les règles
spécifiques du Commerce Equitable mexicain pour le cas du café.

• Le Règlement pour le Miel est en cours d’approbation (décembre 2003) par les organisations membres
de Comercio Justo México.

20
Il n’est plus question pour le moment de norme pour l’artisanat, pour des raisons que nous développerons plus loin.

Pierre Johnson 39
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2.2. Comparaison avec les cadres normatifs de FLO et de Yamana - STEP


Ce système de normes peut être comparé avec celui de FLO – Fair Trade Labelling Organisations et
avec la démarche du label STEP Suisse pour les points de vente, adaptée et systématisée en France par
l’association Yamana. Comercio Justo México et FLO ont développé des systèmes de certification basés
sur la notion de produit, mais l’initiative mexicaine a aussi élaboré une norme valorisant la capacité des
organisations de petits producteurs dans la transformation et la commercialisation de leurs propres produits
(Norme pour l’Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable). Pour sa part STEP Suisse, Yamana et
d’autres organisations ont adopté une démarche de filière, qui prend en compte non pas l’origine du produit,
mais les relations le long de la chaîne de production – commercialisation. Les principales différences
découlant de la comparaison des normes sont consignées dans le tableau figurant à la fin de cette partie.

Les différences les plus significatives sont celles des normes de Comercio Justo México avec le
système Fair Trade Labelling Organisations, dont il est en partie issu. A la lumière des entretiens que nous
avons réalisés avec les principaux responsables du système mexicain de commerce équitable (Jeroen
Pruijn, Mario Monroy et Taurino Reyes, pour les trois instances principales de ce système), et de la l’Unité
de Certification de FLO, nous pouvons conclure que ces différences reflètent :

1. Une appréciation différente de ce qu’est le commerce équitable

2. Une vision différente de la place, de la responsabilité et des potentialités des organisations de petits
producteurs

Différences dans la définition du commerce équitable

La définition des bénéficiaires du commerce équitable, et par conséquent des responsabilités que
ceux-ci assument apparaît comme plus précise ou restrictive (selon les points de vue) dans le cas de
Comercio Justo México, en comparaison de FLO et de Yamana.

Pour Comercio Justo México, le commerce équitable se définit par des


« relations commerciales entre organisations de petits producteurs et organisations ou entreprises
de commercialisation et/ou de transformation qui permettent aux petits producteurs, aidés par la
reconnaissance de la qualité intégrale de leurs produits par les consommateurs, d’obtenir un
revenu digne et stable, et d’impulser leurs processus autonomes de développement
économiquement, socialement, culturellement et écologiquement durable. »

(Norme générale de commerce équitable §1.6. Le concept de commerce équitable)

Pour FLO, le commerce équitable est une alternative pour les petits producteurs et les salariés.
« Le commerce équitable est une initiative pour les petits producteurs et les travailleurs salariés du Sud,
dont le développement économique et/ou social a été limité par les conditions du commerce. Si un accès
équitable aux marchés sous de meilleures conditions commerciales peuvent les aider à surmonter les freins
au développement, ils peuvent se joindre au commerce équitable. »

(Normes générales du commerce équitable pour les organisations de petits producteurs -


Normes générales du commerce équitable pour la main d’œuvre salariée)

Pierre Johnson 40
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les normes de FLO se centrent sur les conditions commerciales d’accès des producteurs aux marchés
internationaux. Celles de Comercio Justo México mettent l’accent sur le développement des organisations
de petits producteurs. Les initiatives nationales de FLO (Max Havelaar, Transfair et Fairtrademark) ont
commencé par travailler à la fin des années 1980 avec des organisations de petits producteurs de café,
cacao, sucre et autres produits, avant de certifier également des produits provenant de plantations privées
employant de la main d’œuvre, notamment dans la culture du thé et de la banane. C’est de cet
élargissement que provient une double série de normes. En l’absence d’une définition et d’une théorie
uniforme du commerce équitable, il est difficile de dire si cet élargissement a fait évoluer le sens du concept
« commerce équitable » dans un sens souhaitable ou bien au contraire vers une définition moins précise,
englobant ce qui relève en partie de la responsabilité sociale des entreprises.

Pour Yamana, la finalité du commerce équitable est « une économie centrée sur l’être humain dans le
respect de l’environnement ». Cette organisation a systématisé l’expérience de la Fondation STEP,
certifiant des points de vente et des importateurs de tapis en Suisse, et se propose de partir de relations
commerciales existantes pour essayer de les humaniser et les rendre compatibles avec le développement
durable. Elle s’appuie sur la responsabilité du commerçant qui, par un acte réfléchi et conscient, peut
favoriser ce type de relations (des relations commerciales équitables). Il prend donc en compte les deux
bouts de la chaîne économique.

A la différence de FLO et de Yamana, Comercio Justo México et les organisations qui font partie de cette
association ont pris l’option de faire des organisations indépendantes de petits producteurs, le seul type
de producteur légitime pour le commerce équitable. Cette définition part du secteur social des coopératives
de production et éventuellement de commercialisation, principaux porteurs de l’initiative mexicaine. La
définition donnée au commerce équitable fait cependant ressortir la notion de partenariat des producteurs
avec les distributeurs et les consommateurs.

Partenariat et qualité intégrale

Dans une présentation de l’année 2002, Comercio Justo México définit le commerce équitable ainsi :

Un paiement digne pour un produit d’une qualité globale élevée


Une relation solidaire, consciente, impliquant la co-responsabilité entre les personnes; les
consommateurs et les petits producteurs
Des relations économiques et commerciales stables, qui permettent le développement intégral
durable et équitable
Un système économique inclusif et viable, pas la charité
Une alternative aux mécanismes destructeurs du marché conventionnel
Un instrument important de la lutte contre la pauvreté dans le monde

La définition de Comercio Justo México mentionne la notion de qualité intégrale des produits, et évoque
le rôle du consommateur, tandis que celle de FLO semble considérer « l’accès équitable aux marchés »
comme le seul objectif du commerce équitable.

Pierre Johnson 41
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Selon Comercio Justo México, la qualité intégrale peut se définir ainsi :

Qualité intrinsèque du produit (qualité physique)


Présentation
Service au client
Garantie pour la santé du consommateur et du producteur
Conservation de l’environnement
Rémunération équitable du travail
Développement communautaire durable et équitable
Participation démocratique et transparence administrative

C’est sans doute la première fois qu’une norme de commerce équitable précise aussi clairement les
obligations des producteurs, en mettant en avant la notion de qualité intégrale comme contrepartie à une
relation solidaire avec les entreprises de commercialisation / transformation et avec les consommateurs.

Le Règlement pour le Café précise ces obligations dans le cas de ce produit-phare du commerce
équitable. Il stipule que le café vendu sous le label « Comercio Justo México » doit être « de qualité
biologique ou en voie de transition vers la qualité biologique, et être en outre certifié par une instance de
certification biologique reconnue par Comercio Justo México ». (§2.1.). C’est un café cultivé sous couvert
forestier (« sous ombre »), technique ancestrale des petits producteurs indigènes mexicains.

Dans un entretien, Jeroen Pruijn, directeur exécutif de Comercio Justo México, nous a précisé que cette
obligation de qualité biologique ne sera pas nécessairement copiée dans les normes pour d’autres produits.
Cependant, dit-il, « les conditions existent pour que tout le café équitable vendu au Mexique soit du café
biologique. C’est le premier producteur de café biologique au monde, et beaucoup d’organisations de petits
producteurs en produisent. Ainsi, nous pouvons nous approcher de l’idée de « qualité intégrale », ce que
nous souhaitons. Ce n’est pas le cas pour d’autres produits. Par exemple il serait très difficile d’exiger qu’un
maïs équitable au Mexique soit également de qualité biologique. »

Un autre effet positif de ce règlement de produit est qu’il permet aux organisations d’éviter une double
certification et labellisation (biologique et équitable) par la même agence de certification (Certimex). L’idée
des promoteurs de Comercio Justo México est que leur label soit reconnu comme un label de qualité
intégrale, sociale et biologique.

Critères de prix

Le Règlement pour le Café de Comercio Justo México fixe un prix minimum garanti égal au prix
minimum du commerce équitable international à l’exportation, défini par FLO, (125$/100 livres, y compris
une prime de développement (« premio social mínimo » de 5$ /100 livres et une prime de 15$/100 livres
pour la certification biologique.

Le Règlement pour le Miel est en cours d’adoption. Une première version du règlement (borrador) a
été préparée puis proposée par Comercio Justo Mexico, en consultation avec les organisations de

Pierre Johnson 42
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

producteurs, d’abord à distance, puis au cours de réunions. La coordination latino-américaine d’apiculteurs


(PAUAL) joue un rôle important dans ce processus.

Selon Marta Torres et Graciela Arriaga de l’association Miel Maya, le miel est un produit offrant une
alternative pour les paysans sans ou avec peu de terre, pouvant entrer dans une stratégie de diversification
des activités productives. Le marché du miel est clairement diversifié (différents types et qualités de miel).

Pour l’élaboration du règlement sur le miel, Comercio Justo México a pris en compte le règlement FLO,
les normes internationales de qualité pour le miel, et notamment les normes de certification biologique, ainsi que
l’expérience des organisations de petits apiculteurs et d’entreprises mexicaines de commercialisation du miel.
Les critères de qualité de Comercio Justo México pour le miel sont identiques aux critères de FLO,
et correspondent aux normes internationales en vigueur notamment dans l’Union Européenne, pour les
qualités A et B, lesquelles se différencient par leur degré d’humidité. Le règlement mexicain ajoute à ces
deux qualités d’exportation une qualité C, pour un usage industriel sur le marché national, qui n’était pas
envisagé par FLO. Cette qualité correspond à un contenu en eau de 19.6 à 23 %.

Contrairement au café, le règlement de Comercio Justo México n’oblige pas les producteurs de
miel à produire selon les critères de l’agriculture biologique. Cependant, le règlement mexicain est plus
précis que celui de FLO sur les critères de qualité du miel, qui doivent correspondre aux normes de l’Union
Européenne (§ 3.2.), et il encourage les transformateurs à obtenir une certification biologique (§ 3.1.).

Il a semblé nécessaire à Comercio Justo México de préciser l’appellation « miel ». En effet, au


Mexique, « miel » peut désigner du miel d’abeille, mais aussi du sirop d’érable ou de maïs (miel de abeja, de
maple, de maiz). Le règlement pour le miel ne concerne que le miel d’abeille (Apis mellifera), comme il est
précisé dans la définition du §1.4. Nous verrons qu’il existe également une espèce endogène d’Amérique
centrale, l’abeille mélipone (Apis melipona), donnant un miel de qualité supérieure extrêmement valorisé sur
le marché national et international, mais produit en petites quantités. Malheureusement ce miel n’est pas
envisagé par le Règlement sur le Miel de Comercio Justo México.

La question du prix a été débattue avec intérêt. En effet, pour la saison 2002 (celle-ci débute en
octobre) le prix du marché était supérieur au prix défini par le commerce équitable. Bien que le marché
italien de commerce équitable pour le miel reste très attractif pour les organisations mexicaines, cette
situation pose des problèmes aux entreprises de commerce équitable travaillant ce produit. Selon Lorenzo
Nigo García de Comercio Justo México, trente organisations de producteurs consultées étaient favorables à
un prix de commerce équitable supérieur de 15% au prix fixé par FLO.

Le prix minimum défini dans le brouillon final du Règlement sur le Miel pour les qualités A et B est
supérieur de 6 à 7% au prix minimum de FLO. Le traitement de la prime de commerce équitable est
différent : tandis que FLO définit une prime uniforme de $200 par tonne, le règlement mexicain définit une
prime sociale plus modeste de $75 la tonne, à laquelle peut s’ajouter une prime écologique de $300 pour un
miel certifié biologique. Comercio Justo México relie donc le revenu des producteurs à la qualité du produit
plus étroitement que ne le fait FLO. Ce règlement indique en outre que la prime écologique est octroyée

Pierre Johnson 43
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

aux organisations qui auront obtenu un certificat d’agriculture biologique émis par une instance reconnue
par Comercio Justo México.

Comparaison des prix minima aux producteurs


Règlements pour le miel de FLO et Comercio Justo México
Prix minimum Prime sociale Prime Coût de
Normes USD$/tonne USD$/tonne écologique participation des
(minimum) producteurs
USD$/tonne

1650 200 Non défini En cours de


FLO définition
jusqu’à 2003 : 0
Qualité A
Comercio Justo 1750 75 300 0,5% de la valeur

México de la transaction

1500 200 Non défini En cours de


FLO définition
jusqu’à 2003 : 0
Qualité B
Comercio Justo 1600 75 300 0,5% de la valeur

México de la transaction

FLO N’existe pas - - -

Qualité C Comercio Justo 1200 75 150 0,5% de la valeur

México de la transaction

Les Règlements pour le Café et pour le Miel amènent quelques interrogations supplémentaires, que nous
examinerons de façon générale plus loin :
On peu s’interroger sur la définition de prix FOB, comme pour une norme internationale, alors que
le marché visé est prioritairement national. Quel sens ce prix a-t-il sur le marché national ?

Les conditions de crédit et de préfinancement ne sont pas envisagées par le règlement de


Comercio Justo México.

Il est difficile d’interpréter la signification de cette absence, car le préfinancement de la production est une
des conditions du commerce équitable international les plus valorisées par les producteurs. Elle dénote
probablement une volonté de « réalisme » par rapport au marché mexicain, sur lequel il peut être difficile
d’exiger des entreprises cette condition. D’autre part, l’absence de cette condition favorise les organisations
de producteurs qui bénéficient d’une structure de financement propre, comme la CEPCO, Tosepan, et
d’autres coopératives. De nombreuses petites coopératives n’ont pas développé cette capacité.

Nous verrons que les règlements vont vraisemblablement se rapprocher, suite à la demande
d’intégration de Comercio Justo México dans FLO :

Pierre Johnson 44
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Dans la norme mexicaine est prévu le paiement par les organisations de producteurs d’un coût de
« participation » à la promotion du label équivalent à 0.5% des transactions équitables (1.5% pour
les entreprises de commercialisation et de transformation). Ce paiement représente la contribution
des organisations de producteurs aux coûts d’inspection et de certification.

Jusqu'à l’année 2003, les organisations de commerce équitable, et notamment FLO ne faisaient
pas payer aux producteurs les coûts de l’inspection et de la certification, qui étaient entièrement pris en
charge par les preneurs de licence dans les pays importateurs. Dans le système mexicain, une contribution
des producteurs a été introduite pour rendre le système économiquement durable et démontrer
l’engagement des producteurs. Les organisations n’y sont d’ailleurs pas hostiles.

FLO International a elle-même adopté en Assemblée Générale le principe d’une participation des
producteurs aux coûts d’inspection et de certification. Elle met actuellement au point un calcul de la
contribution des producteurs, qui combinera un prix de base fixe de 500 euros avec un pourcentage de leur
vente sous système FLO, calculé sur le prix au kilogramme FOB.

2.3. Règlements de produits en développement ou envisagés


La plus grande partie de l’effort de certification et de promotion de produits équitables fait par Comercio
Justo México a jusqu’à présent concerné le café, parce qu’il s’agit du secteur de production rural reconnu
comme le plus consolidé dans le pays. Depuis qu’elles ont commencé à construire leur autonomie au cours
des années 1980, les organisations de producteurs de café ont fait des progrès dans le contrôle de la
qualité de leur produit et dans leur capacité à s’organiser et à commercialiser. La documentation de
Comercio Justo México indique des règlements en cours de développement pour le miel, les grains de
base, le nopal (cactus comestible), l’artisanat et le chocolat. Deux de ces produits (le miel et le cacao) font
déjà l’objet de normes internationales de commerce équitable. La norme mexicaine pour le miel est en
cours d’adoption.

Des comités de produit s'inspirant du modèle de FLO ont été mis en place lors de la Première Réunion
Nationale de Producteurs de commerce équitable mexicains, en août 1999 : café, miel, cacao, grains de
base et artisanat. Quelques mois plus tard, les Comités et Assemblées de Produits ne regroupent
cependant plus que les produits suivants : café, miel et grains de base. Cette évolution traduit
principalement la difficulté d’inclure de nouveaux produits dans la démarche de certification, tout en mettant
au point sont système d’inspection – certification, et en négociant sa reconnaissance par le commerce
équitable international.

Selon Jeroen Pruijn, le principal autre règlement en cours de développement est celui qui concerne le
maïs. Dans ce secteur, qui revête une importance particulière pour la souveraineté alimentaire, l’initiative
des producteurs a été coordonnée principalement par l’Association Nationale d’Entreprises de
Commercialisation de Producteurs Agricoles (ANEC), membre de Comercio Justo México. A la différence
du café, la démarche pour ce produit répond aux problèmes spécifiques posés par le contexte économique,
par une démarche de filière. Il apparaît en effet quasi impossible de suivre pour ce produit, très déprécié à

Pierre Johnson 45
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

cause de l’ouverture au marché nord-américain, une démarche consistant à la fixation d’un prix minimum
correspondant aux coûts de production de la matière première21.

Lorenzo Nigo García, explique que Comercio Justo México prête également une attention particulière au
nopal, notre figuier de Barbarie. Cette plante de haute résistance climatique est très répandue au Mexique,
où elle est connue pour ses qualités diététiques et médicinales, pouvant servir de matière première à des
produits alimentaires et de soin corporel. Les discussions autour d’un règlement pour le nopal n’ont pas
encore débuté.

L’avancée des discussions pour les autres produits a été assez lente. L’expérience de FLO et de
Comercio Justo México montre qu’il faut en effet de un à deux ans pour élaborer un règlement de produit
pour le commerce équitable. Il est tout aussi important que la définition de ce règlement soit accompagnée
du développement commercial de ce secteur, faute de quoi il devient une coquille vide.

Le cacao et le henequen (fibre d’agave) sont d’autres produits primaires pour lesquels des règlements
ont été envisagés. Le premier est un secteur de production très ancien au Mexique, mais où les petits
producteurs ont du mal à consolider leurs organisations et à contrôler la filière jusqu’à la commercialisation
de la matière première. Pourtant, le marché intérieur du cacao et du chocolat est très développé, sur des
bases conventionnelles. Le henequen et d’autres fibres ont donné lieu à des expériences intéressantes de
développement de filières au bénéfice des petits producteurs22.

Le développement d’une norme pour l’artisanat ne semble plus à l’ordre du jour de Comercio Justo
México. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait :

a) Les caractéristiques des produits artisanaux ne favorisent pas une démarche de


labellisation de type produit. Les prix des produits artisanaux sont en effet très variables, et ont
plus de rapport avec leur appréciation sur le marché qu’avec le travail fourni par les artisans.
Ceux-ci peuvent trouver un revenu décent en équilibrant la valeur de leurs différents modèles sur
le marché. Mais comment dans ce cas fixer un prix équitable uniforme ?

b) La structuration commerciale du secteur artisanal ne favorise pas non plus ce type de


démarche. Dans ce secteur, les points de vente et les organisations d’appui jouent un rôle
déterminant non seulement dans l’amélioration de la qualité par les producteurs, mais très souvent
dans la conception même du produit.

c) AMACUP, l’organisation nationale mexicaine qui était leader dans ce secteur pour
Comercio Justo México a rencontré de grandes difficultés à trouver un équilibre financier au cours
de ces dernières années. Elle ne peut donc plus porter un processus de définition de normes.

Au niveau international, la définition de prix équitables pour l’artisanat se base sur des relations de
partenariat transparentes entre producteurs, importateurs et points de vente, et non pas sur des normes de
produit.

21
Voir partie IV.
22
Voir partie V.

Pierre Johnson 46
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2.4. Norme pour l’entreprise mexicaine de commerce équitable

La Norme pour l’Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable est une création originale de
Comercio Justo México. Elle représente un effort intéressant pour définir les principes et critères auxquels
doit obéir une entreprise de commercialisation de commerce équitable. Elle permet de compléter
l’architecture des normes du commerce équitable en envisageant la question de la commercialisation.

Les critères les plus importants de cette norme sont : la composition de l’actionnariat (§2.1.) : celui-ci
doit être constitué seulement par des organisations de producteurs, dont aucune ne peut posséder plus de
20% des actions ; la prise de décision (§2.2.), qui obéit cependant au principe d’un vote par action (et non
d’un votre par organisation, comme dans le cas d’une fédération coopérative), la participation (§2.3.) ; les
critères d’organisation (§2.5.1 ), les critères écologiques (§2.5.2) et la qualité (§2.5.3.). La norme définit
ensuite les objectifs et la politique de l’entreprise : la promotion de lignes collectives de produits, la prestation
de services commerciaux à ses membres, et les conditions d’inspection et de certification, qui se font sous
Certimex.

Comme son nom l’indique, cette norme n’envisage qu’une entreprise mexicaine de commerce
équitable, identifiée dans la pratique comme étant l’entreprise Agromercados, propriété de 15
organisations de petits producteurs, dont l’organisation interne suit parfaitement la norme.23 Nous avons
demandé à Jeroen Pruijn la raison de ce choix.

« La philosophie a été de s’unir pour avoir plus de force dans la transformation et surtout la
commercialisation. Pourquoi se diviser ? De fait, Agromercados est une entreprise ouverte : d’autres
organisations de producteurs peuvent y adhérer. D’ailleurs, elle ne vend pas que des produits répondant
aux normes de Comercio Justo México, mais aussi d’autres produits non certifiés (miel, confiture, etc.). »

Dans la définition actuelle de l’Entreprise Mexicain de Commerce Equitable, seule Agromercados


peut prétendre à ce titre, non seulement parce que la norme définie par Comercio Justo México a été taillée
ad hoc pour cette entreprise, mais surtout parce qu’elle stipule que celle-ci doit être unique.

Pourtant, Comercio Justo México ne rejette pas la possibilité de modifier la norme pour faire place à
une stratégie plus diversifiée de commerce équitable national. :

«De fait, nous pourrions toujours changer la norme. Mais pour que d’autres entreprises soient certifiées par
Comercio Justo México, il faudra de toute façon qu’elles obéissent aux normes du commerce équitable,
notamment au prix minimum. »

23
Voir ci-dessous la partie « Le développement commercial – Agromercados »

Pierre Johnson 47
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2.5. Norme pour les points de vente qualifiés du commerce équitable


Cette norme définit les critères qui régissent la certification de points de vente distribuant des produits
avec le label Comercio Justo México. Il s’agit, selon Jeroen Pruijn d’une « norme minimale », parce qu’elle
considère qu’un point de vente qui vend un seul produit certifié Comercio Justo México peut prétendre à la
certification comme « point de vente du commerce équitable », pourvu qu’il respecte pour ce produit les
critères de la norme pour les points de vente. L’objectif de cette norme est d’encourager les points de vente
traditionnels à commercialiser des produits labellisés Comercio Justo México.

Les principaux critères de cette norme sont :

Appuyer la promotion et la publicité spécifique des produits certifiés du commerce équitable.

Respecter un délai maximum de paiement des producteurs du commerce équitable (15 j. pour le café).

Respecter une marge maximale selon le produit (25% pour le café).

Octroyer des emplacements préférentiels aux produits certifiés du commerce équitable.

Exclure les producteurs du commerce équitable de l’obligation de remises pendant les campagnes de
promotion ou de solde.

Bien qu’elle ait été conçue comme « norme minimale », pouvant admettre un point de vente à partir
d’un seul produit certifié du commerce équitable, elle a, selon le directeur de Comercio Justo México, dans
la pratique peu de chance d’être acceptée par les points de vente traditionnels, par les supermarchés. En
effet, ces derniers contraignent les producteurs à des délais supérieurs à ceux de la norme (classiquement
90 jours pour le café), pratiquent des marges supérieures ou discrétionnaires, ou bien ont d’autres pratiques
en contradiction avec la norme (comme le fait d’imposer aux producteurs des baisses de prix pendant les
campagnes de soldes).

La norme pour les points de vente qualifiés du commerce équitable n’est cependant pas conçue non
plus comme une norme pour les magasins spécialisés de commerce équitable. Elle ne peut donc pas être
directement comparée aux critères développés pour les points de vente du réseau NEWS (Network of
European World Shops) ou à son membre français, la Fédération Artisans du Monde. A sa conception,
l’objectif était simplement d’encourager des boutiques à vendre des produits du commerce équitable, sans
les obliger à l’exclusivité (d’où la notion de « point de vente »). Dans les faits les supermarchés avec
lesquels Comercio Justo México a négocié se sont montrés peu intéressés par la certification comme points
de vente agréés, même s’ils sont prêts à commercialiser des produits labellisés.

C’est en partant du constat qu’il serait dans la pratique impossible de convaincre les distributeurs
d’accepter une telle norme, que FLO n’a pas jugé opportun de la mettre en place en Europe. La fonction de
cette norme au Mexique reste pour le moment principalement symbolique, n’ayant pas encore trouvé de
terrain d’application. Le réalisme a obligé Comercio Justo México à considérer qu’il vaut mieux que le
produit se vende massivement, même si la marge du distributeur et les conditions de règlement ne
répondent pas aux normes d’équité qui permettraient de les certifier comme points de vente qualifiés du
commerce équitable.

Pierre Johnson 48
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Comparaison des normes publiées par


Comercio Justo México / Fairtrade Labelling Organizations International / Yamana – STEP
Yamana
Comercio Justo México FLO International Principales différences
Label STEP

Pour Comercio Justo México,


le commerce équitable
concerne uniquement les
Generic Fairtrade Standards
organisations de petits
For Small Farmers
producteurs (§1.6 Concept du
Norma General de Organizations
commerce équitable et §2
Comercio Justo For Hired Labour Définition du commerce
Critères généraux).
équitable mais pas de
norme générale
FLO dispose au contraire de
Normes génériques du
deux séries de normes : pour
commerce équitable Seule obligation : respect
les organisations de petits
Pour les organisations des normes du BIT
producteurs et pour les
Norme générale de de Petits Producteurs concernant le travail
employeurs de main d’œuvre
commerce équitable Pour la main d’œuvre
salariée.
salariée
Pour Yamana le commerce
équitable est progressif et vise
le développement durable.

Fairtrade Standards for Pour CJM, le café produit doit


Coffee provenir de petits producteurs
en agriculture biologique,
Normes de commerce travaillant sous couvert forestier
équitable pour le café (§2.1. Critères écologiques
Reglamento para el Café
spécifiques).
Pas de règlement par
(contrairement à d’autres
produit
produits, comme les FLO impose uniquement les
Règlement pour le Café
bananes, fruits et jus de normes légales en vigueur
fruits, balles de sport et le quant à l’usage des pesticides,
thé, il n’existe pour le café ajoutant à la liste de produits
qu’une seule série de prohibés certains pesticides
normes). particulièrement dangereux.

Norma para la Empresa


Mexicana de Comercio
Justo
Pas d’équivalent Pas d’équivalent Pas de comparaison possible
Norme pour l’Entreprise
Mexicaine de Commerce
Equitable
Le label STEP est Pas de norme pour les points
Norma para Puntos de attribué aux de vente
Venta Calificados de commerçants qui Pas de labellisation du point de
Comercio Justo souhaitent exercer un vente
Pas d’équivalent commerce équitable. Contrat d’exportation et
Norme pour les Points de Ces derniers doivent d’importation pour l’exportateur
Vente Certifiés de s’engager à respecter un et l’importateur
Commerce Equitable code de conduite élaboré Licence pour entreprise
par Yamana. apposant le logo FLO

Pierre Johnson 49
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

3. L’inspection - Certimex

3.1. Certimex : de l’agriculture biologique au commerce équitable

Si Comercio Justo México a développé son propre système de normes de Commerce Equitable,
avec la participation de ses différents membres, ces derniers ne participent pas au processus de
certification, condition nécessaire pour garantir l’indépendance du système d’inspection et de certification.

L’option choisie par Comercio Justo México pour l’inspection et la certification est de travailler avec
l’agence de certification indépendante reconnue Certimex, (Certificadora Mexicana de Productos y
Procesos Ecológicos, S.C.) dont le siège est à Oaxaca, capitale de l’état de Oaxaca. Cette agence de
certification agit en accord avec les normes internationales pour la certification indépendante (ISO/IEC 65),
sans être encore accréditée pour cette norme.

logo de Certimex

Nous avons présenté plus haut l’origine de cette agence de certification. Rappelons seulement que
Certimex a initié ses activités d’inspection et de certification en 1997, dans le domaine des produits et des
processus de l’agriculture biologique. Son expérience dans ce domaine a facilité la réalisation d’inspections
partagées au service de différents types de certification et de labels en même temps, aussi bien d’agriculture
biologique que de Commerce Equitable (national et international).

Les organisations de petits producteurs représentent 80% de l’activité de Certimex, et l’inspection et


la certification de café la plus grande partie de celle-ci en terme de produits. Viennent ensuite le miel, le
cacao, le sésame, et quelques autres produits. Les grandes propriétés (fincas) et les unités de
transformation (procesadoras) représentent le reste de son activité. Bien qu’orientée principalement vers le
service aux organisations de petits producteurs, Certimex est dans l’obligation réglementaire de rester
ouverte, pour ses activités liées à l’agriculture biologique, à toute forme d’organisation, qu’elle soit de petits
ou de grands producteurs, organisés ou privés.

Les activités de Certimex dans le domaine du commerce équitable commencent donc en 2000-
2001. Actuellement, Certimex assure l’inspection et la certification du commerce équitable pour Comercio
Justo Mexico. En 2003, elle a assuré l’inspection et la certification de 7 organisations de producteurs d’états
du Sud-Est du pays, où se concentre la population rurale pauvre et indigène (Chiapas, Oaxaca, Guerrero).

Cinq salariés travaillent actuellement au bureau de Certimex, et 22 inspecteurs sont sous contrat sur
le terrain. Six inspecteurs additionnels ont été incorporés en 2003. L’ensemble des inspecteurs est qualifié
pour l’agriculture biologique. Dix d’entre eux sont accrédités par Comercio Justo México pour le commerce
équitable national, dont quatre également par FLO pour le commerce équitable international.

Pierre Johnson 50
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les relations des inspecteurs de Certimex avec FLO se font sur une base purement individuelle.
Ose Nelsen, ancienne responsable de FLO pour le Mexique, précise que l’organisation internationale n’a
aucun contrat avec Certimex, mais uniquement avec quatre de ses inspecteurs, qui sont formés
individuellement par FLO pour l’inspection de 16 organisations de producteurs de café et de miel en 2003.

3.2. Critiques des producteurs au système FLO

Les relations de FLO avec Certimex illustrent une certaine défiance, d’ailleurs réciproque, des
organisations de producteurs mexicains avec le système de labellisation international de produits du
commerce équitable. Nous avons souligné dans l’histoire des organisations de producteurs que le passage
d’initiatives nationales de type Max Havelaar à un organisme international de certification du commerce
équitable avait entraîné des liens plus distants entre les partenaires internationaux. Ces difficultés ont
entraîné une certaine défiance des producteurs pour le système d'inspection et de certification de FLO,
aggravée par les récents cas de décertification d’organisations de producteurs par FLO, situation courante
dans tout système d'inspection-certification.

a) Les producteurs « partie sociale » du commerce équitable ou partenaires économiques ?

De nombreuses organisations de producteurs contestent la définition donnée au commerce équitable


en Europe, qui fait référence à la notion de petits producteurs marginalisés. Ils la perçoivent comme
pouvant contribuer à isoler ces groupes de producteurs sur le marché. À cause de cette définition du
commerce équitable, FLO est parfois perçue comme une organisation paternaliste, qui définit les
organisations de producteurs comme « partenaires sociaux » du commerce équitable et les entreprises
d'exportation, d'importation, et de transformation comme ses « partenaires économiques». La gratuité de
l’inspection et de la certification pour les organisations de producteurs confortait ce vocabulaire, tout en
limitant leur accès au registre de FLO.

Le commerce équitable est pourtant né du refus de relations d’assistance entre pays du Nord et du Sud,
et il serait logique de le considérer comme un mouvement social et économique entre partenaires
commerciaux pouvant atteindre un même niveau de maturité dans leurs relations économiques.

Les organisations de producteurs préfèrent quant à elles parler d’un mouvement de petits producteurs,
et qualifier le commerce équitable de « processus continu de développement des organisations paysannes,
et d’articulation en groupes plus grands». Elles pensent que le commerce équitable est plus qu’une relation
entre organisations non gouvernementales du Nord et « producteurs marginalisés ». « Nous pensons que
FLO est beaucoup plus que cela, c’est un système alternatif. Et FLO peut-être beaucoup plus que ce qu’il
est aujourd’hui, non seulement en termes de marché, mais aussi en termes de concept de relations
commerciales entre consommateurs et producteurs. La discussion est là. »24

« Nous sommes organisés en réseau au niveau latino-américain, grâce à la Coordination Latino-


américaine de producteurs de FLO, laquelle a huit années d’existence. Il y a également un rapprochement
entre organisations d’Amérique Centrale. Le commerce équitable doit être vu comme une alternative au

24
Entrevue avec Victor Perez Grobas, Unión Majomut.

Pierre Johnson 51
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

« libre » commerce. Les gens de FLO le voient au contraire comme un petit commerce à part du grand
commerce. »

b) Une agence de certification fermée ?

De nombreuses organisations de producteurs, qui ne participent pas encore au commerce équitable


international, ne comprennent pas les obstacles qu’elles rencontrent pour entrer dans le registre de FLO, et
perçoivent les explications de l’organisation internationale sur ce point comme circulaires.

Tosepan Titataniske est une coopérative née il y a 26 ans à Cuetzalan (Puebla), qui compte
actuellement 5 800 membres, dont 2 400 producteurs de café minifundistes, intéressés par le commerce
équitable, à cause des prix très bas du café sur le marché international. Cette organisation, exemplaire à
plusieurs titres (démocratie, diversification des activités de ses membres, structure d’épargne-crédit, centre
de formation,…), remplit probablement les critères exigés par le commerce équitable. Elle a demandé une
inspection de commerce équitable à FLO en 2002, mais a eu la sensation de trouver porte close, FLO
refusant pour des raisons économiques d’inspecter cette organisation.

La raison donnée par FLO est que le marché du commerce équitable pour le café est saturé. Elle
demande donc aux producteurs de trouver un acheteur acceptant de payer la licence à FLO avant d’être
inspectés pour pouvoir entrer dans le registre des organisations de producteurs accréditées. Mais les
importateurs recherchent eux-mêmes du café produit par des organisations labellisées par FLO. Les
organisations de producteurs ont donc l’impression que le système FLO les met dans un cercle vicieux.

Le conseiller de l’Union Majomut connaît mieux le commerce équitable international, mais ne croit pas
plus à la justification de FLO, qui limite l’entrée de nouveaux producteurs dans son registre pour, selon elle,
ne pas « créer de fausses expectatives ». Cette difficulté pour de nouveaux groupes de producteurs d’être
inspectés puis certifiés par le commerce équitable international viendrait du fonctionnement de FLO.

Avant que FLO ne fasse participer les producteurs aux coûts de l’inspection, une organisation de
producteurs inspectée et certifiée par FLO qui ne trouvait pas de marché avec un preneur de licence FLO,
représentait une charge financière pour FLO, dont les représentants ajoutent que cela n’a pas de sens de
certifier un groupe qui n’a pas la capacité d’entrer dans le marché. « Mais cette justification est illégitime,
illégale et discriminatoire. Un groupe important de FLO en Europe pense que celle-ci doit être une agence
de certification très particulière, qui n’accepte pas que d’autres utilisent ses normes, que d’autres fassent le
monitering, ce qui va contre l’usage international des normes, défini par l’ISO 65. Ce groupe veut
l’exclusivité sur le fragment de marché sur lequel FLO est positionné. »

« Il faut par exemple encourager les organisations de producteurs à avoir leur service propre de
commercialisation. En attendant, nous pouvons aider celles qui ont des difficultés à commercialiser, en
prenant appui sur notre place dans le registre ». Le registre des organisations de producteurs du commerce
équitable devrait donc être ouvert. Mais qui peut prendre cette décision ?

« Les personnes qui disent que FLO est une agence de certification ont défendu l’idée que seule FLO
peut faire le monitering. Il est absurde de vouloir faire payer le monitering [comme ce sera le cas à partir de

Pierre Johnson 52
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2004], et d’obliger à faire celui-ci avec eux. Nous sommes d’accord pour payer, mais nous voulons que
l’inspection soit bien faite, comme c’est le cas avec Certimex. Ce serait aussi une garantie pour les
consommateurs. »

c) Remise en cause de la qualité des inspections

Comparant la rigueur des inspections effectuées en agriculture biologique avec celles qui sont faites par
les inspecteurs de FLO, plusieurs représentants d’organisations de producteurs reprochent à ces dernières
un certain amateurisme, admis par les responsables de FLO pour la période couvrant l’ « ancien système
FLO », c’est-à-dire jusqu’en janvier 2002.

Selon Ose Nelsen de Flocert, « La certification chez FLO est devenue plus rigoureuse. Dans l’ancien
système, chaque comité de produit jouait son jeu propre. Ce n’était pas vraiment une certification. ».

Cependant, les critiques concernant la qualité des inspections continuent en 2003. Le manque
d’expérience et l’origine étrangère des inspecteurs sont souvent évoqués :

« FLO nous envoyait parfois des moniteurs de l’étranger qui ne connaissaient pas les formes de
propriété de la terre au Mexique, et notamment ce qu’est un ejido, comme ce fut le cas d’un inspecteur
allemand. Sur une visite d’une journée, nous avons ainsi passé une heure en explication de ce qu’est un
ejido. »

Il est vrai que si l’article 27 de la constitution de 1917 se réfère à cette forme de propriété de la terre, le
concept lui-même n’est jamais défini explicitement dans cet article. Il n’en reste pas moins que le système
ejidal est la forme dominante de propriété de la terre de la paysannerie mexicaine. Dans la pratique le
concept d’ejido fut appliqué aux noyaux de population bénéficiant de la redistribution des terres dans le
cadre des dispositions prévues par la loi. L’organisation du travail dans les ejidos peut être collective ou
individuelle.

Selon la même source, « Nous avons eu pendant des années des problèmes avec des inspections mal
faites. Par exemple, ISMAM, une grande organisation parmi les fondatrices du système du commerce
équitable, a eu des problèmes administratifs et financiers très sérieux. Elle a été décertifiée cette année
[2003], alors qu’elle recevait tous les ans une visite du moniteur de FLO. Comment est-il possible que celui-
ci ne se soit pas rendu compte plus tôt des problèmes de cette organisation ? C’est parce que l’inspection /
monitering qui est faite n’est pas sérieuse. »

FLO affirme que toutes ses inspections sont faites par des inspecteurs de la même région du monde
que les organisations de producteurs. La pratique montre que cette affirmation est pour le moins biaisée.
L’inspecteur mis en cause dans le cas ISMAM est un consultant hollandais vivant en Amérique Centrale.

Les critères utilisés par FLO sont parfois perçus comme peu adaptés à la culture et à la société
mexicaine :

« D’autre part, FLO nous demandait des comptes-rendus des assemblées générales. Nous lui disions
que nous pouvions produire de nombreux comptes-rendus d’AG que les producteurs signeraient. Mais cela
ne signifierait rien dans un contexte indigène, où de plus une grande partie des gens n’est pas alphabétisée,

Pierre Johnson 53
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

ni habituée à lire des actes d’assemblées. Cependant, les accords qui sont pris en assemblées sont
respectés et mis en place, parce que les gens se souviennent, et c’est là leur culture. FLO ne pouvait pas
comprendre cela. Une personne qui a travaillé avec une organisation sociale de producteurs le
comprendrait. »

d) Le décertification de ISMAM

Les interprétations données par les organisations de producteurs de la décertification de l’organisation


Indígenas de la Sierra Madre de Motozintla “San Isidro Labrador” S.S.S. (ISMAM) par FLO en mars 2003
illustrent la crise de confiance entre les organisations de producteurs de café et le système international de
labellisation du commerce équitable.

ISMAM est une société coopérative de statut « Société de Solidarité Sociale », composée à 100% de
petits producteurs de café avec un maximum de 10 ha, sans discrimination de race ni de croyance. Née en
1986 avec 250 membres, sur la base de groupes répartis dans différentes régions de l’état, elle voulait
passer de l’agriculture de subsistance (culture du maïs et du haricot dans le système traditionnel de la milpa)
à la commercialisation du café. Elle en compte 1320 membres d’une vingtaine de municipes (18 avant la
réorganisation administrative du présent gouvernement), tous producteurs de café en agriculture biologique.

Participant aux réseaux de commerce équitable depuis la fin des années 1980, c’est une des
organisations de producteurs de café les plus importantes du Chiapas en termes de nombre de producteurs
et de volume de café produit. La surface de production de l’organisation est presque égale à la surface de
production de café des états de Colima et du Tabasco réunis, soit 5 012 hectares.

L’organisation torréfie et met en paquet une partie de sa production directement dans son unité de
transformation. C’est une des rares organisations avec UCIRI à faire produire du café soluble pour le
marché national et international dans l’état de Veracruz. Son café est aussi exporté vers l’Europe
(Allemagne, Autriche, Belgique, France, Hollande, Italie, Suisse), les Etats-Unis et le Japon. Les projets de
diversification agricole de l’organisation concernent : la cannelle, le poivre, la vanille, les agrumes, des
légumes et plantes médicinales, le miel certifié biologique, et l’écotourisme au profit des écosystèmes et des
habitants des régions côtières et caféières.

Deux inspections successives de l’organisation par des inspecteurs accrédités par FLO ont abouti à la
décertification d’ISMAM en mars 2003. La première de ces inspections a eu lieu en décembre 2002, et a
donné lieu à un rapport contenant des informations très graves pour l’organisation. Une seconde inspection,
faite par un autre inspecteur a confirmé ces observations en février 2003. Entre les deux inspections, la
centrale d’achat allemande du commerce équitable GEPA a constaté sur place que le conseiller, et peut-
être aussi une partie de la direction de l’organisation, ne lui permettait pas de parler directement avec les
producteurs, témoignant d’un problème de démocratie dans l’organisation.

Peu après la deuxième inspection, le conseiller Jorge Aguilar est renvoyé par les délégués de
l’organisation. La décertification a lieu en mars 2003, immédiatement après cette inspection.

Pierre Johnson 54
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Il faut remarquer que dans le système FLO, les inspecteurs sont des consultants indépendants qui
reçoivent les termes de référence (standards, et questions concrètes à la lecture du questionnaire rempli par
les producteurs) de l’organisation internationale.

Les décisions relatives à la certification sont prises par le comité de certification, sur la base du rapport
de l’inspecteur. Ce comité se réunit 5 fois par an. Il est composé d’au moins six personnes, dont un
représentant des organisations de producteurs, deux représentants du secteur commercial et des experts. Il
y a 4 possibilités :

1. Certification

2. Non certification

3. Certification avec conditions (se vérifie l’année suivant)

4. Certification avec pré-conditions

La « décertification » correspond à un cas de non certification par une organisation auparavant certifiée
par FLO. D’autres cas de décertification ont eu lieu en 2002 et en 2003 parmi les organisations de
producteurs de miel et de café, mais n’ont pas fait parler d’eux autant que celui d’ISMAM.

Les rapports d’inspection sont confidentiels, mais selon l’Unité de Certification de FLO, les principaux
problèmes identifiés dans le cas ISMAM étaient :

• Le manque de flux d’information vers les producteurs.

• Des conditions de travail sur la plantation (finca) de 300 hectares achetée par l’organisation, qui ne
correspondant pas aux critères du commerce équitable, avec un paiement des journalier(e)s
guatémaltèques inférieur à celui des mexicains, et le travail d’enfants (ce dernier point est controversé).

• Une vie démocratique interne assez faible, avec une réunion des délégués tous les deux ans
seulement, généralement avec 11 délégués seulement.

Les représentants d’ISMAM ont donné des informations plus précises. Le rapport d’inspection aurait conclu:

• à une manipulation de l'organisation par le conseiller Jorge Aguilar

• à l'absence d'actes d'assemblée générale concernant l'usage de la prime de commerce équitable

• à l'existence de fortes dettes bancaires, principalement à cause des intérêts accumulés.

L’interprétation des deux derniers points a été confirmée par Jorge Aguilar lui-même.

Ces dettes viendraient originellement d'achats coûteux pour l'organisation, sur décision du conseiller :

- Une unité de torréfaction avec une capacité trop grande (2,5 tonnes par heure ; seulement 10% de cette
capacité est utilisée). Il existerait seulement une dizaine d’unités de ce type dans le monde.

- Une plantation de 300 hectares dans une zone écologique de la région de Motozintla, devant servir de
plantation-ecole, et à la production de café biologique sous ombre.

Pierre Johnson 55
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Après avoir retiré à l’organisation sa certification de commerce équitable, FLO l’a encouragée à
prendre certaines décisions en vue d’une re-certification. Il fallait notamment améliorer la vie démocratique
de l’organisation, et présenter un plan de remboursement des dettes de l’organisation, qui s’élevaient à 33
millions de pesos (3 millions d’euros) en septembre 2003.

Selon José Manuel Aguilar, responsable de la production et de la certification, le plan de


remboursement de l’organisation prévoit :

• La vente de la plantation, pour rembourser une partie des dettes.

• La renégociation de 90 % de la dette avec Banrural, grâce à la loi d’urgence.

• L’utilisation de la machine à torréfier à une plus grande partie de sa capacité, par la torréfaction du café
d'autre caféiculteurs. Des relations sont en cours avec la finca Huixtla et l’entreprise Café Holanda.

• Une collaboration avec Agromercados est possible, mais ces derniers préfèrent la vente de café vert.

La prévision de récolte pour la période de décembre-février 2004 étant de 65 000 quintaux de café,
l’organisation a besoin de 5 millions de pesos pour pouvoir collecter la production (soit une avance de 500
pesos par quintal aux producteurs comme prix de base).

Sur le plan de la vie interne de l’organisation, FLO impose un nombre de délégués proportionnel au
nombre total de membres. Jusqu’ici, les délégués étaient nommés par région. La réorganisation des
délégués signifiera le doublement de leurs membres, et donc une hausse des coûts de transport et
d'hébergement pour ISMAM, souligne l’organisation.

Seul l’ancien conseiller remet en cause l’ensemble des motifs de la décertification.

« Le processus d’accréditation de FLO est à réviser de fond en comble. Il faudrait clairement séparer
trois domaines : la promotion, le contrôle et l’inspection. Sur 180 groupes, FLO en a audité seulement 80 en
2002. Le système FLO a au moins quinze failles. Il ne respecte pas l’ISO 65, notamment en ce qui
concerne la sélection de l'inspecteur. » Ce point reste à démontrer.

J. Aguilar met en cause l’impartialité de FLO : « L'inspection d’ISMAM fut tendancieuse. » « En ce qui
concerne la plantation (finca), il y a effectivement eu une erreur d'investissement. Mais d'autres erreurs
d’investissement commises par des organisations de producteurs peuvent être mentionnées. Et toutes les
coopératives violent les droits des travailleurs, des employés (cuisiniers, etc.). Cependant il faut remarquer
que ISMAM a donné la sécurité sociale à tous ses salariés. »

Ce point mérite d’être débattu. A ISMAM, comme dans d’autres organisations de producteurs, l'échelle
des salaires est assez large. D’après les renseignements que nous avons pu collecter, le rapport entre les
salaires les moins élevés et les indemnités des membres du bureau ou les salaires les plus élevés est au
moins de 1 à 5.

Salaires ou indemnités par quinzaine :

Membres du bureau : 2700 pesos.

Pierre Johnson 56
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Réceptionniste : 600 pesos.

Cuisinière : 800 pesos.

On peut regretter que la participation au commerce équitable international sous FLO n’ait pas été
l’occasion de faire évoluer cette situation générale dans les organisations de producteurs.

Ce que la direction d’ISMAM, et les observateurs d’autres organisations comprennent mal dans le
comportement de FLO est la brutalité de la décision et la publicité qui lui a été donnée, causant des
dommages économiques sévères à l’organisation.

L’Unité de Certification de FLO reconnaît que des changements dans les relations avec les
organisations de producteurs ont pu avoir lieu depuis l’adoption du nouveau système de FLO en 2002.
« Avec l’ancien système de certification, FLO était plus souple dans ses relations avec les producteurs.
Pourtant ISMAM avait déjà reçu des avertissements depuis l’an 2000, dont un très important en 2002. »

FLO se trouvait peut-être aussi devant un cercle vicieux : le conseiller d’ISMAM monopolisant les
décisions et les relations avec le secteur commercial et les interlocuteurs du commerce équitable, il était
difficile de faire entendre aux producteurs et à leurs délégués la signification de ces avertissements, bien
que les inspecteurs de FLO aient participé à des assemblées générales, lesquelles réunissaient, rappelons-
le, peu de délégués.

La procédure de certification de FLO prévoit la possibilité de faire appel de la conformité de la décision


du Comité de Certification devant le Comité d’Appel, composé de trois membres du Comité d’Administration
de FLO. Selon ISMAM, le Comité d'Appel de FLO a soutenu la décision de l'inspecteur, et déclaré être
seulement responsable de la qualité du travail des inspecteurs. ISMAM perçoit cette situation comme une
impossibilité pour les producteurs de faire réellement appel d'une décision de FLO, rappelle que FLO n'est
pas certifiée ISO 65, et que la participation des producteurs au système est très limitée.

En agriculture biologique, la procédure de certification prévoit six mois d'ajustement pour tout
manquement aux normes de la part des producteurs. En commerce équitable, la situation paraît différente,
puisque, à travers son produit, c’est la vie démocratique de l’organisation qui est certifiée. On comprend
alors que lorsqu’un problème est rencontré, il puisse avoir des conséquences immédiates.

Pourtant, la publicité donnée à la décertification, et ses conséquences pour l’organisation peuvent être
légitimement débattues :

Selon deux sources contradictoires (l’ancien conseiller et un ingénieur travaillant actuellement avec
ISMAM ), FLO aurait annoncé publiquement la décertification d’ISMAM, créant la stupeur parmi l'ensemble
des compagnies du secteur café. L’information selon laquelle un des principaux motifs était le travail
d’enfants et la moindre rémunération de journaliers guatémaltèques sur la plantation de l’organisation s’est
rapidement répandue. De nombreuses entreprises qui avaient un contrat avec ISMAM pour l’achat de sa
prochaine récolte ont préféré rompre ce contrat. 25 000 quintaux de café sont restés dans les champs,
causant une perte réelle estimée à 1 300 000 dollars. L'exportation devait porter sur 40 000 sacs. La moitié

Pierre Johnson 57
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

du café destiné aux exportations a dû être vendu aux intermédiaires à 570 pesos par sac au lieu de 800 sur
le marché équitable.

Selon Veronica Rubio, responsable de Flocert (l’Unité de Certification de FLO) pour plusieurs pays
d’Amérique Latine dont le Mexique, des progrès réels ont été accomplis par ISMAM depuis sa
décertification et le renvoi du conseiller. Ces progrès ont motivé sa re-certification le 9 décembre 2003.
« C’est assez tard pour les re-certifier, parce que les contrats sont faits en octobre et novembre. Mais ils ont
été très lents à faire les changements. » Comme d’autres observateurs des organisations de producteurs
au Mexique, elle souligne la situation particulière de ce pays, dans lequel le « guide spirituel » d’une
organisation (avec généralement le titre de « conseiller ») a beaucoup de pouvoir. Mais les producteurs
sont responsables avec leurs biens personnels des contrats passés par cette personne, qui n’est pas leur
représentant élu. Bien que brutale et peut-être maladroite, les cas de décertification par FLO ont permis à
des organisations comme ISMAM et La Selva de prendre conscience de certaines des défaillances de la vie
démocratique de leurs organisations.

Ronald Nigh, de l’organisation écologiste Dana, signale un cas d'exclusion du mouvement du


commerce équitable sur la base de rumeurs. L’organisation Otilio Montaña, membre de Solidaridad
Campesina Magisterial (SOCAMA) avait débuté au cours des années 1990 comme une organisation
d’observateurs électoraux dans les élections municipales. Suite à un conflit avec le parti officiel, des
membres de SOCAMA sont mis en prison. L'organisation change alors de nature et se fractionne. Dans la
région du Nord du Chiapas où domine la langue chol, elle est soumise à Paz y Justicia, une organisation
luttant avec des méthodes paramilitaires contre le mouvement zapatiste. La base de l’organisation refuse
cette allégeance et forme la « SOCAMA verde ». Dans les Altos et la Sierra de Motozintla, Otilio Montaña,
proche d’ISMAM et clairement démarquée des paramilitaires, met en place des projets productifs. Mais
Otilio Montaña perd sa certification de commerce équitable dans les années 1990 à la suite d’informations
imprécises circulant en Allemagne sur le lien entre l’ensemble de la SOCOMA et les organisations
paramilitaires.

3.3. Les avantages d’une certification nationale

Quelle que soit la gravité du cas ISMAM, il n’est pas à l’origine de la mise au point de la certification
nationale de commerce équitable au Mexique, puisqu’il est largement postérieur à celle-ci, et que cette
organisation de producteurs, de son propre aveu, était assez isolée au sein du mouvement des producteurs
en agriculture biologique et en commerce équitable.

Toutes les organisations mexicaines de producteurs perçoivent cependant l’inspection par une
organisation nationale comme une solution aux problèmes rencontrés par la distance culturelle entre elles et
un système piloté depuis l’Europe. Certains groupes de producteurs affirment qu’ils sont prêts à payer
l’ensemble des coûts d’inspection de FLO, pourvu que cet organisme soit redevable de la qualité de
l’inspection. La situation actuelle ne satisfait pas les attentes de ses groupes. Les inspecteurs de Certimex
sont perçus comme ayant beaucoup plus d’expérience avec les organisations de petits producteurs, dont ils

Pierre Johnson 58
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

sont souvent directement issus. La communication et la compréhension réciproque avec eux seraient
nettement plus faciles, alors qu’un grave problème de communication semble exister avec ceux de FLO.

Un des principaux avantages rendus possibles par le système de certification de Comercio Justo
México, qui délègue à Certimex l’inspection et la certification du commerce équitable au Mexique, est la
possibilité pour Certimex de réaliser conjointement l’inspection biologique et sociale d’une organisation de
producteurs, permettant un gain de temps considérable, et une inspection sociale plus poussée.

Il y a quelques années, une première inspection conjointe pilote biologique et équitable pour le
marché interne avait été réalisée par Jeroen Pruijn (directeur actuel de Comercio Justo México) et Luis
Martinez, en tant qu’inspecteurs de commerce équitable pour Certimex. Cette inspection a donné lieu à de
nombreuses discussions où les producteurs ont pu donner leur avis.

Selon Victor Perez Grobas, les constatations suivantes ont pu être faites:

En général l’inspection pour la certification biologique à Majomut dure de 10 à 12 jours.

L’inspection pour le commerce équitable n’implique pas plus d’une demi-journée de travail additionnel.

« En joignant les deux inspections, il était possible de faire une inspection et un monitering beaucoup
plus exhaustif qu’une inspection de commerce équitable traditionnelle. Dans une inspection en agriculture
biologique, l’inspecteur demande tous les reçus de la récolte des présents, toutes les factures, et tous les
documents, et peut ainsi faire une révision très minutieuse du processus de récolte et de commercialisation
du café. Un moniteur de commerce équitable ne fait généralement pas cela. Donc, quand les deux
inspections se font ensemble, l’inspection est nettement meilleure. »

Ce système a été mis en place par Certimex pour les organisations demandant leur labellisation à
Comercio Justo México. L’agence mexicaine de certification a ainsi réalisé neuf inspections conjointes
d’organisations de petits producteurs en 2002, et 16 en 2003. Certains groupes ont été simultanément
certifiés par FLO, d’autres non.

Le conseiller de Majomut propose que l’organisation de producteurs paie, pour l’inspection de


commerce équitable FLO, une ou deux journées d’inspection supplémentaires (soit 500 à 800 dollars de
plus) à l’inspection biologique, réalisée par Certimex. Cette journée supplémentaire se calculerait sur
l’ensemble du séjour de l’inspecteur dans l’organisation, et comprendrait le temps de rédaction du rapport
de certification de commerce équitable. Les inspecteurs rempliraient ainsi le questionnaire de FLO sur la
base des informations qu’ils auraient recueillies pendant l’inspection biologique.

Selon Comercio Justo México, un système de certification et de labellisation national présente les
avantages suivants :

La qualité de la certification et ses méthodes peuvent s’améliorer beaucoup par rapport aux systèmes
étrangers, et ce à moindre coût.

Les systèmes nationaux sont plus transparents que les systèmes externes.

Pierre Johnson 59
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les systèmes locaux de certification du commerce équitable ont une plus grande capacité d’interaction
et d’intégration avec les autres systèmes de certification biologiques, de biodiversité, de qualité ou
forestiers, par exemple.

4. La certification : du "label mexicain de commerce équitable" à Certimex


Dans sa configuration initiale le « système mexicain de commerce équitable » conçu par les
organisations de Comercio Justo México prévoyait, sous le nom de «label mexicain de commerce
équitable», une instance spécifique pour la certification, regroupant les organisations de la société civile
membres d’honneur de l’association. Les responsabilités pour l’inspection et la certification auraient ainsi
été confiées à deux organismes distincts : l’inspection à Certimex et la certification au « label mexicain de
commerce équitable ». Les délégués d’organisations de la société civile auraient alors pris les décisions
concernant la certification sur la base de rapports remis par les inspecteurs de Certimex.

Au cours des débats dans la période préparatoire au lancement du label, ce fonctionnement a été jugé
trop lourd et complexe, car devant mobiliser en permanence des représentants d’organisations de la société
civile. Les membres titulaires de Comercio Justo México ont préféré confier à Certimex la responsabilité de
la certification du commerce équitable, en plus de celle de l’inspection. Certimex devient ainsi une agence
d’inspection et de certification en agriculture biologique et en commerce équitable.

Le comité de certification de Certimex est actuellement composé de deux personnes : Taurino Reyes
Santiago (directeur de Certimex et ancien technicien de CEPCO) et Hernan Martinez Morales (ancien
technicien de UCIRI), qui n’ont pas de responsabilité dans l’inspection des organisations de producteurs.
Ce comité prend ses décisions sur la base des inspecteurs indépendants sous contrat avec Certimex.

Selon les commanditaires, le coût de l’inspection et de la certification par Certimex incombe à des
instances différentes. Lorsqu’elles sont réalisées pour FLO, les coûts sont pris en charge par les parties
européennes, nord-américaines ou japonaises. Lorsqu’elles sont réalisées pour le marché national pour le
label Comercio Justo México, l’organisation de producteurs doit les prendre en charge. Selon la Norme
Générale du Commerce Equitable, le «coût de participation» à la promotion du label pour les organisations
de producteurs équivaut à 0.5% des transactions effectuées sous le label, et à 1.5% pour les entreprises de
commercialisation et de transformation.

Il est difficile d’apprécier si ce fonctionnement est conforme à la norme ISO 65, régissant les organismes
de certification de produit, pour laquelle Certimex a demandé une accréditation. Plus adaptée à la
certification biologique, cette norme prévoit la séparation des fonctions d’inspection, de certification et
d’appui aux producteurs. Nous pouvons seulement souligner les avantages et les inconvénients du mode
de certification choisi dans le cadre du label mexicain de commerce équitable : souplesse et rapidité
d’exécution, mais absence d’implication des organisations de la société civile, membres de Comercio Justo
México, dans les opérations courantes du label.

Pierre Johnson 60
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

5. Le développement commercial
La définition d’une stratégie de commercialisation nationale des produits des producteurs mexicains
certifiés en commerce équitable, et les règlements de produits correspondants, est un élément nécessaire
au « système mexicain de commerce équitable ». Elle vise le développement d’un marché intérieur de
commerce équitable, qui permette aux petits producteurs de trouver davantage de débouchés de proximité,
et de commercialiser leurs produits transformés. Les normes de Comercio Justo México envisagent deux
formes de commercialisation pour les petits producteurs mexicains : à travers une entreprise commerciale
ordinaire, qui peut également assurer les opérations de transformation et de conditionnement du produit, ou
par une entreprise conforme à la norme pour l’ « Entreprise Mexicaine de Commerce Equitable ».

L’entreprise collective Agromercados, S.A. a été créée par plusieurs organisations de petits
producteurs en suivant cette norme de commercialisation de produits selon les principes du commerce
équitable.

Logo d’Agromercados

Formée officiellement en l’an 2000, comme société anonyme avec un capital initial de 250.000 pesos
(environ 21.000 € au taux actuel), provenant des organisations membres, Agromercados appartient à une
douzaine d’organisations de petits producteurs mexicains de café, miel, cacao, céréales, lait, jus d’orange,
et différents types de produits artisanaux. Selon ses statuts et la Norme pour l’Entreprise Mexicaine de
Commerce Equitable, aucune organisation de producteurs ne peut posséder plus de 20% du total des
actions.

L’objectif poursuivi par les organisations de petits producteurs en créant cette entreprise est
d’incorporer une plus grande valeur ajoutée à leurs produits en les transformant et en les conditionnant, pour
pouvoir les vendre sur le marché national. En effet, lorsque les producteurs, même organisés, vendent leur
produit brut sur le marché national ou international, le bénéfice qu’ils en retirent est minime, alors même qu’il
s’agit souvent de produits d’excellente qualité. Le marché international du commerce équitable leur permet
certes d’écouler certains produits comme le café ou le miel à des prix avantageux, mais les débouchés du
commerce équitable sont encore très faibles en comparaison avec les volumes de production.

Comme le montre le tableau ci-dessous, un des principaux produits des organisations membres de
Agromercados est le café biologique. Parmi les 65.000 producteurs qui participent à Agromercados, près
de 35.000 sont des petits producteurs de café des Etats de Oaxaca, Chiapas, Puebla, San Luis Potosí et
Querétaro. Actuellement, ces organisations produisent 125.000 des 150.000 sacs de café biologique que le
Mexique exporte chaque année (soit 83,3%). Nous avons expliqué cette prédominance du secteur du café,
dans notre introduction sur le contexte du mouvement du commerce équitable au Mexique.

Pierre Johnson 61
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Liste des organisations membres de Agromercados

Organisation Etat Produits


UCIRI Oaxaca Café biologique et de commerce
équitable, confitures
CEPCO Oaxaca Café biologique et de commerce
équitable
Tosepan Titataniske Puebla Café biologique et de commerce
équitable
Majomut Chiapas Café biologique et de commerce
équitable
Servicios Integrales de México DF Grains de base :
Almacenamiento y maïs, haricot, blé…
Comercialización de México
SIACOMEX
Ya Munts'i B'ehña Hidalgo Produits de la fibre d’agave pour
(Femmes Unies) soins corporels (éponges, etc.)
Organización Campesina Independiente Jalisco
de Jalisco "Manuel Ramírez" OCIJ
Unión de Cooperativas Pioneras de Jalisco
Jalisco
Agroproductores Unidos de Jalisco Jalisco Grains de base, jus d’orange
Los Alegres de San Idelfonso Querétaro Céramique
Ejes Medulares

Genèse de Agromercados
Les efforts des organisations de petits producteurs pour constituer leurs entreprises de
commercialisation sont anciens. Il existe de nombreuses entreprises de commercialisation qui sont la
propriété de petits producteurs dans le secteur des cultures vivrières (maïs, blé, haricot), dont certaines des
plus importantes sont membres de l’ANEC.

C’est cependant dans le café que ces entreprises sociales ont obtenu le meilleur succès, parce
qu’elles sont parvenues, au cours de 20 d’expérience, à « consolider l’ensemble du processus », c’est-à-dire
à assurer une intégration efficace de toute la chaîne, depuis la production, jusqu’au contrôle de la qualité, à
la commercialisation du café vert, souvent à l’exportation. CEPCO25 et UCIRI possèdent chacune leur
entreprise de commercialisation, dont l’expérience va du marché national aux marchés d’exportation de
café. Au Chiapas, l’Union Majomut s’est jointe à trois autres organisations, Más Café (8 coopératives), San
Fernando (4 coopératives) et CESMACH (Campesinos Ecológicos de la Sierra Madre de Chiapas) pour
former l’entreprise de commercialisation Compras, qui appuie la commercialisation à l’exportation de 18

25
L’entreprise de commercialisation de la CEPCO, Comercializadora Agropecuaria del Estado de Oaxaca (CAEO) est
une des principales entreprises de cet état rural du Sud-Est mexicain.

Pierre Johnson 62
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

groupes de coopératives, pour une quantité de 34 000 sacs de café en 2002. Son objectif principal est le
marché du commerce équitable et de produits biologiques en Europe.

Les producteurs de maïs, haricot et blé essaient depuis longtemps d’atteindre le marché national,
mais éprouvent des difficultés à cause de la concurrence des importations nord-américaines à des prix de
dumping. Pour d’autres produits, comme le cacao ou le miel, les producteurs d’autres ont éprouvé de
grandes difficultés à mettre en place des structures de commercialisation qui leurs soient propres, à cause
des problèmes de structuration de ces secteurs.

Selon Isaías Martínez, ex président de Agromercados et dirigeant caféiculteur, la formation d’une


entreprise collective des organisations de petits producteurs a commencé il y a vingt ans sur l’initiative de
UCIRI, pour améliorer les conditions de vie des 2.300 producteurs associés de la région de l’Isthme de
Tehuantepec.26

« Le marché mexicain pour le café est petit, et les petits producteurs ont intérêt à s’unir, pour n’avoir
par exemple qu’une seule marque, et entrer ainsi avec plus de force sur le marché. En Europe, les
limitations du marché du commerce équitable sont sans doute dues à la multiplication des marques opérant
sous les labels FLO. Mais les hollandais, par exemple, sont en train de développer une marque unique,
sous le nom de Max Havelaar, qui sera ainsi non seulement un label mais aussi une marque. » fait
remarquer Jeroen Pruijn.

C’est pour cette raison que les organisations de petits producteurs intégrant Agromercados ont lancé
en novembre 2002, à la suite d’une intense préparation, une marque unique de café labellisé Comercio
Justo México sur le marché mexicain, sous le nom Café Fertil.

D’autres produits devraient être commercialisés prochainement par Agromercados. Le tableau


suivant en donne une présentation synthétique, qui fait ressortir le nombre de produits spécifiques au
Mexique pouvant avoir une valeur commerciale importante sur le marché national.

26
Article de Yolanda Ceballos, Reforma « Apoya Cafédirect a miniproductores », 1er décembre 2002.

Pierre Johnson 63
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Origine et qualité des principaux produits devant être commercialisés par Agromercados

Produit Origine Organisations Conditions particulières

Café Fertil Oaxaca CEPCO Café biologique


Chiapas UCIRI
92 M$ le paquet de 1 kg
Puebla Majomut
Tosepan

Miel Chiapas Kay Kab Qualité biologique


San Francisco

Fleur d’hibiscus Oaxaca Kiee Lu’u Qualité biologique

Rompope Tlaxcala Lait à 4 pesos le litre au lieu


de 2 pesos à Nestlé

Mezcal Papalote de Sanzekan, Guerrero Sanzekan Tinemi Qualité biologique


Chilapa

Chocolat Sud-Est du Mexique Kay Kab (Chiapas) et Cacao biologique


Kolco Bosh (Tabasco)

Fruits séchés Oaxaca Pommes, ananas et


mangues

Pita Hidalgo

Produits de la fibre Hidalgo Ya Munts'i B'ehña Vendus à Bodyshop


d’agave

Pierre Johnson 64
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Explications et détails pour certains produits

Miel
Presque tout le miel qui sera commercialisé est biologique. Il proviendra de trois coopératives : une du
Campeche (avec le concours de Paual - Petits Apiculteurs Unis d’Amérique Latine), à l’Ouest de la
péninsule du Yucatan, l’autre de Kay Kab (Chiapas) et San Francisco (Chiapas)

Hibiscus
Il s’agit de la fleur séchée d’un hibiscus (ibiscus sabdarifa), vendue en sachet pour préparer une
décoction, qui se boit traditionnellement froide au Mexique. Similaire au bisap en Afrique de l’Ouest, elle
est connue localement sous le nom Jamaica ou « Fleur de Jamaïque ». L’hibiscus commercialisé par
Agromercados proviendra de deux organisations de producteurs, dont Kiee Lu’u (Oaxaca).

Approché par Agromercados, la chaîne de magasins de luxe Sanburns était disposée à acheter 600
kilogrammes de ce produit à un prix convenable. Mais les deux organisations ensemble étaient loin de
pouvoir fournir cette quantité. Il n’y a donc pas eu d’accord.

Rompope
Boisson mexicaine alcoolisée à base de lait et de jaune d’œuf. Agromercados commercialise un
rompope produit à partir du lait d’une coopérative de Tlaxcala. Celle-ci paie le lait à ses associés 4 pesos
le litre, alors que Nestlé l’achète à 2 pesos.

Mezcal
Boisson fortement alcoolisée à base d’agave, typique du Sud-Est du Mexique. La tequila est un des
types de mezcals. De qualité biologique, le mezcal commercialisé par Agromercados vient d’un groupe
de producteurs de Sanzekan, dans le Guerrero.

Chocolat
Provenant des coopératives Kay Kab (Chiapas) et Kolcobosh (Tabasco), ce chocolat est fait à partir d’un
cacao d’excellente qualité. Ces deux organisations ont leur entreprise de commercialisation. Le mot
« chocolat » provient du vocable nahuatl chocolatl, une boisson autrefois réservée aux dirigeants et à la
noblesse aztèques.

Pita

Cette fibre d’agave de la famille du sisal sert à la décoration des ceintures et autres accessoires des
charros mexicains, une activité très vivace dans l’état de Jalisco.

Produits de la fibre d’agave pour soins corporels

Provenant de l’état de Hidalgo, ces produits de soin corporel à base de fibre naturelle d’ixtle sont exportés
aux USA et en Grande Bretagne, et vendu à l’entreprise Bodyshop.

Pierre Johnson 65
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

III. Avancées et limites

1. Une certification nationale

1.1. Associer l'équitable au biologique

Le fonctionnement actuel de l’inspection et de la certification par Certimex permet d’associer la


certification biologique et de commerce équitable. Nous avons montré plus haut comment des économies
sur le temps d’inspection et des synergies pouvaient être réalisées en ce sens, lorsque l’inspecteur est
accrédité à la fois par une agence de certification biologique et équitable.

Comment fonctionne dans les faits cette synergie ? Selon Jaime Espinosa Merino, inspecteur de
Certimex, l’agence considère actuellement la certification en agriculture biologique comme une première
étape de la certification équitable, du moins pour le café, puisque le règlement de Comercio Justo México
pour le café prévoit que tout le café équitable mexicain doit être certifié biologique, ou en reconversion.

Le processus de certification biologique, rendu accessible à de nombreux groupes de


producteurs par l’inspection et la certification à partir du pays lui-même, peut être perçu comme un
processus pédagogique, encourageant les organisations de producteurs à améliorer non seulement leurs
cultures, mais aussi leur organisation interne.

Ce processus requiert des groupes de producteurs qu’ils aient un système de contrôle interne,
lequel garantit la qualité du groupe et inclut les personnes suivantes :

· Coordinateur et inspecteurs internes

· Promoteurs et techniciens

· Un comité d'évaluation

Chaque producteur est en outre responsable des informations qu’il remet au comité interne, lequel
l’aide à remplir une fiche contenant des informations sur sa parcelle.

Le contrôle externe permet l’évaluation du contrôle interne par un inspecteur nommé par Certimex,
en fonction des exigences de celle-ci. L’inspecteur vérifie notamment que chaque producteur a rempli sa
fiche, et procède à l'inspection de 10 % des producteurs, comparant les informations sur le terrain
(conditions du sol, de la couverture forestière, d’entreposage, etc.) avec celles portées sur la fiche.

Le comité de certification de Certimex examine le rapport de l’inspecteur et émet un avis : il fait part
de ses doutes et demande éventuellement des éclaircissements à l’organisation. Le comité émet alors sa
décision (dictamen), qui est contresignée par l’organisation.

Soulignons que si la loi mexicaine sur la réglementation pour les produits biologiques est encore en
discussion depuis cinq ou six ans au Sénat, les agences de certification opérant dans le pays (OCIA,
Certimex, Bioagricert) travaillent avec les mêmes exigences de qualité que les agences internationales
(Europe, Etats-Unis d’Amérique, Japon).

Pierre Johnson 66
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

La certification de commerce équitable sous les normes Comercio Justo México demande le
respect de critères additionnels :

· Réunions en Assemblée

· Information aux producteurs : connaissance du prix du café par le producteur et du montant de la prime de
commerce équitable

· Conditions du travail familial

· Paiement des journaliers : respect d’un salaire régional minimum, qui peut varier fortement selon les
régions (à Oaxaca 40 à 60 pesos, au Chiapas 20 à 30 pesos)

L’inspecteur assiste à l’Assemblée Générale. Il note quelles informations sont transmises aux
producteurs pendant l’AG. Au cours de l’examen des parcelles effectuées pour la certification biologique, il
examine les critères suivants :

· Travail des enfants

· Travail de femmes enceintes

· Connaissance des producteurs (organisation, prix, marché, commerce équitable)

· Projets sociaux ou de développement réalisés grâce à la prime de commerce équitable

Après avoir analysé ces données, il écrit un rapport pour le comité de certification selon le format
imposé. Celui-ci compare les résultats de l’inspection avec les normes de Comercio Justo México. Les
points les plus importants pour la certification sont les points A, B et C :

A. Constitution légale et structure juridique de l’association (elle doit avoir déposé ses statuts et avoir
une structure collective)

B. Information des producteurs

C. Prix aux producteurs

D. Conditions de travail

Les points qui sont les plus faibles sont généralement :

L’information des producteurs

La connaissance du nombre réel d’associés. Les listes sont souvent anciennes et non mises à jour.

Si les critères de l’inspection pour le commerce équitable sont différents, le processus d’inspection-
certification est semblable au cas de l’agriculture biologique : l’inspecteur remet son rapport au comité de
certification de Certimex, qui émet un dictamen. Le certificat de garantie est cosigné par Certimex et
Comercio Justo México.

Pierre Johnson 67
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies
Schéma de la certification biologique et équitable par Certimex

Système de contrôle interne de l’organisation de producteurs


(agriculture biologique)

Coordinateur

Inspecteurs
Promoteurs Techniciens
internes

Fiche de Fiche de Fiche de Fiche de


producteur producteur producteur producteur

Rapport
d’inspection
interne

Légende
Comité
d'évaluation Inspection bio

Inspection équitable

Contrôle externe par Certimex

CERTIMEX

Comité de Comité de
Nomination d’un
certification certification
inspecteur
biologique équitable

Organisation de Demandes Décision de Décision de


producteurs d’éclaircissement Certimex Certimex
(dictamen) (dictamen)

Evaluation du
Contrôle des Inspection de 10% des Vérification des
système de
fiches producteurs et parcelles critères de CE
contrôle interne

Rapport Rapport
Participation à
d’inspection d’inspection
l’Assemblée
biologique équitable
Générale

Pierre Johnson 68
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Le coût de la certification pour le producteur couvre non seulement l’inspection, mais aussi la
remise du rapport. Jusqu’à 2003, FLO a payé le coût des inspections faites pour le marché international de
commerce équitable. Pour le marché mexicain, les normes de Comercio Justo México prévoient au
contraire que ces coûts sont supportés par les producteurs. Pour les organisations qui sont en voie de
certification biologique, le coût différentiel de l’inspection pour le commerce équitable, dans le cas d’une
certification combinée, équitable et biologique, est minime.

Le marché biologique apparaît attractif pour de nombreux producteurs susceptibles d’être certifiés
en agriculture biologique. Le système mis au point par Comercio Justo México et Certimex apparaît donc
comme efficace pour ce type de produits. Pour certains producteurs, la certification biologique peut
apparaître coûteuse et non rentable (petits groupes de producteurs n’arrivant pas à réunir des volumes
suffisants et produits pour lesquels la certification biologique est peu développée). Or toutes les
organisations de producteurs certifiées en commerce équitable par Certimex ont aussi été suivies pour
l’agriculture biologique par cette agence.

Groupes de producteurs certifiés par Certimex

Produit Agriculture biologique Commerce Equitable


Café 120 6
Miel 12 -
Cacao 15 -
Sésame Au moins 3 -
Hibiscus Au moins 1 -

Les six organisations de producteurs certifiées en commerce équitable par Certimex en 2002 sont :

Organisation Etat
UCIRI Oaxaca
Flor de campanía Oaxaca
Campesinos Ecológicos Chiapas
Nubes de Oro Chiapas
UNISOPRAS Veracruz
Cerro Cintepec Veracruz

Pierre Johnson 69
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

1.2. Développer des normes adaptées au pays

Un autre avantage de la mise au point d’un label de commerce équitable dans un pays producteur
est la possibilité d’élaborer des normes valorisant des produits connaissant une forte demande sur le
marché interne, mais peu valorisés sur le marché international ou par les initiatives de labellisation du
commerce équitable au Nord.

De ce point de vue, le Mexique a des traditions alimentaires et artisanales millénaires, qui


constituent un réservoir potentiel important pour une initiative nationale de labellisation de commerce
équitable. Faisant la transition entre le « couloir biologique meso-américain » et le continent nord-américain
c’est une des principales régions de diffusion d’espèces comestibles dans le monde. Malgré les
changements de mode de consommation induits par un développement urbain et des importations
incontrôlées, les nombreuses variétés de maïs, d’amarante, le figuier de barbarie (nopal), d’innombrables
fruits de zones tempérées, d’altitude et tropicales, des légumes (calebasse, tomate, chayote…),
champignons, et autres espèces font tous l’objet d’une forte demande interne.

La démarche de certification trouve ses limites dans les cas de produits pour lesquels les coûts de
production sont fortement sous-évalués sur le marché, comme c’est le cas pour le maïs et le haricot. Avant
d’examiner plus loin le cas du maïs, soulignons que les prix intérieurs pour ce produit ont chuté d’un facteur
3 à 4, à la suite de l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre-Echange Nord-Américain. Le Mexique produit
seulement 100 mille tonnes de maïs biologique sur un total de 19 millions de tonnes, preuve de la difficulté
pour les producteurs de cette céréale à valoriser le maïs de qualité et à participer à un schéma de
certification de produit.

D’autres produits ont pour leur part un potentiel intéressant, et pourraient faire l’objet d’un travail de
définition pour un prix et des conditions minimales sans les difficultés rencontrées par le maïs ou par le
haricot. Des organisations de producteurs de cacao, de fleur d’hibiscus, de sésame, de fruits, de fibres
diverses cherchent à s’impliquer dans le commerce équitable national et international, en ayant commencé
à développer leur marché. Ils pourraient ainsi contribuer à la définition de normes de produits, en participant
à de nouveaux comités de produits. Leur marché ne passe cependant pas, pour tous, par la grande
distribution.

A la fin de l’année 2003, le travail de définition de normes au sein de Comercio Justo México pour
de nouveaux produits notamment pour le maïs, l’amarante et les confitures, était en progression. De
nouvelles normes devraient être publiées dans les prochains mois.

Pierre Johnson 70
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

1.3. Aspects financiers

Nous n’avons pas enquêté sur l’aspect financier de la mise en place du label du commerce
équitable, préférant nous concentrer sur la compréhension de l’origine et des premiers développements du
label mexicain de commerce équitable. Nous savons seulement que Comercio Justo México a bénéficié
d’appuis de l’Union Européenne, de Solidaridad (Pays-Bas) et probablement d’autres sources, pour des
montants que nous ignorons.

Il faut remarquer que toutes les initiatives nationales de labellisation du commerce équitable ont
bénéficié de fonds publics lors de leur lancement, et qu’aucun bilan n’a été publié confrontant les
investissements aux résultats. À ce stade du développement de l'action du label mexicain, un bilan financier
aurait peu de signification, faute de pouvoir le confronter à celui d’autres labels.

2. La commercialisation

2.1. Le lancement du Café Fertil

Toutes nos informations sur les relations et la stratégie commerciales d’Agromercados reposent sur
une série d’entretiens avec Mario Monroy, actuel directeur d’Agromercados (depuis janvier 2003) au café
Nuestra Tierra, un café distribuant uniquement des produits du commerce équitable. Co-fondateur de
Comercio Justo México, Mario Monroy est également fondateur du magazine et de la cafeteria Rostros y
Voces, qui ont été pendant 7 ans des lieux de rencontres et d’expression de la société civile et
d’alternatives. « C’est la première fois de ma vie que je suis payé par des petits producteurs indigènes »,
souligne-t-il.

Après plusieurs années de préparation, Agromercados a lancé le Café Fertil, son premier produit, sur
le marché mexicain le 29 novembre 2003. La stratégie de commercialisation pour Café Fertil vise un
marché gourmet (café de qualité à prix élevé). En novembre 2002, Café Fertil fut présenté à un groupe
d’entrepreneurs incluant Carlos Slim, propriétaire des cafeterias de luxe Sanburns, « l’homme le plus riche
d’Amérique latine » selon Mario Monroy. Les négociations ont aussi visé les groupes suivants Grupo Carso,
Cifra Wal-Mart, Grupo Gigante, Carrefour, Café Direct, Twin Trady, Body Shop, ADO et Diconsa,
notamment.27 Agromercados leur a proposé de faire des affaires ensemble, proposition inhabituelle venant
d’organisations de petits propriétaires. Carlos Slim vit là une possibilité de contrer l’offensive marketing de
Starbucks, son principal concurrent d’origine américaine.

La marque Café Fertil est issue de ces négociations avec le groupe dirigé par Carlos Slim. Celui-ci
ne voulait pas qu’une marque de « commerce équitable » apparaisse sur les paquets, car cela aurait
désigné les autres produits Sanburns ou Café Café comme des produits non équitables. Une marque
unique a donc été proposée. Il a fallu ensuite convaincre les organisations de petits producteurs de laisser
de côté les marques propres qu’elles avaient développées pour adopter celle-ci.

27
Article de Yolanda Ceballos, El Norte, Lanza Agromercados marca de café, 28 novembre 2002

Pierre Johnson 71
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Lancé officiellement en novembre 2002, grâce à un investissement de plus d’un million et demi de
dollars, Café Fertil est un mélange d’excellente qualité de cafés certifiés biologiques, provenant des
organisations suivantes : CEPCO (Oaxaca), UCIRI (Oaxaca) et Majomut (Chiapas). L’incorporation de café
de la Tosepan Titataniske (Puebla) est envisagée dès qu’il sera certifié biologique.

Café Fertil est actuellement présent dans tous les cafés franchisés Coffee Factory, après une lente
introduction (boutique après boutique) et une série de tests très lents, la franchise voulant tester son
potentiel commercial. Agromercados cherche à toucher Globo, réseau qu’il commence à couvrir.

Café Fertil est sur le point d’être vendu dans les cafés Sanburns, et en exclusivité dans ceux de la
marque Café Café (présente dans les grandes salles multiplexes de cinéma). La difficulté avec Sanburns
est que ce groupe a 25 années de relations avec son fournisseur de café. D'où une inertie des ventes, et le
développement de liens d'amitié à l'intérieur du groupe. Mais Café Fertil serait arrivé à son point d’équilibre
en 2003.

Dans un entretien au journal El Norte28, José Luis Campos Orozco, directeur général de l’entreprise,
émettait l’espoir d’atteindre des ventes supérieures à 2.8 millions de dollars.

"Nous prévoyons de commencer avec un volume entre 500 et 600 tonnes de café biologique par an,
sois environ 35% de notre capacité, pour vendre directement aux supermarchés, restaurants et points de
ventes privés, cafés sous franchise."

Agromercados achète le café vert aux organisations démocratiques de petits producteurs de café.
Elle donne la priorité aux organisations qui sont ses actionnaires, mais laisse la possibilité à d’autres
organisations de participer. La certification biologique n’est pas indispensable, si l’organisation est engagée
dans un processus de reconversion à l’agriculture biologique. Il en est de même pour la certification de
commerce équitable. Agromercados peut délivrer à l’organisation intéressée un «pré-certificat» d’agriculture
biologique. Il revient à l’organisation de producteurs de définir elle-même les délais de changement.

Les producteurs reçoivent directement le prix de commerce équitable pour ce premier café labellisé
Comercio Justo México, et leurs organisations une part proportionnelle du revenu additionnel sur les ventes,
une fois déduits les frais de commercialisation et la participation à la promotion du label.

Le prix reçu pour ce café fut calculé ainsi (pour 100 livres et en dollars) :

Prix minimum de commerce équitable 126


Contribution à la promotion de la -30
marque
Prime de qualité biologique +15
Total 111

28
28 novembre 2002.

Pierre Johnson 72
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Prix de détail du café Fertil

Prix au détail Prix au détail Emballage


(pesos) (dollars déc. 03)

Paquet de 1 kg : 92 pesos 8,5 dollars sachet conditionné sous vide


Paquet de 1 livre (474 g) 49,90 pesos 4,6 dollars sachet conditionné sous vide

Cette démarche reste cependant limitée à un petit nombre d’organisations (3 actuellement). UCOCAM, par
exemple, membre de la coordination des producteurs de café de Oaxaca (CEPCO), n’a pas été choisie parmi les
organisations fournisseuses de Café Fertil, bien qu’elle produise un café d’altitude (1300 mètres) de bonne qualité.
Devant l’urgence de débouchés rémunérateurs, UCOCAM torréfie donc son propre café, et fait les premières
démarches pour constituer son entreprise de commercialisation. Son café Nguixé est vendu 60 pesos le kilo dans
un emballage en papier kraft qui n’est pas sous vide. Engagée dans une démarche de diversification,
l'organisation cherche également à ouvrir des marchés pour d'autres produits : noix de macadamia, miel, artisanat
et poulet fermier.
Table de comparaison des prix du café. 8 mai 2003

Marque Producteur(s) Prix au détail Qualité


1. Café Fertil 4 organisations de producteurs 92 pesos (7,93€) / kg Bio, supérieur, paquet
sous vide
2. Café Nguixé UCOCAM – 550 producteurs 60 pesos (5,17€) / kg Bio en transition,
(Enoxichitlan, Mazateca, altitude, paquet
Oaxaca) – membre de CEPCO ordinaire
3. Café vert au Producteur certifié bio 12 pesos (1,03€) / kg Café vert
producteur

2.2. Les premiers achats publics de commerce équitable


Agromercados voudrait profiter de l’opportunité que représente l’alternance politique dans la capitale
mexicaine pour distribuer du café équitable aux établissements publics au cours de la législature actuelle du
Parti de la Révolution Démocratique, parti d’opposition. En 2003, Mario Monroy est parvenu à un accord de
principe pour la distribution de son café avec le département des droits de l’homme du District Fédéral, en
faisant valoir que si celui-ci était réellement un « gouvernement de changement », il devait s’impliquer dans
des projets ayant un impact social positif. Agromercados distribuera donc du café équitable (de qualité un
peu inférieure à Café Fertil) dans toutes les prisons du District Fédéral. C’est peut-être là le premier pas
pour que Mexico devienne la première ville du commerce équitable d'un pays du Sud, comme le voudrait
Mario Monroy. Ce statut implique que la municipalité s’engage sur l’achat en volume de produits du
commerce équitable.

Pierre Johnson 73
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2.3. Les développements dans un futur proche


Agromercados a établi d’autres contacts commerciaux prometteurs pour le café, sur le marché national, mais
aussi à l’exportation :
Des discussions sont en cours depuis plusieurs mois avec un groupe indigène du Wisconsin (groupe
Ho-Chunk), qui possèdent collectivement un casino et un réseau de boutiques. Un contrat est sur le
point d’être signé entre les deux parties.

Le groupe français Carrefour, qui a déjà signé des contrats avec UCIRI et d'autres organisations de
petits producteurs de café, propose d’acheter du café torréfié par Agromercados au prix de 146$/100
livres (en comparaison, le prix de commerce équitable pour la qualité correspondante de café a été établi
à 141$/100 livres). Agromercados étudie cette proposition.

Agromercados projette d’essayer de participer à la fourniture des cafétérias d’écoles et d’universités


publiques et privées. Il s’agit d’apporter à celles-ci la matière première (café) et le conseil en qualité. Un
premier contact a été établi avec l’Université Ibéroaméricaine de Léon (Guanajuato) qui a acheté une
tonne de café provenant de l’organisation Las Abejas du Chiapas, sans doute plus apprécié pour sa
valeur de solidarité que pour celle intrinsèque du produit. Agromercados cherche au contraire une
stratégie de vente durable.

Mario Monroy souligne les difficultés de commercialisation de la plupart des produits de petits
producteurs, sauf le café. Quel que soit le produit, Agromercados cherche à commercialiser des produits de
qualité, si possible biologiques, et à promouvoir l’idée de marque collective de petits producteurs. Après
l’adoption du règlement pour le miel,la mise au point d’une marque collective des petits agriculteurs (pour le
marché national) et la commercialisation est envisagée.

2.4. Les limites de la commercialisation dans le « système mexicain de commerce équitable »


Le développement d’un marché intérieur du commerce équitable doit-il passer par une distribution de
masse des produits ou par un maillage commercial ? Les labels de commerce équitable visent
principalement la première des solutions.

Selon Comercio Justo México, parmi les conditions de succès d’un label national figurent les
suivantes:

Les perspectives de vente des marques labellisées doivent former une « masse critique » suffisante
pour que l’effort en vaille la peine.

Il doit y avoir une capacité suffisante d’organisation, de production et de commercialisation pour garantir
l’approvisionnement de produits de qualité avec les volumes demandés par le marché.

Il doit y avoir une idée claire pour savoir dans quels types de marchés le label sera utilisé ; les labels ont
une valeur ajoutée et une capacité de différentiation surtout sur les marchés de consommation de
masse.

L’option stratégique prise par Comercio Justo México vise donc en priorité les « marchés de
consommation de masse », soit la grande distribution, qui constituerait le principal débouché pour les petits

Pierre Johnson 74
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

producteurs mexicains. Jeroen Pruijn estime qu’il existe très peu de boutiques de commerce équitable ou
même de « produits du monde » au Mexique, peut-être une douzaine en tout (Mexico, Cuernavaca,
Cholula, Playa del Carmen).

Les limites de la grande distribution

La grande distribution a fait une avancée considérable dans les dernières décennies en Amérique
latine. Au Mexique, 75% des produits alimentaires sont vendus en grande surface, avec une seule
entreprise (Wal Mart) concentrant 40% du marché mexicain de la distribution. Les recensements indiquent
l’existence de mille grandes surfaces au Mexique, et de 120 Mac Donald’s avec un chiffre d’affaire de 400
millions de dollars. Le marché de gros est également contrôlé par une poignée d’opérateurs : les halles de
Mexico (Central de Abastos) gèrent 70% de la commercialisation des fruits et légumes au Mexique, avec
seulement 91 grossistes concentrant l’essentiel de l’activité.

Les organisations de petits producteurs se risquant à des négociations avec ces géants sont peu
nombreuses. L’équipe d’Agromercados a montré que ces négociations étaient possibles et pouvaient
aboutir à des contrats très importants, mais elles requièrent beaucoup de temps, comme le montre
l’exemple du Café Fertil, et des volumes importants.

Indiquons tout de même que 85% des produits de la grande distribution sont contrôlés par des
multinationales, et que les Mac Donald’s du Mexique importent 70% de leurs ingrédients. La grande
distribution n’est donc pas un marché facilement atteignable pour les petits producteurs. Dans des secteurs
comme l’hibiscus29, le cacao30 ou la vanille31, ou sur des marchés segmentés comme celui du mezcal32, les
organisations de producteurs ne sont de plus pas suffisamment regroupées pour pouvoir fournir les volumes
demandés par la grande distribution.

Mario Monroy reconnaît les limites des négociations avec de gros entrepreneurs, et propose deux
pistes de solution :

La valorisation et la reconnaissance des « entreprises responsables », qu’il faut cependant différencier


des initiatives proprement équitables. La Fondation Vamos aide Agromercados à réfléchir à cette
question, dans le cadre de son projet « Entreprises avec Responsabilité Sociale ».

L’ouverture d’un réseau de boutiques de commerce équitable pour promouvoir les autres produits du
commerce équitable mexicain, notamment ceux des organisations membres d’Agromercados. Les
organisations de producteurs participant à Agromercados soulignent la nécessité d’un point de vente
permanent pour le commerce équitable, d’abord à Mexico, puis dans d’autres villes.

Le café « Nuestra Tierra » est géré par Agromercados, mais un nouvel espace pour l’ensemble des
produits envisagés apparaît nécessaire : hibiscus, chocolat, confitures, éponges d’ixtle pour soins corporels,
miel, eau en bouteille de Oaxaca, champignons et fruits séchés, lait et rompope. Agromercados recherche

29
Information de l’organisation Kiee Lu’u, état de Oaxaca.
30
Information de l’organisation Atzi para el Desarrollo, état du Tabasco.
31
Information de la Délégation de Oaxaca de la Commission Nationale pour le Développement des Peuples Indigènes.
32
Information de l’association Grupo de Estudios Ambientales.

Pierre Johnson 75
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

des financeurs éthiques pour la mise en place d’une moyenne surface de commerce équitable à Mexico
et/ou dans d’autres grandes villes, comme Tlaxcala.

Un système de concession de boutiques pourrait aussi être mis en place par Agromercados. Le
projet aurait obtenu l’accord du Fond National pour les Entreprises Sociales (FONAES), disposant d’un
crédit de 300.000 pesos par boutique.

Francisco Aguirre, de l’association Vinculación y Comunicación Social, souligne la nécessité d’un


repérage, encore inexistant, des boutiques indépendantes vendant des produits régionaux ou artisanaux
susceptibles de développer des relations commerciales équitables avec les producteurs nationaux. En effet,
celles-ci existent et se trouvent réparties sur l’ensemble du territoire mexicain. Dès lors, l’urgence est-elle de
créer un nouveau réseau commercial de points de vente de détail du commerce équitable, ou des relations
équitables entre les boutiques existantes et des producteurs artisanaux ou de l’agriculture biologique ? Cette
deuxième option est celle de Vinculación y Comunicación Social, à partir d’une conception du
développement basée davantage sur la proximité territoriale, la diversité des produits et l’éducation du
consommateur.

Les groupes de producteurs, pour leur part, ciblent souvent des niches de marché différentes, en
termes de qualité et de prix. Certains envisagent une autre stratégie de développement du commerce
équitable basée sur la diversification des activités productives et commerciales, et la mise en réseau des
producteurs et des entreprises de commercialisation leur appartenant, ou respectant les critères du
commerce équitable, avec des points de vente offrant des débouchés à différentes échelles (boutiques
locales, moyenne ou grande distribution). Le système de concession de boutiques imaginé par
Agromercados pourrait jouer un rôle complémentaire dans ce type d’initiative en marge de la logique de
certification du commerce équitable. Il reste à examiner comment cette idée se traduira dans les faits.

Une seule entreprise mexicaine de commerce équitable ?

La stratégie commerciale d’Agromercados est clairement suggérée dans les pages qui précédent.

Elle peut être résumée par les points suivants :

1. Développement de lignes de produits (marques) collectives

2. Des produits de haute qualité

3. De préférence des produits certifiés Comercio Justo México

4. Des négociations commerciales prioritaires avec de grandes entreprises de distribution

5. La mise en place de boutiques apparaît comme un élément secondaire de cette stratégie

Dans la réalité actuelle de la petite production agricole au Mexique, les points 1 et 3 tendent à
privilégier un produit : le café, en attendant le développement de règlements de commerce équitable pour
d’autres produits, et une meilleure intégration des organisations des autres secteurs. Si la norme sur le
maïs était publiée prochainement, les organisations membres de ANEC pourraient également mettre au
point une stratégie de grande distribution pour ce secteur.

Pierre Johnson 76
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Certains groupes de petits producteurs participant à Agromercados, ou approchés par l’entreprise


de commercialisation, ne sont pas engagés dans la production de café ou cherchent des opportunités de
diversification de la production (dans un contexte où les prix du café sont extrêmement bas), ils sentent
l’urgence de développer la commercialisation d’autres produits (hibiscus, miel, etc.).

Agromercados cherche certes à développer la commercialisation de miel, d’hibiscus, de rompope, de


mezcal, de chocolat, de fruits séchés, de pita et de produits de la fibre d’agave pour soins corporels.
Parviendra-t-elle à atteindre des marchés substantiels pour ces produits ? Il reste surtout à savoir si une
seule entreprise de commerce équitable peut développer simultanément de nombreux produits. Lorsqu’elle
sera effective, cette commercialisation suffira-t-elle à satisfaire les besoins d’une majorité des groupes de
petits producteurs pouvant prétendre à un commerce équitable ? Plusieurs groupes en doutent, et se
sentent peu en phase avec cette démarche, préférant mettre sur pied leur propre entreprise de
commercialisation, développer des alliances et des relations commerciales à leurs niveaux.

Des marques collectives de petits producteurs existent déjà dans les secteurs suivants : café,
mezcal, champignons et fruits séchés, miel et grains de base. Ces groupes de producteurs cherchent à
remonter la chaîne productive en transformant leur produit pour y intégrer de la valeur ajoutée. Les
marques collectives leur permettent de valoriser cet effort. Pourquoi devraient-elles être toutes intégrées
dans une entreprise de commercialisation unique, comme le suggère la Norme pour l’Entreprise Mexicain
de Commerce Equitable ? Une stratégie différenciée paraît au contraire plus réaliste et souhaitable.

3. La promotion : réalité et interrogations


Pour la majorité des consommateurs mexicains, le commerce équitable est une idée neuve. Jusqu’à
une période récente, seul un petit groupe d’organisations de producteurs et quelques personnes engagées
dans des activités sociales avaient une connaissance de l’existence de ce mouvement, né dans les pays du
Nord. Au-delà de la création du label, la diffusion du concept de commerce équitable au Mexique apparaît
donc comme indispensable pour que la majorité de ses citoyens puisse en comprendre la signification,
avant même d’en faire éventuellement un choix au moment de leur consommation.

La promotion du commerce équitable et de ses produits est une des fonctions déclarées de
l’association Comercio Justo México. C’est la seule organisation du système mexicain de commerce
équitable pouvant réaliser une promotion générale, puisque l’agence de certification Certimex n’en a pas le
droit, et Agromercados commercialise un nombre limité de produits. Quelles sont les activités et la stratégie
de promotion de cette organisation ?

A travers une série d’entretiens réalisés en 2002 et en 2003, nous avons pu constater que cette
activité avait été la dernière à débuter. En mai 2003, Comercio Justo México affirmait qu’elle n’avait pas
réellement commencé, car l’organisation veut la lancer seulement lorsque le produit aura une présence
réelle sur le marché (en magasins). Jusqu’en 2003, Comercio Justo México s’est plutôt concentré sur
l’élaboration de normes et sur l’appui aux négociations commerciales d’Agromercados.

Pierre Johnson 77
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Selon Victor Perez Grobas et Jeroen Pruijn, la diffusion du commerce équitable ne peut se faire
indépendamment de l’existence de produits du commerce équitable. Ce point de vue est partagé par la
plupart des organisations de producteurs et par l’équipe de Comercio Justo México. « Sinon, c’est
seulement de la propagande. »

Avec le lancement du Café Fertil fin 2002, Comercio Justo México a mis au point des actions de
promotion de ce produit et du label mexicain de commerce équitable. « La publicité pour Café Fertil inclut le
concept du commerce équitable. » Ce sont des animations sur les points de vente, et la participation active
aux foires de produits biologiques ou de commerce équitable, comme celle organisée pour la première fois
pendant une réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce, à Cancun, en septembre 200333.

Jeroen Pruijn veut s’inspirer des expériences de « réseaux de promoteurs » existant dans d’autres
pays. Au Mexique, un tel réseau pourrait agir directement sur les points de vente, pour informer sur les
produits du commerce équitable et inciter les consommateurs à franchir le pas de l’achat. Ces promoteurs
seront probablement principalement des étudiants d’universités privées, dont certaines se sont intéressées
au commerce équitable, ou des organisations de la société civile collaborant avec Comercio Justo México.

Nous avons pu constater l’engagement de ces universités lors d’un bref passage à Puebla, où des
professeurs et étudiants de l’Université Iberoaméricaine gèrent une boutique de commerce équitable dans
le cadre du Projet Educatif Unitianguis. Partant d’une méthodologie semblable à celle des boutiques de
commerce équitable en Europe, ce projet associe la vente de produits de petits producteurs à l’éducation du
public aux réalités du commerce, et à sa sensibilisation à la notion de commerce équitable.

On peut reprocher à la stratégie de promotion choisie par Comercio Justo México un certain manque
de réalisme. En effet, si le marché de l’agriculture biologique se développe parmi les classes moyennes
mexicaines, la notion de commerce équitable y est presque inconnue. Le label Comercio Justo México sur
le Café Fertil ne fait pas apparaître la qualité de biologique de ce café, et l’on peut douter que dans ces
conditions les consommateurs identifient le label national de garantie du commerce équitable à un label de
« qualité totale », sans une campagne d’ensemble sur ce thème.

D’autre part, Comercio Justo México ne semble pas avoir encore saisi l’opportunité représentée par
la participation de vastes réseaux de la société civile à la mise en place du label. Membres d’honneur de
l’association, ces organisations devaient avoir une responsabilité dans la certification du commerce
équitable, après inspection par Certimex. L’association a opté pour un fonctionnement plus léger du
système de certification, laissant ces organisations sans rôle précis à jouer dans le système mexicain de
commerce équitable. Mais c’est alors l’équipe de Comercio Justo México qui assume de trop nombreuses
fonctions, auxquelles il lui est difficile de faire face simultanément. Elle assure actuellement seule la
promotion du commerce équitable au Mexique, en plus de ses activités dans la définition de normes.

Plusieurs de ces réseaux de la société civile pourraient jouer un rôle déterminant pour encourager la
consommation citoyenne et diffuser la notion du commerce équitable au Mexique. Alianza Civica, le Centre

33
Pour plus d’informations visiter le site http://www.fairtradeexpo.org ou contacter les organisateurs Institute of
Agriculture and Trade Policy ou Comercio Justo México.

Pierre Johnson 78
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

d’Etudes Œcuméniques, le Réseau Mexicain d’Action contre le Libre Commerce, le « Réseau Tous les
Droits pour Tous », ont développé dans les dernières décennies des réseaux d’une ampleur nationale, actifs
sur la question des droits économiques, sociaux et humains (pour la plupart), ou des droits politiques
(Alianza Civica).

Nous avons interrogé à ce sujet Alfonso Vietmeyer, coordinateur de la pastorale et de l’économie


solidaire du Centro de Estudios Ecuménicos, une des plus anciennes des organisations membres de
Comercio Justo México, liée à l’Eglise, mais également à l’origine de Alianza Civica. Le CEE travaille sur
les questions de développement intégral, de citoyenneté, d’économie solidaire et de processus
ecclésiastique. Les liens entre le commerce équitable et le CEE apparaissent plus évidents lorsque l’on sait
que Franz Vanderhoff, conseiller d’UCIRI et co-fondateur de Max Havelaar, a été directeur du CEE.

Vietmeyer souligne que la conscience du consommateur au Mexique ne suit pas la conscience


politique, qui s’est largement développée au cours des dernières décennies :

« il est par exemple absurde d’observer que les milieux les plus progressistes consomment du
Nescafé au lieu de café de petits producteurs. » Il affirme la nécessité de construire une
« consommation solidaire », en complément des ventes à Sanburns et rappelle qu’il existe de nombreuses
occasions pour les organisations de la société civile de participer aux politiques régionales et aux plans de
développement locaux, malgré une conjoncture politique plutôt difficile pour ces organisations.

Prenant acte du rôle essentiellement honorifique des organisations de la société civile au sein du
système mexicain de commerce équitable, il suggère la création d’un Conseil Consultatif de la Société Civile
organisant des campagnes de consommation responsable. Ce serait un support au développement d’un
marché équitable au Mexique, et il attendait en mai 2003 l’opportunité d’en discuter au sein de Comercio
Justo México.

Le Centre d'Etudes Œcuméniques est à l’initiative d’une proposition pour la Campagne de la


Solidarité de l’Eglise catholique mexicaine. Acceptée par les représentants de 64 diocèses, celle-ci suggère
de prendre pour thème en 2004 « l’économie solidaire, le commerce équitable et la consommation
responsable ». Cette campagne a l'appui de la commission épiscopale mexicaine et elle durera deux mois
pendant l’été 2004.

Agromercados est ouvert à une collaboration avec les réseaux de la société civile pour des
campagnes de sensibilisation. Son directeur voudrait que l’année 2004 soit aussi l’occasion d’une
campagne de promotion des produits agro-industrialisés du commerce équitable, auquel le CEE pourrait
s’associer. Si d’autres organisations de la société civile s’impliquaient sur les mêmes thèmes, une
campagne nationale pourrait avoir un impact important, grâce au maillage de ces réseaux dans la société
civile mexicaine.

Pierre Johnson 79
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

4. L’intégration de Comercio Justo México à la labellisation internationale du commerce équitable


4.1. Les relations Comercio Justo México - FLO
Le processus de constitution de l’initiative mexicaine de commerce équitable a permis aux
organisations de producteurs et de la société civile de partager leurs expériences et d’examiner en
profondeur le fonctionnement de la labellisation dans le système FLO (Fairtrade Labelling Organisations
International). La priorité était à la constitution d’une initiative adaptée aux conditions et aux expériences
prévalentes au Mexique.

Après consolidation de cette initiative et de nombreuses discussions internes, Comercio Justo


México a décidé de demander son intégration à FLO. Cette demande a été acceptée fin 2003, au titre de
membre associé. C’est la première fois qu’une initiative d’un pays producteur, donc du Sud, est intégrée à
FLO, et selon le directeur de FLO un certain nombre d’ajustements doivent être opérés de part et d’autre
avant que cette initiative ne devienne membre à part entière de l’organisation internationale.

Jeroen Pruijn pense que l’adhésion à FLO apportera les éléments suivants :

• Une reconnaissance internationale du système de certification de Comercio Justo México

• L’uniformité ou au moins la compatibilité des critères de commerce équitable au niveau mondial,


permettant une plus grande clarté et crédibilité pour le consommateur

• Eviter les doublons dans les processus de certification régionaux et internationaux

• Une plus grande participation des populations du Sud et des petits producteurs au système FLO et à
ses différents niveaux de prise de décision

« On évite ainsi la difficulté pratique d’avoir un mouvement et un système fractionnés. L’association à


FLO ne signifie pas que nous perdons notre indépendance et nos activités propres, comme cela est le cas
pour d’autres initiatives nationales. »

Elle entraîne certaines obligations pour l’initiative mexicaine. Comercio Justo México se sent engagé à
avoir une participation active dans FLO, y compris en termes financiers, selon les possibilités et les services
apportés par FLO, et à améliorer son propre système.

Les relations entre Comercio Justo México et FLO ont semble-t-il été marquées dans le passé par un
manque de confiance, dont témoignent les entretiens avec les organisations de producteurs. Les membres
de l’équipe de FLO, interrogés à son siège à Bonn, affirment pour leur part la nécessité pour l’organisation
mexicaine de s’adapter aux règles de fonctionnement et aux normes développées par FLO.

Selon Luuk Zonneveld, directeur de FLO, Comercio Justo México doit encore séparer clairement la
certification (Certimex) de l’initiative nationale (Comercio Justo México) et des producteurs, ce qui n’est pas
encore le cas. Il ajoute que « le Mexique est un pays très « politisé », ce que ne peut pas être une initiative
nationale ». Pour Ose Nelsen, ancienne responsable de FLO pour le Mexique, le fait que le conseiller de

Pierre Johnson 80
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Majomut soit aussi président du bureau de Certimex montre que cette dernière n’a aucune autonomie. « Le
contrôle et l’objectivité dans la certification, c’est FLO. »

Nous avons certes déjà observé le poids des organisations de producteurs en général, et des
organisations leaders du secteur caféier en particulier, dans la mise en place du label mexicain. Mais la
défiance des deux parties paraît exagérée.

4.2. Questions soulevées par l'intégration à FLO


L’intégration de Comercio Justo México à FLO oblige les deux organisations à aboutir à une
convergence de leurs normes. Dans ce but, FLO et Comercio Justo México ont mis en place un Comité
Commun sur les Normes (Joint Standard Committee), qui visera à l’intégration des normes de Comercio
Justo México et de FLO. Bénéficiant d’un poids international plus grand, il semble que FLO soit décidée à
imposer ses propres normes.

Pour Luuk Zonneveld : « Comercio Justo México va devoir changer certaines de ses normes si elle veut
intégrer FLO. Par exemple, pour certains produits (comme les fruits par exemple), FLO certifie des
plantations. Nous savons que Comercio Justo México et les organisations latino-américaines de
producteurs aimeraient que les labels de commerce équitable s’appliquent seulement aux coopératives de
petits producteurs. Il faudra cependant accepter la certification des plantations pour les produits où cela est
prévu dans la norme FLO. » Ose Nelsen pense cependant que FLO va évoluer vers plus de rigueur et de
précision dans la définition et l’inspection des critères de progrès pour les plantations.

« Comercio Justo México ne pourra plus exiger que tout le café équitable soit aussi biologique. 40% du
commerce équitable est biologique. Nous ne pouvons pas exclure du système les 60% de producteurs qui
ne sont pas biologiques. »

« Mais, comme toute autre initiative nationale, Comercio Justo México pourra développer des critères
pour des produits, qui n’intéressent pas forcément d’autres initiatives nationales ». Ce pourrait donc être le
cas pour le maïs, le figuier de barbarie (nopal), l’amarante, etc.

Le point de vue de Comercio Justo México est plus nuancé : “Nous cherchons l’harmonisation des
normes, ce qui signifie que nos règlements (de produits) devront être compatibles avec ceux de FLO, mais
pas nécessairement identiques en tous les points. Ce seront des règlements mexicains des normes de
FLO. Cette dernière a manifesté le désir de respecter nos normes, tant qu’il n’y a pas de contradictions
avec celles de FLO. »

Selon FLO, l’intégration des normes devrait se faire au cours de l’année 2004, après quoi, pendant une
période de transition de deux ans (2005-2006), Comercio Justo Mexico pourra utiliser les deux logos (le sien
propre et celui de FLO), puis uniquement celui de FLO.

Les conséquences de cette intégration sur les méthodes d’inspection sont moins faciles à prévoir. La
mise en œuvre d’une synergie entre certification biologique et équitable par Certimex, sans être obligatoire,
paraît intéressante et attractive aux producteurs. Au cours de nos entretiens, les organisations de
producteurs et les membres de Comercio Justo México ont de plus souligné la différence entre une

Pierre Johnson 81
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

inspection nationale de commerce équitable et une inspection réalisée par des inspecteurs envoyés par un
organisme international, même basés dans des pays de la région.

L’articulation des fonctions et l’harmonisation des critères peuvent être souhaitables, mais il paraît peu
probable, et certainement dommageable, que les spécificités de l’initiative mexicaine de commerce
équitable soit dans l’avenir dissoutes dans un fonctionnement uniforme.

4.3. Les limites de la certification de produit en commerce équitable


Comme le souligne Verónica Rubio de FLO, la compréhension générale du système de certification est
beaucoup plus élevée en agriculture biologique que dans le cas de la certification sociale, dont le commerce
équitable est un cas particulier. Cette dernière reste en grande partie à inventer.

En agriculture biologique, le processus d’inspection / certification est particulièrement rigoureux et suit


les normes internationales élaborées par IFOAM. Il implique une séparation des fonctions. Selon Homero
Blas, le bureau d’OCIA au Mexique respecte cette séparation :

Les inspecteurs sont indépendants (comme l’exige la norme ISO 65).

Le comité de certification est formé de cinq personnes, choisies pour leur expérience (agronomes,
producteurs, universitaires, consommateurs…).

OCIA coordonne le comité de certification et est responsable de la décision finale, après avoir révisé tout
le processus. Les organismes de labellisation du commerce équitable pourraient s’inspirer de ce système,
et notamment introduire plusieurs parties prenantes dans leurs comités de certification.

La plupart des agences de certification en agriculture biologique obéissent à la norme ISO 65, qui est le
standard international pour la certification de qualité de produit. Or cette norme perçoit comme un conflit
d’intérêt pour une organisation le fait de remplir à la fois des fonctions de certification et d’appui aux
producteurs bénéficiaires de cette certification. Au regard de la norme ISO 65, la certification de commerce
équitable développée par les initiatives nationales de FLO a donc l’ambiguïté suivante : être un cadre pour
l’inspection et la certification du commerce équitable et une structure d’appui aux producteurs.

Dans le but de se conformer à cette norme, FLO a opéré une profonde restructuration interne en février
2003, et séparé sur le papier son unité de certification du reste de ses activités. Cette unité est une société
privée dont le seul actionnaire est FLO. Cette dernière peut donc affirmer simultanément au système ISO
que son unité de certification est une entité séparée et aux producteurs que l’ensemble de ces activités
définissent FLO. Cet amalgame des différentes fonctions permet à FLO d’affirmer qu’il est non seulement le
seul label de commerce équitable, mais également la seule agence de certification pour ce label. S’il peut
apparaître utile au mouvement du commerce équitable de gérer un label et un ensemble de normes unique,
aucune raison ne justifie le monopole d’une organisation sur l’inspection et la certification.

L’accréditation ISO 65 n’a d’ailleurs pas encore été concédée à FLO, ni d’ailleurs à aucune autre
instance de certification du commerce équitable. Le directeur d’OCIA Mexique fait remarquer que les
agences de certification cherchent à diversifier leurs services, parce que leurs marques n’ont plus la même
valeur depuis la promulgation de normes officielles pour l’agriculture biologique en Europe et aux Etats-Unis.

Pierre Johnson 82
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

C’est par exemple le cas en France pour Ecocert, qui a accepté d’assurer l’inspection et la certification pour
la norme Bioéquitable, lancée sans consultation par un groupe d’entrepreneurs. L’ouverture des
organismes de labellisation de commerce équitable à d’autres structures de certification permettrait d’éviter
la multiplication des labels privés.

Mis à part ces aspects formels, les limites actuelles de toute initiative de labellisation du commerce
équitable surgissent clairement de l’analyse des conditions de commercialisation et de promotion des
produits des producteurs dans le cadre de ces labels, développée dans les parties précédentes.

Selon Comercio Justo México, un label est seulement un moyen pour atteindre une finalité. « Les
labels de commerce équitable ne résolvent pas par eux-mêmes les problèmes pour lesquels ils ont été
créés, en particulier les problèmes de qualité et d’intégration sectorielle. Ils doivent être des parties d’une
stratégie plus large d’impulsion du commerce équitable. Idéalement, un label de commerce équitable doit
être lié à des systèmes de commercialisation alternative, de certification, d’aide à l’entreprise, et à des outils
financiers, aussi bien qu’à des systèmes de gestion publique et à la société civile en générale. De plus il
doit pouvoir s’adapter à la réalité, sinon il risque de perdre rapidement du terrain et son utilité. »

Nous nous proposons donc d’examiner maintenant certains aspects auxquels les organisations de
commerce équitable ont prêté peu d’attention, mais qui sont étroitement liées à la réalisation de l’objectif du
commerce équitable, le développement durable, pour tenter une première évaluation de la pertinence de
l’approche choisie en fonction de cet objectif. Il s’agit d’abord de l’impact du commerce équitable
international sur le développement local. Ce mouvement a favorisé une démarche de produit qui a laissé
dans l’ombre les opportunités de diversification de la production, c’est pourquoi nous examinerons les
expériences et les opportunités des organisations de producteurs dans ce domaine, avant d’envisager la
question de la souveraineté alimentaire, rendue critique par le contexte de l’ouverture commerciale
accélérée des dernières décennies.

Nous examinerons ensuite les autres approches existantes de la commercialisation des produits des
petits producteurs mexicains. Basées sur l’expérience d’organisations de producteurs, d’organismes
d’appui, et d’entrepreneurs, ces expériences devraient permettre de compléter le panorama des stratégies
de commerce équitable au Mexique. L’expérience du label mexicain étant en plein développement, nos
analyses sur la pertinence de ce label dans le contexte de la production et de la commercialisation au
Mexique auront une portée nécessairement provisoire.

Pierre Johnson 83
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

IV. Les autres aspects du commerce équitable au Mexique

1. Développement local durable intégré

1.1. L’impact du commerce équitable international

Les organisations de commerce équitable prêtent chacune une attention différente à la relation entre
commerce équitable et développement durable.

La norme générale de FLO est très succincte sur cette question. Elle précise simplement les critères
minimaux suivants pour les organisations de producteurs :

1. Les bénéfices du commerce équitable atteignent les petits propriétaires et/ou salariés.

2. Les organisations des petits propriétaires et/ou de salariés ont un potentiel de développement.

3. Les instruments du commerce équitable peuvent être mis en place et conduire à un développement qui
ne peut pas être accompli autrement.

Dans cette définition des critères minimaux pour les producteurs la notion de développement est
ambiguë : s’agit-il de développement commercial, organisationnel ou local ? Ces différents objectifs sont
mêlés, illustrant la concentration des efforts et de l’attention sur l’aspect commercial, au détriment de l’impact
local. Dans la pratique cette ambiguïté laisse l’évaluation à l’appréciation subjective des parties.

La norme générale de Comercio Justo México inclut quant à elle un paragraphe entier (§3.2.) sur les
« critères de développement durable intégral » pour les organisations de producteurs, ceci en 10 points
incluant : des méthodes de production écologiques, le développement des capacités de l’organisation, la
formation de nouveaux cadres et techniciens dans l’organisation, la participation des femmes, le
développement des infrastructures, et la promotion permanente et active de l’amélioration du niveau de vie
des petits producteurs, de leurs familles et villages. Ces différents aspects s’appuient sur l’expérience des
organisations de producteurs elles-mêmes.

Le Fair Trade Resarch Group de l’Université du Colorado est un des rares groupes de recherche qui
s’est intéressé à l’impact du commerce équitable sur le développement local. Ce groupe a commandé une
série d’études intitulée « Lutte contre la pauvreté à travers la participation aux réseaux de commerce
équitable de café », études réalisées en 2002 dans plusieurs pays d’Amérique latine. Les organisations
mexicaines prises en compte étaient : Majomut, UCIRI, La Selva, CEPCO et la coopérative Tzotzilotic
Tzobolotic du Chiapas. Plus de la moitié d’entre elles (UCIRI, CEPCO et Majomut) a été étudiée par leurs
conseillers. Malgré le titre de cette série d’études, la majorité des auteurs s’intéresse davantage aux
conditions d’accès au marché, aux relations des organisations avec le mouvement du commerce équitable
qu’à l’impact de ce type de commerce sur les familles de producteurs proprement dites.

La synthèse de ces études relève cependant des éléments intéressants de ce point de vue. De
nombreux témoignages confirment l’impact du commerce équitable sur la consolidation des organisations
de producteurs : apprentissage et accès au marché, accès au crédit, amélioration de la qualité des produits
et de la crédibilité de l’organisation, accès à des projets de développement, mise en place de nouveaux

Pierre Johnson 84
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

réseaux et contacts nationaux et internationaux, plus grande participation des femmes. L’impact sur la vie
des familles a été moins étudié, mais on peut observer une meilleure estime des producteurs d’origine
modeste et souvent indigène, ainsi que le développement et l’accès à de nouveaux services, dans une
proportion variant selon les organisations : transport, centres de formation, centres de santé. La
participation des femmes, favorisée par une organisation démocratique et parfois l’envoi de déléguées
issues de leurs groupes de femmes (La Selva34, CEPCO, Majomut) aux assemblées générales a pu jouer le
rôle de « moteur du développement » qu’a toute avancée de la participation des femmes.

Un des exemples les plus positifs généralement mentionné est celui de l’organisation UCIRI, co-
fondatrice du label Max Havelaar, pour laquelle le cercle vertueux organisation des producteurs - commerce
équitable - développement local apparaît comme une réalité. En plus d’impulser la production biologique du
café, cette organisation a formé dès 1984 des groupes de travail volontaire (TCO – Travail en Commun
Organisé) qui ont ouvert un entrepôt pour l’approvisionnement en produits de base, mis en place des
moulins à nixtamal sous la responsabilité des femmes, et organisé la culture de produits vivriers : maïs,
haricot et surtout légumes. L’organisation a aussi une boutique d’outils et de matériaux agricoles dans la
ville voisine de Ixtepec, qui pratique des prix privilégiés à ses membres (moins 20%).

Dans le domaine de la santé, cette organisation assure la formation de promoteurs dans chaque village,
le fonctionnement de pharmacies communautaires où l’on trouve des produits élaborés par des membres
du village eux-mêmes, à base de plantes et de produits naturels. UCIRI a également amélioré le système
de transport collectif dans cette région de montagne ; et propose à ses membres des solutions pour
améliorer leur habitat. Toutes ces activités sont faites avec la participation de ses membres.

Dans le domaine économique, il faut noter la présence d’un atelier de jus de fruits et de confiture (fruits
de la passion et mûres) et l’organisation d’une caisse d’épargne – crédit personnel et collectif (dans le cadre
du TCO). Elle a également construit en 1999, avec des fonds gouvernementaux du FONAES, une fabrique
de pantalon de type jean dans la ville de Ixtepec. L’impact de cette dernière initiative sur le développement
local et l’emploi devrait être évalué selon les principes du bilan sociétal, car les travailleuses y sont en
position de simples salariées.

L’existence d’un Centre d’Education Paysanne représente un atout fondamental pour le futur de
l’organisation et la poursuite de ses activités dans le domaine de la caféiculture, assurant une relève des
générations. Ce centre a été ouvert en décembre 1985 sur un terrain de six hectares donné par l’un des
villages. Il assure actuellement un grand nombre de services à l’organisation, ses membres et leurs
enfants,. Les inspecteurs internes de UCIRI et les promoteurs pour l’agriculture biologique y sont formés.

UCIRI est une des principales organisations participant à la marque collective et au mélange Café Fertil.
Selon son conseiller Isaias Martinez, les perspectives de vente d’UCIRI pour cette marque sont d’environ
800 sacs par mois. À la suite de tensions dans le mouvement du commerce équitable international, nous
n’avons pas pu interroger UCIRI sur l’impact attendu d’une participation au label mexicain de commerce

34
L’association Musa (Asociación Civil Mujeres de Unión de La Selva) regroupe depuis 1994 des femmes de l’UE de la
Selva. Elle identifie des opportunités pour des petits projets productifs.

Pierre Johnson 85
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

équitable. En effet, en 2002, UCIRI a établi un contrat sur plusieurs années pour fournir le groupe Carrefour
en café à un prix égal ou supérieur au prix du commerce équitable. La stratégie de Carrefour a été de ne
pas demander la labellisation de FLO, et de créer sa propre marque de reconnaissance (développement
durable, puis Filière Qualité) pour ce type de produits. Des discussions ont eu lieu avec les initiatives
nationales de FLO, mécontentes de ce contrat établi de façon indépendante par l’organisation de
producteurs. L’initiative française de FLO a demandé à UCIRI de ne pas entrer à nouveau en relation avec
des organisations ou entreprises françaises sans l’en informer et en discuter auparavant.

La comparaison des activités de développement local de UCIRI avec une organisation de producteurs
indigènes de taille comparable (surface moyenne par famille inférieure à un hectare), qui n’est pas encore
inscrite au registre de FLO mais participe à Agromercados est intéressante. Comme UCIRI, la coopérative
Tosepan Titataniske35 de la région de Cuetzalan (Puebla), déjà présentée, a environ 2 400 de ses membres
engagés dans la production de café, et a su mettre en place des actions de développement local. La
chronologie présentée par cette organisation36 fait apparaître un développement continu entre 1977 et 1988,
suivie d’une crise correspondant à la disparition des instances de régulation du café sur le marché national
et international (1988-1993), puis la recherche de la consolidation de l’organisation depuis la fin des années
1990, avec la mise en place d’une équipe de promoteurs, notamment.

L’expérience de cette organisation en agriculture biologique est plus récente, puisque 600 de ses
producteurs sont en reconversion, et 400 seront certifiés au cours de la dernière saison. Mais elle a
également créé un centre de formation, avec le beau nom de « La maison où s’ouvre
l’esprit » (Kaltaixpetalinoyan), où les formateurs sont vingt promoteurs paysans, membres de la coopérative.
Ils assurent la formation et le conseil à temps plein en agriculture biologique, micro finance, inspection pour
la certification biologique, développement de la femme.

La Tosepan Titataniske travaille donc en agriculture durable du café et d’autres cultures. Elle assure la
collecte et la commercialisation du café de ses membres, mais gère également des pépinières de caféiers,
poivriers et autres arbres de couverture. Elle gère la caisse d’épargne-crédit Tosepan Tomin (« Notre
Argent »), et promeut également un programme d’écotourisme. Sa conception du « foyer durable »
dépasse la question de l’habitat pour toucher à l’agriculture intégrée, l’usage rationnel de l’eau et la
production d’énergie solaire. La coopérative a mis au point un prototype de sécheuse familiale solaire pour
le café et le poivre de Jamaïque, car la région est très humide.

Ces exemples montrent que si le commerce équitable est un appui pour le développement des
organisations de producteurs, son impact sur le développement local durable dépend en grande partie de la
vision et des stratégies développées par ces organisations. Un système de certification national pourrait de
ce point de vue être ouvert à un plus grand nombre de producteurs et de produits, mais a les limites des
systèmes de certification de produit, à savoir qu’elle ne présente pas de méthode pour intégrer l’aspect
économique aux autres dimensions du développement durable, ou pour mesurer la diversification de la
production.

35
“Unis nous vaincrons”, en langue nahuatl.
36
Présentation Powerpoint faite par l’équipe technique

Pierre Johnson 86
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

1.2. La diversification de la production

Si le commerce équitable est un simple moyen pour arriver au développement durable, la diversification
des activités productives doit être un des premiers éléments d’une stratégie orientée vers le marché, comme
l’est celle de la labellisation de produit. En effet, si le commerce équitable ne résout pas l’ensemble des
problèmes économiques que rencontrent les producteurs, la labellisation peut orienter leurs activités
économiques. Dans les périodes de chute des cours des produits d’exportation (café, cacao…), une
spécialisation trop poussée des producteurs peut conduire soit à une perte brutale des revenus, soit à une
dépendance du marché équitable, qui peut avoir des effets négatifs en termes d’autonomie et de gestion
interne, comme cela a été le cas pour l’organisation ISMAM.

Le cas des régions productrices de café

Dans la série d’études commandée par l’Université du Colorado, le conseiller d’UCIRI rappelle que la
plupart des coopératives ne peuvent pas vendre tout leur café sur le marché équitable. On estime qu’en
moyenne les organisations de producteurs labellisés dans le cadre du système FLO vendent 20% de leur
production dans le cadre de ce système. Les 80% restant font l’objet de négociations dans un cadre de
marché conventionnel, qui peut certes subir l’influence positive du commerce équitable, lequel propose des
critères pour des accords commerciaux pouvant être réalisés dans un cadre volontaire, mais les
négociations restent soumises aux fluctuations du marché.

Nous avons pu constater que si la diversification des activités productives figure dans les statuts de
beaucoup d’organisations de petits producteurs, rares sont celles de caféiculteurs qui ont mis en place de
véritables systèmes de diversification. Chez certaines d’entre elles, une identité sectorielle très forte des
équipes de promoteurs tend à remplacer une véritable réflexion sur la durabilité économique et
environnementale par une « logique - projet » venant compléter une orientation à la mono activité par des
activités secondaires.

Comme d’autres organisations du secteur, la Coordination de Producteurs de Café de l’Etat de Oaxaca


a orienté depuis sa création (1989) son activité vers l’exportation de café, créant dès 1990 son entreprise de
commercialisation. La production, la transformation et la commercialisation du café constituent les
principaux ciments de cette coordination, présente dans une demi-douzaine de régions culturellement et
écologiquement très différentes. Malgré la proximité géographique de certaines organisations, rares sont
les activités non liées au café qu’elles ont développé en commun. Une équipe de promotrices aide
cependant à organiser les groupes de femmes.

Le projet Banque de Carbone, un des plus récents de la coordination, illustre bien les tendances de la
logique – projet évoquée : financé dans le cadre des accords internationaux sur la réduction des gaz à effet
de serre, ce projet offre 80 dollars par « tonne de carbone capturée », calculée sur la base des arbres
maintenus par leurs propriétaires. Il est actuellement mis en place sur 60 hectares dans trois villages
enregistrés en zone de restauration (incendies forestiers, monoculture, etc.) selon un système fixant des
objectifs par hectare. Les producteurs doivent s'engager sur une durée de vingt ans minimum, sans
«fuites» de carbone. Le versement de la prime est progressif, et concentré sur les années 5 à 10.

Pierre Johnson 87
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Amenant les projets vers une logique de conservation des ressources naturelles conçue par des
instances internationales - lesquelles manient un langage et des concepts inadaptés à la réalité paysanne -
ce projet témoigne de la tentation pour certaines équipes techniques de mettre en place des projets en
fonction des financements extérieurs, et non des besoins propres des membres de leur organisation.

Il est plus facile d’adopter une logique de diversification de la production dans une organisation de
deuxième niveau, plus proche du territoire, et de taille plus humaine. Selon un membre de l’équipe
technique de CEPCO, certains membres de la coordination sont dans des régions impropres à la production
de café de qualité. La reconversion de ces zones basses (moins de 800 mètres) à d’autres cultures en
agroforesterie est en projet (cèdre, cacao, poivre de Jamaïque). « Cela viendrait s'ajouter à la capture de
carbone » précise-t-il. L’organisation Union des Peuples Indigènes de la Sierra Lalana dans la région du
Papalopan, dont certains villages sont à moins de 500 mètres d'altitude, organise depuis plusieurs années la
production d’ixtle37, d’ananas, et la pisciculture (en alimentation industrielle). Ces produits peuvent générer
des revenus satisfaisants, comme l’ont expérimenté des familles de petits producteurs qui ont diversifié leurs
activités et leurs marchés. Selon l’ingénieur de CEPCO, Le problème principal rencontré par les actions
visant à la diversification de la production serait la commercialisation, à cause du niveau de vie des
consommateurs au Mexique. Ce point de vue n’envisage pas la complémentarité entre activités
commerciales, d’autosubsistance, et communautaires, propre à la logique paysanne.

Des exemples significatifs de diversification

Des observations de terrain confirment les conclusions d’experts comme Agustín Oliveira, co-fondateur
de la CEPCO, et Carolina Peñas d’Estudios Rurales y Asesoría (spécialisé dans la gestion des ressources
forestières pour les communautés). Ils indiquent que les alternatives de diversification existent et sont
expérimentées par les agriculteurs et certaines communautés. Selon A. Oliveira les organisations de
producteurs de café de l’état de Oaxaca souffrent d’un problème de leadership, qui les a amenés à devenir
corporatistes et à abandonner certains objectifs, comme la diversification des activités productives. Dans la
conjoncture de marché spéculatif depuis la fin des accords internationaux, il serait suicidaire de miser toute
l’activité des communautés sur la production du café.

Dans les zones de production de café, une des premières activités de diversification est la production
de champignons (pleurotes) sur les résidus de café. Généralement destinés à l’autoconsommation,
certaines espèces de champignons des forêts tempérées peuvent faire l’objet de commercialisation, comme
nous le montrerons plus loin avec l’exemple des Pueblos Mancomunados. Tosepan Titataniske a adopté
cette technique de mise en valeur des résidus du café, mais a poussé beaucoup plus loin ses actions de
diversification sans entrer dans une logique de projet conditionnée par des financements extérieurs. Par
ailleurs, le programme « développement de la femme » organise des groupes de 30 femmes au maximum
dans chaque village pour résoudre les problèmes locaux, et notamment la question de leurs revenus, à
travers des tortillerias, le nixtamal, l'approvisionnement et l'artisanat.

37
L’ixtle est une fibre qui a de nombreux usages artisanaux dans le pays.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Son programme « foyer durable » (vivienda sustenible) existe depuis cette année. Il part du constat que
les membres de la coopérative peuvent produire de nombreuses ressources pour la consommation familiale
qu’ils ne peuvent plus acheter avec les revenus du café : œufs, petit élevage, lait, fruits et légumes, miel et
élevage de poissons. Il promeut aussi l'utilisation de techniques écologiques pour la captation et le stockage
de l'eau de pluie par filtrage, son traitement et recyclage individuel et la diminution de l'usage du bois de
chauffage par l'utilisation de foyers améliorés.

Les pépinières de l’organisation permettent quant à elles la reproduction d’arbres fruitiers (bananes,
sapote / mamey) et de noix pour l'autoconsommation ou pour la commercialisation (bois tropicaux : cèdre et
cèdre rose, acajou, noix de macadamia). Dans le domaine commercial, l’organisation a développé deux
véritables opportunités complémentaires au café : le poivre de Jamaïque38 et le miel. La première est une
épice appréciée sur les marchés internationaux, quoi qu’en quantités limitées. Les poivriers (de la famille
des Myrtaceae) poussent spontanément dans les caféiers et mesurent environ 9 mètres (parfois jusqu'à 20
mètres). Les agriculteurs récoltent le fruit à l'état naturel, sans forcément le cultiver de façon systématique,
bien que cela demande un travail manuel intensif, comme la récolte du café, qui a lieu dans les mêmes
conditions, mais à une date postérieure. C'est pourquoi les agriculteurs emploient des travailleurs
journaliers qui viennent compléter le travail familial, surtout présents dans le décorticage du fruit, auquel
participent les enfants et les personnes âgées. Les conditions de séchage (suivi d’une fermentation de 4 à
5 heures) et de stockage sont importantes pour la qualité du produit.

Comme pour le café, la coopérative a organisé la collecte et le stockage du produit. Les producteurs
élisent le responsable de l’atelier de stockage39, qui fait un bilan mensuel des quantités reçues aux
membres locaux de la coopérative. Il paie une avance aux familles à réception du produit dans l’atelier de
stockage40. 75% des revenus du produit vont aux familles, 25% sont gardés par l’organisation pour la
formation, l’assistance technique et l’élargissement de l’infrastructure. L’Assemblée Régionale informe les
60 coopératives locales des conditions de la commercialisation et un rapport est publié en fin d’année.

38
Connue au Mexique sont le nom de “pimenta gorda”.
39
acopiador
40
precio de anticipo

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Diversification de la production - Tosepan Totataniske

Janvier Février Mars Avril Mai Juin

Café Café Café Café Miel Miel


pour vente
Agrumes Agrumes Sapote41 Sapote Macadamia
autoconsommation
Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc.

Poivre de Poivre de Café Café Café Café


Jamaïque Jamaïque Poivre de
Jamaïque
pour vente
Maïs Agrumes Agrumes Agrumes Maïs
Agrumes
autoconsommation

Le miel

Le miel apparaît comme une des alternatives les plus prometteuses en ce domaine. La production de
miel au Mexique est passée de 49 000 tonnes à 60 000 tonnes (soit + 20%) entre 1996 et 2001. Les états
les plus importants dans la production de miel sont le Yucatan, le Campeche, suivis de Veracruz, Jalisco,
Guerrero et Colima. De nombreux petits producteurs se sont lancés sur ce marché qui connaît une bonne
demande nationale et internationale. Le Mexique produit 5% du miel mondial. Les principaux producteurs
internationaux sont la Chine (18%), l’Ethiopie (12%) et les Etats-Unis (8.0%), sur un marché relativement
stable en termes de volume.

Accessibles aux paysans possédant peu de terre, l’apiculture biologique permet de dégager des
revenus non négligeables. Il y a environ 40 000 apiculteurs au Mexique, mais seulement une demi-
douzaine d’organisations de producteurs produisent du miel certifié biologique. Les apiculteurs possédant
300 ruches et plus sont considérés comme « moyens producteurs », les « petits producteurs » possèdent
en moyenne 10 ruches42 Les régions de production couvrent une ceinture allant du Nord au Golfe du
Mexique et au Yucatan (côte Est) d’un côté et à la côte Pacifique de l’autre.

Le miel peut être une alternative de diversification dans les régions de production de café : les caféiers
abandonnés à cause des prix bas fleurissant entre mars et avril peuvent donner un excellent miel. Toutes
les régions caféières du Mexique produisent aussi leurs variétés de fruits et légumes, qui peuvent faire
l’objet d’une commercialisation locale ou nationale, frais, séchés ou en confiture.

Il faut cependant signaler les difficultés actuellement rencontrées par des organisations de commerce
équitable travaillant dans le secteur du miel. Il existe actuellement une demande très forte de miel sur le
marché international, dont la conséquence est une hausse des prix au producteur, dans des conditions
spéculatives, allant jusqu’à 3.000 $ la tonne.

41
Fruit du sapotier.
42
Informations de Miel Maya, A.C.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

L’organisation Miel Maya est une entreprise de commercialisation du miel qui réunit des organisations
de petits apiculteurs les plus fragiles. Elle est orientée vers l’exportation sur le marché équitable européen.
Aujourd’hui, ces fonctions se répartissent en trois entités :

Miel Maya S.A. (société anonyme), fondée en 1982, dont la fonction principale est la commercialisation

Misoca, A.C. (association civile), fondée en 2001, dont les fonctions sont : la formation,
l’accompagnement et la recherche pour les petits apiculteurs.

CAPIM, S.C. (société coopérative), fondée en 2002, qui a pour objet la commercialisation alternative
des produits de l’apiculture au Mexique.

Certifiée par FLO, Miel Maya S.A. vend 100% du miel qu’elle commercialise à Miel Maya Belgique,
dans le respect des conditions d’achat aux producteurs définies par l’organisation de labellisation. Elle a
développé des activités de formation et d’accompagnement des petits apiculteurs, qui aujourd’hui sont
prises en charge par les autres organisations du groupe. L’exportation du miel se fait en barils, étiquetés par
organisation, type et qualité de miel (selon le type de fleurs, la floraison, le goût et la couleur). Les
principaux types exportés sont : le miel d’oranger, de café, le miel-beurre (miel crémeux).

Miel Maya propose un prix au producteur de 2.200 à 2.300 $ la tonne. La principale difficulté qu’elle ait
rencontrée est celle d’établir une relation stable avec les organisations d’apiculteurs. Avec les prix actuels
sur le marché, ceux-ci préfèrent commercialiser auprès d’intermédiaires. Malgré les services qu’elle
propose (accompagnement et formation des producteurs), elle parvient difficilement à affirmer son rôle
d’appui à la petite production.

Miel Maya aimerait diversifier ses débouchés, dans le marché du commerce équitable, tant à l’étranger
qu’au Mexique. Elle s’efforce d’écouler les excédents ne pouvant pas être exportés sur le marché national,
mais ne possède pas d’infrastructure pour une commercialisation directe au Mexique. Une
commercialisation sur le marché national supposerait cependant de développer ses capacités pour le
conditionnement et la mise en bouteille / en conserve du produit. La grande distribution au Mexique reste
un marché possible, dans lequel il existe une demande substantielle de miel. Cependant, l’entreprise Miel
Carlota domine la production et la vente de miel dans le pays, laissant peu de place à la commercialisation
indépendante par les organisations de petits producteurs.

Selon Marta Torres et Graciela Arriaga de Miel Maya, le label Comercio Justo México pourrait
représenter un appui pour une commercialisation sur le marché national du miel. Un travail resterait à
réaliser pour la compréhension et l’appropriation de la Norme Générale du Commerce Equitable par les
organisations d’apiculteurs. En effet, selon Marta Torres, malgré la diffusion de cette norme aux
organisations, celles-ci ne la comprennent pas bien.

Miel Maya entretient des liens avec Paual, Pequeños Apicultores Unidos de América Latina, une
association latino-américaine de petits apiculteurs créée en 1996, et dont les objectifs sont : la coopération
et l’échange d’information entre petits apiculteurs, la promotion de l’apiculture comme « espace alternatif de
développement communautaire et de protection de l’environnement », la diffusion de l’information sur le

Pierre Johnson 91
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

commerce mondial et les prix nationaux et internationaux du miel, la promotion du rôle de la femme dans
l’apiculture, la mise en place de projets collectifs entre ses membres.

Il nous a semblé que les liens de coopération entre Miel Maya, entreprise de commercialisation, de
formation et d’accompagnement, et Paual restent fragiles, dans la mesure où plusieurs demandes
énoncées par Miel Maya (recherche sur le marché du commerce équitable du miel pour le Mexique,
difficultés liées à la spéculation sur les prix, etc.) devraient pouvoir être discutées avec cette fédération
d’apiculteurs. Malheureusement, le coordinateur de Paual n’était pas disponible au moment de cette
enquête.

La production de miel de l’abeille mélipone est une des activités productives promues par des groupes
de producteurs du Yucatan et par la coopérative Tosepan Titataniske à Cuetzalan. Cette grande famille
d'abeilles sans dard, endémique à toute la zone tropicale du continent américain, produit un miel très
apprécié, riche en propolis et acide, qui aurait des propriétés médicinales pour dégager les voies
respiratoires, la régulation des cycles menstruels, faciliter la cicatrisation de blessures et la digestion.

En terre Maya, le miel avait une importance particulière. L'espèce abeja melipona y est domestiquée
depuis des siècles dans des troncs d'arbres. Certaines variétés sont utilisées en ophtalmologie contre la
cataracte, d'autres ont des propriétés antibactériennes, contre les brûlures, etc. Dans la tradition indigène
ce type de miel est utilisé pour les rituels festifs, et les tributs étaient souvent payés par de la cire et du miel.
Les Mayas exportaient du sel, des bougies et du miel jusqu'au Salvador.

Signalons également que l’abeille mélipone est essentielle à la fécondation de la vanille, produit à forte
valeur ajoutée qui présente aussi un potentiel commercial dans certaines régions du Mexique et d’autres
pays. Pendant quatre siècles des savants du monde entier tentèrent sans succès la fécondation de la
vanille introduite en Europe, et se sont heurtés à cette énigme. L’abeille mélipone est capable de se faufiler
dans la corolle de l’orchidée afin de déposer du pollen sur le pistil.

Unique abeille exploitée à l'époque préhispanique, la mélipone fut délaissée ensuite au bénéfice de
l'abeille européenne plus productive. Elle demande cependant moins de soin que l’abeille européenne, et
surtout ne pique pas. Depuis l'arrivée de l'abeille africanisée arrivée il y a quelques années par le Brésil,
beaucoup plus agressive, on note cependant un retour de son élevage. Dans la région de Cuetzalan elle a
été domestiquée depuis les années 1960, dans des pots en terre cuite, qui sont placés sur les portes
d’entrée des foyers. Elle s’alimente localement des fleurs des caféiers biologiques.

Il est aujourd’hui difficile d'exporter ce type de miel mais il a une forte valeur sur le marché interne. Son
marché est réduit et destiné principalement aux boutiques de produits naturels, mais son prix est six fois
supérieur au prix du miel conventionnel, pouvant atteindre 500 pesos le litre à Jalapa (Veracruz). Les
exportations occasionnelles se font par lots de 100 kilogrammes. Il demande des soins plus délicats.

2003 était la première année de récolte organisée de ce miel pour la coopérative Tosepan. La
production sera de une tonne à une tonne et demi. Le miel est vendu localement ou de gré à gré dans les
grandes villes voisines de Cholula et Puebla dans des bouteilles en plastique de 250 millilitres ou des

Pierre Johnson 92
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

bouteilles en verre de 500 millilitres. Le prix au producteur à la récolte dans la coopérative est de 55 pesos
le litre, auquel il faut ajouter l’ajustement après vente.

Le cas du miel mélipone illustre les limites des approches choisies par les organisations de labellisation
du commerce équitable, puisqu’il n’obéit pas à une logique de standardisation. Le règlement de Comercio
Justo México pour le miel n’y fait aucune référence, alors qu’il atteint une valeur importante sur le marché
national. Le prix équitable du miel est fixé par Comercio Justo México à 100 pesos le litre en brut, et 120
pesos en bouteille. On voit là le différentiel de valeur avec le miel mélipone.

Le cacao

La mise en place d’une stratégie nationale de commerce équitable demande aussi d’analyser la
diversification de la production à l’échelle du pays. Jusqu’à présent, les efforts du mouvement international
du commerce équitable au Mexique ont été concentrés principalement sur le secteur du café, et
marginalement sur l’artisanat. D’autres secteurs présentent des marchés à fort potentiel, mais n’ont pas été
pris en compte par ce mouvement. L’importance de la culture du cacao dans l’état de Tabasco, et la place
du chocolat dans la cuisine de l’état de Oaxaca rappellent qu’un appui par le commerce équitable à la
structuration et au développement de nouvelles filières est urgent et opportun.

Originaire de la ceinture inter-tropicale des Amériques, le cacao a une importance culturelle certaine au
Mexique. Les mots cacao et chocolat viennent de la langue des aztèques, dont les princes buvaient un
mélange de cacao fermenté, d’eau et d’épices. Vers la fin du règne des Mayas, les grains de cacao
servaient de monnaie. Le cacao fournit toujours la base de nombreux produits enracinés dans la culture :
chocolat entrant dans la composition des sauces moles, et boissons à base de cacao, de maïs et d’épices
(à l’instar du chocolatl des aztèques), appelées cholote, tepache, etc. Le chocolat produit dans l’état de
Oaxaca répond aux besoins du marché local et régional. Il est trop granuleux pour être exporté.

Les deux états produisant des volumes significatifs de cacao au Mexique sont le Tabasco,
principalement, puis le Chiapas. La petite et la moyenne production y dominent. Ces états sont très
différents culturellement, le premier est une zone d’immigration et de boom de l’industrie pétrolière,
actuellement en crise, le second est riche de sa culture et de la dignité de ses populations indigènes, mais
pauvre et marginalisé.

Le Mexique n’est pas un producteur significatif de cacao sur les marchés internationaux, qui sont
dominés par la production d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria), et d’Asie (Indonésie). Son
marché international, comme celui d’autres matières premières, est dominé par de grandes entreprises
occidentales. Les cours internationaux du cacao ne sont pas rémunérateurs pour les petits producteurs. Au
niveau national, les revenus au compte de l’exportation de cacao ont chuté dramatiquement de 88% en 5
ans, de 10 millions de dollars en 1996 à 1,2 millions en 2001. Même les revenus de l’exportation de beurre
de cacao ont chuté dans cette période de 56%. Une norme de commerce équitable publiée par FLO fixe le
niveau d’une rémunération équitable pour ce produit, mais aucune organisation mexicaine n’est inscrite au
registre de FLO, comme organisation de producteurs de cacao.

Pierre Johnson 93
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Cours historiques du cacao Janvier 1994 à Septembre 2003 en dollars par tonne

Graphique d’après données du New York Board of Trade, Décembre 2003

Ce manque de contact avec le commerce équitable international s’explique par la faiblesse des
organisations indépendantes de petits producteurs de cacao. L’Union Nationale de Producteurs de Cacao,
une organisation paysanne très proche du gouvernement et de l’ancien parti unique, joue un rôle primordial
dans la structuration du secteur du cacao du Mexique, exerçant un contrôle autant politique qu’économique
sur l’état de Tabasco. Dans les années 1980, elle a organisé la collecte du cacao et construit des fabriques
de chocolat. Cependant, avec la chute des prix du cacao sur le marché international dans les années 80,
les prix aux producteurs deviennent insuffisants pour que la culture reste rentable.

Dans la région de Comalcalco (Tabasco), un des centres de la production de cacao au Mexique, la


moitié des plants sont arrachés par les paysans. Las de la corruption et du manque de transparence des
leaders de cette organisation, des petits groupes de producteurs, conseillés par des organisations non
gouvernementales, se forment en marge de l'Union Nationale des Producteurs de Cacao.

L’organisation indépendante Kolcobosh (33 producteurs) se forme il y a environ 6 ou 7 ans dans le


municipe de Comalcalco, avec comme objectifs la production, la transformation et la commercialisation du
cacao biologique sur le marché local et international et l’élaboration de chocolat par un groupe de femmes.
Elle devient une référence pour la production de cacao biologique, mais ne parvient pas encore à établir un
lien commercial direct avec les entreprises achetant le cacao, elle se trouve donc obligée de continuer à
vendre aux intermédiaires. Pourtant, l’organisation a fait les premiers pas vers la certification biologique,
avec une première visite-inspection de Certimex en juin 2003. Une deuxième visite est prévue en octobre
2003. Kolcobosh appuie la formation de nouveaux groupes, non encore constitués légalement, par
exemple les groupes Lazaro Cardenas et Pino Suarez, qui cherchent à s’unir pour organiser la collecte du
cacao.

El Palenque, S.S.S. est née d’une fronde à l’intérieur de l’Union Nationale des producteurs de Cacao ;
elle s’est constituée légalement le 1er août 1998. Elle regroupe actuellement 23 producteurs pour le
transport et la commercialisation du cacao. Cette coopérative a bénéficié pour la récolte 2002-2003 d'un
fond de commercialisation de la part de FONAES, qui lui a permis d'aider des producteurs non organisés à
commercialiser. Les producteurs de El Palenque constatent que les prix obtenus sur le marché dépendent
de la quantité commercialisée. Plus les volumes sont importants plus le prix augmente. L'organisation
voudrait donc développer ses capacités de commercialisation, et mettre en place un module pour

Pierre Johnson 94
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

entreposer le cacao. Son principal problème reste le délai de paiement à 15 ou 21 jours pratiqué par les
intermédiaires, qui ne permet pas un paiement au comptant des producteurs.

La plupart des 2700 producteurs de cacao du municipe de Comalcalco ont des plantations familiales de
1,5 hectares en moyenne. Il y a quelques plantations privées mais, avec 8 à 10 hectares en moyenne, elles
sont petites en comparaison avec ce qui existe dans le secteur du café. Au total, plus de 1400 producteurs
travaillent en agriculture biologique. Les variétés de cacao commercialisées sont le forastero et le trinitario.
Le cacao de type créole (plus aromatique et plus doux) est en voie de disparition. Il existe une usine de
production de beurre de cacao et de barres de chocolat dans la ville voisine de Cardenas.

Le rôle de groupes de consultants constitués en associations sans but lucratif dans le processus de
structuration de la filière de petite production de cacao au Tabasco, mérite d’être souligné. Ainsi,
l’association Atzi para el Desarrollo (Frères pour le Développement) apporte formation et conseil technique
à des groupes de petits producteurs de cacao, principalement en agriculture biologique depuis 1996. Atzi
s'est formé sur la base de l'expérience de Victor Manuel Correa et Miriam Perea Huerta au Nord du Chiapas
avec les Communautés Ecclésiales de Base, où ils ont bénéficié de formations au sein des organisations de
producteurs de café pionnières de l'agriculture biologique : ISMAM, UCIRI, et en 1994 par IFOAM.

Venus contribuer au Tabasco à la formation de groupes en cacao biologique sur l’invitation de


l’organisation de droits humains Codehuco, leur travail se concentre sur la formation de groupes de petits
producteurs, parmi lesquels se détachent Kolcobosh et El Palenque. Depuis 2002, les petits producteurs
reçoivent du gouvernement un appui de 2000 pesos pour la reconversion de leur production à l’agriculture
biologique, auquel s’ajoute en 2003 la somme de 1000 pesos pour le conseil technique. La municipalité
appuie également les activités de formation et de conseil technique. Ce contexte permet aux petits
producteurs de payer les services de bureaux de consultants / formateurs en agriculture biologique, et à Atzi
para el Desarrollo de conseiller de nouveaux groupes, pour un total d’environ 40 groupes suivis, soit de 15 à
111 producteurs en cacao biologique, agriculture, cultures maraîchères et projets productifs familiaux. Atzi
compte actuellement six techniciens et deux personnes dans son service administratif.

Atzi encourage la formation de groupes de producteurs dans chaque village. Même si ces groupes ne
sont pas constitués officiellement en association, ils ont un bureau, des techniciens et des inspecteurs
paysans. Une réunion mensuelle des représentants de tous les groupes (au total 45 villages, 1100
producteurs et 1530 hectares de cacao) a lieu dans le bureau de Atzi à Comalcalco.

Les différents groupes sont en contact à travers Atzi avec Certimex pour la certification tant biologique
qu’équitable. Une première inspection pour la certification biologique a eu lieu an 2002, une seconde en
octobre 2003. Le projet est de demander la certification de commerce équitable après avoir constitué une
entreprise de commercialisation commune (integradora), qui sera chargée du transport, de la
commercialisation et du financement de la récolte.

Pierre Johnson 95
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Groupes de producteurs suivis par Atzi para el Desarrollo, Comalcalco, Tabasco

L’initiative la plus significative de l’état du Chiapas se trouve dans la région frontalière du municipe de
Tapachula, avec l’organisation Kay Kab (« fruit amer » en langue Mam), créée en 1992, alors que le prix du
cacao avait atteint le plancher abyssal de 1 peso par kg. Depuis 1996, elle regroupe 24 producteurs de
maïs, soja et cacao, et 4 producteurs de café. Les producteurs organisés avec Kay Kab ont entre 1 et 4
hectares de cacao, et leur production est d’environ 400 kg à l’hectare, en qualité biologique. La stratégie de
Kay Kab vise donc la transformation de la matière première, pour obtenir une plus grande valeur ajoutée.
L’organisation produit du chocolat et des boissons traditionnelles à base de cacao dans un petit atelier en
centre-ville où travaillent sept personnes.

En 1997, elle a pu acheter un moulin et une petite machine à torréfier d’une capacité de 33 kgs, grâce à
un appui de l’agence gouvernementale FONAES. Le cacao est déconché, sélectionné, torréfié dans
l’atelier. Il sert alors à la préparation de mélanges avec de la cannelle et du sucre. Il est ensuite moulu et
mis en paquets, avant d'être commercialisé, principalement au niveau local à Tapachula. Mais
l’organisation commence également à vendre par Bioplaneta, qui a envoyé des échantillons à
Agromercados. Le soja est vendu dans le District Fédéral, et est incorporé dans des boissons à base de
cacao. Le cacao est acheté dix-sept pesos le kilo au producteur. Le prix de la matière première seule ne
couvrirait pas les coûts de production. Mais Kay Kab fait un bénéfice sur la vente de 1 ou 2 pesos le
kilogramme selon le prix du marché, bénéfice qui est réparti entre les producteurs. En septembre 2003, le
prix du paquet de 500 g était de 20 pesos ; celui du paquet de 1 kg de 40 pesos.

Pierre Johnson 96
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Une étude effectuée en 2002 par le Centre International de Recherche Agronomique pour le
Développement sur « Le marché international du cacao : tendances et perspectives » souligne la tendance
du marché international à une augmentation constante et considérable des volumes de production, par un
déplacement continu des zones de production, et le développement de grandes plantations se substituant
aux forêts. Dans ce contexte, il est difficile aux organisations de petits producteurs de rester compétitives
sur le marché international, d’autant plus que la demande évolue vers de nouveaux types spécifiques de
cacao, poussant les prix du contrôle de qualité à la hausse.

Stephen E. Tulley a effectué une des premières enquêtes sur l’organisation sociale de la
commercialisation du cacao dans le Sud du Mexique en l’an 2000. Il souligne l’importance de la demande
locale dans l’état voisin de Oaxaca pour des produits basés sur les différentes variétés de cacao. Le
chocolat a une importance particulière dans la cuisine de cet état, où il entre dans la composition de
nombreuses boissons chaudes et sauces épicées. Le cacao consommé à Oaxaca provient du Tabasco et
du Chiapas, et est commercialisé par des grossistes ou des chaînes spécialisées dans la production de
chocolat. Les graines sont moulues et parfois torréfiées à Oaxaca, avant qu’on y ajoute du sucre, des
amandes et de la cannelle. Les entreprises de chocolat de cet état ont cherché à étendre la vente de leurs
produits à d’autres régions du Mexique et aux Etats-Unis.

Malgré l’importance du chocolat dans la cuisine et la consommation de Oaxaca, aucune initiative n’a
encore émergé pour favoriser un marché régional équitable de ce produit. Le chocolat produit par des
organisations comme Kay Kab, et même par les entreprises de chocolat de Oaxaca n’a pas la qualité
nécessaire à l’exportation (granulométrie, etc.), mais correspond davantage à celle en usage dans le pays.
Dans ce contexte, il devrait être possible de mettre en place un commerce équitable national du chocolat qui
atteigne une proportion significative de la consommation locale du Sud-Est du pays et des grandes villes.

De ce point de vue, la demande croissante des consommateurs pour des produits respectant
l’environnement et les droits sociaux peut être un atout pour la petite production. Si cette filière se structure
avec la participation d’entreprises nationales, la labellisation biologique et de commerce équitable pourrait
constituer une option pour les petits producteurs. Une filière de commerce équitable de cacao au Mexique
devrait non seulement proposer un débouché pour la commercialisation de produits finis de petits
producteurs comme ceux de Kay Kab, mais surtout répondre aux besoins de consolidation et de
commercialisation directe exprimés par les organisations de producteurs du Sud-Est et du Chiapas. Elle
pourrait s’appuyer sur le travail d’organismes apportant le conseil technique et l’accompagnement, comme
Atzi para el Desarrollo.

Pierre Johnson 97
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2. Commerce équitable et souveraineté alimentaire

2.1. La perte de la souveraineté alimentaire

Une des principales conséquences de l’ouverture commerciale du Mexique depuis les années 1980 est
la perte de la souveraineté alimentaire des populations rurales. La notion de souveraineté alimentaire
correspond à une revendication émergente des mouvements paysans du monde entier. Précisant le
concept de sécurité alimentaire, il met l'accent sur les droits des populations et de leurs représentants à
décider du type d'alimentation qu'ils désirent, des conditions de sa production et de sa consommation, et
pas seulement de la quantité ou de la qualité nutritive de cette alimentation. Selon Gabriela Torres-Mazuera
les néo-libéraux préfèrent la notion de sécurité alimentaire à celle de souveraineté alimentaire « qui
demande des mesures de protection nationale pour l’agriculture. La sécurité alimentaire peut être assurée
par les revenus des exportations, sans production nationale des aliments de base. »

Si le coup de grâce à la souveraineté alimentaire mexicaine a été porté par l’Accord de Libre Echange
Nord-Américains, les premières atteintes remontent au moins à la Conquête Espagnole, qui a profondément
déstructuré les systèmes agricoles préhispaniques. Le maïs, le haricot, la courgette et l’amarante formaient
la base du régime alimentaire des anciens mexicains, lequel reposait également sur les complémentarités
agro-écologiques locales de cette région vaste, différenciée par l’altitude, les précipitations et la proximité ou
non des côtes, et qui comprend tous les systèmes écologiques connus sauf le système arctique.

En introduisant l’élevage extensif, en asséchant les jardins flottants (chinampas) de l’ancienne capitale
aztèque, en interdisant la consommation de certaines plantes, et surtout en isolant les villages les uns des
autres, les conquérants hispaniques ont simplifié le régime alimentaire mexicain, et bouleversé
profondément l’écologie de la région. Le recul spectaculaire et prolongé des forêts primaires et des zones
humides n’en est que l’aspect le plus visible.

Cinq cents ans plus tard, l’ouverture du marché agricole mexicain aux produits de l’agriculture
industrielle subventionnée nord-américaine a contribué à réduire encore plus fortement l’autonomie du pays
en termes d’alimentation. Le régime alimentaire mexicain repose encore sur le maïs, le haricot et la
courgette, mais la consommation de légumes s’est fortement réduite, aux dépens d’une consommation
excessive de protéines pour les parties de la population qui en ont les moyens, sur le modèle des pays
développés.

Plus grave, le prix des cultures vivrières a gravement chuté depuis la mise en place de l’Accord de Libre
Echange Nord-Américain. Nombreux sont les agriculteurs qui ont abandonné leurs champs de maïs ou de
blé pour émigrer en ville ou « au Nord ». Le quart du maïs consommé au Mexique est aujourd’hui importé
des Etats-Unis, sans aucune garantie de qualité.

Pierre Johnson 98
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2.2. Les produits de base : une nouvelle frontière pour le commerce équitable

Un nombre significatif d'acteurs du commerce équitable sont des agriculteurs ayant une activité
d’autosubsistance. Mais jusqu’à présent, le mouvement du commerce équitable a mis l'accent
principalement sur les cultures de rente, génératrices de revenus monétaires à l’exportation. Les
expériences de plusieurs organisations mexicaines - coopératives de producteurs ou organismes d’appui -
montrent qu’il est possible de travailler sur les produits agricoles de base dans le cadre d’un marché
national, en suivant les principes du commerce équitable.

La difficile équation du maïs

Le maïs est un des principaux aliments de base de l’alimentation mexicaine. Les paysans de la région
Méso-Amérique43 ont développé au cours des derniers millénaires un très grand nombre de variétés,
adaptées à des conditions géographiques diverses : maïs bleu du plateau central, petit et court de la région
de l’Isthme, blanc, jaune, rouge, long ou court ailleurs. Cette céréale représente encore 55% des surfaces
cultivées du pays. Si l’on y ajoute le haricot (frijol), presque 80% des surfaces cultivées sont dédiées à ces
deux cultures de base.

Mais les importations de maïs représentent 25% de la consommation mexicaine. Chaque année, six
millions de tonnes de maïs entrent au Mexique des Etats-Unis d’Amérique sans aucun contrôle de qualité,
dont une partie est génétiquement modifiée. Selon les estimations de l’organisation écologique
Greenpeace, qui mène une campagne intitulée « "Manos fuera de nuestro maíz »44, 25% du maïs importé
serait ainsi contaminé. Les organisateurs de l’exposition « Sin maiz no hay país »45 estiment pour leur part
qu’un million de tonnes de maïs génétiquement modifié Bt, résistant aux pesticides, a été importé en 2002,
principalement des Etats-Unis. Il y a plusieurs années déjà, des chercheurs avaient détecté des traces de
maïs génétiquement modifié dans les champs des paysans des états de Oaxaca et Puebla.

Il est certain que l’importation de maïs génétiquement modifié n’apporte rien à la souveraineté
alimentaire mexicaine. Elle donne au contraire aux entreprises qui en dominent la technique la possibilité de
poursuivre juridiquement les paysans qui, volontairement ou non, l’utiliseraient pour leurs semailles sans
leur payer des droits, comme cela a été le cas dans un procès retentissant opposant le géant Monsanto à
un agriculteur canadien. Les effets de l’ingénierie génétique sur l’alimentation et la biodiversité sont mal
connus et sans doute impossibles à tester sans risques. Ce type de maïs n’a de plus pas d’intérêt pour les
petits paysans cherchant à limiter l’achat et l’emploi de pesticides. Un moratoire sur la culture de maïs
génétiquement modifié est toujours en vigueur au Mexique.

La transformation traditionnelle du maïs au Mexique suit un processus manuel ou semi-automatisé très


particulier, connu sous le nom de « nixtamalisation » consistant à plonger les grains un certain temps dans
un bain de chaux. Ce processus donne au maïs les propriétés suivantes : augmentation de la teneur en
acides aminés, meilleure digestibilité, meilleur contenu en calcium, meilleure assimilation des vitamines B
plus accessibles, meilleur goût. Le maïs est ensuite moulu pour donner le nixtamal, utilisé notamment pour
43
La Méso-Amérique est une région géoculturelle regroupant le Mexique et l’Amérique Centrale.
44
« Touche pas à notre maïs ».
45
Sans maïs, pas de pays. Exposition au Musée des Arts et Cultures Populaires, Coyoacán, México D.F.

Pierre Johnson 99
Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

la fabrication des tortillas traditionnelles (galettes de maïs chauffées). Dans les villages traditionnels, les
tortillas et d’autres aliments traditionnels (tamales et pozoles) sont encore produits de cette façon.

La libéralisation des marchés des grains de base a entraîné une modification des habitudes
alimentaires. La farine industrielle de maïs, dont le consommateur ne peut pas contrôler la provenance,
gagne du terrain de jour en jour. Alors qu’auparavant presque tout le maïs était nixtamalisé, aujourd’hui
80% des tortillerias utilisent de la farine industrielle de maïs, produite par les groupes agroindustriels
important du maïs (Maseca, Dinsa). Les moulins de nixtamal étaient autrefois présents dans tous les
villages. Il n’en existerait plus que 10 000 dans le pays, et 4 entreprises de maïs nixtamalisé46.

Le gouvernement mexicain a depuis des décennies une politique d’approvisionnement populaire.


Cependant, l’ouverture du marché mexicain aux importations nord-américaines a marqué la fin de toute
perspective de politique agricole en appui au secteur vivrier du pays. DICONSA, l’entreprise parastatale
chargée de l’approvisionnement en produits de base des quartiers et régions pauvres refuse de s’engager
pour l’achat de maïs mexicain, et s’approvisionne à 60% sur un marché extérieur dont les prix sont
déformés par les subventions agricoles américaines.

L’Association Nationale d’Entreprises de Commercialisation des Producteurs Agricoles (Asociación


Nacional de Empresas Comercializadoras de Productores del Campo - ANEC) est membre fondateur de
Comercio Justo México. Elle est le principal cadre pour l’élaboration d’un règlement de produit pour le maïs.
Cette association a été formée en septembre 1995 par près de 200 entreprises paysannes de
commercialisation de produits de base (céréales, haricots, etc.) pour affronter la situation dramatique pour
les producteurs de produits de base créée par l’ouverture du Mexique au libre-échange en Amérique du
Nord (1989-1993) et le retrait de l’Etat des marchés agricoles. Ses membres veulent participer directement
à la commercialisation de leurs produits (l’Etat jouait auparavant un rôle important dans cette
commercialisation).

C’est une organisation sectorielle sans but lucratif, qui répond aux critères généraux du commerce
équitable puisqu’elle est ouverte, plurielle, autogérée, démocratique et solidaire. Elle vise à contribuer à la
promotion de l’agriculture rentable, durable et socialement responsable, par une participation organisée
efficace et compétitive des producteurs dans le marché. Son objectif central est d’appuyer le maintien, la
consolidation et la croissance de la participation des entreprises associées au marché interne et externe des
grains de base et d’autres produits et intrants agricoles. L’ensemble des entreprises associées dans ANEC
dispose de 665 800 hectares et une force de vente de 968 000 tonnes de maïs, 420 000 tonnes de sorgho,
100 000 de blé et 45 000 de haricot.

Nous avons demandé à Yvon Polanco, membre de l’équipe nationale de ANEC s’il était possible de
définir une norme pour le maïs, comme pour d’autres produits du commerce équitable, qui inclurait donc des
critères de prix et de qualité.

Selon Polanco, « La situation actuelle nécessite un repositionnement du maïs mexicain sur le


marché : Nous devons promouvoir un maïs non-OGM et de qualité. ANEC participe à l’initiative Comercio

46
Informations de l’exposition « Sin maiz no hay país ».

Pierre Johnson 100


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Justo México, mais nous avons beaucoup de retard sur la définition d’une norme pour le maïs équitable,
après un an et demi de discussions.

Des difficultés existent pour la fixation d’un prix minimum, notamment : si nous fixons un prix basé
sur les coûts de production et de vie, nous arriverions à un coût 3 ou 4 fois plus élevé que celui du marché
conventionnel. Qui achèterait du maïs équitable à cette condition ? Les différentes variétés de maïs
développées sur le sol mexicain devraient-elles être au même prix ? Une autre question est celle de la
qualité biologique. Le Mexique produit seulement 100 000 tonnes de maïs biologique sur un total de 19
millions de tonnes. ».

Comercio Justo México et ANEC se trouvent ainsi devant un dilemme : faut-il proposer au
producteur un prix basé sur le marché mais lui faisant bénéficier d’un différentiel positif (par ex. : + 20 %) ?
Ou bien est-il préférable de pousser les producteurs à intégrer l’étape de la transformation, et de le faire
ainsi bénéficier d’un revenu plus élevé que celui qu’on atteindrait par un simple différentiel ?

La stratégie actuellement suivie par les organisations regroupées dans ANEC est la création d’un
réseau de tortillerias produisant du maïs mexicain selon des méthodes de nixtamalisation inspirées de la
préparation traditionnelle du maïs. La masse produite quotidiennement pour un goût et des propriétés
optimales suit le processus traditionnel, en mécanisant les étapes traditionnelles sans en altérer les
caractéristiques. ANEC a ainsi créé une marque collective, Nuestro Maiz, qui alimente un réseau de
tortillerias franchisées. Cela permet d’améliorer la viabilité de la production de maïs en incorporant la valeur
ajoutée aux entreprises paysannes, car la marque Nuestro Maiz et le réseau de franchise sont gérés par les
organisations de l’ANEC elles-mêmes.

Démarré en mai 2003, ce projet comptait en août 2003 trois unités de nixtamalisation de capacités
différentes, situées dans l’état de Puebla, à proximité de Mexico, et 15 tortillerias dans la même région, qui
reçoivent quotidiennement le nixtamal, transporté dans des camions fermés standardisés. ANEC projette
l’ouverture de 100 tortillerias d’ici la fin 2003, puis la diversification de ses produits : totopos (traditionnels de
la région de l’Isthme de Tehuantepec), tostadas (tortillas grillées), etc.

L’alternative proposée par Nuestro Maiz permet un accès quotidien à des tortillas ayant les mêmes
qualités que celles produites artisanalement par les femmes mexicaines ayant encore recours au nixtamal
et au metate (pierre à moudre le maïs nixtamalisé). Le maïs utilisé est 100% mexicain et garanti non-OGM.
D’après les premiers sondages, il y a une bonne acceptation du produit par les consommateurs. Les prix
sont juste un peu plus élevés que ceux des tortillerias travaillant la farine industrielle, pour une qualité
incomparable.

Dans l’état du Chiapas l’organisation d’origine confessionnelle DESMI (Développement


Economique et Social des Mexicains Indigènes) appuie à une plus petite échelle une coopérative de petits
producteurs de maïs en reconversion à l’agriculture biologique près de la ville de Comitán. Elle est arrivée à
des conclusions similaires : « Une réelle alternative en maïs biologique existe seulement à grande échelle, à
cause des coûts d'investissement. Pour monter une tortilleria de nixtamal, le prix de la machinerie est de

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

180 000 pesos. Se pose aussi la question des transports, de l'infrastructure, de l’entrepôt» explique ainsi
une volontaire de DESMI.

Selon Yvan Polanco, il sera difficile d’étendre la méthode de Nuestro Maiz à d’autres produits de
base, comme le haricot (frijol) dont le marché subit des distorsions très fortes (rapport de 1 à 3 entre le prix
payé au producteur et celui de la grande distribution), car beaucoup de ces produits demandent peu de
transformation, et sont préparés dans les foyers.

Comercio Justo México annonce le maïs comme une de ses principales priorités en termes de
règlement de produit. Pour Jeroen Pruijn, les souches génétiquement modifiées seraient naturellement
exclues des normes de maïs équitable (comme elles le sont par exemple pour le café). Mais une des
questions les plus délicates reste celle du prix au producteur. La méthode habituelle de fixation d’un prix
minimum garanti de la matière première sur la base des coûts de production conduit à un prix beaucoup
trop élevé pour pouvoir être vendu, le consommateur étant habitué à des prix bas depuis la baisse
provoquée par le « libre-commerce ». L’expérience de ANEC et d’autres organisations dans le
développement d’une chaîne de production et de transformation équitable pour le maïs devrait fournir une
base pragmatique à la réflexion de Comercio Justo México dans ce secteur.

La réhabilitation de l'amarante

Cette céréale Amaranthus caudatus, originaire du Mexique et d’Amérique centrale, a des propriétés
nutritionnelles hors du commun, pour son contenu en protéine (16%), laquelle est particulièrement bien
équilibrée en aminoacides. L’amarante a été sélectionnée, dans une étude de l’Académie des Sciences
des Etats-Unis d’Amérique publiée en 1975, comme l’une des 36 plantes cultivées les plus prometteuses du
monde. Elle fait partie du programme nutritionnel des astronautes de la NASA, étant la première plante à
avoir germé dans l’espace en 1985. Mais son importance est aussi culturelle, économique et sociale.

La culture de l'amarante était très répandue durant l’époque préhispanique, pendant laquelle elle était
liée à des rituels magico-religieux. Les anciens mexicains appelaient l’amarante huautlí, et la cultivaient
avec grand enthousiasme. Avant la Conquête, le tribut annuel que les provinces devaient envoyer à
l’empereur aztèque comprenait 20 000 tonnes d’amarante. C’est sans doute à cause de son importance
dans la religion préhispanique qu’elle fut interdite par les colonisateurs espagnols. En conséquence le maïs
et le haricot demeurèrent comme les principaux aliments de base de la population métisse et amérindienne.

Cependant des milliers de familles indigènes continuent aujourd’hui à cultiver l'amarante, qui se prépare
sous forme de farine ou de barre. Les barres d'amarante sont produites directement dans les familles à
l’aide de graines de céréales « ouvertes » selon le même procédé que le maïs dans le pop-corn, et vendues
à bas prix sur les marchés ou dans les rues. Elles offrent un complément alimentaire de qualité.
L'amarante est aussi incluse dans certains programmes de lutte contre la dénutrition de l’administration
mexicaine (DIF), sous forme de farine et de poudre pour boisson.

La plupart des producteurs d’amarante sont prisonniers d’intermédiaires, qui pratiquent avec les
entreprises des prix très bas aux producteurs, et vendent leurs stocks à des usines produisant des barres de
mauvaise qualité, parce qu’elles fixent les grains avec du glucose, qui détruit certaines qualités

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

nutritionnelles de l'amarante. Ces barres sont vendues très bon marché (1 à 2 pesos47) par des vendeurs
ambulants ou ayant un poste dans la rue. Le produit est donc insuffisamment valorisé sur le marché
national. Certaines organisations regroupant des petits producteurs et des agronomes cherchent à
revaloriser l'amarante pour ses qualités nutritionnelles, économiques et culturelles. Elles aident les
producteurs à réaliser des barres de qualité où les grains d’amarante sont fixés à l’aide de miel, et non de
glucose.

Le groupe Quali affirme ainsi avoir contribué de manière décisive à la récupération et à la diffusion de
cette culture si précieuse pour la nutrition du peuple mexicain. Assurant la collecte, transformation et
commercialisation de l’amarante, ce groupe est issu de l’action de l’ONG Alternativas y Procesos de
Participación Social, présente dans la région de Tehuacan (Puebla) depuis 1980, avec un programme de
captation de l’eau de pluie par la construction de terrasses et de micro-barrages. Cette région semi-aride
est peuplée d'indigènes de langue popoloca, mixtèque, zapotèque et nahua.

Alternativas a commencé à promouvoir la culture de l’amarante en 1995, apportant des conseils


techniques aux paysans, qui ont commencé à la replanter. Cette céréale est en effet adaptée aux terrains
secs et ensoleillés. Puis elle a travaillé la question de la commercialisation. Cette céréale étant peu
valorisée par les consommateurs actuels, il a été nécessaire de lui donner une nouvelle valeur ajoutée.
Grâce à différents appuis, une petite unité agro-industrielle écologique a pu être mise en place.

Actuellement l'organisation appuie 1 100 producteurs (en majorité des femmes) dans 80 villages,
travaillant en agriculture biologique en coopératives villageoises pour les semailles, la transformation et la
commercialisation de l’amarante. Corporación Proteína Mexicana Société Coopérative de Responsabilité
Limitée, une Union Coopérative ouverte et regroupant sans discriminations hommes et femmes, a été
constituée légalement en 1998. Elle assure la commercialisation des produits de l’amarante sous la marque
Quali. Le projet prévoit la diffusion de technologies appropriées (égrainage, nettoyage et torréfaction de la
graine) dans les villages pour l'élaboration de barres de céréales. Les beignets (charritos) sont élaborés
grâce au moulin et au four de l’unité de transformation.

L’amarante produite est destinée à l’amélioration de l’alimentation des producteurs, mais aussi à la
commercialisation des excédents, de l’ordre de 240 tonnes en entrepôt en 2003. Quali suit des principes du
commerce équitable et de la consommation éthique, en pratiquant un prix au producteur calculé sur la base
d'une étude de ses coûts de production et une juste rémunération du travail (la culture l’amarante demande
beaucoup de travail au paysan). Les prix au producteur sont de : 11 à 12 pesos le kilo en grain (auquel
s’ajoute le paiement de droits sociaux), alors que sur le marché le prix de la céréale est entre 2,30 pesos
(dans l'état de Guerrero) à 5,50 pesos le kilo au maximum.

47
10 à 20 centimes d’euro au moment de l’enquête.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Atelier de transformation de l’amarante - Quali


Tehuacan, Puebla, Mexique

Barres de
céréales

Nettoyage Torréfaction Charritos Beignets

Farine Orchata Avec maïs et eau

Boissons traditionnelles

Malteada Avec maïs et lait

D’autres entreprises utilisent l’amarante pour produire des barres ou des compléments alimentaires de
qualité, mais ne pratiquent pas les mêmes prix au producteur. L'entreprise San Miguel de Proyectos
Agropecuarios (marque Nutrisol) vend ses barres d’amarante au prix unitaire de 0,60 pesos, ce qui permet
de penser qu'elle paie les producteurs 2,30 pesos le kilo d'amarante. En comparaison, le prix de la barre
d’amarante Quali de 18 g est de trois pesos.

La stratégie de commercialisation de Quali repose sur des relations avec les secteurs sociaux :

• écoles, par l'éducation des enfants à la nutrition et au commerce équitable

• promoteurs (chômeurs, handicapés)

• des administrations officielles (bureaux, ministères)

Quali vise également les cafés, les réseaux commerciaux de type Bioplaneta et les marchés
d'exportation.

Les produits Quali figurent au catalogue d’Agromercados. Les producteurs sont suivis par Certimex, les
coopératives et l’unité de transformation sont officiellement en reconversion biologique. Des discussions
sont en cours avec Comercio Justo Mexico pour l’élaboration d’un règlement sur l’amarante définissant les
normes pour ce produit. Le travail de calcul de coût fait par Alternativas pourrait fournir une première base
de travail pour définir un prix équitable pour ce produit.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Plus mexicain que le nopal

La feuille du figuier de barbarie (nopal) est un aliment comestible faisant partie de la diète traditionnelle
des communautés indigènes et rurales du Mexique. Une expression mexicaine affirme qu’il n’y a rien de
plus mexicain que le nopal. De nombreuses recherches ont été faites en biologie sur sa feuille, confirmant
sa haute teneur en fibres. Il y a une demande forte de ce produit sur le marché mondial48, notamment en
Amérique du Nord, où vivent de nombreux mexicains émigrés. Mais le prix de cette plante sur les marchés
locaux est très bas, à cause de son abondance même, sous tout type de climat. Plusieurs expériences
montrent que sa transformation peut fournir la base de projets générant de l’emploi et des revenus,
notamment pour les femmes.

Nous avons pu observer à la foire annuelle du Réseau Mexicain de Commercialisation


Communautaire, dans la ville de Dolores Hidalgo (état de Guanajuato), plusieurs groupes de petits
producteurs proposant des produits à base de nopal :

Un groupe de 35 femmes de la région, produit une gélatine (dessert traditionnel mexicain) à base de
feuilles de nopal.

"Productores de la Sierra de Santa Rosa” (malgré le masculin générique, il s’agit d’un groupe de six
femmes) produisent des liqueurs, conserves, pâtes de fruits, flan à base de nopal et d’autres fruits.

Leur brochure indique « Quelque chose de différent pour votre repas du jour : nopals délicieux, sains et
diététiques ». « Ses qualités nutritives le rendent essentiel au régime alimentaire mexicain, le nopal est un
cactus qui forme partie du paysage mexicain. »

Les recettes de ce groupe sont réparties de la façon suivante : un tiers pour le paiement de la matière
première, un tiers pour les coûts fixes et le remboursement des prêts, un tiers comme revenu personnel
redistribué aux membres, soit un revenu d’environ 500 pesos par quinzaine.

Plus loin, le groupe La Tinaja propose des confitures à base de tuna (figue de barbarie, fruit du
nopal) et d’autres fruits tropicaux à 25 pesos le pot, et des conserves de nopals (cactus), chipotle
(piment) et champignons à 30 pesos le pot.

Ce groupe est formé de 6 femmes et 3 hommes de Esperanza del Pueblo (état de San Luis Potosí).

Selon la coordinatrice du Réseau Mexicain de Commercialisation Communautaire, Teresa Martinez


Delgado, le nopal est un des principaux produits pouvant être valorisés par des petits groupes de femmes et
d’hommes de la région, à cause de son abondance, et parce que sa transformation peut être opérée en
famille. Pour mieux valoriser ce produit, le RMCC a en projet la création d’une entreprise qui prendrait en
charge la transformation et la commercialisation de 11 produits du nopal, et de celles de son fruit, la tuna.

Comme pour le maïs, la formation d’un marché équitable pour le nopal oblige à considérer un prix
très bas de la matière première sur le marché national. Il faut donc examiner les possibilités d’y ajouter de la

48
Information du Quotidien La Jornada du 14 août 2003 page 17

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

valeur par la transformation du produit. L’avantage du nopal est que les préparations peuvent être faites par
des familles ou des petits groupes.

3. Conclusions

Les exemples qui précèdent tentent d’illustrer comment une démarche de commerce équitable
pourrait s’étendre à des produits de la région ayant une importance particulière pour la souveraineté
alimentaire. Nous aurions pu donner encore d’autres exemples, notamment le commerce des légumes, des
herbes médicinales ou de produits plus spécifiques.

Les cas étudiés nous suffisent cependant à faire quelques constatations générales sur la
valorisation de produits agricoles de base ayant une offre abondante sur le marché, à cause d’importations
excessives (maïs et haricot), ou bien parce qu’ils sont naturellement en abondance et donnent lieu à des
excédents (nopal), ou encore de cultures ayant perdu leur place dans la diète locale, suite à un processus
de colonisation et d’acculturation de longue durée (amarante).

Le premier type de cultures, illustré par les cas du maïs et du nopal, place la démarche « produit »
suivie habituellement par les labels de commerce équitable devant une impasse arithmétique : s’il est
théoriquement possible de calculer le prix que devrait avoir la matière première pour couvrir les coûts de
production et une rémunération équitable du producteur, le résultat serait prohibitif sur le marché national.
Un règlement de commerce équitable consignant ce calcul ne ferait qu’illustrer cette impasse sans pouvoir
créer un lien avec les consommateurs.

La voie choisie par les organisations de producteurs est la mise en valeur de ces produits par la
transformation de la matière première. Dans le cas de Nuestro Maiz, cette marque collective permet d’offrir
aux consommateurs une garantie de qualité (maïs mexicain, non-OGM, frais du jour) tout en permettant la
production et la commercialisation de volumes importants. La marque Quali fonctionne selon les mêmes
principes pour l’amarante. Le nopal, les conserves et les confitures sont souvent produits par des groupes
plus petits. Le contrôle de la qualité du produit et de la relation commerciale peut s’effectuer au niveau local,
par un contact direct entre producteur et consommateurs. Cependant, le développement de marques
collectives devrait permettre d’objectiver les critères de qualité, sans perdre la dimension de solidarité.

Le cas de l’amarante peut être comparé avec celui d’une espèce voisine, le quinoa des Andes, dont
les qualités nutritionnelles sont proches. Le quinoa avait la même importance dans les cultures andines
préhispaniques que l’amarante dans les cultures mésoaméricaines. Après des siècles d’oubli, il a fait l’objet
d’un travail de valorisation sur le marché européen et nord-américain par des importateurs et diffuseurs du
commerce équitable et de produits biologiques, au point d’y devenir un aliment très bien évalué.

Le résultat de cette ouverture du marché de pays du Nord au quinoa semble s’être traduit dans
certaines régions des Andes par une raréfaction et des prix élevés sur le marché local, les producteurs
préférant exporter, rendant difficile l’achat de cette céréale par la population locale, et l’amélioration grâce à
elle de son régime alimentaire.

Pierre Johnson 106


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Cette expérience, qu’il resterait à confirmer par des études précises, nous montre la difficulté à
établir, dans le cas de produits pouvant être valorisés sur le marché international, un équilibre entre les
objectifs de souveraineté alimentaire et d’augmentation du revenu des populations rurales. Ces objectifs se
présentent donc dans une tension dynamique, que le commerce équitable devrait prendre en compte pour
la définition de ses objectifs et de ses modes opératoires. Cette prise en compte devrait être plus facile à
faire pour une initiative nationale de commerce équitable dans un pays producteur.

Pierre Johnson 107


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

V. Produire et consommer autrement

1. Rapprocher producteurs et consommateurs

Certains exemples donnés dans les pages précédentes montrent qu’il existe au Mexique des
modes d’organisation de la production et de la distribution, obéissant aux principes du commerce équitable,
mais qui restent oubliés des études portant sur le commerce équitable et son impact au Mexique, parce
qu’ils ne correspondent pas aux modes de commercialisation des labels de commerce équitable. Les
organisations de producteurs qui diversifient leur production, celles qui promeuvent la production et la
commercialisation du maïs, de l’amarante et du nopal ne cherchent pas nécessairement à valoriser leurs
produits sur une grande échelle. Il nous semble qu’évaluer la pertinence d’une stratégie de labellisation
pour le commerce équitable national suppose de pouvoir confronter cette stratégie aux autres modes de
commercialisation mis en place par ou pour les organisations de petits producteurs.

Une préoccupation importante des initiatives locales et régionales de commerce équitable au


Mexique est le rapprochement des producteurs et des consommateurs. Ce rapprochement peut se faire de
différentes manières, par exemple en mettant en place des réseaux de producteurs et consommateurs, ou
bien des points de vente spécialisés. Quelles que soient les limites de ces modes de commercialisation, il
est utile de les prendre en considération dans l’analyse des stratégies de commerce équitable national.

Plutôt que de procéder à un examen exhaustif de ces initiatives, ce qui demanderait d’autres
études, nous aimerions donner quelques exemples significatifs que nous avons pu interroger au Mexique, et
esquisser sur cette base une typologie des actions qui tentent de relier plus directement et équitablement les
petits producteurs et les consommateurs.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

1.1. Réseaux d'économie solidaire et commerce équitable

Il existe au Mexique plusieurs réseaux se réclamant de l’économie solidaire, dont beaucoup sont
déjà anciens. Ce sont principalement :

Des systèmes d’échanges locaux utilisant une monnaie sociale. Le tianguis Tlaloc à Mexico a été
précurseur de ce type de système, qui s’est particulièrement développé dans certains états du Nord
(Sonora) et Centre-Nord (Guanajuato, Tlaxcala) du pays, où il a pu établir des liens avec les autorités
locales et les services sociaux.

Des organisations urbaines actives au niveau de l’habitat, du transport et d’autres services. Les
organisations d’habitants dans les quartiers précaires sont très nombreuses et organisées en réseau.

Des réseaux d’organisations rurales et dans une moindre mesure urbaines, mis en place par des
mouvements liés aux tendances progressistes de l’Eglise, qui se proposent de favoriser la mise en
commun des problèmes et des solutions rencontrés par des petits producteurs, des femmes et des
hommes à la recherche de revenus et d’activités complémentaires.

Ce dernier type de réseaux est celui qui est le plus concerné par l’échange marchand dans une
optique de commerce équitable. Dans le cadre de cette étude, nous avons rencontré deux de ces
principaux réseaux : la Coalition Rurale, et le Réseau Mexicain de Commercialisation Communautaire, déjà
évoqués plus haut. Quelles alternatives offrent ces réseaux en termes de commerce équitable ?

La Coalition Rurale Mexique est une alliance de 13 organisations de paysans, indigènes, et


artisans de zones rurales ou péri-urbaines au Mexique ainsi que quelques coopératives de consommation.
Elle est née de l’exemple de la Rural Coalition aux Etats-Unis, fondée en 1978 et regroupant environ 75
organisations de petits paysans ou de salariés agricoles. Les petits producteurs de la Coalition Rurale
Mexique produisent du café, de la fleur d’ibiscus, du sésame et des cacahouètes biologiques, des
conserves de produits régionaux, du piment, du coton, des agrumes, des plantes médicinales et
ornementales, et de l’artisanat.

La stratégie de la Coalition Rurale repose sur la construction d’un mouvement rural fort, permettant
de susciter des actions pour le développement communautaire aux Etats-Unis, au Mexique et dans d’autres
pays. Celle-ci s’est notamment traduite par la mise en œuvre de collaborations entre organisations à travers
des projets concrets de commercialisation, qui ont renforcé les liens entre les organisations des deux pays.
Le Projet Supermarket de vente par Internet apparaît comme un moyen de formation à la vente et aux
nouvelles technologies pour les organisations et coopératives de producteurs.

Ce projet de vente en ligne intègre une initiative de CSA (Agriculture Appuyée par la Communauté)
« de la Comunidad al Consumidor » dans lequel pour un paiement de $180 pour une période de 6 mois, le
consom’acteur reçoit une caisse de produits d’une organisation de la Coalition Rurale. Il y a aussi un accord
de la CR Mexico avec l’organisation H.O.M.E. de l’état de Maine aux Etats-Unis pour que celle-ci distribue
les produits des organisations mexicaines. Cet accord a été baptisé : « Mano a Mano Mexico a Maine ».

Pierre Johnson 109


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les opinions des groupes de producteurs sur l’impact de cette organisation en réseau sont
différenciées. Selon Kiee Lu’u, une coopérative de producteurs d’hibiscus, la participation à la Coalition
Rurale offre l’avantage de pouvoir faire la promotion du produit aux Etats-Unis, où quelques ventes ont été
réalisées. Mais pour le conseiller de Comunidades Campesinas en Camino, la participation a été
décevante. Il signale tout de même l’inspiration d’une organisation de la Coalition Rurale dans l’activité
d’élaboration de confiseries à partir de sucre, de sésame, de cacahouète et de lait, et de confitures de
tamarin.

Les liens entre organisations de producteurs de la Coalition Rurale au Mexique donnent


l’impression d’être plus distendus que ceux qui existent aux Etats-Unis. Ils reposent principalement sur
l’activité d’un groupe promoteur, lié à l’Eglise catholique, qui organise des réunions et des formations pour
les organisations de petits producteurs. L’hétérogénéité de ces organisations et le manque de formation
général dans le domaine de la commercialisation sur les marchés formels (conventionnels, biologiques et
équitables), ont rendu difficile l’intégration de fonctions commerciales à ce réseau.

Les principales difficultés mentionnées par les promoteurs la Coalition Rurale sont l’hétérogénéité
des organisations en termes de nombre de producteurs, un accès difficile au marché équitable, ainsi qu’au
marché de produits biologiques, à cause du coût de la certification. Les organisations des Etats-Unis et du
Mexique ont procédé à des études permettant de préciser leurs besoins financiers et techniques pour la
commercialisation, et d’élaborer un catalogue de produits et un calendrier de récolte, qui facilitera la
coordination et la coopération des activités de commercialisation. L’apport de la Coalition Rurale est le
décloisonnement de petites organisations de producteurs et la formation par échange d’expériences. Basée
sur le principe de solidarité, la Coalition Rurale peut encourager les organisations les plus avancées en
termes de production ou de commercialisation à partager leurs expériences avec d’autres organisations,
voire à les former.

Le Réseau Mexicain de Commercialisation Communautaire a un fonctionnement similaire à la


Coalition Rurale, mais un ancrage plus régional. C’est la branche mexicaine du Réseau Latino Américain
de Commercialisation Communautaire (RELACC) présent dans une douzaine de pays latino-américains,
qui vise à renforcer les expériences de "commercialisation communautaire" (production locale pour la
consommation locale).

La coordination du réseau mexicain est assurée par CEDESA (Centro de Desarrollo Agropecuario),
un organisme civil de formation, de promotion et d’appui à la production issu de la pastorale sociale mais
n’appartenant pas à l’Eglise. Le RMCC se propose depuis les années 1990 de promouvoir la
commercialisation communautaire de produits de qualité, sans intrants chimiques, avec un prix juste et un
traitement égal. Il appuie la production et la commercialisation, la formation, l’épargne, et
l’approvisionnement communautaire. Ce réseau est surtout actif dans le Centre Nord du pays, où il a établi
des liens avec les municipalités, mais il cherche aussi à s’enraciner dans d’autres régions.

Des organisations non gouvernementales de promotion du développement régional participent à ce


réseau, notamment le Centre de Promotion et de Conseil Communautaire d’Aguascalientes (CEPACOM,

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

A.C. Centro de Promoción y Asesoría Comunitaria), et le Réseau de Développement Intégral du Bajío, co-
organisateur de la foire de commerce équitable du RMCC, qui s’est tenue en août 2003 à Dolores Hidalgo
(état de Guanajuato). Ce réseau est un regroupement très récent d’organisations des quatre Etats de la
région (entre les états de Guanajuato et Aguascalientes), connue pour être une des plus productives du
Mexique, mais également zone latifundiaire et d’exclusion des petits producteurs. Le RDIB a comme
programmes : la création d’une école de développement intégral, sur la base de quatre modules de
formation, l’élaboration de propositions et l’action en réseau, la communication.

Le Réseau Mexicain de Commercialisation Communautaire tente d’inventer des modes de


commercialisation orignaux adaptés aux groupes de petits producteurs.

Le « panier mexicain » ou « panier de base » regroupe par exemple cent familles de 12


communautés pour l’achat des produits de base de qualité, dans le cadre de boutiques communautaires.
40 produits de base ont été sélectionnés, dont le maïs, le blé, le sucre et l’huile. Les achats se font en gros
et sont distribués tous les 15 jours aux familles, qui économisent grâce à ce lien direct jusqu’à 35%. L’achat
du maïs se fait directement aux producteurs ou par les boutiques communautaires. Le RMCC voudrait
inclure plus de produits venant de petits producteurs : maïs, lait bio, café soluble de UCIRI. biscuits des
coopératives, produits nutritifs à base de céréales de Celaya, produits du nopal. Le RMCC réunit également
130 producteurs de miel de l’état de Guanajuato, produisant environ 60 à 70 t par an.

Les autres modes de commercialisation de ce réseau sont : les expositions-vente permettant aux
producteurs de se faire connaître, les tianguis (stands) établis en lieux fixes. Des semaines de dégustation
sont organisées, par exemple pour le miel, permettant la promotion des produits. La participation aux foires
(marchés extraordinaires) permet une forme d’échange mixte, avec une expérimentation du potentiel des
monnaies locales. Pendant la première foire annuelle organisée par le RMCC, seuls le troc et l’échange
direct étaient pratiqués. La pratique a évoluée, puisque de nombreux produits sont maintenant vendus en
monnaie officielle.

Selon Teresa Martinez, coordinatrice de la RMCC et dirigeante de CEDESA : « Le travail que l’on
tente de faire est un travail intégral, qui encourage la production pour le marché et pour l’autoconsommation,
l’aide mutuelle et la diversification des activités. Nous promouvons l’idée de l’autonomie des familles dans la
production, la santé et l’habitat. » Son opinion sur les labels nationaux et internationaux de commerce
équitable mérite d’être entendue :

« Ce sont des options pour les moyens producteurs, qui peuvent répondre aux contraintes de
volume et de présentation des produits. La RMCC comporte des producteurs d’un autre type : petits
producteurs produisant des produits familiaux. » Des contacts existent cependant entre la RMCC et
Agromercados, qui pourrait commercialiser certains de ses produits (les produits du nopal par exemple).

Au Chiapas, Caritas, la Fondation Léon XII et DESMI ont tenté d’impulser des échanges directs
entre producteurs et consommateurs, mais à petite échelle. Un groupe informel s'est formé pour
promouvoir un commerce équitable régional, par un contact direct entre producteurs et consommateurs.

Pierre Johnson 111


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Une de ses premières activités pourrait être la rédaction d’un annuaire de petits producteurs, pratiquant si
possible l’agriculture biologique, et de consommateurs et d’acheteurs conscients.

1.2. Points de vente de produits équitables et solidaires

Certaines organisations tentent de mettre en place des structures de commercialisation s’appuyant


sur un engagement plus poussé des consommateurs, et prennent le risque de la vente de leurs produits sur
le marché formel. C’est le cas de boutiques de produits naturels et issus d’organisations de petits
producteurs, ainsi que de réseaux commerciaux récemment constitués.

Il est important de mentionner que certaines des initiatives qui ont émergé au cours des dernières
années, se proposent la commercialisation de produits des petits producteurs mexicains. Les boutiques de
commerce équitable ou « commerce solidaire » existent semble-t-il dans de nombreux états de la
république mexicaine, sans avoir fait l’objet d’études ou de mise en réseau spécifique. Nous avons
rencontré une demi-douzaine de ces boutiques de commerce équitable et des restaurants entretenant des
relations privilégiées avec les petits producteurs dans le Centre et le Sud-Est du pays (Puebla, Cuernavaca
et San Cristobal). Plusieurs de celles-ci ont visiblement une réelle expérience de relations de commerce
équitable avec des producteurs nationaux, souvent liée à un intérêt pour l’agriculture biologique.

La boutique Viva la Tierra – Eco Tianguis de Cuernavaca (Morelos) a été formée comme coopérative
en 1997 par un groupe de militants sociaux de différents mouvements : écologique, féministe, gay, indigène,
avec de sept à quinze ans d’expérience dans des organisations sociales. Après sept ans d’engagement
auprès des producteurs, elle commercialise localement sept lignes de produits de 110 organisations et
entreprises de 14 états de la république, correspondants à deux critères :

• Ecologique : biologique ou en transition

• Social : produits d’entreprises sociales mexicaines

Ce cas illustre les possibilités qu’offrent ces points de vente pour un écoulement local et même régional
de la production des petits producteurs ruraux ou urbains. Citons pour le milieu urbain : l’artisanat, les
nombreux groupes travaillant le papier recyclé, ou encore des écoproduits (nettoyage, soins corporels, etc.).

Dans la même ville, El Manojo est un espace d’exposition artisanale organisé sous la forme d’une
coopérative regroupant environ 35 groupes d’artisans de plusieurs états de la République. Cet espace est
associé à un café et à un centre culturel. Ce projet original et attractif fonctionne depuis plus d’un an, et
semble économiquement durable.

L’engagement social d’autres points de vente, comme les restaurants biologiques La Casa del Pan
(Mexico, San Cristobal, Cuernavaca) mérite d’être vérifié. Selon la gérante du restaurant de Mexico, les
restaurants La Casa del Pan commercialisent une grande variété de cafés de petits producteurs49, du
chocolat de la coopérative Kay Kab, des totopos (tortillas de maïs grillées) de petits producteurs de l’Isthme

49
Au restaurant de San Cristobal de las Casas, nous avons noté la présence de café provenant des coopératives
suivantes : Mut Vitz, Tizcao (région des lacs de Montebello), Bats’il Maya (600 familles), Majomut, Lumtec (300
producteurs de Pantalhó – coopérative membre de la Fédération Indigène Ecologique du Chiapas). Celui de Mexico
vend aussi du café de UCIRI et ISMAM.

Pierre Johnson 112


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

de Tehuantepec ; tous ces produits seraient achetés à un prix équitable. L’expérience malheureuse avec
l’organisation Comunidades Campesinas en Camino pour l’achat d’huile de sésame biologique montre que
l’engagement biologique et social d’un restaurant ou point de vente ne suffit pas à établir des relations
durables. Cette organisation de petits producteurs de la région de l’Isthme n'a en effet pas su gérer la
livraison de sa première commande au restaurant. Un travail sur la qualité, une formation commerciale et la
contractualisation des relations sont sans doute nécessaires dans le développement de relations équitables
avec un point de vente au détail.

L’engagement des « cafés solidaires », nombreux dans les grandes villes, est parfois plus politique
et culturel qu’économique. A Mexico, plusieurs d’entre eux commercialisent du café de groupes de
producteurs du Chiapas, zapatistes ou pacifistes (groupe Las Abejas). Le Café de la Red est constitué en
association civile et gère un espace proposant des produits de communautés zapatistes du Chiapas et des
activités socioculturelles. Elle achète sans intermédiaire de faibles volumes mensuels de café biologique
(environ 20 kg au moment de l’étude) aux producteurs du municipe de Chenalhó (Chiapas) de l’organisation
Tojol Witz, au prix fixé par les producteurs de 80 pesos le kilogramme. Par ailleurs, le Café de la Red
propose toutes les semaines un programme de débats et d’activités culturelles orienté vers la défense des
éléments de la population marginalisés (enfants de la rue, femmes, minorités sexuelles, retraités, etc.). Les
autres produits proposés proviennent également du commerce équitable. Le seul type de boisson fraîche
vendu au Café de la Red sont de la marque Boing appartenant à la coopérative Pascual, bien connue au
Mexique pour sa gamme de boissons à base de jus de fruits naturels. Cette coopérative s’est constituée
dans les années 1980 après deux années de grève contre la fermeture d’une entreprise privée par son
propriétaire.

Le problème rencontré par les associés dans le domaine des produits frais (ingrédients pour des
sandwichs) illustre l’isolement de ce type de points de vente, mais aussi le manque d’organisation des
producteurs pour la commercialisation. Le Café de la Red voudrait s’approvisionner en fromage et en
jambon auprès d’UNORCA, une organisation paysanne de 4e niveau regroupant environ 3 200
organisations locales, régionales ou provinciales de producteurs de cultures vivrières, café et plantes
médicinales, mais les producteurs n’ont pas organisé de réseau de distribution de produits biologiques
permettant de rationaliser les coûts de distribution. Chaque client doit donc aller chercher ses produits sur
place. Or la ferme de UNORCA est située à environ deux heures du centre de Mexico.

Nous avons pu interroger Jesus Andrade, directeur technique d’UNORCA sur la place des
organisations de producteurs dans le commerce équitable. Celui-ci conteste la légitimité et l’efficacité du
commerce équitable, notamment à cause du surprix au consommateur. Les acteurs du commerce
équitable fonctionneraient comme des intermédiaires qui renchérissent le prix. Le projet d’UNORCA est
d’établir un réseau de « marchés sociaux » dans le pays, en mettant en place des points de vente,
permettant de donner de meilleurs prix aux producteurs.

Boutiques de commerce équitable, « cafés solidaires », restaurants biologiques, « Marchés


sociaux », les réseaux de distribution échappant à la logique de la concentration existent donc au Mexique,
même s’il manque un effort d’identification des initiatives existantes et une évaluation de leurs pratiques.

Pierre Johnson 113


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

L’organisation de ces boutiques en réseau pourrait permettre la création de synergies, une


meilleure organisation de la distribution, et un contrôle par les pairs sur les pratiques de chaque point de
vente, offrant une véritable garantie sociale au consommateur. L’atout majeur de ces réseaux et points de
vente est leur relation de proximité avec les consommateurs.

Nous avons pu constater en 2003 des efforts encore embryonnaires pour l’identification de points
de vente équitables, préalable nécessaire à la mise en réseau de boutiques responsables. L’association
Greenpeace a coordonné une brochure sur les risques liés aux cultures génétiquement modifiées qui
comporte une section annuaire de « boutiques mexicaines de commerce équitable et/ou de produits
biologiques » . Un groupe informel voudrait élaborer un guide plus détaillé pour le Chiapas, la jeune
association Vinculación y Comunicación Social travaille à la mise en relation des petits producteurs avec les
points de vente équitables.

1.3. Structures de commercialisation de troisième niveau

La valorisation des produits et services avec une haute qualité sociale et environnementale dans les
grandes villes mexicaines a motivé la constitution de structures de commercialisation au niveau national
défendant les principes de l’agriculture biologique et du commerce équitable. De ce point de vue, il est
intéressant de comparer le fonctionnement de Bioplaneta, se réclamant explicitement des principes du
commerce équitable, de « l’équité culturelle », de la « durabilité » et de l’ « agro-écologie » avec l’entreprise
de commercialisation de produits biologiques Aires de Campo. Ces deux organisations ont adopté le
principe de la vente à distance, mais selon des modalités fort différentes.

Bioplaneta

Bioplaneta est une initiative conçue par un groupe de consultants et de professionnels ayant
travaillé dans le domaine du développement durable et de l’appui aux petits producteurs pour être un « outil
de développement et de commercialisation pour les organisations et entreprises communautaires avec
lesquels ils étaient liés ». Née en 1999, son statut légal est celui d’entreprise (SA de CV) doublée d’une
association (Red Bioplaneta), et son activité principale est la vente en ligne des produits issus de
coopératives de petits producteurs (produits alimentaires, produits naturels, artisanat) et des services
écotouristiques communautaires.

La présentation de Bioplaneta d’après une de ses brochures la plus diffusée est fort attractive :

Bioplaneta est un réseau national de coopératives rurales engagées dans le respect de


l’environnement, le commerce équitable et l’amélioration de la qualité de vie de leurs associés.
C’est un outil. A travers Bioplaneta, les entreprises communautaires peuvent se former, améliorer
leur qualité, commercialiser leurs produits et services de manière juste et équitable.
Le réseau Bioplaneta est un espace de croissance, d’échanges et de solidarité avec l’objectif
que ces entreprises acquièrent de manière durable : solidité, force et indépendance.
Les coopératives qui forment le réseau échangent entre elles savoirs, expériences, ressources,
produits, et écotouristes.

Pierre Johnson 114


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Le « Réseau d’Assistance Bioplaneta » quant a lui « est un réseau d’institutions et d’organisations


ouvert, horizontal et professionnel, avec de nombreuses années de travail dans les domaines
environnementaux, social, technologique, éducatif, etc. Son objectif est d’appuyer le Réseau des
producteurs pour obtenir qu’ils atteignent les normes nationales et internationales de : qualité, production
biologique et commerce équitable. » Il regroupe une douzaine d’organisations locales, nationales ou
internationales (Ashoka par exemple).

Plus concrètement, les produits et services offerts sont de plusieurs types : produits agro-
écologiques, produits transformés, artisanat, écotourisme, services environnementaux50 Les états d’où
proviennent ces produits et services sont le Campeche, le Chiapas, l’Etat de Mexico, le Guerrero, Hidalgo,
Michoacán, Oaxaca, Puebla, Tabasco, Tamaulipas, Veracruz, Yucatán, et le District Fédéral, soit 12 états
du Mexique sur 22, situés surtout dans la partie Sud et le Centre du pays (le Nord et Centre-Nord sont
représentés par un seul état). 55 groupes de producteurs et d’écotourisme participeraient, plus ou moins
activement, à Bioplaneta.

Relations avec les producteurs

Les relations de Bioplaneta avec les groupes de producteurs sont motivées par les principes du
commerce équitable et du développement durable, mais nous avons pu relever certaines ambiguïtés dans
le projet de cette organisation, entretenues par sa présentation comme un réseau ou un ensemble de
réseaux nationaux, plutôt qu’une entreprise de services et de commercialisation. Si Bioplaneta est un
réseau de producteurs, les adresses des coopératives de production et de services ne sont jamais données
sur le site Internet ou sur les brochures de l’organisation, riches en présentations attractives. Pour chaque
produit ou service, le site Internet renvoie uniquement aux téléphones de Bioplaneta à Mexico, sans donner
les coordonnées locales, ce qui en fait bien une entreprise de commercialisation. La coopérative
Comunidades Campesinas en Camino signale que Bioplaneta aurait inscrit l’organisation sur leur page Web
sans la consulter51

L’organisation Kay Kab commence à commercialiser une partie de son chocolat par Bioplaneta, qui
envoie des échantillons à Agromercados, et ne signale pas de problèmes particuliers. Pour la coopérative
Kiee Lu’u, Bioplaneta demande aux producteurs de payer le prix de l’emballage, qui actuellement comprend
seulement le nom de la marque Bioplaneta, laquelle se contente par ailleurs d’un rôle de promotion du
produit. L’association écologique Dana fait partie de Bioplaneta et devrait 2 000 pesos aux producteurs52.

La première Assemblée annuelle du réseau devait avoir lieu du 10 au 14 novembre 2003. Un des
objectifs était d’accroître la participation des membres à l’association Red Bioplaneta, car beaucoup de
ceux-ci ne participent pas à la vie du réseau. Selon Bioplaneta, les distances ont empêché de réunir
l’assemblée plus fréquemment, mais le contact est maintenu grâce aux réunions de formation.

50
Définis par Bioplaneta comme « Le paiement aux communautés, reconnu dans l'environnement international, pour la
conservation des écosystèmes prioritaires pour la capture de l’eau ou la capture de carbone. »
51
Entretien du 27 août 2003.
52
Entretiens du 22 août 2003 avec la direction et les techniciens de Kiee Lu’u.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Bioplaneta intervient également dans le secteur de l’écotourisme. Selon une présentation faite en
septembre 2003 à Cancun « Bioplaneta fait la promotion de l´écotourisme communautaire à travers de
projets qui sont des exemples de tourisme durable, où la communauté rurale dirige sa propre entreprise
sociale, grâce à l’aide technique et à l´appui financier des organisations et institutions en relation avec
l`environnement. Bioplaneta essaie de renforcer la préservation des ressources naturelles et culturelles, de
distribuer de manière juste et équitable les bénéfices et d’intégrer la population à son propre rythme de
développement, tout en améliorant sa qualité de vie. »

Une dizaine de projets répondant à ces critères sont référencés, formant une ceinture dans les états
de Oaxaca et Veracruz :

Etat d’Oaxaca Etat de Veracruz

Services Ecotouristiques “La Ventanilla” S.C.L. Réseau d’Écotourisme Communautaire


Los Tuxtlas

Productrices Ecologiques du Tomatal S.C.L Nanciyaga

Union des Producteurs de San Rafael Toltepec S.C.L. Las Cañadas

Cosmétiques Naturels de Mazunte S.S.S

Pueblos Mancomunados (Expediciones Sierra Norte, S.S.S.)

Ile de Soyaltepec

Diagnostic des groupes de producteurs par Bioplaneta

Ancienne directrice du Programme d’Action Forestière pour le Mexique, Marcela Alvarez possède une
vaste connaissance des organisations communautaires et de producteurs, en relation avec la problématique
de la biodiversité et de la gestion des ressources naturelles. Elle coordonne au sein de Bioplaneta la
direction « diagnostic », qui évalue les organisations de producteurs, et offre ainsi une garantie au
consommateur sur le type d’organisations dont proviennent les produits.

Le diagnostic fait par Bioplaneta repose sur des questionnaires pour les groupes de producteurs (petits
producteurs, coopératives, petites entreprises…). Marcela Alvarez effectue sur le terrain le diagnostic des
organisations avec lesquelles Bioplaneta travaille ou envisage de travailler.

Les critères de ces questionnaires sont :

Constitution légale de l’association

Vie démocratique de l’association

Travail agricole basé sur les principes de l’agriculture biologique et de la durabilité

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Bioplaneta travaille par exemple avec Techkahloh, un petit groupe d’artisans du bois de la région des
Tuxtlas. Situé dans une zone protégée, ce groupe d’artisans ne voulait pas acheter un bois certifié FSC53,
préférant utiliser des bois de la région, qu’il replante grâce à un programme de pépinières. Depuis le décret
faisant de cette région une réserve en 1998, ils ont orienté leur production vers des objets plus petits, mais
avec une plus grande valeur ajoutée. Il y a actuellement deux groupes d’artisans qui fabriquent plus de 15
types d’objets différents de grande qualité, sans machines industrielles. Ce sont principalement des objets
utilitaires (couverts, ustensiles de cuisine, etc.). Les bois utilisés sont le granadillo, tzalam, chicozapote et
des légumineuses provenant d’extractions légales du Campeche et bientôt du Quintana Roo.

Relations avec Comercio Justo México et Certimex

Selon Marcela Alvarez, Bioplaneta n’a pas les moyens de participer au label mexicain de
commerce équitable, car « il faudrait pour cela payer un « droit d’inscription » (une licence) comme boutique,
ou comme producteurs. « Nous ne nous opposons cependant pas par principe à la certification. La
certification biologique nous paraît importante. Bioplaneta garde une partie de ses opérations pour un fond
d’appui aux producteurs qui voudraient être certifiés biologique par Certimex, l’agence de certification
mexicaine qui travaille principalement avec les organisations de petits producteurs. »

Comercio Justo México conseille cependant à certains groupes de producteurs de se joindre à des
réseaux commerciaux de type Bioplaneta. La responsable des ventes de Quali à Mexico a par exemple
bénéficié de ce conseil.

Financements

Bioplaneta a obtenu des financements importants sous forme de dons ou d’appels à projets. Selon
son rapport 2002, l’association a reçu depuis 1999 des financements de banques et sources privées
(Citibank – Banamex, Ashoka International, Club Rotary de Puerto Escondido et du Canada, Fondation
Vamos), publiques mexicaines (Ministères de l’Economie, du Développement Social, de l’Agriculture et de la
Pêche et ancien Institut National Indigéniste), étrangères (Fond Canada, Gerlinde Baumbhakl) et
d’universités mexicaines et étrangères (Berlin). Ce rapport, publié sur le site Web de Bioplaneta, n’indique
pas les montants obtenus de ces différentes institutions. Il est donc difficile de faire une comparaison des
ressources investies avec les résultats. La diversité des financements obtenus est cependant à noter.

Résultats

Selon le rapport 2002, les principaux résultats de Bioplaneta ont été cette année-là : la constitution
d’une équipe professionnelle de 10 promoteurs-consultants, la formation de 54 entreprises associées et 21
pouvant rejoindre le réseau, le développement de l’infrastructure de 22 entreprises associées, grâce à
l’obtention de ressources supplémentaires, la participation à 14 foires, l’élaboration de brochures
promotionnelles, la mise au point d’un nouveau site Web avec des sections de vente au détail et en gros,
enfin la restauration des bureaux centraux à Mexico. La création de 35 emplois directs et le maintien

53
Forest Stewardship Council, organisme international de certification des pratiques forestières.

Pierre Johnson 117


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

d’emplois existants (5 000) est attribuée à Bioplaneta. Trois exportations ont été effectuées durant cette
année.

L’essentiel des résultats visibles du travail de Bioplaneta se situe pour l’instant au niveau des outils
de communication, de formation et de l’effort de présentation des produits et services. Les flux
commerciaux générés par le système de vente en ligne et le dépôt à Mexico sont encore peu importants.

Il est plus difficile d’évaluer l’impact de la promotion des entreprises d’écotourisme communautaire
par Bioplaneta. L’existence de Bioplaneta pourrait être positive pour ce secteur à fort potentiel. Les projets
locaux ont besoin d’appui, principalement pour la formation de guides, la création d’infrastructures à faible
impact environnemental et culturel, et une promotion responsable. Les producteurs agricoles que nous
avons interrogés attendent pour leur part des résultats visibles de cette entreprise bénéficiant de
subventions importantes, et une participation plus étroite à ses activités.

Réseau d’écotourisme de Bioplaneta

RESEAU D’ECOTOURISME

Mazunte, Ventanilla,
Tomatal, Chacahua,
Toltepec, Pueblos
mancomunados, Soyaltepec,
Los Tuxlas, Sierra de Santa
Marta, Las Cañadas...

Note: Les espaces en vert sont les zones


ecológiques prioritaires (Conabio)

Pierre Johnson 118


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Aires de Campo

Aires de Campo SA de CV est une entreprise privée de commercialisation de produits biologiques,


basée à Me. Ne bénéficiant d’aucune subvention publique ou privée, celle-ci a adopté un système de
commande à distance, principalement par téléphone, qui semble suffisamment efficace pour assurer des
ventes hebdomadaires de produits d’organisations de petits producteurs ou de producteurs individuels.
Opérationnelle depuis environ une année, cette initiative commerciale fait vivre deux associés et un salarié.

Commercialisation

Aires de Campo s’appuie sur un réseau de 215 clients familiaux, principalement dans la zone Sud
de Mexico, correspondant à une population aisée de classe moyenne. L’entreprise reçoit les commandes
par téléphone, au taux d’environ dix commandes par jour. La livraison à domicile se fait peu après la prise
de commande. Les prix sont nettement plus élevés que sur le marché conventionnel, mais la différence de
qualité des produits est très importante. Les montants moyens des commandes sont de 100 à 300 pesos.

L’entreprise possède en tout un entrepôt (à Vallejo) et cinq centres de distribution dont deux
boutiques dans le District Fédéral, et 15 autres dans certaines des plus grandes villes du pays (Guadalajara,
San Luis, Monterrey, Puebla, Toluca, Cuernavaca, …).

La fondatrice de Aires de Campo assure un contact et un suivi personnalisé de ses clients par
téléphone (depuis son domicile). Elle appelle les clients réguliers tous les huit jours pour mesurer leur
satisfaction et écouter leurs suggestions. De plus, le catalogue est systématiquement envoyé aux clients.

Ce système de commercialisation est ingénieux et personnalisé. Il assure des coûts d’opération


très peu élevés. Le design des produits est très élaboré. L’entrepôt visité, quelques dizaines de mètres
carrés, fait également office de boutique. C’est un des BioCentres d’un réseau en développement dans la
capitale et d’autres villes du pays. Aires de Campo espère que 20 centres de ce type fonctionneront en mai
2004, et que chacun atteindra environ 500 clients.

Produits et producteurs

Aires de Campo donne sur son catalogue et son site Web54 une information assez complète sur
l’origine de chacun des produits commercialisés, ces deux outils de communication étant d’une très grande
qualité tant dans la forme que pour l’information donnée. L’information donnée valorise le(s) producteur(s)
et ses modes de production.

Produit Producteur(s) Depuis Type Ville / Région Etat


Produits laitiers Rancho Ex-Hacienda 1991 Privé Apaseo el Grande Guanajuato
Castillo
Pain et galettes El Pan Nuestro 1978 Privé Xalapa Veracruz
Miel Dzilché NA Indigènes Ruches des zones Yucatán
protégées
Confitures de Rancho El Amate NA Privé Chalmita Estado de
saison México
Café Unión de Ejidos de la Organisation sociale Selva Lacandona Chiapas
Selva

54
http://www.airesdecampo.org

Pierre Johnson 119


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Chocolat Plusieurs groupes NA Organisation sociale Cardenas et Tabasco


Cunduacán /
Chontalpa
Hibiscus Kiee Lu’u 1983- Organisation sociale Sierra Sur Oaxaca
Salades de laitues Pépinières Sankai 1992-1995 privé Oacaclco Morelos
Infusions Huerta de Vinci 1993 privé Cuernavaca et Morelos et
San Miguel de Guanajuato
Allende
Pommes Tarahumaras 2003 Indigènes Sierra Tarahumara Chihuahua
Viande (pas encore 2003 Tuxpan Veracruz
référencé)
N.B. Lorsqu’il y a deux dates dans la colonne “depuis”, la première correspond à la fondation de l’organisation,
la deuxième à la période de conversion à l’agriculture biologique. Une seule date signifie que le producteur est en
agriculture biologique depuis ses débuts.

Cette information montre que la moitié des produits proposés par Aires de Campo viennent
d’organisations de petits producteurs. Interrogés sur leurs relations avec l’entreprise, les dirigeants de Kiee
Lu’u citent Aires de Campo comme une option de commercialisation fiable et relativement équitable. Aires
de Campo a conditionné leur produit (l’hibiscus) dans un emballage à double face, avec d’un côté la marque
Aires de Campo et de l’autre le nom de la coopérative

Prix aux producteurs

Selon Guadalupe Latapi, l’une des associées de Aires de Campo, l’entreprise essaie de fidéliser
non seulement le consommateur, mais aussi le producteur, qui doit sortir gagnant à commercialiser avec
l’entreprise. Elle doit assurer aussi sa propre durabilité. Actuellement, le producteur recevrait 77% du prix
final (duquel il faut décompter les coûts de conditionnement et de transport), le distributeur 17% et Aires de
Campo 6%. Les pourcentages mentionnés pourraient changer s’ils ne permettent pas d’assurer la durabilité
de l’entreprise.

Conclusions

Bioplaneta et Aires de Campo sont deux initiatives récentes de commercialisation de produits et de


services utilisant les ressources de la vente à distance et présentes dans la capitale. Bioplaneta affiche une
philosophie liée au commerce équitable mais son action, fortement subventionnée, reste difficile à évaluer.
Ses résultats et l’efficacité de son action en termes de commercialisation, principale demande des
producteurs, sont encore limitées, au regard des appuis obtenus par l’association. Le projet de Bioplaneta
apparaît comme très ambitieux, mais en septembre 2003 la participation des producteurs à son
développement était réduite. Aires de Campo a mis en place une structure opérationnelle beaucoup plus
légère, et développe de véritables relais à Mexico et dans d’autres villes. Travaillant avec tout type de
producteurs biologiques, elle mise sur un développement du marché biologique dans les classes moyennes
mexicaines permettant au distributeur et aux producteurs d’entrer dans une relation gagnant – gagnant.

Comme pour d’autres entreprises de distribution, aucune de ces deux structures de distribution
n’est suivie par une organisation de commerce équitable ou accréditée par une fédération. Une évaluation
précise de leurs pratiques selon les critères sociaux et économiques de ce type de commerce reste à faire.

Pierre Johnson 120


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2. Organisations de filière

La démarche de produit suivie par les labels de commerce équitable les plus connus est sans doute
adaptée pour certains produits commercialisés comme matière première sur le marché national ou
international, mais elle révèle ses limites lorsque les producteurs organisent en amont la filière. D’autres
mécanismes de régulation peuvent alors opérer, qui se proposent à la fois d’assurer la qualité sociale et
environnementale du produit, et une rémunération équitable des producteurs. Au Mexique, certaines
marques collectives remplissent ces fonctions, dans un contexte où les appellations d’origine contrôlée sont
peu développées.

2.1. Les fonctions régulatrices des marques collectives

Les marques collectives peuvent constituer un mode de régulation de la production, transformation et


commercialisation de groupes de petits producteurs assurant les fonctions que ces groupes veulent se
donner. Le cadre légal de ce type de marques est fixé par la Loi de la propriété industrielle, titre IV, chapitre
II, articles 96 et 98. L’article 97 sous-entend l’obligation de règles (collectives) pour l’usage de la marque,
qui doivent être explicitées et déposées avec la marque elle-même : « La dépôt d’une demande de marque
collective doit inclure les règles pour son usage. ».

Selon la législation, les marques collectives servent à distinguer, non les produits et services d’une
entreprise par rapport à ceux d’une autre, mais l’origine géographique ou d’autres caractéristiques
communes des produits et services de différentes entreprises utilisant la marque collective sous le contrôle
de son titulaire. Ces marques impliquent généralement une certaine garantie de qualité. Le propriétaire
d’une marque collective peut être un état fédéré (par exemple la marque « Tradition Agricole de Morelos »)
ou une personne morale privée (association, groupe de producteurs, etc.). Le second cas favorise des
marques sectorielles.

Les avantages des marques collectives pour les producteurs et les consommateurs sont multiples :
elles réduisent les coûts d’enregistrement de marques individuelles, elles permettent au consommateur de
connaître non seulement l’origine géographique du produit, mais aussi son mode de production, elles
peuvent incorporer un système de garantie en opérant comme facteur de régulation dans le secteur en
question ; enfin elles donnent une valeur ajoutée au produit.

Les marques collectives rencontrées dans le cadre de cette étude sont : Café Fertil et Nuestro Maiz,
déjà mentionnés, le Mezcal Papalote de Chilapa, Pita de la Selva, et les marques Sierra Viva et Inda Pura
du groupe de villages Pueblos Mancomunados.55 Les règles d’usage collectif de ces quatre dernières
marques illustrent bien leurs fonctions régulatrices.

L’association Grupo de Estudios Ambientales (GEA) et Methodus Consultora participent au Réseau


d’Apprentissage et d’Echange pour la Systématisation d’Expériences visant la Durabilité (RAISES), un
groupe d’organisations non gouvernementales qui travaillent dans la gestion de ressources naturelles

55
Nous ne sommes pas certains du statut collectif de la marque Quali, aussi nous ne la mentionnons pas dans cette
liste.

Pierre Johnson 121


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

novatrices, et ont aidé plusieurs groupes de producteurs à organiser une gestion durable des filières liées à
ces ressources. La mise au point de marques collectives a été un mécanisme efficace pour cette gestion.

Le Mezcal Papalote de Chilapa

Le mezcal est la cinquième agro-industrie la plus importante de Guerrero, un petit état semi-aride du
Sud-Est du Mexique connu principalement pour sa station balnéaire Acapulco. L’organisation de la
production et de la commercialisation par les producteurs de Sanzekan Tinemi (S.S.S.) de la région de
Chilapa offre l’intérêt de combiner une gestion durable des ressources naturelles et la recherche d’un
commerce équitable à travers le développement d’une marque collective pour la commercialisation d’un
mezcal de qualité, produit dans des quantités limitées.

Mezcal est le nom générique de l’alcool produit par les plantes de genre agave. Le plus connu des
mezcals est la tequila, produite à partir de l’agave bleu, mais de nombreux états du Mexique produisent leur
mezcal spécifique, à partir d’espèces d’agave endémiques à leurs régions. Sur 216 espèces d’agave
connues dans le pays, 16 ont une utilité pour la production de mezcal. La plupart des espèces sont
sauvages et classées comme espèces forestières non ligneuses.

Dans les années 1990, la demande internationale en tequila a laissé les producteurs d’agave sans
culture suffisante, car l’agave ne peut produire la sève nécessaire aux spiritueux qu’après au moins 8 ans.
Les producteurs se sont donc tournés vers d’autres espèces d’agave, notamment celle utilisée pour le
mezcal, traditionnellement produit dans les états de Oaxaca et Guerrero.

La production de mezcal est ainsi apparue comme étant la ressource de meilleur potentiel économique
dans la région de Chilapa, un village de la chaîne centrale de Guerrero, une des régions les plus pauvres de
l’état, où une espèce endémique d’agave pousse à l’état sauvage, sur seulement un flanc de montagne,
donnant un mezcal au goût très particulier. Mais l’élaboration du mezcal est consommatrice de bois (qui lui
donne sa saveur fumée), provenant d’arbres locaux, généralement du chêne.

Dans ce village, les producteurs de Sanzekan Tinemi bénéficiaient depuis 1995 du conseil et de
l’accompagnement de Grupo de Estudios Ambientales (GEA), qui a commencé par les aider à organiser la
production et la vente de feuilles de palme de l’espèce Palma Chamaedorea. Ces feuilles sont vendues sur
le marché national et international pour l’ornementation florale, mais à des prix très bas56. Après avoir
étudié avec attention les caractéristiques de l’Agave Cupreata, GEA a pu proposer un plan de gestion
durable des ressources naturelles impliquées dans la fabrication du mezcal de Chilapa, plan qui a été
adopté par les producteurs de Sanzekan Tinemi, provenant de 19 villages de 4 municipes.

Les étapes du développement de la marque collective ont été les suivantes :

1. Etude botanique de l’espèce Agave Cupreata : population, conditions de reproduction, etc.

2. Plan de gestion durable des ressources naturelles impliquées dans la fabrication du mezcal de
Chilapa, incluant un programme de replantation des arbres servant au fumage du mezcal, ceci afin

56
La Palma Camedora va faire l’objet d’un projet pilote de commercialisation et certification de la Commission pour la
Coopération Environnementale d’Amérique du Nord, que nous examinerons plus loin.

Pierre Johnson 122


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

d’empêcher à terme l’érosion et la détérioration de la qualité de l’eau. Sept pépinières communautaires


produisant plus d’un million de plantes annuelles (agave et bois de chauffe) ont été créées. Les villages ont
délimité sept aires protégées, de 10 à 100 hectares, où l’élevage et la cueillette de la flore et de la faune sont
interdites. La production annuelle de 40 000 litres nécessite environ 300 tonnes de bois de chauffe. 8
millions d’arbres ont été replantés depuis 1995.

3. Formation de la coopérative Sanzekan Tinemi (« nous continuons à récolter ensemble »).


Elaboration des règles garantissant la gestion durable des ressources naturelles et la qualité du produit.

4. Mini-étude de marché. Marketing à travers une dégustation organisée en 2002 pour 150
consommateurs. Les ruraux préfèrent un mezcal fort et les urbains un mezcal plus faible en saveur.

5. Formation de l’Association de Magueyeros et Mezcalereos (producteurs d’agave et de mezcal) de


Chilapa, Les membres associés cultivent la plante en utilisant seulement des fertilisants biologiques, et
commercialisent le mezcal sous la marque collective Mezcal Papalote de Chilapa.

Plusieurs options de certification ont été examinées lors de la mise en place de cette marque
collective, dont la certification biologique et celle du Forest Stewardship Council. Le groupe pensait alors
qu’il était nécessaire de légitimer le processus mis en place par une certification externe. La relation coût /
bénéfice de la certification a été examinée, mais les deux options étaient onéreuses pour les communautés,
tout en étant extérieures et sans valeur légale. Le groupe a pu connaître l’expérience des Appellations
d’Origine Contrôlée à l’étranger et a donc adopté un système d’autorégulation par les règles de leur marque
collective, proche de celui des appellations d’origine, peu développées dans le pays.

L’Association de Magueyeros et Mezcalereos de Chilapa compte 150 mageyeros (producteurs


d’agave), 38 mezcaleros (producteurs de mezcal) et des représentants de l’atelier de mise en bouteille. Elle
forme le Conseil de Régulation chargé de garantir la qualité du mezcal produit et la durabilité du système de
production de chaque producteur. En 2002 ont été approuvées les productions de 11 producteurs sur 20.
L’approbation permet l’usage de l’étiquette Mezcal Sanzekan, qui comporte le nom du producteur et du
village d’origine. Au total 37 producteurs de mezcal et 29 villages de magueyeros participent au projet. La
terre est ejidale (forme de propriété collective communale), et les revenus de la commercialisation de
l’agave vont à des projets de développement social de la communauté.

AMCCHI, A.C.
Conseil de régulation
Certification de qualité et Éventuellement d’autres
durabilité entreprises prêtes à suivre les
normes du Conseil de
Régulation

Contrôle de la marque sur les bouteilles

ARRNST, S.S.S. ECM, S.P.R.


Production Mise en bouteille
Pépinières, récolte et bois Commercialisation

Pierre Johnson 123


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

AMCCHI : Asociación de Magueyeros y Mezcaleros de Chilapa

ARRNST : Area de Reforestación y Recursos Naturales de la Sansekan Tinemi

ECM : Envasadora y Comercializadora de Mezcal "Mezcalli Papalotl del Chilapan"

Ce système permet une autorégulation sociale et environnementale de la production d’agave et de


mezcal, dans un contexte de boom commercial international pour ce produit, après la tequila. Les revenus
des magueyeros et mezcaleros sont fixés par les règles de la marque collective.

La commercialisation de ce produit se fait à partir du niveau régional, en espérant atteindre un marché


national, puis international. Au Mexique, l’impôt sur la commercialisation intérieure des alcools est de 60%.
L’exportation est donc particulièrement intéressante pour les alcools. Cependant, le marché local du mezcal
de Guerrero est très favorable, notamment dans la capitale de l’état, Chilpancingo. Le groupe vise aussi le
marché de la ville de Mexico, où il existe des Clubs d’amateurs de tequila et maintenant de mezcal.

Pita de la Selva

D’autres ressources naturelles, bien que spécifiques à des régions particulières, peuvent faire l’objet
d’un marché d’étendue nationale encore organisé de manière informelle, et pour lequel la constitution de
marques collectives peut être une option garantissant sa préservation et une rémunération équitable des
producteurs. C’est le cas de Aechmea magdalenae, une bromélie terrestre des forêts humides d’Amérique
centrale, connue sous le nom de pita et cultivée dans le Sud-Est du pays, dont on extrait une fibre utilisée
dans le Nord du pays par des artisans fabricant des articles de charreria. Commercialisée uniquement au
Mexique, c’est l’une des fibres naturelles les plus résistantes qui ait été testée et la plus cotée sur le marché
national, au-dessus du lin et de la soie.

Methodus Consultora indique que la production de pita dans les éclaircies des forêts, sous une
végétation secondaire ou sous les caféiers, est une option viable pour la conservation de la couverture
végétale dans le tropique humide du Sud-Est du Mexique. Ce groupe de consultants a également étudié la
place de cette fibre dans l’économie d’une famille chinantèque (voir ci-dessous région de la Chinantla).

Alors que la pita (ou ixtle) ne représente que 3% de l’usage du sol (1/2 hectare sur 16,25 ha), elle fournit
13% des revenus annuels nets d’une famille chinantèque, soit un niveau égal à la production de café (2 ha
en moyenne) et à la volaille de basse-cour. La plus grande part du revenu (26%) est fournie par le salaire
des journaliers ou le petit commerce, suivie par les subventions publiques (Progresa et Procampo) pour
18%. La culture du maïs et celle de la milpa restent des activités obligées de ces familles, qui fournissent 6
à 7% des revenus.

L’obtention d’un matériau de qualité à partir de la fibre brute de la pita demande plusieurs étapes :
défibrage manuel ou mécanique, trempage, lavage, séchage et blanchissement, souvent avec des produits
naturels (citron, acide citrique), peignage et présentation du produit final en pelotes. La fibre est vendue aux
artisans du Nord et du Centre du pays, pour la décoration de ceintures et autres articles en cuir (selles,
bottes, etc.), qui en font une consommation annuelle de 40 à 50 tonnes. C’est un marché considéré comme
informel, depuis la production jusqu’à la distribution.

Pierre Johnson 124


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Points de cueillette et de transformation de la pita au Mexique

Source : Methodus Consultora, A.C.

Des organisations de producteurs de pita de Oaxaca, Veracruz et Chiapas, avec l’appui d’organisations
non gouvernementales57 et du Programme de Ressources Biologiques de la CONABIO58, ont lancé depuis
1999 le projet de créer une marque collective et un Conseil de Régulation pour cette fibre, pour la protection
des droits intellectuels des propriétaires et utilisateurs de cette ressource.

Le Conseil des Organisations de Producteurs Pita de la Selva est constitué légalement en février 2003
et approuve alors la première version du Règlement de la Marque Collective “Pita de la Selva”. Il représente
plus de 2000 producteurs du Sud-Est du Mexique, à travers 7 organisations et se propose de promouvoir
les connaissances et expériences en matière de gestion, transformation et commercialisation de la pita, tout
en préservant la forêt par la mise en valeur durable des ressources naturelles. Le Conseil de Régulation est
composé de sept organisations de producteurs, qui vérifient l’application du cahier des charges.

La production du Mezcal Papalote de Chilapa illustre la capacité des organisations communautaires à


produire - même avec l’accompagnement d’organismes spécialisés - des mécanismes de régulation
communautaires pour l’usage et la gestion des ressources naturelles. L’expérience de Pita de la Selva
montre la possibilité de porter ces principes à l’échelle d’un ensemble de régions. Cette capacité de
création de normes et de production de mécanismes de régulation pourrait être précieuse pour la définition
de mécanismes de régulation durables de la production et de la commercialisation de ressources naturelles

57
Methodus S.C. dans l’état de Oaxaca et Proyecto Sierra de Santa Marta dans celui de Veracruz.
58
Comisión Nacional para el Conocimiento y el Uso de la Biodiversidad, (commission interministérielle)

Pierre Johnson 125


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

à forte valeur sur le marché intérieur, comme le sont certains produits forestiers non ligneux. Ces
mécanismes de régulation ont un contenu à la fois environnemental, social et économique.

2.2. Marques collectives et commerce équitable

Au cœur de la Sierra Norte de l’état de Oaxaca, dans le district de Ixtlán, Pueblos Mancomunados est
un exemple de développement durable basé sur la mise en place d’entreprises communautaires reposant
sur la cohésion, les valeurs communautaires, et une gestion équilibrée des ressources naturelles (29 430
hectares de terre en propriété communale). La gestion foncière et celle des ressources collectives de cet
ensemble de huit villages59 de culture zapotèque est assurée collectivement par un seul Commissariat aux
Biens Communaux, forme traditionnelle ayant un statut légal dans certaines communautés indigènes.

La première ressource à avoir été exploitée durablement était la forêt. Après une lutte pacifique, les
habitants ont pu récupérer à la fin des années 1970 l’usage de leurs forêts, longtemps exploitées par des
compagnies privées. Ils ont ainsi créé leur première entreprise communautaire. Puis ils ont découvert que
leur territoire recelait d’autres ressources, qu’une saine gestion pouvait exploiter durablement :
champignons, fruits, eau de source, et le territoire lui-même, par l’écotourisme communautaire. Avec les
ressources financières générées par l’exploitation forestière, ces villages ont pu développer de nouvelles
activités économiques dans ces domaines.

Selon le commissaire des biens communaux, les villages de Pueblos Mancomunados possèdent
actuellement plusieurs entreprises :

• Une entreprise forestière, Unidad de Producción Forestal de Pueblos Mancomunados gère deux
scieries, une sur le territoire de Pueblos Mancomunados à Macuilxochitl, et l’autre à Oaxaca. Le
respect de strictes normes environnementales est reconnu par le gouvernement mexicain. Pueblos
Mancomunados organise la replantation des arbres, grâce à des pépinières.

• Envasadora y Empacadora de Pueblos Mancomunados, S.S.S. gère les unités de mise en


bouteille d’eau de ses propres sources et de séchage des champignons et des fruits, situés dans la ville
de Oaxaca.

• Une entreprise minière, confiée en sous-contrat à une entreprise privée, qui garantit l'investissement et
emploie de la main d’œuvre locale.

• Une société d’Ecotourisme communautaire, Expediciones Sierra Norte de Oaxaca.

• Une société de transport, qui gère une ligne d’autobus permettant de relier les villages avec la ville de
Oaxaca et les municipalités proches.

59
D’où son nom de « mancomunados » : Ils forment comme une seule « main ». Les huit villages couvrent les
municipalités de San Miguel Amatlan, Santa Catarina Lachatao et Santa María Yavesía.

Pierre Johnson 126


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Les champignons séchés : un exemple du potentiel des produits forestiers non ligneux

Le développement des activités de cueillette, séchage et commercialisation des différentes espèces de


champignons comestibles de la région illustre la création et la remontée d’une filière par un groupe de
villages dont les activités économiques obéissent à une logique communautaire inscrite dans ses statuts
fonciers.

En 1995-1999, les activités forestières de la communauté dévoilent le potentiel économique d’une


espèce particulière de champignon blanc, Tricholomna magnivelare, très appréciée sur le marché japonais
où elle est connue sous le nom de Matsutake. Le Japon doit actuellement importer de l’étranger cette
espèce suite à une surexploitation locale. Des relations ont été établies entre les villages et des entreprises
japonaises grâce aux activités forestières. Deux noyaux de population s’impliquent dans la cueillette de
cette espèce de champignons et utilisent des fertilisants biologiques.

En l’an 2000, une étude de faisabilité pour la transformation et la commercialisation des champignons
sauvages est menée avec l’appui d’organismes non gouvernementaux et publics. Un plan de gestion des
champignons sauvages est élaboré, qui comporte : la récupération des connaissances traditionnelles sur les
espèces comestibles dans quatre noyaux de population, la formation de guide d’écotourisme et à la collecte
des champignons dans quatre villages, la mise en place d’un système de monitering de la production dans
différents types de forêts.

La communauté investit alors dans un séchoir à la capacité d’une tonne, suffisant pour atteindre le
marché national, mais ce ne serait pas assez pour remplir un container d’exportation. Les premiers résultats
sont diffusés en 2002 – 2003, sous la forme d’une brochure sur les espèces et les formes de collecte, et
d’une autre sur les zones avec le meilleur potentiel de production. Les collecteurs sont formés et un
événement annuel culturel et scientifique de promotion est mis en place : la Foire Régionale des
Champignons de Pueblos Mancomunados.

Les collecteurs ont besoin d’un permis du Ministère des Ressources Naturelles et de l’Agriculture
(SEMARNAT), qui exige des études de disponibilité. Les quantités collectées sont donc réduites et ne
mettent pas en danger leur reproduction, d’autant plus assurée que les collecteurs connaissent leurs modes
de reproduction. Le facteur environnemental le plus important reste la conservation de l’habitat.

La cueillette des champignons se fait tous les ans de la mi-mai au mois d'août en famille. Elle est libre,
après une formation donnée par Methodus, qui permet d'obtenir un permis. Les espèces recueillies sont
donc de la famille des : amanite, chanterelle, bolet. Ces espèces communes sont données à un
responsable villageois qui les amène jusqu'à l'entreprise de séchage en ville. L'entreprise Envasadora y
Empacadora de Pueblos Mancomunados paie les cueilleurs et fait le séchage par osmose, avec 30% de
sucre (moins que la méthode courante sur le marché national).

L'unité de séchage fonctionne toute l'année, car s’y adjoint la récolte de fruits de la montagne (pommes,
poires, abricots, prunes) et à une alliance avec des producteurs de fruits tropicaux biologiques (coopératives
San Juan Lalana : ananas, Sierra Sur et Istmo : mangues).

Pierre Johnson 127


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Après le séchage, les champignons ou les fruits sont mis en paquets. Les champignons sont
conditionnés en sachets de 30 grammes avec une recette pour trois ou quatre personnes dans chaque
sachet. Trois types de champignons sont commercialisés sous les appellations suivantes : Porcini (Boletus
Edulis), Tecomate (Amanita Caesare), Mezcla del Bosque (Lepista, Lacearia, Cantharellus). Les fruits sont
conditionnés sous forme de mélange (ananas, pommes, mangues, poires) dans des paquets de 100
grammes. L’atelier a aussi conditionné des tomates séchées, un mélange d'herbes de cuisine (fruits
d'avocats, laurier, etc.), des herbes médicinales et récemment, d’après une idée des travailleuses de l'atelier
qui a très bien fonctionné commercialement, des tisanes diverses (pommes, orange, framboise, mûre,
hibiscus).

Les fruits et les champignons séchés sont commercialisés sous la marque Sierra Viva par l’entreprise
communautaire. Le marché ciblé par les champignons courants sont les boutiques de produits naturels, et
quelques supermarchés.

Les champignons blancs de l'espèce Matsutake suivent un autre canal. L’entreprise forestière de
Pueblos Mancomunados les vend directement au groupe Nikaïdo, une entreprise mexicano-japonaise, qui
les exporte au Japon. La communauté reçoit sur les produits forestiers un « droit de la montagne »
(derecho de monte), qui correspond à un pourcentage fixe sur les bénéfices (10 à 15%), versé dans un fond
géré par le commissaire aux biens communaux. Ce fond est utilisé pour le développement communautaire,
après décompte des frais administratifs.

Formes de commercialisation des champignons de Pueblos Mancomunados, Oaxaca, Mexique

Distributeurs de
produits gourmets
Entreprise Entreprise communautaire
communautaire Envasadora y
Collecteurs 3
La Forestal Pueblos Empacadora Pueblos
Mancomunados Mancomunados
Supermarché et
boutiques de
produits naturels
Reçoit les
champignons
et tient le
registre de Trie, deshydrate et
1 paie des conditionne les champignons
collecteurs
2

Marché local Entreprise de


Intermédiaire
Broker de matsutake distribution
national
spécialisée

Travaille avec du capital


japonais
Au Japon Au Japon
Trie, conditionne et envoie
les champignons par avion
D’après Methodus, S.C.

Pierre Johnson 128


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

L’impact sur l’emploi, les revenus et le développement

L’impact de la récolte organisée de champignons peut être mesuré par les revenus générés dans les
villages, et les emplois créés en ville, où tous les salariés (la plupart sont des femmes) proviennent de
Pueblos Mancomunados, auxquels peuvent s’ajouter les excédents éventuels de l’entreprise
communautaire. Soixante-dix familles récoltent les champignons dans les villages de Pueblos
Mancomunados. Le tarif journalier des cueilleurs est d'environ 70 pesos par jour, ce qui est relativement
élevé pour la région. Les revenus des champignons sont estimés par Methodus Consultora à 140 000
pesos en 2002. Le revenu annuel moyen d’une famille pour la cueillette de champignons est donc de 2000
pesos. Mais cette activité complémentaire et saisonnière occupe une place différente selon les stratégies
familiales, qui lui donnent plus ou moins d’importance.

La cueillette des champignons étant saisonnière, l’unité de séchage fait aussi sécher et commercialise
des fruits durant d’autres périodes de l’année. Ce sont d’abord les fruits tempérés (pommes, poires, etc.)
produits à Pueblos Mancomunados. Les capacités de production de l’unité dépassant le potentiel de la
région, elle achète des fruits tropicaux, de préférence à des organisations de petits producteurs. L’achat de
fruits représente à la fois une opportunité pour d’autres producteurs de la région et la possibilité de
rentabiliser l’investissement et les coûts d’opération de l’unité de séchage. Les fruits achetés récemment
sont des ananas de l’état de Nayarit et bientôt d’une organisation de la CEPCO de la côte, des bananes,
des mangues, etc.

L’étude sur le potentiel et les mécanismes de certification des palmes de la famille Palma Chamaedorea
citée plus haut présente un tableau des différentes options de travail pour la collecte de la palme, permettant
d’évaluer les avantages et désavantages des options suivies en termes de durabilité écologique et de
distribution des revenus. Ce schéma pouvant s’appliquer à d’autres produits forestiers non ligneux, nous
avons simplement remplacé « palmes » par « produits » dans la première colonne.

Contrat avec… Avantages Désavantages et problèmes

Collecteurs individuels remettant Collecte ou cueillette Très peu ou aucun contrôle sur la
leurs produits à un centre de indépendante. durabilité de l’exploitation des
collecte. ressources.

Preneurs de contrat qui travaillent Un meilleur contrôle sur la Les preneurs de contrat reçoivent
avec leurs équipes de collecteurs . durabilité de la ressource. la plus grande partie des revenus
et donnent au personnel des
Un lien établi avec les acheteurs.
intrants à prix élevés.

Organisation communautaire. Une distribution plus équitable des Demande des talents
revenus s’il y a une bonne d’organisation garantissant la
organisation. Plus de contrôle et durabilité de l’exploitation de la
de propriété sur la durabilité de la ressource et la distribution
ressource et de son exploitation. équitable du revenu.

Pierre Johnson 129


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Dans ce schéma, Pueblos Mancomunados combine une entreprise communautaire avec des
collecteurs individuels (en bleu sur notre schéma). L’entreprise communautaire évite ainsi les désavantages
d’une cueillette individuelle, tout en présentant un degré d’organisation plus élevé qu’une entreprise
communautaire de type informel.

Une commercialisation sur un marché ciblé et exigeant

La commercialisation des fruits et champignons séchés se fait à prix fixe sous la marque Sierra Viva,
propriété de Pueblos Mancomunados. Un financement public a permis à Methodus Consultora d’aider au
développement de l’image de cette marque, et à trouver des acheteurs. Ces derniers sont principalement
des entreprises de demi-gros et de détail de produits dits gourmets (« européens »), ou des réseaux de
points de vente de produits naturels. Les plus gros clients se trouvent à Mexico. Sur Oaxaca, ce peut être
des entreprises plus modestes, car les coûts de distribution sont considérablement réduits pour Pueblos
Mancomunados. Mais les boutiques demandent alors à ces derniers d’assurer une formation de leurs
clients sur ces produits, en donnant des recettes de préparation des champignons et fruits secs, etc.

Relations avec le mouvement du commerce équitable

Les meilleures opportunités de développement commercial pour les produits forestiers du type de Sierra
Viva sont clairement situées dans un marché spécialisé de produits de qualité, « gourmets » ou biologiques.
Selon Agromercados, pourtant intéressé par une collaboration avec Sierra Viva, les supermarchés ne
comprennent pas ces produits, qui sont davantage valorisés sur leur marché pour leur valeur diététique que
pour leur aspect social. Pourtant des exemples en Europe, où le commerce équitable commercialise de
plus en plus de produits de qualité biologique et diététique, montrent que les deux aspects peuvent être
complémentaires. Mais la commercialisation de ces produits est plus appropriée aux marchés ou aux
réseaux spécialisés, qu’à la grande distribution, surtout dans les pays en développement où la vague de
consommation de produits biologiques n’a pas encore atteint un large public.

Les difficultés à trouver des synergies avec le système mexicain de commerce équitable sont
également illustrées par une expérience moindre des agences de certification biologique nationale pour ce
type de produits, comme le montre l’expérience de Pueblos Mancomunados :

Sierra Viva recherche la certification biologique pour ses produits lorsqu’elle est viable. Les
champignons sont sauvages, donc forcément biologiques, et il est possible de commercialiser également
les brisures de champignons, lesquels entrent dans des mélanges biologiques (pâtés ou soupes). La
certification biologique des champignons et des ananas est faite par Bioagricert, organisme de certification
italien ayant une représentation au Mexique, reconnu sur les marchés italiens et français, principaux
marchés pour ces produits. Certimex a été approchée par Sierra Viva, mais a eu des difficultés à
comprendre le processus de certification biologique des champignons, et aurait demandé un prix plus élevé.
Bioagricert apportera également des conseils techniques pour l’ananas. Les producteurs d’ananas pour
Sierra Viva sont en système agro-forestier avec une production maximale de 10 tonnes par hectare. La
marque sera en concurrence avec des producteurs en monoculture biologique qui arrivent à produire 60
tonnes par hectare.

Pierre Johnson 130


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

La certification biologique des champignons avec Bioagricert a coûté globalement moins de 8 000
pesos à Pueblos Mancomunados, pour une surface déjà délimitée de moins de 1 000 hectares. Le coût le
plus important a été les études préalables faites par Methodus : délimitation des zones de production et
études cartographiques.

Des discussions ont eu lieu en 2002 à Nuremberg avec FLO, qui s’est montré intéressée par la
certification équitable d’ananas biologique séché, mais le profil de Sierra Viva, entreprise communautaire qui
achète des fruits tropicaux à d’autres coopératives ne convenait pas à FLO, qui certifie pourtant des
producteurs privés de fruits frais au Mexique. Il semble donc que l’organisation internationale ne
parviennent pas à comprendre les problèmes spécifiques posés par la viabilité d’entreprises
communautaires. Ses critères s’adressent soit aux producteurs de produits primaires organisés en
coopératives, soit aux producteurs privés de produits primaires ou transformés. Mais la labellisation de
produits développée par le mouvement de commerce équitable ne semble pas avoir encore suffisamment
pris en compte le développement des producteurs par la création d’entreprises de transformation
communautaires.

L’eau et l’écotourisme : d’autres biens et services communautaires

Envasadora y Empacadora de Pueblos Mancomunados gère également une unité de production d’eau
de source sous la marque Inda Pura (de anda, eau en langue zapotèque)., dans un bâtiment jouxtant
l'atelier de séchage de champignons et de fruits. L’eau est devenu un marché au Mexique depuis les
années 1980, à la suite d'alertes au choléra. Dans toutes les villes du Mexique, des entreprises assurent la
purification de l'eau, et le remplissage de grande bouteille de 20 litres, par un système de consigne. Inda
Pura a pris pied sur le marché de l’eau de la ville de Oaxaca. L'eau est amenée directement des villages
dans des camions-citernes de 20 000 litres. Elle est mise dans trois citernes de 10 000 litres chacune.
Après être passé par un processus de purification (filtrage, ultraviolets et ozone), elle est mise dans des
bouteilles de vingt litres ou de 50 cl et 150 cl en plastique. La capacité de production de l’atelier est de 330
bouteilles de 20 litres par heure et 1900 litres par jour. La prise en compte du cycle de l’eau par Envasadora
y Empacadora de Pueblos Mancomunados inclut un programme de gestion durable des bassins versants.

Le projet de tourisme communautaire de Pueblos Mancomunados produit également des bénéfices


directs pour la communauté. Le village de Benito Juarez a initié la signalisation des sentiers, de parcours de
bicyclette et la création de cabanes pour accueillir les touristes sous le nom de Turist Yuu (La maison du
touriste), puis a invité les autres villages à définir leurs propres projets. En 1994-1995, la gestion de ce
projet était confiée aux autorités traditionnelles. Depuis 1998, elle l’est à une nouvelle entreprise,
Expedición de Sierra Norte, propriété de Pueblos Mancomunados.

Les revenus des premières cabanes et le travail communautaire (tequio) a parmi la construction des
suivantes et l’extension du projet. Actuellement, Pueblos Mancomunados reçoit 40 personnes en fin de
semaine, dont la moitié d’étrangers. La promotion faite initialement pour le projet par les autorités régionales
sur Internet a paru insuffisante, aussi Expedición de Sierra Norte l’a développé en installant un bureau à
Oaxaca et en gérant sa propre page Web, sur laquelle le client peut choisir son parcours sur un catalogue

Pierre Johnson 131


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

comprenant l’ensemble des villages. La promotion se fait aussi par la participation à des foires et
expositions nationales.

Grâce aux bénéfices de ce projet, l’entreprise à pu investir dans de nouvelles infrastructures sans faire
appel du tout (ou moins) au travail communautaire et contribuer au développement social en apportant des
subventions au comité de santé, à l’école (fournitures scolaires), à une pompe pour l’eau (coût total : 20 000
pesos), etc. L’Assemblée communautaire décide du niveau de cette contribution. L’écotourisme
communautaire a généré quatre emplois à temps plein, quinze saisonniers, des emplois indirects (dont
quatre emplois permanents pour la restauration) et des revenus indirects (élevage de truites, location de
chevaux, logement à l’habitant, fleurs, fruits et légumes).

Le potentiel des produits forestiers non ligneux pour le commerce équitable

Selon Gustavo de la Peña:

“Lorsqu’on parle de forêts, on pense seulement aux arbres qu’on en extrait. Cette vision, héritière
d’une forme erronée de voir la nature et des vieux modèles « extractivistes » de l’exploitation des
ressources naturelles, laisse de côté la majeure partie des espèces animales et végétales qui, avec
les arbres, forment ce qu’on appelle les écosystèmes forestiers."

Au cours des dernières années, de nombreux organismes se sont intéressés au potentiel représenté
par les produits forestiers non ligneux comme vecteurs de création de revenus et d’emploi, particulièrement
pour les populations des régions les plus marginalisées. Selon la FAO « A peu près 80% de la population
des pays en développement utilisent les produits forestiers non ligneux pour leurs besoins en santé et en
alimentation, et plusieurs milliers de foyers dans le monde utilisent ces produits pour leur autosubsistance
et/ou leur revenu. » Certains de ces produits servent aussi de matière première pour les industries de
transformation à grande échelle et sont vendus sur les marché internationaux.

Un classement rapide de ce type de produits selon leurs usages ou les services qu’ils fournissent fait
apparaître les catégories suivantes : alimentation, boisson, énergie, écotourisme, produits domestiques ou
ornementaux, épices, parfums, médecine traditionnelle ou occidentale, intrants industriels (matériaux de
construction, latex, résines et colorants) ou pour l’industrie chimique, artisanat, instruments rituels. Selon la
FAO, au moins 150 de ces produits ont un marché international significatif, parmi lesquels le miel, la
gomme, le rotin, le bambou, le liège, les noix, les champignons, les huiles essentielles, et des parties
animales ou végétales utilisées dans l’industrie pharmaceutique.

Le potentiel qu’ils représentent pour la création d’emplois et de revenus est donc très large. Des études
de faisabilité, d’impact environnemental ou de potentiel reproductif peuvent aider les communautés à
valoriser ces ressources sans mettre en danger leur reproduction et l’environnement. On constate d’ailleurs
que ce sont au Mexique les communautés les plus traditionnelles, et donc marginalisées, qui adoptent les
techniques les plus durables. Le Forest Stewardship Council signale un intérêt grandissant des
consommateurs d’Europe et d’Amérique du Nord pour connaître l’origine de ces produits et les pratiques de
récoltes utilisées. C’est pourquoi cet organisme de certification, connu pour son activité dans le domaine
forestier, s’intéresse à ces produits depuis plusieurs années. Son critère 11, un brouillon en cours de

Pierre Johnson 132


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

discussion, traite des produits forestiers non ligneux. Actuellement, le FSC a développé des critères
spécifiques pour les produits forestiers non ligneux suivants : noix du Brésil, une espèce particulière de
bambou en Colombie, et des herbes médicinales du Brésil.

En l’absence d’une meilleure prise en compte du potentiel de ces produits par les organismes de
labellisation du commerce équitable, la certification proposée par le FSC pourrait apporter aux
communautés une reconnaissance de la valeur de leurs pratiques sociales, environnementales et
économiques pour la gestion de ces ressources. Le FSC cherche par ailleurs à accroître sa collaboration
avec les organismes de certification du commerce équitable.

Le Forest Stewardship Council est un organisme de labellisation international à but non lucratif fondé
en 1994 ayant développé un système de labellisation des produits de systèmes forestiers bien gérés,
reposant sur une certification volontaire. La notion de bonne gestion couvre ici les dimensions écologiques,
sociales et économiques. Son fonctionnement repose sur la représentation des parties prenantes
(entrepreneurs, propriétaires, chercheurs, travailleurs,…) en trois chambres (sociale, environnementale,
économique), sur l’existence d’initiatives nationales dans les pays du Nord et du Sud (30 initiatives à ce
jour), qui peuvent développer des normes et des critères nationaux ou régionaux, et sur l’accréditation
d’agences de certification. Le FSC prévoit non seulement la certification d’unité de gestion forestière, mais
également des filières (chain of custody), en procédant à des vérifications de la forêt jusqu’au marché final.

Le FSC a certifié depuis sa création 36 millions d’hectares de forêts et établi près de 3000 certificats de
filières dans 67 pays. Trois des huit organismes de certification accrédités par le FSC ont développé la
certification de produits forestiers non ligneux : ce sont le programme SmartWood de Rainforest Alliance, le
programme Woodmark de la Soil Association, et SGS Qualifor. Les principaux produits pour lesquels des
critères ont été développés sont la noix du Brésil, pour le Pérou, la Bolivie et le Brésil, une espèce
particulière de bambou en Colombie (en cours de définition), et des herbes médicinales au Brésil. Des
organisations de producteurs de latex au Mexique (chicle) ont été certifiées par Smartwood en avril 1999.

Pour Sergio Madrid, coordinateur du Conseil Civil Mexicain pour la Sylviculture Durable, membre de
Smartwood, organisation accréditée par le Forest Stewardship Council pour la certification forestière, le
poids des environnementalistes du Nord se fait sentir assez fortement dans le FSC, malgré l’organisation
par collèges. La vision du FSC ne prendrait pas suffisamment en compte la réalité du marché, et la
problématique économique du secteur forestier au Sud. Pourtant, le FSC a indéniablement renforcé depuis
1999 sa « stratégie sociale » afin de préserver l’équilibre des critères écologiques, sociaux et économiques
qui fait son originalité.

Cette stratégie sociale a été précisée au cours d’une réunion en l’an 2000 «certification for the people» :
l’identification de failles dans le système permet de proposer des changements dans son fonctionnement.
La stratégie actuelle se propose ainsi d’améliorer la mise en œuvre et le monitoring des principes sociaux
du FSC (4 principes sur 10), de répondre aux questions d’échelle et d’intensité, de construire des capacités
locales dans le cadre du système FSC et pour l’usage et la gestion communautaire des forêts, d’améliorer la
communication dans les deux sens, et de répondre à la question des inégalités dans l’accès aux marchés.

Pierre Johnson 133


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Elle a abouti à la définition de critères spécifiques pour les « forêts de petites taille, en exploitation de
basse intensité » (small and low intensity managed forest). Ces critères devraient permettre d’adapter les
variables (indicateurs) pour ce type de forêts, tout en conservant les normes générales. Des tests de terrain
seront effectués après la réunion du conseil directif en novembre 2003. Selon le FSC, ce nouveau système
pourrait réduire les coûts d’inspection de 40% pour ce type de forêts. Le 6e briefing sur le sujet (novembre
2003) indique qu’une unité forestière où seuls des produits non ligneux seraient exploités sera considérée
comme de basse intensité, et pourrait donc bénéficier de ces coûts réduits de certification.

La stratégie sociale du FSC se propose d’appuyer d’ici 2006 des systèmes permettant une distribution
équitable des revenus forestiers au secteur social et d’optimiser les bénéfices économiques de la
certification forestière. Le principal instrument prévu pour cet objectif est le développement de partenariats
aux niveaux local et régional, pour : la définition de stratégies et d’outils adaptés, le développement de
marchés pour les produits forestiers moins bien connus, des systèmes d’information adaptés aux petits
producteurs, et une meilleure intégration des mécanismes de certification de la certification forestière et du
commerce équitable. On peut donc espérer que la mise en place de cette stratégie conduira au
développement d’un marché équitable pour les produits forestiers non ligneux des communautés rurales.
Une coopération du FSC avec des organisations de commerce équitable permettrait d’accroître l’impact de
ce développement.

Conclusions

La cueillette, séchage et commercialisation de champignons et de fruits, la commercialisation durable


de l’eau peuvent être considérées comme des formes de commerce équitable les plus directes possibles,
puisque les villages bénéficient non seulement des activités de cueillette et de transformation, grâce aux
emplois et revenus générés, mais aussi de la valeur ajoutée générée par la transformation et la
commercialisation de ces produits par des entreprises leur appartenant. Ce mode d’organisation innovant
de filières communautaires représente un potentiel intéressant pour le développement de filières, dans le
secteur des produits forestiers non ligneux et d’autres. Il devrait être considéré comme un apport important
pour toute initiative nationale de commerce équitable, et pris en compte par le mouvement du commerce
équitable international.

On constate malheureusement des difficultés d’intégration à ce niveau, dues principalement à


l’inadéquation de la logique de certification de produit aux modes de production et de commercialisation
innovants développés dans ces filières. La certification de produit mise en place par les principaux
organismes de labellisation du commerce équitable s’applique mieux aux matières premières agricoles,
qu’aux filières spécialisées et aux produits transformés. Les organismes de certification biologiques et
forestiers ont mis en place des méthodes de certification et de monitering qui semblent mieux adaptées à
certains types de produits, et à la logique de filière des entreprises communautaires. Certains de ces
organismes souhaitent travailler en lien avec les organismes du commerce équitable. Il s’agit là d’une
opportunité à saisir pour le développement de nouvelles filières équitables. Les organisations de
certification du commerce équitable pourraient par ailleurs s’inspirer de certains aspects de leur mode de
fonctionnement.

Pierre Johnson 134


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

3. Les stratégies de commercialisation équitable et l’Etat mexicain

Au terme de cette enquête, un acteur important apparaît largement absent des stratégies de commerce
équitable : il s’agit de l’Etat. Nous avons montré au début de cette étude que l’Etat mexicain avait effectué
un retrait des organismes spécialisés dans les fonctions régulatrices de secteurs clefs de l’agriculture, et ce
contexte explique largement son absence des stratégies de commerce équitable. Mais cette absence est
également révélatrice des choix opérés par les organisations de labellisation du commerce équitable.

En effet, une analyse plus approfondie permet de montrer le maintien de la présence de l’Etat à certains
niveaux de la production et de la commercialisation du « secteur social » de l’économie. Certaines des
stratégies innovantes présentées dans cette partie ont compris que cette présence discrète de l’Etat dans
certains domaines pourrait constituer un enjeu pour des développements futurs.

L’héritage de l’Etat dans la production et la commercialisation de l’artisanat

L’intervention de l’Etat dans l’organisation de la production artisanale et dans la commercialisation de


ses produits continue à être déterminante pour ce secteur. Historiquement, l’Etat mexicain a mis en place
des organismes spécifiques pour la formation des artisans et l’amélioration du design des produits. Il a
encouragé la spécialisation des groupes artisanaux par régions, pour produire de l’artisanat « typique ».
L’organisation de concours, la mise en place de musées des arts et traditions populaires a par ailleurs
contribué à améliorer la qualité apparente de l’artisanat mexicain. Largement subventionnées par l’Etat et
parfois sujettes à la corruption endémique des structures d’Etat, ces actions, tout en ayant des aspects
positifs, ne relèvent pas a priori du cadre du commerce équitable ; elles ne peuvent cependant pas être
ignorées par les organisations de commerce équitable souhaitant travailler dans ce secteur. Si les
expériences visant à la mise en place de réseaux de points de vente ont été multiples dans le secteur
artisanal, le principal organisateur de la production artisanale mexicaine reste l’Etat mexicain.

L’organisation AMACUP, membre fondateur de Comercio Justo México, a tenté d’organiser un réseau
indépendant de commerce équitable de l’artisanat mexicain au niveau national. Son action était orientée
vers la valorisation des traditions locales, avec une recherche de durabilité écologique. Les produits
naturels utilisés faisaient l’objet d’une étude d’impact pour garantir leur potentiel de reproduction.
Malheureusement, ces objets artisanaux, souvent admirables, n’ont pas trouvé leur public, sans doute à
cause de prix élevés, et cette organisation avait cessé en 2003 son activité économique.

La politique indigéniste de l’Etat mexicain

Depuis la révolution du début du XXe siècle, la relation de l’Etat mexicain avec la population indigène -
qui représente 10% de la population totale, et qui connaît les indices de pauvreté les plus élevés - s’est
structurée autour de politiques aux objectifs ambigus, identifiées officiellement sous le terme « indigéniste »
(issu des valeurs défendues pendant la période révolutionnaire). L’Institut National Indigéniste (INI), créé
par décret présidentiel en décembre 1948, a joué un rôle important dans la tentative d’assimilation des
populations indigènes dans une nation en quête d’identité et de définition, à travers des discours et des
programmes sur l’éducation des peuples indigènes, longtemps conçue dans la seule langue espagnole,
puis de programmes de développement et de lutte contre la pauvreté. Sous le sexennat de Salinas de

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Gortari (1988 – 1994), et sous l’influence des politiques d’ajustement structurel, la politique indigéniste prend
une nouvelle direction, celle d’un instrument pour le combat contre la pauvreté, afin d’éviter les conflits
sociaux. Un nouveau Programme de Solidarité National (PRONASOL) est mis en place sous la gestion de
l’INI. Celui-ci combine une politique d’assistance sociale avec un discours sur le développement autonome
des peuples indigènes et l’ « appropriation du processus productif » par les petits producteurs indigènes.

Ces deux directions contradictoires créent des tensions. De nombreuses organisations d’origine
indigène prennent au mot l’idée de développement autonome, mais se trouvent confrontées à une politique
clientéliste, et à la réforme de l’article 27 de la constitution en 1992, qui permet la privatisation des terres
ejidales et communautaires. Les Fonds Régionaux Indigènes sont parmi les principaux instruments actuels
du Programme de Solidarité National. En 1991 le Fond d’Appui aux Entreprises de Solidarité est créé,
d’abord comme bras productif du PRONASOL, puis comme organe déconcentré du Ministère du
Développement Social. De 1994 à 1998, cet organisme s’oriente vers la création d’opportunités de revenus
et d’emploi pour lutter contre la pauvreté, aux côtés d’autres programmes de ce ministère, comme le Crédit
à la Parole, l’Emploi Temporaire et les Fonds Régionaux Indigènes. Le 5 juillet 2003, la Commission
Nationale pour le Développement des Peuples Indigènes (CDI) prend le relais et les fonctions longtemps
attribuées à l’Institut National Indigéniste. Cet organisme est une commission du Ministère du
Développement Social.

Les Fonds Régionaux Indigènes (FRI) sont définis par Armando Guzmán Alcántara, délégué de la
Commission pour l’état de Oaxaca, comme des « structures participatives, mises en place par la
Commission Nationale pour le Développement des Peuples Indigènes, pour la gestion de projets productifs,
dans les localités ayant au moins 30% de locuteurs indigènes ». 246 fonds régionaux indigènes sont
actuellement gérés par la commission, dont 46 dans l’état de Oaxaca, qui est ainsi celui qui a le plus de
fonds régionaux. Les fonds régionaux ont différents niveaux d’organisation. Certains fonds régionaux sont
constitués légalement, comme SC (société civile), SPR (société de production rurale), SSS (société de
solidarité sociale) ou ARIC (regroupement de deuxième niveau). Ils fonctionnent par commissions, qui
tentent souvent de commercialiser certains produits rentables, et prennent alors des noms parfois
pittoresques. Le Fondo Regional Esperanza Indígena, dans la région du Papalopan commercialise du
fromage, du café et du miel. Un certain nombre de produits pouvant être exportés ont été identifiés,
notamment : l'artisanat, la vanille, le café biologique, les fruits biologiques, l’hibiscus.

La commercialisation de la vanille par le Fond Régional du Papalopan nous permettra d’illustrer les
modes opératoires de ces structures mises en place par l’Etat pour la commercialisation de produits de
petits producteurs. Etabli dans la région de Tuxtepec, ce fond regroupait il y a quelques années près de
2000 producteurs, mais actuellement moins de 500. En 2002, il a exporté directement vers la France la
production de la vanille ses membres (d’une qualité qui serait supérieure à celle de la vanille de
Madagascar) à l’entreprise Vanipro, basée à Nice. En juin 2002 Vanipro a payé 155 dollars le kg de vanille
sèche. Soit un chiffre d’affaire de 1 563 718,13 pesos, et un bénéfice net pour le fond régional de 485 199,
53 pesos. La production était cette année là exactement de 1068 kg de vanille sèche.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Ce contrat avec Vanipro a été satisfaisant, mais sur le long terme, a révélé un déficit de production pour
continuer à exporter. La production actuelle est légèrement supérieure à une tonne de vanille par an, mais il
faudrait 30 tonnes pour pouvoir remplir un container. La désertion de producteurs de ce fond régional pose
un problème pour développer sa capacité de commercialisation. Les conditions artisanales de séchage du
produit également. Le processus de séchage artisanal utilisé localement demande trois mois, au lieu d'un
mois pour un processus non artisanal. Il y a un atelier de transformation à Papantla (Veracruz), qui pourrait
permettre d’avancer vers une solution.

La Commission Nationale de Développement des Peuples Indigènes soutient actuellement des


organisations de producteurs indépendants. Les délégués de la Commission à Oaxaca n’ont pas hésité à
présenter l’organisation concurrente de producteurs de vanille, comme une organisation contrôlée la C.N.C.
(Confédération Nationale Paysanne, syndicat agricole quasi-officiel) dont l'objectif est principalement
politique. Ils admettent également que la coordination nationale des producteurs de vanille mise en place
par le l’INI, dont le siège était à Papantla (Veracruz) n'a pas fonctionné correctement, raison pour laquelle le
Fond Régional du Papalopan s’en est retiré.

La Commission Nationale pour le Développement des Peuples Indigènes promeut l'idée de chaînes de
production - commercialisation dans les fonds régionaux. C’est pourquoi ces fonds appuient un réseau de
boutiques communautaires dans les villages producteurs de café, dans le but de commercialiser localement
le café produit localement. Parmi les difficultés des fonds régionaux évoquées par les délégués figurent :

Le manque d'infrastructures dans les zones indigènes, ce qui renchérit les prix sur le marché.

La difficulté de travailler avec des entreprises privées nationales, notamment les distributeurs de la
grande distribution, qui veulent des prix très bas.

Un manque de financement pour la commercialisation et le conseil technique.

La politique indigéniste rénovée de l’Etat mexicain sera-t-elle un apport au développement productif de


la population indigène de ce pays, et à la constitution de réseaux de commerce équitable nationaux et
internationaux ? Rien n’est moins sûr, si l’on considère que les ambiguïtés et les contradictions au sein
même de l’organisme responsable de cette politique ont été une constante depuis sa création. Il est certain
que la politique indigéniste ne peut être considérée indépendamment de la politique économique générale
de l’état mexicain, qui reste conditionnée par l’orthodoxie libérale et l’intégration à l’espace de libre-échange
nord-américain, dont les conséquences restent dramatiques pour les petits producteurs.

Pierre Johnson 137


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Agriculture biologique et appellations d’origine : les insuffisances de la régulation publique

Le mouvement du commerce équitable s’est construit au niveau international comme un mouvement


citoyen, indépendant des instruments de régulation publique. Le système de certification coordonné par
FLO apparaît ainsi comme un système de régulation privé utilisant une marque comme outil. C’est
principalement dans le domaine des régulations environnementales, pour l’agriculture biologique et le
développement des territoires, que certains Etats ont assumé des fonctions de régulation des organismes
de labellisation et de certification. Quelle est la situation de l’Etat mexicain de ce point de vue ? Est-il
possible et souhaitable d’étendre ces fonctions pour qu’elles assument une dimension sociale favorisant un
commerce équitable ?

Rappelons qu’en Europe et en Amérique du Nord, l’accréditation des systèmes de certification en


agriculture biologique est organisée par les Etats, sur la base de la participation de toutes les parties
prenantes. C’est également le cas dans certains pays en développement. L’Etat mexicain affiche un retard
important de ce point de vue. L'Association Mexicaine des Agriculteurs Ecologiques (AMAE), réseau
national d’agriculteurs et d’organisations biologiques, a proposé des normes pour l'agriculture biologique.
Au niveau officiel, la norme pour l’agriculture biologique est en discussion depuis de nombreuses années au
Parlement, où elle semble immobilisée. En l’absence d’une régulation nationale, les agences de
certification de l’agriculture biologique présentes sur le territoire répondent à des normes définies dans les
pays d’Europe ou aux Etats-Unis d’Amérique. Elles assument des fonctions de garantie utiles pour
l’exportation de produits biologiques. Au niveau national, les labels répondant à ces normes sont devenus
une référence pour une frange de consommateurs urbains, mais de nombreux réseaux de
commercialisation de produits biologiques fonctionnent sans avoir recours à ce type de certification. Selon
Ronald Nigh - co-propriétaire des restaurants la Casa del Pan, anthropologue et membre de Dana,
organisation pionnière de l’agriculture biologique au Mexique - les coûts de certification des agences de
certification sont prohibitifs pour le marché national.

Les stratégies de filières développées par les producteurs, sous la forme de marques collectives,
croisent un autre outil de régulation publique : les appellations d’origine. Cet outil est particulièrement
développé en Espagne et en France. En France, « l’appellation d’origine contrôlée (AOC) identifie un
produit agricole brut transformé qui tire ses caractéristiques d’un milieu géographique délimité intégrant des
facteurs naturels et humains. Les produits reconnus en appellation d’origine contrôlée sont l’expression d’un
lien intime entre une production et un terroir, c’est-à-dire une zone bien circonscrite, des disciplines
particulières que les producteurs se sont imposés et un nom, une notoriété que la mention vise à protéger ».

Au cours des dernières années, l’Etat mexicain a permis le développement d’un nombre réduit
d’appellations d’origine (correspondant à nos AOC). "Tequila" est la première, et pendant longtemps la plus
importante appellation d’origine au Mexique, protégée au niveau national depuis 1967 et au niveau
international depuis 1978. « Avec elle, on a cherché à garantir l'origine géographique du produit mexicain le
plus important dans son genre, son authenticité et qualité, aussi bien que les intérêts des détenteurs à
utiliser en exclusivité le nom de cette région géographique, pour éviter ainsi son adultération. » En 1997, un

Pierre Johnson 138


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

accord a été signé avec l’Union Européenne pour la protection de l’appellation d’origine du secteur de la
tequila, où cette dernière concède au Mexique le droit d’être le seul producteur de tequila au monde.

Les appellations d’origine sont actuellement cinq au Mexique, dont deux seulement sur des produits
alimentaires, les trois autres défendant des formes traditionnelles d’artisanat. Ce sont la Tequila (couvrant
l’état de Jalisco et des parties des états du Michoacan et de Tamaulipas), le Mezcal, la Talavera (céramique
de Puebla), l’Onilana (laques) et l’Ambre.

Le modèle des AOC a paru attractif au groupe de producteurs de Mezcal Papalote de Chilapa, qui a eu
la possibilité de connaître l’expérience des AOC en France et en Espagne, grâce au Programme de
Ressources Biologiques Collectives de la Commission Nationale pour la Connaissance et l’Usage de la
Biodiversité (CONABIO). Ce groupe de producteurs voulait faire reconnaître l’origine et les méthodes de
production de leur produit. Les expériences des AOC suggéraient des mécanismes permettant de renforcer
l’autorégulation. Le système d’autorégulation de leur marque collective est proche de celui des AOC.

Cette initiative pourrait-elle être le prototype pour la constitution d’une AOC spécifique à ce type de
mezcal ? Les pays où existent des AOC encouragent en effet l’organisation des producteurs eux-mêmes
dans la définition des normes, étape préliminaire à une reconnaissance officielle. Mais Catarina Illsley du
Groupe d’Etudes Environnementales, qui appuie les producteurs de mezcal de Chilapa, affirme que l'AOC
officielle pour le mezcal, établie en 1994 et modifiée en 1999, comprend certains défauts : mise en place par
les autorités gouvernementales et un groupe d'entrepreneurs, elle prend en considération la production de 5
états mexicains seulement sur environ 18 états producteurs. La production traditionnelle des Indiens
huichols (état de Jalisco) n'est par exemple pas prise en compte.

Le cas de la tequila illustre également les failles des appellations d’origine au Mexique. Bien que
techniquement la tequila soit un type de mezcal, elle bénéficie d’une appellation particulière. Le découpage
géographique assez curieux de l’appellation d’origine pour la tequila (habituellement identifiée à l’état de
Jalisco) reflète le jeu d’intérêts privés, au moment où les grandes entreprises de tequila ont toutes été
achetées par des grands groupes étrangers.

En attendant une meilleure organisation du système des appellations d’origine au Mexique, les
marques collectives pourraient ainsi constituer dans ce pays une étape vers une reconnaissance des
caractéristiques géographiques et sociales exprimées dans une production locale. Catarina Illsley perçoit
ainsi les AOC et les marques collectives comme une alternative au modèle des brevets promu par les Etats-
Unis dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce, permettant de faire reconnaître les
connaissances intellectuelles des groupes indigènes pauvres. Il faut mettre au crédit des autorités
publiques l’appui que le Programme de Ressources Biologiques Collectives de la CONABIO a apporté au
développement des marques collectives. Dans nos exemples, le Mezcal Papalote de Chilapa et Pita de la
Selva sont deux marques ayant bénéficié de cet appui.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Pierre Johnson 140


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

VI. Conclusions et recommandations

Conclusions

1. Un label pour les producteurs de café ?

Le développement du label mexicain du commerce équitable a été porté principalement par un


groupe de coopératives de petits producteurs de café, qui sont parmi les mieux consolidées du pays. Le
poids de ce groupe continue à être déterminant dans l’action de Comercio Justo México, propriétaire du
label. Cette particularité présente des atouts, mais aussi des risques.

L’expérience de ce groupe d’organisations a certes permis la définition de normes précises et d’un


mode opératoire fonctionnel pour le label mexicain. Après avoir été à l’origine de la création des premiers
labels de commerce équitable internationaux, et de l’agence de certification nationale en agriculture
biologique Certimex, les petits producteurs de café montrent avec le label mexicain à nouveau leur capacité
d’initiative et leur importance dans le mouvement du commerce équitable.

Certaines de leurs organisations ont bénéficié des conditions de prix et de préfinancement des labels
du commerce équitable, qui sont regroupés dans la fédération internationale FLO, pendant de nombreuses
années. Ils en connaissent donc les avantages, mais ont pu également en mesurer les limites, en termes
de marché, mais aussi de méthode d’inspection et de certification, et se montrent parfois critiques vis-à-vis
du « système FLO ».

La stratégie poursuivie par le label mexicain de commerce équitable apparaît pourtant comme une
adaptation du modèle de FLO aux réalités mexicaines, avec quelques innovations :

Pour Comercio Justo México, le commerce équitable est défini comme un contrat entre producteurs
et consommateurs, où les premiers s’engagent à fournir un produit de qualité intégrale. L’initiative
mexicaine a le mérite de remettre à l’ordre du jour cet aspect contractuel, et donc la responsabilité et la
dignité du producteur. Cet aspect avait tendance à être occulté par les objectifs pragmatiques de FLO.
C’est pourquoi les normes et règlements du commerce équitable mexicain tendent à privilégier la production
biologique, alors que FLO refuse d’imposer des normes biologiques à ses partenaires producteurs. Les
critères de respect de l’environnement sont donc plus explicites dans les règlements de l’organisation
mexicaine.

Pour l’initiative mexicaine, le commerce équitable concerne uniquement les organisations de petits
producteurs, et non les salariés de plantations, qui ne sont pour l’instant pas pris en compte. Cette
restriction présente l’intérêt de situer le commerce équitable dans le contexte d’une économie sociale et
solidaire, mais pourrait en limiter l’expansion. Les initiatives nationales de FLO ont au contraire défini des
critères pour les plantations de certains produits : thé, fruit, bananes, notamment. La position mexicaine est
convergente avec celle des organisations de producteurs de café latino-américaines, qui ont toujours refusé
l’extension du commerce équitable aux plantations de café. Cette question est encore en discussion entre
partenaires de FLO, qui a récemment adopté des critères plus stricts pour l’ensemble des plantations.

Pierre Johnson 141


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Enfin, les petits producteurs mexicains sont les premiers à avoir présenté un modèle d’entreprise de
commerce équitable possédée collectivement par des organisations de petits producteurs. La norme pour
l’entreprise mexicaine de commerce équitable vient consacrer la valeur sociale de cette réalisation.

Les risques de cette stratégie sont l’isolement des producteurs et la focalisation sur un seul mode
de commercialisation. Ces deux dangers sont étroitement liés, et découlent de la prépondérance des
producteurs dans l’initiative mexicaine. Or, jusqu’à aujourd’hui, le commerce équitable est surtout un
mouvement de consommateurs du Nord. Le défi pour les pays en développement est de créer une culture
de consommation responsable au moins dans certaines franges de la population. Le processus du
commerce équitable mexicain s’est pour l’instant concentré sur la définition de normes, d’un système
d’inspection – certification – labellisation, et d’une stratégie commerciale pour son premier produit, le Café
Fertil, sans remettre en question les habitudes du consommateur.

La promotion du label mexicain suit des méthodes commerciales conventionnelles. Selon ses
promoteurs, il s’agit de donner aux Mexicains la culture du bon café, et de démontrer que celui-ci est produit
au Mexique principalement par les petits producteurs. L’objectif est d’atteindre un niveau de consommation
de ce produit comparable à celui des pays industrialisés. Mais celui du commerce équitable est-il d’accroître
la consommation de produits du secteur social, ou d’orienter celle-ci vers des produits respectant la société
et l’environnement ?

De nombreux acteurs au Mexique soulignent pourtant la nécessité et la possibilité de faire émerger


une culture de consommation responsable et solidaire, sans laquelle la vente de produits équitables risque
de devoir s’adapter à consumérisme dominant. Les réseaux nationaux et les organisations de la société
civile avaient été invités à participer à la genèse du label mexicain. Ils ont ensuite été laissées de côté par
ses organisateurs et promoteurs. Ils pourraient cependant constituer un appui de première importance pour
la sensibilisation et l’éducation du consommateur mexicain au commerce équitable et à la consommation
responsable. Des pratiques commerciales responsables et solidaires émergent aux niveaux local et
régional, comme le montre l’existence de points de vente de produits du commerce équitable et les
pratiques éthiques de restaurants ou réseaux d’agriculture biologique.

La commercialisation du café équitable tend à privilégier la grande distribution. De ce point de vue,


l’existence de points de vente de détail n’est valorisée que pour la promotion qu’elle peut donner au produit,
et non comme élément de la construction d’une relation solidaire entre les producteurs et les
consommateurs. La focalisation sur le café tend également à faire passer au second plan tous les autres
types de production, pas toujours adaptés à une consommation de masse. Les produits forestiers, le miel,
l’hibiscus, les fruits et les légumes peuvent avoir des débouchés sur des marchés locaux ou régionaux tout
en respectant des conditions de commerce équitable.

Pierre Johnson 142


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

2. D'autres stratégies nationales et régionales

Le lancement du Café Fertil dans les franchises d’un grand groupe mexicain illustre les opportunités
et les désavantages d’une stratégie axée sur la grande distribution. Celle-ci permet à terme l’écoulement de
volumes importants, mais demande une concentration et une homogénéité de l’offre que ne peuvent pas
offrir tous les groupes de producteurs. Les producteurs d’hibiscus biologique approchés par la grande
distribution n’ont par exemple pas pu répondre à la demande en volume. Les producteurs de vanille du
Papalopan sont actuellement confrontés au même problème à l’exportation. Pour bien d’autres groupes de
producteurs la grande distribution n’est pas un marché accessible. Et les petits producteurs mexicains ne
font pas que du café…

Preuve de la concentration des efforts du système mexicain de commerce équitable, parmi les
produits affichés par Agromercados, seul le café a fait l’objet d’une stratégie de commercialisation effective.
Ceci n’a pas empêché les producteurs de maïs, de mezcal, de miel, d’hibiscus, de chocolat, de fruits et de
champignons séchés et de produits à base de fibres naturelles de suivre d’autres stratégies. Certains
groupes ont réussi à créer des canaux effectifs de commercialisation après avoir procédé à des études de
marché permettant d’identifier la demande, et fait un effort pour garantir la qualité de leurs produits. C’est le
cas du mezcal de Chilapa, vendu aux connaisseurs, de la Pita de la Selva, commercialisée aux artisans du
Centre-Nord du pays, des fruits et champignons séchés produits par Pueblos Mancomunados, destinés aux
restaurants gourmets. Bien ciblés, ces marchés devraient garantir une demande stable, et souvent
suffisante pour les producteurs impliqués.

Les efforts des organisations cherchant à encourager la diversification de la production de leurs


membres ou de leurs régions méritent d’être soulignés. Le miel mélipone, le poivre de Jamaïque, et
d’autres produits fruitiers ou forestiers pouvant être intégrés à la milpa traditionnelle peuvent être
commercialisés sur des marchés parfois réduit mais souvent rémunérateurs, qui n’obéissent pas à la
logique de la grande distribution. Ainsi le miel mélipone de la Côte du Golfe du Mexique, l’essence du
poivre de Jamaïque poussant sous les caféiers ou le sésame biologique produit dans l’état de Oaxaca
trouvent des débouchés dans les points de vente de produits naturels, et dans les restaurants biologiques.
Les producteurs de maïs et d’amarante cherchent quant à eux à valoriser ces céréales par des méthodes
de production et de transformation inspirées de la culture traditionnelle. Ils pourraient aider des labels de
commerce équitable à faire la transition de leur logique de produit actuelle à une logique de filière intégrant
dans ses critères la notion de valeur ajoutée.

Les marques collectives se sont révélées être des outils efficaces et peu onéreux pour atteindre
différents types de marchés, et garantir non seulement l’origine du produit, mais aussi son mode de
production et de transformation. Ces marques peuvent ainsi contenir dans leurs règles d’usage, inscrites
lors du dépôt légal, des critères sociaux et environnementaux. Le Mezcal Papalote de Chilapa et la Pita de
la Selva ont chacun un Conseil de Régulation regroupant les parties prenantes et assumant la sélection des
producteurs en fonction des critères établis. Les cueilleurs de champignons de Pueblos Mancomunados
doivent obtenir un permis de cueillette officiel pour pouvoir commercialiser sous la marque Sierra Viva. Le

Pierre Johnson 143


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

potentiel des produits forestiers autres que le bois (dits « non ligneux ») pour la commercialisation et
l’autosuffisance est souligné par la FAO et par des études spécifiques.

Les conseils de régulation de ces marques permettent d’arriver à un processus d’accréditation du


producteur qui peut s’apparenter ou venir en complément d’une certification biologique ou équitable. La
certification biologique n’est d’ailleurs pas toujours adaptée à certains produits forestiers de cueillette, et
reste difficilement accessible à de petits groupes de producteurs produisant de faibles volumes. La
certification nationale de commerce équitable est encore trop réduite en nombre de produits pour intéresser
des producteurs autres que ceux déjà initiés au commerce équitable international. Mais Comercio Justo
México pourrait s’inspirer des critères établis par les marques collectives pour certains produits adaptés au
marché mexicain, comme le mezcal, le miel mélipone, la pita ou l’amarante, pour mettre au point de
nouveaux règlements de produits.

Les marques collectives permettent également une participation d’instances gouvernementales aux
mécanismes de régulation, à partie égale avec les producteurs, transformateurs et commerçants. Cette
participation mérite d’être soulignée, car elle est absente d’autres stratégies de commerce équitable. Les
consommateurs peuvent aussi prendre conscience que le respect de l’environnement, des droits fonciers et
forestiers est garanti par les mécanismes de régulation de la marque elle-même.

L’expérience des marques collectives de produits forestiers ou céréaliers plaide ainsi en faveur de la
reconnaissance d’une diversité d’entreprises mexicaines de commerce équitable. Les entreprises
communautaires ont assimilé les mécanismes régulations sociales et environnementales propres à ces
filières. Cette expérience risque de se perdre ou de s’altérer si elle est diluée dans une entreprise unique de
commerce équitable, comme l’exige actuellement la norme de Comercio Justo México.

Depuis la fin des années 1980, des réseaux d’économie solidaire et de commercialisation
communautaire ont été mis en place par des organisations non gouvernementales, souvent liées à l’Eglise,.
Ces réseaux relient des groupes très réduits de producteurs, parfois simplement des familles et souvent des
femmes à la recherche d’activités complémentaires. Ils ont tenté de mettre en place des formes de
commercialisation et d’échange novatrices, qui reposent sur la réciprocité et la solidarité. Leurs foires et
60
marchés (tianguis) solidaires, qui utilisent parfois une monnaie sociale , n’ont pas toujours garanti aux
producteurs les débouchés escomptés, mais ont une fonction importante pour la formation, l’échange
d’expérience et la préparation des producteurs aux marchés conventionnels.

D’autres organisations non gouvernementales ont centré leur action sur la commercialisation et ont
appuyé la constitution de points de vente ou de réseaux de commercialisation. Certaines boutiques de
produits équitables et solidaires se sont assuré une existence pérenne grâce au travail de militants sociaux,
comme l’ecotianguis Viva la Tierra à Cuernavaca, qui a réussi à étendre et à diversifier son offre, et donc
ses bénéficiaires. Des boutiques d’artisanat à Mexico, Cuernavaca, San Cristobal de las Casas ou Oaxaca,
et sans doute dans d’autres villes, sont gérées par les producteurs eux-mêmes, sous forme coopérative.

60
Sur le modèle des monnaies sociales du Réseau Global de Troc en Argentine. Au Mexique, l’initiateur de cet outil
d’échange local est Promoción de Desarrollo Popular avec le Tianguis Tlaloc.

Pierre Johnson 144


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Des restaurants ou réseaux de commercialisation de produits biologiques ont adopté des pratiques
éthiques, qui en font des options équitables pour les organisations de petits producteurs. Au niveau
national, Bioplaneta expérimente les possibilités de vente en ligne d’une offre diversifiée de produits et de
services d’écotourisme provenant de petits producteurs.

Ces différents modes de commercialisation - grande distribution, marchés spécialisés, biologiques ou


gourmets, marques collectives, réseaux de commercialisation communautaire, boutiques, cafés et
restaurants de commerce équitable ou de produits biologiques respectant les producteurs - apparaissent
comme complémentaires dans la perspective de la construction d’un marché national de commerce
équitable. Une initiative nationale dans un pays producteur devrait donc tenir compte de cette diversité. Or
les labels de produits du commerce équitable ont exploré presque exclusivement le potentiel de la grande
distribution. La mise en réseau des boutiques spécialisées et des démarches de filières, l’accompagnement
et la valorisation des orientations sociales et environnementales de certaines entreprises, pourraient
permettre au commerce équitable de valoriser et de mettre en relation l’ensemble de ces pratiques.

3. La pertinence de l’expérience mexicaine pour d’autres pays du Sud

Comercio Justo México a été au cours des dernières années l’initiateur d’une stratégie d’ampleur
nationale de labellisation de commerce équitable. Cette initiative est en plein développement et connaît des
évolutions importantes. L’intégration du label mexicain et de ses critères à FLO en 2004, la définition de
nouveaux règlements de produits, et le développement commercial des produits labellisés, devraient en
modifier sensiblement les caractéristiques dans les prochains mois et les prochaines années.

Nous pouvons déjà souligner certains facteurs spécifiques ayant contribué au succès du lancement
du label mexicain de commerce équitable. Ces indications peuvent permettre d’évaluer les conditions de
reproduction de la stratégie mexicaine, lorsque ces facteurs existent dans d’autres pays du Sud :

Le label mexicain de commerce équitable a bénéficié de l’expérience d’un secteur de la petite


production rurale fortement organisé pour la production écologique et la commercialisation sur les marchés
internationaux. Un groupe cohérent d’organisations issu de ce secteur a été à l’origine du lancement de
l’agence mexicaine de certification biologique, puis de l’initiative nationale de commerce équitable.

C’est la force du secteur caféier au Mexique que d’être organisé pour la commercialisation, au-delà
des intérêts politiques et des conflits historiques. D’autres pays peuvent s’appuyer sur des caractéristiques
similaires pour lancer une initiative nationale de commerce équitable. Cependant, il serait préférable que de
plus larges secteurs organisés de petits producteurs participent à un tel lancement.

Les organisations de producteurs doivent pouvoir établir des alliances commerciales avec des
entreprises de distribution - grandes, moyennes ou petites - et travailler avec des organisations de la société
civile intéressées par la promotion d’une culture de consommation responsable. Actuellement, l’expérience
mexicaine est plus forte sur le premier aspect que sur le deuxième.

Pierre Johnson 145


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

La labellisation de commerce équitable doit prêter attention aux questions d’échelle et de volume.
Selon Comercio Justo México, les perspectives de vente des marques labellisées doivent former une masse
critique suffisante pour que l’effort en vaille peine. Mais comment évaluer cette masse critique ? Ne dépend-
elle pas des méthodes de labellisation choisies ? Ne faut-il pas non plus évaluer la pertinence des labels de
commerce équitable, des labels biologiques ou forestiers et des marques collectives en fonction de leur
accessibilité à différents secteurs de la petite production ?

Le label mexicain de commerce équitable a utilisé l’expérience d’une agence de certification


nationale de produits et processus biologiques qui travaille pour des organisations de petits producteurs. De
nombreux pays du Sud ont aussi des agences de certification biologique, qui peuvent constituer une base
pour l’inspection et la certification dans la perspective d’une stratégie nationale de commerce équitable.

Le marché ciblé par le label mexicain de commerce équitable est celui de la consommation de
masse et de la grande distribution, à l’instar des labels regroupés dans FLO. Ce marché favorise les
produits pour lesquels les producteurs sont organisés pour fournir des volumes importants. Mais le succès
du label mexicain dépendra également de la capacité d’absorption du marché mexicain pour ces produits.
Et les stratégies nationales de commerce équitable au Sud pourraient aussi viser d’autres types de marchés
sur lesquels des groupes de producteurs ou des entreprises sociales ont une expérience, tout en prenant
contact avec le secteur de la transformation et de la distribution.

FLO International a reçu des propositions de formation d’initiatives nationales de commerce équitable
de pays du Sud. Elles ont été évoquées au Salvador, au Guatemala, en Inde, au Sri Lanka et aux
Philippines. Mais les initiatives en cours de formation ayant une existence réelle sont dans des pays
industrialisés : Australie, Nouvelle Zélande et Espagne. Selon le directeur de FLO, une initiative nationale
pourrait aussi avoir un sens au Brésil et au Costa Rica, où il existe une classe moyenne suffisamment forte
pour constituer un marché interne.

Outre le Brésil et le Costa Rica, des pays d’Asie ou du Moyen-Orient (Inde, Egypte,…) pourraient
répondre aux conditions de développement d’une initiative nationale de commerce équitable. Certains pays
au fort potentiel productif et commercial, comme la Chine, se trouveraient cependant confrontés à la
faiblesse de leur société civile. Dans les pays d’Amérique Centrale et d’Afrique, il serait à notre avis
souhaitable de se diriger vers une initiative régionale, pour qu’une telle initiative puisse avoir un marché.

Le Mexique reste actuellement le seul pays du Sud à tenter de mettre en place son propre label,
mais d’autres ont créé des plateformes de discussion et d’échanges d’expériences en vue de la définition
d’une stratégie nationale. En Amérique latine, l’expérience la plus significative de ce point de vue est celle
du Forum d’Articulation du Commerce Ethique et Solidaire (FACES do Brasil), coordonné depuis plusieurs
années par des organisations non gouvernementales de portée nationale, des institutions publiques, de
commerce équitable et de coopération internationale. Les groupes de travail de ce Forum prennent en
compte les différentes fonctions nécessaires au lancement d’une initiative nationale : commercialisation,
production, réglementation et organisation interne (gestão do próprio grupo). La discussion en cours
concerne la définition des principes et critères du commerce équitable.

Pierre Johnson 146


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Cette étude des stratégies de commerce équitable au Mexique montre que des options existent pour
une initiative nationale de commerce équitable au Sud, autres qu’une adaptation du modèle de labellisation
et d’inspection – certification développé par les organisations de FLO International, valables surtout dans un
contexte international. Les stratégies des organisations de petits producteurs sont suffisamment diverses
pour représenter un potentiel important. Il serait contre-productif d’assimiler la stratégie nationale de
commerce équitable à la seule labellisation par produit, et de viser uniquement le marché de la grande
distribution. Les initiatives nationales peuvent apprendre des organisations de producteurs qui combinent la
commercialisation à des échelles différentes en fonction des opportunités, locale, régionale, nationale et
internationale, ou qui organisent des chaînes de production – transformation garantissant au consommateur
la qualité sociale et environnementale du produit, et aux producteurs une plus grande valeur ajoutée.

4. Le potentiel pour l'échange d'expériences

Les conclusions de cette étude restent donc nuancées, à cause de la diversité des stratégies de
commerce équitable présentes au Mexique, et des contextes où ces stratégies pourraient en inspirer
d’autres. Mais cette diversité même offre un potentiel important d’apprentissage et d’échange d’expériences
aussi bien pour le mouvement international du commerce équitable que pour des organisations de petits
producteurs du Sud et même du Nord.

Le processus de définition de normes nationales de commerce équitable au Mexique apporte une base
de comparaison significative avec celles établies par les initiatives nationales de FLO dans les pays du
Nord. Nous avons souligné les principales différences entre les deux systèmes, qui précisent les termes du
débat en cours dans le mouvement du commerce équitable entre les producteurs latino-américains des
agences de certification du Nord. Certaines de ces différences témoignent d’une perception spécifique du
commerce équitable par le groupe de producteurs porteurs de l’initiative mexicaine. La définition même par
l’initiative mexicaine du commerce équitable - comme partenariat entre organisations de petits producteurs
du Sud et entreprises de commercialisation et de transformation - contraste avec l’évolution des initiatives
nationales de FLO au Nord au cours des dix dernières années, lesquelles ont abouti à l’inclusion de
plantations et de grands producteurs privés dans le système, au bénéfice de leurs salariés. FACES,
l’initiative brésilienne, semble se diriger vers une définition du commerce équitable semblable à celle
adoptée par l’initiative mexicaine. La définition du commerce équitable devrait être débattue prochainement
au niveau international par l’ensemble des acteurs. En clarifiant l’identité du mouvement du commerce
équitable avec toutes les parties prenantes, et notamment les producteurs, ce débat pourrait en faire
apparaître les spécificités, mais aussi les complémentarités avec d’autres mouvements visant à incorporer
une dimension éthique et solidaire dans les actes économiques.

Les stratégies des producteurs mexicains sont pour la plupart orientées vers la notion de qualité
totale (intrinsèque, sociale, environnementale) de leur production. Cette orientation permet à Comercio
Justo México de définir le commerce équitable comme un mouvement visant à la qualité totale, au bénéfice
non seulement des petits producteurs mais aussi du consommateur – citoyen, évitant ainsi les dangers

Pierre Johnson 147


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

d’une définition basée sur l’assimilation de tous les petits producteurs à des producteurs marginalisés. Cette
notion de qualité totale pourrait fournir la base d’échanges entre les différentes composantes du commerce
équitable, les mouvements de l’agriculture biologique, et d’autres mouvements visant au développement
durable dans le contexte d’échanges commerciaux.

Un dialogue plus spécifique sur la labellisation sociale pourrait inclure non seulement les organisations
de labellisation de produits et de filières du commerce équitable et les agences de certification biologique,
mais aussi des organismes comme le Forest Stewardship Council (FSC), assurant la définition de normes
et l’accréditation pour une gestion forestière responsable. Le FSC est membre avec FLO et IFOAM de
l’Alliance Internationale pour l’Accréditation et la Labellisation Sociale et Environnementale (ISEAL), une
instance de dialogue entre organismes de labellisation et d’accréditation. Il met actuellement en place une
stratégie sociale visant à une meilleure accessibilité de son système aux petits producteurs, particulièrement
à ceux du Sud. Les initiatives nationales du FSC, présentes dans une trentaine de pays producteurs et/ou
consommateurs du Nord et du Sud, peuvent développer des standards adaptés aux réalités locales, sur la
base des normes internationales du FSC. Elles ont aussi pour mission de préparer les producteurs par la
promotion, l’information et la formation. Leur expérience pourrait être significative pour le mouvement du
commerce équitable.

Des échanges entre acteurs mexicains et français ou européens pourraient inclure d’autres aspects que
ceux de la labellisation. Les appellations d’origine contrôlée (AOC) ont par exemple déjà fait l’objet d’un
séminaire franco-mexicain à Guadalajara du 18 au 19 octobre 1999, sous les auspices de l’Institut Mexicain
de la Propriété Intellectuelle (IMPI), qui protège au Mexique les brevets et les marques, et la participation de
l’Institut National de la Propriété Industrielle en France (INPI) et de l’Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle (OMPI). Ce séminaire intitulé « appellations d’origine : une tradition présente à l’aube du XXIe
siècle » a eu une grande importance pour les parties mexicaines. Les échanges sur ce thème pourraient se
prolonger en incorporant les bénéfices sociaux et locaux de ces appellations, et leur articulation avec les
marques collectives. Ces dernières pourraient également faire l’objet d’échanges spécifiques. La notion
d’organisation et de régulation collective des filières commerciales mériterait d’ailleurs de figurer parmi les
thèmes privilégiés d’échanges et de réflexion pour le mouvement dans son ensemble.

Le besoin de mettre en place des campagnes de sensibilisation est fortement ressenti par certains
acteurs mexicains, notamment par des organisations de la société civile sensibilisées aux notions de
commerce équitable, d’économie solidaire et de consommation responsable. Le Mexique affiche un retard
important sur cette question, ce qui pourrait déséquilibrer les avancées d’une stratégie nationale portée
principalement par des organisations de producteurs. Ces organisations sociales, avec certains acteurs du
label mexicain équitable, voudraient maintenant avancer vers la mise au point de stratégies concrètes de
sensibilisation. Elles ont pris conscience de l’expérience européenne, où la sensibilisation des
consommateurs a précédé la mise au point de labels nationaux. L’existence de campagnes européennes
comme Clean Clothes (portée en France par le Collectif de l’Ethique sur l’Etiquette) et le travail de
promotion des points de vente du commerce équitable, voire de l’agriculture biologique et de produits

Pierre Johnson 148


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

naturels, fait avancer progressivement la conscience citoyenne. Les collectivités locales européennes
commencent également à s’intéresser à ces aspects, et pourraient contribuer à de tels échanges.

Certes, il peut se révéler plus complexe de faire émerger une conscience citoyenne de la
consommation dans un pays connaissant de profondes divisions sociales et politiques. La pauvreté se situe
ici aux portes des villes et même des quartiers riches, ce qui n’est pas le cas sous d’autres latitudes. Mais
les méthodes de sensibilisation développées par les acteurs européens pourraient se révéler pertinentes
dans le contexte mexicain. Leur expérience pourrait fournir des leçons utiles à leurs partenaires du Sud,
s’ils établissent un dialogue respectueux avec leurs homologues ou partenaires du Sud et prennent
conscience de la spécificité des contextes. Réciproquement, la proximité des organisations de la société
civile mexicaine avec les organisations de petits producteurs pourrait être riche d’enseignements pour les
partenaires du Nord.

Pierre Johnson 149


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

Recommandations

1. Pour les agences de certification du commerce équitable

• Les initiatives nationales de labellisation du commerce équitable doivent prendre en compte les
contextes sociaux, économiques et culturels des régions productrices. Ces contextes peuvent varier à
l’intérieur d’un même pays.

• En ce sens, l’expérience d’élaboration de normes et de critères de commerce équitable au Mexique est


un apport important au mouvement dans son ensemble, qu’il serait préjudiciable d’effacer à cause d’une
politique d’harmonisation internationale de ces normes. L’harmonisation est souhaitable, mais elle
n’implique pas nécessairement d’homogénéisation.

• Les initiatives nationales de commerce équitable dans les pays producteurs peuvent constituer des
outils pour favoriser non seulement l’accès au marché des petits producteurs, mais aussi la
souveraineté alimentaire et la diversification de la production. Elles doivent considérer la promotion de
produits et de filières ayant une valeur particulière pour ces objectifs. Au Mexique et en Amérique latine,
celles-ci peuvent inclure le maïs, l’amarante, le nopal (le figuier de Barbarie), le miel mélipone, des
épices et des produits forestiers non ligneux.

• L’ensemble du mouvement du commerce équitable doit trouver des mécanismes pour favoriser un
équilibre entre la promotion de produits destinés aux marchés les plus rémunérateurs et
l’encouragement des stratégies de producteurs visant à l’autonomie par la souveraineté alimentaire,
l’autoconsommation et la diversification de la production.

• Les labels nationaux de commerce équitable devraient mettre au point, en complément d’une démarche
de labellisation de produits, des mécanismes pour la labellisation de filières de produits transformés, qui
permettent de valoriser les marques et les entreprises collectives des petits producteurs nationaux.

• La définition de nouveaux règlements de produits par le commerce équitable devrait être basée sur
l’expérience des producteurs et des organismes d’accompagnement. Au Mexique une expérience
existe en ce sens pour l’amarante et le maïs, et peut-être pour d’autres produits (hibiscus, figuier de
Barbarie…). Il est important de la valoriser.

• Il est souhaitable de renforcer la coordination des agences de certification du commerce équitable, de


l’agriculture biologique et de produits forestiers, par une confrontation et la recherche d’une
convergence des normes. Au cours de ce processus, les inspections conjointes devraient devenir plus
fréquentes.

• Le mouvement du commerce équitable devrait chercher une plus grande participation des mouvements
de la société civile, dont le rôle de sensibilisation et d’éducation des citoyens et des consommateurs est
sans doute irremplaçable. Ces mouvements, représentés par des organisations non
gouvernementales, pourraient également être davantage associés au processus d’élaboration de
normes, et jouer un rôle dans la labellisation du commerce équitable.

Pierre Johnson 150


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

• Le mouvement du commerce équitable devrait aussi chercher un certain niveau de participation des
autorités publiques, utile pour la reconnaissance de ses initiatives, et leur coordination avec certains
mécanismes de régulation publique ou de développement local et régional. Au Mexique, le mouvement
du commerce équitable pourrait appuyer les aspects sociaux des appellations d’origine et des fonds
régionaux de développement.

2. Pour les réseaux commerciaux travaillant avec les petits producteurs

• De nombreuses organisations de petits producteurs n’ont pas encore établi leurs propres entreprises
commerciales. Aussi, des entreprises de commercialisation issues de la société civile se sont mises en
place pour aider à la commercialisation des produits de ces producteurs. Elles ont en ce sens un rôle
utile, mais doivent veiller à ne pas se substituer aux organisations de producteurs.

• Tout point de vente ou entreprise de commercialisation se réclamant du commerce équitable devrait


rendre public ses comptes, notamment la rémunération des producteurs et de ses salariés, la
provenance et les volumes des produits, pour que le consommateur ou tout citoyen puisse vérifier la
conformité de ses actions avec les valeurs qu’ils affichent. Cette transparence n’est malheureusement
pas assez générale, et les allégations peuvent rarement être vérifiées.

• Ces points de vente et réseaux de commercialisation devraient se donner un code de conduite qui
clarifierait leurs valeurs et leurs engagements, et permettrait de les confronter à leurs pratiques. Elles
pourraient s’organiser en réseau pour réviser mutuellement ces pratiques, et établir ultérieurement un
système d’accréditation en suivant par exemple l’expérience de l’Association Internationale de
Commerce Equitable (IFAT) qui délivre une marque d’accréditation à ceux ses membres ayant effectué
une autoévaluation revue par des pairs, et soumise à l’éventualité de contrôles externes.

• Quelles que soient les options choisies en terme de reconnaissance de leur engagement éthique, la
structuration en réseau des points de vente (boutiques, restaurants, cafés) obéissant aux principes du
commerce équitable est souhaitable. Elle permettrait de donner une visibilité à tous ceux qui obéissent
réellement aux valeurs du commerce équitable et de la consommation responsable, et de rationaliser
leurs coûts d’approvisionnement auprès des producteurs, aussi bien que leur distribution sur le territoire
national.

Pierre Johnson 151


Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

3. Pour les producteurs et les institutions d'appui

• Le commerce équitable représente un appui pour une stratégie de développement des régions les plus
marginalisée basée sur le marché, il ne résout pas tous les problèmes des producteurs pour la
commercialisation, notamment le financement de la production, la formation technique et le contrôle de
la qualité et des volumes de production.

• Tel qu’il est actuellement structuré, le commerce équitable ne constitue au mieux qu’un élément d’une
stratégie de développement des petits producteurs. Celle-ci devrait envisager des objectifs
complémentaires, notamment la diversification des activités productives, le développement social et la
souveraineté alimentaire.

• La structuration du commerce intérieur de certaines filières selon les principes du commerce équitable
demande la mise en place de programmes ambitieux. Nous pensons au cacao, qui aurait un marché
national, et à des produits innovants comme certaines fibres, épices et produits forestiers.

• Les organisations de petits producteurs peuvent envisager la constitution de marques collectives ou


encore d’appellations d’origine contrôlée comme options complémentaires aux stratégies de marché du
commerce équitable.

• La participation des organisations de producteurs à des fonds ou à des projets de développement


locaux ou régionaux peut être une opportunité de mettre leurs activités commerciales au service des
dynamiques de développement territorial. Ces structures peuvent être l’occasion d’établir un dialogue
constructif avec les autorités publiques à différents échelons, local, régional ou national.

• Les producteurs devraient participer pleinement aux initiatives nationales et internationales de


commerce équitable, sans pour autant rester sur des positions sectorielles, mais en envisageant au
contraire ce mouvement comme l’occasion d’établir des liens et de construire entre partenaires des
relations économiques reposant sur des valeurs et des principes partagées.

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Le Commerce Equitable au Mexique : Labels et Stratégies

4. Pour les partenaires européens

• Les partenaires internationaux des organisations de producteurs et de la société civile au Mexique


(organisations de solidarité internationale, organisations de commerce équitable…) doivent baser leurs
stratégies d’appui aux producteurs sur la reconnaissance et la valorisation des initiatives dans ce pays,
et sur un dialogue avec ces producteurs.

• Ce dialogue pourra faire apparaître certains des besoins les plus pressants des organisations de
producteurs. D’après nos interlocuteurs, celles-ci ont besoin de trouver des partenaires commerciaux
intéressés par des produits non-conventionnels (sésame et hibiscus biologique, poivre de Jamaïque,
miel mélipone). La constitution d’un capital de travail est un problème pressant pour nombre d’entre
elles, qui pourrait se résoudre par des prêts ou crédits issus de la finance éthique. De nombreux
techniciens locaux peuvent assurer la formation des producteurs à l’agriculture biologique, au contrôle
de qualité et à la commercialisation, mais cette activité demande aussi un investissement initial que
seules quelques organisations anciennes ont pu faire.

• Certains programmes prioritaires seraient utiles et pourraient être encouragés par la coopération
internationale. L’expérience européenne pourrait être utile pour développer une campagne de
sensibilisation des consommateurs mexicains à la consommation équitable et au commerce équitable.

• L’échange d’expériences peut être riche d’enseignements des deux côtés. Les organisations
françaises de producteurs ou de commerce équitable peuvent aussi apprendre des acteurs mexicains
du commerce équitable.

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