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Comptes rendus des séances

de l'Académie des Inscriptions


et Belles-Lettres

La première réformation générale de l’Université de Paris (1366)


Professeur Jacques Verger

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Verger Jacques. La première réformation générale de l’Université de Paris (1366) . In: Comptes rendus des séances de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 155e année, N. 3, 2011. pp. 1229-1251;

doi : 10.3406/crai.2011.93275

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2011_num_155_3_93275

Document généré le 19/02/2018


COMMUNICATION

LA PREMIÈRE RÉFORMATION GÉNÉRALE


DE L’UNIVERSITÉ DE PARIS (1366),
PAR M. JACQUES VERGER, CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE

L’intérêt du texte qui fait l’objet de la présente communication,


tient d’abord à la place particulière qu’il a prise dans la mémoire
collective et l’historiographie de l’université de Paris. Promulguant
le 1er juin 1452 une nouvelle et très complète réforme de l’université,
le cardinal Guillaume d’Estouteville ne mentionne explicitement
comme précédent que la réforme de 13661. Au début du XVIIe siècle,
dans ses célèbres Recherches de la France, Étienne Pasquier la
qualifie, il est vrai, de « troisième… vraye Reformation » de l’uni-
versité mais comme, selon son décompte, la première était la lettre
du cardinal Robert de Courson de 1215, qui est plutôt un acte de
fondation, et la seconde, le règlement imposé en 1279 par le légat
Simon de Brie pour l’élection du recteur, qui ne porte donc que sur
un point très particulier, on peut considérer que, de son propre aveu,
celle de 1366 était en fait la première « vraie réformation » géné-
rale2. C’est d’ailleurs ainsi que la présente aussi bien l’Historia
Universitatis Parisiensis de César Égasse Du Boulay dans son tome
IV de 16683 que l’Histoire de l’Université de Paris de Jean-Baptiste
Crevier qui, en 1761, parle à son propos d’un « objet de grande
conséquence »4. Enfin, le Chartularium de Denifle et Châtelain lui
donne le titre de statuta pro omnibus facultatibus universitatis
Parisiensis, qu’il n’avait affecté à aucun document antérieur5.
Laissons là cette rapide revue historiographique et demandons-
nous si le texte lui-même, tel qu’il nous est parvenu, mérite cette

1. Chartularium Universitatis Parisiensis, H. Denifle et É. Chatelain éd., t. IV (désormais


abrégé CUP, IV), Paris, 1897, n° 2690, p. 715.
2. É. Pasquier, Les recherches de la France, éd. critique sous la dir. de M.-M. Fragonard et
F. Roudaut, t. III, Paris, 1996, p. 1810.
3. Historia Universitatis Parisiensis…, par C. É. Du Boulay, t. IV, Paris, 1668, p. 388-392.
4. J.-B. L. Crevier, Histoire de l’Université de Paris depuis son origine jusqu’en l’année 1600,
t. 2, Paris, 1761, p. 444. ; l’analyse complète du texte occupe les p. 444-451.
5. Chartularium Universitatis Parisiensis, H. Denifle et É. Chatelain éd., t. III, Paris, 1894
(désormais abrégé CUP, III), n° 1319, p. 143.
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qualification. Certes, il est de taille relativement modeste, cinq pages


in-f° imprimées dans le tome III du Chartularium et son contenu
effectif, on le verra, est manifestement très partiel et ne concerne
pratiquement que deux facultés, celle des arts et celle de théologie6.
Mais le fait qu’il ait été recopié dans plusieurs registres officiels de
l’université7, la solennité qui a présidé, nous y reviendrons, à sa
composition et à sa publication, le caractère général affirmé dans le
mandement pontifical qui est à l’origine de l’entreprise – [vobis]
committimus et mandamus quatinus quecunque (…) reformanda,
statuenda et ordinanda utiliter videbitis, reformare, statuere et ordi-
nare (…) curetis8 –, le plan adopté qui prétend passer en revue toutes
les facultés dans l’ordre hiérarchique des disciplines (théologie,
droit canonique, médecine et arts), plan original qui sera repris dans
les réformes ultérieures, tout cela nous autorise, nous semble-t-il,
à parler pour le texte du 5 juin 1366 de « première réformation
générale de l’université de Paris » et nous invite à examiner d’un
peu plus près les conditions dans lesquelles ce texte a été élaboré,
ainsi que son contenu et sa portée.
Ce texte, nous l’avons dit, est relativement court. Il se présente
comme une lettre adressée par les cardinaux Jean de Blauzac et
Gilles Aycelin au chancelier et à l’université de Paris, lettre rédigée,
corrigée et enregistrée à Avignon le 5 juin 1366, par un notaire
public, Arnaud Prel de Heppenaert, originaire du diocèse de Liège,
en présence de témoins. Après un protocole classique – suscription,
adresse et salut – vient, en guise de notification, la copie du mande-
ment déjà cité9 du pape Urbain V confiant aux deux cardinaux
susdits la tâche de composer et de publier les statuts de réforme de
l’université qui, après enquête et consultation, leur sembleraient
nécessaires. Suit un bref exposé des conditions dans lesquelles les
cardinaux ont travaillé, à Avignon même. On ne trouve en revanche
ni préambule définissant l’esprit général de la réforme, ni articuli
communes s’appliquant à l’ensemble de l’université. Le texte passe
en effet immédiatement aux articles consacrés successivement à
chacune des facultés.

6. CUP, III, n° 1319, p. 143-148.


7. Sans prétendre à l’exhaustivité, le Chartularium mentionne le « livre du recteur » (Londres,
Brit. Lib., Addit. 17304), le livre de la nation anglaise (Paris, BNF, n.a.l. 535), le livre de la nation
normande ou « cartulaire du collège d’Harcourt » (Chartres, BM, ms 595/662) (CUP, III, n° 1319,
p. 148).
8. CUP, III, n° 1318.
9. Ibid.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1231

Il y en a 15 pour celle de théologie, portant principalement sur la


tenue vestimentaire des bacheliers, les leçons que doivent suivre les
débutants (Bible et Sentences), les lectures des cursores Biblie et
surtout des bacheliers sententiaires (rythme et modalités de lecture,
lectures inaugurales ou principia, recours aux arguments philoso-
phiques en théologie, contrôle de la publication des commentaires
des sententiaires), la participation des bacheliers, surtout des bache-
liers « formés », aux disputes, enfin l’absentéisme des maîtres10.
Aux facultés de droit canonique et de médecine ne sont consacrés
que deux articles, rappelant pour l’une et l’autre l’interdiction de
toute dispense en ce qui concerne les programmes à étudier, les
lectures à assurer et les disputes à soutenir avant de pouvoir se
présenter à la licence11.
À la faculté des arts, les cardinaux imposent 12 articles de réforme,
portant sur la tenue des étudiants, les programmes de cours, les
lectures et disputes des bacheliers, l’examen de licence12.
Le texte se poursuit par 7 articles relatifs à l’exercice du privilège
de non-résidence pour les maîtres et étudiants titulaires de bénéfices
ecclésiastiques et se termine enfin par les clauses finales qui en
ordonnent la publication et l’application, puis viennent la souscrip-
tion du notaire et la liste des témoins13. Nous apprenons ainsi que
l’acte a été rédigé le 5 juin 1366 dans la livrée même du cardinal
Jean de Blauzac.
Ce texte ne pose guère de problèmes de compréhension immé-
diate, mais son interprétation soulève quelques difficultés qu’il faut
essayer de résoudre.
Demandons-nous d’abord qui en sont les auteurs14. À première
vue, il s’agit, très classiquement et comme c’était souvent le cas
depuis 1215, d’un texte essentiellement ecclésiastique, émané de
l’autorité apostolique, négocié entre les représentants du pape et
ceux de l’université.
Officiellement, c’est le pape Urbain V qui est à l’origine de la
réforme. Comme il le dit dans sa lettre de commission, datée du
2 mai 1366, le pontife a appris, par des rapports dignes de foi, que

10. CUP, III, n° 1319, p. 143-144.


11. Ibid., p. 144.
12. Ibid., p. 144-146.
13. Ibid., p. 146-148.
14. Pour réunir les indications prosopographiques ci-dessous, j’ai bénéficié de nombreuses réfé-
rences aimablement fournies par mes collègues Pierre Jugie, Hélène Millet, Élisabeth Mornet,
Vincent Tabbagh, Charles Vulliez. Je les en remercie vivement.
1232 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

l’université de Paris souffrait de certaines difficultés de fonctionne-


ment ; attentif à l’éclat du studium parisien et soucieux de le mettre
à l’abri de tout dommage, mais n’ayant pas le temps d’y pourvoir
par lui-même, il a donc confié aux deux cardinaux destinataires de
sa lettre, le soin de s’informer plus à plein et de procéder aux
réformes nécessaires pour rétablir l’honestas, ordo, observantia et
status de l’université de Paris et de ses maîtres et étudiants15. Les
termes de cette lettre, où l’on retrouve une terminologie usuelle
depuis le XIIIe siècle, sont évidemment convenus, mais ce que l’on
sait par ailleurs du pape Urbain V incite à penser qu’il a sans doute
porté à cette affaire un intérêt personnel, même s’il en a délégué à
d’autres la gestion concrète. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler le
prestige intact conservé par l’université de Paris dans la Chrétienté
du milieu du XIVe siècle16, ni l’importance des effectifs qu’elle conti-
nuait à attirer (ce qu’attestent les rotuli de 1362)17, ni la sollicitude
constante des papes, depuis l’origine, vis-à-vis de l’université,
combinant soutien et protection d’une part, contrôle de l’orthodoxie
des enseignements d’autre part18. La politique universitaire et éduca-
tive d’Urbain V19, dont témoigne en particulier une trentaine d’actes
dans le Chartularium entre 1362 et 137020, le situe dans la droite
ligne de ses prédécesseurs, y compris de son prédécesseur immédiat
Innocent VI, fondateur des facultés de théologie de Toulouse et
Bologne21. Les faveurs d’Urbain V, qui a parachevé ces fondations
en y ajoutant celle de Padoue, ne se sont donc pas limitées à l’uni-
versité de Paris, mais il reste qu’il a manifesté à cette dernière,
surtout pendant la période « avignonnaise » de son pontificat22, une

15. CUP, III, n° 1318.


16. Dont témoigne par ex. l’encyclopédiste allemand Conrad de Megenberg dans son Yconomica
(v. 1354) : voir J. Verger, « Venerabilis mater universitas Parisiensis. La présentation de l’univer-
sité de Paris dans l’Yconomica de Conrad de Megenberg », dans Finances, pouvoirs et mémoire.
Hommages à Jean Favier, dir. par J. Kerhervé et A. Rigaudière, Paris, 1999, p. 55-64.
17. CUP, III, n° 1262 à 1266 ; ces rotuli donnent les noms de 25 maîtres en théologie, 11
en droit canonique, 26 en médecine et 447 ès-arts (souvent étudiants d’une faculté supérieure) ;
y manquent les simples étudiants ès-arts et même certains étudiants des facultés supérieures.
18. Cf. W. Maleczek, « Das Papsttum und die Anfänge der Universität im Mittelalter »,
Römische historische Mitteilungen 27, 1985, p. 85-143.
19. Cf. L. Vones, Urban V. (1362-1370) : Kirchenreform zwischen Kardinalkollegium, Kurie
und Klientel, Stuttgart, 1998, p. 424-446, et Y. Chiron, Urbain V le bienheureux, Versailles, 2010,
p. 207-226.
20. Ces actes sont insérés dans CUP, III, entre les n° 1268 et 1356.
21. Cf. J. Verger, « La politique universitaire des papes d’Avignon », Annuaire de la Société
des Amis du Palais des Papes et des monuments d’Avignon 77, 2000, p. 17-29.
22. Il est possible qu’après son retour à Rome en octobre 1367, Urbain V se soit montré un peu
moins bien disposé vis-à-vis des universitaires parisiens dont certains, à l’instigation du roi de
France, avaient critiqué l’abandon d’Avignon ; voir infra note 51.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1233

bienveillance constante que pouvaient renforcer quelques souvenirs


personnels. Il semble bien, en effet, par des témoignages tardifs
mais suffisamment précis pour être crédibles, que dans sa jeunesse,
Guillaume Grimoard, le futur Urbain V, avait séjourné quelque
temps à Paris, au collège de Cluny, et y avait plus tard donné
quelques leçons sur les décrétales, même si l’essentiel de ses études
et de son enseignement le rattache évidemment au Midi, spéciale-
ment aux universités de Montpellier et Avignon23, et le range dans
cette longue cohorte de juristes méridionaux qui ont constitué la
grande majorité du personnel dirigeant de l’Église à l’époque
avignonnaise24.
En confiant la réforme de l’université de Paris aux cardinaux « de
Saint-Marc » – Jean de Blauzac – et « de Saint-Martin-au-Mont »
– Gilles Aycelin –, le pape n’agissait évidemment pas au hasard.
Nous connaissons assez bien ces deux personnages, notamment
grâce à la récente thèse de Pierre Jugie25.
Jean de Blauzac était un vrai Méridional26, même s’il a peut-être
fait ses études à Orléans (il était licencié en droit civil)27. Il était
apparenté à la famille de Déaux et, à travers elle, aux Grimoard eux-
mêmes. Auditeur de Rote puis évêque de Nîmes de 1348 à 1361,
promu au cardinalat le 17 septembre 1361, quelques mois avant la
mort d’Innocent VI, il devint un collaborateur actif d’Urbain V et fut
chargé en particulier de plusieurs missions concernant des affaires
universitaires : en 1364, il arbitra un conflit relatif à l’élection du
chancelier de l’université de médecine de Montpellier, selon une
procédure qui annonce celle qui sera suivie pour la réforme pari-
sienne de 136628 ; entre 1363 et 1367, en tant qu’exécuteur testa-
mentaire du cardinal Audoin Aubert, il rédigea les statuts du collège

23. Les références sur Guillaume Grimoard étudiant puis professeur, sont réunies dans
Y. Chiron, op. cit. (n. 19), p. 32-70. Ses passages à Paris, sans doute assez brefs, comme étudiant au
collège de Cluny puis régent « extraordinaire » en droit canonique sont attestés par deux textes
postérieurs de 1388 (CUP, III, n° 1531) et 1411 (CUP, IV, n° 1930).
24. Voir par ex. pour l’époque même d’Urbain V, J. Verger, « Études et culture universitaire du
personnel de la Curie avignonnaise », dans Aux origines de l’État moderne. Le fonctionnement
administratif de la papauté avignonnaise (Coll. de l’École française de Rome, 138), Rome, 1990,
p. 61-78.
25. P. Jugie, Le Sacré collège et les cardinaux de la mort de Benoît XII à la mort de Grégoire
XI (1342-1378), 3 t., dactyl., Univ. de Paris I–Panthéon-Sorbonne, 2010.
26. Sur J. de Blauzac, voir la notice contenue dans la thèse de P. Jugie, op. cit. (n. 25), t. II,
p. 197-202.
27. L’hypothèse d’études à Orléans se fonde sur le fait que le premier bénéfice obtenu par ce
Méridional en dehors de son diocèse natal d’Uzès fut, en 1328, une expectative de prébende à
Orléans (ibid., p. 198).
28. M. Fournier, Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation
jusqu’en 1789, t. II, Paris, 1891, n° 991.
1234 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

de Maguelone à Toulouse29 ; en janvier 1365, c’est lui qui présida


avec le grand pénitencier, Guillaume Bragose, un cardinal au profil
assez voisin du sien, la commission chargée de juger à Avignon
l’appel du franciscain parisien Denis Foulechat, dont nous reparle-
rons30. Cette affaire lui permit de rencontrer de nombreux théolo-
giens parisiens qui purent éventuellement l’informer des problèmes
de leur université.
Si Jean de Blauzac eut sans doute le premier rôle dans la réforme
de 1366 – son nom vient en tête du mandement pontifical et c’est
dans son hôtel que fut rédigé le 5 juin 1366 l’acte final de réforme –,
la personnalité toute différente du second cardinal, Gilles Aycelin de
Montaigut n’est pas non plus sans intérêt31. Membre d’une famille
de la noblesse auvergnate qui depuis la fin du XIIIe siècle avait donné
plusieurs prélats qui s’étaient illustrés au service à la fois de l’Église
et du roi de France, cousin et proche du cardinal Gui de Boulogne,
Gilles Aycelin avait obtenu un doctorat en droit civil à Toulouse ;
évêque de Thérouanne en 1356, il avait été nommé en 1357 chance-
lier du roi de France Jean le Bon, poste qu’il occupa, dans les
circonstances dramatiques qui suivirent la défaite de Poitiers,
jusqu’en 1361, avant de céder la place à Jean de Dormans, fidèle du
dauphin Charles ; durant ces quatre années agitées, Gilles Aycelin
fut associé à toutes les affaires du royaume, siégeant aussi bien au
Conseil du roi que parmi les « réformateurs généraux » désignés le
8 mars 1357 à la demande des États généraux32 ; il fut ainsi associé
à la préparation de plusieurs ordonnances de réforme et acquit une
certaine expérience de ce genre de textes. À son éviction de la chan-
cellerie, il reçut en compensation le chapeau de cardinal dans la
même promotion que Jean de Blauzac et, à partir de cette date, n’in-
tervint plus aussi directement dans le gouvernement du royaume ;
mais il ne perdit certainement pas tout contact avec la cour, son frère

29. Dans M. Fournier, Les statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation
jusqu’en 1789, t. I, Paris, 1890, n° 659, 672 (on notera que dans cet acte, émané du roi de France
Charles V, celui-ci qualifie le cardinal de Blauzac de noster fidelis et amicus, mais on ignore à quel
titre celui-ci a pu mériter ce qualificatif) et 686.
30. CUP, III, n° 1352.
31. Outre la notice de P. Jugie, op. cit. (n. 25), t. II, p. 143-156, j’ai pu consulter, grâce à l’am-
abilité de l’auteur, l’article de V. Tabbagh, « Gilles et Pierre Aycelin : deux frères cardinaux au
service des rois Jean II, Charles V et Charles VI », à paraître dans les actes du colloque « Évêques
et cardinaux princiers et curiaux (XIVe-début XVIe siècle). Des acteurs du pouvoir », tenu à Lille et
Tournai les 18 et 19 mars 2011.
32. Sur la carrière politique de Gilles et Pierre Aycelin, voir aussi R. Cazelles, Société politique,
noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève-Paris, 1982, passim (p. 438, Pierre est
qualifié par erreur de neveu de Gilles alors qu’il était son frère cadet).
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1235

Pierre, évêque de Nevers (1361-1371) puis de Laon (1371-1383),


devenant un actif conseiller du roi et Gilles restant lui-même associé
aux entreprises de Gui de Boulogne. Ajoutons, ce qui est important
pour notre propos, qu’au lendemain de sa promotion cardinalice
l’université l’avait élu proviseur du collège de Sorbonne à la place
du cardinal Pierre de Cros récemment décédé33 ; même si cette fonc-
tion était devenue à cette époque plutôt honorifique et même si
Gilles s’y fit généralement remplacer par des maîtres parisiens34, il
n’y en avait pas moins là un lien fort entre le « cardinal de
Thérouanne » et l’université de Paris.
À côté des deux cardinaux, cinq autres personnages issus de la
Curie participèrent à la rédaction des statuts de réforme de 1366 ; je
n’ai pas trouvé de renseignements particuliers sur Hugues Moteti,
prieur de Baumes au diocèse d’Embrun, ni Aymericus Helye, archi-
diacre de Nîmes ; Guillaume Martelet, un Nivernais, docteur in
utroque d’Orléans devenu chapelain du pape et auditeur de Rote au
début des années 1360, était certainement un juriste de haut
niveau35 ; enfin Gaucelme de Déaux, ancien abbé de Psalmodi
devenu en 1362 évêque de Nîmes et trésorier du pape, était un curia-
liste important et un cousin de Jean de Blauzac36. Mais la personna-
lité la plus notable dans notre cas était évidemment Guillaume
Romani37 ; ce Dominicain, docteur en théologie de Paris, ne semble
pas avoir été un théologien de premier plan, on lui attribue simple-
ment un commentaire des Sentences et des sermons aujourd’hui
perdus, il n’en occupait pas moins depuis 1362 le poste prestigieux
de maître du sacré palais et avait à ce titre présidé en janvier 1365
le groupe de théologiens chargés d’examiner les thèses de Denis
Foulechat38 ; c’était à coup sûr un homme bien informé des éven-
tuels problèmes de l’université et en particulier de la faculté de
théologie de Paris.

33. L’élection de G. Aycelin comme proviseur de Sorbonne est signalée dans le livre des procu-
reurs de la nation anglaise à la date du 23 septembre 1361 (Auctarium Chartularii Universitatis
Parisiensis, H. Denifle et É. Chatelain éd., t. I, Paris, 1894, col. 267).
34. En 1368 par ex., G. Aycelin se fait remplacer dans ses fonctions de proviseur de Sorbonne
par le chancelier Grimier Boniface (sur celui-ci voir infra notes 39 à 51) et un autre maître en théo-
logie, Guillaume de Salvarvilla (Ch. Jourdain, Index chronologicus chartarum pertinencium ad
historiam Universitatis Parisiensis, Paris, 1862, n° 717).
35. Sur G. Martelet, voir la notice de M. Duijnstee, L’enseignement du droit civil à l’université
d’Orléans du début de la guerre de Cent Ans (1337) au siège de la ville (1428), Francfort/Main,
2010, p. 92-94.
36. C. Eubel, Hierarchia catholica Medii Ævi…, vol. I, Münster, 1913, p. 361.
37. Sur G. Romani, voir la notice de Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Prædicatorum Medii Ævi,
vol. II, Rome, 1975, p. 159-160.
38. CUP, III, n° 1300.
1236 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Venons-en aux délégués de celles-ci présents à Avignon en mai-


juin 1366. Le texte de la réforme n’en mentionne nommément que
deux, le chancelier Grimier Boniface et un régent en théologie,
Gérard de Vervins. Aucun des deux n’a, à ma connaissance, laissé
d’œuvres écrites témoignant de son enseignement ; on ne peut donc
les considérer comme des penseurs de premier plan à l’instar de
leurs collègues Nicole Oresme ou Jean Golein. Mais ce furent certai-
nement des professeurs réputés et des hommes actifs, impliqués
dans de multiples aspects de la vie universitaire, ecclésiastique et
politique de leur temps.
Le chancelier Grimier Boniface occupait cette charge depuis
136039. Il appartenait à une famille de la bourgeoisie rouennaise40
qui a donné au cours du XIVe siècle un certain nombre d’ecclésias-
tiques dont plusieurs ont fait des études à Paris41. Grimier lui-même
y a suivi un cursus complet : étudiant ès-arts au sein de la nation
normande, il apparaît fréquemment dans la documentation universi-
taire à partir de 1338, comme procureur et nuncius de sa nation à
Avignon ; candidat malheureux à une bourse au collège de Navarre
en 134042, il n’en devint pas moins régent ès-arts et recteur ; puis ses
études de théologie le menèrent jusqu’au doctorat (avant 1356). Il
fut chanoine de Paris et Beauvais et a aussi eu un rôle politique
puisqu’il fut député de la ville de Rouen aux États généraux de 1356
et fut même un des 34 membres du conseil des États mis en place le
10 mars 1357, indice très probable de sympathies navarraises43.

39. La carrière universitaire et ecclésiastique de G. Boniface peut être reconstituée à partir de


plusieurs suppliques et lettres pontificales publiées dans Chartularium Universitatis Parisiensis,
H. Denifle et É. Chatelain éd., t. II, Paris, 1891 (désormais abrégé CUP, II), n° 1065, 1104 et CUP,
III, n° 1259, 1362, note 1 ; voir aussi Urbain V (1362-1370). Lettres communes (Bibliothèque des
Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 3e série), Rome, 1974-1976, t. III, n° 9695.
40. Un Roland B. (peut-être le père de Grimier) est inhumé en 1343 en l’église St-Laurent de
Rouen (A.D. de Seine-Maritime, G 6827) ; un manoir appartenant à des B. est signalé en 1363 à
Salmonville près de Rouen (A.D. de Seine-Maritime, 2 E 1/151, f° 64 et 229) [références aimable-
ment fournies par Vincent Tabbagh].
41. Le Chartularium nous fait connaître les noms de Bertrand B., docteur in utroque jure,
chanoine de Notre-Dame en 1327 (CUP, II, n° 859, note 5), de deux frères de Grimier, Matthieu B.,
maître ès-arts, figurant sur le rotulus de 1362 (CUP, III, n° 1265, p. 90, et 1362, note 1) et Roland B.
(maître ès-arts en 1362, CUP, III, n° 1265, p. 89, et bachelier ès-lois en 1378-79, CUP, III, n° 1434,
p. 271 [est-ce le même que Roland B., chanoine et official de Rouen en 1363 d’après Urbain V
(1362-1370). Lettres communes, op. cit. (n. 39), t. I, Paris, 1954-58, n° 2433 ?]), d’un neveu
Rolandinus ou Roland [II] B. (étudiant ès-arts en 1370, CUP, III, n° 1362, note 1, étudiant ès-lois en
1378-79, CUP, III, n° 1434, p. 271, n° 1437, p. 265), d’un Grimier [II] B., moine bénédictin de
Rouen, étudiant à Paris en 1378-79 (CUP, III, n° 1434, p. 272).
42. N. Gorochov, Le collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du XVe siècle (1418).
Histoire de l’institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris, 1997, p. 207.
43. D’après la liste publiée par L. Cl. Douët d’Arcq, « Acte d’accusation contre Robert le Coq,
évêque de Laon », Bibliothèque de l’École des Chartes 2, 1840-1841, p. 350-387, spéc. p. 382-383.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1237

Mais après la victoire du dauphin Charles, il sut retrouver la faveur


de celui-ci (en même temps que de Jean le Bon qui patronna une de
ses suppliques)44 et faire partie de ces universitaires que Charles
devenu roi consultera volontiers et parmi lesquels il recrutera ses
traducteurs attitrés. Il aurait été maître des requêtes de l’Hôtel45.
Tout en s’intéressant de près aux affaires du clergé normand46,
Grimier Boniface fut à l’université un de ces chanceliers actifs et
ambitieux – sinon toujours intègres47 – qui cherchèrent à rendre tout
son éclat à leur fonction et à se poser en véritables chefs de la corpo-
ration universitaire, au détriment du doyen de la faculté de théologie
et surtout du recteur, tous deux écartés, semble-t-il, de l’élaboration
de la réforme de 1366, d’autant plus facilement que ces fonctions
semblent avoir été alors occupées par des personnages un peu margi-
naux48. Notons, pour bien souligner la présence très active de Grimier
Boniface au sein de l’université dans la décennie 1360, qu’il remplaça
parfois le cardinal Gilles Aycelin dans les fonctions de proviseur de
la Sorbonne49 et que c’est aussi lui qui, secondé par Nicole Oresme
et Simon Fréron, semble avoir mené personnellement, avec vigueur,
l’offensive contre les erreurs de Denis Foulechat, d’autant plus
graves sans doute à ses yeux qu’à des thèses théologiquement
contestables elles tendaient à associer un certain retour aux idées
condamnées des Franciscains spirituels sur la pauvreté du Christ50.
En 1368, Denis Foulechat accusera d’ailleurs Grimier Boniface de
s’acharner contre lui malgré sa première rétractation de 1365 et le
pape Urbain V semble avoir été sensible à cette accusation, même si
finalement le second procès de Denis Foulechat, confié au cardinal
de Dormans, se terminera comme en 1365 par la condamnation et
une nouvelle rétractation du bouillant théologien franciscain51, ce

44. CUP, III, n° 1259.


45. Selon R. Cazelles, op. cit. (n. 32), p. 100, qui ne donne malheureusement ni date ni référence
précises.
46. On voit G. Boniface intervenir à des titres divers dans des affaires bénéficiales normandes
dans Urbain V (1362-1370). Lettres communes, op. cit. (n. 39), t. III, n° 9754, t. IV, Rome, 1978,
n° 13675, 15021.
47. En 1385, lors de l’« affaire Blanchard », des témoins déclareront qu’il arrivait à G. Boniface
d’accepter de l’argent ou des cadeaux de candidats à la licence (CUP, III, n° 1521, p. 412, 417, 418).
48. En juin 1366, le doyen de la faculté de théologie était, semble-t-il, l’Hospitalier Jean de
Hesdin (CUP, III, n° 1305) et le recteur un Danois, Macharius Magni, chanoine de Lund et de
Roskilde (ibid., n° 1322).
49. Cf. supra note 33.
50. CUP, III, n° 1298-1300.
51. CUP, III, n° 1349-52 ; en interdisant à l’évêque de Paris, aux inquisiteurs de France et à
G. Boniface de procéder directement, de quelque manière que ce soit, contre D. Foulechat tant que
le juge délégué pontifical ne se serait pas prononcé (ibid., n° 1351), Urbain V manifestait peut-être,
1238 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

qui ne l’empêchera pas de poursuivre sa carrière et de traduire


quelques années plus tard le Policraticus de Jean de Salisbury pour
le compte de Charles V52. Il est vrai que Grimier Boniface était mort
entre temps, en 1370.
Quant à Gérard de Vervins (ou de Buissy), né vers 1321 au
diocèse de Laon, c’était également un régent en théologie de quelque
renom, quoique ne se distinguant guère de ses collègues, mais qui
fera une longue carrière à la fois universitaire et ecclésiastique53. Il
avait dû fréquenter le collège de Laon ; il apparaît comme régent en
théologie sur un rotulus de 1362 et le restera jusqu’à sa mort en
1386 ; à la date de 1366, il était titulaire d’un canonicat à Noyon,
d’une expectative de prébende à Notre-Dame de Paris et il venait
juste d’obtenir le 10 février 1366 un canonicat à Laon par l’entre-
mise du cardinal Gui de Boulogne dont il se dit alors « chapelain et
commensal familier », faisant sans doute partie de ces gradués dont
le puissant cardinal, selon Pierre Jugie, aimait à peupler son entou-
rage54 ; par la suite, Gérard de Vervins deviendra pénitencier de
Notre-Dame et récupérera en 1370 la prébende laissée vacante dans
cette même église par la mort de Grimier Boniface.
En dehors de ces deux personnages, l’acte de réforme de 1366 ne
mentionne comme universitaires que multos magistros ac peritos
studii Parisiensis alumpnos, boni status et incrementi ejusdem studii
totiusque rei publice zelatores, que les cardinaux auraient convo-
qués à Avignon pour prendre conseil55. Formule un peu surprenante,
non seulement par son invocation inattendue de l’intérêt de la res
publica mais aussi par son caractère vague et anonyme qui, compte
tenu par ailleurs des délais très brefs (à peine plus d’un mois, du
2 mai au 5 juin) entre la date de la commission donnée aux cardi-
naux et celle de la publication de la réforme, évoque moins, me
semble-t-il, une véritable délégation parisienne que la consultation

outre un souci de justice, un certain agacement devant les initiatives des autorités parisiennes et du
chancelier.
52. Voir l’article « Denis Foulechat » dans le Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen
Âge, nlle éd. dir. par G. Hasenohr et M. Zink, Paris, 1994, p. 376-377.
53. La carrière universitaire et ecclésiastique de G. de Vervins peut être reconstituée à partir de
plusieurs suppliques et lettres pontificales publiées dans CUP, III, n° 1262, 1360, 1369, 1494, 1513,
1621, 1624 ; voir aussi Urbain V (1362-1370). Lettres communes, op. cit. (n. 46), t. IV, n° 14191 et
t. V, Rome, 1979, n° 16174. Voir également la notice très précise de C. Fabris, Étudier et vivre à
Paris au Moyen Âge. Le collège de Laon (XIVe-XVe siècles) (Mémoires et documents de l’École des
Chartes, 81), Paris, 2005, p. 406-407.
54. P. Jugie, Le cardinal Gui de Boulogne (1316-1373) : biographie et étude d’une familia
cardinalice, thèse dactyl. de l’École des Chartes, 3 t., Paris, 1986, t. II, p. 204-205 (référence
aimablement communiquée par l’auteur).
55. CUP, III, n° 1319, p. 143.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1239

informelle de gradués parisiens dont certains au moins devaient déjà


se trouver sur place à Avignon. En d’autres termes, l’université de
Paris ne paraît avoir été officiellement représentée dans cette affaire
que par Grimier Boniface et Gérard de Vervins ; autant dire que
c’est pratiquement le chancelier, de sa propre autorité ou s’expri-
mant au nom du groupe des régents en théologie dont il était lui-
même issu, qui a été le seul véritable interlocuteur universitaire des
cardinaux réformateurs. Le fait, chose assez rare, que la réforme ait
été élaborée et publiée à Avignon même et non à Paris, me semble
significatif, peut-être du désir personnel du pontife d’aboutir rapide-
ment, mais aussi d’une volonté partagée entre le chancelier et les
commissaires pontificaux de régler les choses entre un petit nombre
de partenaires, à l’abri des éventuelles pressions des assemblées
universitaires, en particulier des nations et du recteur.
Nous touchons là, me semble-t-il, un des caractères importants
de cette réforme, qu’avait déjà noté Jean-Baptiste Crevier au
XVIIIe siècle56. Un autre point essentiel est que cette réforme paraît
de prime abord avoir été une affaire entre la papauté et les maîtres,
tous clercs, parties prenantes traditionnelles, depuis l’origine, de
l’institution universitaire conçue comme institution d’Église. Le
prince, c’est-à-dire le roi de France qui, surtout dans le cas de
Paris, donnait pourtant depuis longtemps des marques de son
intérêt pour l’institution universitaire, semble tout à fait étranger à
la réforme de 1366 (alors qu’il jouera un rôle important dans celle
de 1452)57. Peut-on cependant imaginer que Charles V qui, dès
avant 1366, avait commencé à rechercher les conseils des gens de
savoir58, à assurer sa protection à l’université désormais qualifiée
de « fille aînée du roi »59, à développer les collèges60, etc. ait pu

56. « Il paroît qu’il [le chancelier] n’oublia pas en cette occasion les prétentions et les intérêts
de sa dignité » (J.-B. L. Crevier, op. cit. [n. 4], p. 445).
57. Cf. J. Verger, « Les universités françaises au XVe siècle : crise et tentatives de réforme »,
Cahiers d’histoire 21, 1976, p. 43-66 (réimpr. dans J. Verger, Les universités françaises au Moyen
Âge, Leyde, 1995, p. 228-255).
58. Il suffit de rappeler le témoignage de Christine de Pizan : « La congregacion des clers et de
l’estude avoit en grant reverence ; le recteur, les maistres et les clers solempnelz, dont y a maint,
mandoit souvent pour ouir la dottrine de leur science, usoit de leurs conseilz de ce qui apertenoit à
l’esperituaulté, moult les honnoroit et portoit en toutes choses, tenoit benivolens et en paix » (Le
livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V par Christine de Pisan, S. Solente éd., t. II,
Paris, 1940, p. 46-47).
59. Cf. S. Lusignan, « Vérité garde le roy ». La construction d’une identité universitaire en
France (XIIIe-XVe siècle), Paris, 1999, p. 267-268.
60. Cf. N. Gorochov, « Charles V et les collèges parisiens : l’affirmation d’une politique
universitaire royale (1364-1380) », dans Paris et ses campagnes sous l’Ancien Régime. Mélanges
offerts à Jean Jacquart, M. Balard, J.-C. Hervé, N. Lemaître (éd.), Paris, 1994, p. 187-194.
1240 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

être totalement indifférent à un projet de « réformation générale » ?


Il est vrai que, comme nous avons essayé de le montrer, les princi-
paux acteurs de la réforme de 1366, quoique hommes d’Église,
entretenaient des liens avec la cour et le prince qui permettaient à
celui-ci, sinon de peser sur les réformes proposées, du moins d’en
être tenu informé et de s’assurer que celles-ci n’étaient pas en désac-
cord avec ce qu’il attendait de l’université de Paris et, plus large-
ment, avec les grandes lignes de la politique de remise en ordre du
royaume qu’il entreprenait au sortir de la terrible crise des années
1356-58. Le temps n’était pas encore venu – il ne commencera sans
doute qu’avec le Grand Schisme – des ingérences directes du pouvoir
royal dans le fonctionnement de l’université et l’exercice de ces
privilèges, mais il me paraît très probable que la réforme de 1366
s’est faite avec l’aveu au moins tacite de Charles V et par l’action
d’hommes qui avaient sa confiance et inscrivaient leur action dans
une perspective politique globale de service de la chose publique
(zelatores rei publice… pro utilitatis publice augmento)61.
Reste à se demander pourquoi s’est imposé en 1366 le recours
alors inédit au principe d’une réformation formellement conçue
comme une « réformation générale », même si en pratique, nous le
verrons, et peut-être du fait même de la nouveauté de la démarche,
les dispositions concrètes de la réforme peuvent apparaître assez
modestes.
Du Boulay a suggéré, mais sans apporter aucune preuve, que le
projet de réforme de l’université, déjà confié à Jean de Blauzac et
Gilles Aycelin, pouvait remonter à la fin du pontificat d’Inno-
cent VI62, ce qui paraît peu vraisemblable, ne serait-ce que pour des
raisons de chronologie, ces deux cardinaux n’ayant été promus
qu’un an avant la mort du pontife. Le même Du Boulay, de manière
contradictoire, avait d’ailleurs émis plus haut une autre hypothèse,
plus plausible : la Curie aurait été informée de la nécessité d’une
réforme par les théologiens venus à Avignon en janvier 1365 à l’oc-
casion du procès de Denis Foulechat63, lesquels rencontrèrent à cette
occasion, on l’a vu, le cardinal de Blauzac et le maître du sacré
palais ; notons cependant que, curieusement, cette délégation, dont
tous les membres n’étaient peut-être pas actu regentes, ne semble
pas vraiment représentative de l’université ou même de la faculté de

61. Cf. supra note 55.


62. Historia Universitatis Parisiensis, t. IV, op. cit. (n. 3), p. 388.
63. Ibid., p. 384.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1241

théologie comme corps ; si elle était menée par le doyen Guillaume


de Lumbres, elle ne comptait en son sein qu’un seul des docteurs
ayant dressé la liste initiale des erreurs de Denis Foulechat (Jean
Vavasseur) et ni Grimier Boniface, contrairement à ce que dit Du
Boulay, ni les théologiens parisiens les plus en vue (comme Oresme
ou Fréron ) n’en faisaient partie64.
Il est sans doute plus intéressant d’essayer de voir si la situation
générale de l’université de Paris au début des années 1360 pouvait
expliquer l’apparition d’un besoin urgent de réforme. À parcourir
les textes réunis dans le Chartularium pour les années 1340-1365,
on constate que, par-delà les difficultés générales que l’université a
pu connaître, comme tout le royaume, du fait des pestes, de la guerre
et de la crise politique, trois facteurs de tension, plus spécifiquement
universitaires, sont venus perturber de manière récurrente son fonc-
tionnement quotidien au cours de cette période. Je les énumère, sans
pouvoir donner ici l’analyse détaillée de chaque conflit :
1. On observe d’abord, à partir de la promulgation des statuts
« anti-ockhamistes » de 1339-4065, la multiplication des censures
visant en particulier l’enseignement de bacheliers sententiaires66.
Aucun de ces conflits, qui se sont généralement terminés assez rapi-
dement par la soumission des intéressés, n’a dégénéré en véritable
crise doctrinale, mais leur répétition a pu suffire pour suggérer
aux autorités, universitaires ou extérieures, l’idée d’une fragilisation
de l’orthodoxie et la nécessité d’une reprise en main des leçons,
des disputes et des procédures d’examen, ainsi que de la diffusion
des écrits tirés des cours des bacheliers, toutes préoccupations que
l’on retrouve effectivement dans la réforme de 1366.
2. On note ensuite la montée des tensions et la multiplication des
incidents et querelles protocolaires entre le recteur d’une part, les
doyens des facultés supérieures et le chancelier de l’autre67. Par-delà
les questions de préséance et les rivalités de corps, il y avait là une
véritable question de pouvoir et peut-être, comme je l’ai suggéré
ailleurs, une montée en puissance de la faculté des arts au sein de

64. La liste des théologiens parisiens ayant condamné les propositions de D. Foulechat en
novembre 1364 et celle de la délégation envoyée à Avignon en janvier 1365 se trouvent dans CUP,
III, n° 1299 et 1300.
65. CUP, II, n° 1023, 1042.
66. Voir CUP, II, n° 1041, 1124, 1147, 1158 et CUP, III, n° 1195-96, 1201, 1218, 1270, 1272,
1288, 1298-99.
67. Voir CUP, II, n° 1051, 1062, 1080, 1143, 1145 et CUP, III, n° 1217, 1246, 1322.
1242 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

l’université qui ne pouvait qu’irriter les théologiens68 ; la politique


de Grimier Boniface, telle que nous avons essayé de la dessiner plus
haut, s’inscrit bien dans une telle perspective.
3. On constate enfin sinon la multiplication, en tout cas la perma-
nence des incidents entre town and gown, sergents du roi et étudiants
turbulents, peut-être pas plus nombreux qu’à l’époque antérieure,
mais de plus en plus mal tolérés par les autorités politiques et ecclé-
siastiques, avec leur cortège de violences, de grèves et de procès69.
Le dernier en date, remontant à l’automne 1365, avait été l’arresta-
tion de quelques étudiants (ou pseudo-étudiants) dans l’enceinte du
collège Saint-Thomas du Louvre, ce qui avait entraîné, rituellement,
protestations et menaces de grève et de « sécession » de la part de
l’université, ainsi qu’une intervention énergique d’Urbain V auprès
du roi de France pour l’inciter à la clémence vis-à-vis des fauteurs
de troubles70 ; certains ont même suggéré que la réforme avait été,
en somme, une sorte de promesse pontificale de reprise en main de
l’université en échange de l’indulgence royale71 ; interprétation qui
me semble excessive, d’autant que les questions de discipline et
d’ordre public n’apparaissent guère dans la réforme de 1366, mais il
faut sans doute quand même tenir compte de ces incidents récents
pour comprendre le climat dans lequel a été élaborée cette réforme.
En fait, ces divers facteurs ont sans doute joué un rôle, mais qui ne
se comprend vraiment que dans le « climat » des années 1360. Les
politiques générales d’Urbain V, élu pape en 1362, et de Charles V,
couronné en 1364, s’inscrivent en effet toutes deux, chacune dans
son domaine, sur des registres comparables : remise en ordre et lutte
contre les abus, retour, sous couleur de réforme, aux coutumes
anciennes, adaptation prudente cependant aux nécessités du temps.
Ces mots d’ordre, partagés par les divers auteurs immédiats du texte
de 1366, ont en effet inspiré les principales dispositions de celui-ci.
Venons-en donc, pour terminer, à l’essentiel, c’est-à-dire au
contenu même et à la portée de la « réformation générale » de 1366.

68. J. Verger, « Rector non est caput universitatis. Pouvoir et hiérarchie à l’université de Paris
au Moyen Âge », dans Vaticana et Medievalia. Études en l’honneur de Louis Duval-Arnould,
J.-M. Martin, B. Martin-Hisard et A. Paravicini Bagliani (éd.), Florence, 2008, p. 457-472.
69. Cf. J. Verger, « Les conflits “Town and Gown” au Moyen Âge : essai de typologie », dans
Les universités et la ville au Moyen Âge. Cohabitation et tension, P. Gilli, D. Le Blévec et J. Verger
(dir.), Leyde-Boston, 2007, p. 237-255.
70. CUP, III, n ° 1311-13 et 1316.
71. C’est par ex. l’hypothèse d’Y. Chiron, op. cit. (n. 19), p. 213-214, et il est vrai que dès le
20 août 1366 le roi, à la demande de l’université, enjoignit au prévôt de Paris de renouveler son
serment de respecter les privilèges de l’université (CUP, III, n° 1325).
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1243

À dire vrai, c’est là tâche délicate, car il est très difficile de se


représenter véritablement la situation institutionnelle de l’université
de Paris au milieu du XIVe siècle. Celle-ci s’était constituée très
progressivement et empiriquement depuis le début du XIIIe par l’ac-
cumulation de privilèges et de statuts de nature et d’origine diverses
(sans parler de tout ce qui devait relever de l’usage courant et de la
tradition orale)72. Ces privilèges et statuts se trouvaient donc
dispersés de manière assez aléatoire et sans doute partielle dans les
divers livres et registres de l’université, tenus par le recteur, les
facultés et les nations73. Il existait d’autre part ce qu’on pourrait
appeler des compilations privées, réunies à l’usage de maîtres ou
d’autres universités voulant s’informer des institutions parisiennes,
mais ces compilations, dont les principales ont été éditées dans les
tomes II et III du Chartularium ou dans des recueils de textes relatifs
à d’autres universités (Vienne, Cologne, Heidelberg, Toulouse,
Bologne, etc.)74, si elles ont le mérite d’être assez complètes, ont
l’inconvénient de regrouper des statuts de date incertaine et d’ori-
gine variable, parfois modifiés ou interpolés, ce qui rend presque
impossible de dresser un tableau cohérent des statuts appliqués à
Paris avant et après 1366. Le Chartularium offre cependant deux
ensembles qu’il date respectivement des années 1350 et de la fin du
XIVe siècle, qui permettent au moins d’esquisser ce travail75.
Rappelons d’abord que, malgré le projet affiché de réformer
l’ensemble des facultés, le texte de 1366 n’a consacré aux facultés
de droit canonique et de médecine que deux courts articles peu
significatifs, appelant simplement au strict respect, sans dispense
possible, des statuts existants en matière de programmes et d’orga-
nisation des cursus. À quoi a pu tenir une telle discrétion – qu’on
retrouvera, dans une moindre mesure, dans la réforme du cardinal
d’Estouteville en 1452 ? Ces deux facultés n’avaient-elles donc
aucun problème ? En fait, il faut surtout tenir compte de leur grande
autonomie au sein de l’université et, plus encore, du fait que leurs
enseignements et leurs diplômes, qui, à la différence de ceux d’arts

72. Cf. J. Verger, « Les statuts des universités françaises du Moyen Âge : quelques remarques »,
dans Dall’università degli studenti all’università degli studi, a cura di A. Romano, Messine, 1992,
p. 43-64 (réimpr. dans J. Verger, Les universités françaises, op. cit. [n. 57], p. 103-121).
73. Cf. J. Verger et Ch. Vulliez, « Cartulaires universitaires français », dans Les cartulaires,
O. Guyotjeannin, L. Morelle, M. Parisse (éd.), Paris, 1993, p. 423-449.
74. Voir F. Ehrle, I più antichi statuti della facoltà teologica dell’università di Bologna,
Bologne, 1932, qui contient, outre le texte des statuts bolognais de 1364, un parallèle minutieux
entre ceux-ci et les statuts parisiens antérieurs ou contemporains aux p. CLVIII-CXCIX.
75. Cf. infra notes 79 et 81.
1244 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

et de théologie, n’étaient nullement des quasi monopoles parisiens,


ne constituaient en rien des enjeux intellectuels et politiques compa-
rables à ceux représentés par ceux des facultés d’arts et de théologie,
fleurons traditionnels de l’alma mater parisienne. Cette position
moins exposée permettait sans doute aux docteurs en décret et en
médecine de régler leurs affaires entre eux et d’échapper à la suspi-
cion et aux ingérences réformatrices des autorités supérieures.
Pour les deux autres facultés, le programme réformateur est nette-
ment plus fourni, tout en restant, nous l’avons dit, relativement
modeste ; il est vrai qu’Urbain V lui-même, au moins dans son
mandement initial, n’avait parlé que de corriger nonnulli defectus,
formule dont il est d’autres occurrences dans les textes universitaires
mais qui ne semble malgré tout renvoyer qu’à des dysfonctionne-
ments particuliers, non à une situation globalement critique ou
scandaleuse76.
Sans entrer dans le détail de tous les articles de réforme, on notera
d’abord qu’ils concernent en majorité (12 sur 15 pour la théologie, 7
sur 12 pour les arts) les bacheliers, les usages qu’ils devaient
respecter, les lectures et disputes auxquelles ils étaient astreints, les
examens de licence auxquels ils se préparaient, et beaucoup moins
les simples étudiants audientes et encore moins les maîtres. Les
premiers relevaient avant tout de l’autorité personnelle des régents,
responsables chacun de la bonne marche de son école, les seconds
ne devaient guère ressentir le besoin de se réformer eux-mêmes.
C’est pourquoi ce sont avant tout les bacheliers, au statut ambigu, à
la fois étudiants et enseignants, fraction encore jeune et mais déjà
consciente d’elle-même de la population universitaire, dont le dyna-
misme et les ambitions menaçaient les positions acquises et l’auto-
rité des « docteurs ordinaires », qui ont retenu l’attention des
commissaires réformateurs de 1366.
Certains des points réglés par ceux-ci avaient déjà fait l’objet de
débats au sein de l’université dans les années précédentes, comme
en témoignent quelques textes du Chartularium (ainsi la question du
vêtement statutaire, des lectures données pendant les vacances, du
privilège bénéficial de non-résidence)77, d’autres en revanche appa-
raissent ici pour la première fois, au moins par écrit.

76. Tout au long du Chartularium, on peut relever de nombreuses occurrences de defectus pour
désigner des abus à réformer dans le fonctionnement de l’université ; voir Chartularium Universitatis
Parisiensis, H. Denifle et É. Chatelain éd., t. I, (abrégé désomais CUP, I), Paris, 1889, n° 515, CUP,
II, n° 728, 728a, 783, 999, 1008, etc.
77. Voir CUP, III, n° 1212, 1254, 1258, 1267, 1271, 1291, 1314.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1245

On aurait pu s’attendre à ce que les réformateurs placent leur


entreprise sous le signe classique du retour aux bonnes coutumes du
passé ; en fait, cet argument n’est utilisé explicitement que dans
3 articles sur 2778. Il n’en reste pas moins qu’une majorité d’articles
semblent bien avoir été conçus en réaction à des évolutions récentes
jugées dangereuses pour le bon ordre de la vie universitaire, la
qualité de l’enseignement, le sérieux des examens.
Le repérage de ces articles de reprise en main est plus facile pour
la faculté des arts, car nous pouvons confronter ceux qui la concernent
à un ample corpus de serments d’obéissance aux statuts de cette
même faculté que les éditeurs du Chartularium ont daté de la
première moitié du XIVe siècle79. Paraît ainsi le rappel de règles en
vigueur ce qui concerne la durée des cursus en arts (déjà fortement
réduits, il est vrai, par rapport au XIIIe siècle), la participation obliga-
toire des bacheliers aux disputes et aux lectures « cursives », l’orga-
nisation de l’examen de licence, tout au moins celui dit de
Sainte-Geneviève, qui devait concerner la majorité des étudiants
(composition du jury, interdiction de toute gratification aux exami-
nateurs) ; ajoutons-y les articles relatifs au port obligatoire de la
cape et de l’épitoge dans tous les actes publics de l’université et
celui, souvent cité, prescrivant aux étudiants d’assister au cours
assis par terre, par souci de modestie, et non sur des sièges ou des
bancs80.
Pour les théologiens, même si nous ne disposons pas d’un corpus
aussi complet de statuts antérieurs à la réforme81, il semble bien que
beaucoup de dispositions réformatrices aient visé à lutter contre des
pratiques d’apparition récente, jugées laxistes ou désordonnées ;
d’où le rappel de la nécessité de s’habiller correctement lors des
actes publics de la faculté, d’assurer ses cursus bibliques (sur deux
ans) et ses lectures des Sentences (sur un an), de manière complète
et méthodique (ordinate) sans essayer de les bâcler durant les mois
d’été ; les principia (leçons inaugurales des sententiaires) devaient
être faits avec solennité et non pas dans un esprit de concurrence

78. Il s’agit des articles relatifs aux leçons des bacheliers cursores en théologie qui se feront
textum exponendo et glosas notabiles declarando secundum modum antiquitus (…) approbatum
(CUP, III, n° 1319, p. 143), de l’obligation pour les étudiants ès-arts d’assister aux cours assis par
terre (ibid., p. 145) et de la liberté de choix de leurs lectures cursives pour les bacheliers ès-arts
(ibid., p. 147).
79. CUP, II, n° 1185 ; voir aussi CUP, II, n° 1188, p. 696.
80. Quod dicti scolares [artium] audientes suas lectiones in dicta facultate sedeant in terra
coram magistris, non in scampnis vel sedibus levatis a terra, (…) ut occasio superbie a juvenibus
secludatur (CUP, III, n° 1319, p. 145).
1246 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

déplacée avec les autres bacheliers ; les lectures des bacheliers sur
les Sentences ne devaient de toute façon être transmises aux station-
naires pour éventuelle copie et diffusion qu’après examen par une
commission de maîtres ; enfin les bacheliers, futurs candidats à la
licence, devaient avoir participé, notamment pendant leurs années
de « bacheliers formés », à toutes les disputes requises82. Rien de
tout cela ne semble nouveau et même le rappel que tout candidat à la
licence devait être présenté à l’examen par un maître effectivement
présent ou « réputé présent » à Paris, paraît destiné moins à lutter
contre l’absentéisme de certains régents qu’à éviter que des candi-
dats n’en profitent pour essayer de bénéficier de sortes de candida-
tures libres, sans véritable garantie magistrale, avec l’éventuelle
complicité d’un bedeau83.
La réforme de 1366 ne se résume cependant pas à des rappels à
l’ordre et à une volonté de retour aux usages anciens, ou supposés
tels. Elle introduisait ou au moins avalisait un certain nombre d’in-
novations ou d’adaptations. Mais elle le faisait discrètement, presque
sans le dire, ce qui en rend le repérage un peu délicat. Ces innova-
tions portent principalement sur deux points.
D’abord, au moins à la faculté des arts, un allègement des
programmes et un aménagement des cursus, rendus eux-mêmes
nécessaires par le raccourcissement des durées effectives d’études,
qui semble acquis dès avant 136684. La nouveauté la plus spectacu-
laire est la quasi disparition des enseignements universitaires de
grammaire, Priscien et Donat cédant, semble-t-il, la place aux gram-
mairiens « modernes » Alexandre de Villedieu (Doctrinale) et
Évrard de Béthune (Grecismus), dont on reconnaissait d’ailleurs, de
manière désormais officielle, qu’ils seraient normalement étudiés
dans des studia pré-universitaires avant même l’entrée à la faculté

81. Pour la faculté de théologie, on dispose de quelques statuts sans doute antérieurs à 1366
(CUP, II, n° 1188), mais le recueil le plus important est de la fin du XIVe siècle, même s’il contient
évidemment des textes d’origine plus ancienne (CUP, II, n° 1189, 1190).
82. Pour l’organisation des études à la faculté de théologie, voir l’étude de P. Glorieux,
« L’enseignement au Moyen Âge. Techniques et méthodes en usage à la Faculté de Théologie de
Paris, au XIIIe siècle », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 35, 1968, p. 65-186,
fondée essentiellement, malgré son titre, sur les statuts du XIVe siècle dont nous parlons ici.
83. Item quod nullus possit licentiari in theologia, aut incipere, legere Sententias aut aliquem
cursum in theologia sub aliquo magistro a Parisius absente, nisi ille per facultatem regens presens
fuerit reputatus, nec bedellus magistri absentis ab incipientibus antedictis aliquid recipiat quoquo
modo (CUP, III, n° 1319, p. 144).
84. Du milieu du XIIIe au milieu du XIVe siècle, d’après M. Tanaka, La nation anglo-allemande
de l’Université de Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 1990, p. 31-32 et 62-63, la durée des études
d’arts était passée de 7 à 3 ou 4 ans.
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1247

des arts85. Quant à l’enseignement de celle-ci, il restait dominé par


les œuvres d’Aristote, désormais réparties de manière plus équili-
brée de l’arrivée à la faculté jusqu’à la maîtrise86, et par ailleurs
allégé de quelques textes jugés dépassés (Boèce, le Liber de causis)
ou mineurs ; la part du quadrivium (aliquos libros mathematicos)
semble encore plus réduite qu’au XIIIe siècle. Notons cependant que
la Politique d’Aristote reste absente, ainsi que tout enseignement de
rhétorique.
En théologie, on ne trouve en revanche aucun changement dans
les programmes (reposant toujours sur la lecture de la Bible et des
Sentences de Pierre Lombard), les durées d’études semblent mainte-
nues – encore que ce point ne soit pas parfaitement clair dans la
seconde moitié du XIVe siècle où les cursus semblent osciller, selon
les textes, entre cinq et sept ans pour les simples audientes et quatre
à cinq pour les « bacheliers formés »87 –, ainsi que la participation
obligatoire à un certain nombre de disputes, mais c’est sur les
méthodes mêmes d’enseignement que quelques accommodements
sont envisagés, au moins sur le mode conditionnel, par rapport aux
règles strictes qui, depuis le XIIIe siècle, pesaient sur les cursus
bibliques et les lectures sententiaires : il devenait désormais possible,
sous certaines conditions, de s’aider de notes écrites au cours de ses
leçons et d’utiliser des arguments philosophiques dans le cadre de
commentaires et de questions théologiques, ce qui n’avait encore
jamais été officiellement admis88.
Ce ne sont là, on le voit, que des aménagements modestes, intro-
duisant un peu de souplesse dans un système ancien et rigide ; mais
il ne s’agissait en rien d’une véritable modernisation des contenus,
ni d’une quelconque ouverture « humaniste » ; aussi bien le pape
Urbain V, dont on connaît l’attachement au thomisme89, que les

85. D’après O. Weijers, Le maniement du savoir. Pratiques intellectuelles à l’époque des


premières universités (XIIIe -XIVe siècles), Turnhout, 1996, p. 13, l’introduction de nouveaux manuels
de grammaire ne signifie pas nécessairement que les anciens, surtout Priscien, aient été aban-
donnés ; mais n’auraient-ils pas fait double emploi ?
86. Curieusement, la lecture de l’Éthique et des Météores n’était plus imposée qu’aux candidats
à la maîtrise (CUP, III, n° 1319, p. 145) ; est-ce à dire qu’elle devrait avoir lieu entre l’obtention de
la licence et la candidature à la maîtrise ?
87. On trouve ces indications contradictoires dans les diverses compilations de statuts de la
faculté de théologie signalées plus haut (note 81) : CUP, II, n° 1188, §10 et CUP, III, n° 1189, §12,
16, 22, 30 pour le baccalauréat ; CUP, II, n° 1188, §13 et CUP, III, n° 1189, §39 pour la licence.
88. Le texte de référence restait jusque-là l’interdiction formelle prononcée par le pape
Grégoire IX en 1228 (CUP, I, n° 59).
89. Que symbolisera le transfert du corps de Thomas d’Aquin aux Jacobins de Toulouse (cf.
É. Delaruelle, « La translation des reliques de saint Thomas d’Aquin à Toulouse (1369) et la poli-
tique universitaire d’Urbain V », Bulletin de littérature ecclésiastique 56, 1955, p. 129-146).
1248 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

régents en place restaient fidèles au cadre aristotélicien et scolas-


tique qui présidait depuis les origines à l’enseignement universitaire
parisien. Ceci dit, il serait vain de vouloir tirer de la réforme de 1366
un tableau complet de celui-ci puisque les cardinaux réformateurs
déclaraient évidemment, comme toujours en pareil cas, vouloir
maintenir en l’état tous les statuts et observances existants qui ne
faisaient pas l’objet d’un article explicite de réforme90 ; mais en
réalité, on peut évidemment penser que, sur bien des points passés
sous silence en 1366, certains usages anciens étaient déjà tombés en
désuétude ou évoluaient discrètement sans qu’on n’éprouvât le
besoin de légiférer officiellement à leur sujet.
Il faut pour terminer dire un mot des derniers paragraphes de la
réforme de 1366 qui portent sur la question du privilège de non-rési-
dence dont jouissaient les maîtres et étudiants parisiens titulaires de
bénéfices ecclésiastiques91. Ce privilège, spécialement en ce qui
concernait les théologiens, remontait quasiment aux origines de
l’université (bulle Super speculam du pape Honorius III en 1219)92.
Le pape Clément VI l’avait solennellement confirmé en 1343 et
même porté en 1346 de cinq à sept ans tout en l’élargissant claire-
ment aux membres de toutes les facultés93, ce qui fait qu’on saisit
d’ailleurs mal pourquoi l’université continuait en 1366 à se réclamer
également du « privilège quinquennal », moins avantageux que le
suivant qui était « septennal ». Quoi qu’il en soit, il est clair que ce
système, surtout avec la multiplication des provisions apostoliques
en faveur des universitaires, avait engendré divers abus : de faux ou
anciens étudiants, sachant à peine le latin94, s’en réclamaient,
d’autres, dont le séjour à l’université se prolongeait, continuaient à
ne pas résider sur leur bénéfice bien au-delà des cinq ou sept années
autorisées, ce qui provoquait à la fois le mécontentement des fidèles
et des collateurs ordinaires et les protestations d’autres candidats
malheureux (universitaires ou non) aux mêmes bénéfices. Il arrivait
même que les tribunaux royaux s’en mêlent95.

90. Statuta autem alia et consuetudines predicti studii, nisi in quantum premissis obviant, in suo
volumus robore remanere (CUP, III, n° 1319, p. 147).
91. CUP, III, n° 1319, p. 146-147. Sur les privilèges bénéficiaux des universitaires parisiens,
rapide synthèse dans P. Kibre, Scholarly Privileges in the Middle Ages. The Rights, Privileges, and
Immunities, of Scholars and Universities at Bologna, Padua, Paris, and Oxford, Londres, 1961,
p. 227-250.
92. CUP, I, n° 32, p. 91.
93. Historia Universitatis Parisiensis, t. IV, op. cit. (n. 3), p. 277 et 295-296 et CUP, II, n° 1068
et 1120.
94. Ce pourquoi la réforme de 1366 précise que tout candidat à un bénéfice devra se présenter
devant la commission de sa faculté dicturus causam suam verbis latinis (CUP, II, n° 1319, p. 146).
95. Au lendemain de la réforme, Charles V essaiera d’ailleurs de le leur interdire par une ordon-
nance du 18 mars 1367 (CUP, III, n° 1332).
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1249

L’université était consciente du problème et avait commencé à


s’en préoccuper dès 1361, en essayant de mettre sur pied une procé-
dure visant à examiner de près la situation des postulants et à régler
les éventuels litiges96. On comprend qu’Urbain V, dont on sait qu’il
s’efforça, au moins au début de son règne, de revenir sur les provi-
sions et expectatives abusives qu’avaient multipliées ses prédéces-
seurs (sans cependant remettre en cause le principe même de la
réserve pontificale)97, ait demandé à la commission de réforme de
faire en sorte que, ad tollendum excessus et abusus, ces procédures
fussent solennellement inscrites dans les nouveaux statuts de l’uni-
versité. Elles occupent donc les derniers paragraphes de la réforme
de 1366. Dispositif au demeurant prudent et respectueux des intérêts
universitaires puisque l’examen des cas litigieux restait du ressort
d’une commission interne à l’université.
Une étude complète de la réforme voudrait évidemment que l’on
se préoccupât enfin de l’histoire de sa réception. Solennellement
publié à Avignon le 5 juin 1366, le texte dut en être rapidement
apporté à Paris par le chancelier Boniface. Un recueil composite et
non officiel de statuts de la faculté de théologie, que le Chartularium
date, sans plus de précision, de la fin du XIVe siècle, intègre 14 des
15 articles réformateurs de 1366, sous l’appellation de statuta
papalia, dans un ensemble beaucoup plus vaste de 71 statuts de
date et d’origine diverses. En 145298, nous l’avons dit plus haut, le
cardinal d’Estouteville, procédant à une nouvelle réformation géné-
rale de l’université de Paris, considérait l’acte de 1366 comme le
texte de référence toujours en vigueur99.
Ce texte a d’ailleurs été rapidement diffusé hors de Paris. Dès le
mois de décembre 1366, les autorités de l’université de Toulouse,
ayant à rédiger les statuts de leur faculté de théologie nouvellement
créée, en reprenaient les dispositions essentielles, sans qu’on sache
si elles en avaient eu connaissance par un correspondant parisien ou
directement depuis Avignon100.
Mais on sait aussi que cette réforme, malgré son allure assez
anodine, provoqua un certain mécontentement à Paris, au moins à la
faculté des arts, ce qui nous semble confirmer l’idée qu’on doit y
voir le fruit d’une démarche autoritaire imputable à la fois à la Curie

96. CUP, III, n° 1254.


97. Cf. T. Schmidt, « Benefizial Politik im Spiegel päpstlicher Supplikenregister von
Clemens VI. bis Urban V. », dans Aux origines de l’État moderne, op. cit. (n. 24), p. 351-369.
98. CUP, II, n° 1189, p. 697-698.
99. Cf. supra note 1.
100. Statuts édités dans M. Fournier, Les statuts et privilèges, t. I, op. cit. (n. 29), n° 670.
1250 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

pontificale et à l’intervention des théologiens et spécialement du


chancelier Grimier Boniface. Lors d’une visite à Paris en juin 1368,
le cardinal Jean de Blauzac dut procéder à une nouvelle publication
solennelle du texte, tout en certifiant à la nation française, qui se
faisait sans doute le porte-parole des inquiétudes artiennes, que ni
lui-même, ni le cardinal de Thérouanne non intenderunt (…) aliquid
statuere contra libertates et consuetudines laudabiles predicte
nationis101. Dans les années suivantes, on a divers exemples de déro-
gations explicites à tel ou tel article de la réforme102 (y compris, en
1387, à celui tout symbolique interdisant les bancs dans les écoles
d’arts)103.
Il est temps de conclure rapidement. Malgré sa relative notoriété
historiographique, la réforme de l’université de Paris en 1366 a été
une réforme d’ambition et de portée modestes et plutôt conserva-
trice. Elle ne traduit en rien un sentiment d’urgence et de crise, ni
une volonté délibérée de modernisation intellectuelle. À la limite, on
peut se demander si, autant qu’à une volonté délibérée de réforme,
ce texte ne répondait pas surtout à un désir de mise en ordre systé-
matique, par écrit, des règles et des pratiques, désir dont on trouve-
rait l’équivalent à la même époque dans la multiplication des
ordonnances, règlements, inventaires, etc. produits par la monarchie
ou d’autres institutions ecclésiastiques ou laïques. Quoi qu’il en soit,
sa tonalité d’ensemble, telle que nous avons cru pouvoir la dégager,
correspond bien au climat politique et idéologique des années 1360
qu’illustrent, chacune dans son domaine, les politiques d’Urbain V
et de Charles V : reprise en main, lutte contre les abus récents,
définition plus rigoureuse des procédures, sérieux et dignité, adapta-
tions prudentes en réponse aux attentes de l’« opinion » (repré-
sentée ici par les groupes les plus dynamiques de l’université,
nations de la faculté des arts et bacheliers en théologie), mais d’au-
tant mieux contrôlées qu’elles étaient octroyées d’en haut (une

101. CUP, III, n° 1319, p. 148.


102. Par ex., dès 1371, la faculté de droit canonique autorisera en matière de cursus certaines
dispenses formellement interdites en 1366 (CUP, III, n° 1363).
103. Parmi les articuli communes du rotulus adressé le 31 juillet 1387 au pape Clément VII, on
lit en effet : Item attento quod in facultate artium, que fundamentum et radix est aliarum, plures tam
nobiles quam alii magni religiosi et honesti viri ex verecundia moti, quia sedere habent ad terram,
dimittunt audire propter defectum scannorum et bancarum, qui nondum sunt sufficienter fundati ut
proficiant in aliis facultatibus, quod redundavit hactenus et redundat in prejudicium multorum et
totius universitatis : unde eidem sanctitati supplicat quatinus in scolis dicte facultatis perpetuo
ponantur scanna et bance, non obstante bulla domini Urbani quinti (CUP, III, n ° 1537, p. 445).
RÉFORMATION GÉNÉRALE DE 1366 1251

réforme symboliquement promulguée à Avignon même et non à


Paris) et confiées à des hommes d’autorité comme le chancelier
Grimier Boniface dont la figure aujourd’hui bien oubliée méritait
d’être remise en lumière.
*
* *
M. Michel ZINK, Président de l’Académie, MM. André VAUCHEZ,
Albert RIGAUDIÈRE et Yves-Marie BERCÉ interviennent après cette
communication.

LIVRES OFFERTS

M. Pierre-Sylvain FILLIOZAT a la parole pour deux hommages :

« J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie l’ouvrage dû


aux soins de Mme Adelheid Mette, intitulé Die Erlösungslehre der Jaina –
Legenden, Parabeln, Erzählungen, Verlag der Weltreligionen im Insel-
verlag, Berlin, 2010, 452 pages. Ce livre fait partie d’une collection
allemande de traductions de textes représentatifs des grands courants reli-
gieux, collection qui se signale par la qualité de l’impression, la maniabilité
et l’élégance de la présentation et qui est confiée aux meilleurs spécialistes.
Mme A. Mette qui a derrière elle une longue carrière d’enseignement et
de recherche, aux universités de Munich et Münster, dans le domaine des
langues moyen-indiennes, véhicules des doctrines bouddhiques et jaina, a
constitué une anthologie de textes fondamentaux tirés de l’abondante litté-
rature jaina. Son choix s’est fixé sur des textes narratifs qui illustrent les
thèmes majeurs de la doctrine jaina : l’âme engagée dans la vie (jiva), la
rétribution des actes (karman), les principes de bonne conduite du fidèle
laïc, la discipline des moines, le salut.
On peut ainsi y lire la légende de Mahavira, sa dernière existence
terrestre depuis la conception dans un sein maternel jusqu’à la sortie de la
chaîne du samsara. Les récits des moments les plus fortunés de sa sainte
existence sont tirés du Jinacarita du Kalpasutra avec des extraits de la riche
littérature subséquente de commentaires et amplifications, éventuellement
en sanscrit, Avasyakav®tti de Malayagiri, etc. Un développement intéres-
sant concerne l’existence de l’âme, à partir d’une citation du Nyayavatara
avec des excursus issus de textes pracrits, Samaraiccakaha de Haribhadra,
etc. L’Uttaradhyayana fournit la base du concept de l’acte qui conditionne
l’incarnation pour une vie terrestre. Divers récits de belle qualité littéraire,

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