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L’INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH.

ÉTUDE
QUALITATIVE

Driss Ferar

EMS Editions | « Question(s) de management »

2017/3 n° 18 | pages 93 à 112


ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.173.0093
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Driss FERAR

L’influence de la culture sur les pratiques de MRH.


Étude qualitative
The influence of culture on HRM practices. Qualitative study

Driss FERAR

Résumé n n Summary

Nous examinons à travers une littérature croisée non We examine, through a non-exhaustive cross-literature,
exhaustive, si l’influence de la dimension culturelle peut whether the influence of the cultural dimension may con-
constituer un frein ou un levier de bonnes pratiques de stitute a brake or a lever for good HRM practices. In order
MRH. Afin de cerner cette question problématique, nous to identify this problematic issue, we adopted a qualitative
avons adopté une méthodologie qualitative basée sur l’en- methodology based on the semi-directive interview of for-
tretien semi-directif de quarante-cinq acteurs connaisseurs ty-five actors familiar with the reality of HRM in Moroccan
de la réalité de MRH dans les entreprises marocaines, que companies, which we have chosen in various sectors of so-
nous avons choisies dans divers secteurs d’activités socio- cio-professional activities.
professionnels. From the results of the mental representations of the ac-
Il découle, des résultats des représentations mentales des tors interviewed, a new paradigm of cultural management,
acteurs interrogés, un nouveau paradigme de gestion cultu- called a “cultural revolution”, which seeks a positioning
relle, appelé « révolution culturelle », qui cherche un posi- between actual theoretical and practical discourses.
tionnement entre discours théoriques et pratiques réelles.
n Keywords: culture, brake, leverage, HRM, influence.
n Mots-clefs : culture, frein, levier, MRH, influence.
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INTRODUCTION devenu un véritable laboratoire de réformes, de


MRH, et de tolérance culturelle et religieuse.
Nous voulons montrer l’influence de la dimen- Nous chercherons en effet à appréhender les
sion culturelle sur les pratiques de management représentations mentales que les acteurs inter-
des ressources humaines au sein des orga- rogés se font de l’influence de la dimension
nisations et particulièrement des entreprises culturelle en mettant sur scène un nouveau para-
marocaines. Si la dimension culturelle dans ce digme de gestion culturelle. Les acteurs interro-
gés concernés par la thématique ciblent en effet
contexte semble incontournable, elle est consi-
une « révolution culturelle » qu’ils qualifient de
dérée dans certains travaux comme un frein
dynamique, évolutive, susceptible de stimuler la
et dans d’autres comme un levier de bonnes
performance des entreprises et apporter le bien-
pratiques de management des ressources hu- être actuel et futur aux employés. Pour cerner
maines. les contours de cette problématique d’influence
Parmi ceux qui considèrent que la culture est culturelle, nous structurons cet article en trois
un frein, figure Defrenne et Delvaux (1992) qui parties. Nous expliquons dans une première par-
vont jusqu’à considérer par exemple la culture tie les deux courants de pensée controversés
comme étant synonyme d’aliénation qui « leurre relatifs à la dimension culturelle comme un frein
les individus » et handicape l’évolution du mana- (I). Nous montrons ensuite dans une deuxième
gement. Pour eux, la culture tue l’adaptabilité, partie la dimension culturelle comme un levier
parce qu’elle soumet les individus à la défense de bonnes pratiques managériales (II). En nous
alors que l’adaptabilité est synonyme de pro- basant sur une démarche qualitative et trois
grès. théories de gestion, nous présentons dans une
À l’inverse de ce courant de pensée, Ulrich troisième partie les résultats de la recherche (III),
(1989) semble être parmi les précurseurs qui suivis d’une discussion, des apports théoriques,
considèrent que la dimension culturelle influen- méthodologiques managériaux et pratiques. Les
çant l’entreprise est une dimension dynamique limites et les prolongements possibles de la re-
évolutive et non statique figée. Il explique que cherche clôturent cette troisième partie.
les entreprises sont le fruit des valeurs et des ac-
tions de l’homme. Dans le cadre de ces regards 1. La culture comme un frein pour des
croisés de la littérature non exhaustive, nous pratiques de MRH
cherchons à savoir si l’influence de la dimension La signification attribuée aujourd’hui au terme
culturelle peut constituer une aliénation, un frein culture dans les sciences de l’homme diffère
ou au contraire un levier de bonnes pratiques de du langage courant que nous avons l’habi-
MRH au sein des entreprises marocaines. tude de lui attribuer, notamment en français
À cette question, nous essayerons d’apporter (Rocher.G 1992). En anthropologie et en so-
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quelques éléments de réponse en adoptant une ciologie Edward Burnett, Tylor  (1832 – 1917)
méthodologie qualitative basée sur les représen- consacre la notion de culture, comme synonyme
tations mentales de quarante-cinq acteurs choi- de civilisation quoiqu’une très grande majo-
sis dans divers secteurs d’activités socioprofes- rité des sociologues et anthropologues évitent
sionnelles. Ces acteurs ont été choisis en raison d’employer le terme civilisation qu’ils appré-
hendent comme étant un peu trop descriptif.
de leur connaissance de la réalité du MRH dans
Depuis Tylor, d’autres définitions de la culture se
les entreprises marocaines et en raison aussi de
sont ajoutées pour tenter de cerner un peu plus
leur lien significatif direct ou indirect avec la pro-
la réalité culturelle. Les définitions de la culture
blématique de l’influence culturelle sur les pra- et de la culture organisationnelle relèvent tou-
tiques de MRH dans les entreprises marocaines. jours de ces courants de pensée (mécaniste, hu-
Le choix du sujet peut ne pas sembler original maniste, systémique, et cognitive), que certains
dans la littérature des sciences de gestion, mais chercheurs qualifient de paradigmes (Morgan et
peut suggérer néanmoins une valeur ajoutée en Smircich, 1980).
matière de diversité managériale. Le choix du L’approche culturelle apparaît aujourd’hui à la
sujet est motivé en effet par notre ambition de mode et conditionne la plupart des travaux de
comprendre et de faire comprendre aux lecteurs recherche sur les organisations. Cependant, si
l’originalité d’un pays comme le Maroc qui est les études sur la culture organisationnelle sont

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encore bien jeunes, il devient dès lors important vement développe une culture propre, qui trans-
de contextualiser dans l’espace et dans le temps cende la somme des cultures particulières des
les définitions utilisées dans la culture organisa- groupes qui la composent. À ce titre, la culture
tionnelle. D’abord, le concept de culture organi- nationale serait comme un constituant essentiel
sationnelle est entré dans les écrits sur les orga- de la culture d’entreprise, où il s’agit au-delà des
nisations durant les années soixante-dix. Blake différences régionales, professionnelles ou indi-
et Mouton utilisaient en effet le mot culture en viduelles, de créer une collectivité homogène,
1964. Crozier et Friedberg en parlaient en 1977 cohérente et intégrée. De ce fait, l’influence
dans leur livre « L’acteur et le système ». Mais de la culture nationale est contraignante dans
nous nous intéressons surtout dans cet article la mesure où elle reste profondément ancrée
aux recherches relatives à l’influence de la di- dans le fonctionnement cognitif des individus
mension culturelle sur les pratiques des entre- (Laurent, 1989).
prises. Nous privilégions dans cet article une définition
D’autres auteurs (Peters ; Pondy, 1978 ; Weick, générale de la culture. Plus près de nous, en
1979) avaient insisté sur la dimension symbo- tentant une définition, Nouiga (2003) cite plu-
lique des comportements organisationnels, mais sieurs auteurs comme K loeber et Kluckholm qui
ils ne parlaient pas de culture organisationnelle avaient en leur temps recensé 164 définitions de
ou d’une vision de la culture organisationnelle. la culture bien avant le mouvement de la culture
C’est Waterman et Peters qui avaient montré entreprise. Pour D’Iribarne (2003), la notion de
une relation de cause à effet entre la culture et le culture est source d’innombrables malenten-
succès d’une entreprise. De ce fait, l’entreprise dus et diffère selon les disciplines. Les rapports
doit sa pérennité non pas à son organisation entre culture, valeurs, identités partagées, ha-
ou à ses compétences, mais à la force de ses bitudes et intérêts sont souvent l’objet d’une
croyances, et leur impact sur le personnel. Une appréhension confuse. Pour sa part, Hall (1979)
définition très simple de la culture rendue popu- caractérise la culture comme quelque chose
laire par la revue Business Week en 1980 de- qui n’est pas inné, mais acquis. L’ensemble
vient maintenant à la mode dans toutes les ana- des habitudes comportementales peuvent être
lyses organisationnelles et vise l’ensemble des enrôlées sous l’appellation des habitudes cultu-
valeurs partagées par les personnes œuvrant relles. Nous retenons la définition la plus utilisée
dans une organisation. donnée par Hofstede (1994) : « la culture est une
Aussi, la culture d’entreprise vise un système de programmation mentale collective ».
valeurs qui sont partagées par l’ensemble des Ces regards croisés relatifs à la culture et de
acteurs de l’entreprise (Bournois, 1996). Elle son aspect d’influence sur les salariés nous per-
englobe les valeurs, les croyances, et les repré- mettent d’expliquer maintenant dans cette pre-
sentations mentales qui exercent une influence mière partie, l’influence négative de la culture
sur l’équilibre social et émotionnel du personnel. sur les pratiques de management RH. Cette
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Cet aspect d’influence intéressant particulière- influence négative peut se rapporter à des cher-
ment notre étude est appréhendé, comme des cheurs du XXe et XXIe siècle. Nous pensons à
signes de changements et de performance dans Defrenne et Delvaux (1992) qui vont par exemple
le MRH. Nous n’avons pas choisi de décrypter jusqu’à considérer la culture comme synonyme
une culture d’entreprise (Meier, 2001) compre- d’aliénation qui « leurre les individus » et handi-
nant des définitions et des concepts, mais nous cape l’évolution du management. Pour eux, la
avons choisi de décrypter les processus de culture tue l’adaptabilité, parce qu’elle soumet
changement et d’influence culturelle sur les pra- les individus à la protection, à la défense alors
tiques de MRH au sein des entreprises (Brown, que l’adaptabilité est synonyme de progrès.
Starkey, 1994). Ce point de vue a été repris dans la littérature
Nous tenons à souligner que la dimension cultu- anglo-saxonne par Wood 2002). Cet anthropo-
relle que nous nous proposons de décrypter logue considère que la diversité culturelle est
diffère d’une organisation à l’autre et évolue un concept traditionnel qui sape les principes de
dans le temps. La culture n’est pas identique liberté, d’égalité et inverse les tendances vers la
d’un milieu à l’autre qu’il soit national régional division raciale dans la société. Defrenne n’est
professionnel ou individuel. Une culture natio- pas le seul à critiquer le caractère rétrograde de
nale par exemple qui permet d’accumuler des la culture. Plus tard, Schuck (2003) souligne que
expériences humaines et de les intégrer collecti- la diversité des cultures, au lieu de permettre

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une plus grande équité et unité dans la culture semi-capitalistes, semi-agricoles et semi-indus-
américaine, a conduit au contraire à saper les trielles (Barakat, 1993). Ces dualités créent des
principes d’égalité et de liberté et engendrer les attentes contradictoires de la part des dirigeants
divisions raciales dans la société. de ces sociétés. Le mérite de Kabasakal et
D’autres travaux (Kabasakal et Bodur, 2002) ont Bodur (2002) est d’avoir montré l’existence d’un
identifié neuf dimensions culturelles influençant double système de valeurs qui est à la fois occi-
le style de management des responsables d’en- dental et oriental et qui caractérise les organisa-
treprises de comparaison : 1) Orientation future. tions du groupe arabe étudié. Eddakir (2003) éta-
2) Pouvoir à distance.3) Collectivisme institution- blit un lien étroit entre le dirigeant d’entreprise
nel. 4) Orientation humaine. 5) Orientation per- Marocain et sa culture nationale, en soulignant
formante. 6) Collectivisme familial. 7) Égalité du que le profil du dirigeant d’entreprise est marqué
genre. 8) L’affirmation. 9) Évitement de l’incer- par une « culture d’obéissance », une image du
titude. Étudiant un pôle de cinq pays : Maroc, « pouvoir absolu » du père.
Turquie, Égypte, Qatar, Kowait, les chercheurs L’entreprise véhicule le même « scénario » où, à
constatent que malgré les caractéristiques com- tous les niveaux de la hiérarchie, les participants
munes à ces nations (religion, langue, culture), écoutent le président général, puis approuvent
les pratiques propres à chaque pays permettent à l’unanimité (Mezouar et Semeriva, 1998). Le
de les différencier sur certaines valeurs cultu- dirigeant d’entreprise qu’il soit traditionnel ou
relles de collectivisme, d’individualisme, d’atti- moderne, reflète au sens de Eddakir (2003) une
tude à l’incertitude, et d’évitement (Hofstede, certaine « programmation collective » de l’esprit
1994). Les sociétés dans le groupe arabe étu- marocain, fondé sur le collectivisme, les rap-
dié par Kabasakal et Bodur (2002) attribuent une ports de soumission et la qualité des relations.
faible importance à la planification de l’avenir et Faire des affaires « Doing Business in Morocco »
affichent un faible score à l’orientation future, du n’est pas chose facile. Gray (2002) constate à ce
fait de l’interprétation négative de la notion de propos que faire des affaires au Maroc nécessite
destin sur l’avenir. d’avoir des amis, et l’explique par une question
L’étude montre en effet que le Maroc et la de mentalité culturelle. Certes, pour les investis-
Turquie par exemple affichent la plus faible incer- seurs étrangers, le Maroc est une opportunité
titude sur l’évitement (Turquie et le Maroc 3,63 réelle d’investissement et d’affaires, mais Gray
- 3,65). (Graphique 1). (2002) relève que le statut du pays en dévelop-
Selon Kabasakal et Bodur (2002), les socié- pement porte en lui toutes les frustrations et
tés dans le groupe arabe font continuellement les chocs culturels que les hommes d’affaires
l’expérience de la dualité entre l’est et l’ouest, doivent anticiper. Le caractère amical et accueil-
la tradition et la modernité, les religieux et lant des Marocains aide, selon Gray (2002), à
laïcs. Elles sont simultanément semi-féodales, surmonter certains dysfonctionnements persis-
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Graphique 1 : Scores de l’influence culturelle dans le pôle arabe (Kabasakal, 2002)

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tants dans le monde des affaires. 14 ans après l’Islam, emploie plutôt le terme de la « coexis-
Gray, Bruna et Hamdani ; 2016, suggèrent d’ex- tence harmonieuse » entre les valeurs de l’en-
plorer les conditions de concilier les pratiques treprise et celles de l’islam. Avant Pras (2007),
ancestrales avec les concepts d’inspiration occi- d’Iribarne (2003) avait donné lui aussi l’exemple
dentale et insistent sur la nécessité de renouer de la performance de la démarche TQM1 au
avec une culture du dialogue interne et d’une Maroc par des préceptes moraux basés sur le
pragmatique de la confiance. bien, l’honnêteté, l’exemplarité du directeur de
Le caractère négatif de l’influence de la culture l’entreprise. Peretti et Frimousse (2006) préco-
sur les pratiques RH des entreprises ainsi évo- nisent de « concilier l’universel et le particulier »
quées n’est pas partagé par tous les chercheurs. et réfutent toute domination d’une culture sur
Nombre d’entre eux défendent à l’inverse l’idée une autre soutenue par Friedman (2005).
que la culture est plutôt un levier de développe- Une littérature arabo-africaine produit aussi
ment et de progrès. C’est ce que nous allons quelques travaux de recherche sur la dimension
examiner dans la deuxième partie suivante. culturelle dans le management. Parmi les cher-
cheurs figurent Eddakir (2003), Nouiga (2003)
2. L’influence de la culture comme levier et tant d’autres. Boubacar (2004), par exemple,
de bonnes pratiques de MRH s’appuie sur Adler (1994) pour considérer que
l’atout commun aux pays asiatiques se trouve
Ulrich (1989) semble être parmi les précurseurs dans leurs traditions marchandes. Dans une
qui considèrent que la dimension culturelle in- analyse similaire, Tribou (1995) découvre sur la
fluençant l’entreprise est une dimension dyna- base d’enquêtes, une corrélation significative
mique évolutive et non statique figée. Il explique similaire entre l’éthique religieuse de l’islam et
que les entreprises sont le fruit des valeurs et l’esprit d’entreprise. Pour Boubacar (2004), il ne
des actions de l’homme. Les entreprises sont faut pas voir dans la culture un caractère handi-
un produit culturel, car les cultures ne sont pas capant, mais un facteur structurant du compor-
statiques, et évoluent plus au moins rapidement tement organisationnel.
avec l’environnement, qui connaît un boulever- Après cette analyse de l’influence culturelle
sement culturel précipité. En effet et plus tard, comme levier de bonnes pratiques managé-
Kotter et Heskett (1992) ont mis en évidence riales, il convient maintenant d’aborder dans la
dans une étude longitudinale l’impact de la troisième partie de cet article, une étude quali-
culture sur la performance. Pour ces chercheurs, tative appliquée à des entreprises marocaines et
une solide culture est une composante déter- examiner, comment la dimension culturelle peut
minante dans la réalisation de la performance. influencer leurs pratiques de MRH ?
L’appel aux idéaux de la culture excite l’engage-
ment des employés à plus de performance. Pour 3. Les résultats de la cherche qualitative
Spector (2007), il y a un effet retour de la culture appliquée à des entreprises marocaines
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qui façonne le comportement et les comporte-
ments produisent des résultats et les résultats Nous présentons dans cette troisième et der-
renforcent la culture. nière partie, la méthodologie que nous avons
En d’autres termes, la culture, se construit tout choisie et justifiée (31). Nous exposons en-
au long de l’histoire (Thévenet et Vachette, suite les résultats des entretiens des acteurs
1992), se développe et change tout au long de interviewés (32), suivis d’une discussion (33).
l’histoire au fur et à mesure qu’elle se confronte Nous précisons ensuite les apports théoriques
à des problèmes rencontrés dans les entre- managériaux et pratiques de la recherche 34).
prises. Pour Demorgon (2000), une culture est Nous terminons par les limites que nous nous
une dynamique d’ensemble qui conjugue le pas- sommes fixées et les propositions pour des re-
sé, le présent et le futur. Hofstede (1994) est cherches futures (35).
rejoint par Demorgon (2000) qui pense comme
lui que la culture n’est pas un produit du passé 3.1 La méthodologie de recherche
en voie de disparition, mais une matrice d’ac- Nous avons voulu, en optant pour la démarche
tions et de pensées qui se confrontent avec qualitative, intégrer les déclarations des acteurs
les contraintes du moment. Pras (2007), parmi interrogées et leurs représentations mentales
les chercheurs qui se sont penchés sur l’étude
de la relation entre l’entreprise et la culture de 1 TQM : Total Quality Management.

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dans notre choix méthodologique. Notre problé- processus même de la recherche (Lahlali, 2001).
matique dans cette approche qualitative est de Le changement dont il s’agit au sens de Lewin
chercher à savoir dans quelle mesure la dimen- (1951) n’est pas à créer, mais il est à construire
sion culturelle peut influencer les pratiques de avec les différents acteurs influents dans l’orga-
MRH et comment les acteurs interrogés per- nisation et l’entreprise marocaine. Le choix de
çoivent l’impact de cette dimension culturelle la recherche qualitative dans notre travail est
sur les pratiques de MRH au sein des entre- justifié dans la mesure où il permet l’implication
prises marocaines. Nous nous sommes posé directe des représentations mentales que les
de ce fait la question suivante : « La dimension acteurs interrogés se font de l’influence de la
culturelle est-elle un frein ou levier de bonnes dimension culturelle sur les pratiques de MRH
pratiques de MRH ? » dans les entreprises marocaines. Si la forme de
En référence à la problématique posée, nous recherche retenue est une forme de recherche
avons opté pour une recherche qualitative et appliquée au contexte marocain, notre choix
mobilisé trois théories de gestion en vue de méthodologique prend une forme de démarche
comprendre et d’expliquer le degré d’influence inductive.
de la dimension culturelle sur les pratiques de D’un point de vue philosophique, la méthodo-
MRH au sein des entreprises marocaines. logie poursuivie relève d’une démarche ration-
nelle de l’esprit vers la vérité que nous cher-
Les théories de gestion mobilisées chons d’appréhender dans notre recherche.
Pour fonder notre recherche, nous avons mobi- La méthode de recherche en management qui
lisé trois théories de gestion : la théorie de la permet d’engager des actions concrètes sur la
base des recommandations requiert à la fois
contingence de Burns et Stalker (1966) se rap-
la pensée et l’action. Nous n’avons pas choisi
portant au changement en cours opéré par le
la méthode déductive que nous estimons peu
Maroc, qui montre que la structure d’une orga-
adaptée à notre recherche, car elle consiste à
nisation dépend des facteurs externes liés au
émettre des hypothèses à partir des construc-
changement en particulier l’incertitude et la
tions théoriques, de modèles explicatifs ou de
complexité de l’environnement. La théorie de la
données préalablement recueillies. Nous avons
contextualité de Pettigrew (1993) se rapportant
opté plutôt pour la méthode inductive, car elle
à l’étude du contexte marocain, qui précise que
permet de généraliser ce que nous avons obser-
l’environnement interne et externe à l’organi-
vé à propos de la phénoménologie de l’influence
sation (en particulier la dimension culturelle) in-
culturelle sur les pratiques de MRH au sein des
fluence les pratiques et l’évolution de cette orga-
entreprises marocaines. La méthode inductive
nisation. La théorie comportementale de Lewin apparaît en effet cohérente avec notre sujet qui
(1951), rapportée par Spector (2007), qui montre cherche à appréhender la réalité de MRH, par le
qu’avant de produire un changement de com- recueil d’informations auprès d’acteurs connais-
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portement, il faut d’abord créer un déséquilibre seurs de la question d’influences de la dimen-
dans le statu quo qui résiste au changement. La sion culturelle sur les pratiques de MRH dans
théorie comportementale de Lewin peut expli- les entreprises marocaines.
quer en effet comment la dimension culturelle Notre démarche est d’abord inductive dans la
constitue une résistance comportementale au mesure où, à partir d’entretiens semi-directifs
changement engagé par les réformes structu- auprès des professionnels praticiens de MRH
relles marocaines. (chefs d’entreprises, DRH, salariés, professeurs
La méthodologie qualitative choisie de MRH, étudiants en master professionnel et
décideurs du niveau de ministres), elle permet
Il s’agit en effet d’une recherche appliquée au d’étendre d’une manière générale, les consta-
contexte marocain susceptible de générer un tations que nous avons relevées d’une ma-
modèle de pratiques de management RH durable nière individuelle sur le terrain. Il s’agit à partir
au Maroc. La recherche qualitative s’applique ici d’observations relevées sur le terrain en milieu
à une situation rationnelle existante et non à une naturel de confronter les résultats obtenus des
situation créée ou simulée par l’intervention du entretiens semi-directifs avec des théories de
chercheur. Notre recherche qualitative appliquée gestion choisies, en vue d’en évaluer la portée
part de l’idée que la recherche conduit au chan- et d’émettre de nouvelles recommandations ou
gement et que le changement est intégré dans le théories par rapport aux précédentes. La métho-

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dologie inductive que nous avons choisie et jus- facto par une étude qualitative menée sur un ter-
tifiée se traduit au plan pratique par des entre- rain d’investigation bien choisi.
tiens semi-directifs. Les questions structurées L’entretien envisagé qui est l’un des outils pri-
en trois points composant le guide d’entretien vilégiés de la recherche qualitative permet de
permettent à nos interlocuteurs de s’exprimer dégager les variables les plus importantes pour
librement sur la thématique exposée. Les inter- décrire analyser et comprendre la phénoméno-
viewés sont sollicités à livrer leurs impressions logie de l’influence culturelle sur les pratiques
et leurs représentations mentales sur les diffé- de MRH au sein des entreprises marocaines.
L’entretien se traduit par un guide d’entretien
rentes questions choisies suivant le procédé de
semi-directif en trois points qui reprend l’essen-
l’entonnoir. L’entretien semi-directif que nous
tiel des questions relatives à notre probléma-
menons dans le cadre de la recherche qualita- tique : 1) en s’inscrivant dans la mondialisation
tive, présente un avantage et probablement le et les normes internationales, le Maroc vit des
gros avantage de mettre en valeur des informa- changements et des reformes de toutes sortes.
tions qui étaient jusqu’à maintenant enfermées Quel est, selon vous, l’impact de ces réformes
dans « l’imaginaire de l’interviewé », ou « images sur le management en général ? 2) Compte tenu
mentales  » selon l’expression d’Andréani et de ce contexte, quelles sont, d’après vous, les
Conchon (2002). « bonnes pratiques » de management des res-
Afin de répondre à notre question de recherche, sources humaines à développer ? 3) Enfin, quels
nous avons choisi en effet de parler à des ges- seraient, selon vous, les leviers pour dévelop-
tionnaires professionnels concernés par la ques- per ces « bonnes pratiques » ou au contraire
tion de MRH dans les entreprises marocaines. les freins au développement d’un management
Au plan méthodologique, Bansal et Corley durable et performant des ressources humaines
(2011) considèrent en effet dans leur éditorial de au Maroc ?
l’Academy of Management Journal que le seul Avec les acteurs interrogés, nous nous pouvons
moyen pour répondre aux questionnements des que faire partie d’une réalité que nous proposons
d’analyser et comprendre et nous ne pouvons
entreprises en matière de performance et de
pas non plus nous situer en dehors du proces-
meilleures pratiques de gestion, c’est de parler
sus interprétatif de cette réalité (La Ville, 2000).
à des gestionnaires.
À une recherche-action (Argyris, 1995), nous vi-
Mise en œuvre des entretiens sons plutôt une recherche compréhension pour
combler le fossé entre théoriciens et praticiens.
La mise en œuvre de la recherche qualita- Dans notre entretien semi-directif, nous n’avons
tive par entretien nécessite aussi de lier les pas voulu chercher des régularités statistiques
concepts, les théories, et les modèles avec les entre individus substituables, mais des signifi-
données empiriques de notre terrain d’investi- cations, de comprendre des processus, comme
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gation (Angot et Milano, 1999). Concernant le dirait Kaufman (1996) « l’entretien compréhen-
modèle conceptuel, il convient de remarquer sif », dans des situations uniques ou fortement
que le recours aux modèles est systématique contextualisées.
en sciences des organisations comme dans les L’entretien d’une heure à une heure 30 minutes,
autres disciplines des sciences sociales même étalé entre le mois de novembre 2010 et le
si leurs postulats restent souvent implicites. mois de mars 2011 a été réalisé selon la conve-
C’est le choix du chercheur qui conduit à légiti- nance des interviewés et jusqu’à saturation pour
contribuer efficacement à la réussite de l’en-
mer la scientificité du modèle (Pesqueux, 2009).
quête sans gêne ni dérangement possible. Ces
Pour nous le recours aux modèles est justifié
entretiens qualitatifs permettent de réaliser des
particulièrement par la nécessité de répondre résultats fiables, réalistes et transparents parce
à la question centrale de notre recherche « La qu’ils nous procurent cet avantage d’amener le
dimension culturelle est-elle un frein ou levier lecteur à être plus près du chercheur, des gens,
de bonnes pratiques de MRH ? ». Le modèle et des événements (ce que la recherche quanti-
conceptuel montre que l’influence de la dimen- tative ne peut pas faire). Cette « intimité » avec
sion culturelle est susceptible de générer soit un le phénomène étudié pour reprendre l’expres-
frein soit un levier de bonnes pratiques de MRH sion de Bansal et Corley (2011), signifie que le
dans les entreprises marocaines. Il est suivi ipso lecteur peut voir le monde à travers les yeux du

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 99


L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

chercheur. L’un des avantages de la recherche vue différenciés procurant plus d’objectivité et
qualitative basée sur l’entretien est de fournir de réalisme qu’une approche homogène unilaté-
des données très riches sur le phénomène étu- rale réductrice.
dié c’est-à-dire l’analyse de la phénoménologie À l’inverse d’une situation que nous qualifions
de l’influence culturelle sur les pratiques de de « conflictuelle » distanciée entre chercheurs
MRH des entreprises. Dans notre recherche, et entreprises et qui conduit nécessairement
nous partons d’abord de la prémisse qu’il n’y a à des informations de convenance et des biais
pas une réalité objective, mais plusieurs réalités dans les résultats, nous avons créé une situa-
socialement construites et c’est l’ensemble de tion de franchise de coopération dans laquelle
ces réalités que nous cherchons à comprendre nous avons sensibilisé les interviewés sur notre
(Demers, 2003) dans les résultats qui vont volonté d’appréhender la vérité, d’aider les ges-
suivre. tionnaires et d’apporter une valeur ajoutée aux
entreprises et au MRH au Maroc. Nous avons
L’étude terrain constaté en effet que dans la situation dite
En référence à la méthode qualitative adoptée, conflictuelle, les interviewés éprouvent une
notre terrain d’investigation concerne 45 ac- certaine appréhension vis-à-vis des chercheurs
teurs que nous avons choisis, parce qu’ils ont jugés préjudiciables à leurs intérêts du fait des
un lien causal directe ou indirecte ave le MRH enquêtes menées sur l’entreprise, le chiffre
et parce qu’ils sont aussi des acteurs et prati- d’affaires, le nombre des salariés et la rentabi-
ciens connaisseurs de la réalité de MRH dans lité. Dans nos entretiens centrés sur la sagacité
les entreprises marocaines. Nous avons choisi (Merton, Fiske et Kendal, 1990), caractérisés
en effet les 45 entretiens jusqu’à l’atteinte de par un esprit de franchise, de dialogue compré-
la saturation parmi les chefs d’entreprises, les hensif, de coopération et contribution mutuelle,
directeurs de ressources humaines, les salariés, nous avons pu obtenir des réponses réalistes
les professeurs de gestion, les personnalités sans dénaturations quelconques. Nous pouvons
publiques du rang de ministre, et les étudiants avancer que nos résultats de recherche renfer-
en Master professionnel. ment un quotient de rigueur scientifique et de
Le guide d’entretien élaboré a été adressé à fiabilité satisfaisant.
45 acteurs composés de praticiens connais- Nous nous limitons dans cet article à l’étude du
seurs du sujet traité. Si le chiffre d’affaires et le troisième thème du guide d’entretien qui inté-
nombre des salariés n’ont pas été privilégiés (car resse particulièrement notre question centrale.
ils gênaient la sensibilité des chefs d’entreprises Les deux autres thèmes peuvent se faire valoir
dans d’autres prolongements possibles de la re-
qui évitaient d’en parler), notre choix aléatoire
cherche. Nous expliquons sans tarder les résul-
a porté en revanche sur des acteurs-praticiens
tats des entretiens comme suit.
diversifiés connaisseurs de la réalité du MRH, du
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présent et du futur. Nous avons ciblé en effet
une population diversifiée composée de 45 ac- 3.2 Les résultats des entretiens des acteurs
teurs sélectionnés dans six catégories sociopro- Pour donner un éclairage sur la question de la
fessionnelles (6 chefs d’entreprises, 7 DRH, 5 culture comme frein ou levier de bonnes pra-
salariés, 7 professeurs de gestion, 8 personna- tiques de MRH, nous avons effectué une ana-
lités publiques et 12 étudiants en Master pro- lyse de contenu thématique de chacune des
fessionnel). Dans notre échantillon justifié par personnes interviewées. Cette analyse consiste
l’effet de saturation, nous avons choisi en effet à faire une lecture du corpus de l’entretien seg-
des répondants diversifiés de différents âges ment par segment afin de repérer les idées signi-
(entre 40 et 50), niveau d’instruction (Licence ficatives et les regrouper en codes thématiques.
et doctorat) et années d’expérience (entre 20 et Nous avons réalisé un codage manuel dont le
30). Peu importe le type d’entreprise à laquelle degré de fiabilité nous semble satisfaisant. Le
appartiennent nos interlocuteurs. Le critère codage consiste à découper les données recueil-
géographique n’a pas été non plus déterminant lies en unités d’analyse ou le plus souvent une
dans notre choix, puisque nous avons opté pour phrase de la transcription (ou en attribuant de
une diversité d’acteurs et une diversité géogra- mots (labelling) au sens de Corbin et Strauss
phique. Nous avons en effet choisi de diversifier (1991). Dans le codage nous avons choisi d’attri-
les acteurs interrogés pour avoir des points de buer le mot « f » (labelling) aux réponses favo-

100 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Driss FERAR

rables à la thématique posée et une case vide doit combattre. Le fatalisme et le manque de
aux réponses qui n’affichent pas de tendance vigueur constituent le vrai frein. »
favorable aux trois thèmes du guide d’entretien Les réponses des chefs d’entreprises montrent
et notamment le troisième thème de la culture une dichotomie entre frein et levier dans leurs
qui intéresse notre recherche (voir tableau 1 de représentations mentales relatives à l’influence
bilan global). culturelle. Les représentations mentales des
Concernant le troisième thème relatif à la di- chefs d’entreprises reflètent en effet une culture
mension culturelle comme frein ou levier, les de paradoxes qui caractérise les sociétés dans
réponses des répondants sont partagées (50 %) le groupe arabe (Kabasakal et Bodur (2002), et
entre ceux qui considèrent la dimension cultu- qui affichent continuellement la dualité entre la
relle comme un frein et ceux qui ne voient pas tradition et la modernité, les religieux et laïcs.
dans la culture une résistance au développe- Elles sont simultanément semi-féodales, semi-
ment de bonnes pratiques de MRH. capitalistes, semi-agricoles et semi-industrielles
Les verbatim suivant des chefs d’entreprises (Barakat, 1993). Ces dualités créent e effet des
interrogés confirment ces deux tendances : attentes contradictoires de la part des dirigeants
« Malheureusement, il y a beaucoup de hiérar- de ces sociétés.
chies actuellement au Maroc qui gère encore Les représentations mentales des DRH identi-
de la manière dont j’ai parlé, et ils ne veulent fient quant à eux l’implication de la DG et une
que plaire à leur patron. La culture, loin d’être culture de soumission qui bloque l’évolution des
un frein, est considérée comme une qualité. bonnes pratiques de MRH. Ces impressions se
Nous avons déjà beaucoup d’atouts, le maro- traduisent dans les verbatim suivants : « Libérer
cain d’une manière générale est ouvert, ça au l’initiative et sortir de la culture de soumission ».
niveau de notre culture c’est une qualité, mais « Les règles du management sont à l’opposition
il faut être ouvert de manière professionnelle ». avec les règles culturelles de la soumission ».
« Les freins, c’est rester dans le système patriar- « Quand on n’a pas de liberté de parole on n’a
cal, c’est qu’il n’y a pas de concertation que la pas d’initiatives il n’y a pas d’autonomie. On est
décision revient à une seule personne, qui n’a entre des facteurs qui freinent et des facteurs
pas du système d’évaluation par exemple ». qui veulent accélérer, il faut vivre avec ça, les
« Sincèrement, nous avons beaucoup d’atout deux sont présents dans la société ».
qu’on doit exploiter et nous avons également L’analyse du discours des DRH identifie claire-
quelques freins objet de votre question qu’on ment les règles culturelles comme freins aux

Tableau 1 : Bilan global des réponses favorables (F) par thème et catégories
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Réponses
Entretiens Thème 1 Thème 2 Thème 3
Positive
des catégories de
répondants Impact Pratiques Résistance
Chiffre
Impact des réformes mondialisation internationales  culturelle

1 Chefs d’entreprises F F 3/4 75 %


2 DRH F F 2/4 50 %
3 Salariés F F 2/4 50 %
4 professeurs de gestion F F 1/4 25 %
5 Personnalités publiques F F 2/4 50 %
6 Étudiants en Master F F F 3/4 75 %

1/6 4/6 5/6 3/6 13/24


TOTAL
16,7 % 66,7 % 83,3 % 50 % 54,2 %

F : favorable à la thématique posée. Case vide : non favorable à la thématique posée

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 / 101


L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

bonnes pratiques de MRH. Les DRH prônent relle. On n’apprend pas à nos enfants la théorie
à l’instar des chefs d’entreprises, une liberté du risque, ils ne connaissent pas le risque ».
d’action pour sortir d’une culture d’obéissance Il découle des déclarations des professeurs de
rapportée par Eddakir (2003). Les DRH sont rési- gestion, une analyse subtile ciblant une ina-
gnés à accepter et vivre avec ce paradoxe entre daptation de la culture aux bonnes pratiques
frein et levier de bonnes pratiques. Le descriptif de MRH dans les entreprises marocaines : « Il
annoncé par les DRH ressemble à une situation n’y a aucune raison pour que notre culture ne
de maladie chronique que nous devons vivre s’adapte pas à l’évolution ». Autrement dit, les
avec. Le dirigeant d’entreprise qu’il soit tradi- habitudes et les interprétations erronées de la
tionnel ou moderne, reflète en effet au sens culture telles qu’elles sont perçues aujourd’hui
d’Eddakir (2003) l’esprit marocain, fondé sur le constituent-elles un obstacle à l’évolution et le
collectivisme et les rapports de soumission. développement de bonnes pratiques de MRH ?
Pour salariés, les entreprises qui vont réussir Pour les personnalités publiques, la difficulté
demain sont les entreprises qui vont respecter c’est la langue et surtout «  notre histoire cultu-
et valoriser les êtres humains. Concernant les relle qui l’emporte sur le modernisme. » «  La
freins et les obstacles, les représentations men- résistance est parfois imputable aux gens ini-
tales des salariés identifient une multitude d’ac- tiateurs de changement. Il faut faire savoir aux
teurs intervenant dans la gestion des entreprises gens qu’ils vont trouver leurs intérêts dans ce
qui ôtent toute liberté d’action aux entreprises. changement et surtout qu’ils ne vont pas perdre
« Je pense qu’il faut laisser l’entreprise vivre son leurs acquis. Un changement qui perturbe l’équi-
aventure elle-même et découvrir les obstacles libre de la société et surtout ses inspirations reli-
qu’elle va pouvoir corriger par la suite ». Il y a sur- gieuses ne peut pas réussir parce que notre his-
tout la religion, les coutumes, la conscience qui toire culturelle l’emporte sur le modernisme ».
se font rares, car les valeurs religieuses incitent L’analyse du discours des personnalités pu-
l’ouvrier à être plus confiant, plus utile et plus bliques cible clairement le poids de l’histoire
coopératif. Les valeurs religieuses, c’est aimer culturelle qui se dresse devant des tentatives
le patron comme si aimer soi-même, se mettre de modernisation et de performances des pra-
à la place du patron. Le salarié qui veut saboter tiques RH dans les entreprises marocaines. Les
le travail ne devient plus craintif des valeurs reli- décideurs sont rendus responsables dans la
gieuses ». mesure où ils arrivent à initier un changement
L’analyse des discours des salariés cible claire- du type « gagnant-gagnant ». Le statu quo plus
ment la religion et les valeurs telles qu’elles sont confortable qu’un changement incertain désta-
pratiquées et interprétées au quotidien, comme bilisant les acquis, est préférée dans le contexte
freins aux bonnes pratiques. Les salariés insi- marocain contre toute recommandation appor-
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nuent dans leurs déclarations que les valeurs tée par Kurt Lewin [1951].
réelles de la culture et des religions se font rares La théorie de Kurt Lewin [1951] qui vise à désta-
aujourd’hui et prônent comme les DRH, une biliser le statu quo pour réussir un changement
liberté d’action pour sortir d’une culture d’obéis- comportemental n’a pas trouvé une confirma-
sance rapportée par Eddakir (2003 tion dans le contexte marocain.
Les professeurs de gestion insistent sur les Les représentations mentales des étudiants
freins qui résident dans une sorte d’incompati- de Master considèrent que l’enracinement aux
bilité entre la culture savante et la culture popu- cultures constitue une certaine réticence au
laire : « Jusqu’à présent au Maroc, on travaille développement des bonnes pratiques de MRH
seulement avec les pratiques savantes du ma- comme il est confirmé dans les verbatim sui-
nagement. Il faut être à l’écoute de ce qui est vants : « Il ne s’agit plus de fidéliser ceux qui
local, et les experts doivent changer leur posture veulent travailler pour nous, mais ceux qui ai-
épistémologique ». « Il n’y a aucune raison pour ment travailler pour nous instaurer un climat de
que notre culture ne s’adapte pas à l’évolution ». confiance, transparence, partage et égalité au
«  Parce qu’il y a une zone d’ombre, une zone lieu d’un climat d’autorité, de menaces, de peur
d’incertitude. On a le côté culturel et la peur du et de secrets ». « L’enracinement aux cultures
changement ; les gens craignent le changement, c’est comme une certaine réticence et le han-
parce qu’ils ont des biens. C’est une peur cultu- dicap pour moi c’est l’engagement de la direc-

102 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Driss FERAR

tion générale, ça nécessite un changement de des investissements extérieurs dans les pays où
culture qui n’est pas facile ». la donne culturelle constitue un obstacle au dé-
L’analyse du discours des étudiants en master veloppement de bonnes pratiques de MRH. La
professionnel semble s’aligner sur les représen- dimension culturelle qu’elle soit frein ou levier
tations mentales de personnalités publiques en est appréhendée par les multinationales comme
ciblant le poids de l’histoire culturelle qui consti- une opportunité plus qu’une menace pour leurs
tue un obstacle au développement de bonnes stratégies de diversification. Dans le cadre de
pratiques de MRH dans les entreprises maro- la mobilité internationale par exemple, un direc-
caines. teur général d’une filiale de multinationale qui
D’une manière générale, les représentations ne s’adapte pas à la culture locale, qu’elle soit
mentales des acteurs interrogés sur la ques- frein ou levier, est rapatrié au siège de la firme.
tion de la dimension culturelle convergent vers L’exemple du Maroc qui est devenu un labora-
l’adoption d’un nouveau paradigme culturel toire de réformes que nous abordons plus loin
susceptible de surpasser les obstacles au déve- dans les apports de la recherche est devenu une
loppement de bonnes pratiques de MRH dans destination privilégiée pour les investisseurs
les entreprises marocaines. Les acteurs inter- étrangers [la plus grande station de l’énergie
rogés nous ont fait savoir qu’il y a aujourd’hui solaire est implantée au Maroc à Ouarzazate].
une priorité à mettre en avant une nouvelle lec-
ture de la culture, un nouveau paradigme cultu- 3.3 Discussion
rel qu’ils qualifient de  « révolution culturelle » à
l’instar de la révolution entre le peuple et le Roi Il ne serait peut-être pas inutile de commenter
qui existe déjà depuis l’avènement de l’indé- les deux courants de pensée rapportés par la lit-
pendance du Royaume du Maroc de 1955. La térature avant de discuter les résultats obtenus
« révolution culturelle » pour les acteurs interro- visant une « révolution culturelle » comme nou-
gés nécessite l’établissement d’un consensus veau paradigme culturel.
et d’un lien très fort de confiance de solidarité Le premier courant de pensée semble en effet
et de tolérance entre tous les intervenants dans réduire la dimension culturelle à un assemblage
le développement de bonnes pratiques de MRH d’habitudes et d’interprétations qui sont éloi-
pour les entreprises et les générations actuelles gnées de la finalité originale des dispositions
et futures. Cinq ans après cette analyse, Bruna culturelles et religieuses. C’est ce qui découle
et Hamdani [2016], vont dans le même sens de des résultats d’entretiens des acteurs interro-
cette confiance qu’ils appellent « une pragma- gés qui reconnaissent que l’aspect conceptuel
tique de la confiance ». de la religion ne pose pas de problème à l’évolu-
La « révolution culturelle » signifie une culture tion vers de bonnes pratiques de MRH. « C’est
adaptée et évolutive susceptible de stimuler surtout l’aspect pratique de la religion, qui de-
la performance des entreprises et apporter le meure sujet à des interprétations erronées qui
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bien-être actuel et futur aux employés. Les handicapent le développent de bonnes pratiques
interviewés semblent s’inscrire dans la dimen- de MRH ». « Les valeurs religieuses, c’est aimer
sion culturelle dynamique évolutive développée le patron comme si aimer soi-même, se mettre
par Ulrich [1989]. Les entreprises sont en effet, à la place du patron. Le salarié qui veut saboter
selon Ulrich, un produit culturel, car les cultures le travail ne devient plus craintif des valeurs reli-
évoluent plus au moins rapidement avec l’envi- gieuses ».
ronnement, qui connaît un bouleversement L’approche du deuxième courant de pensée pa-
culturel précipité. Pour les acteurs interrogés, raît assez réductrice dans sa vision dynamique et
une solide culture est une composante efficace positive de la dimension culturelle. Notre com-
dans la réalisation de la performance [Kotter et mentaire à ce propos peut paraître simpliste. Les
Heskett 1992] et des bonnes pratiques de MRH. dispositions originelles d’une culture dynamique
Il demeure évident que les résultats de cette en- visant le progrès et l’émancipation citoyenne
quête qualitative ne concernent que le contexte dans certains pays ont favorisé par contre dans
marocain ou des contextes des pays similaires d’autres pays des situations de précarité de pau-
en voie de développement. vreté et de violence. La dimension dynamique
Une autre précision s’impose dans notre propos. de la culture, loin de s’inscrire dans l’universa-
Les freins culturels soulignés plus haut dans la lit- lisme, nécessite d’être contextualisée. En effet
térature n’empêchent pas pour autant de drainer si la dimension culturelle apparaît dynamique

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L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

visant le progrès économique dans le contexte tive des valeurs en tant que pratiques dans les
des pays d’Asie (Japon, Chine, pays du dragon), faits et gestes.
et de l’Amérique latine (Brésil, Mexique.), elle L’approche de l’analyse du discours (Pêcheux,
n’a pas trouvé la même application dynamique 1969) ralliant les discours à l’idéologie de leur
dans le contexte des autres pays du globe no- époque explique en partie les nouvelles ten-
tamment arabes et africains. dances culturelles qui s’éloignent des valeurs
Nous discutons maintenant le nouveau para- culturelles universelles et qui privilégient la
digme culturel qui vise une « révolution cultu- domination d’une culture sur une autre. Nous
relle 
» dynamique évolutive au sens d’Ulrich pensons ici à certains chercheurs anglo-saxons
(1989), susceptible d’induire la performance comme Friedman (2005), qui considèrent que le
des entreprises et le bien-être des employés. monde sera plat « the world is flat », aplati sous
Cette « révolution culturelle » prétendant viser le la domination rampante d’une culture des multi-
progrès semble connaître certaines limites. En nationales.
effet, les valeurs universelles de tolérance de L’approche de l’analyse du discours de Pêcheux
diversité de progrès et de coexistence prônées (1969) explique aussi la dichotomie entre théo-
par cette « révolution culturelle » semblent rele- ries et pratiques, entre discours et réalités, dans
ver plus des discours que des pratiques. C’est des organisations qui prétendent être respec-
précisément cet aspect pratique de la dimension tueuses des valeurs culturelles et religieuses.
culturelle dynamique qui nous interpelle pour Nous avons choisi d’intégrer ici la dimension
expliquer ce paradoxe entre le concept et le réel religieuse dans la dimension culturelle qui est un
entre les discours et les pratiques. Aujourd’hui ensemble d’habitudes et d’acquis renfermant la
les chefs d’entreprises prônant une « révolu- dimension religieuse. Comme nous avons choisi
tion culturelle » sont-ils en mesure de s’inscrire plus haut une définition générale de la culture,
réellement dans l’universalisme de la culture en la religion peut être perçue comme une compo-
s’appuyant sur les valeurs des personnes et de sante de la dimension culturelle. Nous pensons
leurs idéaux ? (Marr et Thau, 2013). Les chefs ici à une étude récente de 2016, qui montre que
d’entreprises peuvent-ils amorcer « une ouver- les valeurs culturelles et préceptes religieux de
ture sur le monde », ou se cantonner dans un l’Islam par exemple, sont plus respectés et ap-
repli national ? (Myset, 2013). Les chefs d’entre- pliqués dans des pays occidentaux que dans des
prises seraient-ils alors en mesure de passer de pays dits musulmans ou islamiques. L’auteur
la production de discours à la réalisation d’actes de cette enquête internationale Hossein Askari
observables ? (Bruna et Hamdani, 2016). (2016), professeur de commerce international
La fracture entre discours théoriques et pra- et des affaires internationales au sein de l’Uni-
tiques réelles, qui relève de l’apport de l’analyse versité américaine George Washington avec son
du discours est justifiée, car les discours comme collègue le Dr Scheherazde se Rehman, ont réa-
les réformes reflètent l’idéologie et l’environne- lisé un classement international des pays où les
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ment social de leur époque. Ensuite l’approche pratiques quotidiennes reflètent les pratiques et
sociolinguistique de l’analyse du discours des di- les valeurs réelles préconisées par le Coran dans
rigeants d’entreprise, montre l’interprétation des les domaines politiques, économiques et scienti-
milieux conversationnels (Gumperz, 1989) et le fiques. Le but de l’enquête est de mesurer « l’in-
caractère social qui se trouve dans toute linguis- dice d’islamité » d’un pays en fonction ce qu’il
tique (Labov. 1976). Si l’approche automatique applique au niveau de la justice, la lutte contre
de l’analyse du discours (Pêcheux, 1969) pro- les inégalités sociales, le poids de l’éthique dans
pose de rallier les discours à l’idéologie de leur les rapports sociaux, le développement écono-
époque, l’approche pragmatique peut être consi- mique et le rayonnement du savoir tel que les
dérée comme un carrefour incontournable pour dispositions du Coran le préconisent dans ses
les sociologues, psychologues, linguistiques et recommandations et obligations.
philosophes (Barry, 2002). Sur cette fracture Le résultat de cette enquête internationale
entre théories, principes et pratiques, Gehman montre que presque aucun pays musulman ne
et coll. (2013), préconisent une nouvelle ap- vit réellement en harmonie avec les pratiques
proche d’éthique et de durabilité permettant et les valeurs musulmanes. Mieux encore, des
de passer de la compréhension cognitive des pays comme l’Irlande, la Suède et le Danemark
valeurs des personnes en tant que principes se sont révélés dans cette enquête davantage
abstraits vers une compréhension performa- plus musulmans que les autres. Le premier pays

104 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Driss FERAR

qui respecte réellement les pratiques et valeurs tions scientifiques sur le plan théorique métho-
musulmanes est l’Irlande. La Malaisie et le dologique, managérial et pratique.
Kowait sont les deux seuls pays musulmans qui
Les apports théoriques
arrivent à trouver une place dans les 50 premiers
pays respectueux des pratiques et principes Nous avons voulu confronter le bilan global de
du Coran. L’Algérie occupe les 131 places, le synthèse des réponses des différentes caté-
Maroc 120, l’Égypte 128 et l’Arabie Saoudite 91 gories d’acteurs interrogés avec les théories
(voir carte des indicateurs d’influence culturelle de gestion ayant fondé notre recherche. La
et religieuse). confrontation réalisée loin de toute prétention
Cette situation paradoxale de l’influence cultu- d’être rigoureuse figure dans le tableau compa-
ratif : (Tableau 2).
relle et des valeurs religieuses sur les pratiques
Il ressort de ce tableau comparatif sommaire,
de MRH, a été résumée dans le siècle précé-
que les six catégories de répondants sont una-
dent par Mohamed Abduh (1849-1905), juriste,
nimes a (100 %) à propos de l’influence de la
mufti  égyptien, et fondateur avec Jamal al-Din dimension culturelle sur les pratiques de gestion
al-Afghani du modernisme islamique : « Je suis RH au sein des entreprises marocaines. La théo-
allé à l’Ouest et vu l’Islam, mais pas de musul- rie comportementale de Lewin (1951) explique
mans ; je suis rentré à l’Est et vu les musulmans, en effet comment la dimension culturelle qui
mais pas l’Islam. ». influence les pratiques de MRH des entreprises
Il convient maintenant de terminer la structura- constitue une résistance comportementale au
tion de cet article par les apports de notre re- changement engagé par les réformes structu-
cherche. Il apparaît opportun après cette discus- relles marocaines.
sion de se demander maintenant quels sont les Les acteurs interrogés n’approuvent par contre
apports de cette recherche que nous proposons que très modestement (33 %) l’apport des
dans les paragraphes de la section suivante. deux autres théories de gestion (contingence et
contextualise), dans la mesure où les répondants
3.4. L’analyse des contributions scientifiques considèrent que les réformes structurelles adop-
tées par le Maroc (l’environnement extérieur à
de la recherche
l’entreprise) n’ont pas beaucoup influencé les
Dans le sillage des résultats obtenus et de la pratiques de MRH. De même les pratiques inter-
discussion menée, nous analysons les contribu- nationales privilégiées par les acteurs interrogés

Carte mondialesur les indicateurs d’influence culturelle et religieuse (Islam)


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L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

Tableau 2 : Confrontation des réponses des six catégories de répondants


avec les théories de gestion

La théorie de la La théorie de la La théorie


contingence (Burns contextualité de comportementale
et Stalker, 1966) Pettigrew (1993) de Lewin (1951)

Les chefs
Confirmée Pas Confirmée Confirme
d'entreprise
Les DRH Pas confirmée Pas confirmée Confirme
Les salariés Pas confirmés Pas confirmée Confirme
Les professeurs
Pas Confirmée Confirme Confirme
de gestion
Les personnalités
Confirme Confirme Confirme
publiques
Les étudiants Pas confirmée Pas confirmée Confirme
BILAN 2 confirmées sur 6 2 confirmées sur 6 6 confirmées sur 6
Evaluation 33 % 33 % 100 %

dans le sens d’une contextualisation (Pettigrew, de meilleures structures que d’autres, mais sont
1993) aux pratiques locales, ne peuvent être simplement plus ou moins adaptées à l’environ-
contextualisées en tout temps et lieux, du fait nement. Mais, en fondant leur raisonnement
qu’elles renferment certaines normes et valeurs sur la non-généralisation de leur théorie, ils la
d’application universelle. condamnent à ne pas être un outil de décision.
La contribution théorique peut être perçue au ni- Partant du même constat que Burns et Stalker,
veau de la théorie de la contingence et la théorie Lawrence et Lorsch (1967) étudient 10 firmes
de la contextualité. et considèrent que l’environnement est en situa-
La théorie de la contingence de Burns et Stalker tion d’incertitude. Pour les deux chercheurs an-
(1966) explique que l’environnement externe glais Lawrence et Lorsch, plus l’environnement
à l’entreprise influence les pratiques de cette est stable, plus les entreprises ont tendance à
entreprise. Les deux chercheurs anglais Burns évoluer avec une structure formalisée et inver-
et Stalker qui ont publié en 1964 «  The mana- sement.
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gement of innovation. », ont étudié les facteurs L’apport de la recherche montre les limites de
explicatifs de la structure de 20 entreprises cette théorie en ce qui concerne l’impact de l’en-
industrielles et constaté que c’est la nature vironnement sur les pratiques des entreprises.
de l’environnement en général qui explique la En effet, les réformes structurelles adoptées par
forme choisie par les organisations. Si la tech- le Maroc n’avaient que peu d’impact sur les pra-
nologie ou le marché sont stables, les struc- tiques des entreprises. Par contre, les pratiques
tures d’organisations le sont aussi. Par contre, si internationales ont plus d’influence sur les entre-
l’environnement est marqué par l’incertitude et prises et les pratiques de ces entreprises. De ce
la complexité, les organisations vont tenter de fait, la théorie de Burns et Stalker (1966) parle de
trouver la structure qui leur paraît le plus adap- l’influence de l’environnement extérieur à l’en-
tée. Pour Burns et Stalker, la variabilité de l’envi- treprise, mais ne précise pas de quel environ-
ronnement permet de distinguer deux grandes nement il s’agit. Il y a l’environnement national
structures : les structures mécanistes adaptées extérieur à l’entreprise et l’environnement inter-
à un environnement stable et les structures orga- national extérieur à l’entreprise. L’apport de la
niques  adaptées à un environnement instable. recherche vise à compléter la théorie de contin-
Ces deux modèles permettent une distinction gence de Burns et Stalker (1966) et préciser
théorique qui n’est pas absolue.  En effet, Burns que l’environnement international contraignant
et Stalker insistent sur le fait qu’il n’existe pas exerce plus d’influence que l’environnement

106 / Question(s) de Management ? / N°18 / Novembre 2017 © Éditions EMS


Driss FERAR

national sur les entreprises et les pratiques de (internet, sites de journaux numérisés, Facebook
gestion de celles-ci. Notre recherche montre en et autres). Les résultats de nos entretiens quali-
effet dans le tableau 2 que les pratiques interna- tatifs montrent que l’ère du XXIe siècle consacre
tionales ont plus d’impact (83,3 %) que les ré- de plus en plus l’universalité des valeurs démo-
formes structurelles (16,7 %), sur les pratiques cratiques, humaines et sociales. Le citoyen est
des entreprises étudiées. Dans le jeu de pouvoir, devenu un client mondial cherchant la même
nous montrons qu’il existe une hiérarchisation qualité de vie et de produit, réfutant toute pra-
de pouvoir s’exerçant par effet de vague sur les tique locale contraire aux valeurs universelles
pratiques de gestion des entreprises. Szostak et communes. Nos travaux apportent une valeur
Bécuwe (2010) défendent la même idée quand ajoutée à la théorie contextualise de Pettigrew
ils parlent de pressions politiques et sociales (1993), en soutenant l’idée que tout ne peut pas
susceptibles de contribuer au changement orga- être contextualisé en tout temps et tout lieu
nisationnel. notamment les valeurs communes d’application
La théorie contextualise, de Pettigrew (1993) a universelle.
été choisie dans la mesure où les acteurs inter- Notre apport nuancé de la théorie contextua-
rogés dans notre étude parlent de bonnes pra- lise selon lequel toute pratique ne peut être
tiques internationales qu’il convient de contex- contextualisé en tout temps et lieu, nécessite
tualiser peut-être dans la forme, mais pas dans une discussion dans une littérature non exhaus-
le fond. Car, les pratiques internationales renfer- tive. Entre universalismes et contextualise, une
ment des valeurs communes d’application uni- critique mutuelle apportée par Skirbekk (2003),
verselle. Bru (1991), définissant la contextuali- oppose l’universalité à la contextualité au moyen
sation comme un « mécanisme par lequel des de la pragmatique universelle favorable au plu-
aspects particuliers de l’environnement agissent ralisme épistémologique. Skirbekk (2003) sou-
sur la pratique » ? Autrement dit, la contextua- tient en effet l’idée d’une raison qui transcende
lisation est «  l’ensemble des processus par les limitations contextuelles contingentes et
lesquels le sujet en contexte construit son mi-
acquière en conséquence une force universelle.
lieu ». (Bru, 1991). Les significations accordées
Notre contribution nuancée de la théorie de la
au contexte relèvent de ce fait de la compré-
contextualité se positionnant ainsi entre contex-
hension des processus de contextualisation
tualise et universalisme, et relève de ce que
et posent la légitimité du « contexte » comme
Skirbekk (2003) appelle les modernes univer-
vecteur d’explication sociologique. À cet égard,
salistes et les postmodernes contextualisâtes.
trois postures peuvent être repérées : celle qui
C’est-à-dire une idée de la raison moderne
confère au contexte une « position explicative
contraignante universellement, et située de
directe » ; celle qui le place en « position explica-
manière plurielle et contextuelle. S’il apparaît à
tive indirecte » et celle qui l’inscrit dans une posi-
ce propos dangereux de généraliser, il est en
tion non explicative (Raynaud, 2006). Les deux
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positions d’explication directe et indirecte per- effet tout aussi dangereux de négliger les faits
mettent de comprendre et d’expliquer la raison contextuels.
de notre choix et d’interroger des acteurs qui Les contributions méthodologiques
ont une relation significative directe ou indirecte
avec la problématique d’influence de la dimen- Si les démarches de recherche-action (Argyris,
sion culturelle sur les pratiques de MRH dans les 1995 ; Eikeland, 2006) contribuent à combler le
entreprises marocaines. Dans une conception fossé entre théoriciens et praticiens, nos tra-
proche, Blanchet et al. (2009) insistent sur le fait vaux proposent plutôt une recherche compré-
que « toute pratique devrait être pensée selon le hension. La raison est que nous avons constaté
contexte social qui la constitue et qu’elle contri- tout au long de la recherche, que les praticiens
bue à façonner ». interrogés (chefs d’entreprise et employés) ont
De ce point de vue, la théorie contextualise de d’abord exprimé leur besoin de compréhension.
Pettigrew (1993), connaît des limites et mérite Les praticiens considèrent que les chercheurs
d’être complétée par l’évolution des idées et ne saisissent pas en général les vrais problèmes
des sciences nouvelles, notamment technolo- des entreprises et ne comprennent pas ou com-
gique. En effet les idées recueillies lors de nos prennent d’une manière artificielle (Boyer, 2010)
enquêtes, reflètent l’émergence d’une pensée la réalité profonde de l’homme au travail au sein
de plus en plus mondialisée par l’apport des TIC des organisations et des entreprises. C’est ce

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L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

qui nous a motivés à souligner plus haut qu’une selle fédérant et intégrant toue forme de culture.
situation « conflictuelle » distanciée entre cher- Avec la mondialisation croissante et la diversité
cheurs et entreprises, conduit nécessairement multiculturelle, le contact interculturel et la for-
à des informations de convenance et des biais mation par contact expérientiel deviennent en
dans les résultats. Par contre, notre recherche effet, pour Valerie Alexandra (2017), nécessaires
s’est distinguée par une situation de franchise de et efficaces pour le développement de l’intel-
coopération dans laquelle nous nous sommes ré- ligence culturelle. Les résultats d’une étude
vélés à nos interlocuteurs en leur montrant notre menée par Valerie Alexandra (2017), auprès de
compréhension et notre volonté d’appréhender 122 étudiants de troisième cycle, suggèrent que
la vérité, et de les aider par un apport renfermant les individus socialement dominants sont moins
une valeur ajoutée. De même, à une situation de susceptibles de bénéficier d’une formation inter-
recherche engagée pour rapprocher chercheurs culturelle par contact expérientiel. Par contre,
et praticiens (Van de VEN et Johnson, 2006), les individus avec une plus grande propension
nous proposons une situation plutôt relationnelle à changer les stéréotypes sont susceptibles de
partagée entre praticiens et chercheurs pour dis- développer une plus grande intelligence écono-
cuter avec tolérance et modestie la question de mique.
l’utilité des connaissances scientifiques pour les Pour les sciences de gestion, la connaissance
entreprises (Augier et March, 2007) et de leur marocaine fruit de cette recherche, peu abordée
intérêt pour la pratique (David, 2008). par la littérature, pourrait enrichir, en termes de
diversité de MRH et de développement durable,
Les contributions managériales la littérature des sciences de gestion. Trouver
Concernant la contribution managériale, la ré- des pistes de réflexion et des recommandations
flexion vise un éclairage sur certaines recom- pertinentes privilégiant une culture dynamique
mandations proactives que nous proposons aux évolutive universelle ou ce que nous appelons
entreprises et aux sciences de gestion. Pour les une «  révolution culturelle » réclamée entre
entreprises, nous avons en effet apporté un éclai- autres par les acteurs interrogés, c’est contri-
rage sur la compréhension des mécanismes de buer au développement du management des
performance et aidé les entreprises marocaines ressources humaines et des sciences de ges-
à mieux appréhender la dynamique culturelle tion. Le mérite de cette recherche est qu’elle
et mieux gérer le mécanisme du changement n’est ni complète, ni détentrice de la vérité, car
et des réformes structurelles engagées par les nos résultats ne sont pas prouvés, mais ils sont
pouvoirs publics marocains. Notre ambition est probablement vrais (Chalmers, 1987). Notre re-
de permettre aux entreprises marocaines de cherche permet néanmoins une approche com-
mieux intégrer les nouvelles compétences et préhensive de la phénoménologie d’influence
les nouvelles pratiques internationales perfor- culturelle dans les entreprises marocaines et
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mantes qui ont donné leurs fruits un peu partout contribue modestement à faire évoluer le mana-
dans le monde. Il s’agit en d’autres termes pour gement par le management à l’instar de l’évo-
les entreprises marocaines de penser à de nou- lution de la recherche par la recherche, comme
velles stratégies, et de nouvelles pratiques bien- facteur de progrès entrepreneurial et de déve-
veillantes (Benataleb, Frimousse, Scouarnec, loppement durable.
2016).
La contribution pratique de la recherche
L’apport managérial vise en outre à mettre en
évidence les freins culturels qui se dressent L’apport pratique montre que les réformes
devant le changement et les pratiques de déve- structurelles visant le changement et l’adop-
loppement durable que les chefs d’entreprises tion d’une culture dynamique évolutive peuvent
doivent réduire autant que possible. L’apport pré- enrichir les pratiques de MRH des entreprises
conisé vise en substance une évolution vers une dans la mesure où les chefs d’entreprises et
meilleure appréhension de la dimension cultu- les chercheurs communiquent, diffusent et
relle en tant que « concept intelligent » ciblant partagent l’expérience entre eux (Ferar, 2016).
ce que Valerie Alexandra (2017), de l’Université Nous avons constaté en effet que les études
de San Francisco appelle récemment une intel- et les recherches sont souvent rangées dans
ligence interculturelle (cultural intelligence, CQ), les archives et les tiroirs des bibliothèques des
dont la finalité n’est autre qu’une culture univer- universités sans valeur pratique réelle pour les

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Driss FERAR

besoins et les préoccupations des entreprises. matifs. Il convient de comprendre sur ce plan
Nous continuons à souhaiter aujourd’hui comme que ce qui compte pour un praticien utilisateur,
le souhaite Igalens (2016) dans sa préface de c’est que son organisation, sa machine ou son
l’ouvrage collectif Les défis du management au outil de gestion fonctionne. Autrement dit, ce
Maghreb…, que les ouvrages apportant un éclai- qui compte pour le praticien, c’est les résultats
rage sur les entreprises au Maroc au Maghreb tout de suite ou presque, pas de longs discours
ou en Afrique, soient lus et exploités dans le (Magne, 2011).
sens de l’émancipation et du développement Le cinquième et dernier apport pratique réside
des sociétés africaines. dans la remise en cause du chercheur comme
Le deuxième apport pratique est que le Maroc seul dépositaire de la connaissance et de la vé-
constitue un véritable laboratoire de change- rité. En effet, notre expérience de quarante ans
ment et de réformes structurelles dans la région de management des hommes et des organisa-
du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ce tions territoriales, conjuguée aux conclusions
laboratoire leader dans la région de MENA pour- de nos travaux de recherche théorique et empi-
rait produire des outils, des processus RH, créer rique, montre que les praticiens (chefs d’entre-
des modes, des méthodes de gestion, des stra- prises et employés) détiennent une vérité et
tégies de ressources humaines et surtout culti- produisent des connaissances et des normes en
ver et promouvoir l’application d’une « révolution dehors des théories théoriques de la science et
culturelle » ou intelligence culturelle du mois des chercheurs. C’est ce qui a fait dire à Girin
dans cette même région MENA avant de suggé- (1989) dans la littérature du siècle précédent que
rer son extension ultérieurement. L’exemple de les praticiens sont des « savants ordinaires » et
formation en matière d’enseignement culturel et des producteurs de théories. Plus d’une décen-
religieux au profit de certains pays de l’Afrique nie après Girin (1989), Van de VEN et Johnson
centrale est un exemple parmi d’autres en direc- (2006), rejoints par Dietrich et Weppe (2010)
tion d’une vision stratégique de tolérance cultu- estiment qu’une coproduction de connaissances
relle et religieuse. Troisième apport pratique est nécessaire afin d’assurer une certaine cohé-
est de contribuer à réduire le fossé qui existe rence entre les deux savoirs (celui des praticiens
entre théories et pratique, entre chercheurs et et des chercheurs).
praticiens, en valorisant aux yeux des praticiens Malgré les contributions scientifiques et pra-
les conclusions auxquelles notre recherche a tiques de notre recherche, il convient de souli-
abouti, par exemple les pistes de réflexion, les gner certaines de ses limites que nous suggé-
recommandations et les réponses à la probléma- rons dans les paragraphes qui suivent.
tique de développement durable sous-tendu par
la dimension culturelle qui signifie ici une « révo-
3.5 Les limites de la recherche et les
lution culturelle » ou intelligence culturelle qui se
propositions pour des recherches futures.
veut universelle.
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Notre quatrième apport pratique vise à considérer Non seulement les sciences, les théories et
les habitudes et les routines appliquées par les les pensées connaissent des limites, car il n’y
praticiens marocains non pas comme une résis- a pas d’absolu dans les sciences, mais les re-
tance négative à l’émancipation de la recherche cherches connaissent aussi leurs limites. En
et au développement durable, mais comme effet : « la connaissance scientifique n’est pas
une opportunité à comprendre et guider, car une connaissance prouvée, mais elle représente
d’importantes routines organisationnelles sont une connaissance qui est probablement vraie »
souvent passées sous silence par les ouvrages (Chalmers, 1987), car la science progresse par
de gestion et rarement enseignées à l’université des essais, études et erreurs. C’est dans ce
(Dietrich et Weppe, 2010). De l’autre côté, les contexte évolutif de progrès, d’erreurs et de
praticiens jugent les normes de la connaissance limites que nous présentons les limites de notre
scientifique inefficaces (Rynes et al., 2001) et recherche. Nous ciblons certaines limites qui
préfèrent valoriser plutôt les habitudes de MRH nous apparaissent d’ordre théorique et métho-
routinières jugées plus efficaces et immédiate- dologique.
ment rentables. Les praticiens entendent créer Pour les limites théoriques et compte tenu de la
en effet des connaissances pour leurs propres dimension multidisciplinaire du sujet traité, nous
usages et proposer de « bonnes pratiques » qui aurions pu élargir le fondement théorique de
sont pour Magne (2011) autant de modèles nor- notre recherche à d’autres théories qui traitent

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L'INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LES PRATIQUES DE MRH. ÉTUDE QUALITATIVE

d’une manière directe ou indirecte notre thé- pratiques de MRH, l’enquête qualitative menée
matique. Nous faisons allusion ici à la théorie auprès de 45 acteurs interrogés cible la dimen-
de Storytelling de Denning (2000), l’un des plus sion culturelle comme un obstacle au développe-
célèbres chercheurs à avoir contribué à populari- ment de bonnes pratiques de MRH et suggère
ser le management de Storytelling. Le choix de de mettre en avant un palliatif, un nouveau pa-
Denning (2000) qui explique l’adhésion au chan- radigme culturel appelé « révolution culturelle »
gement par le Storytelling, est justifié, car notre (ou intelligence culturelle). À ce titre la question
sujet traite le changement, et l’influence de la de fiabilité de ce nouveau paradigme culturel,
dimension culture sur les pratiques de MRH des demeure recherchée entre discours théoriques
entreprises marocaines. et réalisations pratiques. Ainsi malgré les contri-
Concernant les limites méthodologiques, nous butions modestes de cette recherche qui pour-
relevons la taille de l’échantillon. Nous considé- raient enrichir les sciences de gestion en termes
rons que le chiffre de 45 personnes interrogées de diversité managériale, les résultats qualitatifs
dans l’enquête qualitative pourrait être aug- obtenus demeurent néanmoins limités. Les pro-
menté pour élargir le quotient de certitude et de longements possibles sont en effet attendus par
fiabilité de nos résultats de recherche. Bien que des approches quantitatives qui sont relative-
dans nombre de thèses et de travaux consultés, ment cadrées et programmables (Evrard, 1997).
ce chiffre se trouve dans des proportions clas-
siquement valables, il n’en demeure pas moins BIBLIOGRAPHIE
que nous aurions pu surpasser cette limite et
cibler plus d’acteurs interrogés. Les limites ainsi
soulignées montrent que notre travail n’est pas Adler N. (1994), Comportement organisationnel :
achevé. Une Approche multiculturelle. French translation of 2°
Sur l’axe pratique, nous considérons que le pro- edition, 324 pages.
longement possible serait de cibler d’autres ac- Alexandra V. (2017), Predicting CQ development
teurs que nous n’avons pas touchés dans notre in the context of experiential cross-cultural training:
travail de recherche. Nous pensons ici aux ca- The role of social dominance orientation and the pro-
tégories de journalistes, d’artistes, d’écrivains, pensity to change stereotypes, Academy of Manage-
d’anthropologues qui donneraient, compte tenu ment Learning & Education, 1–45 p.
de leur sens artistique (le MRH n’est-il pas un Andréani J.C., Conchon F. (2002), les méthodes
art ?), une autre vision de l’influence culturelle d’évaluation de la validité des enquêtes qualitatives
sur les pratiques des entreprises. L’apport de en marketing, actes du 3e colloque ESCP-EAP inter-
ces catégories d’acteurs, qu’il soit convergent national Congress Marketing Trends, 36 pages.
ou divergent avec nos résultats, ne pourrait que Argyris C. (1995), Savoir pour agir. Paris, inter édi-
compléter et enrichir la recherche en sciences tions, 330 pages.
de gestion. Chanlat et Dufour (1985) n’avaient-ils
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pas dit il y a déjà plus de vingt, que le manage- vance in Management Education. California. Manage-
ment en retard est le management qui ne tient ment review, vol. 49, n ° 3,2007, pp. 129–146.
pas compte des apports des autres sciences ? Bansal P., Corley K. (2011). The coming of age for
Nous n’allons pas nous arrêter ici évidemment. qualitative research: embracing the diversity of qua-
La recherche et l’attrait des sciences de gestion litative methods. Academy of Management Journal,
nous inspirent de continuer notre parcours ma- vol. 54, n ° 2, pp. 233–237.
nagérial. Aller plus loin dans la recherche nous
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passionne. L’avenir de cette recherche appar-
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tient ainsi aux chercheurs épris d’une culture de
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succession visant d’autres pistes de réflexion
sur l’axe théorique, méthodologique et pratique. Barton L. (2007). L’analyse de contenu. Collection
Quadrige. Paris : PUF, 291 pages.
En conclusion, nous avons cerné la probléma- Barry A.O. (2002). Pouvoir du discours et discours
tique de l’influence culturelle sur les pratiques du pouvoir. Édition L’harmattan, 404 pages.
de MRH dans les entreprises marocaines. Si la Benataleb.C  ; Frimousse. S ;  Scouarnec. A,
dimension culturelle est une question controver- (2016), les défis du management au Maghreb : RH,
sée, considérée par certains travaux comme un RSE, marketing, stratégie, entrepreneuriat, édition
frein et par d’autres comme un levier de bonnes Management Prospective éditions, 416 pages.

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