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Revue française d'histoire d'outre-

mer

Les divers épisodes de la lutte contre le royaume d'Abomey (1887-


1894)
Robert Cornevin

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Cornevin Robert. Les divers épisodes de la lutte contre le royaume d'Abomey (1887-1894). In: Revue française d'histoire
d'outre-mer, tome 47, n°167, deuxième trimestre 1960. pp. 161-212;

doi : https://doi.org/10.3406/outre.1960.1319

https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1960_num_47_167_1319

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48e Année 1960

LES DIVERS ÉPISODES DE LA LUTTE

CONTRE LE ROYAUME D'ABOMEY (1887-1894)

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Mais cet honneur à vrai dire rejaillit sur le royaume d'Abomey,


dont le domaine représentait à peine le l/5e de l'actuelle
de la république du Dahomey.
C'est à ma connaissance le seul exemple en Afrique d'une
toponymie donnée en souvenir d'une campagne militaire.
Il est vrai que l'on ne pouvait continuer à parler de Bénin
correspondant à une partie de la Nigeria ni revenir à
de Côte des esclaves, de trop sinistre mémoire.
L'histoire de la campagne du colonel Dodds (1892) est dans
l'ensemble bien connue ; ce qui l'est moins, ce sont les
préliminaires. Or la période 1887-1894 forme un tout
homogène, c'est ce que le regretté Edouard Dunglas appelle
la « période dahoméenne ». En effet, à cette date, le Portugal
a renoncé à ses prétentions, l'accord Bayol-Falkental a fixé
nos droits du côté du Togo cependant que Victor Ballot aboutit
à un accord avec les Anglais du côté de Porto Novo.
La situation territoriale est donc nette sur le plan «
» : deux bandes côtières sous contrôle français, l'ensemble
Agoué-Grand Popo et le protectorat de Porto Novo, séparées
par le territoire dahoméen comprenant le port de Ouidah
par où s'effectue le trafic vers Abomey, et Cotonou sur lequel le
traité franco-dahoméen de 1878 donne à la France un certain
nombre de droits. Ces droits n'étaient pas compris de la même
REVUE D'HISTOIRE d'OUTRE-MER 11
— 162 —

façon par les autorités françaises et par le royaume d'Aboniey


et, à vrai dire, on peut avec Dunglas 1 élever quelques doutes sur
l'exactitude de la traduction donnée par les conseillers de
Glélé, notamment en ce qui concerne « l'abandon en toute
souveraineté à la France du territoire de Cotonou avec tous
les droits qui lui appartiennent sans aucune exception ni
réserve ».
Les préliminaires de la guerre et les diverses campagnes
sont connus à cause de la publicité donnée par la presse et le
parlement au conflit. Alors que bien souvent les expéditions
coloniales se décident dans les salons feutrés des ministères,
l'expédition du Dahomey donne lieu à plusieurs débats publics
à la Chambre, si bien que l'affaire se trouve éclairée
du côté de l'opinion métropolitaine et du côté de
l'Afrique par le point de vue souvent dissemblable des
des marins, des administrateurs, des commerçants et
des missionnaires.
Les diverses informations sont données avec d'autant plus
de complaisance que l'hostilité mutuelle des divers
français au Dahomey aboutit à des correspondances d'une
regrettable violence. C'est l'amiral de Cuverville indiquant
dans son rapport du 8 septembre 1890 :
« Dans cette circonstance comme dans celles qui nous ont entraînés
dans les difficultés actuelles au Dahomey, M. Bayol a fait preuve,
j'ai le regret de le dire, d'une inconscience complète... » 2

Ce manque de continuité et ces tensions dans le


l'âpreté des débats parlementaires, d'importants
extraits de la presse internationale nous donnent sur cette
période une information très étendue sinon complète.
Les événements vont suivre un cours cyclique tant les efforts
français de conciliation seront du côté dahoméen interprétés
comme des manifestations de faiblesse. A chaque essai de
règlement diplomatique correspond un engagement armé du
côté dahoméen. Ainsi l'affaire de Porto-Novo succède aux

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey,


(« Royaumes d'Aboniey, de Kétou et de Ouidah »), dans Études
XXI, t. III, 1958, n. 16.
2. Rapport du contre-amiral de Cuverville du 8 septembre 1890. Arch.
F. O. M., Dahomey VI, 1 a.
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— 164 —

tentatives de M. de Beckmann, l'attaque de Cotonou et


des otages succèdent à la mission Bayol, cependant
que l'attaque dahoméenne de septembre 1891 suit
de Ouidah et la mission Audéoud, avant la campagne
de 1892 qui aboutira à la prise d'Abomey et celle de 1893-
1894 qui se terminera par la reddition de Béhanzin.

LA QUESTION DES DOUANES DE COTONOU :


L'ÉCHEC DES MISSIONS FRANÇAISES

Tentatives de M. de Beckmann.

En novembre 1888, M. de Beckmann remplace Victor Ballot


et tente de relancer l'établissement d'un poste douanier
à Cotonou. Dans une lettre au gouverneur du Sénégal et
dépendances du 6 mars 1889, Beckmann rend compte d'une
tournée effectuée à Godomey et Ouidah 1. Le Yévogan de Godo-
mey lui déclare qu'il
« n'oserait transmettre un pareil message ni même faire parvenir
une lettre au roi, qu'il fallait que je monte moi-même à Abomey
et que j'obtiendrais alors tout ce que je voudrais... »

Le 8 février il se rend à YAgore avec M. Bontemps, agent


consulaire, pour voir le Yévogan. Mais la réponse n'est pas plus
favorable et Beckmann en tire conclusion :
« II est maintenant bien assuré que nous ne pourrons entrer en
arrangement avec le roi Glélé sans l'avoir vu. Il faut donc se décider
à aller à Abomey de suite en laissant un aviso devant Whydah
ou installer toute la garnison du Bénin à Cotonou et supprimer les
droits qui sont payés au Roi après l'avoir prévenu par un courrier
spécial. »
« Cela serait encore le meilleur moyen, le plus économique et
certainement le plus pratique ; peut être Glélé sera-t-il tellement
stupéfait de notre audace qu'il ne dira rien ou peut-être encore et
1. Texte cité par E. Dunglas, « L'histoire dahoméenne de la fin du
xixe siècle à travers les textes », dans Études Dahoméennes, IX, 1953,
p. 91 et sq.
— 165 —

c'est même probable, fermera-t-il toutes les factoreries du Dahomey,


c'est-à-dire Abomey-Calavi, Godomé, Avrékété et Whydah, mais
cela ne pourrait durer car il ruinerait son peuple et lui-même. »
« Je crois que les commerçants accepteraient cette situation
sans trop murmurer, mais à la condition que l'on puisse leur assurer
pour le présent et l'avenir une protection sérieuse à Cotonou ».
« Je suis tout prêt à monter immédiatement à Abomey et à faire
tous mes efforts pour mener cette mission à bonne fin, c'est une
dépense de quelque mille francs qui nous rapporterait de sérieux
intérêts... »
M. de Beckmann est d'autre part sensible aux manœuvres
allemandes :
« II est positif que les Allemands font tous leurs efforts pour
accaparer le Dahomey, le commissaire allemand y est
et prend les plans de Whydah et des environs, le médecin de
Petit Popo fait des opérations et a vacciné dernièrement 300
au compte de la maison allemande »
et il ajoute :
« L'opinion générale sur toute la côte est que, si la France ne
fait pas un traité avec le roi du Dahomey, les Allemands y seront
installés dans très peu de temps ».
Cependant la réponse du Roi parvient le 30 mars à M. de
Beckmann. L'envoyé du souverain lui fait connaître :
« que Glélé avait déjà toléré le percement de la lagune et
du câble à Cotonou, qu'il avait encore à Abomey un obus
qui avait été tiré sur la plage de Whydah par un navire de guerre
français, qu'il était maintenant à bout de patience, qu'il
jamais ses droits sur Cotonou, même contre une rente, que
le Yévogan de Ouidah et les Cabécères qui avaient signé le traité
de 1868 et 78 avaient eu la tête tranchée et que lui Glélé ne
pas des traités qu'il n'avait jamais signés et il me priait de
faire connaître au chef français ces paroles... »

L'Incident de Porto-Novo.

Cependant les affaires se compliquent à Porto-Novo où


un petit engagement à la limite du royaume est démesurément
grossi par le roi, notre protégé, qui va se réfugier en territoire
britannique avec un grand nombre de ses sujets, et par le
— 166 —

capitaine Bertin, qui renchérit sur l'affolement général et


proclame l'état de siège, ce qui concentre en ses mains toute
l'autorité. Beckmann conclut 1 :
« En somme toute cette affaire de Porto-Novo n'a pas été
sérieuse. Je me suis laissé impressionner pendant un jour non par
les événements, mais par la façon dont la situation m'avait été
exposée et qui semblait effrayante. »
« Je me suis bien vite rendu compte que les exagérations et les
craintes des indigènes avaient produit leurs effets sur ceux qui ne
connaissent pas à fond le caractère provocant et paresseux des noirs
de la côte ».
Le 6 avril au soir, la compagnie de débarquement arrive
sous les ordres du capitaine de frégate Thomas. Celui-ci lève
l'état de siège et remet YEmeraude à la disposition de

Beckmann conclut ainsi une lettre du 12 avril :


« Je crois encore, Monsieur le Gouverneur, que si M. Bertin
avait voulu s'entendre avec moi et se montrer plus conciliant
lorsqu'il s'agissait de questions aussi graves, nous aurions peut-
être évité l'envoi de troupes et, en tout cas, les rapports auraient
été moins alarmants. »
« On ne peut nier que nous avons eu au début des espions du roi
tués, quelques chefs opposés ou partisans du roi ont été massacrés
par leurs hommes, mais depuis 10 jours nous vivons sur des craintes
et des suppositions... » 2
Les Dahoméens s'arrêtent à Dangbo à quelques kilomètres
de Porto-Novo et le calme renaît dans la ville ; Tofïa regagne
son palais.

Tentative du docteur Tautain.

Le Dr Tautain qui remplace Beckmann attaque de front


le problème dahoméen. Il écrit directement à Glélé pour lui
proposer une entente au sujet de Cotonou.

1. L'administrateur particulier du Bénin à Monsieur le gouverneur du


Sénégal et dépendances, 5 avril 1889. Cité par E. Dunglas, « L'histoire
dahoméenne... à travers les textes » dans Études Dahoméennes, IX, 1953,
p. 95.
2. Idem, p. 100.
— 167 —

La mission du docteur Bayol.

Peu de missions diplomatiques en Afrique connurent un


échec aussi retentissant que celle du Dr Bayol. Pourtant le
choix de cette personnalité pour une mission pacifique pouvait
difficilement être meilleur. Eugène Etienne, le sous-secrétaire
d'état aux Colonies, s'en explique à la tribune de la Chambre :
« II a une longue expérience des choses d'Afrique, il s'est signalé
dans toutes ses explorations par une attitude absolument pacifique ;
il jouit de la considération générale dans le corps qu'il a quitté,
le corps de la marine. Il a toujours été un vaillant serviteur de son
pays 1... »
Les instructions précisent au Dr Bayol de poursuivre un
triple but :
1° délimitation du territoire de Cotonou ;
2° cessation des razzias annuelles que le roi du Dahomey
vient effectuer sur le territoire soumis à notre protectorat
(c'est-à-dire sur le royaume de Porto-Novo) et remise en liberté
des prisonniers porto-noviens ;
3° Cessation des sacrifices humains.
Ces objectifs, ainsi que l'étonnante liste de cadeaux 2 que
Bayol doit remettre de la part du président Carnot, montrent
bien la distorsion qui existe entre l'optique parisienne où l'on
voit le « bon roi nègre » accueillir avec une reconnaissance émue
les cadeaux apportés par le « bon docteur » et celle du Dahomey
où les représentants de la France, depuis de longs mois, ne
cessent de subir des rebuffades et où le gouvernement d'Abo-
mey, traitant Bayol comme un médiocre solliciteur, utilisera
les grandes coutumes et leur sanglant appareil pour lui faire
peur et lui faire signer n'importe quoi avant de le laisser partir.

1. Discours d'Eugène Etienne du 8 mars 1890 à la Chambre des députés,


répondant à une question de M. François Deloncle, J . O., 1890, p. 486,
col. 3.
2. Ces cadeaux sont énumérés par M. A. d'Albéca, dans un article du
Tour du Monde (T. LXVIII, 1752, livraison n° 5 du 4 août 1894, p. 76)
intitulé « Au Dahomey >».
— 168 —

Arrivée le 21 novembre 1889 à Abomey, la mission Bayol


est courtoisement accueillie et logée au Vénoumédé, ancienne
maison du Chacha, que celui-ci ne peut occuper depuis que
les aléas du « protectorat portugais » l'ont conduit en prison.
Certes, l'époque des grandes coutumes est passée, mais
on continue à célébrer les anniversaires des anciens rois, fêtés
avec l'accompagnement inévitable de sacrifices humains.
Il ne manquait pas de victimes à égorger : les sujets du roi
Tofîa capturés fin mars 1889 notamment, double vengeance
sur un ennemi exécré.
Malade, craignant la mort prochaine du roi Glélé qui
lui être reprochée, pressé de partir, Bayol insiste pour
obtenir une dernière audience. Il est reçu par le prince Kondo,
remplaçant Glélé moribond. Kondo, peut-être un peu ivre,
lui jette à la face tous les griefs accumulés par le Dahomey
contre la France. Puis il l'oblige à contresigner une lettre du
roi Glélé au gouvernement français :
« document ridicule et naïvement insolent, dira Dunglas 1, où le
roi d' Abomey après avoir pratiquement dénoncé le traité de 1878
et révoqué purement et simplement la cession faite à la France
du territoire de Cotonou, prétendait interdire la circulation des
canonnières françaises sur le réseau lagunaire et sur l'Ouémé. »
« Par ailleurs, ayant appris que le président Carnot n'était pas
roi, il affirmait ensuite que la France n'était commandée que par
des jeunes gens et l'invitait à renverser la République et à reprendre
un roi »...

Bayol, dès que le souverain lui ouvre la route, regagne à


toute allure la côte et expédie une dépêche, compte rendu
d'échec qui va déclencher les opérations de guerre. Disons
plutôt que c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase et
l'étincelle qui met le feu aux poudres.
Le télégramme dit en effet :
« Sommes restés Abomey trente six jours. Ai pu exposer 28
novembre, but mission pacifique et demander laisser établir douanes
Cotonou conformément traités. Prince héritier Kondo insulte
Ai protesté énergiquement.
« Avais remis, le 23, cadeaux offerts par le gouvernement. Jus-

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »


dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 18.
— 169 —

qu'au 25 décembre sommes restés prisonniers : sortions seulement


pour assister aux coutumes. Il y a eu deux cent sacrifices. On a
martyrisé des hommes de Porto Novo et avons été forcés de voir les
cadavres mutilés. On a décapité devant mon secrétaire. Suis tombé
gravement malade. Situation devenait dangereuse, on parlait de
nous garder comme otages »...
Le Dr Bayol, à cette époque était « l'homme qui monte ».
Il avait réalisé brillamment l'exploration du rio Timbo.
Un missionnaire du Sierra Leone, le père Lutz disait de lui :
« II est très instruit et connaît bien l'Afrique. C'est de plus un
homme religieux et qui apprécie fort les missionnaires » 1.

Il avait l'estime d'Eugène Etienne. Son échec est donc


plus durement ressenti.
Devant la menace dahoméenne, l'envoi de renforts est
décidé. Le 18 janvier 1890, le Dr Bayol réunit un conseil de
guerre dont fait partie le capitaine Septans, le capitaine
Arnoux et Victor Ballot, résident de France à Porto-Novo. Le
gouvernement étant décidé à assurer la protection des
français et des factoreries européennes sur la côte
«t dans l'intérieur, le conseil décide de demander un renfort
au Sénégal, soit deux compagnies de tirailleurs et quatre
canons de 4 de montagne.
Par ailleurs Bayol écrit au commandant du Sané, encore à
Libreville
« L'armée dahoméenne se trouve concentrée soit dans la capitale
soit dans les camps d'Agony et des rives de l'Ouémé. J'estime, si
les renseignements qui m'ont été communiqués sont exacts, que
ces troupes ne tarderont pas à entrer en campagne et nous ne
devons pas dissimuler que leur objectif sera Porto Novo ».

1. Lettre du P. Lutz à son supérieur général, S* Joseph de Bofîa, 1er


1884, cité par P. A. de Salinis, Le protectorat français sur la côte des
Esclaves, la campagne du Sané (1889-1890), Paris, Perrin, 1908, p. 41.
— 170 —

PREMIÈRE CAMPAGNE DU DAHOMEY

Importance exceptionnelle de cette campagne.

Cette campagne a une extrême importance autant sur le plan


local que sur le plan parisien.
Sur le plan gouvernemental français, c'est en effet le premier
grand événement auquel doit faire face Eugène Etienne depuis
que les décrets des 14 mars, 4 septembre 1889 et 3 février
1890 lui donnent tous pouvoirs sur les affaires d'outre-mer.
Eugène Etienne, républicain, laïc, probablement franc-maçon,
dépossède la Marine, catholique et conservatrice, de l'un de ses
domaines réservés, le golfe de Guinée. Aussi va-t-il se trouver
en butte aux attaques conjuguées des « revanchards » du type
Déroulède, pour qui tout soldat retiré de la ligne bleue des
Vosges correspond à une trahison nationale, de la gauche
et du parti catholique pour qui toute atteinte au
domaine des marins constitue une injure personnelle. C'est
pourquoi Eugène Etienne, dans cette première phase du conflit,
ne peut s'engager ; il devra constamment rappeler le Dr Bayol
à la prudence.
Sur le plan des autorités françaises à la Colonie, la
sera fréquente entre les civils (Dr Bayol, Victor Ballot,
etc.), les marins et les militaires. Ainsi le commandant Four-
nier représentant la Marine refusera au commandant Terrillon
de débarquer 50 marins lorsque la situation risque d'être
Il refusera d'exécuter les ordres du ministère des
Colonies transmis par Bayol. Pour les opérations à terre, le
désaccord entre le C* Terrillon et le Dr Bayol sera tel qu'ils sont
rappelés, l'un le 31 mars, l'autre le 5 avril. Par ailleurs Bayol
sera volontiers accusé de faire une politique de vengeance
personnelle et de pousser à la guerre pour faire payer à Béhanzin
la peur qu'il aurait ressentie durant sa mission à Abomey.
Enfin les spécialistes de la politique dahoméenne sous-estiment
généralement l'intensité de la haine qui oppose Béhanzin à
Toffa, ainsi que les sanctions dont sont l'objet, à Ouidah par
— 171 —

exemple, les populations autochtones x suspectes d'être en bons


termes avec les Français. Nous suivrons le plus souvent Dunglas
qui a pris généralement le parti de Béhanzin, toutefois nous
serons amenés à nuancer certains jugements. Il est certain que
Béhanzin voulait mener campagne contre Porto-Novo et que,
s'il ne l'a pas fait, c'est que ses troupes ont été repoussées par
les forces françaises du C* Terrillon.
Il n'en est pas moins vrai que l'initiative de la campagne
(débarquement des troupes, arrestations des Agorigan), même
dans la perspective d'une défense des nationaux, est française.
On peut soutenir que Béhanzin n'a fait que répondre aux
il est vrai que pour sa première campagne de
monarque souverain, il n'eut pas de chance.

Avènement de Béhanzin.

Glélé, mort à Abomey le 29 décembre 1889, est remplacé


par son fils Kondo dont le dernier entretien avec Bayol va
définir la politique durant trois années de règne. Le lendemain
30 décembre 1889, le grand féticheur Agassounou vient procéder
au sacre du nouveau roi. Après avoir passé les sandales de
Ouégbadja, Kondo reste plusieurs heures seul dans l'obscurité.
Lorsqu'ils reviennent, les dignitaires trouvent le nouveau
roi assis sur le trône et les yeux grands ouverts. Ce fut,
Dunglas, une surprise générale : Tous les anciens rois,
ainsi abandonnés à leurs réflexions dans la salle obscure,
avaient toujours été retrouvés profondément endormis. Les
commentaires allèrent leur train et nombreux furent ceux qui
y virent un signe de mauvais augure.
Puis vint le moment où le roi, après avoir été salué du titre
de roi des perles, « Djé Hossou » par le Migan, prononça la
phrase allégorique : « Gbé han zin aï djiré (le monde tient l'œuf
que la terre désire), d'où l'on tira le nom du nouveau roi :
« Béhanzin »...
Béhanzin choisit comme emblème et animal héraldique le
requin, roi des mers qui, jusque dans les rouleaux de la barre

1. Casimir Agbo (dit Alidji), Histoire de Ouidah du XVIe au XXe siècle,


Presses Universelles, 1959, pp. 74-75.
— 172 —

vient enlever les imprudents. L'allusion aux prétentions


européennes est claire, le sens du règne est ainsi marqué.
Au début de 1890 la célébration des premières funérailles
de Glélé est illustrée par des sacrifices humains, 41 jeunes gens
et 41 jeunes filles pour commencer. Béhanzin, comme on le voit,
fait bien les choses. Par ailleurs il est décidé à la guerre. C'est
d'ailleurs la saison sèche, saison des campagnes militaires.
Le foyer de tension étant côtier, c'est vers la côte que sera
dirigée la première expédition, mais cette expédition étant
repoussée, l'armée dahoméenne fera campagne contre les Egba
pour capturer un nombre de prisonniers suffisant en vue des
funérailles solennelles de Glélé.

Arrestation des Agorigan de Cotonou


et opérations militaires.

Cependant la saison sèche étant installée, les troupes


sont concentrées à Abomey et dans les camps d'Agony
et des rives de l'Ouémé, alors que toutes les notabilités sont à
Abomey.
Bayol écrivant au commandant du Sané dit notamment :
« J'estime, si les renseignements qui m'ont été communiqués sont
exacts, que ces troupes ne tarderont pas à entrer en campagne et
nous ne devons pas dissimuler que leur objectif sera Porto-Novo »...
Mais, tout en envoyant des renforts, le gouvernement de
Paris prévient Bayol qu'il doit faire preuve de la plus grande
prudence, ce qui s'explique par les nouvelles responsabilités
de M. Etienne.
Cependant les troupes françaises débarquent le 19 février
de YAriège et le 22, le Dr Bayol convoque Y Agorigan de
Houakétomé et ses conseillers au nombre de treize. Le
Dr Bayol leur notifie l'intention d'occuper le littoral. Comme
les Dahoméens protestent avec vigueur et ne veulent pas s'en
aller, Bayol les fait arrêter et conduire sous bonne escorte à
Porto-Novo où ils sont remis à la garde de Toffa.
la colonne Terrillon avait pris une formation de combat
et occupé le village de Cotonou, rejetant dans la lagune les
éléments qui résistent. Ainsi les hostilités étaient déclenchées.
— 173 —

Comme le dit Alexandre Librecht d'Albéca 1, le Dr Bayol


« avait passé le marigot ».
Dès lors Cotonou est mis en état de défense. Des
ont lieu le 23 février aux abords de la ville, le 1er mars
à Zogbo. Le 4 mars une violente attaque menée sur Cotonou
par 5 à 6.000 guerriers est repoussée avec de lourdes pertes ;.
des reconnaissances ont lieu notamment le 25 mars à Godomey-
plage.
Les 28 et 29 mars, le commandant Terrillon fait une
au nord-ouest de Porto-Novo dans le Décamé pour"*se
donner de l'air et pouvoir marcher sur Ouidah, mais le rappel
du commandant civil et du commandant militaire, l'insolation
qui frappa le 8 avril le commandant Terrillon font contre-
mander cette expédition.
Le 19 avril, l'armée dahoméenne, avec Béhanzin en personne,
cerne Porto-Novo ; le 20 avril a lieu le très dur combat d'At-
choupa où 350 hommes tiennent tête à plusieurs milliers^de
soldats dahoméens attaquant sans relâche. Ce combat est le
dernier d'une campagne qui verra encore un petit
de Ouidah.

Proposition d'alliance Egba.

Devant la vigueur de la réaction française, les Egba d'Abeo-


kouta, ennemis héréditaires des Dahoméens, envoient au milieu
de mars une délégation menée par le prince Jonathan. Les
envoyés proposent de marcher sur Abomey et demandent que
le résident se rende à Lako (rivière Addo) pour se rencontrer
avec les autres chefs. Mais à Victor Ballot qui demande
de se rendre à ce rendez-vous, le Dr Bayol 2 répond
qu'il ne peut « l'autoriser à entreprendre ce voyage dans une
contrée qui relève de la colonie de Lagos ».
Il l'engage à décider les Egba à marcher, mais « désire
éviter toute réclamation de la part d'un gouvernement
étranger qui pourrait créer des embarras à notre
».

1. Alex. L. cTAlbeca, Voyage au pays des Eoués.


2. Arch. F. O. M.
— 174 —

Les otages de Ouidah.

Peut-être eût-il mieux valu placer l'épisode des otages de


Ouidah dans l'ordre chronologique immédiatement après
l'arrestation des Agorigan. L'affaire, à vrai dire, nous paraît
plus complexe et plus intéressante. Certes ces otages sont des
Français, mais ce ne sont pas des Français « de France » comme
les officiers ou marins qui débarquent. Ce sont des Français
connaissant le pays, ils sont déjà un peu « Dahoméens », si
bien que Béhanzin les considère beaucoup plus comme des
hôtes et les utilise parfaitement aux fins de propagande et
pour sa diplomatie. Les phrases dithyrambiques de Chaudoin,
celles plus mesurées mais aussi élogieuses du P. Dorgère
le succès total de cette attitude.
L'inquiétude règne chez les Français de Ouidah qui, le
3 février, reçoivent du gouverneur une lettre confidentielle
disant que les affaires du Dahomey devant se décider
ils devaient prendre les mesures qu'ils jugeraient
pour leur sauvegarde. « Requin » serait le mot de passe
qui annoncerait l'imminence des hostilités.
Le 14 d'autres nouvelles alarmantes arrivent. Le 15, tous les
Français de Ouidah (Bontemps, agent consulaire et gérant de
la maison Fabre, Chaudoin, Piétri, Heuzé de la même maison
de commerce, Thoorise, agent de la maison Régis de Marseille,
enfin les Révérends Pères Dorgère et Van de Pavordt) se
réunissent à l'agence consulaire de France dans la factorerie
Fabre. Ils s'arment et montent la garde.
Le 24 février, les Français de Ouidah sont attirés à YAgore
(bureaux des palabres et de l'administration dahoméenne à
Ouidah) par Candido Rodriguez, secrétaire particulier du roi
du Dahomey.
« Lorsque nous sommes tous dans la cour et au moment où le
père Van de Pavord s'apprête à ouvrir la porte donnant accès au
tribunal de la Gore, un cri strident retentit, poussé par Candido ou
un des Agorigan qui nous conduit. En un clin d'œil, dix noirs, jeunes,
robustes, se précipitent sur chacun de nous, nous saisissent par les
jambes et les bras, nous terrassent brutalement e,t nous étranglent à
— 175 —

la mode du pays, qui consiste à enfoncer le pouce dans la gorge


jusqu'à la luette, puis, pendant que nous suffoquons, ils nous
solidement les bras autour de la ceinture... » x
Casimir Agbo 2 décrit l'opération en ces termes :
« ... on leur mit à chacun un collier de fer au cou, une chaîne fixée
à chaque collier reliait les prisonniers de distance en distance ; on
leur enleva leurs souliers, pour vêtement on ne leur laissa qu'un
caleçon, un tricot et leurs chaussettes. On les enferma dans une
prison infecte pour ne les diriger, dans cet état, que le 26 février
sur Abomey, la capitale... »
Le 28, ils arrivent à Allada, où la foule contemple le spectacle
de blancs enchaînés. Quinze jours plus tard, le 13 mars, veille de
l'arrivée de Béhanzin, les prisonniers reçoivent des vêtements
de rechange.
Les prisonniers sont amenés devant Béhanzin. Chaudoin
dresse un tableau lyrique de l'armée dahoméenne :
« Quinze mille hommes armés de fusils et de couteaux-matchettes.
Il n'y a pas à dire, ce sont de beaux guerriers, robustes et musclés,
sous les pagnes blancs qui font ressortir encore davantage l'ébène
de leur sculpture. Pas un cri, pas un geste, pas un bruit.
Plus loin c'est la description des amazones :
« Elles sont là quatre mille guerrières, les quatre mille vierges
noires du Dahomey, gardes du corps du monarque, immobiles aussi
sous leurs chemises de guerre, le fusil et le couteau au poing, prêtes
à bondir sur un signal du maître.
Vieilles ou jeunes, laides ou jolies, elles sont merveilleuses à
contempler. Aussi solidement musclées que les guerriers noirs, leur
attitude est aussi disciplinée et aussi correcte, alignées comme au
cordeau ».
L'entrevue est courte. Béhanzin ordonne de les reconduire
sans leurs liens dans la prison.
« II est évident, note Dunglas 3 que les mesures de rigueur prises
contre les Français de Ouidah sont le fait des autorités subalternes :

1. Edouard Chaudoin, « Trois mois de captivité au Dahomey»,


1890, n° 2.471, p. 49.
2. C. Agbo, op. cit., pp. 72-73.
3. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,
dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 40.
— 176 —

Béhanzin les a fait cesser dès qu'il s'en est aperçu : excès de zèle de
Rodriguez, ancien élève de la mission ».
Ils sont conduits en hamac jusqu'à Abomey et logés comme le
Dr Bayol dans l'ancienne maison du chacha De Souza. Là ils
sont les hôtes du roi et fort bien traités par Tchatingan, cabé-
cère, chargé de la table du roi et des provisions, et par
qui les prie d'écrire au roi de France pour lui signaler la
traitrise de Bayol et aussi d'écrire à Bayol pour lui demander de
libérer les Agorigan.
La lettre au « roi de France » leur rapporte, si l'on peut dire,
un pot de vin somptueux puisque Zinzindohoué leur offre de
la part de Béhanzin quarante bouteilles de liqueur, la lettre
au gouverneur porte les huit signatures des otages.
Le 2 mai, les otages sont amenés de nuit à la résidence royale
de Cana-Ouakou. Chaudoin, très impressionné, décrit ainsi
Béhanzin :
« II a quarante ans environ, c'est un nègre admirable, bien pris,
quoique de taille moyenne, la figure est ouverte, intelligente, le
regard franc et droit, il n'a aucun des oripeaux dont on se plaît à
affubler les rois nègres. Nous avons devant nous, nous le sentons
bien, un homme et non un grotesque ou un singe ; il a le costume
des guerriers de son pays, sobre et simple : une chemisette et un
pagne, l'attitude est fière et digne... »
Les otages, sous la dictée du monarque, rédigent une lettre
au « roi Carnot », après quoi, Béhanzin leur fait des cadeaux
et leur rend leur liberté. Arrivés à Ouidah le 5 mai, ils échappent
à leurs gardiens à l'occasion d'une invitation à dîner de M. San-
tos, commandant du fort portugais. L'ultimatum du
Fournier, prescrivant de bombarder Ouidah le 9 mai
si les otages ne sont pas rendus, fait un effet salutaire sur les
autorités dahoméennes qui outrepassent les ordres de Béhanzin.
Le 8 mai les otages sont à bord du Kerguélen. Quelques jours
après, les Agorigan de Cotonou sont à leur tour libérés.
— 177 —

Les séquelles de la campagne


La mission diplomatique du P. Dorgère
et l'arrangement de Ouidah.

Les relations du Dr Bayol et du commandant Terrillon


sont de plus en plus tendues. Le chef militaire est « brutal et
grossier », dira Bayol. Ces relations entraînent le rappel de
Terrillon (rappel qui sera annulé quelques jours plus tard),
puis le rappel de Bayol.
Celui-ci dans un rapport, écrit à Porto-Novo le 4 avril, laisse
percer son amertume :
« Je quitte avec regret le poste d'honneur que je devais à la haute
bienveillance du département. J'ai fait de mon mieux tant à Abomey
que sur la côte pour défendre avec prudence les intérêts français...
Mon départ est considéré comme une véritable disgrâce, venant après
la nomination de M. Terrillon, dont je vous ai signalé l'attitude
regrettable envers votre représentant, au grade de lieutenant
colonel »...
L'échange des otages entraîne une trêve de fait entre l'armée
dahoméenne et les troupes françaises, trêve que Béhanzin
met à profit pour aller chercher chez les Egba les captifs qui
sont nécessaires aux funérailles de Glélé.
Cependant le ministre de la Marine presse le commandant
Fournier d'aboutir :
« Chambre des Députés a applaudi hier votre premier succès.
Terminez votre œuvre par accord même très large. Employez tout
moyen, même cadeau, pour arriver à prompte solution »...
et trois jours après, le 14 mai il ajoutait
« Pressez solution par tout moyen » 1.
Salinis qui insiste longuement sur les débats parlementaires
désigne cette période sous le nom de « Politique de la paix à
outrance ».
Le commandant Fournier ne trouve pas de négociateur et

1. P. A. de Salinis, op. cit., p. 4S0.


revue d'histoire d'outre-mer 12
— 178 —

envoie un commissaire de police africain, Bernardin Durand,


qui se rend à Abomey avec une suite de sept personnes et se
trouve retenu là-bas par Béhanzin, lequel proclame partout
que la France lui a demandé pardon.
L'amiral de Cuverville est désigné pour remplacer le
Fournier avec les mêmes instructions qui lui sont
renouvelées le 19 mai :
« Je suis persuadé, M. le contre-amiral que vous emploierez toute
votre sagesse, toute votre autorité à poursuivre, suivant le vœu du
gouvernement, la conclusion d'un arrangement ; aucun succès ne
saurait vous faire plus d'honneur que la conclusion, par voie
de l'incident du Dahomey ».
L'amiral débarque à Cotonou le 8 juin et, après avoir étudié,
avec le Lt-Colonel Klipfel, une marche sur Abomey, revient, sur
l'ordre formel du gouvernement, à un projet de transaction.
L'amiral de Cuverville a pour les missionnaires une affectueuse
estime que nous retrouverons quelques années plus tard dans
la préface qu'il écrit pour le livre de Salinis :
« Missionnaires et marins sont d'ailleurs bien faits pour
car le missionnaire n'est pas seulement le soldat de la foi,
l'apôtre de l'évangile, il est encore le pionnier de la civilisation et le
porte-drapeau de la patrie » x.
Le père Dorgère accepte donc de se rendre à Abomey, pour
servir les intérêts de la France mais aussi parce qu'il a entrevu
des possibilités d'action missionnaire particulièrement chez
Béhanzin.
Il a pour objectif de faire libérer Bernardin Durand et
ses compagnons, les 27 employés africains des factoreries
françaises de Ouidah arrêtés en février, enfin il doit sonder le
monarque sur la question de Cotonou et sur l'occupation
par un détachement militaire du fort français de Ouidah.
Le R. P. Dorgère est accompagné du Koussougan et de
Zinzindohoué, neveu du roi. Il est reçu à Abomey avec
d'égards et rapporte le 23 août à l'amiral, une longue lettre
dans laquelle Béhanzin déclare accepter le séjour des Français
à Cotonou moyennant 1.500 livres sterling, mais refuse
du fort français de Ouidah et, pour faire passer ce
refus, propose de faire évacuer les Portugais.
1. P. A. de Salinis, op. cit., p. vu.
— 179 —

Le 15 septembre sur les bases indiquées par le R. P. Dorgère,


les négociations reprennent à Ouidah sous la direction de M. de
Montesquiou-Fézanzac qu'accompagnent le capitaine
coloniale Decceur et l'aspirant d'Ambrières. Les débats
trament en longueur. Les cabécères dahoméens exigent la
présence du révérend père Dorgère. Enfin l'amiral de Cuver-
ville, lassé de ces atermoiements, pose un ultimatum, menaçant
de reprendre les hostilités et notamment de bombarder Ouidah
si un arrangement n'était pas conclu.
L'arrangement est finalement conclu. En voici le texte :

Arrangement conclu entre la France et le Dahomey


le 3 octobre 1890.
En vue de prévenir les malentendus qui ont amené entre la France
et le Dahomey un état d'hostilité préjudiciable aux intérêts des deux
pays,
Nous, soussignés :
Aladaka Do-de-dji, messager du roi assisté de : Koussougan,
faisant fonction de yévogan ; Zizidoque, Zounouhoucon, cabécères,
Aïnadou, trésorier, de la Gore désignés par Sa Majesté le roi Béhan-
zin Ai-Djeri ;
et le capitaine de vaisseau de Montesquiou-Fézanzac,
le croiseur le Roland ; le capitaine d'artillerie Decœur, désignés
par le contre-amiral Cavelier de Cuverville, commandant en chef
des forces de terre et de mer, faisant fonction de gouverneur dans le
golfe de Bénin, agissant au nom du gouvernement français,
avons arrêté, d'un commun accord, l'arrangement suivant qui
laisse intacts tous les traités ou conventions antérieurement conclus
entre la France et le Dahomey :
Art. 1er. — Le roi de Dahomey s'engage à respecter le protectorat
français du royaume de Porto-Novo et à s'abstenir de toute
sur les territoires faisant partie de ce protectorat.
Il reconnaît à la France le droit d'occuper indéfiniment Cotonou.
Art. 2. — La France exercera son action auprès du roi de Porto-
Novo pour qu'aucune cause légitime de plainte ne soit donnée à
l'avenir au roi de Dahomey.
A titre de compensation pour l'occupation de Cotonou, il sera
versé annuellement par la France une somme qui ne pourra en aucun
cas dépasser 20.000 francs (or ou argent).
— 180 —

Le blocus sera levé et le présent arrangement entrera en vigueur


à compter du jour de l'échange des signatures. Toutefois cet
ne deviendra définitif qu'après avoir été soumis à la
du gouvernement français.
Fait à Ouidah, le 3 octobre 1890,
Signé : Aladaka Do-de-dji, Kussungan Zizidoque,
Zonouhoucon, Ainadou.
Les témoins :
Signé : Candido Rodriguez, Alexandre.
Signé : H. Decœur, capitaine d'artillerie,
Y. de Montesquiou, capitaine de vaisseau,
commandant le croiseur le Roland ;
Les témoins :
Signé : D'Ambrières, aspirant de lre classe,
Dorgère, Spr de la mission de Ouidah.
Vu : le Contre-amiral commandant en chef les forces de terre et
de mer faisant fonction de gouverneur.
Signé : Cavelier de Cuverville.

A l'annonce de la conclusion de cet arrangement, le Ministre


répond par ses félicitations... et demande si : « Présents
de la République produiraient bon effet » ? La réponse ne
pouvait être qu'affirmative ; de cette réponse est issue la
mission du commandant Audéoud.
Mais l'interprète Xavier Béraud, dans une lettre du 12 mars
1891 au résident Victor Ballot 1 dit : « Le traité qui a été signé
à Ouidah paraît aux noirs que la France ne peut plus faire
la guerre... ceci donnait encore plus de prestige (sic) au roi
Béhanzin. »

1. Arch. F. O. M., Dahomey III, 2, mission Audéoud.


181 —

LA MISSION DU COMMANDANT AUDÉOUD A ABOMEY


(9 février-25 mars 1891)

La véritable nature de la mission Audéoud.

On a beaucoup discuté pour savoir s'il s'agissait d'une


mission d'espionnage ou d'une mission d'information. Il n'est
pas douteux qu'à cette date le gouvernement français soit en
réalité désireux d'en finir et, à l'occasion d'une remise de
cadeaux, demande aux divers officiers composant la mission
d'étudier le terrain et l'armée dahoméenne en fonction d'une
campagne possible jusqu'à Abomey.
Des rapports sont établis par chacun des membres de la
mission. Le sous-lieutenant Chasles fait le rapport
assorti d'un magnifique dessin, le capitaine Decœur
rédige le journal de marche, le commandant Audéoud fait une
étude comprenant l'évaluation de la force militaire du
(lre partie), des considérations d'ordre politique (2e partie),
enfin l'étude d'une campagne au Dahomey (3e partie).
C'est une véritable mission inter-armes puisqu'elle comprend
l'infanterie de marine (Hocquart et Chasles), l'artillerie de
marine (Decœur) et la marine (aspirant Gouin d'Ambrières).
Tous ces militaires éprouvent pour ce « pékin » de docteur Bayol
le plus profond mépris.
Ceci transparaît dans le rapport expédié par d'Ambrières
au contre-amiral de Cuverville :
« ... Il nous parle de Bayol qui s'était dit l'égal du roi de France
lorsqu'il était venu à Abomey. Nous nous mettons à rire, ce qui a
l'air de le mortifier un peu et nous lui disons que Bayol l'a trompé.
Il nous croyait sous ses ordres. Nous lui répétons que Bayol n'est
plus rien et que d'ailleurs il a été rappelé pour ses mauvais services.
Comme on le voit, des leçons portant sur la déontologie des
chargés de missions à la cour d' Abomey n'auraient peut-être
pas été totalement inutiles.
— 182 —

Palmes humiliantes.

La plus grosse affaire de cette mission semble avoir été la


méconnaissance de certaines coutumes dahoméennes,
une situation humiliante pour le représentant de la France.
Apprenant ces rumeurs, le commandant Audéoud fait une
mise au point embarrassée, le 3 avril 1891, au gouverneur des
Rivières du Sud, en mission :
« Je viens à l'instant d'apprendre que, à Porto-Novo, depuis
notre retour, on commente un fait qui s'est passé pendant notre
séjour à Abomey. Voici la chose : La veille de notre première
par le roi, le Coussougan, chef de Wyddah, qui nous
vient me dire que lorsque les représentants d'un pays qui
venait d'avoir la guerre avec le Dahomey, y venaient après la paix
signée, il était d'usage pour bien montrer au peuple que la paix était
rétablie d'une façon certaine, que ces représentants se montrassent
munis de branches de palmier pendant la première cérémonie de
présentation. Craignant qu'il n'y eût dans cet emblème une
cachée, j'interrogeai mon interprète qui me répondit qu'il ne
connaissait pas les usages du Dahomey et qu'il n'en savait que ce
que le Coussougan et les autres cabécères lui avaient dit, c'est-à-dire
que çà n'avait pas de signification humiliante pour nous, que c'était
simplement un signe que la paix était acceptée par notre pays.
Non encore convaincu, j'interrogeai un certain Candido, mulâtre
de Wyddah, qui me fit la même réponse avec cette différence que lui
connaissait les usages. L'interprète Alexandre de la maison Fabre,
que le roi m'avait fait venir, me répondit la même chose. Or cet
interprète inspire la plus grande confiance à toutes les personnes
auxquelles j'en ai parlé. Il est catholique et au mieux avec le
P. Dorgère. Cet interprète a servi aux officiers lors des traités de
paix de Wyddah et MM. Decœur et d'Ambrières qui en étaient,
m'ont affirmé qu'il était fidèle comme interprète.
Le P. Dorgère, questionné à ce sujet par M. Ambrières, ne fit
que des réponses évasives. Enfin j'en parlai aux Laris du roi Toffa
envoyés en députation. Ceux-ci me dirent aussi que cet acte n'avait
aucune signification humiliante...
... Or on dit ici, contrairement à tout ce qu'on a dit là-bas, ce que
j'avais déduit de ce que je voyais, que les rameaux portés devant le
peuple signifient au contraire que ceux qui les portent viennent
implorer le pardon et la générosité du roi, qu'en somme c'est un
acte d'humilité.
— 183 —

Vous, pensez, Monsieur le Gouverneur, que j'ai été ému en


dire cela par le P. Pied de la mission de Porto Novo et en
répéter par un de nos interprètes. Aussi je m'empresse de
vous en rendre compte et de vous demander de bien vouloir
en notre nom auprès du roi, contre la déloyauté dont lui et
ses cabécères ont fait preuve à notre égard en cette circonstance.
Ce que je ne puis m'expliquer, c'est que le P. Dorgère qui est
aussi bien au courant des usages du Dahomey que le
père Pied ne m'ait pas charitablement prévenu de la faute que
j'allais faire ; que son interprète Alexandre, qui lui est tout dévoué
et qui est dahoméen, m'ait affirmé à plusieurs reprises que c'était
une simple formalité sans signification autre que celle de rameaux
dont parle l'Evangile...
... Il est bien regrettable que je n'aie pas eu un interprète plus
sérieux, plus indépendant du Dahomey (il y a des parents) et moins
sujet à être terrifié par son séjour en ce pays. Il serait, je crois,
nécessaire de faire une enquête sur lui et de le punir très
s'il est prouvé que sciemment il m'a laissé commettre cet
impair ».
Le même fait se trouve signalé dans une lettre personnelle
adressée le 16 avril à Victor Ballot, en congé à Rochefort,
par Xavier, dit Médard Béraud, mulâtre de Porto-Novo,
principal à la résidence :
« ... les chefs ont obligé les gens de Toffa et les 10 tirailleurs
de porter des colliers de palmiers en public, qui signifie d'après la
politique des noirs « soumission ou demander pardon ».
« Malgré le refus des gens de Toffa, les chefs dahoméens ont
trompé le commandant en disant que c'est simplement pour faire
voir aux gens du pays que la France a fait la paix avec le
Dahomey et qu'il n'existe plus d'hostilité entre les deux... »
et le bon Médard qui connaît les réflexes de Victor Ballot
d'ajouter :
« ... je me permet de dire que ce curé est un vrai dahoméen »...
ce qui dans sa bouche est la pire injure, mais pour le père
Dorgère est sans doute le plus grand des compliments.
Il est vrai que Médard n'est pas tout à fait impartial. En
effet des gens de sa famille ont été enlevés et maintenus dans
la capitale pendant la guerre et Béhanzin s'est refusé à les
rendre *.
1. Arch. F. O. M., Dahomey III, 2, mission Audéoud.
— 184 —

Déroulement de la mission.

C'est incontestablement le rapport Hocquart, rédigé à Porto-


Novo le 2 avril, qui est le plus précis sur la mission elle-même.
« La veille de notre congé, le commandant a lu au roi la lettre de
M. le gouverneur Ballay. Elle exprimait d'une part le but de la
française chargée, à l'occasion de la paix, de porter au roi
les cadeaux du président de la République ; d'autre part le désir du
roi Toffa d'une réconciliation avec Béhanzin, un des membres de sa
famille... »
En ce qui concerne la réconciliation avec Toffa traitée
dans la lettre du gouverneur, le roi est entré dans un long
développement sur les griefs passés. « ... Il s'est longuement
étendu sur l'ingratitude de Tofïa qui lui doit, a-t-il dit, le trône
de Porto-Novo, et qui depuis, a toujours fait du mal aux
il a ajouté qu'il ne pouvait céder Kotonou, que son
fétiche lui défendait de donner un pouce de son territoire mais
que, en ce qui concerne notre occupation, les choses restaient
où elles en étaient ».
Hocquart termine son rapport, au demeurant plein de
mesure, décrivant le soulagement que provoquerait la
du Dahomey : « Cette disparition, dit-il, serait une cause
d'accroissement pour le commerce de la Côte d'Afrique dans
le voisinage de Porto-Novo auquel il rendrait une confiance
que les dernières affaires lui ont un peu fait perdre et qui ne
renaît que difficilement ».

LES INCURSIONS DAHOMÉENNES


AUX ABORDS DES RÉGIONS PROTÉGÉES

Ainsi Béhanzin, vis-à-vis de son peuple, se tirait avec


d'une situation confuse. Les troupes françaises ont
à souffrir du climat et, dans une certaine mesure, la con-
— 185 —

vention boiteuse, signée en octobre 1890, arrange l'autorité


française qui ne pourrait entreprendre une autre campagne
durant la saison sèche 90-91. Chez Béhanzin, on se prépare
à la guerre et de multiples achats d'armes sont effectués
particulièrement dans les maisons allemandes de Ouidalu

Incursion en pays Ouatchi.

Le résident de France par intérim, M. Ehrmann, rend


compte au gouverneur Ballay de la situation et du trafic
d'armes :
« II est évident, dit-il, que le Dahomey arme avec activité et en
ajoutant aux chiffres ci-dessus les 600 fusils introduits il y a
mois par la maison Goedelt, on arrivera au chiffre respectable
de 5.000 fusils à tir rapide. »
Par ailleurs le Yévogan de Cotonou, Zonohoucon est revenu
dans son ancienne résidence et a fait quelques visites
à M. Piétri de la maison Fabre. Cette réinstallation est
évidemment contraire au traité concernant Cotonou.
Les armées de Béhanzin reprennent leurs incursions dans les
territoires dépendant de Porto-Novo ainsi que dans les
des Ouatchi protégés par la France, Au mois de
1891, l'armée dahoméenne a attaqué et pillé quelques
villages et notamment celui de Blogdomey qui dépend du
chef d'Athiémé où flotte notre pavillon : 225 indigènes sont
faits prisonniers, 175 sont massacrés. Le résident Ehrmann
proteste vigoureusement, mais en novembre la situation
et Ouatchicomé x, l'un des centres Ouatchi parmi les
plus importants est attaqué et razzié par les Dahoméens.
Ehrmann envisage l'envoi d'un détachement militaire à Grand
Popo, à la suite du rapport, en date du 23 décembre 1891, de
Cornilleau, vice-résident de France à Grand Popo 2.
Cependant, près de 2.000 captifs sont répartis sur les
royales, à Afîomayi et Kinkpandan à l'ouest d'Abomey,
sur les bords du Coufïo, jusqu'à celle de Kpokissa sur les bords

1. Lettre du résident Ehrmann du 8 décembre 1891.


2. Arch. F. O. M., Dahomey V, 5.
— 186 —

•du Hlan, la rivière fétiche qui se perd dans les marécages près
de l'Ouémé x.
Le 26 mars 1892, la nouvelle parvient à Porto-Novo d'une
attaque de l'armée dahoméenne sur les villages de la rive droite
de l'Ouémé. Les villages de Tokpli-Danko et Gbéko sont
attaqués ; la population s'enfuit vers le sud. La panique
s'étend jusqu'à Danko, à 15 kilomètres à peine de Porto-Novo.
Le gouverneur Victor Ballot avec un détachement de 25
fait une reconnaissance sur la Topaze qui remonte l'Ouémé
jusqu'à Danko, où elle essuie des coups de feu. Trois tirailleurs
et deux laptots sont blessés.

LA CAMPAGNE DE 1892

Échange de correspondance et préparatifs de guerre.

Victor Ballot rend immédiatement compte à Paris et, par


une lettre du 28 mars, proteste énergiquement auprès du
d'Abomey. Deux réponses lui parviennent : l'une des
autorités dahoméennes de Ouidah, l'autre du roi Béhanzin :
« Je vous adresse ces deux lignes pour avoir des nouvelles de
votre santé et en même temps vous dire que je suis bien étonné du
récade (message) que Bernardin (Durand) a apporté au cabécère
Zodohoncon pour m'être communiqué au sujet des six villages que
j'avais détruits, il y a trois ou quatre jours.
Je vous garantis que vous vous êtes bien trompé. Est-ce que j'ai
été quelquefois en France faire la guerre contre vous ? Moi, je reste
dans mon pays, et toutes les fois qu'une nation africaine me fait mal
je suis bien en droit de la punir. Cela ne vous regarde pas du tout.
Vous avez eu bien tort de m' envoyer ce récade, c'est une moquerie ;
mais je ne veux pas qu'on se moque de moi, je vous répète que cela
ne me fait pas plaisir du tout. Le récade que vous m'avez envoyé
est une plaisanterie et je la trouve extraordinaire. Je vous défends
encore et ne veux pas avoir de ces histoires.
Si vous n'êtes pas content de ce que je vous dis, vous n'avez

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,


•dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, n. 56.
— 187 —

■qu'à faire tout ce que vous voudrez, quant à moi, je suis prêt. Vous
pouvez venir avec vos troupes ou bien descendre à terre pour me
faire une guerre acharnée. Rien autre.
Agréez, Monsieur le Gouverneur, mes salutations sincères.
Béhanzin, roi du Dahomey. »

Cependant le Parlement français dans sa séance du 28


1891 avait refusé de ratifier l'arrangement du 3
1890. Il est certain que les 20.000 francs qui devaient être
annuellement payés à Béhanzin pour l'occupation de Cotonou,
constituaient un recul sur le traité du 19 avril 1878. Par ailleurs
Béhanzin avait passé par Ouidah de nombreuses commandes
d'armes perfectionnées.
Par une lettre du 10 avril 1892? Béhanzin écrit à Victor
Ballot :
« Je viens d'être informé que le gouvernement français a déclaré
la guerre au Dahomey et que la chose a été décidée par la Chambre
de France. Je vous préviens que vous pouvez commencer sur tous
les points que vous voulez et que moi-même je ferai de même, mais
je vous avise que si un de nos villages est touché par le feu de vos
canons, tels que Cotonou, Godomey, Abomey-Calavi, Avrékété,
Ouidah et Agony, je marcherai directement pour briser Porto-Novo
et tous les villages appartenant à Porto-Novo...
... la première fois, je ne savais pas faire la guerre, mais
je sais. J'ai tant d'hommes qu'on dirait des vers qui sortent
des trous. Je suis le roi des noirs et les blancs n'ont rien à voir à ce
■que je fais. Les villages dont vous parlez sont bien à moi, ils
et voulaient être indépendants, alors que j'ai envoyé
les détruire et vous venez toujours vous plaindre.
... Je désirerais savoir combien de villages français indépendants
qui ont été brisés par moi, roi du Dahomey ? Veuillez rester
faire votre commerce à Porto-Novo ; comme cela nous
toujours en paix comme auparavant. Si vous voulez la guerre
je suis prêt. Je n© la finirai pas quand même elle durerait cent ans
et me tuerait vingt mille hommes...

Le colonel Dodds et les préliminaires.

Cependant pour éviter le fâcheux dualisme du


le président de la République Sadi Carnot désigne le
— 188 —

colonel Dodds commandant le 4e régiment d'Infanterie de


marine. Débarqué le 28 mai à Cotonou, il reçoit le lendemain
les pouvoirs civils des mains de Noël Ballay, gouverneur de la
Guinée, chef direct de Victor Ballot et publie de Porto-Novo,
le premier ordre du jour :

Ordre général n° 1.
En prenant à compter d'aujourd'hui 29 mai et conformément à la
décision du Président de la République en date du 10 avril dernier,
les fonctions de commandant supérieur des Etablissements français
du Bénin, je tiens tout d'abord à adresser mes félicitations aux
différents corps et services pour l'énergie et l'activité dont ils ont
fait preuve pendant la période critique que vient de traverser la
colonie.
Je félicite en particulier le lieutenant-gouverneur Ballot et le
chef de bataillon Riou, commandant des troupes, pour la bonne
impulsion qu'ils ont su donner aux efforts communs sous la haute
direction de M. le gouverneur Ballay.
La tâche que nous avons à remplir dans ce pays n'est qu'amorcée.
Je sais que je peux compter sur le dévouement et l'ardeur de chacun
pour la mener à bonne fin.
A Porto-Novo, le 29 mai 1892,
Le Commandant supérieur
des Établissements Français du Bénin :
A. Dodds.

Le choix du colonel Dodds peut difficilement être meilleur.


C'est en effet un mulâtre de Saint-Louis qui s'est distingué
comme capitaine au combat de Bazeilles (1870) et qui allie les
qualités de courage à une rare intelligence des questions
africaines.
N'ayant que 800 hommes, Dodds en est provisoirement
réduit à la défensive. Conseillé par Victor Ballot, il fait
tous les vassaux du roi de Porto-Novo, ainsi est
délimitée la zone sous le contrôle de Béhanzin. Seul
Kékédé, chef du Dékamé reste en dissidence, ainsi bien entendu
que le prince Sognibo fils du feu roi Mekpon, chef du parti
anglophile qui ne s'est pas consolé de ce qu'en 1874 on lui ait
préféré Toffa. Il s'est d'abord réfugié chez les Egba, mais
depuis que la guerre est imminente, il est à Abomey où il ren-
— 189 —

seigne Béhanzin par ses agents et fait répandre toutes sortes


de rumeurs alarmantes à Porto-Novo.
Le 5 juin 1892, deux messagers viennent de Ouidah. Ils sont
emprisonnés comme espions (Agbadji-Gbéto). En représailles
les trois employés français de la maison Fabre de Ouidah sont
arrêtés, puis peu de temps après, échangés grâce aux bons
offices du capitaine Vicente de Rosa Rolim, commandant du
fort portugais, après correspondance entre Dodds et
x.
Le 15 juin pour stopper la contrebande d'armes, la division
navale établit le blocus de la côte dahoméenne. L'aviso français
le Brandon, commandé par le lieutenant de vaisseau Bourgelot
capture le navire anglais John Holley, chargé de fusils
et de munitions, aux environs du Grand Popo.
malgré le blocus, l'allemand Richter de la maison Wolber
et Brohm de Grand Popo fait passer par Porto Seguro un
de 600 caisses de munitions.
La tension économique résultant du blocus conduit en
octobre 1892 à une pression du gouverneur anglais Carter qui
place des postes de douanes, l'un à l'entrée de la crique d'Ad-
jarra, l'autre au village de Djofé. Le colonel Dodds en
2 que le gouvernement britannique souhaite un

Le 26 juin, des guerriers de Béhanzin attaquent sur le lac


Denham, une pirogue montée par des miliciens et le 30 ils
pillent le village de Gomé d'où ils emmènent en captivité
10 hommes et 5 femmes. Dodds voit clairement qu'il faut agir
immédiatement sur le Dékamé pour affermir l'autorité de
Toffa, sinon le mouvement de dissidence risque de gagner.
Ainsi le 4 juillet les trois canonnières Corail, Emeraude et
Topaze remontent l'Ouémé et bombardent Azaourissé, capitale
du Dékamé.
Le colonel Dodds qui a adopté les conclusions du rapport du
commandant Audéoud, choisit l'Awan-Li, sur la rive gauche
de l'Ouémé comme axe de l'attaque et de la marche sur Abomey.
La saison des pluies avançant, la crue de l'Ouémé permet en
effet aux canonnières françaises de remonter le fleuve jusqu'au
1. Arch. F. O. M., Dahomey V, 5. Lettre de Béhanzin du 10 juin 1892,
réponse de Dodds du 20 juin 1892.
2. Arch. F. O. M., Dahomey VI, 1 b, lettre n° 188.
— 190 —

confluent du Zou. A Porto-Novo, on réquisitionne 200 pirogues


et on recrute péniblement 5.000 porteurs.
Pour faire diversion, une attaque a lieu le 9 août sur Zobbor
cependant que Godomey, Abomey-Calavi et Ouidah sont
bombardés. Le 18 août 1892, une colonne française comprenant
une compagnie d'infanterie de marine et six compagnies de
tirailleurs sénégalais et haoussa, une batterie et demie
monte vers le nord. Le 19, la rivière Adjara est franchie,
l'état-major Dodds-Ballot s'installe à Kouti. Le 20, le colonel
Dodds est à Sakété.
Le 25, les troupes françaises sont rassemblées à Katagon, un
peu au sud de Kouti en plein Dékamé. Le Kékédé se réfugie à
Kodé sur l'Ouémé où il meurt.

Arrivée des renforts et marche sur Abomey.

Le 23 août, le Mytho et le St Nicolas débarquent 800


deux escadrons de spahis sénégalais et un détachement
du génie. Le 14 septembre 1892, les troupes françaises sont
concentrées, au-dessus d'Affamé, sur l'éperon rocheux que
contourne l'Ouémé. Le Gaou, prince Goutchili qui attend les
Français vers Abomey-Calavi est obligé de faire volte-face et
de remonter vers Bonou.
Le 18 septembre, l'armée dahoméenne est à Dogba ; pendant
la nuit, elle franchit l'Ouémé et, le matin du 19 septembre, un
peu avant l'aube, l'attaque du camp français a lieu. C'est la
Légion étrangère qui reçoit le choc de 4.000 Dahoméens
qui reviennent à quatre reprises à la charge avant de se
retirer, laissant 130 morts sur le terrain.
Dodds, dans un télégramme dira :
« Après une lutte acharnée, l'ennemi ne s'est retiré qu'à neuf
heures du matin laissant un très grand nombre de cadavres sur le
terrain, sur lequel on a trouvé beaucoup d'armes à tir rapide...
nous avons eu de notre côté cinq tués et quinze blessés dont quatre
indigènes... »

Le 30 septembre, le corps expéditionnaire arrive en face de


Gbédé qui est occupé le 2 octobre. Les troupes françaises
s'avancent alors vers l'ouest, vers Pokissa où, le 4 octobre, elles
— 191 —

repoussent une violente attaque dahoméenne menée avec des


contingents d'amazones ; le 6 octobre, le pont sur la rivière
de Pokissa est enlevé.
Le même jour, une charge menée par des spahis aboutit à la
capture de quatre européens, trois allemands (Schultze, Piïch
et Weckel) et un belge (Angles ou Anglis). Ils combattent dans
les rangs de l'armée dahoméenne alors que ni l'Allemagne ni la
Belgique ne sont en guerre avec la France. Menés devant le
colonel Dodds, ils sont interrogés, condamnés à mort et
fusillés 1.
Après avoir traversé l'immense plantation vivrière royale,
le 8, les troupes françaises sont le 10 à Koussokpa, le 12 octobre^
les assauts dahoméens se multiplient à Oumbouémédi, le 13 le
camp dahoméen d'Akpa est pris, le 15 et le 16 les Dahoméens
qui attaquent à nouveau sont repoussés. Le 16 octobre, Dodds
prend la décision de ramener ses troupes à Akpa.
L'ordre général n° 63 fait le bilan de cette dure semaine :

Ordre général n° 63.


Officiers, sous-officiers et soldats du Corps expéditionnaire,
chacun de vous se souviendra avec orgueil de la semaine du 10 au
17 octobre 1892.
Partis de Poguessa, le 10, nous sommes venus camper à Kous-
soupa après avoir trouvé évacué le camp de Sagbovi encore occupé
quelques heures auparavant par le roi Béhanzin.
Le 12 au matin, nous avons repris le contact de l'ennemi et
presque toute la journée n'a été qu'un combat au cours duquel nous
avons emporté trois lignes de retranchements.
Le 13, vous avez enlevé brillamment le camp qui couvrait Akpa,
où l'ennemi, dans sa fuite précipitée, a laissé de nombreux vivres
et munitions.
Venus le 14 à la lagune de Koto pour nous ravitailler en eau,
vous avez repoussé victorieusement trois attaques pendant les
journées du 14 et du 15.
Le 16, nous avons repris notre bivouac d'Akpa afin de faciliter
notre ravitaillement en vivres et en munitions et prendre quelque
repos à la suite des fatigues résultant de quatre jours de combats.
C'est aussi dans cette journée que les Légionnaires, en s' offrant
spontanément pendant la marche au transport des blessés indigènes

1. J. de Riols, la Guerre du Dahomey, (1889-1892), Paris, 1893, p. 77.


— 192 —

ainsi qu'européens, ont montré que chez le soldat, l'esprit de


et de fraternité militaire est inséparable du vrai courage. Ce
fait a encore augmenté l'admiration que leur conduite au feu a
provoquée depuis la journée de Dogba.
Bientôt nous repartirons à l'attaque des dernières positions
ennemies. Sûr qu'il peut tout demander à chacun des éléments du
Corps expéditionnaire, le colonel est convaincu que le succès
définitif qui n'est dû qu'aux tenaces, ne tardera pas à couronner
tant de généreux efforts.
Akpa, le 18 octobre 1892,
A. Dodds.
Les pertes du corps expéditionnaire du 6 au 17 octobre sont
de 21 tués et de 136 blessés.
Le 20 octobre, les Dahoméens attaquent le camp d'Akpa.
Ils sont repoussés et une charge à la baïonnette des tirailleurs
haoussa les déloge du village d'Akpa. Pour cette seule journée,
le corps expéditionnaire compte 12 tués et 35 blessés. Le colonel
Dodds attend le renfort du commandant Audéoud qui arrive
le 24. Le même jour, des Dahoméens venus en parlementaires
ont déclaré que Béhanzin voulait la paix, mais comme Dodds
exige au préalable l'abandon et l'évacuation des lignes du Koto,
Béhanzin refuse.
Le 26 octobre, les défenses devant Kotokpa sont enlevées
à la baïonnette. Le 27 le Hlan, marigot fétiche est franchi
juste au fameux gué de Guédé Vedji. Le 2 novembre, les
troupes françaises, après de vifs combats, viennent bivouaquer
à Cana dans la ville où les rois du Dahomey jusqu'à Tegbessou,
sont enterrés. Le 3 novembre a lieu une violente attaque des
Dahoméens qui parviennent à réoccuper momentanément le
palais de Djéhoué. Une charge à la baïonnette les déloge de
cette vieille construction historique.
Le 4 novembre enfin, c'est l'effort suprême. Béhanzin
rassemble, nous dit Dunglas 1, tous les guerriers en état de porter
les armes, rappelle la totalité des amazones, même celles qui
sont spécialisées dans la chasse à l'éléphant et portent comme
insigne distinctif deux cornes d'antilope fixées sur un bandeau
appliqué sur le front. Sur la promesse de la liberté, on a réussi,

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey...


dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 82.
— 193 —

dit-on, à enrôler quelques centaines d'esclaves, troupes bien


inférieures aux loyaux contingents dahoméens.
Mais ce dernier effort est vain. L'armée dahoméenne est à
peu près anéantie (4.000 tués, 8.000 blessés). Béhanzin tente
de traiter, cependant que le colonel Dodds est promu général,
pour brillants services de guerre au Dahomey.

La fin de la campagne.

Les messagers se succèdent continuellement au camp français.


Béhanzin, d'après Dunglas 1, est prêt à accepter le protectorat
français, à nous céder le littoral méridional, la rive gauche de
l'Ouémé jusqu'à Agonli (région de Zagnanado — gué d'Ahlan).
Béhanzin s'engage à abolir l'esclavage et les sacrifices humains
et à verser une indemnité de guerre de 15 millions. Il offre
également ses huit canons et deux mille fusils à tir rapide.
Le 11 novembre, Victor Ballot arrive porteur des instructions
du gouvernement : livraison des armes, paiement de la moitié
de l'indemnité de guerre, en outre, trois ministres doivent servir
d'otages. Mais Béhanzin ne peut fournir que 35.000 francs au
lieu de 7.500.000 ; trois canons et 150 fusils perfectionnés...
en outre Béhanzin adresse au général Dodds deux mains en
argent ciselées par Hountondji, le chef des orfèvres du roi.
En signe d'acceptation le Djénéla (le général) n'a qu'à les placer
l'une sur l'autre comme les mains de deux amis.
Dodds, lassé des atermoiements, lance un ultimatum : si le
15 novembre, les armes ne sont pas rendues, les hostilités
reprendront. Le 16 novembre, les troupes marchent sur Abomey
dont les cases brûlent. A une heure de l'après-midi, la colonne
française parvient dans les faubourgs d' Abomey. Les troupes
françaises campent aux abors de la ville, où elles entrent le 17.
Les faisceaux sont formés dans la cour du palais Simbodji,
le drapeau français est arboré sur le mur le plus élevé à la place
qu'occupait autrefois un crâne 2.
Le 18, le général Dodds adresse à la population la
suivante :
1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,
dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 83.
2. Idem, p. 86.
revue d'histoire d'outre-mer 13
— 194 —

« Après de nombreux combats l'expédition française s'est emparé


de votre capitale et en a chassé le roi Béhanzin, détruit son
armée et brisé à tout jamais sa puissance.
Les intérêts du peuple dahoméen sont désormais entre les mains
de la France et il m'appartient de donner une nouvelle constitution
au pays abandonné par son roi.
Ceux de vous qui, confiants dans la clémence du gouvernement
français et dans ma parole, viendront franchement à moi, seront
protégés dans leurs familles et dans leurs biens. Ils pourront en toute
sécurité se livrer au commerce et aux travaux de culture et vivre en
paix sans aucune inquiétude sous la protection de la France.
Rien ne sera changé dans les coutumes et les institutions du pays
dont les mœurs seront respectées.
Les chefs qui se soumettront de bonne foi à notre protectorat
resteront en fonctions ; ils conserveront les dignités qui en sont la
conséquence. En revanche ceux qui ne répondront pas à riion appel
et qui essaieraient de fomenter des troubles dans un pays qui
doit être heureux et pacifié, seront impitoyablement châtiés.
Au Palais d'Abomey, le 18 novembre 1892,
A. Dodds.
Le général Dodds se rend compte que le Dahomey ne sera
réellement vaincu et soumis que le jour où Béhanzin sera
fait prisonnier. Des reconnaissances sillonnent le pays. Le
25 novembre, 1.000 esclaves attachés à la plantation agricole
d'Afîoma-Yé sont libérés. Des chefs et des notables sont bien
reçus par Dodds. De nombreux habitants reviennent dans la
capitale. Les Français ont établi leur camp à Goho, dans le
faubourg sud-est de la capitale, où resteront quatre compagnies
d'infanterie et une section d'artillerie sous les ordres du
Grégoire.
Le 1er décembre, le corps expéditionnaire est dissous. Les
pertes sont lourdes : en deux mois de campagnes, 15 officiers et
70 hommes (dont 37 européens) ont été tués, 29 officiers et
411 hommes blessés (dont 195 européens), enfin 173 européens
et 32 africains sont morts de maladie.
Les autorités de Ouidah acceptent la souveraineté de la
France et le 3 décembre, c'est la déclaration du général Dodds :
Au nom de la République française,
Nous, général de brigade, Commandant supérieur des
français du golfe du Bénin, commandeur de la Légion
d'Honneur,
— 195 —

en vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés, déclarons :


Le roi Béhanzin Ahidjéré est déchu du trône du Dahomey et
banni à jamais de ce pays.
Le Dahomey est et demeure placé sous le protectorat exclusif
de la France, à l'exception des territoires de Ouidah, Savi, Avrékété,
Godomey et Abomey-Calavi qui constituaient les anciens royaumes
de Ajuda et de Jacquin, lesquels sont annexés aux possessions de la
République française. Les limites des territoires annexés sont : à
l'ouest, la rivière (le lac) Ahémé ; au nord et à l'est la rivière de Savi
et les frontières nord-est du territoire d' Abomey-Calavi, au sud
l'océan Atlantique.
Fait à Porto-Novo, le 3 décembre 1892,
A. Dodds.
Toutefois le rapport du général Dodds indique bien l'estime
dans lequel il tient son adversaire 1 :
« La misère et la faim achèveront l'œuvre commencée par la force
si Béhanzin ou son entourage ne se décident pas eux-mêmes à bref
délai à chercher une issue à leur situation actuelle en se remettant
entre nos mains.
Il n'appartient qu'au gouvernement de fixer les conditions de
cette reddition, telles qu'elles soient acceptables pour un adversaire
dont il faut reconnaître le courage et l'énergie ».
Le 29 décembre est levé le blocus des côtes dahoméennes.
Des perquisitions effectuées à Ouidah et Godomey montrent
que de février 1891 à avril 1892, les maisons Wolber et Brohm,
Godelt, Trongott, Zôllner de Hambourg ont vendu 400 fusils
Peabody, 230 Winchester, 750 Chassepots, 300 Sniders,
300 Mauser, 250 Albini, 250 Spencer, 6 canons Krupp, 4
Refïye et une quantité considérable de cartouches.
Ces livraisons étaient payées en nature, c'est-à-dire par la
livraison de plusieurs centaines de noirs destinés à travailler
au Cameroun ou au chemin de fer du Congo. 450 d'entre eux
avaient été embarqués le 2 mai 1892, à Avrékété sur un vapeur
de la compagnie Woermann de Hambourg. Ces « travailleurs
libres » furent inscrits sur les registres commerciaux : Reçu
du roi du Dahomey, 300 ou (sic) 400 esclaves, hommes, femmes
et enfants » 2.
1. Bulletin du Comité de l'Afrique française, août 1893, p. 8.
2. Cité dans le Bulletin du Comité de l'Afrique française, mai 1893,
p. 8.
— 196 —

Ces renseignements furent communiqués, sur sa demande,


au Dr Kayser par l'ambassadeur de France à Berlin. Le
Dr Kayser avait en efîet demandé au baron Haussmann au cours
des négociations coloniales, s'il ne pouvait obtenir par son
entremise copie d'un reçu de la maison Wolber et Brohm,
dont les journaux avaient mentionné la saisie par les autorités
françaises » ... l'ambassadeur conclût : « Le chef du service
colonial a été très touché de notre empressement à l'obliger
et nous avons, du même coup, contribué à établir des faits qui
ont provoqué en Allemagne une véritable indignation contre les
traitants hambourgeois » 1.
Ces livraisons d'armes étant effectuées en violation de la
convention internationale de Bruxelles, les comptoirs sont
fermés et les agents expulsés.
Dodds établit son quartier général à Ouidah, plus central
par rapport au domaine contrôlé. En avril, il écrit au ministre
de la Marine et au sous-secrétaire d'état aux Colonies, décrivant
l'isolement de Béhanzin à Atchéribé, à deux jours de marche
au nord d'Abomey. Des postes provisoires sont installés.
Toutefois il est évident que tant que Béhanzin ne sera pas
pris, rien de durable ne pourra être fait2. Des rumeurs circulent
dans le peuple sur la puissance magique du roi Béhanzin et
sur la vertu occulte de ses grigris. Dans sa fuite, le roi a emporté
l'amulette de Dahomey, bétyle mystérieux d'une efficacité
incalculable.
En somme une meurtrière campagne a donné aux forces
françaises la victoire et le contrôle d'une partie importante de
l'ancien royaume de Béhanzin. Mais tant que la personne du
souverain avec toute l'auréole mystique et magique qui s'y
attache reste en liberté, rien de sûr ne peut être établi.

1. Lettre de l'ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires


Étrangères du 4 février 1894, Arch. F. O. M., Dahomey, VI, 3, c.
2. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,
dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 88.
197 —

LA TROISIÈME CAMPAGNE DU DAHOMEY (1893-1894)

Les tentatives de paix de Béhanzin.

Sentant la partie perdue, le souverain essaie vainement


d'obtenir l'appui de l'Allemagne et tente d'infléchir la décision
gouvernementale française par l'intermédiaire d'un journaliste
Yorouba nommé Henry Dosciovo Kagadou 1. Grassement
payé, ce journaliste fit le voyage de France mais bien entendu
ne fut reçu ni par le président Carnot ni par aucune autre
autorité française.
Toutefois la presse anglaise publie un manifeste de
dû vraisemblablement au même Henry, car on ne reconnaît
pas le ton habituel du souverain.
« J'en appelle aux grandes et instruites nations du monde pour
qu'elles ne permettent pas qu'une grande puissance comme la France,
possédant les armes modernes les plus destructives, foule aux pieds
et extermine un peuple qui ne lui a rien fait et dont le seul crime
est d'être ignorant et faible.
Je fais appel à cet égard à la philanthropie et à l'humanité
chrétienne des grandes nations civilisées » 2.
Le 29 avril, le colonel Lambinet qui fait l'intérim de Dodds
reçoit un message de Béhanzin.
« Le roi salue MM. le Président de la République, le Gouverneur,
le Colonel (il ne sait pas s'il doit l'appeler Djénéla) et tous les officiers.
Il reconnaît qu'il est battu : c'est le bon Dieu qui a voulu la guerre.
Il vient demander la paix et offre sa soumission. Il aurait fait
cette demande plus tôt, mais il en a été empêché par les
suivantes :

1. Hazoumé dans le Pacte du Sang (p. 33) précise qu'il s'agit d'un petit-
fils de Dossou-Yévo qui, pour le compte de Ghézo, avait fait le voyage du
Brésil et des Antilles. Il l'appelle Hendry et indique qu'il se lia à Béhanzin
par le pacte de sang. Hazoumé fait état d'une deuxième mission
avec quatre dignitaires, qui dût s'arrêter, l'argent du voyage
ayant été volé.
2. Cité dans le Bulletin du Comité de l'Afrique française, avril 1893,
p. 6.
— 198 —
1° Les Nago attaquent constamment les Dahoméens qui essaient
de passer et coupent les chemins ;
2° Tofïa se vante partout que c'est lui qui a fait la guerre au
Dahomey et qu'il a été le vainqueur ;
3° Béhanzin prie qu'on empêche Tofïa de dire des mensonges
et du mal de lui car, si Tofïa sert la France, le Dahomey la sert
depuis bien longtemps. S'il avait voulu, il aurait pu écraser Porto
Novo avant l'arrivée des Français.
4° Lui veut la paix avec la France et ne veut plus la guerre ;
5° Le roi demande à habiter le plateau d'Abomey et que les
postes au nord de la Lama soient évacués » 1.

Le ministre de la Marine déclare qu'il est indispensable de


traiter avec Béhanzin lui-même, mais Béhanzin refuse d'aller
à Ouidah car il ne peut voir la mer en raison de son totem.
On lui propose alors Allada... mais les délais sont forclos.

Gravité du problème politique.

Des projets avaient été élaborés. Avant même la marche


sur Abomey on envisageait un double régime : occupation et
administration directe du littoral, dislocation du Dahomey
en trois royaumes indépendants sous protectorat français.
« Théoriquement, dit un article du Bulletin du Comité de l'Afrique
française, le système était acceptable : au siècle dernier la région que
nous appelons le Dahomey, était constituée en plusieurs groupes,
mais les ancêtres de Béhanzin, débordant vers le Sud, se sont rendus
maîtres du pays tout entier... les divergences entre les anciens
royaumes ont donc disparu sous l'action énergique des rois
et ainsi la division projetée devenait arbitraire. Mais ce
n'est pas tout : elle se heurte maintenant à une difficulté très grande.
Nous offrons des trônes et il n'est personne parmi les princes de la
famille royale qui les accepte.
Nous avons cru à tort que nous trouverions au Dahomey des
rois à discrétion comme au Soudan français, nous comptions sans
notre hôte et nous avions oublié que le Dahomey était un état
régulier et très compact... »

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,


dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 97.
2. Bulletin du Comité de l'Afrique française, juillet 1893, p. 5.
— 199 —

La poursuite dans la brousse.

Le 30 août 1893, Dodds est de retour et tout le monde


au Dahomey que c'est pour s'emparer de Béhanzin.
Le 12 octobre, les opérations commencent ; des détachements
sont envoyés le long des frontières du Togo et de Nigeria.
Le 4 novembre, des émissaires de Béhanzin sont éconduits par
le général. Les 6, 7 et 8 novembre, les rebelles livrent 476 fusils,
4 canons et des munitions. Le 9 novembre, 4 ministres, 8 princes
et 20 grands chefs se présentent au camp. Béhanzin s'enfuit
d'Atchéribé et se réfugie dans la région entre Abomey et Oum-
bégamé où les habitants, de pure race dahoméenne, lui sont
entièrement dévoués.

Réorganisation territoriale.

Le général Dodds détache du royaume d' Abomey la région


d'Allada, diminuée de la zone côtière annexée directement.
Cette réorganisation fait l'objet de la déclaration du 5 janvier
1894 :
« Au nom du gouvernement de la République française : Nous,
général de brigade, Commandant supérieur des Établissements
français du Bénin, grand officier de la Légion d'Honneur, en vertu
des pouvoirs qui nous ont été conférés, déclarons :
1° Est acceptée la soumission des Princes, Cabécères, Chefs et
habitants du Dahomey ;
II0 Sont détachés du Dahomey, sur leur demande, et placés sous
le protectorat de la France, les pays des Mahi, des Dassa et les
confédérations Nago et autres de la rive gauche de l'Ouémé, dont
les territoires avaient été annexés par la force.
III0 Pour donner satisfaction aux vœux des populations, est
reconnue la division du Dahomey proprement dit en deux royaumes
indépendants, ayant respectivement pour capitale, Abomey et
Allada.
IV0 Le royaume d'Abomey comprend le pays situé entre le
Couffo à l'Ouest, la région des Mahi au Nord, l'Ouémé à l'Est, la
Lama au Sud.
— 200 —
V° Le royaume d'Allada comprend le pays situé entre le Coufîo
et l'Ahémé à l'Ouest, le royaume d'Abomey au Nord, l'Ouémé en
amont de Dogba et la rivière du Sô à l'Est, le territoire annexé au
Sud.
VI0 La désignation des premiers rois d'Abomey et d'Allada
sera faite par les chefs de ces royaumes réunis en Assemblée générale
et soumise à l'approbation du Gouvernement français.
VII0 Les royaumes d'Abomey et d'Allada sont placés sous le
protectorat de la France.
VIII0 Des traités détermineront ultérieurement les relations
politiques et commerciales qui devront exister entre le représentant
du Gouvernement de la République et les nouveaux souverains
ainsi que les conditions suivant lesquelles s'exercera le protectorat
de la France.
Fait à Abomey, le 5 janvier 1894,
A. Dodds.

Nomination d'Agoliagbo.

Après avoir été à Dassa Zoumé recevoir la soumission des


Dassa et à Savalou recevoir celle des Mahi (fin novembre),
Dodds prescrit à la population de se raser la tête. Depuis la
mort de Glélé en effet, tous les sujets d'Abomey se laissaient
pousser les cheveux en signe de deuil. Par cet ordre, le général
indique nettement que jamais Béhanzin ne pourra revenir à
Abomey pour procéder aux funérailles solennelles de son père.
Cependant de nombreux membres de la famille royale se
trouvent à Abomey où ils se réunissent souvent. De ces réunions
sortit (peut-être à l'instigation du Djénéla pais, peut-être aussi
spontanément) l'idée de trouver un remplaçant au roi en
fuite 1. Une grande réunion des gens de la famille royale se tient
au village d'Agonvézoun près d'Abomey, chez le chef Sogbo
(fin décembre 1893). Cette assemblée 2 se prononce pour le
prince Goutchili, frère du roi et Gaou de l'armée dahoméenne.

1. L'interprète du général Dodds mettait en avant la candidature


d'Ayidama, frère de Béhanzin ; c'est d'après Hazoumé, Le pacte du sang
au Dahomey, p. 36, ce qui décida finalement le souverain.
2. D'après Hazoumé, cette réunion se tint en présence et à
de Béhanzin. L'oracle consulté donna deux noms Hounhintogban
et Goutchili. C'est Béhanzin qui choisit ce dernier.
— 201 —

Goutehili tient encore la brousse aux côtés de Béhanzin.


On lui notifie ce choix qui a l'accord du général Dodds. Il se
laisse d'autant plus facilement convaincre qu'il pouvait craindre
de voir offrir le trône d'Abomey à Toffa, son mortel ennemi.
Paul Hazoumé pense au contraire 1 que toute l'affaire fut
conçue par Béhanzin qui choisit lui-même le prince Goutehili
et se lie avec lui par le pacte de sang. Goutehili fait le serment
de fidélité à son roi, serment que répètent les autres assistants.
Les consignes de Béhanzin sont les suivantes :
Le prince se présentera au Généla et lui dira : « J'abandonne
Béhanzin parce que, ayant reconnu son erreur, je ne puis le décider
à quitter le position prise. Je connais sa retraite et je vous la
si vous m'agréez comme roi au Danhomê en remplacement de
Béhanzin » 1.
Quoiqu'il en soit, nous pouvons imaginer l'entrevue des
deux chefs d'armée dont l'un, fils du Sénégal, sait assurément
trouver les accents pour honorer le courage malheureux.
Dunglas nous dit :
« L'entrevue des deux chefs d'armée rivaux ne manque pas de
grandeur. Le général Dodds félicite son ancien rival pour ses talents
militaires et la bravoure de ses soldats ».
Les jours suivants se déroulent les cérémonies rituelles de
l'intronisation magique et coutumière du nouveau roi
L'Agassounou, grand pontife, vient au palais de Sim-
bodji dont on a partiellement relevé les ruines.
En recevant le premier salut protocolaire du Migan qui
l'appelle « roi des perles », il répond : « Ago, li Agbo ! Allada
Klen Afo, ma djà yi o, Frantsé, Wé gni mon ! (Attention
Abomey ! la dynastie (venue) d'Allada a trébuché mais grâce
aux Français elle n'est pas tombée ». Les trois premiers mots
définissent l'appellation du nouveau roi « Agoliagbo ».
La reconnaissance officielle d' Agoliagbo par les Français
a lieu solennellement le 15 janvier 1894 avec 21 coups de canon.
Dès son intronisation, Agoliagbo s'empare des femmes et des
biens de Béhanzin, ce qui lui attire la haine de la famille de
l' ex-roi.

1. P. Hazoumé, Le Pacte du sang au Dahomey, Paris, 1937, pp. 36-38.


— 202 —

La reddition de Béhanzin.

Dunglas trouve des accents émouvants 1 pour nous dire


comment le 18 ou le 20 janvier 1894, Béhanzin réunit ses
fidèles. Monté sur un Adanzoun (un petit tertre) il leur
fait un discours d'adieux, évoquant la mémoire de ceux qui se
sont sacrifiés en de multiples combats et prescrivant à ses
derniers compagnons de le quitter et de profiter de la conduite
véritablement étonnante de ces vainqueurs blancs qui ne
tuaient personne et n'emmenaient pas de prisonniers en France.
Après ce discours chanté sous forme d'improvisation, les
derniers fidèles prennent avec lui le repas d'adieux puis ils vont
à Abomey se soumettre. Le 25 janvier, le grand Bokonon
Guédégbé se présente à Goho, va saluer le nouveau roi, puis
demande à être reçu par le général Dodds pour lui
un message important : Le 26, Dodds peut télégraphier
au ministre de la Marine :
« Traqué par nos troupes et populations ralliées à nouveau roi,
Béhanzin redoutant être matériellement enlevé a fait sa soumission
sans conditions. Je l'ai fait saisir près de Yego, nord-ouest d'Abomey
et emmener Goho ; partira prochainement Sénégal par « Segond »,
enverrai ses ministres Gabon ».
Béhanzin s'embarque au début février 1894 à Cotonou sur le
vapeur Segond pour Marseille et de là, la Martinique. 11 est
accompagné de cinq de ses femmes, de sa fille « Kpo tassa »,
de son fils préféré « Ouanilo ».

Traité avec le royaume d'Abomey.

Le 29 janvier sur la place Simbodji est lu publiquement,


devant les troupes rassemblées, le général Dodds et le roi
Agoliagbo, en présence d'un immense concours de population,
le traité de protectorat de la France sur le Dahomey dont
voici le texte :

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,


•dans Études Dahoméennes, XXI, t. III, p. 108.
— 203 —

Traité avec le royaume d'Abomey.


Au nom de la République Française,
Entre le général de brigade Dodds, Commandant supérieur des
Établissements français du Bénin, grand officier de la Légion
d'une part,
Et Ago-Li-Agbo, roi d'Abomey d'autre part,
A été conclu le traité suivant :
Article premier. — Le roi et les habitants du royaume d'Abomey
se placent sous le protectorat et la suzeraineté de la France ;
Article 2. — Le gouverneur des Établissements du Bénin est
chargé de l'exercice du protectorat ; il est représenté à Abomey par
un délégué qui a le titre de vice-résident.
Article 3. — Le royaume d'Abomey a pour limites, au Nord, le
petit Coufïo, le Zou, le Paco, le village et les terrains de culture de
Gounsoue qui dépendent de ce royaume ; à l'Est, l'Ouémé ; au Sud
une ligne brisée passant par les villages de Tandji, Dassa, Kissa,
Aivédji, Allagba, Lomey, Massi, Han, Aounandjitomé, tous villages
faisant partie, ainsi que leur territoire, du royaume d'Abomey ; à
l'Ouest le Coufïo. Toutefois les villages dahoméens de Lahomé,
Tokamé, Aouleta, Aglali, Arobia, Dodji, Azanché, Adjasagon, Zali,
Acocodjia, Bota situés sur la rive droite, restent indépendants du
royaume d'Abomey. Le cours de l'Ouémé et celui du Coufïo
neutres dans toute leur étendue.
Article 4. — Le roi d'Abomey renonce en son nom et au nom de
tous ses successeurs à toutes prétentions sur les territoires situés
en dehors des limites définies par l'article précédent.
Article 5. — La désignation des futurs rois d'Abomey sera faite
conformément aux usages en vigueur dans ce pays et soumise à
l'approbation du gouvernement de la République Française.
Article 6. — Le roi exerce son autorité sur ses sujets d'après les
lois et usages du pays, toutefois il s'engage à interdire le commerce
des esclaves et à abolir toutes pratiques ou coutumes ayant pour
résultats des sacrifices humains.
Article 7. — En aucune circonstance et sous quelque prétexte que
ce soit, le roi ne pourra faire acte d'autorité sur les étrangers,
ou indigènes de passage ou en résidence dans le pays. Toute
contestation entre un habitant du royaume d'Abomey et un
européen ou indigène, sera soumise au vice-résident de France
à Abomey, sauf appel devant le gouverneur des Établissements
français du Bénin.
— 204 —

Article 8. — Le commerce se fera librement. Le roi s'engage à


tenir ouvertes les routes entre son pays et les régions voisines,
à prendre toutes les mesures nécessaires pour favoriser
des produits et le développement des cultures. Il n'exigera
aucun droit ni coutume de la part des commerçants qui viendront
s'établir dans son pays avec l'autorisation du Gouvernement
français.
Article 9. — En retour, les habitants du royaume d'Abomey
pourront circuler librement dans tous les pays administrés
ou protégés, y faire séjour ou s'y livrer à des opérations de
commerce. Ils recevront aide et protection des autorités françaises,
conformément aux lois en vigueur.
Article 10. — Le roi ne pourra entreprendre aucune opération de
guerre, sans l'autorisation du gouvernement français.
Article 11. — Aucune concession de terre ne pourra être accordée
dans le royaume d'Abomey, sans l'autorisation du gouvernement
français.
Article 12. — La France aura le droit de faire des établissements
de toutes natures, d'exécuter tous travaux d'utilité publique, ligne
télégraphique, voies de communication (route, canaux, chemins de
fer).
Article 13. — Le roi garantit le respect de la propriété ainsi que
la sécurité des biens et des personnes.
Article 14. — Des écoles françaises pourront être ouvertes dans
tous les centres de population. Le roi en favorisera l'établissement et
usera de son influence pour propager la langue française et répandre
l'instruction dans le pays. L'école d'Abomey sera fréquentée par les
enfants de la famille royale.
Article 15. — Tous les traités antérieurs conclus avec ou par les
rois du Dahomey sont annulés.
Article 16. — Le présent traité fait en triple expédition, ne
définitif qu'après l'approbation du gouvernement de la
Française.
Fait à Abomey le vingt-neuf janvier mil huit cent quatre vingt
quatorze.

Ce traité reçoit l'approbation du gouvernement de la


par lettre du 19 avril 1894.
— 205

Traités avec les chefs des divers confédérations Mahi.

Le général Dodds envoie le 25 janvier 1894 le capitaine Pen-


tel, de son état-major, passer au nom du gouvernement des
traités de protectorat avec les différents chefs Mahi. Il passe
des traités de protectorat le 30 janvier avec Baguidi, chef de
Savalou et le 1er février avec Noukoumoké chef de la
de Djaloukou.
Le traité passé avec le chef de Savalou sert de modèle aux
autres. C'est un traité de protectorat en bonne et due forme 1.
« Article 1er. — Le roi et les habitants de la confédération des
Mahi de Savalou, heureux d'avoir reconquis leur indépendance, se
placent sous le protectorat et la suzeraineté de la France, leur

Article 2. — La confédération des Mahi de Savalou sera gouvernée


d'après les mœurs et coutumes du pays dont les institutions seront
respectées.
Article 3. — Les habitants du pays de Savalou s'engagent à tenir
ouvertes toutes les routes conduisant au Nord et au Sud, à laisser
librement circuler les voyageurs et commerçants et, en général, tous
ceux qui désirent traverser leur pays pour aller faire le commerce
dans les territoires soumis directement à l'autorité de la France ou
protégés par elle.
Article 4. — Les commerçants et traitants français ou protégés
par la France pourront s'établir librement dans le pays pour y fonder
des comptoirs ou établissements après autorisation du gouvernement
français. Le roi et les chefs s'engagent à favoriser de tout leur
pouvoir les Français ou protégés de la France.
Article 5. — Nul ne peut s'établir dans le pays de Savalou pour
y entreprendre des travaux d'utilité publique, une exploitation
agricole, minière, sans l'autorisation du gouvernement français.
Article 6. — Le roi et les chefs s'engagent à faciliter, notamment
par des concessions de terrain, l'établissement de postes, routes,
chemins de fer, canaux, lignes télégraphiques et voies de
de toutes natures si la France en juge utile la construction.

1. Ce texte est extrait de l'annexe 3 de la « Notice sur le Dahomey,


dans la Revue maritime et coloniale, 1894, p. 300.
— 206 —

Article 7. — Les habitants du pays de Savalou auront les routes


ouvertes dans toute l'étendue du territoire français et des pays
protégés par la France. Ils seront protégés par les représentants
de l'autorité française lorsqu'ils voudront se rendre ou transporter
leurs marchandises dans les possessions françaises du littoral.
Article 8. — Toutes contestations entre les habitants de Savalou
et les pays circonvoisins ou les indigènes originaires des régions
directement administrées par la France seront jugées par le résident
de France à Abomey, chargé de l'exercice du protectorat, avec
appel au chef de la colonie du Bénin.
Article 9. — Le roi et les peuples de la confédération des Mahi de
Savalou s'engagent à ne jamais faire la guerre à leurs voisins et
à ne pas laisser traverser leur territoire par des troupes de guerriers
armés sans en avoir reçu l'autorisation du chef de la colonie.
Article 10 et dernier. — Le présent traité, fait en quadruple
expédition et provisoirement exécutoire, aura son effet plein et
entier dès que le Gouvernement français aura donné avis de sa
satisfaction. »

Au cours du mois de février, des traités analogues sont


conclus par le lieutenant Guérin avec les chefs des
de Dassa, d'Ouessé et de Paouignan 1.

Reconnaissance du roi d'Allada et du roi de Kétou


(4 et 13 février 1894)

Quelques jours plus tard, le général Dodds reconnaît le roi


d'Allada :
« Le 4 février 1894, à huit heures du matin, les cabécères et
chefs du bas Dahomey, réunis sur la place du palais à Allada ont
proclamé roi d'Allada sous le nom de « Gi-Gba-No Don Gbé Non
Maou », le prince Ganhou-Hougnon représentant de la famille royale
d'Ardres et descendant direct de Meji, dernier roi de ce pays.
Le général de brigade Dodds, commandant du corps
et commandant supérieur des établissements français
du Bénin, grand officier de la Légion d'Honneur, après avoir fait
arborer au palais d'Allada le drapeau français et l'avoir fait saluer
de 21 coups de canon, a reconnu le nouveau roi, au nom du gouver-

1. Bulletin du Comité de V Afrique française, mars 1894, p. 27.


— 207 —

nement de la République française et déclare le royaume d'Allada


placé sous le protectorat de la France.
Les honneurs militaires ont été ensuite rendus au roi d'Allada ».
A Kétou, après onze ans de servitude et de silence, le royaume
était reconstitué. Le 13 février, Odon fut proclamé roi de
Kétou.

Béhanzin et Vercingétorix
En guise de conclusion de campagne

Un jeune professeur dahoméen, Albert Tevoedjre qui évoque


le problème des programmes d'histoire en Afrique insiste sur
l'analogie entre Vercingétorix et Béhanzin :
« L'un et l'autre se sont opposés à l'envahisseur et à la domination
de leur pays par des conquérants étrangers. Tous les deux méritent
également l'admiration de l'histoire. Les Français considèrent
Vercingétorix comme un héros national. Au nom de quoi
la grossièreté de considérer Béhanzin et Samory comme
des nègres sauvages et poltrons incapables de résister à César... x »
Sur le courage et la résistance de Béhanzin, aucun Français
et surtout pas les militaires qui l'ont affronté, n'ont marchandé
leur hommage, Par ailleurs le ministre Delcassé, dans ses
instructions au colonel Dumas, prescrivait de cesser toutes
négociations qui n'auraient pas pour base la soumission sans
conditions de l'ex-roi à l'égard duquel le Gouvernement «
de toute la générosité due à un adversaire brave et courtois »
et de fait, le roi fut exilé avec 5 de ses femmes à la Martinique.
Il s'agit, comme le souligne Dunglas 2, d'une mesure de
précaution politique et non d'une sanction.
Peut-être y eût-il des maladresses commises, mais le
de Béhanzin paraît tout de même singulièrement plus
favorable que celui de Vercingétorix, lequel fut emprisonné
pendant dix années avant de figurer, en juin 46, dans le triomphe
de César pour être ensuite étranglé devant le temple de Jupiter
Capitolin. Ajoutons que les survivants d'Alésia furent
comme esclaves à l'armée romaine alors qu'au Daho-
1. Albert Tevoedjre, « L'Afrique révoltée », Présence africaine, 1958,
pp. 145-146.
2. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey... »,
dans Études dahoméennes, XXI, t. III, p. 110.
— 208 —

mey l'installation française correspond à la libération de


d'esclaves et à la fin des sacrifices humains.
En 1905 paraissait à Lyon une brochure de 40 pages éditée
par le publiciste H. Adolphe Lara, directeur de La Démocratie
de la Guadeloupe, qui adresse à Francis de Pressensé, président
de la Ligue des droits de l'homme, une lettre exposant les
de vie de Béhanzin à la Martinique et demandant son
retour au Dahomey. Il y joint un mémoire sur la campagne du
Dahomey écrit par Ouanilo, fils de Béhanzin, sous la dictée
de son père.
Semblable témoignage que je n'ai vu citer nulle part est
particulièrement intéressant pour l'histoire. Il montre les
faiblesses de la tradition orale. Pour les événements de la
campagne éloignés de quelques années, des erreurs de date se
glissent. Ayant exposé le déroulement des faits en laissant la
parole à Dunglas, le plus dahoméen des auteurs, toutes les
fois où c'est possible, nous nous bornerons à reproduire le
mémoire de Béhanzin rédigé par son fils Ouanilo.

Mémoire de Béhanzin sur la campagne du Dahomey.


Sous le règne de mon père, le roi Guélélé, M. Hayol annonça son
arrivée à la capitale. Guélélé s'empressa alors de faire les
de fête pour recevoir l'envoyé français.
Une escorte fut envoyée au-devant de lui, avec des présents et lui
portant des souhaits de bienvenue. Il fut reçu au milieu des
par mon père, avec qui il s'entretint au sujet du port de Koto-
nou qu'il voulait prendre, disait-il. Il lui fut répondu que ces affaires
se traiteraient plus tard et plus à loisir. Mon père le pria alors de
rester quelque temps, afin d'assister aux fêtes préparées en son
honneur. M. Bayol s'excusa. Malgré toutes les avances, il refusa de
séjourner plus longtemps à Abomey, prétendant qu'il était pressé.
Malgré ce refus, Guélélé ne laissa pas partir M. Bayol et sa suite
sans les combler de présents pour eux et pour le Président de la
République Carnot.
M. Bayol s'en retourna chez Tofîa, roi de Porto-Novo, ennemi
personnel de mon père.
Deux mois après cet incident, Guélélé mourut. Je montai sur le
trône et me hâtai d'expédier à M. Bayol une canne enroulée d'étoffe
noire pour lui apprendre la fâcheuse nouvelle.
Cinquante-deux jours après mon avènement, Kotonou était livré
aux flammes par M. Bayol ; les chefs du village étaient conduits à
— 209 —

Porto-Novo les mains liées derrière le dos et une grande partie des
habitants massacrés. Néanmoins, étant et désirant toujours rester
l'ami des Français, j'arrangeai l'affaire et je signai avec eux un
traité de paix leur protestant de mon amitié et leur disant que je
savais que le véritable instigateur était Toffa.
Nos relations reprirent comme à l'ordinaire très cordiales. Peu
de temps après je fis des réjouissances en faveur de quatre officiers
français qui se rendirent dans mes états, et dont le chef était le
Audéoud. Ces militaires prétendant venir de France
m'avaient peu auparavant demandé à venir me visiter. Je leur
confiai pour le président Carnot, selon la coutume du pays, deux
femmes et deux hommes comme domestiques, des étoffes et des
parasols indigènes brodés d'argent, un sabre d'argent ; à eux-
mêmes je fis don d'un homme et d'une femme chacun, et également
de divers objets de pays.
A des missionnaires, je fis aussi présent de femmes pour les sœurs
et d'hommes pour les frères.
Ceci se passait en 1889 1.
En 1892, le gouverneur français, de Porto-Novo m'apprit que les
Kintons avaient brisé des barques qu'il avait sur le fleuve. Quoique
les Kintons ne fussent pas mes sujets, il en appelait à moi, disait-
il, qui avait beaucoup plus d'influence que lui sur ces populations
pour lui faire restituer les objets pris et les embarcations.
Quelques jours après, je fis ordonner aux Kintons de rendre les
barques ; ils refusèrent catégoriquement, alléguant que les Français
leur avaient enlevé des bestiaux, et que si les Français étaient mes
amis, ils ne leur reconnaissaient nullement le droit de les piller.
J'apportai au gouverneur cette insulte. Quelques jours après
il mourut 2. J'envoyai, selon la coutume du pays, des ballots de
et d'étoffes diverses pour servir à son inhumation.
Puis j'expédiai un détachement pour réduire les Kintons. Une
partie marchait contre eux ; l'autre était échelonnée le long du
fleuve pour parer aux éventualités. Ces troupes furent inopinément
attaquées par les miliciens de M. Ballot venus de très loin, de Porto-
Novo, sur une canonnière. Elles ripostèrent. Ceux qui avaient fait feu
et les chefs de l'expédition furent sévèrement punis. Je me -plaignis
à M. Ballot de cette surprise d'amis et j'allais défendre, tirant
sur nos troupes, je l'invitai à venir s'entendre avec moi sur cette
nouvelle affaire. Il refusa nettement.
Je restai alors sans nouvelles. Et subitement les troupes
débarquèrent.

1. Très exactement du 9 février au 25 mars 1891.


2. Il s'agit du résident Erhmann.
revue d'histoire d'outre-mer 14
— 210 —

Jugez de ma déception, de ma honte, en face des tribus africaines


surtout des Kintons.
Tels sont les événements de 1892.
Malgré tout, je restai l'ami des Français. Durant la guerre même,
je leur faisais passer des vivres, des bestiaux. Pendant toute la
campagne, je me bornai à reculer, je ne pus malgré mon grand désir,,
conférer avec les Français qui barraient toutes les routes. Enfin je
me rendis à l'invitation du général Dodds pour conférer avec lui ;
il me déclara que n'ayant pas de pouvoir à conclure le traité de paix,
il fallait que je me rendisse moi-même en France, pour conférer avec
le chef de l'État ; croyant me diriger sur la France, je fus conduis
à la Martinique.
Tout d'abord le chef français m'avait enjoint pour que la paix
fût conclue, de déposer les armes de mes soldats dans son camp, me
disant qu'il en ferait autant de celles des siens. Je m'exécutai.
Loin de faire la paix, les Français continuèrent les hostilités et
marchèrent plus résolument que jamais.
Un peu plus tard, le général Dodds me disait de lui envoyer
mes ministres pour traiter. Les envoyés furent faits prisonniers.
Toutefois, avant de m'embarquer à Kotonou, je fis donner aux
officiers qui avaient fait la campagne des présents que je me
de leur donner après avoir conclu la paix ; ces présents se
composaient de parasols indigènes brodés d'argent, de sabres en
argent et de divers objets de valeur.
Mon désir est de donner toujours une preuve d'amitié aux

Pour Béhanzin,
OuANILO. »
L'appel au président de la République qui accompagne ce
mémoire est émouvant : « Ayez pitié d'un père ! Ayez pitié de
mon fils ! Ayez pitié de deux amis de la France ! Faites nous
revoir les rivages enviés de notre patrie !
Notre retour au Dahomey ne peut que faire le plus grand
bien aux intérêts français dans toute l'Afrique et le plus grand
honneur à la France devant le monde. »
Malgré les efforts de M. Lara et de la Ligue des droits de
l'homme, Béhanzin ne fut pas autorisé à regagner le Dahomey.
En avril 1928, le gouvernement français fit ramener au
la dépouille mortelle de Béhanzin, mort à Blida le
10 décembre 1906 d'une broncho-pneumonie. Les honneurs
militaires furent rendus à Cotonou puis à Abomey. L'ancien
souverain fut inhumé à Djimé (entre Goho et Agonvézoun)
— 211 —

dans un quartier habité par les fils de Béhanzin et leurs

L'éclat des cérémonies présidées par le gouverneur Fourn


en personne, la présence du fils préféré de Béhanzin, Ouanilo,
avocat au barreau de Paris, devaient dissiper les derniers nuages
qui pouvaient encore subsister dans les relations franco-
dahoméennes.
Dunglas x évoque à la fin de son livre la mort de Ouanilo
décédé sur la route du retour, à l'escale de Dakar. « Les
dit-il, sont intimement persuadés que Dada, le roi
défunt, a rappelé à lui son fils tendrement aimé ».

« DAHOMEY ET DÉPENDANCES »,
HÉRITAGE DE LA CONQUÊTE

Le décret du 10 septembre 1893 : éclatement des Rivières


du Sud.

Le gouvernement des Rivières du Sud, exagérément allongé,


avait provoqué durant ces trois années de campagnes certains
retards. Il constituait un échelon inutile. D'autre part,
de la Côte d'Ivoire, celle du Dahomey après l'entrée
des troupes françaises à Abomey, l'influence de Binger dans
toutes les décisions gouvernementales aboutissent au décret
du 10 mars 1893 qui constitue en trois groupes distincts les
colonies de la Guinée, de la Côte d'Ivoire et de la Côte des
esclaves.
Chacun de ces établissements a son existence propre
à favoriser le développement commercial.

Du Bénin au Dahomey.

Dans son rapport adressé au président de la République, le


ministre des Colonies, M. Delcassé indique :

1. E. Dunglas, « Contribution à l'histoire du Moyen-Dahomey »,


dans Études dahoméennes, XXI, t. III, p. 116.
— 212 —

« Le vocable « Bénin » s'applique plus justement aux vastes


territoires anglais portant ce nom, qui sont situés à l'ouest des
bouches du Niger ».
Il lui paraît préférable,
« aussi bien pour éviter les erreurs géographiques que dans le désir
très naturel de consacrer le souvenir de la conquête que cette
[Dahomey] doive être adoptée ».
C'est donc à cause de la campagne militaire que le nom de
Dahomey est donné à cette colonie.
Le décret du 22 juin 1894 précise le rôle du gouverneur
chargé de l'exercice du protectorat sur les territoires de
compris dans la zone d'influence française.

Ainsi le royaume d'Abomey, durant sept années, a dominé


la vie politique sur cette portion de côte où les établissements
français depuis quarante-cinq ans connaissaient des fortunes
diverses.
Le gouverneur Ballot a joué un rôle capital dans la
et au cours des diverses campagnes. C'est à lui que
revient le mérite de l'organisation administrative de cette
nouvelle colonie ; c'est également à lui qu'est due pour une
large part la réussite des explorations de l'Hinterland et les
succès remportés par la France dans une partie où les
du Togo et les Anglais de Nigeria étaient au départ
mieux placés, n'ayant pas le verrou d'Abomey à faire sauter.
Nous avons, dans cet article, voulu rendre hommage
aussi bien aux personnalités des conquérants français qu'aux
guerriers dahoméens. Il est d'ailleurs permis de penser que
c'est en partie à la qualité franco-africaine du général Dodds,
métis de St-Louis du Sénégal, qu'est due la solution honorable
d'une situation qui aurait pu demander des sacrifices
plus lourds.
Robert Cornevin
Administrateur en chef de la France d'Outre-Mer
Docteur es Lettres.

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